Aspects historiques, techniques et constructifs des cathédrales

Transcription

Aspects historiques, techniques et constructifs des cathédrales
Aspects historiques, techniques et constructifs
des cathédrales gothiques
Notes personnelles
P. Vannucci
Conférence du 23 mars 2010
1 Page 2
J’aime ouvrir cette conférence avec ce texte de R. Bechmann qui bien introduit une
présentation des cathédrales gothiques. Ce texte, met en évidence certains points, notamment que:
• la construction d’une cathédrale est une œuvre collective;
• qu’elle se réalise dans un contexte historique particulier;
• que la cathédrale est, pour ainsi dire, un produit moderne.
2 Page 3
La question est: pourquoi le gothique? Cette question a plusieurs réponses, c’est
inévitable, car le gothique est l’expression d’une période, d’une région, d’un peuple,
d’une philosophie, bref, d’un moment historique particulier et unique. On ne peut pas
éviter de considérer qu’un tel épanouissement architectural est forcement le fruit d’un
moment historique particulièrement heureux, l’expression d’une nouvelle société, qui bâti
l’inimmaginable pour s’affirmer sur la scène de l’histoire. Les cathédrales sont l’oeuvre
de la bourgeoisie naissante. L’effort est immence; J. Gimpel ouvre son célèbre essqi sur
les bâtisseurs de cathédrales en nous remarquant que, je cite, ”En l’espace de trois siècles,
de 1050 à 1350, la France a extrait plusieurs millions de tonnes de pierrs pour édifier 80
cathédrales, 500 grandes églises et quelques dizaines de milliers d’églises paroissiales. La
France a charrié plus de pierres en ce trois siècles que l’ancienne Egypte en n’importe
quelle période de son histoire”. Le moine Raoul Glaber, dans une phrase célèbre, nous
dit que la France, au X eme siècle, s’est ”couverte d’un blanc manteau d’églises”. Donc,
pourquoi le gothique? Qu’est-ce qu’il a poussé le peuple des villes françaises, car le
gothique, l’ars francigenum, comme il était appelé à l’époque (ce n’est que Vasari, au
XV I eme siècle, qui introduira, dans une acception péjorative, l’expression art gothique,
dan le sens d’art barbare, méprisable), est un art français, à construire des merveilles
1
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
architecturales jamais plus égalées? Comment il a pu le faire? Avec quels moyens?
Et pourquoi avant et après cela n’avait pas été possible? Alors, à une seule question,
pourquoi le gothique, on ne peux pas se contenter de donner une seule réponse: plusieurs
aspects sont concernés, chacun mérite une réponse, une considération. Voilà donc qu’il
faudra ici donner quelques précisions sur les aspects:
• historiques: dans quel contexte cet art se développe?
• religieux/philosophiques: quelle idéologie est à la base de cet art nouveau?
• socio/économiques: qu’est-ce qu’il a rendu possible un tel effort productif?
Nous essayerons de considérer, rapidement tous ces aspects, mais encore une autre question, qui nous intéresse peut être davantage aujourd’hui:
3 Page 4
Comment le gothique? Au sens, comment il a été possible de bâtir de semblables vaisseaux de pierre, qui encore aujourd’hui feraient passer des nuits blanches à des ingénieurs
modernes, munis de tous les outils de la science, de la technique et surtout du calcul?
Comment l’art gothique a pu se concrétiser dans des vaisseaux de pierre qui constituent
un bond en avant technique rarement réalisé dans l’aventure humaine? Nous essayerons
de comprendre certains de ces aspects, architecturaux, techniques, constructifs. Et encore, les aspects écologiques: on dirait ainsi, aujourd’hui, de certains problèmes que
les bâtisseurs ont dû, comme nous le verrons, résoudre, et qui ont fort conditionné
l’architecture des cathédrales. C’est surtout sur ces points que cette conférence portera;
d’autres aspects, liés à l’iconographie, l’artisanat, l’organisation des métiers (le compagnonnage) etc. ne pourront pas être pris en compte aujourd’hui.
4 Page 5
Commençons donc avec la première partie, qui portera sur des considérations historiques,
idéologiques, socio-économiques.
5 Pages 6, 7 et 8
L’art gothique est une nouvelle ambition, portée par tout un peuple, qui est le reflet
d’une nouvelle situation historique: aux siècles XI-XIII l’Europe, et la France, vivent
une période d’épanouissement, entre la fin des invasions barbares, arabes et des vikings,
les guerres féodales et le début de la crise politique, sociale et démographique (cette
dernière due à la grande peste de 1348). C’est dans ce contexte favorable qui voit le
jour l’épanouissement des villes et de l’art gothique. L’art gothique naı̂t dans la région
la plus riche de l’occident chrétien: l’Île de France. Cet essor est favorisé par la nouvelle
situation politique: l’avènement de la dynastie Capétienne, qui amène paix et stabilité
2
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
au royaume, ce qui profite à l’Église. Le fait politique marquant de cette période, ce sont
les croisades; l’appel de Clermont Ferrand fait par le Pape Urbain II en 1095 est pour
que les seigneurs cessent de se combattre, et pour qu’ils combattent contre les infidèles
au profit de la foi et de l’Église. Les seigneurs partent en Terre Sainte, ils rentrent
souvent ruinés: le devant de la scène politique et civile est pris par les bourgeois des
villes: les cathédrales sont un phénomène urbain (alors que les grandes églises du passé
étaient les abbayes: Cluny, Cı̂teaux, Clairvaux, la Grande Chartreuse etc.). L’époque des
cathédrales est une époque de grands changements en Europe, surtout en France; c’est
l’époque des nouveaux ordres: Franciscans, Dominicains, Cisterciens, Templiers; c’est le
temps de grandes personnalités: Saint Bernard, Saint François, Saint Dominique, Saint
Thomas d’Aquin, Saint Thomas Becket, Saint Louis, Frédéric II, Richard Coeur de Lion,
Innocent III, toutes des figures qui ont profondément marqué l’histoire européenne. Mais
c’est aussi l’époque des hérésies naissantes: le catharisme, pour le combattre le sud de la
France sera ravagé par une croisade meurtrière, et l’Inquisition épiscopale verra le jour.
