Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie

Transcription

Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie
UNION GENERALE TUNISIENNE DU TRAVAIL
DEPARTEMENT DES ETUDES ET DE LA DOCUMENTATION
Avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert
Mutations du marché du travail,
la p r é c a r it é e t s e s im p a c t s e n T u n is ie
Résultats d’une enquête quantitative et qualitative
dans le Grand Tunis
Décembre 2008
Remerciements
Les conseils précieux de Monsieur Mohamed SHIMI et l’appui de son personnel
du Département des Etudes et de la documentation aux différentes étapes de
l’étude nous ont offert les meilleures conditions de travail.
L’enquête de cette étude, sous ses deux volets quantitatif et qualitatif, a été
réalisée avec l’appui de plusieurs structures syndicales :
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•
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•
•
Fédération des Professions et Services
Fédération du Textile et de l’Habillement
Fédération de l’Industrie Electrique et Electronique
Fédération du Tourisme et de l’alimentation
Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics
Fédération des Postes et des Télécommunications
Fédération de la Santé et
Syndicat de la STEG
Les départements de l’UGTT chargés du secteur privé, du contentieux et du
règlement intérieur ont eu l’amabilité de nous accorder des entretiens sur
plusieurs aspects du problème de la précarité de l’emploi.
La Fondation Friedrich Ebert a financé cette étude. Son personnel a facilité le
déroulement des enquêtes et le traitement informatique des données de l’enquête
quantitative.
L’équipe d’experts exprime ses remerciements à tous. Elle remercie également
tous les travailleurs précaires qui ont bien voulu répondre aux questionnaires de
l’enquête.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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SOMMAIRE
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INTRODUCTION
Première partie :
CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE
DES TRAVAILLEURS PRECAIRES
1
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1-1-1
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2-1-2
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2-2
2-2-1
2-2-2
3
LA LIBERALISATION ECONOMIQUE
PRECARISE L’EMPLOI
La libéralisation économique et les transformations du marché du
travail
Intégration progressive dans l’économie mondiale.
Réduction du champ économique du secteur public par la
privatisation
Principales transformations du marché du travail
Dans le contexte de la libéralisation économique, les droits sociaux et
professionnels sont mis en question.
Effets de la libéralisation économique sur la précarisation de l’emploi.
Le modèle de compétitivité et d’organisation du travail génère du
travail précaire
L’industrie de l’habillement demeure un secteur marqué par la
précarisation de l’emploi depuis son émergence avec la vague de
libéralisation du début des années 70.
La précarité dans une entreprise multinationale de l’industrie
alimentaire.
Le Tourisme totalement intégré dans le secteur privé demeure une
activité saisonnière et un foyer du travail précaire
Le secteur de la santé : La précarité couvre toutes les qualifications.
La précarité dans le secteur d’électricité et du gaz
LES CARACTERISTIQUES DE LA RELATION DE TRAVAIL
SORTIE DE L’EMPLOI DE LA POPULATION ETUDIEE
CARACTERISTIQUES
DE
L’EMPLOI
PRECAIRE
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31
ET LES RAISONS DE
Caractéristiques de la relation de travail de la population étudiée
Les formes de travail précaire
Les trajectoires professionnelles des travailleurs précaires sont
fortement marquées par le travail précaire.
La sous-traitance de la main-d’œuvre est associée au CDD et à
l’absence de contrat de travail écrit.
Raisons de la mobilité
Les principales raisons de sortie de l’emploi
Les principales raisons de démission de l’emploi précaire
LES
13
: LA
FEMME
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EST
PARTICULIEREMENT VICTIME DU TRAVAIL INDECENT
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3-2-1
3-2-2
Caractéristiques démographiques et éducatives de la population
étudiée
Les déterminants du niveau des salaires
Le salaire est croissant en fonction du niveau d’éducation et inégal par
genre.
Le salaire est inégal selon le type de relation de travail.
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4
4-1
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4-1-2
4-2
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4-2-2
Effet négligeable de l’expérience professionnelle sur le niveau du
salaire.
Environ le quart de la population étudiée perçoit un salaire indécent
car inférieur au SMIG.
Les salaires obtenus sont inférieurs aux salaires souhaités
Faible écart entre les salaires de la population syndiquée et celle qui
est non syndiquée.
Une proportion importante des travailleurs ne bénéficie pas de
protection sociale.
Les travailleurs sous le statut d’une relation de travail triangulaire
sont nettement moins protégés que ceux qui sont sous le statut d’une
relation bilatérale.
Les femmes sont moins protégées que les hommes, particulièrement
contre le risque de maladie.
La pénibilité du travail et les accidents de travail
La pénibilité du travail est une forte caractéristique de l’emploi
précaire.
Le risque d’accident de travail et de maladie professionnelle est
particulièrement fréquent chez les femmes et les travailleurs en
relation de travail bilatérale
La longue durée hebdomadaire du travail et le travail de nuit sont
associés à la relation de travail triangulaire et au travail des hommes.
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CONDITIONS DE VIE DES TRAVAILLEURS PRECAIRES
Conditions d’habitat des travailleurs
Les conditions d’habitat des travailleurs précaires sont d’un niveau
très en dessous de la situation moyenne de la population tunisienne.
Le loyer absorbe une forte proportion du salaire, particulièrement
parmi les femmes.
Reproduction de la précarité au sein de la famille des travailleurs
précaires.
Profil éducatif et situation professionnelle des conjoints.
Le cercle vicieux de la précarité s’étend aux enfants
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Deuxième partie :
CADRE JURIDIQUE DU TRAVAIL PRECAIRE
ET GESTION ACTIVE DU MARCHE DU TRAVAIL
1
1-1
1-1-1
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1-2
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1-3-1
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1-3-3
1-3-4
LA LEGISLATION TUNISIENNE SUR LES CONTRATS A DUREE DETERMINEE
Notion juridique de précarité
La notion de la précarité du travail dans les pays du système romanogermanique
La notion de la précarité du travail dans les pays du système du
Common Law : Le modèle américain.
Les types de contrat à durée déterminée
Le contrat de travail à durée objectivement déterminée
Le contrat de travail à durée volontairement déterminée
Le Contrat à durée déterminé de droit
Les lacunes de la législation sur le CDD
Le principe d’égalité de rémunération
Etendu limitée du principe d’égalité de rémunération
Plusieurs conventions collectives sectorielles (C.C.S.) n’appliquent pas
le principe d’égalité de rémunération.
La segmentation entre permanent et non permanent se fait aussi dans
d’autres domaines.
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5-2-1
5-2-2
5
LES OPERATIONS TRIANGULAIRES
La sous-traitance du travail
Deux formes de sous-traitance de travail
Le régime juridique des opérations triangulaires
La sous-traitance de la main d’œuvre.
La notion de sous-traitance de main d’œuvre
Distinction entre la vraie sous-traitance de la main d’œuvre et
d’autres opérations triangulaires.
La sous-traitance de la main-d’œuvre en Tunisie légale ou illégale ?
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74
POSITION DU DROIT TUNISIEN PAR RAPPORT AU DROIT COMPARE
Comparaison des législations sur les CDD
Les cas de recours au C.D.D., durée et renouvellement
Conditions de transformation du CDD en CDI
Comparaison des opérations triangulaires
Conditions d’exercice des entreprises de travail temporaire
Réglementation du travail temporaire
Protection de l’emploi temporaire
L’APPORT DE LA JURISPRUDENCE TUNISIENNE
Les contentieux se rattachant au CDD
Le C.D.D. tacitement reconduit, est-il requalifiable en C.D.I. ?
La relation du travail basée sur des C.D.D. successifs, peut-elle être
qualifiée de permanente ?
Le contrat conclu à une durée supérieur à 4 ans, est-il ou non
requalifiable en C.D.I. ?
La loi du 15 juillet 1996 instituant la requalification du C.D.D. en
C.D.I. (article 6-4-2) est-elle rétroactive ?
L’écrit est-il exigé pour les C.D.D. ?
Sur quelle base se fait le calcul de la période des 4 ans ?
Les contentieux se rattachant à la sous-traitance
Concernant la notion de la sous-traitance
L’article 6-4-2 du Code de Travail, est-il applicable aux salariés des
sous-traitants ?
LA
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83
GESTION ACTIVE EFFICACE DU MARCHE DE TRAVAIL ET LA SECURISATION
DES PARCOURS PROFESSIONNELS
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5-1-1
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5-2-1
5-2-2
5-2-3
Les aspects convergents des dispositifs européens d’aide au retour à
l’emploi
Mise en place de dispositifs européens efficaces
Les caractéristiques d’un dispositif qui cible efficacement le retour à
l’emploi des chômeurs en grande difficulté
L’inefficacité des services publics d’emploi et de la politique active de
l’emploi est un obstacle à la sécurisation des parcours professionnels
en Tunisie.
Des services publics d’emploi inefficaces
Des programmes d’emploi nombreux qui bénéficient principalement
aux jeunes
Des dispositifs qui n’aident pas les chômeurs en difficulté
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Troisième partie :
LE SYNDICALISME FACE A LA LIBERALISATION ECONOMIQUE
ET LA PRECARITE DE L’EMPLOI
1
LES
TRANSFORMATIONS ECONOMIQUES INTERNATIONALES
CONSTITUENT DES
OBSTACLES A L’IMPLANTATION SYNDICALE.
1-1
1-1-1
1-1-2
1-2
1-2-1
1-2-2
1-2-3
2
Le syndicalisme éprouve des difficultés à organiser le monde du
travail.
Déclin international du syndicalisme
Les obstacles économiques à l’implantation syndicale
Le contexte local subit les transformations internationales : Difficulté
de l’implantation syndicale dans le secteur privé en Tunisie
Droit syndical et liberté d’opinion
Le cadre réglementaire de création des syndicats
Les caractéristiques économiques et géographiques de l’implantation
syndicale dans le secteur privé.
SYNDICALISATION
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96
98
98
DES TRAVAILLEURS PRECAIRES ET EXRCICE DU DROIT
SYNDICAL DANS LE SECTEUR PRIVE
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2-1-1
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2-3-3
2-4
2-4-1
2-4-2
2-4-3
2-4-4
Témoignages de syndicalistes sur les difficultés de l’exercice du droit
syndical dans un contexte de précarité de l’emploi.
Le secteur textile habillement est marqué par de fortes pratiques
antisyndicales des employeurs.
Le Tourisme est un foyer structurel de la précarité et des pratiques
antisyndicales des employeurs.
Précarité de l’emploi
et syndicalisation dans les Postes et
télécommunications
Les syndicats arrivent à faire passer des travailleurs d’un statut
précaire à celui du travail décent
Aspects communs aux secteurs économiques hostiles à la
syndicalisation des travailleurs
Déterminants du taux de syndicalisation de la population étudiée
La relation de travail bilatérale est plus favorable à la syndicalisation
que la relation de travail triangulaire.
Le taux de syndicalisation est croissant en fonction du niveau
d’éducation des travailleurs
Contribution des syndicats à la solution des problèmes rencontrés par
leurs adhérents.
Les adhérents font souvent appel à leur syndicat pour résoudre leur
problème.
Les syndicats aident la quasi-totalité des travailleurs qui les ont
contactés.
Le recours au syndicat est nettement plus fréquent que le recours au
prud’homme et à l’inspection de travail
L’UGTT lutte contre les déficits du travail décent
Le salaire indécent est la principale cause des grèves.
La lutte contre la répression syndicale, la précarité et l’exclusion de
l’emploi sont au centre de la solidarité syndicale
La lutte contre la précarité de l’emploi par la négociation collective
Pour une réglementation de la sous-traitance de la main-d’œuvre
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3
LA
PROMOTION DU TRAVAIL DECENT AU NIVEAU INTERNATIONAL EST UN
SOUTIEN A L’UGTT DANS SA LUTTE CONTRE LA PRECARITE DU TRAVAIL
3-1
3-1-1
3-1-2
3-1-3
La promotion du travail décent devient au centre de l’agenda politique
mondial
Le travail décent est un concept de l’OIT
Le travail décent devient un concept mondial.
Contribution de l'Union Européenne à la mise en œuvre de l'agenda
du travail décent dans le monde
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CONCLUSION
120
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"Le but fondamental de l’OIT aujourd’hui est que chaque femme et
chaque homme puissent accéder à un travail décent et productif
dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité."
Juan Somavia, Directeur général du BIT.
INTRODUCTION
Le travail est l’axe autour duquel s’organise la vie des personnes. Où qu’elles
vivent et quoi qu’elles fassent, hommes et femmes voient dans l’emploi le test de
vérité déterminant le succès ou l’échec de la politique économique et de la
mondialisation. Dans le modèle de l'emploi, le contrat de travail est la seule clé
d'accès au travail décent. Moyennant le fait de travailler sous la dépendance
d'autrui, on obtient une identité professionnelle et les sécurités qui permettent de
vivre. La société salariale qui s'est construite au cours du 20ème siècle repose
sur un statut qui assure aux salariés une grande stabilité de l'emploi et donc une
grande sécurité. C'était un grand changement par rapport au 19ème siècle et au
début du 20ème. Au 21ème siècle, l'épuisement de ce modèle est visible à l’échelle
internationale.
Aujourd’hui, on constate partout dans le monde des déficits du travail décent,
des exclusions sous différentes formes: chômage et sous-emploi; emplois de
faible qualité et peu productifs; absence de sécurité au travail et modicité des
revenus; violations des droits; inégalités entre les sexes; exploitation des
travailleurs migrants; absence de représentation et de possibilités d’expression;
insuffisance de la protection et de la solidarité face à la maladie, aux handicaps
et à la vieillesse.
Les emplois précaires sont souvent des emplois salariés dont la durée n'est pas
garantie. Celle-ci peut être soit limitée, soit incertaine notamment pour les
salariés en relation de travail de sous-traitance. De ce fait la précarité de l'emploi
et des revenus est ressentie comme une forte menace de basculer dans la grande
pauvreté suite à l’exclusion de l’emploi, voire même du marché du travail.
Dans un contexte fortement marqué par le chômage, les salariés sous statut
précaire ne peuvent pas exercer leur droit syndical et par-là même leur droit
fondamental à la défense et à la protection. La menace de licenciement est
constamment pendue au dessus de leur tête, notamment dans les entreprises de
sous-traitance de la main-d’œuvre. Quand on ne sait pas si son CDD sera
renouvelé, on ne court pas le risque de se syndiquer. Il en est de même lorsqu’on
passe en peu de temps d’une entreprise à une autre, d’un secteur à l’autre, de
l’emploi au chômage. Les syndicats éprouvent alors de grandes difficultés à
représenter et défendre les travailleurs précaires. La faiblesse syndicale n’est pas
seulement une faiblesse des syndicats : c’est aussi et d’abord une faiblesse des
sociétés.
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Le marché du travail a connu des bouleversements rapides et profonds en
Tunisie avec la libéralisation de l’économie engagée à partir de la moitié des
années 1980. Ces bouleversements ont touché de plein fouet les travailleurs. La
privatisation des entreprises publiques, l’introduction des principes les plus
rigoureux de l’économie de marché, l’ouverture des frontières et des barrières
douanières sont les traits marquants de ces bouleversements. Plus que par le
passé le marché de l’emploi, par conséquent, a enregistré des mutations dont la
conséquence directe est la précarité de l’emploi.
Dans ce contexte, la qualité de l’emploi est devenue une préoccupation centrale
de l’UGTT. Le travail décent est devenu une notion récurrente dans les discours
des responsables syndicaux et de l’action syndicale.
Pour comprendre le phénomène de la précarité et promouvoir le travail décent, le
Département des Etudes et de la Documentation de l’UGTT a proposé à une
équipe de recherche en sciences sociales d’étudier ce phénomène et ses impacts
sur les travailleurs, en tant qu’individus mais aussi en tant que groupe social
appartenant à une famille (conjoints et enfants). Outre les conditions de travail
des ouvriers l’étude se penchera sur les conditions de vie des ouvriers, de leur
famille, mais aussi les péripéties professionnelles.
Cette étude s’appuie particulièrement sur des données originales obtenues par
une enquête portant sur deux volets, quantitatifs et qualitatifs. L’enquête
quantitative s’est faite auprès de 500 travailleurs du Grand Tunis, occupés dans
des branches économiques représentatives des politiques de recrutement flexible
de la main-d’œuvre. Elle se compose d’ouvriers, d’employés et de techniciens
sous contrat de travail à durée déterminée ou sous contrat de travail atypique
(SIVP, CEF). Elle regroupe aussi des hommes et des hommes, des jeunes et des
adultes en relation de travail bilatérale ou triangulaire.
A l’aide d’un chronogramme, l’enquête auprès des 500 travailleurs précaires
reconstitue leurs trajectoires professionnelles entre le début de 2005 et la date de
l’enquête (Août 2008), trimestre par trimestre sur une période de quatre ans. Les
thèmes du questionnaire, abordent plusieurs dimensions du travail décent, au
sens défini par l’OIT. Sept formes de sécurité sont liées au travail décent1 :
-
Le travail décent est d’abord associé à un emploi productif résultant d’une
politique macro-économique ; c’est la sécurité du marché du travail.
1 cf. BIT (1999) ,Un travail décent, Rapport de M. Juan Somavia, Directeur Général du BIT, 87ème
session de la Conférence Internationale du Travail.
Peter Auer et Bernard Gazier (éd), 2002, L’avenir du travail, de l’emploi et de la protection sociale.
Dynamique du changement et protection des travailleurs. Compte rendu du symposium
OIT/France, Lyon, Edition OIT, Ministère des affaires sociales, Institut international d’études
sociales.
OIT(2004), Conférence internationale du Travail, 92e session, Une mondialisation juste, Le rôle de
l’OIT, Commission Mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, Rapport du Directeur
général sur la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation.
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-
Le travail décent est associé à la création de revenus adéquats ; c’est la
sécurité du revenu.
Il assure la protection de l'expression collective sur le marché du travail
grâce à des syndicats et organisations patronales indépendants, ainsi qu'à
d'autres organismes capables de représenter les intérêts des travailleurs ;
c’est la sécurité de représentation.
-
Il assure la protection contre les licenciements abusifs et la stabilisation
dans l'emploi compatible avec une économie dynamique ; c’est la sécurité
de l'emploi.
-
Il assure la protection contre les accidents du travail et les maladies
professionnelles grâce à des réglementations sur la santé et la sécurité,
sur la limitation du temps de travail et des heures supplémentaires, grâce
aussi à la diminution du stress au travail ; c’est la sécurité au travail.
-
Il offre la possibilité
professionnelle.
-
Il multiplie les possibilités d'acquérir ou de maintenir ses qualifications
grâce à des moyens innovants, à l'apprentissage ou la formation
professionnelle ; c’est la sécurité du maintien des qualifications.
d’avoir
une
« carrière » ;
c’est
la
sécurité
L’enquête quantitative s’est faite auprès de 500 travailleurs du Grand
Tunis, occupés dans des branches économiques représentatives des
politiques de recrutement flexible de la main-d’œuvre.Pour ce volet de
l’enquête, un intérêt particulier a été accordé à six axes que le guide d’entretien a
mis en relief. Avec les cadres et les personnes ressources de l’UGTT les thèmes de
l’entretien ont porté sur : la présentation de l’entreprise sous l’angle des emplois
stables (statutaires, permanents, etc.) et des emplois précaires (effectifs,
historique du recrutement, types d’emplois, postes, tâches) ; la division interne
du travail (technique, administratif, commercial, etc.) ; la description et la
décomposition des tâches à l’intérieur de l’entreprise ; les tâches internes et
l’externalisation du travail ; la Gestion des Ressources Humaine ; enfin les
difficultés et les perspectives de la syndicalisation.
Ce rapport est structuré autour de trois parties. La première, s’appuyant
principalement sur les résultats des enquêtes réalisées, analyse la gestion du
travail précaire dans plusieurs branches d’activité économique, les
caractéristiques des emplois précaires en relation avec plusieurs aspects qui
définissent le travail décent et les conditions de vie des travailleurs occupant ces
emplois. Notre approche nous a permis de connaître l’impact du travail précaire
sur les conditions de vie objectives (salaires, conditions de travail, privations), et
la manière dont ces conditions sont appréhendées, les réactions et les sentiments
qu’elles suscitent. Elle donne ainsi un contenu empirique au concept travail
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précaire qui rend compte de son caractère multidimensionnel et de son ancrage
dans la réalité des situations vécues par les travailleurs précaires.
La seconde partie analyse le cadre juridique du travail précaire et la gestion
active du marché du travail. Sur ce plan, outre l’examen du dispositif tunisien,
nous comparons ce dernier à celui de l’Europe. Nous montrons que la législation
tunisienne sur les Contrats à Durée Déterminée (CDD) introduite avec la réforme
du code du travail au moment de l’entrée de la Tunisie dans une zone libre
échange avec l’Union Européenne (1995) tend à s’approcher de celle des pays de
cette zone. Par contre, la politique active de l’emploi, qui doit contribuer à limiter
l’impact négatif de la précarité du travail, est nettement moins efficace que celle
des pays européens.
Enfin, la troisième partie aborde le problème de l’exercice du droit syndical dans
le secteur privé. Elle présente les caractéristiques de l’implantation syndicale
dans ce secteur et la lutte de l’UGTT pour défendre l’exercice du droit syndical et
protéger les travailleurs contre la précarisation du travail.
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Première partie :
CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE
DES TRAVAILLEURS PRECAIRES
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1. LA LIBERALISATION ECONOMIQUE
PRECARISE L’EMPLOI
1-1
La libéralisation économique et les transformations du marché du
travail
1-1-1 Intégration progressive dans l’économie mondiale.
A partir du milieu des années 70, l’investissement dans l’industrie
manufacturière a été encouragé pour développer la création d’emploi. Les
entreprises produisant pour le marché local dans un objectif d’import
substitution ont
bénéficié alors d’une protection tarifaire élevée et celles
produisant totalement pour l’export ont bénéficié d’avantages fiscaux. L’Europe a
encouragé la politique d’investissement pour l’exportation dans la mesure où les
entreprises exportatrices étaient en général à forte participation européenne et
produisaient en sous-traitance pour le compte d’entreprises européennes. Les
produits manufacturés exportés vers l’Europe à partir d’une matière première
européenne étaient exonérés du paiement de droits de douane à l’entrée en
Europe.
L’économie tunisienne était, à l’époque, fortement administrée. En plus
d’une forte présence du secteur public dans la production industrielle, agricole
et de services, le secteur privé était soumis à un contrôle serré que
l’administration exerçait principalement par le biais des autorisations, de la
politique des prix et des licences d’importation et d’exportation.
Au milieu des années 80, une crise économique aiguë a déclenché un
processus de libéralisation économique pour la surmonter et introduire un
ajustement structurel. Cet ajustement décidé en 1986 a donné lieu à un train de
réformes engagées de façon effective à partir de fin 1987 pour désengager
l’Administration du secteur de la production. Les entreprises publiques opérant
dans la production industrielle et de services ont été totalement, mais
graduellement, privatisées. L’investissement a été libéralisé et la création des
nouvelles entreprises de production de biens et de services devenaient le fait du
secteur privé. Parallèlement, le recrutement dans la fonction publique est surveillé
de très près et centralisé, sauf dans certains secteurs comme l’éducation ou la
santé, où les recrutements sont seulement autorisés pour le personnel spécialisé
dans les métiers des secteurs.
Les réformes engagées ont permis l’émergence d’une économie de marché
intégrée à l’économie mondiale. L’adhésion au GATT avant que ne soit créé
l’OMC, puis l’instauration de la zone de libres échanges euro-méditerranéens ont
concrétisé cette ouverture sur l’économie mondiale. La conséquence directe de
cette évolution économique est la réduction du champ productif du secteur
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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public et la transformation du marché du travail, dans un contexte marqué par
une nouvelle configuration de la démographie scolaire et universitaire.
Les conditions indécentes des travailleurs précaires sont largement déterminées
par l’effet cumulé de six facteurs:
•
•
•
•
•
•
la faible position des entreprises privées dans la chaîne de la valeur
ajoutée2 associée à un modèle où la compétitivité est fondée sur les bas
salaires.
le niveau élevé du chômage ;
l’absence d’une assurance contre la menace permanente du chômage des
travailleurs ;
le cadre juridique des contrats de travail instituant la flexibilité du
recrutement ;
l’inefficacité de la politique active de l’emploi qui absorbe 1.5 % du PIB,
soit un niveau supérieur à celui des pays de l’OCDE et
la précarité du travail qui traverse les membres de la famille des
travailleurs précaires
1-1-2 Réduction du champ économique du secteur public par la privatisation
Depuis 1987, le programme de privatisation des entreprises publiques a couvert
plusieurs secteurs et a évolué selon trois phases3.
Les premières opérations de la 1ère phase (1987-1994) ont concerné des
entreprises à structure financière déséquilibrée. Elles ont été, notamment,
réalisées sous forme de vente d’actifs où, généralement, avec un démembrement
de la société en unités d’exploitation autonomes afin de faciliter leur cession et,
surtout, toucher une large gamme d’investisseurs. Ces opérations ont surtout
touché les secteurs des services (tourisme et commerce), la pêche et l’agroalimentaire.
La seconde phase (1994-1997) et à la faveur des avancées en matière de réforme
économique et de la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel
approprié, a concerné les entreprises à structure financière saine. A cet effet,
les opérations de privatisation se sont réalisées sous forme de vente de blocs
d’actions de contrôle sur la base d’un cahier des charges et/ou d’offres publiques
de vente.
2 Une chaîne de valeur consiste à décomposer le processus en une séquence d’activités créatrices
de valeur ajoutée et d’identifier les sources d’avantage pour les utilisateurs finaux d’un produit
particulier. La clé du concept de chaîne de valeur réside dans le fait qu’il y a création de valeur à
chaque maillon de la chaîne. Cette création de valeur peut être mesurée et sa répartition le long de
la chaîne analysée.
3 www.privatisation.gov.tn
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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La troisième phase, entamée depuis 1998, a permis d’inclure les grandes
sociétés telles que les cimenteries avec, en appui, le recours aux banques
conseils et à des techniques plus élaborées incluant les concessions (Centrale de
Radés II, où la formule B.O.O. (Build, Own & Operate) a été adoptée; l’octroi à un
opérateur privé l’exploitation d’un deuxième réseau GSM sous forme de
concession).
La conséquence immédiate de cette généralisation de la privatisation est le rétréci
cément de la base d’implantation du syndicalisme tunisien ; ce qui a contribué à
l’expansion de la précarité du travail.
Tableau 1 : Répartition des privatisations et restructurations par branche d’activité
Branches
Agriculture et pêche
Agriculture
Pêche
Services agricoles
Industries
IAA
IMCCV
IME
IC
ITHC
Autres industries
Services
Tourisme et Artisanat
Commerce
Transport
Services financiers
Autres services
TOTAL
Nombre d’entreprises
18
11
3
4
82
14
21
19
7
11
10
116
50
23
20
8
15
216
%
8,3
5,1
1,4
1,9
38,0
6,5
9,7
8,8
3,2
5,1
4,6
53,7
23,1
10,6
9,3
3,7
6,9
100
Source : www.privatisation.gov.tn
1-1-3 Principales transformations du marché du travail
La première transformation concerne la répartition sectorielle de l’emploi. Entre
1975 et 2007, la part du service est passée de 31 à 49 % du total de l’emploi.
Cette évolution traduit une transformation qui tend vers la structure de l’emploi
en Europe. En partie cette évolution est liée à l’externalisation des services qui
étaient auparavant assurés en interne dans les entreprises industrielles qui ont
fait le choix de se recentrer sur le cœur de leur métier.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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Figure1: Evolution de la répartition de la population active occupée par secteur
d'activité (en%) Source: INS
100%
28,1
21,9
16,3
36,7
35
34,3
31
35,2
43,1
49,4
1975
1984
1994
2004
39
50%
30
0%
Service
industrie
Agriculture
La deuxième transformation est liée à la structure de la combinaison productive.
L’élasticité de l’emploi par rapport à la production mesure le taux de croissance
de l’emploi généré par 1% de la croissance de la production. Au cours des années
1990, cette élasticité a fléchi, passant de 0.7 au début de la décennie à 0.5 vers
sa fin. Cela traduit une intensité capitalistique plus forte dans les combinaisons
productives, au détriment de la création d’emploi.
Tableau 2 : Elasticité de l’emploi par rapport à la production
1984-94
1994-97
1997-2001
Elasticité totale
0.7
0.5
0.5
Elasticité totale (Agriculture et
administration publique exclues)
1.1
0.5
0.5
Agriculture
0.1
0.5
1.6
Economie hors agriculture
1.0
0.7
0.5
dont secteur manufacturier
0.6
0.7
0.5
Services
1.1
0.5
0.5
Source : Estimation de la Banque Mondiale, République Tunisienne, Stratégie de l’emploi,
2003.
Le marché de travail reste marqué par le niveau élevé du taux de chômage malgré
la baisse de 2 points obtenu entre 1999 et 2007. Le taux de chômage des
sortants de l’enseignement supérieur est passé de 3,8 à 17,5 % entre 1994 et
2006. En dépit de son investissement élevé dans le capital humain cette
catégorie devient la plus vulnérable sur le marché du travail (Voir graphique cidessous).
1999
16
2000
15,7
Tableau 3 : Evolution du taux de chômage moyen (en %)
2001
2002
2003
2004
2005
2006
15,1
15,3
14,5
14,2
14,2
14,3
2007
14,1
Source : INS
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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Figure2: Evolution du Taux de chômage par niveau d'éducation- 1994-2006 (en%)
source: INS
1994
20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
17,6
18,3
15,2
2006
14,3
13,1
17,5
8
3,8
Analphabètes
Primaire
Secondaire
Supérieur
Le chômage de longue durée concerne plus du tiers des chômeurs en 2007 (25%
et 16 % ont respectivement une durée de chômage de 1 à 2 ans et une durée
supérieure à 2 ans) Enfin, le chômage touche fortement les jeunes4 et
particulièrement les femmes et les régions de l’Ouest de la Tunisie.
Enfin, la massification de l’enseignement supérieur a eu un effet sur la hausse du
niveau d’éducation de la population active occupée. La part dont le niveau est égal
ou supérieur au secondaire est passée de 40 à 50 % entre 1999 et 2007. Dans le
tissu économique marqué par les activités à faible valeur ajoutée, cette hausse
du niveau d’éducation de la main-d’œuvre correspond souvent à une insertion
professionnelle des diplômés du supérieur qui se fait au prix d’une
déqualification.
1-1-4 Dans le contexte de la libéralisation économique, les droits sociaux et
professionnels sont mis en question.
La libéralisation économique a conduit à la mise en question récurrente des
droits sociaux et professionnels : la thèse défendue est que leur coût compromet
la compétitivité économique. L’observation de l’évolution de la part de la masse
salariale dans la valeur ajoutée ne justifie pas cette affirmation au niveau
national et international.
Si le financement des droits sociaux et professionnels compromettait la
compétitivité en pesant sur les coûts salariaux, on devrait observer une baisse de
la part des profits dans la valeur ajoutée, baisse qui aurait dû s’accentuer dans
la période récente à mesure que la compétition mondiale s’intensifiait ; or ce n’est
pas ce que l’on observe au niveau national comme au niveau international.
La part des primo-demandeurs d’emploi dans le total des chômeurs passe de 35,6 à 46 % entre
1999 et 2007.
4
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 17
Au niveau national, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée baisse
d’un point au cours de ces dernières années en dépit de la hausse du niveau
d’éducation de la population active occupée.
Tableau 4 : Part de la masse salariale dans la valeur ajoutée (en %)
2002
38,03
2003
37,7
2004
37,3
2005
37,4
2006
37,2
Source : UGTT, Note en arabe sur le contexte économique et le 7ème round des négociations
collectives, Tunis, Mai 2008. (Source des données : INS.2007)
Entre 1970 et le début des années 2000, le partage de la valeur ajoutée fluctue
en Europe davantage qu’aux États-Unis. Mais rien dans la longue période ni au
cours des années plus récentes n’indique une dégradation de la situation des
entreprises5. Le graphique ci-dessous montre que la tendance est au contraire au
recul de la part des salaires dans le revenu national, plus marqué dans les
principales économies des Quinze (de 67 % à 58 % entre 1975 et 2005) qu’aux
États-Unis (de 65 % à 60 %)6. Le recul de la part des salaires compromet le
financement des régimes de protection sociale assis sur les revenus du travail et
force à envisager d’autres sources de financement.
5 Il s’agit du partage de la valeur ajoutée à l’intérieur des frontières nationales, donc avant toute
prise en compte d’éventuels transferts de capitaux avec des filiales établies dans le reste du monde.
6 Centre d’analyse stratégique, La note de veille n°109, Septembre 2008. Analyse : Le modèle social
européen est-il soluble dans la mondialisation ?
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 18
1-2
Effets de la libéralisation économique
l’emploi.
sur la précarisation de
1-2-1 Le modèle de compétitivité et d’organisation du travail génère du travail
précaire
La structure du tissu économique tunisien est marquée par une insertion dans
la chaîne de la sous-traitance internationale et un positionnement au bas de
l’échelle des valeurs, d’une part, et une politique industrielle « d’importsubstitution » associée à une protection du marché intérieur (loi 74), d’autre part.
Même si la protection du marché intérieur a disparu, la structure des entreprises
a conservé les principales caractéristiques des entreprises issues de la loi 74.
Dans le secteur de l’industrie manufacturière, les entreprises se positionnent
toujours au bas de la chaîne des valeurs: les conditions d’entrée sont faibles en
termes de technologie, de compétences et de capital, ainsi que d’expertise en
matière de sourcing et de marketing. Les emplois offerts sont surtout pour des
travailleurs à faibles compétences. De ce fait le modèle de compétitivité des
entreprises est fondé principalement sur la baisse du coût des facteurs de
production, notamment le facteur travail.
