Cinéma AfriKa 2.0 - Institut Français de Madagascar
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Cinéma AfriKa 2.0 - Institut Français de Madagascar
Cinéma AfriKa 2.0 Nouvelles formes et nouvelles façons de faire du cinéma Adaptées aux contextes du continent Africain et de l’Océan Indien Livre numérique 1 2 Cinéma AfriKa 2.0 Nouvelles formes et nouvelles façons de faire du cinéma Adaptées aux contextes du continent Africain et de l’Océan Indien 11, 12 et 13 novembre à Antananarivo, Madagascar Ebook édité par l’Institut français de Madagascar février 2016 Cette oeuvre, création, site ou texte est sous licence Creative Commons Attribution Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International. Pour accéder à une copie de cette licence, merci de vous rendre à l’adresse suivante http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/ ou envoyez un courrier à Creative Commons, 444 Castro Street, Suite 900, Mountain View, California, 94041, USA. 3 4 Cinéma AfriKa 2.0 c’est aussi : TWITTER FACEBOOK SITE podcasts Directeur de publication : Denis Bisson Rédacteur en chef : Colin Dupré Assistante de production : Prisca Soanirina Chargé de communication : Sariaka Rabearivony Médiation : Mino Ralantomanana, Sariaka Rabearivony, Sarah Jany 5 6 Remerciements Le comité d’organisation de Cinéma AfriKa 2.0 tient tout particulièrement à remercier les professionnels du cinéma en Afrique, à Madagascar et du monde entier qui ont bien voulu prendre part à ce projet. La réussite de Cinéma AfriKa 2.0 tient en grande partie à leur implication. Le comité d’organisation souhaite remercier : Arnold Antonin (Haïti) Pierre Barrot (France) Issa Serge Coelo (Tchad) Thierno Ibrahima Dia (Sénégal) Abdoulaye Diallo (Burkina Faso) Beti Ellerson (Etats-Unis) Véronique Joo’Aisenberg (France) Lova Nantenaina (Madagascar) NirinA (Madagascar) Serge Noukoué (France) Cheick Oumar Sissoko (Mali) Claude Forest (France) Prisca Soanirina (Madagascar) Sariaka Rabearivony (Madagascar) Mino Ralantomanana (Madagascar) Sarah Jany (Madagascar) Le comité d’organisation tient également à remercier les institutions partenaires : 7 8 Préface C inéma AfriKa 2.0 est né d’un constat simple : L’heure n’est plus à la révolution numérique, vieille de déjà plus d’une décennie. Le numérique structure l’ensemble des industries cinématographiques mondiales. En Afrique, le numérique a permis d’accélérer le processus d’émergence de véritable industrie de l’image. Cinéma AfriKa 2.0 interroge la réalité de ce phénomène à la fois économique, culturel et esthétique. Axé sur les retours d’expériences des acteurs de la filière. Cinéma AfriKa 2.0 s’est décliné en un ensemble de rencontres professionnelles, organisées à Antananarivo les 11, 12 et 13 novembre 2015. Echanges, tables rondes et visioconférences ont permis d’aborder les questions essentielles posées par l’avènement et l’extension du numérique : production, réalisation, diffusion. L’évidence est là : le processus de création et de consommation des images animées est désormais quasi immédiat, interactif et très largement dématérialisé. Au cours de débats nourris, analyses, présentations d’initiatives et d’innovation ont été partagées par les participants. Leurs interventions sont accessibles sur la webradio créée pour l’occasion (podcasts) leurs contributions écrites le sont sur cet ebook, libres de droit et que nous vous invitons à diffuser largement. Nos plus sincères remerciements à tous les participants et contributeurs. Nous leur donnons rendez-vous pour la prochaine édition de Cinéma AfriKa 2.0. Antananarivo, le 26 février 2016. Denis BISSON Colin DUPRÉ 9 10 Table des matières Préface5 Comment faire 50 filmsavec très peu de moyens dans un pays du quart monde ?7 Genèse et enjeux de la numérisation de la diffusion des films11 Nollywood : derrière la quantité, de plus en plus de qualité 17 DROIT LIBRE TV : Tremplin des droits humains et de la liberté d’expression 23 Le rôle des télévisions dans l’industrie du cinéma en Afrique26 L’aventure de la production du documentaire ADY GASY29 Le Normandie : Première salle de cinéma numérisée en Afrique35 Écrans d’Afrique au féminin au tournant numérique38 Financer la production audiovisuelle dans les pays francophones du Sud 50 Entretien avec Cheick Oumar Sissoko53 11 12 Comment faire 50 films avec très peu de moyens dans un pays du quart monde ? Par Arnold Antonin J ’ai commencé à faire du cinéma sur pellicule dans les années 70 pendant que j’étais en exil, en Europe d’abord puis en Amérique du Sud. En 1985, je me suis lancé au Venezuela dans un projet « Simon Bolivar en Haïti » avec un budget de deux millions de dollars que j’avais toutes les chances d’obtenir de ce pays du Tiers Monde avec d’énormes réserves de pétrole. Mais le 7 février 1986, la dictature de la maison Duvalier a été renversée et le mois suivant j’avais coupé les amarres avec le Venezuela .Je me retrouvais en Haïti, mon pays du Quart Monde. C’est à partir de là que j’allais connaître vraiment ce que cela signifie que de produire et de réaliser dans la pénurie. Commençons par le dernier bout de la chaîne qui est l’exhibition et la projection en salle. En 1986 en Haïti, il n’y avait plus que 4 salles de cinéma dont une au Cap-Haïtien et 3 à Port-auPrince. Au fil du temps, toutes les salles allaient fermer leurs portes. La dernière l’a fait un mois avant le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010. Pourquoi faire donc des films dans un pays où il n’y a plus de salles de cinéma ? Posons la question d’une autre façon. Comment quelqu’un, qui pense en images et en son, avec des tas d’histoires à raconter, peut-il faire des films dans ces conditions ? Revenons donc à ce qui est le premier maillon de la chaîne, la pré-production et la production. Le miracle du numérique Dans mes pays d’exil, pour réaliser un film il y avait des laboratoires où révéler et tirer mes copies. À Rome par exemple, je pouvais compter sur les laboratoires de « Cinecitta » et à Caracas sur « Bolivar film ». Mais en Haïti, il aurait fallu expédier les négatifs à Miami ou à New York ; ce qu’il fallait complètement écarter. J’ai commencé donc, tout en menant parallèlement une lutte politique, à faire humblement des diaporamas. Sur les droits humains, les droits des femmes et des enfants et sur les grands problèmes sociaux comme les problèmes agraires en Haïti. Les diapositifs ne coûtaient pas cher et les diaporamas étaient bien accueillis. Mais il fallait trimbaler un projecteur, des carrousels et improviser des salles de projection. Cette technologie devenue obsolète par la suite était cependant des plus intéressantes quoiqu’utilisant des images fixes. Quand j’ai réalisé ma première vidéo, même si je considérais encore avec un certain dédain le travail de ceux qu’on appelait encore les vidéastes, j’ai compris que là était l’outil indiqué pour travailler avec les images en mouvement dans un pays aussi démuni. Nous commençâmes à utiliser chez une maison de production de la place le U-matic (un des premiers formats vidéo en cassettes à avoir été commercialisé, ndlr) que nous avons vite abandonné pour le SVHS puis le Hi8. On pouvait se passer du laboratoire cependant les difficultés étaient encore énormes .Le matériel (modules de montage en particulier) avait un coût élevé et le montage linéaire imposait une certaine rigidité quand il fallait intervenir sur l’ordre des plans. On perdait en qualité dans toutes ces générations vidéo par lesquelles on devait passer pour arriver à la copie finale. La vraie révolution pour moi allait s’opérer avec le passage au tout numérique et au montage sur ordinateur avec le Final Cut Pro. Désormais le manque de moyens matériels ne pouvait plus nous arrêter vraiment du côté technique. Il était évident que ce qu’il fallait c’était plus que 13 jamais ce qui est à l’origine de tout film, une idée et la volonté de communiquer. Revenons donc au processus normal de ce qu’est la réalisation d’un film et commençons par la pré production et la genèse. Pré production et genèse En Haïti, il se passe tellement de choses où se mélangent couleurs, actions, mimiques, expression théâtrale, grande et petite comédie, drames et tragédies qu’il suffirait de placer notre caméra au coin d’une rue pour avoir un film emmagasiné en peu de temps. Mais ce matériau, si riche soit-il, ne suffit pas. Il me faut, et c’est une nécessité chez nous, faire un cinéma créateur de sens. Il nous faut partir d’une idée. Et chez moi, les idées naissent la plupart du temps à partir de contradictions que je vois dans la société et de l’énergie créative que j’arrive à déceler chez les antagonistes ; ces acteurs, potentiels vecteurs de changement qui pourraient briser la dynamique de l’entropie. Une fois l’idée conçue, il faut penser à la développer de façon à réveiller et à maintenir l’intérêt du spectateur pour ce que nous racontons. Qu’il s’agisse de documentaires ou de films de fiction, Il faut donc une dramaturgie. Or nous savons que « la dramaturgie est une science exacte dont personne ne connaît les lois ». Il faut pour chaque projet de film trouver la manière la plus convaincante de raconter notre histoire. Il n’y a pas de recette, même la classique recette aristotélicienne (introduction, développement, conclusion) doit se réinventer à tous les coups. Il faut se garder surtout du danger que représentent les lieux communs. Avec une bonne idée et un bon canevas construit sur une recherche sérieuse, on a de quoi se lancer dans la production proprement dite. La production C’est ici que se présente alors l’inéluctable question de l’équipe de tournage et des ressources humaines. Les rares professionnels sont toujours occupés et coûtent cher, parfois plus que dans un pays du Premier monde. C’est pourquoi je travaille généralement avec une équipe restreinte de trois personnes disposées à faire des miracles : un directeur de photo (caméraman), un preneur de son et moi-même pour les documentaires. Pour les films de fiction, j’ajoute à l’équipe un électricien, un régisseur et un chauffeur. Quant aux acteurs à qui je paie religieusement, je leur précise toujours au moment de négocier les contrats que nous n’avons pas de cachet, mais seulement des pilules à offrir. Ainsi pour les ressources humaines donc il faut trouver des gens de passion et prêts à s’investir dans le travail. Des jeunes en général qui comprennent que ce métier est une vocation ( la seule chose plus forte que l’amour disait Gabriel Garcia Marquez) en dépit du culte du glamour auquel est associé habituellement le cinéma dans le monde actuel et l’idée que c’est le chemin de la gloire et de la richesse. Quant à l’équipement matériel, il suffit d’une caméra semi-professionnelle. Nous travaillons actuellement avec une caméra Sony AVC-HD, une mixette, un microphone, une perche, deux spots d’éclairage et un réflecteur. Nous montons avec un iMac. Nous estimons qu’avec ce matériel nous pouvons faire face aux exigences actuelles de notre production et des histoires que nous avons à raconter. Convaincu que c’est par le particulier qu’on atteint l’universel, nous ne prenons en compte aucun ingrédient ni aucun effet de mode (esthétique ou technologique) qui aurait la vertu de nous mettre sur le marché du monde industriel ou de nous permettre de singer Hollywood. La production et son financement D’expérience, j’ai compris que s’il fallait faire des films en suivant les formatages requis par les grandes organisations de financement des pays du Nord, on passerait plus de temps dans les paperasses qu’à filmer. Ceux qui suivent cette voie finissent par passer des années avant de produire et de réaliser un film s’ils ne se découragent pas en cours de route. J’ai choisi une tout autre voie et je ne prétends l’imposer à personne : faire un film et filmer tout ce que j’aie envie de filmer selon mon urgence de dire et de faire voir, avec mes faibles moyens et comptant sur la solidarité de quelques rares mécènes qui croient en mon travail par ses résultats et finissent toujours par s’y embarquer. Mais je ne les attends pas. Je fonce et après je les sollicite. Dans mon cas, vu le caractère politiquement engagé de certains de mes films et l’indépendance que je veux conserver, je compte très peu sur le soutien des secteurs officiels. Mais j’ai pu bénéficier, même s’il s’agit de petites sommes, du 14 soutien de plusieurs institutions privées du milieu des affaires, des milieux associatifs comme la Fondation Connaissance et Liberté par exemple, de la coopération française et récemment de la Suisse ou des représentations des organisations internationales, en particulier des Nations Unies. C’est ainsi que, pendant 40 ans environ, j’ai pu réaliser plus d’une cinquantaine de films. Un dernier secret : ayez toujours un fonds pour la réalisation d’un film de fiction de long métrage. Il sera le carnet d’épargne où vous pourrez toujours puiser pour les documentaires et les courts métrages en cas de panne. Vous avez un grand rêve et c’est ce grand rêve qui alimentera au besoin l’accomplissement de tous vos autres petits rêves. Je travaille actuellement sur cinq projets de documentaires et une fiction de long métrage. Je travaille pour la première fois avec deux producteurs européens qui se chargent des laborieuses démarches pendant que je travaille à mes autres films avec mes dispositifs habituels. Arriverai-je à réaliser mon dernier projet de fiction de long métrage ? Je n’en sais rien. Mais je suis sûr de porter à terme les documentaires. C’est un besoin personnel que je vis en même temps comme une nécessité collective, celle de toute ma communauté et de mon pays. Ils permettront de sauvegarder une partie de sa mémoire de mon peuple pour éviter de répéter les mêmes erreurs. La diffusion Pour revenir à la distribution et à la diffusion, je suis arrivé à créer un partenariat indispensable avec les chaînes de télévision. Vu l’absence de salle et les méfaits du piratage sur la production locale, il a fallu négocier avec les télévisions pour qu’elles incluent dans leur programmation mes films. À deux reprises, 13 chaînes de TV ont diffusé simultanément deux de mes films. J’ai eu droit à des « Cycles de ciné Arnold Antonin » qui ont duré des mois à la Télévision et qui ont été repris à la demande du public. Les TV ont toujours cru que diffuser le film d’un réalisateur haïtien était une espèce de faveur qu’on lui faisait et que c’est celui-ci en fait qui devrait payer pour la diffusion. J’ai pu changer les règles du jeu. On a signé des accords pour le partage à parts égales de l’argent des publicités diffusées pendant le passage de mes films. Et enfin, grande satisfaction, qui devrait pousser les jeunes à faire des films c’est que dans nos pays non seulement le public est avide de ses propres images, mais on arrive encore, avec des films, à mener des combats qu’on peut gagner. Je n’y croyais plus. Mais je cite quelques exemples. Des opinions recueillies de personnes bien placées m’ont porté à croire que mon film « Le règne de l’impunité » de 2014 a contribué à ce qu’un tribunal émette un verdict établissant que l’exdictateur Jean-Claude Duvalier devait être jugé pour crimes contre l’Humanité. J’en ai fait un autre : « La sculpture peut-elle sauver Noailles ? » sur un village d’artistes. Il a contribué à améliorer les conditions de vie et l’environnement dans lequel travaillent ces artistes de métal découpé. Mon film de fiction « Le président a-t-il le Sida ? » a certainement contribué aux résultats de la campagne pour le changement de comportement face à ce fléau en Haïti. Enfin si on arrive à participer aux festivals et aux rencontres internationaux tant mieux ! On y crée des amitiés et des réseaux de solidarité qui peuvent être de grande utilité dans nos projets. Des Latino-Américains, Burkinabè, Congolais m’ont aidé d’une façon ou d’une autre dans mon travail. Il faut défendre du bec et des ongles les festivals des pays du Sud malgré les courants contraires. Grâce au Festival itinérant des films de la Caraïbe, beaucoup de mes films ont été projetés dans 21 îles et territoires de la Caraïbe. Voilà, en vrac et dit en toute hâte, comment j’ai réussi à faire plus de 50 films et à constituer un « success story » dans les conditions d’extrême précarité d’Haïti. 15 16 17 ©IOM Haïti Cérémonie de remise de récompense de la classe de jeunes cinéastes au Centre Pétion-Bolivar d’Arnold Antonin, 26 avril 2011, Haïti. 18 Genèse et enjeux de la numérisation de la diffusion des films par Claude Forest I nvention majeure pour ses contemporains du XIXème siècle, le cinématographe ne constitua toutefois que l’aboutissement d’une longue suite de travaux et de représentations utilisant des mécanismes optiques et mécaniques. Le dispositif central du cinéma évolua peu depuis ses origines -un écran pour projeter des images animées à des spectateurs venant s’asseoir dans une salle -, mais du tournage manuel de la manivelle de la caméra pour impressionner chimiquement des photogrammes sur une pellicule, à la diffusion numérique de pixels, son histoire technologique est jalonnée de perfectionnements qui ont, quelquefois profondément (film parlant, couleur…), mais le plus souvent insensiblement et par petites touches (CinémaScope, son stéréo, etc.), modifié les éléments constitutifs du spectacle. Le remplacement de l’argentique par le numérique, généralisé depuis deux décennies au niveau de la postproduction (montage, effets spéciaux…) avant de se répandre dans les tournages, a impacté radicalement à partir de 2009 la diffusion du film en salles au niveau mondial. Freiné durant plus de dix ans par la difficulté de trouver un modèle économique permettant aux exploitants de réaliser les investissements nécessaires, il a depuis bouleversé fondamentalement les métiers de la filière cinématographique, à commencer par la distribution et l’exploitation, d’abord en Occident avant de s’imposer dans le reste du monde. Sans amélioration sensible pour les spectateurs, cette technologie contemporaine s’insère après de nombreuses autres évolutions antérieures dans une filière qui bascule d’un commerce physique à une logique de service à la dématérialisation croissante. 