Jeux de hasards gratis
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Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes. Pour contacter l’auteur : [email protected] Jeux de hasards Pièce en 5 tableaux de Laurent Leca Distribution : - scène 1 : 1 récitant(e) 1h/2f, décor : intérieur salon+télé - scène 2 : 1 récitant(e) 2f, décor : extérieur un banc - scène 3 : 1 récitant(e) 1h/2f + 1h ou f, décor : 2 tables de café ou une terrasse de café - scène 4 : 1 récitant(e) 2h , décor : une salle, un chariot roulant, éclairage blafard - scène 5 : 1 récitant(e) 2h/1f, décor : intérieur modeste, une télé. Costumes : actuels, au gré des humeurs. - Scène 1 : Jour de chance Le récitant : Antoine Pascal :Philippe Solène : Nadège Jeanine : Marie Décor : une table où l’on est en train de dîner, deux chaises, un fauteuil avec repose-pieds, une télé éteinte posée sur un meuble, un porte-manteaux LE RÉCITANT (devant le rideau) Il vous est sans doute arrivé de rêver que vous aviez gagné au loto, ou si vous n’en avez pas rêvé vous en avez peut-être parlé avec des amis. Ah ! le loto, quel meilleur moyen pour changer de vie ? Changer sa vie, changer la vie de ses proches et de ses amis, pouvoir enfin « en profiter » comme on dit. C’est à la fois merveilleux et vertigineux. Merveilleux, car cet argent tombé du ciel est un outil qui pourrait ressembler à une baguette magique et vertigineux parce qu’on est pas tous doués pour la magie. L’argent ne fait pas le bonheur, je me demande si cette maxime n’a pas été inventée par un riche pour décourager les pauvres de vouloir s’enrichir, L’argent ne fait pas le bonheur mais la pauvreté encore moins, ça se saurait. Merveilleux de pouvoir dire à sa femme : « chérie, prépare nos valises nous partons en voyage pour une durée indéterminée » ou « tu sais, tu peux dire à ton patron de chercher quelqu’un d’autre, tu vas enfin pouvoir faire ce que tu veux ». Passer de l’autre côté, du côté de ceux qui n’ont plus le souci des fins de mois difficiles, ou simplement avoir d’autres soucis que celui de compter. Regardez Pascal et Solène … Ouverture du rideau Pascal : mais tu m’emmerdes avec ta mère ! Solène : je t’interdis de dire que c’est une vielle radine, tu entends Pascal : pourquoi ? Ce n’est pas vrai peut-être ? Elle est crochue comme son nez, comme ses mains, comme son esprit. Elle n’est même pas crochue, elle est recroquevillée, rabougrie, ratatinée. Pire, elle est rétrécie Solène : tu ne l’as jamais aimée, tu la détestais déjà avant de la connaître Pascal : elle me le rend bien, cette peste. Solène : de plus, tu as tout fait pour te rendre détestable, depuis qu’on est mariés Pascal : eh oui, pour commencer je t’ai épousée, et ça la vieille elle l’a pas digéré Solène : n’importe quoi, Pascal : ah ! La tête quand on s’est pointés pour lui annoncer qu’on était mariés, encore plus moche que d’habitude. Remarque l’avantage d’être moche comme elle, c’est qu’elle peut plus être défigurée Solène : t’es vraiment, mais vraiment Pascal : vraiment quoi Solène ? Dis-moi, je suis méchant, mais même quand elle sourit ta mère, et Dieu sait que cela ne lui arrive pas souvent, elle fait peur aux chiens, une vraie sorcière Solène : cette discussion n’a aucun sens Pascal. Je ne te demande pas d’aimer ma mère mais de la supporter, et tu vois, même ça tu n’en es pas capable Pascal. Pascal : quoi ? Mais depuis des années, ta mère, je la supporte, je l’endure, je la souffre, je la subis, j’en pâtis. Elle m’a usé jusqu’à la trame ta mère, avec ses réflexions sur mon travail, sur nos amis, sur ma façon de m’habiller, sur no … Solène : arrête Pascal, là tu vas trop loin Pascal : et toujours à pleurnicher sur son sort, toujours quelque chose à quémander, on dirait une Rom au feu rouge « s’il vooooo pléééééé, s‘il voooooo pléééé » Solène : et raciste en plus, il ne te manquait plus que ça. T’as changé Pascal, et pas dans le bon sens si tu veux mon avis Pascal : ben, cette fois on dira que je m’en passe de ton avis, Solène. Solène : super ! Un temps Pascal : et à quelle heure elle arrive, la vielle Solène regarde sa montre Solène : quelle heure est-il ? Pascal : 20h30’ Solène: dans cinq minutes, comme d’habitude. Pascal : rien que d’y penser, j’ai plus faim. (entre ses dents) Elle pourrait pas clamecer une bonne fois, qu’on n’en parle plus Solène : Pascal ! Mais tu te rends compte de ce que tu dis, c’est de ma mère dont tu souhaites la mort Pascal : mais elle fait chier tout le monde ta mère, si elle disparaît, c’est un service qu’elle rend à l’humanité, moi, j’appelle ça du tri sélectif, quand tu penses qu’il a des gens bien qui meurent tous les jours, et elle, elle est toujours là, elle s’accroche, l’arapède. Solène : je te déteste, j’ai l’impression que je ne connais plus l’homme avec qui je partage ma vie Pascal : Solène, arrête de la défendre, elle n’en vaut pas la peine. Elle n’a pas d’amis, elle n’a que nous, elle est fâchée avec tous ses voisins, son seul frère est mort après 30 ans de fâcherie sans jamais l’avoir revue. Elle ne va même plus à la messe, elle s’est aussi fâchée avec le Bon Dieu et pourtant, on ne peut pas dire qu’il soit casse-pied Lui, là-haut ! Solène : justement ! Pascal : justement quoi ? Solène : c’est ma mère, tu entends ma mère. Pascal : et ? Solène : papa est mort et je suis sa fille unique, si je la laisse, elle n’a plus rien, ni personne, Pascal : surtout personne, parce qu’un harpagon comme elle, je suis bien certain qu’elle planque des liasses sous son matelas. Solène : c’est ignoble ce que tu dis Pascal : et c’est rien à côté de ce que je pense. Son pognon, je m’en contrefous, je voudrais juste qu’elle nous lâche un peu la … Solène : ne sois pas grossier gratuitement, Pascal Pascal : voilà un mot qu’elle aime, ta gentille maman, gratuit, gratis, gracieux. Depuis