E ancore, celle des Universités: en 1215, Philippe Auguste fonde l’Université de Paris,
qui sera sous le contrôle directe de la papauté et qui rayonnera partout en Europe, en
attirant pour les études de théologie des savants et des étudiants de partout; l’Université
de Toulouse, créée pour combattre l’hérésie, comme celle de Oxford; l’Université de
Naples, voulue par Frédéric II, le stupor mundi, la prémière université laı̈que de l’histoire.
Dans ces centres de culture, l’Europe forge sa pensée nouvelle, après l’antiquité classique
et avant sa rédécouverte. C’est à ce moment que l’Europe naı̂t comme espace culturel :
ici et à ce moment, se forme ce que nous appelons aujourd’hui la civilisation occidentale.
L’âge qui va du XI eme au XIII eme siècle est un âge d’or pour l’Europe, et pour la France
en particulier. C’est cet âge qui, en Ile de France, produira les cathédrales gothiques.
6 Page 9
En 1135 l’abbé Suger, puissant conseiller du roi de France, entame le renouveau de la
Basilique royale de St. Denis: c’est l’acte de naissance du gothique.
7 Page 10
Le rayonnement du gothique se nourrit de rivalité et compétition: lorsque Suger, en juin
1144, convie le Roi et les grands de France à la consécration du chœur de St Denis,
il ébloui l’assistance avec le nouveau art. Personne n’avait jamais vu rien de tel, le
bouleversement est total. Tout est nouveau dans l’art gothique: l’esprit, le matériau, les
dimensions, les formes, la décoration.
8 Page 11
Les prélats qui assistent à cette cérémonie retournent dans leurs villes avec l’intention
de bâtir des cathédrales semblables et même plus grandioses que la Basilique St Denis:
3
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
la course est lancée, une cathédrale nouvelle est bâtie tous les 5 à 10 ans. Par exemple, l’archevêque de Rouen, ville qui vient de terminer une grande cathédrale romane,
commence à la transformer en une cathédrale gothique digne du duché le plus riche de
France et de la ville la plus peuplée après Paris.
9 Page 12
Très rapidement, des chantiers s’ouvrent un peu partout, surtout dans la région entre la
Normandie et l’Alsace, le berceau de l’art gothique: en moins de deux siècles, on bâtı̂t
plus de 80 églises gotiques (commenter la diapositive animée).
10 Page 13
Le nouveau art va conquérir rapidement l’Europe: Canterbury, Lincoln, Léon, Burgos,
Cologne, Vienne, Milan, et d’autres villes encore se lancent dans la construction de leur
cathédrale gothique.
11 Page 14
La cathédrale est l’église de l’évêque, et elle est donc le cœur de la ville. La reforme de
Grégoire VII, qui marque un tournant dans l’histoire est d’abord l’affirmation du pouvoir
spirituel sur le pouvoir temporel: le pape devient le seul autorisé à nommer les évêques.
Ceux-ci deviennent la vraie autorité dans les villes; ils définissent la pratique religieuse et
instaurent les relations civiles basées sur le droit canon. Pour affirmer son rôle, l’évêque
a besoin d’une vitrine efficace, ça sera la cathédrale: elle doit être merveilleuse, reflet
du royaume des cieux, de la demeure du Très Haut, ouverte au plus grand nombre, lieu
de rassemblement: la course au plus haut, plus grand, plus beau est lancée. En quelque
sorte, la cathédrale est un manifeste et un instrument de propagande religieuse et donc
politique. Le sentiment religieux et le moment politique ont, dans un certain sens, besoin
des cathédrales. Et ils ont les moyens de les construire!
12 Page 15
Les croisades engendrent aussi un autre phénomène de fondamentale importance: celui
des reliques. Les reliques permettent de lever une partie des fonds nécessaires à la construction des cathédrales, et les cathédrales servent pour conserver ces reliques (l’exemple
le plus fameux est la Sainte Chapelle, voulue par Saint Louis pour conserver les reliques
de la crucifixion). Les villes rivalisent en reliques: une ville est réputée essentiellement
pur les reliques qui y sont conservées, et la chasse aux reliques est, outre une phénomène
de fois, aussi un phénomène économique (et de contrefaçon. . . ).
