et révolutions - Festival International du Film d`Histoire de Pessac

Transcription

et révolutions - Festival International du Film d`Histoire de Pessac
Salvador Allende de Patricio Guzmán (d.r.)
ET RÉVOLUTIONS
EN AMÉRIQUE
DICTATURES
LATINE
DICTATURES ET RÉVOLUTIONS EN AMÉRIQUE LATINE
Agnus Dei [CORDERO DE DIOS]
Lucía Cedrón – Argentine/France, 2008, 90 mn, coul
2002, en pleine crise économique argentine, Arturo,
vétérinaire de 77 ans, est enlevé à Buenos Aires.
Guillermina, sa petite-fille, est contactée par
les ravisseurs. Pour faciliter la libération de son grandpère, elle fait appel à sa mère Teresa, fille d’Arturo.
Celle-ci vit en France depuis son exil avec sa fillette en
1978, suite à la mort de son mari, opposant à la dictature…
De 1976 à 1983, quatre juntes militaires se sont succédées en
Argentine. Le bilan est accablant : environ 30 000 desaparecidos,
selon des méthodes (torture et élimination clandestine des opposants) déjà pratiquées au Chili, au Brésil et en Uruguay, 15 000
fusillés, des centaines de bébés enlevés aux familles de disparus, et
un million et demi d’exilés, ultérieurement assassinés, dans certains
cas, dans le pays même où ils avaient trouvé refuge.
C’est le destin des parents de Lucía Cedrón, dont le père est mort
à Paris en 1980 dans des circonstances non élucidées. Pourtant
la jeune cinéaste (Agnus Dei est son premier long métrage) se
défend d’avoir conçu une œuvre autobiographique. L’originalité
d’Agnus Dei réside dans sa gestion audacieuse des allers-retours
temporels entre 1978 et 2001, parfois matérialisés dans un même
plan, parfois d’une simple coupe. Si elle nourrit la densité d’un
récit complexe, elle formule aussi un contrepoint entre deux
formes de violence (disparition des opposants d’une part ;
enlèvements mafieux de personnalités en vue d’autre part) où se
loge un commentaire sur la mémoire et les processus historiques.
L’Argentine de 2001 est exemplaire de cette emprise des multina-
La
Bataille du Chili
[LA BATALLA DE CHILE]
Patricio Guzmán – Chili/Cuba/France, 1973, (96’+68’+79’), NB, doc
1ère partie : L’Insurrection de la bourgeoisie — 2ème partie :
Le coup d’état militaire — 3ème partie : Le Pouvoir populaire.
Fresque historique monumentale tournée en plein cœur
des faits, La Bataille du Chili retrace avec minutie les
événements ayant présidé à la chute du président chilien
Salvador Allende en 1973…
tionales sur les États prédite et dénoncée par Salvador Allende
en décembre 1972. Par sa structure en écho, Agnus Dei épouse
les mutations d’une société, de la dictature à l’oubli programmé.
Mais rien à faire, le passé ne passe pas.
Sortie française 7 mai 2008 Distributeur Ad Vitam Format 35
mm - 1.85 : 1 Cies de production Les Films d’Ici/Goa Films/Lita
Stantic Producciones Producteurs Lita Stantic et Serge Lalou
Scénario Lucía Cedrón, Santiago Giralt et Thomas Philippon
Aginski Image Guillermo Nieto Son Guido Berenblum et Victor
Alejandro Tendler Montage Ana Garcia et Rosario Suárez
Musique originale Sebastián Escofet – Avec Mercedes Morán
(Teresa, en 2002), Jorge Marrale (Arturo), Leonora Balcarce
(Guillermina), Malena Solda (Teresa, en 1978), Juan Minujín
(Paco)…
La Bataille du Chili, ou l’histoire en train de s’écrire. À l’automne
1972, Patricio Guzmán, jeune diplômé de l’École de cinéma de
Madrid, entame le tournage de ce qu’il définit comme « la preuve
cinématographique, jour après jour, de l’agonie d’une expérience
révolutionnaire qui touche le monde entier, parce qu’elle se
présente comme une expérience pacifique du passage au socialisme. » Le renouveau de la production chilienne a d’ailleurs
précédé de peu l’accession au pouvoir de Salvador Allende en
1970, et un vent de liberté (beaucoup de caméra portée, d’images
comme arrachées au réel dont elle restituent/réorganisent
le flux désordonné) souffle sur ce film-fleuve à l’architecture
ample et à l’ambition panoramique. Si les deux premières parties
se concentrent sur la montée des périls – une droite toujours plus
vindicative qui se convertit progressivement, soutien américain
aidant, à la logique du coup d’État –, la troisième opère un retour
en arrière sur une expérience de gouvernement prématurément
avortée. Celle d’un « pouvoir populaire » qui se forge dans la rue
comme dans les vastes domaines agricoles, que les paysans et
les ouvriers se réapproprient au risque de déborder sur sa gauche
le gouvernement d’Allende.
