LE LIVRE ET LE TOUT-PETIT

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LE LIVRE ET LE TOUT-PETIT
LE LIVRE ET LE TOUT-PETIT :
OCCASION D’ÉCHANGES ET DE TRANSMISSION
L’importance de l’observation : véritable outil pour comprendre le tout-petit, être à l’affût de
ses découvertes et de son développement. Très formateur : on y apprend beaucoup sur la façon
dont il appréhende le monde, et donc sur la façon dont on pourra adapter nos propositions.
è Une occasion d’émerveillement.
Respecter le rythme de l’enfant et les rythmes différents selon les enfants :
certains sont disposés à écouter, d’autres non ; certains écoutent tout en utilisant leur corps, ou
leur voix, d’autres non ; certains écoutent en regardant le livre, ou en le tenant, d’autres non ;
certains écoutent à côté de l’adulte ou des autres enfants, d’autres non.
è Accompagner l’adulte par rapport au respect de ce temps-là. Si ce temps-là est respecté, la
lecture sera respectée, alors l’objet livre sera respecté.
Pourquoi lire un livre à un tout-petit ?
Qu’est-ce qu’un livre pour lui, et que lui apporte-t-il ?
Le livre est un objet comme un autre.
Ça se goûte (le bébé porte tout à la bouche). Ça se touche (il est dans le sensoriel). Ça se
manipule, ça se feuillette… Ça se regarde…Toutes ces étapes, qui sont celles du tout-petit
quand il découvre un objet, sont importantes pour se familiariser avec le livre et avoir envie
d’aller voir à l’intérieur. D’où l’intérêt de proposer une grande diversité de livres et pas
seulement des livres en tissu ou en plastique.
Quant au bébé qui porte encore à la bouche, l’adulte va l’accompagner, lui ouvrir le livre, lire
l’histoire ou montrer les images. Il l’aide ainsi à passer d’une oralité à une autre oralité, celle de
la voix ; la voix de l’adulte qui lit, et sa propre voix. Parce que l’adulte l’accompagne dans la
découverte de cet objet, l’enfant découvre que cet objet n’est pas un objet comme les autres.
Le livre est un objet de connaissance
Le tout-petit va acquérir du savoir, compléter ses connaissances, découvrir le monde.
- Avec les imagiers : il pointe du doigt une image ou se retourne vers l’adulte, avec le regard
qui demande « qu’est-ce que c’est ? », l’enfant répétera peut-être après nous, ou non, c’est lui
qui décide, à son rythme. Ou bien, il montre ce qu’il connaît déjà, et qu’il reconnaît !
- Avec les albums qui racontent une histoire, l’histoire des autres, les personnages du livre. Le
livre est une ouverture sur l’extérieur : comment est-ce ailleurs ? Qu’il y a-t-il en-dehors de
maman et moi, de papa, ma famille, mon entourage ? Par ailleurs, le livre est aussi un
formidable outil pour affronter la vie, le quotidien : comment faire dans telle situation ?
Lire des livres au tout-petit, c’est lui donner à découvrir du nouveau, le faire accéder à
l’inconnu, à l’ailleurs. Mais, découvrir du nouveau, c’est une prise de risque, ça peut être
inquiétant. C’est pour cela que les livres pour tout-petit sont souvent construits avec des
repères qui sécurisent, des répétitions, qu’il y ait à la fois du connu et de l’inconnu.
Le livre est un objet de connaissance des mots
- vocabulaire, syntaxe.
- À côté du langage du quotidien, le livre s’écrit bien souvent dans le langage du récit. Le
langage du quotidien est fait de phrases courtes, d’interdits, de consignes, il parle du concret.
Le langage du récit permet d’accéder à un autre niveau, à un 2nd degré, de prendre de la
distance par rapport à l’histoire, il permet de dire des choses parfois difficiles. C’est le
langage des émotions. Il utilise un vocabulaire recherché, parfois poétique (mais les mots
compliqués amusent l’enfant, ils l’invitent au rêve).
- Il ne s’agit pas d’apprentissage précoce, de sur-stimulation, mais plutôt de mettre en place les
préalables à ce que sera la lecture plus tard. Et on voit combien ces enfants s’approprient le
langage du récit quand, à partir de 3 ans, ils commencent à inventer des chansons, à se
raconter des histoires en utilisant ce langage du récit.
Le livre : pour la connaissance de soi
Tout comme nous, adultes, l’enfant fait des aller-retour entre le livre et lui, entre son monde et
le monde extérieur.
- Il s’identifie aux personnages : souvent il cherche maman dans les livres, et il la trouve dans
l’image d’un personnage féminin, ou d’un bébé qui évoquera l’image de sa mère. Il s’empare
alors du livre que nous lisons, tourne les pages pour la chercher, ou bien nous interrompt
pour parler de lui, de sa maman. A nous d’accepter cette interruption qui nous montre
justement combien l’enfant est intéressé par le livre !
