10/2009 - institut des droits de l`homme des avocats européens

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10/2009 - institut des droits de l`homme des avocats européens
Institut des Droits de l’Homme des Avocats
Européens
Eu r o p e a n B a r H u m a n R i g h t s In s t i t u t e
EXPRESS – INFO
n °10 / 2 0 0 9
OCTOBRE 2009
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PROCES EQUITABLE
Article 6
MICALLEF c. MALTE [GC] ……………………..1
DAYANAN c. TURQUIE …………………………4
ARRET-PILOTE
UKRAINE : 6 § 1, P 1- 1 et 13………………..…..4
VIE PRIVEE- VIE FAMILIALE
Article 8
C. C. c. ESPAGNE ……………...………….………6
TSOURLAKIS c. GRECE ......................................7
LIBERTE DE RELIGION
Article 9
KIMLYA c. RUSSIE.................................................8
BAYATYAN c. ARMENIE ………………….…….9
LIBERTE - SÛRETE
DE SCHEPPER C. Belgique………………..…….10
NAUDO et MALOUM C. FRANCE ………....….11
LIBERTE D'EXPRESSION
Article 10
BRUNET-LECOMTE & TANANT C. France….12
KULIS ET ROZYCKI c. POLOGNE…………....13
LOMBARDI VALLAURI c. ITALIE………...….14
LIBERTE D'ASSOCIATION
Article 11
TEBIETI MUHAFIZE CEMIYYETI ET
ISRAFILOV c. AZERBAIDJAN……………..…..16
TRAITEMENTS INHUMAINS
Article 3
ORCHOWSKI c. POLOGNE
NORBERT SIKORSKI c. POLOGNE…………..17
France - REVIREMENT DE JURISPRUDENCE
DU CONSEIL D'ETAT…………………………....18
ALERTE URGENTE AVOCATS….….….........…19
L’INDEPENDANCE ET L’IMPARTIALITE
DU TRIBUNAL OU DU JUGE
CONSTITUENT DES GARANTIES
INALIENABLES QU’IL EST
INDISPENSABLE
DE RESPECTER MEME DANS LES
PROCEDURES D’INJONCTION
MICALLEF c. MALTE
15/10/2009
Grande Chambre
Violation de l’article 6 § 1
En 1985, sa sœur, Mme M., aujourd’hui décédée,
fut attaquée devant la justice civile par son voisin
pour un litige de voisinage. Le président du
tribunal devant lequel l’affaire fut portée prononça
une injonction provisoire en faveur du voisin et en
l’absence de Mme M., qui n’avait pas été informée
de la date de l’audience. En 1992, dans son
jugement sur le fond, le tribunal donna tort à
Mme M..
Entre-temps, Mme M. avait engagé une procédure
devant le tribunal civil dans sa compétence
ordinaire, alléguant que l’injonction provisoire
avait été rendue en son absence et sans qu’elle ait
eu la possibilité de témoigner. En octobre 1990, le
tribunal civil considéra que l’injonction provisoire
avait été rendue en méconnaissance du principe
du contradictoire et la déclara nulle et non avenue.
En février 1993, accueillant le recours formé par
le voisin, la Cour d’appel, présidée par le Chief
Justice qui siégeait avec deux autres juges, annula
le jugement du tribunal civil en faveur de Mme M..
Celle-ci déposa alors un recours constitutionnel
devant le tribunal civil siégeant en matière
2
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
constitutionnelle, alléguant que le Chief Justice
manquait d’impartialité en raison de ses liens de
parenté avec les avocats de la partie adverse,
puisqu’il était le frère et l’oncle des avocats qui
avaient successivement assisté le voisin.
Le recours constitutionnel, repris par le requérant
en cours de procédure après la mort de sa sœur,
fut rejeté en janvier 2004. En octobre 2005, un
autre recours devant la Cour constitutionnelle fut
également rejeté.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, M.
Micallef se plaignait du manque d’impartialité de
la Cour d’appel en raison des liens de parenté
existant entre son président et l’avocat de la partie
adverse et dénonçait l’atteinte subséquente portée
au principe de l’égalité des armes.
La requête a été introduite devant la Cour
européenne des droits de l’homme le 15 avril
2006. Par un arrêt du 15 janvier 2008, la Cour a
conclu, par quatre voix contre trois, à la violation
de l’article 6 § 1 en raison du manque
d’impartialité objective de la Cour d’appel et a dit
qu’il n’y avait pas lieu d’examiner séparément le
grief tiré de l’atteinte au principe de l’égalité des
armes. Elle a également dit que le constat d’une
violation constituait en soi une satisfaction
équitable suffisante pour le préjudice moral subi
par M. Micallef et lui a alloué 2 000 EUR pour
frais et dépens. Le 7 juillet 2008, l’affaire a été
renvoyée devant la Grande Chambre à la demande
du Gouvernement.
Décision de la Cour
Sur la recevabilité
Le Gouvernement et le tiers intervenant
soutiennent que M. Micallef n’a pas la qualité de
victime lui permettant d’introduire un recours
devant la Cour. Selon eux, il aurait eu
éventuellement le droit de poursuivre devant la
Cour un recours introduit par sa sœur mais pas
d’en introduire un de son propre chef alors que sa
sœur était décédée avant la fin de la procédure
interne. La Cour considère que le requérant a bien
la qualité de victime, d’une part car il a dû payer
les frais de la procédure engagée par sa sœur et a
donc un intérêt patrimonial dans la cause, et
d’autre part car l’affaire soulève des problèmes
touchant à la bonne administration de la justice et
constitue donc une question importante d’intérêt
général.
Le Gouvernement estime par ailleurs que le
requérant n’a pas épuisé toutes les voies de
recours internes comme l’exige l’article 35 § 1 de
la Convention. A cet égard, la Cour relève qu’à
l’époque des faits, le droit maltais ne permettait
pas la récusation d’un juge ayant un lien de
parenté oncle-neveu avec un avocat représentant
la partie adverse dans un procès. Par conséquent,
10 2009
/
les possibilités de récusations qui s’ouvraient au
requérant ne pouvaient pas être considérées
comme effectives et rien ne lui imposait de les
parcourir avant de saisir la Cour. En outre, la Cour
considère qu’en se plaignant d’une violation de
son droit à un procès équitable devant les
juridictions constitutionnelles internes, qui ont
rejeté l’exception de non-épuisement des voies de
recours ordinaires formulée par le Gouvernement
et ont examiné le grief au fond, le requérant a usé
normalement des recours qui s’offraient à lui et
qui avaient en substance trait aux faits dénoncés
devant la Cour.
Enfin, le Gouvernement maltais et le tiers
intervenant estiment que les garanties prévues par
l’article 6 § 1 ne s’appliquent pas aux procédures
concernant, comme en l’espèce, des mesures
provisoires ou conservatoires. La requête serait
donc irrecevable également pour ce motif.
La Cour rappelle que les procédures préliminaires,
comme celles conduisant à l’adoption d’une
mesure provisoire telle qu’une injonction, ne
relèvent pas normalement de la protection de
l’article 6. Or, la Cour observe qu’il existe
aujourd’hui un large consensus au sein des Etats
membres du Conseil de l’Europe quant à
l’applicabilité de l’article 6 aux mesures
provisoires, y compris les injonctions. Il en est
d’ailleurs ainsi dans la jurisprudence de la Cour de
justice des Communautés européennes. La Cour
relève qu’en effet, les décisions prises par des
juges dans des procédures d’injonction tiennent
lieu bien souvent de décisions sur le fond pendant
un délai assez long, voire définitivement dans des
situations exceptionnelles. Il s’ensuit que dans
bien des cas, la procédure provisoire et la
procédure au principal portent sur les mêmes
« droits ou obligations de caractère civil », au sens
de l’article 6, et produisent les mêmes effets. Dans
ces conditions la Cour juge qu’il ne se justifie plus
de considérer automatiquement que les procédures
d’injonction ne sont pas déterminantes pour des
droits ou obligations de caractère civil. Par
ailleurs, elle n’est pas convaincue que les
déficiences d’une procédure provisoire puissent
être corrigées dans le cadre de la procédure au
principal étant donné que tout préjudice subi dans
l’intervalle pourrait être devenu irréversible.
La Cour considère donc qu’il y a lieu de modifier
sa jurisprudence et considère que, dès lors que le
droit en jeu, tant dans la procédure au principal
que dans la procédure d’injonction, revêt un
« caractère civil » au sens de l’article 6, et que la
mesure provisoire est déterminante pour le droit à
« caractère civil » en question, l’article 6 trouvera
à s’appliquer. Elle admet toutefois que dans
certains cas exceptionnels il pourrait se révéler
impossible de respecter toutes les exigences de
3
10 2009
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
l’article 6, celles ayant trait à l’indépendance et à
l’impartialité du tribunal ou du juge étant bien
entendu inaliénables.
En l’espèce, la procédure au principal portait en
substance sur l’usage par des voisins de droits de
propriété conformément à la loi maltaise et donc
sur un droit « à caractère civil » tant d’après le
droit interne que selon la jurisprudence de la
Cour. L’injonction visait à trancher le même droit
que celui en jeu dans la procédure au principal et
était exécutoire immédiatement. L’article 6 est
donc applicable.
Sur le fond
La Cour rappelle qu’elle apprécie l’impartialité
d’un tribunal ou d’un juge selon une démarche
subjective, qui tient compte du comportement du
juge, et une démarche objective qui,
indépendamment de la conduite du juge, vise à
établir s’il existe des faits vérifiables, notamment
des liens hiérarchiques ou autres entre le juge et
d’autres acteurs de la procédure, autorisant à
douter de son impartialité. La Cour souligne qu’en
la matière même les apparences peuvent revêtir de
l’importance.
La Cour constate qu’à l’époque de faits, le droit
maltais ne prévoyait ni le désistement automatique
des juges dans les affaires où leur impartialité
pouvait être mise en cause, ni la possibilité pour
une partie à un procès de récuser un juge sur la
base d’un lien de fraternité - et à fortiori d’un lien
oncle-neveu - entre le juge et l’avocat de la partie
adverse. Depuis, le droit maltais a été amendé et
inclut désormais les liens de fraternité parmi les
motifs de récusation. Dans le cadre du litige en
question, la Cour estime que l’étroitesse du lien de
parenté qui unissait l’avocat de la partie adverse et
le Chief Justice suffit à justifier de manière
objective les doutes sur l’impartialité du collège
de juges. Elle conclut par conséquent, par 11 voix
contre six, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1
de la Convention.
Micallef c. Malte
no 17056/06 15/10/2009
Applicabilité Article 6 applicable Exceptions
préliminaires rejetées (victime, non-épuisement des
voies de recours internes, ratione materiae) ; Violation
de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - constat de violation
suffisant Opinions Séparées : Les juges Costa,
Jungwiert, Kovler et Fura ont exprimé une opinion
dissidente commune. Les juges Björgvinsson et
Malinverni ont exprimé une opinion partiellement
dissidente et les juges Rozakis, Tulkens et Kalaydjieva
ont exprimé une opinion concordante commune.
Droit en Cause Articles 733, 734 § 1 e) et 734 § 1 f) du
code d’organisation judiciaire et de procédure civile
Jurisprudence : Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998,
Recueil 1998-V ; Altun c. Allemagne, Décisions et
rapports 36, § 32 ; APIS a.s. c. Slovaquie (déc.), no
39794/98, 13 janvier 2002 ; Bazorkina c. Russie, no
/
69481/01, § 139, 27 juillet 2006 ; Biç et autres c.
Turquie, no 55955/00, § 23, 2 février 2006 ; Boca c.
Belgique, no 50615/99, CEDH 2002-IX ; Burden c.
Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 33, 29 avril 2008 ;
Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45,
Recueil 1998-VIII ; Chmelír c. République tchèque, no
64935/01, § 74, CEDH 2005-IV ; Coyne c. RoyaumeUni, 24 septembre 1997, § 64, Recueil 1997-V ; De
Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 25 et § 26,
série A no 86 ; Fairfield c. Royaume-Uni (déc.), no
24790/04, CEDH 2005-VI ; Ferrantelli et Santangelo c.
Italie, 7 août 1996, § 58, Recueil 1996-III ; Ferrazzini
c. Italie [GC], no 44759/98, §§ 24-31, CEDH 2001-VII
; Fey c. Autriche, 24 février 1993, §§ 27, 28 et 30, série
A no 255-A ; Folgerø et autres c. Norvège [GC], no
15472/02, § 100, CEDH 2007 ; Gülmez c. Turquie, no
16330/02, § 28, 20 mai 2008 ; J.S. et A.S. c. Pologne,
no 40732/98, § 46, 24 mai 2005 ; Jaffredou c. France
(déc.), no 39843/98, 15 décembre 1998 ; Karner c.
Autriche, no 40016/98, §§ 25-28, CEDH 2003-IX ;
König c. Allemagne, 28 juin 1978, §§ 89-90, série A
no 27 ; Kozacioglu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 40,
19 février 2009 ; Kress c. France [GC], no 39594/98, §
90, CEDH 2001-VI ; Kyprianou c. Chypre [GC], no
73797/01, § 119 et § 121, CEDH 2005-XIII Libert c.
