débat démocratique - La Ligue de l`enseignement

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débat démocratique - La Ligue de l`enseignement
Le dossier du mois
janvier 2010
Le débat démocratique est-il menacé ?
Retrouvez les avis des experts et des acteurs qui font le débat.
Sécurité, jeunesse, identité nationale
ou islam… beaucoup de sujets
sont abordés de manière alarmiste.
Les citoyens ont-ils les clés pour décrypter le vrai du faux,
le raisonnable de l’émotion ? Comment faire pour organiser
de vrais débats publics ? Peut-on éviter le populisme et
la manipulation des opinions dans une démocratie de la
communication ?
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Le débat démocratique est-il menacé ?
Sommaire
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Introduction....................................................................... 3-5
Enjeux............................................................................... 6-7
Points de vue.................................................................... 8-34
Le débat en défaut.................................................................................... 8
Entretien avec Nadia Bellaoui ................................................................. 9
L’islam imaginaire du débat public français.............................................. 10-14
Entretien avec Thomas Deltombe
Le communautarisme, voilà l’ennemi
par Laurent Bouvet................................................................................... 15-18
Entretien avec Daniel Lindenberg ........................................................... 19
Questions sur le journalisme en démocratie
Fiche de lecture........................................................................................ 20-23
Une redéfinition de la démocratie
Les partis et l’opinion dans la « démocratie du public »........................... 25-27
Entretien avec Bernard Manin
Entretien avec Stéphane Rozès............................................................... 28
L’émotion humanitaire permet-elle le débat public ?................................ 29-31
Entretien avec Denis Maillard
Rosanvallon et la crise de la représentation démocratique...................... 32-34
Fiche de lecture
Repères............................................................................ 35-37
Quizz................................................................................ 38-40
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Introduction
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Enjeux
Points de vue
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Sécurité et faits divers, jeunesse et émeutes dans les banlieues…
parmi les grands débats de société initiés par les politiques et relayés
par les médias, beaucoup font appel à l’émotion maniant le préjugé et
la généralisation abusive. Le traitement de l’islam est l’exemple d’un
sujet où l’imaginaire collectif s’est construit sur des sentiments de
peur et de méfiance.
Mais peut-on réfléchir sereinement dans une démocratie qui use
de ces ressorts ?
Jusqu’à la fin des années 70, la question de l’islam est peu traitée.
Les reportages télévisés s’intéressent le plus souvent aux traditions
et à la vie quotidienne d’une communauté d’immigrés d’origine maghrébine. Le véritable tournant s’opère en 1989 avec l’affaire de
Creil où trois adolescentes voilées sont expulsées de leur collège.
D’un épiphénomène, on fait une affaire d’État, donnant l’impression
au citoyen d’un mouvement d’ampleur.
Certains élus surfent sur la vague médiatique. Polémiques sur la
construction de mosquées et « affaires » de jeunes filles voilées
font régulièrement la Une. Petit à petit, dans les médias, les citoyens dont les parents sont issus de pays musulmans deviennent
systématiquement des musulmans pratiquants.
En 2004, une loi sur l’interdiction des signes religieux dans les
écoles publiques est votée. La rentrée 2005 se passe sans incident
majeur. Cette pratique était-elle si répandue qu’il faille en faire une
loi et renforcer la stigmatisation d’une partie de la population ? Récemment encore, des députés ont souhaité la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le port en France de la burqa.
Une pratique pourtant tout à fait marginale.
La rengaine de « l’Islam est-il soluble dans la République ? » ou de
« l’intégration des musulmans en France » est devenu LE « problème » soulevé par les médias de masse et LA « préoccupation »
des politiques. Comment une République laïque a-t-elle progressivement figé des citoyens dans une seule identité, religieuse de
surcroît ?
L’actualité internationale vient aussi consolider une image déjà dévoyée. Après les attentats du 11 septembre 2001, être musulman,
c’est aussi être un intégriste. Les amalgames entre islam et islamisme, entre islamique et islamiste sont fréquents.
En France, sur fond d’attentats de Londres et de Madrid et d’enlèvements de journalistes en Irak, le gouvernement et les médias
s’alarment sur « l’islam des caves » et les imams radicaux comme
celui de Vénissieux. Les citoyens n’ont pas les moyens de vérifier.
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Et dans beaucoup d’esprits, ce qu’on appelle grossièrement les
« arabes musulmans », de l’Iran à l’Indonésie en passant par la
Grande-Bretagne et le Maghreb, constituent une menace terroriste
en puissance. L’affaire des caricatures de Mahomet achèvent le
portrait du musulman radical et arriéré.
L’actuel débat autour de l’identité nationale n’a pas manqué de se
focaliser sur la question de l’islam. Les dérapages au sommet ne
sont que les symptômes d’un vrai malaise dans l’opinion. Dans
une relation complexe à l’instrumentalisation politique, l’opinion publique, travaillée par l’émotion et la peur, ne possède pas toujours
les clés pour débattre. Comment faire pour organiser de vrais débats publics ? Peut-on éviter le populisme et la manipulation des
opinions dans une démocratie de la communication ?
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L’exercice de la délibération est au cœur de la démocratie. Il requiert la
pluralité des opinions, passe par une mise en forme de la conflictualité,
vise la construction d’une décision raisonnée. Ces fondamentaux de la
vie démocratique peuvent sembler intemporels, mais ils sont en réalité
enracinés dans l’Histoire. Non pas seulement parce qu’ils sont liés à
l’émergence des démocraties modernes au siècle des Lumières, mais
parce que chaque époque les met à l’épreuve d’une façon nouvelle.
La nôtre s’inquiète ainsi de l’émergence d’une « démocratie d’opinion », prise entre la tentation démagogique de suivre l’opinion dans
tous ses caprices, et celle tout aussi forte de formater l’opinion,
voire de la manipuler. Récemment, le débat sur l’identité nationale a
ainsi suscité une puissante polémique : est-ce vraiment la question
centrale de la France d’aujourd’hui ? Ce thème ne ramène-t-il pas à
lui, d’une façon pernicieuse, des questions sociales autrement plus
complexes et qui ne sauraient se réduire à des questions d’identité
culturelle ou de valeurs politiques ? De nombreux commentateurs
se sont également interrogés sur le fait que ce débat soit mené
sous l’égide de l’État, alors que ses arrière-pensées politiciennes
ne font guère de doute.
Dans ces critiques se sont, en quelque sorte, cristallisées des interrogations sur la capacité des élites politiques et médiatiques à formuler le bien commun, ou simplement à en débattre en des termes
acceptables. On peut incriminer la complexité croissante d’un
monde rendu illisible par l’inflation de l’information et la segmentation des savoirs experts. On peut pointer avec Pierre Rosanvallon
une « crise de la généralité ». On peut enfin dénoncer la façon dont
certains acteurs abusent de cette confusion pour imposer des représentations d’autant plus rassurantes qu’elles sont réductrices et
falsifiées. Mais la vraie question demeure : comment débattre alors
que nous ne maîtrisons pas collectivement les termes du débat ?
S’il est vain d’imaginer qu’ait jamais existé un espace public parfaitement rationnel, il faut admettre que la question de la représentation, au double sens intellectuel et politique, est aujourd’hui brûlante. Il est urgent de la revisiter : d’en repérer les tensions et les
points faibles, mais aussi de percevoir les évolutions qui peuvent se
cacher derrière ses fragilités actuelles. Il faut le faire sans complaisance, car c’est bien ainsi que l’on fait confiance à la démocratie.
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Le débat en défaut
Certaines questions sont apparues dans le débat public
et y occupent une place centrale. On peut interroger la
construction politique et médiatique de ces questions ; on
peut aussi s’interroger sur les mécanismes qui conduisent à
faire glisser le débat public vers des formules et des conflits
rendant mal compte de la complexité du réel.
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Entretien avec Nadia Bellaoui
Nadia Bellaoui, de la Ligue de l’enseignement, revient sur le
« grand débat sur l’identité nationale » : le sujet des identités
est central dans la société contemporaine, où elles ne sont plus
données d’avance mais construites par les individus. Le sujet
pourrait donc être débattu, mais les conditions ne sont pas
réunies pour le faire correctement.
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L’islam imaginaire du débat
public français
Une remise en perspective
La question de l’islam est devenue centrale dans le débat public
français. Mais cette centralité n’a rien d’évident : elle émerge au fil
d’un processus commencé il y a près de trente ans et qu’on peut
décrire comme une construction intellectuelle. Un jeu de réductions
successives a fini par recentrer des problèmes sociaux sur une
question culturelle et religieuse qui occupe désormais beaucoup
d’espace et filtre les autres aspects du débat. Des catégories
anciennes de la réflexion intellectuelle et de la culture républicaine ont
été remobilisées pour construire ce débat, dans des conditions qui
demandent à être interrogées.
Thomas Deltombe est
journaliste et essayiste.
Il a notamment publié
L’islam imaginaire. La
construction médiatique de
l’islamophobie en France,
1975-2005 (La Découverte,
2005).
Entretien avec Thomas Deltombe
Quand et dans quelles conditions la question de l’islam apparaît-elle sur la scène intellectuelle française ?
Pour comprendre l’islamophobie contemporaine en France, il
n’est pas inutile de revenir aux années 1970. À l’époque, une
partie des élites françaises a connu un changement idéologique
majeur : un certain nombre de personnalités de gauche, qui
avaient défendu le « communisme » dans les années antérieures, dans ses versions soviétique, chinoise ou cubaine, ont
commencé à renoncer à leurs engagements et à dénoncer la
nature « totalitaire » du communisme. Cette dénonciation du
« totalitarisme » et l’exaltation parallèle de « la liberté » sont
devenues, dans le débat public, une des principales préoccupations.