4
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
13 Page 16
L’idéologie de Suger est simple: il faut voir pour croire.Voici ce qu’il a fait graver sur les
portes de la basilique (lire la diapositive). Rien n’est assez beau, précieux pour glorifier
la Sainte Eucharistie et les Saintes Reliques. Suger était un fils de menus gens, comme
on disait à l’époque. Mais, entré à l’école de St-Denis de l’Estrée, il se lie d’amitié avec
le futur Roi de France. Devenu moine, il est vite nommé abbé de St-Denis, et il veut
mettre en œuvre son rêve d’enfant: rebâtir St-Denis. Il est l’homme le plus important
du royaume après le Roi; il le remplace lorsque celui-ci part en croisade. Il se lie d’amitié
avec Saint Bernard, essentiellement pour ne pas l’avoir contre dans son rêve de splendeur,
tandis que Saint Bernard était le paladin de l’austérité.
14 Page 17
Qu’est-ce que c’est l’oeuvre noble qui brille dont Suger parle? Simplement, ce sont les
richesses qu’il expose dans la cathédrale: pierre précieuses, pièces d’orfèvrerie, objets
sacrés, reliques. Il fait encadrer l’autel avec des panneaux d’or massif, il fait placer des
pierres précieuses dans l’église, pour qu’elles brillent. Suger est un homme de pouvoir,
et il le montre! Pour que tout ce qu’il expose soit visible, une église obscure, à la façon
de l’art roman, ne lui convient pas: il lui faut de la lumière! Et il se met en valeur aussi:
il se fait représenter 4 fois dans l’église et il fait graver en son honneur 13 inscriptions
dans l’abbatiale. Voici par exemple ce que Suger a fait inscrire dans la Basilique de
St-Denis: ”Le milieu du sanctuaire brille dans sa splendeur. Resplendit en splendeur
ce que l’on unit splendidement, et l’œuvre magnifique qu’inonde une lumière nouvelle,
resplendit, c’est moi, seigneur, qui ai en mon temps agrandi cet édifice, c’est sous ma
direction qu’on l’a fait”. Ce n’est pas une idéologie de l’humilité qui est à l’origine du
gothique!
15 Page 18
Suger veut un art nouveau, lumineux, magnifique, plein de décor, riche, à la gloire du Très
Haut. L’art roman, sobre, sévère, obscur, dépouillé, ne lui convient pas. Le gothique est
l’art de la lumière, et pour faire entrer la lumière, il faut tout changer par rapport à l’art
roman: les murs, lourds et pleins, doivent être ouverts, et ceci implique une organisation
différente de l’espace, des volumes. Le gothique est l’art du gigantisme: plus grand, plus
haut; pour construire ainsi, les schémas de l’art roman ne sont plus adaptés. Le gothique
est un art décoré: les décorations ne se limitent pas à quelques endroits particuliers,
mais envahissent tout le corps architectural, à l’intérieur, à l’extérieur, sur les vitrages.
Les cathédrales se remplissent de statues partout et sont peintes! Elles deviennent un
véritable livre ouvert pour prêcher et enseigner la foi au peuple, mais aussi pour affirmer
la puissance et l’orgueil de la ville. Le gothique est un art du renouveau. Il est frappant
de comparer la nef de l’abbaye de Silvacane, construite à partir de 1175, avec la nef d’une
cathédrale gothique! On voit ici toute la différence entre l’idéologie de Saint Bernard
5
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
(Silvacane est une abbaye cistercienne, fondée en 1144 par Saint Bernard) et celle de
Suger, entre le Sud et le Nord.
16 Page 19
Une question s’impose: comment est-il possible un tel essor? Quelqu’un l’a appelé la
Croisade des Cathédrales. En fait, comment et pourquoi on se met tout d’un coup
à construire et à construire des structures si grandes et coûteuses que leur réalisation
affecte le bilan des états et des villes? Aujourd’hui, nous ne sérions absolument pas
en mesure d’assurer un tel effort économique. La réponse à cette question il faut la
rechercher dans la situation socio-économique du temps: l’essor des cathédrales gothiques est contemporain à l’essor des villes. Les anciens villes du haut Moyen Age, entourées par des remparts, deviennent rapidement trop petites: la population européenne
est en forte croissance à cette période favorable. En fait, la croissance démographique
est favorisée par le climat, particulièrement favorable à cette époque (au Groenland, les
vikings avaient construit des villes et il y avait un évêché), par la diminution des famines
et des guerres, par la disparition des épidemies, par l’amélioration du rendement agricole, obtenu grâce aux innovations techniques (assolement triennal, collier d’épaule pour
le joug des boeufs et des chevaux, charrue dissymétrique et avec versoir, la diffusion du
moulin à eau etc.). En plus, les croisades ouvrent des voies commerciales avec l’orient,
les échanges augmentent vertigineusement, l’argent commence à se répondre et à circuler: l’économie se développe, en préparant les bases de ce qu’elle deviendra en époque
moderne.
