1 DE LA LOTION CAPILLAIRE AUX MÉDICAMENTS ET AU

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1 DE LA LOTION CAPILLAIRE AUX MÉDICAMENTS ET AU
Me Judith M. Robinson
Norton Rose OR LLP
DE LA LOTION CAPILLAIRE AUX MÉDICAMENTS ET AU-DELÀ : UNE VISION DES COURS
FÉDÉRALES ET DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 1
À l’occasion du 40e anniversaire de la Loi sur les Cours fédérales, l’auteur ne vise pas ici à dresser une
liste exhaustive de la jurisprudence des tribunaux en matière de propriété intellectuelle. D’autres, plus
audacieux et plus brillants, se sont attachés à cette tâche de diverses manières2. Les membres des
tribunaux réunis pour le présent événement ont déjà parcouru ce chemin pendant leur élévation aux
Cours fédérales, et pour certains, même avant.
Le présent exposé vise plutôt à donner une idée de la remarquable diversité des thèmes relatifs à la
propriété intellectuelle qui relèvent de la compétence des Cours fédérales, de certains défis qu’ils posent
aux tribunaux et aux citoyens ainsi que des orientations possibles pour les années à venir.
De plus, le départ à la retraite cette année du juge en chef Lutfy de la Cour fédérale offre l’occasion de
réfléchir à la compétence des tribunaux à partir des affaires tranchées par lui depuis son arrivée à la Cour
en 1996. Il a en outre joué un rôle majeur dans l’amélioration de la gestion des instances relatives à la
propriété intellectuelle devant la Cour.
Rappelons que le domaine de la propriété intellectuelle englobe traditionnellement les brevets, les
marques de commerce, le droit d’auteur et les dessins industriels qui sont visés par le cadre législatif
établi par le gouvernement fédéral3. La portée de ce cadre continue d’évoluer et de se développer au fur
et à mesure que la technologie et la créativité des propriétaires et des usagers vont de l’avant. La
législation évolue également pour intégrer de nouveaux sujets relevant des Cours fédérales, souvent par
l’effet d’obligations créées par des traités internationaux. Citons par exemple l’intégration de dispositions
plus complètes sur la protection des données dans le Règlement sur les aliments et les drogues, lequel a
donné lieu à un nouveau courant jurisprudentiel qui a commencé à être entendu par la Cour au cours de
la dernière année4.
1
Judith Robinson, partner with Norton Rose LLP in the Montréal office: [email protected]. Remarks on the occasion
th
of the 40 anniversary of the Federal Court Act, Federal Courts Seminar. The author wishes to thank her colleagues Claude Brunet,
for his expertise in copyright, and also Alexandra Daoud, Marie-Hélène Rochon, Xavier Beauchamp-Tremblay and Sébastien
Gardère for their clairvoyant input on future directions for the Courts
2
For example: B.J. Saunders, Donald J. Rennie and Graham Garton, Q.C., Federal Courts Practice 2011 (Toronto: Carswell) at
1-34; F. Grenier: La juridiction exclusive de la Cour fédérale et la jurisdiction concurrente de la Cour supérieure, Barreau du
Québec, Développements récents en propriété intellectuelle 1991 at 91; R.T. Hughes, ”The Future of Intellectual Property Litigation
in Canada” in Meredith Lectures 1996: Making Business Sense of Intellectual Property (Montréal, Faculty of Law, McGill University,
1996) 565 at 567
3
Patent Act, R.C.S. 1985, c. P-4; Copyright Act, R.S.C. 1985, c. C-42; Trade-marks Act, R.S.C. 1985, c. T-13; Industrial Design Act,
R.S.C. 1985, c. I-9 and Integrated Circuit Topography Act, S.C. 1990, c. 37
4
Apotex v. Canada (Health), 2010 FCA 334; Epicept Corporation v. Canada (Health), 2010 FC 956; Teva Canada Limited v. Canada
(Health), 2011 FC 507
1
La compétence en cette matière est conférée par l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales5 :
Industrial
property,
exclusive
jurisdiction
Industrial
property,
concurrent
jurisdiction
20. (1) The Federal Court has
exclusive original jurisdiction, between
subject and subject as well as
otherwise,
20. (1) La Cour fédérale a
compétence exclusive, en première
instance, dans les cas suivants
opposant notamment des
administrés :
(a) in all cases of conflicting
applications for any patent of
invention, or for the registration of any
copyright, trademark, industrial design
or topography within the meaning of
the Integrated Circuit Topography Act;
and
a) conflit des demandes de brevet
d’invention ou d’enregistrement d’un
droit d’auteur, d’une marque de
commerce, d’un dessin industriel ou
d’une topographie au sens de la Loi
sur les topographies de circuits
intégrés;
(b) in all cases in which it is sought to
impeach or annul any patent of
invention or to have any entry in any
register of copyrights, trademarks,
industrial designs or topographies
referred to in paragraph (a) made,
expunged, varied or rectified.
