Histoire des femmes en Occident III

Transcription

Histoire des femmes en Occident III
BEGUE, Nathalie
BIERMANN, Lisa
12/11/08
classe : 812
Histoire des femmes en Occident III. XVI°-XVIII° siècle
Georges Duby et Michelle Perrot
sous la direction de Natalie Zemon Davis et Arlette Farge
Introduction
Le travail de Georges Duby et Michelle Perrot est constitué en tout de cinq volumes. Chaque volume a été
coordonné par deux personnes, et leurs sous-parties confiées à différents historiens ; en tout, 68 chercheurs ont participé à
ce travail d’équipe.
Aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles dans les sociétés occidentales, la femme est présente dans tous les domaines de
la vie quotidienne, à part la guerre, mais elle connaît une existence « dans l’ombre » ; on en parle beaucoup, mais dans le
but de la contenir. Les auteurs se soucient de « construire une autre histoire des femmes », sans se laisser emporter par des
simples pensées féministes ; ils se proposent d’étudier « la construction sociale de la différence des sexes et le domaine
mouvant des tensions entre hommes et femmes ».
Les auteurs se préoccupent, dans une première partie, de rendre compte de la participation de la femme à la vie
sociale ; dans une seconde partie, d’étudier les représentations de la femme et les discours sur elle à cette époque ; avant de
s’intresser aux différentes formes de transgression des normes et valeurs.
Les travaux et les jours
1. Le travail et la famille, Olwen Hufton
La femme était considérée relativement aux hommes : l’essayiste Richard Steele écrit au XVIII° siècle : « Une
femme est une fille, une sœur, une épouse et une mère, un simple appendice de la race humaine… » (p.25).
Les femmes avaient un devoir d’obéissance envers les hommes (père, époux, tuteur) qui étaient légalement
responsables d'elles. Même si dans les couches populaires les femmes devait travailler, elles ne pouvaient jamais vivre en
complète indépendance. Avoir des filles n’était pas une « affaire très économique » pour les familles : la dot, apport de la
femme à son ménage, était pour elles une charge très lourde, car il fallait établir les nouveaux époux ; cela explique les
variations de l’âge du mariage en raison de la situation économique et certaines différences entre pauvres et riches. Dans
80% des cas les jeunes filles de la campagne quittaient leur foyer à l’âge de 12 ans (14 ans pour les garcons) pour
travailler, se constituer une dot et se préparer au mariage. Cette période pendant laquelle les filles travaillaient à préférence
dans une autre ferme, pas trop éloignée de la maison familiale, durait en moyenne 10 à 12 ans. A part les travaux de fermes
un autre travail très « féminin » de l’époque était celui de domestique en ville. 12% de la population active d’une ville
européenne était engagée dans un tel poste. C’était le travail chez des employeurs riches qui était le plus recherché, car il
permettait éventuellement de « faire carrière », même si cela restait peu fréquent.
« Même si l’amour et l’attirance entraient en ligne de compte, le statut économique était déterminant pour le choix
du partenaire. » (p.43) C’était en général le père qui choisissait l’époux de sa fille. Contrairement aux hommes, les femmes
ne se mariaient jamais en dessous de leur condition. Un « bon » mariage dans les couches moyennes ou supérieures coûtait
très cher. Dans les couches populaires, on épousait en général celui que l’on rencontrait au travail.
A la première rencontre de quelqu’un l’on était capable de déterminer son origine sociale. D’une part à cause des
ses vêtements, mais aussi à cause de son corps, à la facon de se tenir faisant preuve de travaux physiquement très durs
effectués dans le quotidien.