Deux types d’organisations de travail sont associés à ce modèle:
•
•
Les organisations « tayloriennes » qui sont caractérisées par des tâches
répétitives, fortes contraintes de rythmes de travail. L’autonomie dans le
travail est faible ou inexistante : les procédures de travail sont imposées,
la qualité contrôlée par des salariés spécialisés,
Les « organisations de structure simple » caractérisées à la fois par une
faible autonomie du travail (qui les rapproche des « organisations
tayloriennes ») et par un travail monotone mais peu répétitif et aux
rythmes peu contraints : la structure est donc fréquemment pyramidale et
le supérieur hiérarchique donne les consignes sur le travail à effectuer et
contrôle le travail.
Ces formes d’organisation du travail ont des conséquences sur les conditions de
travail, les politiques de formation et les salaires. Les organisations en structure
simple sont surreprésentées dans les secteurs où l’emploi non qualifié domine et
où l’ancienneté est faible : le commerce de détail, les services opérationnels, les
hôtels-restaurants, les services aux particuliers. Les organisations tayloriennes
sont surreprésentées dans des secteurs avec une certaine ancienneté : industrie
agro-alimentaire, chimie-caoutchouc, industrie textile, industrie de l’habillement.
La qualification peut y être très variable.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 19
1-2-2 L’industrie de l’habillement demeure un secteur marqué par la
précarisation de l’emploi depuis son émergence avec la vague de
libéralisation du début des années 70.
Le secteur des industries du textile-habillement compte actuellement plus de
2000 unités industrielles dont l'effectif est supérieur à 10 personnes. 1650
d'entre-elles produisent totalement pour l'exportation, ce qui explique que la
Tunisie a été choisie comme pôle de production pour de nombreuses marques
internationales. Le secteur contribue environ à 40 % de la valeur ajoutée
industrielle et de la valeur de l’exportation industrielle et il mobilise plus de
200000 travailleurs dont environ 80 % sont des femmes.
Depuis 2005, plusieurs mesures dans différents domaines (financier,
technologique, commercial, transport, administration douanière, formation des
ressources humaines, recherche-développement) sont prises pour faire passer le
secteur tunisien de la situation de sous traitant de l’UE à celle de fournisseur
aux prestataires de services complets, traitant directement avec les acheteurs
finaux ; et passer de la fabrication de produits vestimentaires de grande
consommation à celles d’articles de mode à plus grande valeur ajoutée. Le
nombre d’entreprises qui ont fait le choix de se positionner dans des activités à
plus forte valeur ajoutée est encore faible.
La confection et la bonneterie participent à hauteur de 90% des exportations et
plus de 80% des emplois du secteur. Le niveau technique se réduit à des
machines à coudre et à des outils moins sophistiquées, par comparaison aux
outils techniques employés dans la fabrication propre au secteur textile.
L’expérience est moins requise, avec ce que cela implique : la qualification n’est
pas un atout dont peut se faire prévaloir l’ouvrier. Il s’ensuit que les contractuels
y sont moins conduits vers la titularisation.
i)
Le recours massif à la main-d’œuvre féminine et la faible qualification exigée
donnent un caractère particulier à la précarisation de l’emploi dans le
secteur.
La fragilité sociale de la femme (rivée traditionnellement aux travaux
domestiques) cherchant par tous les moyens à s’affranchir par l’accès à la
production à l’extérieur de la maison, lui fait accepter les conditions de travail
que lui propose le patron, même si ces conditions sont déplorables. La faible
qualification demandée favorise la précarisation de l’emploi. Le travail consiste en
un ensemble de gestes simples, manuels et pouvant se réduire à des actes
mécaniques n’exigeant aucun effort de mémoire ni un usage appliqué des
facultés de jugement ou de discernement. Il se fait à la chaîne.
Ce qui est requis c’est la rapidité de la tâche accomplie. Cette rapidité est
nécessaire pour pouvoir suivre le rythme suivi par le groupe qui se trouve au
même instant sur la chaîne. En fait c’est un vieux principe de coopération qui est
ici exigé. Cette coopération est garante de la nature collective du produit. Là on
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 20
n’a pas besoin de qualification. Le seul effort à fournir est celui de s’intégrer dans
le mouvement d’ensemble qu’exige la production du produit. Le principe qui régit
les tâches est de ce fait, le plus souvent la répétition des gestes. Il y a certes
plusieurs tâches à effectuer mais ces taches sont réparties selon un schéma de
division du travail technique à réaliser.
Une veste peut nécessiter le passage par 35 étapes. Mais le nombre élevé des
étapes ne constitue pas en soi une difficulté que les ouvrières auraient à
surmonter. C’est plutôt un travail précis et appliqué à l’objet qui est demandé. La
dextérité ne consiste en fait que dans la quantité des pièces produites en un
temps déterminé. C’est pourquoi on parle dans ces ateliers de production d’un
« travail à la minute ». Des critères de productivité sont établis pour chaque pièce
à produire : les lingeries, les pantalons, les chemises, les sous-vêtements sont
autant d’articles qui nécessitent autant de critères de productivité. Ce qui est à
retenir c’est le caractère simple et répétitif des gestes à fournir, mais aussi la
rapidité de l’exécution. Toutes ces opérations
peuvent être fournies par
n’importe quel type d’ouvrière. Cela ne nécessite ni des diplômes ni une
expérience préalable. Les ouvrières sont changeables à chaque instant. La
précarité réside en fait en cela. C’est cela qui permet au patron de proposer des
contrats de 15 jours d’un mois ou de trois mois selon son carnet de commandes
à l’instant où il embauche. Le système est celui du « stock zéro » mais appliqué à
la main d’œuvre féminine.
Une enquête auprès d’un échantillon d’entreprises du secteur habillement révèle
nettement que les entreprises utilisent largement les CDD et les contrats
atypiques :
Figure3: Répartition des recrutements en 2004 par type de contrats de
travail
Source: Ministère de l'emploi Enquête sur le secteur Textile-Habillement
CDI
13%
SIVP-CEF(contrats
atypiques)
19%
CDD
68%
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 21
ii) Le transfert de propriété des entreprises contribuent à la rotation des
effectifs ouvriers et à la précarité de l’emploi
Tout transfert de propriété s’accompagne d’un mouvement notable de rotation au
niveau des effectifs ouvriers. Ces derniers qui ne suivent pas toujours les
évènements et les chroniques de leurs entreprises, se produisant généralement
par le biais du Journal Officiel que les ouvriers ne lisent pas, sont surpris
d’apprendre qu’un nouveau patron s’est emparé de l’entreprise et que les
contrats ou document de travail les liant à l’ancien patron ne sont plus légaux,
ils sont caducs, surtout quand le délai de réclamation, aux rares cas quand il est
mentionné, est passé. Le côté juridique devient ainsi complexe et souvent ne sert
pas les ouvriers : l’entreprise change de nom, suite au changement de patron, et
le nom de l’entreprise qui les a recruté, qui figure sur leur contrat devient un
fantôme.
Un temps long passe avant que l’ouvrier ne se rende compte qu’il travaille dans
une toute nouvelle entreprise, juridiquement parlant. C’est lorsque l’ouvrier
touche sa fiche de paie et qu’il lise les détails concernant son employeur, ce qui
n’est pas toujours requis, qu’il se rend à l’évidente réalité. C’est un nouvel ouvrier
dans une nouvelle usine. Ni ancienneté ni cumul des avantages liés au nombre
des années passées dans l’entreprise ne peuvent être revendiqués.
Ceci
constitue un élément qui a tous les caractères de l’emploi précaire : l’ouvrier est
réduit à la case départ. Il constitue en outre un coup porté à toute accumulation
au profit des ressources humaines, expériences, années d’ancienneté,
compétences élaborées, etc.
iii) Le transfert de lieu des entreprises une occasion pour licencier et recruter
une nouvelle main-d’œuvre sous statut précaire.
Les entreprises du secteur du textile et de l’habillement se caractérisent par un
changement fréquent de lieu de résidence ou de siège. En 2006 on a noté que
10% des entreprises du secteur ont changé de lieu. Selon les données fournies
par la fédération de l’UGTT, 220 entreprises (d’un total de 2168), ont changé
d’adresse en 2006. Ceci est de nature à changer les clauses du contrat. Le lieu de
production est ici à articuler avec le lieu d’habitation de l’ouvrière, et les
problèmes de transport que cela implique. En outre le changement de lieu de
production entraîne généralement un changement des procès de production en
fonction des espaces disponibles et des nouvelles surfaces dispensées à la
production au sein de l’usine. Ce qui est de nature à « écorcher » certains aspects
de l’ancienne tâche dont s’occupait l’ouvrière et introduire de nouvelles
dimensions auxquelles l’ouvrière n’est pas encore familiarisée malgré le caractère
répétitif des tâches à accomplir. Il faudra du temps pour que l’ouvrière
s’acclimate avec le nouveau « décor » et retrouve ses marques et ses repères. Pour
cela, il faut du temps durant lequel le niveau de la productivité de l’ouvrière a
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 22
généralement baissé, c’est alors l’occasion, une parmi d’autres, de licencier et de
renouveler « le parc humain ».
1-2-3 La précarité
alimentaire.
dans
une
entreprise
multinationale
de
l’industrie
La Tunisie compte dix usines de boissons gazeuses de cette entreprise
multinationale totalisant ensemble un personnel constitué de 3500 ouvriers,
dont 75% sont permanents et 25% des emplois contractuels et précaires.
i) Disparition de la formule des stagiaires avec l’apparition des Sociétés de
sous-traitantes de la main-d’œuvre
Avant l’avènement des sociétés sous-traitantes de l’emploi en Tunisie, période qui
a connu son « étape faste » à partir des années 1990, on procédait à une période
appelée « stage » qui est variable de 3 à 6 mois à l’issue de laquelle l’employé
provisoire est soit gardé en tant que travailleur mis sur la trajectoire attendue du
travail permanent et statutaire, ou congédié. Avec l’avènement des sociétés soustraitantes en question, la période de stage a été purement et simplement occultée
et enlevée, sans aucune autre forme de procès. Désormais, il y a des travailleurs
continuellement précaires menacés d’être congédiés à chaque instant pour la
moindre « faute » commise ou provoquée, ce qui est une épée de Damoclès tendue
sur la tête de l’employé. On a stipulé dans le Code de Travail qu’il faut quatre ans
pour qu’un employé sous CDD puisse aspirer à être recruté. Mais les patrons ont
souvent opté pour une interruption des quatre ans, intervenant à des moments
propices pour ne pas déboucher sur l’emploi permanent.
C’est à cette tendance des patrons à profiter provisoirement de la manne « travail
précaire », que s’ajoute bien entendu le rôle d’écran que jouent les sociétés soustraitantes de l’emploi pour empêcher à ce qu’un processus de titularisation
s’installe dans les entreprises où ils opèrent. En effet la titularisation, ou toute
autre forme d’accès au travail permanent, fait entrer le travailleur sous le toit
protecteur des lois du travail, sur le plan professionnel et social. Conséquence
logique et prévisible : la titularisation, ou ce qui en tient lieu, est de nature à
priver, de fait, la société en question de tirer le profit maximum des travailleurs
précaires7.
ii) L’emploi précaire est lié à la haute saison.
L’emploi précaire est lié à la haute saison qui s’étale de juin jusqu’ à octobre,
période de grande consommation de boissons gazeuses, justifiant la création
dans la grande entreprise multinationale en question, d’un « poste
supplémentaire de 22 h du soir jusqu’à 6 h du matin du lendemain. Les deux
autres postes « réguliers » des saisons « normales » étant de 6 h à 14h et de 14h
Généralement la société sous-traitante prend environ 50% de la rétribution réservé au travailleur
dans une entreprise.
7
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 23
à 22h. C’est cette activité de « non-stop » et qu’on appelle dans la terminologie
gestionnaire et sociologique les « trois huit » qui rend les tâches annexes à la
production des boissons décisives pour l’hygiène et la qualité du produit.
En effet, l’activité de fabrication des boissons gazeuses est très salissante, aussi
faut-il traiter avec beaucoup de soins les activités de maintenance des machines,
de propreté des locaux, de désinfection de tout instant des lieux de fabrication,
d’entretien serré des engins. Les emplois précaires sont, en outre, constitués des
travailleurs de peine : manœuvres et manutentionnaires, préposés aux
opérations de stockage des caisses (qu’elles soient vides ou pleines), de leur
alignement dans des allées permettant la constitution de couloirs de circulation
opérationnels. Cet alignement se fait de façon ordonnée et selon des piles les plus
économes possible d’espace et de facilité de mouvement de l’utilisateur et de
triage. Les manutentionnaires ont aussi la tâche de remplir les camions. Ces
activités sont souvent l’apanage des emplois précaires. Les manœuvres, le
personnel féminin de nettoyage sont pourvus par les sociétés de sous-traitance
de la main d’œuvre et un grand nombre parmi eux est précaire. Ce sont par
conséquent des postes de travail qu’on trouve le plus souvent à l’usine et non
dans les locaux administratifs et de gestion du personnel.
iii) L’emploi permanent est l’apanage des tâches administratives et de
gestion
En effet, s’il est admis qu’on trouve le plus souvent l’emploi précaire dans l’usine
et les aires de manœuvre des engins et les dépôts de stockage, l’emploi
permanent est l’apanage des tâches administratives par excellence. Ce sont par
conséquent des postes de travail fixes, réguliers et statutaires qu’on trouve dans
les locaux administratifs et de gestion du personnel. Mais ils se composent
surtout des travaux d’administration et de gestion (le secrétariat, le commercial,
le financier, le comptable, le responsable du contentieux et du juridique, la
Direction générale).
Toutefois on les trouve parmi les travaux qui exigent une qualification spécifique
appliquée à une machine bien déterminée : gros camion, engins semi-lourds,
grues), etc. Dans cette catégorie, par exemple les conducteurs de machine à
l’usine et dans les aires de manœuvre devant l’usine pour la réception des
caisses vides et l’envoi des caisses pleines dans des camions (des semi-lourds
requérant pour les chauffeurs un permis de conduire correspondant).
iv)
Les savoirs des précaires sont occultés.
On peut imaginer que la précarité est constituée des travaux qui ne nécessitent
pas une expérience particulière ni une formation appropriée et spécifique. C’est
pourquoi l’idée de précarité renvoie spontanément au « tout venant ». C’est une
fausse perception de la précarité : pour cela le cas du stockage des caisses est
significatif : On croit qu’il suffit d’avoir un peu de force musculaire pour ranger
les caisses et charger les camions pour être manutentionnaire. C’est une fausse
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 24
croyance du moment qu’il faut de l’expérience pour s’acquitter de sa tâche avec
dextérité et succès.
En effet, la tâche de stockage exige d’autres qualités que la force musculaire ou
la rapidité pour gagner du temps et faire gagner du temps au camion qui doit
être chargé le plus vite possible pour partir, sinon pour être vidé de ses caisse s’il
s’agit de le renvoyer au dépôt de la façon la plus diligente possible Cette qualité
supplémentaire consiste en l’acquisition des réflexes d’une bonne application
pour ce genre de tâches, c’est pourquoi le travail de stockage des caisses n’est
pas nécessairement une tâche à confier au tout venant. Aligner des piles de
caisses, favoriser des couloirs de circulation et de pénétration pour les
utilisateurs, veiller à l’économie de l’espace dans la hauteur et sur le sol,
aménager des issues de sortie pour ne pas engorger les marchandises, savoir
placer les différentes sortes de contenants, (bouteilles plus sales que d’autres à
destiner aux services d’hygiène, par exemple), sont toutes des opérations qui sont
, primo, tout à la fois manuelles et mentales. Secundo : elles exigent la mise en
accord du manuel et du mental. Tertio : elles exigent une familiarisation avec les
gestes qui concordent avec cet alliage du manuel et du mental.
On voit, par conséquent, que la décomposition de la tâche permet de saisir le
niveau de compétence requis : il se situe dans l’expérience à acquérir. Or celle ci
ne s’obtient que par le nombre des années passées dans l’entreprise. En termes
gestionnaires et administratifs cela s’appelle l’ancienneté dans le poste.
L’ancienneté dans le poste est rémunérée parce qu’elle assure les gains de temps,
d’argent, d’organisation internes des tâches, en accord avec les autres agents
avec lesquels le manutentionnaire doit coordonner, pour la bonne marche de
l’ensemble des travaux et des tâches de production.
v) Une formule intégrative et productive : le panachage des emplois
précaires et des emplois permanents.
La formule intégrative et productive est le panachage des emplois précaires et
des emplois permanents lors du troisième poste « pénible ». Le conducteur
(permanent) et son aide qui est contractuel et précaire, se partagent la même
tâche permettant au travailleur auxiliaire (aide conducteur) d’apprendre tout en
produisant et gagnant sa vie. Cette formation sur le tas qui est tout à la fois
productive pour l’entreprise et formatrice assure le lien entre intérêt de
l’entreprise et intérêt du travailleur. Elle a permis à des travailleurs sous CDD
appliqués d’obtenir une requalification de leur contrat en CDI ; c'est-à-dire
devenir des travailleurs permanents. L’entreprise récupère ainsi les bénéfices de
son investissement dans le capital humain plutôt que le laisser mettre son savoir
acquis dans l’entreprise au profit d’une entreprise concurrente. Car le talon
d’Achille réside là. Plus la concurrence est âpre entre entreprises, plus le souci
de garder les plus performants parmi ceux qui ont été formés sur le tas, y
compris ceux qui ont commencé leur « carrières » de façon précaire, est
véhément. Nous sommes là devant un cas d’école.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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Car il faut le reconnaître : ce qui a permis aux entreprises de compter sur des
ressources humaines sûres c’est le principe de titularisation, en effet, l’employé
est confirmé dans son poste après une période probatoire appelé ici stage, là
CDD, ailleurs période d’essai. La formule de panachage dont il est question dans
cette entreprise de boissons gazeuses est ce qui peut tenir lieu de période
préparatoire à la titularisation à plus ou moins brève échéance.
vi) Le passage de la précarité à la titularisation donne un nouveau
statut de travailleur qualifié.
Dans les activités techniques, annexes à la fabrication, les effets de passage de la
précarité à la titularisation en tant que processus de régularisation, aux yeux de
la loi de travail mais aussi au regard des lois économiques de productivité,
permettront à l’employé de passer d’un aide conducteur qu’on peut congédier à
tout instant à un aide conducteur jouissant d’une fonction de remplaçant du
conducteur en cas de vacance ou d’absences pour diverses raisons (maladie,
retraite, etc.). D’autant plus que ceci se fait sur le plan technique, plan qui exige
l’acquisition de qualifications certaines. La fonction crée en général le statut. La
fonction est d’ailleurs suffisamment étoffé en actes techniques et suffisamment
fournie en tâches du moment que l’aide conducteur s’occupe aussi de l’entretien
des machines du graissage des pièces nobles de la machine, il change les pièces
d’usure, pour les chaînes à palettes, les rouleaux. Il peut déjà conduire quelques
petites machines, comme le « Mirage » à bouteilles (sélectionner les bouteilles et
localiser les tâches de saleté), etc.
Dans les activités de stockage, les qualifications techniques sont requises à ce
niveau aussi. Organiser les stocks, savoir organiser et procéder à une économie
de l’espace. Nous avons décomposé ci dessus les taches techniques du travailleur
du stock, auxquelles on peut ajouter ici le triage des bouteilles, la rapidité des
réflexes d’application des règles en usage sur le plan technique : écarter les
goulots de bouteilles ébréchées, vérifier la propreté des bouteilles, contrôler l’état
des bouteilles provenant des dépositaires et des représentants régionaux, qui
sont souvent des agents privés de représentants, des commerçants de détail ou
de gros et le signaler, etc.
Dans les activités d’hygiène, les actes accomplis sont souvent décisifs pour
assurer la qualité du produit, le nettoyeur (homme ou femme) doit savoir choisir
des doses précises à appliquer selon le cas pour ne pas détériorer les outils en
question : le détergent, le javel sont des produits corrosifs, une utilisation non
contrôlée techniquement peut entraîner à plus ou moins brève échéance la
détérioration du matériel technique de l’entreprise y compris la mise hors d’usage
des circuits de canalisation des eaux usées et des procédés d’évacuation de
produits nocifs.
Toutes ces techniques demandent des compétences et ne peuvent être
considérées comme spécifiques aux « tout venant », terme dépréciateur pouvant
servir pour justifier le recours à la précarité. Sur la base de ces compétences, les
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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activités de fabrication, de stock, d’assainissement, d’entretien peuvent être
soumises à des normes de promotion pour ceux qui les pratiquent à l’intérieur de
l’usine. L’apprenti devient ainsi un aide mécanicien, pouvant remplacer le
titulaire du poste en cas de vacance, les travailleurs de l’entretien peuvent
devenir des magasiniers ou aide-magasiniers, les travailleurs de l’assainissement
peuvent se charger du traitement pratique de type écologique. Et c’est ainsi que
le travail sur le tas est source de formation et d’acquisition de qualification, de
confirmation de compétences, que le règlement aura à sanctionner juridiquement
dans des postes clairement définis.
1-2-4 Le Tourisme totalement intégré dans le secteur privé
activité saisonnière et un foyer du travail précaire
demeure une
i) Le caractère saisonnier des activités touristiques
Le Tourisme est l’un des principaux piliers de la croissance de la Tunisie au
cours des dernières décennies. Mais c’est un secteur vulnérable car sa croissance
est sensible aux préoccupations internationales en matière de sécurité. C’est
aussi un secteur fortement et
structurellement marqué par le caractère
saisonnier de ses activités.
Durant trois ou quatre mois l’activité est à son maximum, ou du moins c’est ce
qui est théoriquement attendu. Le reste de l’année le secteur connaît
l’hibernation qu’on connaît, dans un pays où le tourisme est articulé au thème
« soleil » ; c’est l’été qui est la saison du tourisme avec un débordement aux deux
limites du printemps et de l’automne, mais avec des activités qui tendent vers le
ralentissement. L’allure de l’évolution mensuelle du nombre de nuitées entre
2001 et 2007 traduit clairement le caractère balnéaire du Tourisme tunisien.
Figure 4 : Evolution mensuelle du nombre total de nuitées par an
entre 2001 et 2007 (en milliers)
Source : Base données de l’INS (www.ins.nat.tn)
7000
6000
5000
2001
2002
4000
2007
3000
2000
1000
0
JANV. FEV.
MARS AVRIL MAI
JUIN
JUIL.
AOUT SEPT. OCTO. NOV.
DEC.
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En concurrence avec d’autres destinations du bassin méditerranéen, la position
de la Tunisie stagne et ses parts de marchés sont à la baisse. La variété des
produits est restreinte et leur image demeure faible, du fait de la prédominance
de l’industrie des stations balnéaires. Pourtant, l’objectif des plans de
développement dans ce secteur est de diversifier les activités touristiques pour
offrir un service sur toute l’année. Mais cet objectif n’est pas atteint. De ce fait,
l’activité touristique reste saisonnière et génératrice du travail précaire.
ii)
Plus de la moitié du personnel occupe un emploi précaire.
En 2006, l’emploi précaire concerne 58 % du personnel de l’hôtellerie8. Chaque
saison touristique, les hôtels embauchent en moyenne de 3000 à 3500 en tant
que personnel ouvrier. Le caractère saisonnier de la durée du travail conduit les
employeurs à recourir à l’embauche à partir du « tout venant » ou de la rue,
pourvu qu’il réponde à de simples critères de look présentable et de bonne tenue.
D’autres sources d’embauche sont constituées des relations personnelles du staff
de direction, mais souvent appel fréquent est fait au secteur informel pour
fournir la main d’œuvre dont a besoin le secteur du tourisme.
Figure 5: Distribution du personnel du secteur hôtelier selon le
type d'emploi-2006
Source: Ministère de l'emploi
Cadre
8%
Permanents
34%
Non permanets
58%
iii)
La précarité massive touche plusieurs catégories du personnel et
s’accompagne de la déqualification des catégories qualifiées
La précarité touche évidemment tout le personnel du secteur (plongeurs, commis
de bar, restaurateurs, etc.) et particulièrement les animateurs. Cette dernière
activité ne peut être fournie par la technique du « tout venant » c’est celle des
animateurs touristiques. Malgré le caractère normatif qui s’impose dans le
Enquêtes Sectorielles sur l’Emploi, Observatoire National de l’Emploi et des Qualifications
(ONEQ),2006
8
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recours fait aux animateurs, ceux ci subissent les conditions du travail précaire.
D’abord le caractère saisonnier de l’activité touristique en Tunisie est une donnée
de base. C’est cette donnée de base qui met l’animateur dans une position de
faiblesse chronique face à ses employeurs qui trouvent en cela une opportunité
pour lui demander de s’occuper des tâches qui débordent le cadre du contrat
réglementaire.
Les animateurs se chargent de ce qui est stipulé dans le contrat (agrément des
touristes, animation culturelle et artistique, sport, activités corporelles, loisirs,
jeux etc.). Or à examiner un cas de figure comme l’est le Club Méditerranée, la
pratique en cours dépasse les cadres de travail fixés par la loi. Dans beaucoup
d’établissements hôteliers et de loisirs, certaines activités auxquelles les
animateurs sont de plus en plus contraints de consentir ne relèvent pas, de
droit, de leurs prérogatives : s’occuper de l’accueil des touristes au niveau de la
valise à transporter, des couches de bébé à changer ou des loisirs à dispenser à
des heures tardives le soir, sans limite de temps.
Devant ce débordement, et parce que ce sont d’habitude des travailleurs de la
culture, ils sont conscients de leur droits et constituent plus aisément que dans
les milieux ouvriers des syndicats, même si à ce niveau les difficultés ne
manquent pas. Elles sont dues souvent à l’attitude récalcitrante de la Direction
de l’établissement hôtelier.
1-2-5 Le secteur de la santé : La précarité couvre toutes les qualifications.
La précarité dans le secteur de la santé est très réduite par comparaison aux
autres secteurs. 90% du personnel de la santé sont des permanents. Seulement
10% sont précaires, selon l’estimation des syndicalistes contactés pour les
besoins de notre enquête qualitative.
i)
Recours au contrat de travail atypique « SIVP » pour recruter la main-d’œuvre
qualifiée
Les premiers caractères spécifiques du secteur de la santé sous l’angle de
l’emploi et de la précarité se distinguent par un paradoxe : ceux qui ont des
tâches marginales par rapport au noyau dur professionnel de la santé ont un
emploi durable (des CDI), avec salaire et couverture sociale : ce sont les employés
du gardiennage, les femmes de ménage, les ouvriers de cuisine auxquels on
ajoute les brancardiers. Par contre ceux qui sont des SIVP, ce sont les employés
dont la qualification est directement liée au noyau dur de la profession : ce sont
les paramédicaux comme les aides soignants, les infirmier(e)s, les techniciens
supérieurs et parfois les médecins. Des cas ont pu être relevés comme ces
médecins «précaires », exemple : un radiologue à l’Hôpital d’Enfant de Bâb
Saadoun, deux généralistes à l’hôpital régional de Béja. On trouve dans les SIVP
des techniciens spécialisés, les laborantins, les diplômés de la spécialité
« radiologie », de la spécialité « nutrition », les kinésithérapeutes.
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Quant aux CDD, ce sont les attachés d’administration, les agents de bureau des
entrées (admission des malades, sortie des malades, sortie des décès), les agents
des archives (allant du responsable de la maintenance jusqu’ aux agents chargés
du classement des archives, tels que les dossiers des malades, classement par
spécialité et par année), ce sont des contractuels.
ii) Recours aux entreprises de sous-traitance de la main-d’œuvre dans le
secteur public et privé
L’emploi précaire a fait son entrée dans le secteur de la santé à partir des années
1990. C’est cette époque que le besoin s’est fait sentir avec l’apparition de postes
vacants dans les tâches d’administration et dans le paramédical. Ce besoin n’a
pas été comblé par des recrutements d’un personnel permanent. Le faible coût
d’une main d’œuvre abondante et formée mais aussi, l’apparition des sociétés de
sous-traitance aidant, constituent les deux facteurs qui ont conforté la tendance
à faire appel à une main d’œuvre travaillant dans des conditions précaires.
Cette apparition s’est faite essentiellement dans les EPS (Etablissements Publics
de Santé) comme les Hôpitaux publics, les CHU(Centre Hospitalo-Universitaire),
l’Institut de Nutrition, le Centre d’orthopédie Mohamed Kassab, le Centre de
Gynécologie Wassila Bourguiba, l’Hôpital d’Enfant de Bâb Saadoun,, l’institut de
Neurologie de la Rabta, L’institut du cancer Salah Azaiez, l’Hôpital
Ophtalmologique Hédi Rayés, l’Hôpital Charles Nicolle, l’Hôpital Mongi Slim,
L’Hôpital de la Rabta, l’Hôpital Habib Thameur, en tout 20 EPS, en tant que
grandes institutions hospitalières du pays. Ce fut la première étape. La deuxième
étape a vu la généralisation du phénomène: cette « technique » d’emploi précaire
a fait tâche d’huile dans les hôpitaux régionaux. Le problème ne se posait pas
pour les Centre des Soins de Base, car le personnel y est réduit.
Dans le secteur privé, l’appel à l’emploi précaire se faisait durant la saison
estivale, c’est la période d’affluence. C’est là qu’on appliquait la technique de la
modulation en fonction de l’affluence des patients rappelant la même technique
pratiquée dans le secteur de l’habillement. Dès qu’il y a création d’un service
nouveau, (dialyse par exemple), on recrute des emplois précaires, tels que les
kinésithérapeutes, les infirmières, les instrumentistes (par acte), et les ouvriers.
On fait appel aux techniciens supérieurs du secteur public pour des
interventions ponctuelles, moyennant paiement d’un forfait de service ponctuel
(opération ou intervention chirurgicale).
iii) Précarité et risques de maladies professionnelles
Le secteur de la santé se caractérise par la délicatesse des opérations et des
gestes professionnels à contracter. La moindre faute risque de coûter la vie d’un
homme. Ce scrupule n’est cultivé que chez les enfants de la profession. Les
intrus, ne peuvent pas observer une discipline rigoureuse, n’ayant pas eu une
formation conséquente à cet effet. Il y a une différence de comportement entre
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celui qui connaît les maladies contagieuses et celui qui ne les connaît pas. Le
premier ne touche rien sans avoir déjà mis les gants. Le second, pour la rapidité
des gestes qu’il expédie sans grand scrupule, trouve cela dérisoire. Un initié sait
ce qu’est une urgence et quels soins premiers il faut dispenser. Il sait garder le
secret médical, comme un acte d’une haute professionnalité. Tous ces avoirs et
ces comportements exigent une formation appropriée et une ancienneté dans le
travail. Les nouveaux ne peuvent pas connaître ces « détails ».
iv) Précarité et déqualification professionnelle
On peut relever le cas d’une clinique privée qui vient de connaître un mouvement
de revendication de la part de son personnel soignant. Ces derniers demandent le
reclassement professionnel, en fonction de ce que chacun présente comme
services. L’infirmier est payé comme un aide soignant durant dix ans. Les dix ans
d’ancienneté suffisent pour lui donner le niveau salarial d’un infirmier à ses
débuts. Le technicien supérieur est payé au niveau de l’ouvrier. En outre le
préparateur de pharmacie, le laborantin fait quand le besoin s’en fait sentir, le
standardiste de nuit, donne les médicaments aux malades, et tient le registre
des entrées. Trois tâches qui sont loin l’une de l’autre et qui ne sont pas
enseignés dans les filières de l’enseignement en tant qu’appartenant à la même
profession. Il y a une sorte de non reconnaissance professionnelle à travers cet
exemple portant sur la demande de reclassement professionnel des employés de
cette clinique privée. Cette reconnaissance professionnelle n’est pas de rigueur.
Les 56 employés qui ont reçu une formation approprié ont été, suite au
mouvement revendicatif, remplacés par des CDD, des emplois précaires, des
contractuels de trois mois renouvelables.
1-2-6 La précarité dans le secteur d’électricité et du gaz
i)
La segmentation entre Statutaires et personnel recruté par la régie
Tous les établissements d’électricité et de gaz du secteur public, couvrant tout le
territoire tunisien comptent 10400 inscrits sur ses registres, dont 1000 sont
détachés, pour assurer des fonctions diverses. En effet, ces derniers sont payés
en tant que fonctionnaires à des degrés divers (Ingénieurs, Techniciens
Supérieurs, cadres administratifs, etc.) de la STEG, et sont détachés dans les
partis politiques (au pouvoir ou d’opposition reconnue), dans des syndicats, dans
des Ministères, dans des associations ou des organisations nationales comme
l’UNFT par exemple.
Aux 9400 fiches de paie de travailleurs permanents effectifs à la STEG, il faudra
ajouter 1000 travailleurs précaires et qui sont dénommés dans la terminologie
administrative « la régie ». Ce nombre vient d’être recensé (octobre 2008).
Les 1000 travaillant sous la dénomination de régie, se distinguent des
travailleurs statutaires, par le fait qu’ils sont privés de ce dont jouissent les
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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statutaires : un statut, une déclaration à la CNRPS (CNAM), un salaire régulier,
une retraite prévue à l’âge requis, un formation pour se recycler à des étapes
charnières de la carrière professionnelle, des primes, une inscription dans une
progression professionnelle qualifiée de « promotion », garante d’une gestion
optimale de la carrière, une couverture médicale spécifique dispensée par un
réseau de centres médicaux (un centre dans les grandes villes régionales outre le
grand centre médical de Tunis où sont dispensés des soins répartis selon les
deux types en vigueur, : maladies ambulatoires et longues maladies, auxquels
sont appliqués respectivement des régimes de couverture sanitaire appropriés).