Dans un premier temps, la religion musulmane n’apparaissait
pas dans ce débat. Mais la Révolution iranienne de 1978-1979,
malgré l’enthousiasme initial qu’elle a suscité chez certains, a
progressivement fait de « l’islam » une des cibles du courant
« antitotalitaire ». Or ce processus se double d’un second : le
changement de regard, au tournant des années 1970-80, sur
les populations migrantes. Subitement, on comprit que ceuxci n’étaient pas, comme on avait voulu le croire jusque-là, de
simples « oiseaux de passage » voués, à terme, à « rentrer
chez eux ».
La question religieuse est-elle d’emblée associée à la question de l’immigration ?
Non, mais on observe progressivement un glissement sémantique dans le discours public : les « travailleurs étrangers » (al-
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gériens, tunisiens, marocains, africains…), comme on les appelait dans les
années 1970, deviennent de simples « immigrés » au début des années
1980. Délaissant progressivement les autres, on s’intéresse de plus en plus
aux seuls « Nord-Africains », et singulièrement à tous ceux qui ressemblent à
des « Algériens ». Et le regard se focalise bientôt sur la « deuxième génération », à laquelle on donne une étiquette spécifique, les « Beurs », comme si
ce segment de la société, considéré comme irrémédiablement « différent » et
« homogène », devait être maintenu en situation d’extériorité (et d’infériorité)
par rapport au reste de la société française.
L’érection de ce cordon de sécurité symbolique autour des « Beurs » est
renforcé par l’usage constant, et obsessionnel, d’un terme qui avait presque
disparu depuis la guerre d’Algérie : « l’intégration ». Formulée explicitement
comme une marque de « générosité » (« la France fait des efforts pour intégrer… »), cette thématique de « l’intégration » devient implicitement, au milieu des années 1980, une arme d’exclusion. Présupposant qu’ils ne le sont
pas, on exige des « immigrés » qu’ils « s’intègrent » promptement. Comme
l’attestent l’obsession des médias pour celles qu’ils appellent alors « les Beurettes » et l’intérêt croissant des journalistes pour la « culture islamique » de
la « deuxième génération d’immigrés », l’aspect socio-économique de cette
« intégration », qui ne concerne pas que les « immigrés », s’efface au profit
d’une lecture strictement culturaliste. Avec cette question latente : sont-ils, au
fond, « intégrables » ?
Ce qui se passe en fait à cette époque pourrait être décrit comme une forme
d’essentialisation de la population française « issue de l’immigration » : la
nationalité ne suffisant plus à marquer la « différence » et à garantir les frontières de l’« identité nationale », on cible l’identité culturelle, et en particulier
sa dimension religieuse, des « immigrés ». Les médias et un certain nombre
d’intellectuels convertissent alors un segment de la population à une religion
qu’ils appellent « islam », sans même demander aux présumés « musulmans » ce qu’ils pensent de cette catégorisation. Cette « identité islamique »
imposée commence (et continue aujourd’hui) à fonctionner comme un stigmate soulignant le présumé « manque d’intégration » d’un segment de la
population qu’on va littéralement isoler, en le prédéfinissant culturellement
et ethniquement.
La mise entre parenthèse des problèmes socio-économiques au profit de
grilles de lecture « culturelles », « religieuses » et « identitaires » permet au
bout du compte d’inverser les responsabilités : ce ne sont plus les dirigeants
qui sont responsables des problèmes sociaux et de la crise économique,
mais l’ancien « travailleur étranger » devenu « immigré », puis « musulman ». La création d’un bouc émissaire « musulman » favorise évidemment
l’extrême droite, en pleine expansion à l’époque, dont les forces politiques
traditionnelles cherchent à capter l’électorat. Il s’agit d’apporter une réponse
« acceptable », formulée de ce fait en termes « religieux », aux « bonnes
questions » posées par le Front national (dixit Laurent Fabius, alors Premier
ministre). L’« antiracisme » autoproclamé, donné comme une réplique décisive au « racisme » de l’extrême droite, vient compléter le dispositif : en
arborant le badge de SOS Racisme (« Touche pas à mon pote »), en parlant
en permanence de « nos amis » noirs et arabes, en mettant en avant « leurs
remarquables traditions culturelles » (musique, cuisine, etc.), beaucoup de
gens se croient, de bonne foi, immunisés contre le racisme et le paternalisme
que charrient pourtant leurs discours de plus en plus stigmatisants à l’égard
de cet « islam » essentialisé et abstrait que je qualifie d’« imaginaire ».
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Quel rôle jouent les médias dans ce glissement ?
Ils jouent un rôle important, non pas, évidemment, sous la forme d’un « complot » mais du fait d’évolutions structurelles. L’intérêt renouvelé pour l’« islam » dans les années 1980 a été notamment favorisé par les profondes évolutions de l’industrie des médias au milieu des années 1980. L’invasion de la
presse magazine par la publicité et l’apparition de chaînes de télévision privées (par le biais notamment de la privatisation en 1987 de TF1) ont eu des
conséquences importantes. Désormais financés par la publicité et suspendus à l’Audimat, les médias ont eu tendance à négliger des problèmes « ennuyeux », comme les questions économiques, les affaires internationales,
les inégalités sociales, etc., et à se tourner vers des sujets plus « sexy »,
et plus rémunérateurs, comme l’« immigration », les « violences urbaines »
ou « l’intégrisme islamique ». Par leur aspect « spectaculaire », les images
de barbus, de femmes voilées, de foules en prières dans la rue ont joué un
rôle essentiel. Alors que les commentaires « oubliaient » de dire que le port
de la barbe et du foulard n’était pas une nouveauté, et que les prières dans
la rue s’expliquaient par les blocages politiques et les difficultés financières
des croyants pour construire des lieux de cultes décents, ces images ont eu
tendance à valider, sur le mode « émotionnel », la thèse conjointe de la non
« intégrabilité » des « immigrés » et de « l’offensive intégriste ».
Parle-t-on déjà de « choc des civilisations » ?
En tant que telle, la notion de « choc des civilisation » n’entrera dans le débat
public qu’à la fin des années 1990. Mais cela fait bien longtemps, on l’a vu,
que les médias et les responsables politiques colportent l’idée d’une « incompatibilité » culturelle entre les « civilisations » musulmanes et occidentales.
Ce processus est particulièrement notable au cours de l’année 1989, marquée au niveau international par l’affaire Salman Rushdie et la chute du mur
de Berlin et, au plan national, par la célébration du bicentenaire de la Révolution française et la première affaire des foulards. Ces événements tendent
à faire de « l’Islam » le substitut du communisme comme l’ennemi mortel de
« l’Occident ». De façon significative, c’est l’année suivante que l’on voit pour
la première fois apparaître Bernard Lewis, véritable doctrinaire du « choc des
civilisations », à la télévision française (sur TF1).
En France, c’est autour de la laïcité que s’opère cette évolution. Après la
publication des Versets sataniques de Salman Rushdie (qui est l’objet d’intenses débats en France à partir de février 1989), la laïcité tend à être décrite
comme l’ultime rempart contre l’« offensive intégriste », « la théocratie islamique » et le « totalitarisme vert », symbolisés depuis 1979, dans les imaginaires occidentaux, par l’Iran de l’ayatollah Khomeiny. On verra ainsi Régis
Debray en appeler sur les plateaux de télévision à « la défense de notre
capital génétique de civilisation » (sic) qui, précise-t-il, « s’appelle les Lumières, le rationalisme, la République, la laïcité ». Quelques mois plus tard,
au moment de l’affaire des « tchadors de Creil » (automne 1989), le même
Debray signera avec quelques intellectuels un appel contre le « Munich de
l’école républicaine » que constituerait, selon lui, l’acceptation du « foulard
islamique » dans les établissements scolaires français. Dans la droite ligne
de la pensée « antitotalitaire » des années 1970, le « foulard » devient le
symbole d’un « nouveau nazisme » (analogie que reprendront Jean-Marie Le
Pen, André Glucksmann et beaucoup d’autres).
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Déjà bien engagé, le rapprochement idéologique entre la gauche et la droite
apparaît particulièrement visible au moment de cette affaire de Creil. Alors
que la gauche qui a renoncé à son programme économique et social au
début des années 1980, se raccroche fièrement la « laïcité », une des seules
« valeurs » qui lui reste, la droite, traditionnellement plus hésitante à embrasser un concept qui avait longtemps visé l’Eglise catholique, rejoint leurs
adversaires quand il devient évident que l’« islam » est désormais la cible
unique de cette « laïcité » nouvelle manière. Avec « l’intégration », dont elle
serait l’instrument nécessaire, la « laïcité » devient pour beaucoup un nouveau moyen d’euphémiser rhétoriquement, et de véhiculer sous une forme
« acceptable », ce « choc des civilisations » qui ne dit pas (encore) son nom.
Il y eut cependant des acteurs de bonne foi, dans cette défense de la
laïcité : peut-on vraiment la réduire à un repli nationaliste qui ne dirait
pas son nom ?
Si l’on met de côté toutes celles et tous ceux qui utilisent, ou profitent cyniquement, des « débats sur l’islam » pour muscler leur Audimat, pour s’assurer
une visibilité médiatique, pour brosser l’électorat dans le sens du poil, etc.,
on peut effectivement penser que beaucoup de ceux qui interviennent dans
les médias et qui construisent ainsi le débat public (journalistes, intellectuels,
responsables politiques) sont effectivement de « bonne foi », comme vous
dites. Mais ce qu’il y a de frappant dans cette histoire, c’est que même ceuxlà semblent parfois avoir du mal à comprendre que les termes dans lesquels
sont posés ces « débats » ne sont pas innocents.