Le travail des femmes dépendait du milieu dans lequel elles vivaient. A la ferme c’était un travail très dur et
physiquement pénible. Dans les entreprises familiales les femmes s’occupaient souvent de la comptabilité. Certaines
femmes réinvestissaient leur dot dans des petits commerces pour pouvoir survivre en cas de décès de leur mari. Les femmes
effectuaient souvent plusieurs tâches différentes : laver le linge, faire les courses, etc., contrairement au métier unique du
mari. « Le travail d’une femme n’était jamais fini »(p.49) : elle devait en outre s’occuper de tenir la maison. Les femmes
étaient moins bien payés que leurs pendants masculins, en partie parce que l’on savait qu’elles étaient logées par des
hommes. Elles étaient très mal acceptées dans les corporations en France et en Angleterre : il faudra attendre la fin du
XVIII° siècle et le déclin des corporations pour que les femmes accèdent plus facilement aux métiers de l’industrie. C’est
pour cela que le remariage après la mort du mari était assez fréquent : une veuve seule avait beaucoup de peine à survivre.
En ce qui concerne la vie familiale en général les parents craignaient la mortalité infantile très élevée, surtout en
milieu pauvre où en moyenne seulement 2 à 3 enfants sur 4 à 5 survivaient. Tout comme le mariage pour la femme, les
enfants représentaient une protection sociale pour les parents une fois en âge de ne plus pouvoir travailler. Les mères
jouaient un rôle essentiel de nourrice (quoi que cela ait dépendu des mœurs des époques) et une femme qui maltraitait ses
enfants était mal vue par la société. Dans l’éducation, surtout des filles, les mères détenaient un rôle très important, étaient
beaucoup plus influentes que l’école.
2. Corps, apparence et sexualité, Sarah F. Matthews Grieco
« Considérées comme des « mâles incomplets » ou des « utérus ambulants » [voir 11. Le discours de la médecine et
de la science], émanations terrestres de la beauté divine ou pièges lascifs au service de Satan, leur statut social dépendait
de l’attitude de leur civilisation envers le corps en général et la définition de leur sexe en particulier. »(65/66)
Les normes de propreté ont beaucoup évolué. Avec l’émergence de la peste et de la syphilis au XVI° et XVII°
siècle la société fuit les bains publics dans une peur de contagion et l’hygiène corporelle n’a plus recours à l’eau. Ce qui
importe est plus la propreté du linge que celle de la peau. Le parfum et le linge - les linges du corps et les sous-vêtements
ne se généralisent qu’au XVIII° siècle - deviennent un marqueur du statut social. La femme s’en empare comme un moyen
de séduction mais aussi de transgression, utilisant des pièces de linges masculines comme le caleçon.
Avec l’invention de l’imprimerie paraissent les premiers livres sur la beauté féminine. Selon les canons du XVIe
siècle, une femme belle était une femme assez bien portante (on privilégiera ensuite plus de minceur) avec une peau très
blanche, des cheveux clairs, un front haut. Cet idéal favorise une évidemment les riches, car elles ont toujours assez à
manger, ne sont pas obligées d’exposer leur peau au soleil pendant les travaux de champs, et ont suffisamment de temps et
de moyens pour se maquiller (pratique extrêmement répandue). La coquetterie féminine est considérée comme très
suspecte.
La société prescrit non seulement les critères de la beauté féminine, mais aussi le comportement sexuel qu’une
femme doit avoir. « Le Moyen Age assiste à l’élaboration d’une éthique sexuelle fondée sur le refus du plaisir et
l’obligation de procréer, mais il faut attendre le XVI° siècle pour voir naître une campagne cohérente contre toutes les
formes de nudité et de sexualité extra-conjugale. »(p.86) Quand la syphilis apparaît elle est interprétée comme une
punition terrestre du péché de luxure. On assiste, à l’heure de la Réforme et de la Contre-réforme, à une fermeture des
bordels. Il y a également un désaccord quant à la sexualité avant le mariage : même si « hors mariage, point de sexualité
légitime » (p.100), les pratiques de sexualité prénuptiales sont assez répandues. Dans les registres de baptême on trouve des
taux de conception prénuptiaux qui atteignent 20% pour les années 1550 à 1749. Le taux de naissances illigétimes restait
également supérieur à 3 % jusqu’au milieu du XVIII° siècle. Les relations prénuptiales seront interdites en 1563 par le
Concile de Trente. L’Eglise intervient même dans les détails de la vie les plus privés : elle prescrit par exemple les
positions sexuelles, installe des jours de chasteté (tous les dimanches et jours de fêtes), réprouve l’onanisme et
l’homosexualité masculine. Il est cependant intéressant de remarquer que l’adultère venant de l’homme était tout à fait
accepté alors qu’il était interdit à la femme.