- Parfois, il reprend à son compte des phrases du livre, qu’il replace dans un autre contexte ou
qu’il dirige vers un adulte ou un autre enfant.
- Il compare : il exerce donc son sens critique par rapport à lui-même : Chez moi, c’est comme
ça et c’est très bien ; chez moi c’est comme ça mais ça pourrait être autrement.
Là aussi, l’enfant peut interrompre la lecture de l’adulte pour faire des commentaires. À nous
d’accepter qu’il n’écoute pas en silence : il écoute en nous faisant savoir qu’il écoute !
La question que l’adulte se pose souvent, c’est «comment faire pour qu’il écoute? Il parle, donc
ça ne l’intéresse pas ; il se tait, donc ça ne l’intéresse pas ; il s’en va, donc il n’écoute pas!»
On peut changer la question : plutôt que Comment faire pour que ça l’intéresse ?, elle serait
Comment savoir que ça l’intéresse ? Quelle observation je fais qui me permet de savoir que ça
l’intéresse, qu’il écoute ? Il s’agit donc de repérer des indices, d’être soi-même à l’écoute.
Le livre : du rêve et de l’imaginaire.
- Rêver d’une autre vie, quitter sa propre réalité, basculer dans l’imaginaire. Les personnages
merveilleux des contes nous y invitent, mais pour le tout-petit, tous les personnages prennent
vie et il les emporte facilement avec lui (Bébés chouettes Et elle rentra, maman est rentrée!).
C’est dans le encore de l’enfant, et dans la relecture de ce livre que l’on voit qu’il est très
bien écrit, et combien l’enfant pourra élaborer, construire : la succession des évènements, le
temps qui passe, la durée très longue de l’attente, l’excitation des retrouvailles.
- Or, pour ce tout-petit, qu’est-ce qu’élaborer, construire ? C’est encore quelque chose en
devenir, qui se construit jour après jour : sa propre créativité, sa capacité à créer ce qui n’est
pas là. Le livre permet cela, il fait exister ici et maintenant ce qui n’est pas là (maman, papa).
- Le livre favorise donc chez l’enfant l’accès à la représentation, à l’abstraction, au
symbolique, à l’articulation signifiant/signifié. Et dans cet exercice, les enfants nous
dépassent parfois. Dans un livre, là où nous disons voiture, le tout-petit dit papa. Une voiture
n’est pas seulement une voiture, mais elle fait apparaître l’univers de l’enfant.
Dans la permanence de l’objet :
Dans ces pages que l’on tourne, il y a toujours LA page, celle que l’enfant repère, préfère, et
qu’il va rechercher. Cette page est là, et y sera toujours ! Ça sécurise car ça donne des repères.
L’enfant tourne, retourne le livre pour retrouver la page, revient en arrière, ça introduit le jeu
(fermer, ouvrir, jouer à caché-coucou avec cette page). Du coup, il peut lire seul, c’est-à-dire
anticiper ce qui va arriver. L’enfant a besoin de ce jeu pour se construire, pour comprendre que
lorsqu’un objet a disparu, il est quelque part, il existe ailleurs même s’il ne le voit pas.
Le livre, c’est aussi du beau
- Une variété d’images, couleurs, formes. Une proposition d’artiste.
- De la poésie : l’enfant rencontre les mots dans un contexte poétique, mots choisis parce que
beaux ou pour leur mise en bouche. A cet âge, on est proche de l’oralité : leur bouche, mais
aussi celle de l’adulte qui lit et qui donne à goûter la saveur des mots.
- De la musique, la musicalité du récit : rythme, déroulement... Grâce à cette construction du
récit, l’enfant peut prendre notre place, devenir lecteur et dire le texte à sa manière, avec la
voix ou le corps. Grâce à la répétition, il anticipe et devance l’adulte. A condition là-aussi de
lire ce qui est écrit, de respecter le texte et la structure du récit !
- L’écoute de la voix de l’adulte qui raconte, est une écoute musicale avant tout : la musique
du récit, la mélodie de la voix. Quand le tout-petit rencontre le livre, il y a un adulte, il y a la
voix de l’adulte.
Un moment de partage et d’échange
La présence de l’adulte est essentielle pour le tout-petit dans cette découverte du livre. Ce qui
l’intéresse d’abord dans la proposition avec le livre, c’est l’adulte qui est avec lui, à côté de
lui, et qui lit avec lui ou pour lui. Ce qui l’intéresse d’abord, c’est la présence de l’adulte.
Le livre est un objet médiateur qui relie l’adulte et le tout-petit.
