revue lamy - Le Cabinet Fusco

Transcription

revue lamy - Le Cabinet Fusco
LAMY
l’immatériel
REVUE
D É C E M B R E
2 0 1 1
I I N FORMATI QUEI MÉD I ASICOMMUN ICATIONI
Validation des « décrets Hadopi » (…)
Par Emmanuel DERIEUX
Protection de la marque en cas de double identité : regard
sur la jurisprudence créative de la CJUE
Par Benoît HUMBLOT
Originalité d’une adaptation et d’une mise en scène théâtrales
Par Brad SPITZ
Succession Giacometti : le conflit en héritage
Par Ariane FUSCO-VIGNÉ
DROIT DE
L’IMMATÉRIEL
Zoom sur la question de l’originalité des photographies « pack-shot »
Par Véronique DAHAN et Charles BOUFFIER
Le monopole du PMU sur les courses hippiques hors internet soumis
à conditions par la Cour de justice
Par Luc GRYNBAUM
Label Cnil et conformité « informatique et libertés » : publication des
premiers référentiels
Par Fabrice NAFTALSKI et Guillaume DESGENS-PASANAU
La vente en ligne de produits cosmétiques dans la distribution
sélective : il est interdit d’interdire !
Par Céline CASTETS-RENARD
Concurrence, concurrence…
Par Élisabeth TARDIEU-GUIGUES
ANALYSES
La cession légale des droits d’auteur des journalistes : considérations
pratiques sur les contributeurs et œuvres visés par le texte
Par Jean-Marie LÉGER
Ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications
électroniques et transposition du troisième « Paquet télécom »
Par Florence GUTHFREUND-ROLAND et Élisabeth MARRACHE
La propriété intellectuelle au cœur de l’exportation
Par Philippe RODHAIN et Daniel LASSERRE
ÉTUDES
Cloud computing : validité du recours à l’arbitrage ? (partie I)
Par Jean-Philippe MOINY
77
Une « butte publicitaire » est-elle considérée comme une œuvre
protégeable par le droit d’auteur en Égypte ?
Par Yasser OMAR AMIN
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
6
ÉCLAIRAGES
> Validation des « décrets Hadopi »
Modalités de constat et de sanction
des pratiques de téléchargement illégal
45
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
46 > Le monopole du PMU sur les courses
hippiques hors internet soumis à
conditions par la Cour de justice
Par Emmanuel DERIEUX
10 > Protection de la marque en cas de double
identité : regard sur la jurisprudence
créative de la CJUE
Par Benoît HUMBLOT
19 > Originalité d’une adaptation et
d’une mise en scène théâtrales
Par Brad SPITZ
23 > Succession Giacometti : le conflit
en héritage
Par Ariane FUSCO-VIGNÉ
Par Luc GRYNBAUM
50 > Label Cnil et conformité « informatique
et libertés » : publication des premiers
référentiels
Par Fabrice NAFTALSKI
et Guillaume DESGENS-PASANAU
55 > La vente en ligne de produits
cosmétiques dans la distribution
sélective : il est interdit d’interdire !
Par Céline CASTETS-RENARD
60 > Concurrence, concurrence…
28 > Zoom sur la question de l’originalité
des photographies « pack-shot »
Par Élisabeth TARDIEU-GUIGUES
Par Véronique DAHAN et Charles BOUFFIER
ACTUALITÉS DU DROIT DES CRÉATIONS
IMMATÉRIELLES
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83
Adoption par les députés du projet de loi
sur la copie privée
Affaire Sabam : l’analyse de la CJUE
À propos de la présomption de titularité du
droit de propriété incorporelle de l’auteur
Contrat de maintenance corrective et
évolutive d’un logiciel et restitution par le
prestataire de ses codes sources modifiés
Revendication de droits d’auteur et nonrespect du principe du contradictoire
Droit moral et irresponsabilité du
cessionnaire des droits d’exploitation
pour les faits du sous-cessionnaire
Une restitution de négatifs noir et blanc
de photographies déclarée irrecevable
La qualité d’artiste-interprète inappropriée
La qualification d’œuvre de collaboration
audiovisuelle appliquée à un jeu vidéo
en ligne
Utilisation par un moteur de recherche
de marques notoires de la SNCF comme
marques d’appel
À vos marques, le sport, ce n’est pas du jeu
Gare aux politiques de référencement
naturel trop audacieuses !
ÉCLAIRAGES
ACTUALITÉS DU DROIT DES ACTIVITÉS
DE L’IMMATÉRIEL
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« Affaire Bettencourt » : confirmation
par la Cour de cassation de la violation
du secret des journalistes du Monde
Diffamation et délai pour présenter l’offre
de preuve de la vérité de faits
Diffamation : nullité des poursuites
engagées prononcée à tort
Élection de « Miss France 2011 »
et caractérisation de propos dénigrants
L’autorisation de diffuser son image
n’implique pas celle de divulguer son nom
« Affaire Grégory » : délit de diffamation
retenu à tort
Relaxe du délit de provocation
à la discrimination raciale
Google Adwords : rejet de la qualification
d’hébergeur
Vie privée en entreprise
Limites à la géolocalisation des salariés
Condamnation d’EDF et prison ferme de
salariés pour piratage informatique
Inconnu à cette adresse : compétence
juridictionnelle subsidiaire dans un litige
de consommation
Dol par réticence retenu à tort
Perspectives
ANALYSES
83 > La cession légale des droits d’auteur
des journalistes : considérations
pratiques sur les contributeurs
et œuvres visés par le texte
Par Jean-Marie LÉGER
88 > Ordonnance n° 2011-1012
du 24 août 2011 relative aux
communications électroniques
et transposition
du troisième « Paquet télécom »
Par Florence GUTHFREUND-ROLAND
et Élisabeth MARRACHE
93 > La propriété intellectuelle au cœur
de l’exportation
Par Philippe RODHAIN et Daniel LASSERRE
95
ÉTUDES
95 > Cloud computing : validité du recours
à l’arbitrage ? (partie I)
Par Jean-Philippe MOINY
111 > Une « butte publicitaire » est-elle
considérée comme une œuvre
protégeable par le droit d’auteur
en Égypte ?
Par Yasser OMAR AMIN
La Revue Lamy droit de l’immatériel actualise, dans sa première partie « Actualités »,
les deux ouvrages de la Collection Lamy droit de l’immatériel : le Lamy droit de l’informatique
et des réseaux et le Lamy droit des médias et de la communication.
2
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
S C I E N T I F I U E
5
Actualités
à l’Université Paris I — Panthéon Sorbonne
Michel VIVANT — Professeur à l’Institut
d’études politiques de Paris
> Judith ANDRÈS — Avocat à la Cour
> Valérie-Laure BENABOU
>
>
>
>
>
>
>
C O N S E I L
sommaire
> Président d’honneur
Jean FOYER (†) — Ancien ministre
> Présidents
Pierre SIRINELLI — Professeur
>
>
Professeur à l’Université de Versailles
Saint-Quentin
Jean-Sylvestre BERGÉ — Professeur
à l’Université Jean Moulin-Lyon 3
Guy CANIVET — Membre du Conseil
constitutionnel
Alain CARRÉ-PIERRAT — Président de
la 4e chambre A de la Cour d’appel de Paris
Lionel COSTES — Directeur de la Collection
Lamy droit de l’immatériel
Christian DERAMBURE — Président
de la CNCPI
Joëlle FARCHY — Professeur à l’Université
Paris I - Panthéon Sorbonne
Christiane FÉRAL-SCHUHL — Avocat
au Barreau de Paris
Jean FRAYSSINET — Professeur
à l’Université Paul Cézanne — Aix-Marseille
Luc GRYNBAUM — Professeur
à l’Université René Descartes — Paris V
> Anne-Marie LEROYER —
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
Professeur à l’Université Paris I - Panthéon
Sorbonne
André LUCAS — Professeur à l’Université
de Nantes
Marie-Françoise MARAIS — Conseiller
à la Cour de cassation — Président
de la Hadopi
Alice PÉZARD — Conseiller à la Cour
de cassation
Lucien RAPP — Professeur à l’Université
de Toulouse — Avocat au Barreau de Paris
Thierry REVET — Professeur à l’Université
Paris I — Panthéon Sorbonne
Cyril ROJINSKY — Avocat à la Cour
Michel TROMMETTER — Chercheur
à l’UMR/GAEL de Grenoble
Gilles VERCKEN — Avocat au Barreau
de Paris
Pierre VÉRON — Avocat au Barreau
de Paris
Patrice VIDON — Conseil en propriété
industrielle
Bertrand WARUSFEL — Avocat
au Barreau de Paris
Professeur à l’Université de Lille II
WOLTERS KLUWER FRANCE
SAS au capital de 300 000 000 €
Siège social : 1, rue Eugène et Armand Peugeot
92856 Rueil-Malmaison cedex
RCS Nanterre 480 081 306
Directeur de la publication/Président Directeur Général de
Wolters Kluwer France : Michael Koch
Associé unique : Holding Wolters Kluwer France
Directrice de la rédaction : Bernadette Neyrolles
Directeurs scientifiques : Pierre Sirinelli
et Michel Vivant
Rédacteur en chef : Lionel Costes (01 76 73 32 89)
Rédactrice en chef adjointe : Marlène Trézéguet (01 76 73 42 92)
Réalisation PAO : Nord Compo
Imprimerie : Delcambre — BP 389 — 91959 Courtaboeuf Cedex
N° Commission paritaire : 0212 T 86065
Dépôt légal : à parution
N° ISSN : 1772-6646
Parution mensuelle
Abonnement annuel : 457,41 € TTC (TVA 2,10 %)
Prix au numéro : 45,95 € TTC (TVA 2,10 %)
Information et commande : Tél. : 0 825 08 08 00
Fax : 01 76 73 48 09 — Internet : http://www.wkf.fr
Cette revue peut être référencée de la manière
suivante : RLDI 2011/77, n° 2535 (année/N° de la
revue, n° du commentaire)
éditorial
Vers un élargissement du champ
d’action de la Hadopi
Lionel COSTES
Rédacteur en chef
Directeur de collection
Lamy Droit
de l’Immatériel
À l’occasion du 4e Forum sur la culture et l’économie, qui s’est tenu à Avignon,
le 18 novembre, Nicolas Sarkozy a présenté ses différents projets visant à défendre
la création musicale.
Outre la confirmation de sa volonté de mettre à contribution les fournisseurs d’accès
à internet, le président de la République en a profité pour faire part de son projet
d’étendre l’action de la Hadopi aux sites de streaming qui permettent de lire
des vidéos en ligne ou d’écouter de la musique sans télécharger.
Et de les mettre en cause dans des termes véhéments : ces « sites de streaming illégal qui font des ravages
(…) il faut les combattre ». « Je n’accepte pas qu’on tire
un profit commercial du vol des œuvres. » « J’aime une musique, je veux la partager : la démarche n’est pas
en soi négative. Mais sur les sites de streaming, l’idéologie du partage, c’est l’idéologie de l’argent : je vole
d’un côté et je vends de l’autre. Personne ne peut soutenir cela. »
Dans le même temps, il a déclaré « [avoir] bien conscience que la technologie évolue. Si la technologie
nous permet une nouvelle évolution, on adaptera la législation » laissant ainsi la porte ouverte
à l’élaboration d’une éventuelle loi « Hadopi 3 ».
De fait, en ce qui concerne le streaming, la Hadopi ne peut pas en l’état simplement modifier
ses procédures dans la mesure où les décrets d’application de la loi précisent qu’elle ne peut spécifiquement
surveiller que les réseaux P2P ; technologie qui est sans rapport avec la diffusion en continu.
Il s’agit là d’une faiblesse du dispositif Hadopi que nous avons précédemment évoquée en soulignant
que son manque d’efficacité pouvait conduire à ce que le téléchargement illégal se reporte inévitablement,
après sa mise en place, sur d’autres technologies.
Au-delà, Nicolas Sarkozy s’est félicité que plusieurs pays suivent l’exemple de la France et de son dispositif
Hadopi qui a permis de faire reculer le piratage de 35 %, selon lui, depuis qu’il est opérationnel.
On soulignera cependant que ce chiffre reste à vérifier…
Derrière la volonté ainsi affichée dans les termes les plus nets, il n’en demeure pas moins que la lutte
contre le streaming reste délicate. De fait si, dans le P2P, la lutte contre le piratage passe par la détection
des utilisateurs, via leur adresse IP, qui mettent illégalement à disposition des œuvres culturelles, la lutte
contre le streaming illégal revêt un aspect différent et passe par le blocage ou le filtrage des sites
qui proposent des contenus illégaux.
Or, un grand nombre est hébergé à l’étranger ; ce qui rend les choses délicates.
On notera d’ailleurs la prudence des ministres concernés face à ces annonces présidentielles.
Ainsi, pour le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, une nouvelle loi
n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour, tout en soulignant « qu’il y aura peut-être un jour une nouvelle loi,
une nouvelle révolution. Mais compte tenu de l’évolution actuelle des technologies, la Hadopi sera appelée
à élargir son champ de réflexion et à modifier peut-être quelques-unes des méthodes et des procédures ».
Il précise dans le même temps que « le Gouvernement proposera une stratégie en tenant compte de ce
qui se fait à l’étranger ». Et principalement aux États-Unis où la Chambre des représentants examine le très
controversé projet de loi Stop Online Piracy Act (Sopa) qui vise à couper les revenus d’un site peu importe
où il se trouve situé dans le monde.
De son côté, le ministre de l’Industrie et de l’Économie numérique, Éric Besson, s’est également bien gardé
de trancher. À le suivre, « on va voir, puisque c’est une nouvelle commande très claire du président
de la République », avouant cependant qu’il ne pouvait pas dire si son souhait était techniquement possible,
et sans se prononcer sur le type de mesure qui serait prise. « Il y aurait des ingénieurs pour le faire, je ne dis
pas que ça va se faire dans la facilité. » Ses propos, des plus nuancés, ne peuvent qu’être approuvés.
De plus ne peut être ignorée la position adoptée par la CJUE dans son arrêt du 24 novembre rendu
dans l’affaire Sabam, selon laquelle le filtrage imposé aux fournisseurs d’accès était illégal s’il n’était
pas encadré par une loi nationale ; celle-ci devant elle-même respecter des principes
de proportionnalité (voir infra, nos observations n° 2541). Ce faisant, il pourrait constituer un frein
à la volonté présidentielle. ◆
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
3
Index thématique des
sources commentées
CRÉATIONS
IMMATÉRIELLES
RLDI
ACTIVITÉS
DE L’IMMATÉRIEL
Éclairages
Éclairages
DROIT D’AUTEUR – DÉCRETS HADOPI – CONSEIL D’ÉTAT –
PARIS HIPPIQUES – JEUX EN LIGNE – MONOPOLE
CJUE, 30 juin 2011, aff. C-212/08
VALIDATION
CE, 19 oct. 2009, n° 339.154, n° 339.279, n° 342.405
2535
MARQUES – SERVICE DE RÉFÉRENCEMENT – ADWORDS –
2536
DROIT D’AUTEUR – ADAPTATION – MISE EN SCÈNE THÉÂTRALE –
2537
DROIT D’AUTEUR – SUCCESSION – ABUS NOTOIRE POST MORTEM
e
e
TGI Paris, 3 ch., 4 sect., 8 sept. 2011, n° 11/05933
Cnil, délib. n° 2011-249, 8 sept. 2011, JO 22 sept.
Cnil, délib. n° 2011-315, 6 oct. 2011, JO 3 nov.
2553
INTERNET – PRODUITS DERMO-COSMÉTIQUES –
ORIGINALITÉ (OUI)
CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678
2552
INFORMATIQUE ET LIBERTÉ – CNIL – LABELLISATION –
RÉFÉRENTIELS
MOTS CLÉS
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09
RLDI
2538
CONTRAT DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE – VENTE (OUI)
CJUE, 3e ch., 13 oct. 2011, aff. C-439/09
MOTS CLÉS
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09
DROIT D’AUTEUR – PHOTOGRAHIES DE « PACK-SHOT » –
2554
MARQUES – SERVICE DE RÉFÉRENCEMENT – ADWORDS –
2555
TITULARITÉ – ORIGINALITÉ (OUI) – CONTREFAÇON (OUI)
CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept. 2011, n° 11/00536
2539
La propriété littéraire
et artistique
Droits fondamentaux
JOURNALISTES – SECRET DES SOURCES – VIOLATION (OUI)
Règles générales
Cass. crim., 6 déc. 2011, n° 11-83.970
DROIT D’AUTEUR – COPIE PRIVÉE – RÉMUNÉRATION
« Petite loi », JO doc. AN n° 776
2540
2541
Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-88.091
2542
Cass. crim.., 20 oct. 2011, n° 10-25.833,
Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-24.808
RESTITUTION (OUI)
2543
Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-24.761
PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE – RESPECT (NON)
PRESSE – DIFFAMATION (NON)
2544
DROIT D’AUTEUR – DROIT MORAL – CESSION DE DROITS
2545
DROIT D’AUTEUR – PHOTOGRAPHIES – NÉGATIFS –
2546
2561
PROVOCATION À LA DISCRIMINATION RACIALE DÉLIT (NON)
Cass. crim., 8 nov. 2011, n° 09-88.007
2562
INTERNET – ADWORDS – RESPONSABILITÉ – HÉBERGEUR (NON) –
VIE PRIVÉE – DROIT À L’IMAGE – DROIT AU NOM ATTEINTES (OUI)
Statuts particuliers : droits voisins
TGI Paris, 17e ch., 14 nov. 2011
DROITS VOISINS – ARTISTE-INTERPRÈTE – CONTRAT DE CESSION
2563
INTERNET – VIE PRIVÉE – SALARIÉ – LICENCIEMENT
DE DROIT D’AUTEUR
CA Aix-en-Provence, 1re ch. B, 17 nov. 2011, n° 10/14246
Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19.381
2560
Réseaux/Internet
RESTITUTION (NON)
TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 20 oct. 2011, n° 09/08873
2559
IMAGE – DIFFUSION – VIE PRIVÉE – ATTEINTE (OUI)
DROIT D’AUTEUR – ORIGINALITÉ – CONTREFAÇON –
Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-13.410
2558
MISS FRANCE 2011 – PROPOS DÉNIGRANTS (OUI)
DROIT D’AUTEUR – LOGICIEL – MAINTENANCE – CODES SOURCES –
Cass. 1re civ., 17 nov. 2011, n° 10-20.332
2557
DIFFAMATION – CITATION – ÉLECTION DE DOMICILE
DROIT D’AUTEUR – TITULARITÉ – PRÉSOMPTION
Cass. com. 15 nov. 2011, n° 10-26.617
Presse
DÉLAI LÉGAL
FOURNISSEUR D’ACCÈS – FILTRAGE
Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10.26.323
2556
PRESSE – DIFFFAMATION – PREUVE DE LA VÉRITE DES FAITS –
DROIT D’AUTEUR – INTERNET – PEER-TO-PEER –
CJUE, 24 nov. 2011, aff. C-70/10
Les grands secteurs
de l’immatériel
2547
Cass. 1re civ., 18 oct. 2011, n° 10-26.782
2564
INTERNET – CNIL – GÉOLOCALISATION – SALARIÉ
Statuts particuliers : jeux vidéo
Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18.036
JEU VIDÉO EN LIGNE – QUALIFICATION – ŒUVRE DE COLLABORATION –
SÉCURITÉ INFORMATIQUE – PIRATAGE – STAD
T. corr. Nanterre, 15e ch., 10 nov. 2011
MUSIQUE – ORIGINALITÉ (OUI) – CONTREFAÇON (OUI)
TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 sept. 2011
2548
La propriété industrielle
2549
MARQUE – CLASSE – JEU – CONFUSION
2550
Les pratiques sectorielles : contrats
informatiques
CONTRAT D’INTÉGRATION DE PROGICIEL – DOL (NON)– OBLIGATIONS
DE RÉSULTAT – MANQUEMENTS (NON)
MARQUE – NOM DE DOMAINE – RÉFÉRENCEMENT ABUSIF
2551
CA Poitiers, 1re ch. civ., 25 nov. 2011, n° 10/00285
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel
4
2567
Les pratiques contractuelles
MARQUES NOTOIRES – ATTEINTE (OUI)
CA Douai, 1re ch., 2e sect., 5 oct. 2011
Commerce électronique
CJUE, 17 nov. 2011, aff. C-327/10
MOTEUR DE RECHERCHE – HÉBERGEUR – ÉDITEUR –
CA Versailles, 12e ch., 22 nov. 2011, n° 11/01718
2566
INTERNET – CONSOMMATION – COMPÉTENCE
Marques
CA Paris, pôle 5, ch. 2, 28 oct. 2011
2565
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
2568
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel
Informatique I Médias I Communication
SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DE
Pierre Sirinelli, Professeur à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne
Michel Vivant, Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris
C
hargé par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)
d’étudier les moyens de revaloriser la musique originale, le compositeur
Marc-Olivier Dupin a rendu son rapport, le 7 novembre.
À le suivre, la situation est paradoxale puisqu’en 2010, 179 des 203 films
français avaient un compositeur mais « la musique arrive trop tard dans le processus
d’élaboration d’un film, et le soutien public à la création musicale pour l’image ne
représente qu’une infime partie de cette manne ».
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
Il relève dans le même sens que « la musique ne fait que trop rarement partie intégrante
du projet artistique, dès les débuts de la conception ou de réalisation du film. Elle ne peut
ainsi véritablement s’inscrire dans une démarche de création pluridisciplinaire. Arrivant
en fin de course, sa fonction ne dépasse que rarement le stade ornemental ».
De plus, « plus l’écriture et l’enregistrement d’une musique originale arrivent en fin
de production du film, plus les moyens financiers qui lui sont initialement dévolus
se réduisent. Les moyens consacrés à la musique devenant de facto, l’une des variables
d’ajustement du budget du film ».
Pour le rapport, les dysfonctionnements sont à la fois de nature artistique et financière.
Aussi, pour y remédier, deux objectifs s’imposent : « Arrimer au film son projet musical, bien
davantage en amont dans la chronologie de sa conception et de sa fabrication ; rechercher une
amélioration des conditions financières de la composition et de la production de la musique. »
Aussi, il propose 25 préconisations pour soutenir la création musicale des films, des
œuvres audiovisuelles et des jeux vidéo, organisées autour des quatre axes suivants :
« le soutien à la pédagogie, les aides à la composition et la production de la musique pour
l’image, les conditions de l’optimisation des ressources musicales et l’action culturelle ».
On retiendra plus spécialement que l’une de ses propositions consiste en la création
d’un bonus pour la musique originale de film dans les aides à la production de films
de court métrage. Elle a d’ailleurs déjà été entérinée par le CNC.
L’esprit de cette aide est d’associer un réalisateur et un compositeur suffisamment
en amont du tournage pour leur permettre une véritable collaboration artistique
Est également proposée la création au CNC d’« un couloir de financement sanctuarisé
correspondant à un pourcentage minimum du budget de production total de l’œuvre
cinématographique ou de l’œuvre audiovisuelle alloué à la création de musique originale ».
Cette proposition concernerait les films et œuvres audiovisuelles faisant appel
à la création de musique originale – ce qui n’obère pas pour les réalisateurs la possibilité
d’utiliser des musiques du domaine public ou des musiques préexistantes.
Le constat qui l’inspire est celui d’une indifférence générale, voire d’une négligence
délibérée à l’égard de la production de musique originale pour l’image, pour les œuvres
cinématographiques et dans une mesure encore plus importante pour les œuvres
audiovisuelles.
Ainsi qu’il est relevé, ce constat déborde d’ailleurs du strict cadre de la musique proprement
dite, et concerne en fait la bande-son dans son ensemble, qui est indiscutablement
le « parent pauvre » de la production cinématographique et audiovisuelle.
Un certain nombre des propositions faites doivent être mises en œuvre très rapidement
et l’enveloppe consacrée par le CNC à la musique doit être revalorisée.
Lionel COSTES
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
5
Validation des « décrets Hadopi »
PPar EEmmanuel
DERIEUX
RLDI
Professeur à l’Université
Panthéon-Assas
– Paris-II
2535
Modalités de constat et de sanction
des pratiques de téléchargement illégal
Saisi de trois décrets d’application des « lois Hadopi », le Conseil d’État les valide tous. À ceux
qui chercheraient ainsi à empêcher ou à retarder leur mise en vigueur, il conviendrait d’invoquer
d’autres arguments ou d’utiliser d’autres voies.
CE, 19 oct. 2009, n° 339.154, Sté Apple Inc. et Sté I Tunes SARL, n° 339.279, Ass. French Data Network,
n° 342.405, Ass. French Data Network, RLDI 2011/76, n° 2500
P
ar trois arrêts du 19 octobre 2011, le Conseil
d’État rejette les requêtes par lesquelles
il lui était demandé d’annuler, pour des
motifs différents et pas tous très convaincants, autant de décrets d’application de
dispositions du Code de la propriété intellectuelle introduites
par les « lois Hadopi » (1) (loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 « favorisant la
diffusion et la protection de la création sur internet », dite « loi Hadopi », et loi n° 2009-1311
du 28 octobre 2009 « relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur
internet », dite « loi Hadopi 2 » (2)). Les diverses modalités de contrôle,
de constat et de sanction des pratiques de téléchargement
illégal, adoptées par les textes en cause, dont la plupart des
éléments sont intégrés dans la partie réglementaire du Code
de la propriété intellectuelle, s’en trouvent ainsi juridiquement validées, à défaut de démontrer leur totale efficacité
pratique.
Par la requête aboutissant au premier arrêt (n° 339.154,
Sté Apple Inc. et Sté I Tunes SARL), il était demandé, au Conseil d’État,
d’annuler le décret du 29 décembre 2009 (décret n° 2009-1773
du 29 décembre 2009 « relatif à l’organisation de la Haute Autorité pour la diffusion
des œuvres et la protection des droits sur internet »). La seconde procédure
(objet de l’arrêt n° 339.279, Ass. French Data Netwok) contestait la légalité
du décret du 5 mars 2010 (décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 « relatif au
traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l’article L. 331-29
du Code de la propriété intellectuelle dénommé “Système de gestion des mesures pour la
protection des œuvres sur internet” »). La troisième action (donnant lieu à
l’arrêt n° 342.405, Ass. French Data Network) visait le décret du 26 juillet
2010 (décret n° 2010-872 du 26 juillet 2010 « relatif à la procédure devant la Commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la
protection des droits sur internet ») (3).
Se prononçant sur des questions distinctes, objet des
décrets contestés pour des raisons qui, pour une part au
moins, semblent surtout tenir à la volonté de retarder sinon
d’empêcher l’entrée en vigueur de certaines dispositions de
la « loi Hadopi » dont ils assurent l’application, les trois arrêts
méritent d’être évoqués successivement.
I. – DÉCRET DU 29 DÉCEMBRE 2009
Dans la procédure qui a abouti au premier arrêt (n° 339.154),
les sociétés Apple Inc. et I Tunes SARL demandaient au Conseil
d’État d’annuler le décret n° 2009-1773 du 29 décembre
2009, relatif à l’organisation de la Hadopi, dont l’essentiel
des dispositions (compétences des différentes structures, personnel, financement
et comptabilité…) a été codifié, dans la partie réglementaire du
Code de la propriété intellectuelle, aux articles R. 331-2 et
suivants. Différents motifs fondaient la contestation, au regard
de prétendues exigences du droit interne (A), d’une part, et
du droit européen (B), d’autre part.
A. – Droit interne
Les éléments de contestation se prévalant de supposées
violations du droit interne portaient sur la régularité de la
consultation du Conseil d’État (1°/) et sur la conformité aux
dispositions du Code de la propriété intellectuelle (2°/).
1°/ Consultation du Conseil d’État
Considérant, contrairement au moyen avancé, que le
décret contesté « ne contient aucune disposition différant
(…) de celles qui figuraient dans le projet soumis », par le
Gouvernement, au Conseil d’État, en son rôle de conseiller
juridique au stade de l’élaboration de semblables textes,
le même Conseil d’État, dans sa fonction juridictionnelle,
conclut que « les sociétés requérantes ne sont pas fondées à
soutenir que la consultation (…) sur le décret attaqué aurait
été entachée d’irrégularité ».
2°/ Conformité au Code de la propriété intellectuelle
L’autre motif de contestation au regard du droit interne
était relatif à une prétendue violation du Code de la propriété
intellectuelle dans la délégation ainsi donnée au Gouvernement dont les compétences constitutionnelles n’auraient pas
ainsi été respectées.
(1) Benabou V.-L., Glose de la loi Hadopi ou opération nécessaire de débroussaillage, RLDI 2009/51, n° 1732, p. 63-73 ; Derieux E. et Granchet A., Lutte contre le téléchargement illégal. Lois DADVSI
et Hadopi, Lamy, Coll. « Axe Droit », 2010 ; Mariez J.-S., « Hadopi »… trois petits points de suspension…, RLDI 2010/65, n° 2129, p. 11-17 ; Robert J.-H., Commentaire de la loi n° 2009-1311
du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, Droit pénal, déc. 2009, p. 7-13 ; Loi « Création et internet », Dossier spécial, RLDI 2009/51,
p. 89-126. (2) Trézéguet M., Présentation de la loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection de la propriété littéraire et artistique sur internet (loi « Hadopi 2 »), RLDI 2009/55,
n° 1840, p. 77-79. (3) Gaullier Fl., Pasacal-Heuze E., Vercken G., Les derniers décrets d’application des lois « Hadopi », RLDI 2010/63, n° 2061, p. 6-9.
6
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
L’article litigieux portant sur la détermination de certaines
des compétences du « collège » de la Hadopi, le Conseil d’État
n’y voit aucune violation de l’habilitation donnée, par la loi,
au Gouvernement, pour intervenir sur une tout autre question
concernant les compétences de ladite Haute Autorité à l’égard
des « mesures techniques de protection et d’identification des
œuvres et des objets protégés ». Se référant, dans une certaine
confusion, à différents articles de la loi, l’arrêt écarte le moyen
présenté.
B. – Droit européen
Vis-à-vis du droit européen était soulevée la question de
la conformité du décret en cause au regard du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (1°/) et de diverses
directives communautaires (2°/).
1°/ Traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne
Pour conclure que « les requérants ne sont pas fondés à
demander l’annulation du décret attaqué », le Conseil d’État
considère que les dispositions en cause, « relatives aux compétences d’une autorité interne pour mettre en œuvre les
dispositions assurant l’exacte transposition d’une directive, ne
méconnaissent en rien les articles 34 et 56 » dudit Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui, s’il s’agit
des bonnes références, concernent pourtant respectivement
l’« interdiction des restrictions quantitatives à l’importation »
de produits ou marchandises et le principe de « libre prestation de services ».
2°/ Directives communautaires
Était, par ailleurs, alléguée la violation de plusieurs directives communautaires relatives à divers aspects desdites
« nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC) ou, dans ce cadre-là et de manière tout aussi
contestable, à la « société de l’information » (4).
Il était d’abord fait état de la prétendue « méconnaissance
de l’obligation de transmission à la Commission prévue par
la directive n° 98-34 » du 22 juin 1998 déterminant « une
procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services
de la société de l’information ».
En son article 8-1, ladite directive énonce pour principe
que « les États membres communiquent immédiatement à la
Commission tout projet de règles techniques, sauf s’il s’agit
d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas, une simple information quant
à la norme concernée suffit ».
Considérant que l’article 1er de la même directive qualifie de « “règle technique” : une spécification technique ou
autre exigence ou une règle relative aux services, y compris
les dispositions administratives qui s’y appliquent », et de
« “projet de règle technique” : le texte d’une spécification
technique ou d’une autre exigence ou d’une règle relative
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
aux services (…) qui est élaboré dans le but de l’établir ou
de la faire finalement établir comme une règle technique », le
Conseil d’État estime que « le décret contesté, qui se borne,
d’une part, à prescrire les dispositions relatives à l’agrément
des personnes habilitées à procéder à des constatations
permettant de caractériser une infraction aux dispositions
protégeant le droit d’auteur et les droits voisins, et, d’autre
part, à fixer les règles relatives à l’organisation » de la Hadopi « ne comporte aucune règle technique » et qu’il « ne
constitue pas par lui-même un projet de règle technique au
sens de la directive ». Il en conclut que « les dispositions de
l’article 8-1 n’ont pas été méconnues ». En conséquence, le
fait que les lois du 1er août 2006 (« loi DADVSI ») et du 12 juin
2009 (« loi Hadopi ») n’aient « elles-mêmes pas fait l’objet de la
notification prévue » est jugé « sans incidence sur la légalité
du décret attaqué ».
de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 » sur
« l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des
droits voisins dans la société de l’information » et de la « directive n° 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la
protection juridique des programmes d’ordinateur ».
Considérant que « les dispositions attaquées n’ayant ni
pour objet ni pour effet d’assurer la mise en œuvre des mesures
adoptées par le législateur (…) pour imposer l’interopérabilité des mesures techniques de protection, mais seulement
d’attribuer, au collège de la Haute Autorité, compétence pour
adopter des règles procédurales permettant l’exercice des pouvoirs reconnus par le législateur en cas de désaccord entre
les parties sur l’interopérabilité des mesures techniques », le
Conseil d’État ne peut que conclure que le moyen avancé de
la violation des deux directives en cause « est sans incidence
sur la légalité du décret attaqué ».
De tout cela, il résulte que « les requérants ne sont pas
fondés à demander l’annulation du décret attaqué ».
Il en va de même des deux autres décrets contestés.
II. – DÉCRET DU 5 MARS 2010
Dans l’arrêt n° 339.279, le Conseil d’État se prononce sur
la requête de l’association French Data Network lui demandant
« d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2010-236 du
5 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à
caractère personnel autorisé par l’article L. 311-29 » du Code
de la propriété intellectuelle.
Par cet article est admise la création, par la Hadopi,
« d’un traitement automatisé de données à caractère personnel
portant sur les personnes faisant l’objet d’une procédure »
relative à des pratiques de téléchargement illégal supposées
commises par elles. Il y est mentionné qu’un « décret en
Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale
de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application » et qu’il « précise notamment : les catégories de données
enregistrées et leur durée de conservation ; les destinataires
habilités à recevoir communication de ces données », et
>
(4) Voir, par exemple, l’intitulé de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 du Parlement européen et du Conseil « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits
voisins dans la société de l’information ».
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
7
V A L I D AT I O N D E S « D É C R E T S H A D O P I »
particulièrement les fournisseurs d’accès. Ces derniers ne
sont cependant tenus de procéder à la suspension de l’accès
à internet que sur décision de justice et non, comme il avait
été initialement envisagé (avant que, dans sa décision n° 2009-580 DC du
10 juin 2009, le Conseil constitutionnel ne déclare cette modalité de contrôle contraire à
la Constitution) (5), par la Commission de protection des droits
1°/ Relation avec le décret du 5 mars 2010
S’étant prononcé comme il l’a fait au sujet du décret
précédent qu’il a validé, le Conseil d’État ne peut évidemment que conclure que « le moyen tiré de ce que le décret
du 26 juillet 2010 serait illégal par voie de conséquence de
l’annulation du décret du 5 mars 2010 ne peut, en tout état
de cause, qu’être écarté ».
de la Hadopi elle-même.
Par les requérants, reproche était fait au Gouvernement,
2°/ Présomption d’innocence
de ne pas avoir consulté l’Autorité de régulation des comConsidérant que « les dispositions attaquées énoncent les
munications électroniques et des postes (Arcep) comme, estirègles applicables à la procédure et à l’instruction des dosmaient-ils, l’imposerait l’article L. 36-5 du Code des postes et
siers devant la Commission de protection des droits » de la
des communications électroniques (CPCE).
Hadopi et que « l’ensemble de ces prescriptions n’emportent
Par ledit article, il est posé notamment que l’Arcep « est
aucune automaticité entre les constats des manquements aux
consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement
obligations prévues par la loi et le prorelatifs au secteur des communications
noncé éventuel d’une sanction pénale
électroniques ».
S’agissant de contestations
par l’autorité judiciaire », l’arrêt conclut
Pour le Conseil d’État, cet article
de conformité au regard
que « le moyen tiré de ce que le décret
n’imposait « pas au Gouvernement de
d’éléments de droit
attaqué méconnaîtrait le principe de la
consulter » cette Autorité « avant de
interne, l’arrêt rendu
présomption d’innocence garanti par
prendre le décret attaqué relatif au traiconsidère trois éléments
l’article 9 DDHC (6) ne peut qu’être
tement de données à caractère personnel
qui ne concerne pas les communications
écarté ».
distincts : la relation
électroniques au sens des dispositions de
faite, par les requérants,
3°/ Principe du contradictoire
l’article 36-5 » du CPCE. Il en est conclu
avec le décret du 5 mars
que « le moyen tiré de ce que le décret
Sur le troisième motif de contesta2010 ; l’allégation de
attaqué serait entaché d’irrégularité (…)
tion, le Conseil d’État considère que,
l’atteinte à la présomption
ne peut qu’être rejeté ».
telles que déterminées par le décret en
d’innocence et la
Validant le décret du 5 mars 2010,
cause, les « recommandations » adresprétendue violation du
l’arrêt rendu en cette affaire a une incisées, par la Commission de protection
principe du contradictoire.
dence sur la décision relative à la contesdes droits, aux titulaires d’accès à intation du décret suivant.
ternet ayant servi à des pratiques de
téléchargement illégal, « ne revêtent aucun caractère de sanction ni d’accusation » ; qu’elles n’ont pas d’autre effet « que
III. – DÉCRET DU 26 JUILLET 2010
de rendre légalement possible l’engagement d’une procédure
judiciaire » ; qu’elles ne constituent pas, « par elles-mêmes,
Présentée par les mêmes requérants (l’association French Data
des décisions individuelles » qui devraient « être motivées
Network), la troisième contestation visait le « décret n° 2010-872
en application des articles 1er et 2 » de la loi n° 79-587 du
du 26 juillet 2010 relatif à la procédure devant la Commission
de protection des droits » de la Hadopi dont les dispositions
11 juillet 1979 « relative à la motivation des actes adminissont intégrées aux articles R. 331-35 et suivants du Code de
tratifs et à l’amélioration des relations entre l’Administration
la propriété intellectuelle.
et le public », au sens de l’article 24 de la loi n° 2000-321
À cet égard également, le Conseil d’État statue par réfédu 12 avril 2000 « relative aux droits des citoyens dans leurs
rence à diverses dispositions de droit interne (A) et de droit
relations avec l’Administration ».
En conséquence, l’arrêt conclut que « le moyen tiré de
européen (B).
ce que l’envoi de ces recommandations prévu par le décret
A. – Droit interne
attaqué méconnaîtrait le caractère contradictoire résultant de
la loi précitée ne peut qu’être écarté ».
S’agissant de contestations de conformité au regard d’éléments de droit interne, l’arrêt rendu considère trois éléments
B. – Droit européen
distincts : la relation faite, par les requérants, avec le décret du
S’agissant des exigences relatives à la conformité, au
5 mars 2010 (1°/) ; l’allégation de l’atteinte à la présomption
droit européen, du décret contesté, c’est ici de la Convend’innocence (2°/) ; et la prétendue violation du principe du
tion (européenne) de sauvegarde des droits de l’Homme et
contradictoire (3°/).
(5) Boubekeur I., De la « loi Hadopi » à la « loi Hadopi 2 ». Analyse de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC et de ses conséquences, RLDI 2009/51, n° 1700, p. 107-113 ;
Bruguière J.-M., Loi « sur la protection de la création sur internet » : mais à quoi joue le Conseil constitutionnel, D 2009, n° 26, p. 1770 ; Gautron A., La « réponse graduée » (à nouveau) épinglée
par le Conseil constitutionnel, RLDI 2009/51, n° 1694, p. 63-73 ; Rousseau D., Hado-pirate la Constitution : le Conseil sanctionne, RLDI précitée, n° 1699, p. 103-105. (6) « Tout homme étant
présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » par les juges.
8
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Informatique I Médias I Communication
des libertés fondamentales de novembre 1950 qu’il s’agit,
et particulièrement de son article 6 qui énonce, tout à la
fois, les principes du droit à un procès équitable et celui,
précédemment évoqué en droit interne, de la présomption
d’innocence (7).
Le Conseil d’État considère que « les recommandations
qu’adresse la Commission de protection des droits de la Hadopi n’ont (…) aucun caractère de sanction ni d’accusation »
et que, « par suite, le moyen tiré de ce qu’elles ne pourraient,
à raison de leur nature, être prises » que dans le respect des
« stipulations de l’article 6 de la Convention ne peut qu’être
écarté ». Il en conclut que l’association French Data Network
« n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué ».
CONCLUSION
Saisi de trois décrets d’application des « lois Hadopi », le
Conseil d’État, dans sa fonction et formation contentieuse,
en valide les dispositions. Pouvait-on s’attendre qu’il statue
autrement puisque, dans son rôle de conseiller juridique
du Gouvernement, il en avait déjà préalablement validé
les termes ? À ceux qui, par de telles actions, chercheraient
notamment à empêcher ou à retarder l’entrée en vigueur
desdites lois dont ils contestent le bien-fondé et l’utilité, il
conviendrait de trouver d’autres motifs et arguments et probablement d’utiliser d’autres voies que celles du droit ou, à
tout le moins, des recours juridictionnels. ◆
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
(7) « Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial,
établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) 2. Toute
personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (…). »
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9
PPar BBenoîtî
HUMBLOT
Enseignant-chercheur
à l’EPF (École
polytechnique
féminine)
RLDI
Membre de l’Ercim
(UMR 5815 – Université
Montpellier-I)
2536
Protection de la marque en cas
de double identité : regard sur
la jurisprudence créative de la CJUE
La jurisprudence récente de la CJUE sur les fonctions de la marque rend mieux compte de la
variété des utilités d’un tel signe. Cela ouvre favorablement la voie à une protection qui ne soit
pas uniquement centrée sur la régulation/libération du jeu concurrentiel.
À l’occasion de l’arrêt Interflora, la CJUE semble toutefois rendre des comptes au dogme de la
« concurrence libre et non faussée » au service du « bien-être du consommateur »… Laissez faire,
laissez passer !
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora c/ Marks & Spencer, RLDI 2011/76, n° 2509
1. L’Avocat général dans ses conclusions relatives à l’affaire C-323/09 (Interflora) se fait l’écho, quelque peu inquiet, de
la réception de la jurisprudence de la CJUE : « La Commission
a critiqué certains aspects de la jurisprudence de la Cour en ce
qui concerne les fonctions de la marque autres que la fonction
d’indication de l’origine, les considérant erronés et problématiques du point de vue de la sécurité juridique. (…) Il ne saurait
être nié que la Cour se trouve placée dans une situation délicate
en ce qui concerne l’acceptation de sa jurisprudence relative à
l’article 5 de la directive n° 89/104, compte tenu aussi des critiques formulées par de nombreux auteurs de la doctrine ainsi
que de juges nationaux faisant autorité en droit des marques »
(conclusions de l’Avocat général, points 7 et 8). C’est dans ce contexte, que la
Cour, ayant à se prononcer de nouveau sur la question de la
protection de la marque en cas de double identité, poursuit la
construction de sa jurisprudence sur l’atteinte aux fonctions de
la marque (I). L’occasion lui est donnée par ailleurs de fournir
un éclairage sur la protection spécifique des marques renommées (II). D’une manière générale, il convient de souligner,
dans cette affaire, l’évident volontarisme de la Cour qui entend
privilégier la mise en concurrence des produits et services sur
l’affirmation du droit de marque ; au risque d’aller trop loin ?
I. – DOUBLE IDENTITÉ : UNE PROTECTION SOUS
CONDITION D’ATTEINTE À L’UNE DES FONCTIONS
DE LA MARQUE
2. L’arrêt Interflora confirme – et affirme pour qui en
doutait – une évolution essentielle dans l’accès à la protection
en cas de double identité : désormais, l’atteinte à la fonction
essentielle (l’indication d’origine) ne s’infère plus du simple constat
de l’identité des signes et des produits ou services désignés.
L’accès à la protection nécessite donc la démonstration – dûment établie – d’une atteinte à la fonction essentielle ou à l’une
quelconque des autres fonctions de la marque (A).
La Cour a dit pour droit dans l’arrêt L’Oréal que la protection privative est désormais acquise en cas d’atteinte à l’une
quelconque des fonctions de la marque. Ce faisant, la Cour a
affirmé la protection de la marque dans toutes ses dimensions
10
et utilités et – en cas de double identité – n’inféode plus la
protection à la seule question d’une atteinte à la fonction
d’indication d’origine. À lire dans le détail certains points de
l’arrêt Interflora, on pourra se demander si – pour la CJUE – le
tourment ne fait pas suite à l’audace constructive (B).
L’atteinte à la fonction essentielle de la marque – l’indication d’origine des produits ou des services – ne se déduisant
plus du simple constat de la double identité, il convient de
démontrer le risque de confusion par le consommateur. Or,
c’est une lecture attentive qu’impose la Cour, devant prendre en
compte le contexte d’emploi de la marque qui peut contenir des
éléments d’information de nature à écarter toute confusion (C).
La fonction d’investissement de la marque doit permettre
à son titulaire de faire sanctionner les emplois seconds de son
signe qui contrarient le développement de sa réputation, portent atteinte à son maintien ou en provoquent la dégradation.
La Cour entend cependant laisser hors de la protection les atteintes non substantielles à cette fonction d’investissement (D).
L’emploi non autorisé de la marque en tant qu’instrument
de promotion des ventes constitue une atteinte à la fonction de
publicité. Toutefois, dans le cas particulier de l’emploi d’une
marque comme mot clé pour déclencher l’affichage d’une
publicité en ligne, la Cour relève, certes, des répercussions
sur l’emploi publicitaire, mais ne les qualifie pas d’atteinte à
la fonction de publicité (E).
A. – Revirement de jurisprudence : l’atteinte
à la fonction essentielle ne s’infère
plus de la double identité
3. À l’occasion de l’arrêt Interflora, la CJUE étend peu à
peu les conséquences de sa jurisprudence initiée avec l’arrêt
L’Oréal et relative aux fonctions de la marque. Le simple
constat d’une double identité suffisait anciennement à déclencher la protection, l’atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine s’inférant automatiquement de cette double
identité. Au fond, la protection était possible alors même que
la fonction essentielle n’était peut-être pas atteinte… et peu
importait même le contenu de cette fonction… dès lors que
son atteinte était automatiquement supposée. La situation
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
était simple et claire : en cas de double identité (et d’usage de la
marque dans la vie des affaires), la protection était due, sans exigence
dans ces conditions atteinte à la fonction d’identification
d’origine de la marque Interflora » (point 49). Cela amène à de
multiples suppositions sur ce que cette situation « risque de
faire croire » (point 49)…, sur ce que l’internaute « est censé
savoir, sur la base des caractéristiques généralement connues
du marché » (point 51)…, le tout afin « d’évaluer » si l’emploi
de termes tels que « M&S flowers » « suffit ou non » pour
que l’internaute « puisse comprendre » que le service de
livraison de fleurs ne provient pas d’Interflora (point 53). On
mesure la complexification de l’accès à la protection qui en
résulte et l’incertitude qui pèse désormais sur le principe
même de la protection dans les hypothèses de double identité. Assurément, le renoncement à une protection sinon
a priori (« absolue » nous dit – têtu – le texte légal) du moins fondée sur
un constat simple et immédiat (la double identité) engage le droit
des marques dans une casuistique sans fin, y compris en
cas de double identité.
probatoire supplémentaire. Ainsi : « Il convient de constater
que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n’exige
pas la preuve d’un tel risque (de confusion) pour accorder une
protection absolue en cas d’identité du signe et de la marque
ainsi que des produits ou des services » (LTJ Diffusion, aff. C-291/00,
20 mars 2003, point 49).
4. Sans doute le point 88 de l’arrêt Google n’était-il pas suffisamment explicite – ou du moins un tel revirement méritait-il
confirmation – puisque l’Avocat général lui-même en reste
dans l’affaire Interflora a une lecture jusque-là orthodoxe :
« la protection conférée par l’article 5, paragraphe 1, sous a)
de la directive n° 89/104 dans l’hypothèse de signes et de produits ou services identiques, est “absolue” dans le sens où le
titulaire de la marque n’est pas tenu de démontrer l’existence
d’un risque de confusion » (conclusions de l’Avocat général, point 35). Et
ce, donc, alors même que la Cour avait posé inversement
B. – La protection fondée sur l’atteinte
dans l’arrêt Google qu’il « incombe à la juridiction nationale
à l’une quelconque des fonctions de la marque :
d’apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est
la CJUE saisie par le doute ?
saisie sont caractérisés par une atteinte,
ou un risque d’atteinte, à la fonction
7. L’arrêt Interflora est l’occasion
d’indication d’origine » (Google France et Google,
pour
la Cour de rappeler que, désorChangement radical
mais, le titulaire de la marque peut
aff. C-236/08 à C-238/08, 23 mars 2010, point 88).
de perspective désormais
« invoquer son droit exclusif en cas
5. Changement radical de perspecpuisque – nous l’enseigne
d’atteinte ou de risque d’atteinte à
tive désormais puisque – nous l’enseigne
de nouveau la CJUE –
l’une des fonctions de la marque, qu’il
de nouveau la CJUE – la double identité
la double identité ne
s’agisse de la fonction essentielle d’inne dispense plus de caractériser le risque
dispense plus
dication d’origine du produit ou du
de confusion ; l’atteinte à la fonction
de caractériser le risque
service couvert par la marque ou de
essentielle d’indication de l’origine doit
de confusion ; l’atteinte
l’une des autres fonctions de celle-ci,
donc être pleinement démontrée. C’est
à la fonction essentielle
telles que celle consistant à garantir la
là une incontestable complication proqualité de ce produit ou de ce service,
batoire de laquelle résultera fatalement
d’indication de l’origine
ou celles de communication, d’investisun recul de la protection. Ainsi, bien
doit donc être pleinement
sement ou de publicité (arrêt L’Oréal
que les signes soient identiques et que
démontrée.
et a., points 63 et 65, ainsi que Google
les produits désignés le soient aussi, « il
France et Google, points 77 et 79) »
incombe à la juridiction de renvoi d’ap(point 38). Ainsi, la fonction essentielle est-elle complétée par
précier si les faits du litige au principal sont caractérisés par
une atteinte, ou un risque d’atteinte, à la fonction d’indication
d’autres fonctions qui permettent – elles aussi – de fonder la
d’origine de la marque (…) » (point 46). Question de fait pour
protection. Force est donc d’observer – avec satisfaction – que
la fonction essentielle, autrement dénommée « fonction d’inlaquelle il conviendra au cas par cas aux juridictions du fond
dication d’origine » devient une fonction comme les autres.
de déterminer si l’emploi second permet au consommateur
La protection est désormais possible sur le fondement de
normalement informé et raisonnablement attentif de savoir
l’atteinte à l’une quelconque des fonctions de la marque, et
si les produits ou les services proviennent du titulaire de la
alors même que la fonction d’indication d’origine ne serait pas
marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci
atteinte. C’est dire alors que, d’une certaine manière, toutes
ou, au contraire, d’un tiers.
les fonctions sont essentielles…
6. Nous avions souligné – à l’occasion de l’affaire Fer8. L’arrêt L’Oréal est d’une parfaite clarté à ce sujet, la
rero – que le consommateur n’accorde le plus souvent que
Cour ayant dit pour droit – sans ambiguïté aucune – que
peu d’importance à l’origine marchande des produits et
« l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n° 89/104
qu’il est donc difficile d’arbitrer la protection sur ce motif.
doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque
Cette difficulté se retrouve dans l’affaire Interflora lorsque
enregistrée est habilité à faire interdire l’usage par un tiers
est mise en débat la question de savoir si « l’internaute
(…), d’un signe identique à cette marque pour des produits
normalement informé et raisonnablement attentif ayant inou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque
troduit des termes de recherche contenant le mot “interflora”
a été enregistrée, même lorsque cet usage n’est pas susceptible
peut comprendre que le service de livraison de fleurs proposé
de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est
ne provient pas d’Interflora » (point 53). Si, au contraire, le
d’indiquer la provenance des produits ou services, à condition
consommateur internaute est amené à penser que « M&S
que ledit usage porte atteinte ou soit susceptible de porter
fait partie du réseau commercial d’Interflora (…) il y aurait
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atteinte à l’une des autres fonctions de la marque » (L’Oréal et a.,
aff. C-487/07, 18 juin 2009).
9. Subrepticement pourtant (sous l’effet des critiques dont l’Avocat général se fait l’écho ?) cette possibilité d’une protection de la
marque alors même que la fonction d’indication d’origine (la
fonction essentielle) n’est pas atteinte, semble moins affirmée dans
l’arrêt Interflora. Il est vrai que la position – dogmatique – de
la Commission est tranchée : « La Commission européenne,
quant à elle, estime que le paragraphe 1, sous a) de l’article 5
de la directive n° 89/104 et 9 du règlement n° 40/94 protège
le titulaire de la marque uniquement contre des atteintes à
la fonction d’indication d’origine de la marque » (point 35). On
peut ainsi lire dans l’arrêt Interflora qu’une « (…) marque
constitue souvent, outre une indication de la provenance des
produits ou des services [souligné par nous], un instrument
de stratégie commerciale employé, en particulier, à des fins
publicitaires ou pour acquérir une réputation afin de fidéliser
le consommateur » (point 39) ; mais encore, que « certes une
marque est toujours censée remplir sa fonction d’indication
d’origine [souligné par nous], tandis qu’elle n’assure ses autres
fonctions que dans la mesure où son titulaire l’exploite en ce
sens, notamment à des fins de publicité ou d’investissement » ;
la Cour soulignant là une « différence entre la fonction essentielle de la marque et les autres fonctions » (point 40). Peut-être
la Cour – en forme de recul – souhaite-t-elle installer l’idée
que l’atteinte à la fonction essentielle est une condition toujours nécessaire de l’accès à la protection… laquelle protection pourra secondairement être en quelque sorte confirmée
lorsque des atteintes aux autres fonctions seront constatées.
Cela est suggéré, instillé sans doute, mais n’est pas affirmé,
tant ce qui a été dit pour droit dans l’arrêt L’Oréal est parfaitement explicite. Dans ce contexte, la Cour n’a certainement
pas la liberté d’un revirement à court terme ; lequel aurait
pour conséquence de rendre inutile, car superfétatoire, la
recherche d’une atteinte aux autres fonctions de la marque.
Ce serait renoncer à une jurisprudence qui mérite pleinement
l’approbation en cela qu’elle est fondée sur une meilleure
compréhension de la marque et de ses utilités.
C. – L’atteinte à la fonction d’indication d’origine
s’infère strictement du risque de confusion
10. La CJUE a énuméré une liste des fonctions de la
marque méritant protection. Ces fonctions – outre la fonction
dite « essentielle » d’indication d’origine – sont les fonctions
de publicité, d’investissement, de garantie de la qualité et de
communication. Dans l’affaire Interflora, la Cour est invitée
à se prononcer sur la question de savoir si l’affichage d’une
publicité pour des produits identiques à ceux désignés par
la marque protégée – déclenché par l’usage d’un mot clé
identique à cette marque dans le cadre d’un service de référencement sur internet – est susceptible de porter atteinte à
l’une des fonctions de la marque. Dans une situation similaire,
l’arrêt Google avait posé que l’usage second était un usage
pour des produits identiques à ceux désignés par la marque :
« le fait qu’un signe identique à une marque est sélectionné en
tant que mot clé par un concurrent du titulaire de la marque
(…) [vaut] usage dudit signe pour les produits ou les services
dudit concurrent » (Google France et Google, aff. C-236/08, 23 mars 2010, point 69).
12
Il est entendu aussi – et sans difficulté – qu’un tel usage est
un usage réalisé « dans la vie des affaires ». Il demeure alors
de savoir si l’usage d’un mot clé identique à la marque vaut
usage de la marque et si – cela étant – il est susceptible de
porter atteinte à sa fonction d’origine.
11. L’emploi d’un mot clé par un consommateur peut
très bien être fait en référence à un signe homonymique de
la marque, et donc ne pas constituer un usage de la marque
elle-même. L’Avocat général relève très justement « qu’un
mot identique est souvent enregistré par d’autres titulaires
de marques pour des produits ou des services qui ne sont pas
similaires ». Par ailleurs, « il existe aussi des marques qui sont
composées de noms communs ou de termes descriptifs » ; dès
lors, « il serait audacieux de présumer qu’un internaute qui
utilise le mot “apple” ou le mot “diesel” comme mot de recherche
vise toujours un ordinateur ou un jean d’une certaine marque,
et non pas un fruit ou un carburant. Ou que le mot de recherche
“nokia” serait toujours utilisé pour des recherches portant
sur des téléphones mobiles, mais jamais pour des recherches
relatives à une ville, un lac, un mouvement religieux ou une
marque de pneus portant tous un nom similaire » (conclusion
de l’Avocat général, point 70). « Il serait tout autant audacieux de
présumer, de manière générale, qu’une entreprise qui achète
des signes en tant que mot clé dans le cadre d’un service de
référencement payant sur internet vise toujours telle ou telle
marque, en particulier s’il existe plusieurs marques identiques
enregistrées par différents titulaires dans différents pays. En
conclusion, on peut présumer avec certitude que l’identité
entre un mot clé et une marque indique un lien entre eux en
présence de marques véritablement uniques qui possèdent un
caractère distinctif intrinsèquement fort. De même, on peut
présumer qu’une entreprise qui achète un mot clé ne vise une
marque identique que si la marque a ces caractéristiques et
que le mot clé est acheté par un concurrent, c’est-à-dire par une
entreprise qui vend des produits ou des services concurrents
de ceux couverts par la marque. Selon moi, ces conditions
apparaissent remplies dans le cas plutôt exceptionnel que
constitue la marque Interflora » (conclusions de l’Avocat général, points 71
et 72). Cette analyse souligne le rôle central de la signification
véhiculée par la marque. À cet égard, la protection de la
marque suppose que l’occurrence d’emploi litigieuse active
bel et bien la signification de la marque protégée dans l’esprit
du public pertinent. C’est très justement que l’Avocat général
conclut que l’emploi du signe « Interflora » en tant que mot
clé constitue inévitablement un emploi de cette marque, en
cela que ce signe ne dispose pas d’homonymes courants.
12. Pour autant, quand bien même il est constaté qu’est en
cause un usage de la marque à l’identique et pour des produits
ou services identiques – et ce dans la vie des affaires – la protection n’est désormais plus automatique puisqu’il demeure
de prouver une atteinte à l’une des fonctions de la marque.
Dans l’hypothèse en cours, la preuve d’une atteinte à la fonction d’indication d’origine sera établie « lorsque l’annonce ne
permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute
normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si
les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du
titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement
liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers (arrêt Google France
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tion s’effectue non seulement au moyen de la publicité, mais
et Google, points 83 et 84, ainsi que Portakabin, point 34). En
également au moyen de diverses techniques commerciales »
effet, dans une telle situation, qui est au demeurant caractérisée
(point 61). La fonction d’investissement participe donc à la
par la circonstance que l’annonce apparaît tout de suite après
l’introduction de la marque en tant que mot de recherche et
construction et au maintien de la réputation de la marque, elle
est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de
œuvre à l’établissement et à la conservation de son contenu
mot de recherche, également indiquée sur l’écran, l’internaute
sémantique. La fonction de publicité – telle que définie par la
peut se méprendre sur l’origine des produits ou des services en
Cour – est relative à l’exploitation de ce contenu sémantique,
cause (arrêt Google France et Google, point 85) » (point 44). La
de cette réputation.
16. La Cour en vient à distinguer deux hypothèses dans
juridiction de renvoi devra donc, de manière très factuelle,
lesquelles la fonction d’investissement est susceptible d’être
déterminer si l’internaute ayant introduit la marque « Interatteinte. La première vise l’amélioration ou le maintien de la
flora », comme mot de recherche, est en mesure – « sur la
valeur sémantique de la marque : « lorsque l’usage par un tiers
base des caractéristiques généralement connues du marché »
(…) gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire,
ou « par l’emploi de termes tels que M&S Flowers dans une
de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation suscepannonce » – de « comprendre que le service de livraison proposé
tible d’attirer et de fidéliser des consomne provient pas d’Interflora » (point 53).
mateurs, il convient de considérer que
13. Porter atteinte à la fonction
cet usage porte atteinte à la fonction
d’identification d’origine, c’est empêLa lecture que propose
d’investissement de la marque ». La
cher le public pertinent de distinguer les
la Cour de la fonction
seconde hypothèse est relative à l’affaientreprises de provenance des produits
d’indication d’origine
blissement de la valeur sémantique de
ou des services. C’est dire – a contra– strictement centrée sur
la marque : « Dans une situation où la
rio – que la fonction d’identification
son utilité intrinsèque –
marque bénéficie déjà d’une telle répud’origine ne permet pas d’interdire un
est rigoureuse et peut être
tation, il est porté atteinte à la fonction
emploi second de la marque – même en
approuvée, à condition
d’investissement lorsque l’usage par le
cas de double identité – lorsque cet emtoutefois que les autres
tiers (…) affecte cette réputation et met
ploi second est réalisé dans un contexte
utilités de la marque
en péril le maintien de celle-ci » (point 63).
contenant des éléments d’information
permettent d’activer
de nature à indiquer au consommateur
17. Il est important de relever que
la protection dans des
la provenance réelle et différenciée des
dans la première hypothèse – celle
hypothèses où elle semble
produits ou des services. Cette lecture
d’une « gêne » en matière d’acquisisemble devoir légitimer (sous réserve de l’attion ou de maintien de la réputation –
s’imposer.
l’atteinte n’est caractérisée que si cette
teinte à une autre fonction) tous les emplois de
gêne est « substantielle ». C’est dire
marque fondés sur le rapprochement, la
évidemment – a contrario – que l’usage second de la marque
comparaison, l’alternative, etc., bien au-delà des hypothèses
qui contrarie – de manière non substantielle – l’acquisition,
– légalement régulées – de publicité comparative ou d’usage
ou la conservation de la réputation de la marque, ne constitue
de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la despas une atteinte à la fonction d’investissement et donc n’active
tination d’un produit ou d’un service, notamment en tant
pas la protection sur ce fondement, y compris donc en cas
qu’accessoires ou pièces détachées. Dans cette logique, il
de double identité. Dans la seconde hypothèse – celle d’un
faudrait alors conclure à l’absence de confusion sur l’origine
affaiblissement de la réputation de la marque – la protection
des produits ou services dès lors que la marque sera présentée
de la fonction d’investissement n’est pas non plus sans limites
avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système,
et l’atteinte sans conséquences significatives ne sera guère
imitation, genre, méthode »…
plus sanctionnée. Cela se déduit de l’exposé général de la
14. La lecture que propose la Cour de la fonction d’indicaCour donnant la mesure des agissements que le titulaire de la
tion d’origine – strictement centrée sur son utilité intrinsèque –
marque doit tolérer : « En revanche, il ne saurait être admis que
est rigoureuse et peut être approuvée, à condition toutefois
le titulaire d’une marque puisse s’opposer à ce qu’un concurrent
que les autres utilités de la marque permettent d’activer la
fasse [usage de la marque], dans des conditions de concurrence
protection dans des hypothèses où elle semble s’imposer.
loyale (…) si cet usage a pour seule conséquence d’obliger le
D. – L’atteinte non substantielle à la fonction
titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir
d’investissement est légitime
ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser
les consommateurs. De la même manière, la circonstance que
15. La fonction d’investissement correspond à une utilité
ledit usage conduise certains consommateurs à se détourner
de la marque centrée sur l’acquisition ou le maintien d’une rédes produits et services revêtus de ladite marque ne saurait être
putation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs
utilement invoqué par le titulaire de cette dernière » (point 64).
(point 60). Il n’est pas inutile que la Cour précise la distinction
qu’il convient de faire entre fonction d’investissement et foncEn somme, nous dit la Cour, la protection est ici fonction du
tion de publicité : « Si cette fonction, dite “d’investissement”, de
degré d’inconvénient subi par le titulaire de la marque. Celui-ci
la marque peut présenter un chevauchement avec la fonction
se retrouve donc en situation difficile : il doit attendre de subir
de publicité, elle se distingue néanmoins de celle-ci. En effet,
une atteinte consommée et significative – et en apporter la
l’emploi de la marque pour acquérir ou conserver une réputapreuve – afin de faire valoir son droit.
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18. La Cour entend donc faire prévaloir le jeu concurrentiel sur le droit des marques lorsque l’atteinte à la fonction
d’investissement n’est pas substantielle. Par ailleurs, l’atteinte
sera non substantielle lorsqu’elle imposera simplement au
titulaire de la marque de corriger les effets négatifs de l’emploi
second de son signe sur la construction ou le maintien de sa
signification. Remarquons que la Cour rend possible l’emploi second de la marque – à l’identique et pour de mêmes
produits ou services – lorsque même il en résulte une perte
d’affaires pour le titulaire de la marque enregistrée. Tout cela
sous deux réserves importantes tout de même. La première
est qu’il ne soit pas porté atteinte à la fonction d’indication de
l’origine (ni à une autre d’ailleurs), c’est-à-dire que les consommateurs
puisse distinguer que l’usage concurrent n’est pas un usage
du titulaire de la marque. La seconde est que l’agissement
concurrentiel soit « loyal », c’est-à-dire – pour l’essentiel – qu’il
ne se rapporte pas à des produits contrefaits. Pour autant, la
limite demeure floue : à partir de quel degré d’inconvénient
la protection sera-t-elle acquise ? On peut craindre que les
juridictions du fond produisent des lectures très variables et
qu’il en résulte une réelle incertitude quant au principe même
de la protection due au titulaire de la marque.
E. – Les répercussions sur l’emploi publicitaire
ne sont pas une atteinte à la fonction de publicité
19. La marque est un instrument utile afin d’informer et
de persuader les consommateurs, « dès lors, le titulaire de
la marque est habilité à en interdire l’usage (…) (en cas de
double identité) lorsque cet usage porte atteinte à l’emploi de
la marque, par son titulaire, en tant qu’élément de promotion
des ventes ou en tant qu’instrument de stratégie commerciale »
(Google France et Google, aff. C-236/08 à C-238/08, 23 mars 2010, point 92). Dans les
cas d’emploi d’une marque comme mot clé par un concurrent
afin de faire apparaître sa propre publicité lors d’une recherche
fondée sur ladite marque, la Cour admet que « ledit usage peut
avoir des répercussions sur l’emploi publicitaire d’une marque
verbale par son titulaire » (point 55), et ce concernant notamment
le coût des publicités. Cela peut aussi contraindre « le titulaire
de cette marque à intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir ou augmenter sa visibilité auprès des consommateurs »
(point 57). Étant ainsi constaté que l’usage mis en débat a une
incidence sur l’emploi de la marque en tant qu’élément de
promotion, il est curieux que la Cour pose de manière à la fois
péremptoire et quelque peu contradictoire « qu’il n’y a pas
atteinte à la fonction de publicité de la marque » (point 57) (voir
aussi Google France et Google, aff. C-236/08 à C-238/08, 23 mars 2010, points 95 à 98).
20. On comprend bien que la Cour souhaite faire primer le jeu
concurrentiel sur le droit privatif. Cela est exprimé clairement : « Il
importe de souligner (…) que, si la marque constitue un élément
essentiel du système de concurrence non faussé que le droit de
l’Union entend établir (voir notamment, arrêt du 23 avril 2009,
Copad, aff. C-59/08, Rec. p. I-3421, point 22), elle n’a cependant
pas pour objet de protéger son titulaire contre des pratiques inhérentes au jeu de la concurrence » (point 57). Dans cette logique,
la Cour ne manque pas d’exposer les mérites de la publicité sur
internet à partir de mots clés ; pratique qui permet « de proposer
aux internautes des alternatives par rapport aux produits ou aux
services des titulaires desdites marques (voir, à cet égard, arrêt
14
Google France et Google, point 69) » (point 58). Cette pratique
que la Cour juge inhérente au jeu de la concurrence « n’a pas
pour effet de priver le titulaire de cette marque de la possibilité
d’utiliser efficacement sa marque pour informer et persuader les
consommateurs (voir, à cet égard, arrêt Google France et Google,
points 96 et 97) » (point 59). Pour autant, est-ce à dire que l’atteinte
à la fonction de publicité ne peut être admise qu’en cas d’impossibilité d’utiliser la marque à cette fin ? On mesure mal la frontière
entre l’agissement qui aura des répercussions sur la fonction de
publicité et celui qui lui portera atteinte… Mais encore : en quoi
l’usage d’une marque comme mot clé dans des conditions de
double identité relève-t-il de pratiques concurrentielles loyales
et non faussées ? Sur tous ces points – essentiels – l’exposé de
la Cour est quelque peu lacunaire et lapidaire.
21. La question de l’appréciation de l’atteinte à la fonction
de publicité dans le cadre de l’affaire Interflora amène la Cour
à dire pour droit qu’un tel usage « ne porte pas atteinte, dans
le cadre d’un service de référencement ayant les caractéristiques
de celui en cause au principal, à la fonction de publicité de
la marque ». Ce faisant, la Cour nous semble dévier d’une
trajectoire imposée et il est à craindre que – s’agissant de la
question particulière de l’atteinte à la fonction de publicité –
la réponse en droit ait cédé la place au jugement de fond.
L’objectif qu’avait justement identifié l’Avocat général dans
l’affaire L’Oréal, n’a sans doute pas – sur le point examiné –
été atteint : « la difficulté principale réside pour la Cour dans la
double pondération qu’elle est appelée à opérer. Non seulement
la Cour est appelée par la juridiction nationale à dégager une
interprétation des dispositions du droit de l’Union européenne
dans un contexte difficile, mais elle devrait, dans le même
temps garantir que l’interprétation des actes en question restera applicable dans des situations présentant des paramètres
différents » (L’Oréal et a., aff. C-324/09, conclusions de l’Avocat général, point 5).
II. – MARQUE RENOMMÉE : UNE PROTECTION
SOUS CONDITION DE PARASITISME, DE DILUTION
OU DE TERNISSEMENT
22. Lorsque la marque est renommée – et en cas de double
identité – sa protection peut être recherchée sur le fondement
de l’atteinte à l’une quelconque de ses fonctions, mais aussi
sur celui du parasitisme ou du préjudice porté à son caractère
distinctif ou à sa renommée. Ces protections sont différenciées
et non exclusives les unes des autres (A).
Le préjudice porté au caractère distinctif de la marque
– autrement dénommé « dilution » – résulte d’emplois seconds
de cette marque de nature à en disperser l’identité. Il était
entendu qu’une telle atteinte était possible, y compris lorsque
les consommateurs sont en mesure de distinguer l’origine
des produits ou des services ; donc en l’absence de risque de
confusion. La jurisprudence de la Cour semble ne plus être
en ce sens lorsqu’elle pose qu’une telle atteinte est possible
uniquement lorsque les consommateurs sont dans l’incapacité
de distinguer l’origine des produits ou des services (B)
Le profit tiré indûment du caractère distinctif ou de la renommée de la marque – autrement dénommé « parasitisme » –
mérite sanction. Cette sanction peut toutefois être écartée en
présence d’un « juste motif ». Pour la Cour, l’emploi d’un mot
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graphe 2, de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c),
du règlement n° 40/94 ont vocation à s’appliquer dans l’affaire
au principal » (point 70).
A. – Enjeux et cadre d’application de la protection
25. L’hypothèse de l’arrêt Interflora est celle d’une double
de la marque renommée
identité. En tel cas, la protection est possible en raison d’une
atteinte à l’une quelconque des fonctions de la marque, sur
23. L’Avocat général expose la conviction qui l’anime :
le fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la di« L’avantage d’internet est précisément qu’il amplifie considérective n° 89/104. La marque « Interflora » étant renommée,
rablement les possibilités pour les consommateurs de faire des
son titulaire peut aussi rechercher la protection offerte par
choix éclairés entre des produits et services » (conclusions de l’Avocat
l’article 5, paragraphe 2. La protection contre les atteintes à
général, point 45). Il conviendrait donc d’encourager cet accès à
une fonction de la marque étant autonome de la protection
une information variée et d’éviter que le droit des marques
spécifique des marques renommées, l’absence éventuelle de
ne soit un frein à cet égard : « Il peut être utile de rappeler
protection privative sur le premier fondement n’écarte évidemque “le droit de marque constitue en effet un élément essentiel
ment pas la possibilité d’une protection sur le second. C’est
du système de concurrence non faussée que le traité entend
dans ce contexte qu’est envisagée l’application de la protection
établir et maintenir” (arrêt de la Cour du 12 novembre 2002,
spécifique des marques renommées à la marque « Interflora ».
Arsenal Football Club, aff. C-206/01, Rec. 2002 p. I-10273,
26. La protection spécifique des marques renommées
point 47). Selon moi, la finalité de la concurrence économique
passe par la démonstration que la marque en cause est vicest d’améliorer le bien-être du consommateur en instaurant
time de l’une – ou de plusieurs – des
de meilleurs substituts aux produits existrois atteintes prévues par le législatants (en termes de qualité, de caractérisLa protection contre
teur : « Les atteintes contre lesquelles
tiques ou de prix), pour promouvoir ainsi
les atteintes
les articles 5, paragraphe 2, de la dil’efficacité et les innovations, et parvenir
à une fonction de la
rective n° 89/104 et 9, paragraphe 1,
ainsi à une allocation plus rationnelle
marque étant autonome
sous c), du règlement n° 49/94 assurent
des facteurs de production » (conclusions
de la protection spécifique
la protection sont, premièrement, le préde l’Avocat général, note 34). On comprend que
judice porté au caractère distinctif de
l’emploi d’une marque en tant que mot
des marques renommées,
la marque, deuxièmement, le préjudice
clé permettant l’affichage de publicil’absence éventuelle
porté à la renommée de cette marque
tés concurrentes contribue à enrichir
de protection privative
et, troisièmement, le profit indûment
l’information du consommateur, qui,
sur le premier fondement
tiré du caractère distinctif ou de la rerecherchant à accéder au site internet
n’écarte évidemment pas
nommée de ladite marque, une seule de
et aux produits de la société Interflora,
la possibilité
ces atteintes étant suffisante pour que
se voit proposer ceux aussi d’autres
d’une protection sur
la règle énoncée auxdites dispositions
sociétés. Dès lors – la marque « Interle second.
s’applique (voir arrêt du 18 juin 2009,
flora » étant renommée – le « bien-être
L’Oréal et a., points 38 et 42) » (point 72).
du consommateur » nécessitera d’écarter
l’application de l’article 5, paragraphe 2…
Les atteintes examinées dans le cadre de l’arrêt Interflora sont
24. La Cour est donc invitée à se prononcer sur l’applicabilité
l’atteinte au caractère distinctif de la marque renommée – la
de l’article 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 relatif à
dilution – et le profit indûment tiré du caractère distinctif ou
la protection spécifique des marques renommées. Inlassablede la renommée de la marque, c’est-à-dire le parasitisme. Le
ment, la Cour rappelle le champ d’application de ce texte tel
préjudice porté à la renommée de la marque – autrement déqu’issu de sa jurisprudence Davidoff : « Il est de jurisprudence
nommé « ternissement » – n’est pas examiné dans la présente
constante que, même si les dispositions ne se réfèrent expresséaffaire mais il n’est cependant pas inutile d’en rappeler les
ment qu’à l’hypothèse où il est fait usage d’un signe identique
enjeux : « En ce qui concerne le préjudice porté à la renommée
ou similaire à une marque renommée pour des produits ou des
de la marque, également désigné sous les termes de “ternisservices qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels cette
sement” ou de “dégradation”, ce préjudice intervient lorsque
marque est enregistrée, la protection y énoncée vaut, à plus forte
les produits ou les services pour lesquels le signe identique
raison, également par rapport à l’usage d’un signe identique
ou similaire est utilisé par le tiers peuvent être ressentis par
ou similaire à une marque renommée pour des produits ou des
le public d’une manière telle que la force d’attraction de la
services qui sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la
marque en est diminuée. Le risque d’un tel préjudice peut
marque est enregistrée » (point 68). Ainsi, l’article 5, paragraphe 2,
résulter notamment du fait que les produits ou les services
offerts par le tiers possèdent une caractéristique ou une qualité
s’applique-t-il aux hypothèses de double identité, tout comme
susceptible d’exercer une influence négative sur l’image de la
il s’applique à celles de simple identité, y compris lorsque les
marque » (L’Oréal et a., aff. C-487/07, 18 juin 2009, point 40).
produits ou les services ne sont pas similaires. Dans l’affaire
Interflora, la renommée de la marque et la double identité ne
B. – L’atteinte au caractère distinctif subordonnée
font aucun doute : « La marque Interflora étant renommée et
à un risque de confusion ?
l’usage par M&S du signe identique à cette marque en tant que
mot clé ayant été fait (…) pour un service identique à celui
27. L’Avocat général rappelle très justement que « la Cour
pour lequel ladite marque a été enregistrée, les articles 5, paraa défini la dilution par brouillage dans les termes suivants :
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clé comme marque relève d’une concurrence saine et loyale
de nature à constituer un « juste motif » (C).
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s’agissant plus particulièrement du préjudice porté au caractère
distinctif de la marque, également désigné sous les termes de
‘dilution’, de ‘grignotage’ ou de ‘brouillage’, ce préjudice est
constitué dès lors que se trouve affaiblie l’aptitude de cette
marque à identifier les produits ou les services pour lesquels
elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de
ladite marque, l’usage de la marque postérieure entraînant
une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de
son emprise sur l’esprit du public. Tel est notamment le cas
lorsque la marque antérieure, qui suscitait une association
immédiate avec les produits ou les services pour lesquels elle
est enregistrée, n’est plus en mesure de le faire (voir les arrêts Intel Corporation, point 29, et L’Oréal et a., point 39) »
(point 79). Ce qui est en jeu, c’est la capacité de la marque à
singulariser certains produits ou services. Il est possible en
effet que la marque évolue dans l’esprit des consommateurs
et tende à devenir – voire devienne – un terme générique à
même de désigner une catégorie entière de produits ou de
services. C’est toute la question du glissement sémantique
de la marque qui, délaissant sa condition de nom propre,
évoluera vers celle de nom commun. Ainsi : « Le brouillage ou
la dilution en ce sens signifient essentiellement que le caractère
distinctif de la marque se trouve “affaibli” (“watered down”,
en anglais, “Verwässerung” en allemand) dans la mesure où
la marque devient banale. Un signe utilisé comme marque
qui fait référence à différents produits et services provenant
d’origines commerciales différentes n’est plus capable d’identifier les produits et services couverts par la marque avec une
source unique » (point 81).
28. La Cour forme le constat qu’en cas de double identité,
l’usage second de la marque est de nature à entamer son caractère distinctif et à provoquer la dilution de sa signification :
« Il est vrai que l’usage, par un tiers et dans la vie des affaires,
d’un signe identique ou similaire à une marque renommée
réduit la capacité distinctive de celle-ci et porte donc préjudice
au caractère distinctif de cette marque au sens de l’article 5,
paragraphe 2, de la directive n° 89/104 ou, en cas de marque
communautaire, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c),
du règlement n° 40/94, lorsqu’il contribue à la dénaturation
de ladite marque en terme générique » (point 79). Ce constat
général est évidemment sujet à appréciation particulière selon
les faits en cause. La démonstration du risque de dilution doit
être établie et elle ne saurait se postuler. Dès lors il convient
d’observer – dans l’affaire Interflora – si l’usage de la marque
en tant que mot clé pour susciter la présentation publicitaire
de produits ou de services concurrents est de nature à en
provoquer la dilution.
29. Il semble important de souligner que l’atteinte à l’indication d’origine – la confusion des produits ou services – n’est
pas un prérequis pour admettre un éventuel préjudice porté
au caractère distinctif de la marque. L’article 5, paragraphe 2,
qui prévoit la protection spécifique des marques renommées,
propose justement une protection y compris lorsque celle-ci
n’est pas acquise sur les fondements – différents – du paragraphe 1. Citons la jurisprudence de la Cour : « Les atteintes
visées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104,
lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain
degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel
16
le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et
la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même
qu’il ne les confond pas. Il n’est donc pas exigé que le degré de
similitude entre la marque renommée et le signe utilisé par le
tiers soit tel qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un
risque de confusion » (arrêts Adidas-Salomon et Adidas Benelux, points 29 et 31,
ainsi que L’Oréal et a., aff. C-487/07, 18 juin 2009, point 36). Ainsi, l’atteinte visée
au paragraphe 2 peut-elle être reconnue sans devoir prouver
un risque de confusion sur l’origine des produits ou services,
dès lors que l’établissement d’un lien entre les signes suffit.
30. À cet égard, les développements de la Cour dans
l’arrêt Interflora posent problème puisqu’ils postulent – inversement – que le constat d’un risque de confusion est un
préalable à la possibilité d’une protection : « Si, en revanche,
ladite juridiction devait conclure que la publicité déclenchée
par ledit usage du signe identique à la marque Interflora n’a
pas permis à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de comprendre que le service promu par M&S
est indépendant de celui d’Interflora, (…) il incomberait à
ladite juridiction d’apprécier, sur la base de tous les indices
qui lui sont soumis, si la sélection de signes correspondant à
la marque Interflora en tant que mots clés sur internet a eu
un impact tel sur le marché des services de livraison de fleurs
que le terme “Interflora” a évolué pour désigner, dans l’esprit
du consommateur, tout service de livraison de fleurs » (point 83).
Force est de constater que l’atteinte à la fonction d’origine de
la marque est mise en débat. En l’absence de confusion sur
l’origine des produits ou des services, il ne saurait y avoir de
réduction de la capacité distinctive et donc de préjudice pour
dilution : « Si la juridiction de renvoi devait conclure que la
publicité déclenchée en raison de l’usage, par M&S, du signe
identique à la marque Interflora a permis à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de comprendre que
le service promu par M&S est indépendant de celui d’Interflora,
cette dernière entreprise ne saurait utilement faire valoir, en
se prévalant des règles énoncées aux articles 5, paragraphe 2,
de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, que cet usage a contribué à une dénaturation
de ladite marque en terme générique » (point 82).