19 Progressivement, l’insertion du numérique a accoutumé l’œil du spectateur à son insu tandis que ses pratiques vidéos domestiques se banalisaient. La disparition de la projection en 35mm au profit d’une diffusion numérisée a été imposée, durant une période à la brièveté historiquement inconnue, à une majorité des acteurs subissant cette marche forcée vers un progrès qu’on lui présentait comme inéluctable, avec des questions toujours non résolues sur la pérennité de son utilisation sur une large partie de la planète, comme sur les nouveaux usages qu’elle va susciter en cabine comme dans la gestion et la programmation des films. Pour rendre cette diffusion numérique possible, le Digital Cinema Initiatives1 a imposé ses normes au monde entier, en particulier au niveau de la transmission (format JPEG 2000) et de la projection, un seuil minimal de définition de l’image (2K) étant requis, et tous les paramètres (colorimétrie, cadencement des images, contraste, etc.) étant normés, un encodage numérique (digital watermark) apposé sur toute copie permettant d’identifier immédiatement le projecteur émetteur en cas de piratage, obstacle commercial majeur durant toute la première décennie du XXIàme siècle. Valorisé par la 3D du film de James Cameron, Avatar conçu comme un formidable argument publicitaire et commercial, le passage au numérique a bouleversé toute la filière, la distribution et l’exploitation, mais également les laboratoires (tirages de copies) qui ont du se reconvertir douloureusement dans une urgence pas toujours maîtrisée. Si la numérisation du son s’était lentement 1 Le Digital Cinema Initiatives (DCI) est un groupement créé en 2002 par sept Majors d’Hollywood (Metro-Goldwyn-Mayer, Paramount Pictures, Sony Pictures Entertainment, The Walt Disney Company, 20th Century Fox, Universal Studios, Warner Bros) afin d’établir des normes mondiales pour le cinéma numérique. répandue sans obstacle majeur dans les salles voici trois décennies et a cohabité depuis lors avec l’analogique, la pénétration de l’équipement en projecteurs numériques s’est opérée de manière exponentielle entre 2009 à 2012, se substituant totalement à la pellicule en trois ans après une décennie de tâtonnements. Historiquement en France, Gaumont fut l’entreprise pionnière et assura la première projection publique du cinéma numérique en Europe le 2 février 2000 avec Toy story 2 au Gaumont Aquaboulevard de Paris. À partir de 2005 en Europe, les groupes d’exploitants équipent expérimentalement puis progressivement leurs établissements en numérique, à commencer par Kinepolis puis CGR. En France en 2009, des accords de financement avec un tiers investisseur Ymagis permettent aux groupes SOREDIC, Cap cinéma et MK2 (≈ 240 écrans) de s’équiper entièrement sur deux ans. EuroPalaces (devenu Les Cinémas Gaumont Pathé, 690 écrans) équipe la même année quelques dizaines de ses écrans de manière autonome financièrement, essentiellement dans le but de diffuser des films en 3D, puis accélère le processus l’année suivante après la réaction de son principal concurrent. En février 2010 en effet, après avoir perdu des parts de marché suite à son choix de ne pas s’équiper en 3D pour la sortie d’Avatar, UGC (428 écrans) annonce son passage intégral au numérique sur une période de deux ans. Un basculement au niveau national s’opère aussitôt après la décision de l’UGC, les indépendants se voyant contraints d’accélérer leur équipement, et à la fin 2011 les deux tiers des écrans français étaient dotés en projection numérique, contre moins d’un tiers un an plus tôt, et 17% fin 2009; les neuf dixièmes le seront à la fin 2012, la totalité en 2014. Pour permettre cet équipement coûteux, le modèle économique mis en place en France a repris celui importé des États-Unis, une contribution, les virtual print fee (VPF), étant reversée aux exploitants par les distributeurs, seuls bénéficiaires économiques de ce passage au numérique. Selon des modalités mouvantes au gré des accords professionnels, le principe des frais de copies virtuelles consiste à reverser aux exploitants, durant une période limitée une partie des économies liées au différentiel de coût dans le tirage de copies, afin de leur permettre de financer l’équipement numérique de leurs salles. Toutefois ces VPF ne s’adressent pas à toutes les salles mais d’abord à celles dominant le marché, puisqu’étant proportionnels aux entrées générées par un film durant les deux premières semaines suivant sa sortie. Tous les établissements de continuation, majoritaires en nombre mais minoritaires en CA, ne peuvent en profiter que marginalement. Aussi en France comme en certains autres pays européens2, un soutien sélectif de l’État a-t-il été mis en place en 2010 en direction de ces salles (le plan CINENUM de 100 M€ sur trois ans). Les exemples étrangers, les pressions des majors, et le basculement brutal de l’UGC puis l’accélération des autres groupes, ont ainsi imposé ce format et supprimé tout atermoiement à la totalité du parc de salles français dès 2013. Toutefois, la durée de vie de ce matériel fondée sur la technologie numérique sera plus limitée que celle du 35mm, les garanties actuelles des constructeurs comme les accords des distributeurs ne dépassant pas 8 à 10 ans. Une grande inconnue se porte alors sur le moment du renouvellement du parc et sur la capacité de financement de nombre de salles, alors que les soutiens publics et les VPF auront disparu. Le risque d’une escalade technique est présent, le groupe Kinépolis ayant ainsi annoncé dès 2011 qu’il installait des projecteurs 4K dans tous ses cinémas (belges, français et espagnols) et comptait être le premier groupe de cinéma européen à offrir la meilleure qualité d’image disponible, d’autres évoquant dès 2012 le 8K3. Au niveau des métiers, la généralisation de l’informatique en cabine a modifié les aptitudes mobilisées et demande de nouvelles compétences. Son utilisation devient l’outil central de l’opérateur qui peut ne plus avoir de contact physique avec le projecteur, mais avec le TMS4, ordinateur central permettant de programmer et piloter tous les appareils d’un établissement. Après avoir perdu le contact physique de la pellicule, il peut quitter physiquement la cabine, et cette dernière disparaître comme aux États-Unis dans plusieurs circuits d’exploitants depuis 2010, et en France où la première salle de ce type a vu le jour à Moulins (Cap’cinéma, Allier, 4 écrans) en octobre 2011. Demeurent la maintenance et la capacité d’intervention pour résoudre les différentes pannes qui nécessitent une vigilance et une rapidité d’exécution accrues, la plupart des pannes informatiques obéissant à la loi du tout ou rien (passage ou absence totale du son 2 En Norvège, où le parc est au trois quarts municipalisé, la numérisation totale a été achevée dès fin 2011. 3 2K correspond à une résolution d’image de 2048x1080 pixels, 4K à une résolution quadruple de la 2K (4096×2160). 4 Acronyme dans le cinéma de Theater Management System (système de gestion des données, clés et paramètres de projection pour le cinéma numérique). 20 et de l’image). rayures sur la pellicule mais une projection de pixels toujours étalée pour les spectateurs, quelle que soit la date de passage du film. À l’encontre du fantasme éternellement renouvelé d’une perfection enfin atteinte qu’apporterait toute « nouvelle » technologie, les distributeurs de films et exploitants de salles ont toutefois expérimenté les inévitables faiblesses de toute innovation technique, les mêmes qu’avaient déjà subies d’autres secteurs industriels pour les fichiers informatiques: nécessité d’une forte ventilation pour les appareils générant une source de chaleur élevée ; relative fragilité des disques durs ; exigence des conditions de manipulation et de conservation (à l’abri des chocs et de la chaleur) ; non pérennité du DCP (durée de vie de quelques semaines) ; loi du « tout ou rien » (un seul bit altéré peut interdire la lecture de tout un fichier) ; risque d’altérations des données sur les fichiers sources après une moyenne période (5 à 10 ans) ; incertitude sur les futurs formats et surtout sur le maintien en service des appareils aptes à les lire (le problème s’est déjà posé pour la lecture des bandes magnétiques, des cassettes audio…) ; etc. Face à ces risques technologiques, de nombreuses entreprises ont décidé, telle Gaumont en 2011, pour conserver leur patrimoine, de transférer tous leurs films tournés en numérique sur support…35mm, le CNC l’imposant également deux ans lus tard pour le dépôt légal des films. Tous les organismes ou sociétés détentrices de catalogues (Cinémathèque française, Archives du film, etc.) se posent partout dans le monde la question du choix du support pour garantir la pérennité de la conservation des œuvres, comme des procédures à mettre en œuvre (formats, espaces, financement des transferts, etc.), la durée de vie des fichiers numériques étant pour le moment dix fois plus courte que celle de la pellicule. Le passage au numérique a entièrement modifié de nombreux métiers de la filière, dans les laboratoires et surtout dans les salles, les savoir-faire mécaniques disparaissent au profit de compétences informatiques, puisque pour chaque salle il n’y a plus de chargement de film sur l’appareil et que toutes les fonctions des séances d’une semaine entière sont désormais informatisées et commandent le projecteur numérique. La maintenance et la capacité d’intervention pour résoudre les différentes pannes, essentiellement d’ordre informatique (clefs de décryptages non valides, mauvaise programmation, non reconnaissance provisoire Pour sécuriser les contenus, les fichiers numériques des films (DCP) sont inutilisables sans clef de décryptage, la KDM, dont la création se fait chaque semaine, pour chaque copie et chaque établissement sur ordre du distributeur donné à un prestataire, généralement le laboratoire, qui l’envoie séparément aux salles par courriel. Les délais très courts – entre la confirmation de la diffusion du film le lundi midi et sa première diffusion le mercredi midi –, l’introduction d’un interlocuteur supplémentaire différent et non unifié (les distributeurs collaborent avec de multiples prestataires) pour générer et envoyer plusieurs milliers de KDM (Key Delivery Message – clef de cryptage sans laquelle le fichier est illisible) chaque semaine, ainsi que la nécessité pour les salles de réceptionner puis « ingester » (rentrer en mémoire sur le serveur du projecteur) correctement cette clef pour chaque film, s’opère sur des périodes concentrées sur le mardi soir et le mercredi matin. La transition au numérique a permis de diminuer le poids et l’encombrement des copies, et le principal avantage économique pour les groupes et la grande exploitation a résidé en la diminution de la masse salariale par réduction des effectifs, le travail des opérateurs se trouvant concentré sur un seul jour, la programmation numérique des projecteurs permettant de limiter les autres interventions à la maintenance et à la surveillance. Aux copies 35mm se sont substitués les disques durs, et les KDM qui, après accord et ordre donné par le distributeur, proviennent d’interlocuteurs différents et posent des problèmes inédits. L’envoi dématérialisé des contenus (via Internet) est en croissance mais demeure encore limité, en raison des temps très longs de transfert (12 à 24 heures pour un film via l’ADSL). La transmission satellitaire ou par fibre optique s’avère pour le moment délicate à mettre en œuvre en raison des nombreuses contraintes afférant aux réseaux : fort encombrement, tailles des fichiers, concentration des périodes d’émission (changement hebdomadaire des programmes), faible vitesse de débit, nombreuses salles non équipables (régions isolées, montagnes, etc.). Présentée comme un saut qualitatif, la suppression de la pellicule et son remplacement par des fichiers numérisés généra un argument sur certaines qualités apparentes du nouveau support : plus d’usure mécanique, plus de 21 du signal, etc.), nécessitent vigilance et rapidité d’intervention, alors même que les effectifs, essentiellement dans la grande exploitation ont été fortement réduits, et imposent désormais de la polyvalence (fonctions d’accueil, de comptoir ou commerciale) durant le temps des projections. La mise sous dépendance du parc mondial de salles vis-à-vis d’intérêts d’un groupement d’entreprises états-uniennes dominant le marché de l’approvisionnement en films pose un réel problème économique et stratégique, induisant une fragilité vis-à-vis d’intérêts qui pourraient à terme s’avérer changeants et nonconformes à un optimum pour les acteurs des filières cinématographiques non états-uniennes. De plus, cette innovation conduit le parc de salles mondiales à s’équiper au profit d’un fournisseur de puce électronique en situation de quasimonopole, Texas Instrument5 qui a mis au point en 1987 cette technologie permettant le traitement numérique de la lumière pour ces projections (dit DLP – Digital Light Processing). Les exploitants européens se retrouvent en dépendance totale vis-à-vis d’un oligopole de constructeurs de projecteurs numériques spécialisés dans le cinéma (Christie, NEC et BARCO), comme d’installateurs en licence exclusive avec ces constructeurs qui ont rapidement dû revoir leur métier de base, s’orientant vers une société de service, notamment par des contrats de maintenance en hotline devenus obligatoires, moins gourmant en personnel et raréfiant les temps de déplacement, la quasi-totalité des pannes étant d’ordre informatique, et donc largement solubles à distance par assistance téléphonique ou télémaintenance. De l’autonomie relative et de la durabilité mécanique de leur équipement antérieur – un projecteur 35mm durait au moins quatre décennies sans intervention majeure, et les opérateurs étaient aptes et compétents pour résoudre toutes les pannes les plus courantes – l’exploitation cinématographique s’est mise sous dépendance de standards définis à l’extérieur de la filière, qui sont par nature non pérennes, instables, renouvelables au rythme des progrès de miniaturisation de l’électronique, et soumis aux aléas des batailles des constructeurs sur de plus vastes marchés extra-sectoriels. L’obsolescence accélérée des outils informatiques est connue, 5 Se situant au 4e rang mondial des semi-conducteurs après Intel, Samsung et Toshiba, il forme un duopole mondial avec Sony pour les puces équipant les projecteurs numériques de cinéma, mais se trouve en situation de monopole en France et dans de nombreux pays européens puisqu’ayant l’exclusivité des licences en puces électroniques des trois constructeurs de projecteurs équipant le parc, Christie, NEC et BARCO. mais si le grand public peut s’équiper d’un ordinateur ou d’un vidéoprojecteur de qualité pour quelques centaines d’euros, une cabine numérique en coûte 70.000€ (trois fois plus qu’en 35mm). Les 165 000 écrans de cinéma dans le monde (5 480 en France) constituent un marché étroit sans rapport avec les biens de consommation grand public qui bénéficient d’une fabrication de masse et d’un abaissement des coûts de revient et prix de vente ; cela ne peut être le cas de ce segment de l’équipement professionnel qui va rapidement arriver à maturité sans avoir pu bénéficier d’une baisse de coûts liée à des économies d’échelle. Jusqu’à présent aucune des améliorations que la projection numérique a pu offrir n’a eu d’impact durable sur le niveau de la fréquentation des films en salles, pas plus en France qu’aux ÉtatsUnis qui a chuté depuis son introduction perdure, ait un impact sur le niveau de la demande des spectateurs, et donc sur l’amortissement des équipements. Mais tandis qu’une utopie de l’abondance et de l’accès à tous des titres, notamment du répertoire, avait pu germer, d’une part les distributeurs n’ont pas significativement augmenté le nombre de copies tirées pour les nouveaux films, continuant à gérer une rareté relative de l’offre qu’elles maîtrisent, d’autre part le coût élevé d’une remastérisation en numérique des œuvres déjà sorties en 35mm limite très fortement une telle opération pour les titres les plus anciens, au demeurant de moins en moins demandés par les spectateurs en salles. L’engouement initial pour un seul film, au succès non reproduit depuis, a constitué le prétexte pour les Majors afin de faire disparaître le format centenaire de la pellicule, provoquant des conséquences considérables sur toute la filière partout dans le monde. La fermeture ou la reconversion des laboratoires permettant le tirage des copies en 35mm, essentiellement situés au Nord, a imposé de facto l’impossibilité aux autres pays, du Sud essentiellement, de continuer à diffuser en ce format. Inversement, la possibilité d’utiliser la diffusion numérique pour du « hors-film » (retransmissions sportives ou de concerts, festivals de films amateurs, etc.), concerne un public pour le moment marginal mais peut constituer un indéniable élément de valorisation de l’image de certains établissements. Par ailleurs le numérique a reproduit la diffusion d’un cinéma à deux vitesses, avec deux qualités technologiques très différentes sous le même vocable. À côté du format 35mm dit « standard 22 », commercial, s’était développé dès l’origine du cinéma un format « sub-standard », aux visées souvent non commerciales utilisant le 16mm. De la même manière aujourd’hui pour le numérique, à côté d’un format imposé et contrôlé par le DCI, présentement normé au 2K, et imposé aux salles commerciales, continue de se développer un autre format, apparu antécédemment, qui faute de moyens économiques, de compétences et savoir-faire technologique, notamment au niveau de la maintenance, propose une qualité moindre, non-professionnelle, identique à celle offerte aux ménages avec des projecteurs de puissance et luminosité moindres6, adaptés aux supports domestiques (DVD, Blu-Ray, fichiers MP4, etc.). Les coûts d’acquisition et d’entretien, les difficultés de maintenance qui nécessitent compétence et savoir-faire immédiatement disponibles, leurs fragilité d’utilisation et nécessité de maintenir leur environnement à des températures limitées (moins de 30°), ou l’incertitude quant à sa pérennité, sont autant d’obstacles qui ont freiné le 6 La luminosité d’un vidéo projecteur grand public varie entre 200 et 3.000 lumens, cette dernière étant retenue par exemple par le réseau des CNA (cinéma numérique ambulant) en Afrique de l’Ouest et centrale. Les projecteurs 2K ou 4k offrent couramment 14.000 à 20.000 lumens, ce qui leur permet notamment d’éclairer uniformément des écrans de plus grande largeur. remplacement du support mécanique 35mm à la fiabilité pourtant éprouvée. Mais en la disparition de tirage de copie sous ce format, la totalité des lieux de projection s’est retrouvée sous la contrainte d’adopter la projection numérisée des images, non sans difficulté. L’État français luimême, après l’effort en faveur de son parc de salles commerciales, peine encore à équiper son réseau d’Instituts français qui le représente à l’étranger. Sur les deux centaines de centres présents à l’étranger, seule une vingtaine d’Instituts avait pu s’équiper de manière autonome, et un plan de numérisation de son parc a du être passé avec le Centre national du cinéma et de l’image animée en mai 2014, bénéficiant à ce jour à 17 Instituts, portant fin 2015 à 40 le nombre de lieux équipés dans le monde, dont 9 en Afrique. Cette faible proportion donne une idée des difficultés qui se posent aux autres pays, entreprises et organismes pour demeurer aux normes fixées par le DCI, le risque de la généralisation d’un « numérique du pauvre » pouvant toutefois être contrebalancé par la souplesse matérielle d’utilisation des fichiers numérisés, et par les possibilités de programmation qu’ils offrent. Il a notamment publié : Les dernières séances. Cent ans d’exploitation cinématographique, CNRS, 1995. - Économies contemporaines en Europe, CNRS, 2002. - L’argent du cinéma, Belin 2001. - Quel film voir ? Pour une socio économie de la demande, Presses universitaires du Septentrion, 2010. - L’industrie du cinéma en France. De la pellicule au pixel, La Documentation française, 2013. -Le Patis. Une salle de cinéma populaire devenue art et essai (1943-1983), Presses universitaires du Septentrion, 2014. - Figures des salles obscures (avec Samra Bonvoisin et Hélène Valmary), Nouveau monde éditions, 2015. Et dirigé les ouvrages : - Du héros aux super héros. Mutations cinématographiques, Presses Sorbonne nouvelle, coll. Théorème, vol. 13, 2009. - L’industrie du cinéma en Afrique, Afrique contemporaine, n°238, 2011. -La vie des salles de cinéma. -La vie des salles de cinéma, (Hélène Valmary co-dir.) Presses Sorbonne nouvelle, coll. Théorème, vol. 22, 2014. 