Vive le papy boom

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Vive le papy boom
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Vive le papy boom !
COMPTE RENDU
DE LA TABLE RONDE DU LUNDI 26 FÉVRIER 2001
Robert Rochefort, directeur général du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des
conditions de vie), auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier s’intitule Vive le papy boom ! (Paris : Odile
Jacob, 2000).
y aura plus de vieilles personnes dans la société
française. L’espérance de vie sans incapacité
continue de progresser au même rythme que
l’espérance de vie. Le papy boom marque donc
surtout l’arrivée d’un groupe d’âges nouveau,
nouveau de par son importance et de par son
positionnement en termes d’âge (ni jeune ni vieux).
Avoir entre 50 et 76 ans aujourd’hui place les individus dans un âge intermédiaire (la « senioritude »),
de même qu’il existe d’autres âges intermédiaires
selon Robert Rochefort : entre l’enfance et l’adolescence, entre l’adolescence et l’âge adulte, etc.
Robert Rochefort a présenté, lors de cette table
ronde, la thèse de son dernier ouvrage, Vive le papy
boom !, dans lequel il conçoit le vieillissement non
comme une menace majeure pour la société
française mais comme une chance susceptible de
déboucher sur de nouvelles solidarités.
Jusqu’à présent, nous dit-il, on entendait deux
points de vue opposés : celui des démographes,
pessimistes, annonçant l’effondrement du système
de protection sociale ; et celui des spécialistes du
marketing, optimistes, voyant dans l’arrivée en
masse des seniors une opportunité marchande.
Robert Rochefort a donc tenté, au travers de cet
ouvrage, de porter un regard plus objectif sur le
vieillissement démographique.
• Sur le plan des régimes de retraite, il reconnaît la
réalité du défi financier : à compter de 2006, les
personnes âgées de 60 ans ou plus seront plus
nombreuses que les moins de 18 ans, en raison de
l’effet de ciseaux engendré par l’arrivée à l’âge de
la retraite des premiers enfants du baby boom, dans
un contexte de baisse prolongée de la fécondité
française (baby krach). De fait, cela aura des conséquences importantes sur l’équilibre des systèmes
de retraite, qui déboucheront sans doute sur le recul
de l’âge effectif de départ à la retraite — mais il
faudra faire en sorte que l’allongement de la durée
• Notre intervenant s’est d’abord interrogé sur ce
que signifie avoir 60 ans aujourd’hui, 70 ans en
2010, 80 ans en 2040… Le sens des âges a selon
lui beaucoup évolué : le seuil d’entrée dans la
vieillesse a reculé. Il était de 60 ans dans les années
1930 ; il se situe aujourd’hui en moyenne à 76 ans
(hommes et femmes confondus) et pourrait grimper
à 82 ans d’ici 2040. De fait, l’arrivée en masse de
personnes de plus de 60 ans ne veut pas dire qu’il
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de cotisation n’augmente pas plus vite que le
rythme d’accroissement de l’espérance de vie.
On peut donc s’attendre à ce que le pouvoir d’achat
des futurs retraités diminue. Cependant, ajoute
Robert Rochefort, on oublie trop souvent de mettre
en parallèle cette baisse possible du pouvoir d’achat
avec l’une des révolutions majeures des 30
dernières années : l’entrée massive des femmes sur
le marché de l’emploi en France, traduite par
l’arrivée du double salaire dans les foyers et, par
conséquent, par l’avènement de la double pension
dans les années à venir. Dans ce contexte, il est
peut-être moins dramatique qu’on ne le pense que
les pensions individuelles diminuent si, dans le
même temps, les ménages français sont majoritairement « bipensionnés » : le pouvoir d’achat
global ne sera pas aussi affecté qu’on ne le laisse
entendre.