Votre question évoque, par exemple, « la défense » de la laïcité. Expression
intéressante ! Elle fut abondamment utilisée en 1989 – alors même que rien
ne laissait penser que la laïcité était « attaquée » – pour faire croire à un
public crédule que la laïcité subissait en France une « offensive téléguidée »
par… Khomeiny ! De la même manière, on entendit, en 1994, Ségolène
Royal « défendre la laïcité » en France contre… le GIA algérien ! La « laïcité » serait-elle une mesure antiterroriste ? La question se pose sérieusement
depuis septembre 2001, car c’est bien grâce un mélange d’arguments « sécuritaires » et « civilisationnels » qu’a été justifiée la loi de 2004 interdisant les
« signes ostensibles d’appartenance religieuse » dans les écoles publiques.
Cependant, pour ne pas tomber dans le ridicule et pour éviter de passer pour
de fieffés réactionnaires, celles et ceux qui « défendent la laïcité » avec tant
d’acharnement préfèrent souvent le faire dans l’abstrait, oubliant savamment
de dire avec toute la précision requise qui sont les méchants « agresseurs ».
Une précision qui ne serait pourtant pas tout à fait inutile si l’on voulait sincèrement éviter les quiproquos, les glissements dangereux et le retour insidieux d’un passé refoulé.
De nombreux observateurs ont en effet souligné les filiations qui existent
entre les débats récurrents sur le « voile islamique » (1989, 1994, 1999,
2004...) et la pensée coloniale française. Un exemple intéressant à ce sujet
est la réaction d’un journaliste du Monde qui, en 1989, après la diffusion
sur Antenne 2 d’une émission sur les « intégrismes religieux » (mais qui se
focalisait en fait uniquement sur l’« intégrisme islamique »). Le journaliste
s’offusqua des propos tenus par Mgr Lefebvre au cours de l’émission. Mgr
Lefebvre, expliquait-il, « a tenu un discours qui remonte aux premiers temps
du colonialisme et que le raciste le plus inculte n’oserait plus exprimer au-
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jourd’hui ». Ce que le journaliste du Monde ne remarqua pas cependant,
c’est que toute l’émission charriait un mépris ahurissant pour l’islam et pour
les « immigrés ». Et s’inscrivait en parfaite continuité, non pas avec « les
premiers temps du colonialisme » où les catholiques cherchaient à convertir les « sauvages » ultramarins, mais avec « le second temps du colonialisme », celui de Jules Ferry, où l’on prétendait les « civiliser » à grand coup
d’école laïque…
De « bonne foi » ou non, nous sommes tous profondément influencés par
l’histoire coloniale. Si on ne travaille pas sérieusement sur ce passé qui, manifestement, ne passe pas, nous sommes condamnés, même à notre corps
défendant, à cautionner le « repli identitaire », c’est-à-dire nationaliste et/ou
raciste, que sous-tendent les débats piégés sur « l’islam ».
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Le communautarisme,
voilà l’ennemi
Dans le débat très vif qui oppose en France « la République » au
« communautarisme » flotte quelque chose d’irréel. Le choc des
représentations ignore la complexité sociale. Ni la République, ni
les minorités en quête de reconnaissance ne se laissent réduire aux
caricatures qui circulent, qu’elles produisent elles-mêmes, et qui
amènent les uns et les autres à se livrer à d’étonnants procès en
légitimité.
Laurent Bouvet est
professeur de sciences
politiques à l’université
de Nice et à Sciences
Po. Il a notamment publié
Le Communautarisme.
Mythes et réalités, Lignes
de Repères, 2007 et
« Le communautarisme :
fondement ou aporie de
l’identité américaine ? » in
P.-A. Taguieff & G. Delanoi,
Le communautarisme : vrai
concept et faux problèmes,
Cahiers du CEVIPOF, n°
43, 2005.
Par Laurent Bouvet
Le terme « communautarisme » est étranger à l’oreille républicaine française. Il ne correspond à aucun de nos repères
historiques, juridiques ou philosophiques. Il n’est pas compatible avec la conception que nous nous faisons, collectivement,
du lien social et plus largement du vivre-ensemble. Il nous est
même difficile de le comprendre et de l’utiliser. Quand on le fait,
c’est avec beaucoup de maladresse, de sorte qu’une notion utilisée à tort et à travers vient filtrer la réalité sociale et n’en laisser passer que les aspects les moins acceptables.
Si le communautarisme fait peur, c’est d’abord en raison du
contenu identitaire qu’il véhicule : il met en jeu des formes non
modernes, voire antimodernes, de prédétermination de l’individu : genre, race, ethnie, religion… En outre, il met en scène des
groupes sociaux spécifiques minoritaires mais dont les revendications de reconnaissance renvoient les sociétés auxquelles
elles s’adressent à des pages sombres de leur histoire : esclavagisme, ségrégation, colonialisme, domination, exploitation,
humiliation, persécution…
Si le communautarisme fait peur c’est aussi parce qu’il implique
des types de mobilisation qui échappent très souvent – ne fûtce que parce que ces groupes n’ont pas de place sur la scène
politique classique – aux formes et aux répertoires conventionnels de l’action politique dans les démocraties. Ils se situent
hors des partis politiques et des institutions de représentation et
de médiation, elles-mêmes fondées sur des critères de « territoire » et de « classe » bien davantage que sur des critères de
race, de genre, d’ethnie ou de préférence sexuelle.
Enfin, si le communautarisme fait peur c’est parce qu’il annonce
une société dans laquelle l’individu moderne verrait ses choix
remplacés ou dictés par ses appartenances identitaires.
Les républicains accusent les communautaristes d’une dérive
tribaliste, différentialiste, essentialiste et séparatiste, tandis que
les « communautaristes » accusent les républicains d’une hégémonie culturelle, politique et sociale dominatrice, colonisatrice, esclavagiste et sexiste.
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Mais le communautarisme tel qu’il a été décrit ici n’est souhaité par personne
et n’inspire aucune revendication sérieuse – si ce n’est de la part de quelques
groupuscules très vite circonscrits. Et l’imaginaire républicain défendu par les
uns et pourfendu par les autres est lui aussi bien loin du réel.
La République entre images et réalités
Le républicanisme à la française s’est toujours adapté, dans sa pratique étatique en particulier, aux nécessités de la démultiplication culturelle du pays
et de la société. Il l’a fait notamment pour compenser l’existence de discriminations qui ont toujours existé malgré la pétition universaliste et le caractère
« aveugle » aux différences de l’idéal républicain.
Le républicanisme français, s’il fait sans doute exception, se révèle paradoxal
dans le rapport de ses principes à la réalité. Il est beaucoup plus souple
qu’on ne veut bien le croire face à des situations d’inégalités de traitement.
Ainsi existe-t-il depuis longtemps une « discrimination positive » à la française. Sa caractéristique principale, contrairement aux dispositifs d’autres
pays, notamment aux États-Unis, est de ne pas s’appuyer sur des critères
identitaires tels que « l’origine » ou la « race », conformément à l’article 1er
de la Constitution, qui dispose que la République « assure l’égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »
mais sur le « territoire ». Cette discrimination positive à la française concerne
des domaines aussi variés que la politique de l’emploi (handicapés, jeunes,
femmes, fonction publique…), les règles électorales (parité) ou l’aménagement du territoire (ZEP, ZUS, ZRU, ZFU, statuts territoriaux particuliers en
Corse et outre-mer…) selon des modalités et un développement récent variés.
On remarquera aussi que le républicanisme à la française se révèle aussi à
l’usage, et au-delà de ses principes affichés, plus fort, c’est-à-dire à la fois
efficace et attractif quant à l’intégration des différences. On peut ainsi citer
l’exemple bien connu mais toujours significatif des mariages « mixtes » entre
un national et un conjoint étranger, mais aussi entre conjoints nationaux d’origines ou de confessions différentes, qui distingue la France d’autres pays
européens tels que l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Il faut rappeler que l’une
des spécificités françaises, observée tant sur le plan des pratiques culturelles
que du point de vue des « violences urbaines », tient à la mixité ethno-raciale
constatée aussi bien dans les groupes musicaux (de rap notamment) que
dans les groupes d’émeutiers (ce fut le cas en novembre 2005) qui s’assemblent par quartier ou par « cité » plutôt que par origine identitaire et n’hésitent
pas à s’en prendre à leurs « semblables ».
Il n’en demeure pas moins qu’une alternative républicanisme/communautariste structure aujourd’hui le débat public français. Ce sont souvent des
« communautés » ou des « minorités » apparaissant ou se définissant
comme telles qui prescrivent les contours du débat et en fixent l’agenda ; ce
peuvent être aussi des politiques réaffirmant la force de l’idéal républicain
face à ce qui est présenté comme une dérive.
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La « communauté musulmane » existe-t-elle ?
La première question de ce type qui se pose aujourd’hui en France, comme
on l’a encore vu récemment à la lumière des débats sur l’identité nationale ou
sur la burqa lancés par le gouvernement, est celle de l’islam.
Le double caractère minoritaire de la religion et de l’origine ethno-raciale
dominante de ceux qui s’en réclament crée en effet une situation très particulière. À la fois parce que l’islam en France est très varié (il réunit des
populations originaires, qu’elles soient de nationalité française ou étrangère,
de pays arabes du Maghreb comprenant eux-mêmes des minorités, berbérophones par exemple, mais aussi d’Afrique noire et de pays d’Asie, de
la Turquie à l’Asie du Sud), et parce qu’il pose un problème à une société
issue d’un compromis longuement mûri entre vieille tradition chrétienne (à
forte dominante catholique) et forte exigence laïque fondatrice de l’identité
républicaine. Ainsi, la confusion, fréquente dans l’espace public, entre musulmans et Arabes n’aide-t-elle pas à lever les obstacles à l’intégration à la
République, et notamment à son principe de laïcité, dont témoigne pourtant
incessamment la grande majorité des Français et des étrangers musulmans
en France (enquêtes, associations, autorités religieuses).