Ces centres sont mis au service des retraités et du personnel en activité, qui sont
ainsi entourés par la protection assurée par la Société et la Mutuelle. Dans ces
prestations couvrant l’assurance sanitaire, seul un ticket modérateur est
consenti par le statutaire : il se situe dans une fourchette variable de 10 à 20%.
C’est là la définition modèle de l’emploi permanent exprimé ici en des termes
pratiques et empiriques et qu’incarne parfaitement l’employé de la STEG. Cela
rejoint le travail décent que nous avons cité dans l’introduction de cette étude et
que nous avons relié aux définitions proposées par le B.I.T.
ii) La « Régie » est la porte d’entrée des entreprises de sous-traitance de la
main-d’œuvre
La Régie est le secteur de l’emploi qui est dispensée par les sociétés privées de
sous-traitance. Ces sociétés sont nombreuses et se trouvent dans toutes les
régions et pour la STEG dans tous les districts que compte la République. Elles
ont connu leur expansion première grâce aux tâches de gardiennage et de
nettoyage. Ce fut au début, celle de l’expansion des « sociétés d’hygiène » qui
permettent aux entreprises d’externaliser certaines activités et les soulagent sur
le plan de la tenue de la comptabilité, du contrôle des normes de travail, des
émissions de fiches de paie, de régularisation des questions sociales liées à
l’activité professionnelle, etc. Ce fut une aubaine pour les entreprises. Par la
suite l’activité des sociétés privées de sous-traitance de l’emploi ont investi tous
les postes de travail, qu’ils soient fixes et réguliers (selon l’appellation propre au
code du travail typique) ou subalternes et intermittents. En effet on y trouve les
tâches de secrétariat, techniciens, manœuvres, et manutentionnaires, etc.
C’est durant le mois de juin-juillet que la STEG lance annuellement un appel
d’offres exprimant ses besoins en personnel. Le travail effectif commence en
septembre. Une nouvelle fournée d’emplois précaires est alors admise, la
précédente congédiée. Dans ce cadre institutionnel la pièce maîtresse en ce qui
concerne l’emploi c’est bien entendu le cahier des charges. Le menu principal de
ce cahier de charge c’est bien entendu le travail comptabilisé selon l’heure. Des
clauses peuvent être mentionnées touchant la sécurité sociale, la tenue de
travail, les congés. Mais ces clauses ne sont pas systématiquement appliquées.
La règle c’est la non observance des charges sociales liées à toute embauche.
L’exception est le respect des règles de couverture sociales de différents ordres.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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iii) La sous-traitance de la main-d’œuvre couvre différents niveaux de
qualification
Les postes occupés par la « Régie » ne sont pas pour autant des postes de
subalternes ou des tâches annexes à l’activité principale de la STEG (production
et distribution de l’énergie électrique), du moment que la « Régie » compte en son
sein des postes fixes. En effet, on compte parmi la population précaire de la
STEG les postes de secrétariat, de magasinier, de monteurs de lignes (une
fonction technique par excellence et qui relève du noyau dur « professionnel » de
la STEG), de releveurs de compteurs.
Moins techniques probablement les autres types de postes confiés à la Régie, tels
que : chauffeurs, aide magasinier, standardiste, caissiers, eux aussi figurant sur
le registre des emplois précaires.
Enfin une troisième catégorie d’emplois précaires est réservée aux tâches de
nettoyage, de gardiennage et de désherbage. Ces trois dernières tâches, faisant
partie des postes confiés à la régie, sont probablement les plus contraignants et
les plus marqués par le sceau de la pénibilité. Le désherbage s’applique aux
poteaux et aux postes de transformation (haute, moyenne et basse tension) qui
sont envahis par les herbes. Le gardiennage exige une vigilance de tout instant,
de jour ou de nuit. Le nettoyage se fait à des heures pénibles : tôt le matin de 5h
à 8h, tard la journée de 18h à 20 ou 21 h du soir, soit 5 à 6 heures par jour
ouvrable, séparées et divisées en deux segments de journées, ce qui n’est pas de
tout repos. C’est au contraire l’opposé de ce qu’un fonctionnaire statutaire et
chanceux souhaite briguer : une planque. La pénibilité du travail est le
dénominateur commun des différents emplois précaires (voir & 3-3)
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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2. CARACTERISTIQUES DE LA RELATION DE TRAVAIL
SORTIE DE L’EMPLOI DE LA POPULATION ETUDIEE
ET LES RAISONS DE
Les profonds changements intervenus sur le marché du travail ont donné
naissance à différentes formes de relations de travail en Tunisie. La flexibilité
s’est accrue dans les branches où le modèle de compétitivité est fondé sur la
baisse du coût du travail. Un nombre croissant de travailleurs a désormais un
statut qui n’est pas clair en matière d’emploi et, de ce fait, ne bénéficient pas de
la protection normalement associée à la relation de travail.
La population des travailleurs objet de notre enquête est assez
particulière. Elle regroupe 60 % de travailleurs sous CDD, 25 % sans contrat de
travail écrit et le reste est sous contrat atypique (SIVP, CEF). Par ailleurs, la
majorité des travailleurs est recrutée dans une relation de travail triangulaire
(86%). Le tableau ci-dessous présente sa distribution par branche d’activité selon
le type de leur relation de travail.
Tableau 5 : Distribution des travailleurs par branche d’activité selon le type de relation de
travail
Branches d’activités
Industrie Habillement
Santé
Bâtiment
Commerce
Industrie agro alimentaire
Industrie Electrique
Banque
Total
Relation de travail
triangulaire
(Sous-traitance)
23,9
40,6
14,4
8,9
2,2
1,1
8,9
100,0
Relation de travail
bilatérale
Total
29,6
10,3
15,0
18,5
18,5
8,2
100,0
27,1
23,5
14,8
14,3
11,4
5,1
3,9
100,0
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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2-1.
Caractéristiques de la relation de travail de la population étudiée
2-1-1 Les formes de travail précaire
Les principales formes de travail précaire sont les contrats temporaires, le travail
indépendant et les opérations triangulaires. Nous examinons successivement la
définition de ces trois formes.
i)
Les contrats temporaires
L’aspect atypique des contrats temporaires s’attache soit à la durée de la
période d’emploi (durée déterminée) soit à la durée du travail (le travail n’est pas
à temps complet). Dans la relation de travail sous Contrat à durée déterminée,
l’employeur et le salarié conviennent que la cessation de l’emploi est déterminée
par des conditions objectives telles que l’expiration d’un délai ou
l’accomplissement d’une tâche. Dans ce cas, la précarité naît de la certitude que
l’emploi est strictement limité dans le temps.
L’emploi temporaire désigne toutes les relations de travail fondées sur
des situations à durée limitée et appelées à se renouveler de façon cyclique :
travail occasionnel, travail saisonnier, travail à temps partiel. Dans cette forme
de travail, le salarié peut être recruté selon un contrat à durée indéterminée,
forme typique de travail, mais la durée intrinsèque du travail fait basculer la
relation dans les formes d’emploi précaires. La précarité naît de la certitude que
le salarié ne peut pas espérer des revenus et des avantages sociaux équivalents à
ceux des salariés à temps pleins.
ii) Les travailleurs à domicile
La convention n°177 sur le travail à domicile définit le travail à domicile
comme étant un travail qu’une personne, le travailleur à domicile, effectue à son
domicile ou dans d’autres locaux de son choix autres que les locaux de travail de
l’employeur, moyennant une rémunération, en vue de la réalisation d’un produit
ou d’un service répondant aux spécifications de l’employeur, quelque soit la
provenance de l’équipement des matériaux ou des autres éléments utilisés à cette
fin, à moins que cette personne ne dispose du degré d’autonomie et
d’indépendance économique nécessaire pour être considérée comme travailleur
indépendant en vertu de la législation nationale.
Cette forme de travail se répand de plus en plus, et elle est presque toujours
signe de précarité. Dans la majorité des cas, les travailleurs à domicile ne
bénéficient pas du statut de salarié et ne profitent d’aucun des avantages liés à
ce statut et se trouvent en position de faiblesse dans toutes les négociations avec
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le chef d’entreprise. La Tunisie n’a pas ratifié la convention de l’O.I.T. n°177 sur
le travail à domicile. Le code du travail tunisien aborde les travailleurs à domicile
comme salariés dans deux articles: l’article 159 et 174.
L’article 159 C.T. relatif aux commissions consultatives d’entreprise énonce
que : « sont considérés comme salariés, pour l’application des dispositions du
présent chapitre. Les travailleurs à domicile… ». Cette formulation fait
comprendre que l’intention du législateur est de limiter l’étendue de la
disposition considérant les travailleurs à domicile comme salariés au seul
chapitre relatif aux C.C.E. et de ne pas l’étendre au-delà de cette limite. S’il n’en
est pas ainsi, la disposition serait inutile.
L’intérêt de l’article 159 du C.T. est d’avoir donné une définition du
travailleur à domicile et quelques éclairages relatifs à sa situation. Selon l’article,
il n’est pas nécessaire de rechercher s’il existe entre les travailleurs à domicile et
leur employeur un lien de subordination juridique, ni s’ils travaillent sous la
surveillance immédiate et habituelle de l’employeur, ni si le local où ils travaillent
et l’outillage qu’ils emploient leur appartient, ni s’ils se procurent eux-mêmes les
fournitures accessoires. Sont travailleurs à domicile tous ceux qui satisferont
aux conditions suivantes :
• Exécuter moyennant une rémunération forfaitaire pour le compte
d’un ou plusieurs établissements … un travail qui leur est confié
soit directement soit par un intermédiaire.
• N’utiliser d’autres concours que ceux de leurs conjoints et de leurs
enfants à charge.
Le même article ajoute que si le travailleur à domicile travaille pour le compte de
plusieurs entreprises, il est considéré appartenant à l’entreprise qui lui aura
versé la rémunération la plus élevée au cours de l’année passée. Enfin, l’article
159 CT précise que si le travailleur à domicile travaille pour un sousentrepreneur qui n’est pas inscrit au registre de commerce et qui n’est pas
propriétaire d’un fond de commerce, il est alors considéré comme faisant partie
du personnel de l’entreprise pour le compte de laquelle agit le sous-entrepreneur.
Enfin, l’article 174 énonce que les agents chargés de l’inspection du travail
munis d’une pièce justificative de leurs fonctions sont autorisés à pénétrer de
jour dans tous les locaux où les travailleurs à domicile effectuent des travaux qui
leur sont confiés par les chefs d’entreprises.
iii) Les opérations triangulaires
Par opération triangulaire, on entend la relation de travail qui réunit trois
personnes à savoir, le salarié une entreprise de main-d’œuvre et une entreprise
utilisatrice. Cette dernière confie une fraction de ses activités à une autre
entreprise, dite de main-d’œuvre qui exécute le travail avec sa propre maind’œuvre ou met à la disposition de l’entreprise utilisatrice des salariés pour
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 36
l’exécuter. Le salarié se trouve, alors, en rapport avec ces deux entreprises. D’une
part, il est recruté, payé et soumis au pouvoir de contrôle et de discipline de
l’entreprise de main-d’œuvre et d’autre part, il est soumis au pouvoir
professionnel de l’entreprise utilisatrice pendant l’exécution du travail.
Les opérations triangulaires se sont répandues ces vingt dernières années à
travers tous les pays en une panoplie de formes. Le défaut de réglementation
dans des pays, et la sous-réglementation dans d’autres ont favorisé l’apparition
des abus et des fraudes pour échapper aux contraintes légales en matière de
travail. La précarité dans les opérations triangulaires, est due à l’incertitude qui
règne, dans beaucoup de cas, quant à l’identification du véritable employeur du
salarié.
2-1-2 Les trajectoires professionnelles sont fortement marquées par le travail
précaire.
Pour la forte majorité des travailleurs le CDD et l’absence de contrat de
travail écrit, représentent une mobilité forcée produite par la gestion flexible du
recrutement. Une très faible proportion des travailleurs passe d’un CDD à un
CDI dans des activités permanentes de l’entreprise. Les hommes subissent un
peu plus que les femmes la mobilité forcée. Environ 62 % des hommes contre 52
% des femmes ont occupé plus d’un emploi sous le statut juridique précaire.
Pour les travailleurs qui ont occupé plus d’un emploi, la mobilité se
traduit par une suite de contrats de travail précaires avec une durée de chômage
entre deux contrats souvent égale ou inférieure à trois mois. Parfois, une faible
proportion de femmes mariées quitte momentanément le marché du travail. Les
trajectoires professionnelles se caractérisent alors principalement par une
situation précaire de longue durée. (Voir Graphique ci-dessous)
100%
Figure 6: Trajectoiresprofessionnellesdestravailleursayant occupé plusieursemploisentre 2005 et
2008
Source: Enquête UGTT&FFEbert,2008
80%
60%
40%
20%
Emploi précaire
Chômage
20
08
t3
20
08
t2
20
08
t1
20
07
t4
20
07
t3
20
07
t2
20
07
t1
20
06
t4
20
06
t3
20
06
t2
20
06
t1
20
05
t4
20
05
t3
20
05
t2
20
05
t1
0%
Hors marché
Emploi précaire = CDD, Contrat atypique et Relation de travail sans contrat écrit
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 37
La mobilité professionnelle des travailleurs est forcée car environ 60 % quittent
l’emploi suite à la fin de la durée du contrat de travail ou suite à un licenciement,
souvent collectif. Les autres le font par démission. Pour la moitié des
démissionnaires, la mobilité est également forcée car elle est principalement due
à un salaire indécent.
Certains travailleurs se voient forcés de changer de résidence pour échapper au
chômage. Ils représentent 26 et 15 % respectivement des hommes et des femmes.
Le Grand Tunis où s’est déroulée l’enquête est doté d’infrastructures de transport
public9 et constitue un large bassin d’emploi où la mobilité géographique peut
déboucher sur un emploi puisqu’il s’agit du plus grand pôle d’activité
économique du pays. Mais cette région, pôle d’attraction pour la population de
plusieurs régions, enregistre un niveau élevé du déséquilibre entre l’offre et la
demande d’emploi10. De ce fait, pour tous les travailleurs précaires, le chômage
force l’acceptation d’emplois sous-qualifiés ou sous-payés. La recherche à
subsister pousse à faire des concessions sur les conditions de travail et finit par
créer un sentiment de frustration lié au fait que toute leur vie, ou du moins une
partie importante de leur temps, est mobilisée pour le travail alors qu’elles en
retirent souvent fort peu, que ce soit sur le plan financier ou sur le plan
professionnel.
Le vécu dans des situations précaires (contrat temporaire et chômage) sur une
longue période suscite des interrogations sur la qualité de ses acquis
professionnels et une baise de l’estime de soi.
Tableau 5bis : Fréquence des moyens de recherche d’emploi
Moyens de recherche d’emploi
Aide des amis
Contact individuel des employeurs sans l’aide familiale ou
autre
Aide familiale
Bureau emploi
Demande d'emploi écrite
Offre d'emploi dans la presse
Participation à des concours
En % du total des
travailleurs
59
47
46
43
30
19
12
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
Il importe de souligner que les conditions de transport sont difficiles aux heures de pointes car la
qualité de ce réseau laisse à désirer.
10 Taux de chômage dans le Grand Tunis en 2007: Manouba 16.8 %, Ben Arous 15.2 %, Ariana
13.1% et Tunis 12,4 %.
9
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 38
2-1-3 La sous-traitance de la main-d’œuvre est associée au CDD et à l’absence de
contrat de travail écrit.
Les travailleurs recrutés selon une relation de travail triangulaire sont
souvent sous CDD. C’est le cas de 67 % des hommes et 49% des femmes. (Voir
tableau ci-dessous). La sous-traitance
se caractérise aussi par une
situation où la relation de travail est frauduleuse dans la mesure où une
forte proportion des travailleurs ne bénéficie pas de contrat de travail écrit ;
phénomène répandu particulièrement parmi les agents de sécurité privé ou de
nettoyage. Sur le plan juridique, le travailleur est protégé car le contrat de travail
oral est reconnu par le code du travail. L’article 6 du code de travail stipule :
« Le contrat de travail est une convention par laquelle l’une des parties
appelée travailleur ou salarié s’engage à fournir à l’autre partie appelée
employeur ses services personnels sous la direction et le contrôle de celle-ci
moyennant une rémunération. La relation de travail est prouvée par tous
moyens »11
Mais encore faut-il prouver cette relation en cas de nécessité. Ignorant les
subtilités et nuances du droit du travail, les travailleurs sans contrat écrit
deviennent fragiles face à l’employeur. Ce dernier s’appuie sur cette ignorance
pour les menacer constamment de licenciement en vue de les rendre dociles à
plusieurs formes de flexibilité de l’organisation du travail et de l’exploitation
salariale.
Les femmes subissent plus que les hommes cette stratégie des employeurs
; 45 % des femmes en sous-traitance ne bénéficient pas de contrat de travail écrit
contre 31 % des hommes en sous-traitance (Voir Tableau ci-dessous). Le même
phénomène existe en situation de relation de travail bilatérale classique mais il
est de moindre ampleur aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
Tableau 6 : Distribution des travailleurs par type de contrat de travail et par genre
selon le type de relation de travail (en %)
Hommes
Femmes
Relation de
Relation de
Relation de
Relation de
travail
travail
travail
travail
triangulaire
bilatérale
triangulaire
bilatérale
CDD
67
64
49
60
Sans contrat
31
17
45
15
Contrat atypique)
1
4
6
4
CDI
1
15
0
21
Total
100
100
100,0
100,0
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
11
Article modifié par la loi n°96-62 du 15 juillet 1996
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 39
2-2.
Raisons de la mobilité
L’examen des raisons précises de sortie de l’emploi permet de mettre en évidence
le caractère forcé de la mobilité des travailleurs.
2-2-1 Les principales raisons de sortie de l’emploi
L’enquête auprès des travailleurs révèle les raisons suivantes de sortie de
l’emploi :
•
•
•
•
La démission est la première raison évoquée notamment par les femmes et
les travailleurs en relation de travail de sous-traitance.
La fin de la durée du contrat de travail est la seconde raison de sortie de
l’emploi précaire. Elle concerne plus fortement que la moyenne les
hommes et les travailleurs en relation de travail triangulaire.
Le licenciement collectif est plus fréquent que la moyenne pour les femmes
et les travailleurs en relation de travail bilatérale.
Enfin le licenciement est relativement une faible raison de sortie de
l’emploi. Les écarts entre les différentes catégories de travailleurs ne sont
pas statistiquement significatifs.
Tableau 7 : Fréquence des principales raisons de sortie de l’emploi
en % de chaque catégorie des travailleurs (en % du total de chaque catégorie)
Démission
Fin de la durée
de travail
Licenciement
collectif
Licenciement
individuel
Type de relation de travail
Relation de
Relation de
travail
travail
bilatérale
triangulaire
44
40
44
36
Genre
Hommes
Femmes
Ensemble
36
44
49
28
41
38
7
16
10
18
13
7
9
9
6
8
NB : Le tableau se lit comme suit : Par exemple, 44 % des travailleurs en relation de travail
triangulaire ont quitté leur emploi suite à une démission.
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 40
2-2-2
Les principales raisons de démission de l’emploi précaire
Le salaire est la raison la plus fréquente de démission de l’emploi précaire
quelque soit le genre et le type de relation de travail dans l’emploi précaire.
Environ la moitié des démissionnaires évoque cette raison qui traduit le refus des
salaires indécents. L’emploi éloigné est souligné plus fortement que la moyenne
par les travailleurs démissionnaires en relation de sous-traitance (33%) et par les
femmes (24%). Enfin la démission se produit pour occuper un meilleur emploi.
Elle est évoquée, plus fréquemment que la moyenne, par les hommes et les
travailleurs en relation de travail bilatérale.
Figure 7: Fréquence relative desprincipalesraisonsde démission de l'emploi précaire par genre
et par type de relation de travail
(en%destravailleursdémissionnairesde chaque catégorie)
Source: Enquête UGTT& FFEbert,2008
15
15
Total
Femmes
24
Hommes
Relation de travail bilatérale
Relation de travail triangulaire
0
Salaire insuffisant
49
5
8
7
50
23
48
19
7
5 Emploi
10 éloigné
15 du logement
20
25
48
33
50
30 occuper
35
40emploi
45meilleur
50
Pour
un
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 41
3. CARACTERISTIQUES
DE L’EMPLOI PRECAIRE
: LA FEMME
EST
PARTICULIEREMENT VICTIME DU TRAVAIL INDECENT
3-1. Caractéristiques démographiques et éducatives de la population
étudiée
La population enquêtée comprend des travailleurs célibataires et mariés ou qui
ne le sont plus dans des proportions assez voisines aussi bien parmi les hommes
que les femmes. Les travailleurs de moins de 30 ans représentent 45 % des
hommes et 32 % des femmes, le reste représente les plus de 30 ans. Seulement
un peu plus de la moitié sont nés dans le Grand Tunis où s’est déroulée
l’enquête. Environ 27 % sont nés dans le Nord Ouest représentant ainsi les fils et
les filles de l’exode rural.
Tableau 8 : Caractéristiques démographiques des travailleurs précaires par genre.
Hommes
Femmes
Total
52,6
41,9
4,7
,9
100,0
49,7
32,4
11,2
6,7
100,0
51,3
37,8
7,5
3,4
100,0
44,9
55,1
100,0
32,4
67,6
100,0
39,5
60,5
100,0
52,3
10,9
27,7
2,7
4,5
55,6
9,8
25,5
2,0
6,5
,7
53,6
10,5
26,8
2,4
5,4
,3
,5
,5
100,0
Etat civil
Célibataire
Marié(e)
Divorcé(e)
Veuf(ve)
Total
Age
=< 30 ans
> 30 ans
Total
Région de naissance
Grand Tunis
Nord Est
Nord Ouest
Centre Est y compris Sfax
Centre Ouest
Sud Est
Sud Ouest
Etranger
Total
,9
,9
100,0
100,0
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 42
Le profil éducatif des femmes est différent de celui des hommes. Ces derniers ont
relativement un niveau éducatif plus élevé. La part issue de l’enseignement
secondaire ou supérieure est de 51 et 33 % respectivement pour les hommes et
les femmes. Ces dernières regroupent aussi la plus forte proportion
d’analphabètes soit 15 % contre seulement 3 % des hommes. Enfin 31 % des
hommes ont eu accès à une formation professionnelle initiale contre 20 % pour
les femmes. Cette inégalité du capital humain marquera la différenciation de
leurs parcours professionnels.
Tableau 9 : Caractéristiques éducatives des travailleurs précaires par genre.
Niveau d’éducation
Analphabète
Primaire 1er cycle EB
2ème Cycle EB
Secondaire
BAC+2ou3
Bac+4
Total
Accès à la formation professionnelle
initiale
Suivi d'une formation professionnelle
Non suivi de formation professionnelle
Total
Hommes
Femmes
Total
3,4
24,4
21,4
41,0
6,0
3,8
100,0
15,1
35,8
16,2
19,6
10,1
3,4
100,0
8,5
29,3
19,1
31,7
7,7
3,6
100,0
31,2
68,8
100,0
19,6
80,4
100,0
26,2
73,8
100,0
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
3-2.
Les déterminants du niveau des salaires
3-2-1 Le salaire est croissant en fonction du niveau d’éducation et inégal par
genre.
Le salaire moyen mensuel est croissant en fonction du niveau d’éducation aussi
bien pour les hommes que pour les femmes. Celui des femmes est nettement
inférieur à celui des hommes. Tous niveaux d’éducation confondus, le salaire
mensuel moyen des femmes est de 238 dinars contre 309 dinars pour les
hommes, soit un écart mensuel moyen de 71 dinars.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 43
Figure 8: Salaire mensuel moyen en dinars par niveau d'éducation selon le genre-2008
Source: Enquête UGTT& FFEbert,2008
400
378
350
322
287
300
281
275
250
277
243
200
266
205
169
150
100
Analphabète
1er Cycle EB
2ème cycle EB
Hommes
Secondaire
Bac+2
Femmes
En dehors du cas des travailleurs issus du 2ème cycle de l’enseignement de base,
le salaire moyen des hommes est supérieur à celui des femmes à chaque niveau
d’éducation. L’écart est de 103 et 74 dinars respectivement pour les sortants du
niveau supérieur (Bac+2) et les analphabètes.
3-2-2 Le salaire est inégal selon le type de relation de travail.
Les travailleurs en situation de sous-traitance sont moins rémunérés que les
travailleurs en relation de travail bilatérale, quelque soit le genre. L’écart mensuel
des salaires est de 100 dinars parmi les femmes, contre 62 dinars parmi les
hommes. L’écart salarial entre les deux types de relation de travail se confirme
souvent en neutralisant l’effet du niveau d’éducation.
Figure 9: Salaire mensuel moyen par niveau d'éducation selon le type de relation de travail
(en Dinars)
Source: Enquête UGTT& F,F,EBERT2008
350
298
300
250
274
150
273
228
200
329
283
284
210
192
180
100
Analphabètes
1er cycle
Enseignement de
base
2ème cycle
Enseignement de
base
Relation de travail triangulaire (1)
Secondaire
Bac +2
Relation de travail bilatérale (2)
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 44
3-2-3 Effet négligeable de l’expérience professionnelle sur le niveau du salaire.
Il n’existe pas de différences salariales significatives entre jeunes et adultes dans
le travail précaire. Deux situations apparaissent en examinant le salaire par
niveau d’éducation selon l’âge des travailleurs :
i) L’expérience professionnelle est non reconnue pour les travailleurs
analphabètes ou issus des deux cycles de l’enseignement de base. Les
adultes (âge supérieur à 30 ans) sont relativement moins rémunérés
que les jeunes (âge égal ou inférieur à 30 ans). L’écart mensuel est environ
de 20 et 30 dinars respectivement pour les analphabètes et ceux qui sont
issus du 1er cycle de l’enseignement de base. Il devient nul pour les
travailleurs ayant atteint le 2ème cycle de l’enseignement de base.
ii) L’expérience professionnelle est faiblement reconnue pour les travailleurs
issus de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur. Les
adultes sont relativement mieux rémunérés que les jeunes mais l’écart
salarial est faible, environ 30 dinars.
Figure 10 : Salaire mensuel moyen en dinars par niveau d'éducation selon l'âge
Source: Enquête UGTT&FFEbert, 2008
350
330
321
310
306
281
290
250
295
277
277
270
336
247
230
210
190
205
183
170
150
Analphabète
1er Cycle EB
2ème cycle EB
Age=< 30 ans
Secondaire
Bac+2
Age > 30 ans
La rotation qu’implique l’emploi précaire dans les emplois, les conditions
assurées par les sociétés sous-traitantes de l’emploi n’autorise pas de parler
d’expérience et de formation contractée par les travailleurs provisoires. Le
caractère fugace de ces emplois, le renouvellement des vagues d’employés
précaires ne permet pas d’améliorer les ressources humaines dans les
entreprises utilisatrices. Dans les conditions du travail précaire tel qu’il est
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 45
pratiqué aujourd’hui en Tunisie, il est difficile de développer la « capacité
productive des secteurs »12.
3-2-4 Environ le quart de la population étudiée perçoit un salaire indécent car
inférieur au SMIG
Pour tout le monde, le travail rémunéré est un moyen de subsistance qui accorde
une autonomie plus ou moins grande envers les autres selon les revenus qu’il
procure. Cette capacité de pouvoir subvenir à ses besoins de base, se nourrir, se
loger, se déplacer, est déterminante pour une majorité de personnes. En effet, ce
sont le plus souvent les difficultés liées au fait de gagner sa vie qui font gonfler
l’insécurité et pousser à réviser ses ambitions pour se soumettre aux exigences
du marché ; c’est particulièrement le cas des femmes rémunérées en dessous du
SMIG.
Le code du travail indique que la rémunération des travailleurs de toutes
catégories est déterminée, soit par accord direct entre les parties, soit par voie de
convention collective, dans le respect du salaire minimum garanti fixé par décret.
(Art134-1). Le salaire minimum garanti est le seuil minimum au dessous duquel
il n’est pas possible de rémunérer un travailleur chargé d’accomplir des travaux
ne nécessitant pas une qualification professionnelle.(Art134-2). Le Décret
n°2008-2072 du 02/06/2008, fixe le Salaire Minimum Inter professionnel
Garanti (SMIG) comme suit pour les salaires payés au mois : 251,888 DT pour le
régime de 48 heures par semaine et 217,880 DT pour celui de 40 heures par
semaine.
Le régime horaire de la population des travailleurs de notre enquête est celui de
48 heures par semaine. Sur cette base, les résultats de notre enquête montrent
que les catégories suivantes de travailleurs perçoivent un salaire mensuel
inférieur au SMIG : Femmes analphabètes (168 DT), Femmes en relation de
travail de « sous-traitance » (185 DT), Femmes issues de l’enseignement
primaire (205DT) et Hommes analphabètes (242 DT).
Les catégories dont le salaire est inférieur au SMIG représentent 22 % du
total des travailleurs. L’employé précaire est par définition privé socialement de
sa liberté du moment qu’il a contracté un emploi dans des conditions de
nécessité et de besoin, conditions inscrites automatiquement dans ce que le BIT
appelle l’emploi « indécent ». C’est le lot du « tout-venant », qui est par définition
« poussé » au travail. La condition du travail précaire c’est que la rétribution est
celle qui est destinée au « tout-venant » de l’emploi., la précarisation de l’emploi le
met d’office en rapport de précarisation dans la posture de revendication de ses
droits, la peur d’être exclu étant l’attitude la plus « normale » la plus
La capacité productive est définie comme l’aptitude, premièrement, à produire des biens qui
répondent aux normes de qualité des marchés actuels et, deuxièmement, à se mettre à niveau pour
accéder à de nouveaux marchés.
12
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 46
« prévisible ». Ce sont des forces de travail qui négocient leurs conditions sociales
(y compris professionnelles, quand ils en ont la chance) sur une « corde raide ».
Par exemple, que peut-on attendre d’une femme de ménage qui vient à la STEG13
deux fois par jour, le matin (3 heures de travail à raison de 1,100-1,200 DT de
l’heure) et le soir (deux heures ou trois heures : de 18 h à 20 ou 21 h), qui
travaille cinq jours par semaines, qui touche par conséquent 60 DT par mois, (les
plus chanceuses travaillent six jours samedi compris) et peuvent atteindre le
plafond de 90 DT par mois. De cela il faudra retrancher le transport et parfois le
sandwich qui lui permet de « tenir le coup ». Les 400 femmes qui travaillent sous
forme de « régie » chargée du nettoyage, ont un revenu si dérisoire qu’il serait
vain de prévoir une retenue de cotisation à la Sécurité Sociale, etc. Ces femmes
sont sous toutes les normes de cotisation. Pour les désigner correctement, nous
proposons de leur appliquer la catégorie d’infra-normes.
Ces conditions sont le lot des caissiers, des magasiniers, des secrétaires, des
standardistes, des vaguemestres. Leur situation empire davantage quand arrive
la séance unique. Le nombre d’heures à travailler par jour baisse sensiblement :
6 heures seulement par jour durant cinq jours ouvrables par semaine. Les plus
chanceux parviennent à cumuler 120 heures par mois. Ils se considèrent, pour
emprunter leur argot que nous exprimons ainsi en français : les « aristos des
infra-normes ».
3-2-5 Les salaires obtenus sont inférieurs aux salaires souhaités
Au cours de la recherche d’emploi, les travailleurs fixent un objectif de
salaire dit « salaire de réserve » ou « salaire souhaité » ; en dessous duquel ils
n’acceptent pas un emploi au début de leur processus de recherche d’emploi.
Mais, en découvrant le niveau élevé du chômage, la majorité des travailleurs
est poussée à baisser son exigence salariale pour accéder à un emploi. C’est
le cas de 85% des femmes et 87 % des hommes. Pour le reste le salaire
obtenu est égal ou supérieur au salaire souhaité.
Du point de vue des travailleurs, l’écart entre le salaire souhaité et le
salaire du marché peut être admis comme la mesure du déficit d’un salaire
décent. Cet écart ou déficit varie selon le genre et le niveau d’éducation des
travailleurs. Il est de 94 dinars pour les hommes et de 101 dinars pour les
femmes. Il varie aussi selon le niveau d’éducation (Voir Graphique ci-dessous)
13
Le cas de cette entreprise publique a été étudié par l’enquête qualitative.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 47
Figure 11 : Salaire moyen souhaité et salaire moyen obtnu par niveau d'éducation
Source: Enquête UGTT& FFEbert,2005
500
450
400
350
300
250
200
150
100
50
0
463
380
388
318
280
308
320
Secondaire
BAC+2ou3
279
244
185
Analphabète
Primaire 1er cycle EB
2ème Cycle EB
Salaire souhaité (salaire de réserve)
Salaire obtenu (salaire du marché)
3-2-6 Faible écart entre les salaires de la population syndiquée et celle qui est non
syndiquée.
Globalement, l’écart salarial est faible entre la population syndiquée et
celle non syndiquée. Toutes catégories confondues, le salaire mensuel moyen des
syndicalistes est de 290 dinars contre 275 dinars pour les non syndiqués ; soit
seulement un écart de 15 dinars. L’examen du niveau du salaire moyen par type
de relation de travail et par genre selon l’adhésion syndicale révèle deux
situations des travailleurs syndiqués :
•
•
Dans la première situation les travailleurs syndiqués sont mieux rémunérés
que les non syndiqués. Elle concerne des travailleurs, hommes et femmes
en relation de travail bilatérale.