- On partage du temps : un moment ensemble, où l’adulte est disponible. Celui-ci est enfin
assis, il tient un objet entre les mains et le partage avec lui. A la fin de la lecture, l’enfant
dira encore : encore l’adulte, qui reste là tout à côté, rien que pour moi.
- On partage des émotions : on rit ou on se fâche ensemble, on fait semblant d’avoir peur
ou d’être triste ensemble. On est émus, touchés ensemble. Ce sont souvent des moments
forts en charge affective, l’enfant prend son pouce, ou se blottit contre l’adulte, ou
s’éloigne de cette histoire…pour revenir petit à petit et demander « encore ». Encore la
même histoire, encore revivre ces émotions, mais à force d’encore l’enfant a pris des
repères, il sait où il va, il peut anticiper sur la suite de l’histoire, il peut jouer avec ses
peurs et faire semblant d’avoir peur et non plus subir. Encore, et alors l’histoire devient
plus courte, l’attente est moins longue.
- On partage du plaisir : échanger des rires ou des regards de connivence, s’amuser à dire
des mots amusants. C’est du jeu : on joue ensemble, comme des acteurs qui jouent une
scène du livre, on fait semblant. Si l’adulte joue, l’enfant joue aussi. Celui-ci demande
encore. Encore et il saute des pages pour retrouver LA page sur laquelle l’adulte et lui
ont joué, sur laquelle l’adulte a chanté ou fait une proposition qui fait que cette page est
investie autrement. Apporter une chanson dans un livre, c’est donner à l’enfant une clé
pour y entrer, il attrape la mélodie, le rythme ou le geste ; c’est ce qui lui permet de lire
tout seul. Quand l’adulte chante, il se passe quelque de fort entre l’enfant, le livre et
l’adulte. Les autres enfants souvent se déplacent, pour venir voir ou écouter ou pointer du
doigt à leur tour l’image du livre qui a causé l’événement.
- Le plaisir partagé, c’est aussi autour d’un beau livre, du côté du sensoriel, du plaisir des
yeux. On partage du ressenti, une émotion esthétique.
- La lecture est un support d’échanges entre enfant et adulte : le bébé gazouille en réponse
à la voix de l’adulte qui lit, l’enfant plus grand posera peut-être des questions, enfant et
adulte feront des commentaires, sur l’histoire ou sur ce qu’ils ressentent. C’est un
moment intime où des choses se transmettent, l’adulte reçoit la parole de l’enfant, mais il
peut lui aussi s’identifier aux personnages et dire des choses le concernant.
Dans la relation parent-enfant notamment, on voit bien :
- Comment l’intérêt de l’enfant rejaillit sur le parent : c’est le bonheur de lire ensemble, de
lire avec son parent, de l’avoir pour lui.
- Et ça permet aussi aux parents de poser un regard émerveillé sur son enfant et ses
compétences. Là aussi, les assistantes maternelles ont un rôle à jouer auprès des parents,
(lors des transmissions du soir : pouvoir donner aux parents des éléments de ce qu’elles
ont observé lors d’un accueil autour du livre, ou dans un moment de lecture chez elles).
En conclusion
Auprès du tout-petit, nous ne sommes pas dans une pédagogie de l’apprentissage, dans
l’acquisition de savoirs comme à l’école. Avec cette proposition autour du livre, il n’y a pas
à comprendre ou à apprendre.
La place de l’adulte sera plutôt d’être un accompagnateur bienveillant des découvertes de
l’enfant.
- Lire à un enfant c’est être 2. Même quand on est avec un groupe, c’est à chacun qu’on lit.
- C’est être 2 dans une lecture ajustée au rythme de l’enfant.
- C’est interactif, la parole n’est pas réservée à l’adulte.
On a parlé d’observation et d’émerveillement. C’est grâce à cette observation que l’adulte
peut regarder l’enfant autrement, découvrir ce qui l’intéresse, se rendre compte de ce qu’il
prend dans le livre. On a dit combien cette place était très formatrice. C’est un outil
intéressant à transmettre aux assistantes maternelles : il s’agit d’une posture, d’une attitude,
il s’agit de prendre son temps aussi. Il s’agit d’écouter, de ne pas avoir peur du silence, de ne
pas être en attente d’un résultat « Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que tu as vu, qu’est-ce que
tu as compris ? »
C’est parce qu’on n’a pas d’attente que l’enfant se sent libre de nous donner un peu de lui
(ou pas !). C’est souvent parce qu’on n’attend rien de précis que l’enfant dit des choses de ce
qu’il sait, ce qu’il ressent. Il va prendre sa place de lecteur. Et c’est tant mieux, puisque c’est
bien la question qu’on se posait : « comment faire pour l’intéresser ? »

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