31. Une autre contradiction semble devoir être relevée,
moins sévère toutefois. La Cour l’affirme : si la perte consommée de la distinctivité est l’issue ultime de la dilution, il
convient cependant de porter attention et remède au processus lui-même, sans attendre son résultat fatal : « Pour que
le titulaire de la marque renommée soit protégé efficacement
contre ce type d’atteinte, il convient d’interpréter les articles 5,
paragraphe 2, de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1,
sous c), du règlement n° 40/94 en ce sens que ce titulaire
est habilité à interdire tout usage d’un signe identique ou
similaire à cette marque réduisant la capacité distinctive de
ladite marque, sans qu’il doive attendre l’issue du processus
de dilution, à savoir la perte complète du caractère distinctif
de la marque » (Interflora, point 77). Comment dès lors exiger, pour
reconnaître la protection, que la juridiction de renvoi caractérise « (…) que le terme “Interflora” a évolué pour désigner,
dans l’esprit du consommateur, tout service de livraison de
fleurs » (point 83) ? Au demeurant, de manière plus ouverte, la
Cour dit pour droit qu’une « publicité à partir d’un mot clé
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34. Cette possibilité d’admettre le parasitisme sans avoir
porte préjudice au caractère distinctif de la marque renommée
à justifier d’un préjudice propre, mais en démontrant sim(dilution), notamment, si elle contribue à une dénaturation
plement le bénéfice retiré par le concurrent, ne satisfait pas
de cette marque en terme générique ». Assurément, ce sont les
l’Avocat général. Ainsi : « La Cour a considéré dans l’arrêt
conditions initiant un processus de dilution qui doivent être
L’Oréal et autres que l’existence d’un profit indûment tiré ne
sanctionnées, et cela sans attendre la dégénérescence aboutie
présuppose pas que l’usage de la marque porte préjudice à son
– et le plus souvent irréversible – de la marque.
titulaire. J’estime que cela pose un grave problème du point
32. Au plan pratique – mais c’est l’appréciation des faits
de vue de la concurrence parce que la Cour affirme en réalité
qui va importer – il nous semble que la généralisation de
que le titulaire de la marque est fondé à exercer son droit
l’emploi des marques renommées en tant que mot clé par
d’interdire l’usage d’un signe dans des circonstances où cela
les concurrents aura pour effet que les consommateurs utiaboutirait à s’écarter d’une situation d’optimum de Pareto. La
liseront volontairement ces marques afin de faire apparaître
situation du titulaire de la marque ne s’améliorerait pas étant
les offres de produits ou de services de l’ensemble des acdonné que, par définition, il ne souffrirait aucun préjudice du
teurs d’un marché. Cela aura pour effet de favoriser l’accès
fait de l’usage, alors que celle de son concurrent se dégraderait
à l’information pour les consommateurs ; la Cour n’a pas
parce qu’il perdrait une partie de son activité. De même cela
manqué de l’observer et entend le privilégier. Cependant, de
aurait un effet négatif sur la situation
telles pratiques seront inévitablement
des consommateurs qui n’avaient pas
de nature à contribuer à la dilution de
Au plan pratique – mais
été induits en erreur par l’annonce mais
la marque, à l’affaiblissement de sa disc’est l’appréciation des
qui, sciemment, avaient préféré acheter
tinctivité, dès lors qu’elle sera employée
faits qui va importer –
les produits du concurrent » (point 94).
en tant que signe permettant l’accès à
il nous semble que
tous les produits de la catégorie et non
En somme, nous dit l’Avocat général,
la généralisation de
plus seulement à ceux de son titulaire.
l’octroi d’une protection n’apportel’emploi des marques
rait rien de bénéfique au titulaire de
C. – Un comportement
renommées en tant que
la marque puisqu’il ne subit pas de
parasitaire peut-il relever d’une
mot
clé
par
les
concurrents
préjudice, alors que – bien évidemconcurrence saine et loyale ?
ment – la situation de son concurrent
aura pour effet que les
33. La protection offerte aux
serait atteinte en cela qu’il perdrait
consommateurs utiliseront
marques renommées par l’article 5,
l’avantage que lui conférait son action
volontairement ces
paragraphe 2, peut se fonder sur l’un
parasitaire. Quel que soit l’intérêt des
marques afin de faire
quelconque des trois motifs qu’il
théories de Vilfredo Pareto (1848-1923),
apparaître les offres de
contient : « Un seul de ces trois types
on ne manquera pas de lui trouver des
produits ou de services
d’atteintes suffit pour que l’article 5,
confrères qui concluent différemment
de l’ensemble des acteurs
paragraphe 2, de la directive n° 89/104
sur la manière de faire la prospérité des
d’un marché.
soit applicable » (L’Oréal et a., aff. C-487/07,
nations… La Cour semble cependant
ne pas être insensible à un tel regard.
18 juin 2009, point 42, voir aussi en ce sens, arrêt Intel
35. Dans l’affaire Interflora, il est entendu que l’emploi
Corporation, point 28). Le parasitisme est l’un de ces motifs : la
de la marque en tant que mot clé constitue un usage de la
protection spécifique des marques renommées doit être
marque dans la vie des affaires. Ces conditions étant remplies,
admise lorsque l’usage second du signe tire indûment profit
il convient de savoir si Marks & Spencer tire profit de la renomdu caractère distinctif ou de la renommée de la marque.
mée ou du caractère distinctif de la marque Interflora. À cet
La Cour donne la définition suivante du parasitisme : « La
égard, « il ne saurait être contesté que, lorsque le concurrent du
notion de “profit indûment tiré du caractère distinctif ou de
titulaire d’une marque renommée sélectionne cette marque en
la renommée de la marque”, également désignée sous les
tant que mot clé dans le cadre d’un service de référencement sur
termes de “parasitisme” et de “free-riding”, (…) s’attache
internet, cet usage a pour objet de tirer avantage du caractère
non pas au préjudice subi par la marque, mais à l’avantage
distinctif et de la renommée de ladite marque. En effet, ladite
tiré par le tiers de l’usage du signe identique ou similaire.
sélection est susceptible de faire naître une situation où les
Elle englobe notamment les cas où, grâce à un transfert
consommateurs, probablement nombreux, procédant à une
de l’image de la marque ou des caractéristiques projetées
recherche sur internet de produits ou de services de la marque
par celle-ci vers les produits désignés par le signe identique
renommée à l’aide de ce mot clé, verront afficher sur leur
ou similaire, il existe une exploitation manifeste dans le
écran l’annonce de ce concurrent. Par ailleurs, il ne saurait
sillage de la marque renommée » (L’Oréal et a., aff. C-487/07, 18 juin
être contesté que, lorsque des internautes achètent, après avoir
2009, point 41). Ce qui importe donc, ce n’est pas le préjudice
pris connaissance de l’annonce dudit concurrent, le produit
porté à la renommée ou au caractère distinctif de la marque
ou le service offert par ce dernier au lieu de celui du titulaire
(questions de la dilution et du ternissement) mais l’exploitation indue de
de la marque sur laquelle portait initialement leur recherche,
cette renommée ou de ce caractère distinctif par le concurce concurrent tire un réel avantage du caractère distinctif et
rent. Il est bien certain cependant que l’exploitation de la
de la renommée de cette marque » (points 86 et 87). La Cour en
renommée ou du caractère distinctif sont certainement de
nature à leur porter atteinte, mais ce n’est toutefois pas la
vient à constater qu’il « (…) résulte de ces caractéristiques de
caractérisation de cette atteinte qui fonde le parasitisme.
la sélection de signes correspondant à des marques renommées
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d’autrui en tant que mots clés sur internet qu’une telle sélection
peut (…) s’analyser comme un usage par lequel l’annonceur
se place dans le sillage d’une marque renommée afin de
bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de
son prestige, ainsi que d’exploiter, sans aucune compensation
financière et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard,
l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour
créer et entretenir l’image de cette marque. S’il en va ainsi, le
profit ainsi réalisé par le tiers doit être considéré comme étant
indu » (point 89). L’analyse est on ne peut plus claire : l’usage
d’une marque renommée en tant que mot clé est un acte de
parasitisme caractérisé. La conclusion s’impose : en tel cas,
le concurrent tire indûment profit du caractère distinctif ou
de la renommée de la marque.
36. Pour autant, la protection ne sera pas accordée si
l’agissement parasitaire peut être « racheté » par un juste motif. En considérant les faits – l’emploi d’une marque comme
mot clé – qui nous occupent, la Cour en vient à distinguer
deux hypothèses. Dans la première, le bénéfice est indu et
ne peut se prévaloir d’un juste motif car « les annonceurs sur
internet offrent à la vente, moyennant la sélection de mots clés
correspondant à des marques renommées, des produits qui
sont des imitations des produits du titulaire desdites marques
(arrêt Google France et Google, précité, points 102 et 103) »
(point 90). La seconde hypothèse – c’est le cas de l’affaire Interflora – est celle d’annonces portant sur des produits qui ne
sont pas des « imitations » de ceux proposés par la marque
parasitée : « Lorsque la publicité affichée sur internet à partir
d’un mot clé correspondant à une marque renommée propose,
sans offrir une simple imitation des produits ou des services du
titulaire de cette marque (…) une alternative par rapport aux
produits ou aux services du titulaire de la marque renommée,
il convient de conclure qu’un tel usage relève, en principe,
d’une concurrence saine et loyale dans le secteur des produits
ou des services en cause et a donc lieu pour un “juste motif”
au sens des articles 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104
et 9, paragraphe 1 sous c) du règlement n° 40/94 » (point 91).
Dans un tel cas, la protection doit être écartée car – nous dit
la Cour – l’agissement parasitaire est « racheté » par un juste
motif. Il demeurera possible – bien évidemment – que la protection soit accordée sur un autre fondement, l’usage litigieux
pouvant par ailleurs « causer une dilution ou un ternissement
(…) et porter atteinte aux fonctions de ladite marque » (point 91).
37. La Cour l’affirme, l’emploi d’une marque en tant que
mot clé pour déclencher une publicité concurrente est un acte
de parasitisme, mais cet agissement parasitaire n’active pas
la protection car il est couvert par un « juste motif » qui tient
au fait qu’il s’opère dans un contexte de « concurrence saine
et loyale » (point 91). Selon la Cour, le contexte sain et loyal de
la concurrence se déduit du fait que les produits désignés
ne sont pas des imitations. Il convient de mesurer la portée
18
de cette lecture jurisprudentielle. Tout d’abord, on pourra
s’interroger sur la notion « d’imitation » qui semble renvoyer
– sans le dire – à une situation de contrefaçon en matière de
droit d’auteur ou de droit des dessins et modèles. Ensuite – et
surtout – la question se pose de savoir dans quelle mesure
ce « rachat » du parasitisme est lié aux faits rencontrés dans
l’affaire Interflora ou les dépasse. À cet égard, la Cour dit
pour droit que « le titulaire d’une marque renommée n’est
pas habilité à interdire, notamment, des publicités affichées
par des concurrents à partir de mots clés correspondant à cette
marque et proposant (…) une alternative par rapport aux
produits ou aux services du titulaire de celle-ci ». Cela donne
à penser – en raison de l’emploi du mot « notamment » – que
l’enseignement vaut bien au-delà de l’anecdote des mots clés.
Si tel est le cas, la position de la Cour est audacieuse car – il
faut le comprendre ainsi – elle rend légitime l’essentiel des
agissements parasitaires et réduit considérablement le champ
de ceux qui peuvent être sanctionnés. Certes, la protection
pourra être recherchée pour d’autres motifs, mais on pourra
trouver ce choix peu opportun, sinon risqué.
38. Qu’elle soit opportune ou non, la décision de la Cour
pourra sembler fragile au plan de la construction logique. Les
faits de l’affaire Interflora sont des faits de parasitisme ; cela
est reconnu par la Cour et si l’on débat d’un « juste motif »
c’est bien parce que le parasitisme est attesté. Or, le juste motif
tient – selon la Cour – au fait que l’usage litigieux « relève,
en principe, d’une concurrence saine et loyale » (point 91). On
pourra trouver curieux d’admettre ainsi qu’un agissement
parasitaire puisse relever d’une concurrence saine et loyale…
l’un étant tout de même quelque peu antinomique de l’autre.
À cet égard, le raisonnement de la Cour n’est guère satisfaisant, l’exception à un principe ne pouvant se fonder que sur
des motifs extérieurs à ce principe. Peut-être aurait-il été plus
adapté de mettre en avant la liberté d’informer… mais cela
aurait imposé d’avoir foi en d’autres valeurs que celles de la
concurrence.
CONCLUSION
39. L’interprétation constructive de la CJUE dans l’arrêt
Interflora est sous-tendue par l’idée que le déploiement de
la concurrence est favorable à tous les acteurs du jeu économique. À cependant pousser trop loin une idée, à l’ériger
en dogme, elle finit par produire des effets inverses de ceux
escomptés. La limite semble avoir été franchie au-delà de
laquelle il ne reste que des perdants : les consommateurs
finalement trompés par un parasitisme ordinaire désormais
libéré ; les industriels investissant dans l’économie de l’immatériel qui devront tolérer des atteintes « non substantielles »
innombrables à leur patrimoine et une complexification de sa
défense ; notre économie dans son ensemble. ◆
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Originalité d’une adaptation et
d’une mise en scène théâtrales
PPar BBradd SPITZ
Docteur en droit
RLDI
Avocat associé
YS Avocats
Chargé d’enseignement
à l’Institut d’études
politiques de Paris
et à l’Université
de Versailles
2537
La Cour d’appel de Paris devait dans ce contentieux trancher la délicate la question
de l’originalité de l’adaptation, de la scénographie et de la mise en scène théâtrales ;
question qui implique plus largement que soient recherchés les critères généraux à retenir
pour apprécier l’originalité d’une œuvre. Me Brad Spitz nous livre son analyse.
CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678, inédit (1)
A
gnès Arnau a adapté, mis en scène et
créé la scénographie du spectacle intitulé Lettres de délation sous l’occupation puis simplement Lettres de délation, à partir de lettres recueillies par
André Halimi (2) et de textes spécialement commandés
au philosophe Alain Guyard. Son spectacle a été produit et
donné plusieurs fois entre 2004 et 2005.
Le spectacle a par la suite été repris dans une version
nouvelle produite par une autre société et mise en scène par
d’autres auteurs. À l’exception de quelques modifications,
Agnès Arnau estimait que ce spectacle reprenait l’essentiel de
son travail d’adaptation, de mise en scène et de scénographie.
Elle a donc assigné le producteur et les coauteurs de cette
nouvelle version afin de voir juger qu’elle était l’auteur de
l’adaptation et de la mise en scène théâtrales et de les faire
condamner pour contrefaçon de ses droits patrimoniaux et
de son droit moral (droits à la paternité et à l’intégrité de l’œuvre), et, indépendamment des faits de contrefaçon, au titre du parasitisme.
En l’absence de fixation de son spectacle d’origine, la demanderesse a versé aux débats un certain nombre de pièces
démontrant la forme et le contenu de son travail d’adaptation
et de mise en scène, parmi lesquelles : de nombreux articles de
presse ayant rendu compte du spectacle, un dossier de presse
décrivant la pièce (Agnès Arnau étant mentionnée dans ce dossier comme auteur
de la mise en scène et de la scénographie) et le texte de l’adaptation dont
le contenu n’a pas été contredit par une preuve contraire (3).
Le Tribunal de grande instance de Paris (4) a déclaré
Agnès Arnau irrecevable à agir au titre du droit d’auteur, au
motif d’une absence d’originalité de son travail, en jugeant
qu’elle n’établissait « pas précisément sa qualité d’auteur de
l’adaptation théâtrale, de la scénographie et de la mise en scène
du spectacle » au vu des éléments apportés (5). Pour conclure
à l’absence d’originalité, le Tribunal a énuméré quelques
choix opérés par l’auteur, lesquels étaient, selon le Tribunal,
« banals » (l’acteur portait des gants blancs et avait le visage grimé, la pièce de théâtre
était subdivisée pour évoquer deux espaces distincts permettant le passage d’une situation à
une autre, des extraits radiophoniques d’époque étaient diffusés, etc.) ou dictés par
le contenu des lettres issues de l’ouvrage d’André Halimi (par
exemple la nécessité pour un acteur unique d’endosser plusieurs personnages).
Le Tribunal de grande instance a également débouté
Agnès Arnau de ses demandes fondées sur le parasitisme.
Par un arrêt du 9 septembre 2011, la Cour (6) a infirmé
le jugement en toutes ses dispositions, estimant notamment
que le travail d’adaptation d’Agnès Arnau, qui a sélectionné
les textes pour la pièce, était original. S’agissant de la mise en
scène et de la scénographie, la Cour a estimé que l’originalité
résidait dans la combinaison des choix de l’auteur, et non
dans chaque caractéristique prise individuellement (comme
le recours à une voix off, l’utilisation d’un acteur unique empruntant les habits des délateurs, le recours à un cintre auquel sont suspendus des objets, etc.). Ainsi, selon
la Cour d’appel, la combinaison des choix « rend compte de
l’approche et du propos d’Agnès Arnau et porte son empreinte
personnelle ». L’arrêt de la Cour d’appel s’inscrit ainsi dans
le fil d’une « approche plus large et plus objective » (7) de la
notion d’originalité, consacrée par l’affaire Infopaq (8) et
certains arrêts récents de la Cour de cassation (9).
Le spectacle litigieux ayant repris, en dépit de quelques
variations, les mêmes construction et structure caractérisant
l’œuvre d’Agnès Arnau, la Cour a condamné les intimés au
titre de la contrefaçon de ses droits d’adaptateur, de metteur
en scène et de scénographe.
Le présent commentaire s’attachera uniquement à la question de l’originalité de l’adaptation, de la scénographie et de
>
(1) L’auteur remercie Me Jean-Louis Langlois pour lui avoir transmis la décision et fait part de ses commentaires. (2) La Délation sous l’occupation, éd. L’Harmattan, 2003. (3) Et ce même si la force
probante de la pièce a été contestée en défense. (4) TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 2 fév. 2010, n° 06/02820. (5) Il est précisé que les défendeurs arguaient qu’aucun enregistrement de la pièce de
théâtre n’était produit, ce qui ne permettrait donc pas d’identifier suffisamment l’œuvre. Sur ce point, la Cour d’appel de Paris (pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678, voir ci-après) a constaté
au contraire que la pièce a été divulguée sous le nom de l’auteur dans divers articles et documents de presse, et notamment dans un dossier de presse pour un festival, où elle était présentée
comme auteur de la « mise en scène et scénographie ». La Cour a en outre relevé que l’auteur avait conclu des contrats avec la première compagnie ayant dirigé la pièce, qui lui reconnaissaient
la qualité d’auteur de l’adaptation. (6) CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678. (7) Gaullier F., La preuve de l’originalité, une charge complexe – La preuve de l’originalité : mission
impossible ?, RLDI 2011/70, n° 2334, p. 126. (8) CJUE, 16 juill. 2009, aff. C-5/08, Infopaq/Danske Dagblades, <www.curia.eu> ; JCP 2009, n° 39, p. 272, note Marinon L. ; obs. Benabou V.-L.,
Propr. intell. 2009, n° 33, p. 378 ; RIDA 2010, n° 226, obs. Sirinelli P., p. 401. (9) Par ex. Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-17.852, Comm. com. électr. 2011, n° 9, comm. 84, note Caron Ch. ;
RLDI 2011/74, n° 2448, obs. Costes L. et aff. Paradis, Cass. 1re civ., 3 nov. 2008, n° 06-19.021, Caron Ch., L’Art conceptuel au paradis de la Cour suprême, Comm. com. électr. 2009, n° 1, p. 2324 ; Daleau J., La consécration de l’art conceptuel, D. 2008, p. 2933-2934 ; Edelman B., La création dans l’art contemporain, D. 2009, p. 38-43. Sur ces affaires, voir infra.
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O R I G I N A L I T É D ’ U N E A D A P TAT I O N E T D ’ U N E M I S E E N S C È N E T H É Â T R A L E S
la mise en scène théâtrales (II), en se concentrant en premier
lieu sur les critères généraux qu’il convient de retenir pour
juger de l’originalité d’une œuvre (I).
La question est d’importance car, depuis plusieurs années,
les juges du fond interprètent souvent trop restrictivement
l’originalité, et ce au détriment des titulaires de droits et de
la sécurité juridique, alors même que le législateur français
souhaite conforter, notamment grâce à la spécialisation des
juridictions en matière de propriété intellectuelle, la « réputation d’excellence et l’attractivité juridique de notre pays » (10).
I. – ORIGINALITÉ : APPRÉCIATION OBJECTIVE
DE L’ENSEMBLE DES CHOIX ARBITRAIRES
ET DE LEUR COMBINAISON
Des décisions récentes de la Cour de justice de l’Union
européenne et de la Cour de cassation permettent de penser
que les juges du fond devront désormais revenir à une interprétation plus large et objective des critères de l’originalité.
Dans l’arrêt Infopaq, la Cour de justice, dans une décision contraignante pour les juridictions des États membres,
a jugé que l’originalité est une notion communautaire et a
donné les critères d’appréciation de la condition de l’originalité (11). Rendue à propos de la reproduction d’un très
court extrait d’un texte financier, l’arrêt précise que « les différentes parties d’une œuvre bénéficient (…) d’une protection
au titre de [l’article 2, A, de la directive n° 2001/29 (12)] à
condition qu’elles contiennent certains des éléments qui sont
l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur de
cette œuvre » (13) et que « compte tenu de l’exigence d’une
interprétation large de la portée de la protection conférée par
l’article 2 de la directive n° 2001-29, il ne saurait être exclu
que certaines phrases isolées, ou même certains membres de
phrases du texte concerné, soient aptes à transmettre au lecteur
l’originalité d’une publication telle qu’un article de presse, en
lui communiquant un élément qui est, en soi, l’expression de
la création intellectuelle propre à l’auteur de cet article » (14).
La Cour de justice souligne en outre que si les mots ne sont
pas, isolément, protégeables, « à travers le choix, la disposition
et la combinaison de ces mots (…) il est permis à l’auteur
d’exprimer son esprit créateur de manière originale et d’aboutir
à un résultat constituant une création intellectuelle » (15).
Le critère décisif de l’originalité est ainsi, comme en droit
français (16), l’existence de choix arbitraires mis en œuvre
dans la réalisation d’une création. Peu importe que les choix
soient contraints ou dictés par la technique ou l’existence
d’une œuvre préexistante objet d’un travail d’adaptation,
dès lors que le travail, dans son ensemble, est le résultat de
choix arbitraires.
Cet arbitraire est relatif et en aucun cas absolu. C’est
ainsi la consécration au plan communautaire du principe
de l’originalité relative, connu dans certains États membres
et notamment en France (17), et qui permet de protéger les
œuvres dérivées telles que les adaptations et les œuvres à
caractère scientifique ou technique, dès lors que la création
considérée a impliqué des choix arbitraires révélateurs de la
personnalité de son auteur. L’approche est en ce sens subjective, mais le juge doit analyser de manière large et objective
les choix mis en œuvre.
Par conséquent, le juge doit étudier l’ensemble du travail
créatif de celui qui revendique la protection du droit d’auteur, en prenant en compte les choix qu’il a opérés, même
si ceux-ci peuvent apparaître, pris individuellement, comme
des choix banals et/ou dictés par des contraintes (qu’il s’agisse de
contraintes techniques ou de contraintes liées à une commande). À cet égard, les
choix ne doivent pas nécessairement relever d’un arbitraire
total et peuvent constituer des choix simples dès lors qu’ils
sont personnels (18).
Dans l’affaire Paradis, la Cour de cassation a, avec cette
même approche qui est classique en droit français, relevé que
« l’œuvre litigieuse ne consiste pas en une simple reproduction
du terme “Paradis”, mais en l’apposition de ce mot en lettres
dorées avec effet de patine et dans un graphisme particulier, sur
une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans
un mur décrépi dont la peinture s’écaille, que cette combinaison implique des choix esthétiques traduisant la personnalité
de l’auteur », ce qui caractérisait la recherche conceptuelle
de l’artiste qui avait décidé de détourner un mot de son sens
commun dans une réalisation matérielle originale (19).
Dans une affaire récente portant sur l’originalité d’un
site internet (20), la Cour de cassation a censuré un arrêt
de la Cour d’appel de Paris (21) qui, pour conclure que les
éléments revendiqués au titre du droit d’auteur n’étaient
pas de nature à caractériser l’originalité, avait énuméré les
choix qui étaient, selon elle, imposés par des contraintes
techniques ou qui relevaient d’un savoir-faire, ainsi que
les éléments n’ayant pas des caractéristiques esthétiques
séparables de leur fonction (22). La Cour d’appel avait ainsi,
comme le Tribunal de grande instance de Paris dans l’affaire
commentée (23), motivé sa décision en retenant une série
d’exemples « négatifs » destinés à justifier l’absence d’originalité, alors que l’énumération révélait que la création du
(10) Lutte contre la contrefaçon : premier bilan de la loi du 29 octobre 2007, Rapport d’information n° 296 (2010-2011) de MM. Béteille L. et Yung R., fait au nom de la Commission des lois, déposé
le 9 février 2011, <www.senat.fr/rap/r10-296/r10-296_mono.html>. Sur ces affaires, voir infra. (11) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8. (12) Directive no 2001/29/CE du Parlement européen et
du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JOCE 22 juin 2001, no L 167, p. 10). (13) CJUE, 16 juill.
2009, précitée, note 8, n° 39. (14) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8, n° 47. (15) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8, n° 45. (16) Caron Ch., Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2e éd., 2009,
n° 94. (17) Michaux B., L’originalité en question – L’originalité en droit communautaire après l’arrêt Infopaq, RLDI 2011/70, n° 2333. (18) Précité. (19) Cass. 1re civ., 3 nov. 2008, n° 06-19.021 ;
Caron Ch., L’art conceptuel au paradis de la Cour suprême, Comm. com. électr. 2009, n° 1, p. 23-24 ; Daleau J., La consécration de l’art conceptuel, D. 2008, p. 2933-2934 ; Edelman B., La création
dans l’art contemporain, D. 2009, p. 38-43. (20) Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-17.852, Comm. com. électr., oct. 2011, comm. 84, note Caron Ch. ; RLDI 2011/74, n° 2448, obs. Costes L.
(21) CA Paris, pôle 5, ch. 1, 17 mars 2010, Juris-Data, n° 2010-010644. (22) La Cour d’appel a relevé : « que la présence d’une fenêtre blanche permettant au client de s’identifier ainsi que le
choix et la dénomination des rubriques étaient des “éléments commandés par des impératifs utilitaires ou fonctionnels” et qu’ils ne présentaient, en l’espèce, “aucune forme singulière de nature
à traduire un quelconque effort créatif”, que la bande-annonce animée “ne revêt pas des caractéristiques esthétiques (…) séparables de tout caractère fonctionnel”, que “la mise en place d’un
espace de dialogue interactif”, au moyen d’un blog, “atteste tout au plus d’un savoir-faire commercial”, que le choix de dominantes de couleurs rose et noir n’était pas “perceptible d’emblée”, ni
de nature à “conférer au site en cause une physionomie particulière qui le distingue des autres sites du même secteur d’activité” et en définitive, qu’ils soient pris séparément ou combinés dans
leur ensemble, les éléments invoqués sont dénués de pertinence au regard du critère d’originalité requis en la cause faute de porter la marque d’un effort personnel de création ». (23) Voir infra, II.
20
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site internet avait nécessité une suite de nombreux choix :
couleurs, bande-annonce animée, architecture avec utilisation de fenêtres, un blog, etc., lesquels, au moins lorsqu’ils
sont combinés, constituent un ensemble original. Des choix
parfois simples, mais des choix arbitraires et combinés. C’est
alors logiquement que la Cour de cassation, en ligne avec
la jurisprudence Infopaq (24), a estimé « qu’en statuant
ainsi sans justifier en quoi le choix de combiner ensemble
ces différents éléments selon une certaine présentation serait
dépourvu d’originalité la Cour d’appel a privé sa décision
de base légale » au regard de l’article L. 112-1 du Code de
la propriété intellectuelle. Il est au passage intéressant de
constater, comme le souligne le professeur Caron, que « la
caractérisation de l’originalité (ou de son absence d’originalité) ne relève pas (ou plus) de l’apanage exclusif des juges
du fond » (25).
II. – ORIGINALITÉ DE L’ADAPTATION, DE LA
SCÉNOGRAPHIE ET DE LA MISE
EN SCÈNE THÉÂTRALES
Néanmoins, il résulte du principe de l’originalité relative rappelé ci-dessus que si les choix de l’auteur sont par
essence subjectifs – puisque c’est l’auteur qui, en fonction
de sa personnalité, opère certains choix qui vont avoir pour
conséquence la création de l’œuvre – l’étude par le juge des
choix de l’auteur doit être réalisée de manière plus large et
plus objective. C’est l’ensemble des choix, y compris simples,
composant le travail dont la protection est revendiquée qui
doit être étudié, ainsi que la disposition et la composition des
choix. L’auteur n’a donc pas à démontrer que la création de
son œuvre résulterait d’« impressions tout à fait subjectives ».
À cet égard, en ce qui concerne la preuve de l’originalité
– laquelle est trop souvent utilisée comme prétexte pour débouter les auteurs de leurs actions en contrefaçon (28) – le
juge doit prendre en compte de lui-même tous les choix qui
apparaissent de manière évidente dans les pièces versées au
débat (les choix de cadrage et de lumière dans une photographie, par exemple) et pas
uniquement les choix qui seront éventuellement expliqués
par le demandeur (explications qui ne seront
Celui qui revendique
la protection du droit
d’auteur a-t-il opéré des
choix personnels, même
simples, pour obtenir
le résultat considéré ?
Les adaptations sont protégées au
titre du droit d’auteur dès lors qu’elles
sont originales. Il résulte de l’article 2 de
la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques
que les œuvres dérivées, telles que les
traductions, adaptations, arrangements
et autres transformations, sont protégées comme les œuvres
premières. L’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en ce sens que « les auteurs de traductions,
d’adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de
l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code
sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ».
La jurisprudence a en outre depuis longtemps admis que
certaines mises en scène peuvent bénéficier de la protection
par le droit d’auteur (26).
Dans l’affaire présentement commentée, le Tribunal de
grande instance de Paris, en guise d’introduction à son analyse,
avait précisé que « toute personne revendiquant des droits
sur une œuvre doit la décrire et spécifier ce qui la caractérise
et en fait le support de la personnalité de son auteur, tâche
qui ne peut revenir au Tribunal qui n’est par définition pas
l’auteur des œuvres et ne peut substituer ses impressions tout
à fait subjectives aux manifestations de la personnalité de
l’auteur » (27).
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
rendues nécessaires qu’en raison du caractère technique
de la réalisation ou encore dans le cas d’une adaptation,
ce qui est effectivement le cas en l’espèce).
La question est donc la suivante :
celui qui revendique la protection du
droit d’auteur a-t-il opéré des choix personnels, même simples, pour obtenir le
résultat considéré ?
Ainsi, une photographie sera originale si elle requiert le choix d’un angle, de la lumière, de
la vitesse d’obturation (29), ce qui sera le cas y compris de
photographies de tableaux réalisées pour un catalogue de
ventes aux enchères, puisqu’en choisissant de faire ressortir
des couleurs ou des contrastes ou au contraire l’homogénéité
du tableau en accentuant des traits, les choix arbitraires du
photographe ne s’effacent pas « devant la majesté » du tableau
photographié (30) (l’originalité sera certes relative, mais le juge ne pourra pas
refuser la protection du droit d’auteur). La Table bleue et la Table dorée
d’Yves Klein seront également originales dès lors qu’elles ont
nécessité des choix arbitraires, tels que le choix de certains
matériaux et une combinaison de choix se manifestant par
l’agencement d’éléments y compris connus (31). Un texte
scientifique sera original même s’il est court et ne fait que
procéder à des descriptions, dès lors que le choix des mots
et/ou la construction des phrases ont nécessité, de la part
de son auteur scientifique et peut-être peu poète, des choix
arbitraires.
>
(24) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8. (25) Note sous Cass. 1re civ., 12 mai 2011, précitée, note 20 ; Comm. com. électr. 2011, n° 10, comm. 84. (26) TGI Seine, 2 nov. 1965, JCP 1966,
II, p. 14577, note Boursigot ; RTD com. 1964, 579, note Desbois ; CA Paris 8 juill. 1971, RIDA 1973, p. 134 ; TGI Paris, 6 juill. 1990, RIDA 1991, p. 348. (27) TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 2 fév.
2010, n° 06/02820. (28) Gaullier F., La preuve de l’originalité, une charge complexe – La preuve de l’originalité : mission impossible ?, RLDI 2011/70, n° 2334, p. 126. Le Tribunal de grande
instance de Paris (TGI Paris, ch. 3, 2e sec., 22 fév. 2008, n° 05/08007, <www.legifrance.gouv.fr>) avait, par exemple, débouté un photographe de son action en contrefaçon parce qu’il n’avait
pas indiqué les photographies « qui seraient éligibles à la protection revendiquée » et n’avait pas démontré « en quoi en l’espèce les différents éléments qui caractérisent chacun d’eux seraient
originaux et traduiraient un parti pris esthétique et l’empreinte de la personnalité ». Ce jugement a été réformé par la Cour d’appel de Paris (pôle 5, ch. 1, 27 janv. 2010, n° 08/04978), qui a
fort justement estimé qu’une « photographie, en ce qu’elle résulte de la captation instantanée d’une scène particulière, ne peut être précédée ni suivie d’aucune autre absolument identique ;
que, sauf à être produite par un procédé purement dépourvu de toute recherche ou finalité esthétique, elle suppose que l’opérateur prenne personnellement parti, certes de manière plus ou
moins délibéré, dans le choix du sujet, de son cadrage (…) » et que la société défenderesse à l’action en contrefaçon n’était donc « pas fondée à invoquer l’absence de preuve d’originalité
des photographies revendiquées (…) en affirmant que les explications de M. X. ne mettent en évidence “aucune démarche artistique du photographe avec une ligne directrice de son travail
qui serait sa marque de fabrique” », les éléments au débat démontrant suffisamment l’originalité. (29) CA Paris, pôle 5, ch. 1, 27 janv. 2010, n° 08/04978. (30) CA Paris, 4e ch., 4 mars 2009,
n° 07/12226. (31) Walravens-Mardarescu N., Les tables d’Yves Klein, peintre de l’Immatériel, protégées par le droit d’auteur, RLDI 2011/70, n° 2293, au sujet des décisions TGI Paris, 3e ch.,
1re sect., 9 nov. 2010 et CA Paris, pôle 5, ch. 2, 7 janv. 2011, RLDI 2011/68, n° 2224.
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O R I G I N A L I T É D ’ U N E A D A P TAT I O N E T D ’ U N E M I S E E N S C È N E T H É Â T R A L E S
Dans l’affaire ici commentée, et s’agissant en premier
lieu de l’adaptation théâtrale, le Tribunal de grande instance
a considéré que les textes sélectionnés par Agnès Arnau sont
« une compilation des textes de MM. Halimi et Guyard » ne
permettant pas de « déterminer son travail d’adaptation » (32).
La Cour d’appel de Paris relève au contraire que l’auteur démontre avoir choisi les lettres tirées de l’ouvrage d’André Halimi et composant la pièce, et avoir commandé d’autres textes
à un philosophe, destinés à être lus, ce qui était attesté par
ledit philosophe. Infirmant le jugement, la Cour d’appel estime
que l’œuvre est originale « en l’absence de tout élément produit
par les intimés propre à ruiner l’originalité de son travail de
conception et de formalisation ». L’originalité du travail de
l’adaptateur, révélateur de sa personnalité, résultait ainsi du
choix des lettres composant la pièce, alors que l’adaptateur
n’avait pas écrit ou adapté les textes sélectionnés.
S’agissant en second lieu de la mise en scène et de la
scénographie, le Tribunal a estimé que les choix de l’auteur
étaient « des éléments parcellaires et banals » : le fait qu’une
scène comporte une pièce au centre de la scène ; l’utilisation d’accessoires suspendus ; la présence d’une étagère de
bocaux ; le fait que le personnage principal, le visage grimé,
porte des gants blancs et qu’il saisisse un vêtement ou un
accessoire pour changer de personnage et lire la lettre correspondante ; l’utilisation d’extraits radiophoniques d’époque.
En outre, la présence des différentes personnes et la nécessité
pour un acteur unique d’endosser plusieurs rôles étaient,
pour le Tribunal, des choix dictés par le contenu des lettres
issues de l’ouvrage adapté. Pris individuellement, ces choix
ne permettaient donc pas, selon le Tribunal, d’accéder à la
protection du droit d’auteur.
Reprenant notamment le dossier de presse de l’auteur
de l’adaptation et les articles parus dans la presse et versés
aux débats (33), puisque le spectacle n’avait pas été fixé, la
Cour considère au contraire que « ces documents caractérisent
à suffisance le travail de mise en scène et de scénographie
d’Agnès Arnau dont l’originalité réside dans la combinaison
de ces caractéristiques et non pas dans chacune d’elle considérée individuellement, tel le recours à une voix off ou le
recours à un cintre auquel sont suspendus des objets, en sorte
que le moyen tiré de l’absence d’originalité de chacune de ces
caractéristiques est inopérant pour ruiner l’originalité de la
combinaison, laquelle rend compte de l’approche et des propos
d’Agnès Arnau et porte son empreinte personnelle » (34).
Ainsi, en présence de choix personnels opérés par celui qui
revendique la protection du droit d’auteur, le juge ne peut pas
exiger la démonstration d’« impressions tout à fait subjectives »
ayant présidé à la création, ni isoler une série de choix qui, pris
individuellement, pourraient être « banals » ou « commandés
par des contraintes », pour juger qu’un travail de création
(adaptation théâtrale, mise en scène, photographie, site internet, etc.) ne peut pas
bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur. Le juge
doit étudier l’ensemble du processus créatif, c’est-à-dire les
choix arbitraires conduisant à la création, le cas échéant en
étudiant la combinaison des choix, y compris les plus simples.
C’est exactement le sens de l’arrêt Infopaq et de la jurisprudence de la Cour de cassation évoquée dans le présent
commentaire. ◆
(32) TGI Paris, 2 févr. 2010, précité, note 27, p. 6. (33) Par exemple l’Humanité du 28 juillet 2008 : « la scénographie d’une belle sobriété, lui permet de se présenter sous nos yeux, tantôt
bourreau, tantôt victime, par un jeu de lumière assez subtil, qui signifie le changement de décor, tandis que sur les cintres sont posés quelques accessoires dont il s’empare l’un après l’autre »,
cité par CA Paris, 9 sept. 2011, précitée, note 6, p. 6. (34) Souligné par nous.
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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
Succession Giacometti :
le conflit en héritage
PPar A
Ariane
i
FUSCO-VIGNÉ
Avocat au Barreau
de Paris
RLDI
Chargée de cours
au master Droit
des biens culturels,
Université d’Avignon
2538
L’articulation entre le droit commun des successions, de l’indivision et des régimes matrimoniaux
appliqués aux spécificités du droit de la propriété littéraire et artistique relève souvent du grand
art et donne naissance à des conflits éprouvants pour les ayants droit mais passionnants pour les
professionnels du droit.
En voilà l’illustration au travers d’un contentieux relatif à la succession d’Alberto Giacometti,
succession qui alimente régulièrement les juridictions françaises.
TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 8 sept. 2011, Fondation Alberto et Annette Giacometti c/ Giacometti Stiftung Fondation et a., n° 11/05933, inédit
P
our en comprendre les enjeux, il convient de
rappeler qu’Alberto Giacometti est décédé le
11 janvier 1966, laissant pour lui succéder
sa veuve Annette Arm, ses frères Bruno et
Diego et son neveu Silvio Berthoud.
Annette Giacometti, décédée le 19 septembre 1993, avait
par testament appelé de ses vœux la création d’une fondation
qui mettra plus de dix ans à voir le jour (1).
Si cette fondation peut aujourd’hui se tourner réellement
vers la défense de l’œuvre d’Alberto Giacometti, action récemment couronnée de succès (2), c’est sans compter sur la
menace de conflit interne entre les indivisaires détenteurs des
droits moraux et patrimoniaux de l’artiste.
Rappelons qu’aujourd’hui ces détenteurs sont :
– la fondation Alberto Giacometti, constituée après la mort
d’Annette Giacometti ;
– la Giacometti Stiftung (créée en 1965) en qualité d’ayant
droit de Bruno Giacometti et ;
– les consorts Berthoud.
Or, ces derniers se sont récemment opposés sur la question
d’un éventuel abus notoire qu’auraient commis certains des
indivisaires dans le refus d’autoriser de nouvelles éditions de
sculptures en bronze de certaines œuvres d’Alberto Giacometti.
Selon une convention-transaction régularisée, le 7 avril
2004, les indivisaires précités se sont partagé les plâtres originaux ainsi que les fontes posthumes qu’avait fait réaliser
Annette Giacometti.
Par une autre convention régularisée le même jour, les
indivisaires ont établi les règles de gestion des droits moraux
et patrimoniaux de l’œuvre d’Alberto Giacometti : en vertu
de cette convention, la décision de procéder à l’édition de
nouvelles fontes en bronze doit être prise à l’unanimité. À
défaut, aucune nouvelle édition ne peut être entreprise par
les ayants droit.
Considérant que les consorts Berthoud et la Giacometti
Stiftung fondation s’opposaient systématiquement depuis 2005
à la réalisation de nouvelles éditions de bronze de certaines
des sculptures d’Alberto Giacometti, la fondation Giacometti
a saisi en avril 2011 le Tribunal de grande instance de Paris,
sur le fondement de l’article L. 122-9 du Code de la propriété
intellectuelle (3), aux fins de voir juger que leur refus était
constitutif d’un abus notoire.
Les défendeurs, la Giacometti Stiftung et les consorts Berthoud, ont contesté tout abus notoire et conclu également, outre
une exception d’incompétence et une demande de rejet de communication de pièces, à l’irrecevabilité de l’action de la fondation Giacometti dans la mesure où l’existence de la convention
conclue, le 7 avril 2004, et posant la règle de l’unanimité pour
toute fabrication de bronze, faisait obstacle à l’application de
l’article L. 122-9 du Code de la propriété intellectuelle.
Le Tribunal de grande instance devait donc trancher sur
le fond deux questions principales :
– celle de savoir si l’action de la fondation Giacometti
était recevable à agir sur le fondement de l’article L. 122-9
du Code de la propriété intellectuelle compte tenu des règles
d’indivision organisée contractuellement par les parties et ;
– celle de savoir si le refus, par deux des indivisaires,
d’autoriser la fabrication de nouveaux bronzes de certaines
sculptures de l’artiste constituait un abus notoire.
Seule la deuxième question retiendra notre attention.
Concernant la première, le Tribunal balaya l’argumentation
de la Giacometti Stiftung et des consorts Berthoud en considérant que la règle de l’unanimité établie par la convention
précitée, convention soumise au droit français, ne pouvait
faire obstacle à l’application de l’article L. 122-9 du Code de
la propriété intellectuelle, règle d’ordre public.
Quant à l’appréciation de l’abus notoire, le Tribunal va
considérer que, si la fabrication de nouvelles éditions en
>
(1) Les freins à sa constitution ont été notamment l’existence d’une procédure pénale pour abus de confiance d’un commissaire-priseur célèbre de la place de Paris et complicité d’abus de confiance
de l’exécuteur testamentaire d’Annette Giacometti (Cass. crim., 10 mai 2007, n° 06-81.866, Juris-Data, n° 2007-038894), la procédure opposant la directrice de l’Association Giacometti, créée
en 1989 par Annette Giacometti afin d’assurer la transition de l’œuvre jusqu’à la création de la fondation et son ancienne présidente, Mme Palmer (Cass. civ., 16 juill. 2000, n° 98-11.087, Mme Palmer
c/ M. Dumas ès qualités d’exécuteur testamentaire de la succession de Mme Giacometti et a.), et enfin, une certaine désaffection des pouvoirs publics. (2) La fondation a obtenu le démantèlement
d’un des plus grands trafics de faux et la condamnation du principal receleur et faussaire en avril et juillet 2011 par le Tribunal régional de Stuttgart en Allemagne ; voir Wachthausen J.-L., Procès des
faux Giacometti, Le Figaro, 8 avr. 2011, p. 29. (3) L’article L. 122-9 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’« en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage des droits d’exploitation
de la part des représentants de l’auteur décédé visés à l’article L. 121-2, le Tribunal de grande instance de Paris peut ordonner toute mesure appropriée. Il en est de même s’il y a conflit entre
lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence. Le Tribunal peut être saisi notamment par le ministre de la Culture ».
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bronze de certaines sculptures d’Alberto Giacometti pouvait
apparaître légitime, l’abus notoire de la Giacometti Stiftung
et des consorts Berthoud n’était pas en l’espèce caractérisé.
Par jugement du 8 septembre 2011, le Tribunal de grande
instance de Paris a donc débouté la fondation Giacometti de
l’intégralité de ses demandes.
Ce jugement est intéressant en ce qu’il rend compte de la
méthode utilisée par les magistrats afin de caractériser l’abus
notoire post mortem (I), appréciation rendue en l’espèce
délicate compte tenu de la nature des œuvres en cause (II).
I – L’APPRÉCIATION DE L’ABUS NOTOIRE
POST MORTEM
Constatant que les ayants droit de l’artiste, dans le respect
de la volonté d’Alberto Giacometti, œuvraient tous pour faire
rayonner son œuvre (A), les juges vont toutefois considérer
que des divergences quant aux modalités de diffusion et de
rayonnement de son œuvre étaient insuffisantes à caractériser
un abus notoire (B).
A. – La volonté de l’artiste à l’épreuve
de ses ayants droit
1 / La recherche de la volonté de l’artiste
La Cour de cassation a posé le principe selon lequel « le
droit de divulgation post mortem, s’il doit s’exercer au service
de l’œuvre, doit s’accorder à la personnalité et à la volonté
de l’auteur telle que révélée et exprimée de son vivant » (4).
Cette ligne directrice a été récemment rappelée dans une
affaire ayant opposé M. Miller, exécuteur testamentaire de
Jacques Lacan, contre l’Association des amis de Jacques Lacan (5). Dans cette affaire, les juges ont rappelé avec soin
que « le droit de divulgation d’une œuvre de l’esprit est, du
vivant de son auteur, un droit absolu qu’il appartient à lui seul
d’exercer. Ce droit comporte le droit de déterminer le procédé
selon lequel l’œuvre sera portée à la connaissance du public
et d’en fixer les conditions. À la mort de l’auteur, l’exécuteur
testamentaire désigné par celui-ci doit exercer ce droit au service de l’œuvre, en accord avec la volonté de l’auteur telle que
révélée et exprimée de son vivant ».
C’est donc en toute logique que les juges se sont en l’espèce
interrogés sur le fait de savoir si Alberto Giacometti avait voulu,
de son vivant, divulguer ses sculptures mais, surtout, s’il avait
manifesté, de manière implicite ou explicite, le souhait que
chacune de ses sculptures soient éventuellement rééditées.
Préalablement, le Tribunal, de manière rigoureuse, va se
demander si les sculptures en question avaient été considérées
comme achevées par l’artiste.
Le Tribunal va y répondre par l’affirmative après avoir
constaté que « Giacometti n’a jamais fait état d’une quelconque
réserve quant à l’état des tirages en bronze de ses sculptures
et qu’il a considéré que le tirage final de celles-ci constituait
le stade final de l’œuvre, les plâtres eux-mêmes pouvant être
enduits de gomme-laque ou sciés, s’ils étaient trop grands, en
vue de la fonte des épreuves en bronze » (souligné par nous).
Aussi, constatant que les plâtres ayant servi de moule à
chacune des sculptures objet du litige n’avaient jamais fait
l’objet d’ajustement, ces moules devaient être considérés
comme achevés.
Constatant ensuite que les œuvres en cause avaient toutes
été éditées en bronze et divulguées du vivant de l’artiste, parfois rééditées plusieurs années après leur création pour être
exposées, et ce avec son autorisation et sous sa responsabilité,
le Tribunal va conclure que l’artiste, d’une part, avait souhaité
de son vivant que son œuvre soit accessible au public et que,
d’autre part, la réédition de certaines de ses sculptures attestait
de son consentement implicite à de tels actes d’exploitation.
2 / Le respect de la volonté de l’artiste
par ses ayants droit
Le Tribunal va ensuite sans surprise se demander si cette
volonté était bien respectée par ses ayants droit, ces derniers
ne devant être que « l’agent d’exécution » de la volonté de
l’auteur (6). Le Tribunal va ainsi relever que la Giacometti
Stiftung, défenderesse, comme la fondation Giacometti,
demanderesse, œuvraient toutes deux au rayonnement de
l’œuvre de l’artiste et que, surtout, des bronzes avaient été
réalisés post mortem tant par sa veuve, Annette, que ses frères
Diego et Bruno Giacometti et son neveu, Silvio Berthoud, ce
dernier élément paraissant particulièrement important quant
à la caractérisation d’un éventuel abus.
La légitimité des demandes de la fondation Giacometti,
dès lors que la preuve que ces sculptures avaient bien été
éditées en moins de 12 exemplaires chacune était rapportée,
était-elle suffisante à caractériser un abus notoire ? Autrement
dit, lorsqu’une convention prévoit l’unanimité des voix des
indivisaires afin de faire fabriquer de nouvelles éditions de
bronze, le refus opposé par deux des indivisaires recèle-t-il
un abus notoire ? Les juges vont répondre par la négative à
cette question.
B. – Le droit de la propriété intellectuelle
à l’épreuve du droit de l’indivision
1 / Définition de l’abus notoire
L’abus consiste à faire un mauvais usage d’une prérogative
juridique (7). L’adjonction du qualificatif « notoire » implique
que cet abus doit être évident (8). Il doit d’autant plus l’être
en l’espèce puisque, à la différence de la propriété industrielle,
l’obligation d’exploiter est étrangère au droit de la propriété
littéraire et artistique (9). Dès lors, l’admission du caractère
abusif de l’usage ou du non-usage des droits d’exploitation
doit conserver un caractère exceptionnel.
Afin d’illustrer cette définition restrictive, on pense à
l’affaire Foujita, que les défendeurs n’ont certainement pas
manqué d’évoquer. Il s’agit d’une des rares jurisprudences à
avoir abordé la question de l’abus notoire dans le non-usage
d’un droit d’exploitation.
(4) Cass. 1re civ., 3 nov. 2004, n° 03-11.011, Balsan, Juris-Data, n° 2004-02543. (5) CA Paris, ch. 4, sect. B, 13 mars 2009, n° 07/07875. (6) Pollaud-Dulian F., Le droit de divulgation de l’auteur
et la théorie de l’abus de droit, JCP G, 27 mai 2009, II, n° 22, p. 10093. (7) Cornu G., Vocabulaire juridique, PUF, 2011. (8) Sur la question de l’abus de droit, voir la thèse de Caron C., Abus de
droit et droit d’auteur, Litec, 1998. (9) Vivant M. et Bruguière J.-M., Droit d’auteur, Dalloz 2010, n° 961.
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Jacques Lacan qui considérait lui-même la mise en forme de
Dans cette affaire, rappelons qu’un éditeur, qui souhaitait
ses conférences comme un travail long et difficile. »
publier un ouvrage sur Foujita illustré de reproductions de ses
Le Tribunal devait donc en l’espèce s’attacher à caractéœuvres, se heurtait, de la part de la veuve du peintre, à un refus
riser en quoi le refus opposé par les indivisaires des droits
de lui accorder le droit de reproduire des œuvres. Il invoqua en
d’exploitation attachés à l’œuvre d’Alberto Giacometti pouvait
conséquence l’abus notoire dans le non-usage du droit d’exêtre susceptible d’être manifestement abusif.
ploitation et le Tribunal de grande instance de Nanterre (10),
Quant aux faisceaux d’indices permettant de le caractéripuis la Cour d’appel de Versailles (11) lui donnèrent raison.
ser, la Cour d’appel de Versailles (18), dans l’affaire Foujita,
Par un arrêt du 28 février 1989, la Cour de cassation
a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles (12) : « en
énonce que la preuve du caractère abusif « peut résulter des
conditions dans lesquelles le refus intervient, compte tenu
statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le 26 janvier
notamment de la volonté éventuellement exprimée par l’au1987, Mme Foujita avait conclu avec la société Hachette-Japon,
teur, de son vivant, des publications déjà faites ou des motifs
filiale de la Librairie Hachette, un contrat qui prévoyait la puinvoqués à l’appui du refus ».
blication d’un “recueil des œuvres” de Foujita préparé avec sa
Enfin, rappelons que la charge de la preuve repose bien évicollaboration, sans qu’il soit soutenu que cet ouvrage ne ferait
demment sur celui qui invoque l’abus
pas l’objet d’une diffusion en France, la
notoire.
Cour d’appel n’a pas caractérisé l’abus
Le Tribunal devait
manifeste commis par Mme Foujita dans
2 / Caractérisation de l’abus
en l’espèce s’attacher
en l’espèce
l’exercice de ses droits(…) ».
à caractériser en quoi
Les juges, dans la droite ligne des
Sur cette affaire, Françon écrivait
le refus opposé
jurisprudences précitées, vont tenter
que « la Cour de cassation entend ne
de caractériser l’abus notoire en tenant
recourir qu’avec la plus grande prudence
par les indivisaires
compte de :
aux sanctions de l’article 20 dans le cas
des droits d’exploitation
« – la diffusion actuelle de son œuvre
où il y a non-usage du droit d’exploitaattachés à l’œuvre
en
fonction
des tirages réalisés ;
tion par les héritiers de l’auteur » (13).
d’Alberto Giacometti
– des circonstances factuelles entouIl faut donc que ce soit un abus évident,
pouvait être susceptible
rant l’exploitation envisagée et ;
patent, comme le souligne également
d’être manifestement
– de la légitimité des motifs évoqués
le professeur Kerever (14) qui estime
abusif.
au soutien du refus d’exploitation. »
que la cassation prononcée dans l’arrêt
Ces derniers vont tout d’abord
Foujita montre la volonté de restreindre
considérer que la demanderesse ne rapportait pas la preuve,
les cas où les juges du fond peuvent écarter les droits exclusifs
difficile au demeurant, que la diffusion auprès du public de ces
exercés par l’ayant droit de l’auteur. S’il est vrai que la Cour
œuvres serait insuffisante pour en assurer le rayonnement. Ils
d’appel de renvoi de Rennes (15) a pu juger par la suite que
vont, à l’appui de cette affirmation, constater que les défenla veuve de l’artiste avait finalement commis un abus dans
deurs pratiquaient eux-mêmes une politique active de prêts
la non-exploitation de l’œuvre du peintre, il reste que l’arrêt
pour en favoriser la diffusion. Les juges vont donc conclure que
de la Cour de cassation, par l’arrêt précité, a entendu définir
la fondation échouait à rapporter la preuve d’un abus notoire et
strictement l’abus notoire (16). En définitive, le contrôle du
en conséquence la débouter de l’intégralité de ses demandes.
juge en la matière ne saurait être un simple contrôle d’opporEnfin, afin de compléter leur analyse, les juges vont relever
tunité mais seulement celui des abus manifestes qui pourraient
que les modalités de réalisation de la fonte des bronzes ne
être commis par les ayants droit de l’artiste.
respectaient pas la convention conclue le 7 avril 2004 et que
Cette interprétation est constante pour avoir été récemment
les conditions de la vente d’une des œuvres (L’homme qui marche)
rappelée par l’arrêt précité relatif à la succession de Jacques Lacan (17) : « La condition de notoriété implique l’évidence de
posaient des problèmes vis-à-vis du droit au respect de l’œuvre.
Le Tribunal a donc considéré que les héritiers, quand
l’abus. Le passage à l’écrit d’une œuvre orale dont l’auteur a
bien même respecteraient-ils la volonté de l’artiste, devaient
disparu ne peut se faire au rythme de celui qui s’est réalisé en
rester maîtres des modalités de diffusion et de rayonnement
sa présence. En conséquence, l’abus notoire dans le non-usage
de son œuvre, et qu’il n’a pas en conséquence le pouvoir de
du droit de divulgation par l’exécuteur testamentaire des œuvres
contrôler les modalités de gestion d’une succession : c’est la
de Jacques Lacan n’est pas caractérisé, alors que le souci de ne
liberté des ayants droit qui doit primer. Le juge est là pour
pas trahir la pensée de l’auteur qui n’est plus là pour éclairer et
sanctionner un abus notoire, non des divergences de choix
guider le travail de transcription et d’écriture allonge le temps
dans les modalités de diffusion et de rayonnement entre ayants
de la réflexion sans qu’il puisse en être fait grief à l’exécuteur
droit de l’œuvre d’un artiste.
testamentaire auquel au surplus aucun délai ne fut imposé par
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CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
>
(10) TGI Nanterre, 9 juin 1986, RIDA 1986, p. 163 ; TGI Nanterre, 15 sept. 1986, RIDA 1987, p. 268 ; RTD com. 1987, p. 60, obs. Françon. (11) CA Versailles, 1re ch., 3 mars 1987, RIDA 1988,
p. 160 ; D. 1987, jur., p. 382, note Edelman B. (12) Cass. 1re civ., 28 févr. 1989. (13) RIDA 1989, p. 257, note Françon. (14) Kerever A., RIDA 1991, p. 107. (15) CA Rennes, 16 nov. 1990,
RIDA 1991, p. 168. (16) Pollaud-Dulian F., Le droit d’auteur, Economica, 2006, p. 340 et s. : « Il est vraisemblable que la Cour de cassation ait voulu prévenir toute dérive pouvant aboutir à
affaiblir le droit exclusif des héritiers et à susciter une multiplication des litiges, en insistant sur la nécessité d’établir le caractère notoire, qu’elle donne pour synonyme de “manifeste”. En d’autres
termes, l’admission de l’abus doit rester exceptionnelle. » (17) CA Paris, ch. 4, sect. B, 13 mars 2009, n° 07/07875 précité. (18) CA Versailles, 1re ch., 3 mars 1987, RIDA 1988, p. 160 ; D. 1987,
jur., p. 382, note Edelman B.
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Un dernier argument, qui mérite à lui seul d’être commenté dans la seconde partie de ce commentaire, a également été pris en compte par les juges afin de caractériser
l’absence d’abus notoire de la part des défendeurs. Cet
argument tient de l’évolution législative de la définition
légale du droit de suite.
II. – L’INFLUENCE DE LA NATURE DES ŒUVRES
EN CAUSE
Dans cette affaire, bien que la preuve du caractère manifeste de l’abus n’ait pas été rapportée, il est certain que les
juges ont fait montre de prudence compte tenu de la remise
en cause du droit d’exploitation dont la fondation Giacometti
requérait la mise en œuvre (A). D’un comportement abusif, la
Giacometti Stiftung et les consorts Berthoud se seraient-ils au
contraire comportés en bon père de famille ? (B).
A. – La remise en cause du droit de reproduction
post mortem de fontes en bronze
Contrairement à une œuvre audiovisuelle ou un tableau,
une même sculpture peut être dupliquée en plusieurs exemplaires tout en étant considérée comme originale de sorte
qu’il existera sur le marché une pluralité d’originaux (19).
Dans cette hypothèse, la notion d’originalité ne doit pas être
entendue comme condition d’accès à la protection par le droit
d’auteur mais comme condition d’application du droit de suite,
qui permet aux artistes et à leurs héritiers de percevoir un
pourcentage sur le prix obtenu lors de toute revente d’œuvres
effectuée par les professionnels du marchée de l’art.
Concernant les sculptures, la notion d’œuvre originale est
définie par les dispositions relatives au droit de suite dont elle
est l’un des critères d’application (article L. 122-8 du Code de la propriété
intellectuelle (20)). En application de ce texte, le droit de suite
n’a vocation à jouer qu’en présence d’« œuvres originales ».
Aussi, à quelles conditions des tirages de bronze peuvent être
considérés comme des œuvres originales ?
Un arrêt de la Cour de cassation (21), reprenant les principes posés par les célèbres affaires Rodin 1 et Rodin 2 (22) rappelle que le bronze original se caractérise par trois éléments :
– un tirage limité à 12 exemplaires : ce chiffre ressort
de l’article 98A issu du décret du 27 février 1995 relatif à la
définition des biens d’occasion, des œuvres d’art, des objets
de collection et d’antiquité pour l’application des dispositions
relatives à la taxe sur la valeur ajoutée et qui considère comme
œuvres d’art « les fontes de sculptures à tirage limité à huit
exemplaires et contrôlées par l’artiste ou ses ayants droit ». À
ces huit exemplaires ont été ajoutés, par le code de déontologique des fonderies d’art signé le 18 novembre 1993, les
quatre épreuves d’artiste numérotées I/IV à IV/IV (article 3) ;
– des exemplaires « strictement et en tous points identiques » aux épreuves agréées par l’artiste lui-même ;
– des exemplaires réalisés à partir d’un plâtre original fabriqué par le sculpteur personnellement, et ce peu important
que le tirage ait été fabriqué du vivant de l’artiste.
C’est cette dernière condition qui était en l’espèce problématique.
Un bref historique s’impose : cette condition avait été posée
par l’arrêt Rodin 2 (23) précité qui avait considéré que « le
fait que le tirage limité des épreuves en bronze soit postérieur
au décès du sculpteur n’a aucune influence sur le caractère
d’œuvre originale et de création personnelle – de la part du
sculpteur – revêtu par ces épreuves, ni sur l’exercice du droit
de suite en cas de vente de l’une d’elles ».
Aussi, la jurisprudence admettait l’originalité des tirages
réalisés tant du vivant de l’artiste que post mortem aux fins
d’application du droit de suite.
La fondation Giacometti se fondait donc sur cette interprétation extensive de la définition d’une œuvre originale
pour solliciter l’autorisation de faire fabriquer, dans la limite
de 12, de nouvelles éditions.
Or après avoir pris soin de constater que l’édition en
bronze des œuvres objet du litige « n’avait pas atteint à ce
jour le tirage maximum de 12 exemplaires définissant l’œuvre
originale et que de nouvelles fontes pouvaient être réalisées
dans cette limite », les juges vont toutefois considérer que le
fondement sur lequel elle légitimait sa demande, savoir la
jurisprudence Rodin, semblait aujourd’hui caduc.
En effet, il semblerait que les éditions de bronze faites
à titre posthume ne devraient plus, depuis la transposition,
par la loi du 1er août 2006, de la directive européenne du
27 septembre 2001 destinée à harmoniser le droit de suite
sur l’ensemble du territoire communautaire, pouvoir être
qualifiées d’œuvres originales.
L’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle issu
de cette transposition définit les œuvres originales, comme
des « œuvres créées par l’artiste lui-même et les exemplaires
exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa
responsabilité ». Une partie de la doctrine (24) a considéré que
la formule de l’article L. 122-8, alinéa 2, visant les « exemplaires
exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa
responsabilité » condamnait la jurisprudence dite Rodin en
excluant par principe que le droit de suite puisse porter sur des
tirages posthumes et que ces termes indiquaient « clairement
que les exemplaires originaux doivent être exécutés du vivant
de l’artiste »..
Le décret du 9 mai 2007 pris pour l’application de l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle conforterait
cette position puisqu’il vient préciser que « les œuvres exécutées
en nombre limité d’exemplaires et sous la responsabilité de
(19) Sur la question des œuvres à originaux multiples et le cas particulier des bronzes, voir Lucas-Schloetter A., La contrefaçon artistique : état des lieux », Comm. com. électr. 2011, étude 3.
(20) C. propr. intell., art. L. 122-8 : « Les auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques, ressortissants d’un État membre de la Communauté européenne ou d’un État partie à l’accord sur
l’Espace économique européen, bénéficient d’un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre après la première cession opérée par l’auteur
ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art. Par dérogation, ce droit ne s’applique pas lorsque le vendeur
a acquis l’œuvre directement de l’auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 €. On entend par œuvres originales au sens du présent article
les œuvres créées par l’artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité (…). » (21) Cass. crim., 22 mai 2002, n° 01-86.156
et n° 99-86.208, Juris-Data, n° 2002-015332 ; Comm. com. électr. 2002, comm. 150, obs. Caron C. (22) Cass. 1re civ., 18 mars 1986, aff. Rodin, Bull. civ. 1986, I, n° 71 ; Cass 1re civ., 5 nov.
1991. (23) Cass. 1re civ., 5 nov. 1991, Bull. civ. 1991, I, n° 303.
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l’auteur sont considérées comme œuvres d’art originales (…)
si elles sont numérotées ou signées ou dûment autorisées d’une
autre manière par l’auteur » (25). D’autres auteurs (26) ont au
contraire considéré que cette interprétation ajoutait au texte
de la loi une condition que celle-ci ne posait pas.
Quoi qu’il en soit, l’incertitude quant au maintien de la
qualification d’œuvres originales de bronze éditées à titre posthume a influencé la décision commentée : « par ailleurs, ils
[les défendeurs] font observer à juste titre que, depuis la loi du
1er août 2006 réformant le droit de suite, il existe actuellement
une incertitude sur le maintien de la qualification d’œuvres
originales de bronzes édités à titre posthume qui doit inciter
les ayants droit de l’artiste à la prudence ».
En l’état, il était donc hasardeux de conclure, comme le
faisait la fondation Giacometti, que le titulaire du droit de
reproduction sur cette œuvre pouvait librement faire fondre
des bronzes originaux à partir du plâtre, dans la limite de
12 éditions.
Leurs demandes avaient finalement une légitimité bien
fragile. Dans ces conditions, il était encore plus difficile de
reprocher aux défendeurs de commettre un quelconque abus
notoire dans le non-usage de leur droit d’exploitation dès lors
que la réalisation d’épreuves originales posthumes se heurtait
à la nouvelle définition légale posée par l’article L. 122-8 du
Code de la propriété intellectuelle.
B. – De l’abus notoire à la gestion de bon père
de famille ?
La fondation Giacometti a échoué à rapporter la preuve
d’un abus notoire. Mais les incertitudes planant sur l’avenir de
la définition de l’originalité des bronzes posthumes était-il un
argument si pertinent ? Si, certes, le droit de suite n’était plus
applicable aux bronzes posthumes, la fondation Giacometti
prenait le risque de s’amputer d’un financement précieux lié
à l’application du droit de suite mais cela n’ôtait pas pour
autant à ces sculptures leur caractère licite.
Les juges, en faisant leur cet argument, s’attaquaient implicitement à la délicate question de la spécificité du marché
de l’art liée à la rareté des œuvres qui y sont échangées.
Procéder ainsi à de nouvelles reproductions, considérées
ou pas comme originales au sens de l’article L. 122-8 du Code
de la propriété intellectuelle, était susceptible de créer un
risque de perturbation sur le marché de l’art en raison de la
coexistence d’exemplaires considérés comme des exemplaires
originaux et d’autres comme de simples reproductions et donc
un risque de voir la cote de l’artiste se déprécier. Rejeter les
demandes de la fondation Giacometti permettait donc, peutêtre, indirectement, de protéger la cote de l’artiste et son
œuvre dans son ensemble.
Walter Benjamin (27) affirmait à cet égard que les œuvres
d’art ont toujours été reproductibles, car « ce que des hommes
avaient fait, d’autres pouvaient toujours le refaire », tout en
nuançant aussitôt son propos : « À la plus parfaite reproduction
il manquera toujours une chose : le hic et nunc de l’œuvre d’art,
l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve » (souligné
par nous). Aussi la reproduction d’une œuvre sera toujours
privée de l’aura, « trame singulière d’espace et de temps »,
qui s’attache à l’original…
Ce raisonnement ne semble toutefois pas trouver écho
dans la sphère économique concernant l’œuvre de Giacometti :
rappelons que L’homme qui marche I d’Alberto Giacometti a
été vendu 65 millions de livres alors même qu’il ne s’agissait
pas de l’œuvre unique mais de l’un des dix exemplaires originaux de cette œuvre…
L’absence d’« aura » ne semble pas refroidir outre mesure
les collectionneurs… ◆
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
(24) Voir not. Pollaud-Dulian F., L’Estampille-L’objet d’art, 2007, p. 94-95 ; Duret-Robert F., Droit du marché de l’art, Dalloz 2010, p. 522. (25) Article R. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle,
issu du décret n° 2007-756 du 9 mai 2007. (26) Deblanc O., Les bronzes d’art à prix d’or (à propos de la vente de L’homme qui marche d’Alberto Giacometti), Comm. com. électr. 2010, étude 22 ;
Edelman B., L’Estampille-L’objet d’art, 2007, précité, p. 98-99. (27) Benjamin W., L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Gallimard, Paris, 2008.
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PPar Vé
Véronique
i
DAHAN
Et Ch
Charles
l
BOUFFIER
Avocat à la Cour
August & Debouzy
Avocat à la Cour
August & Debouzy
Zoom sur la question
de l’originalité
des photographies
« pack-shot »
RLDI
Retour sur la décision de la Cour d’appel de Paris du 16 septembre 2011
qui a considéré comme caractérisé le caractère original des photographies
en cause. Que faut-il en penser ?
Me Véronique Dahan et Me Charles Bouffier nous livrent leur analyse.
2539
D
CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept. 2011, RLDI 2011/76, n° 2503
ans un arrêt du 16 septembre 2011,
la Cour d’appel de Paris condamne
la société Caudalie à indemniser un
photographe professionnel en raison
de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux et moraux du fait de l’utilisation de photographies
dites de « pack-shot », sans autorisation ni mention du nom
du photographe.
La société Caudalie, spécialisée dans la fabrication et la
commercialisation de produits de beauté réalisés à partir
de pépins de raisin, avait fait appel entre 2000 et 2004 à un
professionnel pour la réalisation de photographies destinées
à mettre en image ses produits (photographies dites de « pack-shot »).
Estimant que la société Caudalie exploitait plusieurs de ses
photographies sans avoir conclu avec lui de contrats de cession
de droits, le photographe assigna en contrefaçon la société
devant le Tribunal de grande instance de Paris. Le Tribunal le
débouta presque intégralement de ses demandes, considérant
qu’il ne rapportait pas la preuve de sa qualité d’auteur sur
certaines des photographies en cause et que, pour les autres,
il n’établissait pas l’originalité de son apport. Le photographe
interjette appel et la décision est infirmée.
Pour la Cour, le contexte de la collaboration et surtout
la possession par le photographe appelant d’« Ektachrome »
des photographies litigieuses constituent une présomption
de sa qualité d’auteur que la société intimée ne parvient
pas à renverser. Cette dernière ne parvient pas non plus à
convaincre de ce qu’elle aurait privé le photographe de tout
apport créatif par la précision de ses directives d’exécution.
Appliquant une méthode désormais classique en jurisprudence
et qui sera développée ci-après, la Cour conclut à l’originalité
de l’ensemble des photographies sur lesquelles l’appelant
entendait faire valoir ses droits. Dès lors, faute d’avoir conclu
avec le photographe un contrat de commande d’œuvres
publicitaires respectant les exigences de l’article L. 132-31
du Code de la propriété intellectuelle, la société Caudalie ne
justifie pas avoir été investie des droits dont elle se prévaut.
Elle est donc condamnée à réparer les atteintes portées au droit
moral et aux droits patrimoniaux du photographe résultant
de la reproduction non autorisée et non créditée des œuvres
de ce dernier à des fins promotionnelles.
L’intérêt de cet arrêt est double : il confirme la force probante de la possession d’« Ektachrome » par le photographe en
matière de preuve de sa qualité d’auteur (I). Il illustre surtout
la casuistique qui règne en jurisprudence quant à l’éligibilité
de photographies dites de « pack-shot » à la protection par le
droit d’auteur (II).
I. – RÔLE PROBATOIRE ATTACHÉ À LA POSSESSION
MATÉRIELLE, PAR L’ASPIRANT AUTEUR,
D’« EKTACHROME» DE SES PHOTOGRAPHIES
Un « Ektachrome » est « un film en couleurs inversible »
selon la définition qui en est donnée par le dictionnaire Larousse (1), c’est-à-dire un film à partir duquel on peut obtenir
une image positive en le développant par inversion. Ce type de
support se rencontre en matière de photographie analogique,
où « toute exploitation professionnelle requiert le transfert physique d’un support intermédiaire négatif ou Ektachrome » (2).
En l’espèce, l’appelant entendait prouver sa qualité d’auteur des photographies litigieuses en se fondant notamment
sur la détention matérielle d’« Ektachrome » de celles-ci. La
société Caudalie lui déniait fermement cette qualité, au motif
que « la seule détention des Ektachrome, copies d’Ektachrome
ou fichiers numériques » ne saurait suffire à la prouver.
La Cour, après avoir relevé « qu’il est acquis aux débats
que [l’appelant] a travaillé entre 2000 et 2004 à la demande de
la société Caudalie pour la réalisation de visuels destinés à être
reproduits dans son catalogue et sur les conditionnements de
certains de ses produits », considère « que dans un tel contexte
(1) <www.larousse.fr>. (2) Latreille A., La création photographique face au juge : entre confusion et raison, Légipresse 2010, n° 274, p. 139 et s.
28
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
d’auteur de l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellecla possession par [le photographe] des Ektachrome constitue
tuelle en vertu de laquelle « la qualité d’auteur appartient sauf
une présomption de sa qualité d’auteur » (souligné par nous).
preuve contraire, à celui ou ceux sous le nom de qui l’œuvre
Ce faisant, la Cour confirme une jurisprudence désormais
est divulguée » (6).
bien établie en vertu de laquelle la « détention matérielle [d’un]
Ektachrome ne [suffit] pas à établir la qualité d’auteur », sauf à
ce que cette détention soit « confort[ée] » par d’autres éléments
II. – APPRÉCIATION IN CONCRETO DE L’ORIGINALITÉ
ou indices à partir desquels il est permis de déduire la qualité
DE PHOTOGRAPHIES DITES DE « PACK-SHOT »
d’auteur du détenteur matériel des « Ektachrome » en cause (3).
Les articles 1349 et 1353 du Code civil autorisent en effet
En matière d’originalité de photographies, la jurisprudence
l’admission de présomptions permettant aux magistrats de
a pu dégager depuis plusieurs dizaines d’années une méthode
déduire de faits connus (la détention matérielle d’un « Ektachrome », l’existence
d’appréciation qui repose sur des critères précis : choix du
cadrage et des angles de prise de vue, choix des focales et des
d’une collaboration professionnelle entre les parties, etc.) un fait inconnu (la quapellicules, contrastes des couleurs, jeux des lumières, etc. (7)
lité d’auteur du détenteur matériel des « Ektachrome »). Toutefois, seules sont
admises « les présomptions graves, précises et concordantes ».
Le présent arrêt illustre parfaitement la mise en œuvre de
Est-ce à dire que seul un faisceau de plusieurs indices
ces critères par les juges du fond, appliqués au cas particurendrait admissible une présomption du fait de l’homme ?
lier de photographies dites de « pack-shot ». Pour rappel, un
Doctrine et jurisprudence ne vont pas
« pack-shot » est défini officiellement
nécessairement dans ce sens (4), mais
comme un « plan permettant l’identiMême lorsqu’elle est
fication d’un produit » (8). L’encyclola réponse semble cependant positive en
admise, la présomption
matière de droit d’auteur, car admettre
pédie libre en ligne Wikipédia évoque
que la seule détention matérielle par un
« une photographie de haute qualité
de paternité fondée
photographe d’un « Ektachrome » puisse
d’un produit sur un fond le plus souvent
sur la détention matérielle
suffire à établir sa qualité d’auteur des
uni servant à présenter le produit sur
d’un « Ektachrome » est
photographies qui y sont incorporées
catalogue, sur un site web ou encore
une présomption simple,
irait à l’encontre des dispositions de
dans une démarche de contrôle qualité
c’est-à-dire susceptible
l’article L. 111-3, al. 1er, du Code de la
au sein d’une entreprise » (9). Il s’agit
de preuve contraire.
propriété intellectuelle selon lesquelles
donc d’une photographie publicitaire
« la propriété incorporelle définie par
dont l’originalité n’est généralement
l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet
pas évidente au premier abord dès lors qu’elle se limite soumatériel ». Dès lors, comme le relève très justement le provent en pratique à mettre en image un produit.
fesseur Sirinelli, « conçue pour mieux protéger les auteurs et
En l’espèce, alors que la question de l’originalité de l’apport
issue d’un texte voulant rompre avec les solutions antérieures
du photographe était justement contestée par la société intimée,
contraires, la règle, par un effet boomerang dévastateur, laisse
la Cour prend soin de caractériser « une réflexion préalable du
(…) un créateur sans défense contre ceux qui exploitent son
photographe dont rendent compte ses choix de composition, de
œuvre ! » (5).
cadrage, d’angle de prise de vue et l’importance du travail sur
la lumière (ses sources, sa direction, la recherche d’effets, de
Même lorsqu’elle est admise, la présomption de paternité
reliefs), les contrastes et les couleurs ». Elle conclut que « ces
fondée sur la détention matérielle d’un « Ektachrome » est
photographies ont pour objet et pour effet de mettre en valeur
une présomption simple, c’est-à-dire susceptible de preuve
et de promouvoir des produits en les rendant attractifs et en
contraire. En l’espèce, la Cour a pris soin de préciser que la
faisant notamment ressortir les qualités esthétiques de leurs
présomption retenue « est corroborée par le fait que la société
conditionnement », et « qu’il ne s’agit pas seulement de la
Caudalie ne produit aucune pièce qui permettrait d’attribuer
mise en œuvre d’un savoir-faire mais bien de choix qui reflètent
à un autre auteur que l’appelant la paternité des œuvres phol’approche personnelle de l’auteur, quand bien même l’idée
tographiques qu’il revendique ».
de recourir à des grappes de raisin entourées d’un ruban et à
À noter enfin que cette présomption du fait de l’homme
des pépins a-t-elle pu lui être fournie par la société Caudalie ».
peut être renversée par une présomption légale. En particulier,
À cet égard, la Cour refuse de faire droit à l’argument de
la seule détention matérielle d’un « Ektachrome » n’est pas
la société intimée selon lequel « l’appelant ne démontre pas
suffisante pour détruire la présomption de titularité de droits
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
>
(3) CA Paris, 10 déc. 1991, Jean-Louis David c/ Société Saneva, n° 90/010531 ; CA Paris, 4e ch., 28 mai 2003, M. Laguens c/ Universal Music, Propr. intell. 2003, n° 9, p. 378, 1re esp., note
Sirinelli P. : « la seule propriété de l’Ektachrome correspondant à la photographie en cause est (…) insuffisante à établir [la] qualité d’auteur ». Voir également : TGI Paris, 27 nov. 2007, M. Claude G.
c/ Société La Martinière Groupe, n° 07/10531 : « Le fait de détenir un Ektachrome ne peut que corroborer une présomption de paternité de droit d’auteur et non de titularité des droits qui ne
dispose pas d’une telle présomption et peut servir à établir pour un auteur contre un autre auteur sa paternité. » (4) Voir Terré F., Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 6e éd., n° 465,
citant Cass. 2e civ., 28 oct. 1970, JCP 1070, IV, p. 300 et Cass. 3e civ., 28 nov. 1972,, JCP 1972, 1073, IV, p. 15 : « ce n’est pas aller au-delà de la lettre et de l’esprit du texte que d’autoriser le
juge à former sa conviction sur un fait unique, si celui-ci lui paraît de nature à établir la preuve nécessaire ». (5) Sirinelli P., note sous CA Paris, 4e ch., 28 mai 2003, précité. (6) CA Paris, 4 sept.
2009, M. Claude G. c/ Société La Martinière Groupe, n° 07/22016 : « Considérant que la photographie n° 1 a été divulguée sous le nom de M. G. dans une publication “Palm Beach” ; que
Mme Yoyo M. produit un Ektachrome relatif à cette photographie ; que néanmoins, la seule possession de ce document n’est pas suffisante pour détruire la présomption de titularité de droits
d’auteur qui résulte de la publication sous le nom de M. G. » (7) Voir sur ce point, Gaullier F., La preuve de l’originalité : mission impossible ?, RLDI 2011/70, n° 2334, Dossier spécial : « L’originalité
en photographie », p. 126 et s. (8) Arrêté du 24 janvier 1983 relatif à l’enrichissement du vocabulaire de l’audiovisuel et de la publicité ; voir le terme « plan produit » (traduction française officielle
de « pack-shot »). (9) <http://fr.wikipedia.org/wiki/Packshot>.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
29
Z O O M S U R L A Q U E S T I O N D E L’ O R I G I N A L I T É D E S P H OTO G R A P H I E S « PA C K - S H OT »
en quoi sa participation à la réalisation des photographies qui
ne sont que la représentation fidèle de produits cosmétiques
et de leur conditionnement peut leur conférer une originalité
quelconque (…) dans la mesure où [ce dernier] n’a fait que
procéder à des choix purement techniques qui relèvent d’un
simple-savoir faire qu’il a mis en œuvre sous sa direction ». Il
arrive en effet que ce moyen de défense, consistant à qualifier
de simple savoir-faire dénué de toute originalité l’apport du
photographe, emporte la conviction des juges du fond (10).
En l’espèce toutefois, « la société Caudalie n’établit nullement
la nature des directives précises et impératives qu’elle aurait
données à M. B. pour chacune des photographies en cause et
dont la précision aurait été telle qu’elle aurait privé celui-ci
de tout apport créatif ». Dès lors, en raison de cette insuffisance probatoire, la Cour conclut à l’originalité de l’apport
du photographe, et l’argument de la société intimée selon
lequel ces « photographies seraient des œuvres collectives »
est également écarté.
S’il est certain qu’une grande casuistique existe en jurisprudence en matière d’appréciation de l’originalité de photographies publicitaires, cet arrêt révèle néanmoins, au même
titre que certaines décisions récentes, que celle-ci dépend
largement voire exclusivement de l’autonomie dont jouit le
photographe. Une appréciation in concreto est donc de rigueur.
Ainsi, dans un arrêt du 9 mars 2011, les juges aixois ont
considéré qu’une photographie réalisée par un photographe
professionnel dans le cadre d’un contrat de commande et
représentant une jeune fille de dos tenant une boule de
bowling, « ne révèle aucune recherche dans les éclairages, la
tonalité des fonds, l’environnement, le cadrage et les angles
de prises de vue et [le photographe] n’explique pas en quoi
ceux-ci seraient particuliers » : le cliché, résultant « d’une
commande du publicitaire (…) ne constitue ainsi qu’une
prestation de services techniques ne traduisant qu’un savoirfaire » (11).
Inversement, dans un arrêt du 5 avril 2011, la Cour
d’appel de Pau a conclu à l’originalité de photographies
de produits de couture réalisées par un non-professionnel
et reproduites dans des catalogues. La Cour relève tout
particulièrement l’absence de « directive technique quant
à l’angle de vue, l’éclairage, le cadrage, les contrastes de
couleur et reliefs, la composition et la mise en scène, le jeu
des lumières, le choix des objectifs, qui relèvent de la seule
initiative [du photographe] qui opère seul », et conclut que
ce dernier « jouit d’une liberté d’action lui permettant, par
l’expression d’une véritable créativité, de manifester sa
personnalité, de sorte que les photographies [litigieuses]
présentent une originalité qui permet leur protection au
titre du droit d’auteur » (12). Ce critère de la marge de
manœuvre laissée au photographe dans l’exécution de son
art semble donc tempérer la relative « insécurité juridique »
qui régnerait en la matière (13). ◆
(10) CA Rennes, 2e ch., 23 mai 2006, M. Christian R. c/ Société Simep Le Studio T, n° 04/07667 : ne constitue pas une œuvre originale la photographie d’un gigot d’agneau réalisée sous
l’entière direction du fabricant qui a fourni au photographe des indications précises sur la position du produit et sur son entourage. Le seul choix par le photographe du cadre de la prise de vue
et de l’éclairage est insuffisant dès lors qu’il ne fait que répondre à des impératifs techniques. (11) CA Aix-en-Provence, 2e ch., 9 mars 2011, SARL Bowling de Bandol c/ Michel, n° 10/10492,
RLDI 2011/70, n° 2300, obs. Trézéguet M. (12) CA Pau, 2e ch., 5 avr. 2011, Mme X c/ Société Artiga, n° 09/03298, RLDI 2011/71, n° 2342, obs. Trézéguet M. (13) Latreille A., La création
photographique face au juge : entre confusion et raison, Légipresse 2010, n° 274, p. 139 et s.
30
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
CRÉATIONS
IMMATÉRIELLES
Par Lionel COSTES
Directeur de collection
Lamy droit de l’immatériel
Lamy droit international
et Marlène TRÉZÉGUET
Secrétaire générale de la rédaction
Lamy droit de l’immatériel
LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE
ET ARTISTIQUE
RLDI
RÈGLES GÉNÉRALES
2540
d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces
matériels à des fins de copie privée, doivent être exclus du
champ de cette rémunération.
Le projet de loi vise à inscrire l’ensemble de ces précisions
jurisprudentielles dans le Code de la propriété intellectuelle.
Il remédie également au risque d’une interruption ou d’une
remise en cause des versements effectivement dus au titre de
la copie privée d’œuvres ainsi qu’aux effets d’aubaine liés à
la décision du Conseil d’État du 17 juin 2011.
Il garantit ainsi la rémunération des auteurs et des titulaires
de droits voisins, mais aussi la pérennité des actions d’aide à
la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation
des artistes financées par l’intermédiaire de la rémunération
pour copie privée.
Le projet de loi prévoit, enfin, l’information de l’acquéreur
d’un support d’enregistrement sur le montant de la rémunération pour copie privée auquel il est assujetti.
Le texte a été adopté dans des termes identiques par le Sénat,
le 19 décembre (L. n°2011-1898, 20 déc., JO 21 déc., p.2146).
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 121-87, n° 139–63
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 3349
Adoption définitive
du projet de loi
sur la copie privée
RLDI
L.C.
Le projet de loi « relatif à la rémunération pour
copie privée » a été adopté à la quasi-unanimité par
l’Assemblée nationale, le 29 novembre, dans une
version très proche de celle présentée par le ministre
de la Culture et de la Communication, le 26 octobre.
« Petite loi », JO doc. AN n° 776
On rappellera que la loi du 3 juillet 1985 relative aux droits
d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs
de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de
communication audiovisuelle a instauré une rémunération
juste et équitable pour les auteurs et les titulaires de droits
voisins au titre des copies d’œuvres réalisées sans leur autorisation préalable.