Inversement, dans la seconde situation les travailleurs syndiqués sont
moins rémunérés que les non syndiqués. Il s’agit des hommes en relation
de travail triangulaire. Dans ce type de relation il n’existe pas de différence
entre femmes syndiquées et non syndiquées car pour les deux catégories
le salaire obtenu est très inférieur au SMIG (185 dinars). Cette situation
révèle que le courage d’adhésion au syndicalisme existe dans le contexte
du travail précaire14
14 L’analyse de la syndicalisation de la population étudiée est examinée dans la troisième partie de
ce rapport.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 48
Tableau 10 : Salaire mensuel moyen par type de relation de travail, et par genre selon
l’adhésion syndicale
Adhérent au
syndicat
Non
adhérent au
syndicat
Hommes
Relation de
Relation de
travail
travail
triangulaire
bilatérale
259
343
274
330
Femmes
Relation de
Relation de
travail
travail
triangulaire
bilatérale
184
316
185
Total
290
281
275
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
Enfin, l’examen des salaires moyens par niveau d’éducation indiquent un écart
entre syndiqués et non syndiqués, au profit des premiers issus du 2ème cycle de
l’enseignement de base ou du premier cycle de l’enseignement supérieur ; soit
respectivement un écart mensuel de 40 et 50 dinars (voir graphique ci-dessous)
Figure 12 : Salaire mensuel moyen des travailleurs enquêtés par niveau d'éducation selon
l'adhésion syndicale (en dinars)
Source: Enquête UGTT& FFEbert
Adhérent au syndicat
Non adhérent au syndicat
400
332
350
300
248
250
316
304
273
352
301
290
275
228
200
193
150
154
100
50
0
Analphabète
1er cycle EB
2ème cycle EB
Secondaire
Bac+2 ou 3
Total
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 49
3-3. Une proportion importante des travailleurs ne bénéficie pas de
protection sociale.
3-3-1 Les travailleurs sous le statut d’une relation de travail triangulaire sont
nettement moins protégés que ceux qui sont sous le statut d’une relation
bilatérale.
L’absence de protection sociale est très forte chez les travailleurs en situation de
sous-traitance : 72 % ne bénéficient pas d’assurance maladie et 51% ne sont pas
déclarés à la sécurité sociale contre respectivement 46 % et 21 % pour les
travailleurs en relation de travail bilatérale.
Figure 13 : Part des exclus de la protection sociale par type de relation de travail (en %)
Source: Enquête UGTT& FFEbert,2008
46
Relation bilatérale
21
72
Relation triangulaire
51
0
10
20
30
40
50
60
70
80
Part des excl us de l 'assurance mal adi e (en%)
Part des travai l l eurs non décl arés à l a sécuri té soci al e (en%)
3-3-2 Les femmes sont moins protégées que les hommes, particulièrement contre
le risque de maladie.
En moyenne, 57 % des travailleurs ne bénéficient pas de l’assurance maladie et
37 % ne sont pas déclarés à la sécurité sociale. Les femmes sont relativement les
plus exclues de la protection sociale (Voir Graphique ci-dessous). Une très forte
proportion des femmes ne bénéficie pas particulièrement d’une assurance
maladie ; 67% contre 50% des hommes.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 50
Figure 14 : Part des travailleurs exlus de la protection sociale par genre (en %)
Source: Enquête UGTT& FFEbert,2008
67
Femmes
42
50
Hommes
33
0
10
20
30
40
50
60
70
80
Part des exl us de l 'assurance mal adi e (en%)
Part des travai l l eurs non décl arés à l a sécuri té soci al e (en%)
3-4.
La pénibilité du travail et les accidents de travail
3-4-1 La pénibilité du travail est une forte caractéristique de l’emploi précaire.
L’emploi précaire est très pénible pour la majorité des travailleurs. La fréquence de
cette situation est presque la même pour les hommes et les femmes
(respectivement 66 et 67 % de cas). Par contre la fréquence du phénomène varie
fortement selon le type de relation de travail. Le travail très pénible concerne 81%
des travailleurs sous le statut de relation triangulaire contre 54 % des
travailleurs sous statut d’une relation de travail bilatérale.
Figure 15: Part des travailleurs dont le travail est très pénible par genre et type de relation
de travail (en%)
Source: Enquête UGTT& FFEbert,2008
100
80
81
66
67
54
60
40
20
0
Hommes
Femmes
Relation de travail Relation de travail
triangulaire
bilatérale
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 51
3-4-2 Le risque d’accident de travail et de maladie professionnelle est
particulièrement fréquent chez les femmes et les travailleurs en relation de
travail bilatérale
En moyenne 11 % des travailleurs ont eu un accident de travail. Les femmes et
les travailleurs en situation de relation de travail triangulaire sont touchés dans
une proportion supérieure à la moyenne. La situation particulière de ces
catégories s’explique par leur présence dans des activités industrielles. Par
ailleurs, 17 % des travailleurs ont été victime d’une maladie professionnelle. Les
femmes et les travailleurs en relation de travail bilatérale sont atteints plus
fréquemment que cette moyenne.
Tableau 11 : Part des travailleurs victime d’accidents de travail
et de maladie professionnelle
( en % du total de chaque catégorie)
Part des travailleurs
victimes d’un accident de
travail
Part des travailleurs
victimes d’une maladie
professionnelle
Type de relation de
travail
Relation de
Relation
travail
de travail
triangulaire bilatérale
16
9
11
22
Genre
Ensemble
Hommes
Femmes
9
19
11
15
20
17
N.B : Le tableau se lit par exemple comme suit : 16 % des travailleurs en relation de travail
triangulaire ont été victimes d’un accident de travail.
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
3-4-3 La longue durée hebdomadaire du travail et le travail de nuit sont associés
à la relation de travail triangulaire et au travail des hommes.
La durée hebdomadaire de travail est fréquemment égale à 48 h. Il n’existe pas
de différence significative par genre. Au contraire le type de relation de travail a
un effet discriminant. En effet le travail en sous-traitance se caractérise par une
durée supérieure à 48 heures dans une proportion de 31 % contre 9 % pour les
travailleurs en relation de travail bilatérale.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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Tableau 12 : Durée hebdomadaire du travail par genre et par type de relation de
travail (en %)
Durée
hebdomadaire
du travail
Type de relation de travail
Genre
Ensemble
Relation de
travail
triangulaire
69
Relation de
travail
bilatérale
91
Hommes
Femmes
81
83
82
>48 heures
31
9
19
17
18
Total
100
100
100
100
100
=<48 heures
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
Environ le quart des travailleurs exerce un travail de nuit en permanence ou en
alternance. Les hommes sont plus concernés que les femmes par ce type de
travail. Il n’existe pas de différence significative entre les travailleurs sous le
statut d’une relation de travail triangulaire et bilatérale
Tableau 13 : Fréquence du travail de nuit par genre et par type de relation de
travail (en %)
Type de relation de travail
Genre
Total
Travail de nuit
Travail de nuit en
permanence
Travail de nuit en
alternance
Sans travail de nuit
Total
Relation de
travail
triangulaire
7
Relation de
travail bilatérale
Hommes
Femmes
8
8
7
7
14
15
24
3
15
79
100
77
100
69
100
90
100
78
100
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 53
4. CONDITIONS DE VIE DES TRAVAILLEURS PRECAIRES
4-1.
Conditions d’habitat des travailleurs
4-1-1 Les conditions d’habitat des travailleurs précaires sont d’un niveau très en
dessous de la situation moyenne de la population tunisienne.
La part des propriétaires est en moyenne de 30 % que ce qui est très en dessous
de la moyenne nationale. En effet, en 2006, la part de la population tunisienne
qui possède un logement est de 77%. La part moyenne des locataires est de 36
%. Les femmes occupent le statut de locataires plus fréquemment que la
moyenne soit 40% contre 33 % pour les hommes. Il importe de souligner qu’une
forte proportion des travailleurs (40 % des hommes et 26 % des femmes)
bénéficie d’un logement gratuit en raison de leur résidence chez des parents. La
solidarité familiale représente ainsi un capital social qui prend en charge le
logement.
L’origine sociale modeste des travailleurs apparaît aussi à travers le type de
logement occupé. Par rapport à ce critère la population étudiée se situe également
en dessous de la situation moyenne de la population tunisienne. La part qui
réside dans un logement modeste (Oukala, logement non destiné à l’habitation),
appartement dans un immeuble ou petite maison intégrée dans une villa est
nettement supérieure à la moyenne nationale du pays (voir graphique ci-dessous)
Les travailleurs précaires ont bénéficié aussi du progrès de l’infrastructure de base
dans le Grand Tunis. La quasi-totalité de leurs logements sont connectés aux
réseaux de l’électricité et de l’eau potable (97%). Par contre la connexion au gaz
de ville ne concerne, en moyenne, que 35 % des logements.
Figure 16: Distribution des travailleurs précaires et de la population tunisienne totale
par type de logement occupé (en %)
Vi l l a ou Etage d'une vi l l a
37
20
8
Appartement dans un i mmeubl e
2
Peti te mai son i ntégrée à une vi l l a
14
1
Logement modeste
14
13
« DAR ARBI (HOUCH) »
52
39
0
10
20
Travai l l eurs précai res
30
40
50
60
Tuni si e2004
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 54
4-1-2 Le loyer absorbe une forte proportion du salaire, particulièrement parmi les
femmes.
En moyenne, le loyer absorbe 45 % du salaire des travailleurs précaires. Quelque
soit le type de logement, les femmes locataires subissent plus que les hommes la
charge du loyer car leur salaire moyen est inférieur à celui des hommes. Par
ailleurs, les femmes sont plus fréquentes que les hommes en position de
locataire, ce qui les rend davantage vulnérable et victime de la pauvreté.
Figure 17: Part du salaire consacrée au loyer par genre selon le type de logement loué
par les travailleurs précaires (en%)
Ensemble
52
41
Local non destiné à
l'habitation
Habitation collective
(Oukala)
Appartement dans un
immeuble
Petite maison intégrée à
une villa
18
17
22
27
50
54
58
40
Villa ou Etage d'une villa
68
41
Dar arbi (Houch)
52
36
0
10
20
30
Femme
40
50
60
70
80
Hommes
C’est le transport en commun qui est le moyen de transport le plus utilisé par les
travailleurs précaires pour rejoindre leur travail à partir de leur logement, le bus
en tête (43,7% pour les hommes et 49,7% pour les femmes), suivi par les deux
autres types de transport en commun : le métro (14,3% pour les hommes et
13,4% pour les femmes) et le train, (13,4% pour les hommes et 11,2% pour les
femmes), c’est à dire à égalité ou presque.
La faible proportion du louage montre que la population enquêtée habite dans sa
très grande majorité dans le Grand Tunis et ne vient que très minoritairement
des gouvernorats autres.
Plus que la bicyclette, c’est la mobylette qui est comparativement la plus usitée
entre ces deux moyens de transport, tandis que la locomotion à pied, en voiture
privée ou en voiture non privée est très peu citée.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 55
Tableau 14 : Distribution des travailleurs précaires par moyens de transport utilisés et
selon le temps mis entre le logement et l’emploi.
Hommes Femmes
Total
Moyens fréquents de transport entre le logement et
l’emploi
Train
13,4
11,2
12,4
Métro
14,3
13,4
13,9
Bus
43,7
49,7
46,3
Louage
2,2
1,7
2,0
voiture privée
1,3
2,8
2,0
voiture non privée
,4
,6
,5
mobylette
5,2
2,9
bicyclette
,9
1,1
1,0
à pied
18,6
19,5
19.0
Total
100,0
100,0
100,0
Temps de déplacement entre le logement et l’emploi
5-30 minutes
43,9
37,5
41,0
31-60 minutes
37,6
45,2
41,0
Plus de 60 minutes
18,6
17,3
18,0
Total
100,0
100,0
100,0
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
Environ 18 % des travailleurs mettent plus d’une heure entre la résidence et
l’emploi. L’examen détaillé des résultats de l’enquête révèle que les points de
concentration de la population enquêtée qui se déplace de son lieu de logement à
son lieu de travail se situent à deux points temporels récurrents : la demi-heure
et l’heure complète. Ceci doit correspondre à deux variables : l’éloignement de la
distance et le moyen de transport utilisé. A ces deux temporalités les femmes
constituent la majorité par rapport aux hommes (respectivement : 22,0% contre
16,5 pour la demie heure, et24,4% et 18,4% pour la temporalité d’une heure).
4-2. Reproduction de la précarité au sein de la famille des travailleurs
précaires.
4-2-1
Profil éducatif et situation professionnelle des conjoints.
En général le niveau d’éducation des travailleurs est supérieur à celui de leurs
conjointes. Environ la moitié des travailleurs sont issus de l’enseignement
secondaire ou supérieur alors que la part de leurs conjointes de même niveau
éducatif est de 26 %. Et, inversement le niveau éducatif des travailleuses est en
général inférieur à celui de leurs maris mais l’écart entre eux est relativement
faible pour la part dont le niveau est égal ou supérieur à l’enseignement
secondaire.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 56
Tableau 15 : Distribution des travailleurs précaires et de leurs conjoints par niveau
d’éducation
Analphabète
Primaire 1er cycle
EB
2ème Cycle EB
Secondaire
Supérieur
Total
>= Secondaire
Travailleurs
3,4
Conjointes
16,0
Travailleuses
15,1
Conjoints
23,8
24,4
47,2
35,8
36,9
21,4
41,0
9,8
100.0
49.8
11,3
18,9
6.6
100.0
25.5
16,2
19,6
13,5
100.0
33.1
7,1
17,9
18,4
100.0
36.3
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
Les femmes occupent la position la plus vulnérable dans la mesure où 42 et
22% du total de leurs conjoints sont respectivement en situation de chômage ou
occupant un emploi salarié temporaire. Les hommes sont aussi handicapés par
le fait qu’environ la moitié de leurs femmes est en dehors du marché du travail
(47%) et le quart est en chômage. La précarité traverse ainsi profondément le
couple. Elle a un impact négatif sur la relation du couple selon la
déclaration de 58 % des femmes et 47 % des hommes. La relation du couple des
travailleurs en « sous-traitance » est la plus fréquemment perturbée par les
conditions de travail. L’impact négatif des conditions de travail sur les enfants
des travailleurs est subi par 70% des femmes et 48 % des hommes. Il s’agit
souvent de travailleurs en relation de travail triangulaire
Tableau 16 : Distribution des conjoints des travailleurs précaires
selon la situation par rapport au marché du travail (en %)
Salariés temporaires
Salariés permanents
Ne travaillent pas et cherchent un emploi (en
chômage)
Ne travaillent pas et ne cherchent pas
d’emploi (inactif)
TOTAL
Conjointes
des
Hommes
7,2
22,5
22,5
Conjoints
des
Femmes
21,7
34,8
42,4
Ensemble
des
conjoints
13,8
28,1
31,5
47,7
1,1
26,6
100,0
100,0
100,0
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 57
Tableau 17 : Part des travailleurs mariés dont les conditions de travail ont eu un impact
négatif sur la relation de leur couple (en %)
Relation de
travail
triangulaire
66
Relation de
travail
bilatérale
41
Hommes
Femmes
Ensemble
47
58
52
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
4-2-2 Le cercle vicieux de la précarité s’étend aux enfants.
Le chômage et l’emploi temporaire concerne 47 % des enfants. Même les 7 %
occupant un emploi indépendant ne sont pas à l’abri d’une précarité en termes
de revenu. Seulement 7 % ont échappé à la précarité en occupant un emploi
permanent. La forte pénétration de la précarisation au sein des enfants est
appelée à s’amplifier car le risque de la subir par le reste des enfants scolarisés
est grand dans un contexte familial où ce phénomène devient un cercle vicieux
par sa forte reproduction.
Figure 18: Distribution du total des enfants selon leur situation par
rapport au marché du travail
Source: Enquête UGGT& FFEbert 2008
en formation
professionnelle
2%
Indépendant
7%
Emploi
temporaire
24%
poursuite étude
37%
Emploi
permanent
7%
Chômeur
23%
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 58
Deuxième partie :
CADRE JURIDIQUE DU TRAVAIL PRECAIRE
ET GESTION ACTIVE DU MARCHE DU TRAVAIL
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 59
C'est parce qu'il renonce à son indépendance que le travailleur se voit consentir
en contrepartie les sécurités de l'emploi et se justifie ainsi sa subordination. Ce
concept de «subordination» est mis en cause dans le contexte de la
mondialisation : on ne veut plus de travailleurs seulement obéissants ; les
exigences de qualité des produits et de réduction des coûts conduisent à attendre
des travailleurs qu'ils se comportent comme s'ils étaient indépendants et
responsables dans les entreprises qui adoptent la démarche qualité. La notion
d’«employeur» est également mise en cause lorsque le pôle de décision patronal se
dilue dans les groupes et les réseaux. La fragmentation du statut salarial avec le
développement de l'emploi précaire met en cause la notion « d’emploi ». Enfin,
que le type de relation de travail précaire soit subi ou volontaire, il est plus
difficile aux travailleurs de s’organiser en syndicats et ils ont donc beaucoup
moins de chances de voir leurs intérêts représentés à la table de négociation.
L’«informalisation» de plus en plus marquée de la relation d’emploi est devenue
une manifestation internationale de l’impact social de la mondialisation15. En
Tunisie, les réformes engagées depuis le début des années 90 ont permis
l’émergence d’une économie de marché intégrée à l’économie mondiale. Mais son
modèle demeure fondé principalement sur des activités économiques à faible
valeur ajoutée. Par conséquent, l’expansion de l’économie du savoir, objectif
central du 10ème et 11ème plan, est encore limitée.
La réforme du code du travail en 199416 complétée en 199617, en relation avec
cette intégration à l’économie mondiale, a été importante par le nombre d’articles
modifiés mais aussi les thèmes abordés. Plus du quart du code a connu une
révision touchant aussi bien les relations individuelles que les relations
collectives de travail.
Cette réforme a introduit une forte dose de flexibilité particulièrement dans les
dispositions relatives au recrutement de la main-d’œuvre. L’employeur est libre
de choisir la nature du contrat de travail (contrat à durée indéterminée, contrat
à durée déterminée ou contrat à temps partiel). La sous-traitance de la maind’œuvre s’est développée.
La législation tunisienne sur les contrats de travail s’approche de la législation
européenne. Mais à l’inverse des pays européens, la Tunisie n’a pas de dispositifs
qui assurent efficacement
la sécurisation des parcours professionnels des
travailleurs.
BIT 1999. Etudes par pays sur l’impact social de la mondialisation. Rapport final, document
GB.276/WP/SDL/1 présenté au Groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du
commerce international, 276e session du Conseil d’administration, nov. 1999.
16 Loi n°94-29 du 21 février 1994.
17 Loi n°96-62 du 15 juillet 1996.
15
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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1. LA LEGISLATION TUNISIENNE SUR LES CONTRATS A DUREE DETERMINEE
Selon le principe consacré par la majorité des législations, la nature de la
relation contractuelle liant l’employeur à son salarié est déterminée par la nature
du travail objet du contrat. Alors, si la tâche confiée au salarié est, par sa nature,
permanente, dans le sens, qu’elle fait partie de l’activité normale et continue de
l’entreprise, la relation de travail doit être permanente sur la base d’un contrat à
durée indéterminée. Mais, par contre, si cette tâche n’est que de nature
temporaire, et imposée par des circonstances exceptionnelles, limitées dans le
temps, le recours à un contrat à durée déterminée est alors possible.
L’emploi stable, forme de travail normal se basant sur un contrat à durée
indéterminée et à temps complet, est le principe. L’exception est l’emploi précaire
qui désigne toute relation de travail basée sur une autre structure que le contrat
de travail à durée indéterminée. L’emploi stable n’est pas de règle en Tunisie. En
effet, l’entreprise jouit d’une très grande liberté pour embaucher sur la base du
contrat à durée déterminée. La législation tunisienne, ne s’est pas contentée
d’autoriser ce genre de relation de travail précaire mais, elle en a créé une
multitude de formes sans les entourer d’une nécessaire réglementation.
1-1
Notion juridique de précarité
Le mot « précaire » est un adjectif qui qualifie ce qui se trouve dans une situation
instable, provisoire ou temporaire. En outre, il signifie la maigreur, la faiblesse et
la fragilité. En droit, la définition de la précarité varie selon le système juridique
dans lequel on se place. On cherchera cette notion dans les deux principaux
systèmes, à savoir, le système romano-germanique et le système du Common law.
1-1-1. La notion de la précarité du travail dans les pays du système romanogermanique
Le système romano-germanique, héritier du droit romain, élaboré au moyen
âge dans les universités de l’Europe occidentale, notamment, l’Italie, se
caractérise par le mouvement de la codification. Il englobe, les pays de l’Europe
de l’Ouest hormis l’Angleterre et quelque pays scandinaves. Selon l’unanimité des
auteurs dans ces pays, la forme du travail normale est une relation de travail qui
lie par contrat, le salarié à son employeur pour une durée indéterminée et à
temps complet, et qui oblige le salarié à fournir à ce seul employeur toute son
activité professionnelle dans les locaux de l’entreprise, en contrepartie d’une
rémunération et du bénéfice d’une protection contre le licenciement injustifié.
Dès lors, toute relation de travail qui ne présente pas l’ensemble de ces
caractères est considérée comme atypique. Cependant, les employeurs
considèrent que la relation de travail typique, est à l’origine des réglementations
rigides du travail, peu compatibles avec une nécessaire adaptation des
entreprises à un environnement économique changeant et compétitif. Ces
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entreprises cherchent dans ce contexte de crise, une flexibilité dans les
législations sociales qui leur permet une meilleure gestion de la main d’œuvre et
des coûts du travail.
Mais cette flexibilité généralement, démesurée, a engendré des effets
néfastes spécialement en matière de stabilité de l’emploi. Ces effets se sont
aggravés par l’apparition de nouvelles formes de travail et ont fait transformer
l’opposition classique emploi typique-emploi atypique en une nouvelle opposition
emploi stable-emploi précaire. La notion de relation de travail précaire désigne
aujourd’hui, une relation de travail basée sur une autre structure que le contrat
à durée indéterminée.
1-1-2. La notion de la précarité du travail dans les pays du système du Common
Law : Le modèle américain.
Aux Etats-Unis, règne une distinction classique entre le secteur syndiqué
dans lequel les salariés sont protégés par les conventions collectives, et le secteur
non syndiqué dont relève la majorité des salariés. La distinction entre salariés
permanents et salariés temporaires, n’a pas l’importance et la signification qu’elle
a en Europe. Certes, on trouve en Amérique des formes de travail atypique, mais
elles ne sont pas automatiquement des socles de précarité.
La précarité aux Etats-Unis correspond à la même situation qu’en Europe, à
savoir l’absence de statut et de protection sociale, mais, elle s’applique à tous les
salariés permanents ou temporaires qui ne bénéficient pas des avantages
syndicaux. L’opposition connue en Europe entre permanents et temporaires est
neutralisée en Amérique. On ne trouve pas de différence entre un salarié recruté
à durée indéterminée et un salarié temporaire. Et même si le contrat de travail
est considéré, sauf disposition contraire expresse, comme conclu pour une durée
indéterminée, l’employeur peut à tout moment mettre fin à la relation de travail
pour juste cause, mauvaise cause ou même sans cause. Cette liberté de licencier,
neutralise un caractère principal de l’emploi typique dans le modèle européen : la
protection contre le licenciement abusif.
En outre, on remarque au niveau du marché interne du travail, la
coexistence de deux schémas :
- Le modèle de relation industrielle, qui s’applique au travail des ouvriers
qui s’organise en une série de postes bien définis et où la sécurité de l’emploi
n’existe pas, seulement le licenciement se fait en ordre inverse d’ancienneté.
- Le modèle de confiance salariale qui se base sur des procédés plus souples
et des relations plus personnalisées et un engagement plus grands vis-à-vis de la
sécurité du travail et concerne les cadres et aussi un nombre d’ouvriers.
Or, par souci de flexibilité, les entreprises s’organisent généralement selon
un schéma noyau-périphérie. Alors, un groupe réduit de personnel se constitue
sur le modèle de confiance salariale, et un tampon périphérique se compose des
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ouvriers qui agissent sous le modèle de relation industrielle ou en tant
qu’intérimaires et ne bénéficient pas des avantages du noyau, notamment en
matière de sécurité de l’emploi. Ainsi, aux Etats-Unis et contrairement aux pays
du système romano-germanique, la précarité est définie plus par le poste de
travail que par le statut du salarié.
De cette comparaison il se dégage que le rapport entre précarité de la
situation du salarié et atypicité des relations de travail n’existe que dans le
système romano-germanique. Dans le modèle américain, la notion du travail
typique est assez floue et n’entraîne pas nécessairement la stabilité du travail.
Mais dans le contexte actuel de crise économique et sociale, on ne peut pas
toujours associer contrat de travail à durée indéterminée et stabilité du travail.
Aucun salarié permanent n’est assuré qu’il ne serait jamais en chômage. De la
sorte, les différences entre le modèle européen et le modèle américain
s’estompent et la précarité sera plus liée au poste de travail qu’au type de contrat
conclu.
Cependant, cette analyse doit être corrigée, car elle reste détachée de tout
système de réglementation des relations de travail et ne tient compte que de la
stabilité de l’emploi. En fait, si un salarié permanent subit le même risque de
perte de son emploi qu’un salarié temporaire, la situation du premier demeure
bien plus confortable que celle du second, qu’il s’agisse de protection,
d’assistance, d’indemnisation ou d’aptitude à trouver un nouvel emploi. Le
salarié temporaire ressent la précarité à chaque instant, alors qu’un salarié
permanent ne la ressent que rarement. Ainsi, la précarité du travail reste
toujours liée à l’atypicité des relations de travail.
1-2
Les types de contrat à durée déterminée
Le code du travail, tel que modifié par la loi n°96-62 du 15 juillet 1996,
connaît deux types de CDD auxquels s’ajoute un troisième créé par la loi n°92-81
du 03 août 1992 relative aux espaces des activités économiques.
1-2-1 Le contrat de travail à durée objectivement déterminée
L’article 6-2 du C.T. énonce que : Le contrat de travail à durée déterminée
peut comporter une limitation de la durée de son exécution ou l’indication du
travail dont l’accomplissement met fin au contrat ». De cette disposition, se
dégage que le C.D.D. peut être à terme fixé par la volonté commune de ses deux
parties, comme il peut être à terme indéterminé, mais qui s’étend jusqu’à
l’exécution de la tâche convenue. Dans ce cas, la durée du contrat est déterminée
objectivement. C’est la durée nécessaire pour finir une tâche de nature
temporaire qui n’entre pas dans l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Le salarié est alors un salarié temporaire ne pouvant jamais revendiquer le statut
d’un salarié permanent nonobstant la durée du contrat et les nombres de ses
renouvellements. L’article 6-4-1 énumère les cas où ce type de contrat peut être
conclu :
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- L’accomplissement de travaux du premier établissement ou de travaux
neufs.
- L’accomplissement de travaux nécessités par un surcroît extraordinaire de
travail.
- Le remplacement provisoire d’un travailleur absent ou dont le contrat de
travail est suspendu.
- L’accomplissement de travaux urgents pour prévenir des accidents
imminents, effectuer des opérations de sauvetage ou pour réparer des
défectuosités dans le matériel, les équipements ou les bâtiments de
l’entreprise.
- L’exécution de travaux saisonniers ou d’autres activités pour lesquelles ne
peut être fait recours, selon l’usage ou de par leur nature, au contrat à
durée indéterminée.
Il est à noter que la formulation de ces cas de recours à ce type de C.D.D.
manque de précision. En fait, le surcroît extraordinaire de travail peut s’avérer
non passager et durer continûment de la sorte qu’il se transforme en une
augmentation du travail. Ainsi cette augmentation quantitative durable de
l’activité de l’entreprise engendrera des postes de travail permanents, et quitte
par là, la liste des événements provisoires autorisant un recours au C.D.D.
Aussi le cas du remplacement d’un travailleur permanent absent doit être
précisé pour en exclure expressément la possibilité de remplacement d’un salarié
gréviste. Enfin, les travaux saisonniers et les activités ne pouvant être, selon
l’usage ou de par leur nature, objets de contrat à durée indéterminée, doivent
être précisés et délimités limitativement comme c’est le cas dans plusieurs
législations, notamment la législation française.
1-2-2 Le contrat de travail à durée volontairement déterminée
Il s’agit dans ce cas d’un contrat à terme fixe convenu entre l’employeur et le
salarié, et ce, abstraction faite de la nature du travail objet du contrat qu’elle soit
provisoire ou permanente. Ce type de C.D.D. traduit la volonté du législateur
tunisien d’introduire une dose de flexibilité dans la réglementation des relations
de travail. Les entreprises se trouvent autorisées, purement et simplement, à
recruter des salariés temporaires pour accomplir des travaux permanents. Le
contrat à durée indéterminée n’est plus de règle en Tunisie18.
Cependant, le législateur exige que la durée de ce type de contrat ne doive
pas excéder quatre ans, y compris ses renouvellements et toute relation de
travail qui se continue après l’expiration de cette période sera requalifiée en
18 - Cependant, des conventions collectives sectorielles disposent que le recrutement doit par
principe se faire selon un C.D.I., le recours au C.D.D. en est l’exception : la convention collective
sectorielle des entreprises de la presse écrite, article 7 modifié par l’avenant n°8 du 29/12/2005.
Aussi, la convention collective sectorielle des agences de voyages, article 7 modifié par l’avenant n°3
du 29/12/2005.
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relation permanente. Malheureusement, cette disposition correctrice n’est pas de
taille19. Ainsi, les employeurs n’ont pas eu beaucoup de peine pour la détourner.
Il suffit, à l’expiration de la quatrième année du contrat d’évincer le salarié et le
remplacer par un nouveau. De la sorte, un poste permanent peut être occupé
durablement par des salariés temporaires20.
1-2-3 Le Contrat à durée déterminée de droit
Le C.D.D. de droit est une création de la loi n°92-81 du 3 août 1992 relative aux
espaces des activités économiques. L’article 23 de la dite loi énonce que :
« Nonobstant tout autre texte contraire les contrats de travail entre les salariés et
les entreprises implantées dans une zone franche économiques sont réputés des
contrats à durée déterminée quelque soit leur séance durée ou modalités de leur
exécution ».
1-3
Les lacunes de la législation sur le CDD
1-3-1 Le principe d’égalité de rémunération
Nonobstant la mention d’égalité de traitement entre le salarié permanent et
le salarié temporaire. Consacrée par la convention collective cadre de 1973 et
reprise par le code de travail via la modification du 15 juillet 1996, des
différences majeures persistent entre les deux statuts.
En matière de rémunération il existe le principe « à travail égal, salaire
égal ». Les salariés du même employeur lorsqu’ils sont placés dans des situations
identiques doivent percevoir la même rémunération, peu importe les
caractéristiques des individus concernés (sexe, âge, origine…). Ils bénéficient,
ainsi, d’une règle d’égalité de traitement en matière de rémunération. Des
différences de rémunération pour être licites doivent reposer sur des données
objectives et pertinentes. Cette règle d’égalité s’applique au-delà des salaires,
pour tout avantages, les règles déterminant son octroi devant être préalablement
définies et contrôlables.
En droit Tunisien, et aux terme de l’article 134-2 du code du travail, la
rémunération comprend le salaire de base, et ce quelque soit le mode de son
calcul, et ses accessoires qui sont constitués d’indemnités et d’avantages en
espèces ou en nature quel que soit leur caractère, fixe ou variable, général ou
- Dernièrement, un accord à été signé par les partenaires sociaux dans le cadre de la commission
centrale des négociations, dont l’une de ses points concerne les C.D.D. Il a été convenu, d’instaurer
une priorité au renouvellement du contrat pour les salariés en C.D.D. Cette priorité s’étend sur une
période de 6 mois, pendant laquelle, l’employeur est interdit de remplacer le salarié prioritaire par
un autre salarié. Le salarié prioritaire doit être convoqué par lettre recommandée avec accusé de
réception pour reprendre son travail, dans 15 jours à partir de la réception de la lettre, ce délai
expiré, il perd sa priorité.
20- Une disposition qui instaure une priorité au recrutement en C.D.I. au profit des salariés en
C.D.D., figure dans la C.C.S. des hôtels classés touristiques, article 2 modifié par l’avenant n°9 du
29/12/2005, ainsi que la C.C.C.S. des agences de voyages, article 7 modifié par l’avenant n°3 du
29/12/2005.
19
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spécifique à l’exception des indemnités ayant le caractère de remboursement de
frais.
Le salaire de base est fixé soit par un décret ou un arrêté ou bien par un
accord direct entre le salarié et l’employeur, et ce, sous réserve du respect du
seuil minimum fixé par le texte réglementaire. Les accessoires du salaire, sont
des éléments qui s’ajoutent au salaire de base pour former le salaire brut. Les
accessoires se composent des primes, d’indemnités, de gratification, d’avantages
en espèces ou en nature, et trouvent leur légitimité à travers un texte
réglementaire, une convention collective un statut particulier, un contrat de
travail ou encore un usage constant.
L’article 6-4-3 prévoit que : « les travailleurs recrutés par C.D.D.
perçoivent des salaires de base et des indemnités qui ne peuvent-être inférieurs à
ceux servis, en vertu des textes réglementaires ou conventions collectives, aux
travailleurs permanents ayant la même qualification professionnelle ». La
convention collective cadre, de sa part, ne prévoit l’égalité que pour la
rémunération du travail de nuit.
1-3-2 Etendu limitée du principe d’égalité de rémunération
Alors, quelle est l’étendu du principe d’égalité de rémunération en droit du
travail tunisien ?
i)
ii)
iii)
Si la rémunération est déterminée par accord directe entre l’employeur et
le salarié. Dans ce cas, l’employeur n’est pas tenu à la disposition
d’égalité de rémunération prévue par l’article 6-4-3 car elle ne concerne
que les salaires de base et les indemnités déterminés par les textes
réglementaires et les conventions collectives. L’employeur n’est alors
tenu qu’au salaire minimum garanti.