3. La belle femme, Véronique Nahoum-Grappe
« J’ai vu souhaiter d’être fille, et une belle fille, depuis treize ans jusqu’à vingt-deux, et après cet âge de devenir un
homme »(La Bruyère)(p.124). La laideur est un facteur de marginalisation totale pour une femme déjà pauvre. Dans un
univers dominé par les hommes c’est la beauté d’une femme qui lui permet de participer à la vie sociale, d’être écoutée ;
mais c’est également un risque d’encourir les violences masculines.
4. Une fille à éduquer, Martine Sonnet
Après avoir assuré ses besoins vitaux, la société de l’époque peut se tourner vers d’autres domaines, telle
l’alphabétisation. Les controverses quant à l’éducation des filles sont nombreuses et les écrits à ce sujet divers (Rousseau
par exemple publie Emile en 1762) ; on y est en général favorable, mais uniquement dans le but d’en faire de bonnes mères
chrétiennes – l’éducation masculine étant tournée vers une véritable formation intellectuelle, les deux sont fermement
différenciées et séparées. L’éducation au couvent est très à la mode, mais coûte aussi très cher - cela explique pourquoi
elle reste inaccessible au commun populaire. Même si le nombre de personnes instruites augmente, notamment grâce à des
systèmes d’éducation gratuits (soutenir l’éducation d’enfants pauvres et surtout des filles devient aussi quelque chose de
« bien vu »), il persiste évidemment une éducation « machiste ». Les filles au XVII° apprennent à lire mais pas
nécessairement à écrire, l’accent est mis sur l’apprentissage religieux. Si certaines féministes ou hommes éclairés se
prononcent pour des études féminines plus étendues, voire pour l’égalité des éducations masculines et féminines, ces
revendications ne sont guère écoutées.
5. Vierges et mères entre ciel et terre, Elisja Schulte Van Kessel
« Aux yeux des chrétiens primitifs les plus engagés, le rôle de la femme dans la reproduction – son devoir sexuel et
ses douleurs durant l’accouchement – symbolisait l’esclavage, alors que la virginité pouvait représenter la
liberté. »(p.173/174) Les femmes du XVI° et XVII° siècles pouvaient mener une vie chaste (le fait d’être vierges les
approchait de Marie), consacrée à Dieu, en rentrant au couvent, ou en restant dans le monde - elles étaient alors semireligieuses. Aucune autre catégorie sociale féminine n’a connu autant d’estime qu’elles : elles pouvaient être considérées
comme des « saintes vivantes » et pendant un temps elles eurent une réelle influence intellectuelle et même politique. Les
couvents étaient également importants, certains d’entre eux étaient même très riches, grâce aux religieuses fortunées qui
restaient en lien avec leur famille. Si le choix du couvent était fréquemment contraint, et le discours religieux défavorable
aux femmes, la religion permettait cependant à beaucoup de femmes de s’épanouir.
La Réforme et la Contre-réforme mettent un terme à toute vie de mystique et se méfient de plus en plus de
l’intervention féminine dans la vie religieuse. Cela n’a cependant pas amoindri le culte de Marie prôné par les catholiques,
tout au contraire. L’on peut même dire que le culte de Marie défavorise en quelque sorte la situation des femmes car elle
représente un idéal qui ne peut être atteint.