b) tentative d’invalidation ou
d’annulation d’un brevet d’invention,
ou d’inscription, de radiation ou de
modification dans un registre de droits
d’auteur, de marques de commerce,
de dessins industriels ou de
topographies visées à l’alinéa a).
(2) The Federal Court has concurrent
jurisdiction in all cases, other than
those mentioned in subsection (1), in
which a remedy is sought under the
authority of an Act of Parliament or at
law or in equity respecting any patent
of invention, copyright, trademark,
industrial design or topography
referred to in paragraph (1)(a).
(2) Elle a compétence concurrente
dans tous les autres cas de recours
sous le régime d’une loi fédérale ou
de toute autre règle de droit non visés
par le paragraphe (1) relativement à
un brevet d’invention, un droit
d’auteur, une marque de commerce,
un dessin industriel ou une
topographie au sens de la Loi sur les
topographies de circuits intégrés.
Propriété
industrielle :
compétence
exclusive
Propriété
industrielle :
compétence
concurrente
Les lois sur la propriété intellectuelle auxquelles nous avons fait allusion plus haut, ainsi que leurs
dispositions expresses, constituent les sources de « droit fédéral » qui, mises en conjonction avec
l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, établissent la compétence des Cours fédérales. Évidemment,
la législation relative à la propriété intellectuelle doit elle-même respecter les pouvoirs constitutionnels du
Parlement, une question qui a donné lieu à une jurisprudence fascinante au fil des ans. Nous y
reviendrons.
Conformément au paragraphe 20(1), la Cour fédérale a compétence exclusive en ce qui concerne la
conservation des registres relatifs à la propriété intellectuelle à l’Office de la propriété intellectuelle du
Canada (OPIC). De manière générale, seule la Cour fédérale peut rendre une ordonnance pour radier
5
Federal Courts Act, R.S.C. 1985, c. F-7, s. 20
2
l’enregistrement d’un brevet, d’un droit d’auteur, d’une marque de commerce, d’un dessin industriel d’ou
une topographie ou pour modifier ou rectifier l’un d’entre eux.
La Cour fédérale et les cours supérieures des provinces détiennent une compétence commune en
matière de recours relatifs aux lois visant la propriété intellectuelle, notamment en ce qui concerne le
redressement de violations6. La Cour fédérale a instruit la plus grande part de ces affaires, liées en partie
à l’effet national de toute ordonnance rendue et de l’expertise correspondante de la Cour sur les
questions relatives à la propriété intellectuelle.
Il importe à une partie qui envisage de recourir aux Cours fédérales de se rappeler que celles-ci ne sont
pas compétentes d’office du simple fait que la propriété intellectuelle est en jeu. Il doit y avoir une
attribution législative claire. Ainsi, une action en responsabilité délictuelle ou une affaire portant sur un
contrat accessoire à une marque de commerce ou à un brevet donnera lieu à un débat portant sur la
question de savoir si la question est fondée principalement sur une attribution législative claire de la
compétence en matière de droit de propriété intellectuelle par le Parlement. À titre d’exemple, citons un
jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon de l’enregistrement d’un dessin industriel qui a été
déclaré hors de la compétence de la Cour : aucune des dispositions de la Loi sur les dessins industriels
n’établissait de cause d’action pour absence de contrefaçon7.