23 24 25 DCP BRASIL© Leo LaraUniverso Produção 26 Nollywood : derrière la quantité, de plus en plus de qualité Par Pierre BARROT L a première chose qu’il faut comprendre à propos de Nollywood, c’est qu’à l’origine, il n’y a aucun lien ni positif ni négatif avec le cinéma nigérian, lequel cinéma n’a existé que pendant une vingtaine d’années, du début des années 70 au début des années 90, avant de disparaître en même temps que les salles, transformées en lieux de culte ou en entrepôts. Nollywood n’est pour rien dans la mort du cinéma au Nigeria et les cinéastes nigérians ne sont pour rien non plus dans l’apparition de Nollywood qui a été inventé par des gens de télévision à une époque où ils ne trouvaient plus de débouchés pour leurs programmes, ce qui les a amenés à inventer ce nouveau système de production et de diffusion en vidéo. Officiellement, l’histoire est la suivante : il était une fois un commerçant ibo ayant importé un gros stock de cassettes VHS. C’était en 1992. L’homme se dit qu’il gagnerait plus d’argent en enregistrant un film sur ces supports plutôt qu’en vendant des cassettes vierges. C’est ainsi que fut produit le film « Living in bondage » qui connut un énorme succès avec 200 000 copies vendues. Voilà le mythe fondateur de Nollywood. Cette histoire a autant de chances d’être vraie que celle d’Adam et Eve. Ce qui compte, c’est que des centaines de professionnels Nigérians y ont cru, au point de se jeter frénétiquement dans la production de films et de donner naissance au phénomène Nollywood – on serait presque tenté de dire « le monstre » Nollywood. 23 ans après sa naissance en 1992, le monstre en question a probablement dépassé le seuil des 25 000 films produits, malgré le piratage, malgré la charia dans les Etats du Nord, malgré la chute du prix du baril de pétrole et malgré Boko Haram. Le niveau actuel de la production - 2000 films par an - correspond vraisemblablement au record du monde, du moins si l’on fait abstraction des films pornographiques. Pourquoi mentionner les films pornographiques ? Parce que, comme ces films-là, 95 % des productions de Nollywood sont vite faites, mal faites, et surtout, faites dans le but de gagner un maximum d’argent avec le minimum d’investissement. On dit que l’acteur Rocco Siffredi a joué dans plus de 600 films pornographiques. Il y a probablement au Nigeria des comédiens qui ont tourné encore plus que lui mais sans jamais exhiber leur anatomie car leur pays, éminemment religieux et puritain, ne produit aucun film pornographique. Il n’en reste pas moins que Nollywood, comme l’industrie du film pornographique produit très vite, à des prix très bas et beaucoup trop, ce qui lui vaut une réputation désastreuse. Aucune industrie cinématographique au monde ne compte autant de détracteurs. Les ennemis de Nollywood sont très nombreux, y compris au Nigeria. Les quelques cinéastes qu’a connus ce pays y voient généralement une honte nationale. C’est le cas notamment d’Ola Balogun, dont les films en 35 mm ont connu un succès international dans les années 70 et 80. Il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer l’extrême médiocrité des films nigérians. Pourtant, Nollywood mérite qu’on s’y intéresse, pour trois raisons au moins. D’abord parce qu’il y a là un modèle économique unique au monde, qui, pendant très longtemps, a reposé exclusivement sur la diffusion « directvidéo ». Ensuite, parce que ce secteur tire ses recettes uniquement du marché et ne dépend d’aucune source de financement extérieure, contrairement au cinéma d’Afrique francophone, qui n’existerait pas sans les aides européennes. Enfin, à cause de l’énorme impact de cette production vidéo nigériane sur le public. 27 considère que moins d’un tiers de ce chiffre représente le coût de production des films (hors dépenses de duplication et de commercialisation), on aboutit à un coût de production moyen par film de 50 000 euros. Et on se rend compte que l’ensemble de la production annuelle du Nigeria dispose alors d’un budget équivalent à celui d’un seul film de Hollywood. Autrement dit, en cette année 2009, un film « nollywoodien » moyen ne coûtait pas plus que trois à quatre secondes d’un film américain. Ce qui était vrai en 2009 ne l’est peut-être plus aujourd’hui. D’une part, parce que le développement des salles de cinéma a conduit à la production, chaque année, de quelques films à gros budget (Half of a Yellow Sun, October 1st, par exemple). D’autre part, parce que le développement des ventes sur internet a dopé le chiffre d’affaires de Nollywood. Mais il reste très difficile d’avancer des chiffres crédibles. Lors de la réévaluation du PIB du Nigeria en 2014, il a été dit que les industries du film et de la musique représentaient 1,4 % de ce PIB, soit 6 milliards d’euros. Même si la musique, au Nigeria, a pris une place très importante et en admettant que ce secteur aligne un chiffre d’affaires équivalent à celui de Nollywood, on aboutirait à la conclusion que l’industrie du film brasse plus d’argent au Nigeria qu’en France. C’est totalement impossible, ne serait-ce que parce que le Nigeria compte seulement une centaine d’écrans, contre 5000 en France. Nollywood en chiffres « Il est plus facile d’extraire de l’eau d’un caillou que d’obtenir des chiffres fiables sur la production vidéo nigériane », prévient le journaliste Tunde Oladunjoye. On est tenté de le croire quand on sait ce que valent les statistiques au Nigeria. On a connu un recensement de la population où on s’attendait à 115 millions d’habitants et où on n’en a trouvé que 79 millions. On a vu un autre recensement où Kano, qui n’est rien d’autre qu’un gros village obtenait plus d’habitants que Lagos, qui est l’une des mégapoles les plus peuplées de la planète. Tout récemment, en 2014, le PIB du Nigeria a fait l’objet d’un changement du mode de calcul et, du jour au lendemain, on a assisté à une augmentation de 89 %, ce qui a permis au pays de devenir la première économie d’Afrique en dépassant l’Afrique du Sud, l’année même où le prix du baril de pétrole chutait spectaculairement… Bref, il faut se méfier des chiffres au Nigeria, et a fortiori quand il s’agit de Nollywood, un secteur d’activité fondé exclusivement sur la fiction ! Combien de films ? Malgré cette mise en garde, on dispose tout de même d’indications relativement crédibles sur le nombre de films produits au Nigeria, grâce à la commission de censure fédérale. Le premier filmvidéo nigérian, le fameux « Living in bondage », déjà évoqué, a été mis sur le marché en 1992. Trois ans plus tard, la commission de censure recensait déjà 177 films sortis dans l’année. La production a ensuite connu une croissance exponentielle. Le cap des 1000 films par an a été franchi en 2004. En 2008, on en était à 1770 films. Depuis, malgré l’apparition d’une rubrique « statistiques » sur le site de la commission de censure, laquelle reste désespérément vide, on est obligé de s’en tenir à des approximations. Selon Roberts Orya, de la banque d’import-export Nexim Bank, on est, depuis cette époque, autour de 2000 films sortis chaque année1. Quelle diffusion pour ces films ? Il est tout aussi difficile de mesurer la diffusion des films. En 2004, le ministre de l’information estimait la vente moyenne d’un film à 16 000 copies vidéo. Mais la même année, le producteur Francis Onwochei, lors d’une intervention au festival de Berlin, parlait de 50 000 copies. A cette époque, le plus grand succès jamais observé sur le marché était celui du film « Osuofia in London », sorti en 2003 et dont les ventes étaient estimées à 800 000 exemplaires vidéos par son producteur, Kingsley Ogoro. Rapporté à une population nigériane de 130 millions d’habitants à l’époque, ce chiffre pouvait paraître faible, d’autant que les ventes en vidéo sur le marché national représentaient pratiquement la seule source de revenu des producteurs. Depuis, on peut dire sans risque de se tromper que le marché s’est élargi. Des dizaines de chaînes de télévision diffusent les films nigérians (y compris Combien ça coûte ? En 2009, le chiffre d’affaires total de Nollywood était estimé à 300 millions d’euros2. Si l’on 1 Quotidien nigérian « The Nation » (30 août 2015) : http://thenationonlineng.net/whither-the-200million-entertainment-fund/ 2 « L’industrie du rêve au Nigeria », chapitre d’un rapport du Sénat français, 2009. 28 en français, comme la chaîne Nollywood TV), les ventes sur internet, principalement auprès de la diaspora en Europe et en Amérique ont explosé et le visionnage des films sur YouTube et sur d’autres plateformes comme Iroko TV génère d’énormes recettes publicitaires. A ces canaux de diffusion s’est ajouté récemment Netflix qui, dit-on, a pu payer jusqu’à 100 000 dollars pour le film October 1st. Enfin, la relance du cinéma au Nigeria procure un marché non négligeable à une petite partie des films, ceux dont la qualité technique et artistique autorise une projection sur grand écran. Dès 2010, le film Ijé pouvait engranger 210 000 euros de recettes, à une époque où il y avait moins de cinquante écrans sur tout le pays. Depuis, le nombre d’écrans a doublé – on en compte une centaine aujourd’hui, ce qui reste très faible pour un pays qui en avait plus de 5000 dans les années 80 ! Mais le parc de salles progresse rapidement. Des dizaines de nouvelles salles ouvrent chaque année et la part de marché des films nigérians sur ce réseau de salles progresse régulièrement. En 2009, les films nigérians représentaient seulement 7 % des sorties en salles. En 2011, la proportion avait déjà atteint 29 %. de Nollywood a été totalement orienté vers la vente de supports vidéo (surtout VCD – Video Compact Discs - et plus rarement VHS ou DVD), Nollywood ne concevait ses films ni pour le grand écran ni pour la télévision. Les producteurs se contentaient donc de standards de qualité technique très bas (prise de son défaillante, mixage quasi-inexistant, images chahutées, mal éclairées, jamais étalonnées). Les normes « broadcast » des télévisions étaient ignorées et les exigences propres au cinéma même pas envisagées. Les défauts techniques étaient tels qu’il était pratiquement impossible de montrer des films nigérians, fussent-ils parmi les plus intéressants, dans des festivals. Quant aux télévisions qui voulaient diffuser ces films, elles avaient le plus grand mal à obtenir des « masters » acceptables (parfois, il n’y avait même plus de master, la cassette ayant été recyclée après la sortie vidéo !). A cette absence de culture de la qualité technique qui reste présente dans l’ADN de Nollywood, s’ajoutent, encore aujourd’hui, des contraintes économiques ou commerciales pesantes. D’un côté, une concurrence frénétique qui se traduit par des prix de vente des VCD très bas ; d’un autre côté, un star-system organisé par les distributeurs qui fait flamber les cachets des acteurs vedettes. Pour s’en sortir ou pour maximiser leurs profits, distributeurs et producteurs imposent des plannings de tournage démentiels : rarement plus de dix jours pour un film d’une heure trente et parfois même moins d’une semaine ! A ces contraintes, désastreuses en termes de qualité, s’ajoutent les effets du formatage commercial. On n’hésite pas à délayer une histoire prometteuse en la découpant en deux ou trois parties pour augmenter les gains. Les ingrédients réputés payants (violence, vociférations, sorcellerie) sont exploités ad nauseam. Quant aux considérations esthétiques, elles sont le plus souvent ignorées, le public étant présumé insensible à tout ce qui ne concerne pas directement l’histoire et les personnages. Combien d’emplois créés ? Bien que, là encore, il soit difficile d’avoir des chiffres fiables, on estime que l’« industrie du film » a créé des centaines de milliers d’emplois au Nigeria, la plupart de ces emplois se situant dans le secteur de la distribution (innombrables colleurs d’affiches, vendeurs de rue et exploitants de boutiques vidéo). Mais Nollywood a aussi l’avantage de faire vivre de nombreux techniciens et des centaines de comédiens, dont certains sont devenus des têtes d’affiche qui amassent de petites fortunes (il y a une dizaine d’années, le record était détenu par Genevieve Nnaji, avec des cachets allant jusqu’à 17500 euros par film pour moins de deux semaines de tournage ; ce chiffre a probablement été dépassé depuis). Les stars nigérianes déchaînent les foules, dans leur pays mais aussi à l’extérieur. Enfin, le Nigeria est, en Afrique subsaharienne, le seul pays (hors Afrique du sud) où l’on trouve des dizaines de scénaristes professionnels, certains étant très talentueux. Nollywood est, pour l’essentiel, sous la domination des « marketers » (distributeurs) qui ne s’embarrassent pas de subtilités techniques ou esthétiques et qui recherchent essentiellement un profit facile et rapide. Pour cela on ne recule devant aucun plagiat, aucune démagogie, aucune extrémité. Malgré une Un système tiré vers le bas par les lois du marché Pendant plus de quinze ans, le modèle économique 29 30 Commission de censure souvent tatillonne en matière de nudité et de crudité du langage, la plus extrême violence s’épanouit dans la vidéo nigériane : meurtres à gogo, suicides à volonté, banalisation de l’infanticide. Ces outrances sont la conséquence d’une logique mercantile mais elles sont également liées au mode de diffusion : contrairement à un téléspectateur, qui n’a pas de prise sur les programmes qu’on lui propose, le consommateur de vidéos est libre de choisir ses films et il est censé décider à qui il va les montrer. Pour cette raison, les producteurs de vidéos nigérianes ont développé une attitude d’irresponsabilité à l’égard du contenu de leurs films. Ils n’hésitent pas à montrer les pires horreurs et si des enfants sont exposés à de telles histoires, ils s’en lavent les mains, n’hésitant pas à rejeter la responsabilité sur les parents qui n’auraient pas dû laisser de tels films sous les yeux de leur progéniture. politique ou économique, la production vidéo nigériane est – en grande partie - le miroir d’une société en ébullition. Elle peut évidemment être instrumentalisée (notamment par des églises – évangéliques en particulier) mais elle ne l’est jamais que partiellement car Nollywood n’est pas une entité homogène que l’on pourrait aisément manoeuvrer ; c’est une myriade de micro-sociétés incontrôlables dont le fonctionnement semble anarchique. Il n’existe au Nigeria, aucun grand studio, aucun producteur hégémonique, rien qui puisse faire penser – toutes proportions gardées – aux « Major companies » de Hollywood ou aux grands studios qui produisent les télénovelas latino-américaines. Il n’y a au Nigeria que de petits artisans luttant avec d’autant plus d’énergie que leur survie n’est jamais assurée. Le résultat est sans appel : Nollywood envahit progressivement tous les marchés d’Afrique subsaharienne. Les pays anglophones, à commencer par le Ghana, ont été les premiers touchés. On a pu observer ensuite une arrivée massive des VCD et VHS nigérians sur les marchés des pays d’Afrique francophone, le plus souvent par piratage. Au début des années 2000, avant le déclenchement de la rébellion en Côte d’Ivoire, un vendeur de cassettes d’Abidjan confiait à un journaliste nigéria qu’il avait vendu respectivement 8000 et 10 000 exemplaires des films nigérians « Blood money » et « Iyawo Alhadji », manifestement piratés. Par la suite, les télévisions privées d’Afrique francophone ont commencé à diffuser des films de Nollywood en version originale, au mieux avec une simple voix off. Depuis, une étape supplémentaire a été franchie : des pirates se chargent de doubler les films en français et leur permettent ainsi de déferler sur toutes les boutiques et toutes les télévisions encore indemnes. Un succès populaire qui impose le respect On l’a vu, Nollywood ne manque pas de tares. Pourtant son expansion non seulement au Nigeria, mais dans toute l’Afrique noire se poursuit inexorablement pour une raison simple : ces films sont plébiscités par le public. C’est donc qu’ils ont des atouts. Tout d’abord, même mauvais, ils sont rarement ennuyeux. Nollywood privilégie systématiquement l’efficacité des scénarios et a su développer des histoires à forte intensité dramatique. L’une des raisons est l’exceptionnelle liberté dont jouit cette « industrie ». Si elle est soumise à d’énormes contraintes commerciales, elle échappe cependant à beaucoup d’autres contraintes qui pèsent sur les programmes de télévision. Pas besoin pour une production Nollywood d’aborder de façon « consensuelle » un sujet « fédérateur » sous prétexte d’audimat ou d’unité nationale. Pour creuser son trou dans un marché gigantesque mais pris d’assaut par des centaines d’opérateurs, il ne faut surtout pas rassurer comme le font beaucoup de télévisions africaines, il faut choquer, surprendre, provoquer, stupéfier. Les scénaristes nigérians y parviennent d’autant mieux qu’ils échappent aussi à la pression des annonceurs. Contrairement aux programmes de télévision, les films-vidéos abordent la plupart des sujets qui fâchent : corruption, violence, fanatisme religieux, fléaux sociaux. Au lieu d’être un outil de propagande projetant du haut vers le bas les slogans anesthésiants du pouvoir Quel que soit le dédain que peuvent inspirer la plupart de ces films, force est de reconnaître que le public y adhère. Et s’il faut 1500 films jetables pour faire 50 films honnêtes et cinq chefsd’oeuvres, qui s’en plaindra ? Certainement pas les centaines de milliers de personnes à qui ce secteur procure un emploi. Certes, il ne faut pas attendre d’une production comme celle de Nollywood ce qu’on attend des oeuvres cinématographiques. La dimension artistique est presque toujours absente de la 31 vidéo nigériane. On associe généralement le cinéma aux notions de culture, de mémoire, de patrimoine. Les films de Nolllywood, pour la plupart, n’ont aucune préoccupation de ce genre. Mais le cinéma lui-même a-t-il joué ce rôle dans un pays comme le Nigeria ? Force est de reconnaître que non. Le seul cinéaste nigérian qui ne soit pas tombé dans l’oubli – Ola Balogoun – subit le même sort que beaucoup de ses homologues africains. Il a cessé de tourner depuis longtemps et il est devenu pratiquement impossible de voir ses films au Nigeria. Dans le même temps, certains titres marquants de la « home video » sont constamment réédités depuis douze ou quinze ans et constituent un véritable patrimoine. Si, pour autant, la vidéo ne remplace pas le cinéma, l’existence de ce secteur en effervescence permanente permet aux apprentis-réalisateurs de l’école de cinéma de Jos de faire leurs premières armes à moindre coût, avec des techniciens et des comédiens aguerris. « Nollywood » a aussi permis à d’authentiques cinéastes comme Tunde Kelani, Tade Ogidan ou Izu Ojukwu de faire une carrière en vidéo à une époque où il leur aurait été impossible d’accéder aux budgets nécessaires pour tourner en pellicule. Les leçons de l’expérience nigériane Après les Ghanéens dès les années 80, les Nigérians ont démontré qu’il existait un public, un marché et une rentabilité possible pour des films « made in Africa ». Les Nigérians ont réussi à mettre en place un secteur de production qui a longtemps reposé sur un seul mode de diffusion : la vidéo. C’est à la fois une performance et un piège car l’absence de diversification des sources de financement entraîne la saturation du marché et oblige à produire avec des budgets dérisoires. Avec le temps, les films sont devenus un élément d’identité et de fierté nationale au Nigeria. Ce pays, discrédité par la gabegie de l’argent du pétrole, la corruption, la fraude, le banditisme, les conflits inter-ethniques et l’intégrisme religieux, réussit pourtant à fasciner dans toute l’Afrique sub-saharienne et au-delà grâce à sa production de films. Bien que l’Etat n’y soit pas pour grand chose, Nollywood est devenu un tel motif d’orgueil national que les institutions publiques nigérianes essaient aujourd’hui d’exploiter, de soutenir ou de défendre ce phénomène. Même les tenants de la charia, qui s’impose dans le nord du pays, sont tenus de composer avec les producteurs. En 2008, ils ont dû lever la mesure d’interdiction des tournages qui avait été prise après la diffusion sur Internet des ébats d’une star de la vidéo haoussa. Quelles que soient leurs tares, les films nigérians ne peuvent plus être traités avec mépris car ce mépris risquerait de s’appliquer à l’immense public qu’ils ont su drainer. Au-delà de l’enjeu social et économique qu’il représente, un secteur de production comme celui-là a une importance indéniable en termes de culture populaire. Sur ce terrain-là, il est bon de méditer une réflexion de l’écrivain Umberto Eco écrite à propos des programmes de télévision mais qui pourrait tout aussi bien s’appliquer aux films nigérians : « La télévision abrutit les gens cultivés mais elle cultive les gens qui mènent une vie abrutissante » . Bibliographie : - Pierre Barrot, Tunde Oladunjoye et al. « Nollywood, the video phénomenon in Nigeria », James Currey, Oxford ; Indiana University Press, Bloomington, Heineman, Ibadan, 2008. - Pierre Barrot, Tunde Oladunjoye et al. «Nollywood, le phénomène vidéo au Nigeria », Paris, L’Harmattan, 2005. - Pieter Hugo, Chris Abani, Stacy Hardy « Nollywood », Prestel Pub, 2009. - Jonathan Haynes « Political critique in Nigerian Video Films », in African Affairs, vol 105, October 2006. - Nollywood Boulevard : reportage de Ludovic Carème (photos) et Jean-Christophe Servant (texte), 2005. On peut consulter également : - la page Wikipedia Nollywood - un rapport du Sénat français sur l’ « industrie du rêve au Nigéria ». Des films à visionner : - Deux grands classiques : Osuofia in London et Dangerous twins - Deux documentaires français sur Nollywood : Nollywood made in Nigeria, de Léa Jamet (2007), - Nollywood, le Nigeria fait son cinéma, de Julien Hamelin (2008), production Sunset. 