17 Page 20
La population européenne en croissance démographique se reverse dans les villes, en
quête d’un sort meilleure, et forme le nouveau peuple urbain. C’est un peuple nouveau,
en quête de liberté, d’un nouveau statut social, celui qui fait la révolution des libres communes: les villes s’affirment comme nouvelles entités politiques, affranchies du pouvoir
seigneurial, organisées par les nouveaux acteurs sociaux: les bourgeois, les habitants des
bourgs. Pour un peuple nouveau, un art nouveau: le gothique. C’est ce nouveau peuple
qui bâtira les cathédrales, qui seront son symbole de pouvoir et de prestige.
18 Page 21
Les cathédrales sont donc bâties à une époque où les équilibres économiques changent,
et c’est ça qui permet leur édification. L’argent se répand dans la population urbaine,
grâce au surplus agricole qui engendre des disponibilités d’argent dans les différentes
couches de population; d’ailleurs, c’est essentiellement la dı̂me, une taxe sur la production
agricole, qui est à la base des revenus du clergé qui permettent la construction des
cathédrales; d’une certaine manière, si les cathédrales sont une expression de la société
6
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
bourgeoise, urbaine, c’est la campagne qui les finance! Des nouveaux métiers se créent,
liés à l’expansion urbaine. Les pèlerinages des fidèles vers les reliques font la richesse
des villes qui les conservent; on arrive à faire des guerres entre villes voisines pour la
possession de certaines reliques. Bref, la nouvelle situation permet et se base sur un
développement économique général, qui finance les chantiers. Une chose est certaine: les
cathédrales sont entièrement payées, elles ne sont pas le résultat d’une coercition, mais
d’un travail rémunéré: la ville qui construit une cathédrale le fait parce qu’elle dispose
de l’argent pour le faire, et lorsque l’argent manque, le chantier s’arrête (c’est ce qui
explique, en très grande partie, la longue durée des chantiers, qui pratiquement ne se
terminent jamais).
19 Page 22
Venons maintenant à la deuxième question: comment le gothique? Nous allons considérer ici plusieurs aspects, essentiellement liés à l’architecture et à la construction des
cathédrales.
20 Page 23
D’abord, ce nouveau art est un art de pierre. Auparavant, les villes européennes étaient
construites principalement en bois: maisons, châteaux forts, remparts, ils étaient pour
la plupart en bois. Or, la France est de moins en moins boisée à cause de l’utilisation
du bois comme matériau de construction, comme matière première et par le fait que
les défrichements sont importants, afin d’assurer des nouvelles surfaces cultivables, pour
nourrir la population qui augmente. En quelque sorte, déjà au XII eme siècle on était
confrontés à des problèmes de développement durable! Le bois est donc de plus en
plus rare et cher; surtout, on trouve peu de troncs de grande taille. Célèbre est le cas
de Suger, qui part en procession et réussit à trouver dans la vallée de Chevreuse 12
troncs suffisamment grands pour St Denis, alors qu’on lui avait dit qu’ils n’en existait
pas à moins de 150 km de Paris. Il faut considérer que pour couvrir une cathédrale, il
faut couper des centaines, voire des milliers, de troncs! Difficile d’en trouver de bonne
qualité et de taille suffisante en si grand nombre. Par exemple, pour couvrir Notre
Dame de Paris on a dû utiliser 1300 chênes, pour un total de 21 hectares de forêt. Cette
charpente, qui date de 1220, est toujours en place. Le problème est bien important:
Villard de Honnecourt, dans son fameux Carnet, montre des techniques pour construire
un plancher lorsque les poutres sont trop courtes, ou encore un pont en bois avec des
poutres de petite taille. Le transport de la pierre est plus simple que celui des troncs
de grande taille et plus économique aussi. Pour limiter les coûts de transport, on ouvre
des carrières le plus près possible des chantiers, on utilise des voies d’eau et on taille la
pierre en carrière directement. Ces deux aspects, le manque de bois de taille importante
et le coût de transport, auront des influences directes sur l’organisation des chantiers des
cathédrales et même sur leur architecture, comme nous allons voir.
7
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
21 Page 24
Comme tout bâtiment, une cathédrale gothique est composée de plusieurs parties; voyons
les de plus près:
• façade, avec les portail et les tours (clochers);
• nef;
• collatéraux;
• transept;
• chœur;
• toiture;
• flèche.
Chacune de ces parties a sa fonction, qui peut être architecturale, religieuse, décorative,
statique ou plusieurs de ces fonctions à la fois. Ici, on ne considérera que les aspects et
éléments architecturaux avec leurs implications statiques.
22 Page 25
En particulier, les éléments architecturaux que nous allons considérer sont ceux qui sont
indiqués en figure:
• voute d’arêtes, avec les nervures;
• arc brisé;
• colonnes/piliers fasciculés;
• contreforts: arc boutant, mur de coulée, pinacles.
Les caractéristiques fondamentales d’une cathédrale gothique, sous le profil technique,
sont:
• grandes ouvertures;
• grande surface exposée au vent;
• grande surface couverte;
• nef et bas-côtés voûtés;
• toiture en charpente de bois;
• grande hauteur.
Les architectes gothique se trouvent alors confrontés à des nouveaux défis, qui demandent
des solutions nouvelles. Fort heureusement, les différents problèmes ont souvent une
même solution.
