Entretien avec Carmelo MESSINA

Transcription

Entretien avec Carmelo MESSINA
HISTCOM.2
Histoire interne de la Commission européenne 1973-1986
Entretien avec
Carmelo MESSINA
par Pierre Tilly
à Overijse, le 23 novembre 2010
Transcription révisée par CARMELO MESSINA
Coordonnateur du projet :
Université catholique de Louvain (UCL, Louvain-la-Neuve),
dans le cadre d’un financement de la Commission européenne.
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
PT : Pierre Tilly
CM : Carmelo Messina
CM : Dans notre conversation, on va aborder la thématique qui m’est la plus familière, à
savoir la politique régionale communautaire.
PT : Commençons peut-être par votre entrée à la Commission. Qu’est-ce qui vous a
amené à faire carrière à la Commission européenne ?
CM : J’entre à la Commission au mois de mars 1973. Dans quelles circonstances j’entre à
la Commission ? Vous devez savoir que je m’occupais déjà de problèmes
communautaires avant d’entrer à la Commission car j’étais, à l’époque, directeur de
section d’un ministère italien, à savoir le ministère du travail et des affaires sociales. À
l’intérieur de ce ministère, j’étais inséré dans une direction et une division qui
s’occupaient de politiques communautaires dans le domaine des affaires sociales. Le
hasard – qui guide parfois notre parcours, notre itinéraire professionnel – a voulu que
j’aie un chef de division – un chef de section, comme cela s’appelait à l’époque en Italie
– qui est parti très vite pour la représentation italienne auprès des Communautés, ici à
Bruxelles. J’avais encore un chef de division mais, encore par hasard, ce chef de division
avait été opéré à la gorge et n’arrivait pas à s’exprimer clairement, à parler. Je suis donc
resté son second et, compte tenu de son handicap, c’est moi qui venais à Bruxelles. C’est
la raison pour laquelle j’ai négocié, à l’époque, les règlements 3 et 4 de sécurité sociale,
et les premier et deuxième règlements sur la libre circulation des travailleurs. Donc je
venais à Bruxelles presque toutes les semaines. Je vous préciserai les dates
ultérieurement. Chaque fois qu’on arrivait à Bruxelles, l’obligation était de passer par la
représentation permanente italienne pour s’inscrire, faire des paperasses, etc. Je
connaissais très bien l’ambassadeur représentant permanent italien, qui était à l’époque
Monsieur Bombassei, dont le fils est plus tard aussi devenu directeur général à la
Commission européenne. Monsieur Bombassei me connaissait car je venais souvent.
L’année avant le premier élargissement, j’étais dans le cabinet de mon ministre au
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ministère du travail et j’ai reçu un coup de fil de l’ambassadeur lui-même, M. Bombassei,
qui m’a dit : « Mon cher Messina, avant que le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark
n’entrent, il faut qu’on procède à un rééquilibrage des nationalités dans les différents
échelons de grades des fonctionnaires car nous avons un déficit, nous les Italiens, comme
les autres. »
PT : Il va y avoir des changements…
CM : …des changements, il y a des grades, des secteurs qui ne sont pas suffisamment
couverts par telle ou telle nationalité. « Est-ce que vous voulez venir ? Je vous prie de
réfléchir attentivement. ». J’ai dit : « Monsieur l’ambassadeur, donnez-moi 24 heures. ».
Je venais toutes les semaines depuis quelques années. Eh bien pourquoi cette réflexion ?
D’abord parce que j’étais bien installé dans mon pays, à Rome ; je venais souvent à
Bruxelles et mon épouse travaillait elle aussi (parce que mon épouse était dessinatrice
publicitaire, elle travaillait chez Playtex.
PT : Elle travaillait à Rome.
CM : Elle travaillait à Rome ; Playtex est une société américaine, une grosse société
encore aujourd’hui. Nous n’avions pas…parce qu’à la question : « pourquoi vous avez
décidé etc. ? », s’il y a des réponses sincères, la première des réponses est : « vive
l’Europe ! » et la deuxième : « parce qu’on gagne plus. ». Ça n’a pas joué pour moi parce
que, je répète, je faisais les missions tout le temps et donc je n’avais pas un problème
d’argent.
PT : Votre engagement européen…vous étiez impliqué dans les questions européennes,
ça s’accompagnait d’un engagement.
CM : Absolument, vraiment, même d’un enthousiasme, mais cet enthousiasme venait
aussi du fait que mes chefs, mon Directeur Général du ministère (c’était un professeur
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d’université aussi), M. Guerrieri, et mon chef de division qui avait un handicap physique,
me faisaient confiance, donc ça aussi me motivait, mais me motivait aussi parce que
j’avais vécu, étant étudiant encore, presque en direct avec enthousiasme, en 1957, la
signature à Rome du traité. J’étais universitaire, et à l’époque les jeunes avaient une
ferveur…je n’avais aucune intention de devenir fonctionnaire européen, non pas du tout,
mais je me disais que c’était une belle aventure. Nous sortions (parce que j’avais quoi ?
Je suis né en ’35, février ’35), donc je l’ai vécu étant un jeune homme.
PT : La fin de la guerre, vous l’avez vécue d’un autre monde.
CM : Oui, la guerre, je l’avais vécue d’un autre monde. Et je vous raconte une petite
chose, mais très rapidement : j’avais, moi, évité que ma mère et moi, nous restions sous
un bombardement américain. Nous étions, à l’époque, en Sicile chez mon grand-père qui
y habitait – il n’était pas Sicilien (mon grand-père du côté de ma mère), il était Toscan,
mais il était commissaire de police et il avait été transféré en Sicile. Un jour ma mère –
j’avais 5 ou 6 ans – m’a emmené avec elle – parce que mon père était militaire – dans un
magasin pour acheter un pain, et on faisait la file. C’était en ‘40…en ’39, enfin à ce
moment-là. Mais pour moi à cinq ans, faire la file pour prendre le pain, c’est marquant. Je
tirais la jaquette de ma mère parce que je ne supportais pas. Ma mère, à un certain
moment, m’a dit : « ok, on revient plus tard, allons chez des amis (qui n’étaient pas trop
loin de là). », et quand nous sommes arrivés à 100 ou 200 mètres de là, dès qu’on est
entrés chez un coiffeur (qui était un de nos amis de famille), les avions sont arrivés :
bombardement, et tous les gens qui étaient dans la file et tout le magasin y
compris…boum.
PT : C’est vraiment le destin.
CM : Le destin. Parce qu’on aurait pu, si on restait dix minutes de plus, y rester.
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PT : Tout en étant fonctionnaire, est-ce que vous avez adhéré à un mouvement européen
en Italie ou à un mouvement de ce type ?
CM : Non, parce que j’étais étudiant, j’étais à l’université, je faisais sciences politiques,
en premier, en ‘61. Peut-être il y a des erreurs dans les dates.
PT : Je vois que vous avez fait sciences politiques.
CM : Et après sciences économiques. J’ai un diplôme en sciences politiques d’abord, et
en ’62…’63 en sciences économiques, parce que j’aimais beaucoup l’économie et j’avais
un professeur en sciences politiques qui m’a encouragé à prendre un diplôme de ce genre
aussi. Et d’ailleurs depuis j’ai voulu faire la carrière universitaire.
PT : Vous avez été assistant.
CM : Je ne sais pas si aujourd’hui on l’appelle encore comme ça : j’ai été d’abord
assistant volontaire, et ensuite j’ai fait l’examen, toujours poussé par mon professeur, j’ai
gagné le concours et je suis devenu assistant ordinaire.
PT : Assistant au cadre.
CM : Cadre, ordinaire, on l’appelait comme ça : volontaire ordinaire, qui était le premier
niveau pour le parcours de carrière universitaire. J’ai commencé comme ça, et quand j’ai
gagné ce concours, vous devez savoir autre chose : après le baccalauréat, je me suis
inscrit à l’université, évidemment, en sciences politiques, mais j’avais un père
fonctionnaire au ministère des finances, qui m’a dit : « oui, tu fais l’université, tu fais ce
que tu veux, mais fais un concours » parce qu’à l’époque c’était comme ça ; « tu t’assures
déjà un revenu et tu continues à faire des études, tu prends tes diplômes, tu fais ta carrière
comme tu veux, mais si c’est possible mets-toi en sécurité économique. ». Pour le
contenter, j’ai fait ce concours et, heureusement ou malheureusement, je l’ai gagné. Mais,
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dès que j’ai gagné le concours, on m’a envoyé en Sardaigne, à Cagliari, ce qui fait que
plus tard, quand j’ai pris les deux diplômes et j’ai entrepris la carrière universitaire à
laquelle je me consacrais, on m’a appelé et on m’a dit : « qu’est-ce que vous faites
actuellement ? ». J’ai dit : « actuellement je suis procureur des impôts en Sardaigne. ».
« Très bien, nous avons besoin de quelqu’un à l’université de Cagliari. ». Ce qui fait que
j’ai continué à enseigner à Cagliari, et c’est la raison pour laquelle, pour sortir de
Sardaigne (parce que je venais de Rome, je voulais retourner à Rome) j’ai à nouveau fait
un concours, et c’est là que je suis allé au ministère du travail. Au ministère, on m’a
inséré dans une division qui s’occupait des affaires communautaires. Là, les
circonstances (je vous ai raconté) m’ont très vite mis dans une situation de premier plan.
PT : On vous propose d’entrer à la Commission, vous entrez par concours ?