6. La femme « au politique », Natalie Zemon Davis
En 1586 Jean Bodin écrit dans ses Six Livres de la République : « Je pense simplement que [les femmes] doivent être
tenues à l’écart de toute magistrature, poste de commandement, tribunal, assemblées publiques et conseils, de sorte
qu’elles puissent accorder toute leur attention à leurs tâches féminines domestiques. » (p.213) Les femmes n’avaient pas le
droit de faire la guerre, ni de faire partie des tribunaux ; la seule administration qui leur était ouverte était l’hôpital. En
politique, à part certaines reines exerçant le pouvoir royal, comme par exemple Elisabeth I ou encore Catherine de
Médicis, les femmes, considérées comme inaptes et irresponsables n’avaient presque aucun droit direct. Certaines femmes
avaient aussi la possibilité d’élire les députés aux états généraux, mais il semble qu’elles n’y aient pas eu recours souvent.
Les femmes pouvaient être aussi très engagées dans les luttes politiques, telles la Fronde ou la Révolution Anglaise [voir
16, évidentes émeutières]. Cette expérience politique limitée s’est un peu accrue avec la diffusion de la presse et de la
littérature féminine.
Intermède
7. Arrêt sur image, Françoise Borin
La grande majorité des artistes de l’époque étaient des hommes, d’où l’intérêt d’étudier dans leurs œuvres les
représentations de la femme, dans leur grande diversité. « Dans l’imaginaire, la femme est la cause ; elle est fille d’Eve
qui, par sa vulnérabilité à la tentation, a causé la mort du genre humain. » (p. 261) : de nombreuses représentations
associent la femme à la mort, par opposition également à son rôle inexplicable dans la naissance. On rapproche aussi la
femme de la lune, sensée influer grandement sur elle. Les rapports entre hommes et femmes, comme le partage de
l’autorité à l’intérieur d’un ménage ou le respect des apparences cloisonnées (une femme doit s’habiller comme une femme
et ne pas sortir de son rang social) sont aussi abondamment dépeints.
D’elles, il est tant parlé
La description des femmes par les hommes révèle toujours désir, fascination, et peur, désir de contenir. On ne
voit souvent d’elles que des stéréotypes, desquels tous peinent à se déprendre.
8. Les ambiguïtés du discours littéraire, Jean-Paul Desaive
Dans la littérature, la femme est piégées par des représentations faites par des hommes, qui « s’impos[ent] à elles,
malgré elles ». Sous prétexte de la louer, le poète nie son statut de personne en se concentrant sur les apparences ; les
principaux lieux communs poétiques la présentent comme prétexte d’amour, de douleur, de mort, et toujours, en arrièreplan, comme dépendant de l’homme. Dans « l’abondante littérature que suscite alors les questions de la foi, du salut, des
pratiques de la dévotion », côté catholique, on s’attache à la définir (restrictivement) par ses vertus naturelles : douceur,
amour, compassion, et à lui donner un rôle (irréductiblement différent de celui de l’homme) : éducation des enfants
(religion et savoir-vivre), occupations utiles à l’intérieur du foyer et charité envers les plus démunis ; côté protestant,
l’optique est certes plus égalitaires mais aussi plus exigeante. En tous les cas, les discours moralistes ont très présents.
Certaines œuvres laissent la parole à la femme, directement lorsqu’elle se fait auteur (on peut citer Mme de
Sévigné), indirectement lorsqu’un homme prête sa plume à un personnage féminin qu’il laisse s’exprimer ; mais dans le
premier cas l’écriture est contrainte par les normes sociales, dans l’autre, le prisme masculin s’il peut être méritoire peine à
être fidèle.