que je la connais, j’ai beaucoup appris sur les rapaces. Solène : évidemment, toi, tu es orphelin, tu ne peux pas comprendre Pascal : franchement, il n’y a pas grand-chose à comprendre. Ta mère est une radine,c’est pas une pince, c’est un étau, et doublée d’une emmerdeuse majuscule, et on se la coltine tous le soirs de loto depuis des années. Pas besoin d’un dessin, tu vois. Solène : c’est vrai qu’elle a toujours eu un caractère un peu difficile Pascal : c’est pas un euphémisme, c’est une contre-vérité : un peu difficile, mais elle est insupportable, voilà le terme exact. J’ajouterai, non sans jubilation, que tamère a un seul point commun avec le porcidé qu’on appelle cochon, c’est lecaractère. Car si dans le cochon tout est bon, chez ta mère tout est mauvais. Solène : Pascal, s’il te plaît, c’est suffisamment difficile comme ça sans que tu te croies obligé d’en rajouter Pascal : ah, mais non ! Je ne déforme même pas. Je pense, à la réflexion, être en dessous de la vérité, c’est te dire… On toque à la porte Pascal : pile poil la sorcière Solène : tais-toi et va ouvrir Pascal : vas-y toi, Solène soupire et va ouvrir à sa mère qu’elle veut embrasser, mais qui grimace lorsqu’elle s’approche Solène : bonsoir Maman Jeanine (maugréant) : oui, bonsoir Solène : Pascal, Maman est là Pascal : ‘soir Jeanine Jeanine tend son manteau que Pascal regarde sans le saisir, ne répond pas et va s’asseoir à table face à la télé. C’est Solène qui va prendre le manteau et l’accrocher au porte-manteaux. Solène : un petit café maman Pascal (s’approchant de jeanine) : comme d’habitude, Jeanine hein ? Un petit café ? Bien serré, le café, hein Janine ? Jeanine (s’évente avec la main et a un geste de dégoût): dis à ton mari d’aller se laver les dents, il refoule du goulot, il a encore picolé Solène : maman Jeanine : mais c’est vrai quoi, depuis combien de temps il n’a pas vu une brosse à dents ton mari ? Pascal : ça fait peut-être un moment, mémé, mais ça sera jamais aussi vieux que votre dernier pourboire. Jeanine : je ne vais jamais au bar ni au restaurant, alors vous voyez Pascal : c’est exactement ce que je dis Jeanine : je ne vois pas pourquoi j’irais dépenser mes sous dans des lieux à l’hygiène douteuse Pascal : ben voyons, vous préférez venir chez nous, c’est moins loin... Et surtout moins cher Jeanine : Solène, dis à celui qui t’a épousée que je l’emmerde Pascal (se dirige vers la cuisine pour faire le café) : la soirée s’annonce divertissante, ditesmoi. Jeanine (sortant ses aiguille et son tricot de son sac) : faut pas me chercher, Pascal, vous devriez le savoir depuis le temps Solène : moi, je commence à en avoir assez de vos disputes quotidiennes, ignorez-vous si vous ne vous supportez pas. Jeanine : ma pauvre fille, tu vois bien que tu n’aurais jamais dû laisser ce pauvre mec t’épouser, c’est un raté, un aigri, un mou du bulbe, et je suis certaine qu’au lit c’est « Waterloo morne plaine ». Solène : Maman je t’en prie, épargne-moi ces remarques vulgaires Pascal : (depuis la cuisine) et infondées Solène : j’ai épousé Pascal parce que je l’aimais, c‘est simple comme bonjour, il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures Jeanine : pour en arriver là aujourd’hui, franchement ma fille, vous n’avez pas de quoi pavoiser. pas d’enfants, pas d’avenir, des métiers de merde, à partl a télé et votre traditionnelle et annuelle semaine de vacances à Argelès en Septembre Pascal : (depuis la cuisine) ça fait au moins sept jours où on ne doit pas supporter votre trogne de grippe-sous et vos jérémiades permanentes. Solène : tu exagères, Maman, une semaine par an, on a le droit de souffler quand même. Et puis, Argelès, ça me rappelle quand Papa était là, on allait à la mer, on jouait, pendant que toi tu restais sous le parasol. Tu disais que tu serais bien contente quant tante Gisèle aurait vendu le studio, ce qui t’éviterait d’avoir à lui demander de te le prêter. Jeanine : j’ai jamais aimé la mer, c’est ton père… enfin, un jour Gisèle a vendu et on a enfin pu éviter la mer pour les vacances. Solène : parlons-en, on n’est plus jamais partis en vacances, tu disais que nous n’avions pas les moyens, et puis Papa est mort, Jeanine : il a bien fait Solène : maman ! Jeanine : on aurait divorcé, il était devenu transparent, inutile, il est mort bêtement, comme il se doit, quand l’avion qui le ramenait s’est écrasé en mer. Du coup, j’ai évité les frais d’enterrement, de toute façon personne n’aurait suivi le cercueil. C’est la meilleure chose qu’il ait faite. Solène : et moi ! Jeanine : quoi toi ? Solène : je ne suis pas la meilleure chose qu’il ait faite, maman ? Jeanine : tu es une idéaliste, ma pauvre fille, les enfants ne sont pas, loin s’en faut les meilleures choses qui peuvent arriver dans un couple, si tu en avais eu, tu le saurais Solène : je te remercie de ta délicatesse, maman, j’aurais bien aimé en avoir, moi des enfants ! Jeanine : ben, pour ça comme pour le reste il faut quelqu’un qui assure, or là, on est obligé de constater l’absence manifeste du matériel nécessaire. En outre, sais-tu que les enfants sont une des principales causes de dispute dans les couples, avec l’argent Pascal : (revient portant un café à Jeanine) et le mariage, quant à lui, est la principale cause de divorce Jeanine : dis-moi, on lui a greffé un cerveau à ton bellâtre Pascal : ce n’est pas de moi, je vous rassure, c’est Oscar Wilde qui l’a écrit Jeanine : ça m’étonnait aussi Solène : quoi qu’il en soit, je suis ravie de voir que je ne suis pas la meilleure chose qui soit arrivée à votre couple, Maman. Et que j’ai pu être un sujet de dispute entre toi et Papa. Jeanine : rassure-toi Solène, on se disputait bien plus à cause de l’argent Pascal: (allant s’asseoir dans le fauteuil) tu m’étonnes Jeanine : vous avez quelque chose à dire, la