8
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
23 Page 26
La course à l’hauteur est effrénée et très audace: en moins d’un siècle, l’hauteur sous
voûte est plus que doublée! Mais construire haut comporte des problèmes: grande surface
exposée au vent, nécessité de diminuer le volume construit pour épargner du matériau
et pas trop augmenter le poids de la construction. Le gothique se façonne de vide
24 Page 27
La course en hauteur est fonctionnelle à la philosophie de la lumière: construire plus
haut permet d’aspirer la lumière là où elle n’est pas gênée par les constructions de
la ville médiévale, très serrée autour de sa cathédrale. L’hauteur de la cathédrale est
certainement une marque de prestige et d’orgueil pour la ville, mais aussi la façon la
meilleure de réaliser le rêve de lumière de l’abbé Suger. Faire entrer la lumière comporte,
ça aussi, l’utilisation du vide. Alors, les triforium et des grandes baies vitrées font leur
apparition: ça convient parfaitement à la nécessité d’alléger la construction, importante
non seulement pour la stabilité de la construction toute entière mais aussi pour épargner
sur la pierre, sur le temps de construction, sur les charpentes en bois. Il serait impossible
de construire aussi haut selon les schémas du roman: trop de poids, et donc pour aller
plus haut une seule solution: utiliser le vide.
25 Page 28
La carence et le coût du bois ne permet pas aux architectes du gothique de couvrir la
nef avec des grandes fermes, éventuellement décorées, comme souvent dans les basiliques
romanes. Il faut pouvoir utiliser une charpente qui ne sera pas esthétiquement bonne,
tout en garantissant sa fontion statique, de structure de couverture. Donc, il faut cacher
les fermes: la nef sera voutée. Par contre, pour faire entrer la lumière et aussi pour
diminuer la poussée laterale, incompatible avec les grandes hauteurs, il faut éviter la
voute en berceau. En fait, celle-ci, typique des époques précédentes, ne s’accorde pas
avec la réalisation de grands vitraux: il faut une voûte légère et ouverte sur les 4 côtés:
ça sera la voûte en croisée d’ogives, la voute d’arêtes. Donc, cette voûte ce n’est qu’un
élément décoratif, un plafond: la couverture du vaisseau est faite en charpente de bois,
et la voute ne porte qu’elle même. Elle peut donc être légère, ce qui va dans le bons
sens: rendre le vaisseau léger, pour pouvoir monter plus haut. En plus, une voute légère,
donne aussi une poussée horizontale plus petite.
26 Page 29
La toiture est donc en charpente de bois; elle est normalement construite avant la voûte,
pour plusieurs raisons:
9
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
• solidariser les deux parties de la nef, soumises à la poussée du vent et des arcsboutants, pas encore équilibrés par la voûte encore à construire;
• créer un abri pour les fidèles: la cathédrale était souvent en service pendant la
construction;
• permettre la construction de la voûte sans l’exposer à la pluie, qui aurait pu endommager le mortier et donc la voûte même;
• constituer des points d’appui pour le levage des blocs de pierre.
27 Page 30
Les aspects financiers conditionnent beaucoup l’architecture gothique. Les soucis d’argent
poussent les constructeurs à faire des économies partout. Il faut réduire les coûts de
transport, du bois et les temps morts: la réponse est la standardisation. En fait, la construction des cathédrales gothiques est une entreprise très organisée et standardisée, ce
qui explique la grande rapidité avec laquelle elles sont réalisées (les longues durées sont
dues à des temps morts causés par le manque d’argent). La standardisation s’accorde
aussi avec la nécessité de limiter les erreurs dus aux malentendus, aux mauvaises interprétations etc.: peux de gens savent lire et le parchemin coûte très cher. Il faut donc
que les maı̂tres d’œuvre et les ouvriers sachent exécuter bien des tâches qui leur sont
bien connues, qu’ils travaillent sur des pièces standardisées, répétitives, qu’ils connaissent bien le métier: c’est la naissance du compagnonnage, des corps de métiers (en 1250
à Paris, par E. Boileau, sur ordre de Saint Louis). Les blocs de pierre des piliers, des
voûtes, des arcs, sont standardisés par l’adoption de géométries adaptées et d’astuces
particulières: l’arc brisé et les nervures, par exemple. Pour diminuer le coût de transport
de la pierre, on fait tailler la pierre directement en carrière, et ceci comporte forcement
une standardisation poussée: les cathédrales gothiques sont préfabriquées!
28 Page 31
La hauteur et le poids ne permettent plus l’adoption de colonnes circulaires minces, souvent extraites d’anciens bâtiments romains. Il faut utiliser des piliers. L’office statique
des piliers est de porter à terre le poids de la construction, et pour assurer l’hauteur de
la cathédrale, on réalise des piliers de plus en plus hauts et donc de plus en plus grands.
Donc, à côté des colonnes circulaires, on voit apparaı̂tre des piliers à section composée,
avec des cannelures qui recueillent en haut les nervures de la voûte en croisée d’ogive: ce
sont les piliers fasciculés. Les cannelures se terminent en haut par des pièces travaillées
qui forment l’appui pour les nervures: c’est le tas de charge.
