Vive le papy boom
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Vive le papy boom
fu tu r ib le s I N T E R N A T I O N A L 55, rue de Varenne • 75341 Paris cedex 07 • France Tél. : (33) (0)1 53 63 37 70 • Fax : (33) (0)1 42 22 65 54 [email protected] • www.futuribles.com Vive le papy boom ! COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU LUNDI 26 FÉVRIER 2001 Robert Rochefort, directeur général du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier s’intitule Vive le papy boom ! (Paris : Odile Jacob, 2000). y aura plus de vieilles personnes dans la société française. L’espérance de vie sans incapacité continue de progresser au même rythme que l’espérance de vie. Le papy boom marque donc surtout l’arrivée d’un groupe d’âges nouveau, nouveau de par son importance et de par son positionnement en termes d’âge (ni jeune ni vieux). Avoir entre 50 et 76 ans aujourd’hui place les individus dans un âge intermédiaire (la « senioritude »), de même qu’il existe d’autres âges intermédiaires selon Robert Rochefort : entre l’enfance et l’adolescence, entre l’adolescence et l’âge adulte, etc. Robert Rochefort a présenté, lors de cette table ronde, la thèse de son dernier ouvrage, Vive le papy boom !, dans lequel il conçoit le vieillissement non comme une menace majeure pour la société française mais comme une chance susceptible de déboucher sur de nouvelles solidarités. Jusqu’à présent, nous dit-il, on entendait deux points de vue opposés : celui des démographes, pessimistes, annonçant l’effondrement du système de protection sociale ; et celui des spécialistes du marketing, optimistes, voyant dans l’arrivée en masse des seniors une opportunité marchande. Robert Rochefort a donc tenté, au travers de cet ouvrage, de porter un regard plus objectif sur le vieillissement démographique. • Sur le plan des régimes de retraite, il reconnaît la réalité du défi financier : à compter de 2006, les personnes âgées de 60 ans ou plus seront plus nombreuses que les moins de 18 ans, en raison de l’effet de ciseaux engendré par l’arrivée à l’âge de la retraite des premiers enfants du baby boom, dans un contexte de baisse prolongée de la fécondité française (baby krach). De fait, cela aura des conséquences importantes sur l’équilibre des systèmes de retraite, qui déboucheront sans doute sur le recul de l’âge effectif de départ à la retraite — mais il faudra faire en sorte que l’allongement de la durée • Notre intervenant s’est d’abord interrogé sur ce que signifie avoir 60 ans aujourd’hui, 70 ans en 2010, 80 ans en 2040… Le sens des âges a selon lui beaucoup évolué : le seuil d’entrée dans la vieillesse a reculé. Il était de 60 ans dans les années 1930 ; il se situe aujourd’hui en moyenne à 76 ans (hommes et femmes confondus) et pourrait grimper à 82 ans d’ici 2040. De fait, l’arrivée en masse de personnes de plus de 60 ans ne veut pas dire qu’il 1 de cotisation n’augmente pas plus vite que le rythme d’accroissement de l’espérance de vie. On peut donc s’attendre à ce que le pouvoir d’achat des futurs retraités diminue. Cependant, ajoute Robert Rochefort, on oublie trop souvent de mettre en parallèle cette baisse possible du pouvoir d’achat avec l’une des révolutions majeures des 30 dernières années : l’entrée massive des femmes sur le marché de l’emploi en France, traduite par l’arrivée du double salaire dans les foyers et, par conséquent, par l’avènement de la double pension dans les années à venir. Dans ce contexte, il est peut-être moins dramatique qu’on ne le pense que les pensions individuelles diminuent si, dans le même temps, les ménages français sont majoritairement « bipensionnés » : le pouvoir d’achat global ne sera pas aussi affecté qu’on ne le laisse entendre. Toutefois, Robert Rochefort souligne qu’on ne peut décider d’allonger la vie professionnelle des seniors sans se poser la question du statut professionnel des gens de cette tranche d’âges. En effet, on a poussé à l’extrême la tension productive sur les gens de cette génération, c’est pourquoi à 50-60 ans, ceux-ci n’aspirent qu’à une chose : partir en retraite le plus tôt possible. Il faut donc bien réfléchir au stress et à la nature des tâches qu’ils sont