Elle prévoit que la répartition de la rémunération entre les
différentes catégories d’ayants droit soit opérée après un prélèvement de 25 % sur la recette brute, destiné à des actions
d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la
formation des artistes. Cette ressource, dont le montant s’élevait en 2010 à environ 47 M€ hors taxes (pour un montant total de la
rémunération pour copie privée de 189 M€ hors taxes), représente aujourd’hui
une part capitale du financement de la création française et
contribue à la promotion d’une plus grande diversité culturelle.
Par ailleurs, plusieurs décisions récentes du Conseil d’État ont
contribué à préciser le champ d’application de la rémunération
pour copie privée.
Ainsi, il a d’abord jugé que la rémunération pour copie privée
ne pouvait servir à compenser que les « copies réalisées à partir
d’une source acquise licitement » (décision Simavalec du 11 juillet 2008).
Il a ensuite précisé, dans une décision du 17 juin 2011 (Canal+ Distribution et a.), que les supports d’enregistrement, acquis
notamment à des fins professionnelles, dont les conditions
Informatique I Médias I Communication
ACTUALITÉS
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
2541
Affaire Sabam : l’analyse
de la CJUE
La CJUE considère présentement que le droit de l’Union
s’oppose à une injonction, prise par une juridiction
nationale, d’imposer à un fournisseur d’accès à
internet la mise en place d’un système de filtrage afin
de prévenir les téléchargements illégaux de fichiers.
CJUE, 24 nov. 2011, aff. C-70/10, Scralet Extended SA c/ Société belge
des auteurs, compositeurs et éditeurs (Sabam), <www.curia.eu>
Il convient de rappeler que ce contentieux est né d’un litige
opposant Scarlet Extended SA (Scarlet), fournisseur d’accès à
internet à la Sabam, société de gestion belge chargée d’autoriser l’utilisation, par des tiers, des œuvres musicales des
auteurs, des compositeurs et des éditeurs.
Elle a constaté, en 2004, que des internautes utilisant les
services de Scarlet téléchargeaient sur internet, sans autorisation et sans paiement de droits, des œuvres reprises dans
son catalogue au moyen de réseaux peer-to-peer.
À sa demande, le président du Tribunal de première instance
de Bruxelles a ordonné, le 29 juin 2007, sous peine d’astreinte
à Scarlet, en sa qualité de fournisseur d’accès, de faire cesser
ces atteintes au droit d’auteur en rendant impossible, au
moyen d’un logiciel peer-to-peer, toute forme d’envoi ou de
réception par ses clients de fichiers électroniques reprenant
une œuvre musicale du répertoire de la Sabam.
Scarlet a interjeté appel devant la Cour d’appel de Bruxelles
au motif que l’injonction n’était pas conforme au droit de
l’Union dans la mesure où elle lui imposait, de facto, une
obligation générale de surveillance des communications sur
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
>
31
son réseau ; ce qui serait incompatible avec la directive sur
le commerce électronique et avec les droits fondamentaux.
La Cour bruxelloise demande alors à la CJUE si le droit de
l’Union permet aux États membres d’autoriser un juge national à ordonner à un fournisseur d’accès de mettre en place,
de façon générale, à titre préventif, aux frais exclusifs de ce
dernier et sans limitation dans le temps, un système de filtrage
des communications électroniques, et ce afin d’identifier les
téléchargements illégaux de fichiers.
À la question ainsi posée, elle répond donc par la négative.
Pour se prononcer en ce sens et après avoir rappelé les
termes des dispositions des directives applicables (directives nos 2000/31, 2001/29, 2004/48, 95/46 et 2002/58), elle souligne dans
un premier temps qu’« [elle] a déjà jugé qu’une telle interdiction s’étend notamment aux mesures nationales qui
obligeraient un prestataire intermédiaire, tel qu’un FAI,
à procéder à une surveillance active de l’ensemble des
données de chacun de ses clients afin de prévenir toute
atteinte future à des droits de propriété intellectuelle. Par
ailleurs, une telle obligation de surveillance générale serait
incompatible avec l’article 3 de la directive n° 2004/48, qui
énonce que les mesures visées par cette dernière doivent
être équitables et proportionnées et ne doivent pas être
excessivement coûteuses ».
Et de s’appuyer à cette fin sur sa précédente décision du
12 juillet 2011 (arrêt L’Oréal, aff. C-324/09).
Elle en déduit qu’« il convient d’examiner si l’injonction en
cause au principal, qui imposerait au FAI de mettre en place
le système de filtrage litigieux, l’obligerait à procéder, à cette
occasion, à une surveillance active de l’ensemble des données
de chacun de ses clients afin de prévenir toute atteinte future
à des droits de propriété intellectuelle ».
Or, à la suivre, « il est constant que la mise en œuvre de ce
système de filtrage supposerait :
– que le FAI identifie, en premier lieu, au sein de l’ensemble des
communications électroniques de tous ses clients, les fichiers
relevant du trafic peer-to-peer ;
– qu’il identifie, en deuxième lieu, dans le cadre de ce trafic, les
fichiers qui contiennent des œuvres sur lesquelles les titulaires de
droits de propriété intellectuelle prétendent détenir des droits ;
– qu’il détermine, en troisième lieu, lesquels parmi ces fichiers
sont échangés illicitement, et ;
– qu’il procède, en quatrième lieu, au blocage d’échanges de
fichiers qualifiés par lui d’illicites ».
Dans ces conditions, « une telle surveillance préventive exigerait une observation active de la totalité des communications
électroniques réalisées sur le réseau du FAI concerné et, partant,
elle engloberait toute information à transmettre et tout client
utilisant ce réseau ».
Elle en conclut que « l’injonction faite au FAI concerné de
mettre en place le système de filtrage litigieux l’obligerait à
procéder à une surveillance active de l’ensemble des données
concernant tous ses clients afin de prévenir toute atteinte
future à des droits de propriété intellectuelle. Il s’ensuit que
ladite injonction imposerait audit FAI une surveillance générale qui est interdite par l’article 15, paragraphe 1, de la
directive n° 2000/31 ».
32
Dans un second temps, elle apprécie la conformité de cette
injonction au droit de l’Union.
Ainsi, elle rappelle que « l’injonction en cause au principal
poursuit l’objectif visant à assurer la protection des droits
d’auteur, qui font partie du droit de propriété intellectuelle,
auxquels sont susceptibles de porter atteinte la nature et le
contenu de certaines communications électroniques réalisées
par l’intermédiaire du réseau du FAI concerné ».
Or, pour la Cour, si « la protection du droit de propriété intellectuelle est certes consacrée à l’article 17, paragraphe 2, de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (…), il
ne ressort nullement de cette disposition, ni de la jurisprudence
de la Cour, qu’un tel droit serait intangible et que sa protection
devrait donc être assurée de manière absolue ».
Bien au contraire, il résulte de sa décision du 29 janvier 2008
(arrêt Priomusicae, aff. C-275/06, Rec. p. 1-271) que « la protection du droit
fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la
propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle
d’autres droits fondamentaux ».
De fait, « il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les
titulaires de droits d’auteur, d’assurer un juste équilibre entre
la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de
personnes qui sont affectées par de telles mesures.
Ainsi, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au
principal, les autorités et les juridictions nationales doivent
notamment assurer un juste équilibre entre la protection du
droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires
de droits d’auteur, et celle de la liberté d’entreprise dont
bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l’article 16 de la Charte.
Or, en l’occurrence, l’injonction de mettre en place le système
de filtrage litigieux implique de surveiller, dans l’intérêt de
ces titulaires, l’intégralité des communications électroniques
réalisées sur le réseau du FAI concerné, cette surveillance étant
en outre illimitée dans le temps, visant toute atteinte future
et supposant de devoir protéger non seulement des œuvres
existantes, mais également celles futures qui n’ont pas encore
été créées au moment de la mise en place dudit système.
Ainsi, une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée
à la liberté d’entreprise du FAI concerné puisqu’elle l’obligerait
à mettre en place un système informatique complexe, coûteux,
permanent et à ses seuls frais, ce qui serait d’ailleurs contraire
aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 1, de la directive n° 2004/48, qui exige que les mesures pour assurer
le respect des droits de propriété intellectuelle ne soient pas
inutilement complexes ou coûteuses ».
Il en résulte que « l’injonction de mettre en place le système de
filtrage litigieux doit être considérée comme ne respectant pas
l’exigence que soit assuré un juste équilibre entre, d’une part, la
protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les
titulaires de droits d’auteur, et, d’autre part, celle de la liberté
d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI ».
De plus, elle estime dans le même sens qu’« il est constant,
d’une part, que l’injonction de mettre en place le système de
filtrage litigieux impliquerait une analyse systématique de
tous les contenus ainsi que la collecte et l’identification des
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
adresses IP des utilisateurs qui sont à l’origine de l’envoi des
contenus illicites sur le réseau, ces adresses étant des données
protégées à caractère personnel, car elles permettent l’identification précise desdits utilisateurs.
D’autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la
liberté d’information puisque ce système risquerait de ne pas
suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu
licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de communications à contenu licite. En effet, il
n’est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d’une
transmission dépende également de l’application d’exceptions
légales au droit d’auteur qui varient d’un État membre à l’autre.
En outre, certaines œuvres peuvent relever, dans certains États
membres, du domaine public ou elles peuvent faire l’objet d’une
mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés ».
Autant d’éléments qui permettent à la Cour de conclure qu’« en
adoptant l’injonction obligeant le FAI à mettre en place le système de filtrage litigieux, la juridiction nationale concernée ne
respecterait pas l’exigence d’assurer un juste équilibre entre le
droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel
et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations,
d’autre part ».
Et de répondre dans ces conditions aux questions qui lui
étaient posées dans les termes suivants : « [les directives en
cause] doivent être au regard des exigences résultant de la protection des droits fondamentaux applicables interprétées en ce
sens qu’elles s’opposent à une injonction faite à un fournisseur
d’accès à internet de mettre en place un système de filtrage :
– de toutes les communications électroniques transitant par
ses services, notamment par l’emploi de logiciels peer-to-peer ;
– qui s’applique indistinctement à l’égard de toute sa clientèle ;
– à titre préventif ;
– à ses frais exclusifs, et ;
En bref...
Le piratage en streaming analysé
par la Hadopi
Conformément aux souhaits exprimés par Nicolas Sarkozy (voir supra, notre édito. p. 3), la Haute
Autorité a annoncé, le 25 novembre, qu’elle allait étudier
les moyens de lutter contre le piratage pratiqué sur les
sites de streaming et de direct download.
Des propositions seront avancées à la fin du premier
trimestre 2012.
La Hadopi, qui est déjà en charge de la riposte graduée
contre le P2P, a ainsi dévoilé les trois volets qu’elle
compte mettre en œuvre de façon concrète, avec des
résultats « significatifs » sur chacun d’eux au terme du
premier trimestre 2012 :
– « la réalisation d’une évaluation claire et précise des
phénomènes visés, notamment dans leurs dimensions
technique et économique ; ainsi que des mesures de
lutte juridiques et techniques existantes et de leurs
– sans limitation dans le temps, capable d’identifier sur le
réseau de ce fournisseur la circulation de fichiers électroniques
contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de
propriété intellectuelle, en vue de bloquer le transfert de fichiers
dont l’échange porte atteinte au droit d’auteur ».
• OBSERVATIONS • La présente décision a été saluée par les premiers
commentateurs comme une grande victoire contre le filtrage généralisé
en Europe, susceptible même d’enterrer une éventuelle loi « Hadopi 3 »
destinée à lutter contre le streaming illégal (voir supra notre édito, p. 3).
Il convient cependant d’être sans doute un peu plus nuancé.
Il ne fait aucun doute que son impact est, de fait, important dès lors que
la CJUE considère qu’il est disproportionné d’ordonner le filtrage d’un site
internet pour des litiges relatifs à la propriété intellectuelle au motif que,
si sa protection est bien consacrée par la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne, il n’en ressort nullement qu’un tel droit soit pour
autant intangible et que sa protection soit assurée de manière absolue.
C’est par conséquent « un juste équilibre » qui doit être assuré entre la
protection du droit d’auteur et la liberté de communiquer.
Concrètement, ne se limitant pas au piratage par peer-to-peer mais
s’appliquant à toutes les formes de filtrage, elle porte par là même un
coup d’arrêt aux tentatives d’empêcher, par exemple, la lecture des films
et des séries télévisées sur les plates-formes illégales de streaming par
l’instauration d’un système de filtrage à grande échelle.
Ainsi, si tout système de filtrage généralisé est bien prohibé, il n’en est pas
forcément de même pour des systèmes de filtrage plus ciblés.
De fait, des États membres pourront toujours tenter de déployer des
systèmes de filtrage plus ciblés que celui demandé par la Sabam.
La Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) rappelle
d’ailleurs, dans un communiqué, que cette décision ne concerne pas le
blocage.
Or, cette technique, moins radicale et intrusive que le filtrage, fonctionne
par un système de listes noires de sites interdits, bloqués par les
fournisseurs d’accès, mais n’analyse pas en temps réel le type de contenus
visualisé par les internautes.
Le blocage déjà à l’œuvre en France, par exemple pour restreindre
l’accès à des services de jeu en ligne non autorisés ou aux sites
pédopornographiques, n’est par conséquent nullement ici remis en cause.
Pour aller plus avant sur ce contentieux, voir Manara C., Bloquer le filtrage !
Une approche critique des affaires Sabam, RLDI 2011/76, n° 2533.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 2468 et s., nos 4399 et s.
limites ». La Hadopi s’appuiera notamment sur ses Labs.
Elle invite ayants droit, fournisseurs d’accès et autres
prestataires à y participer ;
– « l’ouverture d’un dialogue intensif avec les sites et
plates-formes concernés, ainsi que tous les intermédiaires qui contribuent à leur fonctionnement », tels
que les établissements bancaires et intermédiaires
de paiement ;
– « la proposition d’adaptations de toute nature y
compris législative afin de parvenir à mieux atteindre
les objectifs fixés » en cernant notamment les limites
des outils juridiques existants.
Elle annonce vouloir mener ces missions de façon
transparente.
Et d’estimer que ces trois chantiers constituent une
nouvelle étape dans la protection des droits d’auteur
sur internet.
À la suivre, « il est temps désormais d’entrer dans
une phase active de lutte contre ce comportement
mercantile qui, du créateur à l’internaute, pénalise
tous ceux qui sont respectueux des lois ».
Informatique I Médias I Communication
ACTUALITÉS
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
L.C.
>
Offensive judiciaire du cinéma
contre le streaming illégal
Producteurs et éditeurs de cinéma ont déposé une
plainte afin que soit ordonné le blocage des sites
<allostreaming>, <alloshowtv>, <alloshare> et <allomovies>.
L’Association des producteurs de cinéma (APC), la
Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF)
et le Syndicat des éditeurs de vidéo numérique (SEVN)
ont ainsi introduit « une action en cessation » devant le
Tribunal de grande instance de Paris demandant aux
opérateurs et aux moteurs de recherche « de bloquer
ou de déréférencer » ces quatre sites.
Pour Frédéric Goldsmith, délégué général de l’APC, « ce
sont des sites notoirement connus pour organiser la
contrefaçon numérique de masse : c’est de la piraterie
pure et ils en ont fait leur business principal ».
Et de préciser que « nous demandons aux juges
d’ordonner aux opérateurs et aux moteurs de recherche concernés qu’ils procèdent au blocage ou au
déréférencement des quatre sites visés ».
L’audience était fixée au 15 décembre.
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
33
À propos de la présomption
de titularité du droit
de propriété incorporelle
de l’auteur
À suivre la Cour de cassation, c’est à juste titre
que les juges d’appel ont considéré que l’auteur
des œuvres litigieuses n’était pas une société tierce
et que la société requérante était par conséquent
recevable à agir en contrefaçon.
Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10.26.323, F-D
Une société (Sté Shop concept et services), qui fournissait à une seconde
(Sté Mr Bricolage) en équipements de magasin et mobiliers de vente,
prétendant que cette dernière avait rompu brutalement leur
relation commerciale, avec la complicité d’une société tierce
(Sté A5 Industrie) qui avait imité ses produits, les a toutes deux
assignées en paiement de dommages-intérêts pour rupture
brutale d’une relation commerciale établie ainsi que pour
contrefaçon et concurrence déloyale.
La société Mr Bricolage fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir
décidé qu’elle avait contrefait les meubles (dénommés « banque
accueil rectangulaire », « banque accueil ronde » et « banque encadrement ») dont les
droits appartiennent à la société Shop concept et services et
de lui avoir fait interdiction d’en poursuivre la fabrication, la
commercialisation et le référencement sous astreinte.
Au soutien de son pourvoi, elle fait notamment valoir que la
présomption de titularité du droit de propriété incorporelle
de l’auteur, instituée au profit de la personne morale qui
exploite l’œuvre, vaut à l’encontre du seul tiers recherché
pour contrefaçon ; qu’elle ne joue pas à l’encontre de l’auteur
de l’œuvre, et, par conséquent, de la personne morale que
désigne l’application combinée des articles L. 113-2, alinéa 3,
et L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Et d’invoquer le fait que les œuvres prétendument contrefaites
ont été créées à son initiative, qu’elle les a éditées en ayant
recours à des façonniers (d’abord la société Shop concept et services puis ellemême), et les a distribuées dans son réseau.
Aussi, en faisant application de la présomption de titularité
du droit de propriété intellectuelle instituée au profit de la
personne morale qui exploite l’œuvre, sans se demander si
la société Mr Bricolage était bien un tiers au sens de cette
présomption, les juges d’appel auraient violé les articles
précités.
Ce moyen est écarté par la Cour de cassation au motif suivant :
« après avoir constaté que la société Shop concept et services, qui
exploitait les mobiliers sur lesquels aucun tiers ne revendiquait
de droits, bénéficiait d’une présomption légale de titularité des
droits sur ces derniers, l’arrêt relève encore (…) que la société
Mr Bricolage a reconnu la propriété intellectuelle de la société
Shop concept et services sur tous les matériels développés par
elle pour son compte ; qu’en l’état de cette appréciation, exempte
de dénaturation, la Cour d’appel a pu écarter le moyen pris de
ce que l’auteur des œuvres litigieuses était une société tierce et
34
retenir que la société Shop concept et services était recevable
à agir en contrefaçon ».
• OBSERVATIONS • On rappellera plus globalement que la présomption
de titularité dont bénéficient les personnes morales a été instituée par la
Cour de cassation par un arrêt du 24 mars 1993 (Cass. 1re civ., 24 mars
2003, Grands Arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz 2003, n° 10, comm.
Clément-Fontaine M. et Robin A ; JCP G 1993, II, p. 22095, note Greffe F. ;
RTD com. 1995, p. 418, obs. Françon).
Elle a été confirmée depuis à de nombreuses reprises (voir par ex. Cass.
1re civ., 22 févr. 2000, D. 2001, somm. p. 2635, obs. Sirinelli P. ; Comm.
com. électr. 2000, comm. n° 42, obs. Caron C. ; Cass. crim., 24 févr. 2004,
Rev. Lamy dr. aff. 2004, n° 4433 ; JCP E 2004, n° 880, note Singh A. ;
Propr. intell. 2004, p. 933, obs. de Candé ; Cass. 1re civ., 19 oct. 2004,
RLDI 2005/1, n° 5 ; Cass. 1re civ., 14 juin 2005, RLDI 2005/8, n° 216).
On retiendra là également qu’en l’absence de revendication du ou des
auteurs, l’exploitation d’une œuvre par une personne morale sous son nom
fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette
personne est titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit collective ou non, du droit
de propriété incorporelle de l’auteur (en ce sens, Cass. com. 20 juin 2006,
RLDI 2006/20, n° 596).
➤ Lamy Droit de médias et de la communication, nos 118-97 et s.
L.C.
RLDI
RLDI
2542
2543
Contrat de maintenance
corrective et évolutive
d’un logiciel et restitution
par le prestataire de ses
codes sources modifiés
Pour la Cour de cassation, c’est à juste titre qu’a été
ordonnée la restitution des codes sources modifiés
du logiciel de l’espèce par la société prestataire
chargée de sa maintenance.
Cass. com. 15 nov. 2011, n° 10-26.617, F-D
En exécution d’un contrat conclu, le 14 février 2005, entre
deux sociétés (Stés Percall et Res Humana), celle-là a réalisé pour le
compte de celle-ci un audit de son installation informatique,
puis une mission de maintenance corrective et évolutive d’un
logiciel (Soft RH"é).
Soutenant que ce contrat avait été tacitement reconduit à son
terme, fixé au 31 mars 2006, la société Percall a assigné la société Res Humana en paiement d’une certaine somme à ce titre.
Elle reproche notamment à l’arrêt d’appel d’avoir ordonné
sous astreinte la restitution des codes sources modifiés à la
société Res Humana.
Au soutien de son pourvoi, elle fait valoir que les juges d’appel
ont statué en ce sens sans avoir répondu à ses conclusions
selon lesquelles, quelles que puissent être les stipulations
contractuelles, en application des articles L. 111-1 et L. 112-2
du Code de la propriété intellectuelle, les prestations réalisées
au titre de la maintenance du progiciel en cause constituaient
des créations originales, entraînant à son profit des droits
moraux et patrimoniaux et notamment des droits exclusifs
d’exploitation, lui conférant le droit de conserver les programmes ou codes sources modifiés par elle.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
• OBSERVATIONS • La propriété des codes sources des logiciels est une
question souvent délicate qui a donné lieu à de nombreux contentieux.
Elle l’est encore plus lorsqu’elle ne fait l’objet d’aucune stipulation
contractuelle ; ce qui était le cas de la présente espèce.
De fait, il est important de préciser, en complément de la clause précisant
les droits respectifs du prestataire et du client, le sort qui sera fait aux codes
sources.
On retiendra sur un plan général que « l’auteur reste détenteur des droits
(…). La règle demeure la même dans le cadre de la réalisation d’un
logiciel spécifique : il est donc nécessaire d’inclure au contrat une clause
expresse de transfert des droits de propriété afin d’éviter tout contentieux »
(Bitan H., Le droit des contrats informatiques forgé par la jurisprudence,
RLDI 2009/54, n° 1805).
On rappellera simplement au niveau des principes que, si la cession des
droits est totale au profit du client, il est nécessaire que soit précisé que les
codes sources lui soient effectivement remis.
S’il n’y a aucune cession ou si celle-ci n’est que partielle, il est encore plus
important de prévoir si le client se voit néanmoins remettre ou non les code
sources – ce qui est rarement le cas – ou si – ce qui est plus fréquent – il
dispose simplement d’un droit contractuel à y accéder auprès d’un tiers entre
les mains duquel lesdites sources auront été dûment déposées.
La situation était ici particulière puisqu’il s’agissait de savoir qui était
propriétaire des codes sources modifiés dans le cadre d’une opération de
maintenance corrective et évolutive d’un progiciel ; l’annexe du contrat
prévoyant simplement que « le prestataire garantit [au client] l’entière
propriété des développements de maintenance ».
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 877, n° 993, n° 3363,n° 3789
RLDI
L.C.
2544
Revendication de droits
d’auteur et non-respect du
principe du contradictoire
• OBSERVATIONS • Il s’agit là d’une nouvelle application, des plus
classiques, du principe du contradictoire faite à propos d’une action en
contrefaçon de droits d’auteur.
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 118-7
L.C.
2545
Droit moral
et irresponsabilité
du cessionnaire des droits
d’exploitation pour les faits
du sous-cessionnaire
Une société cessionnaire des droits d’exploitation d’une
œuvre audiovisuelle ne saurait être tenue responsable,
en sa seule qualité de cédante des droits d’exploitation,
de l’atteinte au droit moral par la société souscessionnaire.
Ainsi qu’il est présentement rappelé, le juge ne peut
fonder sa décision sur des pièces non régulièrement
versées aux débats et qui n’ont pas été soumises
à la discussion contradictoire.
Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-13.410, FS-P+B+I
Casss. 1re civ., 17 nov. 2011, n° 10-20.332, F-D
Une société (Sté Mico), soutenant qu’une autre société (Sté Urba design) avait utilisé pour la promotion de ses propres produits
des photographies d’un modèle d’abri à chariots (Grande Courbe)
qu’elle-même commercialise et que de tels agissements étaient
constitutifs à son égard d’actes de parasitisme, l’a fait assigner
en paiement de dommages-intérêts.
Le président du conseil d’administration de la société Urba design (M. X) est intervenu volontairement à l’instance et, préten-
Informatique I Médias I Communication
dant être le créateur de l’abri à chariots litigieux, a reproché
à la société Mico d’avoir commis à son encontre des actes de
contrefaçon de droits d’auteur.
La société Urba design invoquait quant à elle des actes de
concurrence déloyale résultant, d’une part, de ces actes de
contrefaçon et, d’autre part, de l’utilisation par la société
Mico d’une photographie de l’un de ses abris pour illustrer
une plaquette de présentation.
Pour débouter M. X. de ses demandes en contrefaçon de droits
d’auteur et la société Urba design de ses demandes subséquentes au titre de la concurrence déloyale, l’arrêt d’appel,
après avoir relevé que le plan dressé le 13 septembre 1996,
avec un en-tête qui désigne « Market Value », dévoile la physionomie générale d’un abri à chariots comportant une toiture
convexe ou en courbe, retient que les abris revendiqués par
M. X. ne présentent, dans ces conditions, aucune originalité.
Le présent arrêt est censuré au visa des articles 7 et 16 du
Code de procédure civile.
En effet, pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi, alors
que, selon ses propres constatations, cette pièce n’avait pas été
régulièrement communiquée, ce dont il résultait que les parties
n’avaient pas été à même d’en débattre contradictoirement,
la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».
RLDI
Et d’en déduire qu’elle n’avait l’obligation que de restituer
les codes sources qui lui avaient été initialement remis pour
lui permettre d’exécuter ses prestations ; obligation qu’elle
avait déjà exécutée.
La Cour de cassation ne la suit pas sur ce terrain.
En effet, elle relève que « dans ses conclusions d’appel, la
société Percall a soutenu non qu’elle était titulaire de droits de
propriété intellectuelle au titre des prestations de maintenance
du progiciel réalisées, quelles que puissent être les stipulations
contractuelles, mais que, rien n’étant prévu au contrat concernant la propriété des codes sources modifiés, les dispositions
légales devaient trouver à s’appliquer ».
ACTUALITÉS
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
Les réalisateurs d’un film sur Claude Nougaro avaient cédé, par
contrat, leurs droits d’exploitation à la société La Base films et
à la société Mercury aux droits de laquelle s’est substituée la
société Universal Music France. Sept années se sont écoulées
lorsqu’ils constatent la diffusion sur une chaîne de télévision
d’un portrait de Claude Nougaro incorporant près de neuf
minutes de leur film et décident, d’une part, d’assigner le
producteur de l’émission, à laquelle la société Universal
Music France avait cédé les droits d’exploitation du film, et,
d’autre part, d’assigner cette dernière société aux fins de voir
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
>
35
• OBSERVATIONS • De cet arrêt, nous retiendrons que les sous-cessions
de droits d’exploitation, parce qu’elles ne concernent que les seuls
droits patrimoniaux, ne peuvent fonder une action pour atteinte au droit
moral. Ainsi, « le cessionnaire, parce qu’il s’est limité à céder les droits
d’exploitation qu’il tenait lui-même des auteurs, n’a commis aucune faute »
(de Ravel d’Esclapon T., Cession des droits d’exploitation : utilisation des droits
par le sous-cessionnaire et responsabilité du cessionnaire, D. Actu., 2 déc.
2011). Au premier abord surprenante, la solution s’explique par la nature
personnelle du droit moral. Les cessionnaires n’auraient pu engager d’action
à l’encontre des sous-cessionnaires, ne pouvant invoquer un droit dont ils ne
disposent pas. Cependant, la solution peut se révéler fortement préjudiciable
pour l’auteur en cas de sous-cessions multiples pour lesquelles il reviendrait
à l’auteur d’agir à l’encontre de tous les sous-cessionnaires. La situation est
différente concernant le contrat d’édition pour lequel l’article L. 132-16, alinéa
1er, du Code de propriété intellectuelle prévoit expressément que : « L’éditeur
ne peut transmettre, à titre gratuit ou onéreux, ou par voie d’apport en société,
le bénéfice du contrat d’édition à des tiers, indépendamment de son fonds de
commerce, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de l’auteur. » En
36
effet, « on ne cède pas un contrat d’édition comme un contrat de maintenance
sur un matériel sophistiqué » ; le contrat d’auteur est « un lien social » marqué
d’un fort intuitu personae (Vivant M. et Bruguière J.-M., Droit d’auteur, Précis
Dalloz, 2009, n° 712).
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 384-1 et s.
M.T.
RLDI
prononcer la nullité de certaines clauses du contrat initial et
la condamner au paiement de dommages-intérêts.
Les juges du fond déclarent leur demande irrecevable. Les
demandeurs au pourvoi soutiennent notamment que « le droit
de l’auteur au respect de sa qualité et de son œuvre est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ; que cette disposition est
d’ordre public ; que le vice affectant une convention en raison de
l’atteinte qu’il porte au droit moral de l’auteur ne peut dès lors
être couvert par aucune prescription » et que « la prescription de
l’action en nullité de conventions contrevenant aux dispositions
d’ordre public du Code de la propriété intellectuelle protégeant les
auteurs court à compter de la découverte du vice par l’auteur ».
La Haute Juridiction approuve les juges du fond d’avoir rappelé
que « l’action en nullité relative exercée par les bénéficiaires des
clauses litigieuses était soumise à la prescription quinquennale
de l’article 1304 du Code civil et constaté qu’une telle action, qui
invoquait la violation de dispositions légales, avait été introduite
par [les demandeurs] selon assignations des 12 et 23 janvier 2007
soit plus de cinq ans après la signature des contrats de juillet et
septembre 1998, [et] en a justement déduit qu’elle était tardive ».
Par ailleurs, « la clause de substitution de la société Mercury à la
société La Base films concernait exclusivement l’interprétation
et l’exécution du contrat » ; ainsi, « les auteurs n’étaient pas
recevables à rechercher la responsabilité de la société Universal
France venant aux droits de la société Mercury, du chef d’une
faute qui aurait été commise lors de la conclusion du contrat ».
Enfin, « la société Universal Music ne pouvait, en sa seule
qualité de cédante des droits d’exploitation qui lui avaient été
cédés par les auteurs, être tenue pour responsable de la manière
dont la société Way productions avait utilisé ou incorporé dans
le film Dansez sur moi les extraits ou fragments litigieux ». La
demande fondée sur l’atteinte à leur droit moral est rejetée.
Mais la Haute Juridiction accepte cependant, au visa de
l’article 1134 du Code civil, la demande de réparation du
préjudice des auteurs résultant de l’absence de reddition de
comptes, au contraire de la Cour d’appel qui avait considéré
la rémunération prévue par le contrat pour l’utilisation fragmentaire des œuvres comme étant forfaitaire.
En effet, selon les termes clairs et précis de l’article 8-6 du
contrat des auteurs, inséré dans la clause 8 intitulée « Rémunération », « le décompte des droits découlant de l’application des
présentes sera arrêté à la fin de chaque année, et le règlement
des redevances éventuellement dû devra lui être fait par le
producteur dans les trois mois qui suivront l’année écoulée ».
2546
Une restitution
de négatifs noir et blanc
de photographies déclarée
irrecevable
Faute pour le requérant de démontrer que son père
assumait les frais techniques liés à la réalisation
des photographies en cause, sa demande tendant
à la restitution de ces supports doit dans ces conditions
être rejetée.
TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 20 oct. 2011, M. Bourdin c/ Sté Les Publications
Condé Nast, n° 09/08873, inédit
Décision aimablement communiquée
par Me Gilles Vercken
Un photographe de mode reconnu (Guy Bourdin) a travaillé pour
l’édition d’un magazine (Vogue) durant de nombreuses années
(de 1955 à 1988). Il est décédé en 1991, laissant pour lui succéder
son fils Samuel Bourdin.
Il a demandé à la société éditrice dudit magazine de lui restituer les tirages contrecollés sur carton des photographies en
noir et blanc de son père dont il s’estimait propriétaire ; ce
qu’elle a refusé, d’où la présente instance.
Au soutien de son action, il fait principalement valoir que les
photographies que son père a réalisées pour ce magazine sont
identifiées et répertoriées et que les photographies publicitaires
ont été exclues.
Il déclare également que celui-ci avait son propre studio, qu’il
prenait en charge les frais techniques et qu’il attachait une grande
importance à ses tirages et aux négatifs de ses photographies.
Il ajoute qu’il n’a jamais cédé le support matériel de ses
œuvres, en l’absence de cession écrite expresse.
Il précise, enfin, que les supports des œuvres photographiques
de son père ont été détruits et que la société s’est abstenue
de l’en informer.
Aussi, n’étant pas en mesure de lui restituer les 1 773 négatifs noir et blanc qu’il a répertoriés, il soutient qu’il subit
une atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur,
réclamant 173 000 €.
En défense, la société éditrice avance principalement le fait
que Guy Bourdin détruisait les négatifs de photographie
qui n’avaient pas été choisis et qu’elle était propriétaire des
supports mais que, compte tenu de ses bonnes relations avec
le photographe, elle lui donnait les négatifs ou tirages qu’il
souhaitait conserver.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
En conséquence, elle fait valoir que des négatifs peuvent être
manquants, soit parce qu’ils ont été détruits par M. Bourdin,
soit parce qu’il les a lui-même conservés.
De plus, elle conteste avoir déclaré que des négatifs de celui-ci
avaient été endommagés et confirme que les droits d’exploitation des photographies une fois que celles-ci étaient parues
dans le magazine appartenaient au photographe.
Elle indique, enfin, qu’elle a toujours sollicité l’autorisation
pour une nouvelle utilisation en réglant les redevances mais
que, depuis le décès de son père, son fils a refusé de lui délivrer
des autorisations d’exploiter son fonds tant qu’il n’aurait pas
obtenu la restitution des supports des œuvres photographiques.
Le Tribunal de grande instance de Paris ne reçoit pas la
présente action.
En effet, il s’avère que « les pièces produites par Samuel Bourdin ne permettent pas d’identifier les photographies réalisées
par son père publiées dans le magazine Vogue sur lesquelles
il revendique des droits d’auteur ».
Or, il fait état de 1 773 négatifs dont la perte porterait atteinte
aux droits patrimoniaux et moraux d’auteur attachés aux
œuvres de son père.
Or, toujours selon le Tribunal, « faute pour lui d’identifier les
œuvres objet de ces droits, sa demande en indemnisation doit
être déclarée irrecevable. Il convient au surplus de relever que
l’absence d’identification des œuvres interdit toute appréciation
de leur originalité ».
Sa demande d’inventaire et de restitution de supports détenus
par la société éditrice n’est pas davantage reçue.
En bref...
La « carte musique » relancée
Le Gouvernement a annoncé, le 2 novembre, la prochaine vente en magasin de la « carte musique » pour
les 12-25 ans.
L’objectif poursuivi est de tenter de relancer cette offre
destinée à lutter contre le téléchargement illégal des
jeunes, qui n’a pas connu le succès espéré un an
après sa création.
On rappellera que cette carte, jusqu’ici seulement sur
internet, était une des propositions phares du rapport « Création et internet » de la mission Zelnik sur
l’amélioration de l’offre légale sur internet, remis au
Gouvernement début 2010.
Avec d’autres mesures, elle constitue le volet incitatif du
dispositif contre le téléchargement illégal mis en place
avec la loi Hadopi.
Uniquement accessible aux 12-25 ans, cette offre
permettait d’acquérir pour 50 € de musique sur internet en n’en payant que la moitié, le reste étant
financé par l’État.
Si le principe fut simple, sa création fut cependant
laborieuse.
En effet, espérée avant l’été 2010, elle n’a finalement
été lancée qu’en octobre 2010.
Ainsi, il rappelle qu’« il est admis que les supports appartiennent à celui qui a supporté les frais techniques nécessaires à
la réalisation de la photographie tels que l’achat des pellicules
et les frais de laboratoire ».
Or, il relève que « Samuel Bourdin fait valoir que son père ne
faisait pas figurer de frais techniques sur ses bulletins de pige.
Néanmoins cet élément est équivoque dans la mesure où l’absence de facturation pouvait s’expliquer si le photographe ne
supportait pas les coûts d’achat de pellicules et de laboratoires ».
Toujours selon le Tribunal, « il est suffisamment établi que
la société Condé Nast a fait l’avance pour Guy Bourdin, de
nombreux frais sans lien avec les photographies qu’elle publiait.
Aussi, il ne peut se déduire ni des bulletins de pige ni des
relevés de comptes correspondants que Guy Bourdin assumait
personnellement les frais d’achat de pellicule et développement
des photographies réalisés par Vogue ».
Il relève, enfin, dans le même sens, que « la remise par
Guy Bourdin des Ektachrome par la société Condé Nast peut
également être interprétée comme un don à une époque où
on commençait seulement à prendre conscience de la valeur
de ces documents de telle sorte qu’il ne peut s’en déduire de
façon certaine que la société défenderesse ne s’estimait pas
propriétaire des supports ».
Il en résulte que « Samuel Bourdin échoue à démontrer que
son père assumait les frais techniques liés à la réalisation des
photographies publiées dans Vogue ». En revanche, « la société
Condé Nast établit quant à elle qu’elle disposait de studios,
qu’elle supportait le coût des prise de vue à l’extérieur (…), le
Instituée pour une durée de deux ans, le Gouvernement
avait alors limité son accès à un million de personnes
au maximum chaque année.
De plus, elle n’a jamais rencontré son public.
De fait, si le ministère de la Culture ne fournit pas
de données officielles, les derniers chiffres ayant
circulé dans la filière musicale tournaient autour de
50 000 exemplaires vendus.
Cette version physique, disponible depuis le 25 novembre, est ainsi la principale mesure de la relance
de la carte musique décidée par le Gouvernement.
Toujours destinée aux 12-25 ans, elle sera commercialisée dans des enseignes généralistes et culturelles
sous deux formats : 10 € et 25 €.
Après l’avoir activée sur un site internet dédié (<www.
lacartemusique.fr>), l’internaute pourra l’utiliser pour
acheter de la musique sur des sites partenaires de
téléchargement et de streaming.
Pour chaque euro acheté sur ces plates-formes, l’État
doublera le montant des crédits dans la limite de 25 €
par personne.
S’il détient une carte de 25 €, l’internaute pourra ainsi
acheter pour 50 € de musique.
La carte musique pourra toujours être achetée directement sur <www.lacartemusique.fr>, mais la procédure
a été simplifiée.
En outre, les détenteurs de la carte musique auront
dorénavant accès à des privilèges et offres exclusives :
informations sur l’actualité musicale, rencontres avec les
artistes, accès aux coulisses des concerts…
Informatique I Médias I Communication
ACTUALITÉS
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
>
Pour compléter l’opération de relance, une campagne
de communication a été confiée à Euro RSCG C&O,
avec notamment des opérations dans les Abribus
parisiens.
Protocole d’accord Sacem/Associations
La Société des auteurs compositeurs et éditeurs de
musique (Sacem) a signé, le 7 octobre, un accord
avec 67 fédérations associatives visant à simplifier ses
tarifs et ses procédures.
Ces nouveaux accords, qui ont pris effet au 1er octobre
2011, contiennent notamment une extension importante de la procédure de forfaitisation des redevances.
Cela signifie en pratique que les associations qui devaient auparavant effectuer jusqu’à quatre démarches
administratives auprès de la société d’auteurs n’en
feront plus qu’une pour déclarer leur événement,
connaître immédiatement le montant de la redevance
de droits d’auteur, s’en acquitter et éviter ainsi des
démarches ultérieures, par exemple la remise d’un
bordereau de recettes.
Les barèmes de droits d’auteur ont été également
revus. Ils reposent dorénavant sur deux critères uniquement : le budget des dépenses et le prix d’entrée
pour les bals et concerts ; le nombre prévisionnel de
convives et le prix du repas pour les repas en musique.
Les grilles tarifaires des forfaits ont été de plus conçues
en tenant compte de la spécificité économique des
associations et de leurs attentes.
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
37
coût de l’achat des films et pellicules et les frais de laboratoires
(…) pour les photographies réalisées pour son compte ».
Dans ces conditions, « Samuel Bourdin n’établit pas que son
père était propriétaire des supports des photographies qu’il a
réalisés pour la société Condé Nast. Sa demande tendant à la
restitution de ces supports (…) doit par conséquent être rejetée ».
Et de le condamner à payer à la société éditrice 5 000 € à titre
de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des
refus d’autorisation d’exploiter les œuvres de Guy Bourdin.
• OBSERVATIONS • Il est acquis que le propriétaire du support d’une œuvre
photographique est celui qui l’a financée, c’est-à-dire, plus précisément, les
séances de prises de vue ou de reportage, le développement des négatifs
et la réalisation de tirages ; support matériel qui doit bien évidemment
être différencié de la forme d’expression, elle seule protégeable par le droit
d’auteur.
Concernant plus précisément la portée qu’il convient d’attacher à la
détention matérielle d’Ektachrome, elle ne saurait à elle seule établir la
qualité d’auteur des photographies qui y sont incorporées dès lors que
l’admettre irait à l’encontre de l’article L. 111-3, alinéa 1er, du Code de
la propriété intellectuelle (en ce sens, voir CA Paris, 4e ch., 2 mai 2003,
Propr. intell. 2003, p. 378, 1re espèce, obs. Sirinelli P., pour qui « la seule
possession de l’Ektachrome correspondant à la photographie en cause est
(…) insuffisante à établir [la] qualité d’auteur »).
Il en irait différemment si cette détention était confortée par plusieurs
indices qui permettraient alors de déduire cette qualité (en ce sens,
CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept 2011, RLDI 2011/76, n° 2503 ; sur cet arrêt,
voir comm. Dahan V. et Bouffier C., supra n° 2539).
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 118-53 et s.
L.C.
RLDI
STATUTS PARTICULIERS : DROITS VOISINS
2547
La qualité d’artisteinterprète inappropriée
Selon la Cour de cassation, la prestation de l’espèce
ne peut par nature se rapporter à l’exécution d’une
œuvre littéraire ou artistique, ou encore d’un numéro
de variétés, de cirque ou de marionnettes.
CA Aix-en- Provence, 1re ch. B, 17 nov. 2011, M. X. c/ Sté Pois Chiche Films,
n° 10/14246, <www.lamyline.fr>
Le requérant de l’espèce (M. X) était embauché, dans le cadre
d’un contrat de travail à durée indéterminée, par une société
de production (PCF), pour animer un magazine audiovisuel
diffusé à la télévision pendant 43 semaines (du 20 août 2002 au
24 mai 2003), ayant pour thème la gastronomie bretonne et la
rencontre avec des restaurateurs, des chefs cuisiniers, et des
producteurs de spécialités gastronomiques en Bretagne.
Aux termes du contrat de travail, il était embauché en qualité
d’« animateur-présentateur ».
Selon son contrat d’auteur signé par ailleurs, il cède à l’employeur les droits d’auteur dont il serait titulaire sur l’émission
et/ou sur sa contribution nécessaire à l’utilisation de ses
prestations conformément à l’objet du contrat.
Il cède également à l’employeur ses droits d’auteur sur sa
contribution qu’elle puisse ou non être individualisée, incluse dans l’émission en cause et/ou exploitée séparément
38
ou par extrait en vue de la publicité et de la promotion de
l’émission.
Cette cession de droits comprend la cession de reproduction
sur tous supports connus ou inconnus en l’état de la technique, le droit de représentation pour toute communication
au public par tous moyens connus ou inconnus en l’état de
la technique, notamment télédiffusion, télécommunication,
transmissions numériques.
Cette cession est consentie pour tous pays et pour la durée
de la propriété littéraire et artistique selon la loi française et
toute prorogation future qui pourrait y être apportée par la
loi française ou toute convention internationale.
En contrepartie de cette cession de droits, l’employé percevra un
forfait de 3 311 € payé au fur et à mesure de la diffusion de l’émission et dont le solde interviendra au plus tard le 30 juin 2003.
Il autorise en conséquence la fixation de son image et de
sa voix, ensemble et séparément, dans le cadre du présent
contrat, par des moyens audiovisuels.
Il autorise également la reproduction et la communication au
public de ces enregistrements audiovisuels.
De même, il autorise l’utilisation de toute image fixe le représentant, prise dans le cadre de la production du magazine
audiovisuel, pour la promotion et la commercialisation du
magazine audiovisuel.
À l’issue de la durée prévue et convenue, la diffusion du magazine
était poursuivie, mais avec le concours d’un autre présentateur.
En décembre 2004 et janvier 2005, PCF réglait en deux versements la somme de 10 000 € à M. X.
Courant 2005, des discussions ont eu lieu entre les deux
parties pour la création et la production d’un nouveau magazine audiovisuel, ayant toujours pour thème la gastronomie
française, mais cette fois-ci non exclusivement centrée sur
la Bretagne et une « bande-annonce test » à destination de
diffuseurs potentiels était réalisée par M. X.
Courant janvier 2006, celui-ci ne répondant pas aux sollicitations de PCF pour faire avancer le projet, elle prenait acte
de l’abandon de celui-ci, indiquait qu’elle avait entièrement
produit et financé la bande-annonce, que ses investissements
demeuraient sa propriété et ne pouvaient être utilisés sans
son accord ; mettant en demeure M. X. de ne pas utiliser la
bande-annonce et de la lui restituer.
PCF l’assignait en conséquence devant le Tribunal de grande instance de Marseille en paiement d’une somme de 43 350 € à titre
de dommages et intérêts pour rupture abusive de pourparlers.
M. X. a interjeté appel du jugement prononcé, le 24 juin 2010, qui
a considéré que sa responsabilité quasi délictuelle était engagée
au titre d’une rupture abusive des pourparlers avec PCF, et l’a
condamné à lui payer 18 139 € à titre de dommages et intérêts.
En défense, PCF lui conteste le droit de se prévaloir d’une
qualité d’auteur concernant la réalisation du premier magazine, en faisant valoir l’absence de contrat de cession de droits
d’auteur signé avec lui, et le fait que l’inclusion dans son
contrat de travail d’une clause prévoyant une rémunération
partielle, forfaitaire, au titre d’une cession de droits d’auteur,
constitue un usage courant dans l’industrie de la production
audiovisuelle, pour prendre en compte, à titre de précaution,
les éventuels apports intellectuels du présentateur dans la
réalisation encore à venir de l’émission.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
Informatique I Médias I Communication
recettes générées par l’exploitation du premier magazine), ni
à celle tendant au paiement d’une somme de 116 000 €, à
parfaire, à titre de dommages et intérêts ».
• OBSERVATIONS • Ce contentieux nous donne l’occasion de rappeler que,
pour que la qualification d’artiste-interprète soit retenue, il faut que soit
démontré qu’il apporte une contribution originale et personnelle à travers
sa prestation (CA Paris, 2e ch., 3 mai 1996 ; CA Paris, 18e ch., 24 avr. 2001,
citées in Vivant M. et Navarro J.-L., Code de la propriété intellectuelle, p. 265 et
p. 266, Litec, 2011).
En d’autres termes, la personne qui ne peut rapporter la preuve de
l’utilisation d’une quelconque interprétation ne saurait revendiquer cette
qualité. Elle ne saurait par exemple être déduite de l’existence d’un casting
ou d’un montage des images recueillies (voir en ce sens, CA Versailles,
6e ch., 5 avr. 2011, RLDI 2011/71, n° 2346, rendu à propos des participants
à l’émission « L’Île de la tentation »).
➤ Lamy Droit de médias et de la communication nos 139-8 et s.
L.C.
STATUTS PARTICULIERS : JEUX VIDÉO
RLDI
De plus, la qualification a priori d’un revenu de « droits d’auteur » n’est absolument pas la preuve d’un quelconque apport
intellectuel à l’œuvre audiovisuelle par le bénéficiaire de ce
revenu.
La Cour de cassation ne la suit pas sur ce terrain au motif
suivant : « mais le recours à cet usage constitue une présomption d’une véritable cession de droits d’auteur, qui n’est pas
utilement combattue en l’espèce par la signature d’un contrat
de cession de droits d’auteur avec deux “auteurs professionnels”
(…), alors que la réussite de ce type d’émission, axée sur la
rencontre, l’interview, et la mise en valeur de professionnels
(producteurs de produits et chefs cuisiniers), nécessite une
certaine capacité d’improvisation de la part du présentateur
(également animateur), ce qui était dans la compétence de
M. X., qui avait acquis lui-même une certaine notoriété comme
chef cuisinier.
Il est donc tenu pour acquis l’existence entre les parties d’un
contrat de cession de droits d’auteur moyennant une rémunération forfaitaire ».
Toujours selon les Hauts magistrats, « en revanche M. X.
ne peut prétendre défendre des droits en qualité d’artisteinterprète, sa prestation au titre de l’animation et de la
présentation du premier magazine, en dépit de la faconde
ou la manière personnelle qu’il y a apportée, ne pouvant
par nature se rapporter à l’exécution d’une œuvre littéraire
ou artistique, ou encore d’un numéro de variétés, de cirque
ou de marionnettes (article L. 212-1 du Code de la propriété
littéraire et artistique) ».
M. X. faisait encore valoir qu’en application des dispositions
de l’article L. 131-5 du Code de la propriété littéraire et artistique, il a subi un préjudice de plus de 7/12.
De fait, selon ces dispositions, en cas de cession du droit
d’exploitation, lorsque l’auteur aura subi un préjudice de
plus de 7/12 dû à une lésion ou à une prévision insuffisante
des produits de l’œuvre, il pourra provoquer la révision des
conditions de prix du contrat. Cette demande ne pourra être
formée que dans le cas où l’œuvre aura été cédée moyennant
une rémunération forfaitaire, et la lésion sera appréciée en
considération de l’ensemble de l’exploitation par le cessionnaire des œuvres de l’auteur qui se prétend lésé.
Cependant, pour la Cour de cassation, « M. X. ne peut être
suivi, aucune mesure d’une quelconque lésion ou insuffisance de rémunération ne pouvant être définie, dès lors
qu’en premier lieu, sa contribution créative personnelle
effective à l’œuvre n’a eu qu’un caractère essentiellement
aléatoire et résiduel, et qu’il ne donne aucune espèce d’indication ou de précision sur ce qu’a pu être la consistance
réelle, épisode par épisode, de son apport intellectuel, qu’en
second lieu, contrairement à ce qu’il invoque, son droit ne
peut concerner que les émissions auxquelles il a participé,
jusqu’en juin 2003, et non les suivantes pour lesquelles un
autre présentateur-animateur a été retenu en ses lieu et
place par les producteurs ».
Dans ces conditions, « ne rapportant aucune preuve d’un
principe de lésion ou d’une insuffisance de rémunération,
il ne peut être fait droit, ni à sa demande de liquidation de
l’astreinte ordonnée par le juge de la mise en état (qui n’avait
pour objectif que de lui permettre de quantifier le montant des
ACTUALITÉS
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
2548
La qualification d’œuvre
de collaboration
audiovisuelle appliquée
à un jeu vidéo en ligne
À suivre le Tribunal de grande instance de Paris, les
jeux en ligne constituent une œuvre de collaboration
au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété
intellectuelle dans la mesure où plusieurs personnes
ont concouru à leur réalisation et où il est tout à fait
possible d’attribuer un droit distinct au musicien dont
la contribution, par le biais de la composition musicale,
peut être séparée du reste du jeu vidéo.
TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 sept. 2011, Julien F. c/ Sté Prizee.com et a.,
<www.legalis.net>
Un graphiste et compositeur a été embauché en qualité de
sound designer par la société Prizee.com.
Après avoir été licencié, il a constaté que les musiques qu’il
avait créées pour cette plate-forme de jeux en lige destinée à
un jeune public étaient exploitées avec les jeux mais également
rassemblées sur un CD de compilation et téléchargeable sur
différents sites, et ce sans son autorisation.
Plus précisément au soutien de son action, il avance plusieurs
arguments.
Tout d’abord, il indique avoir été embauché en qualité de
compositeur et, unique salarié en charge de la production
musicale des jeux en ligne, avoir composé l’ensemble des
musiques Prizee.com.
Concernant la compilation, il relève qu’il bénéfice de la présomption de titularité dès lors qu’il est crédité sur la pochette
du disque.
Il soutient également avoir bénéficié d’une autonomie créative dans la mesure où il ne disposait que d’une commande
accompagnée du thème et de l’ambiance des jeux et rédigeait
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
>
39
lui-même le sound design et qu’il n’avait donc pas un rôle de
simple technicien ou exécutant.
Il s’oppose, par ailleurs, à la qualification d’œuvre collective
soulevée en défense, ses créations étant parfaitement identifiables, ayant d’ailleurs fait l’objet d’une publication dans un CD.
Aussi, il s’agit, compte tenu de son travail en concertation
avec la société Prizee.com pour que la musique et les jeux
s’accordent, d’œuvres de collaboration.
Il fait, enfin, valoir que les musiques en cause sont protégeables au titre du droit d’auteur car elles sont le fruit d’un
processus créatif et expriment sa personnalité dans la mélodie,
l’harmonie et le rythme.
Autant d’arguments qui sont rejetés par la société Prizee.com.
Ainsi, elle estime, tout d’abord, que le son et la musique
sont des éléments accessoires dans les jeux qu’elle met à la
disposition des internautes et ne représentent qu’une part
minime du processus de création et qualifie l’activité du
requérant de prestataire sonore ; son activité répondant à
une commande portant sur la nature, la durée, le poids et le
format du son attendu et s’agissant de musique d’atmosphère,
de son contexte et de son style.
Aussi, elle lui dénie toute qualité d’auteur dans la mesure où il
n’a pas été embauché en tant que créateur de musiques mais
d’exécutant technique, n’avait pas d’intervention créative, ni
d’autonomie dans l’exécution des tâches, son travail étant
encadré et se caractérisant par une absence d’autonomie des
choix, dans le respect de consignes strictes et impératives.
Et d’ajouter que son travail ne portait pas sur des créations
d’œuvres originales mais sur l’habillage de jeux vidéo.
Elle estime, enfin, que les jeux en ligne constituent des œuvres
collectives dans lesquelles les œuvres des membres de l’équipe
En bref...
Hadopi : le jeu vidéo moins piraté que la
musique
Selon une étude de la Hadopi, diffusée, le 16 novembre,
le jeu en ligne est moins piraté que la musique ou
la vidéo.
De fait, l’écart entre usages licite et illicite se révèle
moins important.
Publiée à l’occasion du Congrès de l’institut de l’audiovisuel et des télécoms en Europe à Montpellier, cette étude
souligne que « 30 % des internautes ayant déclaré un
usage licite ont consommé des jeux vidéo en ligne au
cours des 12 derniers mois, contre 46 % de ceux ayant
déclaré un usage illicite, soit un écart de 16 points ».
La Hadopi rappelle que cet écart atteint 27 points pour
la musique (50 % d’usage licite et 77 % d’usage illicite)
et 32 points pour la vidéo (39 % d’usage licite et 71 %
d’usage illicite).
À la question posée qui est de savoir la raison pour laquelle
le jeu vidéo est moins touché, sa réponse est la suivante :
« L’industrie du jeu vidéo – historiquement tournée vers le
40
se confondent, l’habillage sonore du jeu n’étant pas indépendant du jeu qu’il accompagne.
Les arguments qui lui sont soumis conduisent le Tribunal à se
prononcer, en premier lieu, sur la qualification des jeux en ligne.
Ainsi, il relève que « certains éléments penchent en faveur de la
qualification d’œuvre collective au sens de l’article L. 113-2 du
Code de la propriété intellectuelle puisque les œuvres musicales
ont été divulguées sous le nom de la société Prizee, réalisées
par un salarié et impliquent une contribution personnelle
de chaque auteur. Cependant, l’ensemble des conditions de
l’œuvre collective n’est pas réuni, en l’absence de la preuve
d’instructions et alors que, contrairement à ce que soutient la
société Prizee.com, la musique ne se fond pas dans l’ensemble
que constitue le jeu vidéo, puisqu’on peut l’écouter sans jouer,
ainsi que l’établit d’ailleurs la commercialisation par la société
Prizee.com d’un CD contenant les créations musicales ».
Il en déduit que « les jeux en ligne constituent une œuvre de
collaboration au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété
intellectuelle, plusieurs personnes ont concouru à leur réalisation et
qu’il est tout à fait possible d’attribuer un droit distinct [au requérant] dont la contribution par le biais de la composition musicale
peut être séparée. Les autres coauteurs, qui ne sont pas identifiés
et n’ont pas été mis en cause, aucune des parties ne soulevant de
fin de non-recevoir de ce chef, ont réalisé la partie graphique de
l’œuvre. La musique des jeux, créée par [le demandeur], fait donc
partie d’une œuvre de collaboration audiovisuelle ».
Le Tribunal statue, en second lieu sur la protection des œuvres
revendiquée par le demandeur.
Il rappelle à cette fin que « l’article L. 111-1 du Code de la
propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de
l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un
numérique – a su tirer parti de la rapide transformation
des usages en proposant des modèles économiques
variés et innovants qui permettent d’élargir les offres en
direction du public (…) et les possibilités de financement
et de rémunération pour les développeurs et éditeurs. »
Universal acquiert la musique
enregistrée d’EMI
Universal Music, filiale de Vivendi, a annoncé, le 11 novembre, la signature d’un accord définitif avec Citigroup
en vue de racheter la branche musique enregistrée de
sa concurrente britannique EMI pour un montant total
de 1,2 milliard de livres sterling (1,4 milliard d’euros).
Cette opération risque cependant de faire l’objet
d’un examen long et minutieux par les autorités de
la concurrence.
Le président du directoire de Vivendi, Jean-Bernard Lévy,
en évoquant les signes de redressement observés notamment aux États-Unis, a souligné que « nous pensons
que nous faisons cette opération au bon moment du
point de vue du cycle de l’industrie musicale ».
Et d’ajouter que cette opération aura un impact positif
sur les résultats de Vivendi dès sa première année et
permettra d’améliorer les marges d’Universal Music.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Hadopi : le jeu vidéo moins piraté que
la musique
Selon une étude de la Hadopi, diffusée, le 16 novembre,
le jeu en ligne est moins piraté que la musique ou la vidéo.
De fait, l’écart entre usages licite et illicite se révèle
moins important.
Publiée à l’occasion du Congrès de l’institut de l’audiovisuel et des télécoms en Europe à Montpellier, cette étude
souligne que « 30 % des internautes ayant déclaré un
usage licite ont consommé des jeux vidéo en ligne au
cours des 12 derniers mois, contre 46 % de ceux ayant
déclaré un usage illicite, soit un écart de 16 points ».
La Hadopi rappelle que cet écart atteint 27 points
pour la musique (50 % d’usage licite et 77 % d’usage
illicite) et 32 points pour la vidéo (39 % d’usage licite
et 71 % d’usage illicite).
À la question posée qui est de savoir la raison pour
laquelle le jeu vidéo est moins touché, sa réponse est
la suivante : « L’industrie du jeu vidéo – historiquement
tournée vers le numérique – a su tirer parti de la
rapide transformation des usages en proposant des
modèles économiques variés et innovants qui permettent d’élargir les offres en direction du public (…)
et les possibilités de financement et de rémunération
pour les développeurs et éditeurs. »
Informatique I Médias I Communication
• OBSERVATIONS • Ce jugement se situe dans la droite ligne de l’arrêt Cyro
de la Cour de cassation du 30 septembre 2009 qui avait déjà refusé pour
les jeux vidéo la qualification d’œuvre logicielle.
Ainsi, elle avait considéré qu’« un jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne
saurait être réduite à sa seule dimension logicielle quelle que soit l’importance
de celle-ci » (Cass. 1re civ., 30 sept. 2009, RLDI 2009/51, n° 16723, obs. L.C).
Nous avions alors indiqué que « la Cour de cassation met[tait] un terme
aux hésitations jurisprudentielles et aux controverses doctrinales soulevées
par la question de la qualification juridique des jeux vidéo ».
Aussi, en les considérant comme des œuvres multimédias en raison de
leur structure complexe qui ne se résume donc pas à leur seule dimension
logicielle ou audiovisuelle, elle s’était par là même prononcée en faveur d’une
gestion distributive des droits sur les différents composants des jeux vidéo.
Nous avions également souligné que, si cette approche était sans aucun doute
plus réaliste en comparaison de l’analyse qu’elle avait pu faire auparavant, la
qualification choisie ne mettait pas pour autant fin à toute incertitude ; celle-ci
générant à son tour un certain nombre de questions nouvellement posées et
laissant subsister de larges zones d’ombre tant sur la qualification appliquée au
jeu vidéo qu’au régime juridique qu’il convient de lui appliquer.
Pour de substantiels éléments d’analyses, voir comm. Marino L., Sardain F.,
Azzabi Z, Auroux J.-B. et Matakovic S., Hassler T., in RLDI 2009/52, n° 1735
à n° 1739.
Informatique I Médias I Communication
On rappellera également que la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt
du 20 septembre 2007, s’était déjà prononcée en ce sens. Excluant la
qualification d’œuvre collective, elle avait considéré qu’il était « possible
d’attribuer au compositeur [de la musique] des droits d’auteur distincts sur
ces œuvres qui, par rapport [au jeu vidéo], est une œuvre de collaboration »
au motif que « la musique ne se fond pas dans l’ensemble que constitue le
jeu vidéo » (CA Paris, 3e ch. sect. B, 20 sept. 2007, RLDI 2008/34, n° 1130 ;
obs. Azzabi Z. ; RIDA 2008, p. 335, obs. Sirinelli P. ; contra Cass. crim., 21 juin
2000, D. 2001, somm., p. 2552, obs. Sirinelli P ; Cass. 1re civ., 27 avr. 2004,
Bull. 2004, I, n° 117 ; Propr. intell. 2004, p. 770, obs. Sirinelli P.).
C’est ce même raisonnement qu’emprunte ici le Tribunal de grande
instance de Paris.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 516 et s., nos 3517 et s.
L.C.
LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE
MARQUES
RLDI
droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous,
comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi
que des attributs d’ordre patrimonial.
Le droit de l’article susmentionné est conféré, selon l’article L. 112-1 du même code, à l’auteur de toute œuvre de
l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le
mérite ou la destination et en particulier (5°) les compositions
musicales avec ou sans paroles.
Il déduit de ses dispositions le principe de la protection d’une œuvre
sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale ».
Dans le même temps, il précise que « lorsque cette protection est
contestée en défense, l’originalité d’une œuvre doit être explicitée
par celui qui revendique des droits d’auteur, seule cette partie étant
à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité ».
Et de le déclarer dans ces conditions recevable à agir pour
certaines des œuvres musicales en cause.
Or, toujours selon le Tribunal, « le fait que ces musiques aient été
réalisées à partir de techniques informatiques ne peut empêcher
leur protection par le droit d’auteur dès lors qu’il ne s’agit pas d’un
simple travail technique mais d’un travail de création. Par ailleurs,
la société Prizee.com n’apporte pas la preuve que les compositions
musicales dont la protection est sollicitée ont été recopiées au sein
de banques de sons, qu’elle s’abstient de verser au débat ».
Concernant, en troisième lieu, la contrefaçon, et pour la caractériser, le Tribunal rappelle qu’« aux termes de l’article L. 122-4 du
Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou
de ses ayants droit ou ayants cause est illicite, et il en est de même
pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
Il relève à cet égard que « la société Prizee.com ne conteste
pas avoir représenté et reproduit, sans le consentement [du
requérant], les œuvres musicales, que ce soit sur le site internet
dont elle est titulaire, à l’occasion de conférences de presse,
dans le restaurant qu’elle exploite et par l’exploitation des
titres figurant sur la compilation Prizee Music (…) ; qu’aucune
pièce ne justifie d’une cession des droits [du demandeur] sur
l’exploitation de ses œuvres alors que dans le cadre d’un œuvre
de collaboration, cette cession est impérative ».
Et de la condamner à lui payer 50 000 € en réparation de son
préjudice fondé sur ses droits patrimoniaux d’auteur.
ACTUALITÉS
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
2549
Utilisation par un moteur
de recherche de marques
notoires de la SNCF comme
marques d’appel
En faisant apparaître sur la page d’accueil d’un site
internet le signe « SNCF » ainsi que sur une page
de résultat de son moteur de recherche un lien
commercial intitulé « TGV » et en affichant, après saisie
par l’internaute sur la barre URL de son moteur de
recherche des signes « SNCF », « TGV », « Transilien »,
« Voyages-SNCF.com » et « Voyages-SNCF » des
liens commerciaux concurrents à des emplacements
privilégiés, les sociétés de l’espèce ont porté atteinte
aux marques notoires « SNCF », « TGV », « Transilien »,
« Voyages-SNCF.com » et « Voyages-SNCF » dont la SNCF
est titulaire.
CA Paris, pole 5, ch. 2, 28 oct. 2011, Sté Tuto4.com c/ SNCF, <www.legalis.net>
Ayant découvert qu’un site internet (<www.lo.st>) utilisait et
reproduisait sans son autorisation certaines de ses marques
qualifiées de notoires afin de diriger le consommateur malgré
lui vers des produits et services identiques ou similaires à ceux
qu’elle-même propose, la SNCF a assigné devant le Tribunal
de grande instance de Paris les exploitant et l’hébergeur de
ce site pour atteintes auxdites marques sur le fondement de
l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle ; action
à laquelle il a fait droit par un jugement du 11 juin 2010, tout
en mettant hors de cause les premiers.
Si sur ce point son jugement est réformé, il est, en revanche,
confirmé à la fois sur la qualification à donner au site internet
incriminé ainsi que sur l’atteinte aux marques en cause.
Ainsi, il lui revenait de trancher, tout d’abord, une nouvelle
fois la question de savoir si la société qui l’héberge doit être
qualifiée d’intermédiaire technique ou d’éditeur.
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>
41
• OBSERVATIONS • Le présent arrêt est riche d’enseignements à plus d’un titre.
Nous retiendrons plus spécialement que c’est pour avoir joué un rôle actif
dans l’apparition des marques notoires de la SNCF en page d’accueil, dans
le but de rediriger les internautes vers des sites concurrents, que le moteur
de recherche de l’espèce est lourdement condamné.
Les décisions qui ont condamné des moteurs de recherche pour avoir utilisé
des marques pour diriger des internautes vers des sites qui ne sont pas
ceux des titulaires desdites marques sont désormais nombreuses (parmi les
plus illustratives, voir par ex., et dans des situations voisines, CA Versailles,
2e ch., 2 nov. 2006, RLDI 2007/24, n° 22, comm. Martin N, à propos de
42
Google AdWords, de la marque renommée « Belle Literie » ; CA Paris, 4e ch.,
28 juin 2006, RLDI 2006/18, n° 529 ; RLDI 2006/18, n° 559, comm. TardieuGuigues É., à propos des marques « Louis Vuitton »).
Les exemples pourraient être multipliés…
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 20011, n° 2515, n° 2710,
nos 4445 et s.
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 473-18
L.C.
RLDI
De fait, pour dénier la faute que lui impute la SNCF, elle affirme
qu’elle n’a agi qu’en qualité d’intermédiaire technique fournisseur
d’hébergement, qu’elle ne propose aucun service de référencement commercial payant auprès des annonceurs puisqu’elle
se contente de faire apparaître, par le biais de son interface de
recherche LO.ST les résultats naturels et les liens commerciaux.
Son argumentation n’est cependant pas reçue pas le Tribunal
dans la mesure où, au vu des éléments propres à l’espèce,
il résulte que « la société (…) en exploitant le moteur de recherche LO.ST (…), a joué un rôle actif avec la connaissance
et le contrôle des données stockées ; elle ne saurait donc être
qualifiée de simple fournisseur d’hébergement mais doit se
voir reconnaître la qualité d’éditeur ».
En effet, à le suivre, « elle ne s’est pas bornée à stocker des informations de nature publicitaire fournies par les annonceurs mais elle a
également de façon délibérée inséré dans sa page d’accueil le mot
clé SNCF lequel dirigeait l’internaute vers des liens concurrents ».
Dans ces conditions, elle ne peut bénéficier du régime de
responsabilité limitée instauré par l’article 6-2 de la loi « pour
la confiance dans l’économie numérique ».
Pour caractériser, ensuite, l’atteinte qui a été commise aux
marques notoires en cause, le Tribunal relève plus spécialement que « le moteur de recherche LO.ST propose aux annonceurs à titre de mots clés, à l’identique ou par imitation, les
marques notoires de la SNCF.
Cette offre faite en connaissance de cause aux annonceurs
a pour objet de leur faire bénéficier du pouvoir attractif des
marques notoires dont la SNCF est titulaire dans le but d’inciter les internautes à cliquer sur elles en croyant être sur un
site officiel de la SNCF, mais en fait, à se voir mener vers des
liens commerciaux qui proposent des prestations similaires ou
identiques, donc concurrentes à celles de la SNCF, telles que des
voyages, des billets de train ou d’avion, des locations de véhicule, des réservations, etc., généralement à des prix bradés ».
Il en déduit que « le moteur de recherche LO.ST mis en œuvre par
les intimés a certes utilisé les marques notoires pour désigner des
produits ou des services authentiques de la SNCF, mais en a fait
un usage non conforme comme marques d’appel pour offrir les
services d’organismes concurrents, lésant les intérêts, d’une part,
du titulaire des marques qui voit celles-ci détournées à des fins
mercantiles, d’autre part des internautes qui reçoivent une information erronée qui les éloigne des services proposés par la SNCF ».
Et d’en conclure que « la connaissance et la maîtrise des données indexées sur le site internet LO.ST font qu’en reproduisant
ou en imitant les marques notoirement connues les sociétés
[intimées] ont porté atteinte de façon effective et actuelle aux
marques dont la SNCF est propriétaire et ont par conséquent
commis une faute qui engage leur responsabilité civile ».
Elles sont en conséquence condamnées à lui verser 250 000 €
à titre de dommages et intérêts.
2550
À vos marques, le sport,
ce n’est pas du jeu
Les services de paris en ligne ne sont pas nécessairement
associés aux événements sportifs. Le consommateur
moyen normalement informé et raisonnablement attentif
et avisé ne saurait confondre ou attribuer une origine
commune aux signes « GOAL » et « GOAL AN’MILE ».
CA Versailles, 12e ch., 22 nov. 2011, n° 11/01718, SA La Française des Jeux
c/ INPI, <www.lamyline.fr>
La Française des Jeux, titulaire de la marque verbale communautaire « GOAL », forme une action en opposition du dépôt de
la marque verbale « GOAL AN’MILE », rejetée par le directeur de
l’INPI au motif qu’il n’y a pas similarité entre les activités sportives
visées par la demande d’enregistrement et les jeux, organisation
de loteries et autres jeux de hasard de la marque appartenant à
la demanderesse. S’ensuit un recours dans lequel La Française
des Jeux soutient qu’il existe un lien étroit entre le jeu et le sport.
Les juges versaillais considèrent que « la complémentarité suppose l’existence d’une relation étroite et nécessaire susceptible de
générer un risque de confusion et non pas un simple lien éventuel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que les services
de paris en ligne ne sont pas nécessairement associés aux événements sportifs ». De même, « la société La Française des Jeux ne
saurait prétendre à la similarité des services de photographie de
la marque antérieure et les services de production d’émissions de
télévision, les seconds n’ayant pas obligatoirement recours aux
premiers, de même que les premiers sont généralement rendus
indépendamment des seconds ». Et, elle ne saurait soutenir
qu’ils relèvent de la catégorie plus générale du divertissement
puisque les services de divertissement ne figurent pas dans
la marque antérieure. Ainsi, « cette société ne peut invoquer le
lien qu’elle a fait dans son acte d’opposition, entre les services
d’informations en matière de divertissement de la demande
d’enregistrement et les services de divertissement lesquels ne
sont pas visés au dépôt de la marque première ».
Concernant la comparaison des marques et le risque de confusion allégué, les juges apprécient les deux marques, l’une
portant sur la dénomination verbale « GOAL » en lettres majuscules d’imprimerie droites et noires tandis que la demande
d’enregistrement est constituée du signe verbal, présenté en
lettres majuscules droites et noires « GOAL AN’MILE ».
Ils relèvent que « si le terme “GOAL” revêt un caractère dominant dans la marque antérieure en tant que seul élément verbal
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
permettant de désigner celle-ci, tel n’est pas le cas dans le signe
contesté où cette dénomination se trouve accompagné des termes
“AN’MILE” ». En effet, les vocables « AN’MILE » sont arbitraires
et « tout aussi perceptibles, individualisables et distinctifs” ;
“visuellement, les deux signes diffèrent par leur longueur et leur
structure” ; “phonétiquement, les signes se différencient par des
rythmes distincts, un temps pour la marque première et trois
temps pour le signe contesté » ; enfin, « conceptuellement, si la
marque antérieure évoque la notion de but, le signe second n’a
pas de signification propre, le vocable GOAL étant perçu comme
faisant partie d’une expression anglo-saxonne ».
Et d’en conclure que « les signes en présence produisent une
impression d’ensemble différente qui exclut tout risque de confusion, le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé n’étant pas conduit à confondre,
voire à associer les deux signes et à leur attribuer une origine
commune » et « la seule reprise du terme GOAL au sein du signe
contesté n’est pas de nature à créer un risque de confusion ».
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 2506 et s.
RLDI
M.T.
2551
Gare aux politiques de
référencement naturel trop
audacieuses !
Constitue un acte de concurrence déloyale la
multiplication de sites satellites comportant des mots
clés de nature à placer son nom de domaine en tête
des moteurs de recherche.
CA Douai, 1re ch., 2e sect., 5 oct. 2011, Sté. Saveur Bière c/ Céline S. et a.,
<www.legalis.net>
Une société de vente à distance de bière, la société Sélection
Bière, propriétaire du nom de domaine <selection-biere.com>,
se plaint de la politique de référencement d’un de ses concurrents, la société Saveur Bière, qui utilise un nom de domaine
similaire au sien – <selectionbiere.com> – redirigeant les
internautes vers son site <saveur-biere.com> qui, de surcroît,
est positionné en tête de liste des pages de résultat du moteur
de recherche Google grâce à la création de sites satellites (<misterbiere.com>, <in2beers.com>, <mister-biere.com>, <esprit-biere.com>, <couleur-biere.
com>, <couleursbieres.com>, <monsieurbiere.com>, <aufrigo.fr>) contenant
uniquement des mots clés, notamment le nom de domaine <selectionbiere.com> et des mentions élogieuses de ses produits.
Dans un jugement rendu par le Tribunal de Roubaix-Tourcoing, elle obtient la condamnation de cette société pour
concurrence déloyale et le transfert, sous astreinte, du nom
de domaine <selectionbiere.com>.
La société Saveur Bière interjette appel de la décision.
Concernant le transfert du nom de domaine <selectionbiere.
com>, la Cour d’appel de Douai infirme le jugement après
avoir rappelé que l’usage d’un nom de domaine est « soumis
à l’action en responsabilité délictuelle de droit commun régie
par l’article 1382 du Code civil, qui suppose la démonstration
Informatique I Médias I Communication
d’une concurrence déloyale par un usage excessif de la liberté
du commerce par des procédés qui rompent l’égalité dans les
moyens de la concurrence ». Or, « ces deux termes [sélection et
bière] pas plus que leur association ne présentent de caractère
distinctif par rapport à l’objet du site désigné, qu’ils évoquent en
eux-mêmes, ni ne permettent l’identification d’une entreprise
particulière ; que dans ces conditions, il ne peut être fait grief
aux intimés d’en avoir fait usage ».
Mais, constatant que « lorsque l’on saisit différents mots clés
identiques ou similaires à selection bière dans les différents moteurs de recherche (Google, Yahoo !, Voila, MSN, AOL, Altavista,
Excite, Alltheweb, Lycos) ce sont les sites <selectionbiere.com> et
<saveur-biere>, ou les sites qui leur sont liés qui apparaissent ».
Et de constater que les sites <misterbiere.com>, <in2beers.
com>, <mister-biere.com>, <esprit-biere.com>, <couleur-biere.com>, <couleursbieres.com>, <monsieurbiere.
com> lui appartenant, « n’offrent aucun service, sinon de
proposer une suite de liens renvoyant sur le site principal de
la société Saveur Bière ».
Sachant que « les moteurs de recherche classent les sites selon
leur indice de popularité calculé en fonction du nombre de liens
pointant vers eux qu’en outre ces sites dits satellites comportent
un grand nombre de fois le mot clé “bière” indicatifs retenus par
les moteurs de recherche pour élaborer le classement en page
de résultats », il ressort que « l’ensemble de ces techniques est
destiné à tromper les moteurs de recherche sur la qualité d’une
page ou d’un site afin d’obtenir par un mot clé donné, un bon
classement dans les résultats de moteurs ».
Pour leur défense, « les intimés exposent que cet excellent référencement s’expliquerait par les dépenses engagées pour la notoriété
de leur site mais ne produisent qu’une copie d’un document
élaboré par eux-mêmes répertoriant des sommes censées représenter des frais de publicité auprès de différents supports pour les
années 2007 et 2008 qui n’offre toutefois aucun caractère probant
dès lors qu’il n’est confirmé par aucun document comptable ».
Et les juges d’en conclure qu’« en multipliant la réservation de
noms de domaine comportant à de nombreuses reprises le terme
“bière” favorisant la création de liens orientant vers leur nom de
domaine, le plaçant de ce fait en tête des moteurs de recherche,
Julien L. et la SARL Saveur Bière ont commis des actes de concurrence déloyale en privant le site appartenant à Céline S., qui exerce
dans le même secteur d’activité, d’être normalement visité ».
La société est condamnée sous astreinte de 150 € par jour de
retard à compter de la signification du présent arrêt à supprimer les sites satellites du site <saveur-biere.com>. Ainsi, la
demande tendant à voir supprimer le nom de domaine <selectionbiere.com> dans ces sites satellites devient donc sans objet.
Enfin, « affirmant faussement sur leur site <saveur-biere.com>
que les nouveaux produits qu’ils commercialisent sont plus fiables
que les anciens produits, qui sont ceux commercialisés sur le marché allemand et distribués par Céline S., la SARL Saveur Bière et
Julien L., en leur qualité de propriétaire du nom de domaine et
d’exploitant du site, commettent des actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale au préjudice de leur concurrente
dont les produits sont signalés comme déficients ».
Ainsi, « la captation par Julien L. et la SARL Saveur Bière de clients
potentiels par la redirection vers le site internet <saveurbiere.
com> par le biais de sites satellites dont c’est la seule finalité
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
ACTUALITÉS
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
>
43
et le dénigrement des pompes à bière qu’elle commercialise ont
causé à Céline S., leur concurrente, un préjudice commercial et une
atteinte à l’image de sa société qui seront justement indemnisés
par l’allocation de la somme de 10 000 € à titre de dommages et
intérêts ; que le jugement sera donc infirmé de ce chef ».
Enfin, la demande d’indemnisation des appelants liée à la
publicité détournée auprès de l’ensemble des internautes se
connectant sur la page d’accueil du site est rejetée par les
juges, la décision de première instance étant partiellement
confirmée, « ils ne peuvent invoquer aucun dommage ni faute
de l’intimée à l’origine de ce dommage ».
• OBSERVATIONS • L’amélioration du classement des sites web dans les
résultats des moteurs de recherche est d’une importance capitale pour
les entreprises. Cette activité d’optimisation du référencement, appelée
référencement naturel ou SEO, acronyme de Search Engine Optimization,
dépend des algorithmes utilisés par les robots d’indexation des moteurs de
recherche et propres à chacun d’eux : mots clés, métatags, liens extérieurs
pointant vers le site, recherches antérieures, etc. (pour une définition, voir
CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08). En comprenant les critères d’indexation
des pages de sites web, en choisissant des expressions clés et des noms de
domaine pertinents, on augmente sa visibilité sur les moteurs de recherche,
En bref...
Universal acquiert la musique enregistrée
d’EMI
Universal Music, filiale de Vivendi, a annoncé, le
11 novembre, la signature d’un accord définitif avec
Citigroup en vue de racheter la branche musique
enregistrée de sa concurrente britannique EMI pour
un montant total de 1,2 milliard de livres sterling
(1,4 milliard d’euros).
Cette opération risque cependant de faire l’objet d’un
examen long et minutieux par les autorités de la concurrence.
Le président du directoire de Vivendi, Jean-Bernard Lévy,
en évoquant les signes de redressement observés notamment aux États-Unis, a souligné que « nous pensons
que nous faisons cette opération au bon moment du
point de vue du cycle de l’industrie musicale ».
Et d’ajouter que cette opération aura un impact positif
sur les résultats de Vivendi dès sa première année et
permettra d’améliorer les marges d’Universal Music.
Marché de la musique : la progression
continue des ventes numériques
Telle est l’une des principales tendances révélées par
les chiffres du Syndicat de l’édition phonographique
(Snep), le 16 novembre.
Elles progressent ainsi fortement (+ 22,7 %).
Dans le même temps, le marché de la musique enregistrée a reculé de 5,6 % au cours des neuf premiers
mois de 2011.
Ainsi, sur les neuf premiers mois de l’année, le marché
de gros de la musique enregistrée a représenté au total
321,3 millions d’euros contre 340,4 millions d’euros
pour la même période de l’année précédente, a précisé
David El Sayegh, directeur général du Snep lors d’un
point presse.
44
à moindres frais, sans recourir aux adwords (SEM pour Search Engine
Marketing).
En l’espèce, une société de vente à distance de bières avait eu l’idée de créer
une dizaine de sites satellites avec des noms de domaine évocateurs de
son activité dans le but d’augmenter le ranking du site principal. Cette idée
n’est pas sans rappeler les effets du SMO (pour Social Media Optimization)
qui permettent d’obtenir des liens « naturellement » en incluant son site
dans une communauté. Cependant, les juges ont condamné purement
et simplement cette pratique considérant qu’elle était constitutive de
concurrence déloyale. La solution est vivement critiquée par la doctrine
et source de nombreux questionnements. Par exemple, pour justifier
la concurrence déloyale, faut-il démontrer que les sites satellites sont
uniquement destinés à optimiser le référencement d’un site principal (voir
Haas G., Lorsque la concurrence vire à la mise en bière, <http://www.
haas-avocats.com>) ? Et quid du préjudice réel subi par les concurrents ?
Sachant qu’en l’espèce le préjudice commercial n’est nullement quantifié
alors que « les pratiques destinées à être visibles sur les moteurs ne peuvent
être jugées déloyales qu’à la condition d’être effectivement à l’origine d’un
préjudice pour un concurrent » (voir Manara C., Une société sanctionnée
pour son référencement… ou quand il est mal vu d’être bien vu, D. Actu.,
2 déc. 2011 et, spéc., CA Paris, 13 mars 2002, D. 2002, p. 1752, obs.
Manara C.)
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 2710.
M.T.
Les ventes physiques continuent de s’effondrer
avec une chute de 12,2 % à 242,2 millions d’euros
(275,9 millions d’euros en 2010).
En revanche, les ventes numériques augmentent de
22,7 %, à 79,1 millions d’euros.
Pour David El Sayegh et Denis Ladegaillerie (directeur
général et président du Snep), il s’agit d’« une tendance
qui devrait se confirmer » dans les mois à venir.
La part du marché du numérique s’établit désormais à
24,6 % contre 18,6 % en 2010.
Sur ce segment, les revenus tirés des abonnements ont
bondi de 87,9 %, à 17,7 millions d’euros, et représentent désormais 22,5 % des revenus numériques, contre
14,6 % au cours des neuf premiers mois cumulés
de 2010.
Les revenus du streaming (diffusion en continu), financés par la publicité, ont augmenté de 45,7 %,
à 9,8 millions d’euros, et représentent 12,4 % des
revenus numériques, contre 10,4 % pour les neuf
premiers mois de l’année 2010.
Les téléchargements à l’unité restent la principale source
de revenus numériques (51,1 % de ce segment) mais
baissent un petit peu (53,9 % pour les neuf premiers
mois de l’année 2010).
Les revenus tirés de la téléphonie mobile (sonneries…),
un marché en fin de cycle, poursuivent leur baisse
(– 18 %, soit – 2,4 millions d’euros).
Et de souligne que « le marché du numérique est
conditionné par le streaming et l’abonnement qui
représentent plus d’un tiers de ce marché ».