10
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
29 Page 32
Le trait le plus connu de l’art gothique, au point de le rendre le signe qui le caractérise le
plus, est l’arc brisé, souvent appelé ogival. Il faut par contre comprendre les raisons de ce
choix si caractéristique, raisons qui ne sont pas artistiques mais à la fois techniques, liées
à la standardisation de la construction, et mécaniques, liées à la statique du bâtiment.
D’abord, on a déjà dit de la nécessité, pour les architectes gothiques, d’abandonner la
voûte en berceau au profit d’une voûte ouverte sur les côtés, afin de permettre de réaliser
des grandes ouvertures pour faire entrer la lumière et pour diminuer la poussée latérale
de la voute. La seule solution, est une voûte d’arêtes, obtenue comme intersection de
deux demi cylindres. Or, la réalisation d’une voûte en croisée d’ogives est une tâche
compliquée, surtout si on veut standardiser la construction. Les architectes gothiques
transforment et résolvent de façon astucieuse ce problème. En fait, à proprement parler,
l’arc ogival est l’arc diagonal de la croisée; ogival vient du latin augere, qui signifie
augmenter, au sens que l’arc ogival que les architectes du gothique mettent en place
dans leur croisée d’ogive, permet d’augmenter la charge, ou si l’on veut les dimensions.
En fait, il est un fait bien connu de géométrie élémentaire que, si les deux cylindres
sont circulaires, cet arc est une ellipse. Cette solution n’est donc pas l’idéal pour les
architectes gothiques, toujours en quête de simplicité et de répétitivité. En fait, un
arc elliptique nécessite de claveaux tous différents, chacun taillé selon la position qu’il
occupera dans l’arc, et le cintre doit être fait pour un arc ogival donné et il ne peut être
réutilisé ailleurs. Croiser deux voûtes cylindriques ce n’était donc pas la solution. Pour
utiliser seulement un type de cintre, circulaire et ayant un rayon donné, pour tailler des
claveaux tous identiques, utilisables indépendamment de leur position finale, la trouvaille
des architectes gothiques est l’arc brisé! L’arc brisé est un arc composé par deux arcs de
cercle, et il est souvent confondu avec l’arc ogival, alors que celui-ci est seulement, comme
on a vu, l’arc diagonal d’une voûte d’arêtes. En fait, plutôt que croiser deux cylindres
circulaires, qui imposent des arcs diagonaux elliptiques, les architectes gothiques ont
inversé le problème: ils ont imposé des arcs diagonaux circulaires, ce qui donne deux
cylindres elliptiques. Or, l’ellipse est très bien approximée par un arc brisé.
30 Page 33
Voici donc comme on construit une voute d’arêtes approximant une voute croisée en
utilisant seulement des arcs de cerle de même rayon et en évitant des arcs elliptiques.
L’idée est alors celle de faire des arcs brisés ayant le même rayon de l’arc ogival, ce
qui permet d’utiliser le mêmes cintres et de tailler un seul type de claveaux, utilisables
partout: c’est la standardisation totale!
31 Page 34
On obtient ainsi la voûte typique de l’art gothique, la croisée d’ogives, avec deux arcs
plein centre en diagonal, des arcs brisés, doubleaux et formerets, sur les côtés. En plus,
11
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
l’arc brisé a un autre avantage très important, surtout dans les constructions hautes,
comme les cathédrales gothiques: la poussée horizontale de l’arc est plus petite par
rapport à un arc en plein cintre de même portée; ça c’est une différence fondamentale
dans la statique des constructions gothiques par rapport aux constructions précédentes.
32 Page 35
La longueur de la travée est la même dans la nef et dans les collatéraux. Généralement,
la voûte en croisée d’ogives est sur plan carré dans les collatéraux. Ceci amène à deux
solutions possibles pour la nef centrale: la voute sexapartite et le plan barlong. La voute
sexapartite est adoptée dans un premier temps (Paris, Bourges etc.): dans ce cas, le plan
carré se divise en six voutains et s’appuie sur 6 piliers. Toutefois, les piliers aux 4 coins
du carré sont plus sollicités, ce qui impose de les faire différents, plus épais; ceci rompt
l’harmonie de la nef. L’autre solution est le plan barlong: la croisée d’ogives de la nef
est sur plan rectangulaire, avec le côté long transversal à la nef. Dans les deux cas, le
rapport ente les dimensions de la nef et des collatéraux est de 2:1.
33 Page 36
Une croisée d’ogives est une structure autoportante, elle n’a pas besoin de nervures les
long des arcs diagonaux ou du périmètre pour être en équilibre. Toutefois, les architectes gothiques ont préféré adopter des voûtes nervurées, les arêtes, et cela pour deux
raisons, mais finalement, encore une fois pour minimiser le coût de fabrication. En fait,
les architectes construisent d’abord les 6 nervures de la croisée, en utilisant des cintres légers et standardisés, démontables et réutilisables. Ensuite, en s’appuyant sur les
nervures, il positionnent des cintres de petites dimensions, déplaçables, pour construire
les compartiments voûtés entre les nervures: de cette façon, on n’a pas besoin de grands
échafaudages et cintres pour faire la voûte. Les voutains sont alors portés par les arêtes.