pièce rapportée Pascal: je n’ai pas connu votre mari, très chère Jeanine, mais je compatis à ces années de vie commune Jeanine : vous vous valez tous, tenez, autant dire que vous ne valez rien, des médiocres Un temps. Jeanine boit son café. Elle fait une grimace de dégoût et en extrait ce que l’on pourrait prendre pour un cheveu ou un poil. Jeanine : hummmmm ! charmante attention ! Solène: qu’y a-t-il, Maman ? Jeanine : ce poil de cul dans mon café, dont je ne saurais attribuer la paternité à l’un ou l’autre d’entre vous, même si j’ai un doute. Pascal : vous n’avez quand même pas … Solène: donne, donne, je vais t’en faire un autre Jeanine : surtout pas, passe moi plutôt la télécommande, c’est l’heure du loto Pascal : vous risquez pas de le retrouver dans une tasse votre poil dans la main, vieille chouette, il est beaucoup trop gros et trop bien accroché Solène: tiens Jeanine (n’arrivant pas à faire fonctionner la télécommande) mets moi la deux, dépêche-toi, ça a du commencer La télé se met en route et le tirage est déjà commencé, tous parlent fort en même temps que le poste Jeanine : merde, c’est déjà commencé Pascal : vite, vite Solène, c’est la seule chose qui lui donne encore des frissons à ta mère, ça et son petit canard Solène: Pascal, tais-toi, je ne vais pas entendre les numéros si tu parles en même temps, Pascal : je te signale que c’est la télé, tu vois c’est comme la radio mais avec les images, dont si t’entends pas, tu vois, et ça compense Jeanine : dis à ton homme de fermer sa grande gueule de raté, on ne s’entend plus Pascal : ça fait bien longtemps qu’on ne s’entend plus, je me demande d’ailleurs si on s’est jamais entendus Jeanine : la ferme, connard ! Générique de fin et récapitulatif de numéros du tirage. Pascal se lève et va éteindre le poste avec la télécommande. Jeanine : tu as noté les numéros, Solène, parce qu’avec ta lopette de mari j’ai rien pu entendre, et comme j’y vois mal avec mes lunettes Pascal (regagnant son fauteuil) : les lunettes c’est comme les slips, au bout d’un certain temps faut changer, les vôtres datent de Mathusalem Solène : Maman ne t’inquiète pas, j’ai tout noté, tiens, les voici Jeanine : c’est mal écrit, tu pourrais t’appliquer au moins, relis-moi ces numéros Solène : alors le 47, le 9 Jeanine : pas si vite, tu le fais exprès. Donc le 47, le 9. ensuite… Solène : (marquant un temps) le 4… Un temps Jeanine : (agacée) alors le suivant, ça vient ? Solène : mais tu viens de me demander de ralentir Jeanine : quelle cruche, vous allez bien ensemble tous les deux, allez suivant Solène : le 25, le 12, Jeanine : les étoiles maintenant, allez, vas-y je t’écoute Solène : le 6 et le 9 Jeanine : donc je récapitule, dis-moi si je me trompe : le 47, le 9, le 4, le 25, le 12 et les étoiles 6 et 9 Janine griffonne sur la feuille Solène : c’est exactement ça Jeanine : (regardant incrédule les numéros) donne-moi un verre d’eau, Solène, s’il te plaît Pascal : la vache, elle a dit s’il te plaît, vous ne vous sentez pas bien, mémé ? Jeanine : (s’évente et peine à se mettre debout, sa voix devient rauque) vite un verre d’eau Solène : pascal, Maman a un malaise, vite va chercher de l’eau Pascal : c’est ça, ouais, un malaise, tu veux pas que j’appelle les pompiers aussi, tant qu’on y est Solène : Pascal, regarde-la , elle défaille Janine commence à s’affaisser lentement, elle s’accroche à sa fille Pascal : ben si elle compte sur moi pour le bouche à bouche… je vous rappelle que je pue de la gueule, dommage.. Jeanine : so..lè..ne verre d’eau Solène : Pascal, bouge-toi le rond, et va me le chercher ce putain de verre d’eau Pascal : (prenant soudain conscience de la gravité de la situation) ok, j’y vais, qu’est-ce qu’elle a la vielle, Solène : je sais pas, il faut appeler les pompiers, vite ! Pendant que Pascal appelle les pompiers, Jeanine parle faiblement à l’oreille de Solène Jeanine : ticket… gagné Solène : qu’est-ce que tu dis ? Pascal : allo, les pompiers .. ouais, c’est la belle-doche, elle a un malaise, elle s’est effondrée d’un coup… oui, au 107 allée des Poilus… c’est ça… bon on vous attend…d’accord…ok Jeanine : loto gagné Solène : quoi ? Janine agonise et dans un dernier râle essaie de dire quelque chose à sa fille Pascal : (revenant au chevet de Janine) alors ? Solène : (tâte la jugulaire de sa mère, ecoute son souffle) attends, Jeanine rend son dernier soupir dans les bras de sa fille qui se met à sanglotter Solène : je crois… qu’elle est… qu’elle est morte Pascal : merde ! (il lui prend le pouls et regarde ses yeux qu’il ferme) Qu’est-ce qu’elle t’a dit avant de mourir ? Solène : J’ai pas tout compris, elle m’a parlé du loto, des dates et du ticket, elle a dit gagné, j’en suis sûre, mais le reste… Pascal : et alors, ça veut dire quoi tout ce charabia Solène : j’en sais rien, laisse-moi réfléchir : peut-être qu’elle jouait des dates et … attends, fais voir les numéros 04 09 12 25 47 6 et 9 ce qui fait 69 ou 98 Pascal : (se saisissant du papier resté dans la main de Janine) tu vois quelque chose toi ? Solène : mais oui, regarde : le 09 12 69, c’est ma date de naissance et le 25 04 47 c’est, c’est… Pascal : c’est quoi bon sang, c’est quoi ? Solène : la date de naissance de Papa (elle sanglotte à nouveau) Pascal : oh, la vielle carne dis-donc, elle jouait vos dates de naissance, qui l’eût cru. Solène : (soudain agitée par la révélation que sa mère a gagné) mais le ticket, il est où le ticket ? Pascal : regarde dans ses poches, on ne sait jamais, moi je regarde dans son sac Ils sont ous les deux pris d’une nervosité extrème et cherchent fébrilement Solène : rien Pascal : moi non plus. Putain, mais où est-ce qu’elle a pu planquer ce foutu ticket ? Solène : regarde dans son manteau Pascal se rue sur le vêtement le fouille nerveusement , puis le jette par terre