À terme, ils espèrent « que le numérique tire l’ensemble
du marché de la musique enregistrée vers le haut »
en mettant en place de nouveaux outils et notamment
des « services à forte valeur ajoutée ».
Chanson française à la radio : l’exception
culturelle renforcée
Si les radios sont libres d’assurer la programmation de
leurs antennes, elles sont toutefois tenues par la loi de
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
respecter une proportion de diffusion de chansons
d’expression française et d’en fournir chaque mois le
décompte au Conseil au nom de l’exception culturelle
française. Dans ce cadre, les professionnels de la
filière musicale, les organisations professionnelles
des producteurs phonographiques et des opérateurs
radiophoniques sont convenus avec le CSA de nouvelles mesures en faveur d’une exposition accrue des
chansons d’expression originale française.
Les conventions des radios comporteront plusieurs
mesures destinées à promouvoir l’exception culturelle. La période durant laquelle un titre bénéficie de
la qualification de « nouvelle production » est portée
de six à neuf mois. La définition conventionnelle des
« nouveaux talents » est inchangée. Pour permettre
une meilleure exposition des artistes d’expression
française, les heures d’écoute significative le weekend sont écourtées et seraient fixées de 8 heures à
22 h 30 le samedi et le dimanche au lieu de 6 h 30
à 22 h 30. À partir du 1er janvier 2012, seuls les
titres musicaux dont la durée de diffusion sera d’au
moins deux minutes (une minute aujourd’hui) seront
prises en compte par le CSA, ainsi que ceux d’une
durée inférieure à deux minutes dès lors qu’ils seront
diffusés dans leur intégralité. Un délai de trois mois
est prévu pour permettre aux éditeurs d’adapter leur
programmation.
Enfin, le CSA souhaite que l’Observatoire de la musique prenne en compte, dans son panel, de nouvelles stations musicales originales en termes de
genres musicaux exposés (42 stations contre 31
actuellement). Et les producteurs s’engagent avec
la Société civile des producteurs phonographiques
(SCPP) et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) à communiquer à
l’Observatoire de la musique des données chiffrées
relatives à la production francophone annuelle de
nouveautés par genre musical (CSA, communiqué,
10 nov. 2011).
Informatique I Médias I Communication
SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DE
Pierre Sirinelli, Professeur à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne
Michel Vivant, Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris
L
e rapport du sénateur François Trucy sur l’évaluation de la loi du 12 mai 2010 relative
à la concurrence et la régulation des jeux d’argent et de hasard en ligne a été approuvé,
le 15 octobre, par la Commission des finances du Sénat (JO doc. Sénat, n° 17).
Ce rapport intervient après ceux de Jean-François Lamour, de l’Autorité de régulation des jeux
en ligne et du Livre blanc de l’Association française des jeux en ligne.
Il est aussi le quatrième document lié au secteur à recommander que la taxation des opérateurs bascule
d’un impôt sur les mises vers une taxe sur le produit brut des jeux.
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
De fait, et plus précisément, il dresse, tout d’abord, le bilan de l’application de la loi, se félicitant d’avoir
tenu un calendrier impossible, et que des modalités d’application aient été rapidement fixées,
à quelques exceptions près.
En revanche, il regrette que des conventions pluriannuelles avec les opérateurs historiques n’aient toujours
pas été signées et que l’installation d’un Comité consultatif des jeux ait pris un retard inacceptable.
Il formule également 69 propositions qui permettraient de parfaire l’atteinte des objectifs recherchés
par le législateur : développer une concurrence loyale du marché des jeux et des paris en ligne tout
en apportant le maximum de sécurité aux joueurs et en préservant les intérêts – notamment financiers –
de l’État et des différentes filières concernées.
Ainsi, afin de trouver un meilleur équilibre pour l’activité des opérateurs légaux, il propose
principalement de maintenir l’interdiction des jeux de chance et de hasard en ligne et d’évaluer
le niveau de dépendance lié à l’offre correspondante de la Française des jeux ; d’amorcer rapidement
une réflexion sur l’intégration des jeux d’habileté en ligne dans le champ du régime d’agrément de la loi
du 12 mai 2010 et de la surveillance de l’Arjel ; de retenir l’assiette du produit brut des jeux (PBJ) pour
les jeux en ligne tout en maintenant le principe du plafonnement du TRJ. Dans une phase ultérieure,
il préconise d’appliquer la même assiette aux paris hippiques et sportifs du réseau physique.
Si l’assiette du PBJ est mise en œuvre, il appartient au Gouvernement de fixer le nouveau taux du prélèvement,
dans le cadre d’un arbitrage entre la sécurité fiscale à court terme et une possible redynamisation du marché
légal. On notera cependant qu’il reste favorable au maintien de la fiscalité actuelle.
Si l’assiette des mises est maintenue, le taux de prélèvement fiscal applicable aux paris sportifs pourrait
être aligné sur le nouveau taux des paris hippiques, soit 4,6 %.
Afin de renforcer la lutte contre la fraude et l’offre illégale, le rapport propose notamment de promouvoir
les solutions techniques dites « d’identification forte » des joueurs en ligne, sans pour autant leur
donner force de loi ; de demander à l’Arjel qu’elle intensifie ses investigations sur l’existence de « robots
informatiques » et le degré de menace qu’ils représentent pour l’authentification des joueurs ;
de renforcer les mises à disposition d’agents investis de pouvoirs de police judiciaire auprès de l’Arjel.
Enfin, quant à ses pouvoirs, à son efficacité et à sa transparence, il recommande principalement
de la doter de la personnalité morale, ou à défaut de consacrer un droit d’action civile de son président
en cas de publicité pour un site illégal, quels que soient les jeux et paris en ligne en cause ; d’octroyer
au collège de l’Arjel, en cas d’urgence et de manquement d’une particulière gravité, la faculté
de prendre, dans des délais brefs et sous le contrôle de la Commission des sanctions, une mesure
conservatoire à l’encontre d’un opérateur, consistant en une suspension provisoire de l’agrément,
l’interdiction de tout ou partie de l’offre de jeux ou la modification de ses caractéristiques.
La décision du collège devrait être motivée et rendue publique, et serait susceptible de recours.
Le Comité consultatif des jeux dont le sénateur François Trucy assure la présidence devait examiner
ce rapport et se prononcer sur les propositions ainsi faites.
Sur ce même terrain, on relèvera que le Gouvernement, ainsi que l’a prévu la loi du 12 mai 2010, a publié,
le 2 novembre, un rapport d’évaluation sur l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur
des jeux d’argent et de hasard en ligne 18 mois après avoir promulgué la loi (<www.budget.gouv.fr>).
Il décrit ainsi la politique des jeux mise en œuvre en France depuis la promulgation de la loi et, après
un état des lieux du secteur, 49 recommandations sont formulées pour parfaire l’équilibre entre
la volonté d’ouvrir le secteur dans des conditions suffisamment attractives pour assécher le marché
illégal et la volonté d’exclure du champ de l’ouverture toute activité risquée pour la santé des joueurs,
sensible au blanchiment d’argent ou constituant une menace pour l’intégrité des compétitions sportives.
À suivre…
Lionel COSTES
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
45
PPar Luc
L
GRYNBAUM
RLDI
Professeur à l’Université
Paris-Descartes
Directeur du master II
Droit des activités
numériques
Doyen honoraire
de la Faculté de droit
de La Rochelle
L
2552
Le monopole du PMU sur les courses
hippiques hors internet soumis
à conditions par la Cour de justice
Retour sur la décision de la CJUE du 30 juin dernier qui a considéré qu’un monopole sur
les paris hippiques hors hippodromes pouvait être justifié dans certains pays de l’Union
européenne et en explicite les conditions, dans un contentieux opposant le PMU à la société
de droit maltais Zeturf.
CJUE, 30 juin 2011, aff. C-212/08, RLDI 201/75, n° 2491
’arrêt du 30 juin 2011 de la Cour de justice a
été rendu sur une question préjudicielle émanant du Conseil d’État qui avait à connaître
d’un recours de la société Zeturf. Cette dernière organise des courses en ligne depuis son
site installé à Malte et demandait de déclarer nul le monopole
du PMU pour organiser les paris sur course hippiques en dehors des champs de courses. Ce monopole trouve sa source
dans la loi du 2 juin 1891 et le décret n° 97-456 du 5 mai
1997. Le Conseil d’État a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle par arrêt du 9 mai 2008 afin de savoir si la
Cour de justice estimait ce monopole conforme aux articles
49 et 50 du Traité CE relatifs à la libre prestation de services.
Cette saisine présente la particularité d’être intervenue avant
l’adoption de la loi du 12 mai 2010 sur les jeux et paris en
ligne (1). Ce texte a ouvert à la concurrence les paris sportifs,
le pari mutuel sur courses hippiques et les jeux de cercles
en ligne.
La loi du 12 mai 2010 a donc ouvert une brèche dans le
monopole du PMU, tout en précisant quelques principes.
L’article 1er de la loi a fixé le cadre dans lequel l’État a inscrit
son action. Après avoir affirmé que « les jeux d’argent et de
hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire » ; il est ajouté qu’ils « font l’objet d’un encadrement
strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique
et de protection de la santé et des mineurs ». On retrouve
ces objectifs dans l’arrêt de la Cour de justice pour justifier
l’existence d’un monopole.
L’article 3, I, de la loi du 12 mai 2010 développe encore
les buts poursuivis par le législateur en ajoutant que l’État
s’est fixé pour objectif de « limiter et d’encadrer l’offre et
la consommation des jeux et d’en contrôler l’exploitation »
afin de « prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger
les mineurs » ; d’« assurer l’intégrité, la fiabilité et la trans-
parence des opérations de jeu » ; de « prévenir les activités
frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » et enfin de « veiller au
développement équilibré et équitable des différents types de
jeu afin d’éviter toute déstabilisation économique des filières
concernées ». Ces dispositions déterminent donc les missions
de maintien de l’ordre public qui appartiennent à l’État et
qui justifient son intervention : prévention des risques pour
les joueurs, a fortiori mineurs, et lutte contre la criminalité.
Cette motivation n’est pas inutile car elle vise non seulement
à justifier une législation dont le principe de libéralisation des
jeux est discutable dans l’ordre interne, mais encore fonde
le contrôle de l’État français sur cette activité au regard des
exigences de liberté de marché du droit européen.
L’article 4 donne les définitions du pari hippique ou du
pari sportif organisé en France ou à l’étranger ; ces derniers
reposent sur l’exactitude du pronostic des parieurs. Le périmètre des activités de jeux et paris ouverts à la concurrence
et ceux restant sous monopole est défini à l’article 3, II. Tout
d’abord le principe demeure que les jeux et paris réalisés grâce
à des installations physiques restent soumis aux dispositions
législatives actuelles (2). C’est-à-dire que les paris hippiques
qui ne se réalisent pas par internet et sont pris en dehors des
hippodromes demeurent le monopole PMU.
L’arrêt rendu par la Cour de justice, le 30 juin 2011, dans
une affaire qui a été introduite avant la libéralisation des paris
par internet, présente donc un intérêt certain pour l’avenir
de ce monopole. Ce dernier est-il justifié pour les paris qui
ne sont pas pris par internet ou sur les hippodromes ? Plus
exactement, le Conseil d’État avait posé deux questions à la
Cour de justice. La Haute Juridiction administrative demandait
si les efforts de publicité réalisés par le titulaire d’un monopole n’étaient pas contraires aux objectifs de lutte contre le
développement du jeu, dès lors susceptibles de remettre en
(1) Loi n° 2010-476, 12 mai 2010, relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8881. La loi est complétée par
les décrets n° 2010-481, du 12 mai 2010 relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’Autorité de régulation des jeux en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8927 ; n° 2010-482, 12 mai 2010, fixant
les conditions de délivrance des agréments d’opérateur de jeux en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8930 ; n° 2010-483, du 12 mai 2010 relatif aux compétitions sportives et aux types de résultats
sportifs définis par l’Autorité de régulation des jeux en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8932. (2) La loi du 2 juin 1891 sur les courses hippiques connaît des modifications par les articles 56 et 57 de
la loi mais qui ne remettent pas en cause le monopole du PMU sur les paris qui n’ont pas lieu en ligne.
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Informatique I Médias I Communication
jeu, il serait alors possible de « segmenter » le marché. Les
cause la justification du monopole. Il était ensuite soulevé
effets du monopole pourraient être appréciés hors internet
la question du champ d’appréciation de l’atteinte portée à
et hors hippodrome.
la liberté de prestation de services par le monopole. Cette
Cet arrêt est à replacer dans le courant jurisprudentiel initié
atteinte devait-elle s’apprécier à l’égard de la seule offre par
par la Cour de justice et la politique extrêmement libérale de
internet ou bien plus largement en considérant l’ensemble du
la Commission sur la question des jeux.
secteur des paris hippiques.
En effet, la France faisait l’objet depuis le 12 octobre 2006
La réponse de la Cour de justice est assez nuancée. Elle
d’une action en manquement initiée par la Commission euréaffirme que le monopole conféré à un opérateur par un
ropéenne qui lui demandait d’expliquer si sa législation sur
État membre est possible dès lors qu’il permet d’atteindre
les paris sportifs n’était pas contraire au principe de la libre
les objectifs de lutte contre la criminalité et de lutte contre
circulation des services. Cette position de la Commission avait
l’assuétude au jeu des consommateurs. Toutefois, il convient
été reprise un temps par la jurisprudence communautaire. Un
de veiller à ce que l’État membre poursuive véritablement de
premier arrêt, Zenatti (3), assez nuancé, avait décidé que « les
tels objectifs en instaurant un monopole ; que cet État contrôle
étroitement l’institution investie du monopole afin de veiller
dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services
à ce que cette dernière poursuive également ces objectifs. En
ne s’opposent pas à une législation nationale qui réserve à ceroutre, la publicité réalisée par le détenteur du monopole ne
tains organismes le droit de collecter des paris sur les événements
peut se justifier qu’en montrant que le
sportifs, telle que la législation italienne,
développement des jeux exclusivement
si cette législation est effectivement justiCet arrêt est à replacer
par ce dernier permet de lutter contre la
fiée par des objectifs de politique sociale
dans le courant
criminalité et l’assuétude au jeu. Cette
visant à limiter les effets nocifs de telles
jurisprudentiel initié par
publicité ne peut être que mesurée et
activités et si les restrictions qu’elle imla Cour de justice et la
limitée à la nécessité de canaliser les
pose ne sont pas disproportionnées au
politique extrêmement
consommateurs vers ces jeux licites.
regard de ces objectifs ». Il en résultait
libérale de la Commission
En effet, il a souvent été reproché
que les limitations étatiques aux jeux et
au PMU d’encourager le jeu par des
paris étaient justifiées dès lors qu’elles
sur la question des jeux.
campagnes publicitaires très incitatives.
obéissaient exclusivement à l’objectif de
La Cour de justice admet donc la publicité par les titulaires de
restriction de la pratique du jeu ou pari. Puis, dans les arrêts
monopoles si elle est de nature à empêcher le développement
Gambelli (4) et Placanica (5) la Cour de justice s’était montrée
de jeux non contrôlés, notamment ceux qui seraient proposés
beaucoup plus défavorable à ces restrictions. Aux termes de ces
par des organisations criminelles.
arrêts, une législation nationale « qui interdit l’exercice d’activités
Sur la seconde question relative à la manière d’apprécier
de collecte, d’acceptation, d’enregistrement et de transmission de
la restriction de concurrence engendrée par le monopole, la
propositions de paris, notamment sur les événements sportifs, en
Cour de justice distingue, au-delà du cas de la France, deux
l’absence de concession ou d’autorisation de police délivrées par
types de dispositifs législatifs. Quand la législation nationale
l’État membre concerné » constituait une violation des articles
instaure un monopole général, quelle que soit la modalité de
43, sur la liberté d’établissement, et 49, sur la libre prestation
prise de paris, il faudrait juger de l’atteinte à la libre prestation
de services. Il appartenait donc aux juridictions nationales « de
de services en prenant en considération tous les marchés : par
vérifier si une telle réglementation, au regard de ses modalités
internet ou non. Toutefois, la Cour ajoute qu’il ne doit pas être
concrètes d’application, répond véritablement aux objectifs
procédé ainsi s’il est démontré qu’internet risque d’accroître
susceptibles de la justifier et si les restrictions qu’elle impose
la propension au jeu par rapport aux canaux traditionnels.
n’apparaissent pas disproportionnées au regard de ces objectifs ».
La Cour prévoit ensuite le cas d’une législation nationale qui
La jurisprudence communautaire avait été reprise par la
s’applique indifféremment aux paris pris en ligne ou non. Dans
Cour de cassation qui, dans un arrêt du 10 juillet 2007 (6),
ce dernier cas il faut apprécier l’atteinte à la libre prestation de
avait censuré l’arrêt d’appel qui avait admis le monopole du
services sans distinguer selon que le pari est pris par internet
PMU en demandant à la Cour de renvoi de vérifier si cette
ou par les autres moyens.
situation correspondait à une véritable politique sociale de
La France ayant adopté une législation qui distingue
restriction du jeu et de rechercher si les autorités nationales
entre internet et hors internet, il convient au Conseil d’État
ont adopté une politique expansive dans le secteur des jeux
d’appliquer la première branche de l’alternative. C’est-à-dire
afin d’augmenter les recettes du Trésor public. En outre, la
qu’en principe l’atteinte que porte le monopole du PMU à la
Cour de cassation avait indiqué que la Cour de renvoi devait
libre prestation de services s’apprécie sur le marché considéré
vérifier si l’État membre d’origine de l’organisateur des paris,
dans son ensemble : hors internet et internet. Toutefois,
Malte en l’espèce, n’avait pas déjà pris des mesures afin de
s’il est démontré qu’en France, l’offre de paris hippiques
limiter les occasions de jeu et prévenir l’exploitation de ces
par internet est susceptible d’augmenter la propension au
activités à des fins criminelles ou frauduleuses.
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
>
(3) CJCE, 21 oct. 1999, Zenatti, aff. C-67/98, <www.curia.europa.eu/jurisp>. (4) CJCE, 6 nov. 2003, Gambelli, aff. C-243-01, JOCE 10 janv. 2004, n° C 7, p. 7, <www.curia.europa.eu/jurisp>.
(5) CJCE, 6 mars 2007, aff. jtes. Placanica, aff. C-338-04, Pallazzese, aff. C-359-04, Sorricchio, aff. C-360-04, <www.curia.europa.eu/jurisp>. (6) Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-13986, arrêt
Zeturf, Bull. civ. IV, n° 186.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
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LE MONOPOLE DU P M U SU R LES COU R SES H I P P IQU ES HOR S I NTER N ET (…)
Cette jurisprudence défavorable au monopole a été remise
en cause par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne
Santa Casa dans lequel il a été décidé que « l’article 49 CE ne
s’oppose pas à une réglementation d’un État membre, telle que
celle en cause au principal, qui interdit à des opérateurs, comme
Bwin International Ltd., établis dans d’autres États membres,
où ils fournissent légalement des services analogues, de proposer des jeux de hasard par l’internet sur le territoire dudit État
membre » (7).
Cet arrêt, qui constitue un revirement de jurisprudence, a légitimé les législations nationales restrictives,
motif pris de la lutte contre la fraude et la criminalité. Il
a rouvert ainsi une large possibilité de contrôle strict des
États membre sur l’activité de jeux et paris. Il semble que
l’arrêt Santa Casa (8) aurait sans doute permis de maintenir le statu quo en justifiant les monopoles existants
notamment par le souci de lutter contre le développement
du jeu. Toutefois, cette position attentiste n’aurait sans
doute pas été efficace pour encadrer l’offre de jeux en
ligne réalisée par des prestataires établis en dehors des
frontières hexagonales. La réponse législative était donc
nécessaire.
La réponse de la Cour de justice aux questions posées par
le Conseil d’État invite le PMU à démontrer devant le Conseil
d’État qu’il est justifié de maintenir son monopole pour les
paris hors internet et hippodromes. Pour cela, il doit d’abord
prouver qu’internet constitue un facteur d’accroissement de
la demande de jeux ce qui fondera le traitement séparé du
marché internet et hors internet. Il faudra enfin que le PMU
explique que ses campagnes publicitaires visent à canaliser la
demande des consommateurs vers l’offre légale et la détourner
d’une offre qui serait illicite. C’est au prix de cette construction
juridique dictée par la Cour de justice que le PMU sauvera
son monopole. ◆
(7) CJCE, 8 sept. 2009, aff. C-42/07, Liga Portuguesa de Futebol Profissional, Bwin International Ltd. c/ Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericórdia de Lisboa, D. 2009, p. 2585,
note Clergerie J.-L. ; Idot L., Ouverture à la concurrence des jeux en ligne : la Cour de justice redistribue les cartes ?, Europe 2010, n° 10, p. 2 ; notre commentaire, in RLDI 2009/53, n° 1762 ;
Verbiest T., Monov M., in RLDI 2009/54, n° 1809 ; Forti V., in RLDI 2009/54, n° 1810. (8) Précité.
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Décision
(extraits)
Arrêt de la Cour
(8e chambre),
30 juin 2011
« (…) JOUE,
27 août 2011,
n° C-252/2
Dans l’affaire C-212/08,
ayant pour objet une demande de décision
préjudicielle au titre de l’article 234 CE,
introduite par le Conseil d’État (France), par
décision du 9 mai 2008, parvenue à la Cour le
21 mai 2008, dans la procédure
Zeturf Ltd
contre
Premier ministre,
(…)
La demande de décision préjudicielle porte sur
l’interprétation des articles 49 CE et 50 CE.
2. – Cette demande a été présentée dans
le cadre d’un litige opposant Zeturf Ltd (ciaprès « Zeturf »), une société de droit maltais,
au Premier ministre français à propos d’une
décision implicite de ce dernier portant refus de
procéder à l’abrogation de mesures nationales
conférant un monopole, en France, pour la
gestion des paris hippiques hors hippodromes
au groupement d’intérêt économique Pari
mutuel urbain (ci-après le « PMU »).
(…)
Le litige au principal et les questions
préjudicielles
26. – Zeturf est une société prestataire de
services de paris hippiques sur internet. Elle
bénéficie d’une licence délivrée par l’Autorité
maltaise de régulation des jeux de hasard et
propose, notamment, des paris sur des courses
hippiques françaises à partir de son site internet.
27. – Le 18 juillet 2005, Zeturf a demandé au
ministre de l’Agriculture d’abroger l’article 27
du décret de 1997, en particulier le premier
alinéa de cet article, conférant au PMU un
monopole pour la gestion des paris hippiques
hors hippodromes.
28. – Ledit ministre n’ayant pas répondu à
cette demande, il en est résulté une décision
implicite de rejet que Zeturf a attaquée
devant la juridiction de renvoi. Cette société a
également demandé à la juridiction de renvoi
d’enjoindre au Premier ministre et au ministre
de l’Agriculture, sous astreinte de 150 € par
jour de retard à compter de la notification de la
décision à intervenir, d’abroger le premier alinéa
dudit article 27.
29. – Le recours introduit par Zeturf devant le
Conseil d’État est notamment fondé sur une
violation de la libre prestation des services
garantie par l’article 49 CE.
30. – La juridiction de renvoi a constaté à cet
égard que l’article 27, premier alinéa, du décret de
1997 constitue une restriction à la libre prestation
des services en ce qu’il est de nature à limiter,
pour les prestataires d’un État membre autre que
la République française, l’exploitation des paris
hippiques hors hippodromes en France.
31. – Elle reconnaît toutefois qu’une telle
restriction peut être admise au titre des
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mesures dérogatoires prévues par le traité
CE ou justifiée par des raisons impérieuses
d’intérêt général si elle répond aux exigences
imposées par le droit de l’Union quant à sa
proportionnalité.
32. – Devant la juridiction de renvoi, Zeturf
soutient notamment que les autorités
nationales compétentes n’ont pas démontré
l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt
général justifiant ladite restriction, que, même
en supposant qu’elle puisse être établie, cette
restriction n’est pas proportionnée aux objectifs
poursuivis et que le PMU conduit une politique
commerciale expansionniste fondée sur
l’incitation au jeu et à la dépense qui n’est pas
cohérente avec les buts de la réglementation
nationale applicable.
33. – En revanche, lesdites autorités font valoir,
devant la juridiction de renvoi, que le monopole
conféré au PMU a pour but la protection de
l’ordre social, eu égard aux effets du jeu sur les
individus et la société, et celle de l’ordre public,
en vue de lutter contre l’utilisation des jeux
d’argent à des fins criminelles ou frauduleuses,
et qu’un tel monopole contribue en outre au
développement rural par le financement de
la filière équine. La politique de croissance du
PMU serait par ailleurs justifiée par l’objectif de
lutter efficacement contre la tentation du jeu
en maintenant une offre légale attrayante pour
que les joueurs s’orientent vers des activités
autorisées et réglementées.
34. – Dans ces conditions, le Conseil d’État a
décidé de surseoir à statuer et de poser à la
Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) – Les articles [49 CE] et [50 CE] doiventils être interprétés comme s’opposant à une
réglementation nationale qui consacre un
régime d’exclusivité des paris hippiques hors
hippodromes en faveur d’un opérateur unique
sans but lucratif laquelle, si elle semble propre
à garantir l’objectif de lutte contre la criminalité
et ainsi de protection de l’ordre public d’une
manière plus efficace que ne le feraient des
mesures moins restrictives, s’accompagne pour
neutraliser le risque d’émergence de circuits
de jeu non autorisés et canaliser les joueurs
vers l’offre légale d’une politique commerciale
dynamique de l’opérateur qui n’atteint pas
en conséquence complètement l’objectif de
réduire les occasions de jeu ?
2) – Convient-il, pour apprécier si une
réglementation nationale telle que celle en
vigueur en France, qui consacre un régime
d’exclusivité de gestion du pari mutuel hors
hippodromes en faveur d’un opérateur unique
sans but lucratif, contrevient aux articles
[49 CE] et [50 CE], d’apprécier l’atteinte à
la libre prestation de services du seul point
de vue des restrictions apportées à l’offre
de paris hippiques en ligne ou de prendre
en considération l’ensemble du secteur des
paris hippiques quelle que soit la forme sous
laquelle ceux-ci sont proposés et accessibles
aux joueurs ? »
(…)
Par ces motifs, la Cour (8e chambre) dit pour
droit :
1). L’article 49 CE doit être interprété dans ce
sens :
a) un État membre cherchant à assurer un
niveau de protection particulièrement élevé
des consommateurs dans le secteur des jeux
de hasard peut être fondé à considérer que
seul l’octroi de droits exclusifs à un organisme
unique soumis à un contrôle étroit des
pouvoirs publics est de nature à permettre de
maîtriser les risques liés audit secteur et de
poursuivre l’objectif de prévention de l’incitation
à des dépenses excessives liées aux jeux et
de lutte contre l’assuétude au jeu d’une façon
suffisamment efficace ;
b) il incombe à la juridiction de renvoi de
vérifier que :
– les autorités nationales visaient véritablement,
au moment des faits au principal, à assurer un
tel niveau de protection particulièrement élevé
et que, au regard de ce niveau de protection
recherché, l’institution d’un monopole pouvait
effectivement être considérée comme
nécessaire, et,
– les contrôles étatiques auxquels les activités
de l’organisme bénéficiant des droits exclusifs
sont en principe soumises sont effectivement
mis en œuvre de manière cohérente et
systématique dans la poursuite des objectifs
assignés à cet organisme ;
c) afin d’être cohérente avec les objectifs de
lutte contre la criminalité ainsi que de réduction
des occasions de jeu, une réglementation
nationale instituant un monopole en matière
de jeux de hasard doit :
– reposer sur la constatation selon laquelle
les activités criminelles et frauduleuses liées
aux jeux et l’assuétude au jeu constituent un
problème sur le territoire de l’État membre
concerné auquel une expansion des activités
autorisées et réglementées serait de nature à
remédier, et,
– ne permettre la mise en œuvre que d’une
publicité mesurée et strictement limitée
à ce qui est nécessaire pour canaliser les
consommateurs vers les réseaux de jeu
contrôlés.
2). Afin d’apprécier l’atteinte à la libre prestation
des services par un système qui consacre un
régime d’exclusivité pour l’organisation des
paris hippiques, il incombe aux juridictions
nationales de tenir compte de l’ensemble des
canaux de commercialisation substituables de
ces paris, à moins que le recours à internet
n’ait pour conséquence d’aggraver les risques
liés aux jeux de hasard concernés au-delà de
ceux existants en ce qui concerne les jeux
commercialisés par des canaux traditionnels.
En présence d’une réglementation nationale
qui s’applique de la même manière à l’offre de
paris hippiques en ligne et à celle effectuée par
des canaux traditionnels, il convient d’apprécier
l’atteinte à la libre prestation des services
du point de vue des restrictions apportées à
l’ensemble du secteur concerné ».
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
49
PPar FFabrice
bi
NAFTALSKI (*)
RLDI
Avocat associé
Expert légal
du programme
de labellisation
euroPrise (1)
Ernst & Young,
société d’avocats
2553
Et G
Guillaume
ill
DESGENSPASANAU (*)
Avocat
Ancien chef du
service des affaires
juridiques de la Cnil
Ernst & Young,
société d’avocats
Label Cnil et conformité
« informatique et libertés » :
publication des premiers
référentiels
La procédure de la labellisation vient de connaître de nouveaux
développements avec son intégration dans le règlement intérieur de la Cnil et
la publication au Journal officiel des deux premiers référentiels d’évaluation.
Me Fabrice Naftalski et M. Guillaume Desgens-Pasanau nous les présentent.
Cnil, délib. n° 2011-249, 8 sept. 2011, JO 22 sept.
Cnil, délib. n° 2011-315, 6 oct. 2011, JO 3 nov.
À
la faveur d’évolutions législatives récentes,
la labellisation « informatique et libertés » est
désormais une réalité en France. Il y a près
d’un an et demi, nous faisions le point, dans
ces mêmes colonnes, sur le cadre juridique
existant ainsi que sur l’importance des enjeux pour les professionnels (2).
Afin de devenir une réalité sur le plan opérationnel, le
cadre juridique devait néanmoins être complété par une
modification du règlement intérieur de la Cnil ainsi que par
la publication de référentiels servant de « support » au dépôt
d’une demande de labellisation.
Une étape essentielle vient ainsi d’être franchie avec la
publication récente au Journal officiel du règlement intérieur
modifié de la Cnil ainsi que de deux référentiels relatifs à
l’évaluation de procédures d’audits de traitements de données
à caractère personnel ainsi qu’à des formations « informatique
et libertés » (3).
Depuis le 3 novembre 2011, la première campagne de labellisation est donc officiellement ouverte et les professionnels
peuvent adresser à la Cnil une demande de labellisation sur
le fondement des deux référentiels précités.
I. – RAPPEL DES MODALITÉS DE FONCTIONNEMENT
DU POUVOIR DE LABELLISATION DE LA CNIL
La possibilité donnée aux organisations professionnelles et
aux institutions regroupant des responsables de traitement de
saisir la Cnil d’une demande de création de label concernant
des produits ou des procédures relatives à la protection des
données a été introduite par la loi du 6 août 2004 modifiant
la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978.
La mise en œuvre de ce nouveau pouvoir nécessitait la
définition de mesures réglementaires d’application outre une
intervention législative complémentaire si le recours à des
experts indépendants extérieurs à la Cnil était envisagé (4).
Ce fut chose faite avec l’introduction à l’article 11 de la
loi « Informatique et libertés » d’une disposition précisant
que : « À la demande d’organisations professionnelles ou
d’institutions regroupant principalement des responsables de
traitements : [la Cnil] délivre un label à des produits ou à des
procédures tendant à la protection des personnes à l’égard du
traitement des données à caractère personnel, après qu’elle
les a reconnus conformes aux dispositions de la présente loi ;
dans le cadre de l’instruction préalable à la délivrance du label
de la Commission, le président peut, lorsque la complexité du
produit ou de la procédure le justifie, recourir à toute personne
indépendante qualifiée pour procéder à leur évaluation. Le
coût de cette évaluation est pris en charge par l’entreprise qui
demande le label. »
Le pouvoir de labellisation constitue une réelle opportunité
pour la Cnil de sortir de sa réserve, observée en considération
du principe de neutralité technologique, afin de se positionner en faveur d’outils ou de procédures respectueuses des
principes de protection des données et s’inscrivant dans une
démarche privacy by design (5).
Ce faisant, l’exercice du pouvoir de labellisation permettra
à la Cnil de valoriser et de communiquer sur les bonnes pratiques en matière de vie privée, alors que, jusqu’à présent, les
actions de la Cnil pointaient davantage du doigt les mauvais
(*) Les auteurs tiennent à remercier Lina Su, juriste au sein de l’équipe Ipit du cabinet pour son aide précieuse dans la préparation du présent article. (1) Programme visant à la certification des
produits et des plates-formes électroniques conformes à la réglementation européenne de protection des données à caractère personnel, à savoir à titre principal la directive n° 95/46 sur la
protection des données à caractère personnel et la directive n° 2002/58 relative à la vie privée, mise en place par le régulateur du Schleswig-Holstein sous l’égide de la Commission européenne
et en partenariat avec un certain nombre d’autorités de régulation des données personnelles européennes et de partenaires privés. (2) Naftalski F. et Desgens-Pasanau G., Enjeux et perspectives
du pouvoir de labellisation de la Cnil, RLDI 2010/63, n° 2094, p. 91. (3) Délibération n° 2011-249 du 8 septembre 2011 portant modification de l’article 69 du règlement intérieur de la
Commission nationale de l’informatique et des libertés en insérant un chapitre IV bis intitulé « Procédure de labellisation ». (4) Ce qui fut d’ailleurs rendu possible avec l’entrée en vigueur, le
12 mai 2009, de la loi de simplification et de clarification du droit. (5) La notion de privacy by design correspond à la démarche engagée par un industriel ou un responsable de traitement ayant
intégré la dimension « protection des données » dès le stade de la conception d’un nouveau produit informatique, d’un nouveau traitement de données ou d’une nouvelle procédure impliquant
la collecte de données à caractère personnel.
50
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
comportements de professionnels en infraction à la réglementation. La Cnil tend ainsi à renforcer son statut de « véritable
régulateur économique pouvant orienter le marché vers les
solutions les plus protectrices en matière de vie privée » (6).
Dans le cadre de la mise en œuvre de ce pouvoir de
labellisation, la Cnil a décidé de développer en priorité les
outils nécessaires à la labellisation de procédures d’audits et
de formations. Ce choix n’est pas anodin et correspond à une
stratégie de mise en œuvre progressive. La Cnil, consciente de
l’enjeu d’image qui pèse sur elle, a préféré commencer par labelliser des procédures plutôt que des produits informatiques.
De même, elle a préféré cibler à titre principal des prestataires
de services qui ont vocation à décliner sur une base systématique de telles procédures plutôt que des responsables de
traitement. Ces choix permettent à la Cnil de « tester » les
mécanismes de labellisation qui viennent d’être définis tout
en limitant son exposition en cas de difficultés de mise en
œuvre. Dans ce schéma, la Cnil garde également les mains
« libres » vis-à-vis des responsables de traitement susceptibles
de faire l’objet d’opérations de contrôle sur place. L’enjeu est
de permettre au régulateur de la protection des données à
caractère personnel de préconiser des outils appropriés sans
fragiliser la mise en œuvre de ses pouvoirs de contrôle qui
ont vocation à continuer à se développer.
Il ne s’agit néanmoins que d’une première étape qui devrait
à moyen terme évoluer vers la mise en œuvre de référentiels
relatifs à des produits (outils d’archivage électronique, d’anonymisation de
données, de navigation sur internet, etc.) ou concernant directement des
responsables de traitement (dispositif de contrôle d’accès biométrique, de
gestion des durées de conservation, etc.).
À l’heure où les problématiques liées à la protection des
données personnelles ne peuvent plus être ignorées et où le
risque de non-conformité n’a jamais été aussi fort (7), les organismes désireux de s’engager dans une politique volontariste
de gestion de la conformité ne manqueront pas d’utiliser les
outils de labellisation désormais disponibles. Un responsable
de traitement peut par exemple désormais solliciter la réalisation d’un audit « informatique et libertés » par un auditeur
labellisé. Il peut également faire appel à un prestataire de
formation dont le programme de formation « informatique et
libertés » aura été labellisé par la Cnil.
II. – INTÉGRATION DE LA PROCÉDURE DE
LABELLISATION DANS LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR
DE LA CNIL
Une étape essentielle a été franchie le 8 septembre 2011 au
travers de l’adoption par la Cnil de sa délibération n° 2011-249
portant modification de l’article 69 de son règlement intérieur et insérant un chapitre IV bis relatif à la procédure de
labellisation (8).
Cette procédure de labellisation fait intervenir plusieurs
acteurs parmi lesquels le Comité de labellisation. Ce nouvel
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
organe est composé de membres de la Commission désignés
par le président de la Cnil. Les réunions du Comité sont présidées par son président, lequel est désigné parmi les membres
de ce Comité.
D’une manière générale, la procédure de labellisation
se subdivise en deux procédures successives : en amont,
la procédure mise en œuvre pour la création d’un label au
travers d’un référentiel (A), puis la procédure d’évaluation de
conformité aux référentiels afin d’octroi de label (B). Enfin,
à l’issue de l’octroi du label, des procédures spécifiques
de vérification et, le cas échéant, de retrait du label sont
également définies (C).
A. – La procédure de création d’un référentiel
Conformément à l’alinéa 3-c de l’article 11 de la loi « Informatique et libertés » modifiée, l’initiative en matière de
création de label repose sur les organismes professionnels
ou institutions regroupant principalement des responsables
de traitements (9).
Le comité de labellisation joue, dans ce contexte, un rôle
prépondérant de relai des demandes de création de label
émanant des acteurs professionnels en définissant les orientations relatives à la politique de labellisation de la Cnil (10).
Ainsi, il appartient au Comité de labellisation d’élaborer les
projets de référentiels afin de les proposer, pour adoption, à
la Commission (11) réunie en formation plénière (12).
B. – La procédure d’octroi de label
Au terme de la procédure d’adoption du référentiel de
labellisation par la Cnil, réunie en formation plénière, débute
la procédure d’octroi de label.
La première étape de la procédure d’octroi de label consiste
en la fixation par le président de la Commission du modèle
de formulaire de demande de labellisation. Les organismes
souhaitant obtenir un label pour un produit ou une procédure
devront ainsi renseigner ledit formulaire.
Il est intéressant de noter que plusieurs personnes juridiques distinctes peuvent solliciter un label de manière
conjointe, aux fins de faire un usage commun du produit
ou de la procédure labellisée. En contrepartie, elles doivent
s’engager à maintenir leur collaboration (13).
À la suite de l’envoi du formulaire par le ou les demandeurs, la Cnil dispose d’un délai de deux mois à compter de
l’attribution du numéro d’enregistrement à la demande de
labellisation pour se prononcer sur sa recevabilité. La demande
est alors réputée rejetée en cas d’absence de réponse au terme
de ce délai (14).
Si la demande est déclarée recevable, le demandeur en
sera notifié et la Cnil procédera à l’évaluation de la conformité du produit ou de la procédure au référentiel auquel
il se rapporte. À cette fin, la Cnil pourra procéder à des
tests et demander communication de toutes pièces utiles
et auditionner toutes personnes susceptibles de fournir des
>
(6) Cnil, communiqué du 17 mai 2010. (7) Risque judiciaire (pénal et civil) de sanction administrative prononcée directement par la Cnil et risque « réputationnel » et commercial. (8) Délibération
n° 2011-249 du 8 septembre 2011 portant modification de l’article 69 du règlement intérieur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en insérant un chapitre IV bis intitulé
« Procédure de labellisation ». (9) Article 11-3° de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée. (10) Article 53-2 du règlement intérieur de la Cnil. (11) Article 53-1 du règlement intérieur de la Cnil.
(12) Article 53-4 du règlement intérieur de la Cnil. (13) Article 53-6, II, du règlement intérieur de la Cnil. (14) Article 53-7 du règlement intérieur de la Cnil.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
51
L A B E L C N I L E T C O N F O R M I T É « I N F O R M AT I Q U E E T L I B E R T É S » : P U B L I C AT I O N D E S P R E M I E R S R É F É R E N T I E L S
Schéma 1 : procédure d’élaboration de référentiels aux fins de labellisation de produits ou de procédure.
1
Proposition de
création de label par :
_ une organisation
professionnelle ou
_ une institution
regroupant principalement
des responsables de
traitement
4
Adoption par la CNIL en
formation plénière de la
délibération portant
référentiel aux fins de
labellisation de produits
ou de procédures
2
Le Président de la CNIL décide de l’opportunité de la
demande, sur proposition
du Comité de labellisation
et en informe le demandeur
3
Le Président estime opportun
de faire suite à la demande
Elaboration d’un référentiel
précisant :
– les modalités d’appréciation
de la conformité
– les particularités relatives
aux vérifications
subséquentes
informations utiles (15). Si l’évaluation s’avère concluante,
la Cnil réunie en séance plénière délivrera le label.
Le label délivré par la Cnil sera valable trois ans renouvelables (16), période durant laquelle le titulaire pourra utiliser
le logo « label Cnil ». Toute modification du produit ou de la
3 bis
Le Président n’estime
pas opportun de faire
suite à la demande
procédure labellisée ultérieure à la délivrance du label devra
être notifiée à la Cnil, laquelle appréciera si les modifications
nécessitent une nouvelle évaluation (17).
Enfin, il sera nécessaire, afin de renouveler le label, d’adresser une demande six mois avant la date d’échéance (18).
Schéma 2 : Procédure d’évaluation de la conformité aux référentiels de labellisation de produits ou de procédures.
5 bis
3
2
1
Proposition d’un
modèle de formulaire
de demande de
label + Avis du comité
de labellisation
Le président de la
CNIL fixe le modèle de
formulaire + annexes
de la demande de
délivrance de label
Fixation du
formulaire de
demande
Le demandeur
adresse à la CNIL la
demande d’obtention
d’un label par
lettre remise contre
signature
4
Attribution par la
CNIL d’un numéro
d’enregistrement à
la demande
Dépôt de la
demande
is
2 mo
La demande est réputée
rejetée en cas d’absence
de réponse du Président
dans un délai de deux
mois à compter de la
réception de la demande
2 m
ois
5
9
8
Si la CNIL réunie en
formation plénière
reconnait la conformité
du produit/procédure, elle
délivre un label.
Les labels délivrés par la
CNIL sont valables pendant
une durée de trois ans
renouvelable
Etablissement d’un rapport
concluant, ou non, à la
conformité du produit/
procédure au référentiel.
Le rapport et le projet de
délibération correspondant
sont inscrits à l’ordre du
jour de la CNIL réunie en
séance plénière
8 jours
Délibération
de la CNIL
urs
8 jo
10 bis
Notification de la délibération
portant refus de label par
lettre remise contre signature.
Elle indique les voies et délais
de recours applicables
6
7
Le demandeur
peut à tout
moment modifier
ou retirer sa
demande par voie
postale
11
10
Notification de la délibération
portant délivrance du label
par lettre remise contre
signature.
Elle indique les conditions
d’utilisation du logo label
CNIL.
Modification du
produit/procédure
labellisé
Le demandeur doit
informer sans délai
la CNIL de toute
modification du
produit/procédure
labellisé
Instruction de la demande :
– réalisation de tests visant
à vérifier la conformité au
référentiel
– demande de
communication de toutes
pièces utiles
– audition de toutes
personnes susceptibles de
fournir les informations
nécessaires
Évaluation/
Instruction
Le président prononce
la recevabilité de la
demande si :
_ la demande est
complète
_ le produit/la procédure
correspond
au référentiel.
Il notifie sa décision
de recevabilité au
demandeur et l’informe
du délai d’évaluation du
produit/procédure.
13
12
Les services de la
CNIL apprécient si
les modifications
nécessitent une
nouvelle évaluation
Le président notifie
le titulaire, par lettre
contre signature, la suite
donnée à l’instruction
de sa demande de
modification
(15) Article 53-8 du règlement intérieur de la Cnil. (16) Article 53-11 du règlement intérieur de la Cnil. (17) Article 53-13 du règlement intérieur de la Cnil. (18) Article 53-18 du règlement intérieur
de la Cnil. (19) Article 53-15 du règlement intérieur de la Cnil. (20) Articles 53-16 et 53-17 du règlement intérieur de la Cnil. (21) Articles 53-19 et 53-20 du règlement intérieur de la Cnil.
52
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
C. – Procédures de vérification et de retrait
du label
La Cnil dispose d’un pouvoir de contrôle qui lui permet de
vérifier à tout moment que le produit, ou la procédure, labellisé
respecte le référentiel auquel il se rapporte. Cette vérification
peut faire suite au signalement d’une non-conformité par toute
personne ayant recours au produit ou à la procédure labellisée (19). Si la Cnil estime que les observations transmises
par le titulaire ne sont pas satisfaisantes, elle peut décider de
retirer le label précédemment délivré (20).
Toutes les décisions de délivrance d’un label, de retrait
ou de reconduction sont rendues publiques. La Cnil tiendra
à disposition du public, sur son site, la liste des produits ou
procédures labellisés précisant la date d’expiration du label
et le nom du titulaire (21).
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
éléments justificatifs correspondants. À cet effet, les demandeurs pourront fournir, de manière générale, des extraits
pertinents de référentiels internes, le descriptif de méthodes ou
de procédures, ou tout autre document utile afin de démontrer
la satisfaction des exigences formulées dans le référentiel.
A. – Le référentiel d’évaluation d’une procédure
d’audit de traitements
Au travers de ce référentiel, l’audit « informatique et libertés » est défini comme une démarche méthodologique « dont
les critères permettent de juger de la conformité de traitements
de données à caractère personnel à la loi n° 78/17 du 6 janvier
1978 modifiée ».
L’audit doit non seulement porter sur les aspects juridiques
des traitements mais également sur les aspects techniques de
mise en œuvre de ces traitements. L’auditeur doit donc disposer d’une double compétence juridique
III. – PUBLICATION DES DEUX
mais également technique.
PREMIERS RÉFÉRENTIELS
D’une manière générale,
Les critères d’évaluation portent
D’ÉVALUATION : RÉFÉRENTIELS
on peut relever que
principalement sur le statut et les comD’ÉVALUATION « PROCÉDURE
les exigences formulées
pétences de l’auditeur, la méthodoloD’AUDIT DE TRAITEMENTS » ET
par la Cnil sont
RÉFÉRENTIEL D’ÉVALUATION
gie adoptée pour l’accomplissement de
particulièrement fortes et
« FORMATION »
l’audit, ainsi que les points de contrôle
qu’elles permettront ainsi
intégrés dans la procédure d’audit.
L’article 53-3 du règlement intérieur
d’attacher à la délivrance
D’une manière générale, on peut
de la Cnil précise que « l’examen d’une
du label une image
relever que les exigences formulées par
demande de label est effectué sur la base
la Cnil sont particulièrement fortes et
d’un référentiel établi par la Commisde qualité.
qu’elles permettront ainsi d’attacher à
sion. Ce référentiel définit les caractérisla délivrance du label une image de qualité.
tiques que doit présenter un produit ou une procédure afin que
S’agissant par exemple du statut de l’auditeur, les exicelui-ci soit reconnu conforme aux dispositions de la loi du 6
gences formulées garantissent que seuls des professionnels
janvier 1978 modifiée. Il précise les modalités d’appréciation
compétents, suffisamment formés et disposant d’une véritable
de cette conformité et, le cas échéant, les particularités relatives
expérience professionnelle dans le domaine pourront prétendre
aux vérifications subséquentes à la délivrance du label ».
à bénéficier d’un label. Ces exigences sont ainsi cohérentes et
Conformément à l’article 53-3 du règlement intérieur de
complémentaires avec le cadre législatif et réglementaire applila Cnil, la Cnil a adopté le 6 octobre 2011 ses deux premiers
cable à certaines professions réglementées, en particulier aux
référentiels de labellisation.
avocats qui sont seuls autorisés à réaliser des prestations de
Le premier référentiel s’applique à la mise en œuvre d’une
conseil juridique pour lesquelles ils engagent leur responsabilité
procédure d’audit de traitements (22) et le second à la mise
professionnelle et apportent une forte garantie d’indépendance.
en œuvre d’une procédure de formation « informatique et
En application du référentiel, les exigences de la Cnil porlibertés » (23). Ainsi que nous l’avons indiqué, l’adoption d’un
tent également sur le respect par l’organisme d’audit lui-même
référentiel nécessite la formalisation initiale d’une demande
des dispositions de la loi « Informatique et libertés » modifiée.
par une communauté de professionnels. Dans le cas d’espèce,
Ce point est essentiel dans la mesure où seuls des auditeurs
c’est principalement l’Association française des corresponayant déjà engagé, au sein de leur propre structure, une podants à la protection des données (AFCDP) qui a joué un grand
litique sérieuse de gestion de la conformité « informatique et
rôle dans la sollicitation de ces premiers référentiels (24).
libertés » pourront prétendre à bénéficier d’un label dans le
Lesdits référentiels ont été publiés au Journal officiel du
cadre des audits qu’ils accomplissent pour le compte de tiers.
3 novembre 2011.
Concernant le contenu des audits, le référentiel passe en
Les organismes candidats à l’obtention d’un label Cnil
revue tous les champs figurant de la déclaration normale tels
devront renseigner un formulaire de demande de délivrance
que l’identification des traitements et des données traitées, la
de label disponible sur le site de la Cnil.
licéité des traitements, les durées de conservation, les mesures
Les demandeurs devront démontrer qu’ils satisfont aux
de confidentialité et de sécurité, ainsi que le respect des droits
exigences du référentiel correspondant au label demandé en
des personnes concernées.
fournissant des explications spécifiques et détaillées, et les
>
(22) Délibération n° 2011-316 du 6 octobre 2011 portant adoption d’un référentiel pour la délivrance de labels en matière de procédure d’audit tendant à la protection des personnes à l’égard
du traitement des données à caractère personnel. (23) Délibération n° 2011-315 du 6 octobre 2011 portant adoption d’un référentiel pour la délivrance de labels en matière de formation tendant
à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel. (24) <www.afcdp.net/-Referentiels-et-Labels->.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
53
L A B E L C N I L E T C O N F O R M I T É « I N F O R M AT I Q U E E T L I B E R T É S » : P U B L I C AT I O N D E S P R E M I E R S R É F É R E N T I E L S
L’analyse de ce référentiel fait notamment ressortir de
manière évidente :
– l’importance d’associer dans le cadre de ces audits des
professionnels du droit « informatique et libertés » et des
experts disposant de compétences techniques en matière de
système d’information, particulièrement sur les questions de
sécurité. Ces compétences devront être étayées tant par leur
expérience professionnelle que par leur formation ;
– l’importance accordée aux principes de déontologie et
d’indépendance ainsi qu’à la méthodologie d’audit qui doit
être dûment documentée.
B. – Le référentiel d’évaluation de formation
« informatique et libertés »
S’agissant de ce second référentiel, la définition de « formation » est entendue au sens de la norme ISO 10015 « Management de la qualité – Lignes directrices pour la formation »
comme « un processus destiné à produire et à développer les
connaissances, les savoir-faire et les comportements nécessaires
au respect de la loi Informatique et libertés ».
Les critères, pris en considération par la Cnil pour évaluer
la conformité de la formation, portent, d’une part, sur l’activité
de formation (respect par l’organisme de formation de la loi « Informatique et libertés »
modifiée, nature de la démarche pédagogique, compétences et modalités d’évaluation des
formateurs, etc.) et, d’autre part, sur le contenu de la formation
(description du module principal de connaissances fondamentales que la formation doit
comporter a minima ainsi que les éventuels modules complémentaires).
54
CONCLUSION
À l’orée de la refonte du cadre juridique et réglementaire
du droit communautaire en matière de protection des données à caractère personnel, qui devrait mettre à l’honneur le
concept d’« accountability » dont un des principaux effets sera
d’imposer aux responsables de traitement d’être en mesure
de documenter et de justifier des moyens mis en place pour
assurer la conformité « informatique et libertés », la Cnil se
positionne, avec la définition d’un cadre juridique opérationnel
en matière de labellisation, comme un véritable laboratoire
en matière de mécanismes d’« accountability ».
Il doit être souligné que la Cnil avait déjà joué ce rôle
moteur en prenant une part active, notamment au sein du
Groupe de l’article 29, dans l’élaboration des référentiels
applicables en matière d’instruction des Binding Corporate
Rules, outil juridique d’encadrement des transferts de données à caractère personnel intragroupe aujourd’hui utilisé
par les groupes comme dispositif de gestion de la conformité
et qui répond parfaitement à l’économie des mécanismes
d’« accountability ».
Sur le fond (pour gérer la maintenance de leur conformité), mais aussi
en opportunité, il est plus que jamais pertinent pour les responsables de traitement de s’intéresser à ces procédures, soit
pour bénéficier directement du label, soit pour tirer parti de
l’expérience des acteurs qui feront labelliser leurs procédures
d’audit et/ou de formation. ◆
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
PPar Céline
Céli
CASTETS-RENARD
RLDI
Maître de conférences
de droit privé, HDR
Codirectrice du master
II Droit et informatique
Université de
Toulouse-I – Capitole
En délégation auprès
de l’Université de la
Nouvelle Calédonie,
Larje
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
La vente en ligne de produits
cosmétiques dans la distribution
sélective : il est interdit d’interdire !
Que faut-il penser de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 octobre
dernier qui a considéré que le refus des laboratoires Pierre Fabre de vendre leurs produits
dermo-cosmétiques sur internet est contraire aux règles communautaires de libre concurrence ?
Céline Castets-Renard nous fait part de son sentiment.
CJUE, 3e ch., 13 oct. 2011, aff. C-439/09, RLDI 2011/76, n° 2526
2554
L
a CJUE encourage, une nouvelle fois (1), le
commerce électronique de produits cosmétiques, dans le cadre d’un réseau de distribution sélective. Bien que prise sur le fondement
du règlement d’exemption n° 2790-1999 du 22
décembre 1999 relatif aux restrictions verticales de concurrence, désormais remplacé par le règlement n° 330-2010 du
20 avril 2010, la solution n’en semble pas moins influencée
par ces nouvelles règles. Elle se situe, par ailleurs, dans la
continuité de la jurisprudence antérieure.
La fameuse affaire Fabre, dont on attendait le dénouement
devant la Cour de justice de l’Union européenne, témoigne de
la résistance du fournisseur d’un réseau de distribution sélective à la vente en ligne de ses produits cosmétiques. Dans un
arrêt rendu le 13 octobre 2011 (2), la Cour de justice admet,
sans surprise, que de tels produits puissent être proposés à la
vente sur l’internet par les distributeurs du réseau.
La décision oppose la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS au président de l’Autorité de la concurrence et au
ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. Pierre
Fabre Dermo-Cosmétique est l’une des sociétés du groupe
Pierre Fabre. Elle dispose de plusieurs filiales parmi lesquelles
les laboratoires Klorane, Ducray, Galénic et Avène, dont les
produits cosmétiques et d’hygiène corporelle sont vendus,
sous ces marques, majoritairement par l’intermédiaire de
pharmaciens, sur le marché français et européen. Ces produits ne sont toutefois pas des médicaments et échappent au
monopole des pharmaciens prévu par le Code de la santé publique. Les contrats de distribution desdits produits précisent
que les ventes doivent exclusivement être réalisées dans un
espace physique, avec la présence obligatoire et permanente
dans son point de vente, et pendant toute l’amplitude horaire
d’ouverture de celui-ci, d’au moins une personne diplômée
en pharmacie. Or, ces exigences excluent de facto toute forme
de vente par internet. C’est pourquoi, par une décision en
date du 27 juin 2006, l’Autorité de la concurrence s’est saisie
d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la
distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle
et, par décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007, a accepté et
rendu obligatoires les engagements proposés par l’ensemble
des entreprises concernées. Ces contrats prévoient désormais
la possibilité pour les distributeurs de vendre leurs produits
sur internet, à l’exception de la société Pierre Fabre DermoCosmétique (3), contre laquelle la procédure ouverte a suivi
son cours. Dans une décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008,
le Conseil de la concurrence (4) a conclu que l’interdiction
faite par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à ses distributeurs
agréés de vendre par l’intermédiaire d’internet constitue
une restriction à la concurrence contraire à l’article 81 du
Traité CE et à l’article L. 420-1 du Code de commerce. Elle
l’a enjointe de supprimer dans ses contrats de distribution
sélective toutes les mentions équivalant à une interdiction de
vente sur internet de ses produits et de prévoir expressément
la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de
distribution. Elle a condamné Pierre Fabre Dermo-Cosmétique
à une amende de 17 000 €.
Le 24 décembre 2008, la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a introduit un recours en annulation de cette décision
et, subsidiairement, en réformation de la décision litigieuse
devant la Cour d’appel de Paris. Dans le même temps, elle
a demandé au premier président de celle-ci de prononcer
un sursis à l’exécution de la décision litigieuse qui lui a été
accordé le 18 février 2009. La Commission européenne a,
par ailleurs, présenté des observations écrites, en vertu de
l’article 15, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du
Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des
>
(1) Une décision comparable a été rendue pour les produits d’optique lunetterie : CJUE, 2 déc. 2010, Ker-Optika, aff. C-108/09, non encore publié au Recueil. Pour un commentaire, voir CastetsRenard C., L’essor du commerce électronique : la CJUE autorise la vente en ligne de lentilles de contact, D. 2011, p. 419. (2) Aff. C-439/09. (3) Castets-Renard C., L’internet et les réseaux de
distribution sélective : quel avenir ? ; RLDI 2007/31, n° 1053. (4) Devenu Autorité de la concurrence depuis le 13 janvier 2009.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
55
L A V E N T E E N L I G N E D E P R O D U I T S CO S M É T I Q U E S DA N S L A D I ST R I B U T I O N S É L EC T I V E ( … )
règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité.
Mais, dans une décision du 29 octobre 2009, la Cour d’appel
de Paris, relevant que cet avis ne présentait pas un caractère
contraignant pour les juridictions nationales, pas plus que
les lignes directrices complétant le règlement d’exemption
n° 2790/1999, décide de poser une question préjudicielle à la
Cour, en application de l’article 234 CE. La Cour est interrogée
sur l’interprétation de l’article 81, § 1 et 3, CE, devenu l’article
101, § 1 et 3 du TFUE et du règlement (CE) n° 2790/1999 du
22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, § 3,
du Traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques
concertées. La Cour d’appel de Paris demande : premièrement,
si la clause contractuelle en cause dans le litige au principal
constitue une restriction de la concurrence « par objet » au sens
de l’article 101, § 1, du TFUE ; deuxièmement, si un contrat
de distribution sélective contenant une telle clause – dans
l’hypothèse où il entre dans le champ d’application de l’article
101, paragraphe 1, du TFUE – peut bénéficier de l’exemption
par catégorie instituée par le règlement n° 2790/1999 ; troisièmement, si, lorsque l’exemption par catégorie est inapplicable,
ledit contrat pourrait néanmoins bénéficier de l’exception
individuelle de l’article 101, § 3, du TFUE.
La Cour de justice décide que l’interdiction de la vente
en ligne est une restriction de concurrence par l’objet (I) qui
risque de ne pas faire l’objet d’une exemption catégorielle,
l’exemption individuelle restant à prouver (II).
I. − L’INTERDICTION DE LA VENTE EN LIGNE,
RESTRICTIVE DE CONCURRENCE
La Cour décide que l’interdiction de la vente en ligne
constitue une restriction de concurrence par l’objet (A), non
justifiée par la propriété des produits en cause (B).
A. − L’interdiction de la vente en ligne, restrictive
de concurrence par l’objet
Selon l’article 101, § 1, du TFUE (ex-art. 81, § 1, du Traité CE), est
sanctionné l’accord ayant « pour objet ou pour effet d’empêcher,
de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur
du marché intérieur ». La CJUE envisage, d’abord, l’objet
même de l’accord, car s’il s’avère anticoncurrentiel, il n’est
pas nécessaire de considérer ses effets sur la concurrence (5).
Une telle appréciation de l’objet suppose de s’attacher à la
teneur de la clause, aux objectifs qu’elle vise, ainsi qu’à son
contexte économique et juridique.
La clause contractuelle litigieuse dispose que les ventes
des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle des marques
Avène, Klorane, Galénic et Ducray doivent être réalisées
dans un espace physique, dont les critères sont définis avec
précision, et avec la présence obligatoire d’un diplômé en
pharmacie. La Cour d’appel de Paris estime aussi qu’une telle
exigence interdit de facto aux distributeurs agréés toute forme
de vente par internet. Au cours de la procédure administrative,
l’Autorité de la concurrence a, tout d’abord, relevé que l’interdiction de vente par internet équivaut à une limitation de la
liberté commerciale des distributeurs de Pierre Fabre DermoCosmétique, en excluant un moyen de commercialisation de
ses produits. De plus, cette prohibition restreint le choix des
consommateurs désireux d’acheter par internet et, enfin, empêche les ventes aux acheteurs finaux qui ne sont pas localisés
dans la zone de chalandise « physique » du distributeur agréé.
C’est pourquoi, elle en a conclu que cette limitation a nécessairement un objectif restrictif de concurrence. La Commission
décide, également, que la clause contractuelle en cause est
susceptible de restreindre la concurrence dans ce secteur. La
Cour de justice confirme cette interprétation en décidant que
ces accords constituant un système de distribution sélective
influencent nécessairement la concurrence dans le marché
commun (6). De tels accords sont à considérer, à défaut de
justification objective, en tant que « restrictions par objet ».
La décision, conforme à la jurisprudence antérieure, ne
surprend pas. Encore faut-il, cependant, vérifier ensuite si
cette clause peut être objectivement justifiée.
B. − L’interdiction de la vente en ligne non justifiée
par la propriété des produits en cause
La Cour de justice doit vérifier si la restriction de concurrence par objet peut être objectivement justifiée. Ainsi, des
exigences légitimes peuvent justifier une réduction de la
concurrence par les prix, au profit d’une concurrence portant
sur d’autres éléments que les prix. En l’occurrence, les systèmes de distribution sélective visent à maintenir un commerce
spécialisé, capable de fournir des prestations spécifiques pour
des produits de haute qualité et technicité. Dans ces circonstances, on a pu admettre qu’ils visent à atteindre un résultat
légitime, de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci
ne s’exerce pas seulement sur les prix. Dès lors, l’organisation
d’un tel réseau ne relève pas de l’interdiction de l’article 101,
§ 1, du TFUE, sous réserve de respecter plusieurs conditions :
le choix des revendeurs doit s’opérer en fonction de critères
objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à
l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon
non discriminatoire (principe de non-discrimination) ; les propriétés du
produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et
en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution (nature du
produit) ; enfin, les critères définis ne doivent pas aller au-delà
de ce qui est nécessaire (7) (principe de nécessité).
Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si la
clause contractuelle en cause interdisant de facto toutes les
formes de vente par internet peut être justifiée par un objectif
légitime. À cet effet, la Cour de justice doit lui fournir les éléments d’interprétation du droit de l’Union pour lui permettre
de se prononcer (8). En l’espèce, dans le cadre du réseau de
distribution sélective de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, les
revendeurs sont bel et bien choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme pour
(5) CJUE, 6 oct. 2009, GlaxoSmithKline Services et a. c/ Commission et a., aff. C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, Rec. CJUE,, p. 9291, pt 55. (6) CJCE, 25 oct. 1983, AEG
Telefunken c/ Commission, aff. C-107/82, Rec. CJCE, p. 3151, pt 33. (7) CJCE, 25 oct. 1977, Metro SB-Großmärkte c/ Commission, aff. C-26/76, Rec. CJCE, p. 1875, pt 20 ; CJCE, 11 déc. 1980,
L’Oréal, aff. C-31/80, Rec. CJCE, p. 3775, pts 15 et 16. (8) Arrêt L’Oréal, précité, pt 14.
56
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
doivent être obligatoirement utilisés par le client avant de
tous les revendeurs potentiels. Cette condition ne cause donc
procéder à l’achat des lentilles (13). En outre, des informations
pas de difficulté. En revanche, il faut vérifier que les restrictions de la concurrence soient proportionnées aux objectifs
et conseils supplémentaires peuvent aussi être donnés sur le
légitimes poursuivis. Or, la Cour de justice a déjà décidé, au
site du fournisseur. Enfin, l’État membre peut imposer aux
regard des libertés de circulation, que la nécessité de fournir
opérateurs économiques une obligation de mettre à la disposiun conseil personnalisé au client et d’assurer la protection de
tion du client un opticien qualifié pour fournir à distance des
celui-ci contre une utilisation incorrecte de produits, dans le
informations et des conseils individualisés. L’utilisateur doit
cadre de la vente de médicaments non soumis à prescription
pouvoir formuler ses questions de manière réfléchie, ciblée et
médicale (9) et de lentilles de contact (10), ne permet pas de
sans être obligé de se déplacer (14). Il semble ainsi admis que
justifier une interdiction de vente par internet. En l’espèce, la
l’obligation de conseil des distributeurs puisse être respectée
Cour de justice ne se prononce pas mais sous-entend ici que la
par les moyens interactifs de l’internet.
technicité et la spécificité des produits dermo-cosmétiques ne
Quant à la nécessité de préserver l’image de prestige
sauraient exclure la vente en ligne. Elle renvoie toutefois, à la
des produits en cause, la Cour décide clairement que cette
Cour d’appel de Paris, le soin de préciser, à la suite d’un exaconsidération ne saurait constituer un objectif légitime pour
men individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette
restreindre la concurrence. Cette précision est de taille et réclause contractuelle et du contexte juridique et économique
vèle peut-être l’influence des nouvelles lignes directrices du
dans lequel elle s’inscrit, si, eu égard aux
22 avril 2010 accompagnant le nouveau
propriétés des produits en cause, cette
règlement d’exemption n° 330-2010
En l’espèce, la Cour de
clause n’est pas objectivement justifiée.
du 20 avril 2010 qui précisent que des
justice ne se prononce
La Cour d’appel de Paris devra se
restrictions à la concurrence peuvent
pas mais sous-entend
prononcer sur ce point en se fondant sur
être exceptionnellement caractérisées,
ici que la technicité et la
la jurisprudence antérieure, mais on voit
lorsqu’elles sont « objectivement nécesspécificité des produits
mal comment elle pourrait juger que la
saires » et non plus seulement « objecdermo-cosmétiques
vente de produits cosmétiques puisse
tivement justifiées ». Des auteurs (15)
ne sauraient exclure
être interdite sur l’internet eu égard à
ont pu remarquer que la nouvelle terla nature du produit, lors même que la
minologie engendre une rigueur accrue
la vente en ligne.
Cour de justice ne l’a pas admis pour les
et empêcherait de faire valoir « l’image
lentilles de contact et les médicaments non soumis à prescripde marque » ou « la sensation de luxe ». C’est chose faite
tion. De tels produits ne sont pas plus dangereux pour la santé
avec cet arrêt.
et ne devraient pas davantage justifier un rapport de visu, et
Dès lors, la Cour admet que la clause litigieuse constitue
non simplement virtuel, entre les vendeurs et les acheteurs.
une restriction par objet si, à la suite d’un examen individuel et
L’Autorité de la concurrence a pu relever que l’argument selon
concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle
lequel le contact visuel entre le pharmacien et les utilisateurs
et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit,
permettrait d’assurer la « cosmétovigilance » est sans effet,
il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause,
car l’observation des effets négatifs des produits en cause ne
cette clause n’est pas objectivement justifiée. Il appartiendra
pourrait apparaître qu’après l’utilisation du produit et non
donc à la Cour d’appel de Paris, juridiction de renvoi, de se propas au moment de son achat. En outre, l’établissement d’un
noncer in concreto sur les propriétés des produits cosmétiques
diagnostic n’entre pas dans les pouvoirs d’un pharmacien, seul
en cause, lesquels risquent de ne pas justifier une restriction
le médecin y étant autorisé. Au vu de ces considérations, il
de concurrence. En conséquence, la Cour encourage implicitey a de fortes chances que la juridiction de renvoi estime que
ment le commerce électronique, d’autant que la restriction de
l’interdiction de vendre en ligne des produits cosmétiques ne
concurrence risque de ne pas non plus être exemptée.
soit pas proportionnée aux objectifs poursuivis (11).
On remarquera que l’obligation de conseil dont s’est préII. − L’EXEMPTION DE LA RESTRICTION
value la société Fabre devant l’Autorité de la concurrence n’a
DE CONCURRENCE
pas fait l’objet de discussions en l’espèce (12). Il est vrai que
depuis l’arrêt Ker Optica et la conception souple consacrée
La Cour de justice refuse d’admettre que l’interdiction de
par la Cour de justice dans la mise en œuvre de cette obligala vente en ligne de produits cosmétiques constitutive d’une
tion, il paraît fort difficile de s’appuyer sur cette obligation,
restriction de concurrence par l’objet puisse bénéficier d’une
pour justifier une restriction de concurrence. La Cour a ainsi
exemption catégorielle (A). Par ailleurs, elle ne se prononce
estimé que les clients peuvent être conseillés via l’internet,
pas sur l’exemption individuelle, en l’absence d’éléments de
d’une manière équivalente, grâce aux moyens interactifs qui
preuve suffisants (B).
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
>
(9) CJCE, 11 déc. 2003, Deutscher Apothekerverband, aff. C-322/01, Rec. CJCE, p. 14887, pts 106, 107 et 112. (10) CJUE, 2 déc. 2010, Ker-Optika, aff. C-108/09, non encore publié au Recueil,
pt 76. (11) En ce sens, par anticipation de la solution, lors de la décision Ker-Optika relative aux lentilles de contact : Castets-Renard C., L’essor du commerce électronique : la CJUE autorise la
vente en ligne de lentilles de contact, D. 2011, p. 419. (12) Le Conseil de la concurrence a assoupli l’obligation de conseil dans une décision n° 07-D-07 rendue le 8 mars 2007, en matière de
produits cosmétiques et d’hygiène corporelle nécessitant un « conseil pharmaceutique » mais la société Fabre a toujours argumenté en faveur d’une obligation de conseil justifiée par la technicité
du produit. (13) En ce sens, pour la vente en ligne de médicaments : arrêt Deutscher Apothekerverband, précité, pt 114. (14) Précité, pt 113. (15) Chagny M. et Choisy S., Les nouvelles règles
applicables aux restrictions verticales de concurrence : quels changements pour la distribution en ligne ?, Comm. com..électr. 2010, n° 9, étude 17.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
57
L A V E N T E E N L I G N E D E P R O D U I T S CO S M É T I Q U E S DA N S L A D I ST R I B U T I O N S É L EC T I V E ( … )
A. − Le rejet de l’exemption catégorielle
Les restrictions verticales de concurrence sont susceptibles
de faire l’objet d’une exemption catégorielle, conformément
au règlement n° 2790/1999 sur les restrictions verticales de
concurrence, modifié par le nouveau règlement n° 330-2010
du 20 avril 2010, dès lors que la part du marché détenue
par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent
sur lequel il vend les biens ou services contractuels, ce qui
est le cas en l’espèce. Mais, par ailleurs, ce règlement, en
application de l’article 2 du règlement n° 19/65, a exclu certains types de restrictions ayant des effets anticoncurrentiels
graves, indépendamment de la part de marché des entreprises
concernées. L’article 4 c) du règlement n° 2790/1999 prévoit
ainsi que l’exemption catégorielle ne s’applique pas aux accords verticaux qui ont pour objet la restriction des ventes
actives ou des ventes passives aux utilisateurs finaux par les
membres d’un système de distribution sélective qui opèrent
en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la
possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer à
partir d’un lieu d’établissement non autorisé. L’Autorité de
la concurrence, puis la Cour de justice ont donc examiné si la
pratique restrictive de concurrence litigieuse pouvait bénéficier
de l’exemption par catégorie.
En l’espèce, une clause contractuelle interdisant de facto
internet comme mode de commercialisation a, à tout le
moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux
utilisateurs finaux désireux d’acheter par internet et localisés
en dehors de la zone de chalandise physique du membre
concerné du système de distribution sélective. Dès lors, bien
que la pratique d’interdiction de vente par internet ne soit
pas expressément visée dans ce règlement, elle équivaudrait
à une interdiction de ventes passives. Par conséquent, elle
relèverait de l’article 4, sous c), dudit règlement, qui exclut
du bénéfice de l’exemption automatique par catégorie les
restrictions de ventes actives ou passives par les membres
d’un système de distribution sélective. Les nouvelles lignes
directrices du 22 avril 2010 complétant le nouveau règlement
d’exemption n° 330-2010 du 20 avril 2010 précisent expressément que « l’utilisation par un distributeur d’un site internet
pour vendre des produits sont considérés comme une forme
de vente passive » (point 52).
Également, l’interdiction de vente sur internet ne remplit
pas les conditions de l’exception prévue à l’article 4, sous c),
du règlement n° 2790/1999 selon lequel ces restrictions de
ventes sont sans préjudice de la possibilité d’interdire à un
membre du système d’opérer « à partir d’un lieu d’établissement non autorisé ». En effet, internet serait non pas un lieu
de commercialisation, mais un moyen de vente alternatif
utilisé comme la vente directe en magasin ou la vente par
correspondance par les distributeurs d’un réseau disposant de
points de vente physiques. L’article 4, sous c), du règlement
n° 2790/1999, en mentionnant « un lieu d’établissement »,
ne vise que des points de vente où des ventes directes se
pratiquent. La Cour de justice refuse expressément d’étendre
l’interprétation de cette notion. En effet, dans la mesure où
une entreprise ayant la faculté, en toutes circonstances, de
soulever, à titre individuel, l’applicabilité de l’exception légale
58
de l’article 101, § 3, du TFUE, ses droits peuvent ainsi être
protégés, aussi n’y a-t-il pas lieu de donner une interprétation large aux dispositions qui font entrer les accords ou les
pratiques dans l’exemption par catégorie.
En conséquence, l’exemption par catégorie ne s’applique
pas à un contrat de distribution sélective qui comporte une
clause interdisant de facto internet comme mode de commercialisation des produits contractuels. Cet aspect de la décision
ne surprendra pas non plus, en ce qu’il est tout à fait conforme
aux interprétations précédentes et correspond à « l’air du
temps ». En effet, les nouvelles lignes directrices du 22 avril
2010 qui accompagnent le nouveau règlement d’exemption par
catégorie du 20 avril 2010 précisent désormais expressément
qu’« internet est un instrument puissant qui permet d’atteindre
un plus grand nombre et une plus grande variété de clients
que par les seules méthodes de vente plus traditionnelles, ce
qui explique pourquoi certaines restrictions à son utilisation
sont considérées comme une restriction des (re)ventes. En
principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet
pour vendre ses produits » (point 52). Le règlement d’exemption
catégorielle ne saurait donc permettre d’exempter un accord
interdisant de facto la vente par l’internet.
L’accord peut peut-être encore être sauvé par une exemption individuelle.
B. − L’exemption individuelle à prouver
Le contrat de distribution sélective peut bénéficier, à titre
individuel, de l’applicabilité de l’exception légale de l’article
101, § 3, du TFUE si les conditions de cette disposition sont
réunies. Mais la Cour de justice, ne disposant pas d’éléments
de preuve suffisants pour apprécier si le contrat de distribution
sélective satisfait aux conditions de l’article 101, § 3, du TFUE,
décide de ne pas se prononcer sur ce point. Elle ne peut donc
fournir d’indications supplémentaires à la juridiction de renvoi.
Rappelons que l’article 101, § 3, dispose que « toutefois,
les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :
– à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises,
– à toute décision ou catégorie de décisions d’associations
d’entreprises et,
– à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques
concertées,
qui contribuent à améliorer la production ou la distribution
des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable
du profit qui en résulte, et sans :
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui
ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie
substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ».
Pour bénéficier de l’exemption individuelle, la société
Fabre doit donc prouver que l’organisation du réseau contribue
à améliorer la production ou la distribution des produits ou à
promouvoir le progrès technique ou économique, et réserver
aux utilisateurs une partie équitable du profit. Par ailleurs,
les restrictions doivent être proportionnelles aux objectifs et
ne pas aller jusqu’à éliminer la concurrence, pour une partie
substantielle des produits en cause. La société Fabre risque ici
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
de rencontrer de sérieuses difficultés pour apporter une telle
preuve. On voit mal comment l’interdiction de la vente en ligne
de produits cosmétiques pourrait permettre de promouvoir
le progrès technique ou économique. De même, le fait de se
priver d’un mode de distribution risque de ne pas améliorer
ladite distribution des produits… Notons, par ailleurs, que
l’Autorité de la concurrence n’a pas considéré comme pertinent le fait que la distribution par internet n’entraînerait pas
de baisse de prix. Le gain pour le consommateur résiderait
non seulement dans une baisse de prix, mais également
dans l’amélioration du service proposé par les distributeurs,
dont, notamment, la possibilité de commander des produits
à distance, sans limitation de temps, avec accès facile à l’information sur les produits et en permettant la comparaison
de prix. Dès lors, l’interdiction de la vente en ligne risque de
ne pas être vue comme un facteur d’amélioration mais plutôt
de détérioration de la distribution. Par ailleurs, l’Autorité de
la concurrence a également rejeté l’argument de Pierre Fabre
Dermo-Cosmétique selon lequel l’interdiction de vente par
internet en cause contribuerait à améliorer la distribution
des produits dermo-cosmétiques en prévenant les risques de
contrefaçon et de parasitisme entre officines agréées. C’est
sans doute ce point qui pourrait le plus prêter à discussion
devant la juridiction de renvoi…
Il faudra donc attendre la décision de la Cour d’appel
de Paris pour apprécier si la clause contractuelle en cause
interdisant de facto toutes les formes de vente par internet
peut être justifiée par un objectif légitime et faire l’objet d’une
exemption individuelle. La société Fabre aura fort à faire pour
convaincre la Cour d’appel de Paris. ◆
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N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
59
Concurrence, concurrence…
Retour sur la décision Interflora de la CJUE avec l’analyse d’Élisabeth Tardieu-Guigues.
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, RLDI 2011/76, n° 2509
PPar Éli
Élisabeth
b th
TARDIEUGUIGUES
RLDI
Maître de conférences
– HDR
Responsable du
DU Innovation,
valorisation, partenariat
Ercim UMR 5815,
Faculté de droit et
de science politique
de Montpellier
L
2555
’utilisation d’un signe identique à la marque
d’autrui dans le cadre d’un service de référencement, ayant les caractéristiques d’AdWords,
aux fins de proposer une alternative aux produits ou services du titulaire de la marque peut
être justifiée.
La société Interflora Inc. (ci-après Interflora) détient la marque
« Interflora », marque nationale au Royaume-Uni et marque
communautaire, pour designer un service de livraison
de fleurs. Celle-ci jouit d’une renommée importante au
Royaume-Uni ainsi que dans d’autres États membres de
l’Union européenne. La société Marks and Spencer Plc (ciaprès M & S), société de droit anglais, est l’un des principaux
détaillants au Royaume-Uni. Elle distribue un large éventail de produits et propose des services via son réseau de
magasins et via son site <www.marksandspencer.com>.
L’un de ces services consiste dans la vente et la livraison
de fleurs. Cette activité commerciale est en concurrence
avec celle d’Interflora. M & S a, dans le cadre du service
de référencement AdWords de Google, sélectionné le terme
« Interflora » de même que des variantes constituées de ce
terme avec de petites erreurs, ainsi que des expressions
comportant le mot « Interflora » (à savoir « Interflora Flowers », « Interflora Delivery », « Interflora.com », « Interflora co uk », etc.) en tant que mots
clés. Par conséquent, lorsqu’un internaute tape sur son
ordinateur le mot « Interflora » ou l’une desdites variantes
ou expressions comme terme de recherche dans le moteur
de recherche Google, une annonce de M & S apparaît dans
la rubrique « liens commerciaux ».
À la suite de ces faits, la société Interflora intente une
action en contrefaçon à l’encontre de M & S et de Flowers
Direct Online (cette dernière postérieurement écartée de l’affaire). C’est dans
le cadre de ce litige que la Hight Court of Justice (England & Wales,
Chancery Division, Royaume-Uni) a saisi la CJUE, celle-ci a rendu un
arrêt le 22 septembre 2011 (1).
La demande de décision préjudicielle portait premièrement sur l’interprétation de l’article 5 de la première directive
n° 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, et
de l’article 9 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20
décembre 1993, sur la marque communautaire. Ces articles
« doivent[-ils] être interprétés en ce sens que le titulaire d’une
marque est habilité à interdire à un concurrent de faire afficher, à partir d’un mot clé identique à cette marque que ce
concurrent a sans le consentement dudit titulaire sélectionné
dans le cadre d’un service de référencement sur internet, une
annonce pour des produits ou des services identiques à ceux
pour lesquels ladite marque est enregistrée » ? (I).
Dans un second temps la juridiction de renvoi demandait
aussi, en substance, si « les articles 5, paragraphe 2, de la
directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement
n° 40/94 doivent[-ils] être interprétés en ce sens que le titulaire
d’une marque renommée est habilité à interdire à un concurrent
de faire de la publicité à partir d’un mot clé correspondant à
cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit
titulaire, sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet » ? (II).
I. – L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 5, § 1, A),
DE LA DIRECTIVE N° 89/104
La CJUE, après un rappel des interprétations (2) qui
ont déjà été données de l’article 5, § 1, a), de la directive
n° 89/104 (aujourd’hui abrogée sans réel changement et remplacée par la directive
n° 2008/95 CE) (et de l’article 9 du règlement [CE] n° 40/94), rappelle que
c’est au regard des fonctions de la marque que la juridiction
saisie doit interpréter les faits qui lui sont soumis : « Si le législateur de l’Union a qualifié d’“absolue” la protection contre
l’usage non consenti de signes identiques à une marque pour
des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels
(1) CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09. (2) Entre autres, CJCE, 12 juill. 2002, aff. C-206/01, Arsenal ; CJUE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal et a ; CJUE, 8 juill. 2010, aff. C-558/08,
Portakabin ; CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236-08 à C-238/08, Google ; CJUE, 25 mars 2010, aff. C-278/08, BergSpechte.
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celle-ci est enregistrée, la Cour a mis cette qualification en
perspective en relevant que, aussi importante qu’elle puisse
être, la protection octroyée par l’article 5, paragraphe 1,
sous a), de la directive n° 89/104 ne vise qu’à permettre au
titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en
tant que titulaire de celle-ci, c’est-à-dire d’assurer que cette
dernière puisse remplir ses fonctions propres. » (3) La Cour
a déjà défini plusieurs fois quelles étaient les fonctions de la
marque. Ce sont celles d’indication de l’origine du produit
ou du service couvert par la marque (4) et celles de communication d’investissement et de publicité (5). Il découle
de cette décision que l’usage du signe identique à la marque
d’un tiers, par un annonceur dans le cadre d’un service de
référencement sur internet, peut être libéré, si cet usage ne
porte pas atteinte à l’une des fonctions de la marque, fonction
d’indication d’origine (A), de publicité et d’investissements
(B) attachées au droit de marque.
A. – L’atteinte à la fonction d’indication d’origine
La fonction essentielle de la marque a été maintes fois
définie comme la garantie de l’indication de provenance ou
d’origine, ou encore garantie d’identité d’origine, et le droit
exclusif octroie au titulaire de la marque le pouvoir d’empêcher
l’usurpation de sa marque par un concurrent, pour désigner
ses propres produits ou services dans le sens où la fonction
de garantie de provenance en serait altérée (6).
Pour la CJUE, l’atteinte à la fonction d’identification d’origine de la marque dépend de la façon dont l’annonce qui
apparaît en lien commercial est présentée (7). En effet il n’y
a atteinte que « lorsque l’annonce ne permet pas, ou permet
difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services
visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou
d’une entreprise qui lui est économiquement liée » (8). Ce n’est
donc pas l’usage, en tant que tel, du signe identique pour des
produits ou services identiques à la marque du tiers, choisi
en un mot clé par l’annonceur, qui porte atteinte au droit de
marque. C’est une appréciation in concreto de l’atteinte à une
fonction qui est affirmée.