Belgique (déc.), no 44734/98, 8 juillet 2004 ; Malhous
c. République tchèque (déc.), no 33071/96, CEDH
2000-XII ; Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC],
nos 46827/99 et 46951/99, § 121, CEDH 2005-I ;
Marie-Louise Loyen et Bruneel c. France, no
55929/00, § 29, 5 juillet 2005 ; Markass Car Hire Ltd
c. Chypre (déc.), no 51591/99, 23 octobre 2001 ;
Mennitto c. Italie [GC], no 33804/96, § 23, CEDH
2000-X ; Mežnaric c. Croatie, no 71615/01, § 27 et §
36, 15 juillet 2005 ; Miller et autres c. Royaume-Uni,
nos 45825/99, 45826/99 et 45827/99, 26 octobre 2004 ;
Okyay et autres c. Turquie, no 36220/97, § 68, CEDH
2005-VII ; Pescador Valero c. Espagne, no 62435/00,
§§ 24-29, CEDH 2003-VII ; Piersack c. Belgique, 1
octobre 1982, § 30 d), série A no 53 ; Pullar c.
Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32 et § 38, Recueil
1996-III ; Raffineries grecques Stran et Stratis
Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 39, série A no
301-B ; Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 41,
Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII ; Ressegatti c.
Suisse, no 17671/02, § 25, 13 juillet 2006 ; Roche c.
Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 119, CEDH 2005X ; Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 51, 27
novembre 2008 ; Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no
48335/99, CEDH 2000-XI ; Selmouni c. France [GC],
no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V ; Verlagsgruppe
News GmbH c. Autriche (déc.), no 62763/00, 16
janvier 2003 ; Vilho Eskelinen et autres c. Finlande
([GC], no 63235/00, § 56 et § 61, CEDH 2007 ;
Wettstein c. Suisse, no 33958/96, §§ 42, 43, 44 et 47,
CEDH 2000-XII ; Wiot c. France (déc.), no 43722/98,
15 mars 2001 ; Zander c. Suède, 25 novembre 1993, §
27, série A no 279-B ; Zarb Adami c. Malte (déc.), no
17209/02, 24 mai 2005 . (L’arrêt existe en français
et en anglais.)
4
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
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L’équité d’une procédure requiert que l’accusé,
dès qu’il est privé de liberté, puisse obtenir toute
la gamme d’interventions propres au conseil : la
discussion, l’organisation de la défense, la
recherche des preuves, la préparation des
interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse
et le contrôle des conditions de détention.
Violation de l’article 6 § 3 c) combiné avec
l’article 6 § 1
DAYANAN c. TURQUIE
13/10/2009
Violation de l’article 6 § 1
Placé en garde à vue, dans le cadre d’une
opération contre le Hezbollah, une organisation
illégale armée, Seyfettin Dayanan fut informé de
son droit de garder le silence et de bénéficier d’un
avocat au terme de sa garde à vue. Les policiers
lui posèrent des questions ; M. Dayanan garda le
silence.
En 2001, il fut inculpé pour appartenance au
Hezbollah. Le 4 décembre 2001, à l’issue d’une
série d’audiences durant lesquelles M. Dayanan et
son avocat contestèrent les accusations à son
encontre, la cour de sûreté de l’État le condamna à
douze ans et six mois d’emprisonnement.
M. Dayanan se pourvut en cassation. Le procureur
général près la Cour de cassation présenta ses
observations écrites sur le fond de ce recours, avis
qui ne fut communiqué ni au requérant ni à son
avocat. La Cour de cassation confirma l’arrêt
attaqué, en l’absence de M. Dayanan et de son
avocat.
Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 c), le requérant se
plaignait de n’avoir pas bénéficié de l’assistance
d’un avocat lors de sa garde à vue et de l’absence
de communication de l’avis du procureur général
près la Cour de cassation.
Décision de la Cour
L’équité d’une procédure requiert que l’accusé,
dès qu’il est privé de liberté, puisse obtenir toute
la gamme d’interventions propres au conseil : la
discussion, l’organisation de la défense, la
recherche des preuves, la préparation des
interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse
et le contrôle des conditions de détention. Or M.
Dayanan, en vertu de la loi en vigueur à l’époque,
n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors
de sa garde à vue. Une telle restriction
systématique sur la base des dispositions légales
pertinentes suffit à conclure à une violation de
l’article 6 même si M. Dayanan est resté
silencieux pendant sa garde à vue. La Cour
10 2009
/
conclut donc à l’unanimité à la violation de
l’article 6 § 3 c) combiné avec l’article 6 § 1.
Par ailleurs, une procédure contradictoire
implique le droit pour les parties de se voir
communiquer et de discuter toute pièce ou
observation présentée au juge. Compte tenu de la
nature des observations du procureur et de
l’impossibilité pour un justiciable d’y répondre
par écrit, la Cour considère qu’en l’espèce, la noncommunication à M. Dayanan de l’avis du
procureur général près la Cour de cassation a
enfreint son droit à une procédure contradictoire
et elle conclut en conséquence à l’unanimité à la
violation de l’article 6 § 1.
Dayanan c. Turquie
no 7377/03
13/10/2009
Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 6-3-c+6-1
; Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation ;
Dommage matériel - demande rejetée Droit en Cause
Article 31 de la loi no 3842 Jurisprudence :
Demebukov c. Bulgarie, no 68020/01, § 50, 28 février
2008 ; Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, 11 juillet
2002 ; Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30,
CEDH 1999-II ; Poitrimol c. France, 23 novembre
1993, § 34, série A no 277-A ; Salduz c. Turquie [GC],
no 36391/02, 27 novembre 2008 ; Seher Karatas c.
Turquie (déc.), no 33179/96, 9 juillet 2002 ; Worm c.
Autriche, 29 août 1997, § 33, Recueil 1997-V
ARRET PILOTE
PREMIER ARRÊT PILOTE CONCERNANT
LA NON-EXÉCUTION DE DÉCISIONS DE
JUSTICE INTERNES DÉFINITIVES
EN UKRAINE
La procédure d’arrêt pilote mise en place.
depuis 2004 n’a pas seulement pour but de
faciliter la mise en œuvre par les Etats
défendeurs des mesures individuelles et
générales nécessaires à l’exécution des arrêts de
la Cour, elle vise aussi à inciter ces Etats à régler
au niveau national les nombreuses affaires
individuelles tenant à un même problème
structurel, renforçant ainsi le principe de
subsidiarité qui est à la base du système de la
Convention.
YURIY NIKOLAYEVICH IVANOV c.
UKRAINE
15.10.2009
Violation des articles 6 § 1,
1 du Protocole no 1 et 13
Sur le terrain de l’article 46, la Cour note que
l’affaire concerne deux problèmes récurrents : la
non-exécution prolongée de décisions internes
définitives et l’absence de recours interne effectif
permettant d’y remédier. Ces problèmes sont la
5
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
source des violations de la Convention les plus
fréquentes, régulièrement constatées par la Cour
depuis 2004 dans plus de 300 affaires concernant
l’Ukraine. La présente affaire démontre qu’il n’a pas
été apporté de solution à ces problèmes malgré la
jurisprudence claire de la Cour, qui a appelé
l’Ukraine à prendre les mesures appropriées pour les
résoudre. Compte tenu du fait qu’environ
1400 requêtes dirigées contre l’Ukraine pour les
mêmes problèmes sont actuellement pendantes
devant elle, la Cour conclut qu’il existe dans le pays
une pratique incompatible avec la Convention. Elle
adopte, à l’unanimité, les conclusions suivantes :
- l’Ukraine doit introduire dans son ordre juridique,
dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle
l’arrêt sera devenu définitif, un recours effectif
garantissant une réparation adéquate et suffisante en
cas de non-exécution ou d’exécution tardive des
décisions de justice internes ;
- l’Ukraine doit, dans un délai d’un an à compter de
la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif,
apporter une telle réparation, y compris lorsque c’est
possible au moyen de règlements amiables, à tous les
requérants qui ont porté devant la Cour une affaire
semblable avant le prononcé de l’arrêt et dont la
requête a été communiquée aux autorités
ukrainiennes ;
- en cas de manquement des autorités ukrainiennes à
apporter une telle réparation conformément à l’arrêt,
la Cour reprendra son examen de toutes les requêtes
analogues pendantes devant elle afin de se prononcer
sur celles-ci par un arrêt ;
-dans l’attente de l’adoption des mesures
susmentionnées, la Cour suspendra, pour une durée
d’un an à compter de la date à laquelle l’arrêt sera
devenu définitif, les procédures relatives à toute
nouvelle affaire ukrainienne concernant uniquement
la non-exécution ou l’exécution tardive de décisions
de justices internes.
Sur le terrain de l’article 41 (satisfaction équitable),
la Cour alloue au requérant un montant égal à la
somme qui lui reste due en vertu des décisions de
justice internes du 22 août 2001 et du 29 juillet 2003,
augmenté de 174 euros (EUR) au titre de l’inflation.
Elle lui octroie de plus 2 500 EUR pour dommage
moral et 1 740 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt
n’existe qu’en anglais.)
Principaux faits
Le requérant, Yuriy Ivanov, est un ressortissant russe
né en 1957 et résidant à Moscou (Russie).
En octobre 2000, il prit sa retraite de l’armée
ukrainienne. Il ne reçut pas les sommes auxquelles il
avait droit, à savoir une pension de retraite forfaitaire
et une indemnité pour son uniforme. En
conséquence, il introduisit, en juillet 2001, une
action en justice aux fins du paiement des sommes
qui lui étaient dues. En août 2001, il obtint gain de
cause et l’armée fut condamnée à lui verser une
10 2009
/
somme s’élevant au total à 819 EUR environ, frais
de justice inclus. A une date non précisée, le montant
qui lui était dû au titre des arriérés de la pension de
retraite lui fut versé, mais non le reste de sa créance.
En avril 2004, les huissiers lui écrivirent pour
l’informer que l’armée n’avait pas d’argent pour lui
payer ce qu’elle lui devait et que la vente forcée des
biens militaires était interdite par la loi. La décision
de justice d’août 2001 reste, aujourd’hui encore, en
partie inexécutée.
En 2002, M. Ivanov intenta une action contre les
huissiers, soutenant qu’ils avaient manqué à faire
exécuter la décision d’août 2001. Il obtint gain de
cause, et les huissiers se virent ordonner de trouver
et de geler les comptes de l’armée afin d’y saisir
l’argent qui s’y trouvait. Ils ne s’exécutèrent pas. M.
Ivanov intenta une nouvelle procédure dans laquelle
il demanda l’indemnisation du préjudice matériel et
moral qu’il estimait avoir subi. Les juges firent
partiellement droit à sa demande en juillet 2003,
dans une décision qui reste, elle aussi, inexécutée.
Invoquant l’article 6 § 1 et l’article 13 de la
Convention et l’article 1 du Protocole no 1, le
requérant dénonçait la non-exécution des décisions
de justice d’août 2001 et de juillet 2003 et l’absence
de recours internes effectifs à cet égard.
Décision de la Cour
Sur la non-exécution et le droit de propriété
La Cour observe qu’à ce jour, la décision de justice
d’août 2001 n’a pas été totalement exécutée, ce qui
porte le retard d’exécution à sept ans et dix mois
environ. La décision de justice de juillet 2003,
rendue depuis environ cinq ans et onze mois, n’a pas
non plus été exécutée.
La Cour note que les retards d’exécution ont été
causés par une combinaison de facteurs (manque de
moyens, inaction des huissiers et défauts de la
législation nationale) qui ont empêché M. Ivanov
d’obtenir l’exécution des décisions de justice
rendues dans son affaire. Elle considère que
l’ensemble de ces facteurs dépendaient des autorités
ukrainiennes, et juge donc l’Ukraine totalement
responsable de la non-exécution.
La Cour observe qu’elle a fréquemment constaté des
violations de l’article 6 § 1 et de l’article 1 du
Protocole no 1 dans des affaires soulevant des
questions semblables à celle de la présente affaire ;
elle note qu’en l’espèce, le gouvernement ukrainien
n’a présenté aucun argument susceptible de la
persuader de parvenir à une conclusion différente.
Elle conclut donc, à l’unanimité, à la violation de
l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du
Protocole no 1, en raison de la non-exécution
prolongée des décisions de justice d’août 2001 et de
juillet 2003.
Sur l’absence de recours effectif contre la nonexécution
6
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
La Cour constate qu’il n’existait pas au niveau
national de recours satisfaisant aux exigences de
l’article 13 de la Convention à l’égard des griefs de
M. Ivanov quant à la non-exécution des décisions de
justice rendues en sa faveur. Elle conclut, à
l’unanimité, à la violation de l’article 13.
Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine requête n°
40450/04 Partiellement irrecevable ; Violation de l'art.