CM : Attendez. J’arrive donc à la Commission 24 heures après l’invitation de M.
Bombassei, l’ambassadeur, le représentant permanent, je lui réponds : « je dis oui parce
que mon épouse m’a dit oui ». Nous avions un petit enfant de deux ans et demi, et mon
épouse travaillait…moi comme je travaillais aussi, j’étais absent souvent parce que je
venais à Bruxelles, mon épouse m’a répondu : « oui, parce qu’au moins je peux rester
avec mon fils. ». Et donc j’ai dit : « oui », et je suis arrivé ici ». Je n’ai jamais demandé à
l’époque dans quelles conditions, non, on m’a dit : « vous entrez comme fonctionnaire à
la Direction Générale de la concurrence ». Et j’étais administrateur principal. A l’époque
les grades étaient : administrateur principal encadré au grade A5, maintenant les grades
s’appellent différemment, après la révision du statut du début des années 2000.
PT : Directement fonctionnaire ou avec un contrat d’essai ?
CM : Non, comme fonctionnaire A5. Attention, je répète, je faisais confiance à mon
ambassadeur ; il m’invite à venir ici parce qu’il y avait ce problème de rééquilibrage dans
un certain nombre de grades. J’arrive confiant. C’est seulement deux, ou trois ans même
après, qu’on m’a inséré dans une division à la Direction Générale de la concurrence,
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division qui était dirigée par un Monsieur belge qui s’appelait Jean Jaeger, un
personnage…j’ai appris, mais vraiment beaucoup. Jean Jaeger qui s’occupait des aides à
finalité régionale, dans une direction dirigée par M. Pierre Mathijsen dont je vous ai parlé
tout à l’heure. Nous avons commencé au Berlaymont et après, toute la Direction Générale
de la concurrence s’est transférée à la Rue des Nerviens, juste à côté du parc si vous
voulez ; et je disais que le directeur, M. Mathijsen, avait son bureau juste en face du mien
et on se voyait tous les soirs parce qu’en sortant il venait me dire deux mots. A la
Direction Générale de la concurrence, dans cette division des aides à finalité régionale,
M. Jaeger m’avait confié le dossier « France » des aides aussi bien que le dossier
« Irlande » (la République d’Irlande).
PT : Qui était en passe d’entrer dans la Communauté.
CM : Bien sûr.
PT : Donc on préparait déjà les dossiers.
CM : Tout à fait, les dossiers de la concurrence « Irlande » et « France ». En plus, j’étais
chargé de la politique générale des aides et je contribuais, avec, bien entendu, M. Jaeger
qui était mon chef à l’époque, à la rédaction de la première solution de coordination des
aides à finalité régionale qui, dans les années qui suivirent, a été corrigée, perfectionnée
suivant les évolutions des politiques par la deuxième, la troisième, la quatrième etc.
PT : C’est la première étape du processus.
CM : La première solution de coordination que nous avons longuement négociée dans le
comité d’experts nationaux, naturellement des aides. Et qu’est-ce qu’il y avait dedans ? Il
y avait des choses très importantes parce qu’on a créé ce qu’on appelait "l’équivalent
subvention net", parce qu’une des solutions trouvées dans ce document (premier
document) était d’avoir établi des taux maxima d’aide, évitant ainsi la typologie des
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régions. Vous devez savoir qu’à l’époque, ni la politique régionale ni la direction de
politique régionale n’existaient alors; il existait seulement une division à l’intérieur de la
Direction Générale des affaires économiques qui s’occupait de la dimension régionale
des politiques économiques nationales.
PT : Il n’y avait pas de coordination européenne ?
CM : Pas du tout. Par la suite on a eu de la coordination, mais à ce moment-là, donc de
’73 jusqu'à ’76, ’77, la politique régionale était faite, dans la mesure où on pouvait
l’appeler une politique…moi, je dis que ce n’était pas une politique, c’était une
préoccupation régionale. [Rires] Il faut bien faire la différence. Cette préoccupation
régionale était déjà dans le traité de Rome : article 92 et suivants de la politique de la
concurrence, car cette dernière interdisait des aides sectorielles ou des aides territoriales
parce que, effectivement, ces aides, en principe, allaient fausser la concurrence. Ça c’était
le principe.
PT : Donc on s’y intéressait par ce biais-là.
CM : Exactement. Ça, c’était la règle de base, générale, mais dans ces articles du traité
concernant la politique de la concurrence qui était avec une partie de la politique
agricole ; seule la politique de la concurrence était une véritable politique, c’est-à-dire
que la Commission Européenne avait de véritables pouvoirs (c’était presque le seul cas),
et elle mettait en demeure tel ou tel pays ou telle ou telle région. Donc il y avait cette
préoccupation régionale car le traité, article 92 et suivants, envisageait la possibilité
d’octroyer des aides, dans une mesure raisonnable, seulement là où il y avait une distance
considérable entre les régions fortes et les régions faibles. L’aide devait combler le
différentiel de force, seulement ça. C’était dit comme ça pratiquement, mais comment
expliquer tout ça ? On l’a expliqué dans la première solution de coordination où on
établissait des taux d’aides suivant la nature des régions, parce qu’il y avait des régions
en reconversion et des régions en retard. Mais une fois établi un taux maximum d’aide –
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pour les entreprises, je parle – encore fallait-il définir comment calculer ces aides, parce
qu’il y a des aides qui sont moins calculables que d’autres. Prenez par exemple une
exemption fiscale, une aide fiscale, il faut traduire cette aide en équivalent subvention,
parce qu’une aide est une subvention ; or vous pouvez donner une subvention, disons, qui
se définit par un montant, donc une ressource financière définie, ou vous pouvez faire une
exemption fiscale, vous dites : « vous ne payez pas ceci, vous ne payez pas cela », mais
comment ça se traduit en termes de subvention nette à l’investissement ? Donc, nous
avons élaboré tout ça dans cette solution.
PT : Vous vous occupiez des cas de la France et de l’Irlande. C’étaient deux cas
complexes, difficiles ou… ?
CM : Le cas de l’Irlande était difficile dans le sens où l’Irlande, par sa situation de
l’époque – je parle de la première moitié des années ’70 – elle a demandé immédiatement
après son entrée d’avoir un privilège fiscal qu’elle a toujours reçu. Pourquoi ? Parce que,
comme je disais, sa situation économique, qui était très faible, son niveau de
développement, sa situation géographique et, en plus, ses rapports relativement
complexes – pour ne pas dire difficiles – avec le Royaume-Uni et avec l’Irlande du Nord,
rendaient effectivement nécessaire de les traiter d’une manière différente par rapport au
reste de l’Europe.
PT : Ils avaient des attentes par rapport à la Commission.
CM : Exactement. Ils avaient des attentes par rapport à la Commission parce qu’en
matière d’aides d’Etat – on parlera de la Commission tout à l’heure parce qu’il y a un
certain nombre de choses que je me permettrai, que j’ai envie de vous communiquer –
effectivement la Commission était considérée comme une véritable autorité. Donc, le
dossier « aide » était un dossier délicat en préparation de son entrée et, par la suite, pour
l’alignement de l’Irlande aux règles de la concurrence, même avec une situation
privilégiée. Mais, celle-ci n’était pas gratuite, elle était compensée d’une certaine manière
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par son handicap géographique, sa situation économique et ses rapports difficiles avec le
Royaume-Uni d’un côté et l’Irlande du Nord, de l’autre.
PT : Pour expliquer cela je me permets de revenir un peu sur vos parcours.
CM : Je vous en prie.
PT : Pendant deux-trois ans vous rentrez à la Commission avec un statut définitif ?
CM : Vous savez, à ce moment-là, moi je ne me posais pas de questions. On m’avait
appelé, sachant que j’avais déjà un certain nombre d’années d’expérience directe, parce
que je participais, pour les raisons que je vous ai expliquées, aux négociations
importantes de l’époque : la libre circulation… maintenant c’est un acquis.
PT : À l’époque c’était une avancée…
CM : C’était une avancée majeure.
PT : Après deux-trois ans, la question de votre statut se pose.
CM : J’ai commencé comme ça : je ne me posais pas de problèmes. Après trois ans, M.
Jaeger, mon chef de division, est venu me dire : « mon cher Carmelo, il faut que ta
situation, ton statut, soit bien défini ; et comme à la Commission on entre par concours, il
faut faire pour toi comme pour les autres », – parce que, attention, il y avait eu, je vous
l’ai dit tout à l’heure, cette nécessité de rééquilibrage, qui a été préparée en ’72 mais qui
est entrée en vigueur en ’73, je répète : pas seulement pour une nationalité, mais pour
TOUTES les nationalités, pour les six.
PT : On redistribuait les cartes.
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CM : Oui, parce que, comme il fallait donner autant de postes de ce grade au RoyaumeUni, à l’Irlande etc., on a revu l’organigramme.
PT : Le jeu des chaises musicales.
CM : Exactement. Donc, il fallait régulariser en quelque sorte. On a procédé à un
concours interne. Je me suis trouvé détaché – parce que, attention, j’étais sorti de mon
ministère en Italie mais avec une position particulière, parce que j’avais eu la prudence
(oui je venais toutes les semaines mais c’est une chose de venir de Rome et c’est une
autre chose de se transférer à Bruxelles avec la famille ; j’ai dit à mon épouse on accepte
parce que c’est intéressant, je continue à faire ça, j’y crois, c’est magnifique. On y va.