Les nervures ont un autre avantage: elles cachent l’intersection entre les deux voûtes
qui se croisent; cette intersection est délicate: en fait, il est très difficile de tailler des
voussoirs parfaitement adaptés aux arêtes de la voûte, car chaque position nécessite d’un
voussoir différent. Toujours dans l’esprit d’éliminer les difficultés et les cas particuliers,
les architectes ont utilisé les nervures pour cacher l’intersection des voûtes. De cette
sorte, ils peuvent continuer à utiliser des voussoirs standardisés, tout en sachant que les
petits défauts près des arêtes seront cachés par les nervures et ils ne seront donc pas
visible de la nef, ce qui permettra d’éviter de placer un enduit sur le plafond.
34 Page 37
Les cathédrales gothiques sont le premier exemple de construction où la structure est
clairement lisible, exposée. Cela est absolument manifeste lorsqu’on pense aux arcsboutants, qui, avec les murs de coulée, réalisent parfois des véritables forêts structurales à
12
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
l’extérieur de la cathédrale, un peu comme des ancêtres du Beaubourg. Les architectes y
sont obligés: l’hauteur des cathédrales impose des solutions structurales et des sacrifices
esthétiques, quoique on ne saurait pas dire si les architectes et les populations de l’époque
appréciaient la nouvelle architecture style usine à gaz ou bien si elle n’était qu’une
condition nécessaire pour la stabilité de l’ouvrage, et donc une sorte de tribut à payer à
leur folie de grandeur. En tout cas, les arcs-boutants sont un trait caractéristiques, tout
comme l’arc brisé, de l’art gothique. Mais quelles sont les véritables fonctions des arcsboutants et comment travaillent-ils d’un point de vue statique? Ce qu’on entend dire le
plus souvent, c’est que les arcs-boutants servaient à compenser la poussée horizontale des
voûtes, pour la transmettre à terre à travers les murs de coulée, mais ceci est seulement
partiellement vrai. En fait, le moyen le plus simple, rapide, efficace et sûr d’annuler
la poussée horizontale d’un arc est d’utiliser des tirants en fer: les architectes auraient
épargné beaucoup de temps et de matériau si, à la place du système des arcs-boutants,
ils avaient utilisés des tirants en fer (cette technique était déjà répandue un peu partout).
On peut objecter que le fer était un matériau rare et de fabrication difficile, et donc cher;
cela est bien vrai, mais les cathédrales gothiques sont néanmoins remplies de fer, pour
les encercler, les protéger contre la formation de fissures et donc contre les écroulements.
En outre, la poussée horizontale des voûtes n’était pas très forte, pour deux raisons:
les voûtes et les arcs doubleaux sont brisés, donc surélevés par rapport à une voûte
en berceau ou un arc en plein cintre: la poussée est donc plus petite. Ensuite, et
surtout, la poussée n’est pas très grande parce que les voûtes et les nervures ne portent
rien d’autre que leur propre poids: la couverture est en charpente, et indépendante
de la voûte. La voûte, quant à elle, est très légère, car les architectes sont arrivés
à construire des voiles très minces (environ 10 cm) pour couvrir les compartiments
voûtés entre les nervures. Finalement, si ce n’était que pour contraster la poussée des
voûtes, les architectes auraient pu éviter les arcs-boutants, probablement avec un épargne
considérable en termes de temps et de coût de construction.
35 Page 38
En fait, les arcs-boutants sont indispensables pour une autre raison: pour faire face à
l’action du vent! Une cathédrale gothique présente en fait une énorme surface exposée au
vent, et par conséquent elle est soumise à des forces horizontales gigantesques, qui tendent
à la renverser. Cet effet est amplifié dans les cathédrales gothiques qui sont des bâtiments
légers, pleins d’ouvertures: les basiliques romanes, lourdes, massives, résistaient mieux à
l’action du vent. Il faut trouver une solution efficace pour contraster l’action horizontale
du vent et qui au même temps n’empêche pas à la lumière d’entrer: c’est l’arc-boutant
et le mur de coulée. Une forêt d’arcs-boutants, pinacles et murs de coulée entoure
les cathédrales, avec des géométries différentes et de plus en plus perfectionnées. A
Bourges, les arcs-boutants permettent d’épargner le 60% de matériau par rapport à
ceux de Chartres, pour les mêmes dimensions du vaisseau. A Paris, aux alentours de
1230, on met en place des arcs boutants d’une longueur de 15m sur une seule volée.
13
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
36 Page 39
Mais comment l’action horizontale du vent est absorbée par les contreforts? La solution
est: il faut transformer la force horizontale du vent en force verticale qui se décharge
à terre, en la guidant vers le bas: c’est exactement celle-ci là la fonction principale du
système formé par l’arc-boutant et son mur de coulée: c’est un type de contreventement!
Bien sûr, si l’on met en place un système comme celui-ci, plus besoin de placer des tirants
en fer pour compenser la poussée des voûtes! Le système est formé, si bien fait, par quatre
éléments:
• l’arc proprement dit;
• le caniveau et la gargouille;
• le mur de coulée;
• le pinacle.