6-1 ; Violation de P1-1 ; Violation de l'art. 13 ; Etat
défendeur tenu de prendre des mesures individuelles ;
Etat défendeur tenu de prendre des mesures générales ;
Préjudice moral – réparation. Jurisprudence : Bottazzi
c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, CEDH 1999-V ;
Broniowski c. Pologne [GC], 31443/96, §§ 189-194 et
198, CEDH 2004-V ; Bourdov c. Russie, n° 59498/00,
§§ 68, 98-100, 127, 129-130 et 134-135, CEDH 2002III ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n°
28957/95, § 120, CEDH 2002 VI ; Doubenko c.
Ukraine, n° 74221/01, 11 janvier 2005 ; E.G. c.
Pologne (déc.), n° 50425/99, § 27, 23 septembre 2008 ;
Garkoucha c. Ukraine, n° 4629/03, §§ 18-20, 13
décembre 2005 ; Glova et Breguine c. Ukraine, nos
4292/04 et 4347/04, § 14, 28 février 2006 ; Hornsby c.
Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil 1997-II ; HuttenCzapska c. Pologne [GC] n° 35014/97, §§ 231-239,
CEDH 2006-VIII ; Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n°
22774/93, § 66, CEDH 1999-V ; Kozatchek c. Ukraine,
n° 29508/04, § 31, 7 décembre 2006 ; Krichtchouk c.
Ukraine, n° 1811/06, 19 février 2009 ; Kudla c.
Pologne [GC], n° 30210/96, § 152 et §§ 157-157,
CEDH 2000-XI ; Lizanets c. Ukraine, n° 6725/03, §
43, 31 mai 2007 ; Lukenda c. Slovénie, n° 23032/02, §
94, CEDH 2005-X ; Maksimikha c. Ukraine, n°
43483/02, § 29, 14 décembre 2006 ; Metaxas c. Grèce,
n° 8415/02, § 19, 27 mai 2004 ; Mikhaïlova et autres c.
Ukraine, n° 16475/02, §§ 27 et 36, 15 juin 2006 ;
Moïsseïev c. Russie (déc.), n° 62936/00, 9 décembre
2004 ; Peretiatko c. Ukraine, n° 37758/05, § 16, 27
novembre 2008 ; Pivnenko c. Ukraine, n° 36369/04, §§
18-20, 12 octobre 2006 ; Raïssa Tarassenko c. Ukraine,
n° 43485/02, § 13, 14 et 23, 7 décembre 2006 ; Raïlian
c. Russie, n° 22000/03, § 31, 15 février 2007 ;
Romachov c. Ukraine, n° 67534/01, §§ 31-32 et 47, 27
juillet 2004 ; S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos
30562/04 et 30566/04, § 134, CEDH 2008 ; Scozzari et
Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249,
CEDH 2000 VIII ; Chmalko c. Ukraine, n° 60750/00, §
44, 20 juillet 2004 ; Sinko c. Ukraine, n° 4504/04, § 17,
1 juin 2006 ; Sokur c. Ukraine, n° 29439/02, 26 avril
2005 ; Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni (13 juillet
1995, § 77, série A n° 316-B ; Vassiliev c. Ukraine, n°
10232/02, § 29 et §§ 31-33 et 41, 13 juillet 2006 ;
Voïtenko c. Ukraine, n° 18966/02, §§ 30-31, 48 et 5154, 29 juin 2004 ; Wasserman c. Russie (n° 2), n°
21071/05, § 45, 10 avril 2008 ; Xenides-Arestis c.
Turquie, n° 46347/99, § 50, 22 décembre 2005 ; Jmak
c. Ukraine, n° 36852/03, § 21, 29 juin 2006 ; Zoubko et
autres c. Ukraine, nos 3955/04, 5622/04, 8538/04 et
11418/04, § 70, CEDH 2006-VI
10 2009
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L’article 8 de la Convention
Le respect du caractère confidentiel des
informations sur la santé constitue un principe
essentiel du système juridique de toutes les
Parties contractantes à la Convention.
C. C. c. ESPAGNE
06/10/2009
Violation de l’article 8
Le requérant allègue que le droit au respect de sa
vie privée a été violé du fait de la divulgation de
son identité, qui figure en toutes lettres dans les
décisions judiciaires rendues en l'espèce et qui
apparaît, notamment dans le jugement rendu en
première instance, en rapport avec son état de
santé. Il invoque l'article 8 de la Convention
Devant la Cour, le requérant se plaint du fait que
les juges nationaux ont divulgué son identité en
toutes lettres dans la décision judiciaire qu'il a
rendue et que, ce faisant, sa séropositivité a
également été rendue publique et ce alors même
qu'il avait demandé expressément à ce que son
identité demeure confidentielle.
La Cour doit donc déterminer si l'ingérence dont
se plaint le requérant, à savoir la divulgation de
son identité dans la mesure où elle a été mise en
rapport avec son état de santé, était « nécessaire
dans une société démocratique » pour atteindre
ces objectifs, c'est-à-dire si les motifs invoqués
par les juridictions internes pour la justifier étaient
pertinents et suffisants, et si elle était
proportionnée aux buts légitimes poursuivis.
A cet égard, la Cour doit tenir compte du rôle
fondamental que joue la protection des données à
caractère personnel - les informations relatives à
la santé n'en étant pas les moindres - pour
l'exercice du droit au respect de la vie privée et
familiale. Le respect du caractère confidentiel des
informations sur la santé constitue un principe
essentiel du système juridique de toutes les Parties
contractantes à la Convention. Il est capital non
seulement pour protéger la vie privée des malades
mais également pour préserver leur confiance
dans le corps médical et les services de santé en
général. Faute d'une telle protection, les personnes
nécessitant des soins médicaux pourraient être
dissuadées de fournir les informations à caractère
personnel et intime nécessaires à la prescription
du traitement approprié et même de consulter un
médecin, ce qui pourrait mettre en danger leur
santé voire, dans le cas des maladies
transmissibles, celle de la collectivité
7
10 2009
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
La législation interne doit donc ménager des
garanties appropriées pour empêcher toute
communication ou divulgation de données à
caractère personnel relatives à la santé qui ne
serait pas conforme aux garanties prévues à
l'article 8 de la Convention.
Ces considérations valent particulièrement
lorsqu'il s'agit de protéger la confidentialité des
informations relatives à la séropositivité.
En ce qui concerne les questions relatives à
l'accessibilité au public de données à caractère
personnel, la Cour reconnaît qu'il convient
d'accorder aux autorités nationales compétentes
une certaine latitude pour établir un juste équilibre
entre la protection de la publicité des procédures
judiciaires, nécessaire pour préserver la confiance
dans les cours et tribunaux d'une part, et celle des
intérêts d'une partie ou d'une tierce personne à
voir de telles données rester confidentielles,
d'autre part. L'ampleur de la marge d'appréciation
en la matière est fonction de facteurs tels que la
nature et l'importance des intérêts en jeu et la
gravité de l'ingérence.
Eu égard aux circonstances particulières de la
présente affaire, compte tenu notamment du
principe de protection spéciale de la
confidentialité des informations relatives à la
séropositivité, la Cour estime que la publication
de l'identité du requérant en toutes lettres en
rapport avec son état de santé dans le jugement
rendu par le juge de première instance no 4 de
Salamanque ne se justifiait pas par un quelconque
motif impérieux.
Dès lors, la publication de l'identité du requérant
dans le jugement en question a porté atteinte à son
droit au respect de sa vie privée et familiale
garanti par l'article 8 de la Convention.
C. C. c. Espagne no 1425/06 06/10/2009 Violation de
l'art. 8 ; Satisfaction équitable : 5 000 euros (EUR)
(dommage moral) et 3 398 EUR (frais et dépens) Droit
en Cause article 232 § 2 de la loi organique 6/1985 du
1er juillet 1985 portant sur le pouvoir judiciaire (LOPJ)
Jurisprudence : Leander c. Suède, 26 mars 1987, §
58, série A no 116 ; Petra c. Roumanie, arrêt du 23
septembre 1998, § 36, Recueil 1998-VII ; Pretto et
autres c. Italie, 8 décembre 1983, § 21, série A no 71 ;
Z c. Finlande, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I
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IMPOSSIBILITE POUR UN PERE
D’ACCEDER
AUX CONCLUSIONS D’UNE ENQUETE
SOCIALE CONCERNANT SON FILS
Les informations contenues dans le rapport
litigieux étaient pertinentes pour la relation du
requérant avec son fils, dont l’affection
paternelle a été reconnue par les tribunaux
TSOURLAKIS c. GRECE
15.10.2009
Violation de l’article 8
Le requérant, M. Konstantinos Tsourlakis, réside à
Athènes. En 1989, il se maria et eut un fils. En
août 2000, les époux Tsourlakis se séparèrent.
Par un jugement du 21 novembre 2001, la garde de
l’enfant fut exclusivement confiée à la mère, et
l’usage du domicile conjugal accordé au requérant.
Les époux Tsourlakis firent appel. Par une décision
avant-dire droit du 31 mars 2004 une enquête sociale
fut ordonnée et confiée à la Société pour la
protection de l’enfance d’Athènes (« la Société »).
En novembre 2004, le rapport de la Société fut
déposé au cours de l’audience devant la cour
d’appel. Par un arrêt du 19 mai 2005, la cour d’appel
confia, de manière définitive, la garde de l’enfant à
la mère.
M. Tsourlakis tenta d’obtenir une copie du rapport
de la Société, qui l’informa que ce document était
confidentiel et établi à la seule attention de la cour
d’appel. Après avoir saisi le médiateur de la
République, qui l’informa qu’il n’était pas possible
d’obtenir une copie du rapport car il n’avait pas
formulé sa demande par l’intermédiaire du procureur
compétent, M. Tsourlakis s’adressa au procureur
près le tribunal correctionnel. Ce dernier rejeta sa
demande en indiquant, par deux phrases manuscrites
sur le texte même de la demande, qu’elle concernait
les données personnelles d’un mineur et que le
requérant n’avait pas un intérêt légitime à en prendre
connaissance.
Invoquant l’article 6 et l’article 8, M. Tsourlakis se
plaignait de l’impossibilité de prendre connaissance
du rapport de la Société pour la protection de
l’enfance.
Décision de la Cour
Concernant le grief tiré de l’article 6, la Cour note
que M. Tsourlakis ne s’est plaint, à aucun moment
de la procédure, que le fait de ne pas avoir accès au
rapport de la Société portait atteinte à ses droits
procéduraux et à un procès équitable. Ce grief doit
donc être rejeté pour non épuisement des voies de
recours, en application de l’article 35 de la
Convention.
8
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
La Cour relève par ailleurs que le grief du requérant
tiré de l’article 8, en ce qu’il concerne l’utilisation du
rapport de la Société devant la cour d’appel, se
confond avec celui tiré de l’article 6, que la Cour a
jugé irrecevable.
Concernant l’exercice par M. Tsourlakis de son
droit, postérieurement à l’arrêt de la cour d’appel, à
un accès effectif à des informations concernant sa
vie privé et familiale, la Cour note que la législation
nationale concernant l’utilisation du rapport établi
suite à une enquête sociale n’est pas d’une grande
limpidité et que les seules explications fournies au
requérant l’ont été par le médiateur.
Les informations contenues dans le rapport litigieux
étaient pertinentes pour la relation de M. Tsourlakis
avec son fils, dont l’affection paternelle a été
reconnue par les tribunaux, et est confirmée par ses
efforts persistants pour obtenir la garde de l’enfant.
Avoir connaissance d’éventuels points négatifs
contenus dans le rapport aurait permis au requérant
de les prendre en compte pour améliorer sa relation
avec son fils. Il était par ailleurs légitime que M.
Tsourlakis puisse connaître l’utilisation des
informations qu’il avait fournies pour l’élaboration
de ce document.
Le Gouvernent n’a pas motivé son refus de lui
donner accès au rapport et n’a pas fourni de raisons
impérieuses justifiant la non-divulgation de ce
document, qui contenait des informations
personnelles concernant directement le requérant.
Son droit au respect de sa vie privée et familiale n’a
pas été effectivement protégé ; Cour conclut par
conséquent à l’unanimité à la violation de l’article 8.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable)
de la Convention, la Cour alloue au requérant
5 000 euros (EUR) pour dommage moral. (L’arrêt
n’existe qu’en français.)
Tsourlakis c. Grèce no 50796/07 Violation de l'art.
8 ; Préjudice moral – réparation. Jurisprudence :
Akdivar et autres c. Turquie (Recueil des arrêts et
décisions 1996-IV ; Cardot c. France du 19 mars 1991,
série A no 200, § 36 ; Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet
1989, § 42, série A no 160 ; Guzzardi c. Italie du 6
novembre 1980, série A no 39, § 72 ; K.H et autres c.
Slovaquie, no 32881/04, § 48, 28 avril 2008 ;
Kosmopoulou c. Grèce, no 60457/00, §§ 52 et 54, 5
février 2004 ; Roche c. Royaume-Uni [GC], no
32555/96, § 162, ECHR 2005-X.