A une époque où la galanterie est de bon ton mais où on vit peu l’amour, tragédie, comédies, opéras, exaltant les
passions, font la part belle à la femme. Racine et Shakespeare créent des figures féminines marquantes. Les femmes sont
très influencées par un discours plutôt libre, portant sur l’amour, le plaisir du corps, l’autonomie. Le roman a lui aussi cette
fonction de faire écho à l’imaginaire, avec pour résultat d’être en général mal vu par les hommes : la femme y trouve de
« mauvais exemples » et une certaine assurance hors de propos. C’est en somme comme une « contre-culture
spécialement féminine » qui se met en place et est parfois légitimée, comme par l’exemple de débauche donné par la Cour.
La danse, prolongement de la littérature, est un moyen d’expression fascinant, un exutoire pour toutes les classes sociales ;
de plus, la femme s’y trouve « d’égal à égal avec l’homme et en parfaite complémentarité avec lui ».
9. Le théâtre : images d’elles, Eric A. Nicholson
Le théâtre, on l’a dit, n’hésite pas à mettre la femme au premier plan ; il est alors à contre-courant de la morale de
l’époque, montrant une femme grimée, aux actions subversives (adultère, inceste, meurtre…), et qui a la parole ; ainsi,
même influencé par le discours contemporain, le théâtre reste-t-il un lieu de transgression sociale. Cela se traduit par des
rôles féminins tels que ceux de la prostituée, de l’entremetteuse, de la courtisane. Le brouillage des sexes est manifeste
avec le travestissement, très utilisé comme moyen pratique (création d’identités comiques et d’imbroglios amoureux) et
moyen d’expression d’une critique : cupidité et violence masculine, duplicité féminine et entre eux, des rapports faussés.
Un tel théâtre est considéré comme blasphémateur, corrompu, et les actrices qui s’y commettent font presque, par le
manque de retenue qui caractérise leur exhibition, figure de putains. Les rôles normatifs (vierge, épouse, veuve) quant à
eux permettent de révéler de manière plus discrète les contradictions qui vont avec ces statuts.
Il faut noter qu’il existe également bon nombre de pièces conventionnelles où les femmes se conforment à leurs
rôles attendus, et en sont récompensées. Au XVIIe et, avec une plus grade ampleur, au XVIIIe siècle, la censure plus active
va dans ce sens.
10. Saisie dans les œuvres philosophiques (XVIIIe siècle), Michel Crampe-Casnabet
Alors que l’on parle de l’homme au sens de genre humain, où les distinctions entre races et entre sexe en cela
s’estompent un peu, et où la réflexion se veut éclairée, le discours philosophique des Lumières sur la femme (où la femme
n’est qu’objet là où l’homme est aussi sujet) est toujours basé sur des préjugés ; on le constate de manière évidente dans
l’article Femme de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert. On y explique les raisons anthropologiques de son
infériorité ; pour ce qui est du droit naturel, elle est décrite comme la possession de son mari, dans un but de procréation et
de conservation de l’espèce, par une « servitude domestique volontaire » ; et son analyse morale récapitule toutes les idées
ordinaires quant à elle.
« Les hommes parlent des femmes selon une relation dissymétrique, dépréciative, même et peut-être surtout lorsque
le discours masculin valorise les vertus féminines. Ces vertus permettent de marquer une indépassable différence. » La
femme est définie par rapport à l’homme : il est culturel et défini par son éducation, et elle est naturelle qui en est privée
par sa nature. La femme est faible physiquement mais aussi par son intelligence ; elle ne peut être à la fois belle et
intelligente, c’est un être qui n’est pas doué de raison, la preuve en étant qu’elle est incapable d’inventer, ne possédant pas
le génie. Elle sait se servir de sa faiblesse, de la pudeur qui en découle et de son « art pour plaire, subjuguer et finalement
dominer » pour répondre à ses forts besoins sexuels.