La Cour de l’Échiquier – bref retour sur le passé
En exerçant leur compétence en matière de propriété intellectuelle, les Cours fédérales perpétuent – tout
en la développant – la riche tradition juridique de leur prédécesseur, la Cour de l’Échiquier. Certaines des
premières affaires relatives à la propriété intellectuelle instruites par la Cour de l’Échiquier après sa
création en 1875 portaient sur la contestation de brevets accordés à Alexander Graham Bell ou à Thomas
Edison8. Il semble qu’en matière de contentieux, les brevets de téléphone aient été dans les années 1880
l’équivalent du domaine pharmaceutique aujourd’hui. Dès son origine, la Cour de l’Échiquier a également
instruit des affaires portant sur les marques de commerce, y compris les procédures en radiation contre
les grandes marques de commerce de l’époque comme Bush’s Fluid Food Bovinine, laquelle était utilisée
comme marque de commerce pour un [traduction] « aliment médicinal pour tous les cas de débilité,
particulièrement adapté aux patients atteints de phtisie et de dyspepsie »9.
6
F. Grenier: La juridiction exclusive de la Cour fédérale et la jurisdiction concurrente de la Cour supérieure, Barreau du Québec,
Développements récents en propriété intellectuelle 1991 at 91
7
th
Peak Innovation Inc. v. Meadowland Flowers Ltd. (2009), 75 C.P.R. (4 ) 359, 2009 FC 661
8
Wright v. Bell Telephone Co. of Canada (1887), 2 Ex. C.R. 552; Toronto Telephone Manufacturing Cp v Bell Telephone Co of
Canada (1885), 2 Ex. C.R. 495; Toronto Telephone Manufacturing Co. v. Bell Telephone Co of Canada (1885), 2 Ex. C.R. 524
9
JP Bush Manufacturing Co. v. Hanson (1888), 2 Ex. C.R. 557
3
Les Cours fédérales – premières affaires relatives à la propriété intellectuelle
La Cour fédérale instruit des affaires portant sur la propriété intellectuelle dès sa création en 1971. Par
coïncidence, l’une des premières affaires tranchées par elle en 1971 portait également sur le thème bovin
comme pour l’affaire précédente traitée par la Cour de l’Échiquier, mais cette fois-ci pour une question de
brevets. Le juge en chef adjoint Noël a rendu une décision sur une contestation d’invalidité relative à un
brevet portant sur un processus de production de lait en poudre instantané, rendant ainsi l’un des
premiers jugements de la Cour dans le domaine litigieux des brevets en chimie10. Au cours de la même
année, le juge Cattanach a instruit une demande d’injonction relative au droit d’auteur pour les œuvres de
la comédie musicale Jesus Christ Superstar11.
À la Cour d’appel, en 1971, le juge en chef Jackett a présidé un appel portant sur la redevance à payer
(4 %) conformément au régime de licences obligatoires alors expressément prévu par la Loi sur les
brevets pour les produits chimiques. Voilà un exemple d’un domaine où le Parlement a expressément
attribué à la Cour fédérale une compétence relative à ce qui constitue, essentiellement, une licence
conventionnelle entre deux parties (imposée par le commissaire)12.
Dès leur origine, les Cours fédérales ont instruit un nombre impressionnant d’affaires portant sur la
propriété intellectuelle qui attestent de la portée de la compétence conférée par la loi.
Dans le présent exposé, nous nous baserons sur les jugements rendus par le juge en chef Lutfy depuis
son arrivée à la Cour fédérale en 1996 à titre de pistes pour explorer certaines de ces questions.
Les Cours fédérales – échantillon des affaires relatives à la propriété intellectuelle traitées par le
juge en chef Lutfy
Marques de commerce
Le juge en chef Lutfy s’est particulièrement occupé des litiges relatifs aux marques de commerce. Ainsi, il
a rendu des décisions pour un large éventail de questions portant sur la bière, les toniques capillaires, le
rhum, les logiciels, James Bond (007), les jeans, les cours de conduite automobile et même le Skydome
de Toronto.