Pascal : Rien, pas de ticket, putain ! j’y crois pas, ça devrait être le plus beau jour de ma vie, elle va me le gâcher la salope !!! NOIR Scène 2 : Pas vu, pas pris Le Récitant : Romain Marguerite : Maric Sybille : Pauline Décor : un banc public Chacune des comédiennes aura avec elle un grand sac en plastique plein de vêtements d’occasion qu’elles examineront pendant leur dialogue Le récitant Décidément, les belles mères et les gendres, c’est toujours un peu compliqué. Un peu comme les belles-mères et les brus, oui je sais on dit belles-filles. En fait, je pense qu’avec les belles-mères et le reste du monde, c’est toujours un peu, disons, comment dire ? La guerre ? De plus, j’aime bien le mot bru… comme le mot récépissé, qui a donné l’expression populaire récépissé le mérinos. Non, je blague ! En fait, le mérinos est un mouton du bassin méditerranéen qui a tendance a pisser sur … Ceci dit avec internet plus de récépissé donc moins de mérinos, puisqu’on dialogue par mail, ou par courriel, comme disent nos cousins canadiens francophones, tout, ou presque, passe par l’internet. Mais en cherchant bien, il reste quand même un rapport entre l’internet et mon mérinos ruminant, il est de la même famille, les bovidés caprinés, que le plus fameux bouc du monde, allez, réfléchissez un peu, un bouc super connu, vous donnez votre langue au chat, ben c’est « Facebook » ! Quel rapport avec le loto ? A vrai dire aucun, mais en partant vous aurez quand même appris quelque chose, et c’est pas tous les jours… Bon, où en étais-je ? ah, oui ! Donc, voir la fortune vous passer sous le nez, c’est, disons, un peu dur, même si l’on n’y comptait pas au départ. Bien souvent, les choses sont encore plus subtiles, et l’on n’a pas toujours conscience de son propre potentiel. Voyez Marguerite et Sybille. Marguerite est assise et Sybille arrive vêtue d’une veste. Marguerite : fais voir cette veste. Elle te va super bien, où l’as-tu trouvée ? Sybille : c’est la dame du 14. Marguerite: elle est même pas usée, presque neuve ! Sybille: c’est pas un modèle récent, mais je n’ai pas les moyens de faire la difficile. Depuis que Jacques m’a quitté, il ne me reste que mon mi-temps, et c’est pas grand chose Marguerite: je sais bien, Sybille. Les temps sont durs pour tout le monde,heureusement qu’il a encore des gens généreux pour nous aider. Tiens le boucher de la rue du Frêne, il paraît qu’il cuisine une fois tous les quinze jours pour les pauvres. C’est une belle initiative. Sybille: au prix où il vend sa viande, il peut être généreux Marguerite: à ce prix là c’est les riches qui la lui achètent, c’est vrai que pour nous… Un temps Marguerite: n’empêche, il n’est pas obligé de faire la charité. Il pourrait, comme la plupart des gens détourner le regard et faire comme si de rien n’était. Sybille: ouais ! (tournant avec sa veste pour la mettre en valeur) T’as vu en plus je suis super bien dedans, on dirait qu’elle est faite pour moi. Marguerite: T’as de la chance. Tu as toujours eu une taille de guèpe Sybille: non, j’avais un peu pris, avant que Jacques me quitte Marguerite: ah oui, je me souviens, t’avais de bonnes joues et de belles fesses. Tu étais resplendissante avant Sybille: tu vois bien… les hommes… Marguerite: (pensive) les hommes… Un temps Sybille: un grand chagrin, c’est le meilleur des régimes. Le voilà le vrai remède contre l’obésité. Marguerite: imagines le slogan : « vous voulez maigrir : soyez triste » ou « votre conjoint s’en va, vos kilos aussi » Sybille: attends heu ! ah oui : : « au plus tu te morfonds, au plus la graisse fond » Marguerite: en tout cas, nous, on va pas finir obèses, on ne fait déjà qu’un vrai repas par jour. Finalement je vais peut-être m’inscrire à « l’amour est dans le pré ». Avec un paysan, si tu ne finis pas riche, tu auras toujours à manger. Sybille: mais tu n’as pas la télé, Marguerite, comment tu vas faire ? Marguerite: pas besoin, il suffit d’écrire Sybille: et qu’est-ce que tu vas lui dire à ce paysan pour qu’il te choisisse toi ? Marguerite: qu’il est beau… que j’ai toujours rêvé de vivre à la campagne… que j’aime les bêtes… tout ça quoi Sybille: c’est évident. Comme je suis sotte, à la limite, lui dire qu’il est beau, ça n’engage à rien, mais le coup de la campagne, franchement… Marguerite: ben quoi ? Sybille: dès qu’il va te voir, il va comprendre si t’as déjà pris des râteaux dans ton existence, c’est pas ceux qui lui servent à la ferme. Marguerite: et pourtant j’aimerais bien moi, vivre à la campagne Sybille: pour sûr, t’as jamais connu que la ville, et même t’es jamais sortie du quartier, alors Marguerite: et alors Jules Vernes, il n’est jamais allé sur la lune, ça l’empêchait pas d’écrire des livres Sybille: te fâche pas Marguerite, t’a s déjà un prénom de vache, ça peut jouer en ta faveur Elles rient de bon cœur Marguerite: j’étais tombée amoureuse d’un neuneulogue dans le temps Sybille: un oenologue, un type qui étudie le vin, qui le fabrique, comment on dit autrement : un maître de chais Marguerite: non, un neu-neu-logue, un monsieur qui étudie les neuneus, on dit aussi un psychiatre, mais moi je préfère un neuneulogue Sybille: si tu veux, et alors, que s’est-il passé avec cet homme ? Marguerite: ben rien, justement, il s’est rien passé. Sybille: mais rien, rien, ou ? Marguerite: rien, nada, nib, que dalle Sybille: mais même pas un bisou ? Marguerite: rien je te dis Sybille: mais, c’est impossible, il se passe toujours quelque chose quand deux personnes se rencontrent, ça serait bien la première fois Marguerite: justement Sybille: justement, justement, explique-toi, explique-moi, je comprends pas Marguerite: c’est quand tu dis « quand deux personnes se rencontrent… » Sybille: d’accord… Marguerite: « …il se passe toujours quelque chose » Sybille: oui, c’est bien ce que j’ai dit, et