Toutefois, Robert Rochefort souligne qu’on ne
peut décider d’allonger la vie professionnelle des
seniors sans se poser la question du statut professionnel des gens de cette tranche d’âges. En effet,
on a poussé à l’extrême la tension productive sur
les gens de cette génération, c’est pourquoi à 50-60
ans, ceux-ci n’aspirent qu’à une chose : partir en
retraite le plus tôt possible. Il faut donc bien
réfléchir au stress et à la nature des tâches qu’ils
sont en mesure d’assumer au-delà de cet âge. Or,
cet aspect qualitatif est très (trop) peu abordé dans
les débats en cours sur le recul de l’âge de départ
en retraite. On peut espérer que, dans le contexte
actuel de pénurie de main-d’œuvre (qui pourrait se
pérenniser à la faveur de la reprise économique), les
employeurs feront un réel effort à ce niveau, dans
les 5-10 ans à venir, pour ménager l’employabilité
des seniors.
l’intergénération » est un concept encore flou qui
se définira essentiellement par rapport à la dialectique autonomie/solidarité. Par autonomie, il entend
l’idée d’accepter le recul de l’âge de départ de la
vie professionnelle, celle de prévoir son propre
vieillissement et d’être le seul responsable des
différentes étapes de sa vie, sur le plan cognitif
comme sur le plan sanitaire. Mais cette autonomie
n’est pas exempte de principes de solidarité :
Robert Rochefort se prononce en faveur d’un
contrat social qui intègre la dépendance en tant que
risque nouveau dans le cadre de la protection
sociale. Il faut réfléchir sans plus attendre aux
modalités de financement d’une telle évolution. S’il
y a des éléments relevant de la prévention que
chacun peut assumer, il y a en revanche des risques
qui doivent être pris en charge de manière collective. Cela fait partie du nouveau pacte intergénérationnel à instaurer : le risque dépendance est en
effet devenu une angoisse pour beaucoup de
personnes âgées qui acceptent mal que l’argent
qu’elles ont réussi à mettre de côté au fil de leur vie
soit dilapidé en frais de prise en charge médicale
plutôt que d’aller à leur descendance.
• Autre question fréquemment soulevée par les
économistes concernant l’arrivée des papy
boomers : sommes-nous condamnés à la récession
faute d’une demande suffisante pour de nouveaux
produits de consommation et en raison d’une surépargne de ces groupes d’âges ? Statistiquement,
nous dit Robert Rochefort, la sous-consommation
des retraités est un fait incontestable — qui met
d’ailleurs en échec la théorie économique selon
laquelle les inquiétudes face à l’avenir diminuant, la
propension des retraités à épargner devrait
décroître. Mais l’Insee (Institut national de la
statistique et des études économiques) a récemment
étudié la structure de cette sous-consommation par
âge et par génération : il en ressort pour l’essentiel
que celle-ci est essentiellement liée à un effet de
génération et non à un effet d’âge. Autrement dit,
les générations actuellement à la retraite et sousconsommatrices sont aussi des générations qui ont
peu consommé durant leur vie ; il est probable
qu’au fil des générations (qui ont connu des
niveaux de consommation en hausse continue),
cette sous-consommation va diminuer. C’est d’ores
et déjà ce que l’on observe aux États-Unis (qui ont
une vingtaine d’années d’avance en la matière).
Selon l’Insee, il n’y aura donc pas de phénomènes
de sous-consommation dans les classes d’âges
inférieurs au seuil d’entrée dans la vieillesse. En
outre, il faut également prendre en compte la sousconsommation
résiduelle,
à
savoir
la
surconsommation des plus jeunes à qui les plus
âgés redistribuent une part de leurs revenus.
• Et cette réforme des régimes de retraite est
indispensable, non seulement d’un point de vue
financier, mais aussi au plan sociétal. On n’imagine
pas en effet, selon Robert Rochefort, des familles
de quatre générations dans lesquelles une seule
génération serait dans l’emploi, les autres étant soit
trop jeunes pour travailler, soit déjà retraitées. Dans
un tel cas de figure, on se heurterait à d’énormes
problèmes de compréhension et de perception de la
valeur travail, et, à plus long terme, à un réel risque
de conflits intergénérationnels.
Il est donc important de réfléchir au mode d’organisation d’une société dans laquelle cohabitent de
plus en plus de générations différentes. Notre
schéma de référence reste celui de la succession
des générations, alors que nous sommes entrés
dans une phase de cohabitation intergénérationnelle. Pour Robert Rochefort, une « société de
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dans les mains des plus âgés. Et il est d’autant plus
inquiet que la société française est particulièrement
frileuse s’agissant de la transmission du capital aux
générations suivantes. Actuellement, un retraité de
60 ans redistribue 6 % de son revenu aux plus
jeunes ; à 80 ans, ce taux monte à 12 % : la générosité intergénérationnelle est donc importante, mais
elle est fortement freinée par la fiscalité et par la
culture traditionnellement hostile des Français à
l’égard de l’argent au sens « capital » du terme.