L’une des occasions les plus marquantes de mise en jeu de l’éventualité
d’une forme de communautarisme musulman s’est dessinée ces dernières
années à partir de la question dite du voile (ou du foulard). Les enjeux de
cette question désormais bien connue, depuis son surgissement dans l’actualité, en 1989, jusqu’au vote de la loi sur l’interdiction du port de signes
religieux ostentatoires à l’école en mars 2004 et aujourd’hui à propos de la
burqa, renvoient bien aux registres de la peur du communautarisme, vu à
la fois comme un repli identitaire en dissidence de la société et comme une
violation des droits de l’individu (ici les jeunes filles portant le voile ou les
femmes portant le voile intégral).
Pourtant, dans cette affaire comme dans d’autres qui défraient régulièrement
la chronique médiatique (interdiction de la mixité dans des piscines municipales certains jours, refus de femmes de se faire examiner par un médecin
masculin dans les hôpitaux, etc.) d’une société pourtant perméable aux sirènes d’un multiculturalisme de façade, on perçoit avec difficulté les tentations communautaristes qui toucheraient la « communauté » musulmane. Ce
qui est remarquable au contraire, c’est le mélange d’hypocrisie et de bonne
conscience des réactions que suscitent de tels événements, notamment de
la part des élus et des médias – entre les proclamations d’un absolu respect
pour la diversité et l’altérité (comme s’il s’agissait désormais de valeurs intangibles non discutables…) et la défense des droits de la femme, qui servent de paravent à des décisions contradictoires. Alors qu’il suffit, comme
l’a montré l’épisode du vote de la loi sur les signes religieux à l’école, d’une
position de principe claire et déterminée (i.e. pas de voile à l’école) pour réduire à néant les spéculations aussi bien des tenants d’une « ouverture aux
autres cultures », qui confine vite à l’acceptation de propos et de pratiques
intolérables, que des Cassandre de la destruction de l’identité française et/
ou républicaine –qui voient dans la moindre revendication identitaire la fin de
la République.
Les tentations communautaristes peuvent bel et bien exister au sein de certaines composantes de l’islam (comme chez Tariq Ramadan ou à l’OUIF),
qui n’hésitent pas, dans leur propagande la plus radicale, à prôner la priorité
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de la loi de Dieu sur celle de la République, mais elles restent marginales,
notamment si l’on mesure leur influence non pas aux éclats médiatiques mais
aux statistiques relevées de telle ou telle pratique – comme celles qui confirment le tassement des « affaires » de voile dans les écoles de la République
depuis la loi de 2004.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement leur identité musulmane que réclament de
voir reconnaître la plupart des musulmans en France, mais à la fois, et pour
certains plus encore, leur identité d’Arabe ou de « Noir », celle de leur origine
ethno-raciale. C’est pourquoi, notamment, la tentative de traitement politique
de cette question par l’instauration d’un Conseil français du culte musulman
en mai 2003, outre les nombreuses questions de méthode qu’elle soulève
(représentativité des organisations, rôle des pays étrangers…), ne règle pas
les aspirations à la reconnaissance identitaire de populations que l’on suppose majoritairement musulmanes. Seule une intégration républicaine pleinement assumée (« loi sur le voile ») mais aussi pleinement inclusive (lutte
active contre les discriminations, politiques actives de rattrapage social…)
peut répondre à une telle demande, et dès lors, sans doute, finir par apaiser
les tensions entre « communautés » qui se manifestent à travers des actes
de violence ou de dégradation – comme ceux perpétrés, en particulier, contre
les membres de la « communauté » juive ces dernières années.
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Entretien avec Daniel Lindenberg
Daniel Lindenberg montre comment le débat central de la vie
politique française s’est déplacé de ce qui fut un temps appelé
la « fracture sociale » à une « fracture identitaire », qu’une
partie des forces politiques vise à exacerber afin de polariser le
débat public.
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Questions sur le journalisme
en démocratie
La presse et l’audiovisuel sont à côté des institutions comme le
Parlement l’un des lieux privilégiés du débat public, et le « quatrième
pouvoir » joue assurément un rôle central dans la mise en forme
initiale de la délibération démocratique. Cette responsabilité
particulière suscite régulièrement des interrogations sur l’honnêteté
des journalistes, mais aussi sur la nature même des représentations
qui peuvent émerger du traitement de l’information par les médias
modernes. Que dit précisément la critique ?
Serge Halimi, qui est
depuis 2008 le directeur
de la rédaction du Monde
diplomatique, s’est fait
connaître par un essai
polémique sur la collusion
des journalistes avec
le pouvoir économique,
Les Nouveaux Chiens de
garde (1997), suivi d’autres
titres et de nombreuses
interventions. Depuis la
disparition de Bourdieu, il
incarne avec les animateurs
d’Acrimed une pensée
critique à l’égard de la
façon dont les grands
médias façonnent une
représentation déformée
de la réalité. Il accuse
ainsi la révérence des
journalistes envers le
pouvoir, leur prudence
devant l’argent (peuton critiquer l’actionnaire
de son journal, ou un
annonceur important ?), leur
inféodation à l’idéologie du
marché et enfin la logique
de la connivence dans
laquelle chacun des acteurs
trouve son compte.
Serge Halimi versus Géraldine Muhlmann
Le titre de l’essai de Serge Halimi fait écho à Paul Nizan et son
livre Les Chiens de garde (1932) et on peut y distinguer les
échos d’une pensée anarcho-syndicaliste plus ancienne, mais
dans les concepts qu’il met en œuvre il s’inspire principalement
des travaux de Pierre Bourdieu et des interventions du linguiste
américain Noam Chomsky à partir des années 1970.
De Bourdieu, qui a publié l’année précédente son petit essai
Sur la télévision (Raisons d’agir, 1996), Serge Halimi retient un
certain nombre de leçons. La télévision et les médias modernes
ont une capacité inégalée à « donner à voir », mais tout autant
à cacher : en oubliant certains aspects du réel, peu faciles à
représenter ou moins spectaculaires, mais aussi en usant de
catégories et de filtres intellectuels construisant une réalité qu’il
faut bien qualifier de fantasmatique, de tronquée, ou d’idéologique. C’est un fait structurel, et qui au fond caractérise aussi
bien les médias de type TF1 que Le Monde diplomatique ; seulement voilà, les premiers sont beaucoup plus nombreux et leurs
liens avec des intérêts économiques, voire avec le pouvoir, sont
avérés. La course à l’audimat ou aux annonceurs explique à
elle seule un certain nombre de tendances caractéristiques des
médias dominants. La façon dont la télévision crée des porteparole lors des manifestations étudiantes, interroge ainsi sur la
façon dont le monde social est construit, et pour ainsi dire prescrit par la télévision.
Bourdieu insiste aussi sur l’homogénéité du monde journalistique, qu’il envisage comme un effet de la concurrence mais
aussi comme l’une des conséquences de la « reproduction
sociale » qu’il avait mise en évidence dans ses travaux des
années 1960. La pression de l’urgence conduit elle aussi à
des effets de concentration : les mêmes experts interviennent
constamment sur les mêmes sujets. Des idées reçues circulent
ainsi en boucle, alors que la pensée critique et de façon plus
générale la démocratie demandent du temps. lire la suite
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Bourdieu, et à sa suite Serge Halimi dont l’essai apparaît souvent comme une
illustration du modèle dégagé par le grand sociologue, interrogent ainsi la façon dont le débat public est mis en scène, construit, par les médias : c’est,
considèrent-ils, au sein de ce que l’on appelle alors la « pensée unique » que
le débat est représenté, cependant que le débat entre cette pensée homogène et les pensées alternatives est occulté.
Serge Halimi va plus loin que Bourdieu, qui pointait surtout des effets de
structure ; il donne à lire, de façon circonstanciée, les liens, pour ne pas dire
la collusion entre « journalistes » et hommes politiques dans la « fabrique
de l’opinion ». Ses thèses prennent une actualité nouvelle en 2002, quand
d’autres commentateurs notent la façon dont une chaîne comme TF1 a traité
le thème de l’insécurité jusqu’à en faire le sujet clé de l’élection présidentielle.
Aux yeux de Serge Halimi, on n’est plus seulement dans un effet de structure
mais bien dans une forme de rapport de force : « Un petit groupe de journalistes omniprésents – et dont le pouvoir est conforté par la loi du silence
– impose sa définition de l’information-marchandise à une profession de plus
en plus fragilisée par la crainte du chômage. »
L’Opinion, ça se travaille (2000, 2005, avec Dominique Vidal et Henri Maler), se situe davantage dans la lignée des interventions de Noam Chomsky,
fameux linguiste américain qui à la fin des années 1960 émerge comme un
intellectuel représentatif de la « contre-culture », avec une grande défiance
à l’égard de l’information officielle et la façon dont des médias dits indépendants y sont asservis, notamment sur le sujet alors brûlant de la guerre du
Vietnam. Chomsky et Herman ont cherché à démontrer empiriquement, dans
leur livre La Fabrication du consentement (1988), comment les grands médias et notamment les principaux réseaux télévisuels participent au maintien
de l’ordre établi, en maintenant le débat public et la présentation des enjeux
dans un cadre idéologique construit sur des présupposés et intérêts jamais
questionnés, afin de garantir aux gouvernants l’assentiment ou l’adhésion
des citoyens. Serge Halimi, sans aller jusqu’à prôner une collecte d’information « vraie » de témoins et d’acteurs comme a pu le faire Chomsky, interroge
lui aussi d’une façon très critique le traitement de l’actualité internationale, notamment militaire, par les médias occidentaux. Leur manque d’indépendance
en matière de sources d’informations, mais aussi leur capacité à adopter les
grilles de représentation forgées par l’Otan, font l’objet d’une analyse serrée.