donc ? Marguerite: ben nous, non. Sybille: mais quoi « nous non » ? Marguerite: ben en fait on s’est jamais rencontrés, c’est pour ça qu’il ne s’est rien passé entre nous, tu vois ? Sybille: mieux, oui. Enfin, pour l’amour est dans le pré, je suis pas certaine que tu aies le profil. D’ailleurs, je me demande le profil de quoi on a nous ? Marguerite: le profil SDF du coeur. Un peu comme les marins, tu vois ? Sybille: ah oui, je vois ! les marins : une femme dans chaque port Marguerite: mais moi je préfère les hommes ! Sybille: moi pareil, et je t’avoue que j’aimerais bien que ce soit réciproque. Marguerite: au moins de temps en temps. Un temps Marguerite : Tu vois, si j’avais de sous, je pense que j’en prendrai un peu pour soigner mon apparence Sybille: si t’avais des sous, c’est pas un peu qu’il t’en faudrait Marguerite: hé Sybille, n’exagère pas quand même !!! Sybille: excuse-moi ! Ne le prends pas mal, mais avec la vie qu’on a eue, les traces sont visibles, y’a plus de boulot, tu vois ce que je veux dire. On part de loin, alors … Marguerite: on revient de loin aussi, passer ce qu’on a passé et continuer, y’en a qui devraient y réfléchir un peu… Un temps Sybille: tu sais, c’est comme quelqu’un qui aurait une maladie grave et qui penserait à se suicider… faut du courage Marguerite: quel que soit son choix, faut du courage Sybille: et le courage, on l’achète pas chez Lidl en paquet de douze…Finalement, l’essentiel, ça ne s’achète pas, Marguerite: évidemment, ça n’a pas de prix ! Un temps Marguerite: Tu fais quoi maintenant ? Sybille: j’ai rendez-vous chez le juge de l’application des peines pour ma conditionnelle, tu sais, aujourd’hui ce sera ma dernière fois. Après, promis on arrose ça, Marguerite, on fait la fête. Marguerite: génial Sybille ! C’est vraiment un grand jour, quel soulagement ce doit être, non ? Sybille: j’ai fini de payer ma dette à la société. Marguerite: et qui paie ses dettes ? Sybille: sent des pieds Elle rient. Marguerite: dis donc, la dame du 14 ? tu sais, la veste Sybille: sale histoire ! En fait cette veste était à sa mère qui est décédée il y a quelques jours. Et son mari est à l’hôpital, il est devenu fou ou dépressif, je ne sais pas trop bien ; elle m’a dit qu’il était certain d’avoir gagné au loto, mais qu’il n’a jamais pu retrouver le ticket. Marguerite: et elle ? Sybille: en fait, elle m’a confié que cet épisode tragique lui avait fait du bien, c’est paradoxal, et que depuis qu’elle était seule, elle avait pu réfléchir à sa vie, et qu’elle se sentait bien mieux, malgré son chagrin, maintenant qu’avant tout ces évènements. Un temps Sybille : Tu sais, elle m’a aussi donné un chapeau, un parapluie et trois paires de chaussures, une chance que sa mère et moi on ait eu la même pointure. Marguerite: j’aime pas trop mettre des choses qui ont déjà servi. Si j’avais le choix, je m’achèterais que des choses neuves. Sybille: mais tout est neuf, la mémé s’achetait des vêtements en cachette, mais ne les portait jamais. Par souci d’économie, elle mettait toujours les mêmes habits. Et ses placards étaient pleins comme c’est pas permis. Par contre, quand ils ont vidé l’appartement qu’elle occupait, ils n’ont pas trouvé un euro de liquide, rien, même pas une petite pièce, c’est drôle, non ? Marguerite: ouais, c’est étrange. Je roule pas sur l’or, mais j’ai bien quelques pièces qui traînent dans mon porte-monnaie. Enfin, si elle distribue, elle est bien gentille, cette pauvre dame. Tu sais des fois on entend parler de trésors découverts derrière un mur , sous un plancher, dans une lessiveuse. Moi, si j’étais la dame, je vérifierais bien tout avant de donner, s’il faut le ticket de loto il est dans la veste qu’elle t’a donnée. Sybille: j’aurais bien aimé, mais j’ai regardé dans les poches, il n’y a rien. Marguerite: c’est pas pour nous les gros lots et compagnie, en plus, moi je ne joue jamais, deux euros le ticket, je fais un repas avec. Sybille: Ben moi, j’ai gagné une fois, presque vingt cinq mille euros Marguerite: quoi, vingt cinq mille Sybille: à l’époque, je vivais avec un garçon qui n’était pas très… comment dire ? c’était une petite frappe, il se prenait pour un caïd, moi, j’étais jeune, ça me flattait d’être avec un vaurien, mon côté rebelle que j’ai payé cash un peu plus tard. Marguerite: alors, cet argent ? Sybille: tu ne devines pas ? Marguerite: il s’est tiré avec ? Sybille: on ne peut rien te cacher, je me suis retrouvée seule sans mec et sans argent, il m’avait nettoyée et laissée tomber comme une merde. Tu te rends compte, je ne valais pas vingt cinq mille euro à ses yeux. Je suis tombée de haut, et en même temps, je n’ai pas été surprise. Et c’est à partir de là que les choses se sont gâtées, comme ça arrive souvent. De fil en aiguille j’ai fini par me retrouver en prison, et tu connais la suite. Marguerite: dis-moi, avec des histoires comme la tienne, la Française des Jeux peut tirer le rideau : « Elle gagne au loto, et finit en prison ». Sybille: et pourtant c’est vrai. Tu vois, des fois quelque chose commence bien et finit mal. Heureusement en général, c’est le contraire et la logique est respectée. Marguerite: tu parles d’une logique, toi. Pour gagner faut jouer, et moi j’ai pas les moyens. Et puis, dépenser son argent au jeu, c’est pas une façon de vivre, en tout cas pour ce qui me concerne. Sybille: c’est vrai que si tu écoutes les slogans, ils sont quand même fort pour nous faire rêver : Cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance Marguerite: cent pour cent des perdants aussi, mais ça, ça fait moins rêver le prolo. Donc, on boit un coup ce soir quand tu rentreras, Sybille: j’achète du champagne, une fois n’est pas coutume, ça me rappellera le bon vieux temps, et ça me fait plaisir de partager ce moment avec toi, on va se prendre un cuite qui sait ? Marguerite: du champagne, il y a bien longtemps que j’ai oublié le goût que ça peut avoir, on va se régaler Sybille, peut-être même qu’on refera le monde en mieux Sybille : si on s’endort pas avant. Marguerite: allez je te laisse ma grande, à tout à l’heure Sybille: c’est ça. Marguerite s’en va. Sybille reste seule. Elle tire de sa poche une enveloppe et fait tomber sans s’en apercevoir le ticket de loto qui s’y trouvait. Elle sort la lettre de l’enveloppe Sybille: bon, alors, cette convocation. 