Parmi ces litiges, on compte plusieurs appels des décisions du Registraire des marques de commerce (le
« Registraire ») sur des demandes de radiation de marques de commerce « périmées » conformément à
l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. C’est de l’article 56 de la Loi sur les marques de
10
11
12
Dairy Foods Inc. v. Co-operative Agricole de Granby (1971), 4 C.P.R. (2d) 38
MCA Canada Ltd. v. Benwell (1971), 1 C.P.R. (2d) 173
Norwich Pharmacal Co. v. PVU Inc. et al. (1971), 2 C.P.R. (2d) 7
4
commerce que la Cour fédérale tire sa compétence d’appel pour les décisions du Registraire rendues
conformément à l’article 45.
Il est également possible d’interjeter appel d’une décision de la Commission des oppositions des marques
de commerce à la Cour fédérale en s’appuyant sur l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Le
juge en chef a instruit plusieurs de ces appels, notamment une décision de 1997 pour laquelle il a accueilli
l’appel des propriétaires des enregistrements de marque de commerce 007, GUN Design et d’autres
marques associées à James Bond13.
Le juge en chef a également établi un certain nombre de règles pour radier les enregistrements de
marques de commerce conformément à la compétence exclusive accordée à la Cour fédérale par
l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce. En ce qui concerne la distinction entre ces deux types
de procédures en radiation, le juge en chef a souligné que le but de la procédure de l’article 45 était de
« débarrasser le registre du “bois mort” » alors que la procédure de l’article 57 de la Loi sur les marques
de commerce visait d’abord la résolution de conflits d’intérêts commerciaux14.
Dans l’affaire Jean Patou inc. c. Luxo Laboratories Ltd.15, le juge en chef devait répondre à la question de
savoir si la Cour fédérale pouvait modifier la déclaration des marchandises de l’enregistrement de la
marque de commerce en cause. Il était demandé à la Cour de limiter les marchandises associées à la
marque au « marché des salons de coiffure » et de supprimer les autres marchandises. Le juge en chef
estima que la Cour disposait de la compétence nécessaire pour apporter la modification conformément à
l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce; cependant, il n’était pas convaincu que les
circonstances de l’affaire justifiaient la modification.
Conformément à la compétence attribuée à la Cour fédérale par l’article 55 de la Loi sur les marques de
commerce et l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, le juge en chef a été saisi d’une demande
d’injonction interlocutoire fondée sur des allégations de violation de marque de commerce (et de droit
d’auteur)16 concernant des vêtements et des accessoires de motocyclette et de motoneige. La demande a
été rejetée.
Par ailleurs, bien qu’elles n’aient pas été rendues par le juge en chef, trois décisions relatives aux
marques de commerce doivent être relevées dans toute étude portant sur la compétence en matière de
propriété intellectuelle.
13
Danjaq Inc. v. Zervas (1997), 75 C.P.R. (3d) 295
Quarry Corp. v. Bacardi & Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 25 at para. 7
15
(1998), 158 F.T.R. 16
16
Specialty Sport Ltd. v. Kimpex International Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 538
14
5
La première de ces décisions est celle de l’affaire MacDonald17, où la Cour suprême du Canada a déclaré
que l’alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce était ultra vires du Parlement. L’alinéa 7e)
dispose que nul ne peut « faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux
honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada ». Représentant le défendeur
MacDonald, mes associés Malcolm McLeod et J. Nelson Landry n’ont pu empêcher l’octroi d’une
injonction interlocutoire par la Cour fédérale conformément à l’alinéa 7e), injonction confirmée par la Cour
d’appel fédérale. Cependant, la Cour suprême du Canada a accueilli l’appel, soutenant que l’alinéa 7e) ne
peut être considéré comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement
dans l’exercice de sa compétence législative en matière de propriété intellectuelle. Ainsi, il n’y avait plus
de loi fédérale valide pour appuyer l’attribution de compétence à la Cour fédérale relativement à ces lois.
Deux autres décisions ont confirmé la validité constitutionnelle de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de
commerce, alinéa qui régit le délit d’imitation frauduleuse18 de la common law. Dans l’affaire Asbjorn
Horgard A/S19, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’alinéa 7b) avait un lien rationnel et fonctionnel avec le
système visant les marques de commerce du Parlement. Dans l’affaire Kirkbi AB20, la question a été
soulevée dans le contexte d’une marque de commerce non enregistrée. La Cour suprême du Canada a
conclu que l’alinéa 7b) complétait le système fédéral visant les marques de commerce et relevait de la
compétence du gouvernement fédéral. Par conséquent, la compétence des Cours fédérales demeure
appuyée par une loi fédérale valide en ce qui concerne les recours en imitation frauduleuse pour les
marques de commerce non déposées.