Sortie française 12 novembre 1975 (1) et 17 février 1977 (2)
Distributeur Patricio Guzmán Format Beta SP – 1.33 : 1
Cies de production ICAIC/Mac Arthur Foundation Producteurs
Patricio Guzmán et Chris Marker Auteur Patricio Guzmán
Image Jorge Müller Silva Son Bernardo Menz Montage
Pedro Chaskel
CONQUÊTE
DU POUVOIR
LES ANNÉES LA
70 CONQUÊTE
: LA
LE GRAND
DU
TOURNANT
POUVOIR
- FILMS-
95
DICTATURES ET RÉVOLUTIONS EN AMÉRIQUE LATINE
Buenos
Aires 1977
[CRÓNICA DE UNA FUGA]
Israel Adrián Caetano – Argentine, 2006, 102 mn, coul
Argentine, 1977. Victime d’accusations sans fondement,
Claudio Tamburrini est arrêté, passé à tabac puis
transféré dans un centre de détention clandestin.
Là, Claudio vit l’enfer quotidien des interrogatoires et
de la torture. Avec l’aide de Guillermo, un autre détenu,
il prépare son évasion…
La « Mansión Seré » est une maison de film d’épouvante. Les
centres de détention et de torture, en Algérie puis en Amérique
latine, étaient généralement installés dans des villas à l’abandon
et à l’écart, disposant de pièces en nombre suffisant pour abriter
cellules et salles d’interrogatoires. L’originalité de Buenos Aires
1977 est de traiter la « Mansión Seré » comme un personnage à
part entière, dans un registre hyper-expressif. Cadrages et éclairages d’inspiration gothique (rien n’y manque, pas même un
orage à la Edgar Poe), focales courtes et déformantes, contreplongées immersives dans la psyché des détenus et leur angoisse
permanente des sévices et de la mort : alors que des films comme
La Question (Laurent Heynemann, 1976) prenaient le parti du
naturalisme, Caetano opte pour le cauchemar éveillé, avivé par
les stimuli sonores, les contrastes très accusés, les effets d’accélération de mouvement dérivés d’Il faut sauver le soldat Ryan
ou La Chute du faucon noir. Librement adapté du témoignage
de Claudio Tamburrini, le film élargit son propos au « projet
de réorganisation nationale » de la dictature argentine, dont on
trouve des variantes tant en Uruguay qu’au Brésil .
Escadrons de la mort :
l’école française
Marie-Monique Robin – France, 2003, 60 mn, coul/NB, doc
Retour sur l’implication directe de la France dans l’histoire
des dictatures latino-américaines. Ou comment,
fortes de l’expérience de la “bataille d’Alger”, la France
et son armée ont exporté les méthodes de lutte
anti-subversives en Amérique latine et aux États-Unis,
dès les années 60…
Un fondement idéologique articulé avec une logique de la terreur
imprègne jusqu’au malaise une œuvre particulièrement éprouvante.
