victoria

Transcription

victoria
VICTORIA
Victoria, de Justine Triet : la réjouissante
mélodie du malheur
Avec Victoria, chronique d'une femme au bord de
la crise de nerfs, Justine Triet réalise une
comédie burlesque à l'américaine. Une ouverture
de la Semaine de la critique tonique et
désopilante. Virginie Efira y est ébouriffante.
Travail, famille, patrie, mais sur le mode de la
bouffée délirante. Dans La Bataille de Solférino,
Justine Triet embrassait en effet les trois termes
d'un coup, en provoquant un raz de marée
psycho-sentimental assez ébouriffant. Dans
Victoria, le travail et la famille sont encore en jeu,
la patrie un peu moins – encore qu'on peut très
bien y lire en filigrane le portrait d'une France
complètement dépressive. Mais s'ajoutent
surtout l'amitié, l'amour, le sexe… Justine Triet,
jeune réalisatrice au tempérament bien trempé,
compte décidément large, en aayant peur de
rien. Et surtout pas de faire rire. Désopilante, La
Bataille de Solférino l'était déjà par moments,
mais ce n'était pas stricto sensu une comédie.
Victoria l'est, en assumant clairement ses
modèles (Billy Wilder, Howard Hawks, Blake
Edwards), qu'elle n'hésite pas à citer et à revisiter
au goût d'aujourd'hui. Plus écrit et
accrocheur dans ses dialogues, plus rythmé
comme le réclame le genre, le film obéit à une
autre esthétique – exit la caméra à l'épaule, la
mise en scène est maintenant stabilisée.
Celle qui donne son prénom au film est une
avocate, mère de famille monoparentale, qui
croule sous les problèmes. Son baby-sitter la
lâche, son ex la harcèle, ses histoires de cul
tournent au fiasco et voilà que son meilleur ami
(Melvil Poupaud), soupçonné d'avoir poignardé sa
femme lors d'un mariage où elle était aussi
invitée, lui demande de le défendre. Elle s'y
refuse d'abord, pensant que cela le desservira,
puis s'y résigne, sur son insistance. Mille et un
événements adviennent qui rendent sa tâche
compliquée et galvanisante. Elle est aidée par un
ange gardien inattendu, un drôle de factotum,
zigue du genre fumeux et lunaire, qui s'avère très
responsable (Vincent Lacoste, au top).
Ce qui est burlesque, c'est que tout se mélange –
amitié, amour, justice – et suscite justement le
débat,
autour
de
doutes très
contemporains. Victoria
demande
conseil,
s'explique, négocie, s'autoanalyse. Son souci
majeur, c'est de vivre à contretemps et ne plus
très bien savoir à quel moment elle a le droit
d'être romantique. Chez le psychanalyste, la
voyante (grand moment d'absurdité), au prétoire
ou dans l'alcôve, sa vie est une scène perpétuelle
ou une arène, réservant toutes sortes de tensions
et de contradictions. Victoria subit, se sent
perdue, plonge dans la dépression, se bat aussi.
Une nana à l'ouest doublée d'une femme
d'action. Pragmatique, quand il le faut.
Sous pression et sous médocs
La Semaine de la critique démarre très fort avec
ce film qui défie la vie saine et sans risques, où
tout le monde est sous pression et sous médocs,
alcool ou stupéfiants divers. Où des animaux (un
dalmatien et un singe) viennent témoigner à la
barre. Où une confidente très proche est capable
de balancer : « Je préfère t'avoir en alliée qu'en
amie. » C'est réjouissant même quand c'est
pathétique, c'est trash sans être régressif, bien
au contraire. La force du film est de toujours
tendre vers l'intelligence, vers un certain
équilibre, sans quitter le terrain de l'intime
(conviction).
On aimait déjà l'aplomb de Virginie Efira. Il fallait
qu'elle trouve quelqu'un qui la porte haut. C'est
chose faite dans ce film, où sexy, ordinaire,
glorieuse, défaite, elle incarne une superhéroïne
des temps modernes. Dommage qu'il n'y ait pas
de prix d'interprétation à la Semaine.
Jacques Morice – 12/05/2016