Si la rémunération est déterminée par des textes réglementaires et des
conventions collectives.
La loi, les décrets et les arrêtés déterminent le salaire minimum
garantis, quelques salaires de bases et quelques indemnités. Les
conventions collectives fixent les salaires de base et la plupart des
indemnités dues aux salariés.
Or la règle d’égalité prévue par l’article 6-4-3 ne prévoit qu’une égalité
quantitative. Ainsi l’employeur est tenu de verser les mêmes « quantités » de
l’indemnité aux salariés qu’ils soient permanents ou temporaires, et ce, si le texte
ou la convention donne droit au salarié temporaire à cette indemnité. Alors
l’égalité est une obligation si l’indemnité est prévue par le texte ou la convention
au même temps aux permanents et au temporaire. Ainsi, un employeur ne viole
pas la règle d’égalité, s’il donne l’indemnité au permanent et ne la donne pas au
temporaire, dans les cas ou il en est exclu par les textes ou les conventions. Or
beaucoup de conventions collectives sectorielles ne donnent pas les mêmes
avantages aux salariés permanents et temporaires.
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1-3-3 Plusieurs conventions collectives sectorielles (C.S.S.) n’appliquent pas le
principe d’égalité de rémunération.
a) C.C.S. des assurances :
• Congés de maladie : Un salaire complémentaire est attribué aux
salariés permanents en congé de maladie mais non attribué au
temporaire ( Art. 38 nouveau).
• Assistance décès : Un salaire de 3 mois est alloué à la famille du
salarié permanent défunt (article 44). Il est non alloué dans le cas du
travailleur temporaire.
• Les frais des vêtements de travail sont attribués selon l’article 333 CT
mais non attribués par la C.C.S au temporaire (Article 23).
b) C.C.S. des bâtiments et travaux publics
• Article 43 : « pour avoir droit au frais de vêtements de travail il faut
avoir travaillé 130 jours de travail effectif sans interruption ».
c) C.C.S. de mécanique générale et des stations de vente des carburants :
• Article 48 : « Une prime de fin d’année est attribuée aux permanents ».
(non attribuée au temporaire).
d) C.C.S. de la construction métallique :
• Article 43 (nouveau) : «Les travailleurs non permanents n’ayant pas 3
ans d’ancienneté ne bénéficient pas d’une tenue de travail.
e) C.C.S. des transports routier de marchandises
• Article 54 : « Assistance décès : le salarié décédé doit avoir 5 ans
d’ancienneté » (la famille du salarié temporaire n’en a pas droit).
f) C.C.S. des ports et Docks :
• Prime d’ajustements des équipes : Attribuée pour chaque ouvrier
docker professionnel permanent ayant plus de 8 ans d’ancienneté (le
temporaire est exclu).
• Gratification de fin d’année :
o Article 22 (nouveau) : Salaire de base de 30 shifts dont le
montant de chacun : 12,640DT pour les permanents. Salaire de
15 shifts dont le montant de chacun est de 12,640 pour les
occasionnels.
o L’article 24 : gratuité du vêtement de travail au profit de chaque
ouvrier permanent (le temporaire est non concerné).
o Article 36 : Assistance décès : 300D alloués à la veuve ou aux
ayant droits du salarié permanent défunt (le temporaire défunt
est non concerné).
o Article 37 : Prime de productivité : allouée seulement aux
ouvriers docker professionnels permanents.
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1-3-4 La segmentation entre permanent et non permanent se fait aussi dans
d’autres domaines.
En outre, concernant les structures représentatives des salariés,
notamment, la commission consultative de l’entreprise, les travailleurs
temporaires n’en peuvent pas être membres ni élus ni même électeurs : (article
41 CCC). Le salarié temporaire se trouve aussi exclu des avantages et faveurs
découlant ou se rattachant à l’ancienneté : les périodes éparses d’activité, ne
peuvent être comptabilisées.
Il en est de même s’agissant de la protection légale contre le licenciement
pour cause économique et des différentes mesures de réhabilitation, de
réinsertion professionnelle et d’assistance sociale, qui ne sont profitables qu’aux
salariés permanents. Notons aussi que le salarié temporaire licencié
abusivement, ne bénéficie pas d’une gratification de fin de service due à son
homologue permanent en vertu de l’article 22 C.T. Aussi, il en est dans l’article
333 CT relatif aux vêtements de travail, qui exige la qualité de permanent pour
avoir droit aux tenues de travail sauf que bon nombre de conventions sectorielles
révisées en 2005, ont donné ce droit aux travailleurs temporaires21.
Outre cette discrimination entre permanent et temporaire, il faut remarquer
que la situation de précarité née du statut de temporaire est de deux degrés. En
effet, l’article 6-4 du code du travail donne lieu à deux relations de travail
temporaire qu’il faux nuancer.
- Le cas de l’article 6-4-2 : le salarié temporaire dont le contrat est d’une
durée supérieure à quatre ans, ou d’une durée inférieure mais renouvelée
au-delà de la période de quatre ans, se trouve requalifié, de droit, en
salarié permanent : c’est le cas de la précarité prometteuse.
- Par contre, dans le cas de l’article 6-4-1, le salarié temporaire ne pourra
jamais revendiquer le statut de permanent nonobstant le dépassement de
la période de quatre ans en C.D.D. : c’est la précarité décevante.
Certes, cette situation d’instabilité, d’infériorité et de précarité, n’est pas
voulue ou recherchée en soi par le législateur mais elle est l’effet directe et
prévisible d’une politique sociale choisie au nom de la flexibilité.
Néanmoins, le législateur aurait dû délimiter l’étendue de chaque type de
C.D.D., en préciser les cas de recours et en réglementer les conditions de fonds et
de formes, et ce, en vue d’atténuer les effets néfastes d’une flexibilité démesurée
car non munie d’une protection nécessaire. L’analyse du cadre législatif des
C.D.D. dévoile une autre réalité, une pauvre réalité :
21 - Une mention de traitement égalitaire au droit aux tenus de travail figure dans :
- La C.C.S. de l’industrie de la bonneterie et de la confection dans son article 41 modifié par
l’avenant n°9 du 29/12/2005.
- La C.C.S. des industries laitières, l’article 43 modifié par l’avenant n°9 du 29/12/2005.
- La C.C.S. des cafés, bars et restaurants, l’article 44 modifié par l’avenant n°8 du 27/01/2006.
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Le recrutement selon le C.D.I. n’est pas de règle et le recours au C.D.D.
est libre.
La liberté totale de l’entreprise de faire accomplir ses activités de
nature durable à travers une série illimitée de C.D.D.
Le recours au C.D.D. n’est pas subordonné aux cas objectifs de
natures exceptionnelles ou occasionnelles limités dans le temps.
Les cas de recours au C.D.D. sont formulés d’une façon générique non
précise.
La durée du C.D.D. dans le cas de l’article 6-4-1 (pour causes
objectives exceptionnelles ou occasionnelles) n’est pas réglementée : le
temporaire ne doit pas durer.
L’écrit n’est pas exigé dans le cas de l’article 6-4-1, ce qui représente
une source de fraude et de contentieux.
Le défaut de mesures dissuasives des cas de fraude et de violations des
dispositions protectrices des salariés.
Le défaut de mesures incitatives des entreprises aux requalifications
des C.D.D. en C.D.I. pour les postes de travail permanents.
2. LES OPERATIONS TRIANGULAIRES
Par opération triangulaire, on entend, la relation de travail tripartite, où le
salarié se trouve en rapport avec deux autre personnes. La première, une
entreprise, qui recrute, paie le salaire et dispose des pouvoirs de contrôle et de
discipline, la deuxième, une entreprise utilisatrice, qui bénéficie du travail
exécuté par le salarié pour son compte. Les dernières décennies ont connu
l’apparition d’une panoplie de formes d’opérations triangulaires sous
d’innombrables intitulés sans que le législateur tunisien n’en prête attention.
Le code de travail de 1966, consacre le deuxième titre de son livre premier,
qui comporte les articles 28, 29 et 30 et s’intitule : sous-entreprise de maind’œuvre, à la réglementation de quelques aspects de la sous-traitance. A la
lumière des quelques textes législatifs tunisiens, du droit comparé, des prémices
d’une doctrine tunisienne, d’une doctrine française riche et d’une jurisprudence
non abondante mais significative, l’étude juridique des opérations triangulaires
en matière de travail nécessite d’abord une distinction précise entre deux
relations tripartites différentes :
•
•
Une entreprise confie une fraction de ses activités que se soient
principales ou accessoires à une deuxième entreprise qui exécute ce
travail par sa propre main-d’œuvre : c’est la sous-traitance du travail.
Une entreprise, face à des travaux à accomplir, ne veut pas pour une
cause ou une autre, recruter directement la main-d’œuvre nécessaire,
alors, elle convienne avec une deuxième entreprise, à lui mettre
temporairement à sa disposition des salariés pour exécuter la tâche en
question : c’est la sous-traitance de la main-d’œuvre.
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2-1
La sous-traitance du travail
2-1-1 Deux formes de sous-traitance de travail
La sous-traitance du travail peut être définie comme étant une opération qui
consiste à confier à une autre entreprise, l’exécution des tâches ou de travaux
dont on aurait normalement la charge. Cette opération telle que définie peut en
réalité, revêtir deux formes de sous-traitances de travail.
Le contrat de sous-entreprise : C’est la forme qui correspond à une notion
restreinte de la sous-traitance où il s’agit d’un entrepreneur principal qui a
conclu un contrat de travaux avec un client, qui de sa part confie une partie du
marché à un sous-entrepreneur pour l’exécuter par sa propre main-d’œuvre.
C’est ce qu’on appelle ‫او ا‬, régie par l’article 887 du C.C.O. qui énonce :
Art. 887 C.O.C. : Les ouvriers et artisans employés à la construction d’un édifice
ou autre ouvrage fait à l’entreprise, ont une action directe contre celui pour
lequel l’ouvrage a été fait, à concurrence de la somme dont il se trouve débiteur
envers l’entrepreneur.
Ils ont un privilège, au prorata entre eux sur ces sommes qui peuvent leurs
êtres payées directement par le maître, sur ordonnance. Les sous traitants
employés par un entrepreneur et les fournisseurs de matière première, n’ont
aucune action directe contre le commettant. Il parait aussi que l’article 30 C.T.,
vise cette forme de sous-traitance de travail. Il dispose que « Dans le cas où un
sous-entrepreneur fait exécuter des travaux dans les ateliers, magasins ou
chantiers autre que ceux de l’entrepreneur principal qui lui a confié ces
travaux… ».
La sous-traitance, délégation de travail à une autre entreprise : Face
aux travaux et activités qu’il fallait accomplir, une entreprise se trouve devant
deux options : avoir sa propre main-d’œuvre nécessaire et suffisante, ou bien
déléguer une fraction de son activité à une autre entreprise, Ainsi, les activités
accessoires tels que le gardiennage, le nettoyage, la maintenance, le traitement
informatique… sont souvent sous-traités. Cette forme de sous-traitance de
travail est appelée la sous-traitance industrielle.
Dans la sous-traitance industrielle, une première entreprise, donneur
d’ordre, confie, à une deuxième, preneur d’ordre, l’exécution d’un travail ou d’un
ensemble de travaux se rattachant à la production, l’exécution, la maintenance
ou la fourniture de service selon des directives et des instructions précises. Cette
sous-traitance industrielle est de deux types :
• Une sous-traitance de spécialité : l’entreprise preneur d’ordre est alors
spécialisée dans son domaine et ayant les outils, les techniques et le personnel
qualifié nécessaires pour assurer les meilleurs résultats.
• Une sous-traitance de capacité : l’entreprise donneur d’ordre ayant les
compétences et les outils nécessaires mais des circonstances exceptionnelles
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l’obligent à charger une autre entreprise d’une partie de ses activités jusqu’au
passage de ces imprévus.
Il paraît que législateur tunisien a aussi consacré cette sous-traitance
industrielle dans l’article 29 C.T. qui dispose que : « lorsqu’un chef d’une
entreprise industrielle ou commerciale passe un contrat pour l’exécution d’un
certain travail ou la fourniture de certains services avec un entrepreneur qui
recrute lui-même la main-d’œuvre nécessaire… ».
La fausse sous-traitance / Le marchandage : Comme définie si dessus, la
sous-traitance de travail suppose qu’un entrepreneur principal confie l’exécution
du travail à une personne appelée sous-traitant qui dispose à cet effet du
matériel et de la main d’œuvre nécessaires. Le marchandage, est réalisé lorsque le
sous-traitant, qui ne fait que fournir, moyennant un prix forfaitaire, la maind’œuvre, l’exploite en même temps, en réalisant un profit illégitime à son détriment.
Le bénéfice du sous-traitant provient de l’écart séparant le prix perçu de
l’entrepreneur principal et la rémunération versée aux ouvriers. Il y’a abus car ce
bénéfice dépend uniquement du prix de la main-d’œuvre et non des éléments
habituels du prix de revient (coût des matériaux, des instruments de travail… ).
Le sous-traitant sera tenté de réduire les salaires distribués, autrement dit de
spéculer sur la main-d’œuvre.
2-1-2 Le régime juridique des opérations triangulaires
La sous-traitance se
réunissant trois personnes :
-
-
décompose
en
deux
opérations
contractuelles
un contrat, de nature commerciale ou civile, conclu entre le donneur
d’ordre ou l’entreprise utilisatrice et le preneur d’ordre ou l’entreprise de
sous-traitance, en vertu duquel, la première confie à la seconde une
partie de ses activités.
Un contrat de travail, conclu entre le salarié et le sous-traitant employeur.
Le problème qui se pose est de savoir quel est, pour le salarié, l’employeur
responsable au sens de la législation du travail et de la sécurité sociale.
L’entrepreneur principal est tenu d’observer toutes les prescriptions relatives à la
réglementation du travail : travail des femmes et des enfants, durée du travail,
travail de nuit, repas hebdomadaires et jours fériés et hygiène et sécurité des
travailleurs, à l’occasion de l’emploi dans ces ateliers, magasins ou chantiers, de
salariés du sous-traitant, comme s’il s’agissait de ses propres ouvriers ou
employés et sous les mêmes sanctions.
En principe, le sous-traitant qui a embauché les salariés pour exécuter la
sous-traitance, est l’employeur responsable des salaires et des changes sociales,
mais pour faire éviter le pire aux salariés, le législateur à fait pousser le caractère
triangulaire de la sous-traitance jusque dans sa conséquence extrême : la
substitution de l’entreprise principale à l’entreprise de sous-traitance en cas de
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défaillance de celle-ci pour le payement des salaires et des charges sociales. Ainsi
l’entrepreneur principal est responsable dans les cas suivants :
-
-
Si les travaux sont exécutés ou les services fournis dans ses
établissements ou dans leurs dépendances, l’entrepreneur principal en cas
d’insolvabilité du sous-traitant est substitué à ce dernier en ce qui
concerne les travailleurs que celui-ci emploie, pour le paiement des
salaires et des congés payés, la répartition des accidents du travail et des
maladies professionnelles, les obligations résultant de la législation de
sécurité sociale et des prestations familiales.
S’il s’agit de travaux exécutés dans des établissements autres que ceux de
l’entrepreneur principal qui a confié ces travaux au sous-traitant, ce
dernier doit opposer dans chaque établissement (atelier, magasin,
chantier…) une affiche indiquant le nom et l’adresse de la personne de qui
il tient les travaux.
Cette personne désignée sur l’affiche, est alors, en cas d’insolvabilité du soustraitant, responsable du paiement des salaires et des congés payés dus aux
travailleurs ainsi que du versement des allocations familiales. Dans les deux
cas, les salariés lésés, ont, en cas d’insolvabilité du sous-traitant une action
directe contre l’entrepreneur principal pour qui le travail a été effectué.
2-2
La sous-traitance de la main d’œuvre.
2-2-1 La notion de sous-traitance de main d’œuvre
Pour satisfaire ses besoins en main-d’œuvre nécessaire à l’accomplissement
de travail dus à un surcroît extraordinaire de travail ou à des urgences
imprévues, ou au remplacement de travailleurs absents, une entreprise peut
conclure un contrat avec un entrepreneur de main-d’œuvre qui se charge de lui
mettre à sa disposition provisoire, des salariés d’une qualification déterminée,
qu’il embauche et rémunère à cet effet. Cette solution fait épargner l’entreprise
des risques sociaux nés des contrats de travail. Ainsi sans avoir la qualité
d’employeur, elle bénéficie des services personnels fournis par les salariés.
Cette opération triangulaire, qu’on appelle sous-traitance de main-d’œuvre,
peut être définie comme étant un contrat par lequel une entreprise dite de main
d’œuvre ou de travail temporaire, se charge de mettre, provisoirement, des
salariés, à la disposition d’une autre entreprise, dite utilisatrice qu’elle les charge
de l’accomplissement de taches ou de fourniture de services sous son contrôle.
Ainsi, le sous-traitant de la main-d’œuvre se trouve juridiquement être le seul
employeur des salariés temporaires, même s’il délègue provisoirement à
l’entreprise utilisatrice toute autorité sur ces travailleurs, aucun lien juridique
n’existe entre les salariés et cette entreprise. L’on aboutit ainsi à une formule
paradoxale : le salarié est juridiquement l’employé d’une entreprise où il ne
travaille pas et n’est pas l’employé de l’entreprise où il travaille.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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Les relations triangulaires ainsi créent entre les sous-traitants de la maind’œuvre, les entreprises utilisatrices et les salariés recèlent de nombreuses
possibilités d’abus et de fraudes au droit du travail. Ainsi les droits sociaux des
salariés temporaires se trouvent limités du fait de leur situation juridique
imprécise, bien souvent n’ayant pas de contrat écrit avec le sous-traitant de main
d’œuvre et ne bénéficiant pas de la convention collective applicable dans
l’entreprise où ils exercent leur activités, ils sont les premières victimes en cas de
difficultés d’emploi.
2-2-2 Distinction entre la vraie sous-traitance de la main d’œuvre et d’autres
opérations triangulaires.
i) Les agences intermédiaires :
Les véritables intermédiaires de l’emploi sont des agences de placement
qu’ils s’agissent d’agence publique ou privées. Le placement correspond à une
activité dont le but est de mettre en rapport des personnes en quête d’emploi
avec des employeurs, en vue de créer une relation d’emploi. Ainsi le rôle de
l’intermédiaire se borne à mettre en contact offreur et demandeur d’emploi qui
négocient ensuite les conditions d’emploi, alors que le sous-traitant de la maind’œuvre est une partie prenante dans la relation de travail, car lui seul est
l’employeur du salarié. Ces agences de placement peuvent être payantes ou
gratuites. La majorité des pays, ainsi que l’O.I.T. par le biais de la convention
n°96, interdisent formellement le placement privé payant.
En Tunisie, l’article 285 du code du travail dispose que : »les bureaux de
placement privés gratuits ou payants sont supprimés », et en vertu de l’article
280 du même code, les travailleurs qu’ils soient permanents ou non permanents
sont recrutés soit par l’intermédiaire des bureaux publics de placement, soit
directement. Cependant, le développement spectaculaire des bureaux de
recrutement privés est ostensible hors de toute intervention.
ii) La fausse sous-traitance de la main-d’œuvre ou le marchandage camouflé :
La fausse sous-traitance consiste en un trafic de main-d’œuvre sous couvert
d’une opération de délégation. En réalité, les soi-disant salariés de la société de
sous-traitance pointent quotidiennement dans les locaux de la société
utilisatrices au point d’être pratiquement intégrés au personnel de cette dernière,
et le lien physique qui existe entre employeur et salarié dans la relation
traditionnelle fait ici défaut. Le rôle du soi-disant sous-traitant se borne à
percevoir l’écart entre le prix perçu de l’entreprise utilisatrice et la rémunération
versée aux ouvriers, et ce juste pour apparaître, si besoin, en tant qu’employeur
juridique.
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iii) Les pratiques des groupes de sociétés :
Dans certains groupe de sociétés, l’une de leurs sociétés n’a été crée que pour
avoir une unique fonction : l’employeur des salariés de tout le groupe. Ainsi,
toutes les sociétés du groupe sous-traitent leur fonction » personnel » à une
seule, et ce pour échapper aux contraintes légales dues à la protection des
travailleurs permanents et aussi pour détourner les dispositions exigeant la
requalification du C.D.D. en C.D.I. après l’expiration d’une période déterminée,
en mettant fin à la mission du salarié avec la société employeur, et l’embaucher
avec un nouveau employeur qui n’est autre qu’une société du même groupe.
2-2-3 La sous-traitance de la main-d’œuvre en Tunisie légale ou illégale ?
A défaut de réglementation législative, la légalité de l’activité de soustraitance de la main-d’œuvre est controversée. Selon quelque auteurs, la soustraitance de la main-d’œuvre n’est qu’un camouflage de la qualité d’employeur
pour éluder les obligations nées du contrat du travail, notamment celles se
rattachant aux traitements égalitaires des salariés qu’ils sont permanents ou
temporaires. Les arguments avancés en appui, évoquent les deux articles 284 et
285 du code de travail qui interdisent l’embauche par l’intermédiaire d’une
personne ou d’un bureau de placement privé, ainsi que le décret abrogé de 18
février 1954 se rapportant à la protection des travailleurs employés par les sous
entrepreneurs de la main-d’œuvre que son abrogation confirme la volonté du
législateur d’interdire la sous-traitance de la main-d’œuvre.
Par contre, d’autres auteurs reprochent au point de vue précèdent une
confusion entre deux notions différentes de la sous-traitance, l’une vraie, la
seconde fausse et qui n’est autre que le marchandage, genre de trafic de la maind’œuvre. Ainsi, en droit comparé, la sous-traitance marchandage est
unanimement interdite, alors que la vraie sous-traitance de la main-d’œuvre, est
considérée comme activité légale et réglementée sous l’intitulé d’entreprise de
travail temporaire.
L’O.IT. de sa part, a adopté en 1997 la convention n°181 sur les bureaux de
placement privés dont son article premier cite l’activité de la sous-traitance de la
main-d’œuvre parmi les fonctions que ces bureaux peuvent exercer. De là, la
légalité de la sous-traitance de la main-d’œuvre parait défendable. Cependant,
comme forme de travail précaire, cette activité recèle de nombreuses possibilités
d’abus et de fraudes aux droits sociaux des salariés, d’où une intervention
législative instituant un cadre juridique aux entreprises de travail temporaire, est
vivement souhaitée.
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3. POSITION DU DROIT TUNISIEN PAR RAPPORT AU DROIT COMPARE
3-1
Comparaison des législations sur les CDD
3-1-1 Les cas de recours au C.D.D., durée et renouvellement
En Allemagne, la conclusion d’un contrat à durée déterminée est possible selon
deux régimes :
• Contrat à durée déterminée pour causes objectives tel que le
remplacement d’un salarié absent, ou l’accomplissement d’une tache
temporaire… La durée du contrat est limitée et plafonnée par la loi, mais
les renouvellements sont possibles tant que la cause objective subsiste.
• Contrat à durée déterminée par cause nous objectives, mais ne pouvant
être renouvelé que trois fois durant une période de deux ans.
Aussi, une raison objective n’est pas requise lorsque le salarié est âgé de
plus de 58 ans, tant qu’il n’était pas titulaire d’un C.D.I. dans la même entreprise
au cours de six derniers mois.
Au Danemark, la loi ne détermine pas les cas du recours au C.D.D., cette tâche
est laissée aux conventions collectives qui ont généralement énuméré des causes
objectives, mais aussi des causes non objectives. Le renouvellement d’un C.D.D.
n’est possible que s’il est conclu pour une raison objective, encore présente.
En Espagne, la conclusion d’un contrat à durée déterminée est subordonnée à
une raison objective. La loi à donné une liste limitative de raisons objectives, et a
fixé la durée du recours à six mois maximum. Le renouvellement est exceptionnel
et très limité.
En France, le contrat à durée indéterminée est pour les partenaires sociaux et
pour le législateur la forme normale du contrat du travail. Le contrat à durée
déterminée reste donc, l’exception. La réglementation repose en effet sur le
double principe que, d’une part, le contrat à durée déterminée ne doit pas avoir
pour objet un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, et
d’autre part qu’il ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et
temporaire . L’article L. 122-1-1 du code de travail prévoit une liste limitative des
possibilités de recours au C.D.D. :
•
•
•
•
•
Le remplacement d’un salarié absent pour cause autre que la grève.
L’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
L’exécution de travaux temporaires par nature.
L’application des dispositions en faveur de l’emploi.
L’embauche d’un jeune en fin de contrat d’apprentissage.
En plus la loi prévoit expressément trois hypothèses de recours interdit au
C.D.D., outre l’interdiction liée à la définition même du C.D.D. :
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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•
•
•
Le remplacement d’un salarié gréviste
L’embauche par C.D.D. suite à un licenciement économique.
Le recours à un C.D.D pour effectuer des travaux particulièrement
dangereux.
Quant à sa forme, le C.D.D doit être obligatoirement écrit. A défaut il sera
requalifié en C.D.I. sans que la preuve contraire soit possible. Concernant la
durée des C.D.D., la loi fixe une durée minimale et une durée maximale. Si le
C.D.D. est à terme précis, la durée minimale est de 3 mois (sauf pour le cas de
surcroît de la production elle est de 6 mois), la durée maximale est de 18 mois,
sauf pour C.D.D. pour motif saisonnier elle est de 8 mois et de 9 mois en cas de
remplacement ou en cas des travaux d’urgences. Le renouvellement est aussi
réglementé. Un C.D.D. à terme précis peut être renouvelé une fois avec pour
limite la durée maximale. Exemple : Un contrat de 12 mois, ne peut être
renouvelé que pour une durée de 6 mois. Le renouvellement doit être établi par
écrit.
Au Maroc, l’article 16 du code du travail dispose que le recours au C.D.D. n’est
possible que dans les travaux de nature non durable. Il donne une liste limitative
des cas de recours au C.D.D. :
Le remplacement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour
une cause autre que la grève.
- Le surcroît provisoire de la production
- Les travaux saisonniers
-
En dehors de ces cas là, le recours au C.D.D. n’est possible
qu’exceptionnellement sous des conditions mises par texte réglementaire après
consultations des partenaires sociaux ou par convention collective. Aussi
l’article 17 du même code énonce que les entreprises qui viennent d’être crées ou
celles qui viennent de lancer un nouveau produit, peuvent avoir recours au
C.D.D. pour une durée d’une année maximum renouvelable une seule fois.
En Tunisie, l’article 6-4 du code de travail à instauré deux régimes de C.D.D :
-
-
C.D.D. conclu pour l’accomplissement de travaux de nature non durable tel
que le remplacement d’un salarié dont le contrat est suspendu, les travaux
d’urgences ou les travaux saisonniers. Ni la durée du contrat ni le
renouvellement ne sont limités.
C.D.D. conclu pour l’accomplissement de travaux de nature durable à
condition que sa durée n’excède pas quatre ans y compris ses
renouvellements.
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3-1-2 Conditions de transformation du CDD en CDI
La loi allemande dispose que le non respect des règles qui déterminent les cas
de recours au C.D.D., limitant les durées et les renouvellements entraînent la
requalification du C.D.D. en C.D.I.
Au Danemark, les conventions collectives on donné lieu à des sanctions et des
dommages-intérêts pour les salariés lésés en cas de non respect des règles
qu’elles ont fixées concernant les cas de recours au C.D.D., sa durée, ses
conditions et son renouvellement.
En Espagne le C.D.D. qui méconnaît les règles limitant sa durée, est susceptible
de requalification en C.D.I. Le C.D.D. d’un salarié ayant cumulé 24 mois de
C.D.D. sur le même poste, sur une période de 30 mois, sera requalifié en C.D.I.
La loi donne aussi lieu à des incitations fortes pour le recrutement en C.D.I., des
personnes qui ont le plus de difficultés à se stabiliser sur le marché du travail
(Jeunes, salarié âgés, femmes, handicapés…).
Au Maroc, tout recrutement d’un salarié après l’expiration d’une période de deux
ans en C.D.D. sera effectué en C.D.I. Aussi, tout contrat dont la durée n’excède
pas une année, se transforme en un C.D.I., lorsqu’à l’expiration du terme établi,
de salarié continue à rendre ses services.
Enfin, en Tunisie, le recrutement d’un salarié après l’expiration d’une période
de quatre ans travaillée en CDD, sera effectué à titre permanent sans période
d’essai.
3-2
Comparaison des opérations triangulaires
Dans le domaine de la sous-traitance du travail les seules lois disponibles sont
celles de la France, le Maroc, et la Tunisie. La comparaison est peu fructueuse
du fait que les lois tunisienne et marocaine n’ont fait que calquer presque à la
lettre les dispositions de la loi française à savoir les articles L. 125-1 L. 125-2 L.
125-3 et L. 200-3. Dans le code du Travail Tunisien le contenu des textes
français est transporté dans les articles 28 – 29 et 30. Dans le code du travail
Marocain, les mêmes textes sont transportés dans les articles 87, 89 et 90.
Partout dans ces pays, le travail temporaire se pose sur une relation d’emploi
triangulaire : une agence de travail temporaire dont la fonction est de mettre à
disposition d’entreprises utilisatrices, contre rémunération et pour une période
déterminée, des salariés en réponse à leurs besoins temporaires de maind’œuvre.
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3-2-1 Conditions d’exercices des entreprises de travail temporaire
L’Allemagne, l’Espagne, la France et le Maroc ont mis en place un système
d’agrément préalable pour l’exercice de la profession d’entrepreneur de travail
temporaire. En Danemark, cette licence administrative n’est exigée que pour els
agences du travail temporaires des infirmières et des conducteurs. L’Espagne, la
France et le Maroc, exigent des agences de travail temporaire un cautionnement
d’un montant suffisant pour prémunir les salariés en cas d’insolvabilité de
l’agence.
3-2-2 Réglementation du travail temporaire
Concernant les cas du recours au travail temporaire, l’Allemagne et le Danemark
ne l’ont pas limité dans des cas déterminés. La France, l’Espagne et le Maroc
énoncent une liste limitative des cas de recours qui se rattachent à des missions
provisoires : remplacement, surcroît d’activités, tâches spécifiques. En France,
les programmes d’insertion professionnelle font recours au travail temporaire. Au
Maroc, les entreprises qui ont licencié des salariés pour motif économique, se
trouvent interdites du recours au travail temporaire pendant la période d’une
année.
La durée d’une mission de travail temporaire est plafonnée dans tous les pays
étudiés, sauf au Danemark. En Allemagne elle est de douze mois maximum, en
Espagne et au Maroc, elle est de six mois seulement. En France la durée
maximum est de 18 mois. Le renouvellement de la mission est interdit au
Danemark et au Maroc. Il est possible en Allemagne et en Espagne et limité à
deux fois en France.
3-2-3 Protection de l’emploi temporaire
Dans tous les pays étudiés, l’employeur tenu de toutes les obligations nées des
législations, conventions et contrats, est l’agence du travail temporaire. Une
obligation d’égalité de traitements entre les salariés temporaires et les salariés de
l’entreprise utilisatrice en ce qui concerne le salaire et les conditions de travail,
est mentionnée en Allemagne, en Espagne et en France. Elle fait défaut au
Danemark et au Maroc.
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4. L’APPORT DE LA JURISPRUDENCE TUNISIENNE
L’apport de la jurisprudence tunisienne en matière du droit du travail se
trouve devant un double défi. D’une part, elle doit combler les lacunes des
législations du travail et en clarifier les équivoques et les ambiguïtés, d’autre
part, elle doit s’opposer aux abus et manœuvres frauduleuses que bon nombre
d’employeurs ne cessent de développer pour échapper aux contraintes légales
protectrices des salariés.
L’effort de la jurisprudence s’avère fructueux. En effet, à travers son travail
d’interprétation, de qualification et d’application des normes juridiques, elle a
réussi à donner au droit du travail, une autonomie par rapport au droit civil et
au droit commercial basés respectivement sur les principes de l’autonomie de la
volonté et du libéralisme.
A travers, les arrêts et jugements rendus, la jurisprudence a élaboré un
ordre public social, caractérisé par une nette tendance à considérer, le salarié,
comme partie faible dans la relation du travail. L’interprétation et l’application de
la règle de droit, doivent, alors être faites dans un souci de protections des droits
sociaux du salarié. Cet ordre public social de protection peut être démontré à
travers l’application des législations sur les C.D.D. et la sous-traitance.
4-1
Les contentieux se rattachant au CDD
Les contentieux nés des C.D.D. tournent autour de quatre questions. Nous
examinons la réponse donnée par la jurisprudence et comment cette réponse
peut-elle protéger les travailleurs.
4-1-1 Le C.D.D. tacitement reconduit, est-il requalifiable en C.D.I. ?
L’article 17 du code du travail dispose que : « Lorsqu’à l’expiration du terme
établi le salarié continue à rendre ses services sans opposition de l’autre partie,
le contrat se transforme en un contrat à durée déterminé ». En vertu de cet
article, tout C.D.D. reconduit tacitement est requalifié en C.D.I, mais l’article 64-2 dispose que le C.D.D. se requalifie en C.D.I., si la relation de travail se
continue après l’expiration d’une période de quatre ans. Alors, le problème qui se
pose est comment, appliquer l’article 17 à la lumière de l’article 6-4-2 ? Et est-ce
que la requalification en C.D.I. n’est possible qu’à l’expiration d’une période de 4
ans de reconduction tacite du C.D.D. ? Ou, au contraire le C.D.D. reconduit sans
opposition de l’employeur, à l’expiration du terme convenu, est requalifié en
C.D.I. nonobstant la période expirée ?