Brevets
Personne, en 1971, n’aurait pu prédire que la majeure partie de la jurisprudence en matière de brevets
générée par les Cours fédérales tiendrait à une procédure sommaire greffée à des règles régissant les
demandes de contrôle judiciaire. L’introduction de l’article 55.2 dans la Loi sur les brevets et du
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)21 (« RMBADC ») en 1993 a en effet donné
à une avalanche de causes en matière de brevets. Il s’agit d’un exemple frappant de l’évolution de la
compétence des Cours fédérales à la suite d’une modification législative. Rares sont les affaires portant
sur un brevet qui donnent lieu à un procès complet, et par conséquent, le droit en matière de brevets est
en majeure partie fixé dans le contexte de ce régime législatif plutôt particulier où seul un fabricant
générique débouté peut interjeter appel.
17
MacDonald v. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 S.C.R. 134
Section 7(b) provides that no person shall direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be
likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or
business and the wares, services or business of another
19
Ashborn Horgrad A/S v. Gibbs / Nortac Industries (1987), 4 C.P.R. (3d) 314
20
Kirkbi AB v. Ritvik Holdings Inc., [2005] 3 S.C.R. 302
21
SOR/93-133
18
6
Le juge en chef a tranché une telle demande d’ordonnance d’interdiction en 1997 relativement au
médicament à base de chlorhydrate de térazosine22. On n’en était encore qu’aux premières décisions
concernant le RMBADC puisque les années suivant 1993 avaient surtout été occupées par des querelles
sur les paramètres de ces procédures.
Le RMBADC a d’abord été attaqué comme ultra vires du Parlement, mais sans succès23. La compétence
de la Cour fédérale en matière de recours déposés en vertu de l’article 8 du RMBADC et la validité
constitutionnelle de celui-ci ont également été étudiées et confirmées24. En vertu du paragraphe 20(2) de
la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale est compétente dans les affaires touchant les articles 6 et
8 du RMBADC.
Une deuxième décision du juge en chef Lutfy en 1997 illustre la tension entre la compétence de la cour en
matière de brevets et l’absence de compétence sur les questions contractuelles. Dans l’affaire
Aktiebolaget Hassle25, le titulaire de brevet a présenté une demande de jugement sommaire pour déclarer
la résiliation d’une entente de licence obligatoire d’un médicament breveté. La demande a été rejetée. La
question de la compétence de la Cour fédérale pour résilier une licence obligatoire imposée par la Loi sur
les brevets a été soulevée, mais non tranchée.
Droit d’auteur et dessins industriels
Les affaires relatives au droit d’auteur dont sont saisies les Cours fédérales sont principalement traitées
par la Cour d’appel fédérale, à qui l’alinéa 28(1)j) de la Loi sur les Cours fédérales donne compétence
pour réviser les décisions de la Commission du droit d’auteur. Autre exemple illustrant les répercussions
des modifications législatives, les modifications apportées en 1997 à la Loi sur le droit d’auteur ont ouvert
la voie à la gestion collective du droit d’auteur en permettant aux groupes de se soustraire aux
dispositions imposant des sanctions de la Loi sur la concurrence s’ils acceptent de se plier aux décisions
de la Commission du droit d’auteur. Nombre de nouveaux groupes ont procédé par dépôt de projets de
tarifs auprès de la Commission.
Par conséquent, la Commission du droit d’auteur a dû traiter de nouvelles questions importantes qui
n’avaient pas fait l’objet d’un examen judiciaire au Canada. Ces affaires ont également soulevé de
difficiles questions sur la territorialité et l’influence de celle-ci sur la compétence de la Commission du droit
d’auteur. À titre d’exemple, citons la question à savoir s’il y a « reproduction » lorsqu’une œuvre est
produite au Canada, mais automatiquement copiée aux États-Unis (tarif de la radio par satellite). La Cour
22
Abbott Laboratories Ltd. v. Nu-Pharm Inc. (1997), 74 C.P.R. (3d) 498
th
Apotex Inc. v. Canada (Attorney General) (2000), 6 C.P.R. (4 ) 165 (F.C.A.), leave to appeal to the S.C.C. denied (28059)
24
Apotex Inc. v. Merck & Co. et al., 2008 FC 1185; aff’d 2009 FCA 187
25
Aktiebolaget Hassle v. Novopharm Limited (1997), 72 C.P.R. (3d) 925, also citing a number of decisions
23
7
d’appel fédérale a été confrontée à ces questions lors de l’examen des décisions de la Commission du
droit d’auteur.