11h, au tribunal de Grande Instance. C’est bon, j’ai mon temps. Elle sort en remettant la lettre dans l’enveloppe NOIR Scène 3 : Rendez-vous raté Le récitant : MarieClaire Jean : Antoine Katia : Nadège Marianne : Annie Serveuse : Pauline Décor : Une terrasse de bar, deux tables quatre chaises Le récitant Oyez, oyez bonnes gens, le petit bout de papier qui change le cours d’une vie est désormais là, gisant à même le sol, à la merci du moindre coup de vent. Et pourtant elle nous l’a dit, elle a fouillé dans les poches, et elle n’a rien trouvé. Mais vous l’avez vécu vous aussi, après avoir regardé trois fois dans la sacoche, cette foutue carte est soudain réapparue, comme par enchantement, comme pour vous prouver qu’il faut toujours douter de ses certitudes. Peut-être vaudrait-il mieux ne jamais retrouver ce que l’on croit avoir perdu. Quant à Sybille, l’avantage qu’elle a tient justement au fait qu’elle ne sait pas qu’elle était au bord de la fortune, par conséquent elle ne redevient pas pauvre, elle le reste. Il n’y a que vous qui savez, croyez-vous que ce soit un avantage ? A quoi tient un destin, le hasard ou la chance, le sort, la destinée, Dieu ? Appelez-la comme vous voulez, cette part d’incertain qui corrige les trajectoires de chacun d’entre nous. C’est une paire de lunettes oubliées sur la table qui font que l’on revient. Ces deux minutes décalent le destin. De victime de l’accident, ces deux minutes de sursis nous font devenir spectateur effaré. Deux minutes de retard, et celui ou celle qui nous était destiné, ne croisera jamais notre route au bon moment. L’amour est un horloger, il aime la ponctualité, à moins que le temps lui-même ne soit un concept élastique, qui s’étire ou se rétrécit en fonction de décisions déjà prises. L’homme décide-t-il, ou croit-il décider ? Je sais à quoi vous pensez. Vous vous dites, c’est pas à moi que ça arriverait un truc pareil, avoir le ticket gagnant dans la poche. Ou peut-être cela est-il arrivé à l’un ou l’une d’entre vous. Quel moment, quel coup ! On n’existe plus, le temps s’arrête. La vie s’arrête, avant de repartir de plus belle, tous les films défilent, les idées se bousculent. Ce n’est pas Jean qui dira le contraire… Jean déambule seul devant une terrasse de bar, une sacoche à la main,tout en téléphonant il aperçoit à terre un ticket de loto qu’il ramassera pendant son monologue. Jean : allo, maman ? …oui… non.. non, je ne rentrerai pas pour dîner… j’ai emmené Lise à la gare et… avec Lise, Lise et … ne m’attends pas je rentrerai tard. Oui, j’ai pris mon gilet, Maman, et ma casquette, oui. La bleue, oui, la bleue… elles sont dans ma serviette, maman… Merci maman, merci d’y penser…Non, je n’irai pas chez McDonald’s à midi, je sais… Maman, je te de… Oui, pas de sandwich non plus, oui je sais, le docteur, je sais, le cholestérol, maman, bon, je vais… Voilà, je t’embrasse… Maman, j’ai 52 ans, je n’ai pas de comptes à te … mais je ne me fâche pas, je t’explique que je ne…Mais Maman, arrête de pleurer, arrête enfin, je ne t’ai pas crié dessus, comme tu dis, tu… mais je ne sais pas moi, j’ai un rendez-vous, voilà, ça te va comme… Maman, arrête de hurler dans ce foutu téléphone, je ne comprends plus ce que tu… Maman, maman, …allo, Maman ? Elle a raccroché. Bon, quelle heure est-il ? 11h30’. J’ai encore une demi-heure à tuer, je vais aller m’acheter un paquet de clopes et puis… Jean aperçoit le ticket de loto. Il le ramasse négligemment, l’ouvre et le met dans sa poche. Jean : ce rendez-vous ! J’aurais jamais dû partir si tôt, je vais tourner en rond comme un lion en cage jusqu’à midi. J’arpente le trottoir du restaurant depuis le petit jour, ils vont finir par croire que je prépare un mauvais coup. Ah ! Marianne, quel joli prénom ! C’est celui d’une héroïne de Molière. C’est original et ce prénom me trotte dans la tête depuis des mois. Jean entre dans le tabac/loto. Il en ressort livide avec le ticket à la main, et s’assoit à une table, totalement absent, presque titubant. Une serveuse arrive Serveuse : bonjour Monsieur, qu’est-ce que je vous sers ? Jean ne répond pas, il semble totalement déconnecté du moment présent.Il gardera cette physionomie tout au long de la scène, et, de temps en temps regardera hagard le ticket de loto sans rien dire. Serveuse : Monsieur, vous désirez boire quelque chose ? Monsieur ? Vous ne vous sentez pas bien ? Jean (hébété) : un ticket bien serré Serveuse : un café vous voulez dire ? vous êtes certain que tout va bien Monsieur ? Jean (même ton) : avec sucrette, pas le moment de faire des excès. Serveuse : tout de suite, Monsieur Deux femmes s’attablent à proximité de lui. Marianne: Il m’a dit qu’il aurait une casquette bleue, et un polo gris. trop, mais bon... c’est pas que j’aime Katia : tu sais, faut quand même faire attention. Le plan du type jeune, beau, intelligent, et riche sur internet ou ailleurs, un gars comme ça s’il est libre, c’est qu’il y a forcément un problème ailleurs. Il ressemble à quoi, t’as vu sa photo ? Marianne : non, on s’est juste parlé franchement, il m’a promis qu’il était normal, ni beau ni laid, et que pour lui le physique n’était pas essentiel, je trouve l’idée qu’on se rencontre sans s’être jamais vus très romantique. Katia : c’est lui qui l’ a eue cette idée Marianne : oui, c’est lui Katia : c’est louche, Marianne. Rares sont les hommes pour lesquels le physique n’a pas d’importance. Marianne : ne me gâche pas cette rencontre Katia, s’il te plaît. Au moins je suis certaine de ne pas être trompée sur la marchandise et lui non plus, on en a trop vu des retouchés par Photoshop, comme Madona ou Sarkozy. Entre nous, je le crois ; c’est probablement pas un Apollon, mais il est super gentil, franchement, s’il est aussi simple et doux que lors de nos conversations sur Internet, je me le prends et je me le garde. Katia : tu as un doute quand même, non ? Marianne : écoute, j’en sais rien, mais la chance sourit aux audacieux. Et puis il vaut mieux avoir des remords que des regrets Katia : attention pas plus de deux proverbes en une seule phrase, sinon, il va se barrer rapidos ton coco, comme un pet sur une toile cirée Marianne : Tu comprends ce que je veux dire, je préfère m’en vouloir de l’avoir rencontré plutôt que de regretter de n’avoir pas tenté ma chance. Ça fait des mois qu’on correspond, on a plein de points communs, on a plein de projets, c’est un garçon modeste, comme moi. On est du même milieu, ce sera plus simple. La serveuse revient avec le café et les sucrettes.Jean est toujours prostré. Serveuse : voilà, Monsieur, un café et des sucrettes, voici. Katia : t’as vu le type là, il a un air un peu zarbi, non ? La serveuse lui apporte son café, même pas un geste, pas un merci, rien ! Marianne : peut-être oui, de nos jours, c’est pas la politesse qui étouffe les gens. Donc, je te disais, le seul truc qui me chiffonne un tantinet, c’est qu’il habite encore chez sa mère, je trouve ça un peu … Katia : oui, au fait, tu ne m’as pas dit son âge, ça lui fait combien ? Marianne : cinquante deux Katia : ah ouais, quand même… Marianne : c’est pas une première main, je sais, mais je ne peux pas non plus faire ma difficile, j’ai trois gosses, de trois maris différents, on ne peut pas dire que j’ai une super cote à l’argus. Katia : mais tes enfants sont grands, ils sont tous partis de chez toi, tu es libre. Marianne : autant qu’on peut l’être quand on a trois enfants. C’est pas parce qu’ils sont partis vivre leur vie qu’ils ne me sollicitent plus. Quel que soit leur âge et leur situation je serai toujours leur mère, tu comprends Katia : ne te casse pas, j’ai pas d’enfants, mais j’ai un frère c’est encore pire. Je me demande ce qu’il deviendrait si je n’étais pas là… Jean se lève et s’en va. Il est rattrapé par la serveuse. Serveuse : Monsieur, vous n’avez pas payé votre café, vous me devez 1,30 Jean : hein, quoi ? Serveuse : vous n’avez pas payé le café, 1,30Euro Jean : ah ! Il sort un billet de sa poche, le donne à la serveuse puis il se rassoit. Katia : il est complètement bourré le tonton là ! Marianne : quelle pitié quand même, il n’est pas midi et il y en a qui sont déjà chargés comme des mules. Katia : regarde-le, c’est un pauvre type. Marianne : on aurait tous des raisons de boire, si on s’écoutait. Katia : on sait jamais ce qui se passe dans la tête des gens, Marianne. Un chagrin d’amour, un licenciement, un accident, ta vie bascule en un instant et rien ne sera jamais pareil. Jean : jamais pareil Katia : c’est ce que je dis. En tout cas, il est pas sourd, pépère. Qu’est-ce que tu disais donc à propos de sa mère ? Marianne : oui, c’est le détail qui me tracasse. On ne vit pas chez sa mère à plus de cinquante balais, pas sans une bonne raison Katia : voilà, tu as dit le mot, il doit avoir une bonne raison, mais laquelle ? Marianne : il est radin. Katia : ah, non, pas ça. S’il est radin, tu le largues tout de suite, c’est horrible. Non, il est gay Marianne : s’il est gai, je le garde. Katia : pas gai joyeux, gay homo Marianne : je ne vois pas pourquoi il veut me rencontrer s’il est homo, comme tu dis, ce serait absurde Katia : on voit tant de choses… bon, alors, sa mère est tombée très malade et il est revenu vivre à la maison pour s’en occuper Marianne : c’est beau ça, ça lui ressemble, si c’est pour cette raison, c’est encore mieux que ce que je croyais Katia : ou alors, il a une mère possessive qui lui fait du chantage pour qu’il reste auprès d’elle, et dans ce cas, cela peut vouloir dire qu’il n’a pas beaucoup de … caractère Marianne : non, je préfère ton hypothèse précédente elle est bien plus séduisante. Jean se lève et retourne dans le bar vérifier le ticket de loto au moment ou la serveuse vient lui rendre sa monnaie Serveuse : votre monnaie, Monsieur Jean : merci (il prend sa monnaie machinalement, sans la regarder) Serveuse : On dirait que le monsieur a un problème. Il ne vous a pas donné cette impression ? Katia : c’est peut-être un Alzheimer, il l’air tout chose Marianne : terrible cette maladie, enfin, il n’a rien fait de mal, en tout cas en ce qui nous concerne Serveuse : j’en vois pas souvent des comme lui, et pourtant il y a du passage ici. Katia : il faudrait peut-être appeler les pompiers ou la police, s’il faut il est perdu ou recherché, ces gens là vous savez, c’est bien compliqué pour l’entourage, sa famille pourrait très bien dans l’angoisse en ce moment même. Jean revient et se rassoit sans un mot Serveuse : vous avez raison, je vais appeler les pompiers Marianne : vous faites bien, on ne sait jamais. La serveuse tourne les talons et rentre dans le bar Katia : bon, quelle heure est-il, Jean : (souriant aux anges) quelle heure est-il, Madame Persil ? Marianne : bon, je crois qu’il est mûr pour l’hosto, j‘ai rarement vu un personnage aussi étrange ; il est pas dans son assiette. Katia : Monsieur, Monsieur. Jean : (même jeu) appelez-moi Monsieur Katia : y’ a un plomb qui a fondu, la preuve. Monsieur, vous savez comment vous vous appelez, vous êtes perdu ? hou hou, y’a quelqu’un ? Jean : (hilare) c’est fini, c’est fini Marianne : (prenant le bras de sa compine et faisant