Chacune de ces quatre parties a un rôle précis dans le fonctionnement statique de l’arcboutant. En fait, la poussé horizontale est décomposée selon le mur vertical et le caniveau
en pierre qui est porté par l’arc-boutant proprement dit. Ce caniveau est formé par des
blocs de pierre de taille bien posés, et d’un point de vue statique il est comme une barre:
il transmet une force de compression. Un arc-boutant tout seul, n’est pas capable de
transmettre une force de compression: il se brise sur l’action de celle-ci, tandis qu’avec
le caniveau, il forme un système efficace de transmission de la poussée. Le pinacle est
bien sûr un élément de décoration, mais en réalité il a la fonction statique de lester le
mur de coulée. Le rôle de l’arc est celui de porter le caniveau, qui ne pourrait pas tenir
en place sans un appui continu, point par point. C’est donc le caniveau qui transfère
la poussée horizontale du vent sur le mur de culée, en d’autre termes, qui contrebute
la paroi verticale de la cathédrale. Le mur de coulée, quant à lui, reçoit la poussée
transmise par le caniveau et la guide vers terre, jusqu’aux fondations, grâce à son poids.
37 Page 40
Un des problèmes posés par les cathédrales gothiques est l’évacuation efficace des eaux de
pluie. En fait, un vaisseau gothique offre une énorme surface exposée au ruissellement des
eaux pluviales, qu’il faut canaliser pour éviter des dégradations rapides des décorations
et de l’ensemble du bâtiment. Les parties hautes des cathédrales sont donc rendues
étanches le plus souvent avec des plaques de plomb, et remplies de caniveaux un peu
partout. Le système des arcs-boutants permet aussi de donner une brillante solution
au problème de l’évacuation des eaux de pluie. En fait, le caniveau est un canal qui
transforme chaque arc-boutant en un canal d’évacuation des eaux de pluie. Encore une
fois, les architectes gothiques optimisent, en adoptant des trouvailles qui sont la solution
de plusieurs problèmes à la fois! Pour éloigner des parois du vaisseau, et donc aussi des
vitraux, les eaux ainsi récoltées, la solution adoptée par les architectes gothiques est celle
14
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
des gargouilles. Ces statues grotesques et monstrueuses sont en fait la terminaison des
canaux de récolte des eaux pluviales et elles sont suffisamment longues pour évacuer les
eaux loin des parois du vaisseau.
38 Page 41
On a souvent cru que les cathédrales gothiques étaient construites par le peuple, guidé
par des maı̂tres d’œuvre. La réalité est différente: la standardisation et la complication
des tâches à accomplir imposait l’utilisation de main d’œuvre spécialisée, de professionnels. Ceux-ci, réunis en corps de métiers, étaient très convoités par les différentes
villes et ils monnayaient leurs services: la profession était très réglementée. A Paris, en
1250, Etienne Boileau, sur ordre de Saint Louis, donne les premiers statuts des corps
de métiers. Dans certaines circonstances, on a pu faire appel à de la main d’œuvre non
spécialisée, et au peuple aussi, mais ce sont des cas très rares et limités dans le temps.
Sur le chantier, pour abattre le temps de construction l’organisation s’imposait; on n’a
jamais eu besoin de la présence d’un grand nombre de travailleurs sur un chantier, ce
qui facilitait l’organisation du travail. La séquence des opérations sur le chantier était
programmée pour éliminer les temps morts et pour concilier l’utilisation contemporaine
du bâtiment en transformation: la plupart des cathédrales surgissent sur des anciennes
églises abattues et pendant la construction le culte doit continuer. Le travail est organisé aussi par rapport aux saisons, qui influencent l’approvisionnement en matériau et
les opérations en chantier.
39 Page 42
La construction des cathédrales pose des nouveaux problèmes et fait avancer l’état des
connaissances en mécanique, même si empiriquement. Les architectes et les maı̂tres
d’œuvre doivent résoudre les problèmes liés à l’équilibre des voûtes, des arcs-boutants,
des tours. Le transport et le levage des blocs de pierre font apparaı̂tre aussi des nouvelles
solutions: la grue à double bras et la grue à cage d’écureuil en sont des exemples. Le
levage des pierres, des charpentes et des cintres était fait à l’aide de machines qu’on
montait sur place, pour être démontées et déplacées ailleurs sur le chantier selon le
besoin. Parfois, des engins comme les grues à cage d’écureuil sont restées dans les
combles des cathédrales, comme à Beauvais et à Salisbury. Les architectes du gothique
ont beaucoup contribué à faire progresser la technique. Avec une cage d’écureuil de 3
m de diamètre et tambour de 30 cm, un homme seul peut arriver à soulever un poids
d’une tonne.
40 Page 43
Ainsi s’achève ce petit voyage dans le gothique. Beaucoup sont les choses qui encore
restent à évoquer; la merveille de cet art unique, l’aventure humaine qui l’a produit, les
15
Cycle de conférence Puls’Art - UVSQ
forces spirituelles et matérielles qui l’ont fait naı̂tre ne cesseront jamais de nous étonner
et interroger. Cet art qui a traversé les siècles continue de ravir notre esprit et de le remplir de stupefaction et d’amiration, continue de nous faire rêver. Qu’est-ce qu’il reste?
Qu’est-ce qu’il nous reste? Une merveille de lumière.
Merci beaucoup.
Paris, le 22 mars 2010
16

Documents pareils