Sortie française 27 juin 2007 Distributeur Wild Bunch
Distribution Format 35 mm – 1.85 : 1 Cies de production
20th Century Fox de Argentina/INCAA/K&S Films Producteurs
Óscar Kramer et Hugo Sigman Scénario Israel Adrián Caetano,
Esteban Student et Julian Loyola, d’après le roman de Claudio
Tamburrini Image Julián Apezteguia Son Fernando Soldevila
et Joseph Adorisio II Montage Alberto Ponce Musique originale Iván Wyszogrod – Avec Rodrigo De la Serna (Claudio
Tamburrini), Pablo Echarri (Huguito), Nazareno Casero (Guillermo Fernández), Lautaro Delgado (El Gallego), …
Il suffit d’égrener les centres d’entraînement où s’est élaborée,
en Europe puis aux États-Unis, la « lutte anti-subversive » forgée
par l’armée française – lutte exportée avec succès en Amérique
latine, à coups d’instructeurs militaires chevronnés, tous anciens
d’Algérie : l’École supérieure de guerre de Paris, Fort Bragg,
la tristement célèbre École des Amériques au Panama, l’École
mécanique de la Marine à Buenos-Aires ou l’École de guerre
de Manaus… Autant d’ « Écoles de la torture » – celle-ci envisagée
comme arme de combat face à la subversion et au communisme, et
combinée avec l’élimination méthodique des victimes, les fameux
desaparecidos.
De cette « Internationale » bien particulière naîtra l’opération
Condor, regroupement des services de renseignement de six dictatures d’Amérique latine orchestrant la chasse aux opposants.
C’est donc l’acclimatation sur le continent sud-américain de méthodes inaugurées par l’armée française vingt ans plus tôt que
retrace minutieusement Marie-Monique Robin. Des méthodes
tantôt niées, tantôt assumées avec cynisme, dans cette enquête
qui s’apparenterait à un thriller si elle n’était l’expression d’une
vérité qui fait froid dans le dos.
Distributeur Idéale Audience Format DVD – 4/3 Cie de
production Idéale Audience Productrice Françoise Gazio
Auteure Marie-Monique Robin Image Pierre Leherle et Maxime
Guillosson Son Anne Bourcier et Serge Richard Montage
Françoise Boulègue et Raphaëlle Girard Musique originale
Sergio Ortega
96
FILMS
-
LES ANNÉES 70
:
LE GRAND TOURNANT
DICTATURES ET RÉVOLUTIONS EN AMÉRIQUE LATINE
État de siège
Costa-Gavras – France/Italie/RFA, 1972, 120 mn, coul
Uruguay, Montevideo. Philip Michael Santore, cadre
de l’Académie de police de Washington, est kidnappé par
des rebelles d’extrême gauche, les Tupamaros.
Lors de son interrogatoire, Santore avoue être chargé
de former des policiers sud-américains à la lutte
antiterroriste. Révélée au grand jour, sa confession
provoque une crise gouvernementale…
État de siège s’inspire de l’affaire Dan Mitrione, cet agent du FBI
enlevé et exécuté par les Tupamaros durant l’été 1970. CostaGavras et son scénariste, Franco Solinas (connu pour ses contributions à Salvatore Giuliano de F. Rosi et à La Bataille d’Alger de
G. Pontecorvo) ont mené une minutieuse enquête sur Mitrione
et l’expertise américaine en matière de « techniques avancées
de contre-insurrection » (autrement dit la torture), exportées
d’abord au Brésil, puis en Uruguay. Enquête qui donnera matière
à un livre, publié conjointement à l’exploitation du film, qui
éclaire les méthodes de travail et l’inspiration du cinéaste, aux
orientations alors nettement brechtiennes.