32 production Seafilms DROIT LIBRE TV : Tremplin des droits humains et de la liberté d’expression par Abdoulaye Diallo L es nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent de grandes opportunités et aussi de considérables plateformes d’expression à la jeunesse africaine. Internet avec le Web 2.0 est devenu un outil interactif d’information et d’échanges. Chaque internaute a ainsi la possibilité de prendre part et de réagir sur le contenu proposé. C’est dans ce sens que naissent un peu partout les webtélés, très prisées par la jeunesse en quête des nouveautés sur le net. L’association Semfilms qui depuis sa création œuvre pour la promotion des droits humains et la liberté d’expression a voulu saisir cette opportunité qu’offre le web pour atteindre sa cible privilégiée : la jeunesse. C’est dans ce sens que la webtélé Droit Libre TV a été mise en ligne en novembre 2011. Même en Afrique, l’Internet se vulgarise à grands pas et ce qui était un outil d’élite il y a quelques années, devient un media supplémentaire à part entière à côté des medias traditionnels comme la télé et la radio. Loin d’être une chaîne de télé traditionnelle ou un simple site web, Droit Libre TV est une télé qui diffuse ses productions uniquement sur le web. Les téléspectateurs suivent librement les reportages et autres émissions sur l’écran de leurs ordinateurs. Axé sur les droits humains et la liberté d’expression, Droit Libre TV travaille sur une diversité de thèmes qui ont tous un lien avec les droits humains : dénoncer des violations, faire la promotion des droits humains, de la femme et de la jeune fille, des minorités et des faibles ; le tout dans un ton direct et libre d’expression, sans tabous ni parti pris. Chaîne de jeunes avec un personnel jeune, un style jeune et axé surtout sur un public jeune, Droit Libre TV est pilotée à partir du Burkina Faso mais alimentée avec des images de la sous-région ouest africaine. A ses débuts, la priorité avait été donnée à quatre pays à savoir le Sénégal, le Mali, la Côte- d’Ivoire et le Burkina Faso. Aujourd’hui, les quatre autres pays francophones d’Afrique de l’ouest sont couverts et disposent chacun d’un correspondant permanent. Il s’agit du Bénin, de la Guinée Conakry, du Niger et du Togo. Droit Libre TV c’est en fait une télé sans frontières où tout internaute connecté peut y avoir accès. Depuis son lancement le 18 novembre 2011, Droit Libre TV a parcouru le Burkina Faso d’est à l’ouest et du nord au sud pour réaliser des reportages sur des sujets touchant presque tous les domaines de la vie, donner la parole à ceux ou celles qui n’en ont pas l’occasion, montrer les œuvres de ces gens qui construisent «leurs pyramides» dans l’anonymat. Nombre de ces reportages ont suscité de l’intérêt et permis des actions salvatrices. C’est le cas du reportage sur l’école sous paillote du village de Tibou au nord du pays : ce reportage vu sur notre site télévisuel a suscité de l’action à travers des dons en fournitures scolaires et la construction de trois salles de classe au profit des élèves de ladite école. Un autre exemple de reportage qui a eu un écho en action immédiate est celui d’un étudiant en quête de travail dans la fonction publique. La publication de ce reportage a suscité une action qui a permis à l’étudiant de poursuivre ses études aux Etats- Unis. A ce jour, Droit Libre TV dispose d’une banque de plus de 500 vidéos reportages, des citations de personnalités qui ont contribué à l’effectivité 33 des droits de l’Homme, des entretiens, des clips vidéo d’artistes e n g a g é s , des films documentaires, des magazines, etc. Grâce à une dynamique équipe de reporters et de monteurs basés au Burkina Faso et des correspondants à Abidjan, à Bamako, à Dakar, Conakry, Lomé, Cotonou et Niamey, Droit Libre TV a réussi en quatre ans de fonctionnement à conquérir de nombreux internautes à travers le monde avec en moyenne 100.000 visites par mois. Elle a déjà franchi la barre des quatre millions de visites ! Pour une prévision de départ qui était de 50 000 visites par an, il n’est point un manque de modestie que de parler de succès éclatant ! Droit Libre TV, ce n’est pas aussi uniquement que des reportages vidéo sur internet ! Pour nous, l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, et vivant dans la paix n’est possible que si les générations actuelles sont éduquées au respect et à la protection des droits de l’Homme. Il n’est point de doute que l’éducation aux droits de l’homme favorise les valeurs, les croyances et les modes de pensée qui incitent tous les individus à faire respecter leurs propres droits et ceux des autres. Elle contribue de manière essentielle à prévenir à long terme les atteintes aux droits de l’homme et à réaliser une société juste dans laquelle tous les droits de l’homme ont une valeur et sont respectés. C’est dans ce sens que DLTV a édité en 2012, le premier coffret DVD d’une série consacrée à la diffusion des Droits de l’Homme, à leur respect et à leur protection par la jeunesse des lycées et collèges du Burkina Faso. Ce coffret comprend dix modules axés sur dix articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Chaque module comprend une vidéo suivie d’une discussion avec les élèves pour leur permettre de poser des questions pour approfondir la compréhension. Aussi, consciente du fait qu’une grande majorité des populations n’ont pas accès à l’internet, encore moins à celui du haut débit pour lire des vidéos, des coffrets DVD ont été édités et distribués gratuitement. Dans les lycées et collèges du Burkina Faso, des projections des reportages sont organisées au profit des élèves dans le but de leur éducation aux droits humains. Grâce au partenariat avec les télévisions Canal 3 et Burkina Info, presque tous les reportages de Droit Libre TV sont diffusés sur ces télévisions. Les vidéos de Droit Libre TV sont aussi reprises par de nombreux autres sites web à travers l’Afrique. Sa seule ambition, « Libérer l’Homme et la parole » ; éduquer les jeunes générations à la défense et à la promotion des droits humains et de la liberté d’expression. Droit Libre TV, la mémoire des combats En l’espace de quatre ans, la première webtélé sur les droits humains en Afrique francophone est devenue une bibliothèque d’images, témoin des luttes et des combats du peuple burkinabè. Dès l’entame par exemple des manifestations contre la modification de la Constitution burkinabè, Droit Libre TV a filmé de bout en bout. Cet engagement a conduit à la production d’un film documentaire intitulé « Une révolution africaine : les dix jours qui ont fait chuter Blaise Compaoré ». Un film à valeur de livre d’histoire et de cours d’éducation aux droits humains, bien apprécié par le public et réclamé par de nombreux festivals à travers le monde. Droit Libre TV est vue par de nombreux acteurs comme un véritable tremplin aux droits humains. Travail reconnu et salué, comme ce poème d’un jeune artiste slammeur burkinabè, à l’occasion du 3ème anniversaire de la mise en ligne de Droit Libre TV « Droit Libre TV Droits de l’Homme partout Rêvez- en jusqu’au bout Orfèvres en la matière Indignés des dignitaires Trois années de lutte Loin est encore le but Inspirant d’autres médias Baladez vos caméras Révélez les faits ignobles Et que votre métier si noble Terrasse tous les baillons Voilant nos expressions. Si le poète est la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche Soyez encore et encore la bouche du poète muselé. » © Hamidou VALIAN, artiste slammeur. 34 35 ©Droit Libre TV 36 Le rôle des télévisions dans l’industrie du cinéma en Afrique (production/diffusion) Par Serge Noukoué C ette thématique sur laquelle je suis convié à écrire est bien évidemment intéressante, mais à mon sens elle le sera davantage d’ici cinq à dix années. Lorsqu’on observe avec attention les paysages audiovisuels africains (cela vaut surtout pour l’Afrique francophone), on se rend compte à quel point ceux-ci sont en mutation, mais force est de constater que jusqu’à maintenant la relation entre cinéma et télévision a été une relation très déséquilibrée qui n’a pas permis l’éclosion d’une production audiovisuelle viable. De manière générale, avec 86400 secondes par jour, les chaînes de télévision ont un besoin énorme de contenu afin de pouvoir remplir leurs grilles de programme. C’est une évidence et si historiquement on a pu penser (en Occident notamment) que la télévision et le cinéma pourraient être concurrents, ça fait bien longtemps que ce concept a laissé place à une complémentarité des deux et même une relation de partenariat. C’est ainsi que les chaînes de télévision se sont mises à participer au financement des films avec en contrepartie la possibilité de diffuser les films à l’antenne. Cette relation qu’on a parfois qualifiée de cercle vertueux ou en tout cas de partenariat «gagnant-gagnant» a été prise par l’autre bout en Afrique avec les chaînes qui demandaient a être payées pour passer les films. Si la pratique a pu être jugée scandaleuse, elle relève en fait d’une réalité simple: Le pouvoir est du côté du diffuseur. C’est pour ça que ce système tant décrié a fonctionné et dans certains endroits continue de fonctionner encore aujourd’hui. Toujours dans cette logique, la deuxième option consistait à réaliser ce que l’on appelle du bartering. Du troc en fait. Cela permet au producteur de ne pas sortir d’argent pour être diffusé, mais la chaîne aussi n’en sort pas puisque les recettes publicitaires générées par le programme sont partagées ensuite entre le diffuseur et le producteur. Là aussi, «gagnantgagnant» d’une certaine manière… La co-production ainsi que l’acquisition pure et simple de films de cinéma par les chaînes de télévision sont restées pendant de longues années une sorte d’exception en Afrique et notamment en Afrique francophone. Cela était dû, en partie, à un manque de vision de la part des chaînes de télévision (notamment publiques) dont la programmation était essentiellement axée sur la politique ou sur le divertissement en plateau… Le cinéma et la fiction de manière générale étaient en quelque sorte la cinquième roue du carrosse. De plus, le manque de moyens de ces chaînes faisait qu’il était beaucoup plus facile de se tourner vers des solutions venues d’ailleurs. Un producteur camerounais me racontait un jour cette anecdote : “Lors d’une réunion avec une chaîne locale, j’explique mon budget de production, c’est alors que le Directeur de la chaîne s’écrie : “Mais avec cette somme j’achète une telenovela de plus de 100 épisodes qui me remplie ma grille jusqu’à la fin de l’année !” Cet exemple illustre la vision unidimensionnelle qui prévaut dans bien des cas. Une chaîne du service public est normalement soumise à un cahier des charges avec des responsabilités importantes. Il s’agit généralement de contribuer à la fondation de la nation, de mettre en avant le talent local… 37 Autant d’éléments qui auraient pu et dû justifier qu’il fasse des efforts pour appuyer l’initiative de son compatriote. Au lieu de cela, il paiera un contenu qui vient du Brésil, du Mexique, d’Inde ou d’ailleurs sous prétexte qu’il est moins cher. Il n’en faut pas plus pour tuer la production locale. Le problème d’ailleurs va bien au-delà de ça. Il est sociétal. On se retrouve avec des populations qui sont habituées à regarder des images venant d’ailleurs, des images conçues pour ailleurs. Il en découle donc acculturation, perte d’identité, perte de repères… C’est donc la culture et les traditions du pays en question qui se retrouvent victimes de ce qu’on peut appeler le “Dumping audiovisuel” pratiqué par des distributeurs qui ayant déjà réalisé les profits attendus sur les marches domestiques et annexes peuvent maintenant se permettre d’écouler leur marchandise à des prix défiant toute concurrence. De ce côté, l’audiovisuel n’est guère différent de l’agriculture ou d’autres secteurs de l’économie… Aujourd’hui, on ne peut pas nier la hausse de l’intérêt pour le contenu local. C’est ainsi que nous sommes en train d’assister à une minirévolution qui permet de rabattre les cartes dans le secteur. Le Nigeria a fait partie des pays précurseurs dans ce domaine avec la naissance de l’industrie qu’on appelle aujourd’hui Nollywood et qui a tout simplement permis au contenu local de résister au contenu importé et même de s’imposer. Aujourd’hui on ne compte plus les chaînes de télévision sur lesquelles il est possible de regarder des films Nollywood, certaines chaînes sont même entièrement dédiées à cette industrie. Ce phénomène a commencé au milieu des années 2000 avec le lancement des chaînes Africa Magic par le groupe sud-africain Multichoice. Aujourd’hui, l’Afrique francophone est en pleine mutation, beaucoup de nouveaux acteurs sont arrivés, on pense par exemple à la chaîne A+ qui entend jouer en Afrique francophone le rôle que joue en Afrique anglophone Africa Magic, mais aussi des chaînes plus traditionnelles qui ont modernisé leurs modes de fonctionnement et élevé leur ambition, une chaîne comme la RTI en est le parfait exemple. Le retard se comble petit à petit avec l’Afrique anglophone, la structuration de l’industrie prend forme, de plus en plus de producteurs, de réalisateurs, d’auteurs bénéficient de formations de qualité. Tout ceci contribue à une effervescence positive dans la production TV et cinéma et les chaînes commencent à jouer leur rôle en appuyant les projets. Peut-on parler pour autant d’âge d’or de la production en Afrique ? Peut-être pas encore, car les moyens continuent de manquer cruellement et la bonne volonté des diffuseurs ou des bailleurs ne suffit pas pour le moment à permettre aux producteurs de travailler dans le confort. Dans quelques années cependant, il n’est pas impossible que ces problèmes structurels soient enfin réglés une fois pour toutes. En attendant, les producteurs devront continuer de rivaliser d’imagination pour boucler leurs budgets, mais cette difficulté de financement est loin d’être uniquement une réalité africaine… Globalement, il y a un écart important entre la politique des chaînes d’Afrique anglophone et celles d’Afrique francophone. Les premières sont plus professionnelles, plus habituées au fonctionnement international du marché des acquisitions, du pré-achat et de la coproduction. L’arrivée d’un événement comme le DISCOP (il s’agit d’un marché de l’audiovisuel où producteurs, vendeurs et acheteurs de contenus se rencontrent) en Afrique en 2009 a permis, entre autres, une véritable élévation du professionnalisme du secteur. 