en mesure d’assumer au-delà de cet âge. Or, cet aspect qualitatif est très (trop) peu abordé dans les débats en cours sur le recul de l’âge de départ en retraite. On peut espérer que, dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre (qui pourrait se pérenniser à la faveur de la reprise économique), les employeurs feront un réel effort à ce niveau, dans les 5-10 ans à venir, pour ménager l’employabilité des seniors. l’intergénération » est un concept encore flou qui se définira essentiellement par rapport à la dialectique autonomie/solidarité. Par autonomie, il entend l’idée d’accepter le recul de l’âge de départ de la vie professionnelle, celle de prévoir son propre vieillissement et d’être le seul responsable des différentes étapes de sa vie, sur le plan cognitif comme sur le plan sanitaire. Mais cette autonomie n’est pas exempte de principes de solidarité : Robert Rochefort se prononce en faveur d’un contrat social qui intègre la dépendance en tant que risque nouveau dans le cadre de la protection sociale. Il faut réfléchir sans plus attendre aux modalités de financement d’une telle évolution. S’il y a des éléments relevant de la prévention que chacun peut assumer, il y a en revanche des risques qui doivent être pris en charge de manière collective. Cela fait partie du nouveau pacte intergénérationnel à instaurer : le risque dépendance est en effet devenu une angoisse pour beaucoup de personnes âgées qui acceptent mal que l’argent qu’elles ont réussi à mettre de côté au fil de leur vie soit dilapidé en frais de prise en charge médicale plutôt que d’aller à leur descendance. • Autre question fréquemment soulevée par les économistes concernant l’arrivée des papy boomers : sommes-nous condamnés à la récession faute d’une demande suffisante pour de nouveaux produits de consommation et en raison d’une surépargne de ces groupes d’âges ? Statistiquement, nous dit Robert Rochefort, la sous-consommation des retraités est un fait incontestable — qui met d’ailleurs en échec la théorie économique selon laquelle les inquiétudes face à l’avenir diminuant, la propension des retraités à épargner devrait décroître. Mais l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) a récemment étudié la structure de cette sous-consommation par âge et par génération : il en ressort pour l’essentiel que celle-ci est essentiellement liée à un effet de génération et non à un effet d’âge. Autrement dit, les générations actuellement à la retraite et sousconsommatrices sont aussi des générations qui ont peu consommé durant leur vie ; il est probable qu’au fil des générations (qui ont connu des niveaux de consommation en hausse continue), cette sous-consommation va diminuer. C’est d’ores et déjà ce que l’on observe aux États-Unis (qui ont une vingtaine d’années d’avance en la matière). Selon l’Insee, il n’y aura donc pas de phénomènes de sous-consommation dans les classes d’âges inférieurs au seuil d’entrée dans la vieillesse. En outre, il faut également prendre en compte la sousconsommation résiduelle, à savoir la surconsommation des plus jeunes à qui les plus âgés redistribuent une part de leurs revenus. • Et cette réforme des régimes de retraite est indispensable, non seulement d’un point de vue financier, mais aussi au plan sociétal. On n’imagine pas en effet, selon Robert Rochefort, des familles de quatre générations dans lesquelles une seule génération serait dans l’emploi, les autres étant soit trop jeunes pour travailler, soit déjà retraitées. Dans un tel cas de figure, on se heurterait à d’énormes problèmes de compréhension et de perception de la valeur travail, et, à plus long terme, à un réel risque de conflits intergénérationnels. Il est donc important de réfléchir au mode d’organisation d’une société dans laquelle cohabitent de plus en plus de générations différentes. Notre schéma de référence reste celui de la succession des générations, alors que nous sommes entrés dans une phase de cohabitation intergénérationnelle. Pour Robert Rochefort, une « société de 2 dans les mains des plus âgés. Et il est d’autant plus inquiet que la société française est particulièrement frileuse s’agissant de la transmission du capital