La CJUE, dans un arrêt du 23 mars 2010 (9), avait qualifié cet usage d’un signe identique à la marque du tiers
par l’annonceur « d’un usage du signe pour des produits et
services au sens de l’article 5, § 1a), de la directive » tout en
renvoyant à la juridiction saisie (10) le soin d’apprécier si,
au cas par cas, les faits du litige portent atteinte ou risquent
de porter atteinte à la fonction d’identité d’origine. La Cour
a fait référence aux critères qui doivent guider le juge dans
son appréciation de l’atteinte, nous les retrouvons ici : « Si
l’annonce du tiers suggère l’existence d’un lien économique
entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y a lieu de conclure
qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de cette
marque. De même, lorsque l’annonce, tout en ne suggérant
pas l’existence d’un lien économique, reste à tel point vague
sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est
pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et
du message commercial qui est joint à celui-ci, si l’annonceur
est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou bien, au
contraire, s’il est économiquement lié à celui-ci, il convient
de conclure qu’il y a atteinte à ladite fonction de la marque
(arrêts précités Google France et Google, points 89 et 90, ainsi
que Portakabin, point 35). » (11)
Il semble que, désormais, l’atteinte à la fonction d’indication d’origine soit caractérisée (12) par ces critères. Un
arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 2 février 2011, s’était
emparé de l’arrêt de la CJCE, du 23 mars 2010, pour débouter
de sa demande en contrefaçon le titulaire d’une marque à
l’encontre d’un annonceur qui avait utilisé sa marque en mot
clé (13) ; dans les mêmes circonstances la Cour d’appel de
Montpellier le 22 février 2011 (14), retenant une interprétation plus extensive du droit de marque, condamnait pour
contrefaçon un annonceur alors même que manifestement il
n’y avait pas de confusion sur l’origine des produis vendus
sur son site. Cette dernière jurisprudence, fondée sur l’atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque de se servir
du « signe » n’aura plus lieu d’être, dans la mesure où, en
l’absence de méprise sur l’origine des produits présentés, il
n’y a pas d’atteinte à la fonction d’indication de provenance
de la marque.
Si l’annonce présentée par le tiers ne peut faire croire à
l’internaute « normalement informé et raisonnablement attentif » qu’il existe un lien entre les entreprises ou produits et
services en cause et qu’a fortiori, il comprend qu’il se trouve
face à une offre alternative de produits ou de service, il n’y a
pas atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque
et a fortiori au droit de marque. C’est à la juridiction de renvoi
d’apprécier si au regard des faits « l’internaute normalement
informé et raisonnablement attentif ayant introduit les termes
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
>
(3) Point 37 de l’arrêt. (4) CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal, point 48, fonction qualifiée maintes fois d’essentielle. La fonction de la garantie de la qualité des produits n’est pas évoquée
dans cet arrêt commenté, sur ce sujet voir OHMI, 14 sept. 2000, Unilever, R 0436/1999-1, point 17. (5) CJUE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal c/ Bellure, Propr. indust. 2009, comm. 51,
Folliard Monguiral A. ; CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, Google. (6) Pour la naissance de la fonction de la marque dans les premiers arrêts rendus dans le cadre de la compatibilité
entre droit des marques et droit de non-concurrence mis en place par le Traité de Rome voir CJCE, 31 oct. 1974, aff. 16/74, Centrafarm, Rec. CJCE 1974, p. 1183 : « l’objet spécifique du droit
de marque est d’assurer au titulaire le droit exclusif d’utiliser la marque pour la mise en circulation du produit et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position
et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette marque » ; voir CJCE, 3 juill. 1974, aff. 192/73, Hag I, Rec. CJCE 1974, p. 731 ; CJCE, 22 juin 1976, aff
119/75, Terrapin c/ Terranova : « la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit désigné par la marque en permettant
de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux ayant une autre provenance », ; voir aussi CJCE, 23 mai 1978, aff. C-102/77, Hoffmann Laroche c/ Centrafarm : « La marque doit
contribuer à garantir au consommateur l’identité d’origine du produit sans confusion possible de ce produit de ceux qui ont une autre provenance » (7) Point 44 de l’arrêt ; égal. arrêt Google du
23 mars 2010, voir infra note 9. (8) Point 44. (9) CJUE, 23 mars 2010, aff. C.236/08 à C-238/08 , Google, points 69, 70, 71 : « Dans cette situation caractérisée par le fait qu’un signe identique
à une marque est sélectionné en tant que mot clé par un concurrent du titulaire de la marque dans le but de proposer aux internautes une alternative par rapport aux produits ou aux services
dudit titulaire, il y a usage dudit signe pour les produits ou les services dudit concurrent. (…) Il convient de rappeler, à cet égard, que la Cour a déjà jugé qu’un annonceur qui utilise, dans le
cadre d’une publicité comparative, un signe identique ou similaire à la marque d’un concurrent afin d’identifier, explicitement ou implicitement, les produits ou les services offerts par ce dernier
et de comparer ses propres produits ou services avec ceux-ci, fait un usage dudit signe “pour des produits ou des services” au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive n° 89/104 (…)
l’usage que l’annonceur fait du signe identique à la marque d’un concurrent pour que l’internaute prenne connaissance non seulement des produits ou des services offerts par ce concurrent
mais également de ceux dudit annonceur, est un usage pour les produits ou les services de cet annonceur. » (10) CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, point 88. (11) Point 45 de
l’arrêt. (12) Limitée ? (13) Voir nos obs., in RLDI 2011/71, n° 2338. (14) CA Montpellier, n° 10.00594, < www.legalis.net>.
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CONCU R R ENCE, CONCU R R ENCE…
tée ». Mais cela dépend aussi de la personne qui lit l’annonce,
“Interflora” puisse comprendre que le service de livraison de
cela dépend aussi de l’internaute « normalement informé et
fleurs proposé ne provient pas d’Interflora » (15).
raisonnablement attentif ». Ce point est réaffirmé ici (20). Ce
Le droit exclusif octroyé au titulaire de la marque sur le
fondement de l’article 5, § 1, a), de la directive, est lu au ren’est donc plus tant l’exclusivité du signe (sans confondre le signe et
gard de la fonction du droit. Du caractère exclusif du droit il
le droit) au profit du titulaire de la marque qui est protégé, que
n’est plus beaucoup question. L’article 5, § 1), indique : « Le
les fonctions pour lesquelles le droit de marque a été octroyé.
titulaire est habilité à interdire à tout tiers en l’absence de son
Le lien commercial permet une concurrence accrue entre
consentement, de faire un usage dans la vie des affaires, a) d’un
les différents opérateurs économiques, puisque peut être
signe identique à la marque pour des produits et des services
proposée au consommateur une alternative aux produits
identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. »
du titulaire de la marque, ce qui est tout à l’avantage des
Comme le fait justement remarquer un auteur (16) à propos
consommateurs. Dès lors, l’absence de toute ambiguïté dans
l’annonce permet un renversement de la présomption de
de l’arrêt L’Oréal c/ Bellure (17), et analysant le 10e considérant
l’atteinte au droit établie par l’article 5, § 1, a), de la direcde la directive n° 89/104 (devenu n° 11 dans la directive n 2008/95) « le
tive. La distinction entre « signe identique » et « marque »
risque de confusion est dans tous les cas la condition spécifique
met en valeur la fonction économique de la marque, qui
de la protection de la marque. (…) » et « si le considérant
est de permettre la concurrence entre
indique que la protection conférée par
les produits et les services des opérala marque est absolue en cas d’identité
Lorsqu’il y a une identité
teurs économiques. La Cour précise
entre les signes et les spécialités ce n’est
absolue entre le signe et la
que « seule l’existence d’un risque de
pas pour souligner qu’elle ne dépend en
marque et les produits, ou
contusion permet au titulaire d’évoquer
aucune façon du risque de confusion,
utilement son droit exclusif ». Dans
mais semble-t-il seulement pour faire apservices, il n’y a pas lieu
la mesure où l’internaute « normaparaître que le risque de confusion, dans
de prouver la confusion
lement informé et raisonnablement
le sens où il est entendu, est présumé ».
entre les produits et les
attentif » peut faire la différence entre
Cette interprétation est juste. Lorsqu’il y
services pour obtenir la
les produits et services du titulaire
a une identité absolue entre le signe et la
protection du droit des
de la marque et ceux de l’annonceur,
marque et les produits, ou services, il n’y
marques, car ce risque de
l’accès au signe peut être libéré.
a pas lieu de prouver la confusion entre
confusion est présumé.
En l’espèce, la Cour remarque que
les produits et les services pour obtenir
la diversité des commerçants auxquels
la protection du droit des marques, car
recourt la société Interflora permet peut-être difficilement
ce risque de confusion est présumé. Mais désormais il semble
à l’internaute « normalement informé et raisonnablement
que la preuve de l’absence de confusion ou de toute méprise
attentif » de savoir, en l’absence d’indication donnée par
sur l’origine des produits dans le cadre de l’annonce passée
l’annonceur, si ce dernier fait ou non partie du réseau d’Inen lien commercial, permet de faire tomber cette présompterflora. C’est à la juridiction saisie d’évaluer, au regard de
tion (18). Comme nous l’avions évoqué, « il n’était pas si
ce fait et d’autres « qu’elle considérera comme pertinents », si
évident que l’apparition de liens commerciaux suggère un lien
l’annonce de M & S permettait à l’internaute de comprendre
entre des entreprises concurrentes. Si un annonceur dans un
que son service de livraison de fleurs n’appartient pas au
journal achète des emplacements, systématiquement à côté
réseau d’Interflora (21).
de son concurrent sera-t-il condamnable ? C’est l’opacité du
système qui est ici en cause, le fait que l’internaute ne soit pas
B. – L’atteinte aux fonctions de publicité
vraiment informé sur la nature du lien commercial qui risque de
et d’investissements
l’induire en erreur sur les liens entre les différentes entreprises,
alors que l’erreur du consommateur dans un journal n’est pas
La Cour rappelle en introduction (22) que la fonction
possible ». Comme l’indique la CJCE dans l’arrêt Google du 23
d’indication de provenance n’est pas la seule, il existe d’autres
mars 2010 (19), « la question de savoir s’il y a une atteinte à
fonctions qui méritent la protection et il nous est dit que
ces fonctions concernent toutes les marques, celles qui sont
cette fonction de la marque lorsque est montrée aux internautes,
renommées et les autres (23). Ces fonctions qualifiées à pluà partir d’un mot clé identique à une marque, une annonce
d’un tiers, tel qu’un concurrent du titulaire de cette marque,
sieurs reprises par la doctrine de « mystérieuses » (24)sont ici
dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présenexplicitées, mais l’atteinte à celles-ci paraît difficile à mettre
(15) Point 55 de notre arrêt. (16) Passa J., Caractérisation de la contrefaçon par référence aux fonctions de la marque : la Cour de justice sur une fausse piste, Propr. indust. 2011, n° 1, étude 1.
(17) CJUE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, point 58, L’Oréal c/ Bellure. (18) Passa J., étude précitée. (19) Points 83 et 84 de l’arrêt. (20) Point 44. (21) Et la Cour précise aussi que l’on doit faire
référence à la majorité des internautes. (22) Points 39 et 40. (23) « S’agissant des fonctions de la marque autres que celle de l’indication d’origine, il importe de relever que tant le législateur
de l’Union, par l’emploi du terme “notamment” au 10e considérant de la directive n° 89/104 et au 7e considérant du règlement n° 40/94, que la Cour, par l’emploi des termes “fonctions
de la marque” depuis l’arrêt Arsenal Football Club, précité, ont indiqué que la fonction d’indication d’origine de la marque n’est pas la seule fonction de celle-ci digne de protection contre des
atteintes par des tiers. Ils ont ainsi tenu compte de la circonstance qu’une marque constitue souvent, outre une indication de la provenance des produits ou des services, un instrument de
stratégie commerciale employé, en particulier, à des fins publicitaires ou pour acquérir une réputation afin de fidéliser le consommateur. » « Certes, une marque est toujours censée remplir
sa fonction d’indication d’origine, tandis qu’elle n’assure ses autres fonctions que dans la mesure où son titulaire l’exploite en ce sens, notamment à des fins de publicité ou d’investissement.
Toutefois, cette différence entre la fonction essentielle de la marque et les autres fonctions de celle-ci ne saurait aucunement justifier que, lorsqu’une marque remplit l’une ou plusieurs de ces
autres fonctions, des atteintes à ces dernières soient exclues du champ d’application des articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement
n° 40/94. De la même manière, il ne peut être considéré que seules des marques renommées peuvent avoir des fonctions autres que celle d’indication d’origine. » (24) En ce sens, Bonet G.,
Publicité sur internet et référencement selon la Cour de justice : contrefaçon ou directive n° 2003/CE, Comm. com. élect. 2010, n° 6, étude 12 ; Larrieu J., Propr. indust. 2010, n° 9, alerte 87.
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en œuvre, le titulaire de la marque n’est donc pas avantagé
dans la défense de son droit.
1°/ L’atteinte à la fonction de publicité
Si l’arrêt Google (25) définissait par la négative la fonction
publicitaire de la marque, cette décision précise le contenu de
cette fonction qui est « d’informer et persuader les consommateurs » (26). Dans le cadre des adwords, il n’y a pas atteinte
à la fonction publicitaire de la marque, car « la sélection d’un
signe identique à la marque d’autrui n’a pas pour effet de
priver le titulaire de cette marque de la possibilité d’utiliser
efficacement sa marque pour informer et persuader » (27).
La Cour conclut « que ne porte pas atteinte, dans le cadre
d’un service de référencement ayant les caractéristiques de
celui en cause au principal, à la fonction de publicité de la
marque » (28). Cette formulation assez sèche paraît exclure
l’atteinte à la fonction publicitaire dans le cadre de la pratique
des adwords.
La CJUE fait remarquer qu’en principe l’usage d’un terme
identique à une marque d’autrui dans le cadre d’un service de
référencement ne porte pas atteinte à la fonction publicitaire
de la marque, même si elle reconnaît que « ledit usage peut
avoir des répercussions sur l’emploi publicitaire d’une marque
verbale par son titulaire (29). (…) Toutefois, le seul fait que
l’usage, par un tiers, d’un signe identique à une marque pour
des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels
cette marque est enregistrée contraigne le titulaire de cette
marque à intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir
ou augmenter sa visibilité auprès des consommateurs, ne
suffit pas, dans tous les cas, pour conclure qu’il y a atteinte à
la fonction de publicité de ladite marque ».
Donc si ledit usage du signe peut avoir des répercussions
sur l’emploi publicitaire de la marque, notamment en termes
de coûts, cela n’est pas une atteinte à la fonction publicitaire de
la marque. Il est réaffirmé que la publicité sur internet à partir
de mots clés a un but : proposer une alternative par rapport
aux produits et services de ladite marque, et l’utilisation du
signe par le tiers permet le jeu de la concurrence. « Il importe
de souligner, à cet égard, que, si la marque constitue un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le
droit de l’Union entend établir (voir, notamment, arrêt du 23
avril 2009, Copad, C-59/08, Rec. p. I-3421, point 22), elle n’a
cependant pas pour objet de protéger son titulaire contre des
pratiques inhérentes au jeu de la concurrence. » (30)
De prime abord la publicité permet l’annonce des produits
ou des services d’une entreprise. Cela suppose-t-il que l’usage
du signe par l’annonceur concurrent étant caché, il ne peut
être une atteinte à la fonction publicitaire de la marque qui
est d’informer et de persuader les consommateurs dans la
mesure où aucun argumentaire n’est offert au public ? La
fonction publicitaire se résumerait à un affichage public ? Ce
sera aux juridictions saisies de nous éclairer…
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
2°/ L’atteinte à la fonction d’investissement
Ici est défini ce que peut être la fonction d’investissement.
Manifestement tous les actes qui permettent l’acquisition, le développement, le maintien, la conservation de la réputation de la
marque sont regroupés au sein de la fonction d’investissement ;
ce qui suggère que désormais certaines atteintes à la réputation
que l’on pouvait auparavant qualifier d’actes de concurrence
déloyale peuvent sous certaines conditions être qualifiés d’actes
de contrefaçon au sens de l’article 5, § 1, a), de la directive, et
que d’autres actes appréhendés sur d’autres fondements tel le
conditionnement les y rejoignent… Cet assemblage disparate,
comme nous allons le voir, tend peut-être à rassembler sous le
même manteau la défense de la réputation de la marque, quelle
que soit la marque, renommée ou non. Il nous semble que la
Cour vise, dans cette décision, à une plus grande uniformisation
des pratiques de défense de la réputation de la marque sur le
territoire européen (31). Dans un premier temps la Cour donne
une « idée » de ce qu’est la fonction d’investissement et des atteintes qui peuvent lui être portées (a) et dans un second temps
elle écarte très nettement au nom de la liberté du commerce et de
l’industrie le fait que l’usage du signe dans le cadre des adwords
par le tiers soit condamnable en soi (b).
La question est donc de savoir quel est l’intérêt de la
fonction d’investissement si l’atteinte à la fonction requiert
les mêmes types de preuve que la preuve des actes de concurrence déloyale.
a) La fonction d’investissement
La fonction d’investissement a pour but de permettre
l’acquisition et la conservation de la réputation d’une marque
« au moyen de différentes techniques commerciales » (32).
« Lorsque l’usage par un tiers, tel qu’un concurrent du titulaire de la marque, d’un signe identique à cette marque pour des
produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci
est enregistrée gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit
titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs, il
convient de considérer que cet usage porte atteinte à la fonction
d’investissement de la marque. Ledit titulaire est, par conséquent, habilité à interdire un tel usage en vertu de l’article 5,
paragraphe 1, sous a), de la directive n° 89/104 ou, en cas de
marque communautaire, de l’article 9, paragraphe 1, sous a),
du règlement n° 40/94 » (33) (nous soulignons).
« Dans une situation où la marque bénéficie déjà d’une telle
réputation, il est porté atteinte à la fonction d’investissement
lorsque l’usage par le tiers d’un signe identique à cette marque
pour des produits ou des services identiques affecte cette réputation et met ainsi en péril le maintien de celle-ci. Ainsi que
la Cour l’a déjà jugé, le titulaire d’une marque doit pouvoir
s’opposer, en vertu du droit exclusif qui lui est conféré par la
marque, à un tel usage (voir arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal
et a., C-324/09, non encore publié au Recueil, point 83). »
>
(25) CJUE, 23 mars 2010, précité, point 69. (26) Point 59. (27) Point 59. (28) Point 66. (29) Points 54 : « Notamment, lorsque ce dernier inscrit sa propre marque en tant que mot clé auprès
du fournisseur du service de référencement afin de faire apparaître une annonce dans la rubrique “liens commerciaux”, il devra parfois, si sa marque a également été sélectionnée en tant que
mot clé par un concurrent, payer un prix par clic plus élevé que ce dernier s’il veut obtenir que son annonce apparaisse devant celle dudit concurrent (voir arrêt Google France et Google, précité,
point 94) » et 55. (30) Point 57. (31) En espérant ne pas avoir une lecture trop hâtive de l’arrêt… (32) Point 61 : « l’emploi de la marque pour acquérir ou conserver une réputation s’effectue
non seulement au moyen de la publicité, mais également au moyen de diverses techniques commerciales » (nous soulignons). (33) Point 62.
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CONCU R R ENCE, CONCU R R ENCE…
Toutes ces atteintes à la réputation de la marque sont-elles
L’acquisition, le développement, la conservation, et enfin
désormais sanctionnées comme des atteintes à la fonction
la défense de la réputation de la marque, tous ces actes relèvent
d’investissement ? Cette fonction soulève donc bien des
donc de la fonction d’investissement de la marque, et à ce titre
questions, notamment de preuve…
entrent dans le champ de l’article 5, § 1, de la directive. La
lecture de ces paragraphes suscite des interrogations. Offrons
b) Un usage du signe justifié au regard des règles
quelques pistes…
de concurrence
Lorsque sont visées « les diverses techniques commerMais la preuve de l’atteinte à cette fonction paraît très
ciales », les réseaux de distribution (sélective, ou exclusive, de concession,
difficile…
voire la licence) sont-ils visés ? Auquel cas l’atteinte à ces réseaux
Pour la CJUE, « il ne saurait être admis que le titulaire
(antérieurement sanctionnée sur le terrain de la concurrence déloyale) deviendrait
d’une marque puisse s’opposer à ce qu’un concurrent fasse,
une atteinte au droit de marque au sens de l’article 5, § 1, de
dans des conditions de concurrence loyale et respectueuse
la directive. Le second paragraphe de l’arrêt fait-il référence à
de la fonction d’indication d’origine de la marque, usage
la pratique de la vente de produits de moindre qualité, idend’un signe identique à cette marque pour des produits ou
tiques ou similaires à ceux du titulaire de la marque, signalés,
des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enannoncés, dans les liens commerciaux grâce aux adwords
registrée, si cet usage a pour seule conséquence d’obliger le
ou, bien encore, à la revente des produits du titulaire de la
titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir
marque dans un environnement préjudiciable à la réputation
ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser
de la marque ? Sans qu’il y ait de confusion sur l’origine des
les consommateurs.
produits, ces actes n’ont-ils pas déjà été sanctionnés comme
De la même manière, la circonstance que ledit usage
atteinte à la réputation de la marque sur le terrain de l’article 5,
conduise certains consommateurs à se
§ 2, pour les marques renommées ? (34),
détourner des produits ou des services
sous réserve toujours de l’appréciation
Quel est l’intérêt
revêtus de ladite marque ne saurait
des faits par la juridiction saisie. L’arrêt
d’inclure cette fonction
être utilement invoquée par le titulaire
nous plonge dans l’expectative… des
« d’investissement »
de cette dernière (…). C’est eu égard à
interprétations. Enfin, dans le dernier
dans le droit de
ces considérations qu’il appartiendra
paragraphe, il est fait référence à l’armarque ? Concurrence,
à la juridiction de renvoi de vérifier si
rêt L’Oréal, or ce dernier concerne des
concurrence…
l’usage, par M & S, du signe identique
faits très différents de notre affaire. En
à la marque Interflora met en péril le
simplifiant il s’agissait du titulaire d’une
maintien, par Interflora, d’une réputation susceptible d’attirer
marque qui tentait d’empêcher un revendeur (non agréé) de
et de fidéliser des consommateurs » (36).
vendre sur internet des objets (parfums) dont le conditionnement
avait été ôté. Que nous dit cet arrêt : « le titulaire d’une marque
Autrement dit, il est nécessaire au titulaire de la marque
peut, en vertu du droit exclusif conféré par celle-ci, s’opposer à
de prouver l’atteinte à la réputation de la marque, dans les
la revente de produits, tels que ceux en cause dans l’affaire au
mêmes termes que ceux requis dans le cadre d’une action en
principal, au motif que le revendeur a retiré l’emballage de ces
concurrence déloyale, pour empêcher un tiers de se servir du
produits, lorsque ce déconditionnement a pour conséquence
signe identique à la marque. Le titulaire de la marque ne peut
que des informations essentielles, telles que celles relatives à
empêcher l’usage du signe s’il est fait dans des conditions de
l’identification du fabricant ou du responsable de la mise sur
concurrence loyale et respectueuse de la fonction d’indication
le marché du produit cosmétique, font défaut. Lorsque le retrait
d’origine de la marque par les concurrents, et ce même si
de l’emballage n’a pas conduit à un tel défaut d’informations,
cela aboutit à ce que les internautes se reportent pour partie
le titulaire de la marque peut néanmoins s’opposer à ce qu’un
sur les produits ou services du concurrent du titulaire de la
parfum ou un produit cosmétique revêtu de la marque dont
marque, grâce au fait qu’ils ont pu prendre connaissance
il est titulaire soit revendu dans un état déconditionné, s’il
d’autres produits grâce aux liens commerciaux.
établit que le retrait de l’emballage a porté atteinte à l’image
Finalement s’il n’y pas d’ambiguïté dans l’annonce elledudit produit et, ainsi, à la réputation de la marque » (35).
même, si la proposition des produits et services du tiers se
fait de façon loyale, si les produits du tiers, ou ses services,
Mais cette pratique n’est-elle pas déjà interdite sur le fondene portent pas atteinte à la réputation de la marque, l’usage
ment de la règle relative à l’épuisement du droit, où, dès lors
d’un signe identique à la marque est libre pour des produits
que les produits du titulaire de la marque sont modifiés ou
et services identiques à ceux du titulaire de la marque.
altérés, ce dernier a un motif légitime pour s’opposer à un
Quel est donc l’intérêt d’inclure cette fonction « d’invesnouvel de acte de commercialisation ? C’est dire que c’est sur
tissement » dans le droit de marque ? Concurrence, concurle fondement de l’article 7 de la directive que le titulaire de la
rence…
marque pouvait s’opposer à ce type de pratiques.
(34) Voir arrêt Dior c/ Evora, 4 nov. 1997, aff. C-337/95 où la CJCE avait indiqué que si « le titulaire d’une marque ne peut s’opposer, au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive
n° 89/104, à ce qu’un revendeur, qui commercialise habituellement des articles de même nature, mais pas nécessairement de même qualité, que les produits revêtus de la marque, emploie,
conformément aux modes qui sont usuels dans son secteur d’activité, la marque afin d’annoncer au public la commercialisation ultérieure de ces produits, à moins qu’il ne soit établi que,
compte tenu des circonstances propres à chaque espèce, l’utilisation de la marque à cette fin porte une atteinte sérieuse à la renommée de ladite marque » (nous soulignons) ; sur la défense de
la réputation et de la renommée, arrêt Dior c/ Copad, 23 avr. 2009, aff C-59/08, point 57 : Droit de marque et contrat de licence : un élargissement du pouvoir des titulaires de marques de luxe
vis-à-vis de leurs licenciés, Propr. intell. 2009, n° 32, nos obs., p. 251-260. (35) Point 83 de l’arrêt L’Oréal, 12 juill 2011, aff. C-324/09, précité. (36) Points 64, 65.
64
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
II. – L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 5, § 2,
DE LA DIRECTIVE N° 89/104 ET DE L’ARTICLE 9,
§ 1, C), DU RÈGLEMENT N° 40/94
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
d’un « juste motif », si celui-ci existe, il libère l’accès au signe
identique à la marque renommée (B).
A. – Les atteintes
Le titulaire d’une marque renommée est-il habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d’un
mot clé correspondant à cette marque que ce concurrent a,
sans le consentement du titulaire de la marque sélectionnée
dans le cadre d’un service de référencement sur internet ?
Rappelant le champ de l’article 5, § 2, de la directive
n° 89/104 (37), la Cour, au regard de la renommée de la
marque « Interflora », conclut à son application. La Cour se
prononce ensuite sur la portée de la protection octroyée :
« il résulte du libellé desdites dispositions que les titulaires
de telles marques sont habilités à interdire l’usage par des
tiers, dans la vie des affaires, de signes identiques ou similaires à celles-ci, sans leur consentement et sans juste motif,
lorsque cet usage tire indûment profit du caractère distinctif
ou de la renommée de ces marques ou porte préjudice à ce
caractère distinctif ou à cette renommée » (38). C’est un
résumé de l’article 5, § 2 (39), de la directive où la Cour
juxtapose les termes « sans leur consentement » et « sans
juste motif », ce qui présume de la suite du raisonnement.
La Cour répète que l’exercice de ce droit par le titulaire de
la marque renommée ne présuppose pas l’existence d’un
risque de confusion dans l’esprit du public concerné (40).
La Cour énumère ensuite les atteintes à la marque renommée, et décrit le contenu de ces dernières, une seule de
ces atteintes étant suffisante pour que la règle énoncée
auxdites dispositions s’applique (41). Il y a, premièrement,
le préjudice porté au caractère distinctif de la marque,
deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette
marque, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère
distinctif ou de la renommée de ladite marque (42).
La Cour reprend ensuite point par point ce que sont les
atteintes à la renommée, et il semble bien que, dans notre cas,
l’atteinte à la renommée soit constituée. Ce qui est reproché à
M & S, c’est l’atteinte au caractère distinctif de la marque, le
risque de dilution (43) de la marque « Interflora » et le profit
indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de
la marque, le parasitisme (44), actes ici constitués (A). Mais,
comme en matière de droit de la concurrence, où une pratique
condamnable peut être « exemptée » pour des justes motifs, ce
qui va être déterminant dans la décision c’est l’appréciation
Les atteintes pour la Cour après l’analyse des faits semblent constituées.
1°/ L’atteinte au caractère distinctif du signe,
le risque de dilution
La Cour fait valoir qu’il y a effectivement un risque de
dilution, lorsque l’utilisation du signe peut mener à une
dénaturation ou à une évolution de la marque en terme
générique. Interflora indiquait que l’utilisation du terme
« Interflora » dans le cadre d’un service de référencement
par M & S (voire d’autres entreprises) risquait de faire croire à
l’internaute que la marque désignait tout service de livraison de fleurs. Mais, toujours en référence à « l’internaute
normalement informé et raisonnablement attentif », la
Cour (45) énonce que si, lorsque l’internaute saisit le signe,
la publicité qui apparaît en lien commercial lui permet
de comprendre que le service promu par M & S est indépendant de celui d’Interflora, il n’y a pas de dilution ou
d’affaiblissement de la marque. C’est donc à la juridiction
saisie d’apprécier « sur la base de tous les indices qui lui
sont soumis, si la sélection de signes correspondant à la
marque Interflora en tant que mots clés sur internet a eu un
impact tel sur le marché des services de livraison de fleurs
que le terme “Interflora” a évolué pour désigner, dans l’esprit
du consommateur, tout service de livraison de fleurs ». Le
problème qui va se poser est de savoir à quel moment les
titulaires de marques « renommées » vont pouvoir agir pour
empêcher la dégénérescence de leur marque sur internet.
À quel moment la marque devient-elle un mot du langage
courant ou synonyme d’un objet ou service ? Encore une
appréciation des faits à trancher par les juridictions.
2°/ Le profit indûment tiré du caractère distinctif
ou de la renommée de la marque, le parasitisme
Lorsqu’un annonceur a sélectionné, dans le cadre d’un
service de référencement sur internet, un mot clé correspondant à une marque d’autrui, il espère que les internautes
introduisant ce mot en tant que terme de recherche iront
sur le site répertorié en lien commercial et pas seulement
sur les liens affichés qui proviennent du titulaire de ladite
marque. C’est bien dans cet espoir que l’annonceur utilise
une marque renommée en mot clé, quitte à payer plus cher
>
(37) « S’agissant, d’abord, de l’applicabilité des règles énoncées au paragraphe 2 dudit article 5 et au paragraphe 1, sous c), dudit article 9, il est de jurisprudence constante que, même si ces
dispositions ne se réfèrent expressément qu’à l’hypothèse où il est fait usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires
à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, la protection y énoncée vaut, à plus forte raison, également par rapport à l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée
pour des produits ou des services qui sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée (voir, notamment, arrêts du 9 janvier 2003, Davidoff, aff. C-292/00, Rec. p. I-389,
point 30 ; du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon et Adidas Benelux, aff. C-408/01, Rec. p. I-12537, points 18 à 22, ainsi que Google France et Google, précité, point 48). » (38) Point 70. (39) L’article
5, § 2, de la directive°n° 89/104 indique que « le titulaire de la marque est habilité à interdire à tout tiers en l’absence de son consentement, de faire un usage dans la vie des affaires d’un signe
identique ou similaire à la marque pour des produits et des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre
et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice » (nous soulignons). (40) Point 71. (41) Voir CJUE, 18
juin 2009, L’Oréal, point 38 ainsi que la note 42, précité. (42) Reprenant chacun de ces points la Cour indique que « le préjudice porté au caractère distinctif de la marque renommée (appelé aussi
“dilution”) est constitué lorsque se trouve affaiblie l’aptitude de cette marque à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, un préjudice porté à la renommée de la marque,
également désigné sous le terme, notamment, de “ternissement”, intervient lorsque les produits ou les services pour lesquels le signe identique ou similaire est utilisé par le tiers peuvent être perçus
par le public d’une manière telle que la force d’attraction de la marque en est diminuée (voir arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal et a., précité, points 39 ainsi que 40). La notion de “profit indûment tiré
du caractère distinctif ou de la renommée de la marque”, également désigné sous le terme, notamment, de “parasitisme”, quant à elle, s’attache non pas au préjudice subi par la marque, mais à
l’avantage tiré par le tiers de l’usage du signe identique ou similaire à celle-ci. Elle englobe notamment les cas où, grâce à un transfert de l’image de la marque ou des caractéristiques projetées
par celle-ci vers les produits désignés par le signe identique ou similaire, il existe une exploitation manifeste dans le sillage de la marque renommée (arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal et a., précité,
point 41) ». (43) Points 75, 77. (44) Points 75, 84. (45) Point 81 : « si l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif est en mesure de comprendre que les produits ou les services
offerts proviennent non pas du titulaire de la marque renommée mais, au contraire, d’un concurrent de celui-ci, il conviendra de conclure que la capacité distinctive de cette marque n’a pas été
réduite par ledit usage, ce dernier ayant simplement servi à attirer l’attention de l’internaute sur l’existence d’un produit ou d’un service alternatif par rapport à celui du titulaire de ladite marque ».
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
65
CONCU R R ENCE, CONCU R R ENCE…
de principe de la condamnation d’un acte punissable sur le
ce mot. C’est parce que la marque à un attrait publicitaire,
terrain de l’article 5, § 2, de la directive.
qu’elle est un vecteur de communication important, et qu’elle
est connue des internautes que l’annonceur choisit celle-ci,
B. – L’existence d’une concurrence saine
sinon il n’aurait aucune raison de la sélectionner en mot
est un juste motif qui libère l’accès au signe
clé (46)… Pour l’Avocat général lorsque le concurrent du
Au nom de la concurrence et des nouvelles pratiques pertitulaire d’une marque jouissant d’une renommée sélectionne
mises par l’outil internet, l’Avocat général nous dit : « compte
cette marque en tant que mot clé dans le cadre d’un service
tenu de la nécessité de favoriser une concurrence non faussée et
de référencement sur internet, « il est évident que M & S tire
d’offrir aux consommateurs des possibilités de rechercher des
profit de la renommée d’Interflora, car on conçoit mal que le
informations sur des produits et services (…) la raison d’être
choix des mots clés auquel elle a procédé puisse s’expliquer
de l’économie de marché est, après tout, que des consommapour une autre raison » (47).
teurs bien informés puissent faire des choix conformément à
La Cour constate que « lorsque des internautes achètent,
leurs préférences. Je trouverais injustifié que le titulaire de la
après avoir pris connaissance de l’annonce dudit concurrent,
marque puisse interdire un tel usage de sa marque, à moins
le produit ou le service offert par ce dernier au lieu de celui du
qu’il n’ait des motifs de s’opposer à l’annonce qui s’affiche
titulaire de la marque sur laquelle portait initialement leur
lorsque l’internaute tape un mot de recherche correspondant à
recherche, ce concurrent tire un réel avantage du caractère
un mot clé » (49). La Cour lui emboîte le pas : « lorsque la pudistinctif et de la renommée de cette marque. Il est au surplus constant que, dans le cadre d’un
blicité affichée sur internet à partir d’un
service de référencement, l’annonceur
mot clé correspondant à une marque reLa liste des atteintes
sélectionnant des signes identiques ou
nommée propose, sans offrir une simple
similaires à des marques d’autrui ne
imitation des produits ou des services
n’est pas limitative,
paie, en règle générale, aucune compendu titulaire de cette marque, sans causer
sinon la possibilité qu’il
sation pour cet usage aux titulaires de
une dilution ou un ternissement et sans
existe une exploitation
ces marques » (48).
au demeurant porter atteinte aux foncindue de la renommée
tions de ladite marque, une alternative
En conséquence, « il résulte de ces
du droit de marque serait
par rapport aux produits ou aux services
caractéristiques de la sélection de signes
singulièrement étroite.
du titulaire de la marque renommée, il
correspondant à des marques renomconvient de conclure qu’un tel usage
mées d’autrui en tant que mots clés sur
relève, en principe, d’une concurrence saine et loyale dans le
internet qu’une telle sélection » peut, lorsqu’un « juste motif »
secteur des produits ou des services en cause et a donc lieu
au sens des articles 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104
pour un “juste motif” au sens des articles 5, paragraphe 2, de
et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 fait défaut,
la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règle« s’analyser comme un usage par lequel l’annonceur se place
ment n° 40/94 ». Il incombe donc à la juridiction de renvoi
dans le sillage d’une marque renommée afin de bénéficier de
d’apprécier, en tenant compte des éléments d’interprétation
son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige,
qui précèdent, si les faits du litige au principal sont caractéainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière
risés par un usage du signe sans juste motif tirant indûment
et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard, l’effort
profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque
commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer
Interflora. Dans la mesure où les services proposes par M & S
et entretenir l’image de cette marque. S’il en va ainsi, le prosont de qualité (nous semble-t-il), il n’existera pas d’atteinte à la
fit ainsi réalisé par le tiers doit être considéré comme étant
indu (voir, à cet égard, arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal et a.,
réputation de la marque.
précité, point 49) ». Le paragraphe suivant précise : « une
Pour favoriser la concurrence, et l’information des consomtelle conclusion peut notamment s’imposer dans des cas où
mateurs, il était autorisé légalement l’usage du signe dans le
des annonceurs sur internet offrent à la vente, moyennant
cadre de publicité comparative, l’usage du signe à titre de
la sélection de mots clés correspondant à des marques reréférence nécessaire, désormais l’interprétation de l’article 5,
nommées, des produits qui sont des imitations des produits
§ 2, de la directive par la Cour permet aussi un usage à titre
du titulaire desdites marques (arrêt Google France et Google,
informatif, dans le cadre des adwords, pour proposer des proprécité, points 102 et 103) » (nous soulignons).
duits ou services alternatifs à ceux du titulaire de la marque
La liste des atteintes n’est pas limitative, sinon la possibilité
sous condition toujours de l’appréciation des atteintes par la
qu’il existe une exploitation indue de la renommée du droit
juridiction saisie… Le droit des marques devient de moins en
de marque serait singulièrement étroite. Voilà pour l’énoncé
moins « exclusif ». ◆
(46) Voir RLDI 2011/71, nos obs. précitées. (47) Point 96 des conclusions de l’Avocat général. (48) Point 88. (49) Point 99.
66
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
rendant compte d’investigations réalisées dans une enquête
la concernant, Mme Bettencourt a porté plainte du chef de
violation du secret professionnel auprès du procureur de la République ; ce dernier ayant, le 2 septembre 2010, ordonné une
enquête préliminaire, en autorisant notamment les officiers
de police judiciaire à obtenir, par voie de réquisitions auprès
des opérateurs de téléphonie, l’identification des numéros
de téléphone des correspondants des journalistes auteurs
dudit article.
Procédant par voie de recoupement, les enquêteurs ont ainsi
dressé une liste des personnes pouvant avoir un lien avec la
procédure en cours.
Après ouverture d’une information contre personne dénommée, les juges d’instruction désignés ont saisi la chambre
de l’instruction qui a prononcé l’annulation des réquisitions
visant à des investigations sur les lignes téléphoniques des
journalistes en cause et celle des pièces dont elles étaient le
support.
Sa décision est donc suivie par la Haute Juridiction.
De fait, à la suivre, « l’atteinte portée au secret des sources des
journalistes n’était pas justifiée par l’existence d’un impératif
prépondérant d’intérêt public et la mesure n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi ».
Il s’agit là de la formule employée usuellement par la CEDH.
Et d’en conclure que « la chambre de l’instruction a légalement
justifié sa décision tant au regard de l’article 10 de la CEDH
qu’au regard de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 ».
ACTIVITÉS DE
L’IMMATÉRIEL
Par Lionel COSTES
Directeur de collection
Lamy droit de l’immatériel
Lamy droit international
et Marlène TRÉZÉGUET
Secrétaire générale de la rédaction
Lamy droit de l’immatériel
LES GRANDS SECTEURS
DE L’IMMATÉRIEL
RLDI
DROITS FONDAMENTAUX
2556
Affaire Bettencourt :
confirmation par la Cour
de cassation de la violation
du secret des journalistes
du Monde
Sa chambre criminelle a ainsi rejeté le pourvoi introduit
contre la décision de la chambre de l’instruction de la
Cour d’appel de Bordeaux du 5 mai dernier.
Cass. crim., 6 déc. 2011, n° 11-83.970, FS-P+B
Il convient de rappeler qu’à la suite de la publication dans le
quotidien Le Monde par deux de ses journalistes d’un article
• OBSERVATIONS • Il est inutile de souligner l’importance de la présente
décision dans la mesure où, d’une part, l’enquête du procureur de
Nanterre est en conséquence annulée – celui-ci étant susceptible d’être
mis en examen –, et où, d’autre part, c’est la première fois que la Cour de
cassation fixe le cadre légal du secret des sources des journalistes.
On ne peut que s’en féliciter. De fait, elle constitue une nouvelle très
positive pour les défenseurs de la protection des sources des journalistes.
Ce faisant, elle suit les conclusions de l’Avocat général, Yves Charpenel, qui,
lors de l’audience du 22 novembre, avait rappelé que la loi de janvier 2010
« a clairement voulu renforcer la protection des sources des journalistes ».
Il revient à l’éditeur le pouvoir de fixer un même prix de
Aussi, il a demandé, le 17 novembre, à la Commission
vente pour tous les revendeurs, qu’ils opèrent depuis
européenne de revoir sa législation dans ce sens.
la France ou depuis l’étranger.
Selon lui, « les États membres peuvent appliquer
Par ailleurs, il définit les critères permettant à l’éditeur
des taux de TVA réduits à la fourniture de livres sur
de fixer des prix différents pour une même œuvre
tous les supports physiques, tandis que les livres
commercialisée sous forme numérique (contenu de
électroniques sont soumis à un taux normal de pas
Publication du décret sur le prix unique
du livre numérique
l’offre, modalités d’accès, modalités d’usage). Il déter-
moins de 15 % ».
mine aussi les modalités qui s’imposent aux éditeurs
Et les eurodéputés de souligner dans une résolution
La loi sur le prix unique du livre numérique est
entrée en vigueur, le 12 novembre, avec la publication de son décret d’application au Journal officiel (D. n° 2011-1499, 10 nov. 2011, JO 11 nov.,
p. 18999).
Ce décret, qui avait fait l’objet d’une notification à la
Commission européenne, précise deux aspects de la
loi relative au prix unique du livre numérique :
– la définition du livre numérique ;
– les modalités de fixation du prix de vente par
l’éditeur.
et aux détaillants pour le marquage des prix et leur
adoptée à une large majorité à Strasbourg que « cette
communication au consommateur final.
discrimination est indéfendable, vu le potentiel de
On rappellera que la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011
croissance de ce segment du marché ».
doit permettre de créer pour les acteurs français les
Le Parlement estime que l’UE pourrait permettre à ses
conditions d’une concurrence équitable.
États membres d’appliquer, de manière temporaire, un
En bref...
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
>
taux réduit de TVA sur « les services à contenu culturel
Livre numérique : le Parlement européen
favorable à une baisse de la TVA
fournis par voie électronique ».
Le Parlement européen souhaite que le taux de TVA
mée par le chef de l’État, le 18 novembre, lors du
On relèvera que ce souhait rejoint la volonté expri-
sur les livres numériques soit le même que celui qui
4e Forum sur l’économie et la culture (voir supra
est appliqué aux livres papier.
notre édito, p. 3).
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
67
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 224-78
L.C.
En bref...
Publication de la directive sur les droits
des consommateurs et proposition
de directive optionnelle pour un droit
européen des contrats
La directive n° 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive n° 93/13/CEE et abrogeant la directive n° 85/577/
CEE (voir RLDI 2011/68, n° 2249 et RLDI 2011/73,
n° 2433) a été publiée, le 22 novembre, au Journal
officiel (JOUE 22 nov. 2011, n° L 304/64).
Dans le même temps, les 17 et 18 novembre, l’Institut
de droit européen, nouvellement créé, a tenu son
premier atelier à Vienne en Autriche, sur le thème du
projet de droit communautaire des contrats de vente,
faisant suite à la proposition de règlement du Parlement
européen et du Conseil sur un droit communautaire des
contrats de vente (COM[2011]635 final, 2011/0284
[COD]) du 11 octobre 2011 qui aboutirait à mettre
en place un droit optionnel. L’article 9 prévoit en effet que « dans les relations entre professionnels et
consommateurs, outre les obligations d’information
précontractuelle énoncées dans le droit commun européen de la vente, le professionnel est tenu d’avertir
le consommateur de son intention d’appliquer ce droit,
avant la conclusion du contrat, en lui remettant de façon
bien visible l’avis d’information figurant à l’annexe II. Si
la convention d’application du droit commun européen
de la vente est conclue par téléphone ou par un autre
moyen qui ne permet pas de délivrer l’avis d’information au consommateur, ou si le professionnel n’a pas
fourni cet avis, le consommateur n’est pas lié par la
convention tant qu’il n’a pas reçu la confirmation visée
à l’article 8, paragraphe 2, accompagnée de l’avis d’information, et manifesté son consentement d’appliquer
68
PRESSE
RLDI
Il avait alors estimé que les enquêtes doivent « rester subordonnées aux
principes supérieurs » du droit.
À ce titre, « il est nécessaire que la jurisprudence définisse cet impératif
prépondérant d’intérêt général », et ce d’autant que « l’émetteur de la
réquisition n’a, lui, nullement cherché » à le faire.
Il avait en conséquence conclu au rejet du pourvoi.
Philippe Courroye s’est cependant défendu avoir commis toute infraction
pénale.
À le suivre, « la Cour de cassation dit que procéduralement notre enquête
est annulée car elle n’a pas respecté l’esprit de la loi de janvier 2010, mais
elle ne dit pas qu’il y a eu commission d’infractions pénales et j’affirme
qu’il n’y a pas eu la moindre infraction ».
Et de préciser que « la Cour de cassation constate une nullité de
procédure. Mais j’observe que c’est le premier arrêt rendu depuis la
loi de janvier 2010 sur la protection des sources. Il y a désormais une
interprétation, donc s’il fallait lancer à nouveau la procédure, nous en
prendrions évidemment acte ».
Ces arguments ne sont cependant pas guère convaincants dès lors que la
Haute Juridiction a rendu présentement un « arrêt d’autorité » qui est des
plus clairs et des plus tranchés.
2557
Diffamation et délai pour
présenter l’offre de preuve
de la vérité de faits
C’est à tort que les juges d’appel ont déclaré le
prévenu, poursuivi pour diffamation publique, déchu
de son offre de preuve dès lors qu’elle a été faite le
dernier jour du délai légal.
Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-88.091, F-P+B
Une personne poursuivie pour diffamation publique envers un
citoyen chargé d’un mandat public, et diffamation publique
ce droit ». Et l’article 9.2 de préciser que « s’il est délivré
sous forme électronique l’avis d’information mentionné
au paragraphe 1 doit comporter un hyperlien ou, en
toute autre circonstance, indiquer un site internet grâce
auquel le texte du droit commun européen de la vente
peut être obtenu gratuitement ».
Lancement par Éric Besson du plan
« France numérique 2020 »
Éric Besson a présenté, le 30 novembre, à l’université ParisDauphine, lors de 4es Assises du numérique son nouveau
plan, « France numérique 2020 », fixant les grands objectifs
pour le secteur du numérique, qui représente aujourd’hui
3,7 % de l’emploi en France et 5,2 % du PIB.
Parmi une cinquantaine de mesures, le ministre a
annoncé que le Gouvernement veut libérer des fréquences supplémentaires pour le développement du
très haut débit mobile ; ce qui constitue une bonne
nouvelle pour les opérateurs mobiles, qui, face à la
croissance exponentielle du trafic, auraient besoin de
450 mégahertz supplémentaires.
En vue de récupérer des fréquences, le Gouvernement
souhaite réaménager les bandes de fréquences affectées aux communications électroniques, mais aussi optimiser celles qui sont occupées par l’audiovisuel grâce
au format de compression MPEG 4, généralisé d’ici à
2015, et à la norme de diffusion DVB-T2 en 2020.
Il a également annoncé une accélération du développement de l’administration électronique. Ainsi, d’ici à
2013, 100 % des démarches administratives les plus
attendues seront disponibles sur internet. D’ici à 2020, le
papier sera définitivement abandonné et les démarches
administratives seront entièrement dématérialisées.
Création de l’Observatoire du numérique
(ODN)
L’Observatoire du numérique, portail rassemblant des
informations statistiques et économiques dans le domaine du numérique, a été installé par Éric Besson,
le 28 novembre.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Il a pour mission « de mobiliser et de diffuser l’information statistique relative à la production et à
l’utilisation des Stic (services et des technologies de
l’information et de la communication) en France et,
d’autre part, de piloter des études sectorielles ou
prospectives sur l’économie numérique. Il s’appuiera
sur des contributions publiques et privées pour remplir
sa mission d’études économiques et statistiques » afin
de permettre « à tous les acteurs d’avoir une visibilité
sur le dynamisme du numérique et de réaliser des
comparatifs internationaux » (<www.observatoire-dunumerique.fr/>).
Abrogation de canaux compensatoires
de la TNT
Le ministre de la Culture et de la Communication a
présenté, en Conseil des ministres, le 30 novembre, un
projet de loi portant abrogation des canaux compensatoires de la télévision numérique terrestre.
On rappellera qu’en organisant l’extinction anticipée
de la diffusion analogique des services de télévision
terrestre en France, la loi du 5 mars 2007 relative
à la modernisation de la diffusion audiovisuelle
et à la télévision du futur avait prévu l’octroi aux
opérateurs historiques, sous certaines conditions,
d’un droit à diffusion d’un nouveau service sans
passer par la procédure de droit commun de l’appel
à candidatures.
On rappellera également que la Commission européenne a adressé un avis motivé à la France le
29 septembre 2011 selon lequel elle estimait que
ce dispositif d’octroi de « canaux compensatoires » est
contraire au droit de l’Union, pénalise les opérateurs
concurrents et prive les téléspectateurs d’une offre
plus attractive.
Tenant compte de cet avis, et conformément aux recommandations du rapport remis par M. Michel Boyon,
le 9 septembre 2011, le Gouvernement a donc décidé
d’abroger ce dispositif. Ce projet de loi vise par conséquent à mettre en œuvre cette décision.
Informatique I Médias I Communication
• OBSERVATIONS • De fait, l’article 55 a pour point de départ exclusif
la signification de la citation introductive d’instance (voir par ex. Cass.
crim., 6 nov. 1962, Bull. crim. n° 303), y compris lorsque la juridiction de
jugement est saisie par une ordonnance de renvoi du juge d’instruction
(en ce sens, Cass. crim, 8 nov. 2005, Bull. crim. n° 282 ; Gaz. Pal. 2006, 1,
somm. 2064, note Monnet J.).
Ce délai n’est donc pas un délai franc (voir Cass. crim., 11 mai 1960, Bull.
crim. n° 253). Il commence à courir le lendemain de la signification de
l’exploit introductif d’instance. En l’occurrence, celui-ci expirait bien le
20 juin.
Dans ces conditions, la signification de l’offre de preuve par le prévenu était
bien régulière.
Sur ce même terrain, on rappellera que la 2e chambre civile de la Cour de
cassation, par un arrêt du 5 février 1991, a posé le principe selon lequel ce
délai de dix jours accordé par l’article 55 pour faire la preuve de la vérité
des faits diffamatoires était applicable à une procédure de référé relative
à un délit de presse (Cass. 2e civ., 5 févr. 1991, D. 1992, jur., p. 442, note
Burgelin J.-F. ; égal. Cass. 2e civ., 22 juin 1994, Bull. civ., II, n° 164, p. 95,
note Bruntz J.-M. et Domingo M., en ce qui concerne une juridiction de
jugement).
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 230-100
RLDI
L.C.
• OBSERVATIONS • Sur ce même terrain, on rappellera que la Cour de
cassation a précisé que l’élection du domicile, pour être valable, doit être
faite dans la ville même où siège la juridiction saisie et non dans n’importe
quelle ville de son ressort (Cass. 1re civ., 27 juin 2006, Bull. civ. 2006, I,
n° 330).
Elle a également considéré que l’indication dans l’assignation d’un
avocat pouvant exercer devant le Tribunal de grande instance où siège la
juridiction saisie emporte élection de domicile du demandeur au sens de
l’article 53 (Cass. 1re civ., 22 sept. 2011, RLDI 2011/76, n° 2516)
Cette exigence qui tend à garantir les droits de la défense et à assurer
la liberté d’expression doit être d’autant plus observée en matière de
diffamation que c’est au domicile élu que le prévenu doit effectuer dans
les dix jours de la citation les significations prescrites pour être admis à
prouver la vérité des faits diffamatoires (Cass. crim., 15 oct. 1985, Bull.
crim. n° 316).
Sur le point de départ de ce délai, voir n° 2557 ci-dessus.
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 230-85
L.C.
2559
Élection de
« Miss France 2011 »
et caractérisation
de propos dénigrants
C’est à juste titre que les juges d’appel ont estimé que
les propos incriminés visaient à dénigrer l’élection
de « Miss France 2011 » organisée par les sociétés
Endemol et Miss France.
2558
Diffamation : nullité
des poursuites engagées
prononcée à tort
Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-24.808, F-D
Ainsi qu’il est ici rappelé, seule la citation doit à peine
de nullité contenir élection de domicile.
Cass. crim., 20 oct. 2011, n° 10-25.833, F-D
La requérante de l’espèce a assigné en diffamation, sur
le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881,
les prévenus en raison des termes du procès-verbal d’une
assemblée générale de copropriété lui imputant un « branchement électrique sauvage » sur les parties communes de
l’immeuble.
Informatique I Médias I Communication
Pour prononcer la nullité des poursuites engagées, l’arrêt d’appel a considéré que, si la citation délivrée devant le Tribunal
de Nice contenait élection de domicile au cabinet de l’avocat
de la demanderesse situé à Nice, sa notification au procureur
de la République de Nice comportait élection de domicile au
cabinet de l’huissier instrumentaire situé à Gap et que cette
citation irrégulière était donc nulle, la loi ne faisant aucune
distinction entre l’acte à délivrer aux parties et celui à notifier
au ministère public.
Telle n’est pas l’analyse des Hauts magistrats qui cassent ledit
arrêt au visa de l’article 53 de la loi de 1881 au motif qu’« en
statuant ainsi alors que seule la citation doit à peine de nullité
contenir élection de domicile, la Cour d’appel a violé par fausse
application le texte susvisé ».
RLDI
envers un particulier, avait été condamnée par les juges
d’appel à 1 500 € d’amende.
Pour déclarer le prévenu déchu de son offre de preuve, ils
avaient retenu que le délai de dix jours avait commencé à
courir le 10 juin 2008, date de la signification au prévenu de
la citation introductive d’instance, que ce délai avait expiré le
19 juin 2008, et qu’en conséquence l’offre de preuve notifiée
le 20 juin 2008 avait été tardive.
Ce n’est pas l’analyse de la Cour de cassation qui censure
leur arrêt au visa des articles 641 du Code de procédure civile
et 55 de la loi du 29 juillet 1881.
En effet, elle rappelle que « selon le premier de ces textes,
lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir
ne compte pas » ; que « selon le second, le prévenu qui veut
être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires doit faire
signifier les moyens de son offre de preuve à la partie poursuivante dans les dix jours après la signification de la citation ». Et d’en déduire, qu’« en statuant ainsi, alors que l’offre de
preuve a été faite le dernier jour du délai légal, la Cour d’appel a
méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ».
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
Mme de Fontenay et son fils ont, par contrat, cédé à la société Endemol la totalité des parts représentant le capital
de la société Miss France qui organise l’élection nationale
de Miss France et la production de l’émission de télévision
associée.
Cet acte comportait un engagement de non-concurrence à
la charge des cédants.
Mme de Fontenay, qui était salariée de la société Miss France,
est devenue mandataire social de cette société tout en
restant présidente de l’association Comité Miss France.
Ultérieurement, elle s’est, en outre, engagée à s’investir de
manière exclusive et à temps plein dans la société Miss France.
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
>
69
Invoquant une campagne de dénigrement à leur encontre
et l’organisation d’une élection concurrente de celle de
« Miss France 2011 » par Mme de Fontany, les sociétés Endemol et Miss France l’ont assignée ainsi que l’association afin
qu’il soit mis fin à ces actes qui auraient été constitutifs d’un
trouble manifestement illicite et les auraient exposées à un
dommage imminent.
Il est reproché à l’arrêt d’appel d’avoir ordonné de cesser tout
acte de nature à constituer des actes de dénigrement, direct ou
indirect, quel qu’en soit le support ou en présence de tiers, à
l’encontre des sociétés Miss France et Endemol, sous astreinte
de 3 000 € par infraction constatée.
Au soutien de leur pourvoi, les prévenus faisaient principalement valoir que les propos portant atteinte à la considération
d’une personne morale relèvent exclusivement de la loi du
29 juillet 1881, la critique des produits ou services relevant
seule du droit commun.
Aussi, en considérant que Mme de Fontenay pouvait se voir
reprocher des actes de dénigrement et non de diffamation,
après avoir pourtant constaté que ses critiques jetaient le
discrédit sur les sociétés Miss France et Endemol, la Cour
d’appel a violé les articles 1382 du Code civil et 29 de la
loi de 1881.
En bref...
Presse en ligne : le Sénat vote
une TVA réduite
Le Sénat a étendu le 21 novembre, à la presse en ligne
le taux de TVA réduit de 2,1 % dont bénéficie la presse
écrite, dans le cadre de l’examen du projet de loi de
finances (PLF) pour 2012.
Les sénateurs ont ainsi adopté un amendement en ce
sens de la présidente écologiste de la Commission de la
culture, Marie-Christine Blandin, et du sénateur socialiste,
David Assouline (amendement n° I-163, 17 nov. 2011).
On rappellera que cette mesure est réclamée de longue
date par les professionnels concernés (principalement
par le Syndicat de la presse indépendante d’information
en ligne).
Si ce vote sénatorial constitue par conséquent une
avancée indéniable dans la reconnaissance du statut
de la presse en ligne, le combat pour l’alignement
des droits de la presse en ligne avec ceux de la
presse papier n’est pas encore acté dans la mesure
où il revient désormais aux députés de se prononcer.
Sénat : création d’une taxe sur la revente
de chaînes de la TNT
Le Sénat a adopté, le 21 novembre, un amendement
déposé par les sénateurs David Assouline et MarieChristine Blandin visant à taxer à hauteur de 5 % les
reventes de fréquences obtenues gratuitement par des
radios ou des télévisions.
Cette taxe serait assise sur la valeur des titres apportés,
cédés ou échangés.
70
La Cour de cassation ne les suit pas sur ce terrain.
En effet, à la suivre, « ayant constaté que les nombreux propos
de discrédit tenus par Mme de Fontenay concernaient à la fois
les sociétés Endemol et Miss France et l’élection Miss France
et que Mme de Fontenay, qui revendiquait l’organisation
d’une élection semblable, reconnaissait par là même qu’il
s’agissait bien d’une élection concurrente, la Cour d’appel
en a exactement déduit que Mme de Fontenay avait dénigré
l’élection Miss France 2011 organisée par les sociétés Endemol
et Miss France ».
Et de préciser que « la Cour d’appel qui devait seulement
rechercher si les propos proférés par Mme de Fontenay à l’encontre de l’élection Miss France 2011 constituaient un trouble
manifestement illicite au détriment des sociétés Endemol et
Miss France, sans être tenue de préciser leur teneur exacte, et qui
a procédé à cette recherche, a légalement justifié sa décision ».
L’arrêt d’appel est néanmoins censuré au visa de l’article 873
du Code de procédure civile.
En effet, il a retenu que la violation de la clause de nonconcurrence souscrite par Mme de Fontenay ne peut constituer
un trouble manifestement illicite dès lors que cette clause est
elle-même manifestement illicite en l’absence de limitation
dans l’espace.
Le rachat par Canal+ de Direct 8 et DirectStar serait
de ce fait impacté.
On rappellera que le groupe Canal+ a annoncé, le
8 septembre, la conclusion d’un accord avec le groupe
Bolloré Média, en vue à titre principal d’acquérir 60 %
du capital des chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre (TNT) Direct 8 et DirectStar, pour un
montant de 465 millions d’euros et une possibilité de
rachat des 40 % restants dans trois ans.
Autorisation par la Commission
européenne des scanners corporels
dans les aéroports
La Commission européenne a officiellement adopté, le
14 novembre, la nouvelle réglementation autorisant l’utilisation des scanners corporels dans les aéroports de l’UE.
Elle entrera en vigueur avant la mi-décembre, 20 jours
après sa publication au Journal officiel de l’UE, prévue
dans les jours qui viennent.
Les États et les aéroports seront alors libres de recourir à
cette nouvelle technologie, moyennant le respect de règles
visant à protéger la santé et la vie privée des citoyens.
Pour des raisons de santé, seuls les scanners n’utilisant pas
de rayonnements ionisants – les rayons X – sont autorisés.
Un projet de règlement avait été publié durant l’été,
qui avait reçu l’assentiment du Conseil et du Parlement
européen.
Concrètement, le règlement de la Commission ajoute les
scanners corporels à la liste des méthodes d’inspection
autorisées dans l’UE (annexe du règlement n° 300/2008
fixant les règles communes de sûreté dans l’aviation) ; ce
qui ne les rend évidemment pas obligatoires. Il revient
aux États ou aux aéroports de décider s’ils y ont recours
ou non. Jusqu’ici, ils n’étaient admis que sous forme
de tests, auxquels ont par exemple recouru des pays
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la France, l’Italie,
l’Allemagne ou la Finlande.
Selon la Commission, ces expériences ont montré un
accueil en général « très positif » de la part des passagers.
En tout état de cause, la nouvelle réglementation
prévoit que les États devront laisser le choix de s’y
soumettre ou pas. En cas de refus, les passagers devront cependant accepter des méthodes de détection
alternatives, par exemple les fouilles manuelles.
Sur cette question, voir Guerrier C., La problématique
juridique du scanner corporel, RLDI 2011/75, n° 2496.
Un rapport très critique de l’Inspection
des finances sur le CNC
Un rapport confidentiel met l’accent sur les excédents
financiers engrangés par le Centre national du cinéma
et l’utilisation contestable qui en est faite.
Dans ce rapport, l’Inspection des finances chiffre à
517 millions d’euros « les ressources supplémentaires
[engrangées] entre 2009 et 2011, par rapport à la
base 2008 ».
On retiendra plus spécialement qu’il passe au crible
les subventions accordées à des productions pour le
cinéma et la TV. Il déplore ainsi « la multiplication récente des aides transversales sans réelle priorisation ».
Il est encore plus critique concernant la fiction française,
qui « s’est effondrée » en audience depuis cinq ans.
Et de souligner que « sa compétitivité est décevante
sur le marché national comme international ». Et
« lorsque le CNC a essayé de relancer la fiction, le
résultat a été décevant ».
Et d’en conclure que le budget du CNC pourrait revenir
au niveau de 2008 « sans effet » sur le secteur – « une
partie des recettes perçues depuis 2008 a d’ailleurs
opportunément été mise en réserve par le CNC ».
Informatique I Médias I Communication
• OBSERVATIONS • Alors que l’on pensait achevée la « guerre des Miss »
entre Geneviève de Fontenay et Endemol, la présente décision constitue un
nouveau coup de théâtre.
Il convient de rappeler qu’en mai 2010, une action en justice avait été
engagée par les sociétés Miss France et Endemol Productions devant le
Tribunal de commerce de Paris contre Mme de Fontenay et son comité
pour faire cesser toute campagne de dénigrement, protéger la marque
« Miss France » et lui interdire d’organiser une élection nationale
concurrente de l’élection de « Miss France 2011 ».
Le Tribunal de commerce de Paris, par une décision du 15 juin 2010, avait
fait droit à l’ensemble de ces demandes.
Mme de Fontenay et son comité avaient alors interjeté appel de cette
décision devant la Cour d’appel de Paris, laquelle avait confirmé, le 9 juillet
2010, l’interdiction, sous astreinte de 3 000 € par infraction constatée,
de tout acte de dénigrement direct ou indirect à l’encontre des sociétés
Miss France et Endemol Productions.
Contrairement au Tribunal de commerce de Paris, la Cour d’appel avait
considéré que la clause de non-concurrence souscrite par Mme de Fontenay
était illicite, alors qu’elle n’avait pas à statuer sur sa validité.
Les sociétés Miss France et Endemol Productions ont alors formé un
pourvoi devant la Cour de cassation pour invalider la prise de position de
la Cour d’appel.
La Cour de cassation censure donc son arrêt pour avoir rejeté la demande
des sociétés Endemol développement et Miss France tendant à ordonner à
Mme de Fontenay et à l’association Comité Miss France de cesser tout acte
de quelque nature que ce soit en vue d’organiser une élection concurrente
de l’élection Miss France 2011.Elles obtiennent ainsi gain de cause.
Elle considère également que les propos de discrédits portés par
Mme de Fontenay jugés dénigrants à l’encontre de l’élection Miss France
avaient été justement qualifiés.
En bref...
Lancement d’une mission sur le Centre
national de la musique
Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, a confié, le 7 novembre, à Didier Selles,
conseiller maître à la Cour des comptes, une mission
de préfiguration du Centre national de la musique.
On rappellera que la création d’un Centre national
de la musique (CNM), destiné à assurer la relance
de la production, a été recommandée par le rapport
remis au ministre de la Culture et de la Communication par Alain Chamfort, Daniel Colling, Franck Riester,
Didier Selles et Marc Thonon, le 30 septembre dernier
(voir Costes L., in RLDI 2011/76, p. 5).
La mission de préfiguration est notamment chargée
de définir les modalités de mise en œuvre juridiques,
opérationnelles et budgétaires du futur Centre national
de la musique, les conditions de sa gouvernance ainsi
que les différents régimes d’aides administrés par le
CNM, en concertation étroite avec l’ensemble des professionnels du secteur.
Les sociétés Miss France et Endemol Productions se sont bien évidemment
félicitées de la position de la Haute Juridiction, rappelant que « la marque
“Miss France” est et reste la seule et unique propriété de la société
Miss France et toute action en contrefaçon, ou parasitisme, menée à
l’encontre de cette marque quelle que soit son origine fera l’objet de
poursuites ».
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 233-10 et s.
L.C.
RLDI
Or, pour la Haute Juridiction, « en se déterminant ainsi,
sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’organisation
par Mme de Fontenay d’une élection concurrente à l’élection
Miss France 2011 ne pouvait être de nature à exposer les
sociétés Endemol et Miss France à un dommage imminent,
la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». 2560
L’autorisation de diffuser
son image n’implique pas
celle de divulguer son nom
En application de l’article 1134 du Code civil, l’accord
donné par une personne pour la diffusion de son
image ne peut valoir accord pour la divulgation de ses
nom et grade.
Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-24.761, FS-P+B+I
Des fonctionnaires de police estimant avoir été victimes
d’atteintes à leur vie privée lors d’un reportage où ils
apparaissaient dans l’exercice de leurs missions, au sein
d’une brigade anticriminalité, ont assigné une société de
télévision, son directeur de la programmation et de la
diffusion ainsi qu’une société de production en réparation
de leurs préjudices.
Les premiers résultats de la mission sont attendus d’ici
au 15 janvier 2012.
Sans les attendre, le chef de l’État, lors du 4e Forum sur
l’économie et la culture qui s’est tenu, le 18 novembre,
a d’ores et déjà précisé que « nous allons mettre en
place pour la musique un système qui s’apparente
au système du Centre national du cinéma pour le
cinéma ».
Et de « souhaite[r] que les fournisseurs d’accès, qui
sont extrêmement prospères et tant mieux pour eux,
puissent contribuer à la création musicale »…
Rachat de TPS par Canal+ (suite)
Vivendi et le groupe Canal+ ont renotifié, le 26 octobre, à l’Autorité de la concurrence l’opération de
rachat de TPS.
Ainsi qu’il est précisé, elle examinera l’opération au
regard des conditions actuelles de marché.
Dans le cadre de son examen, qui ne débutera que
lorsqu’elle aura vérifié que le dossier contient toutes les
informations nécessaires pour engager l’instruction, l’Autorité de la concurrence évaluera l’impact concurrentiel de
l’opération au regard de la situation prévalant aujourd’hui
sur les marchés concernés. Elle étudiera également les
remèdes pouvant ou devant être apportés aux problèmes
de concurrence susceptibles d’être identifiés.
Informatique I Médias I Communication
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
>
Dès à présent, tous les tiers intéressés (chaînes de
télévision, opérateurs de télécommunication, producteurs…) sont invités à présenter leurs observations à
l’Autorité de la concurrence.
On rappellera que, constatant le manquement de Canal+ à plusieurs engagements, dont certains essentiels,
l’Autorité de la concurrence avait retiré par une décision
du 21 septembre (déc. n° 11-D-12) au groupe Canal+
la décision autorisant le rachat de TPS.
Elle avait ainsi constaté l’inexécution de 10 des 59 engagements, souscrits par celui-ci lors du rachat de TPS.
Les manquements constatés concernaient notamment
la mise à disposition à des distributeurs tiers de sept
chaînes, le maintien de la qualité de ces chaînes et les
relations entretenues avec les chaînes.
Elle avait par conséquent retiré la décision d’autorisation
de l’opération et prononcé une sanction de 30 millions
d’euros à l’encontre du groupe Canal+.
On relèvera encore que Vivendi et Canal+ ont saisi
le Conseil d’État, le 4 novembre, pour contester précisément l’annulation par l’Autorité de la concurrence
de la fusion des bouquets satellite CanalSat et TPS.
Une période d’instruction du dossier va désormais être
nécessaire, qui pourrait être assez longue, et l’ensemble
de la procédure pourrait prendre plusieurs mois.
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
71
• OBSERVATIONS • C’est par conséquent en application de l’article 1134 du
Code civil selon lequel « les conventions sont la loi des parties et doivent
être exécutées de bonne foi » que la Cour de cassation fonde sa décision.
D’autres textes auraient pu être invoqués comme les articles 9 du Code
civil relatif au droit au respect de la vie privée et à l’image, 8 de la
CEDH, ou 2 de la Déclaration des droits de l’Homme.
Il est présentement fait application du principe selon lequel
l’autorisation donnée par une personne à la publication de son image
doit être interprétée strictement.
Du présent arrêt, on retiendra plus spécialement que les « nom et
grade » sont des éléments protégés par le droit des personnes.
En bref...
Mise en demeure par l’Arcep de sept
titulaires de licence Wimax
Elle les a mis en demeure, le 23 novembre, leur reprochant de ne pas avoir suffisamment déployé la
technologie Wimax qui permet de faire de l’internet
haut débit en mobilité.
Elle a ainsi annoncé que, parmi les dix titulaires de
licences métropolitaines pour lesquels une procédure
avait été ouverte, sept d’entre eux n’ont pas respecté
les obligations de déploiement figurant dans leurs autorisations, en termes de nombre de sites déployés.
Il s’agit d’Altitude Wireless, d’Axione, de Bolloré Telecom,
du département de la Charente, de la collectivité territoriale de Corse, de Nomotech et de SHD.
IFW, la filiale d’Iliad qui gère le déploiement du Wimax,
n’est donc pas concernée.
Trois de ces titulaires (Altitude Wireless, Bolloré Telecom
et la collectivité territoriale de Corse) n’ont pas non
plus fait une utilisation effective des fréquences sur
chacun des départements sur lesquels ils sont autori-
72
Aussi, aucune communication ne peut en être faite publiquement sans
leur accord écrit et préalable, et ce même si l’intéressé a donné son
accord afin que son image puisse être diffusée.
De fait, la protection du droit au respect de la vie privée et du droit à l’image
d’une personne nécessite l’accord de celle-ci pour la communication ou la
diffusion de tout élément relevant de sa vie privée ou professionnelle.
Sur ce même terrain, on mentionnera un arrêt de la Cour de cassation
du 29 avril 2004 selon lequel la révélation dans la presse du nom
d’un fonctionnaire de police, à propos de faits relatifs à son activité
professionnelle, est légitime à condition d’être directement en relation avec
l’événement qui en est la cause. Cette révélation ne constitue donc pas une
atteinte au respect de la vie privée (Cass. 2e civ., 29 avr. 2004, n° 02-19.432).
Si cette position est à l’inverse de celle adoptée ici, elle s’explique par
fait que la situation était toute autre.
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 209-86
L.C.
RLDI
Pour rejeter ces demandes, l’arrêt d’appel a considéré que
ces policiers ont accepté d’être filmés et que leur image soit
diffusée sans être « floutée » mais qu’ils dénoncent le fait que
leurs noms et grades ont été divulgués alors qu’ils n’avaient
donné aucune autorisation à cet égard, que dès lors qu’elle
avait été autorisée à diffuser les images de ces policiers, la
société de production était fondée à se croire tacitement autorisée à divulguer également leurs noms et grades.
Aussi, ils avaient estimé qu’il n’y a pas eu dans ce contexte
et de ce seul fait atteinte portée au respect de leur vie privée,
étant précisé que la révélation publique de leur profession
découlait nécessairement et complètement de la seule diffusion de leur image, sans que cette révélation ait été en
elle-même majorée par celle de leur nom et grade, même
si l’une et l’autre de ces révélations ont pu conduire à des
différences de réaction du public.
Ce n’est pas la position de la Haute Juridiction qui censure
leur arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil.
De fait, à la suivre, « en statuant ainsi, alors que l’accord
donné par une personne pour la diffusion de son image ne
peut valoir accord pour la divulgation de ses nom et grade,
la Cour d’appel a violé l’article susvisé ». 2561
Affaire Grégory : délit de
diffamation retenu à tort
Ce contentieux est l’occasion pour la Cour de cassation
de préciser les conditions pour que le délit prévu par
l’article 29 de la loi sur la presse puisse être considéré
comme constitué.
Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19.381, F-D
Une société d’édition a publié un ouvrage sur l’affaire Grégory
consacré à l’assassinat de l’enfant de M. et Mme X.
Prétendant que ce livre contenait des passages diffamatoires
à leur égard, les époux X. ont assigné l’auteur et la société
sés. Cette utilisation effective consiste notamment en
un déploiement d’au moins un site et en l’ouverture
commerciale d’un service.
Compte tenu des manquements constatés, et en application de l’article L. 36-11 du CPCE, le directeur
général de l’Arcep a mis en demeure ces titulaires
de se conformer à leurs obligations de déploiement.
Chaque acteur a été mis en demeure de respecter les
prescriptions suivantes :
– d’ici au 30 juin 2012 : utilisation effective des fréquences dans l’ensemble des départements dans lesquels il est autorisé, et déploiement d’un nombre de sites
au moins égal à la moitié du nombre de sites que le
titulaire s’était engagé à déployer pour le 30 juin 2008 ;
– d’ici au 31 décembre 2012 : déploiement d’un nombre
de sites au moins égal au nombre de sites que le titulaire
s’était engagé à déployer pour le 30 juin 2008 ;
– d’ici au 30 juin 2015 : déploiement d’un nombre
de sites au moins égal au nombre de sites que le
titulaire s’était engagé à déployer pour le 31 décembre 2010.
L’Arcep indique qu’elle procédera à un contrôle attentif
des échéances prévues dans les mises en demeure.
En cas de manquement, les titulaires s’exposent à une
des sanctions prévues à l’article L. 36-11 du CPCE.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Un plafonnement finalement limité
pour les ressources du CNC
Les députés ont adopté, le 20 octobre, dans le cadre du
projet de loi de finances pour 2012, un amendement
gouvernemental qui plafonne toutes les taxes affectées
aux organismes publics, les excédents étant reversés
au budget de l’État.
Le Centre national du cinéma (CNC) est par conséquent directement concerné dans la mesure où son
autonomie se trouverait ainsi limitée.
Cette disposition a suscité un vif émoi de la part des
acteurs concernés lors des Rencontres cinématographiques de l’ARPD, les 22 et 23 octobre.
De fait, face à la menace d’un plafonnement général
des ressources du CNC, le monde du cinéma était
monté très rapidement, et de façon assez spectaculaire, au créneau.
Aussi, au cours d’une réunion d’arbitrage qui s’est
tenue, le 25 octobre, le Gouvernement a cependant
décidé de ne plafonner qu’une partie des ressources
du CNC pour l’année prochaine.
De son côté, le chef de l’État a tenu à rassurer les
professionnels du cinéma qu’il a reçus, le 24 octobre,
et a affirmé que « la culture qui joue un rôle fédérateur
doit être protégée même en temps de crise ».
Informatique I Médias I Communication
éditrice de cet ouvrage ainsi que le directeur de celle-ci en
réparation de leur préjudice.
L’arrêt d’appel a déclaré diffamatoires certains des passages
incriminés, alloué des dommages et intérêts aux requérants
et ordonné l’insertion d’un avertissement dans toute nouvelle
impression ou édition dudit ouvrage.
Plus précisément, pour déclarer diffamatoires les passages
présentement poursuivis, les juges d’appel ont considéré
principalement que ces propos insinuent que Mme X. et son
époux se seraient constitués parties civiles, non par souci de
participer à la manifestation de la vérité, mais, par stratégie,
en raison de témoignages recueillis susceptibles de mettre
en cause Mme X.
Leur arrêt est cependant annulé par la Cour de cassation au
visa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881.
De fait, selon elle, « en statuant ainsi, quand l’auteur se
bornait à relever des coïncidences chronologiques entre des déclarations et cette constitution de partie civile à laquelle il était
raisonnable de s’attendre sans en tirer aucune conséquence,
ni articuler à cet égard aucun fait précis de nature à être sans
difficulté l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, la
Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
• OBSERVATIONS • La Cour de cassation a, à de nombreuses reprises,
précisé que le délit de diffamation suppose l’allégation ou l’imputation
d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la
victime ; celle-ci devant se présenter sous la forme d’une articulation des
faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat
contradictoire (voir not. Cass. crim., 2 mars 2010, RLDI 2010/60, n° 1988 ;
Cass. crim., 1er sept. 2010, RLDI 2010/64, n° 2115 ; Cass. crim., 7 déc.
2010, RLDI 2010/68, n° 2239).
On rappellera que le fait qu’ils soient présentés sous une forme interrogative
ou dubitative ou par voie d’insinuation ne leur fait pas perdre leur caractère
diffamatoire (voir par ex. Cass. crim., 29 janv. 2008, RLDI 2008/35, n° 1177 ;
Cass. crim., 20 janv. 2009, RLDI 2009/47, n° 1547).
Plus globalement, sur les éléments constitutifs du délit de diffamation, voir
comm. Derieux E., in RLDI 2010/63, n° 2073.
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
À l’issue de l’information, le juge d’instruction a renvoyé les
prévenus devant le Tribunal correctionnel qui les a relaxés.
La partie civile et le ministère public ont alors interjeté appel
de ce jugement.
Pour le confirmer, l’arrêt d’appel, après avoir rappelé que le
délit visé à la prévention est caractérisé à l’égard de ceux qui,
notamment par leurs écrits, ont incité le public à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne
ou d’un groupe de personnes, à raison de leur origine, ou
leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une
religion déterminée, a retenu que les développements relatifs
à la « culture du mensonge et de la dissimulation » telle que
décrite dans les quatre pages visées aux poursuites et replacées
dans le contexte de l’ouvrage, même si leur formulation peut
légitimement heurter ceux qu’ils visent, ne contiennent néanmoins aucun appel ni aucune exhortation à la discrimination,
à la haine ou à la violence à l’encontre des Tutsi.
C’est également la lecture de la Cour de cassation pour qui,
« en cet état, la Cour d’appel, qui a exactement apprécié le
sens et la portée des propos incriminés, a justifié sa décision ».
• OBSERVATIONS • Cette contravention a été considérée comme constituée
par la Cour de cassation à de nombreuses reprises (par ex., Cass. crim.,
17 févr. 1998, n° 97-85.567, à propos de l’appartenance d’une personne à
la communauté juive avec la répétition neuf fois sur deux colonnes du nom
patronymique d’un magistrat qui a pour but de souligner que la partialité
qui lui est prêtée est due à son appartenance à la communauté juive que
traduit son nom ; plus récemment, Cass. crim., 4 janv. 2011, RLDI 2011/69,
n° 2272, à propos de l’association des deux expressions « compte tenu de
ses origines [du plaignant] n’a pas de leçon à nous donner », et « mais il
est juif », qui a pour objet ou pour effet de faire défense au plaignant de
donner des leçons et de tenir certains propos en raison de ses origines).
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 233-123
L.C.
RÉSEAUX/INTERNET
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 233-15 et s.
RLDI
RLDI
L.C.
Google AdWords : rejet de
la qualification d’hébergeur
2562
Relaxe du délit
de provocation à
la discrimination raciale
Il est présentement fait application de l’article 24,
alinéa 8, de la loi de 1881 selon lequel ce délit doit
« concerner une personne ou un groupe de personnes
à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de
leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une
race ou une religion déterminée ».
Cass. crim., 8 nov. 2011, n° 09-88.007, F-D
L’association SOS Racisme a porté plainte et s’est constituée
partie civile contre un éditeur, du chef, notamment, de provocation à la discrimination raciale, pour avoir publié un ouvrage
portant le titre Noires fureurs, blancs menteurs – Rwanda 19901994 et l’auteur de ce dernier, en qualité de complice de ce délit.
Informatique I Médias I Communication
2563
Pour le Tribunal de grande instance de Paris, la société
Google ne saurait en sa qualité de fournisseur du
service AdWords bénéficier du régime de responsabilité
allégée prévue par la loi du 21 juin 2004 (LCEN)
et la directive du 8 juin 2000 relative au commerce
électronique.
TGI Paris, 17e ch., 14 nov. 2011, Olivier M. c/ Sté Prisma Presse et a., <www.
legalis.net>
Le comédien Olivier Matinez a assigné les sociétés Prisma
Presse, éditrice du site internet <www.gala.fr>, et Google
sur le fondement des articles 9 et 1382 du Code civil.
De fait, il considère que la mise en ligne sur ce site d’un
article et de photographies ainsi que le renvoi à cet article
depuis le moteur de recherche de la société Google, par un
lien commercial (service AdWords), sont attentatoires au respect
dû à sa vie privée et au droit qu’il détient sur sa propre image.
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
>
73
Le Tribunal de grande instance de Paris le reçoit dans son
action.
Celui-ci se prononce, en premier lieu, sur la qualification de
l’activité des sociétés Google dans le service AdWords.
Il rappelle à cette fin que les parties divergent sur le sens qu’il
convient de donner à l’arrêt de la CJUE du 23 mars 2010.
Ainsi, les sociétés Google estiment qu’il « est désormais établi
en droit que lorsque Google, au travers de son service AdWords,
assure le stockage de contenus à la demande de tiers, afin que
ce contenu soit ultérieurement diffusé au public, il bénéficie
de la qualité d’hébergeur ».
Pour Olivier Martinez, « il est parfaitement faux d’affirmer,
comme le fait la société Google dans ses écritures, qu’aux
termes de cet arrêt elle bénéficierait du régime aménagé de
responsabilité des hébergeurs ».
Ainsi qu’il est rappelé, la Cour avait précisé que, pour être
considéré comme hébergeur au sens de l’article 14 de la
directive relative au commerce électronique, cette activité de
prestataire de services devait revêtir un caractère purement
technique, automatique et passif, impliquant qu’il n’a pas
En bref...
TVA à 7 % : le milieu culturel s’alarme
Le relèvement du taux réduit de la TVA à 7 % (contre
5,5 %) annoncé, le 7 novembre, par le Premier ministre
va peser sur nombre de produits culturels qui, comme
le livre, les tickets de cinéma ou certains abonnements
télévisés vont coûter encore plus cher.
Ainsi, pour l’édition (2,8 milliards d’euros de ventes
annuelles), cette mesure devrait se traduire par un surcoût de 60 millions d’euros, estime le Syndicat national
de l’édition (SNE), qui a demandé, le 8 novembre, un
« rendez-vous d’urgence » à François Fillon.
Pour le SNE, l’édition « amorce une transition sans
précédent vers un marché numérique qui peut être
destructeur autant que créateur ».
Et de souligner que le livre représente « un bien de
première nécessité ».
Le ministère de la Culture et de la Communication a
cependant assuré que cette décision ne changerait
rien « au passage à taux réduit de la TVA pour le livre
numérique » et que le relèvement ne devrait avoir qu’un
« impact assez faible sur les prix ».