Si les analyses de Serge Halimi peuvent pécher par une légère touche
conspirationniste à l’occasion, si par ailleurs les intellectuels critiques d’extrême gauche dont il est l’héritier ont eux-mêmes des indignations sélectives
et sont marqués par une tendance nette à se focaliser sur les effets pervers
du libéralisme ou sur une conspiration des puissants dans laquelle on peut
aussi voir une vue de l’esprit, si enfin en dénonçant la collusion d’une gauche
non radicale et de la droite ils jouent à l’évidence une manœuvre politique, il
n’en demeure pas moins que leur critique ne peut être ignorée : le champ des
médias, aussi bien en ce qui concerne la sociologie des journalistes, l’économie des supports, que les effets structurels des médias modernes dans la
construction du réel, n’est pas neutre.
La question peut alors se poser du degré d’homogénéité sociologique et
idéologique de ce champ, d’une part, de la capacité du public à se laisser
dicter ses représentations, d’autre part.
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C’est sur ce point que les thèses de Géradine Muhlmann viennent à tout le
moins nuancer celles de Serge Halimi, et au-delà de Bourdieu et Chomsky.
D’autres avant elle ont reproché à Chomsky, notamment, dont la pensée est
moins fine que celle de Bourdieu, les capacités de résistance du public mais
aussi de la presse, et au total les effets réellement produits sur l’opinion publique. La guerre d’Irak, à cet égard, peut apparaître comme une expérience
en temps réel ayant tour à tour validé la vision de Chomsky, puis celles de
ceux qui la trouvent trop tranchée : le réveil de la presse américaine en 2005,
celui de l’opinion, attestent que même dans le cas d’un choc traumatique
ayant entraîné une forme d’anesthésie de l’esprit critique, entre unisson patriotique et autocensure, dans une démocratie adulte le peuple se reprend et
le quatrième pouvoir se remet à jouer son rôle.
Du journalisme en démocratie tente de définir un « idéal-critique » du journalisme et du journaliste : non pas tant de le définir que de formuler ce qu’il
devrait ou pourrait être idéalement. Ce qui amène à croiser cet idéal avec la
réalité du métier et la sociologie de ceux qui l’exercent : dès lors on s’aperçoit
que différentes lignes de critique peuvent être identifiées. Les sociologues reprochent au regard journalistique sa superficialité, les philosophes regrettent
le poids du factuel et de l’actualité, c’est-à-dire d’une forme de contingence.
En somme, résume Géraldine Muhlmann, « le journaliste est l’autre sur lequel tout le monde est à peu près d’accord ». Il y a ainsi, notait récemment
le romancier Hédi Kaddour, des gens qui n’achètent Le Monde que pour se
mettre en colère. C’est que dans une société informée où les diplômés sont
désormais nombreux, le journaliste ne peut plus s’affirmer comme l’instance
d’autorité qu’il fut quand Hegel ironisait sur la lecture du journal, « prière quotidienne de l’homme moderne ».
Mais précisément, dans cette insatisfaction généralisée, on touche à ce qui
est l’un des points faible de la critique des disciples de Bourdieu : l’existence
d’un public, certes entraîné dans un monde d’information et de catégories
prémodelées par le monde des médias, mais aussi rétif, voire rebelle. A
l’heure d’Internet, l’image de la puissance écrasante des grands médias et de
leurs experts a sans doute perdu un peu de son crédit, même si la question
des sources d’information demeure entière.
Face à ce public, la fonction du journaliste est pour Géraldine Muhlmann
« une mise au monde » qui n’est pas tant une prescription qu’une façon de
permettre à l’individu de se positionner au sein d’une totalité qui le dépasse.
Le journaliste apparaît alors comme un médiateur entre un individu et une
communauté.
L’idéal-critique dégagé par Du journalisme en démocratie prend plusieurs
formes historiques : le curieux, démocrate enthousiaste qui lutte pour la pluralité et participe à la construction d’un quatrième pouvoir, en est la première
forme historique, non dénuée d’une forme de naïveté dans sa croyance aux
« faits ».
La seconde forme historique est celle du journaliste en lutte, « désespéré »
de la démocratie dont il déplore le pourrissement par l’idéologie capitaliste :
sa vision des médias pointe l’homogénéité et la soumission à l’idéologie,
contre laquelle il inscrit sa propre pratique. On reconnaît vite, dans cette seconde figure, une forme idéale qui inspire directement les travaux de Serge
Halimi et de magazines comme Le Monde diplomatique.
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Géraldine Muhlmann tente de dépasser l’opposition entre ces deux figures se
prévalant toutes deux de la démocratie en élaborant un troisième idéal-type,
où le journalisme a une fonction de rassemblement conflictuel de la communauté démocratique. Son rôle est alors intégrateur, tout en maintenant
un conflit nécessaire. Cette figure sous tension pourra tolérer des polarités
différentes, du journaliste rassembleur (la « grand’messe » du 20 heures est
le type même de ce rassemblement) au « décentreur », qui (ré)injecte du
conflit dans la communauté, et dont une figure comme Jean-François Kahn
peut apparaître en France comme l’archétype moderne.
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Une redéfinition de la démocratie
Sous la confusion des débats contemporains gisent de nouvelles
attentes démocratiques, qu’il est nécessaire de formuler et
auxquelles les structures historiques de la démocratie peinent à
répondre.
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Les partis et l’opinion dans la
« démocratie du public »
Le rôle des partis reste central dans le débat public, mais ce rôle
est miné par l’érosion des loyautés partisanes et un rapport plus
instrumental des électeurs aux partis. Si en élisant des représentants,
les électeurs se voient proposer un univers cognitif essentiellement
dessiné par les partis, la montée de formes de participation noninstitutionnelles contribue à changer les règles du jeu.
Bernard Manin est
professeur de science
politique. Directeur d’études
à l’EHESS, il enseigne
aussi à Sciences Po et à
la New York University. Il a
publié en 1995 Principes du
gouvernement représentatif
(Calmann-Lévy).
Entretien avec Bernard Manin
rès de quinze ans ont passé depuis la publication des Principes
du gouvernement représentatif. Vous y évoquiez une « démocratie du public », qui aurait succédé à la démocratie de partis
de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Ces évolutions se sont-elles poursuivies ?
On peut en effet constater, avec plusieurs études empiriques
comparatives parues depuis 1995, que l’érosion des loyautés
partisanes s’est poursuivie dans l’ensemble des démocraties
développées. Les partis ont fonctionné jadis comme des organisations d’intégration de masse, offrant toute une gamme
d’activités (des mouvements de jeunesse aux associations de
loisirs) à des groupes sociaux bien définis, soit par la profession (comme les ouvriers ou les agriculteurs), soit par la culture
(comme le christianisme). Insérés dans un univers social politisé, les membres de ces partis leur demeuraient fidèles tout au
long de leur vie, et de génération en génération. C’était l’époque
de ce que j’appelle la « démocratie de partis ».
Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. D’après de multiples enquêtes
réalisées dans les démocraties développées, le pourcentage de
personnes qui s’identifient avec un parti décroît régulièrement
depuis quarante ans, et ce déclin est plus particulièrement sensible au sein des jeunes générations. Parallèlement, la volatilité des votes progresse. Même si la plus grande partie des
commutations se passe entre le vote et l’abstention ou entre
des partis dont les positions sont proches, leur effet sur les résultats des élections est important. Certes, les électeurs « loyalistes » forment toujours une masse significative avec laquelle
il faut compter. Mais leur nombre diminue régulièrement. C’est
là le changement fondamental par rapport à des époques antérieures. Il est lié à des développements de fond, affectant toutes
les démocraties développées et toujours à l’œuvre aujourd’hui,
comme le passage des économies industrielles aux économies
de services, l’érosion des milieux sociaux traditionnels et l’individualisation des conditions de travail.
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Dans votre livre, vous évoquiez l’élévation du niveau d’instruction et le rôle
des médias, pour expliquer l’autonomie croissante des électeurs par rapport
aux partis. Ceux-ci auraient-ils renoncé à leur rôle de médiateurs, d’organisateur du débat public ?
L’élévation du niveau d’instruction a sans doute joué un rôle : des électeurs
plus instruits sont moins susceptibles de suivre systématiquement (automatiquement, pour ainsi dire) les mots d’ordre de « leur » parti traditionnel. Par
ailleurs, dans les sociétés démocratiques modernes, les partis n’ont jamais
eu le monopole du débat public. Le monde intellectuel, la société civile organisée et les citoyens en sont aussi les animateurs. En tout cas, l’érosion
du vote systématique pour le même parti, élection après élection, ne signifie
pas que les partis aient perdu leur rôle médiateur. Lors de l’élection des représentants, les partis restent les principales forces à même de dessiner les
alternatives offertes aux électeurs. Il est remarquable, à cet égard, que seul
un nombre infime de candidats parviennent à se faire élire sans être affiliés
à un parti.
La personnalité des candidats revêt sans doute une importance croissante,
mais ce sont les partis qui choisissent des candidats à la personnalité
saillante. La célébrité sans étiquette partisane ne suffit pas pour remporter
une élection. En élisant des représentants, les électeurs se trouvent donc
face à un paysage essentiellement dessiné par les partis.
Pour autant, les partis semblent s’intéresser toujours plus aux aspirations
émanant de la société, au point que l’on évoque parfois une « démocratie
d’opinion » qui verrait les gouvernants s’acharner à suivre les mouvements
de l’opinion publique.