38 39 De gauche à droite : Andry Rakotoarivony, Lova Nantenaina, Colin Dupré, Luck Razanajaona ©Institut français de Madagascar 40 L’aventure de la production du documentaire ADY GASY par Lova Nantenaina On peut penser qu’à l’heure du numérique le documentaire, devient un genre cinématographique à la portée de tous, et des Africains et Malgaches en particulier. On a tant d’histoires vraies à raconter et notre spontanéité devant la caméra est un véritable atout. Il est bien loin le temps où Jean Rouch devait changer sa bobine de film et enregistrer le son séparément en rêvant d’une petite caméra comme on en trouve maintenant assez facilement. Pourtant, le cinéma documentaire ne se développe pas si bien que ça en Afrique et est encore assez marginal dans les grands festivals… produire un film qui soit susceptible de trouver sa place sur la scène internationale reste un défi. Sans une ténacité et certains atouts, c’est impossible comme je vais essayer de le faire entrevoir à travers une petite narration de l’aventure, pour le moins éprouvante, de la production de mon premier long-métrage documentaire, Ady Gasy. • Au commencement, une phrase, une idée, un désir de film… J’ai commencé à travailler sur mon film qui s’intitule Ady Gasy, en 2010, quand un autre film que j’ai prévu de tourner sur les enfants est tombé à l’eau pour cause de faillite de la production française qui a porté le projet en 2008. Il fallait donc rebondir mais je ne savais pas quel sujet traiter et surtout comment le traiter de façon originale. En arrivant au pays, sans un projet écrit, je me suis alors rappelé une citation de Serge Latouche qui disait : « qu’il y a peut-être, de la part de ceux que nous avons situés au plus bas dans l’échelle du mépris, quelque chose à entendre ». J’ai voulu porter sur Tana le même regard que lui sur Dakar, et au lieu de voir en permanence la réalité socio-économique du pays comme une catastrophe, j’ai choisi d’en révéler ses forces. Je considère que ses faiblesses sont déjà largement documentées par les économistes internationaux et ceux qui débarquent et filment nos réalités. Au commencement, il y avait donc cette phrase comme déclencheur de mon envie de film : « s’il y a une grosse crise mondiale, les Africains et les Malgaches s’en sortiront un peu mieux que les autres car ils ont acquis une expérience formidable dans la galère qu’ils ont enduré depuis des lustres ». • Une première écriture succincte, un premier titre : « L’après-monde » 2010 - Je suis parti à Tana pour presque deux mois avec une caméra Z1 et une handycam, toutes les deux faisaient du HDV. J’ai d’abord été attiré par un docu-fiction pour construire mon histoire. Il était question de demander aux gens que je filmais, d’imaginer qu’un jour il y aurait une grosse crise mondiale et qu’ils deviendraient alors les spécialistes 41 qu’on consulte pour avoir leur expertise. Leur longue expérience de la débrouille bien avant l’avènement de cette terrible crise serait valorisée car les anciens pays développés se retrouveraient totalement démunis face à cette nouvelle situation à laquelle ils n’étaient pas préparés. J’ai casté un orateur pour faire le lien entre tous les portraits des gens qui recyclent et qui ont des idées novatrices pour conjurer les difficultés en situation de crise. Malheureusement, je n’étais pas convaincu de la prestation de l’orateur, dû à mon choix de le filmer de façon frontale. Quant aux familles filmées sur le terrain, celles que j’ai sélectionnées pour incarner les solutions du futur, elles n’arrivaient pas à se projeter et avaient du mal à se dire qu’ils pourraient devenir des exemples de réussites et des modèles pour les « vazaha » (« toubab » à Madagascar). J’étais donc dans une impasse même si j’ai tourné pendant mon repérage. • « L’Heure du Zébu », un projet de docu-fiction qui ne verra jamais le jour 2011 – Pour contourner l’obstacle, j’ai voulu caster un autre orateur et nous avons imaginé une fête et un nouveau scénario pour éviter que l’orateur s’exprime de manière trop statique face à la caméra. Il s’agissait d’une fête villageoise en 2047 : un village isolé célèbre une journée de commémorative de la vraie indépendance Malagasy. Un ministre rentre chez lui pour cette célébration et il est accueilli par les villageois qui organisent une fête en son honneur. Comme l’histoire se situe dans le futur, il fallait habiller tout le village mais pas avec des friperies de l’Occident, je voulais qu’ils s’habillent de façon simple et « traditionnelle ». En autoproduction, on a cousu et habillé tout un village avec des tissus en soie. C’était horriblement cher mais heureusement, des amis m’ont prêté aussi des tissus en soi pour l’occasion afin d’amortir un peu les dépenses. Un ministre de la sagesse traditionnelle débarque donc dans son village et il est accueilli par son meilleur ami qui n’est autre que le chef du village. Il y a une cérémonie. Des palabres s’enchaînent pour expliquer aux jeunes qui est ce ministre et surtout pourquoi les adultes de 2047 ont choisi la « sobriété heureuse » dans leur mode de vie. Les allocutions se focalisent donc sur ce sujet et évoquent tous les problèmes environnementaux des villes, voraces en énergie, le gaspillage et l’égoïsme érigé comme valeur dans ces milieux urbains jusqu’à la grande crise qui a fait réfléchir les adultes. Il a fallu retrouver les valeurs anciennes malgaches d’humanisme et de sobriété des anciens et ceci coïncidait avec les valeurs occidentales en vogue à l’époque du développement durable, de solidarité internationale et du respect de la nature. Quand les orateurs de cette fête parlent du temps ancien, le film ouvre sur des portraits documentaires de nos jours afin d’expliquer ce choix des adultes. J’ai tourné pour ces séquences là un nationaliste malgache de 1947 pour expliquer pourquoi ils ont pris les armes et lutté contre la colonisation. En contre-point, j’ai filmé un jeune qui s’entraîne pour partir en France et devenir légionnaire mais aussi une fille qui est partie au Liban pour devenir femme de ménage. Et j’avais déjà beaucoup de portraits de familles qui recyclent les déchets de la ville tournés en 2010. Le fil rouge de toutes ces séquences c’était le discours des orateurs de 2047 qui expliquait le désarroi des jeunes des années 2010 en perte de repères et en manque d’espoir pour avancer dans la vie, ces jeunes qui allaient jusqu’à oublier les luttes anciennes des grands parents pour arracher l’indépendance. Le titre provisoire de l’époque était « L’heure du Zébu » ou à l’heure malagasy parce dans l’ancien temps nos ancêtres avaient comme repère temporel les activités journalières liés aux tâches quotidiennes. Exemple : à l’heure où l’on sort le zébu. Malheureusement, la partie fiction tournée dans un village à la campagne n’était pas satisfaisante : par manque d’expérience, comme bon nombre de réalisateurs malgaches, nous avions sous-estimé l’importance du son et la nécessité de bonnes bonnettes anti-vent. Comme j’étais le seul dans l’équipe qui avait fait une école de cinéma, ce fût difficile de faire les choses dans les règles de l’art. Un des orateurs principaux du film jouait de façon trop théâtrale et ne maîtrisait pas son texte. Et les nombreuses prises ont eu raison de la fraicheur des villageois qui ont bien voulu jouer dans le film en tant que figurants. 42 • Un premier work-in-progress, une nouvelle écriture : « Avec presque rien » Fin 2011 - De retour en France, j’ai essayé d’écrire ce film « L’heure du zébu » et un dossier de production pour chercher des financements dans le cadre d’une association, créée précédemment en Midi-Pyrénées. J’ai obtenu une aide au développement de la Région mais les autres demandes d’aide n’ont pas marché. J’ai alors envisagé 2 films différents et j’ai décidé de voir si je ne pouvais pas monter un film avec les images que j’avais ramenées en 2010, et nait ainsi un work-in-progress de 52 min que j’ai appelé « Avec presque rien », une parole d’un de mes personnages du réel. Avril 2012 - C’est avec ce travail que je suis arrivé à la résidence d’écriture de Tamatave dans le cadre du programme DOC OI pour écrire ce film avec Sophie Salbot comme tutrice, une productrice française expérimentée. Cette résidence était organisée par Ardèche Images / Doc Monde, la coopération décentralisée de Rhône-Alpes et la région de Tamatave. J’ai pu mettre à plat l’histoire de tous ces gens qui trouvent des solutions novatrices dans la galère. L’idée d’organiser une résidence d’artiste comme fil rouge a été consolidée lors de cette phase de réécriture. Ce fil rouge remplaçait plus ou moins celui de la fête villageoise de 2047 dont j’ai dû faire le deuil. • Après l’écriture, le temps de la recherche de financements puis du tournage Mai / Sept. 2012 – Eva LOVA-BELY, qui terminait sa formation en production, a finalisé le dossier et déposé de nouvelles demandes de financement à la Région Midi-Pyrénées, au CNC et à Brouillon d’un rêve, une bourse à l’écriture que les auteurs de films documentaires peuvent solliciter même s’ils sont étrangers. Cette bourse à l’écriture, c’est l’aide qu’on a obtenu en premier et qui a permis de lancer le tournage. Nov. 2012 – Pour le tournage, j’ai invité une oratrice et ses deux frères dont j’ai entendu parler sur No Comment (un magazine culturel) et Jao qui avait travaillé avec moi sur la musique du film depuis 2010. Jao est le leader du groupe Piarakandro, un groupe du Sud. On s’est rendu à Antsirabe puisque Vahömbey, un homme de culture à Madagascar, a accepté d’accueillir les résidents du film dans le cadre de son association, Bezoro Ingénierie Culturelle. On a tourné une semaine de résidence d’artiste sur le thème du film avec Bemaso comme 2° cadreur et Fifaliana Nantenaina et Mamy Rakotonirina comme preneurs de son. On avait alors un Canon 7D et un Canon 5D et une prise de son séparée sans mixette mais avec deux perches et des micros unidirectionnels. • Projet d’un long-métrage donc nouvelle recherche de financements 2013 – De retour à Tana, j’ai monté un long extrait de la fin du film pour postuler à une demande d’aide à la post-production à la fondation IDFA Bertha Fund. La fondation n’a soutenu que 16 films sur 300 reçus de tous les pays en développement de par le monde dont le nôtre... Imaginez le courage que cela nous a donné pour continuer l’aventure. J’ai monté moi-même le film avec l’appui d’Alain Rakotoarisoa comme assistant-monteur. Je vous passe les détails techniques des galères du montage en numérique avec 2 formats différents (HDV et HD) et avec un son à resynchroniser comme dans l’ancien temps. • Se confronter au niveau international sans se décourager On est arrivé à un nouveau work-in-progress d’environ 90 minutes mais le film ne tenait pas encore vraiment et on nous a conseillé d’embaucher une monteuse professionnelle. On a compris la nécessité de replonger dans le montage lors de la séance de projection professionnelle à la Mostra dans le cadre du Workshop « Final Cut in Venice ». Comme le projet de film a obtenu des prix pour améliorer la post-production, on s’est dit qu’il ne fallait pas utiliser ces prix sur un montage qu’on nous disait « non abouti ». Entre Avril et Septembre 2013, on avait montré notre travail à de nombreux professionnels qui nous avaient fait part de leurs remarques. Quand on vit à Madagascar et qu’on fait un film avec une petite équipe locale, être prêt à entendre les retours constructifs de professionnels extérieurs est douloureux mais indispensable. • Comme pour une maison, ce sont les finitions les plus difficiles On a donc retenu l’idée de l’embauche d’une monteuse mais on n’avait pas les moyens de se payer ce service. On a lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme Touscoprod.com Un mois de travail en communication fût nécessaire pour atteindre 43 l’objectif de 2000 Euros afin de pouvoir payer 8 jours de montage. On nous a conseillé une monteuse qui a de la bouteille. Il n’était pas envisageable d’embaucher une monteuse malgache d’autant plus que le système de points avec le CNC français oblige souvent à faire travailler des Français. Nous avons décidé de faire une coproduction avec Laterit Productions pour les finitions d’Ady Gasy, car ils sont reconnus par le CNC comme producteur et distributeur de longs-métrages. Endemika Films a obtenu une dernière aide de la coopération Suisse Vision Sud-Est et on a pu boucler tant bien que mal les dernières dépenses de la finition du film, et notamment la réalisation d’un soustitrage français et anglais qui respecte les normes internationales. • La distribution : Mars 2014- On a fait la première mondiale au festival de Fribourg qui proposait un programme « Fenêtre sur Madagascar », Ady Gasy y était vivement sollicité par le directeur du festival. Après cela le film a fait son chemin mais les évènements les plus marquants sont : - une sélection aux trois plus grands festivals de documentaires sur 3 continents : Hot Docs à Toronto, IDFA à Amsterdam et DMZ doc en Corée du Sud. - Des prix : Le prix Fenét Océan Indien au FIFAI de La Réunion, le prix Eden du Documentaire du festival Lumières d’Afrique à Besançon et d’autres prix dans des festivals africains. ©Endemika Films publiques dans le cadre associatif dont celles de l’Alliance Française d’Antananarivo à la fin du mois de novembre 2015. • L’Etat Malgache A chaque fois que je présente le film à l’étranger, je suis vu et perçu comme un réalisateur malgache même si le film est une coproduction malgachofrançaise. Pourtant au pays quand j’ai sollicité un appui dès le début de la production de ce film, on m’a rétorqué qu’il n’y a pas de fonds alloués pour le cinéma. La plupart du temps, certains responsables étatiques raisonnent de cette manière : « si on ne demande pas de taxes et si on ne met pas en place une politique coercitive, c’est déjà un appui qui mérite reconnaissance ». Le non déploiement du pouvoir de nuisance aux initiatives est donc considéré ici déjà comme une forme d’aide. Pourtant, il y a des mesures à prendre qui favoriseraient le climat d’investissement des boites de productions locales comme : - assainir les pratiques des télévisions qui piratent au vu et au su de tous - Favoriser le sous-titrage des programmes qui ne sont pas en langue malgache. - Détaxer les nouvelles boites de production qui investissent dans le cinéma - Favoriser les tournages internationaux en imposant l’embauche de vrais professionnels et non des agents de l’Etat - Mettre en place un accord bilatéral avec le CNC français pour favoriser les coproductions franco- «Pourtant au pays, quand j’ai sollicité un appui dès le début de la production de ce film, on m’a rétorqué qu’il n’y a pas de fonds alloués pour le cinéma» 2015 – Le 08 Avril Sortie Nationale en France et avant-première à Madagascar. A ce jour, Ady Gasy enregistre 10 000 entrées en salles en France grâce au travail de notre distributeur et co-producteur Laterit Productions et l’appui de plusieurs associations cinéphiles et de la diaspora malgache. Dans notre cas, la distribution est passée aussi par le réseau de militants. A Madagascar, il y eût des projections privées et 44 malgaches • Créer une assurance pour le matériel de tournage des boites de productions… personnelle, soit un producteur international. Et ne parlons même pas de la difficulté de vivre de ce métier, pour la plupart, la recherche de petits contrats ne laisse pas le temps de se consacrer à ce long processus de création que demande le cinéma. Enfin, le fait de ne pas avoir de fonds d’aide au cinéma nous rend totalement dépendant des financements extérieurs. J’ai l’impression que trouver sa place à l’international, même à l’ère du numérique, relève du miracle pour ceux qui n’ont pas la possibilité, soit d’avoir la double nationalité, soit de vivre à l’extérieur, soit d’avoir une richesse 45 46 ©Endemika Films Le Normandie Première salle de cinéma numérisée en Afrique Entretien avec Issa Serge Coelo 1. Issa Serge Coelo, vous êtes cinéaste tchadien, également producteur, qu’est-ce qui vous a amené vers l’exploitation de salle de cinéma ? J’ai toujours aimé l’ensemble de la chaine professionnelle du cinéma : technique, artistique et production. L’exploitation et la distribution a toujours été un peu nébuleux. C’est suite à l’appel du ministre de la culture de l’époque que j’ai accepté de plonger dans cet univers passionnant au passage. 2. Avec l’apparition des nouvelles plateformes et du numérique, les pratiques de consommation cinématographiques ont changé. Qu’en est-il dans votre pays ? Le Tchad et sa jeunesse ont été privés de salle de cinéma durant 30 années. Une génération entière consomme les films à la télévision, en dvd ou en téléchargement. Le Normandie a ré-ouvert ses portes depuis 4 années et nous ressentons la lenteur du retour vers la salle de cinéma à cause de ces réalités. Je ne m’en plains pas trop car il faut du temps pour ça et pour moi la salle de cinéma a de l’avenir. Avec la 3D, les jeunes savent qu’ils ne peuvent trouver de copie en ville, alors ils viennent chez nous. 3.Selon vous, quelle est la place d’une salle de cinéma aujourd’hui au Tchad ? Peut-on extrapoler votre réponse à la plupart des pays du continent ? Sa place est essentielle et disons le « normale ». Nous avons milité pour qu’une capitale comme N’Djamena puisse avoir une salle et nous l’avons obtenue. Il est évident que notre exemple est en train de faire des émules : Abidjan, Dakar, Bamako sont en numérique et les salles sont aux normes actuelles. 47 4. La diffusion en salle est-elle toujours un besoin vital pour le cinéma ? Bien sûr car le film de cinéma est d’abord un produit pour le grand écran avant d’être orienté vers les écrans autres, mais je crois qu’à l’avenir, les séries à succès devraient aussi passer par nous avant leur diffusion en télé. Le grand écran doit aussi se repositionner sur la consommation d’images des nouvelles générations. Je sais que les lois au USA et en Europe interdisent aux films de télé d’être diffusés en salle mais cela est à mon avis obsolète. 5. Le fait d’être avant tout cinéaste vous a-t-il influencé dans votre manière d’envisager le métier d’exploitant ? Oui bien entendu j’ai un carnet d’adresse important dû à mon travail en réalisation et production. Je reste toujours un réalisateur dans l’âme mais j’apprends beaucoup dans cette branche de notre profession car le rapport au public est permanent. On milite encore plus pour le cinéma car de vivre avec une salle décuple le plaisir et exalte les méninges. 6. Aujourd’hui, être exploitant de salle de cinéma au Tchad qu’est-ce que cela signifie concrètement d’un point de vue économique ? Peut-on faire vivre une salle de cinéma uniquement avec une programmation de films ? Être exploitant d’une salle comme le Normandie requiert toute votre énergie. On travaille beaucoup pour la maintenir en vie car chez nous la publicité ou le sponsoring sont rares. Nous sommes obligés de développer des stratégies avec les scolaires, des projections privées, des ciné-clubs, des festivals et autres. Sans cela nous n’arriverions pas ne serait ce qu’à payer les royalties aux distributeurs. Nous sommes dans une phase d’investissement dans du matériel de spectacle car la salle s’y prête et nous avons démarré avec des one man show, des concerts et sans doute un peu de théâtre. 7. Quelle est la programmation type dans votre salle (origine des films, support des films, manifestations autres que projections cinéma) ? Notre programmation est uniquement hollywoodienne, des studios américains. Nous diffusons, de temps en temps, des films tchadiens, africains, arabes et européens lors des festivals. On les projette en DCP ou en Blu-Ray sur un projecteur 2K. 8. Quels sont vos publics types ? Pour quels genres de programmes ? Notre public était au départ composé d’hommes célibataires, puis de jeunes cadres, puis de couples et parfois de famille. Ils sont pour la plupart jeunes (-25 ans) pour les films mais plus adultes pour les spectacles. Nous avons une projection pour les enfants le samedi matin. 9. D’un point de vue technique, quel est l’apport du numérique dans votre travail ? Je n’ai pas connu l’exploitation en 35mm donc je ne peux vraiment en parler. Mais le numérique a beaucoup de facettes qui simplifient le travail : nous pourrions par exemple nous passer de l’envoi des DCP par DHL : si la connexion internet au Tchad était excellente, nous pourrions directement télécharger le film sur le serveur du Studio comme le fait déjà Magic Cinéma à Bamako. Nous nous exposons beaucoup sur FaceBook aussi pour la promo et notre page est la plus suivie au Tchad. (cinéma le Normandie Tchad). 10. Continuez-vous à projeter des films en 35 mm ? Non plus du tout. Le projecteur est sous sa cape et on le nettoie de temps en temps au cas où. 11. Quel est le rôle de l’Etat, au Tchad, en matière de développement du cinéma ? L’Etat a investi pour la rénovation et l’équipement de la salle. Il nous a octroyé une subvention de démarrage mais depuis 4 années nous n’avons plus aucune aide. Il est question d’autres projets 48 (une école de cinéma, un fond de production) qui ont obtenu le feu vert du pouvoir et nous sommes positifs sur l’avenir. 12. Votre salle est un cas assez unique en Afrique il me semble. Certains pays ré-ouvrent des salles actuellement, mais la tendance est plutôt à l’absence totale de salle de cinéma. C’est le cas pour le moment à Madagascar par exemple. Comment voyez-vous l’avenir de la diffusion cinématographique en Afrique ? Regardez les dépêches de Jeune Afrique : Bolloré en personne va ouvrir une salle à Dakar. A Abidjan lors d’une rencontre, Pathé-Gaumont prospectent actuellement pour ouvrir des multiplexes dans les grandes capitales. Je pense que les hommes d’affaires malgaches devraient faire une joint-venture avec l’état et les banques pour ouvrir des salles. Je suis très optimiste quant au retour de la salle de cinéma en Afrique. 