« Est-CE ainsi quE lEs hommEs vivEnt ? »

Transcription

« Est-CE ainsi quE lEs hommEs vivEnt ? »
« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »
par Juliette Parchliniak, au Courtil
La musique et la voix
Maxime est passionné de musique,
de musique classique, de musique
religieuse et de variété française. Cet
intérêt lui vient de son père, professeur de piano. On l’entend parfois
chanter dans sa chambre où il passe
beaucoup de temps entouré de sa
radio, son poste, ses disques et aussi
la voix qui l’accompagne en permanence, une voix qui l’invective, avec
laquelle il se dispute et crie. Sans doute la musique est chez lui directement en rapport
avec la voix, sans doute traite-t-elle la voix en tant qu’elle, la musique, encadre la voix,
lui donne un support ou encore au contraire la recouvre. Il connaît beaucoup d’œuvres
de compositeur qu’il fredonne et au sujet desquelles il demande notre avis. Cependant
son commentaire est toujours le même : « C’est beau hein ? » Il connaît aussi la chanson
à texte de l’époque de ses parents, la variété française, Gainsbourg, Polnareff, Claude
François, Jacques Brel, dont certaines chansons le font rire, mais parmi elles certaines
« sont inspirées par le diable », celles qui parlent de femmes et d’alcool. Et puis il y a
la musique d’église, ou les chansons de Jean-Claude Giannada, qui accompagnent ses
prières, exaltent son sentiment religieux.
Les grands hommes n’ont pas eu la vie facile
Il y a donc la musique qu’il trouve inlassablement « belle » et les paroles qui parfois
viennent choquer cette beauté, dont il s’amuse, qu’il déforme dans des jeux de mots et
d’images où le sens rendu toujours plus ridicule, se dilue. Cependant, ce qui intéresse
Maxime concerne aussi les hommes qui en sont les auteurs : comment ont-ils vécu
et surtout à quel âge et comment sont-ils mort. Pour lui qui aimerait « composer »,
qui après des années de solfège et de piano peut jouer de mémoire La lettre à Élise, ces
hommes sont autant de figures d’identification. Ils restent, malgré leur travers, leurs
mœurs parfois douteuses « de grands hommes ». Gainsbourg était alcoolique et se droguait. Mozart était franc-maçon. Claude François, l’argent lui est monté à la tête, il était
dépressif. Mike Brant était malheureux, il buvait lui aussi… Et pourtant il dit souvent
à leur sujet : « Quand même, c’était quelqu’un hein ? » Il y a d’ailleurs un certain soulagement pour lui qui se considère comme gravement malade à évoquer les affres rendus
publics de ces hommes-là : « Pour eux non plus la vie n’a pas été facile ». En effet,
Maxime parle souvent de se suicider, d’en finir avec les maux du corps, les vertiges, la
tentation des filles nues dans les magazines, le temps qui passe trop vite, de plus en plus
vite et puis les autres qui ne comprennent rien, le sentiment d’abandon.
Causons un peu
Chaque lundi après-midi, depuis quelques mois, entre deux et quatre heure, je passe un
moment avec Maxime. De façon presque invariable, il vient me saluer à mon arrivée,
déclare qu’aujourd’hui il ne veut rien faire, « pas d’activité », qu’il ne se sent pas bien,
puis remonte dans sa chambre. Je n’insiste pas tout de suite, mais un peu plus tard je
vais frapper à sa porte pour lui indiquer que je suis au bureau, disposée « à causer s’il le
souhaite ». Il descend alors causer un peu, de ce qui ne va pas depuis le matin, encore
les foutus tournis, les satanés vertiges, ou bien me parle de son week-end, par exemple
de son père qui a refusé encore une fois de le recevoir, ou c’est le temps qui passe
et l’évocation de souvenirs, avec toujours cette terrible précision dans les dates… Et
chaque fois, pour finir, il me demande : « On fait une recherche ? » Nous allons alors sur
l’ordinateur lire la biographie d’Haydn, de Beethoven ou encore de Michel Fugain… Et
si Maxime aurait tendance à passer directement de la date et du lieu de naissance à l’âge
et la cause de la mort, tout mon effort est de m’intéresser au contraire à ce qui se passe
entre ces deux moments pour introduire là un peu de distance, introduire aussi des
nuance là où ses avis sont catégoriques, introduire enfin un peu de relief et des lignes
de traverses là où la ligne est pour lui funestement droite.
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