aux générations suivantes. Actuellement, un retraité de 60 ans redistribue 6 % de son revenu aux plus jeunes ; à 80 ans, ce taux monte à 12 % : la générosité intergénérationnelle est donc importante, mais elle est fortement freinée par la fiscalité et par la culture traditionnellement hostile des Français à l’égard de l’argent au sens « capital » du terme. Néanmoins, le marketing devra quand même revoir ses techniques d’innovation : les études montrent en effet que les seniors ne sont pas effrayés par l’innovation mais qu’ils sont demandeurs d’innovations moins superficielles que celles proposées actuellement ; ils veulent être sûrs qu’elles apportent vraiment une plus-value au produit. De fait, séduire un consommateur senior coûte plus cher que séduire un jeune consommateur, mais on garde le senior plus longtemps — au final, sur le long terme, les coûts sont sensiblement identiques. Il faudra donc que les entreprises fassent l’effort de se projeter dans un avenir à plus long terme (au moins cinq ans) pour investir en faveur de cette classe d’âges. Par ailleurs, Robert Rochefort indique qu’il n’y a pas de seuil précis entre jeunes et vieux consommateurs, mais un continuum : plus on avance en âge, moins on ressent l’envie de renouveler le matériel ; mais c’est très progressif et il est probable que l’échelle se dilatera (le seuil de refus total du renouvellement continuera de reculer). ** * Notre intervenant a délibérément adopté un parti pris volontariste et optimiste : cela lui paraît important par rapport à la classe d’âges concernée qui est très demandeuse d’encouragements, se sentant trop souvent en porte-à-faux par rapport à la société, selon lui. Robert Rochefort ne conteste pas l’ampleur des défis, mais il reste optimiste pour la raison suivante. La société du XXIe siècle progresse de plus en plus vite sans savoir réellement quel sens tous ces changements véhiculent. Le ralentissement démographique peut être l’occasion de développer une recherche de sens par rapport aux progrès en cours. En effet, les papy boomers, les jeunes seniors ont vécu de nombreuses transformations au fil de leur vie ; ce background peut les aider à préciser le sens de tous les changements en cours et à préparer les transformations à venir. Et, contrairement aux générations passées, le regard qu’elles porteront sur ces questions de sens sera d’autant mieux compris qu’elles se projetteront dans l’avenir en sachant qu’elles le partageront encore avec leurs descendants : elles seront tout à la fois passeurs de relais et accompagnateurs des plus jeunes. Cela suppose une organisation culturelle un peu différente, et en particulier que les seniors ne soient pas fermés aux cultures nouvelles. Mais grâce à l’effet de génération, les papy boomers qui arrivent sont plus ouverts et ne se recroquevilleront pas sur leur passé ni sur eux-mêmes, selon Robert Rochefort. C’est pourquoi il y a bien des raisons d’espérer. • Autre question soulevée par l’arrivée du papy boom à l’égard du pacte social : l’investissement gratuit (bénévolat, vie associative…). Depuis 10-15 ans, la vie associative se porte plutôt bien, selon Robert Rochefort, mais c’est au prix d’un important déséquilibre démographique dans ses structures (présence massive de jeunes retraités et absence de jeunes), qui pourrait encore s’amplifier dans les années à venir. Ainsi, actuellement, un retraité sur six est membre impliqué d’une association (i.e. se rend aux assemblées générales et y consacre quatre à cinq heures par mois), contre un jeune de moins de 25 ans sur 20. Cette minorité de « retraités associés » est un levier important pour la cohésion sociale future — on pourrait d’ailleurs imaginer un glissement progressif entre la vie active et la vie professionnelle (temps partiel activité/bénévolat avant la phase de retraite). Toutefois, les sexagénaires ont un vrai effort à faire pour mobiliser les jeunes dans le monde associatif. • Enfin, optimiste par rapport aux questions précédentes, Robert Rochefort exprime des inquiétudes concernant la concentration du capital économique 3 DÉBAT Remarque : L’essentiel de votre analyse se fonde sur l’hypothèse