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10 2009
LIBERTE DE
RELIGION
/
L’article 9 de la Convention
REFUS D’INSCRIRE DANS UNE RÉGION
UN GROUPE RELIGIEUX S’Y TROUVANT
DEPUIS MOINS DE QUINZE ANS
Violation de l’article 9 (liberté de religion)
lu à la lumière de l’article 11 (liberté
d’association)
KIMLYA c. RUSSIE
01/10/2009
L’Eglise de scientologie de Surgut, enregistrée pour
la première fois en 1994 en tant qu’organisation non
gouvernementale, fut ensuite dissoute au motif que
ses activités étaient « de nature religieuse ». Ses
demandes subséquentes d’inscription en tant
qu’organisation non religieuse furent rejetées en
juillet et en octobre 1999 pour le même motif. En
août 2000, afin d’obtenir pour leur église la
personnalité juridique, ses membres fondateurs, dont
M. Kimlya, introduisirent auprès de la direction
régionale de la justice une demande d’inscription en
tant qu’organisation religieuse locale.
L’Eglise de scientologie de Nizhnekamsk, fondée en
1998 en tant que groupe religieux, demanda
également, en décembre 1999, l’inscription en tant
qu’organisation religieuse locale.
A l’issue d’une procédure longue et complexe, les
juridictions russes confirmèrent par des décisions
définitives les refus d’inscrire les deux églises de
scientologie en tant qu’« organisations religieuses »,
prononcés par les autorités compétentes sur le
fondement de la loi sur les religions. Cette loi posait
l’obligation légale pour tout nouveau groupe
religieux de prouver qu’il existait depuis au moins
quinze ans dans une région du territoire russe ou
qu’il était affilié à une organisation religieuse
centralisée.
Un groupe religieux au sens de la loi sur les religions
n’a pas de personnalité juridique. Il ne peut donc pas
posséder ou louer des biens, avoir un compte
bancaire, engager des employés, ou encore assurer la
protection juridique de sa communauté, de ses
membres et de ses biens. Ce statut exclut aussi
l’ouverture de lieux de culte, la tenue d’offices
religieux accessibles au public, l’acquisition et la
distribution de livres religieux et la création
d’établissements d’enseignement.
Les requérants se plaignaient en particulier des
décisions de refus d’inscription de leur groupe
religieux en tant que personne morale, rendues par
les autorités russes en vertu de la loi sur les religions.
Ils invoquaient les articles 9, 10 (liberté
9
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
d’expression) et 11, pris seuls et combinés avec
l’article 14 (interdiction de la discrimination).
Décision de la Cour
La Cour observe que la question de savoir si la
scientologie peut être qualifiée de « religion » fait
controverse entre les Etats membres. En l’absence de
consensus au niveau européen quant à la nature
religieuse des enseignements de la scientologie, et eu
égard à la nature subsidiaire de son rôle, elle
considère qu’elle doit se fonder sur la position des
autorités internes pour déterminer l’applicabilité de
l’article 9. Les autorités russes étant convaincues de
la nature religieuse des églises de scientologie de
Surgut et de Nizhnekamsk, la Cour conclut que
l’article 9 est applicable en l’espèce. Elle considère
de plus que, étant donné que les communautés
religieuses sont normalement constituées en
structures organisées et que le grief concerne une
restriction alléguée au droit de s’associer librement
avec ses coreligionnaires, l’article 9 doit également
être examiné à la lumière de l’article 11, qui garantit
la protection de la vie associative contre les
ingérences injustifiées de l’Etat.
La Cour conclut que l’absence de personnalité
juridique des groupes religieux et la portée limitée de
leurs droits prévues dans la loi russe sur les religions
font obstacle à l’exercice effectif par les membres de
ces groupes de leur liberté de religion et
d’association. Il y a donc eu une ingérence dans les
droits des requérants au sens de l’article 9 interprété
à la lumière de l’article 11. Cette ingérence était
prévue par la loi, à savoir l’article 9 § 1 de la loi sur
les religions, et poursuivait le but légitime de
protéger l’ordre public.
Cependant, à aucun moment de la procédure il n’a
été démontré que les requérants – en tant
qu’individus ou en tant que groupe religieux –
s’étaient livrés ou avaient l’intention de se livrer à la
moindre activité illégale, ou qu’ils poursuivaient
d’autres buts que le culte, les enseignements, la
pratique et le respect de leurs croyances. De fait, ils
se sont vu refuser l’inscription en tant
qu’organisation religieuse, non pas en raison d’un
quelconque manquement de leur part ou d’une
caractéristique particulière de leur foi, mais par la
simple application automatique d’une disposition
légale, la « règle des quinze ans » posée à l’article 9
§ 1 de la loi sur les religions. Le motif de refus de
l’enregistrement était donc purement formel, et non
lié au fonctionnement des groupes concernés. En
outre, la disposition litigieuse de la loi sur les
religions visait des communautés religieuses de base
qui ne pouvaient prouver ni leur présence dans une
région du territoire russe ni leur affiliation à une
organisation religieuse centralisée. En conséquence,
seuls les groupes religieux nouvellement apparus,
tels que les groupes de scientologie, qui ne
s’inscrivaient pas dans une structure hiérarchique
10 2009
/
stricte d’église, ont subi les effets de la « règle des
quinze ans ». Or le Gouvernement n’a avancé
aucune justification pour cette différence de
traitement.
La Cour conclut donc que l’atteinte portée aux droits
des requérants à la liberté de religion et d’association
n’était pas « nécessaire dans une société
démocratique », et dit, à l’unanimité, qu’il y a eu
violation de l’article 9 de la Convention, interprété à
la lumière de l’article 11. Elle conclut également à
l’unanimité qu’il n’est pas nécessaire d’examiner
séparément les griefs des requérants tirés des articles
10 et 14, ceux-ci ayant été suffisamment pris en
compte dans le cadre de l’examen de l’article 9.
Au titre de l’article 41 (satisfaction équitable) de la
Convention, la Cour alloue à Yevgeniy Kimlya et
Aidar Sultanov 5 000 euros (EUR) pour dommage
moral. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
Kimlya et autres c. Russie nos 76836/01 et 32782/03
01/10/2009 Applicabilité Article 9 applicable Violation de
l'art. 9 lu à la lumière de l'art. 11 ; Préjudice moral réparation
Jurisprudence
Aksoy c. Turquie, 18
décembre 1996, §§ 51-52, Recueil des arrêts et décisions
1996-VI ; APEH Üldözötteinek Szövetsége et autres c.
Hongrie (déc.), n° 32367/96, 31 août 1999 ; Artico c.
Italie, 13 mai 1980, § 33, série A n° 37 ; Assanidzé c.
Géorgie [GC], n° 71503/01, § 202, CEDH 2004-II, avec
d'autres références ; Eglise catholique de La Canée c.
Grèce, 16 décembre 1997, §§ 30 et 40-41, Recueil 1997VIII ; Eglise de scientologie de Moscou c. Russie, n°
18147/02, § 64, 106, 5 avril 2007 ; Gorzelik et autres c.
Pologne [GC], n° 44158/98, § 52 et passim, CEDH 2004-I
; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, n° 30985/96, §§ 62 et
91, CEDH 2000-XI ; Koretsky et autres c. Ukraine, n°
40269/02, § 40, 3 avril 2008 ; Eglise métropolitaine de
Bessarabie et autres c. Moldova, n° 45701/99, §§ 105,
113, 118 et 134, CEDH 2001-XII ; Partidul Comunistilor
(Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie, n° 46626/99, §
27, 3 février 2005 ; Prokopovitch c. Russie, n° 58255/00,
§ 29, 18 novembre 2004, avec d'autres références ;
Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas et autres c.
Autriche, n° 40825/98, §§ 60, 66, 75 et 78-80, 31 juillet
2008 ; Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juillet 1998, §§
31, 40, 46 et 52, Recueil 1998-IV ; Organisation
macédonienne unie Ilinden et autres c. Bulgarie, n°
59491/00, § 53, 19 janvier 2006
La condamnation d’un objecteur de
conscience n'enfreint pas la convention
BAYATYAN c. ARMENIE
27/10/2009
Non-violation de l’article 9
Déclaré apte au service militaire, le requérant,
témoin de Jéhovah, fut appelé sous les drapeaux au
printemps 2001. Dans les lettres qu’il adressa, entre
autres, au procureur général et au commissaire
10
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
militaire, il déclarait qu’il refusait de faire son
service militaire pour des raisons de conscience,
mais qu’il était disposé à effectuer un service civil de
remplacement. Il ne répondit pas à la convocation au
service militaire mi-mai 2001 et déménagea
temporairement afin de ne pas être forcé d’accomplir
ses obligations militaires. Deux semaines plus tard,
la commission parlementaire des affaires d’État et
juridiques informa le requérant qu’il était tenu de
servir dans l’armée arménienne, aucune loi ne
prévoyant un service de remplacement.
En octobre 2001, le requérant fut inculpé pour avoir
refusé d'accomplir ses obligations militaires. Il fut
placé en détention et le tribunal de district le
condamna de ce chef en octobre 2002 à un an et six
mois d’emprisonnement, peine qui fut portée par la
cour d’appel à deux ans et demi d’emprisonnement.
La juridiction d’appel déclara essentiellement que le
requérant n’avait pas reconnu sa culpabilité et qu’il
s’était soustrait à l’enquête préliminaire. La Cour de
cassation confirma ce jugement en janvier 2003. En
juillet de la même année, le requérant fut libéré sous
condition, après avoir purgé dix mois et demi de sa
peine.
Le requérant voyait dans sa condamnation pour refus
d'accomplir ses obligations militaires une violation
de son droit à la liberté de pensée, de conscience et
de religion garanti par l’article 9 de la Convention. Il
soutenait également que cette disposition devait être
interprétée à la lumière des conditions actuelles, la
majorité des États membres du Conseil de l’Europe
ayant reconnu le droit à l’objection de conscience et
l’Arménie s’étant engagée en 2000, avant de devenir
membre du Conseil de l’Europe, à « gracier tous les
objecteurs de conscience condamnés à des peines
d’emprisonnement ».
Décision de la Cour
La Cour note d’emblée qu’il est légitime de tenir
compte du fait que la majorité des États membres du
Conseil de l’Europe ont adopté des lois prévoyant un
service de remplacement pour les objecteurs de
conscience.
Toutefois, l’article 9 doit être lu à la lumière de
l’article 4 § 3 b), qui exclut de la définition de travail
forcé, tel que l’interdit la Convention, « tout service
de caractère militaire ou, dans le cas d’objecteurs de
conscience dans les pays où l’objection de
conscience est reconnue comme légitime, un autre
service à la place du service militaire obligatoire ». Il
s’ensuit que le choix de reconnaître ou non
l’objection de conscience relève de chaque Partie
contractante. A l’époque où le requérant a refusé
d’effectuer son service militaire, le droit à
l’objection de conscience n’était pas reconnu en
Arménie. Sa condamnation n’emporte donc pas
violation de ses droits garantis par la Convention,
bien qu’il pût légitimement s’attendre à être autorisé
10 2009
/
à accomplir un service de remplacement, eu égard à
la déclaration du gouvernement arménien qui
s’engageait à gracier les objecteurs de conscience.
La Cour note en outre que l’Arménie a adopté dans
l’intervalle une loi sur le service de remplacement,
mais estime que sa teneur et ses modalités
d’application ne sont pas pertinentes en l’espèce.
Dès lors, la Cour dit, par six voix contre une, qu’il
n’y a pas eu violation de l’article 9.
Bayatyan c. Armenie 27/10/2009 Non-violation de l'art.
9 Opinions Séparées La juge Power a exprimé une
opinion dissidente Jurisprudence : A. c. Suisse, n°
10640/83, décision de la Commission du 9 mai 1984, DR
38, p. 219 ; Autio c. Finlande, n° 17086/90, décision de la
Commission du 6 décembre 1991, DR 72, p. 245 ; Un
groupe d'objecteurs de conscience c. Danemark, n°
7565/76, décision de la Commission du 7 mars 1977, DR
9, p. 117 ; N. c. Suède, n° 10410/83, décision de la
Commission du 11 octobre 1984, DR 40, p. 203 ; T. c.
Royaume-Uni, n° 24396/94, § 24724/94, 16 décembre
1999 ; Tyrer c. Royaume-Uni, arrêt du 25 avril 1978, série
A n° 26, pp. 15-16, § 31 ; X. c. Autriche, n° 5591/72,
décision de la Commission du 2 avril 1973, Collection 43,
p. 161 ; X. c. Federal Republic of Allemagne, n° 7705/76,
décision de la Commission du 5 juillet 1977, Décisions et
rapports (DR) 9, p. 196
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INTERNEMENT D’UN PÉDOPHILE
RÉCIDIVISTE A L’ISSUE DE SA PEINE
JUSTIFIÉ PAR SA DANGEROSITÉ
Le ministre a respecté les conditions posées par
la loi pour décider l’internement.
DE SCHEPPER C. BELGIQUE
13.10.2009
Non violation de l’article 5 §1.