Les 6 et 7 décembre 2011, la Cour suprême du Canada instruira cinq appels de décisions rendues par la
Cour fédérale d’appel en matière de droit d’auteur26. Certains de ces appels soulèvent de difficiles
questions relatives à la notion d’« utilisation équitable » aux termes de la Loi sur le droit d’auteur.
Nous n’avons pu trouver qu’une décision publiée du juge en chef en matière de droit d’auteur, celle qui
portait sur la demande d’injonction interlocutoire pour la violation de droit d’auteur et de marque de
commerce citée ci-dessus27. Cependant, il semble qu’il ait participé comme avocat à une affaire d’une
certaine importance relative au droit d’auteur avant de siéger à la Cour. Il s’est opposé avec succès à une
demande d’injonction interlocutoire présentée à la Cour fédérale qui était fondée sur les allégations de
violation du droit d’auteur pour la reproduction de parties du mémorable débat des chefs de 1984 entre
MM. Turner et Mulroney.
Peu d’affaires relatives aux dessins industriels sont parvenues aux Cours fédérales28, et apparemment
aucune au juge en chef, malgré l’attribution d’une compétence exclusive à la Cour fédérale par l’article 22
de la Loi sur les dessins industriels pour inscrire, radier ou modifier toute inscription du registre des
dessins industriels. Une affaire de ce type a été instruite en 2005 : la juge Tremblay-Lamer a examiné la
décision du commissaire aux brevets qui avait refusé d’enregistrer un dessin industriel29. Même si elle a
été introduite par une déclaration, la question était essentiellement un appel de la décision du
commissaire. La procédure a été accueillie et le dessin enregistré.
La Cour fédérale jouit d’une compétence concurrente en matière d’actions de contrefaçon ainsi que de
toute question relative à la propriété d’un dessin ou aux droits liés à un dessin. Il est toutefois quand
même nécessaire que la compétence de la Cour soit expressément attribuée par une loi fédérale. La Loi
sur les dessins industriels ne prévoit pas de cause d’action pour une déclaration d’absence de
contrefaçon, et la compétence ne peut être établie sur le seul paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours
fédérales30.
26
Re: Sound v. Motion Picture Theatre Association of Canada, 2011 FCA 70, leave to appeal to S.C.C. granted (34210) – Hearing
date: December 7, 2011; Alberta (Education) v. Access Copyright, 2010 FCA 198, leave to appeal to S.C.C. (33888) – Hearing date:
December 7, 2011; Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada v. Bell Canada, 2010 FCA 123, leave to appeal
to S.C.C. granted (33800) – Hearing date: December 6, 2011; Entertainment Software Association and the Entertainment Software
Association of Canada v. CMRRA/SODRAC Inc., 2010 FCA 221, leave to appeal to S.C.C. (33921) – Hearing date: December 6,
2011; Shaw Cablesystems G.P. v. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada, 2010 FCA 220, leave to appeal
to S.C.C. granted (33922) – Hearing date : December 6, 2011; Cogeco Cable Inc. v. Bell Canada, 2011 FCA 64, leave to appeal to
S.C.C. granted (34231)
27
Specialty Sport Ltd. v. Kimpex International Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 538
28
A. Steele, Les dessins industriels au Canada: y a-t-il des développements `”récents”?, Barreau du Québec, Développements
récents en droit de la propriété intellectuelle 2004 (Cowansville: Yvon Blais, 2004) at 202
29
Rothbury International Inc. v. Minister of Industry et al., 2004 FC 578
30
Peak Innovation Inc. v. Meadowland Flowers Ltd., 2009 FC 661
8
Initiatives des Cours fédérales en matière de propriété intellectuelle
Sous la direction du juge en chef Lutfy, la Cour a entrepris un certain nombre d’initiatives pour accélérer
et simplifier le traitement des affaires relatives à la propriété intellectuelle. Le Comité des spécialistes de
la PI sert de cadre à des discussions fructueuses sur les questions de procédure entre les membres de la
Cour et les représentants du Barreau en droit de la propriété intellectuelle, comme le sont habituellement
les rencontres de discussion ouverte.