Elle me soutenait.) de ne pas quitter définitivement mon ministère. Il y avait à l’époque
(je ne sais pas si ça se fait encore) la possibilité d’être détaché, mis ce qu’on appelle
"hors-rôle" : le rôle c’est d’être inséré dans la structure d’un ministère, donc on nous
avançait, il y avait des promotions. J’étais chef de section à l’époque, même dans mon
ministère. J’ai dit : « je sors, je me fais détaché et si je vois que ça marche, je reste mais
si, par hasard, pour différentes raisons ça ne marche pas, moi, je rentre. J’avais la
possibilité de rentrer dans mon ministère.
PT : C’était trois ans alors.
CM : C’est ça. Mais ici on m’a dit : « ah, non, il faut que vous restiez, parce qu’autrement
dans l’opération…il faudra vous remplacer ; mais faisons un concours (pour moi, mais
pas seulement pour moi) pour tous ceux qui étaient arrivés ici dans les mêmes conditions.
Il faut faire un concours interne. ». Et ça a été un véritable concours. Donc je me suis
préparé pour ce concours.
PT : Ce n’était pas gagné d’avance.
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CM : Non. Ce n’était pas gagné d’avance mais je me suis senti à l’époque, je dois dire, un
peu trahi. Je vous explique pourquoi : je me suis dit, Monsieur l’ambassadeur qui
m’invite à venir ici, en motivant cette affaire, et j’ai constaté après avec d’autres
collègues ; il fallait me le dire. Je aurais pu aussi parfaitement décider de venir, mais il
aurait fallu me dire : « vous êtes encadré A5, administrateur principal – parce que, vous
savez à l’époque il y avait deux grades à chaque fois : A7, A6 , A5, A4 ; après il y avait
A3, le chef de division, le directeur et le directeur général. Donc, il fallait me le dire :
« écoutez, après deux ou trois ans, vous serez appelé à faire un concours » et j’aurais
décidé en toute connaissance de cause.
PT : Ca n’a pas été le cas.
CM : Ça m’a gêné de ne pas l’avoir su. Mais Jaeger, mon chef de division, a joué un rôle
extraordinaire parce qu’il a été aimable, il m’appréciait, on avait combattu ensemble
[Rires]. Et c’est comme ça que ça s’est passé, en ’77, je crois.
PT : D’après votre CV oui, c’est en ’77. Vous entrez comme assistant du directeur
général à la DG régio.
CM : Exactement, parce qu’en ’77, comme je vous ai dit tout à l’heure, M. Thomson, qui
était le commissaire qui a précédé M. , était parti. Et est arrivé M. Giolitti, qui était
chargé de la politique régionale dans un premier temps, et plus tard de la coordination des
fonds structurels aussi.
PT : Vous le connaissiez déjà ?
CM : Personnellement, non, je ne le connaissais pas. Ni lui ni M. Perissich, son chef de
cabinet, ni M. Zanni , son chef de cabinet adjoint.
PT : Il devient commissaire à la politique régionale.
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CM : A la politique régionale dans un premier temps. Dans un deuxième temps, deux ans
après je crois, on lui a confié une nouvelle direction, qui a été dirigée par M. Jaeger (qui
donc est sorti de la concurrence lui aussi), une direction qui était un service en soi, mais
qui n’avait pas le rang de Direction Générale (seulement d’une direction) pour la
coordination des fonds structurels.
PT : Du fait de la création du FEDER.
CM : Oui, mais plus tard, parce que le FEDER a été créé en ’75.
PT : Fin des années ’70.
CM : Exactement. Donc on a créé une direction. Pourquoi une direction et non pas une
Direction Générale de coordination ? C’est un problème de jalousie. Je m’explique :
parce que les Directions Générales fonds structurels, FEOGA (orientation et garantie,
mais surtout, évidemment, la partie orientation, développement rural), la Direction
Générale des affaires sociales, fonds social européen, et le FEDER, dernier né, en réalité
ne supportaient pas l’idée d’avoir une Direction Générale, c’est-à-dire à leur même
niveau, qui aurait prétendu de les coordonner. D’ailleurs c’est la même raison pour
laquelle on n’a jamais (au grand jamais, et probablement on ne le fera jamais) obtenu
d’unifier les fonds. M. Delors a tenté, vers les années ’90-91, quand il a commencé son
deuxième mandat (je me rappelle puisque j’étais assistant, non plus avec la Direction
Générale dirigée par Mathijsen, le Néerlandais, mais avec l’Espagnol Eneko Landaburu,
grand directeur général).
PT : Qui est arrivé en ’86-’87.
CM : Oui, avec Jacques Delors. Après que Mathijsen a fait une bourde : ne connaissant
pas bien le caractère de Delors, il a osé dans une réunion de directeurs généraux (présidée
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évidemment par M. Delors, qui était au début de son mandat – il est arrivé en ’85)…
Mathijsen qui était un homme brillant, mais qui avait une pointe de présomption, a osé le
contredire à propos des PIM (programmes intégrés méditerranéens). L’intégration était
un vaste problème.
PT : Ça a été un véritable laboratoire pour les fonds structurels.
CM : Exactement. Surtout sur le plan d’un principe, dont j’espère vous parler après : le
principe de l’intégration.
PT : Revenons donc à M. Mathijsen et à Jacques Delors.
CM : Il a osé lui dire que les programmes intégrés étaient une bêtise. Parce qu’on avait,
nous, déjà essayé de faire les projets d’intégration, mais c’était plutôt une perte de temps
pour telle et telle raison. Bref, il l’a contredit. Delors ne supportait pas ça, franchement. Il
a été, pour ma période, sûrement le plus grand président (c’est une personne dont je me
souviens avec beaucoup de plaisir ; j’ai fait partie aussi, par après, de Notre Europe, vous
connaissez ?).
PT : Oui, présidée par Jacques Delors. C’était quelqu’un qui suscitait…
CM : C’était quelqu’un qui avait de l’autorité reconnue par les chefs d’État et les chefs de
gouvernement. Il y avait une seule personne qui était toujours contre, c’était Madame
Thatcher. Mais malgré ça, elle reconnaissait sa valeur
PT : Elle a quand même accepté, certaines mesures ou certaines politiques…
CM : Oui, elle a accepté certaines mesures grâce à l’autorité de Delors, même si elle lui a
demandé « her money back ».
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PT : « I want my money back ».
CM : Et on l’a donné. Parce que c’est nous qui l’avons géré. Un petit fonds d’une durée
limitée qui s’appelait le SMUK (Special Measures for the United Kingdom) (dont le
"UK" final c’est Royaume-Uni, pour resituer) sauf que nous avons dit à l’époque : « non,
il ne faut pas restituer de l’argent .Mais Pourquoi restituer de l’argent ? » Parce qu’il y
avait à l’époque un principe sous-entendu que tout le monde poursuivait, mais qui n’était
inscrit nulle part : le « juste retour ». Comme à ce moment-là le bilan communautaire
était fait surtout de la contribution des Etats, plus une partie de la TVA, plus les entrées
des douanes agricoles, mais qui était assez bien calculable. Donc chaque pays…
PT : Savait identifier…
CM : C’est vrai que Madame Thatcher disait : « my money back ».
PT : Elle était contributeur net.
CM : C’est ça, contributeur net. Mais de l’autre côté il y avait l’Allemagne qui continuait
à dire : « je ne veux pas être, moi non plus, l’argentier de l’Europe. ». Elle le disait un peu
à juste titre.
PT : Ce sont eux qui contribuaient le plus.
CM : Vous devez savoir, à ce propos, parce que ça fait partie de la période qui vous
intéresse, que le Royaume-Uni…non, je vais vous dire une autre chose parce qu’il faut
être complet. Nous avons dit, tout à l’heure, que dans le traité de Rome, en ’57, il y avait
seulement ce que j’ai appelé une « préoccupation régionale » mais il n’y avait pas
l’énoncé d’une politique régionale. Et cette préoccupation était dans la politique de la
concurrence mais aussi dans la politique agricole, l’orientation etc. Lors de la négociation
du fonds régional en ’73, ’74, qui est entré en vigueur en ’75 – j’y participais parce que,
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comme je faisais partie de la DG concurrence, mais d’une division « aides régionales »,
donc intéressée par la problématique régionale, M. Jaeger m’a envoyé au Conseil suivre
les groupes de questions régionales et il y avait le directeur général de la politique
régionale, Renato Rüggiero, qui négociait directement.
PT : C’étaient des négociations difficiles ?
CM : Extrêmement difficiles. Vous savez pourquoi est né le fonds régional ? Ce n’est
écrit nulle part. Mais j’ai participé à ces réunions, j’étais présent : c’est parce que le
Royaume-Uni, qui déjà à l’époque avait une population active en agriculture (de presque
seulement 3%) et qui avait déjà à ce moment-là une agriculture bien lancée, savait
parfaitement et pertinemment que son entrée dans l’Union Européenne ne lui aurait pas
permis de gagner beaucoup sur le tableau de la politique agricole – qui est l’affaire de la
France, comme la politique de la concurrence de l’Allemagne. Attention, j’avais un
directeur général allemand …
PT : Les Allemands étaient attentifs…
CM : Très attentifs. M. Schlieder, mon directeur général de l’époque. Le Royaume-Uni
pensait pouvoir gagner, compte tenu de ses problématiques régionales…
PT : Ses régions en retard de développement, ses régions industrielles…
CM : Industrielles, de reconversion etc. ; donc il pensait pouvoir gagner sous le tableau
d’une politique régionale avec un fonds intéressant et important, plus ou moins ce qu’elle
aurait perdu …
PT : Sur le plan de la politique agricole ?