Le requérant, Georges de Schepper, est un
ressortissant belge né en 1944, actuellement interné
dans le complexe pénitentiaire de Bruges. A compter
de 1970, il fut emprisonné à huit reprises pour des
faits de pédophilie. Par jugement du 2 janvier 2001,
le tribunal correctionnel d’Anvers le condamna à six
ans d’emprisonnement pour viol et attentat à la
pudeur sur mineurs. Conformément à la loi du 1er
juillet 1964 « de défense sociale à l’égard des
anormaux, des délinquants et des auteurs de certains
délits sexuels » (« loi de défense sociale »), ce
jugement mit également M. de Schepper « à la
disposition du gouvernement » pendant dix ans après
avoir purgé sa peine, ce qui signifie que durant cette
période, le ministre de la justice pouvait soit le
laisser en liberté sous certaines conditions, soit
ordonner son internement. Dès 2002, les autorités
11
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
tentèrent à plusieurs reprises de le faire admettre en
établissement psychiatrique privé, afin qu’il y suive
un traitement. Une pré-thérapie fut également mise
en place en prison pour favoriser une telle
admission. Tous les établissements sollicités
jugèrent cependant son admission impossible à ce
stade, vu que sa dangerosité n’avait pas diminué
malgré sa pré-thérapie.
Le 9 octobre 2006, se fondant sur les articles
pertinents de la loi de défense sociale, le Ministre de
la Justice ordonna l’internement de M. de Schepper
après l’expiration de sa peine - le lendemain, 10
octobre 2006. Cette décision reposait sur des
rapports d’expertises et sur le constat que le
requérant constituerait, en cas de remise en liberté,
un danger pour la société. Cette conclusion était tirée
entre autres de l’absence de traitement spécialisé
résidentiel de longue durée, du passé de M. de
Schepper marqué par de nombreuses affaires de
mœurs impliquant des mineurs, de sa déviance
sexuelle grave, de risques liés à l’abus d’alcool, de
son attitude de minimisation des faits et de son
absence totale de culpabilité. Les recours du
requérant contre cette décision furent rejetés par une
ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de
première instance d’Anvers et un arrêt du
18 décembre 2006 de la cour d’appel d’Anvers. Le
2 janvier 2007, la Cour de cassation rejeta son
pourvoi, jugeant en particulier que la détention était
régulière, car la décision du Ministre de la Justice
ordonnant l’internement d’un condamné mis à
disposition du gouvernement sur la base de la loi de
défense sociale n’était pas une décision sur une
poursuite pénale, mais portait uniquement sur
l’exécution de la mesure imposée par le juge pénal.
Invoquant en particulier l’article 5 § 1, M. de
Schepper se plaignait d’avoir été maintenu
arbitrairement en détention après l’expiration de sa
peine. Il soutenait en particulier que la nécessité
prétendue de son internement résultait uniquement
d’un manque structurel de traitement spécialisé. La
requête a été introduite devant la Cour européenne
des droits de l’homme le 1er juin 2007.
Décision de la Cour
A première vue, le fait qu’une personne soit mise à
la disposition du gouvernement ne semble pas
arbitraire, cette mesure de protection de la société
faisant partie de la peine fixée par le tribunal
correctionnel. Le ministre de la justice qui décide
d’interner une personne mise à disposition du
gouvernement ne prend qu’une décision sur les
modalités d’applications de la peine. Or, si ces
modalités peuvent parfois tomber sous le coup de la
Convention, en principe elles n’influent pas sur la
régularité d’une privation de liberté.
Dans le cas de M. de Schepper, le ministre a respecté
les conditions posées par la loi pour décider
l’internement. En particulier, sa décision était
10 2009
/
précisément motivée. Contrairement à ce que
soutient le requérant, l’absence de traitement
spécialisé résidentiel de longue durée n’était pas
l’unique raison pour laquelle il fut interné, mais il est
exact que cet élément était déterminant, car un
traitement adapté à sa situation aurait pu réduire sa
« dangerosité ».
La Cour examine donc précisément les efforts
déployés par les autorités pour assurer un tel
traitement, en particulier les multiples tentatives de
placement en établissement psychiatrique et la préthérapie dispensée en prison. Elle conclut que les
autorités belges n’ont pas manqué à leur obligation
de tenter d’assurer à M. de Schepper un traitement
adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa
liberté. Si ces efforts se sont avérés infructueux à ce
jour, cela résulte surtout de l’évolution de l’état de ce
dernier et de l’impossibilité thérapeutique pour les
établissements contactés de le traiter à ce stade.
Toutefois, cette constatation ne libère pas le
Gouvernement de l’obligation de prendre toutes les
initiatives appropriées afin de pouvoir trouver, dans
un avenir proche, un établissement public ou privé
susceptible de prendre en charge des cas de ce type.
La Cour conclut à l’unanimité que la détention du
requérant après octobre 2006 se justifiait et qu’il n’y
a par conséquent pas eu violation de l’article 5 § 1 de
la Convention.
de Schepper c. Belgique requête no 27428/07
Partiellement irrecevable ; Non-violation de l'art. 5-1
Jurisprudence : Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, §
59, Recueil 1998-V ; Amuur c. France, 25 juin 1996, §
50, Recueil 1996-III ; Bizzotto c. Grèce, 15 novembre
1996, § 34, Recueil 1996-V ; Morsink c. Pays-Bas, no
48865/99, 11 mai 2004 ; Stafford c. Royaume-Uni, no
46295/99, 28 mai 2002 ; Van Droogenbroeck c.
Belgique, 24 juin 1982, §§ 39-40, série A no 50 ; Waite
c. Royaume-Uni, no 53236/99, 11 décembre 2002 ;
Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, série A no 114
DUREE EXCESSIVE D’UNE DETENTION
PROVISOIRE
SUITE AU BRAQUAGE D’UN FOURGON
BLINDÉ
La rapidité exigée dans un tel cas ne doit pas
nuire aux efforts des magistrats pour accomplir
leurs tâches avec le soin voulu mais, dans le cas
présent, des délais injustifiés sont constatés.
NAUDO C. FRANCE ET MALOUM C.
FRANCE
8.10.2009
Violation de l’article 5 § 3
soupçonnés d’avoir participé à un braquage d’un
fourgon blindé de la Brink’s à Gentilly au cours
duquel plus de 6,3 millions d’euros furent dérobés,
les requérants furent placés en détention provisoire.
12
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
A l’issue d’une instruction de près de quatre ans
(concernant plusieurs co-accusés et impliquant vingt
six commissions rogatoires en France et à l’étranger,
plus de quatre-vingt cinq expertises et quarante-trois
interrogatoires et confrontations), la chambre de
l’instruction de la Cour d’assises de Paris renvoya
les requérants devant la Cour d’assises du Val-deMarne. La Cour de cassation, statuant sur demande
du ministère public, renvoya l’affaire devant la Cour
d’appel de Paris pour des motifs de sécurité. La cour
d’assises de Paris condamna les requérants à treize
ans de réclusion criminelle.
Invoquant l’article 5 § 3, les requérants dénonçaient
la durée, selon eux excessive, de leur détention avant
jugement.
Décision de la Cour
Une durée de détention provisoire de six ans (de
l’arrestation des requérants le 27 décembre 2000 à
leur condamnation le 22 décembre 2006) doit être
accompagnée de justifications particulièrement
fortes.
Les motifs pour lesquels les juridictions françaises
ont maintenu MM. Naudo et Maloum en détention
provisoire (en particulier le risque de fuite) étaient
certes pertinents et suffisants, s’agissant d’une
affaire concernant la lutte contre la criminalité
organisée et le grand banditisme à dimension
internationale, mais la procédure a duré
excessivement longtemps.
La Cour est bien consciente que la rapidité exigée
dans un tel cas ne doit pas nuire aux efforts des
magistrats pour accomplir leurs tâches avec le soin
voulu mais, dans le cas présent, des délais injustifiés
sont constatés. Ces délais (qui ne concernent pas
l’instruction) ne sauraient trouver leur seule
justification dans la préparation du procès, ni dans le
dessaisissement pour raisons de sécurité de la Cour
d’assises initialement chargée du dossier, ni
davantage dans l’encombrement des sessions
d’assises devant la Cour d’assises de renvoi.
La Cour juge à l’unanimité que la détention des
requérants, par sa durée excessive, a donc enfreint
l’article 5 § 3.
Naudo c. France no 35469/06 et Maloum c. France no
35471/06 8.10.2009 Violation de l’article 5 § 3
Jurisprudence : Bouchet c. France, no 33591/96, § 40, 20
mars 2001, Chraidi c. Allemagne, no 65655/01, § 43,
CEDH 2006-... ; ; Debboub alias Husseini Ali c. France,
no 37786/97, § 46, 9 novembre 1999; Gosselin c. France,
no 66224/01, § 34, 13 septembre 2005 , I.A. c. France du
23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions
1998-VII, pp. 2978-2979, § 102, Labita c. Italie [GC],
no 26772/95, CEDH-2000, § 152, Letellier c. France du 26
juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35 : Pêcheur c.
Luxembourg, no 16308/02, 11 décembre 2007 Lelièvre c.
Belgique, no 11287/03, § 107, 8 novembre 2007 et
Zannouti c. France, no 42211/98, § 43, 31 juillet 2001
10 2009
/
LIBERTE
D’EXPRESSION
CONDAMNATION DE JOURNALISTES
CONTRAIRE A LA LIBERTE
D’EXPRESSION
L’article s’appuyait sur une base factuelle
suffisante, à savoir deux rapports certes
confidentiels, mais concordants et dont l’un
émanait d’une autorité officielle.
BRUNET-LECOMTE ET TANANT C.
FRANCE
8.10.2009
Violation de l’article 10
Le magazine Objectifs Rhône Alpes publia un article
intitulé « Caisse d’épargne de Saint-Etienne, un
député dans le collimateur de la justice ». Reprenant
les conclusions d’un rapport de la commission
bancaire de la Banque de France et d’un rapport
interne de la Caisse d’épargne, il laissait entendre
que C., député, adjoint au maire de Saint-Etienne et
président du conseil de surveillance de la Caisse
d’épargne, aurait commis des infractions pénales et
user de ses fonctions à des fins personnelles.
A la suite de la plainte de C. les requérants offrirent
notamment d’apporter la preuve de ce qu’ils
avançaient, mais cette offre fut déclarée irrecevable
car insuffisamment précise. Ils furent condamnés
pour diffamation. La cour d’appel réforma ce
jugement par un arrêt du 2 octobre 2002 qui fut cassé
et annulé par la Cour de cassation qui renvoya
l’affaire devant la cour d’appel de Dijon. Les
requérants demandèrent un sursis à statuer en
attendant l’issue de l’information judiciaire en cours
à propos des faits dénoncés. Sur le fond, ils se
prévalurent de leur bonne foi, faisant valoir qu’ils
n’avaient manifesté aucune animosité personnelle
contre C., avaient vérifié leurs sources et fait preuve
de prudence dans l’expression. La Cour d’appel
rejeta leurs demandes et prétentions, les condamnant
au paiement à C. de 19 000 EUR pour diffamation
envers un particulier. Les requérants estimaient leur
condamnation pour diffamation contraire au droit à
la liberté d’expression, tel que défini par l’article 10.
Décision de la Cour
L’article des requérants tendait à informer la
population locale sur les agissements d’un élu, C.,
visé en cette qualité. Les limites de la critique
admissible sont dans un tel cas plus larges que si un
particulier était visé et, l’article s’inscrivant dans un
débat d’intérêt général, les autorités disposent d’une
marge d’appréciation particulièrement restreinte
pour apprécier la nécessité d’une mesure telle qu’une
condamnation pour diffamation.
13
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
La Cour ne partage pas l’analyse des juridictions
françaises, selon lesquelles MM. Brunet-Lecomte et
Tanant n’ont pas fait preuve de bonne foi dans
l’article – du fait de son « ton », de certains termes
employés imprudemment et de l’absence de
vérifications. Elle relève à cet égard que les
intéressés ont proposé d’apporter la preuve de ce
qu’ils avançaient, mais que cette offre fut refusée.
D’autre part, ils n’ont porté aucun jugement de
valeur : ils n’ont par exemple pas affirmé que C.
était coupable, ils ont fait preuve d’une certaine
prudence dans l’expression et n’ont témoigné
d’aucune animosité personnelle à l’encontre de C..
L’article s’appuyait en outre sur une base factuelle
suffisante, à savoir deux rapports certes
confidentiels, mais concordants et dont l’un émanait
d’une autorité officielle. Enfin, les sommes au
paiement desquelles MM. Brunet-Lecomte et Tanant
furent condamnés (21 000 EUR au total) étaient
importantes, s’agissant d’un média d’envergure
locale.
La condamnation des requérants visait le but
légitime de protéger la réputation ou les droits
d’autrui, mais de façon disproportionnée. La Cour
conclut à l’unanimité que l’article 10 a été enfreint.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable)
de la Convention, la Cour accorde aux requérants le
remboursement des sommes qu’ils ont dû payer suite
à leur condamnation par les juridictions françaises, à
savoir 21 000 euros (EUR) (dommage matériel).
Leur dommage moral est en revanche suffisamment
réparé par le constat de violation auquel la Cour est
parvenu. Les requérants n’ayant demandé aucune
somme au titre des frais et dépens, la Cour ne leur
alloue aucune somme de ce chef. (L’arrêt n’existe
qu’en français).