Il semble que des employeurs ont tenté de lier l’application de l’article 17 à
l’articles 6-4-2 de la sorte que la requalification ne sera possible qu’a l’expiration
d’une période de 4 ans de travail, mais la cour de cassation s’est opposé à cette
tentative d’interprétation des textes au détriment des salariés temporaires en
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affirmant que l’intention du législateur dans l’article 17 est que le C.D.D ;
reconduit tacitement soit requalifié en C.D.I., sans que soit exigée l’expiration
d’une certaine période22.
4-1-2 La relation du travail basée sur des C.D.D. successifs, peut-elle être
qualifiée de permanente ?
Cette question s’est posée avant la modification de l’article 6 en 1996, elle
concerne les salariés employés selon des C.D.D. renouvelés durant des longues
années, dans des emplois de nature durable. Les employeurs ont refusé la
revendication des salariés d’avoir le statut de permanents, mais une tendance
jurisprudentielle à mis l’accent sur la nature durable du travail et en a déduit la
qualification du travail d’indéterminée en considérant que les C.D.D. successifs
ne sont que des contrats de simulation visant la création d’une apparence de
relation de durée déterminée alors qu’elle est en réalité durable23.
4-1-3 Le contrat conclu à une durée supérieur à 4 ans, est-il ou non requalifiable
en C.D.I. ?
Un salarié à conclu avec son employeur un contrat d’une durée supérieure
à quatre ans. A l’expiration du terme, le salarié a revendiqué le statut du
permanent alors que l’employeur à estimé que la relation a pris fin du fait qu’il
s’agissait d’un C.D.D. non soumis au disposition de l’article 6-4-2 qui ne
s’applique qu’au contrat de durée inférieure à 4 ans.
Le Conseil de prud’homme a donné raison à l’employeur. Saisie de l’affaire,
la cour de cassation, dans un arrêt de principe, rendu par ses chambres réunies,
à affirmé que le législateur distingue, dans le cadre de l’article 6-4 du code du
travail, entre deux types de C.D.D., le premier se rattache aux travaux de nature
provisoires, tandis que le second se rattache aux travaux de nature durable et
que si la durée n’a pas d’effet sur les contrats de travaux provisoires, il n’en est
pas de même pour les contrats de travaux durables qui ne peuvent pas s’éteindre
au delà de quatre ans que ce soit par renouvellement ou par une durée convenue
au départ.
La cour, considère aussi, que la détermination du régime juridique du
contrat du travail se rapport à l’ordre public social qui exige l’application de la
règle la plus favorable au salarié. Ainsi, l’article 6-4-2 s’applique à tout contrat
nonobstant sa durée convenue dés que la relation du travail s’est étendue sur
une période supérieur à 4 ans24.
- Cass. Civ. n°187223 du 15 novembre 2002, B. Cass. 2002, II, p. 465, aussi.
- Cass. Civ. n°57966 du 15/06/1998, aussi (non publié) cass. civ. n°77285 du 7/04/2000 (non
publié).
24 - Cass. Civ. n°14866 (chambres réunies) du 30/01/2003 revue de la jurisprudence et la
législation n°4, Avril 2005, p. 89.
22
23
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4-1-4 La loi du 15 juillet 1996 instituant la requalification du C.D.D. en C.D.I.
(article 6-4-2) est-elle rétroactive ?
Cette question concerne le champ d’application de la loi dans le temps. Trois
solutions sont possibles :
a) La loi n’a pas d’effet rétroactive alors elle ne s’applique pas aux relations
de travail établies et éteintes avant son entrée en vigueur même si ces
relations font encore objets de contentieux devant les juridictions25.
b) La loi est rétroactive, car elle est d’ordre public, alors elle s’applique aux
relations du travail établies avant sa mise en vigueur, ainsi, la période du
travail exécuté avant l’entrée en vigueur de la loi, est comptabilisées dans
la période de 4ans nécessaire pour la requalification du C.D.D. en C.D.I.26.
c) La loi est d’effet immédiat, alors elle ne s’applique pas aux contrats conclu
et pris fin avant son entrée en vigueur et s’applique au contrat conclu
après cette date et pour qu’un salarié recruté selon un C.D.D., soit
requalifié en permanent, il faut qu’il ait travaillé pendant une période de 4
ans après l’entrée en vigueur de la loi27.
4-1-5
L’écrit est-il exigé pour les C.D.D. ?
La forme écrite du contrat de travail présente beaucoup d’avantages,
notamment pour le salarié, pourtant, la loi ne l’a pas exigée comme condition de
forme dans le contrat de travail. Mais l’article 6-4-2 énonce que : « … dans ce cas
le contrat est conclu par écrit… ». Cette mention prend place dans l’article juste
après la disposition de la requalification du C.D.D. en C.D.I. Alors, quel cas vise
le législateur, est-ce le cas du C.D.D. conclu dans le cadre de l’article 6-4-2 ou le
cas où le C.D.D. est requalifié en C.D.I.
Selon la première interprétation, tout CDD dans le cadre de l’article 6-4-2
doit être conclu par écrit, alors que selon la deuxième interprétation, seul le
contrat requalifié en C.D.I. doit être conclu par écrit. La Cour de cassation, a
adopté la première interprétation, plus favorable au salarié, en décidant qu’ « à
défaut de l’écrit, ces contrats (conclus dans le cadre de l’article 6-4-2) sont
considérés conclus à durée indéterminée ».
25
26
27
- Cass. civ. n°76675 du 28 avril 2000 (non publié).
- Cass. civ. n°7050 du 23-02-2001. Bulletin de la cour de cassation 2001, II, p. 285.
- Cass. civ. n014866 du 30-01-2003 (chambres réunies) R.J.L. Avril 2005, p. 83.
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4-1-6 Sur quelle base se fait le calcul de la période des 4 ans ?
Après la modification de l’article 6 du code du travail en 1996, beaucoup
d’employeurs ont pris position de résistance à la disposition de requalification du
C.D.D. en C.D.I. à l’expiration d’une période de 4 ans. Ils ont estimé que cette
disposition ne s’applique qu’aux relations de travail contenues sans interruption.
Alors, si les contrats qui se succèdent, sont séparés par une période creuse, la
disposition de requalification ne s’applique pas. La jurisprudence de sa part, à
fait obstacle à cette tentative de détournement de la loi.
Selon une première tendance, les périodes creuses n’ont pas l’effet
d’interruption sur le calcul de la période de 4 ans, elles n’ont qu’un effet
suspensif. Ainsi le salarié doit travailler pendant une période de 4 ans de travail
effectif pour se voir requalifié en C.D.I. Mais une autre tendance de la
jurisprudence, estime que la période de 4 ans se calcule à partir de la date de
l’établissement de la relation du travail, nonobstant les périodes creuses qui
séparent les contrats successifs.
4-2
Les contentieux se rattachant à la sous-traitance
Les jugements et les arrêts rendus en matière de la sous-traitance sont
rares. De ceux qu’on a pu avoir, il se dégage que les contentieux en la matière se
rapportent soit à la nature de la sous-traitance soit à l’application de l’article 6-42 du code de travail (requalification en CDI).
4-2-1 Concernant la notion de la sous-traitance
Une pratique qui se répond peut à peu dans le milieu des entreprises
industrielles, consiste à la création d’une entreprise de main-d’œuvre par un chef
d’une ou de plusieurs entreprises. Une partie du salariat se trouve permutée de
l’entreprise principale vers l’entreprise de sous-traitance qui les met à nouveau à
la disposition de leur entreprise initiale. Ainsi, les salariés changent d’employeur
sans changer le travail ni son lieu ni ses conditions. C’est une précarisation
frauduleuse par laquelle le chef d’entreprise tente d’échapper aux contraintes
légales liés au statut du salarié permanent ou à l’application des dispositions de
l’article 6-4-2 du code du travail.
Le tribunal de première instance de l’Ariana a été saisi d’une affaire de ce
genre. Il en a rendu un jugement dont le mérite est de préciser la notion de soustraitance en tant qu’opération par laquelle une entreprise confie à une autre
l’accomplissements d’activités qu’elles se trouve incapable de les accomplir faute
de compétence, d’outils ou de savoir faire nécessaires. En fait il s’agit d’une
entreprise qui gère son activité avec ses propres moyens et sa propre main
d’œuvre, et brusquement, et sans motifs objectifs, elle fait recours à une
entreprise de sous-traitance et lui confie une bonne partie de son activité. Le
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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sous traitant met alors, à la disposition de l’entreprise principale un nombre de
salariés, qui ne sont en fait que les salariés de cette dernières qui les a fait signer
des contrats d’embauche avec le sous-traitant. Le tribunal a alors estimé, qu’à
défaut de besoins sérieux, le recours à la sous-traitance n’a d’objectif que de
démunir les salaries de leurs droits, et est qualifiable d’escroquerie, et de ce fait,
sera sans effet sur la relation du travail initiale qui demeure établie entre les
salariés et l’entreprise principale.
4-2-2 L’article 6-4-2 du code de travail, est-il applicable aux salariés des soustraitants ?
Qu’elle est la nature juridique des contrats que conclu le sous-traitant avec
les salariés qu’il embauche ? Sont-ils soumis à l’article 6-4-1 et donc non
requalifiable en C.D.I ; même à l’expiration d’une période de 4 ans de travail
effectif ? Ou par contre soumis à l’article 6-4-2 et donc requalifiable en C.D.I.
après l’expiration de la période de 4 ans ? Les solutions données par la
jurisprudence sont contradictoires.
Une première solution considère que les relations de travail entre les
salariés et leS sous-traitants doivent être régies par l’article 6-4-1 et donc ne
peuvent être qualifiées de permanentes même après l’expiration d’une période de
4 ans de travail effectif28. Par contre, une deuxième solution, considère que les
salariés du sous-traitant auront la qualité du permanent à l’expiration d’une
période de travail effectif de 4 ans29.
Cette contradiction découle de la confusion entre deux notions différentes
de la sous-traitance, à savoir, la sous-traitance du travail qui se base sur des
contrats de travail à durée indéterminée ou à durée déterminée régis par l’article
6-4-2, et la sous-traitance de la main d’œuvre qui fait recours à des C.D.D. régis
par l’article 6-4-1.
28
29
- Cass civ. n° 11618 du 04-10-2002 aussi cass. civ. n°3661 du 24/11/2000.
- Cass. civ. n°5571 du 28/12/1998. Aussi Cass. civ. n°19475 du 03/01/2003.
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5. LA GESTION ACTIVE EFFICACE DU MARCHE DE TRAVAIL ET LA SECURISATION DES
PARCOURS PROFESSIONNELS
L’instabilité grandissante de l’emploi ; le développement des contrats
temporaires ; la question du salaire insuffisant pour vivre ; le sentiment de
fragilité dans le contenu du travail lui-même ; la frontière toujours plus floue
entre temps privé et temps de travail traduisent l’insécurité sociale grandissante
dans les faits et dans le sentiment partagé par les salariés. Ce sentiment n’est
pas partagé seulement par les travailleurs sous CDD mais aussi par ceux qui
sont sous CDI car ils se disent que « la précarité n’arrive pas qu’aux autres ». Il
existe le risque de la subir directement ou à travers les enfants au moment de
leur entrée dans la vie active.
L’idée que les employeurs ne recrutent pas autant qu’ils le pourraient, par
peur des difficultés de licenciement à venir, reste très répandue dans la
littérature de la Banque Mondiale30. Cette affirmation manque de validation
scientifique. Qu’ils soient empiriques ou théoriques, les travaux de recherche en
économie n’ont pas réussi à mettre en évidence de façon incontestable que le
recours facile au CDD et au licenciement permettrait aux employeurs
d’embaucher plus de travailleurs31. Par ailleurs la politique macroéconomique, le
degré de réglementation des marchés des biens et services, l’efficacité de la
formation et les politiques actives du marché du travail ont plus d’influence sur
l’emploi que les «rigidités» imputées aux institutions du marché du travail.
En Europe, la sécurisation des parcours professionnels est devenue un
thème central des politiques de l’emploi. L’idée de base est de préparer les
évolutions professionnelles et les carrières, de maintenir élevée l’employabilité
afin que toute rupture s’accompagne d’une plus grande facilité à retrouver un
autre emploi. Mais cette sécurité de l’emploi doit être complétée par d’autres
sécurités associées au travail décent, tel que définie par l’OIT. L’efficacité de la
politique active de l’emploi et des institutions du marché du travail contribue à la
sécurisation du parcours professionnel qui est une dimension importante du
travail décent.
Voir les indicateurs du « Doing Business »
Muriel PUCCI, Julie VALENTIN, « Flexibiliser l’emploi pour réduire le chômage : une évidence
scientifique ? in CEE, Connaissance de l’emploi, numéro 50 janvier 2008.
30
31
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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5-1
Les aspects convergents des dispositifs européens d’aide au retour à
l’emploi
5-1-1 Mise en place de dispositifs européens efficaces
Partout en Europe, en raison du caractère d’ordre public des enjeux de l’emploi,
les services d’indemnisation, de placement et d’aide au retour à l’emploi sont de
la responsabilité d’institutions publiques ou parfois paritaires. Des dispositifs
sont mis en place pour le suivi et l’accompagnement des personnes les plus
éloignées du marché du travail en vue de favoriser leur retour à l’emploi.
Les services publics d’emploi ont adopté la démarche qualité pour améliorer la
qualité de leurs prestations. Le demandeur d’emploi est devenu un client à
part entière à qui il faut donner toute satisfaction. Il s’agit de la création d’un
véritable service public pour l’emploi avec des exigences de résultat.
L’office public de placement est très généralement une personne morale de
droit public placée sous l’autorité du ministre de l’Emploi, dont l’organisation
territoriale se décline souvent en agences régionales et locales. Il remplit partout
trois fonctions : indemnisation du chômage, placement et mise en œuvre des
aides pour l’emploi. Des opérateurs privés sont très généralement associés à la
délivrance du service public de placement selon des modalités assez variables
mais le principe commun à tous les pays est que le service doit rester
gratuit pour le demandeur d’emploi. Autrement dit, c’est l’organisme public
d’emploi qui finance les services privés reçus par le demandeur d’emploi.
Les dispositifs et les services proposés par les pouvoirs publics pour
faciliter l’insertion des personnes en difficultés sont multiples. Ils couvrent un
large éventail de mesures, allant des incitations monétaires versées au salarié ou
à l’employeur aux aides en nature apportées au demandeur d’emploi, en passant
par des actions d’accompagnement au retour à l’emploi plus classique (entretiens
avec un conseiller, etc.). Ce rapport privilégie les dispositifs d’insertion sous
l’angle du suivi et de l’accompagnement vers l’emploi et du rôle tenu par les
services publics de l’emploi nationaux sur ces questions.
Des aides financières sont octroyées pour faciliter le retour à l’emploi.
Elles s’adressent tant au salarié (crédits d’impôts, possibilité de cumul avec les
prestations et revenus d’activité, etc.) qu’à l’employeur (subventions à l’emploi,
exonérations de charges sociales, etc.).
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5-1-2 Les caractéristiques d’un dispositif qui cible efficacement le retour à l’emploi
des chômeurs en grande difficulté
Les personnes les plus en difficultés sur le marché du travail,
bénéficient de nombreux dispositifs d’aide au retour à l’emploi. L’examen
des dispositifs en Allemagne, au Danemark et au Royaume-Uni révèle, au-delà
des contextes institutionnels et économiques distincts, des aspects convergents.
Plusieurs principes peuvent constituer le socle de stratégies d’insertion
pertinentes et innovantes susceptibles d’augmenter les chances non seulement
de retour à l’emploi mais aussi de maintien durable dans l’emploi.
i) Un guichet unique pour assurer un accès simple pour tous
Le principe d’un accès simplifié pour le demandeur d’emploi à travers le
regroupement dans un même lieu physique des différents services utiles (services
de placement et d’accompagnement, services d’aide sociale et éventuellement
services de financement des prestations) semble partagé. Il doit s’adresser à toute
personne en recherche d’emploi et en âge de travailler, quel que soit son statut
indemnitaire ou sa durée de chômage. Le Job center Plus britannique représente
la configuration la plus aboutie du guichet unique : il est le point d’entrée pour
toutes les personnes en âge actif dans le système d’indemnisation et de
placement.
ii)
Un accompagnement précoce, fréquent et continu, au-delà de la stricte
période de chômage
L’accompagnement du demandeur d’emploi ne se limite pas à la période de
chômage stricto sensu. En amont, un retour plus rapide vers l’emploi est favorisé
par une prise en charge précoce : au Royaume-Uni, elle est assurée en quelques
jours (rencontre avec un conseiller personnel dans les 3 jours qui suivent
l’inscription). Elle peut également être anticipée dans les cas où la fin du contrat
de travail est préalablement connue ; en Allemagne, les travailleurs ayant un
contrat à durée déterminée ou ayant reçu une notification de licenciement
doivent se signaler auprès de l’agence pour l’emploi avant la fin du contrat de
travail (pour les CDD, trois mois avant la fin du contrat). En aval,
l’accompagnement pourrait être poursuivi au-delà de la reprise d’un travail, à
intervalles réguliers pendant une période donnée (par exemple, pendant la
période d’essai).
Les dispositifs décrits ci-dessus indiquent aussi la nécessité de mesures
préventives afin d’améliorer le maintien dans l’emploi : un dialogue entre le
conseiller, l’employeur et le salarié est susceptible de déboucher sur des
adaptations de poste de travail ou sur l’identification des besoins spécifiques de
formation. L’expérience britannique “Employment Retention Advance Scheme”
ERA) lancée en 2003 répond à ce souci.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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iii)
Une relation d’accompagnement et d’aide avec un
personnalisé, en capacité de jouer un rôle d’intermédiation
conseiller
Le face-à-face entre conseiller et demandeur d’emploi est au cœur des dispositifs
d’insertion. Pour les personnes les plus en difficulté, la relation avec le conseiller
doit être une relation de confiance. Au Royaume-Uni, le conseiller personnalisé a
pour unique mission l’aide et l’accompagnement, le contrôle étant assuré par une
tierce personne. Pour proposer la solution la mieux adaptée au demandeur
d’emploi, ce conseiller personnalisé est capable de mobiliser de nombreuses
ressources relevant de domaines très divers : milieu professionnel de l’entreprise,
services médicaux et sociaux, services de formations, etc.
En Allemagne, dans certaines régions ou communes, les conseillers établissent
des relations avec les employeurs du bassin d’emploi local afin d’identifier leurs
besoins, puis ils proposent à l’employeur un candidat pour un poste vacant.
Cette logique de traitement au cas par cas et en étroite relation avec les
entreprises tend à améliorer les chances d’insertion des personnes les plus
fragilisées.
iv)
Une combinaison de prestations qui favorisent le contact avec
l’entreprise
Ces prestations gagnent à être diversifiées, aucun moyen n’étant a priori moins
efficace ; le succès dépend à la fois de la situation personnelle du demandeur
d’emploi et du contexte socio-économique local. Elles doivent être surtout
combinées. Les formations courtes et qualifiantes – le plus possible, en lien direct
avec l’entreprise – sont préférables. Une bonne connaissance de l’état du marché
du travail local est primordiale pour le conseiller. Enfin, le soutien psychologique
des personnes les plus éloignées de l’emploi étant primordial, les prestations qui
favorisent le maintien en santé des personnes les plus fragilisées sont également
à privilégier.
Au Danemark, un éventail assez large de prestations est proposé : programmes
de conseil, d’orientation et de formation avec priorité donnée aux formations
courtes (environ six semaines) ; emplois subventionnés, souvent combinés avec
une formation; stages en entreprise, etc. Certains programmes danois proposent
un accompagnement dans des domaines très variés, non directement liés à la
recherche d’emploi (par exemple, conseils pour améliorer les pratiques de
nutrition, séances d’exercices physiques, etc.).
Ainsi, il existe un « référentiel » commun aux pays européens qui s’articule
autour des éléments suivants :
•
•
•
un dispositif d’assurance chômage ;
un service public d’emploi mobilisant un personnel compétent doté
d’outils d’intervention adaptés aux besoins des populations de chômeurs
des politiques actives du marché du travail efficaces ;
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S’y ajoute un autre axe, de caractère transversal et procédural : le développement
du dialogue social dans toutes ses dimensions, entre partenaires sociaux mais
aussi entre ces derniers et les pouvoirs publics, sans exclure le cas échéant
d’autres parties prenantes.
5-2
L’inefficacité des services publics d’emploi et de la politique active de
l’emploi est un obstacle à la sécurisation des parcours professionnels en
Tunisie.
5-2-1 Des services publics d’emploi inefficaces
En Tunisie, il existe trois grands obstacles à la sécurisation des parcours
professionnel : l’absence d’une assurance chômage et l’inefficacité des services
publics d’emploi et celle des programmes d’emploi.
Théoriquement, les bureaux de l’emploi et du travail indépendant disposent d’un
service spécialisé en accompagnement et orientation, appelé « unité d’information
et d’orientation professionnelle »32. En fait, ces missions spécialisées ne sont pas
réalisées pour quatre raisons complémentaires :
a)
Le manque de professionnalisme du personnel. La formation initiale de la
quasi-totalité du personnel des services publics d’emploi n’est pas
spécialisée et la formation continue suivie n’est pas construite sur la base
d’un référentiel de compétences. L’expérience professionnelle acquise dans
une organisation marquée par son fonctionnement bureaucratique ne
permet pas au personnel d’acquérir les compétences requises par les
missions spécialisées des bureaux d’emploi.
b) Le fonctionnement bureaucratique des services d’emploi. Quelques
exemples traduisent la bureaucratisation des missions spécialisées :
• L’orientation professionnelle est réduite à un guichet d’information.
32
•
Souvent, les demandeurs d’emploi ne bénéficient pas d’un bilan de
compétences et ne sont pas aidés pour construire un projet
professionnel
•
Souvent, le personnel est absorbé par des tâches administratives
liées à l’élaboration et le contrôle des milliers de contrats d’aide à
l’insertion (SIVP, CEF) et la gestion des subventions accordées aux
entreprises (Instruments P50% et P75%)
•
Le personnel professionnel rare peut éprouver des difficultés à
donner le mieux de soi dans un contexte où la qualité de la
prestation n’est pas déterminante de sa promotion.
Cf. www.emploi.nat.tn
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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•
Les statistiques n’aident pas à l’analyse du marché et à la décision
puisque l’amélioration de la qualité des prestations n’est pas au
centre de l’organisation bureaucratique des SPE
•
L’atout des TIC n’est pas exploité d’une manière optimale, en dépit
du grand progrès réalisé dans ce domaine.
c) Les conditions matérielles de l’exercice du travail sont très difficiles dans
plusieurs gouvernorats. La répartition du personnel et des moyens
matériels de travail entre les régions n’est pas adaptée à l’inégalité de la
répartition régionale des chômeurs
5-2-2 Des programmes d’emploi nombreux qui bénéficient principalement aux
jeunes
La Tunisie n’a pas de régime national d’indemnité de chômage. De ce fait,
sa politique de gestion du marché du travail est exclusivement active, par
opposition au caractère « passif » associé à l’existence d’un régime national
d’indemnisation du chômage. Pour maîtriser le déséquilibre entre l’offre et la
demande d’emploi engendré par cette mutation, les pouvoirs publics ont élaboré
une batterie très étendue d’instruments d’appui à l’insertion, d’adaptation
professionnelle et d’incitation/préparation à la création de micro-entreprises. Les
dépenses globales aux politiques actives de l’emploi représentaient 1,5 % du PIB
soit un niveau supérieur à celui de nombreux pays de l’OCDE.
Les objectifs des programmes d’emploi traduisent une démarche plurifactorielle
de la politique active de l’emploi.
Le dispositif d’aide à l’insertion professionnelle des jeunes utilise les moyens
suivants:
•
•
•
•
•
offrir la possibilité d’acquérir une expérience professionnelle.
réduire le coût lié à l’embauche et aux contraintes du droit social ; c’est le
rôle des contrats « SIVP » et « CEF » et des subventions salariales
adapter à l’emploi par la formation
lutter contre la discrimination sur le marché du travail.
promouvoir la micro-entreprise
Les travailleurs ayant perdu leur emploi pour des raisons économiques ou
techniques ou suite à la fermeture définitive ou subite de l’entreprise sans
respect des procédures du code du travail bénéficient d’un dispositif de
réinsertion. Le Décret n° 2001-1722 du 24 juillet 2001 (JORT n° 61 du
31/07/01) institut le contrat de réinsertion pour ces travailleurs soit pour se
réinsérer dans un emploi salarié ou s’installer à leur propre compte. Ils
bénéficient de cycles d’adaptation d’une durée maximale de 6 mois et, ce au vu
d’un bilan de compétences. Pour ceux qui s’installent à leur propre compte la
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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durée maximale des cycles d’adaptation est de deux ans
techniques ou de gestion.
dans les domaines
L’article 22 de la loi n° 2004-90 du 31/12/2004 stipule que les entreprises du
secteur privé qui procèdent dans le cadre d’un contrat de réinsertion dans la vie
professionnelle au recrutement de ces travailleurs, peuvent bénéficier de la prise
en charge par l’Etat pendant une année :
- d’un taux de 50 % du taux de salaire versé à la recrue et dans la limite de
200 dinars par mois,
- de la contribution patronale au régime légal de sécurité sociale au titre du
salaire versée à la recrue
5-2-3 Des dispositifs qui n’aident pas les chômeurs en difficulté
Les bénéficiaires des programmes sont principalement des jeunes et de
plus en plus les primo demandeurs d’emploi issus de l’enseignement supérieur33.
Les programmes d’emploi sont devenus complexes en raison de la
multiplicité des instruments, des institutions gestionnaires des programmes et
des intervenants dans la mise en œuvre des actions des programmes,
notamment au niveau des actions de formation.
Cette complexité pose des problèmes de lisibilité, de double emploi, de
coordination et de pertinence des programmes par rapport à la structure du
chômage. Malgré le déploiement massif depuis longtemps de ces programmes, il
n’existe pas d’évaluation rigoureuse de leur efficacité et leur équité. Faute
d’évaluation rigoureuse, les outils actuels n’ont pas été adaptés aux différents
profils des chômeurs.
On peut distinguer deux types de fonction des dispositifs mis en place : la
fonction affichée qui renvoie à l’objectif officiel tel qu’il est annoncé explicitement
ou implicitement par les pouvoirs publics et la fonction effective qui désigne la
contribution réelle d’une mesure au fonctionnement du marché du travail, et
renvoie donc à ses effets recherchés et pervers. Les effets pervers réduisent
l’efficacité et l’équité des programmes. Il s’agit particulièrement des effets
suivants :
•
•
Effet d’aubaine : l’entreprise touche la subvention pour des embauches
qu’elle aurait de toutes façons réalisées ;
Effet d’écrémage : les entreprises trient parmi les salariés susceptibles
d’être embauchés dans le cadre de la subvention et ne recrutent que les
catégories qu’elles auraient spontanément embauchées. Autrement dit la
population en difficulté qui est la cible de la subvention se trouve ainsi
exclue.
Des bureaux d’emplois spécifiques à cette catégorie sont créés dans les grands centres urbains
et des programmes d’emplois sont élaborés pour les aider à s’insérer dans un emploi salarié ou à
s’installer pour leur propre compte.
33
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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•
Effet de rotation : les entreprises remplacent une personne
subventionnée pendant une période par une autre subventionnée pour la
période suivante.
Les programmes d’emploi ne sont pas efficaces pour plusieurs raisons
complémentaires :
i) Le niveau élevé du chômage crée inévitablement une forte compétition
sociale autour de l’emploi rare. Elle raréfie l’offre réellement offerte aux
inscrits dans les bureaux d’emploi. De ce fait, une partie importante de
l’offre d’emploi affichée est déjà satisfaite en dehors de l’intermédiation des
bureaux d’emplois.
ii) Les différentes formes de subvention salariale (Contrats : SIVP1, SIVP2,
CEF et instruments P50%, P75%) qui devraient normalement atténuer
l’effet sélectif de la compétition sociale ne sont pas accessibles aux
chômeurs en difficulté en raison de l’effet d’écrémage de ces instruments.
iii) L’organisation bureaucratique des bureaux d’emploi, leurs méthodes de
travail inadaptées à leur mission spécialisée et le manque de
professionnalisation du personnel n’excluent pas le risque d’aider celui qui
est déjà aidé par son réseau social.
iv) Enfin, les travailleurs licenciés occupent une place marginale parmi les
bénéficiaires des programmes d’emploi.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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Troisième partie :
LE SYNDICALISME FACE A LA LIBERALISATION ECONOMIQUE
ET LA PRECARITE DE L’EMPLOI
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1. LES
TRANSFORMATIONS
ECONOMIQUES
INTERNATIONALES
CONSTITUENT DES OBSTACLES A L’IMPLANTATION SYNDICALE.
1-1
Le syndicalisme éprouve des difficultés à organiser le monde du
travail.
1-1-1 Déclin international du syndicalisme
En trente ans, le taux de syndicalisation moyen des pays de l’OCDE est passé
d’un peu plus d’un tiers à environ un cinquième de la population active34 .Aux
Etats-Unis, il a perdu presque la moitié de ses effectifs35 , et au Japon pas loin de
40%. La Grande-Bretagne a, elle aussi, connu un fort recul (une chute de 27%
entre 1975 et 1990, puis de 16% entre 1990 et 2004). Ce qui est vrai sur la
longue période au niveau de l’ensemble des pays développés, se confirme sur la
courte période au niveau européen. Dans l’UE à 25, le taux de syndicalisation a
chuté de 32% en 1995 à 26% en 2001. Ce recul est en particulier tiré par le
déclin massif de la syndicalisation dans les nouveaux États membres (de 43% à
20% sur la même période). Mais, dans l’ensemble, la proportion des salariés
européens syndiqués n’a jamais été aussi faible depuis 1950, c’est-à-dire dix ans
avant la période de croissance du syndicalisme qui avait caractérisé les années
1960-197536.
Les disparités d’implantation syndicales dans le tissu productif sont fortes. Entre
secteur public et secteur privé, tout d’abord : aux Etats-Unis, le taux de
syndicalisation dans le public est actuellement d’environ 40% contre 8% dans le
privé. Entre grandes entreprises et PME-PMI-TPE, ensuite, ou entre secteurs
industriels classiques et secteurs de services, l’écart est encore très significatif :
le cas français est ici particulièrement frappant, le monde des PME constituant
un quasi « désert syndical », de même que la plus grande partie du secteur des
services à la personne.
En somme, on peut dire, en forçant à peine le trait, que le syndicalisme
occidental commence à ressembler à un îlot de travailleurs âgés et protégés,
perdu au milieu d’un océan de salariés plus ou moins précaires et disséminés.
En effet, dans l’UE, entre 15 et 20% des salariés syndiqués sont soit sans emploi
Au niveau mondial, le tableau n’est pas plus réjouissant. Selon l’Organisation Internationale du
Travail, la proportion des travailleurs syndiqués a fondu de moitié entre 1985 et 1995.
35 En 1955, près d’un tiers des salariés américains étaient syndiqués. Ils n’étaient plus que 19% en
1984 et 12,5% en 2004.
36 On doit faire ici, il est vrai, une notable exception pour la Belgique et les pays scandinaves. Mais
cette exception vient en grande partie du fait que les syndicats y jouent plus encore qu’ailleurs un
rôle d’agence sociale conforme à l’une ou l’autre variante du « Système de Gand » : l’adhésion à ces
organisations y conditionne l’accès à certains droits et prestations sociales, notamment en matière
d’assurance-chômage et d’assurance maladie.
34
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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soit retraités37. Ce problème culmine en Italie où plus de 49% des salariés
syndiqués sont dans cette situation. Le syndicalisme tel qu’il est organisé
actuellement ne parvient plus à organiser le monde du travail en raison des
transformations du capitalisme qui affectent en profondeur le champ
d’implantation économique du mouvement syndical occidental.
1-1-2 Les obstacles économiques à l’implantation syndicale
La tertiarisation de l’économie est l’indicateur des transformations économiques le
plus souvent cité. L’économie industrielle regroupait les salariés dans de grands
collectifs de travail à l’abri de vastes ateliers de production, favorisant la
formation de « conditions communes » et l’émergence de consciences collectives.
Une large partie de la main d’œuvre se regroupait ainsi dans de grandes
entreprises intégrées. Paradoxalement, alors même que la condition salariale
s’est considérablement développée, la situation du salariat paraît de moins en
moins unifiée. L’économie de services qui progresse continuellement joue en effet
sur un tout autre registre. Elle repose tout d’abord sur un tissu d’entreprises
généralement plus petites. De fait, le poids global des services dans l’économie ne
dit pas tout.
L’individualisation des relations d’emploi, y compris dans les grandes entreprises
devient un trait marquant des transformations économiques. Les relations de
travail sont presque partout marquées aujourd’hui par la flexibilité et/ou
l’instabilité. La multiplication des contrats de travail à durée déterminée, des
temps partiels (choisis, mais plus souvent subis, en particulier chez les femmes),
ainsi que l’individualisation des modes de rémunération, la croissance des
formes de travail indépendant (professionnels autonomes, organisation par
projet, etc.)…, tous ces facteurs compliquent d’autant l’effort de syndicalisation.
Ils hypothèquent la capacité des syndicats à parler au nom d’un salariat
rassemblé pour éviter qu’ils ne se fassent concurrence sur le marché du travail
En outre, des relations d’emploi plus flexibles entraînent inévitablement des
carrières professionnelles plus discontinues, plus accidentées, des changements de
secteur d’activité et des périodes de chômage plus ou moins nombreuses, plus ou
moins longues. Du point de vue de syndicats qui se structurèrent d’abord sur un
modèle corporatiste (par métier) et qui s’adaptèrent ensuite au modèle de
l’organisation industrielle taylorienne, ces nouveaux parcours professionnels
sont très difficiles à suivre : ils nécessitent un accompagnement mobile et « sur
mesure » que le quadrillage du monde du travail en grands collectifs de métier ou
de condition peine à organiser.