En outre, la Cour est prête à travailler avec les parties pour planifier des dates de procès rapprochées
dans un délai de deux ou trois ans et à assurer un suivi des affaires par une gestion d’instances serrée.
De nouvelles Règles qui autorisent un procès sommaire ont été adoptées31, et le premier procès
sommaire sur la propriété intellectuelle s’est déroulé au début d’octobre 2011.
Le message a été clairement communiqué : les Cours fédérales sont au service de la communauté de la
propriété intellectuelle.
Ce que dit la boule de cristal
Comme l’écrit le juge LeBel :
Le domaine vaste et grandissant du droit de la propriété intellectuelle
traverse une période de changements profonds et rapides. Les pressions
de la mondialisation et de l’évolution technologique mettent à l’épreuve
ses institutions, ses classifications, et parfois, des principes ou doctrines
établis [citations omises]. La jurisprudence tente, à l’occasion avec
difficulté, de tenir compte des conséquences de ces grandes tendances
sociales et économiques. L’état du droit des brevets témoigne bien des
pressions exercées sur le processus d’évolution jurisprudentielle dans un
monde où le droit d’origine législative a lui-même du mal à suivre le
rythme des laboratoires et des marchés [citations omises]. La valeur
économique des droits de propriété intellectuelle stimule l’imagination et
l’esprit procédurier des titulaires de ces droits dans leur quête d’une
protection permanente de ce qu’ils considèrent comme leur propriété
légitime. Cette quête comporte le risque d’abandonner des distinctions
fondamentales nécessaires entre diverses formes de propriété
intellectuelle et leurs fonctions juridiques et économiques32.
Qu’est-ce que cela signifie pour les Cours fédérales?
Dans le domaine du droit des brevets, les tribunaux devront répondre à ces nouvelles questions
complexes liées au progrès technologique. La recherche en sciences de la vie explore de manière plus
approfondie le nouveau territoire de la médecine personnalisée, un modèle qui cherche à adapter la
médication ainsi que la prévention et le traitement des maladies aux caractéristiques de chaque patient.
31
32
Federal Courts Rules, Rule 213
Kirkbi AG v. Ritvik Holdings Inc., [2005] 3 S.C.R. 302, 2005 SCC 65 at para. 37
9
Un des éléments fondamentaux de la recherche actuelle dans ce domaine consiste à essayer de trouver
des méthodes diagnostiques pour prévoir si une personne est prédisposée à une maladie ou réagira à un
traitement en particulier. À titre d’exemple, citons l’identification de certains marqueurs biologiques chez
les patientes atteintes du cancer du sein comme indicateur du succès ou de l’échec d’un traitement
médicamenteux précis. Les Cours fédérales seront confrontées à ces questions qui portent sur
l’existence, la portée et l’application de la propriété intellectuelle relatives à la médecine personnalisée.
Les médicaments sont de plus en plus complexes au fur et à mesure que des produits biologiques sont
découverts et exploités. Il s’agit de préparations pharmaceutiques complexes réalisées à partir de
molécules produites par un organisme « vivant » (cellules, végétaux). Ces molécules peuvent être
extraites de l’organisme vivant puis purifiées avant d’être administrées. Les Cours fédérales verront un
certain nombre d’affaires portant sur ces médicaments dans les années à venir.