Brunet-Lecomte et Tanant c. France
no
12662/06Violation de l'art. 10 ; Préjudice moral constat de violation suffisant. Jurisprudence : Bladet
Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, §
59 et §65, CEDH 1999-III ; Brasilier c. France, no
71343/01, § 28 et § 43, 11 avril 2006 ; Brunet-Lecomte
et autres c. France, no 42117/04, § 46, 5 février 2009 ;
Chauvy et autres c. France, no 64915/01, §§ 45-49,
CEDH 2004-VI ; Colombani et autres c. France no
51279/99, § 65, CEDH 2002-V ; Cumpana et Mazare
c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 111, CEDH 2004XI ; Desjardin c. France, no 22567/03, §§ 39 et suiv.,
22 novembre 2007 ; Feldek c. Slovaquie, no 29032/95,
§ 74, CEDH 2001-VIII ; Fressoz et Roire c. France
[GC], no 29183/95, § 45, CEDH 1999-I ; Goodwin c.
Royaume-Uni, 27 mars 1996, § 39, Recueil 1996-II ;
Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 48 et § 54, Recueil
1998-IV ; Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42,
série A no 103 ; Mamère c. France, no 12697/03, § 20,
CEDH 2006 ; Radio France et autres c. France, no
53984/00, § 37, CEDH 2004-II ; Steel et Morris c.
Royaume-Uni, no 68416/01, §§ 88-89, CEDH 2005-II ;
Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, § 58, CEDH 2007
10 2009
/
SANCTION INJUSTIFIEE POUR AVOIR
PUBLIE DES DESSINS SATIRIQUES
KULIS ET ROZYCKI c. POLOGNE
06/10/2009
Violation de l’article 10
Le 16 mai 1999, Angorka publia un article qui
évoquait une campagne de publicité de la société
Star Food pour des pommes chips. L’article
critiquait une publicité que la société avait fait
figurer sur ses paquets de chips et qui qualifiait de
« meurtrier » un personnage populaire de bande
dessinée pour enfants. L’article d’Angorka
comportait notamment une image du personnage
en question, suivie des remarques suivantes :
« Les enfants polonais choqués par une publicité
pour des chips » et « Ne vous inquiétez pas, je
serais aussi un meurtrier si je mangeais cette
saleté !».
La société Star Food engagea contre les deux
requérants une action civile par laquelle elle
demandait des excuses, le remboursement de ses
frais et dépens ainsi que le versement d’un don à
une organisation caritative. Les tribunaux
accueillirent ces demandes, estimant que l’article
des requérants, par l’utilisation de termes
fortement péjoratifs suggérant le dégoût et la
répulsion, avaient jeté le discrédit sur les produits
de la société. Les requérants formèrent des recours
mais furent déboutés.
Invoquant l’article 10, les requérants se
plaignaient des sanctions qui leur avaient été
infligées.
Décision de la Cour
La Cour observe que la campagne publicitaire en
question, bien que visant essentiellement les
enfants, a employé des slogans au contenu
inadapté. Cette situation a soulevé des questions
qui présentaient manifestement un intérêt et une
certaine importance pour l’opinion publique.
De plus, le dessin publié dans l’article s’inspirait
de toute évidence de la campagne publicitaire en
cause, puisque les requérants ont utilisé le
personnage de bande dessinée et le slogan qui
figuraient sur les paquets de chips. En
conséquence, la Cour estime que les requérants
n’avaient pas l’intention de dénigrer la qualité des
chips, mais de sensibiliser l’opinion publique aux
types de slogans employés par la société et au
caractère inacceptable de pareils procédés destinés
à faire vendre.
Enfin, la Cour considère que les tribunaux
nationaux ont négligé de prendre en compte le fait
que la presse a le devoir de communiquer des
informations et des idées sur des questions
d’intérêt général et qu’elle peut ce faisant recourir
à une certaine dose d’exagération, voire de
14
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
provocation, comme cela a été le cas en l’espèce.
Il s’ensuit que les tribunaux nationaux n’ont pas
justifié les sanctions infligées aux requérants, et la
Cour conclut à l’unanimité qu’il y a dès lors eu
violation de l’article 10.
Kulis et Rózycki c. Pologne no 27209/03 06/10/2009
Violation de l'art. 10 ; Dommage matériel - réparation ;
Préjudice moral - réparation Jurisprudence : Busuioc
c. Moldova, n° 61513/00, § 101, 21 décembre 2004 ;
Castells c. Espagne, arrêt du 23 avril 1992, série A n°
236, § 43 ; Dabrowski c. Pologne, n° 18235/02, § 35,
19 décembre 2006 ; Feldek c. Slovaquie, n° 29032/95,
§ 78, CEDH 2001-VIII ; Jerusalem c. Autriche, n°
26958/95, CEDH 2001-II ; Lingens c. Autriche, 8
juillet 1986, série A n° 103 ; Mamère c. France, n°
12697/03, § 25, CEDH 2006-... ; Nilsen et Johnsen c.
Norvège [GC], n° 23118/93, § 43, CEDH 1999-VIII ;
Oberschlick c. Autriche (n° 1), arrêt du 23 mai 1991,
série A n° 204 ; Observer et Guardian c. Royaume-Uni,
26 novembre 1991, série A n° 216 ; Prager et
Oberschlick c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A
n° 313, p. 19, § 38 ; Standard Verlags GmbH c.
Autriche, n° 13071/03, § 49, 2 novembre 2006 ; Steel
et Morris c. Royaume-Uni, n° 68416/01, § 94, CEDH
2005-II ; Sürek c. Turquie (n° 1) [GC], n° 26682/95, §
61, CEDH 1999-IV ; Turhan c. Turquie, n° 48176/99, §
24, 19 mai 2005 ; Vogt c. Allemagne, arrêt du 26
septembre 1995, série A n° 323 ; Worm c. Autriche,
arrêt du 29 août 1997, Recueil 1997-V
L’UNIVERSITE CATHOLIQUE DE MILAN
AURAIT DU MOTIVER LE REFUS
D’EMBAUCHE D’UN PROFESSEUR
N’AYANT PAS OBTENU L’AGREMENT
DES AUTORITES ECCLESIALES
LOMBARDI VALLAURI c. ITALIE
20/10/2009
Violation de l’article 6 § 1 et 10
Suite à la publication de l’avis de concours pour
l’année académique 1998-1999, M. Lombardi
Vallauri se porta candidat.
Par une lettre du 26 octobre 1998, la Congrégation
pour l’Education Catholique, organisme du SaintSiège, communiqua au président de l’Université
que
certaines
positions
du
requérant
« s’opposaient
nettement
à
la
doctrine
catholique » et que, « dans le respect de la vérité,
du bien des étudiants et de celui de l’Université »,
le requérant ne devait plus enseigner au sein de
cette Université.
Par une lettre du 28 octobre 1998, le président de
l’Université informa le doyen de la Faculté de
Droit de la position de la Congrégation. Le 4
novembre 1998, le Conseil de la Faculté pris note
de la position du Saint-Siège et décida de ne pas
examiner la candidature du requérant, l’une des
conditions
d’admission,
l’accord
de
la
10 2009
/
Congrégation pour l’Education Catholique,
n’étant pas remplie.
Un collègue du requérant, le professeur D.M.
proposa alors que la Faculté invite le président de
l’Université à demander à la Congrégation
d’indiquer les raisons de la mesure prise à
l’encontre du requérant. Le professeur D.M.
indiqua que cette demande se justifiait par
l’intérêt des enseignants de la Faculté de recevoir
des indications concernant les aspects des études
et des enseignements du requérant qui avaient été
considérés
comme
incompatibles
avec
l’inspiration catholique de la Faculté. A l’issue
d’un vote, cette proposition fut rejetée.
Le 25 janvier 1999, le requérant introduisit un
recours devant le tribunal administratif régional de
la Lombardie (« T.A.R. ») afin d’obtenir
l’annulation de la décision du Conseil de Faculté
ainsi que de l’acte de l’autorité ecclésiale. Le
requérant fit aussi valoir que les décisions
attaquées étaient inconstitutionnelles en ce
qu’elles violaient son droit à l’égalité, sa liberté
d’enseignement et sa liberté religieuse.
Par un jugement du 26 octobre 2001, le T.A.R.
rejeta la demande du requérant, notamment aux
motifs que la décision du Conseil de Faculté de ne
pas prendre en considération sa candidature avait
été dûment motivée et que l’accord de révision du
concordat entre le Saint-Siège et la République
italienne ne prévoyait aucune obligation de
mentionner les motifs religieux à la base du refus
d’agrément. Le T.A.R. considéra en outre que
l’examen de la légitimité de la décision du SaintSiège ne rentrait ni dans son champ de
compétence ni dans celui du Conseil de Faculté,
cet acte émanant d’un Etat étranger. Il souligna en
outre que le choix des enseignants d’adhérer aux
principes de la religion catholique était libre.
Le 9 décembre 2002, le requérant interjeta appel
devant le Conseil d’Etat réitérant le défaut de
motivation de la décision du Conseil de Faculté et
contestant le défaut de compétence du juge
administratif.
Par un arrêt du 18 juin 2005, le Conseil d’Etat
rejeta l’appel. Il affirma que les autorités
administratives et juridictionnelles de la
République ne sauraient s’écarter de l’arrêt de la
Cour constitutionnelle no 195 du 14 décembre
1972, arrêt dans lequel la Cour constitutionnelle
avait considéré que la subordination de la
nomination des professeurs de l’Université
Catholique à l’agrément du Saint-Siège était
compatible avec les articles 33 et 19 de la
Constitution, garantissant respectivement la
liberté d’enseigner et la liberté religieuse. Le
Conseil d’Etat releva en outre qu’« aucune
autorité de la République ne saurait juger les
évaluations de l’autorité ecclésiale ».
15
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
Invoquant l’article 10, M. Lombardi Vallauri se
plaignait du fait que la décision de l’Université
Catholique du Sacré-Cœur, dépourvue de
motivation et prise en l’absence d’un réel débat
contradictoire, avait violé sa liberté d’expression.
Invoquant en outre l’article 6 § 1, sous l’angle de
l’équité de la procédure et du droit d’accès à un
tribunal, le requérant dénonçait le fait que les
tribunaux internes avaient omis de statuer sur le
manque de motivation de la décision du Conseil
de Faculté, limitant ainsi sa possibilité d’attaquer
cette dernière et d’instaurer un débat
contradictoire. Le requérant se plaignait aussi de
ce que le Conseil de Faculté s’était limité à
prendre acte de la décision de la Congrégation
prise également en l’absence de tout
contradictoire. Il invoquait aussi les articles 9, 13
et 14.
Décision de la Cour
Article 10
Dans les affaires concernant l’article 10 de la
Convention, la Cour doit d’abord examiner si les
mesures litigieuses ont représenté une ingérence
dans le droit à la liberté d’expression des
requérants. Elle doit ensuite vérifier si cette
ingérence était prévue par la loi, si elle poursuivait
un but légitime et si elle était « nécessaire dans
une société démocratique ».
En l’espèce, la Cour relève que, s’il est vrai que
M. Lombardi Vallauri était habituellement
employé sur la base de contrats temporaires, le
renouvellement de ces contrats pour plus de 20
ans et la reconnaissance de ses qualités
scientifiques par ses collègues témoignent de la
solidité de sa situation professionnelle. La
décision du Conseil de Faculté de ne pas prendre
en considération sa candidature a donc bien
constitué une ingérence dans son droit à la liberté
d’expression.
La Cour constate que cette ingérence était prévue
par le droit italien et qu’elle peut être considérée
comme inspirée par le but légitime de protéger un
« droit d’autrui ». Un droit qui se manifeste dans
l’intérêt de l’Université de fonder son
enseignement sur la doctrine catholique.
En revanche, la Cour estime qu’en ayant omis
d’expliquer dans quelle mesure les positions du
requérant, prétendument contraires à la doctrine
catholique, étaient susceptibles d’affecter l’intérêt
de l’Université, le Conseil de Faculté n’a pas n’a
pas motivé sa décision.
La Cour relève ensuite que, bien qu’il
n’appartenait pas aux autorités nationales
d’examiner la substance de la position doctrinale
de
la
Congrégation,
les
juridictions
administratives, dans l’intérêt du principe du
contradictoire, auraient dû se pencher sur le défaut
10 2009
/
de motivation de la décision du Conseil de
Faculté.
En conclusion, la Cour considère que l’intérêt de
l’Université de dispenser un enseignement inspiré
de la doctrine catholique ne pouvait pas s’étendre
jusqu’à atteindre la substance même des garanties
procédurales dont le requérant jouit au sens de
l’article 10 de la Convention. Dans les
circonstances particulières de l’affaire, l’ingérence
dans le droit à la liberté d’expression de M.
Lombardi Vallauri n’était donc pas « nécessaire
dans une société démocratique ». Par conséquent,
la Cour conclut, par six voix contre une, à la
violation de l’article 10 de la Convention sous son
volet procédural.
Pour les mêmes motifs, la Cour considère que le
requérant n’a pas bénéficié d’un accès effectif à
un tribunal et conclut, par six voix contre une, à la
violation de l’article 6 § 1.
