La comédie et le comique
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La comédie et le comique
La COMÉDIE et le COMIQUE 1. Les origines de la comédie La comédie (comme la tragédie) est née en Grèce antique, en lien avec le culte de Dionysos (appelé Bacchus chez les Romains, dieu du vin et de l'ivresse). Étymologie : comédie < kômoï ( = processions carnavalesques et burlesques) + odê ( = chants, odes en l'honneur du dieu). Divertissement populaire à l'origine, la comédie devint ensuite plus réglementée lors des "concours de théâtre" où elle s'opposait à la tragédie. Elle mettait en scène des personnages du peuple, dans des situations empruntées à la vie quotidienne, et son objectif était à la fois de faire rire / de divertir ( visée comique) et de railler / de critiquer ( visée satirique). En Grèce, au Vème siècle av. J.-C., ARISTOPHANE écrit des comédies contestataires (satire politique) d'une grande fantaisie verbale. Au IVème siècle, MÉNANDRE privilégie la peinture de moeurs à visée morale, et crée des "types de personnages" (le vieillard avare, les jeunes amoureux, l'esclave rusé, etc.) qui deviendront traditionnels. A Rome, l'auteur latin PLAUTE (au IIIe siècle avt JC) cherche surtout à faire rire par la caricature et le burlesque ; mais TÉRENCE (au ~IIe siècle) réduit le comique au profit d'une réflexion plus moraliste, dénonçant des travers de la société romaine. 2. Au Moyen Âge La comédie est un spectacle populaire, qui accompagne les fêtes (Fête des Fous, fin décembre ; Carnaval, mi-février) et les foires commerciales. La farce, jouée sur des tréteaux, est un long sketch avec une intrigue très sommaire et des personnages typés ; elle exploite à fond les quiproquos et le comique de geste (mime et gags visuels). La sottie est axée sur un "sot" (sorte de bouffon) et a un caractère très satirique. En Italie au XVème siècle, la farce se codifie et devient la Commedia dell' Arte : à partir d'un "canevas" ou scénario de base, les acteurs improvisaient et pouvaient librement exécuter leurs morceaux de bravoure, appelés lazzi, et leurs jeux de scène. Ce théâtre (et ses personnages très typés) se répandit dans toute l'Europe. 3. La " grande comédie " au XVIIe siècle Avec CORNEILLE (qui écrivit 6 comédies, dont L'Illusion comique) puis MOLIÈRE surtout, la comédie va acquérir ses lettres de noblesse. Les pièces de Corneille présentaient, dans une langue élégante (et en vers) les intrigues amoureuses de jeunes gens de la bourgeoisie aisée. Molière, avec ses 30 comédies, va mêler les ressorts comiques de la farce, les personnages de la commedia dell' arte et les débats de l'époque. Ses comédies mettent en scène des bourgeois ou personnages du peuple, qui ont des préoccupations banales (pbs de mariage, d'argent, maladie, etc.) ; ils s'expriment dans une langue de tous les jours, voire populaires (servantes, paysans...). A visée satirique ou polémique, les pièces de Molière parlent de l'éducation des filles (L'École des femmes, Les Femmes savantes ), de l'hypocrisie religieuse ( Tartuffe) ou mondaine ( Dom Juan, Le Misanthrope ), ou bien mettent une scène un personnage ridicule, avec un défaut, un "vice" ( Le Bourgeois gentilhomme, L'Avare, Le Malade imaginaire ). C'est pourquoi ses comédies connurent à la fois le succès et la contestation, voire même la censure. Inventeur avec Lulli de la « comédie-ballet » (qui mêlait théâtre, musique, chants et danses), Molière contribua à donner à la comédie un prestige comparable à celui de la tragédie ; la comédie devient le miroir critique de la société de son temps, elle veut plaire, divertir ( fonction comique) mais aussi instruire, comme l'explique la devise « castigat mores ridendo » = corriger les vices des hommes par le rire ( fonction pédagogique ou morale). 