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CM : Voilà. Sauf que, plus tard, elle a réalisé que ce n’était pas le cas ou pas
complètement le cas ; donc elle donnait plus, avec les mécanismes financiers, que ce
qu’elle recevait. Et de là vient : « my money back ». On lui a donné satisfaction avec les
SMUKs, mais en réalité c’est ça, parce que parmi les six pays d’origine qui ont précédé le
premier élargissement (le traité CECA d’abord, et en ’57, le traité de Rome), le seul pays
qui avait un gros problème à l’époque de disparités régionales, c’était l’Italie. Mais c’est
pour ça que je vous le dis : l’Italie n’a jamais obtenu et, probablement, n’a jamais posé le
problème de l’équilibre territorial, du rééquilibrage territorial, avec vigueur. C’est grâce
au Royaume-Uni que le fonds régional est finalement né, mais pour la raison, non pas par
la générosité du Royaume-Uni, qui d’ailleurs n’a jamais été généreux avec la
Communauté européenne.
PT : Si vous permettez qu’on reprenne un peu le fil : vous arrivez en ’77 au sein de la DG
Regio, là vous travaillez directement avec M. Mathijsen…
CM : Et j’y suis resté non seulement jusqu'à son départ mais j’ai reçu et j’ai préparé
l’arrivée de M. Landaburu qui a remplacé M.Mathijsen, Le Président Delors avait en
réalité promis au premier ministre espagnol (socialiste comme lui) Felipe González, de
lui donner la politique régionale qui était en pleine croissance.
PT : Et qui pour l’Espagne était évidemment un enjeu important
CM : L’Espagne a été depuis le pays qui a reçu le plus. Donc, M. Eneko Landaburu, qui
était directeur (socialiste aussi) chez Nestlé, il dirigeait le compartiment des études Neslté
à Genève, était un grand ami de González et était très connu par M. Delors. Quand Delors
a promis ce portefeuille à González, il l’a aussi accepté, parce qu’il le connaissait aussi,
que ce soit Landaburu à venir. Et à ce moment-là M. Landaburu s’est tourné vers qui de
droit pour savoir comment la Direction était structurée ? Il s’est tourné vers l’assistant du
directeur général, c’est-à-dire moi-même.
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PT : Vous étiez là depuis belle lurette.
CM : Oui. Donc, c’est moi qui ai fait des aides mémoires, lui ai expliqué
[comment…même figurez-vous] les caractéristiques de chaque directeur, des
fonctionnaires, les problématiques internes de la Direction Générale. Je l’ai mis par écrit.
Et un beau jour effectivement Landaburu a débarqué ici à Bruxelles, et pour l’accueillir
de manière digne, à l’époque j’ai pensé à le faire comme ça : je l’ai invité à déjeuner au
restaurant de l’Hilton, parce que quelqu’un m’avait invité un jour et j’avais trouvé que
c’était un restaurant intéressant. Je l’ai invité là et je dois dire que Eneko Landaburu en a
toujours gardé le souvenir et encore aujourd’hui quand il est au Maroc (il a quitté il y a un
an, il a fait une très belle carrière mais malheureusement il n’a pas réussi à devenir le
secrétaire général de la Commission même s’il y tenait et il l’aurait mérité ; parce que je
peux vous assurer, par l’affection que je lui porte, il a été un des meilleurs directeurs
généraux de la Commission. Je crois que tout le monde l’admet.). Donc un personnage
vraiment important. Il était espagnol, bien entendu, et il est arrivé quand pour l’Espagne
c’était important. C’est vrai qu’il a eu un œil…sentimental…
PT : Comme assistant, quels ont été vos rapports avec la hiérarchie justement durant cette
période ? Comment caractériseriez-vous ces relations avec la hiérarchie ?
CM : Ecoutez, quand je suis arrivé à la politique régionale, la structure de la Direction
Générale était une structure assez simplifiée : il y avait dans la Direction Générale, en
’77, 135 fonctionnaires en tout ; 140 mais pas plus et il y avait seulement deux
directions : la direction que j’appellerais la direction conceptuelle et la deuxième
direction, l’opérationnelle, l’application si vous voulez. Pour être simple : il y en avait qui
pensaient et d’autres qui appliquaient. Un directeur, celui de la partie conceptuelle,
s’appelait Rencki, peut-être vous le connaissez. Il était d’origine polonaise mais
naturalisé français, et l’autre était un italien, M. Rosario Solima , pour l’opérationnelle.
Solima avait été le chef de division de la division « affaires régionales » de la Direction
Générale des affaires économiques. Je vous disais tout à l’heure qu’il y avait seulement
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une unité aux affaires économiques qui s’occupait, entre autres, des problèmes régionaux.
Et donc, il est presque naturellement devenu un des deux directeurs. Maintenant je crois
qu’il y a onze directions. Donc 140 fonctionnaires en tout sont devenus 400 maintenant.
Ce n’est pas beaucoup, vous savez ? Par rapport au nombre de pays ce n’est pas énorme.
D’autant plus que les contenus des compétences ont beaucoup changé.
PT : Et peut en déduire que la logique de gestion est assez souple ?
CM : A l’époque (aujourd’hui c’est différent), l’assistant des directeurs généraux en
général, mais chez nous certainement, était un assistant administratif (je veux parler de la
gestion du personnel, ce qu’on appellerait aujourd’hui l’unité des ressources humaines) et
politique. Moi, je faisais tout, alors j’avais un directeur général en plus.
PT : C’était lequel alors ?
CM : Mathijsen. Ce directeur général – nous étions à Archimède 5 à l’époque – avait une
passion pour les voyages, qui étaient en fait souvent des voyages professionnels dans
différents pays (il y avait d’ailleurs beaucoup de raisons pour voyager puisque la
politique régionale se fait avec le territoire, les États). Je devrais vous dire quels étaient
nos rapports internes à nous, la direction générale de l’époque, et avec les régions.
PT : Les régions et les administrations.
CM : Non.
PT : Des régions, parce qu’il y avait des administrations régionales…
CM : En tant qu’assistant, j’avais, d’une part, le directeur général qui voyageait, et quand
cela arrivait, on ne pouvait pas attendre qu’il revienne pour faire tourner la machine.
Qu’est ce que je veux dire par là ? Si du côté du président, du secrétariat général, de notre
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cabinet, de notre commissaire et des États, des sollicitations arrivaient pour telle ou telle
chose, moi je n’hésitais pas un instant à dire aux directeurs : « vous devez faire ceci ou
cela, vous devez satisfaire à ceci ou à cela, il y a ça à faire, etc. ». Pourquoi ? Parce que
tout le nœud de l’affaire était la confiance absolue (parce qu’autrement c’est inutile de
faire l’assistant) du directeur général par rapport à son assistant. Il y a même eu un
épisode, que je vous raconte : j’avais, en accord avec mon directeur général, prévu que,
tous les lundis matins [il y ait une] réunion des directeurs avec le directeur général
(l’assistant est évidemment toujours présent) pour discuter de la problématique en cours,
de la programmation de la semaine, de ce qui s’était passé – c’est-à-dire l’échange – et la
communication ; tout le monde devait savoir. Parce qu’il y a toujours eu ce conflit un peu
sous-entendu (parfois ça éclatait) entre les penseurs et les opérationnels. Les penseurs
disaient : « vous, les opérationnels, vous ne faites pas remonter suffisamment
d’informations sur ce qui se passe, parce que nous pensons, mais il faut penser en
fonction des réalités. ». Les réalités, c’est ceux qui étaient les opérationnels qui disaient :
« mais nous avons le contact avec les opérateurs, les acteurs des territoires, mais nous ne
pouvons pas traduire ça en une conception, une direction, une ligne d’action etc., parce
que la conception, c’est vous ; qui ne connaissez rien de la réalité. ».
PT : C’est inévitable.
CM : C’est partout comme ça. Alors qui devait trancher et moduler ? C’était le directeur
général, surtout qu’à l’époque on était deux directions. C’est pour ça que je suggérais à
M.Mathijsen : « chaque lundi, il faut réunir les directeurs », parce que comme ça passent
les messages : « qu’est-ce que tu as fait, quelles sont tes difficultés, pourquoi, comment
etc. et comment faire évoluer toute la machine ».
PT : Au départ, ça n’existait pas ?
CM : Non. Maintenant je crois que ça s’est généralisé. Vous savez, quand les choses se
généralisent, c’est parce qu’elles sont utiles. J’ai continué, dans le temps. C’était comme
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ça. D’autant plus que, à l’époque, et pendant une très longue période, il y avait un
secrétaire général (je parle du secrétariat général de la Commission) qui s’appelait Emile
Noël et était un super secrétaire général ; en réalité tout le monde savait que c’était le
premier des commissaires, le HYPER commissaire [Rires], parce qu’il avait une
connaissance absolue, était à l’origine de tout. Et c’est lui qui a inventé la figure d’abord
de l’assistant et deuxièmement des directeurs généraux, et il tenait tous les vendredis
matins (en fin de semaine) la réunion des assistants. Lors de ces réunions, avec nous, les
assistants, Noël et ses directeurs suivant les cas, il nous racontait premièrement ce que la
Commission, dans ses réunions du mercredi, avait décidé, comment, pourquoi, etc. Les
contrastes éventuels entre tel et tel commissaire. Mais il nous racontait aussi ce qui s’était
passé au Conseil des ministres.