49 50 Écrans d’Afrique au féminin au tournant numérique par Beti Ellerson Résumé L’avènement des médias sociaux et des technologies numériques proclame une nouvelle ère dans la production, la réception, la diffusion, la critique et la pédagogie. Lorsque les femmes africaines adoptent de plus en plus les nouveaux médias comme un outil d’échange et de communication visuelle, on constate un impact très remarquable sur leur visibilité et leur travail. L’émergence d’une communauté virtuelle depuis l’entrée dans le 21ème siècle, surtout en cette seconde décennie, change la donne. En tant qu’un réseau d’acteurs interconnectés-collègues, amies, fans, fidèles, membres du groupe-naviguant dans un espace virtuel collectif, les possibilités sont énormes. Cet essai a pour objectif d’analyser ces mouvements et ces tendances en examinant l’évolution des femmes africaines dans leurs pratiques culturelles de l’écran et leur engagement avec les outils et les stratégies de la technologie des nouveaux médias. Introduction Q uand j’ai conceptualisé le projet “Écrans d’Afrique au féminin” , j’envisageais une «collectivité imaginée» des âmes sœurs, une « sororité », où l’écran est le point ultime de convergence. C’est là où leurs images sont lues - que ce soit sur un écran de cinéma, téléviseur, moniteur vidéo, écran d’ordinateur, une tablette ou un téléphone portable : comme réalisatrice, productrice, organisatrice de festivals de films, comédienne, critique ou spectatrice, cet espace, l’écran, est le lieu ultime à partir duquel l’image en mouvement est perçue, interprétée et comprise. Avec le développement phénoménal de la culture de l’écran au tournant numérique, je retourne à l’écran « comme un cadre conceptuel pour intégrer ses techniques, dispositifs et technologies en expansion constante, donc, le concept de «femmes africaines de l’écran », comme le principe organisateur. Cet article examine l’impact de ce phénomène sur les femmes 51 africaines de l’écran— comment leur regard cinématographique a évolué, développé et transformé avec l’évolution des nouvelles technologies telles que l’Internet et, en particulier, l’émergence des médias sociaux. La notion de cinéma comme un film projeté sur un grand écran, vu par un large public dans des salles de cinéma n’a jamais été le cadre dans lequel les femmes africaines ont navigué en tant qu’auteures du visuel et ne correspond plus à la réalité à l’ère des nouveaux médias, la vidéo à la demande, le streaming vidéo et la transmedialité (ndlr : La transmédialité, ou narration transmédia, est une méthode de développement d’œuvres de fiction ou documentaires et de produits de divertissement nouvelle qui se caractérise par l’utilisation combinée de plusieurs médias pour développer des univers narratifs, des franchises, chaque média employé développant un contenu différent. De plus chaque contenu peut être appréhendé de manière indépendante, en général, et sont tous des points d’entrée dans l’univers transmédiatique de l’œuvre. De par la diversité des contenus et la profondeur narrative de l’univers que cela engendre, la narration transmédia est singulière par rapport aux modes de narration classique). Ainsi, les femmes africaines se sont bien positionnées pour tirer pleinement avantage de la culture de l’écran mondial qui a émergé depuis l’entrée dans le 21ème siècle, et avec elle la transformation technologique, sociale et culturelle, et l’évolution que cela apporterait. L’avènement et la prolifération de l’Internet ont joué un rôle important dans la réalisation et la concrétisation de nombreux concepts et idées qui ont été partie intégrante du discours sur les femmes africaines dans le cinéma depuis l’émergence d’un mouvement des femmes africaines dans le cinéma dans les années 1990. Mon propre travail, qui tourne autour du « Centre pour l’étude et la recherche des femmes africaines dans le cinéma », est un exemple de ces réussites. Sa mission déclare : Lorsque l’environnement virtuel devient un moyen essentiel pour la diffusion des idées, pour influencer les attitudes et l’instruction et mieux comprendre les gens et les cultures, le Centre se positionne comme un acteur important dans la formulation de paradigmes et le développement de discours en ce qui concerne les femmes africaines et la culture de l’écran. Tandis que la technologie avance dans le XXIe siècle, le Centre jouera un rôle encore plus important comme précurseur dans les approches innovatrices de réseautage et la recherche de pointe. Un environnement virtuel avec un site comme point de convergence, le Centre intègre les plates-formes de medias sociaux : Blog, Twitter, Facebook, Pinterest, Academic.edu et les chaînes sur YouTube, Vimeo et Dailymotion. Mon accent sur les femmes africaines de l’écran et leur engagement avec les médias sociaux comme un outil pour faire avancer leurs intérêts en tant que praticiennes et intervenantes considère le rôle que jouent les communautés en ligne dans les nombreux processus de la narration visuelle et dans la mesure où il a transformé leur imaginaire. Mes recherches sur les femmes africaines dans les divers domaines de la culture de l’écran examinent les modes dans lesquels elles ont évoluées en tant que productrices et lectrices culturelles, remontant à l’âge du film celluloïd lorsque l’écran était juste un drap blanc , à l’ère de la tablette et du téléphone portable où l’image apparaît et est manipulée en touchant l’écran. Ainsi, mes recherches considèrent les questions telles que : dans quelle mesure les nouvelles technologies ont-elles contribué à la visibilité des femmes africaines en tant que praticiennes, à l’accessibilité de leur travail et à leur capacité à atteindre un niveau de réseautage afin de rester connectées et de perfectionner leur art ? Comment ont-elles été habilitées par ces nouveaux systèmes de communication ? Lorsque ces structures prennent place, comment améliorent-elles les efforts pour collaborer et pour construire des réseaux ? Les Millennials, qui sont nés et ont grandi avec ces nouvelles technologies, comment naviguent-ils ces outils en relation avec les pionniers qui ont émergé dans les années 1960 et 1970 bien éloignés de ces nouveaux médias ? Lorsque le cinéma celluloïd et analogique étaient la norme ? Lorsque la salle de cinéma ou le téléviseur était le seul point de mire ? Lorsque l’interaction avec ces appareils visuels était un processus à sens unique entre le spectateur et l’image ? Comment maintenant, les deux, les avants et les après numérique, se fusionnent, se négocient, se comprennent mutuellement ? Le Blog sur les femmes africaines dans le cinéma sert comme un bulletin d’information globale virtuel avec des postes réguliers composés d’entretiens, d’analyses, d’essais critiques, d’annonces sur des expositions, festivals et conférences et exposés sur des colloques, des renseignements sur les collectes de fonds (crowdsourcing) et d’autres informations sur les possibilités de financement, les pétitions en ligne, des bandes-annonces et des événements actuels. Le Centre numérique avec son réseau de médias sociaux est inspiré par et se base sur les propositions et les demandes venants du réseau professionnel des femmes africaines de l’image qui se formait dans les années 1990. Au FESPACO en 1991 une partie de la plateforme du festival a été organisée sous le titre « Les femmes, Cinéma, Télévision et Vidéo en Afrique. » Les événements de cette réunion mettent en mouvement les bases de ce qui deviendrait le réseau de médias visuels, l’Union panafricaine des Femmes de l’image (UPAFI). 52 Lors d’entretiens que j’ai menés avec les femmes africaines dans les divers domaines du cinéma à la fin des années 1990 au cours desquelles nous avons discuté de la formation du réseau professionnel, elles ont parlé des problèmes liés à l’organisation ainsi que l’énormité du défi en matière de communication, du suivi et réseautage en dehors des limites de festivals et de conférences, lorsque les femmes retournent dans leurs pays respectifs. Elles sont dispersées à travers le monde, peut-être pour assister à une conférence, tourner un film, travailler dans la salle de montage, prendre rendez-vous avec un bailleur de fonds potentiel, ou tout simplement assumer le rôle de mère, conjointe, partenaire, amie. Par conséquent, il devient une tâche considérable pour établir des connexions et maintenir des contacts de suivi. En outre, elles ont soulevé les problèmes qui surviennent en tentant de s’organiser au sein d’une telle envergure, notamment les barrières linguistiques et les voyages. Même de se réunir au niveau régional est une tâche redoutable. Certains des obstacles étaient liés à l’attribution des ressources financières limitées pour faire des films, le maintien d’un ménage, et de garder le contact avec les autres femmes dans la région. Souvent, il en résulte que ce dernier n’est pas considéré comme prioritaire. Au cours de ces réunions et d’études couvrant environ 25 ans, il existe une multitude de stratégies que les femmes africaines dans le cinéma ont proposé : · Développement d’un réseau autonome à l’échelle continentale basé en Afrique · Autonomisation des femmes en utilisant une variété d’approches · S’organiser autour de questions qui sont pertinentes aux besoins spécifiques des femmes africaines · Développer un réseautage à l’échelle continentale et avec d’autres partenaires concernés · « Rapprochement » en développant des activités ou des programmes d’accéder à plus de femmes potentiellement intéressées par les médias visuels et des zones parallèles · Le mentorat comme outil de développement professionnel pour les femmes · Modèle à émuler, utilisant la visibilité des femmes qui réussissent et des représentations visuelles de femmes inspirant succès à travers l’image · Partage de l’information, des idées, des conseils, par l’intermédiaire d’atelier de travail, le bénévolat, les blogs, · Informer : diffusion d’informations à travers différentes formes d’expression · Collecte et diffusion d’informations à travers la recherche, bases de données, l’Internet · Procurer l’accès aux réseaux d’information à travers des lieux de ressources, · Archivage: stockage des informations pour la recherche et la consultation · Illustrer les achèvements et les expériences des femmes à travers des festivals de cinéma, ciné-clubs et des projections de films suivies de débats · Sensibilisation à travers le cinéma · Soutien: développement, encourageant, cultivant, promouvant des compétences · Orientation dans le cinéma par le recrutement réfléchi · Parrainage à travers la collecte de fonds et la présentation des demandes de subvention · Développement professionnel: Stimuler une culture de la promotion de perfectionnement professionnel pour des femmes de l’image par le biais des classes de maître, des ateliers de perfectionnement et des conférencièresmotivatrices · La recherche: études de la critique et de l’analyse de la culture d’écran · Formation: la formation professionnelle dans tous les aspects de l’image en mouvement et les nouveaux médias · Le Plaidoyer et l’activisme : en utilisant le cinéma et la culture de l’écran comme un instrument de changement social La vaste portée de l’Internet et des médias sociaux via les technologies numériques-Facebook, Twitter, crowdfunding, partage de vidéos, la messagerie instantanée, les blogs, chat vidéo - a été transformatrice en matière d’accès des femmes africaines à l’information, la capacité de réseauter, de naviguer à travers les langues et surtout d’être des agents de la production de connaissances en ce qui concerne les réalités africaines. Par conséquent, les outils des nouvelles technologies sont particulièrement propices à la mise en œuvre des stratégies énumérées cidessus. 53 Partage de vidéos, la vidéo en continu et la vidéo sur demande Le manque de possibilités de distribution et de diffusion pour les films africains est l’une des préoccupations les plus souvent exprimées après le manque d’infrastructures et le coût de production. Pour les femmes, ces questions sont exacerbées par l’insuffisance des réseaux solides, et, malheureusement, l’absence d’un véritable intérêt pour leur travail et les thèmes de leurs films par des distributeurs ou par une plus grande audience. Dans le cas des distributeurs qui se sont engagés à présenter la diversité des voix, Debra Zimmerman, la directrice de l’emblématique Women Make Movies basée à New York avait ceci à dire dans un entretien avec le Centre for Social Media : ... Nous sommes beaucoup plus intéressés à voir des films réalisés par des Africaines sur les questions africaines. Mais la vérité est que, parfois, les films qu’elles font ne sont pas vraiment faciles à commercialiser pour un public américain, car elles parlent d’une position de l’intérieur. Et il est plus facile pour les Américains d’entendre une voix américaine parler de ce qui se passe en Afrique que celle une voix africaine. Généralement c’est à ces instances que nous disons « oui, nous allons le prendre », même si nous savons que notre tâche va être difficile. Puisque nous pensons que les femmes doivent raconter leurs propres histoires, nous croyons que les Africains doivent raconter leurs propres histoires.... De plus en plus, avec l’émergence des services d’hébergement vidéo tels que YouTube, Vimeo, Dailymotion, entre autres, les femmes africaines d’image peuvent diffuser leurs propres histoires, ou au moins transmettre le message que leurs histoires existent. Grâce à ces platesformes, gratuites et facilement accessibles, qui permettent aux utilisatrices de générer leur propre contenu, les auteures africaines sont en mesure de télécharger leurs bandes-annonces, des extraits de leurs œuvres ou de films entiers. Le partage de vidéos est un outil important pour la promotion de films à travers des bandesannonces, les annonces pour des événements, et des bio-docs. En outre, les films sont de plus en plus accessibles dans leur intégralité sur les plateformes de vidéo à la demande et sites de streaming. Pour la belgo-congolaise Monique Mbeka Phoba, la plateforme de partage de vidéos a joué un rôle essentiel dans la production et la promotion de son film Entre la coupe et l’élection. Elle avait ceci à dire sur le sujet: Ce suivi virtuel a débouché sur un film co-réalisé par moi-même et Guy Kabeya, sur la première équipe de football d’Afrique Noire à avoir été à une Coupe du Monde de football en 1974. Nous avons placé une bande-annonce sur internet et j’ai eu plusieurs manifestations d’intérêt, par toutes sortes de personnes intéressées par un tel film, à la veille de la Coupe du Monde en Afrique du Sud. C’est dire si s’appuyer sur internet est important aujourd’hui au niveau de la réalisation, de la production et de la promotion. Cela n’était pas le cas, il y a quelques années. Et c’est par le « video-sharing » de cette bande-annonce que les gens sont avertis de l’existence du film, un autre outil de promotion très intéressant. Le Dailymotion héberge une diversité d’œuvres par les réalisatrices africaines francophones, bien que ces dernières utilisent également YouTube et Vimeo. En plus du contenu généré par les utilisateurs sur le site Dailymotion, les entretiens, les telenovelas, les reportages sur les événements, ainsi que la série de bio-documentaire (comme Africa24 et TV5 Monde+ Afrique) comprennent aussi des femmes d’Afrique francophone. Par exemple, le reportage sur l’hommage aux femmes cinéastes africaines au FIFF 2010 (Festival International de Films de Femmes) est accessible sur Dailymotion, ainsi que le reportage sur TV5 Monde du colloque à Paris en 2012, Les réalisatrices africaines 40 ans de cinéma et des femmes présidentes aux commandes des cinq jurys officiels du Fespaco 2013. De ces trois services d’hébergement vidéo discutés ci-dessus, YouTube, avec une portée mondiale phénoménale, a de loin, la plus grande base d’utilisateurs parmi les femmes africaines, et le plus grand nombre de vidéos accessibles. La portée du Canal AWC du Centre sur YouTube démontre l’étendue de ses possibilités. La fonction du playlist (liste de lecture), un outil pour organiser les vidéos disponibles sur la plateforme YouTube, est un élément clé du Canal AWC. Par conséquent, la playlist thématique du Canal AWC sert de répertoire de liens vers des films faits par ou sur les femmes africaines. 