Je n’utiliserais pas cette formule. Elle focalise indûment l’attention sur les
sondages d’opinion alors que leur importance croissante n’est qu’un élément
dans une transformation plus globale comportant bien d’autres dimensions,
parfois beaucoup plus décisives, comme la transformation des comportements électoraux eux-mêmes. La formule est aussi péjorative. Elle suggère,
sans le dire, un contraste entre les démocraties d’aujourd’hui, superficielles
et frivoles, et on ne sait quel âge d’or où les démocraties se seraient guidées
selon la réalité effective des choses. Rappelons d’autre part que le gouvernement représentatif n’a jamais été un système dans lequel les citoyens élisent leurs représentants à intervalles réguliers et se tiennent cois dans l’intervalle : les citoyens conservent le droit d’exprimer opinions et griefs, et de
faire valoir à tout moment leurs revendications auprès des représentants. De
leur côté, les élus n’ont jamais cessé de se préoccuper de ce qu’exprimaient
leurs mandants dans l’intervalle entre deux scrutins. Seuls les canaux de
cette expression ont changé.
Mais il est vrai que le nombre important, et croissant, d’électeurs ne votant
pas systématiquement de la même façon incite les partis à surveiller plus
étroitement l’évolution des préoccupations de l’électorat. Ne pouvant seulement compter sur le noyau de ses électeurs fidèles, un parti doit déterminer
quels autres segments de la société sont les plus susceptibles de le soutenir.
Il doit aussi déterminer les thèmes qui préoccupent ces autres groupes et
sont capables de les mobiliser. Ces estimations et ces choix doivent être
refaits dans chaque conjoncture, sinon à chaque scrutin. Le succès dans
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une période donnée ne garantit pas le succès dans une autre. Des électeurs
faiblement attachés à un parti sont peu susceptibles de voter pour lui au seul
motif qu’ils ont voté ainsi dans le passé. En d’autres termes, dans chaque
conjoncture les partis doivent construire et éventuellement reconfigurer le
public qu’ils visent. Chaque fois, ils doivent remobiliser ceux à qui ils s’adressent en attirant leur attention et en répondant à leurs préoccupations.
De fait, loin de s’enfoncer dans le marasme, les partis ont répondu à la volatilité croissante de leur environnement en devenant plus dynamiques, plus
souples et plus réactifs qu’ils ne l’étaient autrefois, et en se montrant plus
attentifs à l’opinion et aux demandes de citoyens désormais plus soucieux
d’être entendus. C’est dans ce contexte que le recours régulier à des sondages d’opinion doit être compris.
Toutefois, on aurait tort de considérer, comme j’ai pu le faire par le passé, que
dans la « démocratie du public » les sondages sont la forme principale de
l’expression politique non électorale. La participation à des manifestations, la
signature de pétitions, ou d’autres moyens d’intervention dans le débat public, toutes ces activités différentes du vote quoique ne remettant pas nécessairement en cause son importance centrale, sont particulièrement vivaces
aujourd’hui : les technologies de la communication et les réseaux sociaux
ouvrent de nouveaux champs à l’intervention des citoyens, leur permettant
de participer de façon plus étroite, non plus seulement à l’issue du débat
public, mais à sa mise en forme. Notons surtout que dans l’arène non électorale comme dans l’arène électorale, la mobilisation politique d’aujourd’hui
varie en fonction des circonstances et des objets. Le plus souvent, ceux qui
manifestent ou signent une pétition pour une cause ne forment pas une organisation durable, visant à agir sur divers objets. Ils constituent en revanche
un public, rassemblé par une cause donnée en un moment donné. La composition des publics mobilisés varie aussi selon les causes et les conjonctures.
Pour conclure, je dirais ceci. Les partis jouent toujours un rôle essentiel,
mais ils ne sont plus des unités bien définies dotées d’identités durables. À
chaque élection ils doivent rechercher activement le soutien des électeurs,
en ajustant leurs thèmes de campagne à des préoccupations changeantes ;
ils doivent aussi parfois reconfigurer leurs publics cibles. Ainsi, dans la démocratie du public les partis ne peuvent plus être vus comme des sujets
politiques au sens fort du terme : leur identité n’est ni durable, ni bien définie,
et les élections successives modifient la composition de leur base électorale.
Une autre raison encore pousse à ne pas les considérer comme des sujets
politiques au sens fort : pour un nombre croissant d’électeurs sans attaches
partisanes, les partis sont avant tout des instruments employés en fonction
des circonstances. Les partis n’en demeurent pas moins, à chaque moment,
des éléments essentiels du système représentatif en ce qu’ils permettent la
constitution des publics qui, tour à tour, désignent et démettent les gouvernants.
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Entretien avec Stéphane Rozès
Le politologue Stéphane Rozès rappelle que les décisions
réelles restent dégagées de la pression de l’opinion. C’est
précisément l’écart entre les politiques menées et les attentes
immédiates qui amène la communication à prendre une
importance croissante.
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L’émotion humanitaire permet-elle le débat public ?
Un point de tension des démocraties modernes
L’action et la communication humanitaires mobilisent fréquemment une
logique de la compassion. Est-il encore possible de débattre sur des
thèmes ainsi amenés dans l’espace public ? La difficile articulation entre
mobilisation émotionnelle et discussion rationnelle n’est pas qu’une question
de méthode : elle révèle une tension inhérente aux démocraties modernes,
entre le principe d’égalité et sa dimension empathique, d’une part, et d’autre
part une liberté vécue comme indépendance.
Denis Maillard a été
responsable de la
communication de
Médecins du monde et
secrétaire général d’Aide
médicale internationale,
avant de rejoindre le comité
de direction de l’Unedic.
Il a notamment publié
L’humanitaire, tragédie de
la démocratie (Michalon,
2007).
Entretien avec Denis Maillard
Du fait des médias, mais aussi de stratégies militantes, un certain nombre de questions sociales sont érigées en « grandes
causes » et abordées principalement sous le mode de l’émotion. Peut-on y voir un danger pour la qualité du débat public ?
Il est certain que les règles du jeu démocratique sont censées
faire appel à la raison, et que l’une des conditions théoriques
requises pour une délibération de qualité est la sérénité des
débats. Pourtant, la réalité de la vie démocratique est aussi
faite de passions, de débats qui s’enflamment, de focalisation
sur des personnes ou des événements symboliques. Le débat
d’idées et les arguments rationnels s’articulent à un fond de
convictions, d’indignation, de valeurs, sur lesquelles les acteurs
de la vie démocratique peuvent à bon droit refuser de transiger.
Que l’émotion immédiate puisse brouiller la discussion ou bouleverser l’agenda public, que la réponse à cette émotion puisse
se traduire en politiques publiques mal adaptées, nous en avons
de nombreux exemples : on pourrait ainsi évoquer l’action spectaculaire autour des SDF en 2006 et la loi DALO votée dans la
foulée, avec des résultats concrets très décevants, mais au fond
pas surprenants. La stratégie gagnante des Don Quichotte, qui
en rendant « visibles » les SDF ont également imposé dans
le débat public des représentations simplifiées d’une question
éminemment complexe, a court-circuité les associations et les
mouvements qui portaient des arguments plus élaborés. Dans
un autre registre, les débats récents sur le Téléthon ont attiré
l’attention sur la hiérarchie des « causes » : une réussite médiatique et un succès en termes de fundraising peuvent conduire à
assécher le terrain des dons et à affaiblir d’autres causes.
En fait, ce n’est pas tant le rôle moteur de l’émotion que la place
et la qualité des arbitrages qui est en question, ici. On le voit
bien, l’action des Don Quichotte a aussi permis de réunir et de
coordonner des acteurs qui intervenaient chacun dans leur coin
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sans concertation sur un même problème, celui des sans-abri. L’émotion est
indiscutablement un moteur de l’action publique. Mais la question est d’être
en mesure d’articuler l’étape de l’émotion et celle de la décision.
Est-ce alors en termes de gouvernance, ou de procédures, que l’on peut répondre à ce « désordre des passions » qui bouleverse l’ordre démocratique ?
Il y a certainement des progrès à faire en ce sens, même si l’on pouvait
également raisonner en termes de responsabilité des acteurs : après tout,
rien n’oblige les politiques à donner une réponse irrationnelle à une demande
émotionnelle.
Mais il me semble que les tensions entre les passions publiques et la démocratie sont plus profondes, et qu’en un sens elles sont structurelles. C’est en
réalité en chacun de nous que se joue une rencontre qui n’oppose pas tant
émotion et raison qu’indifférence démocratique et conscience archaïque du
« corps social ».
La modernité se caractérise par une forme particulière de liberté qui offre
à l’individu la possibilité d’ignorer qu’il vit en société : chacun à le droit de
poursuivre ses activités privées et de laisser de côté (ou aux spécialistes)
les affaires publiques et la politique. C’est ce que benjamin Constant nommait la « liberté des Modernes », et qu’il définissait par une forme d’indépendance. Tocqueville en donne une description quelque peu pessimiste dans
son grand-livre De la démocratie en Amérique, avec l’horizon possible d’une
absolue indifférence aux affaires publiques. Le règne de l’homme privé, en
quelque sorte.
Parallèlement, les sociétés démocratiques modernes sont fondées sur l’idée
d’une égalité juridique, avec l’horizon d’une égalité des conditions (égalité
d’accès aux études, par exemple). L’homme démocratique peut ainsi voir en
autrui un semblable, un égal, ce qui n’est pas vrai dans d’autres sociétés. Il répugnera aux souffrances qu’on lui inflige et aux inégalités les plus criantes.
S’esquisse ainsi une sorte de paradoxe, qui est en réalité une tension dynamique : je peux ainsi « oublier » que je vis en société jusqu’à ce que mon
indépendance privée soit troublée par la souffrance d’autrui. Cette compassion démocratique a pour effet de me « rendre », pour ainsi dire, à la société.
Celle-ci est alors chargée de remédier immédiatement au scandale de cette
souffrance.