PT : Il faisait descendre l’information, c’est ça qu’il voulait ?
CM : Exact. Et c’est de là que j’ai eu l’idée. Je me suis dit que si le vendredi il y avait la
réunion des assistants avec M. Noël (qui était un monument de connaissance et d’une
capacité communicative tout à fait particulière. Lui aussi était une autorité, pas
autoritaire, mais une autorité véritable, d’une intelligence extraordinaire, d’une
expérience et d’une connaissance totales), où il nous communiquait des choses avec ses
propres commentaires…
PT : Qui étaient souvent des plus importants.
CM : Mais bien sûr ! Pour comprendre les positions des délégations au Conseil, pourquoi,
le pour et le contre. Bref. Tout ça, ce paquet de connaissances du vendredi, les assistants
le portait à leur propre directeur général, d’où aussi la nécessité de réunions du lundi avec
les directeurs. Eux, à leur tour, devaient expliquer ce qu’ils avaient fait, les difficultés, les
propositions, l’avis, la problématique, la dynamique et la projection pour l’avenir (le
premier avenir c’était la semaine qui commençait), et donc tout ça passait. Mais j’avais
dit : « attention, les directeurs ne doivent pas tenir en poche cette information, ils doivent
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la communiquer aux chefs de division (aujourd’hui ils s’appellent chef d’unité), et les
chefs d’unité à leur tour doivent réunir si possible tous les fonctionnaires les lundis. Dans
ces différentes réunions l’information passait (pas seulement la petite information, mais
TOUTES). Et ça fonctionnait.
PT : C’était un processus up-down, pas bottom-up ?
CM : Non, bottom-up aussi. Je vous explique…
PT : Mais ça partait du haut et ça gravitait...
CM : Ça partait du haut parce que, je rappelle, c’est le mécanisme qui faisait ça, mais
dans la réunion des directeurs, à part qu’ils recevaient cette information (ce qui s’était
passé au Conseil, ce dont la Commission avait discuté, quelles nuances apporter, le
pouvoir, ce que le Vicomte Davignon faisait, ses propres états d’âme, etc.), c’était
intéressant.
PT : Oui, c’était une analyse politique ?
CM : Une véritable analyse politique puisque c’est l’histoire des faits, mais ce qui était
déterminant, c’était donc l’apport personnel et les conditionnements de cet apport. Je
vous donne un exemple : quand je vous ai dit tout à l’heure que jamais on n’a obtenu de
réunir les fonds structurels en un seul fond, on a cherché des coordinations souvent
difficiles à obtenir, on a inventé aussi une direction qui devait coordonner. Mais on n’a
jamais pu. Pourquoi ? D’abord parce que chaque Direction Générale, chaque responsable
thématique, était un peu jaloux, ne voulait pas être conditionné par les autres, tellement
vrai que nous, à la politique régionale – qui est une politique horizontale et non verticale
–, on a dû dans les années ’80 inventer ce qu’on appelait "l’AIR" : l’appréciation de
l’impact régional des différentes politiques communautaires. Et parce que cela a été
approuvé et par la Commission et par le Conseil, on a pu par exemple pénétrer dans la
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politique agricole, qui était une forteresse. Et on a commencé à se demander : « mais quel
est l’impact de la politique agricole au niveau des territoires ? Qu’est-ce qui se passe en
raison de l’application de cette politique ? » ; non seulement de la partie « orientation «
mais l’application de cette politique même de la partie garantie, les prix, etc. Sans
considérer que, s’il y a des répercussions – et on constate (il y a eu des études sur ça)
qu’il y en a –, on justifie mieux l’action dans la politique de développement rural.
PT : Oui notamment le programme leader ou des programmes de ce genre…
CM : Mais vous devez savoir encore une chose que personne ne sait, ou ceux qui l’ont
vécu de l’intérieur : le programme Leader, la politique agricole, le FEOGA n’en voulait
pas au départ. Qui a commencé à faire ce qu’on appelait la politique de développement
local ? Ça été d’abord la politique régionale – je vous l’ai dit, non pas parce que « vous
étiez à la politique régionale » mais c’est l’historique. Pourquoi ? Parce que nous avions
une sensibilité territoriale par définition. C’est pour cela que j’ai dit que j’avais vécu un
privilège, comme je suis un adepte total de la politique de développement local,…j’ai eu
la permission de la pousser de la part des deux directeurs généraux que j’ai eu, Mathijsen
d’abord, Krauser est venu après, mais Mathijsen et Landaburu m’ont soutenu. La
politique de développement local, je vous le dis avec orgueil, c’est devenu une thèse
assez répandue même si on trouve toujours quelques difficultés : le localisme (il y a
toujours quelqu’un qui dit : « c’est le localisme ») ; mais non, la politique de
développement local n’est pas localisme. La politique de développement local part d’un
principe fondamental : tous les territoires, sauf les territoires désertiques (mais
heureusement ce n’est pas notre cas en Europe) expriment des énergies qui,
malheureusement, ne sont pas, au moins en bonne partie, libérées, exprimées. Ils ne les
expriment pas parce qu’ils ne trouvent pas les conditions pour les exprimer, parce qu’ils
sont meurtris par des situations différentes, parce que les politiques sont insensibles, pour
différentes raisons. Ou parce qu’il y a un découragement par exemple. Dans une période,
prenez l’actuelle période de crise, même du point de vue de l’emploi il y a des gens qui
ne se manifestent même pas parce qu’ils disent que c’est inutile.
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PT : Le fatalisme ?
CM : Le fatalisme. Mais tout ça est créé par les milieux : le pouvoir politique central ne
doit pas avoir la présomption de dire : « c’est moi qui décide ».
PT : Un pouvoir qui décrète un climat ?
CM : Qui décrète un climat, qui décrète comment on doit se développer, « c’est moi,
Bruxelles, qui dois dire comment Liège doit faire son propre développement », même si
on est à côté. Pourquoi ? Parce que les facteurs de croissance sont très différents d’une
région à l’autre, du nord au sud, de l’est à l’ouest. C’est au point local [qu’il faut
décider], parce que ce point est une histoire, une expérience etc. Donc, pour libérer cette
énergie, il faut créer la confiance. Le centre, donc, n’importe quel centre…je me rappelle
quand Giscard d’Estaing, lui qui avait été président de l’Auvergne, a dit un jour – quand
il était président de la République – « la France se gouverne au centre », et il n’y a pas
bêtise plus grande. Peut-être autrefois, mais pas aujourd’hui. Dans une économie
mondialisée tu dis « je m’enferme, je fais de l’autarcie » - ce qui n’est même pas
possible, d’ailleurs, même si on veut le faire.
PT : Une méthode peu concluante ?
CM : Ou alors on se confronte à la mondialisation. Moi j’ai des expériences par-ci par-là,
de gens qui veulent le faire, mais je dois créer la confiance, stimuler tout ça. Je dois
mettre les gens en condition de penser avec leur propre tête et non pas comme le
Mezzogiorno d’Italie, où les gens disaient « oh, le gouvernement, attendez que le
gouvernement… ». Ils voulaient toujours de l’assistance. Non ! Parce qu’il y a des
génialités. Il faut faire une politique qui permette aux gens de s’exprimer. Et si on permet
aux gens, aux acteurs locaux, à la société civile finalement, de s’exprimer, et les aider,
donc, à réaliser, on peut avoir des faillites bien sûr, mais ce n’est pas grave, c’est de
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
l’argent bien dépensé. Moi, j’ai trouvé une difficulté à l’intérieur de la Commission,
quand je trouvais des difficultés, comme je suis passionné par ce type d’arguments, je
disais : « ce n’est pas le centre qui doit dire comment, ce n’est pas Londres qui doit dire
à Glasgow comment il doit se développer, c’est Glasgow qui doit se déterminer. »
Question : mais alors le centre…
PT : C’est une perte de pouvoir ?
CM : Perte de pouvoir ? Non. C’est au contraire gérer un pouvoir beaucoup plus noble,
c’est-à-dire mettre les locaux en condition de pouvoir s’exprimer. Ça signifie donner tous
les moyens pour le faire : technologiques, techniques, de connaissance, etc. Il y a eu de
longues années où on ne nous permettait pas de contacter, de discuter avec des présidents
de régions, figurez-vous. Politique régionale ! Quand j’étais assistant, vers la fin du
mandat de M. Mathijsen, le président de l’époque, M. Thorn je crois, a reçu une lettre de
la représentation permanente française qui signalait l’audace de certains fonctionnaires de
la politique régionale, qui avaient osé discuter directement avec, non le maire de la
commune, le président d’une région du sud de la France.
PT : C’était un crime de lèse majesté ?
CM : Oui, et rappelé avec, naturellement, des formules diplomatiques. Et cette note est
naturellement descendue vers notre commissaire, le directeur général, et passée par moi,
assistant, pour reprocher ça. Il ne fallait pas, à l’époque. Après, ils ont voulu, avec
Maastricht, introduire le principe de la subsidiarité. Excellent principe. Mais dès le
départ, c’était clair que ce principe aurait dû opérer et dans le sens descendant et dans le
sens ascendant, parce que ce concept de subsidiarité signifie faire les choses là où c’est le
plus utile et le plus pertinent de les faire.
PT : C’est l’essence de ce principe.