La philosophie s’attache à justifier les mœurs du temps, sans s’attacher à résoudre leurs contradictions ; Hume par
exemple donne la chasteté comme allant de pair avec le rôle de mère de la femme, son infidélité et les problèmes qui en
découleraient (absence de certitude d’être le père d’un enfant) étant contraires à l’intérêt général. Montesquieu cependant
cerne bien leur statut objectif de captives, induisant certains défauts par contournement de l’autorité.
Son éducation est sujette à controverses, on l’a dit plus haut ; lorsque Rousseau prône une éducation séparée afin
que se maintiennent les distinctions entre sexes, Helvétius demande l’inverse, expliquant que les inégalités de faits
proviennent des inégalités d’éducation. Condorcet est lui aussi favorable à l’égalité de l’instruction, ainsi qu’à l’égalité
politique. Certains rares philosophes montrent donc bien les impasses et les contradictions des raisonnements sexistes, mais
tout changement social dans ce sens demeure impensable.
11. Le discours de la médecine et de la science, Evelyne Berriot-Salvadore
Ce qui intéresse la science dans la femme est le mécanisme de reproduction : « comment mépriser et négliger de
connaître un corps créé pour concevoir et engendrer son semblable ? » Malgré cette curiosité apparente, « tout semble
devoir se jouer entre un aristotélisme qui réduit le féminin à une incomplétude et un galénisme qui l’enferme dans la
spécificité inquiétante de l’utérus ». La femme est en effet considérée comme caractérisé par sa froideur, d’après les
travaux d’Aristote, ce qui explique ses défauts ; elle est à « l’envers de l’homme » : le corps féminin apparaît comme
inachevé, avec des menstrues incompréhensibles et maléfiques, et défectueux, au point que l’on considère par exemple la
stérilité comme spécifiquement féminine. Ce corps est gouverné par un utérus tyrannique et dévorant : la femme est
« soumise à son sexe » - son affection principale est l’hystérie, provenant du manque d’hommes… Ainsi le discours
médical, qui change peu en trois siècles, est-il lui aussi conçu dans l’ensemble comme une « justification du rôle assigné à
la femme ».
La fonction sociale de la femme dépend entièrement de son degré de participation à la génération ; or non
seulement on considère que sa semence comme celle de l’homme est essentielle à la conception, mais encore on découvre
le rôle des ovaires, et elle porte l’enfant. Elle semble donc avoir un rôle supérieur à celui de l’homme. D’où un
changement d’attitude des études médicales qui s’intéresseront à la transmission de la psychologie, aux malformations
congénitales mais surtout aux moyens d’influer sur le sexe de l’enfant (pour qu’il soit masculin). Cela implique aussi,
puisque les médecins avaient une grande influence sur la scène sociale, un changement du rôle de la femme dans la
famille : puisque sa volupté est nécessaire à la conception, le médecin lui donne le droit de choisir son mari de sorte que
leur union soit féconde ; on se préoccupe plus des souffrances féminines lors de l’accouchement ; et on considère dès lors
qu’elle doit se préoccuper plus d’élever ses enfants (allaitement).
La médecine excède le scientifique, se mêlant aussi de social et de religion – ainsi l’utilisation ou non de la pratique
de la césarienne a-t-elle été l’objet d’un débat entre l’Eglise et les médecins.