On rejoint alors le politique…
Oui, et c’est bien pour cela que je définis l’humanitaire, qui est le lieu même
de cette tension dynamique, comme une passion démocratique. Ce qui s’y
joue est caractéristique de nos sociétés démocratiques modernes : sur fond
d’indifférence et d’une perception d’indépendance par rapport au corps social, l’idée d’égalité apparaît comme le vecteur d’un « retour de l’autre »,
quand le spectacle de sa souffrance ou ses conditions de vie le ramènent
dans la sphère de nos intérêts.
Néanmoins si la demande que nous adressons alors à la société et aux représentants est éminemment politique, elle se formule pourtant dans un langage
qui ne l’est pas, celui de l’action d’urgence ou des ONG. On pourrait dire ainsi
que l’individu compassionnel rabat l’action politique sur l’action humanitaire.
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C’est ici aussi que les ONG rencontrent une autre instance de critique sociale
avec laquelle ils entretiennent une relation étroite : les médias. Pour comprendre le lien des ONG aux médias, il est important de comprendre ce qui
les unit profondément : ils sont tous les deux des instances de représentation
et de critique de la société démocratique. À côté de l’espace public politique,
où les opinions se confrontent et où le conflit politique se met en scène – de
manière classique au Parlement –, on trouve un espace public médiatique où
s’élabore, là aussi, une mise en scène de la société et de ses conflits. Dans
le premier lieu, on discute de ce qu’il faut faire pour résoudre les difficultés qui
se posent à la société et la transformer ; dans le second, il s’agit avant tout de
les montrer et de les dénoncer.
En un sens, le militant a donc autant besoin du journaliste que le journaliste
compte sur le militant. Leur rencontre se noue dans cet écart et autour d’une
figure devenue centrale depuis quelques années, celle de la victime.
Nous en revenons alors au politique : car si cette représentation de la personne humaine en victime peut nourrir un témoignage, elle ne saurait constituer l’horizon de l’action politique. Il me semble que si celle-ci peut et doit
sans doute partir d’une analyse faisant la part des fatalités sociales ou biologiques, elle a vocation à s’en départir et à proposer un autre horizon.
L’action politique est en charge de résoudre la question de la non-adhérence
de la société à elle-même, c’est-à-dire de la différence que nous pouvons
tous constater entre ce qui existe au présent et ce qui devrait advenir demain.
La difficulté, c’est que dans les sociétés démocratiques le répertoire philosophique pour penser l’être et le devoir être de la société est le même : pour
résumer, c’est ce que l’on appelle les droits de l’homme. Ceux-ci indiquent
à la fois ce que nous sommes (une démocratie libérale) et ce que nous voudrions être (une société encore plus démocratique et encore plus libérale
– au sens politique du terme). Cet écart, inscrit à l’intérieur même des droits
de l’homme, est celui de l’indignation, celui où s’engouffre aussi le militantisme politique ou associatif ainsi que toutes les utopies qui ne s’expriment
donc plus au futur mais au présent (de l’impératif). Ici, règnent l’émotion et
le temps court. Ici, devraient advenir, au contraire, le calcul à long terme, la
raison et finalement la dimension tragique de l’existence humaine : la réconciliation est à tout jamais impossible.
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Rosanvallon et la crise
de la représentation
démocratique
La communication comme recherche
d’une légitimité de proximité
L’émergence de la communication comme instrument de
gouvernement interroge : simple adaptation du politique aux
techniques de l’époque, ou risque sérieux de dérive populiste
et nouvelles formes de démagogie ? Le dernier livre de Pierre
Rosanvallon (La Légitimité démocratique, Seuil, 2008) offre une lecture
de cette tension : elle demande à être comprise dans le contexte d’une
crise de la généralité, propre à l’époque contemporaine et qui interroge
les formes historiques de la démocratie. Cette crise suscite des
logiques nouvelles de légitimation, dont la plus confuse tourne autour
de la notion de proximité.
Pierre Rosanvallon est
professeur au Collège de
France, directeur d’études
à l’École des hautes études
en sciences sociales
(EHESS), et président de
La République des idées.
Ses deux derniers livres :
La contre-démocratie.
La politique à l’âge de la
défiance, Seuil, 2006 ; La
Légitimité démocratique.
Impartialité, réflexivité,
proximité, Seuil, 2008
Fiche de lecture
La démocratie, explique Pierre Rosanvallon, est par définition le
régime qui donne le pouvoir à la généralité sociale. Mais cette
généralité est de plus en plus difficile à formuler : les sociétés contemporaines se comprennent de plus en plus à partir
de la notion de minorité. Alors que la démocratie moderne s’est
construite en rêvant l’unité du peuple, le fait minoritaire s’impose de plus en plus comme essentiel dans l’horizon d’une
bonne représentation. Comment construire cette nouvelle représentation ?
Les citoyens expriment des besoins et des aspirations (comme
groupes, comme individus) que l’univers de la généralité démocratique, tel qu’il s’exprime notamment dans l’action de l’État,
peine désormais à embrasser. Pierre Rosanvallon parle d’un
« nouvel âge de la particularité », qui se lit à la fois dans le
champ de l’économie (désindustrialisation, transformations du
marché du travail, montée du gré à gré et des figures de l’autonomie), dans celui du social (érosion des catégories générales
comme « les ouvriers », « les cadres », émergence de nouvelles
formes de rassemblement et de militantisme, valorisation de la
négociation d’entreprise au détriment d’échelles plus larges).
Dans ce monde de la particularité, la forme de l’État et de l’administration publique est profondément remise en question : ses
modalités d’intervention sont perçues, puis données explicitelire la suite
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ment comme trop générales, incapables de prendre en compte les particularités de la vie sociale, et donc peu efficaces. L’école républicaine offre une
excellente illustration de cette crise : cette institution centrale, tout entière
fondée sur l’idée d’une généralité, ne cesse d’être remise en question dans
sa capacité à accueillir la différence et finit par vivre dans une réforme perpétuelle et dans un imaginaire de l’échec.
Si la légitimité administrative s’érode, la légitimité électorale subit de son côté
de graves difficultés, que traduit notamment l’alternance systématique depuis
1981 ; l’élection présidentielle de 2007 étant la seule exception – encore le
président élu l’a-t-il été sur le thème de la rupture.
Une des clés de cette perte de légitimité est ce que Pierre Rosanvallon appelle une « crise de la généralité », dont on peut suivre les traces dans les
sciences sociales mais qui affecte au premier chef les formes politiques et
institutionnelles qui ont trouvé leur légitimité dans l’expression de cette généralité. La démocratie est par définition le régime qui donne le pouvoir à la
généralité sociale. Mais cette généralité est de plus en plus difficile à formuler
et la règle de majorité, maillon faible du système, apparaît comme l’une des
clés du problème. Les sociétés contemporaines se comprennent de plus en
plus à partir de la notion de minorité. Alors que la démocratie moderne s’est
construite en rêvant l’unité du peuple, le fait minoritaire s’impose de plus en
plus comme essentiel dans l’horizon d’une bonne représentation.
Comment construire cette nouvelle représentation ? De nouvelles formes de
la légitimité s’esquissent, dont Pierre Rosanvallon s’attache à tracer la cartographie : c’est le principal apport de cet ouvrage, sa principale avancée par
rapport à ses travaux précédents. Trois figures se détachent, qui apparaissent à la fois comme des promesses de renouveau et comme des possibilités
de perversion de l’idéal démocratique.
La légitimité d’impartialité s’impose comme la réponse à un problème qu’on
pourrait formuler ainsi : il est difficile, voire impossible de constituer par l’élection un pouvoir réellement approprié par tous. La solution est alors d’organiser des institutions parfaitement indépendantes, en veillant à ce que nul
ne puisse s’en emparer. C’est tout le mouvement de création d’institutions
comme les autorités de surveillance ou de régulation, comme la Halde, le
Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’Autorité des marchés financiers.
Seconde forme de légitimité, la légitimité de réflexivité, qui s’incarne dans
des institutions et des mécanismes voués à corriger et compenser les travers de la démocratie électorale. C’est le cas d’institutions comme le Conseil
constitutionnel, qui font vivre la mémoire collective des droits fondamentaux
et rappellent au pouvoir issu des urnes que le souverain ne se limite pas à
son expression majoritaire. Leur enjeu est d’encadrer l’action des majorités,
en activant une figure du peuple constituant qui ne coïncide pas exactement
avec celle du peuple légiférant. Leur fonction est de rappeler les principes.
Dernière forme, et la plus confuse à ce jour, la légitimité de proximité traduit
le besoin nouveau de la prise en compte du particulier et de la construction
d’un lien de confiance entre les citoyens et les institutions. Elle trouve sa
traduction aussi bien dans des formes administratives comme la police de
proximité, mais aussi dans une nouvelle façon pour les politiques de gérer
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leur communication et de prendre en compte le particulier. Le risque, évident,
est alors une dérive compassionnelle qui empêche de donner de vraies réponses à des sujets sérieux.
L’idéal nouveau d’une interaction directe entre gouvernants et citoyens passe
ainsi par une attention aux victimes, par une éthique de l’empathie ou par une
valorisation nouvelle, peut-être excessive, du terrain et du local. Il cherche
encore ses formes et peut apparaître comme un dévoiement du politique,
mais ne s’en impose pas moins comme l’une des trois figures émergentes
de la légitimité. Pierre Rosanvallon considère même qu’il y a une véritable
urgence à développer des formes de démocratie permanente, et à ne pas se
contenter d’une démocratie intermittente, sur l’ancienne équation « légitimité
= élection ». Comment ? En repensant la qualité du lien entre gouvernants
et gouvernés : contraintes de publicité, plein exercice de la responsabilité
avec des comptes à rendre, exigences de délibération, mais aussi consultation plus fréquente : primaires, place du référendum, nouvelles formes de
délibération comme les jurys citoyens… L’enjeu est de ne pas laisser des
formes démagogiques de type démocratie d’opinion investir l’espace de ces
nouvelles attentes démocratiques.