54 La playlist est une ressource très utile pour la recherche, puisque toute recherche d’œuvres par et sur les femmes africaines sur YouTube figurant sur le Canal AWC, mettra également en vedette la playlist AWC, familiarisant ainsi plus de téléspectateurs potentiels avec les œuvres des femmes africaines. En outre, quand une vidéo sélectionnée est en cours de lecture, affichés sur la colonne de droite du site YouTube sont les onglets, les captures miniatures des vidéos associées. Bien que la majorité des vidéos sur cette liste ne sont que vaguement liées, voire pas du tout, la fonction est une source efficace pour le Canal AWC afin de découvrir d’autres œuvres par ou sur des femmes africaines. Pinterest Alors que la plateforme de médias sociaux Pinterest n’a pas attiré beaucoup de femmes africaines de l’écran, sa fonction peut se révéler être un outil efficace en raison de son format visuellement accrocheur. Le site est conçu comme une série de tableaux d’affichage sur lesquels le contenu est «épinglé». Les tableaux thématiques du AWC Pinterest offrent aux adeptes et d’autres publics intéressés une présentation visuelle de thèmes pertinents. Bien que similaire au format de grille de la playlist YouTube, en plus, le site offre un environnement transmediale à fin de parcourir les tableaux liés à des livres, des articles, des interviews écrites et filmées, des sites, des blogs, des photos et d’autres sources. En outre, on peut «épingler» le contenu de tableaux d’autres utilisateurs de Pinterest. Et par conséquent élargir le cercle de parties intéressées. En plus de sites de partage vidéo, de nombreuses femmes africaines cinéastes intègrent des extraits de films et des courts métrages entiers dans leurs propres sites. Dans de nombreux cas, le contenu des sites est considérable, détaillant des projets futurs, et révélant leur philosophie comme artistes. Pour mettre en évidence quelques-uns parmi une liste impressionnante : Angèle Diabang, Nadia el Fani, Françoise Ellong, Izza Génini, Wanuri Kahui, Sam Kessie, Salem Mekuria, Branwen Okpako. Festivals de Films Les sites de festival de films sont des sources utiles pour la visualisation des bandes-annonces ou des extraits utilisés comme une stratégie de promotion pour les films qui font partie du festival en cours ou qui ont été projetés dans les anciennes éditions. Le Festival du film africain de New York, fondé et organisé par la Sierra-Léonienne Mahen Bonetti, est un excellent exemple des ressources inestimables qui sont accessibles via l’Internet et qui peuvent bénéficier aux producteurs culturels africains. En outre, le succès de Mahen Bonetti souligne la présence de plus en plus visible des femmes africaines comme organisatrices de festival de film, ce qui démontre le rôle de plaidoyer qu’elles prennent pour créer les infrastructures nécessaires pour la promotion de la production culturelle africaine. Comme l’historique rencontre des femmes professionnelles au Fespaco a révélé, le festival joue un rôle important dans la promotion, l’exposition, le marketing, et la formation, et sert comme un lieu autour duquel les femmes peuvent s’unir à l’échelle continentale et mondiale. Puisque c’est en même temps un lieu de rencontre pour présenter ses projets, travailler en ateliers et partager des idées, il est souvent considéré comme un espace central où les femmes africaines peuvent réseauter et échanger sur le continent et au-delà. Ces festivals de films et lieux de rencontres, soit comme des espaces axés sur les femmes ou lieux culturels créés par des femmes, ont des mécanismes mis en place pour les genres d’activités nécessaires à l’organisation, l’analyse et l’archivage des informations. Puisque les événements, réunions et activités sont souvent enregistrées et filmées, des biographies, des déclarations et des filmographies d’artistes amassés, des bulletins d’information, des catalogues, des annuaires publiés ils demeurent des composantes fondamentales pour l’acquisition de ressources et de collectes de données. Ces initiatives démontrent l’effort inestimable pour globaliser les expériences des femmes 55 africaines dans le cinéma et leur potentiel en tant que stratégies de collecte d’informations, pour l’ouverture des voies d’accès aux réseaux d’information et pour la création de sources d’archives pour la recherche et la consultation. de fonds) très réussie pour financer la série audelà du sixième épisode; avec l’appui d’un public et une base de soutiens importants qu’elle avait déjà construits avec une moyenne de 60.000 spectateurs. Le caractère insolent de ABG joué par Issa Rae elle-même, et l’approche moqueuse à la réalisation de la série, ont suscité beaucoup de curiosité, d’admiration et par conséquent, le soutien. À l’époque, étudiante à l’Université de Stanford (USA), elle écrit le scénario, réunit des amis pour participer comme membres de l’équipe, emprunte une caméra de la bibliothèque de l’université, tourne, monte et poste le film sur Facebook, et puis regarde dans la stupéfaction la réponse. TAZAMA (Congo-Brazzaville), Udada Festival International de Film (Kenya) et IIFF International Images Film Festival for Women (Zimbabwe) sont trois exemples d’institutions axées sur les femmes africaines qui promeuvent, mettent en exergue et donnent une plateforme pour leurs événements par le biais des réseaux sociaux. La popularité croissante de la série web Le succès de série web Awkward Black Girl (Une fille noire maladroite) de la sénégalo-américaine Issa Rae souligne le potentiel de cette plateforme pour les populations sous-représentées, en particulier les femmes afro-descendantes, d’avoir leurs images vues et soutenues par un large public, en sachant qu’il y a une audience qui s’intéresse aux expériences qu’elles présentent. Inspirée par Issa Rae, la ghanéenne Nicole Amarteifio suit son exemple avec la série web An African City (Une ville africaine). Les deux qui sont basées aux États-Unis bénéficient d’un public avide parmi la population importante de personnes afro-descendantes aux États-Unis. En outre, les personnages de la série web - la majorité d’entre elles est basée aux États-Unis - attirent un public africain continental enthousiaste, sensible aux histoires de « retour aux sources » de ces cinq jeunes femmes qui, après avoir vécu à l’étranger, rentrent « au pays » au Ghana. Sur le continent, il n’y a pas pénurie de web série avec un succès comparable chez les téléspectateurs à la fois en Afrique et dans la diaspora mondiale. La série web francophone « Ina » par Valérie Kaboré (Burkina Faso), « Monia et Rama » de Apolline Traoré (Burkina Faso), « Ma Famille » par Akissa Delta (Côte d’Ivoire), « Un Mari pour deux sœurs » de Marie-Louise Asseu (Côte d’Ivoire ), et « Nafi » par Eugénie Ouattara (Côte d’Ivoire), sont des exemples de la prolifération de ce genre dont la popularité croissante est due en grande partie à son accessibilité sur les plateformes de partage vidéos telles que YouTube et Dailymotion ainsi que les sites de télévision sur Internet. Les pratiques de collecte de fonds La collecte de fonds, le parrainage et des partenariats ont toujours été fondamentaux pour le financement des films et des projets indépendants. Par conséquent, la collecte de fonds en ligne, annoncée comme une percée dans les pratiques de financement de films, offre une occasion unique pour une communauté en ligne de parties intéressées pour participer au financement et la promotion d’un projet. Bien que les stratégies de collecte de fonds collectifs ont toujours existé, la collecte de fonds en ligne est beaucoup moins cher et avec peu de maind’œuvre et donc plus propice aux besoins des groupes sous-représentés qui ont moins d’options de financement et qui attirent généralement moins d’intérêt pour leurs projets. Issa Rae avait ceci à dire à propos de YouTube, la plateforme de partage de vidéos sur lequel elle a piloté sa série web : « S’il n’y avait pas YouTube, je serais extrêmement pessimiste ... YouTube a révolutionné la création de contenus. S’il n’y avait pas YouTube, je serais encore dans les studios en tentant de convaincre les producteurs que les filles noires maladroites existent vraiment ... S’il n’y avait pas les médias sociaux, je ne sais pas si les femmes noires seraient même un petit point entièrement formé sur le radar ... » La collecte de fonds en ligne « c’est la fin du déficit de financement pour les femmes », affirme Ruth Simmons dans un article du Wall Street La production de Awkward Black Girl (ABG) a suivi une campagne de crowdfunding (collecte 56 57 Journal . Le WSJ note aussi que selon les avocats du crowdfunding, il « démocratise l’accès au capital ». Quel est alors le bilan pour les femmes africaines qui utilisent cette stratégie ? Plusieurs ont réussi à recueillir les fonds nécessaires pour terminer leurs films, et bien que d’autres n’ont pas pu atteindre l’objectif prévu, elles ont été en mesure d’amasser le soutien et l’enthousiasme et d’établir une communauté en ligne de partenaires financiers potentiels pour leur prochain projet. En outre, la description détaillée précisant les objectifs de la campagne de collecte de fonds fournit un moyen pour les lecteurs de se familiariser avec le projet proposé. Puis, il peut être utilisé comme un baromètre pour évaluer l’engagement du public. Le non-succès pour atteindre l’objectif projeté n’est pas toujours un indicateur de manque d’intérêt par les partisans potentiels ; il peut être le signe de déficiences dans la présentation du projet, des objectifs irréalistes ou le manque d’élan et d’énergie durable pour garder l’idée du projet en vie. Il a été dit qu’une campagne de crowdfunding est un effort à temps complet nécessitant de fréquentes connexions transmedials; par conséquent, la nécessité de maintenir une présence continue sur Facebook, Twitter et d’autres réseaux pour assurer la circulation continue de l’information. famille, sympathisants et passionnés de l’écriture des femmes africaines, de sorte que nous pouvons monter et compléter le film. Nous avons eu une réponse étonnante à notre campagne ... Les amis nous pointent dans la bonne direction; ils circulent les informations concernant le film; et le plus important de tous, ils nous remplissent d’enthousiasme pour terminer ce que nous avons Pendant les campagnes réussies de Sœur Oyo de Monique Mbeka Phoba et The Art of Ama Ata Aidoo de Yaba Badoe pour n’en citer que deux, les stratégies qui ont menés à leur succès étaient le travail de proximité, la communication, et le suivi. Les tweets sur Tweeter et les commentaires sur Facebook tournaient au milieu de dialogue constant avec les fans, les amis et les amis des amis. Donc, entretenant l’élan, donnant des mises à jour sur l’objectif de financement, et demandant un soutient accru. décidé de le faire… En suivant la page Facebook du film Soeur Oyo de Monique Mbeka Phoba pendant la durée de la production, on a été placé en plein milieu du processus quotidien, sentant la passion et l’enthousiasme de toute l’équipe. La campagne de collecte de fonds KissKissBankBank était également intense, les derniers jours étaient remplis d’excitation et de suspens pendant que Monique et ses partisans recherchaient des supporteurs dans le but d’atteindre l’objectif visé. Elle avait ceci à dire sur le rôle des médias sociaux dans la production de Soeur Oyo : Yaba Badoe, qui avait terminé la phase de tournage de son projet et recherchait des fonds pour les frais de postproduction, avait ceci à dire : «... Une amie proche, Margo Okazawa-Rey, a suggéré qu’au lieu d’attendre pour le financement des organes intermédiaires dans l’allocation des subventions, qui ont tendance à avoir leurs propres intérêts sur le genre de films qu’ils veulent, nous devrions essayer le crowdsourcing pour collecter des fonds... Margo a accepté de diriger notre campagne Indiegogo. Nous visons à amasser 45 000 $ à partir d’un réseau d’amis, Complètement écrasée par ces différents défis, je me suis donc fait aider par les gens sur Facebook : c’est pratiquement une coproduction Facebook, ce film. J’ai vraiment exprimé toute ma détresse, 58 à certains moments… Et il y a des gens qui vous tournent le dos, refusent de vous aider quand vous leur parlez face à face. Mais, qui le font, quand ils vous ont lu sur Facebook…j’ai obtenu des superbes photos de familles…sur Facebook, j’ai découvert aussi la petite fille qui a doublé le chant de l’actrice principale… Aude Hitier, rencontrée sur FB, une française, est l’auteur de cette magnifique affiche, sur base des images du film… Et grâce à Facebook, aussi, j’ai eu un démarrage fulgurant de mon crowdfunding : 41% de la somme que je demandais en même pas 2 semaines : c’est hallucinant. Bien que les projets de Monique Mbeka Phoba et Yaba Badoe étaient très intéressants, d’autres projets qui n’ont pas atteint leur objectif n’étaient pas moins captivants. Bien que n’ayant pas fait d’analyse approfondie des raisons, cela venait peut-être du fait que la campagne n’avait pas eu l’influence nécessaire. Dans l’article « Looking at the participation by and opportunities for women in Crowdfunding » (Regard sur la participation et les opportunités pour les femmes dans le crowdfunding), Amy Dunn Muscoco décrit trois éléments qui mènent à un crowdfunding réussite par les femmes : les compétences des médias sociaux, le travail d’équipe et le réseautage. La deuxième et la troisième ont été les objectifs continus durant les rencontres des femmes africaines dans le cinéma, et pour le futur, avec l’ubiquité des plateformes de médias sociaux, le premier prendra un rôle proéminent et, par conséquent, renforcera les autres. Sur le continent : les expériences des femmes africaines avec l’évolution des technologies En réfléchissant sur l’accès des femmes africaines à la technologie et aux infrastructures pour leur permettre de travailler plus efficacement, l’anglonigériane Ngozi Onwurah basée en Angleterre disait dans un entretien en 1997 qu’il existe des disparités importantes dans les budgets, les infrastructures et les technologies entre les femmes africaines vivant sur le continent et celles qui sont installées en occident, et que les distinctions ne sont pas suffisamment faites dans le plus large discours qui les identifie en tant que groupe. Deux décennies plus tard, on peut se demander dans quelle mesure le terrain de jeu a été nivelé avec l’émergence des technologies numériques censées combler le fossé entre « les nantis et les démunis », en raison de modes de production moins coûteux et plus conviviaux, la relative commodité de la communication, et la facilité de l’échange mondial ? Bien qu’il y ait inévitablement eu une influence sur les productions avec les nouveaux médias, les femmes sur le continent ont toujours cherché des stratégies pour combler le fossé technologique. Burkinabé Franceline Oubda insistait sur les avantages financiers en utilisant les alternatives au film celluloïd, notamment la vidéo, ce qui met en évidence le fait que les femmes cinéastes sont toujours prêtes à expérimenter avec tous les outils qui leur permettent de raconter leur histoire. Elle avait ceci à dire dans un entretien publié en 1997: ... La vidéo est beaucoup moins chère, elle est pratique, et nous sommes en mesure de montrer beaucoup plus de notre travail au public ... Vous voyez les cinéastes qui depuis le début de leur carrière n’ont jamais été en mesure de terminer leurs films, alors que, au cours de ce même temps, ceux d’entre nous qui utilisent la vidéo font un montant maximum de films ... Je pense que nous devrions nous tourner vers les moyens qui sont plus accessibles... En outre, mis en évidence par le nom « Média 2000 », la société de production fondée par Burkinabè Valérie Kaboré au milieu des années 1990, montre qu’elle avait une vision axée sur l’avenir en préparation pour le nouveau millénaire, en fournissant les outils de nouvelles technologiques d’époque, pour les productions locales. Depuis le nouveau millénaire, les institutions culturelles équipées d’infrastructures de formation ont proliféré sur le continent et les femmes participent en nombre record. Souvent, encadrées par leurs aînées pionnières, les femmes des générations X et millénaires- à l’aise avec les nouvelles technologies, liées à la diaspora africaine mondiale et le réseau numérique mondial, jouent un rôle essentiel dans les initiatives locales, régionales et continentales. Au Sénégal, le Media Centre de Dakar et le programme de Master II de Réalisation Documentaire de Création à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et l’Institut Imagine au Burkina Faso, pour explorer quelques exemples, 59 attirent des femmes qui après avoir terminé leur formation, sont retournées dans leurs sociétés pour collaborer à des initiatives qui sont possibles en raison des nouvelles technologies. La Sénégalaise Angèle Diabang qui a étudié au Media Centre de Dakar, a créé Karoninka Productions en 2006 et en tant que cinéaste et productrice est très engagée dans de nombreuses initiatives locales et au-delà. La Burkinabè Laurentine Bayala, en première ligne des développements des nouveaux médias au Burkina Faso, est diplômée de l’Université Gaston Berger. Elle a été invitée à prendre la parole lors du deuxième forum de InnovAfrica en décembre 2010, est une contributrice au Portail pour le développement au Burkina, Development Gateway, une blogeuse passionnée au NetLog et est à la tête de la dynamique TV Wagues, parmi beaucoup d’autres activités, notamment, de la recherche et de l’organisation. La Sénégalaise Fatou Kandé Senghor, qui vit et travaille à Dakar, est fondatrice du Waru Studios, un laboratoire expérimental pour la recherche artistique interdisciplinaire; en utilisant les nouvelles technologies, il fonctionne à l’intersection de l’art, la science, l’écologie et la politique. Sénégalo-Martiniquaise Maria Kâ qui a été formée en France et aux États-Unis, est la force motrice de Picture Box, une société de production basée à Dakar. La Burkinabè Apolline Traoré, qui a été également formée aux États-Unis, depuis son retour a apporté ses compétences au Burkina Faso et est activement engagée dans sa culture cinématographique dynamique. L’Institut Imagine basé à Ouagadougou et fondé par le célèbre cinéaste burkinabé Gaston Kaboré, a émergé comme un lieu important pour la formation du film et de la production. Les jeunes femmes de tout le continent sont sélectionnées pour participer à des ateliers intensifs. Par exemple, Yetnayet Bahru de l’Éthiopie, ayant déjà fait le film populaire Aldewolem, s’y est inscrite pour une formation de perfectionnement. La fondatrice et organisatrice du festival du film Adaobi Obiegbosi du Nigeria, qui s’est inscrite à l’Institut, avait un désir de créer une plateforme continentale pour les étudiants africains du cinéma à fin de partager leur travail et leurs idées. Cette aspiration a inspiré la création du African Student Film Festival Festival (ASFF) en 2012. Afrique, la diaspora et la génération millénaire mondiale Alors que la désignation « millennials » est apparue aux États-Unis pour décrire la génération du nouveau millénaire, née entre 1981-1997, elle s’est élargie dans la littérature et les discours pour embrasser une génération de gens à l’échelle internationale, née au cours de l’âge de l’Internet. Pour les millennials africains, la progression de la mondialisation et la facilité d’échange entre la diaspora internationale ont joué un rôle fondamental pour l’identité de ce groupe. Par conséquent, de réunir cette génération de millennials africains de l’ère numérique dans ce cadre plus large donne un aperçu de la mesure dans laquelle les nouvelles technologies ont influencé la culture de l’écran des femmes africaines. Les millennials, entre 18 et 34 ans constituent un groupe né lors de l’émergence de l’Internet, touché par l’omniprésence des technologies numériques, et le flux, les échanges et les influences des diasporas africaines mondiales. Alors que le transnationalisme a toujours été une réalité pour de nombreuses femmes africaines dans le cinéma, le flux de langues, d’idées et d’informations facilitées par les réseaux et les communautés en ligne sont une caractéristique distinctive de cette génération d’auteures. Qui ne travaille plus dans l’isolement, et ne sont pas entravées par les obstacles de la distance et les difficultés de communication, ce qui était l’épreuve de la génération pionnière. Pour cette « génération de partage », la multitude de plateformes de nouveaux médias permet une connectivité spontanée et continue à travers le monde. Les conversations « face-à-face » via Skype, le dialogue instantané avec les amis, les fans et les groupes de Facebook, et les tweets à la minute de Twitter permettent la mise en réseau directe après s’être rencontrées lors d’un festival de conférence ou de film, plutôt qu’après de longs intervalles d’avoir à se reconnecter au prochain évènement, peut-être deux, trois, quatre ans plus tard. Bien que les générations se confondent en termes de connectivité, les études indiquent que les millennials sont beaucoup plus connectés que les générations avant elles. En outre, les appareils numériques sont actuellement destinés aux 60 jeunes tandis que les caméras par exemple, des « anciens médias » étaient considérées comme un appareil pour les adultes et plus particulièrement comme un outil professionnel, l’idée de faire un film n’était pas dans le domaine d’activité des adolescents. Alors que de présenter une caméra numérique comme un dispositif pour autonomiser les filles à raconter leurs histoires et celles de leur communauté coïncide avec la culture de « faites-le vous-même » (DIY) — dont les modes de production sont à bas coût, facile à utiliser—et avec l’interconnectivité du village global. Par exemple, le projet «La Coupe du monde dans mon village », une initiative de l’UNICEF menant à la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, était une inspiration pour Aishah Umuhoza, une jeune participante dans le projet du film One Minute Jr. qui a eu lieu dans le district de Rubavu de Rwanda. «J’aimerais