La difficulté à suivre des trajectoires de plus en plus accidentées et complexes est
accrue par la segmentation du marché du travail. Le fait que les droits sociaux et
les statuts varient selon les branches professionnelles et les métiers, ne favorise
37
European Industrial Relations Observatory, « Trade Union Membership 1993-2003 »
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
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pas non plus la continuité de la protection et de la représentation des salariés.
Au-delà de leur rôle d’agence sociale, l’un des secrets de la belle vitalité des
syndicats nordiques tient peut-être aussi au fait qu’ils ont affaire à un marché
du travail beaucoup plus unifié de ce point de vue. Les droits y sont plus
facilement transférables d’un emploi et d’un secteur à l’autre.
Les transformations économiques prennent également la forme d’une
fragmentation du système productif. Par toutes sortes de stratégies de
réorganisation et de relocalisation des unités de production, il s’apparente de
plus en plus à un vaste Lego dont les figures et les combinaisons sont d’ailleurs
assez variées selon les secteurs et les stratégies, comme l’ont montré Suzanne
Berger et ses collègues du MIT38 . L’entreprise « modulaire » peut ainsi
externaliser des segments de son activité soit en recourant à des sous-traitants
nationaux, soit en délocalisant à l’étranger, soit en filialisant certaines activités…
Elle tend à se concentrer sur ce qu’elle fait le mieux, c’est-à-dire sur ses atouts
concurrentiels, et à déléguer à d’autres le reste. C’est ainsi que l’entreprise sans
usine est entrée dans l’ordre du pensable : Nike se résume, pour l’essentiel, à
quelques unités de design et à un centre de commandement qui gère
l’organisation d’un vaste ensemble de contrats de sous-traitance et de
fournisseurs sur plusieurs continents. Les ordinateurs Dell ne passent que
quelques minutes dans les usines d’assemblage du même nom. Certaines
entreprises orchestrent la répartition des risques et contrôlent le fonctionnement
d’un réseau de liens contractuels déployés à l’échelle intercontinentale. Les
solidarités du travail sont détruites avec l’émergence des formes de nationalisme
syndical plus ou moins xénophobes.
Il est probable que le syndicalisme ne pourra échapper à la nécessité de s’adapter
aux changements économiques. Une stratégie de coordination d'unités de
représentation diversifiées, placées au plus près des véritables pôles de décision
patronale (non plus seulement l'entreprise et la branche, mais aussi le groupe, le
réseau d'entreprise, le territoire, le métier, etc.).
Cette évolution est nécessaire si l'on veut faire face à l'élargissement et à la
fragmentation des intérêts que le syndicalisme représente: intérêts non pas
seulement des travailleurs des grandes entreprises et du secteur public, mais
aussi des travailleurs précaires et à temps partiel, des salariés des entreprises
sous-traitantes, des semi-indépendants... Elle est aussi nécessaire pour que le
syndicalisme puisse faire face à l'élargissement des fonctions de la négociation
collective sur plusieurs aspects du travail décent.
Le déclin du syndicalisme qui découle des transformations économiques ne
devrait pas inquiéter uniquement les syndicalistes. Un monde sans syndicats
pourrait aussi signifier une conflictualité plus incontrôlable, plus imprévisible.
Voir sur ce point l’enquête du MIT auprès de 500 entreprises en Europe, en Amérique et en Asie,
publiée sous la direction de Suzanne Berger, How We Compete, Double Day, 2005 (traduction
française : S. Berger, Made in Monde, trad. Laurent Bury, Seuil, 2006).
38
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 95
Selon l’OIT, la tendance actuelle de la mondialisation peut et doit changer.
Beaucoup de ses règles sont injustes, ses résultats sont déséquilibrés, son avenir
est incertain.
1-2
Le contexte local subit les transformations internationales : Difficulté
de l’implantation syndicale dans le secteur privé en Tunisie
Face aux transformations du marché du travail, le syndicalisme
traditionnellement implanté dans le secteur public trouve des difficultés à
s’implanter dans le secteur privé. L’effort effectué au cours des années 70 par
l’implantant dans l’industrie textile et habillement est neutralisé voire même
affaibli par la progression de la part de l’emploi des services au cours de ces
dernières années.
1-2-1
Droit syndical et liberté d’opinion
Tout en consacrant un chapitre à la représentation du personnel, le Code
du travail garde le silence sur la présence de l’organe syndical ou des délégués
syndicaux dans l’entreprise. Pourtant, le législateur consacre le principe de la
liberté syndicale et accorde aux syndicats des prérogatives très larges en dehors
de l’entreprise, notamment en matière de conflits collectifs et de négociation
collective.
La convention collective cadre a atténué ce vide juridique. En effet l’article
5 a introduit l’ébauche d’un statut du syndicat au sein de l’entreprise en
définissant ses droits et ses devoirs (Voir Encadré1) Les conventions collectives
sectorielles ont été enrichis par des dispositions qui renforcent le droit syndical
(Voir tableau ci-dessous).
La Tunisie a ratifié la convention n°87 sur la liberté syndicale et la
protection du droit syndical, la convention n°98 sur le droit d’organisation et de
négociation collective et plus récemment la convention n°135 concernant les
représentants des travailleurs dans les entreprises.. L’article 5 de cette dernière
convention stipule que : « lorsqu'une entreprise compte à la fois des représentants
syndicaux et des représentants élus, des mesures appropriées devront être prises,
chaque fois qu'il y a lieu, pour garantir que la présence de représentants élus
ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats intéressés ou de
leurs représentants, et pour encourager la coopération, sur toutes questions
pertinentes, entre les représentants élus, d'une part, et les syndicats intéressés et
leurs représentants, d'autre part ». Autrement dit, l’existence d’un comité
consultatif d’entreprise (CCE) ne doit pas être un moyen de porter préjudice à la
liberté et au droit syndical. A cet égard, l’UGTT a créé un observatoire sur
l’application du droit syndical.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 96
Tableau 18 : Liste des conventions collectives où ont été introduites des modifications
pour renforcer la liberté syndicale et la protection du droit syndical, au titre des trois
dernières périodes triennales de négociation collective.
1999200220052001
2004
2007
Agence de voyage
X
Agent équipement agricole et génie mécanique
X
X
Assurances
X
Banques
Boulangerie
X
X
BTP
X
Cafés, bars et restaurants
X
Cliniques privées
X
Commerce de gros des médicaments
X
Commerce de gros et de détail
X
X
Commerce de matériaux de construction et de bois
X
Commerce et distribution du pétrole et ses dérivés
X
Construction métallique
X
Education privé
X
X
Electricité et électronique
X
X
Entreprises de gardiennage
X
Explosifs
X
Fonderie et produits dérivés
X
Hôtellerie Tourisme
X
X
Imprimerie, papeterie, art graphique, photos
X
X
Industrie de boissons gazeuses non alcoolisées et eau minérale
X
Industrie de l’habillement
X
X
Industrie de la chaussure
X
X
Industrie de matériaux de construction
X
X
Industrie des conserves alimentaires
X
X
Industrie des pates et du couscous
X
Industrie du Bois et meubles
X
Industrie du Textile
X
X
Industrie et commerce Boissons alcoolisées
X
X
Industrie saline
Jardins d’enfants
X
Location voiture
X
Mécanique générale et station vente essence
X
X
Minoterie
X
Pharmacie
X
X
Presse
Producteurs et concessionnaires de voitures
X
Production cuir et tannerie
X
Production de Peinture
X
Production de plastiques
X
X
Production de Produits cosmétiques et parfumeries
X
Production de Produits détergents et insecticides
X
X
Production de savons et extraction huile d’olive
X
Production de Verrerie
X
Production des sucreries, biscuit, chocolat
X
Production du lait et dérivés
X
X
Port
X
X
Salle Cinéma
X
Tannerie
X
Torréfaction du café
X
X
Transport marchandise
X
Source : UGTT, Département des études et de la documentation & Fondation Friedrich Ebert, Bilan
des négociations collectives dans le secteur privé, novembre 2007.
Conventions sectorielles
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 97
1-2-2 Le cadre réglementaire de création des syndicats au sein de l’UGTT
L’article 30 et l’article 31 du statut de l’Union Générale Tunisienne du
Travail (UGTT), approuvé par le Congrès extraordinaire tenu à Djerba du 07 au
09 février 2002, définissent respectivement le processus de création du syndicat
de base et de la représentation syndicale.
Le syndicat de base est la structure de base au sein de l’UGTT. Elle le
représente au niveau de tous les lieux de travail dans la même entreprise et dans
la même délégation. Il est crée dans tous les lieux de travail ou entreprises au
sein d’une délégation à la demande des travailleurs du secteur concerné, ou bien
sur proposition de l’UGTT ou de l’une de ses structures régionales sectorielles à
condition de requérir un minimum de cinquante adhérents et ce avec obligation
d’informer le Département du Règlement Intérieur de l’UGTT (§ A et B, art 30)
L’article 31 stipule que dans tous les lieux de travail et pour toute
délégation dont le nombre des adhérents du même secteur est inférieur à
cinquante, une représentation syndicale peut être constituée et ce selon les
conditions suivantes : Un seul représentant pour10 adhérents, 3 représentants
entre 11 et 20 adhérents et 5 représentants entre 21 et 49 adhérents.
1-2-3 Les caractéristiques économiques et géographiques de l’implantation
syndicale dans le secteur privé.
Un recensement des cellules syndicales en 2004 révèle que seulement 35 % du
total appartiennent au secteur privé. Le secteur privé est donc sous représenté
par rapport à son poids réel dans l’emploi salarié. En dépit de l’existence d’un
Droit syndical, l’implantation syndicale dans le secteur privé se heure à plusieurs
obstacles :
• Hostilité du patronat au syndicalisme, exacerbée par le modèle de
compétitivité adopté et qui est fondé sur la baisse du coût des
facteurs, notamment le facteur travail.
• La fragmentation du salariat et des relations de travail qui
découlent de la poussée de la précarisation de l’emploi.
• L’organisation de l’UGTT qui subit encore le poids de la sur
représentation relative du secteur public39. Celle-ci est fortement
liée au passé marqué par la prépondérance de ce secteur dans
l’économie nationale.
• Les conflits entre responsables syndicaux dans certaines régions
portent préjudice aux nouvelles cellules syndicales.
• Dans un contexte fortement marqué par le chômage, l’arbitrage
des autorités locales se fait parfois au profit du patronat et au
Sur la base d’un recensement des cellules syndicales de base en 2004, seulement 35 %
appartiennent au secteur privé.
39
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 98
détriment de l’action syndicale, au nom de la sauvegarde de
l’emploi.
L’implantation économique des cellules syndicales du secteur privé est fortement
concentrée dans l’industrie (55 %) et le tourisme (17 %). Le reste des cellules
syndicales est dispersé sur plusieurs branches d’activité. Leur implantation
géographique est également concentrée dans les régions qui regroupent des
bassins industriels et des activités touristiques. Il s’agit du Grand Tunis, le
Centre Est (Sousse et Monastir) et le Sud Est (Sfax et Médenine).
Figure 19 : Distribution des cellules syndicales de base du secteur privé par branche
d'activité (en%) -2004
source: UGTT, Recensement des cellules syndicales de base
55
3
2
2
1
1
1
C
om
m
er
ce
En
vi
ro
nn
em
en
t
3
Sa
nt
é
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3
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4
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17
Tr
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C
t
om
m
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at
io
n
60
50
40
30
20
10
0
Figure 20 : Distribution géographique des cellules syndicales du secteur privé (en %) -2004
source: UGTT, Recensement des cellules syndicales de base
20
15,4
15
2,1
Siliana
Tataouine
Kébili
Tozeur
Gafsa
1,4 1,8 0,8 0,8
0,3
Médenine
1,7
Gabès
2,8
Sfax
2
Kasserine
2,1
Kairouan
Monastir
Sousse
Béja
1,6 1,1
Jendouba
Kef
0,1
Bizerte
Nabeul
Manouba
BenArous
Ariana
Tunis
0,1
6,5
Sidi
3,7
5
0
8,3
Mahdia
8
6,2
4,9
Zaghouan
10
11,3
9,1
8,1
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 99
2. SYNDICALISATION DES TRAVAILLEURS PRECAIRES ET EXERCICE DU DROIT
SYNDICAL DANS LE SECTEUR PRIVE
2-1 Témoignages de syndicalistes sur les difficultés de l’exercice du droit
syndical dans un contexte de précarité de l’emploi.
2-1-1 Le secteur textile habillement est marqué par de fortes pratiques
antisyndicales des employeurs.
i)
Le niveau élevé du chômage divisent les travailleurs et crée la soumission à
la précarité et aux ordres antisyndicaux des employeurs
On pourrait s’attendre à ce que le caractère coopératif de la production se
fondant sur l’existence de fait d’un esprit collectif au niveau de la production
fasse naître chez les ouvrières des réflexes d’un esprit de groupe pour se défendre
et se prémunir contre les conditions précaires de leur emploi. En fait ces
conditions donnent un résultat contraire à ce qui est attendu.
En effet, ce que qu’on a observé c’est que chaque ouvrière défend son « morceau »
de façon individuelle. L’ouvrière sent que celle qui se trouve à côté d’elle à
exécuter des gestes répétitifs comme elle peut à chaque instant la remplacer si
elle même se trouve licenciée. Un esprit de rivalité prévaut sur la chaîne de
production, tout simplement parce que le travail qui est demandé de chaque
ouvrière est répétitif et qu’il peut par conséquent être fait par n’importe quelle
autre ouvrière d’où le sentiment que chacune des ouvrières sent que le danger
peut venir de l’ouvrière qui peut la remplacer la plus proche à savoir sa voisine
,celle qui fait comme elle la même nature de tâches, répétitives, rapides et
intégrés à la chaîne. Ce sont là les conditions de la solitude de l’ouvrière sur la
chaîne. Cette solitude est mitigée à un sentiment d’agressivité à l’égard de
l’ouvrière d’à côté. Dans le secteur de l’habillement ainsi décrit on est à mille
lieux de soupçonner un esprit de solidarité entre les femmes travaillant sur la
chaîne. Ceci constitue un élément supplémentaire, sur le terrain direct de la
production, qui s’ajoute aux autres facteurs de précarité.
Au sentiment de solitude agressive senti sur le terrain de la production, s’ajoute
un sentiment de peur d’être exclu de la chaîne, et par conséquent licencié du
travail. En effet, le besoin en argent, en tant que source de revenu, lié à ce
sentiment de solitude face aux gestes répétitifs à accomplir pour satisfaire au
rythme productif de la chaîne, entraîne une volonté de se rapprocher du patron
ou de ses représentants à l’intérieur de l’usine. De là naissent les tendances au
rapprochement zélés du surveillant de la chaîne au détriment de la solidarité
avec la voisine, perçue comme une concurrente ou une rivale potentielle. Ceci va
à l’encontre de ceux qui disent que le sentiment premier devrait être celui de la
solidarité entre ouvrières menant automatiquement vers la création d’un
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 100
syndicat ou bien (si le syndicat existe) vers la syndicalisation et l’agrégation des
adhésions syndicales.
C’est parmi les ouvrières qui sont les plus fragiles (ayant un sentiment de peur et
d’insécurité aigu) que le patron trouve celles qu’il va « acheter » pour casser les
tentatives de constitution d’un syndicat de base au sein d’une usine
d’habillement.
D’où la grande difficulté d’installer des structures syndicales de base au sein des
entreprises de l’habillement. A la fédération du textile et de l’habillement on
estime qu’il faut (pour le secteur habillement), en moyenne, dans une usine
moyenne de 200 ouvrières par exemple, six mois de réunions, de contacts
intensifs, d’encadrement syndical des ouvrières pour pouvoir espérer installer un
syndicat de base. Les réunions de sensibilisation ne dépassent pas le nombre de
six à sept ouvrières seulement d’un total de 200 ouvrières. Cet exemple modèle
nous a été cité par le secrétaire général de la fédération du textile et de
l’habillement.
j)
Le retrait des femmes de l’emploi suite au mariage affaiblit les chances
d’une durabilité d’un syndicat.
Après l’installation du syndicat de base quand les efforts ont été couronnés de
succès, ce qui n’est pas toujours acquis, il y a un autre fléau (extérieur à l’usine
cette fois ci) qui guette la poursuite du syndicat de base de ses activités. Ce sont
les éventuelles fiançailles en vue du mariage, pour celles qui se considèrent
chanceuses d’avoir pu trouver un prétendant dans une époque où le célibat
semble être la règle et le mariage l’exception jusqu’à l’âge de 35 ans40.
Il est rare qu’après le mariage l’ouvrière continue de travailler, car le patron
attend ces occasions pour renouveler les ouvrières e procéder ainsi à la rotation
d’une force de travail dont l’accomplissement des tâches, pour être le meilleur
possible, n’exige pas nécessairement une accumulation de connaissances ni une
longévité dans l’expérience.
Dans les rares cas où le mariage lui même n’a pas été une source et une cause
pour que l’ouvrière interrompe sa carrière professionnelle cahotante, un autre
risque l’attend auquel elle échappe rarement : c’est la « jalousie » du mari
(hazzâr).
Enfin un dernier élément extérieur à l’usine contribue puissamment à
l’interruption précoce de la carrière professionnelle de l’ouvrière de
« l’habillement » : c’est la généralisation de l’esprit conservateur de type religieux
rigoriste. Le mari ou le milieu familial ou le cercle des amis commence à lui
Nous reproduisons ici les affirmations du milieu ouvrier et syndical sur le rapport
mariage/syndicalisation.
40
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 101
demander de porter le voile ensuite il finit par lui rendre tout contact avec les
« mâles » contraire à l’esprit religieux sain.
Ce sont là les trois facteurs externes à l’usine qui contribuent à affaiblir les
chances d’une durabilité du syndicat de base quand il a été constitué, souvent
avec grand labeur, dans un milieu ouvrier de « l’habillement ».
Dans le secteur de l’habillement, on estime à 30 000 le nombre des ouvrières qui
ont quitté leur travail sous l’effet de ces facteurs en l’espace de 3 ans (de 2002 à
2005), nous dit le secrétaire général de la Fédération du textile et de l’habillement
de l’UGTT41. Ce sont là les facteurs qui émergent du côté ouvrier qui provoquent
la rotation constante des effectifs ouvriers dans e secteur de l’habillement.
2-1-2 Le Tourisme est un foyer structurel de la précarité et des pratiques
antisyndicales des employeurs.
i)
Raisons de l’opposition du patron à la syndicalisation : le contrat à blanc
Cette opposition à la constitution de structures syndicales dans le secteur
touristique trouve sa raison principale aujourd’hui dans le fait que le contrat qui
est proposé à « la nouvelle recrue » n’est rien d’autre qu’un contrat à blanc. C’est
en effet la pratique la plus courante. L’animateur ou l’ouvrier signe le contrat
reconnaissant par là ses devoirs et ses responsabilités, sans que la partie adverse
le signe. Entre temps le travailleur entre en activité et les termes précis du
contrat ne sont alors remplis et signés que hors de la mise en congé du
travailleur en question. D’où la fréquence des licenciements abusifs, sans que la
période du travail ne vienne à son terme. C’est là que l’intervention de
l’inspecteur du travail est requise.
ii) Inspection de travail et diligence de l’intervention
Vu le caractère très provisoire du travail dans le secteur touristique, très
limité dans le temps, la précarité est la plus prégnante. Cela exige une
intervention de l’inspecteur de travail avec diligence, car les relations de travail
finissent généralement par l’abandon de la part du travailleur de sa « cause », vu
le caractère modique des sommes à lui verser par le patron, qui malgré cela
« gratte, surtout quand il a un nombre important d’animateur, autrement dit
quand l’établissement hôtelier a une grande dimension. Ce sont les prérogatives
de l’inspecteur de travail, appliqué avec rigueur qui permettent de sauver le
travailleur dans le secteur du tourisme des effets de la précarité dont
évidemment la fragile syndicalisation, mais, surtout, aux yeux des praticiens, des
droits élémentaires au salaire et aux conditions légales du travail.
41
M. Habib Hzami que nous remercions ici pour sa coopération et son accueil.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 102
D’après les syndicalistes de ce secteur les inspecteurs ne jouent pas
pleinement leurs rôles. Cela consiste en une série de tâches : contrôler la légalité
des contrats proposés aux travailleurs, vérifier le registre des congés, vérifier
l’ancienneté, vérifier les conditions d’hygiène et de santé entourant l’exercice des
activités (tenue de travail, etc.), contrôler les horaires de travail, vérifier les fiches
de paie et s’assurer que le salaire perçu correspond à ce qui est mentionné dans
la fiche de paie, vérifier si les cotisations revenant à la sécurité Sociale sont
honorées.
Il y a des textes qui prémunissent le travailleur dans ce secteur touristique, mais
l’anomalie réside dans leur non application42.
2-1-3 Précarité de l’emploi
télécommunications
et
syndicalisation
dans
les
Postes
et
Selon les responsables syndicaux, le taux global de syndicalisation dans
les Postes et télécommunications est de 20%. Toutefois, il faut appréhender ce
taux avec beaucoup de prudence du moment que la régularité et la continuité du
travail ne sont pas assurées. La forte rotation de la main-d’œuvre a des
conséquences évidentes : l’absence d’accumulation des expériences syndicales,
l’absence de formation de ressources humaines conformes aux exigences de la
bonne Pratique syndicale.
Ceci entraîne l’absence de formation de candidats parmi les travailleurs
précaires à la responsabilité syndicale. En effet, ils ne se présentent pas aux
élections des représentants syndicaux de base. Et le manque de sa
représentation sur le plan syndical aggrave la précarisation. On peut situer ainsi
le cercle vicieux de la syndicalisation-précarisation.
2-1-4 Les syndicats arrivent à faire passer des travailleurs d’un statut précaire à
celui du travail décent
Dans les entreprises de la multinationale de l’industrie des boissons gazeuses, le
syndicat, en accord souvent avec la Direction générale de l’entreprise, obtient la
régularisation de la situation des travailleurs précaires et ce en amenant
l’entreprise de sous-traitance à reconnaître le droit de l’employé précaire à la
sécurité sociale. Ensuite dans une seconde étape à demander de l’employeur de
retenir à la source la somme consacrée à la sécurité sociale. Dans un deuxième
volet revendicatif concernant le travail précaire le syndicat œuvre à titulariser les
emplois précaires. C’est ainsi que chaque année on titularise 8 CDD suite à
l’expiration de la période la Haute saison et 8 autres au début de chaque année
parmi les travailleurs de l’usine. Par ailleurs le Syndicat de base a commencé
M. J. est animateur touristique dans le Club Méditerranée, il s’est vu licencier par ce qu’il
participait activement au syndicat en tant que responsable de l’information. « Ce qu’on veut
aujourd’hui c’est, surtout, l’application de la loi, pour mettre fin aux abus les plus illégaux ».
42
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 103
déjà à négocier le contrat précaire et la nécessité de le rattacher à la Loi-Cadre
afin de lui donner une assiette juridique régulière.
Le même processus de lutte syndicale est observé à la STEG. Le Syndicat a
obtenu qu’on établisse des contrats pour les releveurs de compteurs, dont l’issue
pourrait déboucher sur un emploi statutaire. Par ailleurs, il a obtenu de restituer
aux travailleurs précaires leurs droits nominaux dans leur relation
avec
l’entreprise de sous-traitance en exerçant une pression sur la STEG utilisatrice
de cette main-d’œuvre. Cette dernière retranche des sommes à verser aux
sociétés sous-traitantes pour restituer les droits des travailleurs. Cette forme de
lutte contre la précarité est un moyen qui pourrait développer la syndicalisation
des emplois précaires.
2-1-5 Aspects communs aux secteurs économiques hostiles à la syndicalisation
des travailleurs.
La syndicalisation est restée faible et inférieure à ce qui est attendu. La raison
commune à tous les secteurs de l’activité syndicale reste le fort taux de chômage.
Les responsables syndicaux renvoient constamment à « l’armée de réserve »,
terme qui désigne la masse des chômeurs qui attend comme une épée de
Damoclès suspendue sur la tête de la classe ouvrière et utilisée par les patrons
pour faire pression à l’occasion sur les ouvriers.
Il y a une corrélation directe (selon les dires des syndicalistes interviewés) entre
le faible taux de syndicalisation et la pléthore dans les rangs des travailleurs à
l’usine de ceux qui sont contractuels, SIVP et toutes autres formes de travail
atypique. Cette pléthore met l’ouvrier permanent dans la situation de celui qui
est privilégié et qui doit manifester le maximum de zèle dans le travail pour
continuer à « jouir de ce privilège ».
Le travailleur précaire souffre du manque de crédit subit sur le plan civil : il ne
peut pas par exemple jouir d’un crédit bancaire. Le salaire domicilié, selon
accord et procédures administratives entre l’employeur et la banque, constitue
une garantie nantie au profit de la banque créancière, seulement dans le cas où
le travail est permanent : On ne prête qu’aux ouvriers statutaires. La situation
des travailleurs précaires a tous les caractères du cercle vicieux.43
Ce mot proféré par les syndicalistes avec les quels nous avons mené l’entretien, correspond à
« un ras le bol » qu’ils définissent par un terme qui désigne une déflagration sociale de la situation,
comme pour dire, de quelque bout qu’on tienne la question, la précarité est une cause et un effet,
tout à la fois.
43
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 104
2-2 Déterminants du taux de syndicalisation de la population étudiée
Ce paragraphe n’a pas l’objectif de mesurer le taux de syndicalisation dans le
pays mais d’examiner seulement les déterminants du taux de syndicalisation de
la population étudiée comprenant 500 travailleurs en situation de travail précaire.
2-2-1 La relation de travail bilatérale est plus favorable à la syndicalisation que la
relation de travail triangulaire.
En moyenne 22% de la population étudiée adhérent à un syndicat. Il n’existe pas
de différence significative par genre. Par contre le taux d’adhésion syndicale varie
selon le type de relation de travail. En effet, la sous-traitance de la main-d’œuvre
apparaît comme un obstacle à l’implantation syndicale ; 17% des travailleurs
adhérents au syndicat contre 26 % parmi les travailleurs sous le statut d’une
relation de travail bilatérale classique.
Figure 21 :Taux d'adhésion syndicale des travailleurs enquêtés (en %)
source: Enquête UGTT& FFEbert 2008
30
26
25
20
24
21
22
17
15
10
5
0
Rel ati on de
travai l
tri angul ai re
Rel ati on de
travai l bi l atéral e
Hommes
Femmes
Ensembl e
2-2-2 Le taux de syndicalisation est croissant en fonction du niveau d’éducation
des travailleurs
L’augmentation du niveau d’éducation des travailleurs favorise l’implantation
syndicale et le renouvellement de ses adhérents. Le taux d’adhésion syndicale
suit une tendance croissante en fonction du niveau éducatif (Voir graphique cidessous)
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 105
Figure 22 : Taux d'adhésion syndicale par niveau d'éducation des travailleurs précaires
enquêtés
source: Enquête UGTT& FFEbert 2008
40
35
30
25
20
15
10
5
0
38
y = 4,2x + 10,8
2
R = 0,4441
27
21
20
11
Analphabète
1er cycle EB
2ème cycle EB
Secondaire
Bac+2 ou 3
2-3 Contribution des syndicats à la solution des problèmes rencontrés par
leurs adhérents.
2-3-1 Les adhérents font souvent appel à leur syndicat pour résoudre leur
problème.
Le questionnaire de l’enquête invite les adhérents à un syndicat de répondre à la
question : Avez-vous fait appel au syndicat pour résoudre vos problèmes
professionnels ? Le tableau ci-dessous donne la distribution des réponses
obtenues (en %) selon des caractéristiques individuelles et le type de relation de
travail :
Tableau 19 : Avez-vous fait appel au syndicat pour résoudre vos problèmes
professionnels ?
Type de relation de
travail
Relation de
Relation
travail
de travail
triangulaire bilatérale
Oui
Non
Total
51
49
100
72
28
100
Genre
Age
Hommes
Femmes
67
33
100
64
36
100
Age
inférieur
ou égal
à 30 ans
67
33
100
Total
Age
supérieur
à 30 ans
65
35
100
66
34
100
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
Les réponses révèlent trois faits marquants :
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 106
•
Une forte proportion moyenne des adhérents qui font appel à leurs
syndicats pour les aider à résoudre leurs problèmes professionnels
•
Cette proportion ne varie pas significativement selon le genre et l’âge
•
Au contraire, la réponse varie selon le type de relation de travail. Les
travailleurs qui ont le plus besoin de leurs syndicats, c'est-à-dire ceux qui
ont le statut de relation de sous-traitance, font le moins appel à ses
services, par rapport aux travailleurs en relation de travail bilatérale (51 %
contre 72 %). Probablement, ce comportement s’explique par la menace de
licenciement en cas de conflit ou contact avec un syndicat qui pèse plus
fortement sur les travailleurs des entreprises de sous-traitance de la maind’œuvre.
2-3-2
Les syndicats aident la quasi-totalité des travailleurs qui les ont contactés.
Pour mesurer l’efficacité de l’action syndicale, le questionnaire pose la question
suivante aux travailleurs : « Si vous avez fait appel aux services du syndicat,
avez-vous obtenu l’aide demandée ? »
La quasi-totalité des travailleurs répond par l’affirmative (90 %). Il n’existe pas de
différences significatives dans les réponses selon les caractéristiques
individuelles ou le statut juridique dans l’emploi (Voir Tableau ci-dessous). Donc
les syndicats offrent leur aide aux différentes catégories des travailleurs avec la
même disponibilité.
Tableau 20 : Si vous avez fait appel aux services du syndicat, avez-vous obtenu l’aide
demandée ?
Oui
Non
Total
Type de relation de
travail
Relation de Relation
travail
de
triangulaire
travail
bilatérale
86
92
14
8
100
100
Genre
Age
Hommes
Femmes
89
11
100
92
8
100
Total
Age
inférieur
ou égal
à 30 ans
88
Age
supérieur
à 30 ans
100
100
92
90
10
100
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
2-3-3 Le recours au syndicat est nettement plus fréquent que le recours au
prud’homme et à l’inspection de travail
En moyenne, seulement 4 % et 18% des travailleurs ont fait recours
respectivement au prud’homme et à l’inspection de travail en cas de conflit de
travail soit des proportions nettement inférieures au rôle du syndicat (60%). Il
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 107
importe de souligner que les femmes et les travailleurs en relation de travail
bilatérale font recours à l’inspection du travail plus fréquemment que la
moyenne. Il s’agit d’ouvrières dans le secteur textile-habillement.
Tableau 21 :
Part des travailleurs ayant eu recours au prudhomme et à l’inspection de travail
par type de relation de travail et par genre (en % du total de chaque catégorie)
Recours au
prud’homme
Recours
à
l’inspection
de travail
Type de relation de travail
Relation de
Relation de
travail
travail
triangulaire
bilatérale
4
4
13
22
Genre
Total
Hommes
Femmes
3
5
4
13
25
18
Lecture du tableau : Par exemple, 25 % des femmes ont eu recours à l’inspection de travail.
Source : UGTT Département des études et de la documentation & F.Ebert, Enquête auprès des
travailleurs en situation précaire, août 2008.
La comparaison de l’ensemble des résultats permet de dégager trois conclusions
complémentaires sur l’arbitrage des conflits individuels de travail:
-
Le syndicat est l’institution auprès de laquelle les travailleurs trouvent le
meilleur soutien
pour résoudre leur problème. C’est pourquoi, la
défense du droit et de la liberté syndicale dans la société est un principe
fondamental de la régulation juste des relations de travail.
-
L’accès à la justice est difficile car les procédures judiciaires sont
compliquées et coûteuses.
-
Le recours à l’inspection est relativement plus facile car il est gratuit et
facilité par l’existence d’unité de conciliation et d’arbitrage des conflits
de travail individuels44;
L’inspecteur du travail n’a pas seulement la mission d’une police de travail, mais il doit jouer
aussi un rôle de promotion du dialogue entre les employeurs et les travailleurs qui se présentent à
titre individuel ou à titre collectif. Informer, conseiller et concilier sont en effet les tâches prévues
par le code du travail pour atteindre cet objectif (voir CT, Art 170 et Art171). Des unités régionales
de conciliation sont répandues sur tout le territoire national.
44
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 108
Figure 23: Part des travailleurs ayant eu recours aux syndicatts et aux institutions
d'arbitrage des conflits de travail (en%)
Source: Enquête UGTT& FFEbert,2008
80
66
60
40
18
20
4
0
Prud'homme
Inspection de travail
Syndicat
2-4 L’UGTT lutte contre les déficits du travail décent
L’utilisation abusive du Contrat à durée déterminée, a provoqué de fortes
protestations syndicales. Une enquête de l’UGTT auprès d’un échantillon
représentatif des cadres syndicaux dans les différentes structures syndicales
montre que ces derniers perçoivent les risques de la libéralisation économique au
travers l’association du secteur privé à l’emploi précaire et à l’hostilité aux
libertés syndicales (voir graphique ci-dessous).
Figure 24 : Proportions des responsables syndicaux qui classent les risques de la
libéralisation économique en 1er ou 2ème rang
source: UGTT, Enquête sur le renouveau syndical, 2005
100
80
60
86
74
70
58
56
45
73
72
64
38
39
72
57
54
43
46
57
45
40
20
0
Syndicat de base
Délégation
Union régionale
Fédération
Syndicat général
Ensemble
Dével oppement de l 'empl oi précai re et du chômage
Dével oppement du secteur pri vé
L'envi ronnement hosti l e aux l i bertés syndi cal es
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 109
2-4-1 Le salaire indécent est la principale cause des grèves.