Lombardi Vallauri c. Italie no 39128/05 20/10/2009
Applicabilité article 10 ; article 6 Violation de l'art. 10 ;
Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation
Opinions Séparées : juge Cabral Barreto ( opinion
dissidente) Droit en Cause article 10 n°3 de l'Accord de
révision du concordat entre le Saint-Siège et la
République italienne signé le 18 février 1984 et ratifié
par la loi n° 121 du 25 mars 1985 ; articles 19, 33 et 97
de la Constitution Jurisprudence : Ashingdane c.
Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A no 18, p. 18, §
36, et no 93, pp. 24-25, § 57 ; Association Ekin c.
France, no 39288/98, § 58, CEDH 2001-VIII ; Brualla
Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997,
Recueil 1997-VIII ; Eglise métropolitaine de
Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, § 117,
CEDH 2001-XII ; Ernst et autres c. Belgique, no
33400/96, § 51, 15 juillet 2003 ; ; Glasenapp c.
Allemagne, 28 août 1986, série A no 104 ; Golder c.
Royaume-Uni du 21 février 1975 ; Handyside c.
Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A no 24 ;
Informationsverein Lentia et autres c. Autriche, 24
novembre 1993, § 35, série A no 276 ; Kosiek c.
Allemagne, 28 août 1986, série A no 105 ; Pellegrini c.
Italie, no 30882/96, CEDH 2001-VIII ; Pérez de Rada
Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998,
Recueil 1998-VIII, p. 3255, § 43 ; Perna c. Italie [GC],
no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V ; Radio ABC c.
Autriche, 20 octobre 1997, § 30, Recueil 1997-VI ;
Rommelfanger c. République Fédérale d'Allemagne,
requête no 12242/86, déc. 6 septembre 1989 ; Saygili et
Seyman c. Turquie, no 51041/99, §§ 24-25, 27 juin
2006 ; Silva Neves c. Portugal, 27 avril 1989, § 37,
série A no 153-A ; Sorguç c. Turquie, no 17089/03, §
35, 23 juin 2009 ; Sunday Times c. Royaume-Uni (no
2), 26 novembre 1991, § 50, série A no 217 ; Vasilescu
c. Roumanie, 22 mai 1998, § 43, Recueil 1998-III ;
Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no
63235/00, § 62, CEDH 2007-IV ; Vogt c. Allemagne
26 septembre 1995, § 44, série A no 323 ; Waite et
Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 64,
CEDH 1999-I Sources Externes article 4 de la directive
communautaire 78/2000/CE
16
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
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DISSOLUTION INJUSTIFIÉE
D’UNE ASSOCIATION DE PROTECTION
DE L’ENVIRONNEMENT
TEBIETI MUHAFIZE CEMIYYETI ET
ISRAFILOV c. AZERBAIDJAN
08/10/2009
Violation de l’article 11
L’association Tebieti Mühafize Cemiyyeti fut
enregistrée par le ministère de la Justice en août
1995. Elle a œuvré de manière active dans le
domaine de l’environnement. En août 2002, le
ministère lança une inspection sur les activités de
l’association, qui aboutirent à trois avertissements.
Adressés entre septembre et octobre 2002, ces
avertissements portaient sur le manquement de
l’association à tenir des assemblées générales
annuelles, ainsi que l’exigeait la loi, et sur le fait
qu’elle avait tenté d’effectuer des contrôles
environnementaux illégaux et de collecter des
cotisations auprès d’entreprises publiques et
commerciales. A la demande du ministère, le
tribunal national compétent ordonna en mars 2003
la dissolution de l’association. Celle-ci fut
dissoute à l’issue de recours dont elle avait été
déboutée.
Invoquant l’article 11, les requérants alléguaient
que les autorités avaient dissous arbitrairement
l’association en 2003.
Décision de la Cour
La Cour relève que pendant environ sept ans
l’association n’a convoqué aucune assemblée
générale et qu’elle a négligé de mettre ses propres
statuts en conformité avec la législation nationale
pour ce qui concerne la fréquence des assemblées
générales. La Cour estime donc que les autorités
azerbaïdjanaises ont correctement réagi vis-à-vis
de l’association en lui lançant l’avertissement
initial afin qu’elle se conforme au droit interne.
Cela étant dit, dans un bref laps de temps, le
ministère a adressé à l’association deux autres
avertissements alors qu’il avait été informé de la
tenue d’une assemblée générale en août 2002. Ces
avertissements ne donnaient à l’association qu’un
délai de dix jours pour redresser la situation.
L’organisation d’une assemblée générale exigeant
au moins deux semaines selon le droit interne, ce
délai était insuffisant pour permettre à
l’association de remédier aux infractions en
question. La Cour note par ailleurs que la
dissolution immédiate et catégorique était la seule
sanction prévue par le droit interne pour une faute
quelconque commise par une association. Or il
10 2009
/
s’agit d’une mesure disproportionnée dans une
situation comme celle-ci, où il y a simplement eu
manquement à respecter certaines règles de
gestion interne. En conséquence, les autorités
auraient dû envisager des mesures moins
rigoureuses.
La teneur des accusations portées a ensuite
changé, lorsqu’il a été reproché à l’association
d’avoir tenté de collecter des fonds sous couvert
de prélèvement de cotisations. Ces allégations
étaient extrêmement vagues, libellées de façon
sommaire et dépourvues de précisions quant aux
activités illégales en cause. Si elles avaient été
prouvées, elles auraient mis en jeu la
responsabilité pénale des responsables de
l’association ; or, aucune procédure pénale n’a
jamais été engagée. De plus, aucun élément de
preuve n’a jamais été fourni sur la date et le lieu
où ces activités illégales se seraient déroulées, et
sur l’identité de la personne ou des personnes
impliquées.
Enfin, lorsqu’ils ont statué sur l’ensemble des
allégations formulées au sujet de l’association, les
tribunaux nationaux s’en sont tenus aux
conclusions des responsables du ministère de la
Justice et n’ont procédé à aucune enquête
judiciaire indépendante. En conséquence, la Cout
conclut à l’unanimité qu’il n’a pas été établi que
l’association avait commis des actions illégales et
la décision des tribunaux nationaux de la
dissoudre a été arbitraire, en violation de l’article
11
Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c.
Azerbaïdjan no 37083/03 08/10/2009 Violation de l'art.
11 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice
moral - réparation Jurisprudence : Ertan et autres c.
Turquie (déc.), n° 57898/00, 21 mars 2006 ; Gorzelik
et autres c. Pologne [GC], n° 44158/98, § 92 et § 95, 17
février 2004 ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n°
30985/96, § 84, CEDH 2000-XI ; Hashman et Harrup
c. Royaume-Uni [GC], n° 25594/94, § 31, CEDH
1999-VIII ; Ismaïlov c. Azerbaïdjan, n° 4439/04, §§
39-40, 17 janvier 2008 ; Linkov c. République tchèque,
n° 10504/03, § 50, 7 décembre 2006 ; Maestri c. Italie
[GC], n° 39748/98, § 30, CEDH 2004-I ; Mahmoudov
et Agazade c. Azerbaïdjan, n° 35877/04, § 48, 18
décembre 2008 ; Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10
juillet 1998, § 40, Recueil of Judgments et Decisions
1998-IV ; Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1)
(Article 50), 6 novembre 1980, § 23, série A n° 38 ;
The Moscow Branch of the Salvation Army c. Russie,
n° 72881/01, § 61, CEDH 2006 ; The United
Macedonian Organisation Ilinden et autres c. Bulgarie,
n° 59491/00, § 62, 19 janvier 2006 ; Tunceli Kültür ve
Dayanisma Dernegi c. Turquie, n° 61353/00, § 37, 10
octobre 2006 ; United Communist Parti of Turquie et
autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 47, Recueil 1998-I
; Jetchev c. Bulgarie, n° 57045/00, § 35, 21 juin 2007
17
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
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PROBLEME STRUCTUREL DE
SURPOPULATION CARCERALE EN
POLOGNE
ORCHOWSKI c. POLOGNE
NORBERT SIKORSKI c. POLOGNE
22/10/2009
Violations de l’article 3
Les requérants ont été respectivement détenus
dans quatre centre de détention différents, où, se
plaignent ils, ils ont vécu dans des espaces
personnels inférieurs à la norme de 3 m² requise
par la législation.
Les requérants adressèrent de nombreuses plaintes
à ce sujet, en fournissant les statistiques des
services pénitentiaires, attestant d'un taux
d’occupation carcérale dépassant les 110 %.
L’administration pénitentiaire reconnut que
l’espace personnel conforme à la norme de 3 m²
ne pouvait pas être accordé aux détenus, à cause
d’une surpopulation chronique au niveau national.
Les juges d’application des peines confirmèrent
cet avis ; en vertu de l’article 248 du code
d’application des peines, le responsable de
l’administration pénitentiaire était en droit de
prendre des mesures en vue de réduire la surface
par détenu en deçà de 3 m².
Les plaintes des requérants furent rejetées
Ils introduisirent par ailleurs des recours en
dommages-intérêts.
Invoquant l’article 3, les requérants se plaignaient
de leurs conditions de détention, en particulier de
l’exigüité de leurs cellules.
Décision de la Cour
Article 3
La Cour rappelle que lorsque la surpopulation
carcérale atteint un certain niveau, le manque
d’espace dans un établissement pénitentiaire peut
constituer l’élément central à prendre en compte
au regard de l’article 3.
La Cour constitutionnelle polonaise a, dans son
arrêt du 26 mai 2008, jugé que par sa nature
sérieuse et chronique le phénomène de
surpopulation carcérale dans le pays était, à lui
seul, susceptible d’être qualifié de traitement
inhumain et dégradant et que l’article 248 du code
d’application des peines était incompatible avec
l’article 40 de la Constitution. La Cour
européenne souligne que cet article de la
Constitution polonaise est quasiment identique à
l’article 3 de la Convention. Par conséquent, à
chaque fois que la Cour sera saisie par un détenu
se plaignant d’une incarcération prolongée dans
une cellule où il ne dispose pas d’un espace
10 2009
/
personnel d’au moins 3 m², il existera une forte
présomption de violation de cette disposition.
Dans les deux cas d’espèce, il a pu être établi audelà de tout doute raisonnable que, pendant des
périodes considérables, les requérants ont subi une
grande promiscuité car leur espace personnel était
inférieur au minimum « humanitaire » garanti au
niveau interne.
En outre, cette exigüité a été exacerbée par des
facteurs aggravants, tel le manque d’exercice, en
particulier en extérieur, le manque d’intimité, des
conditions d’hygiène préoccupantes et des
transferts à répétition. La Cour conclut à
l’unanimité que les requérants ont subi une
épreuve dont l’intensité a excédé le niveau
inévitable de souffrance inhérent à l’incarcération,
en violation de l’article 3.
Article 8
La Cour estime que la situation des requérants
était susceptible de se prêter à un examen sous
l’angle de l’article 8, considérant les questions de
droit au respect de l’intégrité mentale et physique
et de l’intimité que posaient leurs conditions de
détention. Étant donné le constat de violation de
l’article 3, elle n’estime cependant pas nécessaire
d’examiner les affaires sous cet angle. Elle
souligne néanmoins que le constat de la Cour
constitutionnelle polonaise dans son arrêt du
26 mai 2008 aurait suffi à conclure à la violation
de l’article 8 § 2 pour non respect de la condition
relative à la loi prévue dans cette disposition.
Article 46
La Cour se propose d’examiner, compte tenu des
circonstances, quelles conséquences peuvent être
tirées de l’article 46 (force obligatoire et
exécution des arrêts) pour la Pologne.
Quelques cent soixante requêtes contre la Pologne
- dont environ quatre-vingt-quinze communiquées
- soulevant le problème de la compatibilité avec
l’article 3 de l’incarcération dans des conditions
inadéquates, en particulier en cas de surpopulation
carcérale, sont actuellement pendantes devant la
Cour.
La gravité et le caractère structurel de la
surpopulation carcérale ont été reconnus par la
Cour constitutionnelle polonaise et par l’ensemble
des autorités nationales ayant participé à la
procédure devant cette cour et à la procédure
devant la Cour : concernant les requérants. Cette
surpopulation, observée depuis 2000 et au moins
jusqu’à la première moitié de l’année 2008, révèle
l’existence d’un problème structurel consistant en
« une pratique incompatible avec la Convention ».
L’application de restrictions à l’espace personnel
des détenus, censée être passagère et
exceptionnelle, s’est transformée en un
phénomène chronique.
18
10 2009
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
/
Dans les cas d’espèce, les autorités se sont
contentées de légitimer le problème en utilisant
une loi interne jugée ultérieurement contraire à la
Constitution par la Cour constitutionnelle. Les
mesures récemment adoptées par la Pologne
concernant les conditions de détention
inadéquates ne pouvant pas remédier aux
violations antérieures, il est nécessaire de trouver
une solution globale à ce problème en agissant sur
ses sources.
La Cour souhaite donc encourager la Pologne à
mettre en place un système efficace de recours
auprès de l’administration pénitentiaire et des
autorités chargées de surveiller l’exécution des
peines, lesquelles sont les plus à même de prendre
rapidement des mesures appropriées.