Aux États-Unis, le nombre de litiges a explosé en ce qui concerne la technologie brevetée pour
les « téléphones intelligents ». Il y a un contentieux monumental lié aux brevets entre notamment Apple,
Microsoft, Motorola, RIM, Oracle et Google. La récente acquisition de Motorola Mobility par Google était
d’ailleurs motivée par l’imposant portefeuille de brevets de Motorola33. Le portefeuille de brevets de Nortel
constituait le plus important de ses éléments d’actif vendus dans le cadre des mesures liées à son
insolvabilité, à cause de cette technologie34. Il ne serait pas surprenant que les brevets canadiens
correspondant à ceux qui sont déjà déposés aux États-Unis et y font l’objet de litiges soient toujours sous
examen de l’OPIC puisqu’il y a facilement un écart de cinq ou six ans entre le dépôt d’un brevet américain
et celui de son équivalent canadien. Une vague similaire de litiges pourrait par conséquent atteindre sous
peu les Cours fédérales. À cet égard, la décision qui sera rendue dans l’affaire Amazon (actuellement en
délibéré à la Cour d’appel fédérale)35 pourrait avoir des répercussions, car de nombreuses demandes de
brevet dans ce domaine concernent les logiciels, le matériel électronique et les pratiques commerciales.
Dans le domaine des marques de commerce, la technologie continuera d’élargir la palette des biens et de
services pouvant être associés à une marque. Comme le souligne le juge LeBel, cette situation créera
des pressions pour le cadre législatif. À titre d’exemple, la Cour fédérale s’est récemment penchée sur la
définition de l’utilisation d’une marque de commerce relativement à des services décrits comme
l’« exploitation de magasins de détail spécialisés dans la vente de matériel et de vêtements de sport »36.
Les magasins n’étaient pas au Canada, mais ils fournissaient « une quantité appréciable de
renseignements et de conseils sur une vaste gamme de produits » dans un site Web. Cependant, les
Canadiens ne pouvaient pas acheter des produits à partir du site Web. Les marques ont été radiées par le
33
http://www.theglobeandmail.com/globe-investor/googles-motorola-deal-by-and-large-a-defensive-play-in-patentwars/article2129737/
34
http://www.theglobeandmail.com/globe-investor/patent-sale-marks-end-of-line-for-once-mighty-nortel/article2083305/
35
Canada (AG) v. Amazon.com, Inc., A-435-10 on appeal from 2010 FC 1011
36
TSA Stores Inc. v. Registrar of Trade-marks, 2011 FC 273
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registraire pour motif de non-utilisation. Dans un appel non contesté interjeté en vertu de l’article 56 de la
Loi sur les marques de commerce, la juge Simpson a examiné la question de savoir si les services
accessibles au Canada constituaient un « emploi ». La Cour a jugé que les outils du site Web comme
« Help me choose gear » (« Aidez-moi à choisir mon équipement ») et « Find a store » (« Trouver un
point de vente »), même s’ils faisaient référence à des établissements situés aux États-Unis, constituaient
des services qui profitaient aux Canadiens et que, par conséquent, la marque était « employée » au
Canada. Voilà le genre de questions intéressantes qui seront soumises à la Cour à l’avenir avec la
mondialisation des biens et des services.
Enfin, les frontières de la loi sur le droit d’auteur sont mouvantes, comme l’indiquent les affaires en
instance devant la Cour suprême du Canada. Le projet de nouvelle loi sur le droit d’auteur survivra
probablement à une élection fédérale. Ce cadre législatif sera influencé par la ratification par le Canada
du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur37 et du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les
phonogrammes38 de 1996 qui introduisent, par exemple, le droit de « mise à la disposition du public ».
L’interprétation et l’application de ces concepts relèveront en fin de compte de la Cour d’appel fédérale.
En outre, la Commission du droit d’auteur occupe un rôle de plus en plus prépondérant dans la définition
du droit d’auteur au Canada, ce qui signifie que ses processus feront l’objet d’un examen. Les pouvoirs de
la Commission, qui correspondent à ceux d’une juridiction supérieure, ont rarement fait l’objet d’une
interprétation judiciaire. Par exemple, la Commission a-t-elle un pouvoir d’assignation? Peut-elle citer pour
outrage? Ces questions de compétence et de procédure rebondiront nécessairement devant la Cour
d’appel fédérale.
Une des joies du droit de la propriété intellectuelle réside dans le dynamisme associé à la créativité et aux
technologies qu’il touche. Les questions auxquelles devront répondre les Cours fédérales dans les
prochaines années seront complexes et parfois frustrantes, mais rarement ennuyeuses.
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CRNR/DC/94, December 23, 1996
CRNR/DC/95, December 23, 1996
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