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
CM : Voilà. Alors, si on veut faire une politique de l’environnement, il y a des choses
qu’on peut faire à côté, mais la problématique de l’environnement est aussi beaucoup
plus vaste. La problématique du climat, vous pouvez faire du bricolage à côté :
contributions, etc., mais cette problématique est plus vaste, donc elle doit être faite au
niveau et national et international (ou transnational). Le principe de subsidiarité, pour des
choses de ce type-là, agit vers le haut. En d’autres mots : si toi tu ne peux pas faire, parce
que tu n’as pas les moyens, les connaissances, etc., tu ne peux pas le faire compte tenu de
la nature de ce qu’il faut faire. Et c’est moi qui dois le faire. En revenant sur la politique
de développement territorial, c’est le multi-niveaux qui est important, ce n’est pas Paris
qui doit dire à Montpellier comment il doit faire, non, c’est Montpellier qui doit être
déterminé. Paris a une autre mission : de dire « fais attention, je veille parce que j’ai une
politique générale macroéconomique. Ce que tu décides, c’est certes le mieux pour toi, et
c’est ta responsabilité parce que si tu te trompes, c’est toi qui t’es trompé ; la chose que je
prétends d’une part est que tes difficultés ne soient pas transférées à la région d’à côté.
C’est à ça que je dois veiller : à ce qu’il y ait une compatibilité et une cohérence. ». C’est
juste ou pas ? Mais ça c’est une mission noble, ça ne signifie pas remplacer.
PT : Cette culture multi-niveaux à la Commission, elle était partagée par d’autres
collègues ?
CM : Elle s’est développée. J’en viens à une chose qui est d’une importance
fondamentale, et qui n’est écrite nulle part. A l’intérieur de la Commission, deux
écoles se sont toujours confronté: l’école de ceux qui disaient dès le départ, dès ’75, « la
politique régionale n’est en réalité pas une véritable politique commune ; la politique
régionale, et notamment le fond régional, (parce que d’autre part vous ne faites pas une
politique sans avoir un peu d’argent en poche, parce que l’argent incite) la politique
régionale doit être une politique d’appui aux politiques nationales à finalité territoriale.
En tant que politique d’appui, ce n’est pas Bruxelles qui doit nous dire à nous, États (je
parle d’États, encore), comment nous allons gérer l’aménagement du territoire.
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PT : Et comment gérer les fonds ?
CM : Et comment gérer les fonds. « Tu n’as qu’à nous les donner, on négocie. ». Alors,
au départ, depuis 1975 jusqu’en ’85 plus ou moins – c’est-à-dire jusqu’à l’entrée en
vigueur de la politique lancée par l’Acte unique qui est de 86, je crois…
PT : L’Acte unique, c’est ‘85-’86.
CM : ’86, exactement, parce que c’est Delors qui est venu et c’est lui qui a impulsé le
Marché unique. C’est là qu’est né, pour la première fois, la politique de cohésion
économique et sociale.
PT : Qui était la deuxième façon d’envisager cette politique régionale.
CM : Non, c’est beaucoup plus vaste.
PT : Ce n’est plus dans la même logique.
CM : Exactement, ce n’est plus dans la même logique.
PT : C’est une autre école.
CM : C’est une autre école. Mais il y a toujours eu deux écoles : la première qui dit « la
politique régionale étant une politique d’appui à l’action des États, à finalité régionale,
nous devons nous mettre d’accord sur les lignes générales, après quoi ils nous envoient
des projets, qui sont sélectionnés… »
PT : Donc dans ces cas, la Commission n’intervient pas sur la gestion des fonds ?
CM : Non. Elle intervient au départ pour dire…
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
PT : Ce sont les orientations ?
CM : Même pas des orientations encore, attention. Justement, c’est seulement après,
quand elle est devenue plus communautaire, que les orientations sont venues. Parce que
les orientations signifient : « ça c’est l’orientation que nous avons établie, tu dois faire
une politique qui soit cohérente avec celle-ci ».
PT : Qui s’inscrit dans le cadre de la programmation. Ça c’est plutôt une politique de
cohésion.
CM : Exact, mais la politique de cohésion est plus large, ce n’est pas seulement le fonds
régional, ce sont tous les fonds structurels, et même plus : la politique économique, etc.
Parce que, attention, c’est une cohésion économique, sociale et territoriale ; ce sont les
trois éléments qui entrent dans la politique de cohésion.
PT : Et, si je peux me permettre sur cet aspect-là : cette politique de cohésion, c’est
vraiment Jacques Delors qui lui a donné son impulsion ?
CM : Oui. La première politique de cohésion a été énoncée dans l’Acte unique.
PT : Oui, mais cette élaboration, c’est au sein de la DG XVI qu’elle a été pensée ?
CM : Oui, bien sûr. Pourquoi ? Je vous explique ce passage : 1975, fonds régional. Au
départ, celui-ci a un certain nombre de critères, mais vous, États, vous sélectionnez les
projets, vous nous les envoyez et nous les cofinançons, donc on vous appuie. Il n’y avait
même pas, à ce moment-là le principe de l’additionnalité, ce qui fait que, souvent, ils
nous envoyaient des projets déjà financés, donc ils récupéraient de l’argent qu’ils avaient
déjà dépensé. « Quelle additionnalité ? ». Rien. Et ça a duré. A un certain moment, nous
battions [Rires], Nous nous sommes dit : « ce n’est pas possible ». Et ça faisait dire aux
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
Allemands « et mon argent, où va-t-il ? Et toi Commission ? ». - « Nous, Commission,
faisons ce que VOUS, Conseil, nous avez dit de faire ». Et le Parlement européen n’avait
pas beaucoup à dire à ce moment-là. On était donc inquiets. Alors on a commencé à
inventer le PDR, le Programme de développement régional. Vous savez, on cherchait à
aller par des voies traverses, parce que, attention, la politique régionale était l’affaire
nationale. Et on a commencé à dire aux Etats: « ne serait-ce pas plus rationnel, et peutêtre plus efficace, de mener une politique d’intervention sur le territoire, de rééquilibrage,
de récupération des retards, etc., de reconversions (parce que c’était l’époque du naval,
du textile, de la sidérurgie : les crises sectorielles, mais les grosses crises sectorielles, de
l’industrie lourde). Ne serait-ce pas le cas que chaque pays ait un programme de
développement pluriannuel et, donc, d’insérer le projet que vous nous envoyez sur la base
d’une sélection que vous les Etats opérez, mais que vous opérez à partir d’une
programmation stratégique nationale ? Parce que comme ça, on devient sûrement plus
opérationnels et plus efficaces. ». Et on ne parlait pas encore de qualité, qui est déjà un
autre paramètre. Et, pas tout de suite mais petit à petit, on a obtenu le programme. Parce
qu’il y avait des Etats qui n’avaient pas l’habitude d’avoir une programmation
territoriale, attention : le Danemark, le Royaume-Uni lui-même, n’avaient pas de culture
de programmation territoriale. On avait la macroéconomie.
PT : Oui, une politique pensée depuis Londres ?
CM : Depuis Londres, depuis Rome, depuis Paris, etc. Et le premier pas était celui-là : on
a obtenu, petit à petit, d’introduire cette culture de la programmation territoriale. Un peu
plus tard, on a même inventé une commission, je l’ai écrit (je vois que je parle sans mes
notes alors que je m’étais préparé), en ’87-’89, il y a eu un comité, un terme, pour
raisonner sur la qualité, la rationalité et l’efficacité, l’impact, sur comment améliorer tout
ça. Et à ce moment-là a commencé à émerger l’idée que, à une programmation nationale,
il fallait ajouter au couplet une programmation communautaire. Parce que la
programmation nationale est, pour chaque pays, plus large. La politique régionale étant
une politique d’appui, comment expliciter cet appui ? Quelles significations donner à cet
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
appui ? Comment structurer cet appui ? Le cofinancement de projets, où il s’agit de
grands projets d’infrastructure – à l’époque la démarche infrastructurelle était privilégiée,
parce qu’on disait un peu partout que la base du développement sont les infrastructures.
On a, par après, prouvé que, certes, les infrastructures sont d’une énorme nécessité pour
la croissance d’un territoire mais ce n’est pas nécessairement la seule chose, et ce n’est
pas assez.
PT : Il y a eu quelques scandales tant au niveau national qu’au niveau des fonds
communautaires.
CM : Moi, je ne veux pas maintenant vous indiquer parce que ce n’est pas « joli, joli » de
le dire mais, à l’époque, envoyé par mon directeur général Mathijsen, j’ai visité un
aéroport, je me rappellerai toujours parce que ça m’a marqué, tout nouveau, cofinancé par
la politique régionale de la Communauté, donc par le contribuable européen. Un aéroport
magnifique : très beau avec des monuments à l’extérieur. J’entre, je visite, tout était prêt
et sentait le nouveau. On marche vers les pistes à l’extérieur et je vois, je vous dis la
vérité, au fond loin, juste en face des pistes, un édifice énorme. J’ai dit : « mais, ça doit
être démoli »- parce que cet aéroport avait été construit pas loin de l’ancien. L’aéroport
pré-existant, qui n’avait pas été là, mais dans un endroit pas très loin ; comme c’était une
région touristique et les avions devenaient de plus en plus gros, ces avions (qui n’étaient
plus des Caravelles) ne pouvaient plus atterrir dans cet aéroport. Il fallait faire un autre
aéroport. On ne pouvait pas élargir cet aéroport-là pour des raisons environnementales,
donc on l’a fait ailleurs. Mais il y avait ce bâtiment énorme juste en bout de piste. Et j’ai
dit : « ça doit être démoli. « Ah, non Monsieur. Vous savez, c’est un hôpital. ». Un
hôpital donc…ce qui aurait pu arriver…Cet aéroport n’a pas fonctionné pendant une
longue période. Vous imaginez combien ça a pu coûter.