Le salaire décent est l’une des dimensions les plus importantes du travail décent,
au sens défini par l’OIT. Les mauvaises conditions de rémunération couvrent
plusieurs problèmes qui sont souvent à l’origine de plus de 50 % du total annuel
des grèves.
Figure 25: Evolution de la part annuelle des grèves à cause des salaires (en % du total)
Source: UGTT
70
60
50
40
30
20
10
0
49
1998
55
1999
48
2000
51
2001
54
2002
58
2003
53
2004
48
2005
On peut distinguer trois séries de problèmes rencontrés par les travailleurs.
i)
Premièrement, des grèves sont provoquées par une série de causes liées
au salaire de base :
-
ii)
Non paiement du salaire
Retard de paiement du salaire
Baisse du salaire
Non déclaration des salaires à la CNSS
Non application des dispositions légales relatives au SMIG
Non application de la convention collective
Non paiement des heures supplémentaires
Baisse du taux de rémunération des heures supplémentaires
Retard de paiement des heures supplémentaires
Refus d’augmentation des salaires
Les grèves sont également provoquées par une série de problèmes liés à
la gestion des primes :
-
Non paiement d’une prime
Retard de paiement d’une prime
Baisse d’une prime
Changement unilatéral des critères de calcul d’une prime
Refus d’intégration des primes au salaire de base
Non application de la convention collective
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 110
-
Refus d’application d’un accord particulier dans l’entreprise sur les
primes
2-4-2 La lutte contre la répression syndicale, la précarité et l’exclusion de l’emploi
sont au centre de la solidarité syndicale
La répression du droit syndical, la précarité de l’emploi liée à l’utilisation abusive
du contrat de travail à durée déterminée ou le recours aux entreprises de soustraitance de la main-d’œuvre et les licenciements collectifs provoquent des grèves
de solidarité syndicale. Elles représentent entre 9 et 18 % du total annuel des
grèves durant la période 1998-2005. La typologie ci-dessous indique certaines
causes précises des grèves de solidarité :
i)
-
-
ii)
-
Défense du droit syndical
Protestation contre la sanction abusive des responsables syndicaux
(arrêt de travail ou licenciement individuel des responsables)
Protestation contre la sanction abusive des travailleurs adhérents au
syndicat (arrêt de travail ou licenciement individuel des adhérents
syndicaux)
Protestation contre le refus de l’employeur d’offrir un local pour
l’organisation des élections du syndicat
Protestation contre les pratiques de l’employeur qui empêchent la
création d’un syndicat
Protestation contre l’installation de caméra de surveillance dans les
ateliers et bureaux
Contestation de la nomination d’un responsable connu pour ses
positions antisyndicales
Protestation contre le refus de l’employeur d’appliquer un accord signé
avec le syndicat
Lutte contre la précarité de l’emploi
Protestation contre le recours abusif aux contrats de travail à durée
déterminée
Protestation contre le recours à des entreprises de sous-traitance de la
main-d’œuvre
Demande de transformation des contrats à durée déterminée (CDD) en
contrats à durée indéterminée (CDI)
Menace d’un licenciement collectif
2-4-3 La lutte contre la précarité de l’emploi par la négociation collective
Pour limiter les effets négatifs du recours abusif au CDD, l’UGTT a obtenu
au cours des négociations collectives certaines révisions des conventions
collectives sectorielles. En plus de la rémunération, le travailleur sous contrat à
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 111
durée déterminée bénéficie désormais des dispositions qui s’appliquent au
travailleur sous contrat à durée indéterminée de même qualification dans les
domaines suivants : liberté syndicale et protection du droit syndical, attestation
de travail, travail de nuit, repos hebdomadaire, heures supplémentaire , congés
payés, sécurité et santé au travail et sécurité sociale. Avant la fin du contrat de
travail, le travailleur a la possibilité de s’absenter du travail pour rechercher un
emploi. Un délai est fixé pour que l’employeur l’informe de cette éventualité. Le
souci est ici de limiter la période de chômage entre deux emplois successifs du
travailleur sous contrat de travail à durée déterminée.
Au cours des négociations collectives au titre de la période 2008-2010, l’UGTT a
présenté une série de propositions qui visent la protection des travailleurs à
l’entrée, au cours et à la fin de la période du travail.
i)
•
•
•
•
•
A l’entrée du travail, l’UGTT propose :
-
d’ajouter à l’article 280 du code du travail le paragraphe suivant : « Tout
recrutement non conforme aux dispositions prévues à l’article 280 est
considéré nul et le syndicat a le droit de l’annuler avec tous les moyens
légaux » Cet article stipule que « les travailleurs, qu’ils soient permanents
ou non permanents, sont recrutés soit par l’intermédiaire des bureaux
publics de placement, soit directement. Tout employeur est tenu
d’informer le bureau public de placement territorialement compétent de
tout recrutement dans un délai n’excédant pas 15 jours à partir de la
date du recrutement… »
-
le contrat du travail à durée déterminée doit être conclu dans les
conditions suivantes :
l’accomplissement de travaux de premier établissement ou de travaux neufs,
l’accomplissement de travaux nécessité par un surcroit extraordinaire de
travail,
le remplacement provisoire d’un travailleur permanent absent ou dont le
contrat de travail est suspendu,
l’accomplissement de travaux urgents pour prévenir des accidents
imminents, effectuer des opérations de sauvetage ou pour réparer des
défectuosités dans le matériel, les équipements ou les bâtiments de
l’entreprise,
Il est conclu selon un modèle défini par tous les partenaires sociaux, l’UGTT
l’UTICA et agréé par le Ministère des affaires sociales. Il est écrit en trois
exemplaires : l’employeur garde une copie, le travailleur en reçoit une et la
troisième copie est déposée à l’inspection du travail et de conciliation
territorialement compétente.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 112
•
Si la période du contrat atteint deux ans, y compris les renouvellements,
sans considération des interruptions, il est procédé au recrutement du
travailleur au terme de la fin du contrat, sous un statut stable sans période
d’essai.
•
Il est interdit de remplacer un travailleur sous contrat à durée déterminée
par un autre travailleur sous le même type de contrat. Dans le cas de
vacances de postes d’emploi stable, la priorité est donnée au travailleur sous
contrat à durée déterminée. Il est interdit aussi de recruter un travailleur
sous contrat à durée déterminée pour remplacer des travailleurs en situation
de grève.
•
Le travailleur est informé obligatoirement par écrit de la volonté de
l’employeur de ne pas renouveler le contrat de travail, au minimum un mois
avant la fin du contrat et il doit être autorisé à s’absenter pour rechercher un
emploi durant cette période.
•
En cas de rupture du contrat par l’employeur avant la fin de période
déterminée dans ce contrat, il doit procédé au payement de la rémunération
totale correspondante au reste de la période du contrat, si le travailleur n’a
pas commis de faute, et il lui est accordé la prime de gratification de la fin de
travail.
•
L’emploi permanent et l’emploi non permanent sont définis obligatoirement
par une structure créée par une commission regroupant la direction et la
partie syndicale.
-
•
•
•
La période d’essai doit varier selon les catégories professionnelles comme
suit :
3 mois pour l’exécution,
6 mois pour la maîtrise et
9 mois pour les cadres
ii)
Au cours du travail, l’UGTT propose de préciser les dispositions relatives à la
mutation ou le changement de résidence :
•
Celle-ci ne doit être décidée que pour nécessité de service et suite à un
accord avec le syndicat en cas d’absence de volontaires. Elle doit aussi
prendre en considération l’ancienneté du travailleur, sa situation familiale et
de logement, la période scolaire et le statut de représentant syndical.
•
L’ensemble des frais directs et indirects à cette mutation ou changement de
résidence sont à la charge de l’employeur et la situation professionnelle
ancienne doit être améliorée.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 113
iii)
L’UGTT propose la protection des travailleurs en cas de chômage du à la fin
du travail :
•
Délai d’information de la fin du contrat à durée déterminée : Ajouter aux cas
concernés par ce délai, celui du travailleur sous contrat de travail à durée
déterminée qui ont eu six mois de travail.
•
Licenciement pour suppression d’emploi : Si l’employeur est contraint de
réduire le nombre de travailleurs pour motif économique ou technologique, ce
problème doit être soumis obligatoirement à l’examen par une commission
technique qui se compose de :
o Deux membres représentant l’administration
o Deux membres représentant le syndicat
o Deux membres représentant l’UGTT
o Deux membres représentant l’UTICA
•
Cette commission a le rôle de présenter un programme pour sauver
l’entreprise et qui sera appliqué et suivi durant une année. La commission a
aussi le rôle d’évaluer la situation économique et sociale de l’entreprise. Ses
décisions sont prises obligatoirement par la totalité de ses membres.
•
Prime de gratification de la fin du travail : Une prime est accordée à chaque
travailleur qui quitte l’entreprise pour les raisons suivantes : Retraite choisie,
fin du contrat à durée déterminée, décès ou un problème de santé, causes
économiques ou technologiques et licenciement abusif
•
Le montant de cette indemnité est calculé sur la base de deux mois par une
année de travail sans plafond et sur la base de la moyenne annuelle du
revenu brut. Elle est indépendante de l’indemnité liée au licenciement abusif.
•
Prime de dommage et intérêt : Une prime de six mois de travail est accordée
aux travailleurs victimes de licenciement pour motif économique ou
technologique et ceci, au titre de la période de leur inscription aux bureaux
publics d’emploi, en tant que chômeurs. Cette prime est indépendante de la
prime de gratification de la fin de travail.
•
Certificat de travail : Chaque employé doit obligatoirement obtenir un
certificat sur ses salaires déclarés à la caisse nationale de sécurité sociale
durant toute la période de travail passée dans l’entreprise.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 114
2-4-4 Pour une réglementation de la sous-traitance de la main-d’œuvre
L’intervention législative souhaitée, est appelée à prendre en considérations
un ensemble d’éléments tel que :
i)
ii)
iii)
iv)
v)
La délimitation précise des cas de recours au travail temporaire qui
doivent consister en des tâches non durables énumérées limitativement et
dont le remplacement d’un salarié gréviste est expressément exclu.
La subordination de l’activité d’entreprise de travail temporaire à
l’autorisation administrative préalable.
L’exigence d’un cautionnement d’un montant suffisant pour prémunir une
insolvabilité éventuelle de l’entreprise.
Le plafonnage de la durée des missions d’intérim selon les cas de recours.
L’exigence d’un contrat écrit :
•
•
entre l’entrepreneur de travail temporaire et l’entreprise
utilisatrice : contrat de prestation de service, qui doit énoncer
les motifs précis justifiant le recours au travailleur temporaire.
Le nombre de travailleurs temporaires demandé, les
qualifications exigées, de lieu, l’horaire et les caractéristiques
particulières du travail.
entre l’entrepreneur de travail temporaire et les salariés qu’il
embauche et rémunère : le contrat de travail temporaire, qui doit
être conclu avec chacun des salariés mis à la disposition
provisoire d’un utilisateur, et doit contenir la qualification du
salarié, les modalités du paiement et les éléments de la
rémunération due au salarié, la reproduction des clauses
prévus dans le contrat de prestations de services.
vi) La nullité des clauses dite de non-embauchages, qui tendent à interdire
l’embauchage à l’issue de la mission, par l’utilisateur, des salariés mis à
sa disposition par un entrepreneur de travail temporaire.
vii) Le traitement sur un pied d’égalité des salariés de l’entreprise utilisatrice
et ceux mis à sa disposition.
viii) L’interdiction du recours aux travailleurs temporaires, pour les
entreprises qui ont licencié des salariés permanents pour cause
économique pendant une période déterminée.
ix) L’adoption de structures et instruments de suivi et de contrôle pour
prévenir et observer les cas de fraude.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 115
3. LA
PROMOTION DU TRAVAIL DECENT AU NIVEAU INTERNATIONAL EST UN
SOUTIEN A L’UGTT DANS SA LUTTE CONTRE LA PRECARITE DU TRAVAIL
3-1
La promotion du travail décent devient au centre de l’agenda
politique mondial
3-1-1 Le travail décent est un concept de l’OIT
La mondialisation est un thème d’actualité de l’agenda politique mondial. La
discussion tend cependant à être fragmentée, limitée par des démarcations
politiques ou géographiques. Certains accusent la mondialisation d’exacerber le
chômage et la pauvreté. D’autres y voient la solution à ces problèmes. L’attention
et la recherche se focalisent sur les marchés et les gains ou les pertes
économiques potentielles plutôt que sur les effets produits par la mondialisation
dans la vie et le travail des personnes, de leurs familles et dans la société. Cette
absence de consensus rend plus difficile l’élaboration de politiques au niveau
national et international. Le désintérêt pour la dimension humaine de la
mondialisation nuit à la compréhension des forces du changement et de la
manière dont les personnes y réagissent.
Dans ce contexte, en février 2002, l’Organisation internationale du Travail a
lancé une Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation. Il
s’agit de répondre à la question : Comment la mondialisation peut-elle profiter à
davantage de personnes? Le 24 février 2004, cette commission a publié son
rapport intitulé Une mondialisation juste – Créer des opportunités pour tous. Il
recommande de faire du travail décent un objectif mondial La question du travail
décent n’est évidemment pas entièrement nouvelle45. De fait, l’OIT a été créée en
1919 par souci que la reprise économique après la guerre se fonde sur des
normes internationales du travail. De même, la Déclaration de Philadelphie a
réaffirmé en 1944 la nécessité d’accorder plus d’attention à la dimension sociale
des politiques économiques et financières.
Charnovitz, S. 1987. «L’influence des normes internationales du travail sur le système du
commerce mondial. Aperçu historique», Revue internationale du Travail, vol. 126, nº 5, sept.-oct.
1987 (BIT, Genève).
45
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 116
3-1-2
Le travail décent devient un concept mondial.
En septembre 2005, le Sommet des Nations Unies relatif au suivi de la
Déclaration du Millénaire a affirmé la nécessité d'une mondialisation équitable. Il
a inscrit la promotion de l'emploi productif et du travail décent pour tous parmi
les objectifs des politiques nationales et internationales. Il a ainsi souligné le rôle
essentiel de l'emploi et de la qualité de l'emploi dans l'action contre la pauvreté et
pour le développement.
Le débat du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) qui s'est
réuni début juillet 2006 a adopté une Déclaration ministérielle de grande
envergure sur le plein emploi productif et le travail décent, précisant qu'elle
contribuerait à renforcer les efforts des Nations Unies et du système multilatéral
pour créer des emplois, éradiquer la pauvreté et apporter un nouvel espoir à
environ 1,4 milliard de travailleurs pauvres dans le monde au cours de la
prochaine décennie. La Déclaration apporte ainsi un appui à l’Agenda de l'OIT
pour le travail décent et renforce l'action qui vise à faire du travail décent pour
tous un objectif mondial et une réalité nationale. Le Travail décent devient
alors un concept mondial qui reflète un certain nombre des priorités de
l'agenda social économique et politique des pays et du système
international : Obtenir une mondialisation juste, réduire la pauvreté, assurer
l’intégration sociale, défendre la dignité humaine.
Plutôt que de conduire vers l'économie informelle ou de créer une émigration
massive, l'expansion mondiale doit trouver les moyens d'offrir des possibilités de
travail décent là où les gens vivent. Création d'emplois et réduction de la
pauvreté sont inextricablement liées. Le travail décent est un moyen de lutter
contre la pauvreté Atteindre l'égalité des chances et dépasser les discriminations
de toutes sortes sont cruciales pour permettre à chacun de réaliser pleinement
son potentiel. Enfin le travail n'est pas une marchandise. Les coûts du travail
reflètent des êtres humains pour lesquels le travail décent est une source de
dignité et de bien-être familial.
De ce fait, l'OIT s'efforce désormais à développer la dimension de travail décent
dans les politiques économiques et sociales, en partenariat avec les principales
institutions du système multilatéral et les acteurs majeurs de l'économie
mondiale.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 117
3-1-3 Contribution de l'Union Européenne à la mise en œuvre de l'agenda du
travail décent dans le monde
La Commission des communautés européennes soutient les dialogues initiés
entre les institutions financières internationales (IFI), l'OIT, l'ONU et l'OMC,
relatifs à la complémentarité et à la cohérence de leurs politiques et aux
interdépendances entre croissance économique, investissements, commerce et
travail décent. En 2006, elle a proposé des orientations pour que les politiques
et les actions de l'UE contribuent davantage à la promotion de l'agenda du travail
décent. Sa politique de voisinage contribuera à la promotion du travail décent
par46:
•
•
•
•
la mise en œuvre des engagements précis de réforme en matière de DSF,
emploi, affaires sociales et égalité des chances qui sont contenus dans les
plans d'action convenus entre l’UE et les pays concernés;
le dialogue politique régulier concernant ces questions dans le cadre des
structures institutionnelles créées par les accords de partenariat et de
coopération et les accords d’association;
la mise en œuvre du plan de travail quinquennal agréé dans le cadre du
processus de Barcelone, en novembre 2005, qui vise notamment à
renforcer des systèmes de protection sociale dans les pays de la rive sud
de la Méditerranée;
sa prise en compte dans les documents de stratégie par pays et régionale,
la programmation thématique et d’autres instruments de coopération; la
participation éventuelle des pays concernés à certains programmes et à la
coopération avec les agences communautaires, selon des modalités à
déterminer.
Commission des Communautés Européennes, COM(2006) 249 final Communication de la
commission au Conseil, au Parlement Européen, au Comité Économique et Social Européen et au
Comité des Régions, Promouvoir un travail décent pour tous. La contribution de l'Union à la mise
en œuvre de l'agenda du travail décent dans le monde ; Bruxelles, le 24.5.2006
46
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
Page 118
Encadré : Éléments clés de la Déclaration ministérielle de l'ECOSOC
Nous encourageons fortement la coopération et la coordination entre agences, donateurs
multilatéraux et bilatéraux, dans la poursuite de leurs buts de plein emploi productif et
de travail décent pour tous. A cette fin, nous invitons toutes les organisations
internationales concernées, à la demande des gouvernements nationaux et des acteurs
concernés, à contribuer à travers leurs programmes, leurs politiques et leurs activités,
aux objectifs du plein emploi et du travail décent pour tous, en accord avec les stratégies
de développement national.
Nous demandons aux fonds des Nations Unies, aux programmes et aux agences, et nous
prions les institutions financières de soutenir les efforts pour intégrer les objectifs de
plein emploi et de travail décent pour tous dans leurs politiques, leurs programmes et
leurs activités. Dans cette perspective, nous invitons les parties prenantes à dûment
prendre en compte les programmes par pays de l'OIT en faveur du travail décent de
manière à atteindre une approche plus cohérente et pragmatique au sein des Nations
Unies en faveur du développement au niveau national, sur une base volontaire.
Nous demandons également aux commissions thématiques et régionales d'évaluer
comment leurs activités contribuent ou pourraient contribuer aux objectifs de plein
emploi et de travail décent pour tous.
Nous encourageons aussi toutes les agences concernées à collaborer activement au
développement de la boîte à outils pour la promotion du travail décent qui est en cours
de réalisation par l'Organisation internationale du Travail, à la demande du Conseil des
chefs de secrétariat pour la Coordination du système des Nations Unies.
Nous faisons appel à l'Organisation internationale du Travail pour se consacrer à la mise
en œuvre des engagements concernant la promotion du plein emploi productif et du
travail décent pour tous pris lors des principales conférences et sommets des Nations
Unies, y compris ceux contenus dans les recommandations du Sommet mondial de 2005
et du Sommet mondial pour le Développement social, de façon à réaliser des progrès
significatifs à la fois dans les politiques et dans les programmes opérationnels. Dans cette
optique, nous demandons à l'OIT d'envisager le développement de plans d'action assortis
de délais à l'horizon 2015, en collaboration avec l'ensemble des parties concernées pour
atteindre cet objectif.
Nous nous engageons à mettre en œuvre la présente déclaration et invitons tous les
acteurs concernés, y compris les institutions de Breton Wood et les autres banques
multilatérales, à nous rejoindre dans ce combat.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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CONCLUSION
Le modèle de compétitivité et d’organisation du travail génère
précaire.
du travail
Au cours des dix dernières années, la Tunisie a connu un taux de croissance
moyen de 5.1 % s’appuyant sur la mise en œuvre d’une réforme libérale et une
gestion macroéconomique prudente. Cette performance se révèle insuffisante
pour réduire le chômage. En effet, à 14.2 %, le taux de chômage reste élevé. Il est
particulièrement élevé pour les femmes (16 %), les individus âgés de moins de 25
ans (30 %) et les diplômés de l’enseignement supérieur. Par ailleurs la qualité de
l’emploi ne répond pas aux attentes des demandeurs d’emploi qui sont de plus
en plus qualifiés.
L’emploi crée par le processus de libéralisation économique est fortement marqué
par un modèle de compétitivité et d’organisation du travail qui génère du travail
indécent. Le phénomène est fortement lié à l’insertion de l’économie dans la
chaîne de la sous-traitance internationale avec un positionnement au bas de
l’échelle de la chaîne de valeur. Que ce soit dans l’industrie, dans l’agriculture,
dans les services, là où nous avons mené notre enquête quantitative et
qualitative, les données révèlent une précarisation du travail rampante..
Dans le secteur privé les pratiques de sous-traitance de la main-d’œuvre
conduisent à reporter hors des entreprises (et notamment hors des grandes
entreprises) et souvent vers le secteur des services (pour la sous-traitance
générale), une part notable de l’instabilité de l’emploi. Ces pratiques sont
également développées dans plusieurs segments des services publics, sur tout le
territoire national. Le niveau élevé du chômage force alors l’acceptation d’emplois
sous-qualifiés ou sous-payés. Notre étude a mis en exergue les différentes
dimensions objectives et subjectives du travail précaire générées par le modèle
tunisien d’insertion dans l’économie mondiale.
Sur plusieurs plans, le travail précaire est synonyme de travail indécent.
Les femmes et les travailleurs en relation de travail triangulaire sont les
catégories les plus touchées par la précarité du travail. Les salaires sont bas et
dans de nombreux cas en dessous du SMIG. Une proportion importante des
travailleurs ne bénéficie pas de protection sociale. Les femmes sont moins
protégées que les hommes, particulièrement contre le risque de maladie. La
pénibilité du travail est une forte caractéristique de l’emploi précaire. Le risque
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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d’accident de travail et de maladie professionnelle est particulièrement fréquent
chez les femmes insérées dans l’industrie manufacturière. La longue durée
hebdomadaire du travail et le travail de nuit sont associés à la relation de travail
triangulaire et au travail des hommes. Les employeurs qui manifestent une forte
hostilité au syndicalisme font appel à plusieurs ruses ou formes de répression
pour dresser des obstacles à l’implantation syndicale dans le secteur privé.
La précarisation du travail s’étend à tous les niveaux de qualification.
Dans ce contexte et celui du chômage, la possession d’un diplôme ne protège pas
complètement du chômage et de la précarité du travail. Il en est de même avec
l’expérience du marché du travail. En effet, la précarité du travail s’accompagne
de déclassement des travailleurs qualifiés et du non reconnaissance de la
qualification acquise par l’expérience professionnelle. La précarité ne permet
guère la capitalisation des savoirs et l’acquisition de nouvelles compétences que
ce soit dans les tâches d’administration et de management ou les tâches
techniques et de production. La précarité qui traverse tous les niveaux de
qualification produit alors un faible rendement de l’investissement dans le capital
humain.
La précarisation du travail alimentée par la législation du travail divise les
travailleurs
Force est de constater que la précarité s’appuie sur ou s’alimente de la diversité
des contrats de travail précaire. Le développement des CDD favorisé par la
réforme du code de travail et celui des contrats de travail atypique (SIVP,
CEF).L’utilisation abusive des contrats précaires favorisée par la législation ou
l’intervention croissante des programmes d’emploi dans le marché de travail,
apparaît clairement dans les trajectoires professionnelles des travailleurs. En
effet, sur une longue période d’observation de ces trajectoires, l’emploi occupé est
très fréquemment sous statut d’un CDD, voire même sans contrat de travail
écrit, notamment dans le cadre d’une relation de travail triangulaire. C’est le
cercle vicieux de la précarité dans le monde du travail.
La segmentation entre travailleurs permanents et travailleurs précaires devient
fortement prononcée. L’examen attentif du cadre juridique de la précarité révèle
que les travailleurs précaires ne bénéficient pas du principe d’égalité de
rémunération et de certaines dispositions des conventions collectives sectorielles
dont sont bénéficiaires les travailleurs permanents.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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L’insécurité des parcours professionnels est alimentée par les défaillances des
services publics d’emploi.
La législation tunisienne sur les contrats de travail à durée déterminée
s’approche de la législation européenne. Mais à l’inverse des pays européens, la
Tunisie n’a pas de dispositifs qui assurent efficacement
la sécurisation des
parcours professionnels des travailleurs car les services publics d’emploi n’ont
pas la capacité d’accompagner efficacement les personnes dans leur démarche de
recherche d’emploi ou de retour à l’emploi et il n’existe pas d’assurance chômage.
Le cercle vicieux de la précarité s’étend aux conjoints et aux enfants des
travailleurs précaires.
L’emploi précaire est une barrière à l’accession au logement. Un travailleur en
contrat précaire est moins susceptible de devenir propriétaires de son logement,
car les crédits immobiliers lui sont plus difficilement accessibles ou plus
onéreux. Une part importante des travailleurs précaires habitent dans le
logement des parents. Les conditions d’habitat sont d’un niveau très en dessous
de la situation moyenne de la population tunisienne. Enfin, pour ceux qui louent
un logement, une forte proportion du salaire est consacrée au loyer.
La précarité traverse tous les membres de la famille. En effet, au moment de
l’enquête, les conjoints et les enfants sont soit sortis du marché du travail après
une période de chômage, en chômage ou occupant un emploi précaire. Cette
reproduction de la précarité au sein de la famille est souvent traumatisante. Elle
finit par créer un sentiment de frustration lié au fait que toute la vie des
travailleurs précaires, ou du moins une partie importante de leur temps, est
mobilisée pour le travail alors qu’elles en retirent souvent fort peu. Le vécu dans
des situations précaires sur une longue période et d’une manière généralisée aux
membres de la famille suscite chez les travailleurs des interrogations sur la
qualité de leurs acquis professionnels et une baise de l’estime de soi. Certains
travailleurs ont été contraints de garder le célibat. Mais même dans cette
situation les travailleurs éprouvent un sentiment de frustration et de sérieux
troubles psychologiques. C’est le cercle vicieux de destruction de la personnalité
des travailleurs précaires.
La présence des syndicats: un espoir pour promouvoir le travail décent
En dépit de l’hostilité des employeurs, le syndicalisme existe et des travailleurs
précaires y adhèrent. En moyenne, le taux de syndicalisation des travailleurs
précaires est de 20 % parmi la population étudiée. Il est croissant avec le niveau
d’éducation. Les diplômés de l’enseignement supérieur, qui ont obtenu leur
diplôme au prix d’un grand sacrifice de leur famille d’origine sociale modeste,
décident d’adhérer à un syndicat après le désespoir produit par leur insertion
dans le cercle vicieux du chômage et du travail précaire. Les travailleurs
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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précaires font souvent appel à leur syndicat pour résoudre leur problème. Le
recours à l’inspection du travail ou au conseil de prud’homme est nettement
moins fréquent car ils jugent que l’efficacité de l’action syndicale est plus élevée.
La promotion du travail décent est au centre de la lutte de l’UGTT. L’analyse des
causes des grèves montre que le combat est mené contre le salaire indécent, la
précarité du travail, l’absence de protection sociale et la répression syndicale. La
lutte contre la précarité de l’emploi se fait aussi par le dialogue social,
notamment, au cours des périodes cycliques de la négociation collective. A cet
égard, certaines dispositions des conventions collectives ont été améliorées47.
Grace à la lutte syndicale certains travailleurs ont échappé à la précarité par la
transformation de leur CDD en CDI. Enfin, depuis longtemps, l’UGTT poursuit
sa revendication d’un fonds d’assurance contre le risque de la perte d’un emploi.
Un grand défi à relever : intégrer l’économique et le social par le travail décent
L’ouverture de la Tunisie à l’économie mondiale a mis le chef d’entreprise et les
travailleurs devant un défi commun : améliorer la compétitivité de l’entreprise
par le travail décent. Certaines entreprises privées, aujourd’hui minoritaires, ont
fait ce choix pour affronter la concurrence internationale. Elles sont alors l’allié
objectif de l’UGTT.
Qu’elles soient nationales ou transnationales, les entreprises façonnent le monde
du travail et influent sur l’environnement socio-économique dans lequel les
femmes et les hommes vivent. Le Pacte mondial lancé par le Secrétaire général de
l’ONU figure parmi les initiatives particulièrement importantes. Il invite les
entreprises à souscrire à neuf principes fondamentaux issus d’accords acceptés
universellement sur les droits de l’homme, le travail et l’environnement. Ce pacte
est le fruit d’une collaboration entre l’ONU, l’OIT, le Haut Commissariat aux
droits de l’homme, l’Organisation des Nations Unies pour le développement
industriel (ONUDI) et d’autres acteurs. Le programme de mise à niveau des
entreprises tunisiennes doit nécessairement s’inscrire dans cette dynamique
internationale pour développer un secteur privé favorable à la promotion du
travail décent.
Le dialogue social est le moyen de promouvoir la compétitivité par le travail
décent.
Au cours de ces dernières années, le droit syndical a été renforcé par la
ratification de la convention n°135 de l’OIT et les dispositions introduites dans
toutes les conventions sectorielles pour renforcer le statut du syndicat au sein de
l’entreprise. Il reste encore du progrès à faire pour inscrire dans la réalité le
progrès du droit syndical dans le secteur privé et le secteur public.
47
Cf. UGTT & FF.EBERT, Bilan des négociations collectives dans le secteur privé, avril 2008.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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Les orientations des réformes dans plusieurs domaines des services publics
visent l’amélioration de leur qualité. Dans les faits les progrès obtenus sont
encore en dessous de cet objectif. La réforme n’est pas toujours comprise et
partagée car la gestion des ressources humaines est non participative et
l’organisation des services publics est trop bureaucratique. De ce fait, les besoins
des usagers (citoyens et entreprises) ne sont pas toujours au centre de leurs
activités quotidiennes, bien qu’ils le soient au niveau des objectifs des réformes.
C’est par le renforcement du dialogue social que la démarche qualité pourra être
mise en œuvre dans les services publics.
La libéralisation économique fait peur aux salariés et aux organisations
syndicales parce qu’à l’expérience le travail indécent se propage dans le tissu
économique. Les conflits de travail individuels et collectifs marquent alors de
plus en plus les relations de travail.
Pour que le processus s’inverse, il est nécessaire de rénover le dialogue social. Il
s’agit de privilégier un nouveau type de rapports pour traiter en même temps les
problèmes liés à la compétitivité, à l’environnement, aux accords commerciaux et
au travail décent. Quatre conditions doivent être respectées simultanément par
tous les partenaires sociaux :
-
Assurer la transparence de l’information pertinente au niveau macro et
micro économique. Cette condition crée la confiance, donne de la crédibilité
au discours économique et de ce fait elle responsabilise tous les
partenaires pour affronter ensemble les défis du développement de la
compétitivité et du travail décent.
-
Anticiper les problèmes. Pour que les mutations économiques ne soient pas
que des menaces, celles-ci doivent être anticipées par un dialogue social
en amont des changements
nécessaires, par exemple, en termes
d’organisation
de
travail,
de
qualification
et
de
formation.
Malheureusement, le changement dans l’entreprise a souvent été géré en
termes de conséquences et de réparations, alors qu’il doit l’être en termes
de transition et de motivation au changement.
-
Accepter l’idée que tout n’est pas possible. Chaque partenaire doit
expliquer d’une manière crédible ses contraintes et écouter attentivement
les contraintes de son partenaire. La transparence de l’information sur les
sujets du dialogue favorise cette attitude des partenaires.
-
Avoir une volonté réelle de dialoguer pour aboutir à un accord. Les
stratégies des employeurs ou des syndicats qui visent l’inverse provoquent
le conflit et détruisent la confiance dans le dialogue social.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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Dans le contexte de l’ouverture de l’économie à la concurrence internationale, il
devient impératif d’adopter de nouveaux comportements et de nouvelles méthodes
de dialogue social pour assurer une forte réactivité de l’entreprise et développer
l’emploi décent.
L’UGTT est consciente que l’entreprise et ses salariés sont confrontés ensemble à
la même menace de la mondialisation48. Le syndicalisme apporte sa contribution
efficace au développement économique et social lorsque le travail décent, la
promotion de l’exercice du droit syndical et le renforcement de la capacité des
syndicats à maîtriser les concepts des réformes économiques et sociales
deviennent un pilier de la gestion des ressources humaines, aussi bien dans le
secteur privé que dans le secteur public.
Les travaux récents de la consultation nationale sur l’emploi montrent l’existence
d’un consensus national sur la nécessité de supprimer plusieurs obstacles pour
que les politiques économiques, sociales et de l'emploi se renforcent
mutuellement.
48 Cf. Les discours des membres du bureau exécutif de l’UGTT, notamment le discours de
Abdeslam JRAD, Secrétaire Général , à l’ouverture de la Conférence nationale sur
l’emploi, 7 octobre 2008.
[UGTT & Fondation F.EBERT, Mutations du marché du travail, la précarité et ses impacts en Tunisie ; Résultats d’une enquête dans
le Grand Tunis, Décembre 2008, version1]
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