Qui sont les producteurs d`Enercoop ?
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Qui sont les producteurs d`Enercoop ?
Qui sont les producteurs d’Enercoop ? Ils sont agriculteurs, travaillent dans les énergies renouvelables ou coulent une paisible retraite. Propriétaires d’une éolienne, d’un petit barrage ou de panneaux photovoltaïques, portrait de ces pionniers qui décentralisent la production d’énergie. V ous voyez que ce n’est pas un endroit facile ! » Bien campée sur ses jambes chaussées de bottes en caoutchouc, les cheveux emmêlés et le visage battu par les bourrasques glaciales, Marthe Kiley-Worthington se retourne, embrasse la montagne du regard et ajoute : « C’est ça qui est beau. » Elevée dans une ferme du Kenya, cette scientifique spécialisée dans le comportement des mammifères a étudié les éléphants d’Afrique, remporté des prix de dressage avec ses chevaux et bâti en Angleterre et en Ecosse, avec son compagnon Chris Rendle, quatre fermes expérimentales écologiques. A l’âge de la retraite, la voici avec Chris dans ce vallon de la Drôme ouvert aux quatre vents, entre le village de Bézaudun-sur-Bîne (60 habitants) et le col de la Chaudière (1 047 mètres). Cet après-midi de février, la neige est devenue verglas dans l’ombre du chemin qui descend en lacets vers leur ferme. Mais Marthe et Chris n’en ont cure : ils sont bien trop occupés pour songer à quitter leurs 180 hectares déclarés en réserve naturelle. IL FAIT DOUX DANS LA SERRE En 2003, le couple a choisi l’endroit pour ses conditions hostiles - « le climat est difficile et il n’y a pas de bonnes terres ». De quoi pimenter le défi que se sont lancé ces deux vieux loups de l’agriculture : produire suffisamment d’aliments pour nourrir trente familles de Bézaudun-sur-Bîne, sans nuire à la biodiversité du site. Viande de bœuf et de mouton, fromages de toutes sortes, fruits et légumes, mais aussi blé, huile de noix et sucre de betterave…« C’est une ferme pour l’avenir, quand la population du monde aura été multipliée par trois » résume Marthe. « Nous voulons voir s’il est Photo : Marthe et Chris revendent leur surplus d’électricité à Enercoop.© L’ AGE DE FAIRE possible d’être complètement autonomes. » La gestion « efficace » de l’énergie, qu’elle soit d’origine humaine, animale, naturelle ou fossile, fait partie intégrante du concept d’agriculture écologique expérimenté depuis 40 ans par la chercheuse. Dressée sur une butte au pied de la falaise, une éolienne tourne frénétiquement. Les jours de grand vent sont ceux où il fait le plus doux dans la petite serre accolée au bâtiment d’habitation : les fermiers y disposent du fumier dont la décomposition dégage de la chaleur, mais utilisent également le surplus d’électricité généré par l’éolienne. Lorsque le vent tombe, en revanche, celle-ci ne couvre plus tous les besoins de la ferme. Raccordés au réseau qui fournit un tiers de leur consommation, Marthe et Chris ont un projet de petite centrale hydraulique et prévoient de mettre en place cet été un système de chauffage solaire de l’eau. Quant à leur production supplémentaire, elle est injectée sur ERDF (1), le réseau public de distribution d’électricité, et vendue à la coopérative Enercoop. L’éolienne fait moins de 12 mètres, le seuil au-delà duquel un permis de construire est nécessaire. Comme la combe n’est pas située dans une Zone de développement éolien (2), Marthe et Chris ne pouvaient bénéficier de l’obligation de rachat de leur électricité par EDF. C’est leur installateur qui leur a présenté Enercoop, dont ils font maintenant partie en tant qu’ associés. Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), Enercoop rassemble depuis 2005 des producteurs d’énergie, des consommateurs, des associations et des collectivités locales. Ses objectifs ? « Promouvoir les énergies renouvelables, décentraliser la production et offrir à chaque citoyen la possibilité de s’approprier l’accès à l’énergie. » A l’équilibre financier depuis trois ans, Enercoop compte aujourd’hui 12 000 consommateurs parmi lesquels environ 8 000 sociétaires. La coopérative vise les projets à échelle humaine et s’est fixé comme limite la puissance de 12 MW par exploitation. Ce seuil est encore loin d’être atteint. Parmi la soixantaine de producteurs qui vendent leur électricité à Enercoop, beaucoup évoluent en marge du marché et ont un faible volume de production. Le nombre de producteurs photovoltaïques - ils sont 12 actuellement - est restreint en raison du système de prix d’achat garanti pratiqué par EDF (lire p11). Les 41 propriétaires d’éoliennes, les quelques centrales hydrauliques et l’unique producteur de biogaz qui complètent les achats d’Enercoop en France ne suffisent pas à répondre à la demande de ses consommateurs. 