PT : Et quelle était la marge de manœuvre de la Commission par rapport à ce genre de
cas ?
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
CM : Justement. La marge de manœuvre était naturellement : réunions avec l’État, mise
en demeure etc. Mais, habituellement, une attitude laxiste de la part des Etats qui
affirmaient : « On règlera le problème ».
PT : Dans le cadre de la politique de la concurrence, le traité ne vous donnait pas des
arguments juridiques ?
CM : Forts. Il ne nous donnait pas des arguments juridiques forts. Les menaces sont
venues après. C’est la raison pour laquelle on a mis des règles plus contraignantes après.
PT : Le cofinancement…des règles de durée ?
CM : Le N+2.
PT : Pour que les fonds soient correctement utilisés ?
CM : Pas seulement ça : « Tu veux faire ça ? Très bien. Ce n’est pas contraire aux
politiques communautaires (parce que nous vérifions seulement ça, s’il y a quelque chose
qui est contraire à la politique des transports, à la politique de l’environnement, etc.) donc
ça va. Mis à part le cofinancement du projet, et ça c’est important aussi, notre objectif
était d’avoir une croissance des facteurs qui indiquent le développement dans le territoire,
par exemple, à terme, du PIB par habitant. Si je prends ce paramètre (parce que c’est ce
paramètre qu’on prend essentiellement même aujourd’hui), je veux que ce PIB par
habitant dans la région X passe de Y à Z dans les quatre ans à venir.
[…]
PT : Pour qu’il y ait une croissance régionale, un plus grand développement ?
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
CM : Je peux obtenir des moyens communautaires. Si une région e situe à 30% en
dessous de la moyenne communautaire en termes de PIB par habitant, j’essaye
d’atteindre au moins la moyenne et après, si c’est possible de la dépasser. Si je finance un
projet en lien avec un programme, tout ce que je peux dire c’est : « c’est un magnifique
projet » mais quels sont les impacts sur le déplacement du cœfficient (PIB de la région) ?
Et c’est la raison pour laquelle, à force, on est passé d’abord par la programmation
nationale, après on s’est dit qu’à la programmation nationale il faut une réponse
communautaire. Qu’est-ce que c’était le cadre communautaire d’appui ? C’était la
réponse à la programmation nationale. Et le cadre communautaire d’appui pays par pays
n’était que la communautarisation, c'est-à-dire répondant à l’intérêt communautaire du
développement d’une région donnée. Donc voilà la logique : cette progression était
importante mais à côté de cela il fallait introduire l’intégration parce qu’autrement c’est
inutile que la politique sociale en matière de formation (comme c’était le cas avant) se
fasse sans programmation ; le Fonds social, exactement comme le FEDER durant sa
première période, finançait aussi des projets et il n’y avait pas de programmation. Mais
moi, je ne veux pas savoir si un projet est bon ou mauvais, je veux savoir si ce projet est
fonctionnel au développement du territoire concerné. Pour faire ça il faut intégrer les
opérations. Si l’économie demande beaucoup plus d’ouvriers dans le bâtiment que
d’ingénieurs cosmonautes [Rires]…
PT : Il faut investir dans leur formation.
CM : Il faut voir quelle est l’évolution de l’économie, quelles sont les directions qu’elle
prend, donc la perspective et, à l’époque de Delors a été créé le groupe de prospective
(j’y ai travaillé aussi). Il y avait un groupe de perspectives qui travaillé avec Delors.
PT : Ricardo Petrella y était aussi ?
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CM : Non, Petrella n’était pas dans ce groupe. C’était un Français qui est encore directeur
…Jérôme Vignon. On a travaillé avec Jérôme Vignon. Nous avons inventé, mais
beaucoup plus tard.
PT : Dans les années ’90.
CM : Oui, dans les années ’90, après ’86. On a inventé une chose ensemble. On a fait une
étude sur les nouveaux gisements d’emploi. Vous savez, après les chocs pétroliers, le
premier en ’73, le deuxième ’75, il y a eu une crise parce que l’énergie coûtait cher. Il y a
eu une longue période caractérisée aussi par la sortie de l’emploi pour beaucoup de
travailleurs et chômeurs. Il y avait un problème d’emploi en Europe parce qu’on avait
atteint presque 9%, 9,5% de chômage. Aujourd’hui c’est peut-être pire, mais bon. Je parle
du niveau européen parce que certains pays avaient un taux beaucoup plus haut, et
certaines régions encore plus haut. Et c’est de là aussi que nous avons introduit une autre
idée à côté de l’idée du développement local : la possibilité de mobiliser les ressources
endogènes. Mais les mettre en condition de s’exprimer… à côté de ça les centres ont
entrepris cette innovation ; les BIC (Business Innovation Centres). ont soutenu les
entreprises et puis sont nés les pactes territoriaux pour l’emploi.
PT : En ’96.
CM : Bravo. C’étaient des pactes expérimentaux au départ. Des pactes européens pour
l’emploi mais aussi euro-partenariats, euro-leader, directoria. Je peux vous expliquer
chacune de ces initiatives.
PT : Tout à fait, mais c’est en dehors de notre période.
CM : Oui, malheureusement mais, vous savez, la période qui a un peu explosé a
commencé à partir de ’88. Pour différentes raisons : la première parce qu’il y avait eu
une maturation d’un certain nombre d’exigences liées à l’efficacité, à la rationalité, à
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l’intégration et tout ça avait été accompagné par les premières expériences pilotes qui,
plus tard, à partir de ’88 sont devenues les programmes d’initiatives communautaires.
C’est donc la période ‘89-’93, période pluriannuelle avec le premier paquet Delors qui,
justement, avait avancé et obtenu deux idées fondamentales : la réalisation du marché
unique en ’92, ’93 et la pluriannualité du budget, c’est qu’on appelle encore aujourd’hui
les perspectives budgétaires. Pourquoi ? Parce que puisque nous avions insisté sur la
programmation, pour la rendre significative par rapport à l’impact réel sur le
développement des régions, cette programmation ne pouvait pas être dissociée de l’apport
financier et donc de la pluriannualité des ressources.
[…]
PT : Donc, ça ce sera pour un troisième volume du projet. Ce qui est important c’est que
le début des années ’80 a été, comme vous l’avez dit, la période d’expérimentation, de
maturation. Sans cette période-là, qui est peut-être moins spectaculaire ?
CM : Moins spectaculaire mais fondamentale.
PT : Peut-être un dernier chapitre parce que le temps avance…
CM : Si mais moi, je ne finirai jamais…
PT : On a parlé beaucoup de la politique régionale mais au delà de ça, votre vie sociale à
la Commission…
CM : Moi, jusqu’en ’88 je crois (je l’ai noté quelque part), j’étais assistant. J’ai fait
l’assistant. Ça a été aussi un inconvénient, je m’explique, parce que, comme je viens de le
dire, le directeur général de l’époque qui voyageait beaucoup, me faisait confiance et le
jour où un des directeurs, notamment M. Rencki, lors d’une réunion des directeurs le
lundi a dit à M. Mathijsen qu’il ne pouvait pas toujours recevoir des ordres de l’assistant.
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M. Mathijsen, mon directeur général, a joué un rôle (j’étais reconnaissant), il a dit :
« Non, M. Rencki, ce que dit M. Messina, ça vient de moi, donc s’il vous plait, quand je
serai absent c’est Messina qui est mon porte-parole». Ça a compté pour moi, mais ça
c’est un problème personnel, un petit inconvénient parce que je disais : « oui, d’accord,
c’est magnifique mais, quel est mon avenir ? ». Mathijsen répondait : « mais Carmelo,
vous avez une Direction Générale à votre disposition ». Si, effectivement c’était
magnifique de ce point de vue, mais j’attendais aussi de progresser dans ma carrière. J’ai
progressé après, mais j’ai dû attendre Landaburu. Compte tenu de ma position les choses
étaient à la fois difficiles si on prend en considération l’atmosphère, le contenu, les
élaborations successives de cette politique, les problèmes. J’étais le premier, je vous ai
dit, avec mon ami qui travaillait avec Rencki, qui s’appelait M. André; nous avons
travaillé ensemble pour rédiger le premier document de la Commission sur l’intégration,
mais, à l’époque c’était au niveau des projets, ce qu’on appelait les projets intégrés. Mais
passer d’un projet intégré à une action intégrée plus complexe, après le passage,
l’intégration, a été facile, presque naturelle. Mais une fois affirmée l’exigence de
l’intégration, c’est-à-dire l’implication de tous les acteurs, parce que, attention, quand on
parle d’intégration, je voudrais préciser ça : il y a une intégration verticale et une
intégration horizontale. L’intégration verticale signifie que vous intégrez ce que fait la
Communauté avec ce que fait l’Etat et l’Etat avec ce que font les régions et les locaux, de
manière à ce qu’il y ait toujours de la cohérence ; donc pour un problème de cohérence et
d’harmonie. Mais l’intégration verticale comporte aussi la nécessité d’une intégration
horizontale : secteur avec secteur. On ne pouvait pas faire une politique des transports
finalisée seulement aux transports, pour le simple but de construire des routes.