Néanmoins, le marketing devra quand même revoir
ses techniques d’innovation : les études montrent
en effet que les seniors ne sont pas effrayés par
l’innovation mais qu’ils sont demandeurs d’innovations moins superficielles que celles proposées
actuellement ; ils veulent être sûrs qu’elles apportent vraiment une plus-value au produit. De fait,
séduire un consommateur senior coûte plus cher
que séduire un jeune consommateur, mais on garde
le senior plus longtemps — au final, sur le long
terme, les coûts sont sensiblement identiques. Il
faudra donc que les entreprises fassent l’effort de
se projeter dans un avenir à plus long terme (au
moins cinq ans) pour investir en faveur de cette
classe d’âges. Par ailleurs, Robert Rochefort
indique qu’il n’y a pas de seuil précis entre jeunes
et vieux consommateurs, mais un continuum : plus
on avance en âge, moins on ressent l’envie de
renouveler le matériel ; mais c’est très progressif et
il est probable que l’échelle se dilatera (le seuil de
refus total du renouvellement continuera de
reculer).
**
*
Notre intervenant a délibérément adopté un parti
pris volontariste et optimiste : cela lui paraît important par rapport à la classe d’âges concernée qui est
très demandeuse d’encouragements, se sentant trop
souvent en porte-à-faux par rapport à la société,
selon lui. Robert Rochefort ne conteste pas
l’ampleur des défis, mais il reste optimiste pour la
raison suivante.
La société du XXIe siècle progresse de plus en plus
vite sans savoir réellement quel sens tous ces
changements véhiculent. Le ralentissement démographique peut être l’occasion de développer une
recherche de sens par rapport aux progrès en cours.
En effet, les papy boomers, les jeunes seniors ont
vécu de nombreuses transformations au fil de leur
vie ; ce background peut les aider à préciser le sens
de tous les changements en cours et à préparer les
transformations à venir. Et, contrairement aux
générations passées, le regard qu’elles porteront
sur ces questions de sens sera d’autant mieux
compris qu’elles se projetteront dans l’avenir en
sachant qu’elles le partageront encore avec leurs
descendants : elles seront tout à la fois passeurs de
relais et accompagnateurs des plus jeunes. Cela
suppose une organisation culturelle un peu
différente, et en particulier que les seniors ne soient
pas fermés aux cultures nouvelles. Mais grâce à
l’effet de génération, les papy boomers qui arrivent
sont plus ouverts et ne se recroquevilleront pas sur
leur passé ni sur eux-mêmes, selon Robert
Rochefort. C’est pourquoi il y a bien des raisons
d’espérer.
• Autre question soulevée par l’arrivée du papy
boom à l’égard du pacte social : l’investissement
gratuit (bénévolat, vie associative…). Depuis 10-15
ans, la vie associative se porte plutôt bien, selon
Robert Rochefort, mais c’est au prix d’un important déséquilibre démographique dans ses structures (présence massive de jeunes retraités et
absence de jeunes), qui pourrait encore s’amplifier
dans les années à venir. Ainsi, actuellement, un
retraité sur six est membre impliqué d’une association (i.e. se rend aux assemblées générales et y
consacre quatre à cinq heures par mois), contre un
jeune de moins de 25 ans sur 20. Cette minorité de
« retraités associés » est un levier important pour la
cohésion sociale future — on pourrait d’ailleurs
imaginer un glissement progressif entre la vie active
et la vie professionnelle (temps partiel activité/bénévolat avant la phase de retraite). Toutefois, les sexagénaires ont un vrai effort à faire pour mobiliser les
jeunes dans le monde associatif.