60% de l’énergie livrée par la coopérative proviennent donc d’une centrale hydraulique du sud de la Suisse (3). Pour consolider son offre, la SCIC table sur les 1 700 petits producteurs français d’électricité hydraulique. « 2012 sera une année importante car tous ceux qui étaient en contrat avec EDF depuis 1997 vont voir leur contrat arriver à échéance et le prix d’achat garanti prendre fin » explique le directeur, Patrick Behm. « Nous allons leur proposer de nous rejoindre. » Pour les toucher, la coopérative compte sur ses correspondants locaux disséminés en France. Etabli en Drôme et propriétaire d’une centrale à Limoges, Jacques Etienne est un ambassadeur actif d’Enercoop, mais surtout des exploitants de petits barrages. Il accompagne des projets et défend ardemment ses collègues contre les « raccourcis abusifs » qui les accusent d’être responsables de la diminution du nombre de poissons. « Une grande partie des petites centrales sont alimentées à partir de barrages plusieurs fois centenaires, qui alimentaient autrefois des usines » rappelle ce représentant du syndicat France Hydro-électricité. Les plus modestes offrent une source secondaire de revenus à leurs propriétaires ; d’autres, plus importantes, représentent une activité à temps plein et font parfois travailler des employés. Outre ces producteurs « historiques » d’énergie renouvelable, il y a les pionniers du petit éolien et du photovoltaïque. Pour eux, produire de l’électricité est un engagement citoyen bien plus qu’une activité économique. Formateur en énergies renouvelables après une carrière d’artisan plombier et chauffagiste, Yvon Tilloy est de ceux-là. Dès la création d’Enercoop, il s’est lancé en installant 30 m² de panneaux photovoltaïques près de sa maison de Teyssières, à l’est de Montélimar. « C’était le tout début où ça se faisait. J’ai attendu un an avant d’être relié au réseau » explique-t-il. Pour Yvon Tilloy, « Enercoop représente l’avenir : de multiples productions, c’est ça la solution. Il faut tisser une toile et rompre avec la centralisation. » Il s’agit là d’un projet politique, estime l’ancien artisan. « Les centrales permettent de centraliser le pouvoir. Quand je contrôle l’énergie, je contrôle un pays. » "LES AVANTAGES ET LES DESAVANTAGES" Dans sa ferme de Bézaudun-sur-Bîne, Marthe Kiley-Worthington préfère parler de relocalisation. Pour elle, vendre à Enercoop n’est pas une fin en soi : ce qui compte avant tout, c’est de développer l’autonomie énergétique au niveau local et de responsabiliser les habitants. « Si on consomme quelque chose, on doit avoir à la fois les avantages et les désavantages » estime-t-elle. « Et si les gens produisent leur électricité, ils pourront décider de la manière dont elle sera produite. » UNE REAPPROPRIATION COLLECTIVE Mais produire son électricité ne veut pas forcément dire avoir son éolienne dans le jardin ou son panneau solaire sur le toit. « L’idée de se regrouper pour investir fait de plus en plus écho » remarque Guillaume Barras, administrateur d’Enercoop Rhône-Alpes dans le collège des producteurs. Installé en Ardèche, il va d’une réunion à l’autre pour aider à mettre sur pied des projets citoyens, associant ou non les collectivités locales (lire p.10-11). Un mouvement est en marche : « Les gens sentent qu’ils ont une capacité de production alors qu’avant, ils pensaient que l’énergie était un monopole de l’Etat. Ils prennent conscience du levier financier que peut représenter leur argent. » Certains investissent leurs petits capitaux « par localisme, pour participer à la vie économique de leur territoire » explique Guillaume Barras. D’autres privilégient l’intérêt économique. « Ils veulent un petit retour sur investissement et préfèrent voir leur argent dans ce type de projet plutôt qu’à la banque ». D’autres encore sont convaincus par la dimension écologique de ce type de projet. Tous sont dans une démarche de réappropriation de la production : « Plein de gens qui n’avaient pas accès à l’investissement individuel se mobilisent » souligne Guillaume Barras. « Prendre une part dans une éolienne ou un toit couvert de photovoltaïque est assez accessible, même pour les petits budgets. » Et pour Enercoop, c’est autant de futurs producteurs en puissance. Lisa Giachino • 1 - Electricité réseau distribution France • 2 - La création d’une Zone de développement éolien est décidée par le préfet à la demande d’une ou plusieurs communes. • 3 - Société anonyme Forces motrices de Sembancher