mine de reculer son siège) fais attention Katia, on ne sait pas s’il est dangereux, reste à distance. Il me fait peur ce type. Ses yeux, t’as vu ses yeux, on dirait un drogué, j’aime pas ça, viens on s’en va. Elle se lève au moment où Jean se met à chantonner la chanson « Partir » de Julien Clerc Katia : (séduite) vous chantez drôlement bien Monsieur Jean : voulez-vous danser jolie demoiselle? Marianne : (de plus en plus méfiante) tu vois bien, il est en plein délirium tremens, Katia : il y a bien longtemps qu’on ne m’a pas appelé jolie demoiselle, rien que pour ça, je vais rester un peu moi Marianne : (essayant d’agripper son amie) allez Katia, on ne sait pas ce qui peut se passer, viens, recule. Ne reste pas trop près de lui. Jean : (soudain, comme illuminé) il n’est jamais trop tard, jamais, un jour vient, il n’y a plus de nuit, mais du brouillard, au début, un vertige… tomber, mais tomber sur un coussin et … Katia : c’est un code, vous voulez me dire quelque chose et vous n’y arrivez pas. Je veux bien vous aider si vous voulez, mais si vous pouviez être plus clair, je pense que cela m’aiderait quand même beaucoup Marianne : il n’y a rien à comprendre, c’est n’importe quoi, c’est un jobard et voilà. Jean (semblant suivre une logique obscure) jobard, bobard, Babar, bazar, hasard, quand tu frappes à ma porte c’est l’horizon soudain qui se mue en bateaux, perdus sur l’océan des pensées et des rêves. Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito. Katia : ce que vous parlez bien, monsieur. Vous êtes poète, ou philosophe, ou homme politique peut-être. Je vous avoue que je préfère les poètes, parce que si je ne comprends pas tout, au moins ce que j’entends c’est beau. Marianne : katia, tu ne vas pas entrer dans son délire tout de même. N’apporte pas de l’eau à son moulin, oh ! reste avec moi, katia, redescends ma grande, il t’a grillé la carte sim ou quoi avec ses discours sans queue ni tête. Jean : Albert Einstein ! Marianne : Impossible, il est mort, alors Katia : Katia Martini, ravie Marianne : mais je te dis que c’est impossible, il est mort il a au moins dix ans Einstein. Katia : et alors, il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin, je m’appelle bien Martini, j’ai pas une gueule d’apéro que je sache. Marianne : oui, mais, pour le coup, je … Katia : Oh, Marianne, tu nous lâches un peu ! A l’écoute du prénom, Jean se lève soudain Il glisse le ticket dans sa chemise et sourit puis s’en va en chantant « que Marianne était jolie » de Michel Delpech. Katia : t’es chiante quand même, pour une fois que quelqu’un s’intéresse à moi, tu ne trouves pas mieux que de le faire fuir. Je t’ai pas cassé ton coup, moi. T’es jalouse, c’est pas possible. Marianne : j’ai eu peur, Katia, tu peux comprendre ça, la peur. Ne fais pas semblant de ne pas avoir remarqué que son attitude était légèrement « strange » ; et toi, tu flirtes, tu batifoles, avec un taré, un pervers. Franchement, je crois que si je n’étais pas là… je suis ton ange gardien. Katia : tu m’as l’air d’un ange toi… Un temps. On entend les sirènes des pompiers, le claquement de portières, des voix confuses. Marianne : enfin, les pompiers l’embarquent. Un fou de moins en liberté Katia : si tous les gens étaient aussi gentils que ce fou là … regarde, il a oublié sa serviette. Il y a peut-être son adresse ou des papiers pour le retrouver et lui rendre Elles l’ouvrent et regardent ce qu’elle contient.Elles en extraient une casquette et un polo gris. Elles se regardent. La sirène des pompiers retentit puis s’éloigne Marianne : Merde alors, cette casquette, ce polo, mon rendez-vous Katia : un poète, dommage … NOIR Scène 4 : Dérapage Le récitant : Pauline Philippe : Romain Louison : Philippe Décor : une salle de passage ou un entresol, un chariot, des vêtements (ceux de Jean), un ticket de loto des clés de la monnaie, une boite bleue, des sacs, une chaise ou deux. L’éclairage sera blafard comme dans un sous-sol ou un couloir Le Récitant Et là c’était son jour de chance, soi-disant ! Franchement, ça donne pas envie de le rencontrer les jours ou rien ne va. Non, c’est un peu facile de se moquer des gens à qui il arrive des choses désagréables, mais essayez de vous moquer de quelqu’un à qui il arrive un vrai bonheur, d’abord ça n’a aucun intérêt, et en outre c’est extrêmement difficile. Avant de vous donner un exemple concret, j’attire votre attention sur l’expression « en outre », locution adverbiale ou préposition, qui peut être remplacée par « par dessus le marché ». il s’agit une expression élégante et du langage soutenu, mais méfiez-vous votre langue, et surtout de celle de vos amis. Imaginez quelqu’un vous dit :, cher ami, votre épouse est exquise, en outre elle est très élégante. La dernière phrase laisse planer un doute sur la sincérité du compliment, vous ne trouvez pas ? Je laisse cette question à votre sagacité, car j’en vois qui s’agacent de mes jeux de mots. J’en reviens aux moqueries sur le bonheur des autres. Exemple concret : Mademoiselle A dit : elle est super belle en mariée au bras de l’homme de sa vie, je me demande ce qu’il lui trouve ? Mademoiselle B dit : un beau cul et beaucoup d’argent Mademoiselle A : ok, mais pourquoi il l’épouse ? Mademoiselle B : parce qu’il n’a vraiment aucun goût, andouille !!! Vous voyez, ce n’est pas drôle au fond, se moquer des gens heureux ressemble plutôt à de la jalousie ou bien de l’aigreur. En plus, je sais vous allez critiquer le choix de deux femmes comme protagonistes, mais alors là, je regrette, je n’ai pas trouvé d’exemple où des hommes disent du mal. Revenons-en à nos moutons, vous savez les mérinos de tout à l’heure, ou bien ceux de Panurge Ils se laissent bien tondre la laine sur le dos, d’autres ont des itinéraires plutôt singuliers. Tenez, prenez Philippe et Louison…