• Enfin, optimiste par rapport aux questions précédentes, Robert Rochefort exprime des inquiétudes
concernant la concentration du capital économique
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DÉBAT
Remarque : L’essentiel de votre analyse se fonde
sur l’hypothèse que nous sommes entrés dans une
nouvelle phase de forte croissance, concordant
avec le retour de l’emploi. C’est un postulat que
l’on n’est pas obligé de partager, auquel cas la
régulation globale que vous ébauchez ne fonctionnerait pas forcément.
travailleurs âgés encore plus longtemps que
légalement prévu. D’ailleurs les études montrent
que les pays où l’on trouve le meilleur taux
d’emploi pour les 50-60 ans sont aussi ceux où il
n’y a pas rémunération à l’ancienneté.
R.R. : Sans doute, mais on perd beaucoup de
temps en France pour faire bouger les mentalités en
taisant à l’« homme de la rue » ces aspects-là des
négociations sur les retraites. Les médias ne mettent
en avant que les aspects quantitatifs (recul de l’âge,
cotisations, annuités requises…) et occultent
complètement les questions qualitatives.
Par ailleurs, les jeunes s’inscrivent de moins en
moins dans une logique de carrière : c’est sans
doute une opportunité à saisir pour revoir l’organisation sociale.
Enfin, il ne faut pas omettre la dimension « interpénétration culturelle » des autres pays : en
Espagne et au Royaume-Uni, on arrive à faire
travailler les plus de 50 ans.
On peut être moins optimiste concernant la
question de l’emploi des salariés âgés. Certes à
long terme (10 ans ?), des solutions seront
trouvées, mais pour l’instant, le plan social le plus
sobre pour une entreprise consiste à faire partir
les salariés âgés (même les États-Unis et le Japon
tendent à y venir). Et par ailleurs, la vie en
entreprise tend à devenir de plus en plus difficile
pour les salariés âgés, confrontés à des générations de deux à trois échelons inférieures, avec
lesquelles elles ne partagent ni les rythmes ni les
aspirations professionnelles.
R.R. : C’est une remarque très liée au secteur
d’activité dans lequel vous évoluez (l’industrie), et
en particulier à l’industrie automobile. Dans de
nombreux autres secteurs, les changements sont
déjà en cours. Par exemple, aux États-Unis, on
réfléchit beaucoup à la manière d’intégrer les
travailleurs âgés dans les métiers de service ; au
Japon, on met en place des usines pour travailleurs
âgés (dans lesquelles les tâches sont moins
pénibles). Toujours aux États-Unis, une majorité de
personnes souhaitent garder un petit boulot après
leur retraite.
En France, en revanche, 80 % des gens veulent
quitter le monde professionnel en moyenne cinq
ans avant l’âge légal. Le recours aux préretraites a
été tel qu’il est devenu un élément de consensus
culturel entre dirigeants, salariés et État. Mais il
existe des secteurs dans lesquels les besoins sont
tels que les patrons font tout pour garder les
travailleurs âgés (informatique, par exemple). Et on
peut penser qu’en 2005, au moment du grand
virage, quand il n’arrivera plus beaucoup de jeunes
sur le marché du travail, ce cas de figure se
généralisera.
Remarque : il faut aussi tenir compte de ce que le
choc du vieillissement ne sera pas lissé jusqu’en
2040 mais que l’essentiel des problèmes arrivera
de manière brutale dès 2010-2020.
Comment réagissez-vous face à la perspective de
monopolisation du pouvoir politique par les
retraités ?
R.R. : Il ne faut pas dramatiser cette situation. Tout
d’abord, les jeunes retraités (qui avaient 20 ans
dans les années 1960) seront certainement très
actifs dans la société (leur engagement associatif en
est le signe) et contribueront à maintenir les liens
sociaux avec les autres générations.
Par ailleurs, les retraités ne forment pas un groupe
cohérent et uni mû par une conscience de groupe.
Les divergences socioculturelles existant du temps
de la vie professionnelle ne disparaîtront pas du
jour au lendemain au moment du départ à la retraite.
Et, quand bien même il existerait un activisme des
retraités, l’exemple américain tend à indiquer qu’il
ne sera pas forcément mis au service d’intérêts
catégoriels mais qu’au contraire, il pourrait servir le
bien commun de tous, non-retraités inclus.
Concernant l’aspect qualitatif mis en avant pour
les questions de retraite, la rigidité la plus difficile
à réformer en France est que l’on sous-paie les
jeunes travailleurs et que l’on sur-paie les vieux. Il
est donc particulièrement difficile de conserver des
Stéphanie Debruyne
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