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Les acteurs du débat
Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’université de Nice
et à Sciences Po. Ses recherches portent sur la démocratie américaine
et la social-démocratie. Rédacteur en chef de la Revue socialiste (19982001), puis secrétaire général de la République des idées, il a notamment
publié L’Année zéro de la gauche (Michalon, 2002, avec Laurent Baumel)
et plus récemment Le communautarisme. Mythes et réalités (Lignes de
Repères, 2007), dans laquelle il revient sur la façon dont s’est construit le
débat autour de cette question, aux États-Unis et en France.
Thomas Deltombe est journaliste et essayiste. Collaborateur du Monde
diplomatique, il s’est fait connaître avec L’islam imaginaire : la construction médiatique de l’islamophobie en France (1975-2005) (La Découverte,
2005) : dans une démarche inspirée notamment des travaux de Pierre
Bourdieu, il y décrit les évolutions de la représentation de l’islam et des
musulmans dans les médias et le débat public français, en interrogeant les
motivations des acteurs. Il a également coécrit Au nom du 11 septembre...
Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme (avec Didier Bigo et Laurent Bonelli, La Découverte, 2008), et pubié une enquête : Mosquées :
immersion parisienne dans des lieux ordinaires (Le Passager clandestin,
2008).
Serge Halimi, journaliste et depuis 2008 directeur de la rédaction du
Monde diplomatique, a été professeur associé à l’université Paris VIII. Lié
au mouvement altermondialiste, il s’est fait connaître avec un essai polémique sur la collusion des journalistes avec le pouvoir économique, Les
Nouveaux Chiens de garde (Liber-Raisons d’agir, 1997).
Daniel Lindenberg, professeur de science politique à l’université Paris
VIII, est historien des idées. Il a publié en 2002 un essai qui a fait polémique, Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires
(Seuil), approfondi récemment par Le Procès des Lumières (Seuil, 2009) ;
il y analyse les glissements vers la droite du débat public européen tant
dans le monde intellectuel que chez les gouvernants.
Denis Maillard a été responsable de la communication de Médecins du
monde et secrétaire général d’Aide médicale internationale, avant de rejoindre le comité de direction de l’Unedic. Inspirés par la pensée de Marcel
Gauchet, ses travaux portent sur le rapport de la démocratie aux droits
de l’Homme, notamment à travers la question de l’humanitaire. Il a donné
un essai sur ce sujet L’humanitaire, tragédie de la démocratie (Michalon,
2007).
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Les acteurs du débat (suite)
Bernard Manin est professeur de science politique. Directeur d’études à
l’EHESS, il enseigne aussi à Sciences Po et à la New York University. Il
a publié en 1995 ses Principes du gouvernement représentatif (CalmannLévy), traduit en plusieurs langues et rapidement devenu un classique de
la science politique et dans lequel il insiste sur le rôle central de la délibération dans la démocratie. Ses travaux récents ont approfondi cet aspect
en étudiant notamment les voies et les méthodes de la délibération, ainsi
que les procédures d’urgence et leurs limites. Géraldine Muhlmann est professeur de science politique à l’université
Panthéon-Assas Paris II. Elle s’est fait connaître avec deux ouvrages, Du
journalisme en démocratie (Payot, 2004) et Une histoire politique du journalisme (PUF, 2004) qui répondaient notamment aux critiques de Serge
Halimi en relevant la diversité du métier et en réaffirmant l’existence d’un
public.
Pierre Rosanvallon est professeur au Collège de France, directeur
d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), et
président de La République des idées. Parmi ses nombreux livres, les
deux derniers (La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance,
Seuil, 2006 ; La Légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité,
Seuil, 2008) traitent des évolutions actuelles des sociétés démocratiques,
en interrogeant notamment la question de la participation mais aussi de la
défiance des citoyens et des réponses institutionnelles qui se dessinent
face à ce qui peut apparaître comme une crise.
Stéphane Rozès est politologue. Enseignant à Sciences Po et HEC, il a
été directeur général de l’institut de sondages et d’études d’opinion CSA,
où il dirigeait le pôle opinion, image et stratégies. Il a récemment créé
Cap (Conseils Analyses et Perspectives). Il a publié de nombreux articles
et tribunes, participant aussi à plusieurs ouvrages dont Islam, médias et
opinions publiques : Déconstruire le « choc des civilisations (L’Harmattan,
2006).
Retrouvez textes, références et débats autour de la question de la Nation
sur le site laicite-laligue.org
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1/ Les Français sont-ils intéressés par le débat sur l’identité nationale ?
A. Non, mais c’est parce que ce ne sont pas de vrais Français
B. Oui, ça leur permet de s’exprimer avant l’échéance électorale des régionales
C. Non, le débat s’est écarté de ses objectifs initiaux
2/ La Cour des comptes a épinglé l’Elysée sur son utilisation des sondages.
Pour quel motif exactement ?
A. Parce que l’Elysée a commandé et payé plusieurs enquêtes déjà publiées
B. Parce que l’Elysée a passé un contrat avec un seul institut de sondage
C. Parce que l’Elysée a payé des enquêtes sur fonds publics
3/ De grands groupes (armement, luxe…) sont actionnaires de plusieurs
médias. Quels journaux et chaînes de télévisions ne sont pas sous la coupe
d’un de ces groupes ?
A.TF1, l’Express et Elle
B. Paris-Match, Le Figaro et Canal +
C. Le Canard Enchaîné, Les Echos et le Nouvel Observateur
4/ Qu’est-ce qu’une « conférence de consensus » ?
A.Une méthode de réflexion collective
B.Une réunion de diplomates
C.Une forme de sondages
5/ Selon la première édition du baromètre de la confiance politique, lancé
par le Cevipof, les Français n’ont plus confiance dans la politique…
A. 54% n’ont pas confiance dans ceux qui les gouvernent
B. 67% n’ont pas confiance ni dans la droite ni dans la gauche
C. 72% n’approuvent pas la politique actuelle
6/ Le baromètre du Cevipof montre qu’un acteur tire son épingle du jeu dans
cette crise de la démocratie représentative. Qui ?
A. Les institutions locales
B. Les associations
C. Les mouvements écolos
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7/ Dans quelles institutions/organisations, les Français
ont-ils le plus confiance ?
A. Les hôpitaux et l’armée
B. Les banques et les médias
C. La justice et les syndicats
1. Réponse C. Selon un sondage TNS Sofres/Logica pour Le Monde et
l’émission À vous de juger/France2 du 14 janvier, 48 % des Français ne sont
pas intéressés (dont 25 % pas du tout) par le débat sur l’identité nationale,
alors que 42 % se disent intéressés (12 % tout à fait intéressés).
2. Réponse A, B et C. Lors d’un récent rapport, la Cour des comptes a communiqué ses interrogations sur le contrat signé entre la présidence française
et l’institut de sondage OpinionWay, pour un montant de 1,5 million d’euros
annuels. En 2008, l’Elysée a payé un «Politoscope» 392 288 euros, alors
que cette enquête a été publiée par Le Figaro et LCI : elle pouvait donc être
connue gratuitement. Au total, 15 enquêtes payées sur fonds publics étaient
ainsi consultables gratuitement dans les journaux.
3. Réponse C. TF1 est contrôlée par Bouygues, actionnaire majoritaire. L’alliance Vivendi-Lagardère domine Canal + et Canalsatellite. Dans la presse
écrite, Lagardère a une position dominante au travers de Hachette-Filipacchi
(Paris-Match, Elle, Le Journal du dimanche, La Provence, Ici Paris, Nice Matin...) Dassault a pris le contrôle à 80% de la Socpresse détenant l’Express, le
Figaro, Valeurs actuelles. Arnault, lui, détient La Tribune. Il envisage le rachat
des Echos. Pinault est actionnaire majoritaire du Point.
4. Réponse A. Une « conférence de consensus » est une méthode standardisée de conduite scientifique d’un processus de réflexion collective pour
débattre de questions controversées et aboutir à des recommandations publiques.
5. Réponse B. La première édition du baromètre de la confiance politique,
lancé par le Centre de recherche politique de Science Po (Cevipof) et réalisé
par la Sofres, les deux tiers des Français (67 %) n’ont désormais confiance
«ni dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays» : un niveau
comparable à ce qui était mesuré en 2006, un an avant le scrutin présidentiel.
6. Réponse A. Les institutions locales sont les seules à tirer leur épingle du
jeu. Conseils municipal, général et régional conservent la confiance des deux
tiers des Français, alors qu’une proportion identique exprime de la défiance
vis-à-vis de l’institution présidentielle et du gouvernement.
7. Réponse A. Les hôpitaux (86 %), l’école (83 %), l’armée (75 %), la police
(71 %) et – dans une moindre mesure – les grandes entreprises publiques,
ainsi que la justice (60 %), figurent parmi les institutions ou organisations en
lesquelles les Français ont le plus confiance. Viennent ensuite les syndicats
(47 %) devant les grandes entreprises privées (43 %) et les banques (37 %).
En queue de peloton: les médias (27 %), à peine mieux considérés que les
partis politiques (23 %).
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Comment faire vivre la mixité à l’école ?
L’école peut-elle réaliser l’idéal républicain ?
Quelle politique pour la jeunesse ?
Quelle économie pour la culture ?
La justice des mineurs doit-elle changer ?
Peut-on réussir le service civique ?
Quel avenir pour le commerce équitable ?
Directeur de la publication : Jean-Michel Ducomte
Responsable éditoriale : Nadia Bellaoui
Rédacteurs en chef : Ariane Ioannides, Richard Robert
Photo : Denis Bourges/Tendance Floue
Graphisme : agencezzb.com
Maquettiste : Brigitte Le Berre
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