Dissidences
1. La voix, la parole, l’écrit
« Penser, dire ce qu’on pense est une entrée en dissidence ; pour s’instruire, il faut ruser ; pour parler, il faut
s’associer et lutter contre les moqueries masculines […] ; pour écrire, il faut rester anonyme ; pour vivre plus heureuse, il
faut lire et s’allier avec d’autres afin de convaincre l’homme que sa grossièreté n’est guère supportable. » Bref, la marge de
manœuvre de la femme est ici encore très faible…
12. De la conversation à la création, Claude Dulong
Le salon est « l’un des rares espaces de liberté où la femme p[eut] s’exprimer ». Ce phénomène, qui apparaît en
France au début du XVIIe siècle, est tout d’abord réservé aux princesses et courtisanes s’étend aussi aux bourgeoises
parisiennes, à condition d’être cultivées et relativement riches et libres. Le salon est un lieu mixte et doublement
pédagogique : les femmes s’y forment et y forment les hommes à la politesse mondaine, à la galanterie. Les Précieuses
quant à elles critiquaient l’asservissement social et sexuel de la femme ; elles réprouvaient l’obscénité du langage – sans
pour autant aller jusqu’à être aussi caricaturales que les stéréotypes le laissent penser. On s’intéresse ici aux nouveautés,
aux découvertes scientifiques, même non conformistes. Ainsi ces salons et les femmes qui les animaient participent-ils à la
diffusion de l’idéal de l’« honnête homme », et au développement des mouvements artistiques et philosophiques, par leur
influence sur les hommes de lettres qu’elles reçoivent et donc sur leurs œuvres.
Ce qui explique « la médiocrité d’ensemble de la production littéraire féminine », c’est la grande difficulté à
écrire : il faut pour cela n’avoir pas de situation sociale à sauvegarder, et concilier l’écriture avec les obligations conjugales
et domestiques dévolues à la femme. Les femmes écrient donc des lettres mais publient peu, et alors, souvent sous un nom
d’emprunt ou de façon anonyme. Les œuvres féminines critiquaient fréquemment l’injustice de la condition féminine mais
se cantonnaient pour la plupart dans un certain conformisme.
13. Les femmes journalistes et la presse (XVIIe et XVIIIe siècle), Nina Rattner Gelbart
Le journalisme naît au milieu du XVIIe siècle et dès le début, des femmes ont à cœur de s’y faire une place.
En Angleterre, certains journaux s’adressent aux femmes en tant que lectrices, et des femmes en viennent à diriger
des journaux, comme le female spectator. Dans l’ensemble, ces journaux féminins traitent de politique lorsque le contexte
est polémique, ainsi que d’autres sujets très divers, insistant sur la culture accessible aux femmes. Après 1760, paraissent
surtout des journaux pour femmes écrits par des hommes, ce qui restreint leur contenu.
Pendant que s’amorce ce déclin en Angleterre, le jounalisme féminin connaît un essor en France. On peut citer
Marie-Jeanne L’Héritier qui au début du XVIIIe siècle « tent[e] de créer une tradition de critique féminine » ; et Le journal
des dames, qui doit à sa longue existence (1759-1778) beaucoup de changements de ton et de sujet, mais s’est illustré grâce
à son « engagement audacieux de journal « par et pour les dames » ».
Il faut insister sur le courage de ces femmes, en général méprisée pour leur engagement peu conventionnel quoi
qu’ayant des fidèles et en général un public ; elles avaient la volonté de prouver leurs aptitudes de réflexion et d’instaurer
un contact enrichissant avec leur public.
2. Chemins de traverse et rébellions
« Pour d’autres à l’origine sociale beaucoup moins élevé, la dissidence […] survient de fait dans une vie acculée
par la misère, les guerres, les deuils et les injustices ».
La prostitution est rarement choisie ; au centre d’une contradiction masculine – d’un côté désir de l’homme, de
l’autre morale stricte interdisant cette sorte de sexualité chez les femmes – sa place dans la société est révélatrice des
changements de vision des rôles sexuels. Au XVe siècle, « les villes intègrent la prostitution et la fornication mâle comme
des « produits naturels » dont la société a besoin », ce qui révèle une conception des rôles masculin-féminin privilégiant
violence et domination masculine. Au XVIe siècle, et à cause notamment de la propagation de la syphilis, les prostituées
sont stigmatisées, peu à peu assimilées à des criminelles : elles sont surveillées, enfermées, exclues.