Pour le Syndicat de la librairie française, « cette mesure
va faire passer dans le rouge » tous les libraires, leur
marge nette moyenne étant de 0,7 % et la librairie
n’ayant « aucune latitude pour encaisser cette hausse ».
Aller au cinéma va également être plus onéreux.
De fait, en 2010, les recettes en salles se sont élevées
à 1,3 milliard d’euros, incluant une TVA de 5,5 %, soit
quelque 68 millions, selon les chiffres du Centre national
du cinéma. La hausse de TVA, si elle est intégralement
74
la connaissance ni le contrôle des informations transmises
ou stockées.
Elle avait alors ajouté qu’il appartenait au juge national de
vérifier si ces conditions sont réunies. C’est par conséquent à
cette recherche que se livre présentement le Tribunal.
Il rappelle à cette fin que « le service AdWords est présenté
comme “le programme de publicité en ligne de Google”, que ce
service propose, moyennant rémunération, de faire apparaître
un message publicitaire déterminé, dans un positionnement
plus favorable que celui qui serait obtenu sans recourir à ce
service, c’est-à-dire en principe sur la première page des résultats de la recherche lorsqu’un internaute inscrit comme objet de
sa recherche, un des mots clés sélectionné comme pertinent ».
Il relève, ensuite, que « la modification de l’ordre d’apparition
des annonces caractérise déjà un rôle actif, qui ne saurait être
assimilé à ce qui est décrit par le considérant 42 de la directive n° 2000/31, à savoir une activité qui “revêt un caractère
purement technique, automatique et passif, qui implique que
le prestataire de services de la société de l’information n’a pas
la connaissance ni le contrôle des informations transmises
répercutée, représentera par conséquent une hausse
de près de 20 millions.
Les cinéastes de l’ARP, l’une des cinq organisations qui
représentent les auteurs, réalisateurs et producteurs,
s’étonnent que « le Gouvernement français ne considère pas que les biens et services culturels constituent
des biens de première nécessité, particulièrement
en temps de crise où la culture demeure un refuge
de l’esprit ».
De son côté, la SACD (Société des auteurs compositeurs dramatiques) regrette « une mesure inattendue
et néfaste » et dit espérer que ce relèvement « ne
s’accompagnera pas d’un renoncement de la France
à poursuivre le combat engagé en Europe pour obtenir le droit pour chaque État d’établir une fiscalité
spécifique pour tous les biens culturels, qu’ils soient
numériques ou non ».
La presse à l’ère numérique : comment
ajouter de la valeur à l’information ?
Les propositions du Centre d’analyse
stratégique
La presse on line comme levier de la presse papier ?
En témoignent les cinq axes de réflexion présentés, le
30 novembre, par Vincent Chriqui, le directeur général
du Centre d’analyse stratégique.
Partant du constat que la presse est confrontée à une
crise profonde depuis une dizaine d’années avec le
développement de l’internet, dont les usages s’intensifient en mobilité, via les smartphones et les tablettes,
et une culture de la gratuité, Vincent Chriqui préconise
une adaptation de la profession et une mobilisation
des acteurs.
Les acteurs de la presse traditionnelle devraient renforcer leur présence sur le web et, à ce titre, bénéficier
d’une formation solide dans les nouveaux médias.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Et il faudrait, ab initio, développer des modules
d’ingénierie informatique, d’infographie et de data
journalisme, au sein des formations de journaliste.
Ils devraient également constituer un laboratoire
français de réflexion en ligne dédié à l’avenir de la
presse où seraient recensés toutes les pistes de réflexions, les problématiques et les nouveaux modèles
économiques de la profession.
La presse électronique ne doit pas être considérée
comme un support concurrent du papier et devrait
bénéficier du même cadre légal. Ainsi est-il proposé
de conditionner l’attribution des financements du fonds
d’aide au développement des services de presse en
ligne à des engagements de développement de
contenus enrichis et d’applications pour tablettes numériques innovantes. Autrement dit, les extensions
purement mécaniques des versions papier sur du
on line seraient écartées.
Par ailleurs, conformément à différentes résolutions
du Parlement européen (Résolution Parl. UE, 13 oct.
2011 sur l’avenir de la TVA ; Résolution Parl. UE,
17 nov. 2011 sur la modernisation de la législation sur la TVA dans le but de stimuler le marché
unique du numérique), il serait nécessaire d’aligner,
au moins à titre temporaire, le taux de TVA de la
presse payante en ligne (19,6 %) sur celui de la
presse papier (2,1 %) ; une mesure qui, de l’aveu
du directeur, pourrait, à terme, devenir pérenne, dans
un souci d’égalité (voir supra l’amendement n° I-163,
17 nov. 2011).
Enfin, pour fidéliser les jeunes à la presse payante, il
serait intéressant d’étendre l’opération « mon journal
offert » aux abonnements « tout numérique » des
grands quotidiens et à ceux des pure players (Centre
d’analyse stratégique, Note d’analyse n° 253,
nov. 2011).
Informatique I Médias I Communication
Informatique I Médias I Communication
• OBSERVATIONS • Ce jugement est riche d’enseignements à plus d’un
titre.
Ainsi, on retiendra plus spécialement le refus par le Tribunal de grande
instance de Paris de qualifier Google d’hébergeur.
Pour se prononcer en ce sens, il s’appuie donc sur l’arrêt de la CJUE du
23 mars 2010.
De fait, on rappellera qu’elle conditionnait le bénéfice du régime spécial
de responsabilité de la LCEN à la démonstration du fait que l’hébergeur
n’avait pas un rôle actif sur le contenus stockés, et ce tout en précisant que
cette interprétation était dévolue aux juges nationaux (voir Grynbaum L.,
in RLDI 2010/60, n° 1980 ; Glaize F. et Pautrot B., RLDI précitée, n° 1994 ;
égal. Castets-Renard C., in RLDI 2010/61, n° 1999 ; Tardieu-Guigues É., in
RLDI 2010/62, n° 2029).
C’est par conséquent sur la base de ces critères que le Tribunal fonde son
raisonnement. Il s’agit en quelque sorte d’une traduction in concreto de
l’analyse de la Cour européenne.
On relèvera, à rester dans ce même registre, que la Cour d’appel de Paris,
dans une décision du 11 mai 2011, avait préféré ne pas prendre position
sur cette question, préférant condamner Google pour concurrence déloyale
et publicité mensongère dans le cadre de son activité de commercialisation
de liens sponsorisés ; ce que nous avions alors regretté (CA Paris, pôle 5,
ch. 4, 11 mai 2011, RLDI 2011/73, n° 2431, obs. L.C.)
On retiendra également que, à notre connaissance, c’est la première fois
que Google a été condamné pour violation de la vie privée et du droit
à l’image d’une personne au titre de l’annonce publicitaire diffusée par
un tiers sur internet dans le cadre de son programme de référencement
AdWords.
➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 473 1 et s.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 2515, n° 2516, n° 4337
L.C.
RLDI
ou stockées”, que ce rôle est non négligeable compte tenu de
l’importance pour un annonceur de figurer en page une des
résultats plutôt qu’en page cent ».
De plus, toujours selon le Tribunal, « la connaissance par le
service AdWords des informations traitées, comme le rôle actif
des sociétés Google dans le système AdWords, résultent des
“conditions générales des services de publicité” produites par
les sociétés Google ».
Et d’en conclure que « compte tenu de la connaissance avérée
par le responsable du service AdWords, du contenu des messages et mots clés, comme de la maîtrise éditoriale qui lui est
contractuellement réservée, il convient d’exclure à son égard
la qualification d’hébergeur et le bénéfice de dérogations de
responsabilité qui lui est réservé ». Il se prononce, ensuite, d’une part, sur les atteintes au droit
à la vie privée et à l’image, et d’autre part, sur l’atteinte au
droit au nom.
Concernant les premières, il rappelle que « l’article 9 du Code
civil prévoit que toute personne, quelle que soit sa notoriété,
a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir
la protection ; que de même, elle dispose, en principe, sur son
image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en
est faite d’un droit distinct, qui lui permet de s’opposer à sa
diffusion sans son autorisation ».
Or, « la vie sentimentale fait partie de la sphère protégée de
la vie privée ».
Il en résulte que « l’article [incriminé] brodant sur les sentiments du demandeur, sa jalousie, son désir de mariage ou de
paternité, portent atteinte à sa vie privée ».
De plus, « cet article est illustré de deux clichés photographiques
représentant le demandeur, l’un sur un voilier, manifestement
pris sans son autorisation lors d’un moment de loisir, l’autre
en compagnie d’une jeune femme, qui aurait été pris lors d’une
manifestation officielle, mais reproduit sans son autorisation,
détourné de son contexte, et illustrant un écrit illicite ».
Dans ces conditions, « l’atteinte au droit à l’image est également caractérisée ».
Il en est de même de l’atteinte au droit au nom.
Le Tribunal rappelle ainsi que le demandeur invoque le droit
dont il dispose sur son nom et son prénom, pour contester aux
sociétés défenderesses la possibilité de les utiliser comme mot clé
servant de lien à une annonce commerciale pour un article illicite.
Il considère, ensuite, que « le droit dont dispose un individu sur
son nom ne permet, en règle générale, que de s’opposer à une
utilisation de ces éléments d’identification de la personne qui
serait source de confusion ; qu’en conséquence, et en principe,
si la simple utilisation d’un nom comme mot clé d’un moteur
de recherche agissant de façon qualifiée de “naturelle” peut
ne pas être considérée comme fautive, il en va différemment
lorsque le nom d’un tiers est sciemment choisi et utilisé comme
un mot clé pertinent, renvoyant à un article illicite ».
Et d’en conclure que « c’est (…) la pertinence du nom du
demandeur comme mot clé conduisant à un tel article qui sera
considérée comme fautive ».
Les sociétés défenderesses sont en conséquence condamnées
in solidum à payer au requérant 1 500 € à titre de dommagesintérêts et 3 000 € en application de l’article 700 du Code de
procédure civile.
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
2564
Vie privée en entreprise
Une Cour d’appel ayant constaté que les courriels
litigieux n’étaient pas identifiés par le salarié comme
étant personnels et qu’ils étaient, sans signe distinctif,
dans sa messagerie professionnelle, en a légitimement
déduit qu’ils pouvaient être régulièrement ouverts par
l’employeur et que la preuve ainsi rapportée était licite.
Cass. 1re civ., 18 oct. 2011, n° 10-26.782, F-D
Un chef de publicité junior a été licencié pour faute grave pour
avoir exercé un commerce illicite en utilisant son ordinateur
professionnel et les services d’accueil de la société.
Débouté devant la Cour d’appel de Paris, il forme un pourvoi
en invoquant une violation des articles L. 1121-1 et L. 1331-1
du Code du travail ainsi que de l’article 9 du Code civil.
Mais les juges rappellent que « les courriels adressés ou
reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa
disposition par l’employeur pour les besoins de son travail
sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte
que l’employeur est en droit de les ouvrir en dehors de la
présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant
personnels ».
Ainsi, « la Cour d’appel ayant constaté que les courriels litigieux
n’étaient pas identifiés par le salarié comme étant personnels
et qu’ils étaient, sans signe distinctif, dans sa messagerie
professionnelle, en a légitimement déduit qu’ils pouvaient être
régulièrement ouverts par l’employeur et que la preuve ainsi
rapportée était licite ».
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
>
75
• OBSERVATIONS • Sans grande surprise, la présente espèce fait application
des règles classiques gouvernant les communications électroniques dans
un cadre professionnel.
On notera cependant que la référence à l’absence de « signe distinctif »
plutôt que la formule littérale « personnel » laisse une plus grande marge
d’interprétation sur la nature personnelle des courriers électroniques.
À propos d’un logiciel d’effacement des fichiers temporaires, voir Cass. soc.,
21 sept. 2011, RLDI 2011/76, n° 2523, obs. Costes L.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 5002
RLDI
M.T.
2565
Limites à la géolocalisation
des salariés
L’utilisation d’un système de géolocalisation pour
assurer le contrôle de la durée du travail n’est licite que
lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre
moyen et n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose
d’une liberté dans l’organisation de son travail.
Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18.036, FS-P+B+R+I
• OBSERVATIONS • « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux
libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées
par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »
(C. trav., art. L. 1121-1). L’employeur souhaitant recourir à un dispositif de
géolocalisation doit le déclarer auprès de la Cnil (voir la norme simplifiée
n° 51 issue de Cnil, délib. n° 2006-067, 16 mars 2006 ; comp. avec Cnil,
Guide de la géolocalisation des salariés. Droits et obligations en matière de
géolocalisation des employés par un dispositif de suivi GSM/GPS, 2005).
Selon la norme simplifiée de la Cnil, le traitement doit correspondre à l’une
des finalités suivantes :
– le respect d’une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en
œuvre d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou
de la nature des biens transportés ;
– le suivi et la facturation d’une prestation de transport de personnes ou de
marchandises ou d’une prestation de services directement liée à l’utilisation
du véhicule ;
– la sûreté ou la sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou
véhicules dont il a la charge ;
– une meilleure allocation des moyens pour des prestations à accomplir en
des lieux dispersés, notamment pour des interventions d’urgence.
Et ce n’est qu’à titre accessoire que le traitement peut avoir pour finalité le
suivi du temps de travail, « lorsque ce suivi ne peut être réalisé par d’autres
moyens ».
En l’espèce, le salarié étant libre d’organiser son activité selon une base
horaire de 35 heures, l’employeur ne pouvait justifier son licenciement en
se fondant sur les relevés de GPS, d’autant plus que le dispositif était, alors,
utilisé à d’autres fins que celles qui avaient été portées à la connaissance
du salarié.
Voir également Tilche M., Géolocalisation, Bulletin Lamy des Transports et
de la Logistique, n° 3339, 2010.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 609, 4775
76
M.T.
RLDI
Un vendeur dans le domaine du commerce de gros est licencié. Selon son contrat de travail, il était tenu à un horaire
de 35 heures par semaine et libre de s’organiser, à charge
pour lui de respecter le programme fixé et de rédiger un
compte-rendu journalier précis et détaillé, faisant la preuve
de son activité.
L’employeur avait notifié au salarié la mise en place d’un
système de géolocalisation sur son véhicule afin de « permettre
l’amélioration du processus de production par une étude a posteriori de ses déplacements et pour permettre à la direction
d’analyser les temps nécessaires à ses déplacements pour une
meilleure optimisation des visites effectuées ». Prenant acte
de la rupture de son contrat de travail, il reproche cependant
à son employeur d’avoir calculé sa rémunération sur la base
du système de géolocalisation du véhicule.
Les juges parisiens concluent à l’illicéité du système de géolocalisation des véhicules de service et considèrent le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur, demandeur au pourvoi, invoque la violation des
articles 1134 du Code civil et L. 1121-1 et L. 1221-1 du Code
du travail mais le pourvoi est rejeté.
En effet, « selon l’article L. 1121-1 du Code du travail, nul ne
peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées
par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but
recherché ». Ainsi, « l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle
n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par
un autre moyen, n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose
d’une liberté dans l’organisation de son travail ». Enfin, « un
système de géolocalisation ne peut être utilisé par l’employeur
pour d’autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès
de la Commission nationale de l’informatique et des libertés,
et portées à la connaissance des salariés ».
2566
Condamnation d’EDF et
prison ferme de salariés
pour piratage informatique
Une enquête de piratage informatique à l’encontre de
l’Agence française de lutte contre le dopage permet
de révéler une affaire d’espionnage de plus grande
ampleur mettant en cause l’entreprise EDF.
T. corr. Nanterre, 15e ch., 10 nov. 2011, Greenpeace et a. c/ EDF et a., <www.
legalis.net>
En 2008, les policiers de l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication) transmettent
au procureur de la République de Nanterre un rapport de
synthèse visant des faits d’intrusion dans le système informatique du laboratoire d’analyses de l’AFLD (Agence française de lutte
contre le dopage). Deux années plus tôt, un audit commandé par
l’AFLD, soupçonnant une intrusion informatique, avait révélé
la présence d’un cheval de Troie au nom générique de Bifrost
installé après l’ouverture d’un courrier accompagné d’une
pièce jointe infectée par un virus informatique et permettant
de contrôler l’ordinateur à distance.
Les investigations techniques réalisées par les enquêteurs
confirment les éléments techniques déjà recueillis par l’entreprise d’audit informatique, un fichier malveillant contenant
un logiciel de type keylogger permettant d’enregistrer et
de récupérer à distance les frappes clavier. Ce programme
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Informatique I Médias I Communication
apparaissait avoir été paramétré pour se connecter automatiquement sur deux sites (<Netzck.noip.com> et <Zipsni-ip.com>)
du service de redirection américain <NO-IP.com>. Une
demande d’entraide internationale adressée aux autorités
américaines lors de l’enquête préliminaire permet de découvrir que les noms de domaines de ces sites avaient été déposés par le titulaire d’une adresse de messagerie <zipmq@
aol.com> se révélant ultérieurement appartenir à Alain Q.
Après perquisition de son domicile et de l’ensemble de son
matériel informatique, diverses pièces sont confisquées, et
notamment des faits nouveaux dont le magistrat instructeur
est saisi : « 1 420 documents non publics relatifs au fonctionnement de l’organisation Greenpeace étaient découverts, dont
un fichier contenant des frappes clavier captées à distance en
septembre 2006 concernant Yannick J., ainsi que des courriels
envoyés ou reçus par des membres de l’organisation. Sur le
même CD-Rom scellé 14, était découvert un fichier intitulé
2006.doc contenant de frappes clavier entre mai et juillet 2006
relatifs à un certain Frederick K. C. et où apparaissait régulièrement le mot EADS ».
En bref...
Accélération de l’internet très haut débit
L’Arcep, dans un communiqué du 15 novembre, se félicite
de l’important accord conclu par France Télécom-Orange et
SFR, concernant le déploiement de la fibre optique sur l’ensemble du territoire, à l’exception des zones très denses.
Ce programme de déploiement concerne 11 millions
de logements, situés dans environ 3 500 communes
réparties sur l’ensemble du territoire.
Les opérations de déploiement démarreront dans
l’ensemble des communes entre 2012 et 2015 et
s’achèveront, au plus tard, en 2020. À cette date, si l’on
ajoute les déploiements dans les zones très denses,
environ 17 millions de logements (soit 60 % des foyers
français) seront éligibles à la fibre optique.
Les 40 % des logements restants seront rendus éligibles
à la fibre optique, à partir de 2012, par des déploiements
associant les collectivités territoriales et les opérateurs.
Ces déploiements nécessiteront des financements
publics d’origine locale, nationale ou européenne.
L’Autorité « estime aujourd’hui que le cadre de déploiement de la fibre optique qu’elle a édicté, conformément à
la loi, est adapté et efficace. Il va permettre à l’ensemble
de la population de bénéficier prochainement du très
haut débit, grâce à la fibre optique et aux nouveaux réseaux mobiles de quatrième génération dont l’attribution
des licences s’achèvera début janvier 2012 ».
Et de souligner que « parmi les grands pays d’Europe,
la France dispose déjà du pourcentage de logements
éligibles au très haut débit parmi les plus élevés (20 %).
Elle est aussi, désormais, grâce à l’action convergente
des acteurs publics et privés, le pays qui s’est doté, en
ce domaine, du programme d’investissement le plus
précis et le plus ambitieux » (<www.arcep.fr>).
Au vu des résultats d’expertise, le hacker, qui travaillait depuis
2003 pour Thierry L., ancien fonctionnaire à la DGSE, dirigeant
le cabinet d’intelligence économique qu’il avait créé, Kargus
Consultants, reconnaît les faits de piratage du LNDD et de
Greenpeace et, concernant l’association, oriente les investigations vers deux cadres de l’entreprise EDF. Après enquête, il est
découvert un CD-Rom dans le bureau de Pierre Paul F. chez
EDF et sa comparaison avec le scellé 14 permettait d’établir
que les 171 fichiers présents sur le CD-Rom en possession
de Pierre Paul F. avaient la même signature numérique que
ceux présents parmi les 1 489 fichiers du scellé 14 découverts
en possession d’Alain Q. et provenant du piratage par ce
dernier de l’ordinateur du dirigeant de Greenpeace, « afin de
connaître à l’avance les actions du groupe contre EDF ». De
plus, les enquêteurs ont trouvé un contrat conclu entre Kargus Consultants et la direction Production ingénierie sécurité
d’EDF branche Énergies portant sur une mission de veille
stratégique « sur les modes d’actions et les organisations des
écologistes ». Selon les termes de ce contrat, Kargus Consultants, avec comme chef de projet Thierry L., était rémunérée
Abandon du haut débit universel en
Europe ?
Tel semble être le bilan de la consultation publique
lancée en mars 2010 sur la faisabilité de la mise en
place d’un service universel visant à réduire la fracture
numérique (Révision des lignes directrices communautaires de 2009 pour l’application des règles relatives
aux aides d’État dans le cadre du déploiement rapide
des réseaux de communication à haut débit, « lignes
directrices relatives au haut débit »).
« La raison d’être des obligations de service universel
est de servir de filet de sécurité social lorsque les forces
du marché n’offrent pas, à elles seules, un accès peu
onéreux aux services de base pour les consommateurs,
en particulier ceux qui habitent dans des zones éloignées
ou qui disposent de faibles revenus ou souffrent d’un
handicap » (COM/2011/795 final, p. 3). Mais il est
constaté que, si ces obligations « devaient être étendues
au haut débit pour l’ensemble de l’UE, cela augmenterait
considérablement la nécessité d’un financement sectoriel et de “subventions croisées” entre les groupes de
consommateurs d’un pays donné, la charge pesant sur
l’industrie et l’influence sur les prix aux consommateurs
étant maximales dans les États membres où les niveaux
de revenus et de couverture du haut débit sont actuellement faibles », sans compter les risques de distorsions
sur les marchés engendrant, en outre, des retards dans
les investissements privés dans le haut débit.
Ainsi, « si l’on peut s’attendre à ce que les opérateurs
de télécommunications investissent dans des nouveaux
réseaux rentables, la question essentielle reste de savoir si des obligations de service universel étendues, qui
placeraient une charge élevée sur le seul secteur dans
l’intérêt de l’intégration sociale, seraient appropriées et
durables, alors que d’autres entités publiques et privées
et la société dans son ensemble tireraient profit d’un
haut débit omniprésent » (COM/2011/795 final, p. 7)
(Rapport sur les résultats de la consultation publique
Informatique I Médias I Communication
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
>
et du troisième réexamen de la portée du service universel dans les communications électroniques, conformément à l’article 15 de la directive n° 2002/22/CE,
23 nov. 2011, COM/2011/795 final).
Les principales propositions du rapport
sur la TV connectée
Ce rapport, commandé par le Gouvernement qui lui
a été remis le 30 novembre, propose que les acteurs
d’internet participent au financement des films.
Si les propositions du rapport visent à placer les acteurs
français dans les « meilleures conditions possibles pour
affronter la compétition internationale », elles mettent
aussi en garde contre « l’accélération de son développement [qui] peut changer le paysage culturel et
économique de manière importante et imprévisible ».
Ainsi, le rapport propose de remettre « en cause les
règles de programmation et de diffusion d’œuvres sur
la télévision », ainsi que les règles relatives à la publicité.
Actuellement, la « chronologie des médias », qui régit
les délais de diffusion des films sur différents supports,
réserve l’exclusivité aux salles les quatre premiers mois,
autorise le DVD ou Canal+ après 10 mois, 22 mois
pour les chaînes partenaires et 30 mois pour les autres
chaînes gratuites.
Et d’ajouter que les diffuseurs doivent pouvoir exploiter
les œuvres sur l’ensemble des supports, y compris
internet.
Le rapport préconise également de « faire évoluer » les
règles des concentrations des médias. Actuellement,
un groupe ne peut pas posséder plus de sept chaînes
numériques.
Il propose que les acteurs d’internet devraient désormais participer au financement des œuvres audiovisuelles, via le fonds de soutien du Centre national du
cinéma (CNC), le « Cosip ».
Il est également envisagé d’adopter un régime de TVA
« compétitif » pour les ventes de contenus audiovisuels
en ligne.
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peace et condamnée au paiement d’une amende de 1,5 million
d’euros. L’entreprise EDF interjette appel de cette décision.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 3615, n° 3645 et s.
M.T.
COMMERCE ÉLECTRONIQUE
RLDI
à hauteur de 4 664,40 € par mois et « s’engageait à mettre en
œuvre tous les moyens intellectuels et matériels nécessaires
pour assurer cette mission et Kargus Consultants ne pouvait
être tenu responsable des conséquences de l’utilisation faite
par EDF des résultats de la prestation exécutée ».
Le cadre et son supérieur hiérarchique sont condamnés à une
peine de 3 ans d’emprisonnement, dont 30 mois avec sursis
et le second à 3 ans, dont 24 mois avec sursis, assortis d’une
peine d’amende de 10 000 €. La seule défense de Pierre Paul F.
consistait à dire qu’il ne connaissait pas l’origine frauduleuse
du contenu de ce CD-Rom qu’il détenait matériellement, en
affirmant ne jamais avoir lu ce CD-Rom mais « au regard de
la compétence reconnue de Pierre Paul F. en matière de sécurité et d’intelligence économique, de son évolution en interne
chez EDF depuis plus de 20 ans, de l’importance éminemment
stratégique de son poste sous la hiérarchie de Pascal D., il est
inimaginable que le prévenu, ancien policier chevronné, ait pu
négliger ainsi une éventuelle source de renseignements concernant la sécurité du parc nucléaire d’EDF. De la même manière,
il est impossible que Pierre Paul F. ait pris seul l’initiative de
rencontrer Alain Q. par l’intermédiaire de Thierry L. pour
amener ce dernier à conclure un contrat avec Pascal D. qui ne
pouvait évidemment être un simple contrat de veille stratégique
sur sources ouvertes, assurée depuis 10 ans en interne selon les
explications du représentant de la personne morale EDF ». Et
concernant son supérieur, « la gravité des faits commis par un
ancien haut gradé de l’armée faisant appel à une officine pour
espionner par des moyens illégaux Yannick J. et Greenpeace
justifie une peine mixte sévère. En répression il sera condamné
à une peine d’emprisonnement de 3 ans dont 24 mois avec
sursis et à une peine d’amende de 10 000 € ».
L’ancien fonctionnaire de la DGSE est « sanctionné par une
peine mixte prenant en compte la gravité des faits qui lui
sont reprochés, à une peine d’amende et à l’interdiction de
gérer toute société pendant cinq ans ayant pour objet social
la sécurité, le gardiennage et l’intelligence économique », le
Tribunal estimant qu’il a « porté atteinte à l’État de droit, à la
vie privée de ses cibles telles que Yannick J. et Frederick K. C.
dans un dévoiement des valeurs républicaines ».
Les parties civiles obtiennent d’importants dommages-intérêts,
500 000 € à l’association Greenpeace, 50 000 € à son ancien
dirigeant, 71 000 € à l’Association française de lutte contre le
dopage et 50 000 € à l’avocat Frédéric Karel-Canoy.
Enfin, l’entreprise EDF, renvoyée en qualité de personne
morale, est reconnue coupable et condamnée à 1,5 million
d’euros d’amende. Le Tribunal considère que « Pascal D.
et Pierre Paul F. dans le cadre de leur mission, ont eu en
quelque sorte carte blanche pour mettre en place les moyens
d’assurer la sécurité du parc nucléaire dans le contexte sensible de la construction de l’EPR. Ils n’ont évidemment pas
agi pour leur compte personnel mais dans l’intérêt exclusif
d’EDF qui seule en a tiré bénéfice sous la forme concrète du
CD-Rom frauduleux détenu dans les locaux d’EDF. Pascal D.
et Pierre Paul F. ont agi pour le compte et dans l’intérêt de
leur employeur ».
Ainsi, la personne morale EDF est déclarée coupable des délits de recel et de complicité d’accès et maintien frauduleux
aggravé dans un STAD au préjudice de Yannick J. et de Green-
2567
Inconnu à cette adresse :
compétence juridictionnelle
subsidiaire dans un litige
de consommation
L’impossibilité de localiser le domicile actuel du
défendeur ne doit pas priver le demandeur de son
droit à un recours juridictionnel. Lorsque le domicile
actuel d’un consommateur est inconnu, la juridiction
du dernier domicile connu peut être compétente pour
connaître d’une action à son encontre.
CJUE, 17 nov. 2011, aff. C-327/10, Lindner c/ Udo Mike, Lindner
c/ Hypotecní banka, <www.curia.eu>
Une banque tchèque accorde un prêt hypothécaire pour
financer l’achat d’un bien immobilier d’un consommateur
allemand domicilié en République tchèque au moment de
la conclusion du contrat. Ce contrat de crédit prévoyait la
compétence générale de la juridiction du siège de la banque.
La banque engage une procédure à l’encontre de son client
en vue d’obtenir le paiement de 4,4 millions de couronnes
tchèques (CZK), montant correspondant au total des arriérés
mais saisit le juge du domicile du défendeur plutôt que celui
de son siège social, comme il était prévu dans son contrat.
Il est fait droit à sa demande par une injonction de payer qui
n’a, cependant, pas pu être notifiée au défendeur, ce dernier
ne résidant à aucune des adresses connues de la juridiction.
Conformément à la législation, un tuteur est désigné pour
représenter le défendeur dont les objections ont conduit la
juridiction à surseoir à statuer et à poser à la Cour des questions
préjudicielles portant sur l’application et l’interprétation du
règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000,
concernant la compétence judiciaire, ainsi que son articulation
avec une clause attributive de juridiction nulle pour violation
de l’article 6, paragraphe 1, de la directive n° 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs.
La Cour précise d’abord que « dans une situation telle que
celle au principal, dans laquelle le défendeur est de nationalité étrangère et n’a pas de domicile connu dans l’État sur le
territoire duquel se trouve la juridiction saisie de l’action, les
règles de compétence du règlement n° 44/2001 sont susceptibles
de s’appliquer ».
Sur la question de savoir si le règlement n° 44/2001 doit être
interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition du droit
interne d’un État membre qui permet de mener une procédure
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
à l’encontre de personnes dont le domicile n’est pas connu, il
est d’abord rappelé que « le règlement n° 44/2001, comme la
Convention de Bruxelles, a pour objet non pas d’unifier toutes
les règles de procédure des États membres, mais de régler les
compétences juridictionnelles pour la solution des litiges en
matière civile et commerciale dans les relations entre ces États
et de faciliter l’exécution des décisions juridictionnelles » et
qu’aucune disposition ne définit expressément la compétence
juridictionnelle dans un cas tel d’adresse inconnue, l’article 16,
paragraphe 2, dudit règlement prévoyant seulement qu’une
telle action ne peut être portée que devant les tribunaux
de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le
consommateur.
Le juge national doit donc, en premier lieu, « vérifier si le
défendeur est domicilié sur le territoire de son État membre
en appliquant, conformément à l’article 59, paragraphe 1, du
règlement n° 44/2001, son propre droit ».
Mais, si « le défendeur au principal n’a pas de domicile sur
le territoire de son État membre, il doit alors vérifier si ce
dernier est domicilié dans un autre État membre. À cette fin,
il applique, conformément à l’article 59, paragraphe 2, dudit
règlement, le droit de cet autre État membre ».
En bref...
Rihanna censurée par le CSA
Le nouveau clip We Found Love de la chanteuse de rap
a été censuré par le CSA, le 15 novembre
Le Conseil, réuni en séance plénière, a considéré que
« cette vidéo-musique devait, conformément à la recommandation du 7 juin 2005 relative à la signalétique
jeunesse, être diffusée après 22 heures en raison des
séquences présentant des comportements autodestructeurs des protagonistes : relation de couple violente
(notamment des scènes de tatouage à vif, de disputes)
avec prise de drogue, de médicaments, d’alcool et des
scènes à caractère suggestif prononcé, qui ne sont pas
destinées à un jeune public ».
Un de ses précédents clips S & M. avait déjà été interdit
de diffusion en journée.
TF1 : Patrick Poivre d’Arvor condamné
Patrick Poivre d’Arvor a été condamné à verser
400 000 € de dommages et intérêts à TF1, par le
Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, le
7 novembre, pour ne pas avoir respecté une clause
de « non-critique ».
Il a annoncé son intention d’interjeter appel de ce
jugement, estimant « invraisemblable » la somme à
laquelle il est condamné.
Selon son avocat, Me Francis Teitgen, son client a été
condamné pour ne pas avoir respecté une « clause
d’interdiction de critique et de dénigrement » de son
Enfin, « si le juge national, d’une part, ne parvient toujours
pas à identifier le lieu où est domicilié le consommateur et,
d’autre part, ne dispose pas non plus d’indices probants lui
permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié
en dehors du territoire de l’Union, hypothèse dans laquelle
l’article 4 du règlement n° 44/2001 trouverait à s’appliquer »,
l’article 16, paragraphe 2, « peut être interprété en ce sens
que, dans un cas tel que celui envisagé, la règle de la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire
duquel se trouve le domicile du consommateur, énoncée à
cette dernière disposition, vise également le dernier domicile
connu du consommateur ».
En effet, « une telle solution semble répondre à la logique dudit règlement et s’inscrit dans le cadre du système établi par
celui-ci » et permet « d’éviter que l’impossibilité de localiser le
domicile actuel du défendeur empêche l’identification d’une
juridiction compétente et prive ainsi le demandeur de son
droit à un recours juridictionnel. Une telle situation peut se
produire, notamment, dans un cas comme celui de l’affaire
au principal, dans laquelle un consommateur qui, en vertu de
l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement, devrait être attrait
devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel
ancien employeur, lors de son départ en 2008 de la
présentation du journal télévisé.
On rappellera qu’en mai 2009, il avait déjà été
condamné par le Tribunal correctionnel de Paris pour
avoir diffamé le président de TF1, Nonce Paolini, au
cours d’un entretien paru en octobre 2008 dans un
magazine. Dans cette interview, il avait déclaré qu’à
son arrivée à TF1, celui-ci avait « installé un système
de pointage à badges ».
Il avait alors été condamné à une amende de 500 €
avec sursis, et à verser 1 € de dommages et intérêts
à Nonce Paolini.
Mathieu Kassovitz obtient la
condamnation d’un blogueur du JDD
pour injure publique
La 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande
instance de Paris a déclaré, le 15 novembre 2011, un
blogueur du Journal du dimanche coupable d’injure
publique envers Mathieu Kassovitz.
Dans un texte intitulé Kassovitz redonne des couleurs
à Goebbels, mis en ligne deux jours plus tard sur le
site internet <jdd.fr>, Lilian Massoulier, un directeur
de librairie, avait qualifié Joseph Goebbels, qui fut
ministre de l’Information et de la Propagande de
Hitler, de « nouveau maître à penser » de l’acteur
et réalisateur.
Pour le Tribunal, l’expression « revêt un caractère outrageant et dépasse les limites autorisées de la liberté
d’expression ».
De plus, ces propos constituent « un jugement de
valeur tenu par un journaliste dans le cadre de sa
liberté d’expression ».
Informatique I Médias I Communication
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
>
Lilian Massoulier est ainsi condamné à une amende
de 1 000 € avec sursis, à verser 1 € de dommages
et intérêts et à payer les frais de justice d’un montant
de 1 500 €.
Rachida Dati condamnée pour
diffamation
L’ancienne garde des Sceaux a été condamnée, le
21 novembre, par le Tribunal de grande instance de
Paris à une amende de 2 000 € avec sursis.
À le suivre, elle a diffamé Marek Halter et son épouse,
créatrice du Mur pour la paix, installé sur le Champde-Mars à Paris.
La maire UMP du VIIe arrondissement devra également
verser 4 000 € de dommages et intérêts au couple,
ainsi que 3 000 € de frais de justice. Elle devra en
outre publier sa condamnation.
On rappellera qu’il lui était reproché d’avoir publié
sur internet une pétition demandant le démontage
immédiat du Mur pour la paix.
Selon la 17e chambre du Tribunal « le caractère illégal
du Mur » allégué par Rachida Dati n’était pas démontré.
Au contraire, la construction « a été autorisée par les
pouvoirs publics pour une durée provisoire qui jusqu’à
ce jour a été renouvelée ».
Aussi faute de « propos prudents », elle a jugé que l’ancienne ministre ne pouvait « bénéficier de la bonne foi ».
Cette décision est assez surprenante dans la mesure
où l’Avocate générale, durant l’audience, il y a un peu
plus de un mois, avait estimé que ses propos, certes
désagréables, n’étaient pas pour autant diffamatoires.
De fait, il est exceptionnel qu’un ancien ministre de la
Justice soit sanctionné pour diffamation…
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
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il est domicilié a renoncé à son domicile avant que l’action à
son encontre n’ait été introduite ».
Enfin, « le critère du dernier domicile connu du consommateur
permet, pour les besoins de l’application de l’article 16, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001, d’assurer un juste équilibre
entre les droits du demandeur et ceux du défendeur précisément
dans un cas, comme celui au principal, où ce dernier avait
l’obligation d’informer son cocontractant de tout changement
d’adresse qui se produirait postérieurement à la signature du
contrat de prêt immobilier de longue durée ».
Et de rappeler que « l’exigence du respect des droits de la
défense, telle qu’énoncée également à l’article 47 de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être
mise en œuvre en concomitance avec le respect du droit du
demandeur de saisir une juridiction pour statuer sur le bienfondé de ses prétentions ».
Ainsi, le règlement ne s’oppose pas à l’application d’une
disposition du droit procédural interne d’un État membre
En bref...
Dominique Strauss-Kahn attaque
en justice différents médias
Dominique Strauss-Kahn et son épouse Anne Sinclair
ont annoncé, le 22 novembre, des poursuites judiciaires contre plusieurs médias et contre Henri Guaino,
conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, pour des articles
et propos tenus sur leur vie privée.
Les avocats de l’ancien directeur général du FMI poursuivront pour atteinte à la vie privée L’Express, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, Paris-Match et VSD après
« l’avalanche d’articles de presse s’exonérant de tout
objectif d’information légitime du public ».
Les articles ont trait à la vie sexuelle et affective de
Dominique Strauss-Kahn et à la situation de son couple.
Paris-Match est également poursuivi pour « atteinte
au droit à l’image » du couple en raison d’une photo
de une où l’on voit DSK et Anne Sinclair échanger un
baiser. Les plaignants affirment que cette photo a été
prise et utilisée à leur insu.
Henri Guaino fera par ailleurs l’objet d’une plainte pour
diffamation pour des propos tenus sur Paris Première,
où le conseiller avait estimé que le comportement
prêté à DSK était à la frontière « entre délinquance et
vie privée » et pénalement répréhensible.
Ces procédures, qui devraient être matérialisées sous
peu, seront jugées directement concernant les médias,
dans un délai de plusieurs mois, tandis qu’Henri Guaino
devrait être mis en examen automatiquement avant que
ce volet des poursuites soit abordé devant le Tribunal.
Dans le communiqué diffusé à cette occasion, il est
précisé que « ni Anne Sinclair ni Dominique StraussKahn n’entendent limiter la libre expression des idées
et la diffusion de l’information mais ils n’acceptent pas
pour autant que leur intimité soit exploitée et jetée en
pâture à des fins exclusivement mercantiles ».
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qui, dans un souci d’éviter une situation de déni de justice,
permet de mener une procédure à l’encontre et en l’absence
d’une personne dont le domicile n’est pas connu, si la juridiction saisie du litige s’est assurée, avant de statuer sur
celui-ci, que toutes les recherches requises par les principes
de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver
le défendeur.
• OBSERVATIONS • Si cette espèce ne concerne pas le commerce
électronique, la solution intéresse vivement la matière. En cas
d’impossibilité de localiser le domicile actuel, le critère du dernier
domicile connu du consommateur permet d’assurer un juste équilibre
entre les droits du demandeur et ceux du défendeur en conformité avec
les prescriptions du règlement (CE) nº 44/2001 du 22 décembre 2000,
concernant la compétence judiciaire, dûment interprétées.
Voir récemment, sur l’interprétation de l’article 5.3 de ce même règlement
pour les victimes d’atteintes aux droits de la personnalité sur l’internet,
CJUE, 25 oct. 2011, RLDI 2011/76, n° 2524, obs. Costes L.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 2372, 4375
M.T.
Apple cesse de commercialiser
l’application « Juif ou pas juif ? »
Apple a cessé au niveau mondial la commercialisation
de son application « Juif ou pas juif ? », a affirmé, le
23 novembre, l’avocat des quatre associations antiracistes qui l’avaient assignée en justice.
Aussi se sont-elles désistées de leur action.
On rappellera que l’Union des étudiants juifs de France
(UEJF), J’accuse, SOS Racisme et le Mouvement contre
le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)
avaient assigné Apple devant le juge des référés du
Tribunal de grande instance de Paris pour obtenir qu’il
renonce à commercialiser cette application au niveau
mondial.
Le 14 septembre, le groupe avait annoncé le retrait
de la vente en France de cette application qui a
fait scandale. Le 18 octobre, il avait étendu ce
retrait à toute l’Europe. L’application, qui offrait
une liste de 3 500 personnalités d’origine ou de
religion juive, restait cependant disponible ailleurs
dans le monde.
Un artiste relaxé après avoir porté une
burqa tricolore
Il a été relaxé, le 25 novembre, par le Tribunal de police
de Caen du chef d’accusation « d’utilisation dégradante
du drapeau ».
Le Tribunal a considéré que « les agissements qui [lui]
étaient reprochés étaient couverts » par les limites fixées
en juillet dernier par le Conseil d’État à l’application
du décret paru le 23 juillet 2010 élargissant le délit
d’outrage au drapeau.
C’est la première fois qu’un Tribunal avait à statuer sur
l’application de ce décret à un artiste.
Lors de l’audience le 30 septembre, l’artiste avait expliqué avoir revêtu ce « costume » dans le cadre d’un
spectacle de rue visant à dénoncer la loi sur le voile
intégral comme une incitation à la xénophobie.
Le procureur François Lalès avait requis 400 €
d’amende, dont une partie avec sursis.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Il estimait que « la démarche artistique » de l’espèce
n’était « absolument pas palpable ».
On rappellera que le décret n° 2010-835 du 23 juillet
2010 institue une amende de 1 500 €, qui sanctionne
le fait « lorsqu’il est commis dans des conditions de
nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore », de « détruire, détériorer
ou utiliser de manière dégradante » le drapeau « dans
un lieu public ».Christian Blanc condamné pour avoir
diffamé son chef de cabinet
La 17e chambre du Tribunal de grande instance de
Paris, par une décision du 2 décembre, l’a cependant
relaxé pour les propos où il suggérait que son collaborateur était en partie responsable du scandale des
cigares qui lui avait coûté son poste en 2010.
Il a ainsi été condamné à une amende de 1 000 €
avec sursis pour avoir déclaré que Guillaume Jublot
avait « distribué des indemnités de façon indue ».
À ce titre, il devra lui verser en outre 1 € de dommages et intérêts ainsi que 2 500 € au titre des
frais de justice.
En revanche, le Tribunal l’a relaxé « pour le surplus ».
Piratage informatique : plainte du
ministère du Budget
Le ministère du Budget a indiqué, le 4 décembre,
avoir porté plainte pour escroquerie contre les pirates
informatiques inconnus.
Il leur est reproché d’avoir usurpé le nom du site officiel
de l’administration fiscale pour extorquer des numéros
de comptes et de cartes bancaires.
Les cyberescrocs, imitant le site officiel des impôts, envoyaient des courriels annonçant une erreur des impôts
en faveur du destinataire et demandaient en retour des
coordonnées bancaires pour régulariser la situation.
Ils comportaient de nombreuses fautes d’orthographe
et de termes impropres, comme « usager » au lieu de
« contribuable ».
Il s’agit en fait de phishing ou d’« hameçonnage », un
procédé destiné à récupérer des données personnelles.
Informatique I Médias I Communication
LES PRATIQUES
CONTRACTUELLES
RLDI
LES PRATIQUES SECTORIELLES :
CONTRATS INFORMATIQUES
2568
Dol par réticence retenu
à tort
La Cour d’appel de Poitiers infirme présentement
la décision des premiers juges qui ont prononcé
l’annulation, pour cause de dol, du contrat
d’intégration du progiciel de l’espèce et des protocoles
subséquents.
CA Poitiers, 1re ch. civ., 25 nov. 2011, BNP Paribas Factor et a. c/ Mutuelle
d’assurance des instituteurs de France (Maif), n° 10/00285, inédit
Décision aimablement communiquée
par Me Sandrine Rambaud
La Maif avait conclu avec la société IBM, le 14 décembre
2004, un contrat d’intégration clé en main par lequel elle
s’engageait à fournir sur la base d’une obligation de résultat
une solution intégrée conforme au paramètre fonctionnel et
technique convenu entre les parties.
Malgré la conclusion de protocoles intervenue les 30 septembre et 22 décembre 2005 ayant eu pour objet de redéfinir
et de réévaluer le projet, et en raison des retards accumulés
et de nombreuses dérives, la Maif reprochant à la société IBM
de lui avoir volontairement dissimulé le coût réel du projet
pour obtenir son consentement, l’a fait assigner devant le
Tribunal de grande instance de Niort ; action qu’il a reçue.
Elle lui reprochait plus précisément de l’avoir trompée en
phase précontractuelle sur sa capacité à mener le projet en
cause en lui faisant croire qu’elle maîtrisait l’ensemble des
paramètres de celui-ci et en dissimulant des informations
capitales du projet s’agissant des risques qu’elle a pris par
rapport au projet.
Elle lui reprochait également, alors qu’elle était tenue à cette
phase d’une obligation d’information et de conseil renforcée
et qu’elle avait une connaissance parfaite de son système
d’information comme de la solution cible, de n’avoir émis
aucune réserve ni alerte sur la faisabilité du projet, manifestant
ainsi son intention dolosive.
Elle ajoutait qu’elle n’aurait pas signé le contrat proposé par
IBM s’il lui avait été révélé l’ampleur des délais et des coûts
nécessaires à l’intégration du progiciel.
Ce n’est donc pas l’analyse de la Cour poitevine pour qui
« il y a lieu d’écarter le moyen invoqué par la Maif tiré d’une
Informatique I Médias I Communication
réticence dolosive d’IBM dès lors qu’il n’est pas établi qu’IBM
a dissimulé volontairement à la Maif des informations
majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget
du projeté ».
Pour se prononcer en ce sens, elle retient plus précisément
qu’« aucun dol par réticence n’est venu vicier le contrat du
14 décembre 2004, alors d’une part que la Maif, qui ne conteste
pas disposer d’une division informatique très étoffée, n’ignorait
pas compte tenu de l’échec du projet préalablement confié à
la société Siebel en 2002 les difficultés et les risques associés
au projet (…) ».
Elle retient également qu’« à supposer qu’il soit admis que la
Maif ignorait lors de la conclusion du contrat le risque relatif
au non-respect des délais prévus et au complément des prix,
en tout état de cause il découle de l’examen du préambule du
protocole, régularisé le 30 septembre 2005, que c’est en connaissance des retards qui ont affecté les différents sous-projets, que
la Maif a accepté la redéfinition des charges, la modification
du planning ainsi que le prix et les conditions y afférentes, et
ce afin d’y remédier ».
Il en résulte qu’« en redéfinissant le projet en connaissance
du vice initial, qui affectait le contrat du 14 décembre 2004,
et afin de le réparer, la Maif a nécessairement renoncé à se
prévaloir de la possibilité d’en contester l’efficacité ».
Et d’ajouter dans le même sens que « c’est en connaissance de
cause que la Maif (qui dispose d’une direction informatique
étoffée) et ne peut donc être qualifiée de profane dans le domaine de l’informatique a conclu le protocole du 22 décembre
2005 ».
La Cour d’appel ne reçoit pas davantage la Maif dans ses
allégations tirées des différents manquements commis par
IBM à ses obligations de résultat.
À la suivre, « la Maif ne peut soutenir qu’IBM reste tenu
par les obligations telles que définies dans le contrat du
14 décembre 2004, qu’en tout état de cause à défaut d’avoir
démontré compte tenu du contexte dans lequel les relations
ont évalué l’existence de fautes d’une exceptionnelle gravité,
elle doit être infirmant le jugement déféré déboutée de ses
demandes indemnitaires ».
Alors qu’en première instance IBM avait été condamné à verser
à la Maif à titre de dommages et intérêts plus de 9 millions
d’euros, c’est cette dernière qui se trouve condamnée à verser
à IBM plus de 450 000 €.
ACTUALITÉS
ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
• OBSERVATIONS • Ce contentieux est l’occasion de rappeler que le dol
est caractérisé par les manœuvres accomplies par un contractant afin de
conduire son cocontractant à conclure.
Il ne peut être sanctionné que s’il est prouvé que la conclusion du contrat
a été déterminée par ces manœuvres et si ses conséquences vont au-delà
d’un simple désavantage contractuel.
En tout état de cause, dans le cas où le dol est reconnu, il ne peut ouvrir
droit à des réparations qui procureraient à sa victime un avantage qu’elle
n’aurait pas obtenu si le dol n’avait pas été commis (en ce sens, Cass.
1re civ., 25 mars 2010, RTD civ. 2010, p. 322, comm. Fages B.).
Il s’apprécie donc au cas par cas au fil des espèces.
➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 857
L.C.
N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
81
En bref...
ONDRP : forte hausse de la
cybercriminalité
L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a publié, le 22 novembre,
son rapport annuel sur la délinquance.
On retiendra qu’en 2010, il y a eu en France plus de
33 000 infractions par internet dont 80 % d’escroqueries.
Selon l’ONDRP, cette cybercriminalité « regroupe des
infractions très diverses » : des infractions en lien avec les
nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), comme d’autres liées aux systèmes d’information et de traitement automatisé des données (Stad).
Ainsi qu’il est relevé ces infractions sont parfois difficiles
à comptabiliser – car il y a peu de plaintes – et compliquées à cerner car les statistiques proviennent souvent
des administrations.
En 2010, police et gendarmerie ont recensé 602 atteintes aux Stad. Le tiers est des « altérations du fonctionnement » ou de « suppression de données ».
Plus de 33 000 infractions dites de « délinquance
astucieuse » ont donc été enregistrées et effectuées
par internet. Plus de 80 % d’entre elles sont des escroqueries et des abus de confiance.
82
« Un peu moins de 1 500 atteintes à la dignité et à
la personnalité » et « 330 atteintes sexuelles » (pédophilie), toujours via internet, ont aussi été constatées
par les forces de l’ordre disposant désormais d’outils et
d’équipes formées afin de lutter contre cette nouvelle
criminalité informatique.
On retiendra également que le taux de fraude sur les
paiements par internet « continue d’augmenter » sans
toutefois atteindre le pic de 2007.
Ainsi, les paiements à distance – près de 9 % de la valeur des transactions effectuées en France – « comptent
pour 62 % du montant global de la fraude ». Ce montant n’est pas précisé mais la « cybercriminalité aurait
coûté » en France « 1,7 milliard d’euros » en 2010, dont
872 millions d’euros « de pertes directes ».
L’ONDRP dresse, enfin, un profil type des cybercriminels, multiples et variés : « acteurs individuels » tels
les pédophiles, « crime organisé » dont la « motivation est essentiellement financière » et « reste rare en
France », « hackers » revendiquant parfois leur geste au
nom de l’amélioration et de l’ouverture des systèmes
informatiques.
Fevad : une hausse continue des ventes
sur internet
La Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente
à distance) a publié, le 17 novembre, les résultats
du e-commerce au troisième trimestre ainsi que ses
prévisions pour les achats de Noël 2011 sur internet.
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
On retiendra plus spécialement que la hausse des
ventes sur internet s’est poursuivie sur les mois de
juillet à septembre.
Ainsi, au cours du troisième trimestre, l’ensemble
des sites de vente en ligne a vu son chiffre d’affaires progresser de 2 % par rapport au deuxième
trimestre 2011 et de 23 % sur un an.
La progression enregistrée au cours du dernier trimestre
continue d’être dopée par la progression du nombre
de Français qui achètent sur internet.
Selon Médiamétrie, le nombre de cyberacheteurs a
bondi de 3,2 millions sur un an. La France compte
désormais 30,4 millions d’acheteurs en ligne.
On retiendra également que l’offre en ligne continue
de s’étoffer.
De fait, le rythme de création de sites ne faiblit pas au
troisième trimestre ; le nouveau record du nombre de
sites marchands s’établissant à 93 300 sites.
Enfin, ainsi qu’il est précisé, les internautes ont dépensé, en 2010, 6,2 milliards d’euros en ligne pour
leurs achats de fin d’année.
Aussi, compte tenu de la progression du nombre d’internautes sur un an, et du niveau élevé d’intentions
d’achat en ligne pour Noël mesuré par Médiamétrie,
la Fevad estime que le montant des ventes devrait
franchir la barre des 7 milliards d’euros soit 20 % de
plus que l’an dernier.
Le e-commerce devrait ainsi dépasser 37 milliards
d’euros de chiffre d’affaires pour l’année 2011.
Informatique I Médias I Communication
RLDI
PERSPECTIVES ANALYSE
2569
Le présent article est consacré aux contributeurs et contributions visés par les nouvelles dispositions
du Code de la propriété intellectuelle relatives à la cession légale des droits d’auteur
des journalistes professionnels. Me Jean-Marie Léger nous livre son analyse.
La cession légale des droits d’auteur des
journalistes : considérations pratiques sur
les contributeurs et œuvres visés par le texte
Par Jean-Marie LÉGER
Avocat associé
incluses dans la cession (II), n’est pas la
moindre de ces difficultés.
FLP Avocats
I. – LES CONTRIBUTEURS VISÉS
PAR LE TEXTE
L’article L. 132-36 du Code de la propriété intellectuelle, issu de la loi du
12 juin 2009, dite « Hadopi I » (1), énonce
le principe d’une cession automatique
des droits patrimoniaux des journalistes
professionnels au profit des éditeurs.
La pleine application de ce principe reste
subordonnée à la négociation d’un accord d’entreprise ou, à défaut, de tout
autre accord collectif, portant sur les
rémunérations dues aux journalistes en
contrepartie des cessions prévues par
la loi. L’accord d’entreprise est d’autant
plus privilégié qu’il est le seul outil collectif autorisé pour définir l’étendue et
la contrepartie de certaines cessions (2).
Les accords collectifs existants (3), sous
réserve de dénonciation anticipée, doivent
être renégociés avant le 13 juin 2012, date
à laquelle ils cesseront d’être applicables.
À ce titre, la tâche des partenaires sociaux n’est guère facilitée par la rédaction défectueuse de certaines dispositions des articles L. 132-35 et suivants
du Code de la propriété intellectuelle.
L’étendue du champ d’application du
mécanisme légal quant aux contributeurs concernés (I), et quant aux œuvres
La cession légale s’applique tant aux journalistes professionnels qui collaborent de
manière permanente qu’à ceux qui ne collaborent que de manière occasionnelle.
A. – Journalistes professionnels
permanents ou occasionnels
salariés
Est visée par le texte la catégorie générique
des journalistes professionnels et assimilés
au sens des articles L. 7111-3 et suivants du
Code du travail. Toutefois, ces articles définissent davantage une profession qu’une
catégorie juridique homogène relevant sans
exception du droit social. On sait en effet
que les journalistes professionnels pigistes
qui ne collaborent qu’occasionnellement
avec une entreprise de presse peuvent ne
pas avoir la qualité de salarié (4).
Or, les articles L. 132-36, L. 132-41 et L. 13245, ces deux dernières dispositions s’appliquant aux auteurs d’images fixes, visent les
journalistes professionnels qui contribuent
de manière permanente ou occasionnelle à
l’élaboration d’un titre de presse.
La notion de collaboration occasionnelle
est pour le moins troublante dès lors qu’elle
renvoie notamment à la situation du pigiste
occasionnel non salarié. L’article L. 132-36
qui mentionne, sans autre précision, une
convention, vient alors suggérer que le mécanisme de cession légale ne s’appliquerait
pas uniquement aux journalistes salariés.
Une telle interprétation n’est manifestement pas acceptable dès lors que l’article L. 132-36 vise expressément l’employeur du journaliste professionnel et
que l’ensemble du mécanisme repose sur
des accords d’entreprise dont on voit mal
qu’ils pourraient s’appliquer à d’autres
personnes que des salariés.
Mais quels sont donc alors, en pratique, ces collaborateurs occasionnels ?
Puisqu’ils sont nécessairement salariés,
il ne peut s’agir que de journalistes intégrés ou de pigistes, dits « réguliers »,
liés à l’éditeur par un contrat de travail.
S’agissant des journalistes intégrés, ces
textes s’appliqueraient donc à ceux qui
n’étant pas contractuellement rattachés
à un titre donné y contribueraient de
manière occasionnelle. Toutefois, ce
sont les œuvres ainsi créées qui risquent
d’échapper au domaine d’application de
la cession légale (voir II).
B. – Les auteurs d’image fixe
1 / Exclusion des journalistes
des services de communication
audiovisuelle
La notion d’image fixe renvoie à la définition de l’œuvre audiovisuelle telle
qu’énoncée à l’article L. 112-2, 6° du
Code de la propriété intellectuelle (5). Les
journalistes professionnels des services
de communication audiovisuelle sont en
>
(1) Voir Hassler Th., Loi Hadopi et la cession légale des droits d’auteur des journalistes, RLDI 2009/52, n° 1733 qui écrit notamment : « On ne s’étonnera plus que le texte soit particulièrement long,
technique et abscons. Comme à son habitude, le législateur nous a gratifiés d’un pâté juridique peu digeste, recourant à la technique de la “commissionnite” venant chapeauter l’ensemble. »
(2) La notion de famille cohérente de presse, visée à l’article L. 132-39, doit être ainsi définie par un accord d’entreprise. (3) Article 20, IV, de la loi n° 2009-669, IV – « Durant les trois ans suivant
la publication de la présente loi, les accords relatifs à l’exploitation sur différents supports des œuvres des journalistes signés avant l’entrée en vigueur de la présente loi continuent de s’appliquer
jusqu’à leur date d’échéance, sauf cas de dénonciation par l’une des parties. » Selon le rapport n° 1626 à l’Assemblée nationale, « le fondement juridique de ces accords est cependant fragile,
dès lors que le principe de l’autorisation explicite de chaque nouvelle exploitation de l’œuvre par son auteur demeure formulé dans les mêmes termes par le Code de la propriété intellectuelle ».
(4) Pour une application récente, Cass. soc., 6 oct. 2010, Legifrance n° 09-41017 : « Mais attendu que la Cour d’appel a constaté que Mme X. Y. ne justifiait que de prestations occasionnelles
ayant consisté, de mai 2002 à janvier 2003, en la vente aux deux sociétés de plusieurs reportages relatifs à six personnalités, qu’elle avait le libre choix des reportages qu’elle offrait à l’achat
et qu’elle ne recevait aucune directive des entreprises de presse qui lui achetaient ses reportages ; qu’elle a pu en déduire que les deux sociétés avaient détruit la présomption attachée par
l’article L. 7112-1 du Code du travail. » (5) « Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble
œuvres audiovisuelles ».
Informatique I Médias I Communication
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83
L A C E S S I O N L É G A L E D E S D R O I T S D ’A U T E U R D E S J O U R N A L I S T E S ( … )
effet exclus du champ d’application de
la cession légale (6).
Les œuvres audiovisuelles ainsi que les
œuvres radiophoniques échappent-elles,
pour autant, aux articles L. 132-35 et
suivants du Code de la propriété intellectuelle ? La réponse est incertaine comme
nous le verrons ci-après.
2 / Photographes et autres
auteurs d’images fixes
L’article L. 132-41 énonce une règle dérogatoire au profit des journalistes professionnels qui tirent le principal de leurs
revenus de l’exploitation d’images fixes
et qui collaborent de manière occasionnelle à l’élaboration d’un titre de presse.
L’auteur d’une image fixe est ici principalement le journaliste professionnel photographe. Conformément aux préconisations
du « Blanc », le législateur a souhaité créer
un régime spécifique pour ce secteur (7).
Ce faisant, le législateur soumet aux mêmes
dispositions spécifiques les dessinateurs et
les autres auteurs d’œuvres graphiques qui
ont également la qualité de journaliste professionnel (8). Un dessin, une caricature, un
montage, de même que toute autre œuvre
graphique devraient également recevoir la
qualification d’image fixe. Si le législateur
avait entendu limiter l’application de l’article L. 132-41 aux seuls photographes, on
peut espérer qu’il l’aurait alors précisé. Au
demeurant, la situation économique des
caricaturistes et autres dessinateurs journalistes est probablement assez similaire
à celle des photographes. Rien ne semble
donc s’opposer à ce qu’ils soient également
soumis à des règles dérogatoires.
3°/ Journalistes professionnels,
auteurs « occasionnels »
d’images fixes
L’application du régime dérogatoire ne
concerne que les journalistes professionnels qui tirent l’essentiel de leurs revenus
de l’exploitation d’images fixes. Il faut donc
exclure les journalistes professionnels pour
lesquels cette activité n’est qu’accessoire.
Un journaliste professionnel rédacteur
peut en effet être l’auteur ponctuel de photographies, voire de dessins. Il sera alors
soumis au principe général de cession automatique tant pour ses écrits que pour ses
œuvres photographiques ou graphiques,
sous réserve pour ces dernières qu’elles
se rattachent effectivement aux missions
qui lui sont contractuellement dévolues.
4°/ Journalistes professionnels
intégrés, auteurs « permanents »
d’images fixes
Les journalistes professionnels intégrés,
auteurs « occasionnels » ou « permanents »
d’images fixes relèvent du régime général
de l’article L. 132-36. Le régime de l’article L. 132-41 ne vise en effet que les collaborateurs occasionnels d’un titre de presse.
Comme nous l’avons vu précédemment,
ces collaborateurs occasionnels ne peuvent
être que des journalistes pigistes réguliers,
titulaires d’un contrat de travail (9).
Tableau récapitulatif
Catégories
Journalistes non professionnels, salariés et non salariés
Régime applicable
Droit commun
Journalistes professionnels, pigistes occasionnels non salariés
Droit commun
Journalistes professionnels, pigistes réguliers salariés
Article L. 132-36
Journalistes professionnels, intégrés salariés
Article L. 132-36
Journalistes professionnels, essentiellement auteurs d’images fixes :
– pigistes occasionnels non salariés ;
Droit commun
– pigistes réguliers salariés ;
Article L. 136-41
– journalistes intégrés
Article L. 132-36
Journalistes professionnels, accessoirement auteurs d’images fixes :
– pigistes occasionnels non salariés ;
Droit commun
– pigistes réguliers salariés ;
Article L. 132-36*
– journalistes intégrés salariés
Article L. 132-36*
Journalistes professionnels des services de communication audiovisuelle
Droit commun**
* La question de l’intégration de leurs œuvres graphiques dans le champ d’application de l’article L. 132-36 reste ici posée.
** Application de l’article L. 132-24 du Code de la propriété intellectuelle et autres textes spécifiques au secteur de l’audiovisuel.
(6) L’article L. 132-35 dispose en effet que « sont exclus les services de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication ». (7) Rapport n° 396 (2008-2009) de M. Michel Thiollière, fait au nom de la Commission des affaires culturelles, déposé le 12 mai 2009 : « Ce secteur doit, en effet, faire face à
des difficultés économiques structurelles liées à l’explosion de l’offre numérique et à la très grande précarisation de la situation des photographes : en effet, ces journalistes sont, pour la plupart
d’entre eux, rémunérés à la pige et tirent une part essentielle de leurs revenus des ré-exploitations de leurs images ». (8) Cass. soc., 17 nov. 2004, n° 02-45.892, Legifrance : « Mais attendu
qu’après avoir constaté que le dessinateur-pigiste avait collaboré durant 18 années à la rédaction du quotidien de manière constante et régulière, la Cour d’appel a retenu qu’il n’avait pas la
liberté du choix des dessins qui lui étaient commandés et devait respecter les dates de leur remise ; qu’elle a pu en déduire que la présomption de subordination établie par l’article L. 761-2 du
Code du travail n’était pas détruite » – Cass. soc., 13 mai 1996, n° 94-42.166, Legifrance : « Mais attendu que la Cour d’appel, après avoir procédé à l’analyse des bandes dessinées conçues
par M. X. et constaté que ces œuvres qui n’étaient pas de pure fiction mais illustraient les sujets d’actualité développés par le magazine, a exactement décidé que l’intéressé avait la qualité
de journaliste professionnel au sens de l’article L. 761-2 du Code du travail (…) » – Cass. soc., 24 nov. 1966, Legifrance : « Mais attendu que l’arrêt attaqué constate que l’activité exercée au
sein de la société par X qui avait depuis 1946 la carte de journaliste professionnel, n’était pas celle d’un simple monteur de dessins, d’un dessinateur d’exécution géométrique ou purement
fantaisiste, mais qu’il produisait des illustrations relatives à l’orientation professionnelle actuelle de la femme (militaire, technicien d’aviation, préparatrice de pharmacie) et à des reportages sur
certains événements tels que les fêtes de Noël, de la Chandeleur, de Pâques, du 11 Novembre, etc. ; qu’il répondait ainsi à la définition de reporter-dessinateur (…) ; qu’en déduisant de ces
constatations que X devait être considéré comme reporter-dessinateur, assimilé aux journalistes professionnels et, à ce titre, bénéficier de leur statut, la Cour d’appel, loin de violer les textes visés
au moyen, en a fait une exacte application ». (9) La cession de droit attachée à l’existence d’un contrat de travail pourrait avoir cette curieuse conséquence de voir les éditeurs de presse soutenir
que des journalistes occasionnels ont bien la qualité de salarié. Le professeur Derieux écrit ainsi (in Loi du 12 juin 2009, Restriction des droits d’auteurs des journalistes, RLDI 2 009/51, n° 1698)
que : « La commande entraîne l’application de la présomption de salariat, posée par l’article L. 7112-1 du Code du travail (…) et les conséquences que, théoriquement, ce statut, à lui seul, ne
devrait pas avoir non seulement sur la titularité mais même sur la “jouissance” du droit d’auteur ! Cette présomption de salariat (dont certains syndicats de journalistes, en 1974, avaient cru
pouvoir faire une victoire) s’avère-t-elle finalement si avantageuse pour les journalistes ? »
84
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
La cession légale porte sur les œuvres
du journaliste réalisées dans le cadre
du titre auquel il contribue, de manière
permanente ou occasionnelle, que ces
œuvres soient ou non publiées. Elle ne
vise naturellement que les œuvres originales au sens des articles L. 112-1 et
suivants du Code de la propriété intellectuelle (10).
A. – Les œuvres réalisées dans
le cadre d’un titre de presse
Si la notion de titre de presse fait l’objet
d’importants développements, la réalisation de l’œuvre dans le cadre dudit titre
ne fait l’objet d’aucune précision légale.
Il faut ici s’interroger sur les incidences
de la notion de contribution permanente
ou occasionnelle quant aux œuvres incluses dans la cession légale et sur celles
résultant du rattachement des œuvres à
un titre de presse initial.
il est attaché, ou à exécuter son contrat
de travail selon un mode d’expression
différent, cette modification doit faire
l’objet d’un accord dans les conditions
prévues à l’article 20 (11).
Comme nous l’avons vu précédemment
la notion de collaboration occasionnelle,
décidément malheureuse, n’avait sans
doute pour objet, dans l’esprit du législateur, que d’intégrer les journalistes
pigistes salariés dans le mécanisme légal.
En faveur d’une interprétation extensive
de l’article L. 132-36, on pourrait encore s’appuyer sur la définition du titre
de presse. L’article L. 132-35 le définit
comme l’organe de presse à l’élaboration duquel le journaliste professionnel
a contribué, sans distinguer selon que
cette contribution est permanente ou
occasionnelle. Dès lors que le journaliste
collabore avec un employeur qui édite
plusieurs titres de presse, il importerait peu que les œuvres soient issues de
Les oeuvres réalisées
par des journalistes dans
le cadre de titres
de presse auxquels ils ne
sont contractuellement
pas rattachés devront
être cédées à l’employeur
conformément au droit
commun.
1°/ Incidence de la notion
de contribution permanente
ou occasionnelle
a) La question des œuvres conçues
hors mission contractuelle
Dès lors que les textes visent une collaboration permanente ou occasionnelle,
il pourrait être de prime abord soutenu
que les œuvres occasionnellement réalisées dans le cadre d’un titre de presse
sont nécessairement incluses dans la
cession. Ainsi, la réalisation d’œuvres
journalistiques en dehors des missions
permanentes dévolues aux journalistes
en application des dispositions de leur
contrat de travail s’inscrirait pleinement
dans l’hypothèse légale.
Il est cependant douteux que la cession
légale puisse s’appliquer à l’œuvre d’un
journaliste qui aura ponctuellement accepté de collaborer à un titre de presse
auquel il n’est pas contractuellement
rattaché conformément au formalisme
imposé par les articles 8 et 20 de la
convention collective. En effet, l’article 8
dispose que si un journaliste est appelé
par son employeur à collaborer à un
autre titre que celui ou ceux auxquels
collaborations accessoires ou principales
à l’un quelconque de ces titres sous réserve, le cas échéant, qu’ils appartiennent à une même famille cohérente de
presse (12).
Mais ce serait là confondre les conditions de conception de l’œuvre journalistique avec celles relatives au domaine
d’exploitation cédé. Ce n’est pas parce
que l’œuvre aura été créée pour un
titre appartenant à une même famille
cohérente de presse incluant un ou plusieurs titres relevant des missions permanentes du journaliste que les droits
patrimoniaux attachés à cette œuvre
seront nécessairement cédés à l’employeur. Il est également nécessaire que
cette œuvre soit conçue dans le cadre
d’une relation contractuelle conforme
aux dispositions de la convention collective.
À ce titre, l’article L. 7111-5-1, introduit dans le Code du travail par la loi
du 12 juin 2009, n’a que partiellement
étendu le champ légal d’intervention
des journalistes. Cet article dispose en
effet que « la collaboration entre une
entreprise de presse et un journaliste
professionnel porte sur l’ensemble des
supports du titre de presse tel que défini
au premier alinéa de l’article L. 132-35
du Code de la propriété intellectuelle, sauf
stipulation contraire dans le contrat de
travail ou dans toute autre convention
de collaboration ponctuelle ». Cette polyvalence reste donc limitée aux supports
constituant les déclinaisons du titre,
l’intervention d’un journaliste sur un
titre autre que celui auquel il collabore
habituellement restant subordonnée à
son accord conformément à l’article 8
de la convention collective.
Il est douteux qu’un accord collectif
puisse régler cette difficulté. D’une part,
un tel accord ne peut comporter de stipulations moins favorables aux salariés
que les dispositions légales en vigueur
(article L. 2251-1 du Code du travail). À ce titre, les
articles L. 132-35 et suivants du Code
de la propriété intellectuelle, bien que
muets sur la question, impliquent que
l’œuvre ait été conçue par un journaliste salarié dans le cadre de son contrat
de travail ; si elle lui est extérieure, la
condition déterminante de la cession, à
savoir la relation salariée, fait défaut.
D’autre part, si une convention ou un
accord d’entreprise peut comporter des
stipulations nouvelles et des stipulations
plus favorables aux salariés que celles
résultant des conventions de branche ou
des accords professionnels ou interprofessionnels applicables (article L. 2253-1 du Code
du travail), la clause de l’accord d’entreprise
se heurterait aux dispositions des articles 8 et 20 de la convention collective
en ce qu’elle constituerait une stipulation
moins favorable.
Dès lors, les œuvres réalisées par des
journalistes dans le cadre de titres de
presse auxquels ils ne sont contractuellement pas rattachés devront être cédées
à l’employeur conformément au droit
PERSPECTIVES ANALYSE
II. – LES CONTRIBUTIONS
VISÉES PAR LE TEXTE
>
(10) Pour celles des contributions qui ne constituent pas des œuvres de l’esprit, la protection des bases de données ou, plus simplement, la « propriété matérielle » des fichiers dits « professionnels »
reconnue à l’employeur par la jurisprudence doivent en principe recevoir application. (11) Cet article dispose notamment qu’un échange de lettres sera nécessaire chaque fois qu’interviendra une
modification du contrat de travail. (12) L’article L. 132-39 dispose en effet que : « Lorsque la société éditrice ou la société qui la contrôle, au sens de l’article L. 233-16 du Code de commerce,
édite plusieurs titres de presse, un accord d’entreprise peut prévoir la diffusion de l’œuvre par d’autres titres de cette société ou du groupe auquel elle appartient, à condition que ces titres et le
titre de presse initial appartiennent à une même famille cohérente de presse. Cet accord définit la notion de famille cohérente de presse ou fixe la liste de chacun des titres de presse concernés .
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L A C E S S I O N L É G A L E D E S D R O I T S D ’A U T E U R D E S J O U R N A L I S T E S ( … )
commun. L’employeur préférera sans
doute modifier par avenant le contrat
de travail afin d’étendre le champ d’intervention du journaliste. La démarche
est finalement plus sûre que ne l’est le
recours au formalisme du contrat de
cession. Du reste, la notion de famille
cohérente de presse incite naturellement
à cette extension.
b) Les œuvres conçues selon
un mode d’expression
non contractuel
Reste l’hypothèse des œuvres réalisées
à l’aide d’un mode d’expression différent de celui que le journaliste manie
habituellement. Le phénomène devrait
se répandre dès lors que les nouveaux
supports autorisent le journaliste de
presse à s’essayer à la caméra et au
micro. L’œuvre ainsi créée sera-t-elle
cédée à l’employeur en application de
l’article L. 132-36 si le moyen d’expression utilisé n’a pas été contractualisé
conformément aux exigences posées
par les articles 8 et 20 de la convention
collective ?
La généralité de l’article L. 132-36 plaide
pour la cession dès lors que l’œuvre a été
réalisée dans le cadre du titre de presse
auquel le journaliste est rattaché. Cependant, la pluralité de supports n’a pas en
soi d’incidence sur le mode d’expression.
Au demeurant, là encore, les termes de
l’article 8 de la convention collective
impliquent qu’une œuvre réalisée dans
le cadre du contrat de travail l’ait été
selon un mode d’expression préalablement convenu. Si tel n’est pas le cas,
l’article L. 132-36 ne pourra s’appliquer
à des œuvres réalisées en dehors du
champ d’application du contrat de travail.
2°/ Incidence du rattachement
de l’œuvre au titre de presse
Les œuvres visées par l’article L. 132-36
sont celles réalisées dans le cadre du
titre de presse à l’élaboration duquel le
journaliste contribue.
En application de l’article L. 132-35, le
titre de presse est l’organe de presse
à l’élaboration duquel le journaliste
professionnel a contribué ainsi que l’ensemble des déclinaisons du titre. Les
œuvres originellement réalisées dans le
cadre d’une déclinaison de l’organe de
presse sont-elles pour autant cédées au
même titre que celles originellement réalisées dans le cadre de cet organe (13) ?
Une brève spécifiquement rédigée pour
la déclinaison internet du support papier est-elle soumise au même régime
que la brève rédigée directement pour
le support papier ?
Certes l’organe de presse auquel le texte
fait référence n’est pas, semble-t-il, nécessairement sur support papier. Il peut
avoir été conçu initialement sous un
format électronique avant que ne soit
créée une déclinaison « papier » dudit
support. Si la loi assimile à la publication
dans le titre de presse – supposé « papier » – la diffusion par un service de
communication au public en ligne, elle
vise, dans cette dernière hypothèse, la
diffusion « de tout ou partie » du contenu
du titre de presse (14). C’est donc qu’elle
considère que l’œuvre cédée est avant
tout – exclusivement ? – une œuvre créée
pour le support papier.
Là encore, le texte suscite la confusion.
À quoi bon l’alinéa 3 de l’article L. 13235 dès lors que l’alinéa 1 définit largement le « titre de presse » en y incluant
l’ensemble des déclinaisons, y compris
électronique, du support initial ? C’est
que l’alinéa 3 vise des services de communication en ligne qui ne sont pas des
déclinaisons du support initial au sens
de l’alinéa 1.
L’article L. 132-36 vise sans exception
les œuvres réalisées dans le cadre d’un
titre de presse. Le titre de presse incluant
désormais l’ensemble des supports, sont
bien cédées à l’employeur toutes les
œuvres réalisées par le journaliste dans
le cadre du titre de presse, quel que soit
le support dudit titre pour lequel l’œuvre
a été initialement réalisée.
B. – Les œuvres publiées
ou non : preuves et ébauches
La cession des droits patrimoniaux n’est
pas subordonnée à l’exploitation effective de l’œuvre. Cette disposition permet
à l’entreprise de presse de se constituer,
outre les archives d’œuvres publiées,
un fonds documentaire d’œuvres non
publiées exploitables tant en interne que
pour des opérations relevant du « troisième cercle ».
1°/ L’identification des œuvres
non publiées cédées
Si l’identification des œuvres cédées
publiées ne devrait pas soulever de difficulté particulière, il est à craindre que
l’identification des œuvres cédées non
publiées se révèle plus délicate. L’accord
d’entreprise mettra utilement en place
une procédure destinée à les marquer
du sceau de la cession. On peut à ce titre
imaginer de confier aux rédacteurs en
chef un rôle centralisateur ou d’instituer,
via le système d’information, un dossier
unique destiné à recueillir l’ensemble
des créations journalistiques.
2°/ Quid des projets, ébauches
et autres esquisses ?
Ce procédé d’identification s’avérera
d’autant plus important qu’il faudra
également s’attacher au sort des projets,
ébauches et esquisses qui constitueront,
probablement, la substance quantitativement dominante des œuvres non
publiées. Faute d’exclusion légale, il
faut en effet considérer que les droits
patrimoniaux attachés à ces projets,
ébauches et esquisses sont bel et bien
cédés à l’employeur. Cela ne signifie
pas pour autant qu’il pourra librement
les exploiter. Le droit moral des journalistes, et plus particulièrement le droit
de divulgation, risque de constituer un
obstacle majeur.
C. – Les œuvres audiovisuelles
Les services de communication audiovisuelle sont expressément exclus
du champ d’application de la cession
légale. Est-ce à dire que les œuvres
audiovisuelles conçues par des journalistes de presse en sont écartées ? Les
supports électroniques d’un organe de
presse qui diffusent, outre des textes,
des vidéos ou autres reportages « audiovisuels » peuvent-ils être assimilés
(13) Laurent Dray écrit ainsi (La réforme du droit d’auteur des journalistes par la loi n° 209-669 du 12 juin 2009, Comm. com. électr. 2009, n° 9, étude 10) : « Une interprétation stricte pourrait
laisser croire que seule une publication reprise dans un titre publié à l’identique sur un nouveau support entre dans le champ d’application du texte. Toutefois la référence à “l’ensemble des
déclinaisons du titre” devrait permettre d’y intégrer les exploitations qui prolongent et/ou complètent le titre de référence. Nombreux sont en effet les sites qui proposent un contenu différent de
l’édition papier, soit qu’ils développent les sujets traités, soit qu’ils offrent d’autres informations. L’esprit de la loi est d’offrir aux éditeurs une vaste marge de manœuvre quant à l’exploitation des
œuvres journalistiques ; se contenter d’une définition en termes de support ne permettrait pas d’atteindre les objectifs affichés. On peut toutefois s’attendre à un contentieux relatif à l’interprétation
de la notion de “déclinaison du titre ”. » (14) Article L. 132-35, alinéas 2 et 3.
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la loi du 21 juin 2004 (18). Les œuvres
audiovisuelles conçues pour ces supports par des journalistes de presse
seront donc également cédées aux éditeurs (19).
D. – Les œuvres futures
L’article L. 132-36 écarte expressément
la lancinante question de la cession
des œuvres futures (20). Certains accords l’avaient tout simplement ignorée et d’autres l’avaient contournée par
des mécanismes de confirmation d’un
maniement pratique malaisé et dangereux (21).
En tout état de cause, on pouvait douter que cette interdiction soit ici applicable dès lors que la cession ne porte
que sur les œuvres conçues par un
salarié dans l’exercice des fonctions
délimitées par son contrat de travail. La
dérogation à l’article L. 131-1 règle définitivement la question en suggérant,
du reste, qu’elle pouvait être effectivement un obstacle à la pleine efficacité
de la cession légale.
CONCLUSION
Si l’objectif visant à permettre aux entreprises de presse une diffusion multisupport des œuvres journalistiques
semble avoir été atteint, il n’en est pas
de même de l’uniformisation des régimes
applicables aux journalistes et à leurs
réalisations. La sécurité juridique des
éditeurs préconisée par le Livre vert
apparaît quelque peu compromise par
la complexité d’un texte à laquelle les
statuts des journalistes ne sont pas, au
demeurant, étrangers. La négociation
et la rédaction des accords d’entreprise
s’avèrent en pratique délicates. Les subtilités du droit social s’ajoutent à celles,
non moins redoutables, d’un texte mal
écrit. ◆
PERSPECTIVES ANALYSE
à des services de communication audiovisuelle ?
Au terme des articles 1 et 2 de la loi
du 30 septembre 1986 (15), les services
de communication audiovisuelle comprennent les services de télévision, les
services de radio, les services de médias audiovisuels à la demande et des
services résiduels ne relevant pas de la
communication au public en ligne.
S’il faut écarter dans notre hypothèse
les services de télévision et de radio qui
impliquent une réception simultanée
ainsi qu’une suite ordonnée d’émissions,
ainsi que les services de médias audiovisuels à la demande (16), l’incertitude
demeure quant à la catégorie innommée
des services résiduels de communication
audiovisuelle (17).
Reste que les supports électroniques des
titres de presse constitueront le plus souvent des services de communication au
public en ligne au sens de l’article 1er de
Tableau récapitulatif
Types d’œuvres
Régime applicable
Œuvres initialement conçues pour le support papier de l’organe de presse contractuel
Article L. 132-36
Œuvres initialement conçues pour une déclinaison de l’organe de presse contractuel
Article L. 132-36
Œuvres conçues pour un titre autre que l’organe de presse contractuel
Droit commun
Œuvres conçues selon un mode d’expression non contractuel
Droit commun
Projets, ébauches, esquisses
Article L. 132-36 mais droit moral
Œuvres audiovisuelles conçues par des journalistes de presse
Article L. 132-36*
* Sauf si le support de diffusion peut être qualifié de service de communication audiovisuelle.
(15) Loi n° 86-1067 relative à la liberté de la communication. (16) Sont en effet exclus les services dont le contenu audiovisuel est secondaire, ce qui devrait être généralement le cas. Les Smad
sont définis de la manière suivante (art. 2) : « Est considéré comme service de médias audiovisuels à la demande tout service de communication au public par voie électronique permettant
le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de
ce service. Sont exclus les services qui ne relèvent pas d’une activité économique au sens de l’article 256 A du Code général des impôts, ceux dont le contenu audiovisuel est secondaire, ceux
consistant à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échanges au sein de communautés d’intérêt, ceux consistant à assurer, pour
mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le seul stockage de signaux audiovisuels fournis par des destinataires de ces services et ceux dont le contenu
audiovisuel est sélectionné et organisé sous le contrôle d’un tiers. » (17) Cette catégorie est pour le moins obscure et les commentateurs sont, à son sujet, peu prolixes. Relèveraient de cette
catégorie l’exploitation en ligne d’œuvres audiovisuelles (J.-Cl Civil Annexes, Fasc. 1075, n° 130 – avant la loi du 5 mars 2009 sur les services de médias audiovisuels à la demande), le Télétexte
et les guides de programmes selon les travaux préparatoires. (18) « On entend par communication au public en ligne toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques
n’ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur. » (19) Voir,
notamment, Derieux E., La presse : le droit d’auteur des journalistes – Incidences de la loi du 12 juin 2009, Création et inventions de salariés, Colloque de l’Irpi, éd. Litec, p. 71 et s., qui écrit : « les
dispositions relatives aux droits d’auteur des journalistes de la presse écrite (et des extensions de celle-ci au sein des “titres de presse” (…) qui peuvent pourtant être plurimédias ou multimédias
et inclure des œuvres audiovisuelles) constituent, à l’avantage de l’entreprise, et au détriment des journalistes, un véritable bouleversement et une réelle remise en cause de ces droits ». (20) Des
tolérances jurisprudentielles ont pu valider des clauses de cession d’œuvres futures, notamment pour des créations des salariés ; Cass. 1re civ., 4 févr. 1986, n° 83-13.114 , Legifrance : « Mais
attendu, d’une part, que ni la prévision d’une cession automatique des droits de propriété littéraire et artistique au fur et à mesure de l’exploitation ou du règlement éventuels des travaux, ni
celle du transfert des seuls “engagements en cours” à un agent successeur, en particulier relativement à la recherche et à l’utilisation des espaces publicitaires, ne sont constitutifs de la cession
globale d’œuvres futures interdite par l’article 33 de la loi du 11 mars 1957. » – Voir également, CA Lyon, 28 novembre 1991, Juris-Data, n° 1991-603538. (21) Dans un arrêt du 31 mai 2011
(Juris-Data, n° 08/08703), la Cour d’appel de Paris a jugé que : « Considérant que la clause du contrat de travail prévoyant une cession au profit de l’agence de presse au fur et à mesure de leur
création des droits de propriété intellectuelle sur les photographies (…) n’est pas constitutive d’une cession globale d’œuvres futures prohibée (…) qu’il est cependant prévu dans le contrat que
la cession sera confirmée tous les ans dans un document particulier qui identifiera les œuvres en cause ; qu’il n’est pas contesté que cette confirmation annuelle des œuvres cédées n’a jamais eu
lieu ; que la cession des droits d’exploitation sur les photographies (…) n’ayant pas été mise en œuvre régulièrement, il y a lieu d’ordonner la cessation d’exploitation du fonds photographique. »
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RLDI
2570
Si le présent texte contient un certain nombre d’apports appréciables, il n’en demeure pas moins
que la transposition à laquelle il procède est minimaliste ; ce qui peut être regretté.