Pur produit de son temps, de sa genèse aux réactions hostiles
qu’il a suscitées, État de siège chevauche la ligne de faille qui
voit basculer le cône sud-américain dans la dictature. Puisqu’il
était hors de question de tourner en Uruguay, le film est donc
réalisé au Chili avec l’assentiment de Salvador Allende, dans
le contexte troublé qui va mener au coup d’État militaire. Fidèle
aux principes qui gouvernaient déjà Z et L’Aveu (une dramaturgie
qui se veut claire et accessible, bien que la linéarité en soit ici
El Premio
Paula Markovitch – Mexique/France/Pologne/Allemagne, 2011,
115 mn, coul
Sélection Pessac prix du film d’Histoire fiction 2011
Années 70, durant la dictature argentine. Une mère
et sa fillette de sept ans, Cecilia, vivent recluses
en un lieu aussi reculé qu’inhospitalier. Contrainte
de taire son identité comme celle de son père,
opposant au régime, la petite fille rêve de pouvoir
aller à l’école…
partiellement rompue), Costa-Gavras livre un nouvel exemple
de « film politique », véritable trade mark de la décennie : engagé
et discursif mais, à l’image de sa séquence d’ouverture, volontiers
spectaculaire.
Sortie française 8 février 1973 Distributeur KG Productions
Format 35 mm – 1.66 : 1 Cies de production Reggane Films/
EIA/Unidis/Dieter Geissler Filmproduktion Producteur
Jacques Perrin Scénario Costa-Gavras et Franco Solinas
Image Pierre-William Glenn Son André Hervée, Michèle Boëhm
et Jacques Maumont Montage Françoise Bonnot
Musique originale Mikis Theodorakis – Avec Yves Montand
(Philip Michael Santore), Renato Salvatori (capitaine Lopez),
O.E. Hasse (Carlos Ducas), Jacques Weber (Hugo),
Jean-Luc Bideau (Este)…
C’est progressivement que Paula Markovitch dévoile l’arrièreplan de son film, logé dans une relation mère-fille dont on perçoit
d’emblée l’étrangeté. Celle-ci tient beaucoup au lieu, une plage
désolée surmontée d’une maison branlante où se sont réfugiées
Cecilia et sa mère, fuyant une menace imprécise. La maison est
un éloquent commentaire de la précarité des fugitives : exposition
au vent et à la marée, dénuement le plus complet, composent un
environnement hostile qui trouve peu à peu écho dans l’espace de
socialisation qu’est censé être l’école. L’Argentine de la dictature
y est à peine esquissée, mais l’établissement est parcouru de présences à la fois concrètes et symboliques qui exposent le destin de
l’enfant à l’incertitude et à la menace. Le régime dévoile sa nature
totalitaire en s’invitant dans l’espace scolaire pour y déployer ses
stratégies de conquête des plus jeunes : distribution de chocolat
chaud et concours de « rédactions patriotiques ». Un piano désaccordé, orphelin de sa tonalité, offre un écrin adéquat à ces êtres
dépouillés de leurs repères ; le néant de cette plage, présente dès
les premières images, est aussi celui d’un pays.
Sortie française Inconnue Distributeur Zelig Productions
Format DCP – ??? Cies de production FOPROCINE/Kung
Works/Mille et Une Productions/Staron Film/IZ Films/NiKo Films
Producteurs Paula Markovitch, Pablo Boneu et Izrael Moreno
Scénario Paula Markovitch Image Wojciech Staron
Son Isabel Muñoz et Alexis Stavropulos Montage Lorena
Moriconi Musique originale Sergio Gurrola – Avec
Paula Galinelli Hertzog (Ceci), Sharon Herrera (Silvia),
Laura Agorreca (Lucía), Viviana Suraniti (Rosita, l’institutrice),
Uriel Iasillo (Walter)…
CONQUÊTE
DU POUVOIR
LES ANNÉES LA
70 CONQUÊTE
: LA
LE GRAND
DU
TOURNANT
POUVOIR
- FILMS-
97
DICTATURES ET RÉVOLUTIONS EN AMÉRIQUE LATINE
Rue Santa Fe, un amour
révolutionnaire [CALLE SANTA FE]
Carmen Castillo – Chili/France/Belgique, 2007, 163 mn, coul,
doc
Après une absence de vingt-neuf ans, Carmen Castillo
revient dans sa ville natale, au Chili, et retrouve la maison
de la “rue Santa Fe”, où son compagnon Miguel Enriquez – dirigeant du MIR, en lutte contre la dictature du