14. Sorcière, Jean-Michel Sallman
A la fin du XIVe siècle se développe en Occident un mythe démonologique : « l’Occident se persuade qu’il existe
en son sein une secte de sorciers voués à Satan par un pacte ; ces sorciers jouissent de pouvoirs maléfiques pour nuire aux
hommes et à Dieu, afin d’instaurer la religion du diable ». « La femme a quatre fois plus de chances que l’homme d’être
accusée de sorcellerie et exécutée à ce titre ».
La sorcellerie fait l’objet d’une controverse entre historiens. D’aucuns expliquent cette violence antiféministe
comme une réaction aux événements catastrophiques incompréhensibles, et donc perçus comme surnaturels, diaboliques,
par le choix d’un bouc émissaire ; comme le résultat d’une frustration masculine (âge du mariage reculé et morale plus
stricte) ; et/ou comme une conséquence, avec la paupérisation générale, le la hausse de la mendicité, facteur anxiogène. Ces
explications ne tiennent souvent pas compte de certaines exceptions.
Il convient en effet d’apporter plusieurs nuances. La sorcellerie était un phénomène relativement marginal
quantitativement ; l’homosexualité masculine était poursuivie avec le même zèle et pour des raisons semblables ; la
présence de sorciers pour 20% en moyenne reste à expliquer ; et il faut noter des « vides sur la carte de la sorcellerie ». En
fait, à la base, il ne s’agit pas réellement de mythe satanique spécialement antiféministe mais de croyance aux maléfices ;
les ajouts progressifs montrent une dégradation de l’image de la femme à la fin du Moyen Age. L’image de la femmesorcière est ensuite remplacée par celle de la femme-hystérique, victime non plus du diable mais d’elle-même et de ses
passions.
15. Criminelle, Nicole Castan
La mission morale de la femme consiste en la sauvegarde de son honneur (chasteté, fidélité, soin de sa bonne
renommée et de celle des siens), et la transgression est punie par un contrôle social strict ainsi que juridiquement. Les
« actes destructeurs de l’autorité familiale » (grossesse illégitime, adultère, meurtre) sont punis sévèrement.
Les femmes du peuple vivent dans une société agressive : la promiscuité de l’habitat induit des frictions, et un
climat de violence, qui s’exprime d’abord par la parole et le geste. Lorsqu’elles n’ont pas de protection sociale et sont
pauvres, elles sont guettées par la délinquance et en viennent à une forme de criminalité de la misère, constituée
principalement de petits délits comme les vols (banals, mais ressentis cruellement dans un contexte de manque), mais aussi
de cas d’infanticide (crime « atroce » de la part de la femme-génitrice, puni de mort par le feu ou la potence), qui sont en
général des actes de détresse. Les peines pour infanticide se feront de moins en moins sévères avec la baisse de leur nombre
– mais parallèlement, l’augmentation des abandons.
Les femmes sont sous-représentées dans les statistiques criminelles. La justice, en général, oscille entre une plus
grande sévérité vis-à-vis des femmes criminelles (pour les contenir dans les rôles dont elles sortent) et un jugement moins
strict, les reconnaissant comme moins responsables de leurs actes que les hommes – souvent la « rigueur [est] maintenue,
mais limitée à ce que l’on croit le nécessaire exemple ».
16. Evidentes émeutières, Arlette Farge
Les femmes sont très présentes dans les mouvements populaires de l’époque moderne et révolutionnaire – dans les
émeutes motivées par la faim, pour protéger leur famille de la disette, mais pas seulement ; l’attrait de l’émeute, « monde à
l’envers » l’espace d’un moment, leur implication de fait (même si elle n’est pas prise en compte politiquement) dans la
vie de la communauté, ainsi que la conscience de leur moindre responsabilité pénale, motivent aussi leur implication. Elles
occupent le devant de l’émeute, parce qu’elles impressionnent et craignent peu ; cependant les hommes même s’ils les
suivent dans ce renversement momentané des rôles conservent envers elles un jugement négatif, réprouvant leurs excès –
elle est souvent décrite comme cruelle.

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