PT : Il faut que ça soit utile à d’autres secteurs.
CM : On le faisait pour améliorer une certaine situation, mais cette situation comporte
différentes dimensions qui doivent s’intégrer toutes. Récemment, l’année dernière – je dis
ça pour expliquer un peu, le Parlement Européen, la commission de la politique régionale
du PE me demande de faire une étude sur la politique urbaine et sur les quartiers
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
défavorisés, et la commission ajoute, pour mieux utiliser l’intégration. Après je constate
que le Parlement parle d’intégration sans savoir de quoi il parle [Rires] et il est évident
que je dois leur expliquer, fait qui a créé quelques problèmes à l’intérieur. Si on voulait
faire, dans les quartiers en crise, une politique urbaine et vous dites : « je veux que
l’approche intégrée soit utilisée ». Mais qu’est-ce que c’est l’approche intégrée ?
PT : Ça ne doit pas rester un concept ?
CM : Pas un concept vague, comme ça, de la littérature socio-économique.
PT : Qu’est-ce que ça veut dire de manière opérationnelle.
CM : Ça signifie qu’il faut
définir, déterminer, comprendre qui sont les acteurs
significatifs d’un quartier en crise. Qui sont ces acteurs ? Bon, on l’appelle la société
civile. Après ça, il faut les mobiliser, les stimuler. Certes, à la fin du parcours quelqu'un
doit décider, bien sûr c’est l’autorité compétente ; mais seulement quand elle a tous les
éléments qui permettent l’intégration de tout ça. Ca signifie faire opérer les
responsabilités jusqu’au niveau individuel. Mais pour faire ça il faut une mobilisation, il
faut des actions, il faut les conditions pour, donc il faut terminer. On se plaint encore
aujourd’hui parce que la crise ceci, parce que la crise cela…oui, bien sûr, il y a la crise,
mais la crise, sachant où on va (avec la Chine – un milliard et trois cents millions, l’Inde
– un milliard et quelques) avec la problématique financière, parce que c’est vrai que les
banques on va les soutenir, mais elles ont une tendance irrésistible de recommencer la
spéculation financière.
PT : C’est plus fort qu’eux ?
CM : Or, ou nous avons d’un côté une véritable gouvernance internationale ou
commençons par le petit, parce que je veux bien savoir…qu’est-ce que c’est la
Wallonie ? La Wallonie est beaucoup de choses, parce qu’il y a l’histoire qui est passée
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dessus. Dans la Wallonie, comme dans tout autre territoire, il y a une économie de
proximité et une économie compétitive. Sur l’économie compétitive, puisque il faut faire
face à la compétition mondiale désormais, la seule chose qu’on peut faire c’est de créer et
d’innover, parce qu’en plus l’innovation c’est notre force, parce que nous avons un
avance sur ça. Nous avons les génialités du Nord au Sud, TOUTES les génialités sont en
Europe : exploitons ça, encourageons ça, vraiment les gens trouveront un appui. C’est ça
qui est important. Et après, parce qu’il n’y a pas d’autre manière…on ne peut pas dire :
« ah, mais je faisais le textile, je faisais les chemises, maintenant elles viennent de la
Chine » ce n’est pas possible ; c’est comme ça. La solution est de dire je ferai autre
chose.
PT : Il faut inventer de nouvelles choses.
CM : Mais pour faire autre chose il faut que les gens soient encouragés, qu’ils sachent
que si vraiment ils commencent à faire tourner leur cerveau, ils trouveront quelqu'un qui
les aidera. Par exemple, l’autorité publique, au lieu de dépenser de l’argent parfois
farfelu, elle pourrait offrir un check-up technologique gratuit aux petites et moyennes
entreprises. « Je vous offre un check-up et j’ai des résultats ». Et si on fait ça avec toutes
les petites et moyennes entreprises, on pourra sélectionner les secteurs qui peuvent avoir
une croissance. Et après avoir fait un tableau comme ça on dit aux entreprises : « si vous
investissez, on vous aide. On vous a offert un check-up mais on vous aide pour
l’internationalisation. ». Si d’ailleurs, et par ailleurs, c’est un exemple que je donne
maintenant, je lance, dans le Journal Officiel, pour un territoire donné une sorte de
concours …je dis : « tous les universitaires qui sortent des différentes spécialisations qui
ont des idées de projets innovants, sachez que moi, autorité publique compétente, je vais
faire la sélection des avant-projets (attention, même pas projets), des idées articulées de
projets (qui ne sont pas encore des projets mais qui sont assez structurées comme idées)
et je vous donne même les rubriques que vous devez remplir. Je fais un concours, et sur
base de ces critères que j’énonce (A, B, C, etc.) je vais sélectionner vos idées de projets.
Et avec ceux que je vais choisir sur base de ces critères (je fais appel naturellement à un
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jury) je vais participer au montage de ces projets et j’ajoute le lancement ». Ca signifie
faire de l’innovation territoriale, parce que c’est de l’ingénierie financière fine. Après,
naturellement, j’essaie de financer la recherche, surtout la recherche opérationnelle.
PT : C’est un peu quelque part les enseignements que vous avez tirés de votre parcours.
CM : De mon parcours et de ma propre implication. Vous savez la passion que j’ai pour
ça, c’est parce que je l’ai vécu. Je l’ai voulue et je l’ai voulue dans une position qui me
permettait de l’avoir, parce que j’avais un directeur général bien disposé. Vous savez la
seule chose qui me disait M. Landaburu ? Il me disait : « Carmelo, vous avez raison parce
que vous l’avez prouvé. ». Je vous ai parlé d’une série d’actions : euro-partenariat, par
exemple, petites et moyennes entreprises. C’est vrai parce qu’il l’a constaté : les pactes
territoriaux pour l’emploi étaient une méthode qui relevait toujours de la même idée : de
mobiliser les ressources locales, les responsabilités locales. Une opinion ne suffit pas, ce
qui suffit, par contre c’est une implication réelle d’une manière ou d’une autre. De là
aussi, l’idée de la participation du public et du privé.
PT : Les partenariats public-privé ?
CM : Il faut avoir des raisons précises, il faut faire comprendre que ce qu’on veut n’est
pas une fantaisie. Le multi-niveaux est important.
PT : Tout ça est le fruit d’une lente maturation, d’un travail de conviction ?
CM : D’années de conviction. On dit souvent : « les eurocrates… », ça fait plaisir parce
que ce sont les bouc émissaires parfois, mais ils font, pas partout peut-être, un travail
utile. Quand on nous disait : « vous ne devez pas parler avec les régionaux, les locaux
etc.» parce qu’il y avait une jalousie, un obstacle de l’administration centrale, notamment
des Etats. Pendant des années, aux administrations centrales il ne fallait pas parler de
Communauté européenne. Et maintenant on est étonnés que le projet de Constitution n’ait
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HistCom.2 « Histoire interne de la Commission européenne 1973-1986 »
Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
pas été adopté. Les citoyens doivent savoir quelle est l’utilité de tout ça. Ce n’est pas
tellement difficile à condition d’avoir la volonté de faire passer, d’expliquer des
messages. Est-ce qu’il y a des émissions à la télévision qui vous expliquent tout ça ?
PT : Pas suffisamment. C’est un peu le projet que vous avez développé durant votre
carrière ?
CM : C’est surtout ça, en ayant la possibilité de le faire. Je répète, la seule chose que mon
directeur général me disait, à qui moi je disais : « finalement on a trop d’argent » (ça peut
vous paraître paradoxal). Lui il me disait : « vous savez Carmelo, ce que vous faites est
très bien (parce que je le lui montrais) mais il faut dépenser notre argent parce que
comment faire pour demander au Conseil, à la fin de la période de cinq ans,
pluriannuelle, encore plus d’argent en disant que c’est nécessaire – c’était nécessaire, et
maintenant avec l’élargissement n’en parlons pas – si nous ne démontrons pas que nous
avons bien dépensé l’argent que nous avons obtenu cinq ans auparavant. Et ce que vous
faites est formidable, mais il ne faut pas beaucoup d’argent pour le faire. ». C’était vrai,
mais je n’avais jamais affirmé qu’il ne fallait pas cofinancer des infrastructures
véritablement utiles et dans le cadre d’une programmation opérationnelle.
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Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)
Index des noms de personnes
André, Clement, 36
Bombassei de Vettor, Giorgio, 3
Bombassei, Ranieri, 3, 4, 7
Davignon, Etienne, 23
Delors, Jacques, 14, 15, 18, 28, 29, 33,
35
Giolitti, Antonio, 13
González, Felipe, 18
Jaeger, Jean, 8, 11, 13, 14, 17
Krauser, ?, 24
Landaburu, Eneko, 14, 18, 19, 24, 36, 39
Mathijsen, Pierre, 8, 14, 15, 18, 20, 21,
24, 26, 31, 35, 36
Messina, Carmelo, 1, 3, 4, 11, 36, 39, 40
Noël, Emile, 22
Perissich, Riccardo, 13
Petrella, Ricardo, 33, 34
Rencki, Georges, 19, 35, 36
Rüggiero, Renato, 17
Schlieder, Willy, 17
Solima, Rosario, 19
Thatcher, Margaret, 15, 16
Thomson, George, 13
Thorn, Gaston, 26
Vignon, Jérôme, 34
Zanni, Giuseppe, 13
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HistCom.2 « Histoire interne de la Commission européenne 1973-1986 »
Entretien avec Carmelo MESSINA (23.11.2010)