général Pinochet – trouva la mort le 5 octobre 1974…
Dans l’assaut de sa maison, rue Santa Fe, Carmen Castillo a perdu
son compagnon et l’enfant qu’elle portait. En cet automne 1974,
un an après le coup d’État du général Pinochet, elle doit aussi
faire le deuil de son pays : expulsée du Chili, elle trouve refuge en
France. Dans la douleur de l’exil, elle ne peut se résoudre à oublier
sa terre natale (comment le pourrait-elle ?), ni à y revenir. Comme
elle le confie elle-même, « pendant longtemps, il n’y a eu pour
moi au Chili que des fascistes. Même si je savais qu’on trouvait
encore de l’humain entre les prisonniers, dans les maisons de
torture et dans les camps, je n’avais qu’une seule perception, celle
du mal et de la peur. »
Retourner rue Santa Fe donc, retrouver la famille, les sons, les
parfums et les souvenirs, c’est se confronter à une douleur aux
ramifications complexes ; c’est aussi panser ses plaies. À l’image de
ce voisin qui a secourue Carmen ce fameux 5 octobre, et l’a faite
conduire à l’hôpital alors qu’elle se vidait de son sang sur le trottoir. Rue Santa Fe est une élégie, une chronique aux sentiments
mêlés et au lyrisme parfois amer, empreinte d’une nostalgie qui
émane de ces lieux (rues, places, boutiques, cafés…) inlassablement parcourus par une caméra avide de capturer l’essence et
les traces d’un combat déjà ancien. De restituer par réfraction la
raison d’être d’une génération, le sens de sa lutte et, peut-être, de
ce qu’il en reste aujourd’hui…
Sortie française 5 décembre 2007 Distributeur Ad Vitam
Format 35 mm - 1.85 : 1 Cies de production Les Films d’Ici/
Les Films de la Passerelle/INA/Parox/Love Streams agnès b.
Productions Producteurs Sergio Gandara, Serge Lalou,
Christine Pireaux, Christophe Barreyre, Sylvie Blum et Nadja
Romain Auteure Carmen Castillo Image Ned Burgess,
Raphaël O’Byrne, Sebastian Moreno et Arnaldo Rodriguez
Son Jean-Jacques Quinet, Damien Defays, Boris Herrera et
Andrei Carrasco Montage Eva Feigeles-Aimé
Musique originale Juan Carlos Zagal
Salvador Allende
Patricio Guzmán – France/Chili/Belgique/Allemagne/Espagne/
Mexique, 2004, 100 mn, coul/NB, doc
Retour sur le parcours de Salvador Allende Gossens
(1908-1973), investi président de la République chilienne
en novembre 1970. Ardent démocrate et « gentilhomme »
en politique, il entreprend une vaste réforme socioéconomique d’inspiration socialiste, qu’un sanglant coup
d’État – appuyé par l’administration Nixon – viendra
interrompre le 11 septembre 1973…
Après plusieurs essais consacrés à ce Chili qu’il a dû fuir après le
coup d’État de septembre 73, Patricio Guzmán s’attache ici à cerner la personnalité et l’apport spécifique de Salvador Allende au
renouveau démocratique initié dans le pays au milieu des années
1960. Patricio Guzmán l’affirme, « Salvador Allende a marqué
ma vie. Je ne serais pas ce que je suis s’il n’avait incarné l’utopie
d’un monde plus juste et plus libre qui, ces années-là, parcourait
mon pays. » Bien qu’il réutilise des images tournées en 1972-73
pour La Bataille du Chili, qui captent un pays livré au tumulte
et à la fièvre en cet instant unique de son histoire, le cinéaste livre
ici, par contraste, une œuvre ramassée et récapitulative. C’est un
Allende presque intimiste qui se dévoile, assez éloigné du tribun
charismatique au bénéfice du penseur et expérimentateur du
socialisme. Un chef d’État décrié pour ses sympathies aux régimes
de Fidel Castro ou Mao Zedong, mais profondément attaché au
processus démocratique. Au-delà des modestes effets récupérés
98
FILMS
-
LES ANNÉES 70
:
LE GRAND TOURNANT
dans les décombres de La Moneda, le palais présidentiel (la montre
d’Allende, son passeport ou, plus poignant encore, une branche
de lunettes tachée de sang), l’approche à la fois pudique et passionnée d’une figure essentielle de la décennie.