Tel est le sens de l’analyse de Me Florence Guthfreund-Roland et de Me Élisabeth Marrache (*).
Ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011
relative aux communications électroniques et
transposition du troisième « Paquet télécom »
Par Florence
GUTHFREUNDROLAND
Avocat à la Cour
Associée Simmons
& Simmons LLP
Et Élisabeth
MARRACHE
Avocat à la Cour
Simmons & Simmons LLP
L’ordonnance n° 2011-1012 relative aux
communications électroniques est entrée
en vigueur le 26 août 2011 (JO 26 août, p. 14473
et s.). Cette ordonnance, qui arrive bien
tardivement, transpose en droit interne
les directives du « Paquet télécom 2009 »
(par ex. les directives n° 2009/140/
CE (1) et n° 2009/136/CE, toutes deux
du 25 novembre 2009 (2)) et représente
l’aboutissement d’un long processus
de révision du cadre réglementaire applicable aux communications électroniques. Elle devra être complétée par
des décrets d’application (3), dont un
premier projet a été soumis à consultation au mois de juin 2011 (4).
Compte tenu de l’urgence (5) et du caractère réputé quasi mécanique (6) de cette
transposition, le recours à une procédure
d’ordonnance – autorisé par la loi du
22 mars 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation
au droit de l’Union européenne – s’est
imposé. Toutefois, si ce processus ne
bouleverse pas le cadre juridique mis
en place par le « Paquet télécom » de
2002 (deuxième « Paquet télécom »), mais tend
plutôt à réaliser des aménagements de
ce cadre, il comporte des avancées non
négligeables, qui auraient pu être plus
importantes si le Gouvernement avait
saisi la chance d’utiliser les marges de
manœuvre offertes par le législateur
européen.
L’ordonnance est un texte fourre-tout
qui modifie à la fois le Code des postes
et communications électroniques (CPCE),
le Code de la consommation et la loi
« Informatique et libertés » du 6 janvier
1978. Les apports du nouveau dispositif portent essentiellement, d’une part,
sur le renforcement de la régulation et
une meilleure gestion du spectre (I), et,
d’autre part, sur une plus grande protection des consommateurs et des données
à caractère personnel (II).
I. – UNE RÉGULATION
RENFORCÉE DU SECTEUR
DES COMMUNICATIONS
ÉLECTRONIQUES
Outre la création au niveau de l’Union
européenne de l’Orece, le dispositif
de 2009 apporte d’importantes modifications du point de vue de la réglementation sectorielle des communications
électroniques et de la gestion du spectre.
S’agissant de la gestion du spectre, l’ordonnance introduit diverses mesures :
réaffirmation du principe de délivrance
d’autorisations générales, renforcement
des pouvoirs de l’Agence nationale des
fréquences, abolition de la libre utilisation des dispositifs de brouillage, ou
encore la possibilité pour l’Arcep d’abroger une autorisation accordée lorsqu’elle
n’a pas été mise en œuvre à l’expiration
d’un certain délai ou de délivrer des
autorisations expérimentales.
Mais les apports de l’ordonnance se
manifestent surtout au travers de nouvelles prérogatives accordées à l’Arcep
et destinées à favoriser la neutralité de
l’internet et des réseaux (A) et, de façon
plus générale, à redynamiser le secteur
des communications électroniques (B).
A. – La neutralité de l’internet
en filigrane du renforcement
des prérogatives de l’Arcep
La question de la neutralité des réseaux
et de l’internet a été, à l’instar de ce qui
s’est passé aux États-Unis (7), au cœur
d’intenses débats lors de l’élaboration et
de la transposition du troisième « Paquet
télécom » (8).
Pourtant, alors que les principes de
neutralité technologique et des services
(*) Article rédigé avec le concours d’Édouard Roger. (1) À laquelle est annexée une déclaration de la Commission sur la neutralité de l’internet. (2) Le règlement n° 211/2 009 du 25 novembre
2009 instituant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece ou Berec, en anglais) étant d’application immédiate et la déclaration de la Commission sur la
neutralité de l’internet annexée à la directive n° 2009/140/CE n’ayant pas de caractère contraignant pour les États membres, seules les directives nécessitaient des mesures de transposition.
(3) Étant précisé que la date limite de transposition des textes communautaires concernait l’ensemble des mesures devant être prises par les États membres, y compris celles de nature
réglementaire. (4) <www.telecom.gouv.fr/fonds_documentaire/consultations/11/dispositionsreglementaires.pdf>. (5) La date limite de transposition des deux directives étant fixée au 25 mai
2010. (6) Étude d’impact jointe au projet de loi, p. 103. (7) Les règles de la Federal Communications Commission sur la neutralité du net devant d’ailleurs entrer en vigueur prochainement.
(8) Dont les implications sont très larges, y compris en matière de données personnelles (voir l’opinion du contrôleur européen de la Protection des données en date du 7 octobre
2011 sur la neutralité du net, la gestion de trafic et la protection des données personnelles : <www.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/Consultation/
Opinions/2011/11-10-07_Net_neutrality_EN.pdf>).
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Informatique I Médias I Communication
par la Commission européenne annexée à l’une des deux
directives et, désormais, d’une résolution du Parlement
européen (9)).
Selon l’Arcep (10), le principe de neutralité des réseaux et de l’internet suppose
que chaque utilisateur ait accès, à travers
l’internet et, plus généralement, les réseaux de communications électroniques
(quel que soit le support de diffusion), à l’ensemble
des contenus, services et applications véhiculés sur ces mêmes réseaux, quelle
que soit la personne qui les délivre ou
les utilise, de façon transparente et non
discriminatoire. Les débats relatifs à la
neutralité de l’internet qui ont rythmé l’élaboration et la transposition du troisième
« Paquet télécom » ont eu pour toile de
fond la volonté des fournisseurs d’accès à
internet de faire payer une redevance aux
fournisseurs de contenus qui consomment
le plus de bande passante afin de financer
le développement de leurs infrastructures,
mais aussi les méthodes de gestion de trafic employées par les fournisseurs d’accès.
En France, on se souvient notamment de
Neuf Cegetel qui avait bridé l’accès de
ses abonnés à Dailymotion au cours de
négociations commerciales portant sur
un accord de peering ou, plus récemment, du différend opposant Orange à
Cogent (Megaupload), ce dernier accusant
l’opérateur de brider l’accès à ses abonnés pour favoriser sa filiale OpenTransit.
Toutefois, l’absence d’affirmation de
ce principe n’est qu’apparente dans la
mesure où certaines des nouvelles prérogatives confiées à l’Arcep sont destinées
à contribuer au respect du principe de
neutralité des réseaux et de l’internet afin
d’assurer une concurrence effective et
loyale entre fournisseurs et exploitants
de réseaux. Il en va ainsi de l’extension
de son pouvoir de règlement des différends à ceux portant sur « les conditions réciproques techniques et tarifaires
d’acheminement du trafic entre un opérateur et une entreprise fournissant des
services de communication au public en
ligne » (11). L’Arcep pourra donc désormais être amenée à régler des différends
relatifs à certains accords entre opérateurs et fournisseurs de contenus, par
exemple entre un hébergeur de vidéos
et un opérateur.
Par ailleurs l’Arcep se voit accorder le
pouvoir d’imposer un niveau minimal
de qualité de service. Cette disposition
devrait lui permettre de mettre un frein
à la tentation que pourraient avoir les
opérateurs de financer leurs investissements en développant discrimination
tarifaire et services gérés. Néanmoins,
il faut souligner qu’il n’est question que
d’exigences « minimales » de qualité, là
où certains demandaient des exigences
de qualité « suffisantes ». Le Gouvernement n’a cependant pas osé franchir le
pas. Cette nouvelle prérogative n’est pas,
du reste, sans susciter d’interrogations
sur sa mise en œuvre, notamment sur
les modalités de réalisation des mesures
de la qualité de service.
Ces nouvelles prérogatives participent à
un mouvement plus général d’accroissement des pouvoirs de l’Arcep.
B. – Un phénomène s’inscrivant
dans le cadre plus général d’un
accroissement des pouvoirs
de l’Arcep
En premier lieu, et conformément à la
directive n° 2009/140, l’ordonnance
comporte des dispositions tendant à accroître l’indépendance de l’Arcep (12)
qui sont bien loin du projet avorté du
Gouvernement d’instaurer un commissaire du Gouvernement au sein du régulateur (13).
Des dispositions sont introduites afin
d’accélérer le déploiement de réseaux
de nouvelle génération, reposant sur un
certain degré de mutualisation. Ainsi,
les autorités compétentes en matière
de régulation des communications
électroniques doivent désormais tenir
compte (14), lorsqu’elles « fixent des obligations en matière d’accès, du risque assumé par les entreprises qui investissent
et autoriser des modalités de coopération
entre les investisseurs et les personnes
recherchant un accès, afin de diversifier
le risque d’investissement dans le respect
de la concurrence sur le marché et du
principe de non-discrimination ».
Le nouveau cadre régissant les communications électroniques vient compléter
les règles existantes relatives à l’accès.
L’ordonnance impose à l’Arcep (15) de
prendre en compte, dans son appréciation du caractère proportionné des obligations d’accès qu’elle peut imposer, la
nécessité de préserver la concurrence
à long terme en apportant une attention particulière à la concurrence effective fondée sur les infrastructures. De
même, les lignes établies à l’intérieur
d’immeubles (16) ainsi que les « ressources associées » aux infrastructures
physiques (17) entrent désormais dans le
champ du pouvoir dont est dotée l’Arcep
d’imposer à un opérateur de faire droit
à des demandes d’accès.
On assiste à travers ces dispositions
à la recherche d’un difficile équilibre
entre, d’un côté, le désir de favoriser la
mutualisation et, de l’autre, la volonté
de développer la concurrence par les
infrastructures (18). Le dispositif mis
en œuvre par l’ordonnance contraste
avec l’idée parfois avancée de créer une
entité dédiée pour le développement
des infrastructures afin que les coûts
y afférents soient entièrement mutualisés et que la concurrence ne s’exerce
qu’au niveau des services – idée justifiée
notamment par l’augmentation exponentielle des coûts liés au déploiement
des réseaux de nouvelle génération et
le développement de nouveaux usages
toujours plus gourmands en bande passante. À cet égard, il est intéressant de
noter que Mme Kroes (commissaire européen en
charge du Numérique) envisage une consultation publique (19) sur de nouveaux
modèles réglementaires pour encourager
les investissements dans la fibre optique,
laquelle peine toujours à se développer
en Europe.
D’autre part, l’ordonnance introduit de
nouvelles mesures de régulation asymétrique dont l’importance doit être
soulignée. L’Arcep se voit ainsi attribuer
des pouvoirs de séparation fonctionnelle (20), conformément aux directives.
Ce procédé, utilisé pour la première
fois au Royaume-Uni à l’encontre de
PERSPECTIVES ANALYSE
sont désormais affirmés expressément
par l’ordonnance à l’article L. 32-1, 17°,
du CPCE, elle ne fait aucune référence
explicite au principe de neutralité des
réseaux et de l’internet. Les directives ne
prévoient d’ailleurs pas expressément ce
principe (tout au plus fait-il l’objet d’une déclaration
>
(9) Résolution du Parlement européen n° B7-0000/2011. (10) Arcep, Neutralité de l’internet et des réseaux – Propositions et recommandations, sept. 2010. (11) Article 18 de l’ordonnance
modifiant l’article L. 36-8 II 5° du CPCE. (12) Article 31 de l’ordonnance. (13) Arcep, La nomination d’un commissaire du Gouvernement définitivement refusée, 9 mars 2011, <Le Monde.fr>.
(14) Article L. 32-1, 3° bis, du CPCE. (15) Article L. 38 du CPCE. (16) Article 9 de l’ordonnance. (17) (Ces infrastructures font désormais l’objet d’une définition à l’article L. 32 du CPCE et désignent
essentiellement les pylônes, antennes, etc. 18) Voir le débat au cours du colloque « Croissance, innovation, régulation » de l’Autorité. (19) Reuters, L’UE cible les opérateurs historiques pour doper
la fibre, 2 octobre 2011. (20) Article L. 38-2 du CPCE.
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British Telecom et accueilli avec un
certain enthousiasme par l’Autorité de
la concurrence, représente un ultime
recours visant à séparer les activités
d’accès de celles de services d’un opérateur puissant afin de remédier à une
situation où la concurrence ferait toujours défaut.
En outre, l’Autorité est désormais en
mesure de fixer des obligations aux opérateurs puissants susceptibles d’exercer
un effet de levier sur un segment de marché non régulé, c’est-à-dire d’influencer
un marché sur lequel ils ne sont pas en
position dominante (21).
Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures
qui ne sont pas dictées par les directives.
Ainsi, le texte prévoit des dispositions
ayant pour objectif de renforcer la sécurité et la résilience des réseaux des
opérateurs de communications électroniques à travers la possibilité, pour le
ministre chargé des Communications
électroniques, d’imposer à tout opérateur un audit de ses installations, réseaux
ou services (22).
Ce renforcement des prérogatives de
l’Arcep, presque 12 ans après sa création et alors même qu’une fusion avec
d’autres Autorités (CSA, Hadopi…) était encore récemment envisagée, peut paraître
paradoxal, d’autant que la régulation
ex ante a, comme dans tout secteur réglementé, vocation à progressivement
disparaître au profit de la régulation
ex post (i.e. du droit commun de la
concurrence).
II. – UNE PROTECTION RENFORCÉE
DES DONNÉES PERSONNELLES
ET DU CONSOMMATEUR
L’ordonnance apporte des modifications
bienvenues à la loi n° 78-17 du 6 janvier
1978 et au Code de la consommation.
A. – Données personnelles
L’ordonnance, dans la droite ligne du
nouveau « Paquet télécom », ne se
contente pas de modifier le régime applicable aux cookies ou à la prospection
automatique ; elle met aussi en place
des obligations nouvelles telles que la
notification des violations de données
personnelles.
1°/ Cookies
Les cookies, autrement désignés sous le
terme de témoins de connexion, sont
des fichiers permettant aux sites internet
de stocker des données sur l’ordinateur
de l’internaute auxquelles ils peuvent
accéder ultérieurement et donc d’observer la navigation des internautes, le
plus souvent à des fins de démarchage
commercial. L’article 37 de l’ordonnance
consacre le passage du mécanisme de
l’« opt-out » à celui de l’« opt-in » : désormais l’internaute doit pouvoir consentir
à l’accès ou la création de cookies sur
son ordinateur là où le précédent cadre
ne prévoyait que la possibilité pour l’internaute de pouvoir les désactiver. Ce
consentement doit s’accompagner d’une
information relative aux mécanismes
permettant à l’internaute de revenir sur
sa décision et d’exprimer son refus.
Ce principe fait toutefois l’objet d’aménagements. Ainsi, l’article 37 de l’or-
L’Autorité est désormais
en mesure de fixer
des obligations aux
opérateurs puissants
susceptibles d’exercer
un effet de levier sur
un segment de marché
non régulé, c’est-à-dire
d’influencer un marché
sur lequel ils ne sont pas
en position dominante.
donnance (23) dispose que l’accord de
l’internaute « peut résulter de paramètres
appropriés de son dispositif de connexion
ou de tout autre dispositif placé sous son
contrôle ». Par le biais de cet aménagement, le Gouvernement, faisant preuve
d’un certain pragmatisme, tente de réaliser un compromis entre la protection des
données personnelles des internautes
et la pratique, le principe d’« opt-in »
risquant en effet d’être trop contraignant
tant pour l’utilisateur que pour l’éditeur
du site. Pourtant, si cette intention paraît louable, cette disposition devra être
interprétée à la lumière des précisions
apportées par certaines instances européennes (24) et nationales (25). Tant le
Groupe de l’article 29 (« G29 ») que la Cnil
estiment en effet que l’internaute n’est
pas réputé avoir consenti à la mise en
place d’un cookie en raison des paramètres par défaut de son navigateur ou
de son dispositif de connexion. Il faudra
par conséquent que l’utilisateur puisse
accepter les cookies spécifiquement pour
un site donné et pour un but déterminé,
ce qui suppose que son navigateur soit
paramétré de manière qu’il n’accepte
pas tous les cookies par défaut.
Autre aménagement important : le
consentement de l’internaute n’est pas
requis lorsqu’un cookie est strictement
nécessaire à la fourniture du service ou
qu’il a pour finalité exclusive de permettre ou de faciliter la communication
par voie électronique. En dépit de la formulation très large de cette disposition,
les éditeurs de sites internet devront se
garder d’une interprétation trop extensive. En effet, si des cookies ayant un
caractère essentiellement technique tels
que les cookies de session pourront en
bénéficier, le traitement de cookies émanant de tiers (notamment de régies publicitaires) est
bien moins clair. En tout état de cause,
on peut penser que la Cnil ne manquera
pas d’interpréter cette disposition de manière restrictive. Les éditeurs de sites
internet pourront utilement s’inspirer
de l’Information Commissionner Office
(homologue anglais de la Cnil), qui a mis en place
sur son site (26) un bandeau ad hoc permettant à l’internaute, d’accepter les
cookies utilisés par le site internet qu’il
visite au travers d’une case à cocher.
2°/ Prospection automatique
Si la règle, figurant à l’article L. 34-5 du
CPCE, d’un consentement préalable à
toute forme de prospection automatique
demeure inchangée, la référence à un
système automatisé d’appel ou de communication est substituée à celle d’automate d’appel. L’ordonnance modifie
également l’article L. 121-15-1 du Code
de la consommation en précisant que
tous les messages publicitaires doivent
comporter une adresse ou un moyen
électronique (typiquement un formulaire) permettant au destinataire de transmettre
une demande visant à faire cesser ces
envois, alors même que l’article L. 34-5
précité prévoyait déjà la nécessité
(21) Article L. 37-2 du CPCE. (22) Article L. 33-10 du CPCE. (23) Modifiant l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978. (24) Lettre du Groupe de l’article 29 du 3 août 2011 adressée à l’Easa
(European Advertising Standards Alliance). (25) Cnil, Transposition du Paquet télécom : renforcement des droits des internautes et signalement des failles de sécurité à la Cnil, 19 sept. 2011.
(26) <http://www.ico.gov.uk/>.
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3°/ Les notifications de violations
de données à caractère personnel
La principale nouveauté de l’ordonnance réside dans l’insertion d’un
article 34 bis dans la loi n° 78-17 du
6 janvier 1978, qui dispose qu’« en
cas de violation de données à caractère
personnel, le fournisseur de services de
communications électroniques accessibles au public avertit, sans délai, la
Commission nationale de l’informatique
et des libertés ». Les opérateurs doivent
tenir un inventaire de ces violations.
L’article ajoute que « lorsque cette violation peut porter atteinte aux données
à caractère personnel ou à la vie privée
d’un abonné ou d’une autre personne
physique, le fournisseur avertit également, sans délai, l’intéressé ». Néanmoins, la notification d’une violation
des données à caractère personnel à l’intéressé n’est pas nécessaire si la Cnil a
constaté que des mesures de protection
appropriées ont été mises en œuvre par
le fournisseur afin de rendre les données
incompréhensibles à toute personne
non autorisée (27), en d’autres termes
si les données ont été cryptées.
La notion de violation de données à caractère personnel désigne toute violation
de la sécurité entraînant accidentellement ou de manière illicite la destruction, la perte, l’altération, la divulgation
ou l’accès non autorisé à des données à
caractère personnel faisant l’objet d’un
traitement dans le cadre de la fourniture
au public de services de communications
électroniques.
On peut regretter que le Gouvernement
ne soit pas allé au-delà des textes européens sur ce point. En effet, en restreignant le champ d’application de cette
obligation aux seuls fournisseurs au public de services de communications électroniques (c’est-à-dire essentiellement les opérateurs
de téléphonie et fournisseurs d’accès à internet (28)),
des fournisseurs de contenus tels que
les réseaux sociaux ou les fournisseurs
de services de cloud computing (29) (informatique dans les nuages) ne seront pas tenus
à cette obligation de notification alors
même qu’ils seront sans aucun doute à
l’avenir les plus grands générateurs de
risques pour les individus en matière de
sécurité des données personnelles.
Le récent piratage du Playstation
Network de Sony, au cours duquel ont
été dérobées des millions de données
personnelles et bancaires d’utilisateurs,
a pourtant montré une nouvelle fois que
de telles violations de données personnelles concernent bien d’autres acteurs
que les seuls fournisseurs de services de
communications électroniques. Il aurait
donc été utile d’étendre à tout le moins
cette obligation aux fournisseurs de services de communication au public en
ligne afin d’englober les fournisseurs de
contenus. D’autant que le considérant 59
de la directive n° 2009 /136/CE affirme
le « caractère important s’attachant à la
généralisation du dispositif à tous les
responsables de traitement ».
Ce choix résulte sans aucun doute d’un
certain pragmatisme : une telle obligation représente, à n’en pas douter, une
contrainte extrêmement importante pour
les acteurs auxquels elle s’impose et
l’étendre à l’ensemble des responsables
de traitement aurait pu constituer un
frein au développement du secteur. En
même temps, on peut se demander si
l’extension du périmètre de cette obligation aux acteurs autres que les seuls opérateurs n’aurait pas permis de renforcer
la confiance du consommateur et par là
même de jouer un rôle de catalyseur du
développement du commerce en ligne.
Quant au contenu de la notification, le
projet de modification du décret n° 20051309 du 20 octobre 2005 (inclus dans le projet de
dispositions réglementaires) prévoit qu’elle devra
préciser « la nature de la violation de données à caractère personnel, les personnes
auprès desquelles des informations supplémentaires peuvent être obtenues ainsi
que les mesures que le fournisseur recommande à la personne concernée de
prendre pour atténuer les conséquences
négatives d’une telle violation ». Enfin,
PERSPECTIVES ANALYSE
d’indiquer, dans le cadre de prospection
directe, des coordonnées valables auxquelles le destinataire puisse transmettre
une demande tendant à obtenir que ces
communications cessent. On peut toutefois s’interroger sur l’articulation et la
redondance de ces deux dispositions et
regretter qu’au minimum une terminologie similaire n’ait pas été utilisée.
l’ordonnance prévoit que la notification doit être effectuée « sans délai »,
c’est-à-dire immédiatement et instaure
également des sanctions pénales en cas
de violation de cette obligation : cinq
ans d’emprisonnement et 300 000 €
d’amende.
B. – Protection du consommateur
L’ordonnance de 2011 prévoit diverses
mesures destinées à renforcer la protection du consommateur (y compris des
personnes handicapées, vis-à-vis desquels les opérateurs ont
l’obligation de proposer un accès aux services de communications électroniques équivalant à celui dont bénéficient
les autres utilisateurs, et ce à un tarif abordable). Il est
intéressant de noter que le Gouvernement n’a pas suivi l’Arcep sur le point
de savoir si ces dispositions devaient être
codifiées dans le CPCE ou le Code de la
consommation. L’Autorité avait en effet
estimé, dans son avis sur le projet d’ordonnance (30), que dans la mesure où
ces dispositions concernaient désormais
l’ensemble des utilisateurs, et non plus
seulement les consommateurs comme
lors de la transposition du second « Paquet télécom », elles devaient figurer
dans le CPCE (31). L’Arcep rappelait
qu’elle ne pouvait intervenir que sur
le fondement des seules dispositions
du CPCE et que la codification de ces
dispositions dans le Code de la consommation la priverait de l’exercice du pouvoir de sanction qui lui est conféré par
l’article L. 36-11 du CPCE en cas de nonrespect de ces obligations.
1°/ Renforcement de
l’information contractuelle
En premier lieu, l’ordonnance instaure
une information renforcée en matière
contractuelle, à destination du consommateur (et non de l’utilisateur final, contrairement à
ce que prévoit la directive n° 2009/136 en son article 20,
restreignant donc la portée de la disposition). Ainsi,
l’article L. 121-83 du Code de la consommation prévoit diverses mentions devant impérativement figurer dans les
contrats conclus entre un consommateur
et un fournisseur de communications
électroniques. Parmi elles, figurent notamment :
– les modes de règlement amiable des
différends, notamment la possibilité de
>
(27) Le projet de modifications du décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 prévoit les modalités de cette disposition aux articles 91-2 et s. (28) Voir Arcep, Étude sur le périmètre de la notion d’opérateur
de communications électroniques, juin 2011. (29) Précité. (30) Avis n° 2011-0524 de l’Arcep du 10 mai 2011 portant sur un projet d’ordonnance relative aux communications électroniques. (31) En ce
sens, le considérant 21 de la directive n° 2009/136 indique que les dispositions en matière de contrats devraient s’appliquer non seulement aux consommateurs mais aussi aux autres utilisateurs finals.
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recourir à un médiateur (lequel devra satisfaire
aux conditions d’impartialité et de compétence posées par
le nouvel article L. 121-84-9 du Code de la consommation (32)) ;
– les procédures mises en place par le
fournisseur pour mesurer et orienter le
trafic, de manière à éviter de saturer ou
sursaturer une ligne du réseau et sur
leurs conséquences en matière de qualité
du service ;
– les restrictions à l’accès à des services
et à leur utilisation, ainsi qu’à celle des
équipements terminaux fournis.
On notera que cette nouvelle transparence des contrats sur la gestion du
trafic et des restrictions d’accès devrait
contribuer à promouvoir le principe de
neutralité des réseaux et de l’internet.
En pratique, on peut toutefois s’interroger sur la pertinence et l’efficacité de
multiplier les mentions obligatoires à
destination des consommateurs dans
la mesure où ces derniers ne les lisent
que rarement, et se demander si leur
information ne pourrait pas être plus
efficacement renforcée par des moyens
complémentaires (pictogrammes…).
2°/ Portabilité
D’autre part, l’ordonnance transpose les
dispositions relatives au délai de portabilité du numéro en cas de changement
d’opérateur, qui passe de dix jours ouvrables à un jour ouvrable pour le fixe
comme pour le mobile. À noter que le délai de portage ne commence à courir qu’à
l’expiration de ce droit de rétractation (33)
de sept jours offert au consommateur (34).
3°/ Service universel
Concernant le service universel, l’ordonnance a opté pour une transposition
minimaliste de la directive. Certes, si le
considérant de la directive qui limitait
explicitement le débit de connexion à
56 Kbps a été supprimé et remplacé par
la référence à « un débit suffisant au
regard des technologies employées », la
directive n’est pas allée jusqu’à imposer l’obligation de fournir du haut débit
comme certains l’espéraient pourtant.
Par les termes vagues utilisés, elle laissait
toutefois une marge de manœuvre aux
instances nationales dans la transposition. Le Gouvernement n’a toutefois pas
saisi cette opportunité et n’est pas allé
au-delà de ce que prévoyaient les textes
communautaires. Pourtant, d’autres
pays ont été plus ambitieux en la matière, comme la Finlande qui a imposé
un débit minimal de 1 Mbps (35).
CONCLUSION
On peut donc globalement regretter que
le troisième « Paquet télécom » ait fait
l’objet d’une transposition minimaliste
alors que le législateur communautaire
laissait aux instances nationales une
certaine marge de manœuvre et qu’elle
disposait de ce fait de la faculté d’orienter
de manière structurante l’évolution du
secteur en allant plus loin notamment sur
le principe de la neutralité des réseaux et
de l’internet et sur l’étendue du service
universel. À n’en pas douter, le recours
à la procédure d’ordonnance n’est pas
étranger à cette transposition minimaliste
et le résultat aurait peut-être été tout autre
si la transposition du troisième « Paquet
télécom » avait été confiée au législateur
et fait l’objet de débats parlementaires. ◆
(32) On peut par ailleurs s’interroger sur ce médiateur : le précédent médiateur des télécommunications pourra-t-il satisfaire à ces conditions ou bien chaque opérateur devra-t-il prévoir un
médiateur ? En outre, les notions d’impartialité et de compétence risquent d’être sujettes à des difficultés d’interprétation. (33) Voir en ce sens l’avis de la députée Laure de La Raudière sur le projet
de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, p. 23. (34) Article L. 121-20
du Code de la consommation. (35) BBC, Finland makes broadband a legal right, 1er juill. 2010.
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Informatique I Médias I Communication
RLDI
PERSPECTIVES ANALYSE
2571
Si la propriété intellectuelle est désormais devenue un facteur incontournable de toute stratégie
d’exportation, un certain nombre d’écueils sont cependant à éviter lors d’une extension
d’activités à l’étranger. Quels sont-ils ? Comment les éviter ?
C’est à la résolution de ces questions que s’attachent présentement
M. Philippe Rodhain et Me Daniel Lasserre.
La propriété intellectuelle
au cœur de l’exportation
I. – LE RÔLE DE LA PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE DANS
LE DÉVELOPPEMENT
À L’INTERNATIONAL
Par Philippe RODHAIN
Conseil en propriété industrielle
Spécialiste en droit commercial
Mandataire européen agréé près l’OHMI
Chargé d’enseignement Bordeaux-IV
A. – Disparité des normes
Et Daniel LASSERRE
Avocat spécialiste en droit commercial
Selas Exeme Action
Les droits de propriété intellectuelle sont
essentiels à l’essor pérenne d’une entreprise en France. Ils le sont d’autant plus
si celle-ci prétend à un développement
à l’international.
La sécurisation des marchés à l’étranger et leur négociation sous forme de
conventions, notamment de contrats
de licence, franchise, distribution ou
d’accords de « joint-venture » avec des
entreprises locales, reposent sur l’existence préalable de droits de propriété
intellectuelle.
Sans la protection qu’ils procurent,
l’entreprise risque non seulement d’être
contrefaite par la concurrence, mais s’expose également au danger d’être ellemême taxée de contrefaçon.
Partant, le fait d’exporter des produits,
en utilisant le nom commercial de l’entreprise, sans avoir déposé de marque,
constitue une erreur de stratégie manifeste.
Il suffit de prendre, pour exemple, le prix
de la communication sur une marque
dont l’exportation se révèle impossible
pour des motifs linguistiques ou juridiques dans le pays cible.
L’objectif ici est donc d’apporter aux
dirigeants un éclairage pratique sur les
principaux écueils à éviter lors d’une
extension d’activités à l’étranger.
Si le droit de la propriété intellectuelle est
encadré par des normes internationales,
bon nombre de législations nationales
présentent encore d’importantes disparités. Un exemple topique est la différence
de législation en matière de brevets entre
les États-Unis, d’une part, où celui-ci
est délivré au premier inventeur, et la
France, d’autre part, où il est délivré au
premier déposant. Le droit d’auteur est
une autre illustration de ces disparités,
la protection naissant dans bon nombre
de pays du seul fait de la création, alors
qu’elle implique, dans d’autres, le dépôt
officiel d’un dessin ou modèle industriel.
Avant même d’exporter, il apparaît
donc du plus grand intérêt de prendre
en compte la législation en vigueur dans
le pays vers lequel on souhaite exporter.
B. – Réalité territoriale
D’aucuns pensent que les droits attachés en France à leur marque, dessin,
modèle ou brevet s’étendent automatiquement au monde entier. Or, le droit de
la propriété intellectuelle est fondé sur
le principe de la territorialité. De ce fait,
les droits ne prennent effet, à de rares
exceptions près, qu’au jour où le titre a
été déposé et enregistré sur un territoire
concerné. Ainsi, une marque enregistrée
en France n’a d’effets que sur le territoire
de l’Hexagone.
Pour être efficiente, la conquête d’un
nouveau marché nécessite, par conséquent, une extension préalable des
droits nationaux, à défaut de quoi la
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concurrence pourrait impunément copier, imiter ou reproduire, sans aucuns
frais d’études préalables, les marques,
produits ou services créés et conçus par
une entreprise exportatrice.
II. – LA MISE EN ŒUVRE DE LA
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
DANS LE DÉVELOPPEMENT
À L’INTERNATIONAL
A. – Protection anticipative des
droits de propriété intellectuelle
L’obtention de certains droits de propriété intellectuelle, dont les brevets,
dessins et modèles industriels, requiert
l’accomplissement de formalités de
protection auprès des Offices nationaux étrangers, et ce dans des délais
réglementés, notamment ceux instaurés
par la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du
20 mars 1883, dits : « délais de priorité
unioniste ».
Cette Convention prescrit un délai de
douze mois pour l’extension des brevets
et de six mois pour celle des marques,
dessins et modèles industriels.
Par cet instrument juridique, tout bénéficiaire d’un dépôt régulier dans un des
États membres de la Convention de Paris
pourra, à l’intérieur des délais de priorité
précités, obtenir une extension de ses
droits, dans tout ou partie des 172 autres
pays adhérents. Ainsi, ce déposant sera
immunisé contre toute divulgation intempestive ou tout droit s’intercalant
entre son dépôt initial et son extension
internationale.
Par ailleurs, pour tenir compte du coût
élevé lié aux procédures nationales (qui
imposent, le plus souvent, la désignation obligatoire de mandataires locaux), des systèmes de protection
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régionaux et internationaux sont prévus
afin de favoriser, à coût réduit, l’extension des droits de propriété intellectuelle.
Partant, il est impératif que l’entreprise
arrête une stratégie de protection réfléchie, à long terme, au regard des mécanismes de protection disponibles, avant
de procéder, dans les délais prescrits, à
l’extension de ses droits nationaux.
B. – Sécurisation des marchés
à l’exportation
Exporter, sans vérifier que les produits
ou services ne portent pas atteinte aux
droits des tiers sur le marché considéré,
peut entraîner de sérieuses déconvenues
financières.
Au-delà du risque de contrefaçon, l’entreprise exportatrice peut également
se heurter à d’autres aléas juridiques,
notamment dans l’hypothèse où elle
exporte des produits dont la fabrication
intègre des licences d’exploitation de partenaires. Pour éviter ce genre d’écueils,
l’entreprise devra s’assurer, avant toute
initiative, que le champ territorial de
ladite licence l’autorise à commercialiser
sur le marché d’exportation.
C. – Contractualisation
avec des partenaires locaux
1°/ Divulgation prématurée
d’informations et défaut
d’accord de confidentialité
Il est malencontreusement fréquent que
l’entreprise exportatrice divulgue des
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informations spécifiques à de futurs
partenaires locaux, sans avoir pris la
précaution de conclure, au préalable,
un accord de confidentialité ou de solliciter une protection anticipative de ses
droits sur le territoire considéré. Or, cette
divulgation prématurée ou exempte de
garanties juridiques suffisantes peut se
révéler hautement préjudiciable. Elle est
susceptible de ruiner la nouveauté du
produit et de s’opposer ainsi à sa protection ultérieure par le dépôt d’un brevet
et/ou d’un dessin ou modèle industriel.
Plus grave encore, un tiers pourrait s’emparer de ces informations pour solliciter,
à son profit, une protection, privant, de
ce fait, l’entreprise de faire commerce
sur le marché considéré.
Il importe donc d’être vigilant et de
s’assurer, avant toute démarche partenariale, des précautions contractuelles
et des protections juridiques qui s’imposent.
2°/ Titularité des droits
de propriété intellectuelle
en cas de sous-traitance
De nombreuses entreprises ont recours
à la sous-traitance internationale. Or, il
n’est pas rare que ces entreprises omettent de protéger leurs droits de propriété
intellectuelle dans les territoires où
celle-ci a lieu. Parfois même elles négligent d’insérer, dans les contrats les liant
aux entreprises étrangères, des clauses
relatives à la propriété des inventions,
créations ou marques.
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Ces omissions risquent in fine d’aboutir
à des malentendus, voire à des conflits,
quant à la titularité des droits de propriété intellectuelle en cause.
3°/ Octroi de licence sans droit
de propriété intellectuelle
Il est essentiel que l’entreprise qui
concède, par exemple, une licence de
fabrication de ses produits puisse garantir le licencié de l’existence de droits de
propriété intellectuelle sur le territoire
contractuel. À défaut, sa responsabilité
pourrait être recherchée, tant au regard
de la nullité du contrat pour défaut d’objet, que sous l’angle délictuel.
CONCLUSION
La propriété intellectuelle est devenue
un facteur incontournable de toute stratégie d’exportation et les entreprises
ont l’impérieuse nécessité d’en tenir
compte, si elles veulent prévenir et
limiter les risques juridiques et commerciaux, tant à l’égard de la concurrence étrangère que de leurs partenaires
locaux.
La protection des droits de propriété intellectuelle doit répondre à une stratégie
à long terme et ne peut se définir au coup
par coup. Certes, cette protection constitue un investissement non négligeable
en termes de temps et de coût, mais elle
est un passage obligé pour sécuriser les
démarches commerciales et assurer une
exportation fiable et durable. ◆
Informatique I Médias I Communication
RLDI
PERSPECTIVES ÉTUDE
2572
L’objectif poursuivi par la présente contribution est d’étudier, au regard des droits de l’Homme
et de la prohibition des clauses abusives, la possibilité, le cas échéant les modalités, du recours
à l’arbitrage en matière de contentieux du « cloud computing », dans les litiges opposant
les individus consommateurs à leurs cocontractants professionnels.
Cloud computing : validité du recours
à l’arbitrage ? (partie I)
Droits de l’Homme et clauses abusives
Par Jean-Philippe
MOINY
Aspirant FRS-FNRS au Crid
(FUNDP, Namur)
INTRODUCTION
L’arbitrage constitue-t-il une voie
possible de règlement des différends
du cloud computing impliquant des
consommateurs ? Les droits européens
– CEDH (III) et directive n° 93/13 ainsi
que la nouvelle directive relative aux
droits des consommateurs (1) (II) – permettent-ils la convention d’arbitrage
liant l’individu consommateur avant la
naissance d’un différend, par exemple,
dans les conditions générales du contrat
de service ? Ces règles relèvent-elles de
l’ordre public et à quelles situations internationales sont-elles susceptibles de
s’appliquer (IV) ? C’est à ces questions
que la présente contribution tente de répondre. Bien entendu, le droit national a,
le premier, vocation à s’appliquer en cas
de litige. Les textes internationaux précités n’interviennent qu’à titre subsidiaire,
en cas de défaut des règles nationales.
Le droit belge est principalement choisi à
titre d’exemple, même si d’autres droits
nationaux (français, espagnol, américain) sont
occasionnellement évoqués lorsqu’ils
illustrent opportunément l’analyse.
En particulier, le propos est centré sur
la forme « la plus contraignante » de
recours à l’arbitrage. On vise le « predispute binding arbitration » (2), auquel
les termes « clause d’arbitrage » font référence dans la suite des développements,
pour plusieurs raisons. D’abord, de manière générale, il convient de souligner
qu’il existe actuellement une véritable
tendance à vouloir limiter le recours aux
procédures judiciaires classiques (3),
même si la doctrine doute que l’arbitrage
des litiges de consommation joue un rôle
significatif en matière d’« Online Dispute
Resolution » (ODR) (4). Et c’est d’ODR
dont il est question en l’espèce (5). Il
importe de joindre à cette tendance les
vœux du législateur européen. Ainsi,
en matière de « services de la société de
l’information » (6), les États membres
doivent même veiller à ce que le droit
national ne fasse pas obstacle aux voies
extrajudiciaires de règlement des différends (7). Ensuite, on conçoit, comme
un postulat, que les entreprises puissent
souhaiter maîtriser le déroulement de
litiges internationaux en insérant une
clause d’arbitrage dans les conditions générales de leurs services du cloud – des
services de la société de l’information.
L’arbitrage, modelable au gré des parties, permettrait, quels que soient ses
avantages et inconvénients (8), de trancher le différend sans être confronté à
la complexité de la justice étatique dans
un contexte international. Enfin, on vise
le recours obligatoire à l’arbitrage, parce
que ce caractère obligatoire est justement
un élément dont dépend le succès des
ODR (9).
Il importe de le concéder, la question
de droit abordée n’est pas neuve et
constitue certainement un classique
des problématiques de la gouvernance
d’internet. Il n’empêche, le cloud computing en rappelle l’actualité. On ne
s’appesantira pas une fois de plus sur
la place des « TIC » et d’internet dans
la société. Opportunément, il est plutôt
proposé de saisir l’occasion de définir
le cloud computing qu’offre la présente
contribution juridique (I). Au-delà des
aspects juridiques étudiés, la description du cloud présente un intérêt certain
pour le juriste qui y est de plus en plus
confronté.
En quelques mots, nous soutiendrons
que les droits européens – Conseil de
l’Europe et Union européenne – étudiés
laissent en théorie une place aux clauses
d’arbitrage en matière de contrats
conclus par les consommateurs. Alors
que les droits nationaux (toujours européens)
>
(1) Directive (CEE) n° 93/13 du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, JOCE 21 avr. 1993, n° L. 95 ; Proposition de directive
du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs, COM (2008) 614 final, ci-après « la nouvelle directive ». À l’heure de la rédaction des présentes lignes, le texte définitif
de cette nouvelle directive n’a pas encore été adopté. (2) Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States, North Carolina Journal of International
Law and Commercial Regulation, 2002, vol. 28, p. 362. Au sujet des différentes possibilités d’arbitrage, voir p. 361-362. (3) (Schultz T., Human rights : a speed bump for arbitral procedures ? An
exploration of safeguards in the acceleration of justice, International Arbitration Law Review, 2006, 9 (1), p. 23. (4) Voir Schultz T. et Kaufmann-Kohler G., Online Dispute Resolution, Challenges
for Contemporary Justice, Kluwer, 2004, p. 169. (5) Voir. infra, n° 0 et, en particulier, les notes de bas de page nos 142 et 143. (6) Voir l’article 1er, 2), a), de la directive (CE) n° 98/48 du Parlement
européen et du Conseil du 20 juillet 1998, portant modification de la directive n° 98/34/CE prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques,
JOCE 5 août 1998, n° L 217. En droit belge, voir l’article 2, 1°, de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information, M.B., 17 mars 2003. (7) Voir
l’article 17, § 1er, de la directive (CE) n° 2000/31 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment
du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), JO 17 juill. 2000, n° L 178. (8) Voir infra, n° 0. (9) Cortes P., Developing online dispute resolution
for consumers in the EU : a proposal for the regulation of accredited providers, International Journal of Law & Information Technology, 2011, 19 (1), p. 16.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
95
C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
s’y opposent plutôt. Cette place, très
exigeante en pratique, serait toutefois
réservée au prix d’un contrôle renforcé,
par le juge, des arbitrages et sentences
au regard de l’ordre public.
Finalement, le propos est synthétisé dans
une conclusion questionnant la possibilité du recours à l’arbitrage, dans le cadre
du cloud computing, en matière de droits
de l’Homme. Il importe de donner un cas
où ce mode de règlement des différends,
pourtant dans un contexte sensible, mériterait d’être envisagé : celui du droit
d’accès en matière de protection des personnes à l’égard du traitement automatisé
de données à caractère personnel (10).
I. – CLOUD COMPUTING
1. Les auteurs sont partagés quant à
la « nouveauté » du cloud computing
et les éventuelles révolutions qu’il entraîne. Certains considèrent que le cloud
constitue un nouveau paradigme informatique (11) : « the next computing platform » (12) ou « a dominant model of enterprise computing » (13) qui va changer
la façon dont les applications sont écrites
et distribuées (14), et qui a également
le potentiel de modifier l’organisation
et la conduite des affaires (15). Si bien
que l’infrastructure du cloud « will approach the same level of economic critical
dependency as electricity, gas, water and
telephony » (16).
Mais, si prometteur puisse-t-il être, le
cloud computing ne constitue pas une
technologie totalement neuve (17). « The
basics behind cloud computing are not
new » (18) ; le cloud n’est que le résultat
de la convergence de technologies déjà
existantes. En ce sens, « cloud computing
is not so much a new technology as a
new way to deliver existing services » (19).
D’aucuns considèrent dès lors qu’il n’est
qu’un pur effet de mode et rien de bien
neuf (20). C’est vrai, le cloud est à la mode.
D’ailleurs depuis 2009 et jusqu’en 2010,
il a atteint le pic d’« attentes exagérées »
(« peak of inflated expectations ») du Gartner’s Hype Cycle for Emerging Technologies, et l’on s’attendra donc à ce qu’il descende – à quelque terme que ce soit – vers
un creux de désillusion (« trough of disillusionment ») (21). D’autres encore sont
plus pessimistes et jugent qu’il constitue
un piège pour enfermer les utilisateurs
dans des « proprietary systems » (22), à
savoir, par opposition aux logiciels libres,
des applications sous licence, protégée
par les droits exclusifs de leur auteur. Le
cloud pourrait d’ailleurs être à la base de
cette évolution de l’internet crainte par
J. Zittrain (23).
2. Quoi qu’il en soit, la doctrine juridique
commence à s’intéresser directement au
cloud en tant que tel (24). Il n’est plus
un objet indirect de réflexion via l’une
ou l’autre de ses instances telles que
les réseaux sociaux en ligne (25). Mais
qu’est-ce ? Parmi les nombreuses définitions qui ont été proposées (26), nous
retiendrons comme socle de base, celle
du National Institute of Standards and
Technology (27) (Nist) qui semble bien
synthétiser la question : « Cloud computing is a model for enabling ubiquitous,
convenient, on-demand network access
to a shared pool of configurable computing resources (e.g., networks, servers,
storage, applications, and services) that
can be rapidly provisioned and released
with minimal management effort or service provider interaction » (28).
(10) En droit de l’Union européenne, voir directive (CE) n° 95/46 du Parlement et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données
à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JOCE 23 nov. 1995, n° L 281, p. 31. En droit du Conseil de l’Europe, voir Convention n° 108 du Conseil de l’Europe pour la protection
des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, signée à Strasbourg le 28 janvier 1981 ; Protocole additionnel à la Convention pour la protection des personnes
à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données, signé à Strasbourg le 8 novembre 2001.
(11) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, ACM SIGCOMM Computer Communication Review, janvier 2009, vol. 39, n° 1,
<http://ccr.sigcomm.org/drupal/files/p50-v39n1l-vaqueroA.pdf>, p. 50 ; Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, 2008, <http://www.cs.ucsb.edu/~lyouseff/
CCOntology/CloudOntology.pdf>, p. 1 ; Frost & Sullivan, Chandrasekaran A. et Kapoor M., State of Cloud Computing in the Public Sector – A Strategic analysis of the business case and overview of
initiatives across Asia Pacific, 2010, <http://www.frost.com/prod/servlet/cio/232651119>, p. 3 ; Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud: The Next Computing Paradigm,
20 mars 2009, <http://marketspacenext.files.wordpress.com/2011/01/envisioning-the-cloud.pdf>. (12) Kushida K.E., Murray J. et Zysman J., Diffusing the Cloud : Cloud Computing and Implications
for Public Policy, Journal of Industry, Competition, and Trade, juin 2011, <http://www.springerlink.com/content/0102m443m6522v1u/fulltext.pdf>, p. 2. (13) Cisco IBSG, Craig R., Frazier J., Jacknis N.,
Murphy S., Purcell C., Spencer P. et Stanley J.D., Cloud Computing in the Public Sector : Public Manager’s Guide to Evaluating and Adopting Cloud Computing, White Paper, nov. 2009, <www.cisco.
com/web/about/ac79/docs/wp/ps/Cloud_Computing_112309_FINAL.pdf>, p. 2. (14) Précité, p. 5. (15) Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud : The Next Computing
Paradigm, précité, p. ii. (16) Kushida K.E., Murray J. et Zysman J., Diffusing the Cloud : Cloud Computing and Implications for Public Policy, précité, p. 6. (17) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J.
et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité, p. 50 ; Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 1. Même l’emploi du
terme « cloud » n’est pas neuf, voir Jefferey K. et Neidecker-Lutz B. (Eds), The Future Of Cloud Computing, Opportunities For European Cloud Computing Beyond 2010, Report written for the European
Commission, Information Society and Media, public version 1.0, 2010, <http://cordis.europa.eu/fp7/ict/ssai/docs/cloud-report-final.pdf>, p. 5. (18) Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J.,
Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing : Defining and Describing an Emerging Phenomenon, 17 juin 2008, <www.emory.edu/BUSINESS/readings/CloudComputing/Gartner_
cloud_computing_defining.pdf>, p. 5. Au sujet des technologies permettant le cloud, voir Furht B., Cloud Computing Fundamentals, in Handbook of Cloud Computing, Furht B. et Escalante A. (Eds),
Springer, 2010, p. 9-11 ; Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 2 ; Esteves R., A Taxonomic Analysis of Cloud Computing, 1st Doctoral
Workshop, in Complexity Sciences ISCTE-IUL/FCUL, 15 juin 2011, Lisbonne, <http://idpcc.dcti.iscte.pt/docs/Papers_1st_Doctoral_Workshop_15-6-2011/RuiEsteves.pdf>, p. 2. (19) Cox P.A., Mobile
cloud computing, 11 mars 2010, <www.ibm.com/developerworks/cloud/library/cl-mobilecloudcomputing/>. (20) « The interesting thing about cloud computing is that we’ve redefined cloud
computing to include everything that we already do. I can’t think of anything that isn’t cloud computing with all of these announcements. The computer industry is the only industry that is more
fashion-driven than women’s fashion (…) », Ellison L., dont le propos est reproduit sur <http://news.cnet.com/8301-13953_3-10052188-80.html>, 30 sept. 2008. Larry Ellison est le cofondateur
et P-DG de la société Oracle. (21) Voir <www.gartner.com/it/page.jsp?id=1124212> (Gartner, août 2009) et <www.gartner.com/it/page.jsp?id=1447613> (Gartner, août 2010). Ce cycle est
représenté par un graphique dont les abscisses expriment les cinq états d’attente (celles-ci constituant les ordonnées), au travers du temps, vis-à-vis d’une technologie. Ces cinq états sont dans l’ordre
les suivants : « Technology Trigger », « Peak of Inflated Expectations », « Trough of Disillusionment », « Slope of Enlightenment » et « Plateau of Productivity ». Voir égal. Google Trends, <www.google.
fr/trends?q=cloud+computing&ctab=0>. (22) Voir les propos de Stallman R., <www.guardian.co.uk/technology/2008/sep/29/cloud.computing.richard.stallman>, 29 sept. 2008. Plus récemment
(8 mars 2011) voir encore <www.computerweekly.com/Articles/2011/03/08/245758/Exclusive-Free-software-guru-Richard-Stallman-on-government-IT-and-why-he-hates-the.htm>. Richard Stallman
est à l’origine du projet GNU (un OS libre) et de la Free Software Foundation, et est le rédacteur de la bien connue (GNU) GPL (« Global Public Licence », une licence majoritairement utilisée en matière
de logiciels libres). (23) Voir Zittrain J.L., The future of the Internet And How to Stop It, Yale University Press, 2008. (24) En doctrine européenne, voir not. Poullet Y., Van Gyseghem J.-M., Moiny J.-P.,
Gérard J. et Gayrel C., Data Protection in the Clouds, in Computers, Privacy and Data Protection: an Element of Choice, Gutwirth S., Poullet Y., De Hert P. et Leenes R. (Eds), Springer, 2011, p. 377-409,
et plus généralement, la partie IV de l’ouvrage collectif de Hon W.K., Millard C. et Walden I., The Problem of « Personal Data » in Cloud Computing – What Information is Regulated ?, 2011, <http://
papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1783577> ; voir égal. les autres contributions de la même équipe, <www.cloudlegal.ccls.qmul.ac.uk/Research/index.html> ; Van Gyseghem J.-M., Cloud
computing et protection des données : mise en ménage possible ?, RDTI 2011, n° 1, p. 35-50. En doctrine américaine, voir Gellman R., Privacy in the Clouds : Risks to Privacy and Confidentiality from
Cloud Computing, Wolrd Privacy Forum, 23 février 2009, <www.worldprivacyforum.org/pdf/WPF_Cloud_Privacy_Report.pdf> ; Picker R.C., Competition and Privacy in Web 2.0 and the Cloud <http://
papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1151985> ; Robinson W.J., Free at What Cost ? : Cloud Computing Privacy Under the Stored Communications Act, The Georgetown Law Journal, vol. 98,
p. 1195-1239 ; Soghoian C., Caught in the cloud : Privacy, encryption, and government back doors in the web 2.0 era, Journal on Telecommunications and High Technology Law, 2010, vol. 8, n° 2,
p. 359-424. (25) À propos de ceux-ci en matière de vie privée et protection des données, voir not. Moiny J.-P., Cloudy Weather Cloud Based Social Networks Sites: Under Whose Control ?, in Investigating
Cyber Law and Cyber Ethics : Issues, Impacts and Practices, Dudley-Sponaugle A., Braman J. et Vincenti G. (Eds), IGI Global, 2011, p. 147-219 ; Moiny J.-P., Contracter dans les réseaux sociaux : un
geste inadéquat pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, Rev. Dr. ULg, 2010, n° 2, p. 134-224 ; Moiny J.-P., Facebook au regard des règles européennes concernant
la protection des données, REDC, 2010, n° 2, p. 235-271 ; Van den Hoven van Genderen R., Sociale netwerken, vloek of zegen ? Algemene voorwaarden tot het gebruik van persoonlijke informatie,
Computerr., 2010, p. 97-106 ; Van Eecke P. et Truyens M., Privacy en sociale netwerken, Computerr., 2010, p. 115-128. (26) Voir Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break
in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité , p. 52. (27) Le Nist est une agence de l’US Department of Commerce. (28) Voir Mell P. et Grance T., NIST, The NIST Definition of Cloud Computing
(Draft), Special Publication 800-145 (Draft), janv. 2011, <http://csrc.nist.gov/publications/drafts/800-145/Draft-SP-800-145_cloud-definition.pdf>, p. 2.
96
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Informatique I Médias I Communication
wrapping peoples’ minds around what
is possible when you leverage web-scale
infrastructure (application and physical)
in an on-demand way » (38).
Bref, par essence, la technologie étudiée tend à l’internationalité. Cet aspect
est fondamental d’un point de vue juridique : la situation internationale est la
règle, le cas purement interne, national,
devient exceptionnel. Dans ce contexte,
l’arbitrage apparaîtra comme l’appréhension, par l’autonomie des volontés,
du contentieux international.
4. Au-delà de ce qui précède, le cloud
se décline en trois catégories de services
Par essence, la
technologie étudiée tend
à l’internationalité. Cet
aspect est fondamental
d’un point de vue
juridique : la situation
internationale est la
règle, le cas purement
interne, national,
devient exceptionnel.
ou niveaux d’abstraction (39) : « Cloud
Software as a Service » (SaaS), « Cloud Platform as a Service » (PaaS) et « Cloud Infrastructure as a Service » (IaaS) (40). La définition du Nist pointe enfin trois types de
déploiement du cloud : « private cloud »
(parfois appelé « internal cloud »), « community
cloud » (41), « public cloud » (parfois appelé
« external cloud ») et « hybrid cloud » (42). Respectivement, l’infrastructure du cloud est
exploitée pour une seule entreprise (ou
PERSPECTIVES ÉTUDE
3. Les auteurs de la définition identifient cinq caractéristiques essentielles du
cloud : « on-demand self-service, broad
network access, resource pooling, rapid
elasticity, measured service ». Ce qui
importe, dans le contexte du présent
propos, est l’internationalité propre à
la technologie du cloud. Les services du
cloud, dont il est question dans la suite
des développements, sont accessibles
via des « Internet-based interfaces » (29)
permettant l’« ubiquitous network access ». À cet égard, il importe de souligner que le cloud repose en principe
sur internet (30), ce dernier constituant
son canal privilégié de prestation (31).
Certains jugent même que le « Cloud
Computing is a natural evolution of the
Internet » (32). Un autre auteur considère
que le plus simple est de considérer le
cloud computing comme « Internet centric software » (33). En ce sens, « “Cloud
Computing,” to put it simply, means “Internet Computing.” The Internet is commonly visualized as clouds (34) ; hence
the term “cloud computing” for computation done through the Internet » (35), et
les auteurs concluent : « [i]t is also the
beginning of a new Internet based service economy : the Internet centric, Web
based, on demand, Cloud applications
and computing economy » (36). D’autres
expliquent que « cloud lets us exploit
all available resources on the Internet
in a scalable and simple way (…) [a]s
long as users can connect to the Internet,
they have the entire Web as their power
PC » (37). Dans le même sens, on lit enfin que « [t]he “Cloud” concept is finally
organisation), pour plusieurs entreprises ou
pour une organisation partageant des intérêts communs, ou alors elle est offerte
au grand public, ou encore, elle reflète
l’une ou plusieurs des hypothèses précédentes. Techniquement, c’est le « public
cloud », eu égard à ces capacités, qui est
particulièrement pertinent lorsqu’il est
question de « cloud computing » (43).
5. Illustrons à présent les trois types
de services impliqués dans le cloud. Si
d’autres études offrent de nombreuses
illustrations auxquelles il peut être renvoyé (44), on se contentera de mentionner, à côté du pionnier Amazon (Elastic
Compute Cloud [EC2], Simple Storage Service [S3]),
Google (App Engine, Gmail), Apple (iTunes, AppStore), Microsoft (Windows Azure, Hotmail) et
IBM (SmartCloud) qui offrent également des
services du cloud. Les trois types de services du « cloud » peuvent être schématisés en trois couches superposées dont
le sommet est constitué par le SaaS, la
base par l’IaaS et la strate intermédiaire
par la PaaS. Il va de soi que le service
offert par le prestataire du cloud peut être
l’une des strates citées ou la combinaison
de plusieurs d’entre elles.
Au niveau de la couche du sommet, le
SaaS consiste à offrir à l’utilisateur une
application (logiciel d’infographie, traitement de texte,
jeu vidéo, programme de gestion des ressources humaines,
etc.) qui est exécutée sur un équipement
du cloud (e.g., sur les serveurs du fournisseur du SaaS
ou ceux de son sous-traitant). L’utilisateur peut
alors utiliser cette application comme si
elle était installée sur son matériel, sans
pourtant qu’elle le soit, en y accédant via
son navigateur internet et sa connexion
>
(29) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité, p. 50. Les services web, logiciels permettant aux machines d’interagir via un
réseau (par exemple via le protocole HTTP) (au sujet du Web service, voir W3C, Web Services Architecture, W3C Working Group Note, 11 février 2004, <www.w3.org/TR/ws-arch/#introduction>,
sont essentiels à l’offre de services du cloud). (30) Selon certains auteurs : « [a]s with all definitions, it is important to recognize that as technology options change, the specifics of the definition
can also change. The Gartner definition specifically cites the Internet, whereas the Wikipedia definition (for example) does not. Currently, we feel that the Internet is the single most pervasive and
globally visible network available. These characteristics are necessary to delivering IT services to a generic cloud and to a simple definition. However, as time passes, other networking options may
become popular and then the specific connection to the Internet will be only one part of the definition. In fact, within companies, the use of private networks means that a cloud-style environment
can be delivered without ever using Internet technologies, Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J., Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing: Defining and Describing an
Emerging Phenomenon, précité, p. 8. (31) Grossman R.L., The Case for Cloud Computing, ITProfessional, n° 2, 2009, p. 23. Voir aussi la définition de Furht B., Cloud Computing Fundamentals,
précité, p. 3. (32) Cisco IBSG, Craig R., Frazier J., Jacknis N., Murphy S., Purcell C., Spencer P. et Stanley J.D., Cloud Computing in the Public Sector: Public Manager’s Guide to Evaluating and
Adopting Cloud Computing, précité p. 2. (33) Voir la définition de Cohen R., cité par Geelan J., Twenty-One Experts Define Cloud Computing, It is the infrastructural paradigm shift that is sweeping
across the Enterprise IT world, but how is it best defined ?, 24 janv. 2009, SYS-CON Media, <http://cloudcomputing.sys-con.com/node/612375>. (34) Dans le même sens, voir Velte T., Velte A.
et Elsepeter R., Cloud Computing, A Practical Approach, 22 sept. 2009, McGraw-Hill, p. 3-4 ; Knorr E. et Gruman G., What cloud computing really means, InfoWorld, <www.infoworld.com/d/
cloud-computing/what-cloud-computing-really-means-031>, p. 1 ; Marinos A. et Briscoe G., Community Cloud Computing, First International Conference on Cloud Computing, Pékin, 1er-4 déc.
2009, <http://eprints.lse.ac.uk/26516/1/community_cloud_computing_%28LSERO_version%29.pdf>, p. 1. (35) Voir Srinivasa Rao V., Nageswara Rao N.K. et Kusuma E., Cloud Computing : an
Overview, Journal of Theoretical and Applied Information Technology, 2009, vol. 9, n° 1, p. 71. (36) Précité, p. 76. Ils prédisent également que « it is the beginning to the end of the dominance of
desktop computing such as that with the Windows ». (37) Voas J. et Zhang J., Cloud computing : New Wine or Just a New Bottle ?, ITProfessional, n° 2, 2009, p. 15. (38) Voir Edwards D., cité par
Geelan J., Twenty-One Experts Define Cloud Computing, It is the infrastructural paradigm shift that is sweeping across the Enterprise IT world, but how is it best defined ?, précité. (39) Youssef L.,
Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 2. (40) Mell P. et Grance T., NIST, The NIST Definition of Cloud Computing (Draft), précité, p. 2-3. (41) On
relèvera que le « Community Cloud » peut être subdivisé en « Social Cloud » et « Partner Cloud » ; voir à ce sujet Esteves R., A Taxonomic Analysis of Cloud Computing, précité, p. 4. (42) Mell P. et
Grance T., NIST, The NIST Definition of Cloud Computing (Draft), précité, p. 3. (43) « Except for extremely large data centers of hundreds of thousands of machines, such as those that might be
operated by Google or Microsoft, most data centers enjoy only a subset of the potential advantages of public clouds » : Armbrust M., Fox A., Griffith R., Joseph A.D., Katz R., Konwinski A., Lee G.,
Patterson D., Rabkin A., Stoica I. et Zaharia M., A view of Cloud Computing, Communications of the ACM, vol. 53, n° 4, 2010, p. 53, p. 52. (44) Voir Bradshaw S., Millard C. et Walden I., Contracts
for Clouds : Comparison and Analysis of the Terms and Conditions of Cloud Computing Services, 1er sept. 2008, <http://ssrn.com/abstract=1662374> ; Buyya R., Shin Yeo C. et Venugopal S.,
Market-Oriented Cloud Computing : Vision, Hype, and Reality for Delivering IT Services as Computing Utilities, <www.cloudbus.org/~raj/papers/hpcc2008_keynote_cloudcomputing.pdf>, p. 3-7 ;
Marston S., Li Z., Bandyopadhyay S. et Zhang J., Cloud Computing – The Business Perspective, juin 2009, <http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1413545>, p. 31-32. En particulier
au sujet des cas Amazon, Google, Salesforce et Microsoft, voir Kushida K.E., Murray J. et Zysman J., Diffusing the Cloud : Cloud Computing and Implications for Public Policy, précité, p. 17-24 ;
Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud : The Next Computing Paradigm, précité, p. 15-16 ; Jefferey K. et Neidecker-Lutz B. (Eds), The Future Of Cloud Computing,
Opportunities For European Cloud Computing Beyond 2010, précité, p. 19-28.
Informatique I Médias I Communication
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C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
internet. On peut également imaginer que
l’application soit tout de même installée
sur son terminal, mais que des fonctions
additionnelles soient disponibles via le
cloud (45). Dans ces hypothèses, l’utilisateur ne contrôle en principe pas les
ressources informatiques – processeurs,
espace de mémoire, etc., le hardware –
utilisées aux fins de l’offre de SaaS. En
d’autres termes, il ne maîtrise pas l’infrastructure du cloud permettant le fonctionnement de l’application (les serveurs, etc.,
y compris des composantes logicielles telles que l’OS). Par
exemple, dans le cadre d’un réseau social
tel que Facebook, l’interface web que
l’internaute utilise – l’outil permettant
le fonctionnement du réseau – est une
application exécutée sur les serveurs de
Facebook. Un service de webmail (Gmail,
Hotmail, etc.) constitue aussi un SaaS, de
même que les services de paiement et
gestion de compte de PayPal, ou encore
un moteur de recherche tel que Google.
Salesforce offre, sous forme de SaaS, des
logiciels « CRM » (« customer relationship management »). On évoquera aussi les Google
Apps, la suite d’applications de Zoho, etc.
Sans aucun doute, cette couche du cloud
intéressera particulièrement l’utilisateur
lambda – le consommateur final. Même
si des entreprises sont également visées
comme les exemples l’illustrent. Il existe
ainsi assez logiquement deux catégories
générales de SaaS : « Line-of-business services » et « Consumer-oriented-services »,
selon que le service est offert à une entreprise (ou une organisation) ou à un consommateur (46). Les exemples cités illustrent
que les consommateurs – internautes
moyens – utilisent déjà des SaaS, et donc
le cloud, depuis plusieurs années (47) et
massivement. En ce sens, le Pew Research
Center signalait en 2008 que 69 % des
internautes américains utilisaient des
webmails (en particulier, 56 %), stockaient des
informations en ligne ou utilisaient des
logiciels fonctionnant sur le web (48).
Aujourd’hui, la progression fulgurante
qu’ont connue les réseaux sociaux en
ligne ne laisse planer aucun doute. C’est
principalement ce niveau du cloud et
uniquement ce type de clientèle qui sont
visés par la présente contribution.
6. À l’autre extrême, la couche dite « de
base » comporte l’IaaS. Celle-ci consiste en
la fourniture de ressources informatiques
fondamentales : de la puissance de calcul,
de l’espace de stockage et du réseau (de
l’« interconnexion »). À cette fin, plusieurs
terminaux – des ordinateurs complets –
sont émulés sur un même hardware (le
matériel informatique, les processeurs, la mémoire, etc.,
généralement les composants des racks du data center).
En informatique, c’est la virtualisation
(« virtualization ») (49) qui permet la création
de machines virtuelles (ou « virtual machines »
[VM]) (50). Clairement, « the abstraction
from the underlying hardware pool is essential for cloud solutions » (51). La virtualisation permet l’élasticité du cloud, à
savoir son adaptabilité instantanée (ou quasi
instantanée) à la demande des utilisateurs.
Avec l’IaaS, on touche ici à la « backbone »
du « cloud » : les « data centers » ; « [t]
he cloud itself is a network of data centers » (52), et « [t]o say it simply, the unit
of computing is now the data center » (53).
Dans le cas du réseau social, de l’espace
de stockage (aux fins d’enregistrer des photos, des
messages – postés sur un mur, à l’occasion de chat, etc. –, des
vidéos, etc.) et de la puissance de calcul (e.g.,
celle permettant le fonctionnement du réseau social) sont
offerts. Généralement, un service de webmail permet également l’archivage des
courriels. Drop Box, Cloud Files (Rackspace)
et Amazon S3 ont spécifiquement pour
objectif de fournir de l’espace de stockage. Il faut toutefois spécifier que des
offres telles qu’un réseau social ou un webmail ne constituent pas de simples IaaS,
mais plutôt, à titre principal, des SaaS,
l’infrastructure sous-jacente constituant
un accessoire, le cas échéant, nécessaire.
En effet, il y a systématiquement un SaaS
qui est offert. Immanquablement, un
SaaS repose toujours sur du hardware
– il faut bien en effet que l’application
soit exécutée sur des processeurs et que
les données soient mises en mémoire sur
des supports de stockage (!). En l’espèce,
du hardware est offert avec l’applicatif,
mais il n’est toutefois pas paramétrable
– au mieux, l’utilisateur y inscrit ou efface
des données. On pense par exemple aussi
à des applications d’entreprise « ERP »
(« enterprise resource planning ») de la firme bien
connue SAP pouvant être offertes à partir
du cloud d’Amazon EC2 (54).
Dans le cas d’Amazon EC2, il est cette
fois clairement question d’IaaS. On
pense également à l’Enterprise Cloud
de Terremark (55). De manière plus précise, l’offre d’IaaS consisterait à fournir,
par exemple, de simples disques durs,
l’utilisateur pouvant y installer l’OS et
les applications qu’il souhaite. Il pourrait
également être question d’accès à des
processeurs. En l’espèce, l’utilisateur
maîtrise totalement la destination des
ressources fournies. Les entreprises et
le secteur public ont en l’espèce un intérêt particulier à recourir à de l’IaaS
dès que cela leur permet de diminuer
leurs investissements de départ en IT,
tout en pouvant bénéficier de ressources
toujours à la mesure de leurs besoins.
7. Enfin à un niveau intermédiaire, la
PaaS, l’« environment layer » (56) du
cloud, semble un peu plus difficile à
visualiser. L’idée est ici d’offrir des
services permettant aux utilisateurs de
concevoir des applications reposant sur
l’infrastructure du cloud (57). Celles-ci
sont alors conçues avec les langages
de programmation et des outils que le
fournisseur de PaaS permet d’utiliser.
La PaaS est donc clairement destinée
aux développeurs. L’utilisateur contrôle
l’application voire, le cas échéant, la
configuration de son environnement
d’hébergement. En d’autres termes, certains relèvent que « PaaS is IaaS with a
custom software stack for the given application » (58). En reprenant Facebook
(45) Voir Chappell D., A Short Introduction to Cloud Platforms, An Enterprise-Oriented View, août 2008, <www.davidchappell.com/CloudPlatforms--Chappell.pdf>, p. 4. L’auteur cite iTunes
comme exemple, en ce que l’application, à la base lecteur de fichiers multimédias, permet, de manière complémentaire, d’acheter de tels fichiers en ligne. (46) Microsoft, Chong F. et Carraro G.,
Architecture Strategies for Catching the Long Tail, avr. 2006, <www.cistratech.com/whitepapers/MS_longtailsaas.pdf>, p. 2. (47) À titre d’exemple, MSN Hotmail – webmail à succès – est exploité
par Microsoft depuis la fin des années 90, voir <http://en.wikipedia.org/wiki/Windows_Live_Hotmail#cite_note-1>. Gmail, le webmail de Google, a quant à lui été lancé en 2004, voir <http://
en.wikipedia.org/wiki/Gmail>. Et YouTube a été lancé en 2005, voir <http://en.wikipedia.org/wiki/Youtube>. (48) Horrigan J.B., Pew Internet & American Life Project, « “Cloud computing” takes
hold as 69 % of all internet users have either stored data online or used a web-based software application », Data Memo, sept. 2008, disponible sur <www.pewinternet.org/~/media//Files/
Reports/2008/PIP_Cloud.Memo.pdf.pdf>. (49) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité, p. 51. (50) Il existe deux
grandes catégories de machines virtuelles. « A process VM is a virtual platform that executes an individual process. (…) a system VM provides a complete, persistent system environment that
supports an operating system along with its many user processes », Smith J.E. et Nair R., The Architecture of Virtual Machines, Computer, mai 2005, p. 34. Pour plus de détails, voir, par ex., Nanda S.
et Chiueh T., A survey on Virtualization Technologies, RPE Report, févr. 2005, <www.ecsl.cs.sunysb.edu/tr/TR179.pdf>. (51) Weinhardt C., Anandasivam A., Blau B. et Stößer J., Business Models
in the Service World, ITProfessional, n° 2, 2009, p. 37. (52) Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud : The Next Computing Paradigm, précité, p. 3. (53) Grossman R.L., The
Case for Cloud Computing, précité, p. 27. (54) Voir <www.erpsoftware-news.com/sap_erp/>. (55) Une filiale de Verizon Communications. (56) Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a
Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 4. (57) À leur sujet, voir Chappell D., A Short Introduction to Cloud Platforms, An Enterprise-Oriented View, précité, p. 4-13. (58) Furht B., Cloud
Computing Fundamentals, précité, p. 5.
98
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
II. – CLAUSES ABUSIVES
A. – Droit de l’Union européenne
La directive n° 93/13 n’interdit pas systématiquement toutes les clauses d’arbitrage dans les contrats conclus entre
professionnels et consommateurs (1°).
Elle permet l’existence de telles clauses
lorsque in concreto, de bonne foi, elles
préservent l’équilibre entre les cocontractants (2°). L’analyse qui suit porte à la fois
sur la directive n° 93/13 et la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs (63). La seconde, lorsqu’elle interdit
les clauses abusives, reprend en effet des
aspects fondamentaux de la première.
Mais il importe également de mettre en
exergue les divergences entre les deux
textes.
1°/ Modalités de l’interdiction
9. Au regard du droit de l’Union euro-
Dans le cadre de la
gouvernance d’internet,
l’arbitrage peut
apparaître comme un
moyen de surmonter
les conflits de juridictions
dont le cloud fait déjà
sans aucun doute l’objet.
péenne, une clause d’arbitrage est-elle
abusive au sens de la directive n° 93/13
et de la nouvelle directive relative aux
droits des consommateurs (64) ? On
commencera par rappeler la définition
générale de la clause abusive : une
« clause d’un contrat n’ayant pas fait
l’objet d’une négociation individuelle
est considérée comme abusive lorsque,
en dépit de l’exigence de bonne foi, elle
crée au détriment du consommateur un
déséquilibre significatif entre les droits
et obligations des parties découlant du
contrat » (65). On le verra, si la nouvelle directive adopte une approche
différente en listes de clauses, la catégorie résiduaire de clauses abusives est
définie selon le même standard (66).
Le déséquilibre significatif en dépit de
la bonne foi constitue « un seul critère
complexe » (67). Nous retiendrons en
effet que la bonne foi constitue plus un
élément additionnel d’analyse, qu’une
condition à satisfaire indépendamment
du déséquilibre significatif et outre celui-ci (68). Mais la question est controversée en doctrine (69) et la nouvelle
directive ne clarifie pas le débat. Certains jugent qu’il y a deux conditions
cumulatives (70). Plus concrètement, le
considérant 16 (71) et l’article 4, § 1er, de
la directive n° 93/13 commandent que
soient pris en compte, dans l’appréciation du caractère abusif d’une clause,
les contextes précontractuels (modalités de
la négociation et position des parties) et contractuels
(nature du bien ou service et autres clauses et contrats liés).
10. En particulier, l’annexe de la directive n° 93/13 « contient une liste indicative
et non exhaustive de clauses qui peuvent
être déclarées abusives » (72) (nous soulignons).
Cette liste peut « faire l’objet d’ajouts ou de
formulations plus limitatives » (73). Peut
ainsi être abusive la clause susceptible
d’avoir pour objet ou pour effet « de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions
en justice ou des voies de recours par le
consommateur, notamment en obligeant
le consommateur à saisir exclusivement
une juridiction d’arbitrage non couverte
par des dispositions légales (…) » (74) (nous
PERSPECTIVES ÉTUDE
comme exemple, une « Application Programming Interface » (API) est offerte aux
développeurs. Ceux-ci peuvent créer des
applications fonctionnant sur le réseau
social Facebook. Toutefois dans cette hypothèse, Facebook n’héberge en principe
pas l’application qui demeure exécutée
chez le développeur. L’internaute utilisant le réseau social et installant une
application accède alors à un SaaS. On
pensera également à Google App Engine
qui permet aux développeurs d’exploiter
leurs applications dans le cloud.
8. Finalement, le cloud apparaît un peu
comme « X as a Service » (59), à savoir
« everything as a service » (XaaS) (60) via
internet. L’on ne s’attardera pas à répéter fastidieusement ses avantages et
inconvénients identifiés par les auteurs
cités çà et là dans la présente contribution (61). Seules l’immatérialité et la multilocalisation de son contexte nous intéressent. La ressources informatique est
délocalisée et multilocalisée. Il apparaît
intéressant de se demander dans quelle
mesure un tel environnement peut se
doter de moyens de résolution des litiges
épousant ses caractéristiques – internationalité, accessibilité ubiquitaire via des
interfaces web, rapidité, etc. À cet égard,
pourrait-on se permettre de penser à
l’arbitrage en ligne ? Dans le cadre de la
gouvernance d’internet, l’arbitrage peut
apparaître comme un moyen de surmonter les conflits de juridictions (62) dont le
cloud fait déjà sans aucun doute l’objet.
La suite des développements évalue si
la Convention européenne des droits de
l’Homme et l’interdiction des clauses
abusives permettent au consommateur
d’accepter, dans le cloud, le recours à
l’arbitrage.
>
(59) L’expression est empruntée à Schaffer H.E., X as a Service, Cloud Computing, and the Need for Good Judgment, ITProfessional, n° 5, 2009, p. 4. (60) L’expression et son acronyme sont
empruntés à Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J., Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing : Defining and Describing an Emerging Phenomenon, précité, p. 5.
« Everything as a Service is the Universe of all the cloud delivery services, as it is a generic definition of all delivery ways that exist and that might be created in the future », Esteves R., A Taxonomic
Analysis of Cloud Computing, précité, p. 6. L’auteur cite d’autres références quant à l’utilisation de l’acronyme « XaaS », et il identifie plus de 30 expressions « … as a service ». (61) L’expression et
son acronyme sont empruntés à Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J., Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing : Defining and Describing an Emerging Phenomenon,
précité, p. 5. « Everything as a Service is the Universe of all the cloud delivery services, as it is a generic definition of all delivery ways that exist and that might be created in the future », Esteves R.,
A Taxonomic Analysis of Cloud Computing, précité, p. 6. L’auteur cite d’autres références quant à l’utilisation de l’acronyme « XaaS », et il identifie plus de 30 expressions « … as a service ».
(62) Kurbalija J., An Introduction to Internet Governance, DiploFoundation, 2010, p. 88. (63) À l’heure de la rédaction de la présente contribution, la nouvelle directive relative aux droits des
consommateurs n’est pas encore adoptée. (64) À propos de sa proposition, en ce qu’elle concerne les clauses abusives, voir Swaenepoel E., Stijns S. et Wéry P., Onrechtmatige bedingen – Clauses
abusives, DCCR, nos 84-85, 2009, p. 142-203. (65) Article 3, § 1er, de la directive n° 93/13. (66) Voir l’article 32, § 1er, de la nouvelle directive. (67) Tenreiro M. et Ferioli E., Examen comparatif
des législations nationales transposant la directive n° 93/13/CEE, in La directive « clauses abusives » cinq ans après, Conférence de Bruxelles du 1er au 3 juillet 1999, Commission européenne,
2000, <http://ec.europa.eu/consumers/policy/developments/unfa_cont_term/uct04_en.pdf>, p. 16. (68) Historiquement, aux origines de la directive n° 93/13, les différents rôles du principe de
bonne foi dans les législations nationales (de celui d’un principe inconnu à celui d’un principe fondamental quant à l’appréciation du caractère abusif d’une clause) ont conduit la Commission à le
combiner au critère du déséquilibre significatif, plutôt qu’à le conserver comme critère autonome de détermination du caractère abusif d’une clau se, voir Tenreiro M., The Community Directive on
Unfair Terms and National Legal Systems, The Principle of Good Faith and Remedies for Unfair Terms, Revue européenne de droit privé, 1995, vol. 3, n° 2, p. 276-277 et, en particulier, p. 279.
En droit belge, l’exigence de bonne foi n’est pas explicitement requise par la définition de la clause abusive, voir infra, nos 0 et s. (69) Voir Ebers M., Directive relative aux clauses contractuelles
abusives (93/13), in Compendium CE de Droit de la consommation, Schulte-Nölke H. (coord.), Schulte-Nölke H., Twigg-Flesner C. et Ebers M. (ss dir.), <http://ec.europa.eu/consumers/rights/
docs/consumer_law_compendium_comparative_analysis_fr_final.pdf>, p. 434-435. (70) Voir par ex. Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States,
précité, p. 364. (71) Selon lequel « dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de
savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ;
(…) l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ». Voir égal.
le considérant 48 de la nouvelle directive. (72) Article 3, § 3, de la directive n° 93/13. (73) Considérant 17 de la directive n° 93/13. (74) Point q) de l’annexe de la directive n° 93/13. Comp.
article 73, 23°, de la LPMPC ; point 1, q) de l’annexe de la LPL.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
99
C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
soulignons). Selon une interprétation souvent
défendue de ce texte, serait abusive la
« clause compromissoire de droit commun » (75), tandis que les « mécanismes
d’arbitrage obligatoire que le législateur
peut ou pourrait imposer dans certains
domaines » seraient réservés (76). Plus
largement, l’arbitrage prévu et spécifiquement encadré par le législateur pour les
litiges de consommation pourrait échapper à la prohibition (77). Dans un autre
sens toutefois, il pourrait être défendu
qu’il suffit que l’arbitrage soit un mode
de règlement des différends encadré, ne
fût-ce que de manière générale, par la
loi – comme dans de nombreux États,
par exemple en Belgique, dans le Code
judiciaire –, pour sortir du champ de
la prohibition de l’annexe de la directive n° 93/13 (78). On pourrait encore
soutenir que l’amiable composition est
seule interdite par la directive (79). On
relèvera enfin que d’autres interprétations
ont encore été avancées (80). L’annexe
de la directive n’est donc pas claire. Si
les développements suivants démontrent
que la controverse n’est actuellement pas
déterminante, on expliquera plus loin
qu’elle devient cardinale dans le cadre
de la nouvelle directive.
11. En tout cas en vertu de la directive n° 93/13, le critère décisif invalidant ou non une clause d’arbitrage
conclue dans un contrat de consommation réside dans le déséquilibre qu’une
telle clause crée ou non au désavantage du consommateur. L’annexe à
la directive n° 93/13 vise les clauses
qui « peuvent » être abusives ; il « est
constant qu’une clause qui y figure ne
doit pas nécessairement être considérée
comme abusive et que, inversement,
une clause qui n’y figure pas peut néanmoins être déclarée abusive » (81). La
jurisprudence de la Cour de justice est
claire à ce sujet : le juge doit apprécier in concreto (82) le caractère abusif
d’une clause ; « une clause particulière qui doit être examinée en fonction des circonstances propres au cas
d’espèce » (83). Ainsi, le juge européen
peut spécifier les « critères que le juge
national peut ou doit appliquer lors
de l’examen d’une clause », mais c’est
toujours ce dernier qui doit, en tenant
compte de ces critères, se prononcer
« sur la qualification concrète d’une
clause contractuelle particulière » (84).
Il y a par conséquent place pour débattre, quel que soit le prescrit littéral
de l’annexe dont il est question.
12. Le point q) de l’annexe de la directive n° 93/13 interdit les clauses
susceptibles de supprimer ou entraver
« l’exercice d’actions en justice ou des
voies de recours par le consommateur »
(nous soulignons). Et ces autres voies de
recours, nous les concevrions volontiers extrajudiciaires, dès lors que la
Commission européenne « va renforcer le suivi et encourager l’utilisation
des recommandations existantes, qui
établissent des garanties minimums
pour les dispositifs de règlement extrajudiciaire des litiges » en matière de
consommation (85), en particulier dans
le contexte transfrontière que constitue
l’internet (86), et que certaines direc-
tives européennes, pertinentes quant à
l’environnement numérique, favorisent
également ce type de règlement des
litiges (87).
Il importe néanmoins d’apporter
une précision importante quant à la
position de la Commission dans ce
contexte. Elle recommande en effet que
le consommateur ne puisse consentir à
l’arbitrage qu’une fois le litige né (88).