En application de l’article 41 (satisfaction
équitable) de la Convention, la Cour alloue, au
titre du préjudice moral, 3 000 euros (EUR) à
M. Orchowski et 3 500 EUR à M. Sikorski, et à
M. Orchowski 12 EUR pour frais et dépens. .
Orchowski
c.
Pologne
no
17885/04
o
Norbert Sikorski c. Pologne n 17599/05 22/10/2009
Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 3 ;
Préjudice moral - réparation Jurisprudence : Akdivar
et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996,
Recueil of Judgments et Decisions 1996-IV, § 65 ;
Alver c. Estonie, n° 64812/01, 8 novembre 2005 ;
Andreï Frolov c. Russie, n° 205/02, §47-49, 29 mars
2007 ; Babouchkine c. Russie, n° 67253/01, § 44, 18
octobre 2007 ; Belevitski c. Russie, n° 72967/01, §§
73-79, 1 mars 2007 ; Bottazzi c. Italie [GC], n°
34884/97, § 22, CEDH 1999-V ; Boyle et Rice c.
Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A n° 131,
p. 26, § 65 ; Broniowski c. Pologne [GC], n° 31443/96,
§§ 189, 190-191 et 192, CEDH 2004-V ; Dougoz c.
Grèce, n° 40907/98, § 46, CEDH 2001-II ;
Kalachnikov c. Russie, n° 47095/99, § 99, CEDH
2002-VI ; Kantyrev c. Russie, n° 37213/02, § 50-51, 21
juin 2007 ; Karalevicius c. Lituanie, n° 53254/99, 7
avril 2005 ; Kauczor c. Pologne, n° 45219/06, § 58 et
seq, 3 février 2009 ; Khider c. France; n° 39364/05;
§§110 et 111 ; Kudla c. Pologne [GC], n° 30210/96, §
94, CEDH 2000-XI ; Labita c. Italie [GC], n°
26772/95, § 119, CEDH 2000-IV ; Labzov c. Russie,
n° 62208/00, § 44, 16 juin 2005 ; Lind c. Russie, n°
25664/05, § 59, 6 décembre 2007 ; Mamedova c.
Russie, n° 7064/05, § 63, 1 juin 2006 ; Nazarenko c.
Ukraine, n° 39483/98, § 144, 29 avril 2003 ;
Novosselov c. Russie, n° 66460/01, §§ 32, 40-43, 2
juin 2005 ; Ostrovar c. Moldova, n° 35207/03, § 89, 13
septembre 2005 ; Pachla c. Pologne, n° 8812/02, 8
novembre 2005 ; Peers c. Grèce, n° 28524/95, §§ 67-68
et 70-72, 74, CEDH 2001-III ; Scordino c. Italie (n° 1)
[GC], n° 36813/97, §§ 229-231, CEDH 2006 ; Scozzari
et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, §
249, CEDH 2000-VIII ; Valašinas c. Lituanie, n°
44558/98, §§ 101, 102 et 104, CEDH 2001-VIII.
L’arrêt Orchowski c. Pologne existe en anglais, et
l’arrêt Sikorski c. Pologne, en français.)
France
REVIREMENT DE
JURISPRUDENCE
CONSEIL D'ETAT
30 octobre 2009
Tout justiciable peut demander l'annulation
d'une disposition règlementaire contraire aux
objectifs définis par une directive européenne,
même non transposée en droit français, si les
dispositions invoquées sont précises et
inconditionnelles.
Estimant être victime de discrimination syndicale, la
présidente d'un syndicat de magistrat qui avait
brigué en vain un poste à l'Ecole nationale de la
magistrature, avait attaqué le décret de la
Chancellerie qui désignait une autre personne à ce
poste. Elle invoquait le bénéfice des règles relatives
à la charge de la preuve fixées par l'article 10 de la
directive du Conseil n° 2000/ 78/ CE du 27
novembre 2000, relative au régime de la preuve en
matière de discrimination, bien que cette directive
dont le délai de transposition expirait le 2 décembre
2003, n'ait pas été encore transposée en droit
français, malgré l'expiration du délai de
transposition quelques années auparavant 1.
Opérant un revirement de jurisprudence par rapport
à la célèbre décision Cohn-Bendit de 1978, le
Conseil d'Etat constate que la transposition des
directives communautaires est désormais une
obligation, instituée par le Traité CE et est
également une obligation constitutionnelle pour les
Etats membres. Il précise ainsi dans son arrêt que
les dispositions d'une directive, même non
transposée peuvent être invoquées à l'appui d'un
acte administratif, même non règlementaire si ces
dispositions sont précises et inconditionnelles (ce
qui n'était pas le cas en l'espèce).
Sur le fond de l'affaire, la Haute juridiction
administrative, juge que la directive n'a pas d'effet
direct dans ce cas d'espèce, les dispositions
invoquées par la candidate évincée n'étant pas
inconditionnelles, puisqu'elles contenaient une
réserve permettant de ne pas instaurer un système
d'aménagement de la preuve de la discrimination si
le juge dispose de pouvoirs d'instruction suffisants
et usant de ses pouvoirs d'instruction, elle considère
en l'espèce que la requérante n'a fait l'objet d'aucune
discrimination syndicale.
Assemblée du contentieux, sur le rapport de la 6ème
sous-section Séance du 16 octobre 2009 Lecture du 30
octobre 2009 N° 298348 Mme P.
1
La directive invoquée dans cette affaire a finalement fait l'objet
d'une transposition générale dans l'article 4 de la loi du 27 mai 2008.
19
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
07 2009
/
bservatoire sans frontières des violations des droits de la
défense et des droits des avocats dans le monde
Ce mois-ci, l'IDHAE est intervenu pour :
IRAN - 2 octobre 2009 :
Abdolfattah
Soltani
empêché de quitter le pays.
hooliganisme mineur » .
Abdolfattah
Soltani qui devait se rendre
en Allemagne pour y
recevoir un prix des droits
de l'homme a été empêché
de quitter le pays le 2
octobre 2009.
Des hommes en civil se sont
approchés de lui et lui ont
confisqué son passeport en
lui disant que l’autorisation
qui lui avait été donnée de
quitter l’Iran avait été
« annulée ». Ils lui ont
donné pour instruction de se
rendre
au
bureau
présidentiel la semaine
suivante pour en savoir plus
à son sujet.
Abdolfattah Soltani était en
route pour Nuremberg où il
devait recevoir le prix
international des droits
humains de Nuremberg,
dimanche 4 octobre. Cette
distinction prestigieuse « a
non seulement pour objectif
de saluer les efforts des
récipiendaires mais aussi de
contribuer à la protection
des défenseurs des droits
humains en danger et
d’inciter d’autres personnes
à s’engager en faveur de ces
droits.
Lia Mukhashavria, avocate
et
présidente
d'Human
Rights Priority, a été
condamnée par la Cour de
Tbilissi, en Géorgie, à payer
une
amende
pour
«
hooliganisme mineur » et
actes de harcèlement.
Lia Mukhashavria
a
représenté l'ancien maire
Tengiz
Asanidze,
emprisonné
illégalement,
dans
l'affaire
Asanidze
contre l'État de Géorgie, la
première affaire contre la
Géorgie portée devant la
Cour européenne des droits
de l'Homme. Elle s'occupe
des litiges liés aux violations
des
droits
humains
commises contre les civils
lors de la guerre d'août 2008.
Source : Frontline
ZIMBABWE - 14 octobre
2009: Ouverture du procés
d'Alec
Muchadehama
pour "entrave au cours de
la justice ",
Source : HNS-info
GEORGIE 11 octobre
2009 : Lia Mukhashavria
condamnée par la Cour de
Tbilissi
à payer une
amende
pour
«
Le
procés
d''Alec
Muchadehama,
éminent défenseur des droits
de l'homme et de la liberté
d'expression, pour entrave à
la justice s'est ouvert. Il lui
est reproché une connivence
avec un greffier de la Haute
Cour, Constance Gambara,
afin d’assurer la « libération
illégale » sous caution
d’Andrison Manyere et
Gandhi Mudzingwa, le 17
avril 2009.
Ces dernières années, Alec
Muchadehama
était
impliqué
dans
de
nombreuses affaires pénales
à l'encontre de défenseurs
des
droits
humains
zimbabwéens.
Source : Source :
OBSERVATOIRE -
SYRIE – 14 octobre 2009 :
Haytham al-Maleh, un
avocat syrien, 78 ans,
arrêté et détenu au secret .
Haytham al
Maleh , avocat de soixantedix-huit ans a été convoqué
par téléphone à la section de
la Sécurité politique de
Damas le 13 octobre 2009,
par un agent de la Sécurité
politique . Il refusé de s’y
présenter et il a été arrêté à
son bureau le lendemain.
Bien que les autorités
syriennes aient refusé de
révéler où il se trouve,
certains défenseurs des
droits
humains
syriens
pensent qu’il est peut-être
détenu à la section de la
Sécurité politique de Damas.
Les autorités syriennes n’ont
pas indiqué les motifs de
l’arrestation . Cependant, il
pourrait être détenu en
raison
d’une
interview
téléphonique
qu’il
a
accordée à Baradda TV, une
chaîne satellitaire basée en
Europe qui s’oppose aux
autorités syriennes. Dans
20
07 2009
LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME
cette interview, enregistrée
en septembre 2009, il a
évoqué les droits humains et
la démocratie en Syrie.
Haytham al Maleh souffre
de
diabète
et
d’hyperthyroïdie. Ces deux
pathologies nécessitent la
prise
régulière
de
médicaments adaptés, un
régime et une surveillance
médicale, sans quoi son état
de
santé
pourrait
se
détériorer.
Haytham al Maleh a déjà été
incarcéré auparavant en
raison de son travail en
faveur des droits humains.
Source :
AI
MEXIQUE – 15 octobre
2009 : Gustavo de la Rosa
Hickerson se refugie au
Texas faute de protection
par les autorités.
/
à El Paso au Texas avec sa
femme et son fils âgé de 21
ans.
Arrêté pour entrée
illégale dans le pays, il est
depuis le 15 octobre placé
sous la protection des
Douanes dans l'attente d'une
demande d'asile.
Gustavo
de
la
Rosa
Hickerson dirige le bureau
de Ciudad Juárez de la
CEDH
de
l’État
de
Chihuahua depuis avril
2008. Il fait partie des
quelques hauts responsables
qui
ont
reconnu
publiquement
la
forte
augmentation du nombre de
signalements de graves
atteintes aux droits de
l'homme, notamment d’actes
de torture et d’exécutions
extrajudiciaires à Ciudad
Juárez, commises par les
forces armées exerçant des
missions de police.
contre une personne.. dont
l’identité n’a pas été révélée.
Les trois parlementaires
européennes , Mme Hélène
Flautre (Verts), Catherine
Trautmann (PS) et Marie
Christine Vergiat (Front de
Gauche), ont adressé une
lettre ouverte au ministre
tunisien de l'intérieur, M.
Rafik Belhaj Kacem pour
protester énergiquement
contre cette interdiction de
quitter le territoire et
condamné fermement cette
atteinte à la liberté de
circuler qui a pour objet
d'empêcher une voix
dissidente de s'exprimer en
période de campagne
électorale.
Source : REMDH
Source : AI
Gustavo de la
Rosa Hickerson, un avocat
spécialisé dans la défense
des droits de l'homme, a été
menacé de mort en raison
des activités qu’il mène à la
tête du bureau de Ciudad
Juárez de la Commission
d’État des droits de l'homme
(CEDH) de Chihuahua, dans
le nord du Mexique.
Le 4 septembre, alors qu’il
rentrait de son travail à
Ciudad Juárez, il s’est arrêté
à un feu rouge et une voiture
l’a rattrapé. Le conducteur a
baissé sa vitre, mimé un
pistolet avec sa main et fait
semblant de tirer sur lui, en
disant : « Calme-toi ou on va
te tuer », avant de
redémarrer. Gustavo de la
Rosa Hickerson a demandé à
la CEDH de lui fournir une
protection, mais sa demande
a été rejetée et il a été
contraint de se réfugier de
l’autre côté de la frontière,
dans la ville américaine d’El
Paso.
A la fin du mois de
septembre, Gustavo de la
Rosa Hickerson s'est réfugié
TUNISIE - 20 octobre
2009 - Radhia Nasraoui
empêchée de sortir du
territoire pour rendre à
une rencontre du
Parlement européen
Radhia
Nasraoui, présidente de
l'Association tunisienne de
lutte contre la torture, a été
empêché d’embarquer le
mardi 20 octobre alors
qu’elle s’apprêtait à se
rendre à une rencontre du
Parlement européen sur la
situation des droits de
l'homme dans le bassin
minier de Gafsa (Sud-ouest)
à l'invitation de trois
parlementaires européennes
.Le prétexte invoqué, à
l’appui de cette décision est
que Radhia Nasraoui et son
mari Hamma Hammami,
porte parole du PCOT,
feraient l’objet d’une
procédure judiciaire.. pour «
voies de fait avec violence
contre autrui» à la suite
d’une altercation imaginaire
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