Sortie française 8 septembre 2004 Distributeur JBA Production
Format DVD ou DCP – 1.85 : 1 Cies de production JBA
Production/Les Films de la Passerelle/CV Films/Mediapro/
Université de Guadalajara/P. Guzmán Producciones
Cinematogràficas S.L. Producteurs Jacques Bidou et Marianne
Dumoulin Scénario Patricio Guzmán Image Julia Muñoz et
Patricio Guzmán Son Álvaro Silva Wuth et Yves Warnant
Montage Claudio Martinez Musique originale Jorge Arriagada
DICTATURES ET RÉVOLUTIONS EN AMÉRIQUE LATINE
Santiago 73,
post mortem [POST MORTEM]
Pablo Larraín – Chili/Mexique/Allemagne, 2010, 98 mn, coul
Prix du jury étudiant Festival de Pessac 2010
Santiago du Chili, septembre 1973. Employé à l’institut
médico-légal, où il retranscrit les rapports d’autopsie,
Mario voit son existence basculer lorsqu’arrive à
la morgue la dépouille de l’ex-président Salvador Allende…
Montrer le coup d’État de septembre 73, oui, mais autrement :
voilà le parti-pris affiché dès les premières images par Pablo Larraín. À l’inverse de son précédent film, Tony Manero, et de son
usage de la caméra portée, le cinéaste opte ici pour des cadrages
très composés, d’un statisme assumé, qui figent l’action et font
écho à la vie intérieure de Mario Cornejo comme à sa profession.
Au-delà même de l’Histoire et de ses soubresauts, le film interroge
aussi le parcours qui mène les corps de la vie à la rigor mortis.
Santiago 73 se détourne donc du flux des événements et de leur
urgence, au profit d’un catalogue de corps fatigués, livrés aux
outrages du temps, à la violence et à la mort. Le film n’élude rien
des atteintes faites au corps ni de leur présence massive, inconfortable et nue, une fois figés dans leur ultime posture. Le point de
vue de Pablo Larraín participe pourtant d’une interrogation sur
l’Histoire, perçue de manière fragmentaire : « On ne voit jamais
vraiment la totalité des choses. C’est pour ça qu’on ne montre
pas l’environnement politique, qu’on ne montre pas les militaires
exécuter les gens dans les rues, ni les bombardements. Ce n’est
pas nécessaire. On montre les cadavres, cela suffit amplement. »
Anti-héros d’une histoire qui s’écrit sans lui, mais à laquelle il ne
peut se soustraire, Mario est exemplaire du credo esthético-politique du cinéaste : « Ce que j’aime traiter dans mes films, c’est
l’idée que mes personnages croient que la situation politique ne
les affecte pas. »
Sortie française 16 février 2011 Distributeur Memento Films
Distribution Format 35 mm – 2.35 : 1 Cies de production Fabula Productions/Canana Films/Autentika Films Producteur Juan
de Dios Larraín Scénario Pablo Larraín Image Sergio Armstrong
Son Miguel Hormazàbal Montage Andrea Chignoli
Musique originale Juan Cristóbal Meza – Avec Alfredo Castro
(Mario Cornejo), Antonia Zegers (Nancy Puelmas),
Jaime Vadell (docteur Castillo), Amparo Noguera
(Sandra Carreño), Marcelo Alonso (Víctor)…
CONQUÊTE
DU POUVOIR
LES ANNÉES LA
70 CONQUÊTE
: LA
LE GRAND
DU
TOURNANT
POUVOIR
- FILMS-
99

Documents pareils