que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de forte croissance, concordant avec le retour de l’emploi. C’est un postulat que l’on n’est pas obligé de partager, auquel cas la régulation globale que vous ébauchez ne fonctionnerait pas forcément. travailleurs âgés encore plus longtemps que légalement prévu. D’ailleurs les études montrent que les pays où l’on trouve le meilleur taux d’emploi pour les 50-60 ans sont aussi ceux où il n’y a pas rémunération à l’ancienneté. R.R. : Sans doute, mais on perd beaucoup de temps en France pour faire bouger les mentalités en taisant à l’« homme de la rue » ces aspects-là des négociations sur les retraites. Les médias ne mettent en avant que les aspects quantitatifs (recul de l’âge, cotisations, annuités requises…) et occultent complètement les questions qualitatives. Par ailleurs, les jeunes s’inscrivent de moins en moins dans une logique de carrière : c’est sans doute une opportunité à saisir pour revoir l’organisation sociale. Enfin, il ne faut pas omettre la dimension « interpénétration culturelle » des autres pays : en Espagne et au Royaume-Uni, on arrive à faire travailler les plus de 50 ans. On peut être moins optimiste concernant la question de l’emploi des salariés âgés. Certes à long terme (10 ans ?), des solutions seront trouvées, mais pour l’instant, le plan social le plus sobre pour une entreprise consiste à faire partir les salariés âgés (même les États-Unis et le Japon tendent à y venir). Et par ailleurs, la vie en entreprise tend à devenir de plus en plus difficile pour les salariés âgés, confrontés à des générations de deux à trois échelons inférieures, avec lesquelles elles ne partagent ni les rythmes ni les aspirations professionnelles. R.R. : C’est une remarque très liée au secteur d’activité dans lequel vous évoluez (l’industrie), et en particulier à l’industrie automobile. Dans de nombreux autres secteurs, les changements sont déjà en cours. Par exemple, aux États-Unis, on réfléchit beaucoup à la manière d’intégrer les travailleurs âgés dans les métiers de service ; au Japon, on met en place des usines pour travailleurs âgés (dans lesquelles les tâches sont moins pénibles). Toujours aux États-Unis, une majorité de personnes souhaitent garder un petit boulot après leur retraite. En France, en revanche, 80 % des gens veulent quitter le monde professionnel en moyenne cinq ans avant l’âge légal. Le recours aux préretraites a été tel qu’il est devenu un élément de consensus culturel entre dirigeants, salariés et État. Mais il existe des secteurs dans lesquels les besoins sont tels que les patrons font tout pour garder les travailleurs âgés (informatique, par exemple). Et on peut penser qu’en 2005, au moment du grand virage, quand il n’arrivera plus beaucoup de jeunes sur le marché du travail, ce cas de figure se généralisera. Remarque : il faut aussi tenir compte de ce que le choc du vieillissement ne sera pas lissé jusqu’en 2040 mais que l’essentiel des problèmes arrivera de manière brutale dès 2010-2020. Comment réagissez-vous face à la perspective de monopolisation du pouvoir politique par les retraités ? R.R. : Il ne faut pas dramatiser cette situation. Tout d’abord, les jeunes retraités (qui avaient 20 ans dans les années 1960) seront certainement très actifs dans la société (leur engagement associatif en est le signe) et contribueront à maintenir les liens sociaux avec les autres générations. Par ailleurs, les retraités ne forment pas un groupe cohérent et uni mû par une conscience de groupe. Les divergences socioculturelles existant du temps de la vie professionnelle ne disparaîtront pas du jour au lendemain au moment du départ à la retraite. Et, quand bien même il existerait un activisme des retraités, l’exemple américain tend à indiquer qu’il ne sera pas forcément mis au service d’intérêts catégoriels mais qu’au contraire, il pourrait servir le bien commun de tous, non-retraités inclus. Concernant l’aspect qualitatif mis en avant pour les questions de retraite, la rigidité la plus difficile à réformer en France est que l’on sous-paie les jeunes travailleurs et que l’on sur-paie les vieux. Il est donc particulièrement difficile de conserver des Stéphanie Debruyne 4