4. Evolution ultérieure de la comédie Au XVIIIème siècle MARIVAUX écrit des comédies sentimentales qui mettent à l'épreuve les amoureux, à l'aide de stratagèmes et déguisements ( Le Jeu de l'amour et du hasard, Les Fausses confidences, La Double inconstance). B.BERTEL BEAUMARCHAIS va lui donner un tour plus politique et satirique, teintée de revendications sociales, avec un langage virtuose, des coups de théâtre et d'ingénieux jeux de scène ( Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro ). Au XIXème siècle, le drame romantique, les comédies dramatiques et les «proverbes » de MUSSET vont mélanger les genres comique et tragique : le bouffon et le burlesque de certaines scènes contrastent avec le pathétique d'autres... A partir de 1850, le « théâtre de boulevard » triomphe, avec les vaudevilles de LABICHE, FEYDEAU et COURTELINE ( histoires de maris ou femmes trompé(e)s, ou de naïfs dupés par des rusés... ) Au XXème siècle, le théâtre parodique et grotesque de JARRY ( Ubu roi ) fait figure de révolution et annonce le théâtre dit " de l'absurde " ou le nouveau théâtre des années 1950 : BECKETT et IONESCO font jouer des « farces tragiques » où un humour grinçant accompagne une vision noire et désespérée du monde. Moins pessimistes, les comédies contemporaines, (Jean-Michel RIBES, Yasmina REZA, ou la troupe des Deschamps/Makaïeff ) transforment en fantaisies plus ou moins loufoques nos comportements ordinaires... 5. Les procédés du comique Souvent combinés et alternant dans un même passage, on distingue : - le comique de geste : c'est essentiellement un comique visuel qui naît du jeu de scène des acteurs ( mimiques, grimaces, chutes, gifles, coups, objet que l'on veut dissimuler, etc. ) - le comique de situation : ce sont les circonstances où est placé un personnage qui font rire ( quiproquo ou méprise, personnage caché, déguisement, rebondissement, transfert d'autorité, etc. ) - le comique de caractère : c'est un défaut ou "vice" du personnage, exagéré et caricaturé, qui fait rire ; le rire se mêle ici de satire. -le comique de langage : il repose sur les mots ( jeu de mots, calembour, accent, déformation des mots, répétition, etc. ) Le comique repose sur différents procédés, comme : -l'exagération, le grossissement, l'hyperbole, la caricature... -la répétition d'une réplique, ou d'une situation, le parallélisme des situations ou des scènes... -la déformation des intentions, le retournement de situation... -le décalage, le mélange des tons ou des langages, le détail incongru, le paradoxe, l'absurde... -les sous-entendus et les allusions... D'une manière générale, le rire naît souvent de ce que le spectateur en sait plus que les personnages qu'il observe ; il est en situation de "supériorité" au théâtre, et il en jouit : rien ne lui échappe, il en sait presque toujours beaucoup plus que les personnages, il s'amuse des quiproquos et il "domine" la situation. (ce n'est pas comme dans la vie). Les types de comédies : on peut distinguer - la farce : sketch assez visuel et bouffon, voire grossier - la comédie d'intrigue : basée sur les péripéties, stratagèmes et rebondissements - la comédie de caractère : qui critique un "type", un défaut qu'elle caricature - la comédie de moeurs : elle critique les travers d'une société, d'un milieu - la comédie psychologique et sentimentale : elle met en scène les "surprises" de l'amour ; cf. Marivaux et Musset - le vaudeville ou "théâtre de boulevard" : basé sur des tromperies diverses entre maris et femmes ; cf. Labiche, Feydeau et Courteline. Les fonctions du RIRE : Il libère, en "dégonflant" les prétentions de certains ( orgueil, vanité), en raillant la bêtise humaine ; il traite de façon irrespectueuse des sujets graves ou tabous ( politique, exercice du pouvoir, maladie, mort...). Il sert aussi d'arme et peut attaquer, critiquer ( fonction satirique) ; il cherche parfois à faire réfléchir sur un problème ( fonction didactique). B.BERTEL