être une cadreuse professionnelle, je vais retourner à ma communauté et enseigner à mes collègues comment faire des films», dit elle. Le projet comprenait un atelier intensif de cinq jours au cours duquel les élèves ont appris à écrire un scénario, tourner, réaliser, et monter un film d’une minute ainsi que jouer dans la production. Comme on le voit dans les paroles passionnées de Aishah Umuhoza, plusieurs filles ont accueilli avec enthousiasme le projet de formation aux médias. Publiée sur le canal YouTube de unicefworldcup est une sélection de films d’une minute produits au cours de l’atelier de cinéma, parmi lesquels les projets achevés de deux des filles qui ont participé : Dancille Nyiranteziryayo avec le film « Un meilleur avenir » et « La sensibilisation » de Mamy Manirakiza. Par conséquent, de telles initiatives permettent aux jeunes d’acquérir les compétences nécessaires pour documenter les questions importantes auxquelles ils sont confrontés dans leurs communautés et de les partager avec la communauté internationale. Ainsi, grâce à de nouvelles plates-formes de médias, la jeunesse de l’Afrique contribue activement à l’échange mondial d’idées et de connaissances d’une manière sans précédent. Monique Mbeka Phoba, qui a commencé sa carrière de cinéaste dans les années 1990 avec une petite caméra Hi8, embrasse avec enthousiasme les nouvelles technologies attestant leur rôle indispensable dans son projet récent. Au cours d’une coproduction, la plupart des communications ont eu lieu entre elle en Belgique et le coproducteur, l’équipe et les acteurs basés au Congo grâce aux nouveaux médias. Elle avait ceci à dire: Beaucoup de choses ont évolué au niveau technologique et cela influence bien évidemment la pratique de nos métiers. Par exemple, pour mon dernier projet de film que j’ai coproduit avec une équipe de jeunes étudiants en théâtre de Kinshasa, je peux dire que nous nous sommes servis à fond de cet environnement virtualisé qui est le nôtre aujourd’hui. J’avais rencontré ce groupe de jeunes qui souhaitaient faire des films, alors qu’il n’existe pas d’école de cinéma en RDC. Je leur ai proposé d’être mêlé au tournage d’un film, dont le sujet avait été proposé par l’un d’entre eux et, ce faisant, d’apprendre à faire des films, en s’occupant de cette production. La personne qui les a encadrés, Guy Kabeya Muya, a été le coréalisateur du film avec moi. Ils se sont servis de petites caméras numériques, nous communiquions par Internet et SMS, de sorte que je suivais au jour le jour le tournage et pouvais l’influencer dans un sens ou dans un autre. En outre, les expériences de Monique Mbeka Phoba démontrent que les pratiques de coproduction et de collaboration sont de plus en plus fréquentes entre les Africains sur le continent et ceux dans la diaspora mondiale, ainsi que l’échange et le partage entre les générations engendrées par les nouvelles technologies. Un continuum : partager des connaissances, donner la parole Africa Feminist affirme que « l’avènement et le développement de l’Internet ont élargi les frontières de l’activisme féministe. » Son propre engagement comme un journal en ligne sert de modèle de ce qu’il décrit comme des « engagements numériques audacieux affichés par les mouvements de femmes partout dans le monde. » Le numéro 18 de 2013 «e-espaces: e-politique», reflète beaucoup de mes observations et conclusions concernant l’impact des nouvelles technologies sur les femmes africaines de l’écran. Ses concepts et les analyses ont été utiles pour mon pronostic pour les femmes africaines de l’écran à l’avenir. 61 Les e-listes de diffusion et forums de discussions de Yahoo de la fin des années 1990 à mi 2000 ont été élargis sur, voire remplacé par, Facebook et Twitter. Bien que les cartes de visite et les portfolios continuent à être utiles, les sites Web, les blogs et le partage de vidéos en ligne servent pour se réseauter, interfacer et se présenter avec les professionnels. La télécopie et le courrier électronique sont complétés par les moyens de se contacter disponibles sur Facebook, LinkedIn ou Twitter. L’utilisation de Skype, les vidéoconférences et d’autres dispositifs de visiocommunication sont des alternatives aux communications lentes et coûteuses. En plus de la communication sociale et des affaires, le téléphone portable, en raison d’accessibilité et du bas coût, est devenu l’appareil numérique le plus utilisé pour accéder à Internet et se connecter avec les médias sociaux. Par conséquent, son omniprésence en Afrique a également changé la donne. L’ère du numérique est en effet un tournant. L’ubiquité des technologies numériques a révolutionné la capacité des femmes africaines pour négocier leur espace au sein des cultures de l’écran, il a étendu la portée de leur réseau et redéfini leurs relations avec la production et le partage des connaissances en ce qui concerne les expériences des femmes, les réalités africaines et les enjeux mondiaux. 62 Financer la production audiovisuelle dans les pays francophones du Sud : Le Fonds Image de la Francophonie et les systèmes d’aide des Etats par Pierre Barrot D epuis le début de cette année 2015, le fonds d’aide de l’Organisation Internationale de la Francophonie a changé de nom. Il s’appelle désormais Fonds Image de la Francophonie. Ce fonds était doté d’environ 2 millions d’euros par an jusqu’au début des années 2000. Aujourd’hui, le montant disponible n’est plus que de 900 000 euros, répartis à parts égales entre cinéma et production audiovisuelle. Cette réduction des moyens disponibles a coïncidé avec une modernisation du fonctionnement du fonds. Depuis 2012, le dépôt des dossiers se fait sur un site internet, le site Imagesfrancophones. org. L’abandon des dossiers papier dont la duplication et l’envoi étaient longs et coûteux pour les producteurs, s’est traduit par une démocratisation du fonds. Il y a maintenant davantage de dossiers déposés (environ 220 chaque année, dont 87 pour le cinéma et 132 pour l’audiovisuel en 2015) mais, comme le montant disponible a été réduit, le nombre de projets aidés a diminué, lui aussi. En 2010, 41 projets ont été aidés par la commission audiovisuelle, soit environ un projet sur deux. En 2015, on en est à 26 projets aidés, soit un sur cinq. La commission cinéma est devenue presque aussi sélective : 20 projets aidés en 2015, soit 23 %. Cultures+ (ACP/Union européenne). Si le nombre de dossiers reçus venait à augmenter encore, l’OIF n’aurait pas d’autre solution que de faire intervenir des lecteurs pour trier les dossiers en amont des commissions. Jusqu’ici, il n’est arrivé une seule fois qu’un tri soit fait par deux membres de la commission, en amont d’une réunion de sélection tenue en 2014. Dans tous les autres cas, les sept membres de la commission lisent la totalité des dossiers recevables et toutes les décisions sont prises en séance plénières. Ce fonctionnement collectif a un gros avantage : il n’y a pas de biais liés aux préférences ou au profil de tel ou tel expert ou lecteur. Les biais pourraient être de plusieurs types : - liés à l’origine géographique des personnes (une personne de tel pays ou tel continent aura, en général, tendance à privilégier sa zone d’origine mais parfois, c’est le contraire, il arrive qu’un professionnel de tel pays soit moins indulgent avec ses compatriotes parce qu’il les connaît bien et n’est pas dupe de certaines de leurs déclarations) - liés à la spécialité professionnelle (un diffuseur n’a pas la même approche qu’un producteur ou qu’un réalisateur) ; - liés au genre de prédilection (documentaire, fiction ou animation). Le fait de prendre toutes les décisions en séance Le fonds de l’OIF est le seul système d’aide plénière permet d’équilibrer les approches des public international où toutes les décisions sont uns et des autres. A condition qu’il y ait une prises par des commissions de professionnels. grande diversité à l’intérieur de la commission. Il n’y a pas de filtrage des dossiers par des lecteurs comme cela se faisait pour le Fonds Image Afrique ou comme cela se fait à l’Aide aux cinémas du monde ou au programme ACP 63 Pour l’audiovisuel, la répartition est la suivante : - deux représentant(e)s de diffuseurs du Nord -deux représentant(e)s de diffuseurs du Sud -un(e) représentant(e) des producteurs (du Sud) -un(e) représentant(e) du CIRTEF -le représentant de l’OIF. Au-delà de cet équilibre professionnel, la désignation des membres de la commission et faite de façon à obtenir un maximum de diversité géographique. En 2013, la commission audiovisuelle comptait sept nationalités différentes pour sept membres. Actuellement, on en est à six nationalités. On attend de la commission qu’elle prenne des décisions impartiales prenant en compte à la fois la qualité et l’efficacité des projets aidés (faisabilité et potentiel de diffusion). La question de la faisabilité est difficile. L’aide apportée par l’OIF étant un cofinancement, qui ne dépasse pas 10 % du budget, dans certains cas, il faut parfois beaucoup de temps pour que les producteurs parviennent à obtenir les financements complémentaires qui leur permettent de démarrer la production. C’est pourquoi la durée de validité des contrats du Fonds Image de la Francophonie est généralement de trois ans. Mais certains projets mettent plus de temps à aboutir. Sur la première commission audiovisuelle de 2012, 16 projets aidés sont achevés et cinq ne le sont pas encore. Sur 30 projets aidés en 2011, 6 restent encore à achever. Il arrive régulièrement que l’OIF prolonge la durée d’un contrat d’aide pour faire face aux aléas d’une production. Sur les projets aidés en 2010, un a été abandonné sans qu’il y ait eu le moindre versement. Seuls deux projets (sur 41) sont encore en panne alors que les producteurs ont touché la première tranche de l’aide à la production. Si la diminution du budget du fonds Image de la Francophonie a été importante ces dernières années, l’OIF s’est efforcée de faire en sorte que cela n’affecte pas la qualité des projets. D’une part, le fonds continue à attirer beaucoup de projets, ce qui le rend beaucoup plus sélectif. Les projets aidés sont donc « triés sur le volet », ce qui n’était pas toujours le cas auparavant. D’autre part, la diminution du nombre de projets aidés a permis de limiter la baisse du montant attribué à chaque projet. Entre 2010 et 2015, le fonds a été amputé de 39 % mais le montant moyen des aides attribuées n’a diminué que de 22 %. Si l’on considère uniquement les aides à la production ou à la finition, la réduction n’a été que de 19 %. Malgré ces indications, l’OIF est consciente de l’affaiblissement de ses moyens d’intervention. Depuis 2011, elle a donc multiplié les initiatives pour que des sources de financement alternatives se développent au profit de la production audiovisuelle du Sud. Ces initiatives sont de trois types : - les préachats des télévisions : l’OIF a signé en 2012 des accords avec deux diffuseurs (TV5 Monde et France 3 Via Stella) qui se sont engagés à préacheter des programmes soutenus par le Fonds Image de la Francophonie. L’accord avec TV5 Monde a été particulièrement efficace puisqu’il a amené la chaîne à multiplier ses préachats de séries africaines. Il est vrai que, peu de temps après, Canal France International, de son côté, a cessé de préacheter des programmes et ce retrait n’a pas été totalement compensé par le lancement de la chaîne A+, du groupe Canal+ ; - l’OIF est intervenue également pour aider les producteurs francophones à accéder aux financements européens alloués par le programme ACP Cultures+. Cette aide consiste à mettre à disposition des consultants qui donnent des conseils et assurent un « coaching » pendant la période de dépôt de dossiers. Ce soutien, apporté en 2011 et en 2012, a été efficace pour les projets cinéma mais n’a pas permis le financement de productions audiovisuelles ; - enfin, l’OIF a accompagné de façon très efficace le développement des ventes de programmes et la structuration d’entreprises de distribution. Entre fin 2011 et fin 2014, l’OIF a investi 149 000 euros dans l’appui aux ventes internationales de programmes. Ces aides ont permis aux entreprises bénéficiaires de réaliser 635 000 euros de ventes, uniquement pour des documentaires et des fictions d’Afrique subsaharienne et de l’Océan Indien. Ces aides ont été décisives notamment pour la création de la société DIFFA, spécialisée dans la vente de contenus africains. Cette société a été la première à obtenir une vente de série africaine en zone anglophone (série malienne « Les rois de Ségou », achetée par la chaîne sud-africaine « Africa Magic »), ce qui lui a valu, un an plus tard d’être rachetée par le groupe français Lagardère qui a investi notamment dans la création d’un bureau permanent à Abidjan. En 2015, l’OIF a accordé de nouvelles aides à la vente, ciblées, cette fois sur le doublage des séries de fiction. Ces aides ont permis, au bout de quelques mois seulement, de déclencher une première vente, toujours à la 64 chaîne sud-africaine Africa Magic (série « Sœurs ennemies », vendue par la branche distribution de la télévision ivoirienne) ; Enfin, l’OIF s’investit aujourd’hui sur un autre terrain : celui de l’appui aux structures nationales de financement de programmes. Une réunion des fonds d’aide nationaux aura lieu le 25 novembre 2015 à Bamako, avec les participants suivants : - Union économique et monétaire ouestafricaine ; - Fopica, fonds d’aide sénégalais ; - Fonsic, fonds d’aide cinéma de Côte d’Ivoire, appelé à financer également des programmes de télévision ; - FAPA, fonds d’aide du Bénin, créé dès 2007 ; - IGIS (Institut gabonais de l’image et du Son) ; - CNCM (Centre National de la Cinématographie du Mali) qui a notamment soutenu la série « Les concessions » ; - Direction du cinéma et de l’audiovisuel du Burkina Faso. télévision) ont été aidés, dont 5 à hauteur de 100 000 euros ou plus. Le Fonsic de Côte d’Ivoire, lors de sa première attribution d’aides, a soutenu trois films : « Run », « Sans regrets » et « Braquage à l’Africaine ». Ces trois films ont été achevés et ont permis de relancer le cinéma ivoirien. Enfin, on peut noter que le Fonds d’Appui à la Production Audiovisuelle (FAPA) du Bénin a été le seul à lancer un appel à projets pour des scénarios de séries TV. Cette initiative a permis notamment au romancier béninois Florent Couao-Zotti de s’investir dans l’écriture d’une série (Waxala & Akoba, diffusé notamment sur la chaîne A+). L’apparition de ces fonds ou leur investissement dans la production audiovisuelle et pas seulement dans le cinéma est un phénomène relativement nouveau. L’enjeu des années à venir est la structuration de ces fonds, afin de garantir leur permanence et leur impartialité. Ces fonds d’aide disposent, dans certains cas, de montants très importants : le FOPICA sénégalais, par exemple, a attribué en 2015 l’équivalent de 1 371 000 euros. 31 projets (à la fois cinéma et 65 Entretien avec Cheick Oumar Sissoko Secrétaire Général de la Fédération Panafricaine des Cinéastes 1. Qu’apporte le numérique d’un point de vue pratique pour la réalisation d’un film, selon vous ? Je dirai avant tout que cela offre une commodité technique de travail avec du matériel plus souple, mois contraignant. Par exemple, cela permet une légèreté de l’équipe technique qui est beaucoup réduite qu’auparavant. Grâce à ces outils numériques, le visionnage des rushes est rendu possible en temps réel durant le tournage et le jour-même sur la table de montage ou en grande projection pour faire une vérification de la qualité de l’image, du jeu des acteurs et du son. Finalement, le montage peut commencer aussitôt. 2. D’un point de vue budgétaire, le numérique a-t-il réellement diminué les coûts comme ce fut annoncé ? Oui, le numérique a diminué les couts de production. Pour des raisons simples. Concrètement, cela réduit le budget de location de matériel de tournage, leur contrôle technique également. La réduction de l’équipe technique permet aussi la diminution des couts, évidemment. Les pellicules 16mm et 35mm sont remplacées par une carte par camera utilisée et les essais de camera et de pellicules ne sont plus nécessaires. Par exemple, sur mon dernier film, avec une seule et même carte sur la camera SONY F55, j’ai fait 50 heures de rushes. En pellicules cela m’aurait fait 750 boites de film 35mm de 120 mètres, pour un cout d’environ 110 000 euros ! A cela il faut ajouter les travaux en laboratoires comme le développement des 750 boites et le tirage des plans choisis, le repiquage du son, les copies, le cout de leur transport, etc. Vous imaginez les économies ? C’est énorme ! 3. Comment expliquer que le Fespaco, plus grand festival de cinéma du continent, ait mis une décennie avant d’autoriser en compétition les films en numérique ? La compétition existait pour les séries TV… Mais le règlement n’autorisait que les films en 16mm et 35mm. Les films étaient faits en numérique et le kinescopage faisait le reste. De nulle part la demande n’était venue. Et puis cela a un cout que le FESPACO ne pouvait supporter. Il a fallu l’élimination de films attendus lors l’édition 2013 pour prendre conscience du problème. 4. La question du piratage est devenu centrale avec l’avènement du numérique et les facilités offertes par les nouvelles technologies. Y a-t-il un remède ? Est-ce du ressort des Etats ou bien de la profession ? Le piratage est puni par la loi. Autant il doit être le souci du producteur et du distributeur 66 autant il est du ressort de l’état, qui doit prendre les dispositions juridiques législatives et pénales pour minimiser ce fléau. Il appartient à la corporation bien organisée de veiller à ce que les lois édictées soient suffisamment claires, fortes et bien appliquées. 5. D’ailleurs, quel est le rôle des Etats dans la numérisation des industries cinématographiques sur le continent ? Le rôle des Etats c’est surtout la mise en place de législations qui facilitent : -le transfert des technologies -la création des industries culturelles -la création de fonds; national, régional autour des institutions économiques régionales, et panafricaines comme la formule l’Union Africaine dans sa décision 69/iii prise au sommet de Maputo en 2003, sur un dossier de la FEPACI et introduit par le President Kerekou qui vient de nous quitter. 6. Quelle est la politique de la Fépaci face à la numérisation du cinéma depuis plus d’une décennie ? La réponse vient naturellement du colloque tenue en février 2015 au FESPACO colloque FESPACO/ FEPACI « Depuis les années 2000 la technologie numérique a incontestablement bouleversé la pratique cinématographique et audiovisuelle en Afrique, au niveau de la production et de la réalisation, des outils vidéo (magnétiques et numériques), en réduisant les couts de production, en rendant accessible au plus grand nombre les outils de production et de postproduction. Comme l’atteste le nombre croissant de films inscrits aux différentes éditions du FESPACO : 750 films en 2013 contre 464 en 2011, pour respectivement 69 pays contre 49 pays représentés ». Il fallait donc traiter de la problématique du numérique et des enjeux pour le cinéma et l’audiovisuel du continent et de la diaspora. Des colloques ont ainsi été organisés aux différentes éditions du FESPACO : - 1999 : 16ème édition : cinéma et circuits de diffusion en Afrique - 2001 : 17ème édition : cinéma et nouvelles technologies 67 68