Et elle s’est déjà positionnée contre
la possibilité de conditionner l’accès
du consommateur aux tribunaux, au
recours préalable à un mode alternatif de règlement des différends (89).
Dans son travail interprétatif, la Cour
de justice est susceptible d’attribuer
des effets juridiques à cette recommandation. Elle y a déjà procédé, en
l’invoquant conjointement avec une
disposition de la directive dite « service universel » (90) qui spécifie qu’il
ne peut être porté préjudice aux procédures judiciaires (91). Ce qui est
fondamental dans le cadre du présent
propos puisqu’il entend démontrer
qu’une place théorique existe pour la
clause d’arbitrage antérieure à la naissance du différend. Les jurisprudences
nationales, évoquées ultérieurement,
tendent vers la position recommandée
par la Commission (92).
C’est cette prise de position qui a au
demeurant été suivie par la Commission lorsqu’elle se réfère aux modes
alternatifs de règlement des différends
dans ses clauses contractuelles types à
propos des différends en matière de flux
transfrontières de données à caractère
(75) Dans ce sens, voir Cortes P., Developing online dispute resolution for consumers in the EU : a proposal for the regulation of accredited providers, précité, p. 11-12 et note n° 111.
(76) Fouchard P., Clauses abusives en matière d’arbitrage, Rev. arb., 1995, p. 148. Par ex., la directive ne s’oppose pas aux « juntas » espagnoles dont il est question infra, voir infra, n° 0.
(77) Fallon M., Le droit applicable aux clauses abusives après la transposition de la directive n° 93/13 du 5 avril 1993, REDC, 1996, p. 16 ; Thilly A., Clause d’arbitrage et contrat de voyage, DCCR,
1996, p. 318. Pour une interprétation. (78) En ce sens, Bosmans M., Oneerlijke en onrechtmatige bedingen : zijn de artikelen 31 en volgende van de WHPC compatibel met de EEG Richtlijn 93/13
van 5 april 1993 ?, DCCR, 1993-1994, p. 703. Ce point est notamment soulevé par. Park W.W, Amending the federal arbitration act, Report American Review of International Arbitration, 2002, 13,
note n° 225. (79) Quant à la nouvelle directive, voir infra, n° 0. (80) Voir la doctrine citée par Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States, précité,
p. 365-366. (81) CJCE (5e ch.), 7 mai 2002 (Commission c/ Suède), aff. C-478/99, Rec., 2002, p. I-04147, point 20. Voir en particulier les points 37 et 38 des conclusions de l’Avocat général
Geelhoed présentées le 31 janvier 2002 ; CJCE (4e ch.), 1er avr. 2004 (Freiburger Kommunalbauten GmbH Baugesellschaft & Co. KG c/ Ludger Hofstetter et Ulrike Hofstetter), aff. C-237/02,
Rec., 2004, p. I-03403, point 20 ; CJCE (1re ch.), 26 oct. 2006 (Elisa Maria Mostaza Claro c/ Centro Movil Milenium SL), aff. C-168/05, Rec., 2006, p. I-10421, point 22. (82) Évoquant cette
interprétation, voir Flamée M. et Troch K., De invloed van de E.G.-richtlijn van 5 april 1993 betreffende oneerlijke bedingen in consumentenovereenkomsten op het heersend Belgisch recht,
RDC, 1996, p. 42. Adde, Bernardeau L., Clauses abusives : l’illicéité des clauses attributives de compétence et l’autonomie de leur contrôle judiciaire (à la suite de l’arrêt CJCE, 27 juin 2000,
Oceano, aff. C-240/98), REDC, 2000, p. 268 ; CCA, n° 28, avis du 9 juin 2010 sur le régime des clauses abusives dans la proposition de directive relative aux droits des consommateurs, <http://
economie.fgov.be/fr/binaries/CCA28-d%C3%A9f2_tcm326-106758.pdf>, p. 21. (83) CJCE, arrêt Freiburger c/ Hofstetter, précité, point 22. (84) CJUE (Gr. Ch.), 9 novembre 2010 (VB Pénzügyi
Lizing Zrt. c/ Ferenc Schneider), aff. C-137/08, Rec., 2010, point 44. (85) Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen,
du 13 mars 2007, Stratégie communautaire en matière de politique des consommateurs pour la période 2007-2013, Responsabiliser le consommateur, améliorer son bien-être et le protéger
efficacement, COM (2007) 99 final, point 5.3, al. 5. (86) Dans le contexte même des clauses abusives, le Comité économique et social européen juge « pertinent d’instituer des mécanismes
extrajudiciaires, de médiation, voire d’arbitrage, pour la résolution de litiges incluant l’utilisation de clauses contractuelles générales, en particulier dans les contrats transfrontières, et notamment
lorsqu’ils ont pour objet des contrats négociés par l’intermédiaire du commerce électronique », avis du Comité économique et social européen sur le « Rapport de la Commission sur l’application
de la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs », 30 nov. 2011, point 8.2. (87) En matière de
service universel par exemple, voir l’article 34 (règlement extrajudiciaire des litiges) de la directive (CE) n° 2002/22 du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service
universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »), JOUE 24 avr. 2002, n° L 108 ; en matière de services
de la société de l’information, voir l’article 17 de la directive n° 2000/31. (88) Recommandation de la Commission n° 98/257/CE, du 30 mars 1998, concernant les principes applicables aux
organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation, JOCE 30 mars 1998, L 115 p. 31. (89) Voir les développements de Sternlight J.R., Is the US out on a limb ?
Comparing the US approach to mandatory consumer and employement arbitration to that of the rest of the world, University of Miami Law Review, 2002, 56, p. 846-847. (90) Voir CJCE (4e ch.),
18 mars 2010 (Rosalba Alassini et a. c/ Telecom Italia), aff. jtes C-317/08 à C-320/08, Rec., 2010, p. I-02213, points 40 et 43 ; article 34, § 4, de la directive n° 2002/22. Dans ce contexte,
le droit italien prévoit le recours à un mode alternatif de règlement des différends (une procédure de conciliation) comme préalable nécessaire à une action en justice. (91) Voir l’article 34, § 4,
de la directive n° 2002/22. (92) Voir infra, nos 0 et s.
100
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
clause d’arbitrage dans un contrat de
consommation. S’il n’y a pas de jurisprudence directement liée au contexte
de la consommation, les tendances de la
jurisprudence de la Cour EDH et de l’ancienne Commission EDH ne semblent
pas être un obstacle insurmontable (97).
Il appartiendrait alors au droit national
de fixer, dans sa marge d’appréciation,
les modalités d’une telle possibilité.
13. En synthèse, dans le cadre de la directive n° 93/13, il appartient aux juges
nationaux de veiller à ce que le consommateur ne soit pas désavantagé par rapport au professionnel lorsqu’il entend
faire valoir ses droits via l’ensemble des
voies de recours ouvertes à lui. Mettant
Le règlement prévoit
que, lorsque les règles de
compétence protectrices
du consommateur
s’appliquent il ne peut y
être dérogé, notamment,
que par une convention
postérieure à la
naissance du différend.
en œuvre l’interdiction européenne des
clauses abusives, le législateur pourrait
aussi spécifiquement prévoir que, dans
certaines hypothèses – voire toutes –,
le consommateur n’est pas lié par une
clause d’arbitrage insérée dans le contrat
originellement conclu avec le professionnel. À défaut, s’il se contente de
prohiber de manière générale les clauses
abusives, la question doit être tranchée
in concreto par le juge. Il y a alors place
pour une certaine marge d’appréciation.
14. Comme annoncé, la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs suit une approche différente.
Elle définit autrement la clause abusive
en répartissant les clauses rédigées à
l’avance par le professionnel en trois
catégories (98). Certaines clauses sont
abusives en toutes circonstances (99)
– liste noire –, d’autres sont présumées
abusives (100) – liste grise – et enfin, de
manière résiduaire, toute autre clause
peut être abusive si, « en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre
significatif entre les droits et obligations
des parties découlant du contrat » (101).
Dans l’établissement des listes grise et
noire, l’objectif poursuivi par la Commission était double : assurer la sécurité
juridique et garantir un meilleur fonctionnement du marché intérieur (102).
Selon la nouvelle directive, est abusive
« en toutes circonstances » – peu importe
donc la réalité d’un déséquilibre entre le
consommateur et le professionnel – la
clause qui a pour objet ou pour effet
« d’exclure ou d’entraver le droit du
consommateur à ester en justice ou à
exercer toute autre voie de recours, notamment en lui imposant de résoudre les
litiges exclusivement par voie d’arbitrage
en dehors des règles du droit » (103)
(nous soulignons). La controverse précitée
pouvant naître du point q) de l’annexe
de la directive n° 93/13 que nous venons d’analyser n’est donc pas épuisée et, pire, devient incontournable.
À plus forte raison, d’un point de vue
textuel, que dans le cadre de l’annexe
de la directive n° 93/13, il semblerait
possible de considérer ici que seule la
clause d’arbitrage imposant l’amiable
composition est toujours interdite.
Aussi, comme sous l’empire de la directive n° 93/13, « d’autres voies de
recours », pourquoi pas extrajudiciaires,
pourraient être ouvertes au consommateur. On pourrait alors défendre qu’une
analyse in concreto serait également
PERSPECTIVES ÉTUDE
personnel (93). Ces clauses sont destinées à garantir la protection des personnes concernées lorsque le pays de
destination des données n’offre pas une
protection adéquate. Dans cette dernière matière, qui relève des droits de
l’Homme, on lit que la possibilité de saisir les juridictions étatiques est toujours
maintenue, même si, le cas échéant, il est
imposé de « répondre » à une procédure
de médiation non contraignante avant
d’y recourir. La personne concernée (par
exemple, celle sur qui portent les données traitées) est
donc freinée dans son accès au Tribunal.
Selon les recommandations de la Commission en matière de litiges de consommation, un compromis d’arbitrage devrait donc être conclu. Ou l’arbitrage
prévu dans les termes contractuels
devrait être optionnel en tout cas pour
le consommateur. Par conséquent, la
clause d’arbitrage ne pourrait être valable vis-à-vis d’un consommateur. On
ne peut s’empêcher de lier cette exigence avec ce qui vaut en matière de
protection du consommateur contre les
clauses d’élection de for dans le règlement « Bruxelles I » (94). Le règlement
prévoit que, lorsque les règles de compétence protectrices du consommateur
s’appliquent (95), il ne peut y être dérogé, notamment, que par une convention postérieure à la naissance du différend. Ces prises de position sont toute à
fait défendables ; la réalité et le caractère
libre de la volonté du consommateur ont
plus de chances d’exister et sont plus faciles à démontrer une fois le différend né.
En droit, la Commission fonde son exigence de conclusion de la convention
d’arbitrage après la naissance du différend, sur l’article 6 de la CEDH (96).
Or, nous semble-t-il, la Cour EDH ne
s’opposerait pas nécessairement et
systématiquement à l’insertion d’une
>
(93) Voir les articles 25 et 26 de la directive n° 95/46 ; décision de la Commission n° 2010/87/UE du 5 février 2010 relative aux clauses contractuelles types pour le transfert de données à
caractère personnel vers des sous-traitants établis dans des pays tiers en vertu de la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE 12 février 2010, n° L 39, clause n° 7. Adde,
décision de la Commission n° 2004/915/CE du 27 décembre 2004 modifiant la décision n° 2001/497/CE en ce qui concerne l’introduction d’un ensemble alternatif de clauses contractuelles types
pour le transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers, JOUE 29 décembre 2004, L 385, Annexe Clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel
à partir de la Communauté vers des pays tiers (transferts de responsable du traitement à responsable du traitement), point V. En particulier, les points a) et b) du point V stipulent que « a) En
cas de litige ou de plainte introduite à l’encontre des parties ou de l’une d’entre elles par une personne concernée ou par l’autorité au sujet du traitement des données à caractère personnel,
les parties s’informent mutuellement de ces litiges ou plaintes et coopèrent en vue de parvenir à un règlement à l’amiable dans les meilleurs délais. b) Les parties conviennent de répondre à
toute procédure de médiation non contraignante généralement disponible mise en œuvre par une personne concernée ou par l’autorité. Si elles participent aux procédures, les parties peuvent
choisir de le faire à distance (notamment par téléphone ou autres moyens électroniques). Les parties conviennent également d’examiner la possibilité de participer à toute autre procédure
d’arbitrage, de médiation ou de règlement de litige mise en place pour les litiges relatifs à la protection des données. » (94) Voir l’article 17, § 1er, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du
22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOUE 16 janvier 2001, L 12. (95) Voir les articles 15
et 16 du règlement n° 44/2001. (96) Voir considérant 21 de la recommandation n° 98/257/CE de la Commission, précitée. (97) Voir partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable. et s. (98) À
titre informatif, le Comité économique et social européen s’oppose à l’intégration de la réglementation des clauses abusives dans la directive en projet, voir avis du Comité économique et social
européen sur la « Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs », JOUE 23 déc. 2009, C 317, points 4.1.3 et 6. (99) Article 34 et annexe II
de la nouvelle directive. (100) Article 35 et annexe III de la nouvelle directive. (101) Article 32, § 1er, de la nouvelle directive. (102) Considérant 50 de la nouvelle directive. Originellement, la
Commission souhaitait que les listes ne puissent être modifiées que par une procédure de comitologie visée aux articles 39 et 40 de la proposition. Des amendements ont toutefois été apportés
par le Parlement en première lecture pour que les États retrouvent leur marge de manœuvre à cet égard (voir les amendements 179-180 et 184-185, P7_TA(2011)0116, 24 mars 2011 ;
articles 34, § 2, et 35, § 2, de la nouvelle directive). Si le texte définitif va dans ce sens, les clauses que les États ajouteraient aux listes devraient alors être communiquées à la Commission qui
serait chargée de les publier. (103) Annexe II, point c), de la nouvelle directive.
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N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
101
C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
requise, sauf dans les cas d’amiable
composition ou dans les hypothèses
où l’arbitrage en question se voudrait
– ou se produirait – en marge du cadre
légal de droit commun encadrant l’arbitrage – parlerait-on alors encore d’arbitrage (104) ? Force est toutefois de
relever qu’il pourrait en être fini de
l’analyse in concreto, préconisée par
la directive n° 93/13, pour évaluer les
clauses d’arbitrage.
Dans le cadre de la nouvelle directive,
deux possibilités existent par conséquent. Soit la clause d’arbitrage du cas
d’espèce est visée par la liste noire, et
elle est alors automatiquement abusive. Soit la clause d’arbitrage n’est
pas visée par cette liste, et il incombe
alors d’opérer l’analyse qui valait déjà
sous l’empire de la directive n° 93/13,
à savoir tester la clause au regard de la
définition générale et résiduaire de la
clause abusive.
15. Dans toutes les hypothèses, le droit
national doit se positionner. En effet, la
liste noire de la nouvelle directive, en ce
qu’elle vise l’arbitrage, n’est pas assez
précise. Ce qui est particulièrement regrettable eu égard à sa portée. Les États
membres devront donc la traduire dans
leur législation nationale ; ils gardent
une marge de manœuvre que la Cour de
justice réduira le cas échéant. Il y aura
toutefois ici le risque de manquer l’objectif d’amélioration du fonctionnement
du marché poursuivi à l’occasion de la
nouvelle directive. On verra que le droit
belge récemment modifié, à un moment
où la proposition de directive relative
aux droits des consommateurs existait
déjà, n’a pas été retouché sur ce point.
Bien entendu, si l’on considère que les
textes laissent une place à l’arbitrage,
toute clause d’arbitrage n’est évidemment pas pour autant nécessairement
valable et il s’avérera fondamental, le
cas échéant, de disposer d’éléments de
réflexion pour déterminer, sous l’angle
du critère général, le caractère abusif ou
non d’une clause d’arbitrage.
2°/ Exigence d’équilibre entre
les parties
16. La Cour de justice a été interrogée, à plusieurs reprises, par des juges
nationaux évaluant le caractère abusif, ou ses conséquences, de clauses
d’élection de for ou d’arbitrage. Cette
jurisprudence porte bien entendu sur
la directive n° 93/13. Dès lors que certaines considérations développées en
matière de choix de for (étatique) sont
transposables en matière d’arbitrage, il
convient d’évoquer l’ensemble de cette
jurisprudence. Les développements suivants en attestent : tout est question
d’équilibre entre le consommateur et le
professionnel.
Avant tout, l’affaire Oceano Grupo rappelle la philosophie de la protection offerte par la directive n° 93/13 (105), et
adopte une interprétation téléologique.
Cette philosophie n’est en rien modifiée
par la nouvelle directive. La réglementation pallie le postulat d’« infériorité [du
consommateur] à l’égard du professionnel », tant du point de vue du « pouvoir
de négociation » que de celui du « niveau d’information », état conduisant ce
consommateur à « adhérer » aux conditions préétablies par le professionnel,
« sans pouvoir exercer une influence sur le
contenu de celles-ci » (106). La Cour juge
aussi, dans le contexte de la protection
du consommateur en matière de compétence internationale (107), que cette
partie est « réputée économiquement plus
faible et juridiquement moins expérimentée » (108). Par conséquent, via une intervention positive, extérieure aux parties
au contrat (109), la directive n° 93/13
« tend à substituer à l’équilibre formel
que celui-ci établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre
réel de nature à rétablir l’égalité entre ces
derniers » (110). Il s’agit bien de veiller
à l’équilibre des parties (111), comme le
spécifie textuellement la définition du
concept de clause abusive.
17. Le point 1, q), de l’annexe de la directive n° 93/13, cela a déjà été souligné,
n’invalide pas in abstracto le recours
aux clauses d’élection de for ou d’arbitrage en matière de consommation. Et à
moins que le droit interne ne prévoie une
liste noire visant clairement les clauses
d’arbitrage, il incombe au juge national
de procéder à une analyse in concreto.
En matière d’élection de for, la Cour a
jugé qu’il lui appartenait de trancher
en « ten[ant] compte du fait » qu’une
« clause contenue dans un contrat conclu
entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait
l’objet d’une négociation individuelle
et qui confère compétence exclusive au
tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être
considérée comme abusive » (112) (113)
(nous soulignons). La Cour se prononce de
la sorte dans le cas Oceano Grupo, en
considérant que la clause litigieuse « doit
être considérée comme abusive au sens de
l’article 3 de la directive, dans la mesure
où elle crée, en dépit de l’exigence de
bonne foi, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les
droits et les obligations des parties découlant du contrat » (nous soulignons) (114).
Exceptionnellement en la matière (115),
la Cour juge elle-même du caractère
abusif d’une clause. La motivation de
sa prise de position est qu’il s’agissait
« d’une clause à l’avantage exclusif du
professionnel et sans contrepartie pour le
consommateur, mettant en cause, quel
que soit le type de contrat, l’effectivité de
la protection juridictionnelle des droits
que la directive reconnaît au consommateur » (116) (nous soulignons). Partant, il
« était donc possible de constater le caractère abusif de cette clause sans avoir à
examiner toutes les circonstances propres
à la conclusion du contrat ni à apprécier
les avantages et les désavantages liés à
cette clause dans le droit national applicable au contrat » (117).
La Cour donne des éléments d’explication de sa position aux juridictions
nationales. Ces éléments n’ont rien de
surprenant. Elle explique qu’une clause
(104) Peut-être dans une acception européenne autonome du concept mais probablement pas dans le droit national en cause. (105) Au sujet des philosophies des systèmes nationaux en
vigueur avant la directive n° 93/13, voir Ebers M., Directive relative aux clauses contractuelles abusives (93/13), précité, p. 395-397. (106) CJCE, 27 juin 2000 (Oceano Grupo Editorial SA
c/ Rocio Murciano Quintero et Salvat Editores SA c/ José M. Sanchez Alcon Prades, José Luis Copano Badillo, Mohammed Berroane et Emilio Vinas Feliu), aff. C-240/98 à C-244/98, Rec., 2000,
p. I-04941. Adde, CJUE, arrêt Ferenc Schneider, précité, point 46. (107) Voir. not. à ce sujet Moiny J.-P. et De Groote B., « Cyberconsommation » et droit international privé, RDTI, n° 39, 2009, p. 5
et s. (108) CJCE (6e ch.), 11 juillet 2002 (Rudolf Gabriel), aff. C-96/00, Rec., 2002, p. I-06367, point 39. Adde, CJCE, 19 janvier 1993 (Shearson Lehmann Hutton Inc. c/ TVB), aff. C-89/91,
Rec., 1993, p. I-00139, point 18. (109) CJCE, arrêt Oceano Grupo, précité, point 26. (110) CJCE, arrêt Centro Movil Milenium, précité, point 36. Adde, CJUE, arrêt Ferenc Schneider, précité,
point 47. (111) (112) Voir CJCE (4e ch.), 4 juin 2009 (Pannon GSM Zrt. c/ Erzsébet Sustikné Gyorfi), aff. C-243/08, Rec., 2009, p. I-04713, point 44. (113) Tel qu’amendé par un vote partiel
en première lecture par le Parlement européen, le projet de directive sur les droits des consommateurs prévoit que la clause qui confère « à la juridiction compétente du lieu où le professionnel
est domicilié la compétence exclusive pour tous les litiges découlant du contrat, à moins que la juridiction choisie ne soit également celle du lieu où le consommateur est domicilié » est abusive
en toutes circonstances, amendement 201, Annexe II, point c) bis, P7_TA(2011)0116, 24 mars 2011. (114) CJCE, arrêt Oceano Grupo, précité, point 24. (115) Voir les conclusions de l’Avocat
général Tizzano dans l’affaire Centro Movil Milenium, point 30. (116) CJCE, arrêt Freiburger c/ Hofstetter, précité, point 23. (117) Précité.
102
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Informatique I Médias I Communication
et il est probable qu’ils renonceraient à
la centralisation de leur contentieux dans
de telles conditions.
18. Les éléments précités sont évidemment pertinents lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère abusif ou non d’une
clause d’arbitrage. De manière générale, les sentiments de la doctrine sont
a priori partagés par rapport à la possibilité du recours à l’arbitrage en matière
de consommation. Et chacun avance
des éléments dignes de considération
dans l’analyse de l’équilibre existant
entre professionnel et consommateur.
Certains s’attaquent au coût de l’arbitrage international et considèrent que
le « risque que recèle une telle clause
est de conduire inéluctablement à un
déni de justice » (122), même si « on ne
voit pas pourquoi on devrait interdire
aux consommateurs l’accès à la justice arbitrale (…) une fois le différend
Grâce à la Convention
de New York,
la sentence arbitrale
est un titre qui circule
bien dans un contexte
international, ce qui lui
offre une valeur ajoutée
indéniable par rapport
au jugement d’une
juridiction étatique.
né » (123). Toujours sous l’angle du coût,
les consommateurs ne peuvent en effet
pas avoir recours, dans le cadre de telles
procédures, à l’aide juridique (124). En
outre, d’autres pensent que la rémunération, dans les faits, des arbitres par les
professionnels entacherait leur impartialité (125). Ils seraient favorables aux
professionnels dès lors que ceux-ci les
rémunèrent généralement. Par ailleurs,
si l’arbitrage privait le consommateur du
recours à une action collective, sans leur
offrir son pendant en matière de justice
privée, il serait d’autant plus contestable.
Pratiquement, le caractère on line de
l’arbitrage pourrait être un désavantage
en ce qu’il ne permettrait justement pas
la présence physique des parties en litige (126).
Pourtant, certains verraient une « aberration » (127) à considérer la clause d’arbitrage comme abusive. On souligne
que l’arbitrage, eu égard à l’internationalité des situations – et les coûts y
liés – impliquant le web et la potentielle
modicité des enjeux, pourrait parfois
s’avérer être la « seule solution viable
et pratique » (128) (129). L’arbitrage en
ligne permettrait surtout aux parties de
régler leurs différends à distance. Et il
faut relever que « les avantages reconnus
à l’arbitrage comme mode alternatif à la
justice étatique pour résoudre les litiges
sont également recherchés par le droit
de la consommation » (130). Rapidité et
caractère informel sont par exemple des
traits augmentant l’attrait du consommateur pour l’arbitrage. Sur internet, la
célérité d’une procédure est un avantage
indéniable ; « [o]ut there, in cyberspace,
time passes quickly » (131). La rapidité
de la résolution des litiges, à laquelle
peuvent s’attendre les parties en ligne,
est également de nature à réduire le coût
de la procédure (132). Dans ce contexte,
l’arbitrage pourrait « être le vecteur de la
création d’une justice “paritaire” spécialisée dans le règlement des litiges entre
professionnels et consommateurs » (133).
En outre, il faut le souligner, grâce à
la Convention de New York (134), la
sentence arbitrale est un titre qui circule
bien dans un contexte international, ce
qui lui offre une valeur ajoutée indéniable par rapport au jugement d’une
juridiction étatique.
19. Bref, il y a des pour et des contre que
d’autres ont déjà schématisés (135). Mais
a posteriori, une analyse au cas par cas
de la problématique, celle que le droit
européen prescrit, met tout le monde
PERSPECTIVES ÉTUDE
d’élection de for rend la comparution
du consommateur plus difficile, tandis qu’elle facilite celle du professionnel (118). En effet, d’une part, tous les
litiges découlant du contrat sont soumis à la compétence exclusive du for élu
– pouvant être éloigné du domicile du
consommateur –, et, lorsque les sommes
en jeu sont d’un montant limité, les frais
de comparution peuvent être dissuasifs
et pousser le consommateur à se résigner
et ne pas agir en justice (119). Tandis
que, d’autre part, le professionnel peut
regrouper le contentieux lié à son activité
dans le for de son siège, et ainsi faciliter sa comparution et en diminuer le
coût (120). Plus tard, la Cour consolidera
cette jurisprudence, et cette fois réunie
en Grande Chambre dans l’affaire Ferenc
Schneider. Elle souligne alors que les
mêmes considérations valent pour une
clause élisant une juridiction n’étant ni
celle du siège du professionnel, ni celle
de la résidence du consommateur, mais
toutefois à proximité du siège du professionnel « tant sur le plan géographique
que du point de vue des possibilités de
transport » (121).
Ces éléments, détaillant quelque peu
l’équilibre qu’il convient d’établir entre
les parties, sont à prendre en compte par
le juge national dans son appréciation.
Par exemple, on peut se demander si ce
dernier ne pourrait pas considérer une
clause d’élection de for comme valable
si le professionnel s’engage à prendre
en charge, jusqu’à l’issue du différend,
l’ensemble des frais liés à la comparution
du consommateur (les frais de déplacement, de
logement, le cas échéant, de traduction, etc.), pour peu
que sa demande ne soit pas frivole. Dans
un tel cas, il existerait une contrepartie
à la clause au profit du consommateur,
et l’effectivité des droits garantis par la
directive n° 93/13 ne serait pas nécessairement mise en péril. Toutefois en
pratique, les professionnels n’offrent pas
une telle possibilité aux consommateurs,
>
(118) CJCE, arrêt Oceano Grupo, précité, points 22-23. (119) Précité, point 22. (120) Précité, point 23. (121) CJUE, arrêt Ferenc Schneider, précité, points 52-54. (122) Heuzé V., note sous Cass.
1re ch. civ., 21 mai 1997, Rev. crit. dr. internat. privé, 1998, p. 88. (123) Précité, p. 91. (124) Poissonnier G., La CJCE donne au juge national le pouvoir d’appliquer d’office le droit communautaire
de la consommation, REDC, 2007/2008-1, p. 135. (125) Précité. (126) À ce propos, voir Farah Y., Critical analysis of online dispute resolutions : the optimist, the realist and the bewildered,
Computer and Telecommunication Law Review, 2005, 11 (4), p. 124. (127) Gudin C.-E., L’arbitrage en matière de consommation dans l’espace judiciaire européen, RAE, 2005, p. 251.
(128) Gautrais V., Benyekhlef K. et Trudel P., Les limites apprivoisées de l’arbitrage cybernétique : l’analyse de ces questions à travers l’exemple du Cybertribunal, Revue juridique Thémis, 1999,
n° 33, p. 559. L’arbitrage en ligne pourrait constituer un moyen moins onéreux d’appréhender le contentieux international, voir Farah Y., Critical analysis of online dispute resolutions : the optimist,
the realist and the bewildered, précité, p. 123-124. Au Royaume-Uni, inversement, la modicité de l’enjeu du litige rend abusive une clause d’arbitrage, voir infra, note n° 157. (129) Quant aux
enjeux modiques, on relèvera néanmoins l’intérêt, dans le contexte de la justice étatique, de procédures du type de celle établie par le règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du
Conseil du 11 juillet 2007, JOUE 31 juill. 2007, L 199. (130) Loquin E., L’arbitrage des litiges du droit de la consommation, in Vers un Code européen de la consommation, Codification, unification
et harmonisation du droit des États membres de l’Union européenne, Osman F. (ss dir.), Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 374. (131) Schultz T., Online Arbitration : Binding or Non-Binding ?, adr
online Monthly, 2002, <www.ombuds.org/center/adr2002-11-schultz.html#_ftn1>, p. 6. (132) Schultz T., Human rights : a speed bump for arbitral procedures ? An exploration of safeguards
in the acceleration of justice, précité p. 12. (133) Loquin E., L’arbitrage des litiges du droit de la consommation, précité, p. 381. (134) Voir la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des
sentences arbitrales étrangères, signée à New York, le 6 juillet 1988. (135) Voir la synthèse du débat général réalisée par Sternlight J.R., In Defense of Mandatory Arbitration (If Imposed on the
Company), Nevada Law Journal, 2007, 8, p. 83-84.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
103
C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
d’accord. Et tout le monde a raison.
Tout dépend évidemment du contexte
juridico-factuel en cause. L’arbitrage
in abstracto, loin d’être consubstantiellement déséquilibré, offre la souplesse
nécessaire à de nombreux compromis
in concreto. Évidemment, il est également impérieux que « companies ought
not to be able to deprive “little guys”
of the opportunity to litigate their disputes » (136). Que le juge, voire le législateur national, procède à l’analyse.
À cet égard, la nouvelle directive emporte un risque substantiel de rigidité
préjudiciable si les États jugeaient que
l’arbitrage de droit commun était intégralement compris dans l’annexe prohibant « en toutes circonstances » les
clauses concernées. Il est vrai qu’ils
pouvaient – et peuvent toujours – le
décider de manière autonome. Ils sembleraient d’ailleurs interdire les clauses
d’arbitrages – mais pas les compromis
conclus une fois le différend né (137). Par
ailleurs, il faut le concéder, soumettre la
question à l’appréciation du juge est susceptible de créer une certaine insécurité
juridique (138). Or c’est justement ce que
la Commission a voulu éviter. Pourtant,
il a déjà été défendu en doctrine qu’une
analyse au cas par cas et son imprévisibilité consubstantielle pourraient s’avérer,
en la matière, plus efficaces (139).
Est-il d’ailleurs si complexe, en tout cas
théoriquement, de créer un véritable
« level playing field » que le juge acceptera dans l’exercice de son office ?
Il y a indiscutablement place pour l’arbitrage lorsqu’il « vise (…) à faciliter
l’accès des consommateurs à la justice »
et, « dans un but d’efficacité, remédi[e]
à certains problèmes soulevés dans le
cadre judiciaire, tels que les frais élevés,
les délais longs et l’utilisation de procédures lourdes » (140) (nous soulignons).
L’arbitrage pourrait prendre avantage
de l’utilisation des moyens modernes
de communication ; s’il s’agit de « cybercontentieux », que l’on recoure à un
« cybertribunal » (141) ou à un applicatif
ad hoc utilisable via internet. Toute la
procédure peut être numérique ; « imaginons un arbitrage où la demande et les
écritures subséquentes sont notifiées par
courrier électronique [ou via l’interface
d’un service web], où les ordonnances
de procédures et autres communications
empruntent la même voie, où les témoins
sont entendus par vidéoconférence, et où
les audiences de procédures se tiennent
sous forme de “chat” » (142). Via de tels
moyens, de nombreux coûts peuvent
être réduits. Il suffit d’évoquer la possibilité d’utiliser des logiciels de messagerie
– textuelle ou télévisuelle – instantanée
(le cas échéant, libres), et de souligner l’absence de frais (déplacement, logement) liés à
l’éloignement. On pense simplement à
l’« online dispute resolution » (143), dans
sa forme la plus contraignante, née d’une
synergie entre modes alternatifs de règlement des différends et technologies
de l’information et de la communication (144) : l’« online arbitration » (145).
In fine, il est clair que la composante
financière – rémunération des arbitres,
etc. – causera des difficultés substantielles quant à la faisabilité concrète d’un
tel projet (146), il faut le concéder, assez
idyllique. Si le problème est plus pratique
qu’il n’est théorique, il n’en demeure
pas moins décisif. On soulignera aussi
que, lorsqu’un service web ou du cloud
est offert à tout utilisateur d’internet,
l’obstacle linguistique demeure problématique, même s’il peut être commué en
obstacle financier – frais de traduction.
Le support des autorités publiques serait
certainement bienvenu en la matière. Il
n’empêche, le droit européen n’interdit
pas de manière générale et systématique
les clauses d’arbitrage insérées dans les
contrats de consommation ; il faut que
l’arbitrage garantisse l’équilibre entre
les parties (147). Il importe à présent
d’évoquer les droits nationaux, dont spécifiquement le droit belge, pour préciser
l’analyse.
B. – Droit national
Avant de dresser l’état du droit belge en
la matière (2°/), il est intéressant d’enrichir le propos de considérations de
droit comparé (1°/), les droits étrangers
traduisent des tendances diverses en
la matière et/ou offrent des éléments
d’analyses utiles. En quelques mots, les
droits nationaux des États membres de
l’Union européenne semblent interdire
les clauses d’arbitrage, contrairement
aux États-Unis où de telles clauses
sont permises et ont déjà été validées
– d’ailleurs dans le contexte de contrats
conclus à distance. Il importe enfin de
rappeler que les développements relatifs
aux droits nationaux des États membres
de l’Union européenne visent l’état du
droit antérieur à la transposition de la
nouvelle directive relative au droit des
consommateurs.
1°/ Droits nationaux divers
20. Les États membres de l’Union européenne peuvent avoir des points de vue
divergents sur la question de l’arbitrage
en matière de consommation. La directive n° 93/13 le permet. T. Schultz écrivait
toutefois que « the fact is that one can currently assume that pre-dispute arbitration
clauses excluding the professional and
the consumer’s right to take the disputes
to court – thus bilaterally binding – are
more likely to be held unenforceable than
not in most European countries » (148).
La tendance serait donc plutôt de tolérer
le compromis d’arbitrage et d’invalider
la clause d’arbitrage de manière générale. Ce qui apparaît plus exigeant que
ce que prévoit la directive n° 93/13. On
le verra, des considérations similaires se
retrouvent en droit belge.
(136) Sternlight J.R., In Defense of Mandatory Arbitration (If Imposed on the Company), précité, p. 82. (137) Voir infra, nos 0 et s. (138) Insécurité juridique qui n’est pas souhaitable en la matière,
Fouchard P., Clauses abusives en matière d’arbitrage, précité, p. 149. Voir également en faveur, de manière générale, d’une liste noire en raison de considérations de sécurité juridique et son effet
préventif, Ghestin J. et Marchessaux-Van Melle I., L’application en France de la directive visant à éliminer les clauses abusives après l’adoption de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, JCP G. 1995, n° 25,
p. 279.(139) Voir les développements de Schillig M., Inequality of bargaining power versus market for lemons : Legal paradigm change and the Court of Justice’s jurisprudence on Directive n° 93/13
on unfair contract terms, European Law Review, 2008, p. 343. (140) Recommandation de la Commission n° 98/257/CE, précitée, 17e considérant. (141) Voir justement le projet Cybertribunal II
dirigé par Benyekhlef K., <www.cybertribunal.org/odr/domain/cybertribunal2/secure/login.asp>. (142) Kaufmann-Kohler G., Le lieu de l’arbitrage à l’aune de la mondialisation, Réflexions à propos
de deux formes récentes d’arbitrage, Rev. arb., 1998, p. 518. (143) Pour quelques illustrations d’organismes offrant de l’ODR (arbitrage ou médiation, etc.), voir Schultz T., Online Arbitration : Binding
or Non-Binding ?, précité, note n° 3 ; Benyekhlef K. et Gélinas F., Online Dispute Resolution, LexElectronica, vol. 10, n° 2, 2005, <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_87.pdf>, p. 98 ; projet
Ecodir (Electronic Consumer Dispute Resolution), <www.ecodir.org/fr/about_us/index.htm ; http://odr.info/node/32>. (144) Voir Cortes Dieguez J.P., A European legal perspective on consumer
ODR, Computer and Telecommunications Law Review, 2009, p. 90-92. Pour une synthèse des différentes définitions et classifications d’ODR réalisées par la doctrine, voir Mann B.L., Smoothing some
wrinkles in online dispute resolution, International Journal of Law & Information Technology, 2009, (17) 1, p. 90-97 ; McMahon R., The online dispute resolution spectrum, Arbitration, 2005, 71 (3),
p. 218-227. (145) À ce sujet, voir Hörnle J., Cross-border Internet Dispute Resolution, Cambridge University Press, 2009, p. 82-86. (146) P. Cortes identifie trois aspects qui entravent l’extension des
ODR : « funding, due process (particularly impartiality) and attracting disputants to ODR ». Cortes P., Developing online dispute resolution for consumers in the EU : a proposal for the regulation
of accredited providers, précité, p. 7-11. (147) Le déséquilibre « significatif » étant sanctionné, on acceptera qu’il puisse exister un déséquilibre insignifiant entre les parties. (148) Schultz T., Online
Arbitration : Binding or Non-Binding ?, précité, p. 2. À propos des droits nationaux, voir Ebers M., Directive relative aux clauses contractuelles abusives (93/13), précité, p. 423 et s.
104
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
termes de J.L. Pérez-Serrabona Gonzáles, en ce sens que l’arbitrage aura lieu
à l’initiative du consommateur (154).
Autrement dit, ce denier choisira d’y
recourir une fois le différend né. D’autre
part, tous les litiges ne sont pas nécessairement « arbitrables » dans ce
cadre (155). Il n’en demeure pas moins
que le législateur s’est évertué à favoriser
l’arbitrage en matière de consommation
en le soutenant et surtout en l’encadrant
spécifiquement (procédure de choix des arbitres et
exigences quant à leurs qualités, fixation des prix, etc.).
Une situation du même type que le cas
espagnol existe également au Portugal (156).
23. Au Royaume-Uni, on relèvera qu’une
clause d’arbitrage (obligatoire pour le consommateur, « compulsory arbitration clause ») est automatiquement abusive si elle porte sur un
litige dont l’enjeu est modique (157), à
savoir inférieur à 5 000 £ (2 000 £ en Irlande
du Nord) (158). L’Office of Fair Trading
C’est hors de l’Union
européenne, aux
États-Unis, que
l’on trouve des cas
directement liés
à l’« e-contentieux »
et impliquant des
clauses d’arbitrage,
le cas échéant, valides.
considère que s’il est recouru à une
clause d’arbitrage, elle ne devrait pas
être obligatoire (159) (« non-compulsory arbitration » ou, en reprenant les termes de T. Schultz, « unilaterally
binding arbitration agreements, also called optional arbitration clauses » (160)), et il exige régulièrement
des entreprises qu’elles suppriment de
telles clauses ou spécifient qu’elles laissent la possibilité au consommateur de
s’adresser à un Tribunal (161). La jurisprudence semble également considérer
les clauses d’arbitrage liant les consommateurs comme abusives (162).
24. C’est hors de l’Union européenne,
aux États-Unis, que l’on trouve des cas
directement liés à l’« e-contentieux » et
impliquant des clauses d’arbitrage, le
cas échéant, valides. Il faut rappeler,
même si c’est notoire, que de nombreux
et puissants prestataires du web (Google, Facebook, eBay, PayPal, etc.) y sont principalement
et originellement établis. En d’autres
termes, ils sont imprégnés de la culture
juridique américaine où est né internet.
Par ailleurs aux États-Unis, « l’arbitrage
du droit de la consommation (…) est
largement passé dans les mœurs » (163),
même si, initialement, le législateur fédéral a dû combattre, par une loi (164), les
réticences jurisprudentielles à l’encontre
de l’arbitrage. Aujourd’hui, la jurisprudence est plutôt favorable aux « mandatory arbitration clauses », tandis que
la doctrine les critique (165). Certains
se demandent ainsi dans quelle mesure
le droit américain n’est pas susceptible
d’évoluer dans un sens similaire au droit
européen (166) ; « American legislation
to protect consumers and employees could
take the European model as its starting
point » (167). Il en serait d’ailleurs ainsi si
l’Arbitration Fairness Act, plusieurs fois
proposé, était adopté. Il amenderait alors
le Federal Arbitration Act 1996 (FAA) en
interdisant les « predispute arbitration
agreements », notamment vis-à-vis des
consommateurs (168). Une tendance
PERSPECTIVES ÉTUDE
21. Ailleurs, le droit français, par
exemple, est explicite quant au sort de
la clause d’arbitrage dans les contrats de
consommation : l’article 2061 du Code
civil français l’interdit (149). La Cour de
cassation française n’applique toutefois
pas cette disposition aux clauses compromissoires internationales conclues
par un consommateur ; à savoir, lorsque
l’arbitrage est international, c’est-à-dire
s’il met en jeu les intérêts du commerce
international (150). Dans ce cas, la clause
est appliquée sous réserve de la mise en
œuvre, par les arbitres, de l’ordre public
international, sous le contrôle du juge de
l’annulation. C.-E. Gudin voit d’ailleurs
dans l’annexe de la directive n° 93/13
« une reprise au plan communautaire
des réserves que le droit interne de l’arbitrage français émet » (151). Si la disposition précitée n’empêche a priori pas
le compromis d’arbitrage, il n’en reste
pas moins qu’elle traduit une certaine
méfiance.
22. Le législateur espagnol, voisin, adopte
une position plus favorable vis-à-vis de
l’arbitrage en matière de consommation
dans la mesure où il l’a institutionnalisé.
Cet arbitrage est consacré dans la législation qui établit des instances arbitrales
spécifiques – les « juntas » –, offrant
ainsi aux consommateurs et professionnels un véritable « système arbitral de
consommation » aux multiples vertus
– économie, simplicité, équilibre entre
les parties, efficacité, etc. (152) Toutefois,
deux éléments importants doivent être
signalés. D’une part, ce type d’arbitrage
est volontaire et implique la participation
de l’autorité publique (153). Mais il est
« unidirectionnel », pour reprendre les
>
(149) « Sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle. » (150) Loquin E., Organisation
générale du commerce, Tribunaux de commerce et arbitrage (Chroniques), RTD com 2004, p. 447-450. Adde, Heuzé V., note sous Cass. 1re civ.), 21 mai 1997, précité, p. 88 et s. Quant à la
potentielle incidence de l’internationalité du litige en matière de droits de l’homme, voirinfra partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable. et s. (151) Gudin C.-E., L’arbitrage en matière de
consommation dans l’espace judiciaire européen, précité, 2005, p. 251. (152) Voir Pérez-Serrabona González J.L., Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, REDC, 2002/3,
p. 206-210. (153) Ainsi notamment, le président de la junta est un fonctionnaire public diplômé en droit (le collège arbitral comprend en outre trois arbitres, l’un représentant les consommateurs,
l’autre le secteur des entreprises), voir Pérez-Serrabona González J.L., Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, précité, p. 204. (154) Pérez-Serrabona González J.L.,
Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, précité, p. 203. (155) Il en est ainsi des litiges portant sur « les matières indissociablement liées à d’autres dans lesquelles les
parties n’ont pas de pouvoir de disposition », Pérez-Serrabona González J.L., Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, précité, p. 202. (156) Voir Mendes Cabeçadas I., The
Development of Portuguese Consumer Law With Special Regard to Conflict Resoultion, Journal of Consumer Policy, n° 17, 1994, p. 116-120 ; Boucher M. (ss dir.), Labelle Y., avec la collaboration
du Comité Protection du consommateur, L’arbitrage de consommation : un processus équitable et efficace ?, Rapport final du projet présenté au Bureau de la consommation d’industrie Canada,
Union des consommateurs, Montréal, juin 2009, <www.consommateur.qc.ca/union-des-consommateurs/docu/protec_conso/arbitrageF.pdf>, p. 56-59. (157) Voir Arbitration Act 1996, Part II,
S. 91 (1), <www.legislation.gov.uk/ukpga/1996/23/part/II/crossheading/consumer-arbitration-agreements>. (158) Office of Fair Trading, Unfair standard terms, OFT143, sept. 2008, <www.oft.
gov.uk/shared_oft/business_leaflets/unfair_contract_terms/oft143.pdf>, annexe B, note de bas de page n° 11. (159) Office of Fair Trading, Unfair contract terms guidance, OFT311, sept. 2008,
<www.oft.gov.uk/shared_oft/reports/unfair_contract_terms/oft311.pdf>, p. 67, § 17.3. (160) Schultz T., Online Arbitration : Binding or Non-Binding ?, précité, p. 2. (161) Drahozal C.R. et Friel R.J.,
A comparative view of consumer arbitration, Arbitration, 2005, 71 (2), p. 135. (162) Voir not., à ce propos, Helps D. et Sheridan P., Construction Act review (October), Construction Law Journal,
2005, 21(7), p. 521-538 ; Dundas H.R., Recent developments, in English arbitration law : arbitrations involving consumers, whether to hold a hearing, enforcement of foreign awards and a
postscript, Arbitration, 2009, 75(1), p. 115-125. (163) Loquin E., L’arbitrage des litiges du droit de la consommation, précité, p. 378. (164) Le Federal Arbitration Act, promulgué en 1925 (US
Code, Title 9, Section 1 et s.). (165) Voir Sternlight J.R., Is the US out on a limb ? Comparing the US approach to mandatory consumer and employement arbitration to that of the rest of the
world, précité, p. 832-843. (166) Voir Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States, précité, p. 392-393. Les auteurs soulignent également que,
comparativement à la situation européenne, les spécificités du système juridique américain (recours aux jurys, « class actions » et « punitive damages ») conduisent les entreprises à réaliser une
pression politique plus forte en faveur de l’arbitrage en matière de consommation. (167) Park W.W., Amending the federal arbitration act, Report, précité, p. 132. (168) Un tel acte a été proposé à
plusieurs reprises. J.R. Sternlight évoque la proposition de 2007, voir Sternlight J.R., In Defense of Mandatory Arbitration (If Imposed on the Company), précité, p. 84 ; <http://frwebgate.access.gpo.
gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=110_cong_bills&docid=f:s1782is.txt.pdf>. L’amendement a également été introduit à plusieurs reprises devant la Chambre des représentants et le Sénat en 2009
(voir <www.thomas.gov/cgi-bin/query/z?c111:H.R.1020>, et 2011 (voir <http://washlaborwire.com/2011/05/18/the-arbitration-fairness-act-of-2011-s-987-hr-1873/>.
Informatique I Médias I Communication
N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
105
C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
législative inverse s’observerait : face
à une interprétation trop libérale par la
Cour suprême du FAA et de sa portée,
il conviendrait d’amender ce dernier qui
n’a pas été rédigé dans le but de régir les
relations entre professionnels et consommateurs. À terme, le droit américain
serait donc susceptible d’interdire plus
systématiquement les clauses d’arbitrage
liant les consommateurs, tout comme
une certaine lecture de la nouvelle directive européenne relative aux droits des
consommateurs le commande.
Quoi qu’il en soit, de lege lata, aux ÉtatsUnis, la clause d’arbitrage a pu et peut
être insérée dans le contrat d’adhésion
conclu avec le consommateur, sous réserve d’être sanctionnée par le juge, sur
la base du common law, notamment
lorsqu’elle est « unconscionable ». En
application de la doctrine de l’« unconscionability » (169), directement liée au
propos, le juge peut refuser l’« enforcement » d’une clause d’arbitrage. Quatre
éléments d’analyse, pertinents pour les
besoins de la réflexion, se dégagent de la
jurisprudence américaine étudiée dans la
suite du propos : le coût de l’arbitrage,
son lieu, la réciprocité des moyens de
recours et la confidentialité potentielle
de l’arbitrage. Ces éléments sont pris en
considération dans l’analyse du caractère
« unconscionable » ou non des clauses
d’arbitrage. En Europe, ils peuvent directement contribuer à l’évaluation de
l’équilibre qui existe entre les parties.
Le coût de l’arbitrage a déjà été un facteur décisif de sanction d’une clause
l’imposant. Tel fut le cas dans Brower
c/ Gateway 2000 (170), où la Cour suprême de l’État de New York considéra
la clause en question comme unconscionable spécifiquement en raison des
frais liés à l’arbitrage (171). Ce dernier
devait avoir lieu selon les règles de l’International Chamber of Commerce (ICC).
Selon celles-ci, lorsque l’enjeu du litige
était inférieur à 50 000 $, une avance
de frais de 4 000 $ – montant supérieur
à l’ordinateur acheté à distance en l’espèce – était due, dont 2 000 $ ne pourraient pas être remboursés au consommateur, même en cas de victoire. Les
demandeurs invoquaient aussi les frais
de déplacement qu’ils devraient supporter – évalués par eux à 1 000 $. La
Cour releva néanmoins que, dans une
autre affaire impliquant Gateway 2000,
une autre juridiction avait accepté qu’il
soit recouru à l’arbitrage conformément
aux règles de l’American Arbitration
Association (AAA) (172). L’arbitrage ICC
fut encore critiqué quant à son coût dans
l’affaire Bragg c/ Linden Research (173)
impliquant le réseau social SecondLife (174). Son coût, supérieur à ce que
coûterait l’introduction d’une action judiciaire, constitua une des considérations
qui conduisirent la Cour à déclarer la
clause pertinente « unconscionable ».
Dans Comb c/ PayPal (175), en matière
de transactions en ligne, où il fut cette
fois renvoyé à l’arbitrage commercial de
l’AAA (176), une Cour jugea que « [b]y
allowing for prohibitive arbitration fees
and precluding joinder of claims (which
would make each individual customer’s
participation in arbitration more economical), PayPal appears to be attempting to insulate itself contractually from
any meaningful challenge to its alleged
practices. Under these circumstances, the
Court concludes that this aspect of the arbitration clause is so harsh as to be substantively unconscionable » – les plaintes
individuelles ne dépassant pas 310 $. Le
juge américain, comme le serait le juge
européen, est sensible à l’obstacle que
peut constituer, pour un consommateur,
le coût d’un arbitrage.
Très naturellement, le lieu de l’arbitrage
– « venue » – entre également en ligne de
compte. Dans Comb c/ PayPal, la Cour
recommande d’apprécier les circonstances respectives dans lesquelles se
trouvent les parties. Elle souligne ainsi
que PayPal a des millions de clients au
travers des États-Unis et que le montant
moyen des transactions effectuées via
son service est de 55 $. Elle juge alors
que « PayPal cites no California authority
holding that it is reasonable for individual consumers from throughout the
country to travel to one locale to arbitrate
claims involving such minimal sums ».
Et que « [l]imiting venue to PayPal’s backyard appears to be yet one more means
by which the arbitration clause serves to
shield PayPal from liability instead of
providing a neutral forum in which to
arbitrate disputes ». Ce raisonnement,
repris dans Bragg c/ Linden Research,
fait ainsi prévaloir l’intérêt du consommateur dès lors que les montants en
jeu sont faibles et que le professionnel
commerce délibérément globalement.
À l’opposé toutefois, dans l’affaire RealNetworks (177), mettant en cause un
problème de « privacy » lié notamment
au lecteur multimédia RealPlayer gratuitement téléchargeable sur internet,
la Cour saisie ne juge pas pertinent ce
critère de rayon d’action de l’entreprise
quant à l’« unconscionability » (178), et
les plaignants sont renvoyés à l’arbitrage.
Le manque de « réciprocité dans les
moyens de résolution des différends »
– « mutuality of remedies » – est également pris en compte. Il se présente
lorsque la partie la plus forte se réserve
plus de moyens de résoudre un litige,
(169) Voir à ce sujet Moiny J.-P., Contracter dans les réseaux sociaux : un geste inadéquat pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, précité, p. 172-175. Retenons
synthétiquement que l’« unconscionability » comporte deux branches, la « procedural unconscionability » et la « substantive unconscionability ». Selon les États, un contrat est automatiquement
« procedurally unconscionable » s’il est d’adhésion (par ex. le droit californien). L’élément de « substantive unconscionability » renvoie quant à lui à la situation de déséquilibre manifeste – un résultat
« overly harsh » ou « one-sided » – résultant de l’exploitation par une partie de sa position supérieure. Les développements concernent en substance ce second élément. (170) Supreme Court of the
State of New York, 1st. Department, 17 août 1998, Brower, et a., Levy, et a. c/ Gateway 2000 Inc. et a., <www.internetlibrary.com/pdf/Brower-Gateway-2000.pdf>. (171) « We do find, however, that
the excessive cost factor that is necessarily entailed in arbitrating before the ICC is unreasonable and surely serves to deter the individual consumer from invoking the process (see, Matter of Teleserve
Systems, 230 AD2d 585, 594, lv denied __NY2d__, 1997 NY App Div LEXIS 10626). Barred from resorting to the courts by the arbitration clause in the first instance, the designation of a financially
prohibitive forum effectively bars consumers from this forum as well. » (172) C’est probablement également ces dernières qui étaient en cause dans Hill c/ Gateway 2000 où les acheteurs en cause
furent réputés avoir consenti à la clause d’arbitrage sans que soit discuté le caractère « unconscionable » de celle-ci, voir US Court of Appeals for the Seventh Circuit, 6 janv. 1997, Rich Hill and Enza Hill
c/ Gateway 2000 Inc., <http://law.scu.edu/facwebpage/neustadter/contractsebook/main/cases/Gateway.html>. Pour un autre cas, impliquant la vente d’ordinateurs en ligne, où une clause d’arbitrage
a été entérinée, voir Appellate Court of Illinois, First District, 12 août 2005, Dewayne Hubbert et a. c/ Dell Corporation, <www.internetlibrary.com/pdf/Hubbert-Dell.pdf>. (173) US District Court for
the Eastern District of Pennsylvania, 30 mai 2007, Marc Bragg c/ Linden Research Inc., et Philip Rosedale, <iwww.paed.uscourts.gov/documents/opinions/07D0658P.pdf>. (174) Au sujet des règles
applicables « [t]he court’s own estimates place the amount that Bragg would likely have to advance at $ 8,625, but they could reach as high as $ 13,687.50. Any of these figures are significantly greater
than the costs that Bragg bears by filing his action in a state or federal court. Accordingly, the arbitration costs and feesplitting scheme together also support a finding of unconscionability », Bragg
c/ Linden Research, précitée, p. 37. (175) US District Court for the Northern District of California, 30 août 2002, Craig Comb et Roberta Toher, Jeffrey Resnick, c/ PayPal Inc., <http://pub.bna.com/
eclr/021227.htm>. (176) Dans le cadre d’un arbitrage AAA, des règles spécifiques en matière de litiges impliquant des consommateurs existent, voir <www.adr.org/consumer_arbitration>. (177) US
District Court for the Northern District of Illinois, 8 mai 2000, In re RealNetworks Inc., Privacy Litigation, <www.internetlibrary.com/pdf/In-re-RealNetworks-N.D.-Ill.-May-8-2000.pdf>. (178) « The
designation of any state as a forum is bound to be distant to some potential litigants of a corporation that has a nationwide reach. Intervenor would have the Court essentially preclude arbitration
agreements from having any forum selection clause in order to prevent the designation of a distant forum to any of these litigants. This Court is not willing to do so. Arbitration provisions containing
forum selection clauses have previously been upheld (…). Thus, that Washington is a distant arbitration forum for some does not render the arbitration clause substantively unconscionable. »
106
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7
Informatique I Médias I Communication
limiter sa responsabilité en étranglant les
voies de recours du consommateur. De
manière générale, c’est ainsi également
une attitude « en dépit de la bonne foi »
qui est prohibée, comme dans la directive n° 93/13. On ne peut manquer de
souligner ici les similitudes existant entre
droit européen et droit américain.
Enfin à titre illustratif, il peut être renvoyé
à une clause « d’arbitrage » (179) équilibrée présente dans un contrat conclu,
aux États-Unis, entre un consommateur
et un prestataire de services de téléphonie mobile – AT&T –, récemment mise
en cause devant la Cour suprême des
États-Unis dans l’affaire AT&T c/ Concepcion (180). La Cour suprême a validé
cette clause en annulant la décision de
la Court of Appeals for the Ninth Circuit (181) qui l’avait considérée comme
« unconscionable » car elle entraînait,
pour les consommateurs, renonciation
à la possibilité d’introduire l’équivalent
d’une « class action » devant les arbitres
– « classwide arbitration waiver » (182).
L’existence d’un
pendant aux
« class actions »
en matière d’arbitrage
est un argument
de poids pour accepter
l’arbitrage en matière
de consommation.
Il aurait été intéressant d’étudier dans
quelle mesure, aux États-Unis, la possibilité d’une « class arbitration » ne jouerait pas un rôle décisif dans l’équilibre
existant en matière de protection des
consommateurs. En effet, l’existence
d’un pendant aux « class actions » en
matière d’arbitrage est un argument de
poids pour accepter l’arbitrage en matière de consommation.
Il convient désormais de s’intéresser de
plus près au droit belge.
2°/ Droit belge
25. En droit belge, la section 6 du chapitre 3 de la loi sur les pratiques du
marché et la protection du consommateur (LPMPC) (183), remplaçant l’ancienne loi sur les pratiques du commerce
(LPC) (184), et le chapitre III de la loi
relative à la publicité trompeuse et à
la publicité comparative, aux clauses
abusives et aux contrats à distance en
ce qui concerne les professions libérales
(LPL) (185) interdisent les clauses abusives. Un contrat conclu entre une entreprise et un consommateur ne peut contenir de clause créant, seule ou combinée
à d’autres, un « déséquilibre manifeste »
entre les droits et obligations des parties
– notion légale dont la Cour de cassation
connaîtra le cas échéant (186) –, peu
importe que la clause ait été ou pas négociée individuellement ou standardisée.
Le déséquilibre devant être manifeste,
le contrôle du juge est marginal (187).
Par ailleurs, si l’exigence de bonne foi
n’est pas reprise de manière explicite,
qu’importe, le droit belge n’empêche pas
que l’on s’y réfère, et il prescrit l’évaluation des contextes précontractuels et
contractuels conformément à la directive n° 93/13 (188).
L’article 74 de la LPMPC contient une
liste noire de clauses réputées abusives
en toutes circonstances. Le point 1, q),
de l’annexe de la directive n° 93/13 n’y
est pas repris explicitement, une clause
d’arbitrage devant alors être évaluée en
fonction de la définition générale de la
clause abusive. La LPL reprend en revanche à la lettre – mutatis mutandis –,
le texte de l’annexe de la directive (189).
26. On peut se demander si l’attitude
du droit belge face à la clause d’élection
de for est transposable à la matière de
l’arbitrage. En effet, la LPMPC interdit
l’élection de for dérogeant aux critères
traditionnels de compétence territoriale
interne des juridictions belges (190).
PERSPECTIVES ÉTUDE
contraignant contractuellement la partie
la plus faible au seul recours à l’arbitrage. Tel fut le cas dans Comb c/ PayPal,
où PayPal, à sa seule discrétion, avait la
possibilité de restreindre les comptes des
utilisateurs, de les fermer, de geler des
fonds, de mener sa propre enquête, de
modifier unilatéralement le « User Agreement » et de s’octroyer la propriété des
fonds jusqu’à ce que son client soit ultérieurement jugé comme y ayant droit.
En d’autres termes, PayPal disposait
de moyens contractuels spécifiques lui
permettant de résoudre les litiges. Alors
que les utilisateurs ne pouvaient pas en
bénéficier. La décision Bragg c/ Linden
Research s’appuie directement sur ces
éléments pour aboutir à la même conclusion en mettant en évidence que Bragg a
lui aussi la possibilité, à sa seule discrétion, de mettre un terme à tout compte,
de refuser l’utilisation du service, de
retenir les fonds litigieux, d’amender
l’accord, etc.
Enfin, la jurisprudence américaine peut
invoquer la confidentialité de l’arbitrage
à l’appui de la thèse de l’« unconscionability ». Ainsi dans Bragg c/ Linden
Research, la Cour relève à juste titre que
« if the company succeeds in imposing a
gag order on arbitration proceedings, it
places itself in a far superior legal posture
by ensuring that none of its potential
opponents have access to precedent while,
at the same time, the company accumulates a wealth of knowledge on how to
negotiate the terms of its own unilaterally
crafted contract ».
En synthèse, dans les cas cités, à part
Brower c/ Gateway 2000, c’est une
combinaison de deux ou plusieurs des
éléments précédents qui conduisent à
un constat d’« unconscionability ». La
tentative d’immunisation contentieuse
et/ou le déséquilibre entre les moyens
de recours sont sanctionnés. La jurisprudence empêche le professionnel de
>
(179) Le terme est entre guillemets car il faut relever que la clause en question n’était pas contraignante pour les demandes de 10 000 $ ou moins. En effet, en cas d’une telle demande, chaque
partie pouvait saisir une « small claim court » plutôt que de recourir à l’arbitrage. (180) Supreme Court of the United States, 27 avr. 2011, AT&T Mobility LLC c/ Concepcion, <www.supremecourt.
gov/opinions/10pdf/09-893.pdf>. La clause était rédigée comme suit : « [i]n the event the parties proceed to arbitration, the agreement specifies that AT&T must pay all costs for non frivolous
claims ; that arbitration must take place in the county in which the customer is billed ; that, for claims of $ 10,000 or less, the customer may choose whether the arbitration proceeds in person,
by telephone, or based only on submissions ; that either party may bring a claim in small claims court in lieu of arbitration ; and that the arbitrator may award any form of individual relief,
including injunctions and presumably punitive damages. The agreement, moreover, denies AT&T any ability to seek reimbursement of its attorney’s fees, and, in the event that a customer
receives an arbitration award greater than AT&T’s last written settlement offer, requires AT&T to pay a $ 7,500 minimum recovery and twice the amount of the claimant’s attorney’s fees » (nous
soulignons). (181) Dont la juridiction comporte notamment la Californie. (182) L’opinion des quatre juges dissidents, à laquelle il est renvoyé, est toutefois plus convaincante. (183) Loi du 6 avril
2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, MB, 12 avril 2010. (184) Loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du
consommateur, MB, 29 août 1991. (185) Loi du 2 août 2002 relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative, aux clauses abusives et aux contrats à distance en ce qui concerne
les professions libérales, MB, 20 novembre 2002. (186) Voir Cass. 1re ch., 12 oct. 2007, RCJB, p. 527, note Kirkpatrick J. (187) Voir Swaenepoel E., Stijns S. et Wéry P., Onrechtmatige bedingen
– Clauses abusives, précité, p. 168 et les références citées par les auteurs. (188) La bonne foi n’étant pas reprise comme critère spécifique, elle ne jouera qu’un rôle complémentaire dans
l’analyse. Voir l’article 73, alinéa 1er, de la LPMPC ; supra, note n° 71 ; Swaenepoel E., Stijns S. et Wéry P., Onrechtmatige bedingen – Clauses abusives, précité, p. 168 ; Cambie P., Onrechtmatige
bedingen, Larcier, Bruxelles, 2009, p. 154. (189) Voir point 1, q), de l’annexe à la LPL. Dans ce contexte par ailleurs, la clause demeure nulle même lorsqu’elle a été négociée. (190) Au sujet des
clauses attributives de compétence dans le cadre de l’interdiction des clauses abusives, voir Cambie P., Onrechtmatige bedingen, précité, p. 332-338.
Informatique I Médias I Communication
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107
C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
C’est en ce sens que peuvent être interprétés les articles 74, 23°, de la
LPMPC (191) et 30, 20°, de l’ancienne
LPC. La Cour d’appel de Mons a déjà
jugé que cette dernière disposition, sans
viser les clauses d’arbitrage, avait pour
but « d’éviter de réserver au demandeur
[l’entreprise] un avantage procédural en
forçant la comparution “sur son terrain”,
ce qui créerait un déséquilibre manifeste
dans les droits et obligations des parties » (192). On n’hésitera pas à prendre
cet élément en compte dans l’analyse
du caractère abusif ou non d’une clause
d’arbitrage. Et on liera cette décision à
l’affaire Comb c/ PayPal étudiée précédemment, où il s’agissait d’attirer les
consommateurs dans le « backyard »
de PayPal.
Cette prise de position de la Cour d’appel de Mons est compatible avec les avis
de la Commission des clauses abusives
en matière de clauses d’élection de for.
Cette Commission « fait remarquer que
les clauses qui déclarent systématiquement compétent un Tribunal déterminé,
quel que soit le lieu de la conclusion du
contrat ou de son exécution, peuvent
être interprétées comme une élection
de domicile », clauses qui sont alors
contraires à l’article précité de la LPC
lorsque aucun des critères de rattachement prévus par l’article 624, 1°, 2°
et 4°, du Code judiciaire (193) ne s’applique (194).
On relèvera également qu’une décision
de la Cour d’appel de Liège, à rapprocher des décisions américaines Comb
c/ PayPal et Bragg c/ Linden Research, a
sanctionné une clause d’élection de for
en application de l’article 31 de la LPC
– critère général de la clause abusive –
en raison de l’octroi à une banque de
la possibilité de choisir un Tribunal
parmi ceux compétents en vertu du
droit commun, outre la possibilité de
saisir le for du siège de la banque, alors
que ses clients étaient tenus de s’adresser à ce dernier (195). La Cour illustre
ici une situation de déséquilibre entre
les droits du consommateur et ceux du
professionnel. Une analyse, comme s’y
exerce la Cour d’appel de Liège, de la
clause d’élection de for sous l’angle de
la définition générale de la clause abusive offrirait un peu plus de souplesse,
malgré la jurisprudence de la Cour de
justice, et permettrait, le cas échéant,
de sauver certaines clauses (196). Ainsi
la LPL qui, comme explicité précédemment, reprend le texte de l’annexe à
la directive n° 93/13, laisserait cette
marge.
Quoi qu’il en soit, la disposition étudiée (article 74, 23°, de la LPMPC) – dans ses
nouvelle (LPMPC) et ancienne (LPC) moutures – ne met pas en cause la possibilité du recours à l’arbitrage, seul
objet de la présente réflexion. Originellement, par la LPC, le législateur
n’avait pas la volonté de considérer
comme illicite l’arbitrage en matière
de consommation (197). Rien n’indique
qu’il ait changé de position, même si les
deux types de clauses peuvent partager
certaines tares.
27. Quid alors du recours à l’arbitrage
en matière de consommation ? On pense
à une instance d’arbitrage spécifique
et paritaire qui existe en Belgique en
matière de voyages (198) : la Commission litiges voyages (CLV). Son objectif
est de trancher les différends opposant
les voyageurs et les intermédiaires de
voyage. Sa compétence, lorsqu’il y est
fait référence dans le contrat de voyage,
n’est toutefois jamais obligatoire pour
le voyageur dans la mesure où il peut,
le différend né, refuser l’arbitrage demandé par le professionnel (199). Il
le fera toutefois selon les modalités
contractuelles imposées par les autorités et reprises dans les contrats types
à propos du règlement des litiges. Le
droit belge se situe ici dans la tendance
européenne qui consisterait à limiter
le recours à l’arbitrage une fois le différend né. Cela n’a pas toujours été le
cas. La réglementation et les conditions
générales de la CLV ont en effet évolué,
et originellement, une véritable clause
– convention – d’arbitrage était prévue (200). Ce qui importe dans la suite
des développements, notamment liés à
l’arbitrage de la CLV, est de déterminer
si le juge belge considère ou pas comme
abusive une clause d’arbitrage liant un
consommateur.
28. La Cour d’appel de Mons, sous l’empire des anciennes conditions générales
de la CLV, a déjà décliné sa juridiction
au profit de la CLV, en n’hésitant pas à
juger, sous l’angle de la LPC, que « pareille clause [d’arbitrage], favorable au
(191) Selon l’article 74, 23°, de la LPMPC, sont abusives les clauses ayant pour objet de « permettre à l’entreprise, au moyen d’une élection de domicile figurant dans le contrat, de porter sa
demande devant un juge autre que celui désigné par l’article 624, 1°, 2° et 4°, du Code judiciaire, sans préjudice de l’application du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre
2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ». (192) Mons (11e ch.), 6 juin 2000, JT, 2001, p. 474. (193) Selon
cette disposition : « [h]ormis les cas où la loi détermine expressément le juge compétent pour connaître de la demande, celle-ci peut, aux choix du demandeur, être portée : 1° devant le
juge du domicile du défendeur ou d’un des défendeurs ; 2° devant le juge du lieu dans lequel les obligations en litige ou l’une d’elles sont nées ou dans lequel elles sont, ont été ou doivent
être exécutées ; (…) 4° devant le juge du lieu où l’huissier de justice a parlé à la personne du défendeur si celui-ci ni, le cas échéant, aucun des défendeurs n’a domicile en Belgique ou à
l’étranger ». (194) CCA, n° 9, avis du 11 juin 2002 sur les conditions générales pour les abonnements de téléphonie mobile, titre 2, sous-titre 3, point j). Adde CCA, n° 5, recommandation
du 12 mai 1998 concernant les conditions générales de vente dans le secteur du meuble, point 7 ; CCA, n° 17, avis du 1er juin 2005 sur les conditions générales des contrats de location des
véhicules automobiles, point 8 ; CCA, n° 23, avis du 19 décembre 2007 sur les conditions générales dans les contrats entre vidéothèques et consommateur, titre B, point 6 ; CCA, n° 24, avis du
25 juin 2008 sur les conditions générales dans le secteur de la télédistribution, titre XI, point 1. Tous ces avis sont publiés dans Ponet B. (Éd.), Commission des clauses abusives, Présentation,
activités et législation, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 49-186. (195) Liège (12e ch.), 26 janvier 2007, DCCR, 2008, n° 78, p. 84, note Van den Steen L. Dans ce cas, il y a un déséquilibre entre les
droits de la banque et ceux du client qui ne dispose pas de la même alternative que celle-ci ; il y a un manque de réciprocité dans les moyens de recours. (196) Voir supra, n° 0, al. 2, in fine.
On concevrait aussi qu’une distinction puisse être réalisée entre clause d’élection de domicile et clause d’élection de for, même si, dans les faits, leur résultat est identique, dans la mesure où la
seconde est explicite, tandis que la première contraint le consommateur de manière détournée. (197) Voir sur ce point, Piers M., note sous JP Anvers (2e canton), 4 octobre 2007, JJP, 2009,
p. 235. E. Balate considère que l’article 30.20 de la LPC – ce qui vaudrait toujours dans le cadre de la LPMPC –, a pour conséquence que « toute clause d’arbitrage est abusive », le recours
« au judiciaire » étant un « minimum incontournable ». Il admet toutefois que ces conclusions sont trop radicales et qu’il conviendrait de mettre en chantier une nouvelle lecture de la disposition.
Balate E., Le traitement des litiges et le Fonds de garantie, in Rapports actualisés et annexes complémentaires de la journée d’étude du 28 avril 1994, De Coninck H., Straetmans G. et Stuyck J.
(Éds), Bruxelles, Commissions de litiges voyages a.s.b.l., 1994, p. 92. (198) Existent également une Commission de litiges meubles (voir <http://economie.fgov.be/fr/litiges/litiges_consommation/
Belmed/quoi/possibilites_reglement_alternatif/arbitrage/com_litiges_meubles/>) et une Commission d’arbitrage consommateurs – Secteur de l’entretien du textile (voir <http://economie.fgov.
be/fr/litiges/litiges_consommation/Belmed/quoi/possibilites_reglement_alternatif/arbitrage/cacet>). (199) Voir l’article 6 du Règlement des litiges, mars 2010, <http://economie.fgov.be/fr/
modules/publications/general/disputes_voyages_fr_001.jsp>. Lorsque les montants revendiqués sont inférieurs à 1 250 , le voyageur peut refuser l’arbitrage. S’ils sont égaux ou supérieurs à cette
somme, le professionnel a également le droit de refuser l’arbitrage. Les conditions générales de la Commission de litiges voyages renvoie, en leur article 18, à cette procédure d’arbitrage. Les textes
sont disponibles sur <http://economie.fgov.be/fr/consommateurs/Voyages/Commission_litige/Competences_Litiges/>. En vertu de cette disposition, si « aucune procédure de conciliation n’a
été entamée ou si celle-ci a échoué, la partie plaignante a en principe le choix entre une procédure devant le tribunal ordinaire ou une procédure d’arbitrage devant la Commission de litiges
voyages » (nous soulignons). Le roi n’a pas rendu obligatoires ces conditions générales en application de l’article 39 de la loi du 16 février 1994 régissant le contrat d’organisation de voyages et
le contrat d’intermédiaire de voyages, MB, 1er avril 1994. (200) Voir à ce sujet, Speybrouck J., note sous JP Gand, 9 mars 1998, DCCR, 1999, p. 67 ; Piers M. et Verbist H., Recente vernietigingen
van arbitrale uitspraken van de Geschillencommissie Reizen : een analyse, DCCR, 2005, p. 5-6 ; Piers M., note sous JP Anvers (2e canton), 4 octobre 2007, précité, p. 239. On relèvera toutefois
que la juridiction étatique n’est compétente que lorsque la partie qui le souhaite a refusé la demande d’arbitrage conformément au règlement de la Commission litiges voyages (à savoir, dans un
certain délai, etc.). En d’autres termes, l’arbitrage doit avoir lieu si le voyageur ne respecte pas les modalités encadrant son refus.
108
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Informatique I Médias I Communication
émanation de ces organisations (206).
Sans entrer dans le débat relatif au fonctionnement de la CLV – les intérêts du
consommateur n’y sont-ils pas représentés, quant à la désignation des arbitres,
par l’association Test-Achats ? –, le juge
de paix pointe un élément fondamental
d’équilibre entre les parties – d’ailleurs
exigé par le droit commun en toutes hypothèses d’arbitrage : leur égalité dans
la désignation des arbitres.
30. Plus récemment, un juge de paix
d’Anvers (207) a envisagé la problématique, sans traiter des clauses abusives,
sous l’angle du consentement. Il considéra que, « in casu », la Commission litiges voyages n’avait pas de compétence
exclusive et que le voyageur/consommateur pouvait toujours s’adresser à son
juge naturel – les faits sont postérieurs
aux modifications de la réglementation
de la CLV. Plus fondamentalement, le
En l’espèce, plutôt que
d’analyser l’éventuel
caractère abusif de la
clause, le juge de paix se
fonde sur la qualité
de la partie et le caractère
« à prendre ou à laisser »
du contrat, en jugeant
que le consentement
du voyageur est vicié.
juge souligna « qu’on avait aussi clairement affaire ici à un contrat d’adhésion,
par lequel les demandeurs en tant que
personnes économiquement faibles se
sont forcées de conclure de telle sorte qu’il
ne peut être question, dans leur chef, d’un
consentement valable à la clause d’arbitrage » (traduction réalisée par nous) (208) (209).
Les motifs de la décision intéressent
particulièrement le propos. Contrairement aux décisions précitées de la Cour
d’appel de Mons et du juge de paix de
Hasselt, le consentement du consommateur est considéré comme vicié en
droit commun car non libre. Quid alors
des autres conditions contractuelles qui
ne satisferaient pas/plus le consommateur ? La protection du consommateur
contre les clauses abusives a justement
pour objectif de rétablir l’égalité entre
consommateurs et professionnels là où
celle-ci ferait défaut, en particulier quant
aux conditions contractuelles insensibles
aux lois du marché. Conditions auxquelles le consommateur, généralement,
adhère. Et « [t]here is no real market in
non-core contractual terms » (210). La
protection est le fruit de l’interventionnisme étatique, conscient de la pratique
permanente des contrats d’adhésion autorisée par le droit commun probablement depuis la révolution industrielle,
contre la loi privée d’une des parties, en
l’occurrence celle du professionnel, limitant de la sorte la tolérance de ce droit
commun. Elle pallie la faiblesse – présumée – inhérente au statut de consommateur. Aussi, elle limite les risques que le
consommateur moyen, peu attentif aux
clauses contractuelles (211), accepte par
son consentement global à l’affaire (212).
À part en ce qui concerne la définition de
l’objet du contrat et l’adéquation prix/
service (213). On comprend facilement
que ces derniers éléments soient exclus de l’analyse puisqu’ils font l’objet
– voire l’unique objet – de l’attention du
consommateur. L’utilisation de conditions générales facilite la conclusion
des transactions pour tout le monde ;
on gagne du temps, mais pas à n’importe quel prix. Le législateur a défini,
quant au fond du contrat, le périmètre
de liberté des parties. Or en l’espèce,
plutôt que d’analyser l’éventuel caractère abusif de la clause, le juge de paix
se fonde sur la qualité de la partie et le
caractère « à prendre ou à laisser » du
contrat, en jugeant que le consentement
du voyageur est vicié. Peut-être aurait-il
plutôt dû considérer que, dans le cas
d’espèce, le consentement du voyageur
à la clause d’arbitrage n’était pas certain.
Ce qui fait l’objet du point suivant (214).
La perspective aurait alors été différente.
À propos du caractère libre du consentement, le problème nous semble plus se
PERSPECTIVES ÉTUDE
consommateur, ne p[ouvai]t être considérée comme abusive » (201) (nous soulignons).
En appliquant la définition générique de
la clause abusive, la Cour avait estimé
que les « droits et obligations des parties
sont les mêmes : se rendre devant la commission ». Il était également demandé à
la Cour de se prononcer sous l’angle de
la directive n° 93/13 directement. Les
directives ne disposant pas d’effet direct
horizontal et les conditions générales
de la CLV n’ayant pas été rendues obligatoires par le roi, la Cour releva qu’il
suffisait que la clause litigieuse respecte
les conditions de validités de droit commun établies dans les articles 1676 et s.
du Code judiciaire (C. jud.). Ce qui était,
selon elle, le cas. En 1999, le juge de paix
de Hasselt s’était également déclaré sans
juridiction, validant le consentement à
la clause d’arbitrage via les conditions
générales de la CLV (202).
29. Quelques jours avant la décision
précitée du juge de paix de Hasselt, la
justice de paix de Gand déclara en revanche nulle la clause d’arbitrage octroyant compétence exclusive à la CLV,
notamment sous l’angle de l’article 1678,
§ 1er, du Code judiciaire (203) (204). En
appelant dans son analyse les articles 6
et 13 CEDH et le point 1, q), de l’annexe
à la directive n° 93/13, le juge décida que
le consommateur, qui n’avait de pouvoir
ni quant au choix des arbitres, ni quant à
la manière dont le différend serait traité,
se situait dans une position d’infériorité
telle que celle visée à l’article 1678, § 1er,
du Code judiciaire (205). Ces éléments
relatifs à l’arbitrage étaient fixés dans les
règlements et décisions de la CLV. Or le
professionnel intermédiaire de voyages,
selon la décision étudiée, pouvait influencer la désignation des arbitres, fût-ce de
manière indirecte, par l’intermédiaire
de son organisation professionnelle,
membre constitutif de la Commission.
Cette présence des organisations professionnelles a aussi été contestée, en vain,
sous l’angle de l’impartialité de la CLV,
devant le juge de paix de Hasselt qui
avait considéré que la CLV n’était pas une
>
(201) Mons (11e ch.), 6 juin 2000, précité, p. 475. (202) JP Hasselt, 16 mars 1999, DCCR, 1999, p. 70. (203) Selon cette disposition, la « convention d’arbitrage n’est pas valable si elle confère
à une partie une situation privilégiée en ce qui concerne la désignation de l’arbitre ou des arbitres ». (204) JP Gand, 9 mars 1998, DCCR, 1999, p. 59, note Speybrouck J. (205) JP Gand, 9 mars
1998, précité, 1999, p. 62. (206) JP Hasselt, 16 mars 1999, précité (207) JP Anvers (2e canton), 4 oct. 2007, JJP, 2009, p. 226, note Piers M. (208) « Dat men ook hier duidelijk te maken heeft
met een toetredingscontract, waarbij eisers als economisch zwakkere persoon zich noodgedwongen hebben aangesloten zodat er van geldige toestemming in hun hoofde om zich aan het
scheidsrechterlijk beding te schikken, geen sprake kan zijn », JP Anvers, 4 oct. 2007, précité, p. 229. (209) M. Piers, dans sa note, explique que le jugement confirme la jurisprudence établie quant
à la position du consommateur en matière d’arbitrage, Piers M., note sous JP Anvers (2e canton), 4 oct. 2007, précité, p. 229. (210) Bright S., Winning the battle against unfair contract terms,
Legal Studies, sept. 2000, 20(3), p. 344. (211) Le consommateur est surtout attentif au service ou bien offert en tant que tel et au prix exigé en contrepartie. (212) Voir Moiny J.-P., Contracter
dans les réseaux sociaux : un geste inadéquat pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, précité, p. 214. (213) À moins que les clauses relatives à ces éléments
ne soient pas rédigées de manière claire et compréhensible, voir l’article 73, al. 3, de la LPMPC. (214) Voir infra, n° 0.
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N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L
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C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … )
situer dans le caractère répandu ou non
de la clause litigieuse, et dans la question
de la nécessité de recourir à l’intermédiaire de voyages en question, plus que
dans le statut d’adhérent du voyageur.
À nouveau, si la clause litigieuse n’est
pas abusive, droit de la consommation et
droit commun ne devraient pas s’opposer à son intégration au champ contractuel. Le cas échéant, peut-être le droit
de la concurrence serait-il susceptible de
s’y opposer. C’est également sous l’angle
des droits de l’Homme qu’il pourrait y
avoir un obstacle quant à la question de
savoir si l’individu a consenti librement à
la restriction de ses droits (215). Les développements du titre suivant (II) relatif
à la CEDH s’attachent à cette question.
31. Quoi qu’il en soit, la position du
juge de paix d’Anvers suit la tendance
européenne selon laquelle la convention
d’arbitrage conclue avant la naissance
du différend – dans une clause des conditions générales – n’est pas valable. C’est,
de manière plus générale, une tendance
que la Commission des clauses abusives
semble également suivre en Belgique.
En ce sens, elle juge abusive, dans les
relations contractuelles entre justiciable
et avocat (la LPL est visée), une clause « où
le client est obligé de régler à l’amiable
son différend devant le Tribunal ou une
instance compétente à cet effet près de
l’Ordre des avocats » (216). L’on pourrait
lire là une condamnation du recours
contractuel contraignant et préalable
aux modes extrajudiciaires de règlement
des différends. La Commission a en effet
admis à la même occasion qu’il n’y avait
pas de problème lorsqu’une faculté était
laissée au client. Seul le compromis d’arbitrage serait valable. Cela n’empêche
pas la jurisprudence d’être divisée sur
la question.
Cela n’épuise pas non plus le débat. En
effet, le compromis d’arbitrage pourrait-il
alors être considéré comme abusif au
sens de la LPMPC ? Il s’agit bien d’un
contrat conclu entre un consommateur
et un professionnel, mais celui-ci n’a
pas pour objet la fourniture d’un bien
ou service par le professionnel. Soulignons certains termes de la législation.
« L’appréciation du caractère abusif des
clauses ne porte ni sur la définition de
l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération
d’une part, et les biens ou services à
fournir en contrepartie, d’autre part, pour
autant que ces clauses soient rédigées de
manière claire et compréhensible » (nous
soulignons) (217). Et le consommateur est
« toute personne physique qui acquiert
ou utilise à des fins excluant tout caractère professionnel des produits mis sur
le marché » (218) (nous soulignons). On le
sent, avec le compromis d’arbitrage, on
sort ici du contrat originel conclu avec
le professionnel – prestataire de services
ou fournisseur de biens – qui semble
visé par la LPMPC. Il serait discutable de
considérer que le compromis d’arbitrage
conclu avec ce professionnel est évaluable sous l’angle de l’interdiction des
clauses abusives. En revanche, l’institution sous les auspices de laquelle aurait
lieu l’arbitrage et le ou les arbitres constituent bien des entreprises et offriraient
un service (d’arbitrage) au consommateur et
à son cocontractant (219). L’interdiction
des clauses abusives s’appliquerait alors
à la réglementation de la procédure d’arbitrage qui constitue un contrat conclu
entre l’ensemble des protagonistes.
32. Enfin, sous l’angle du caractère certain et informé du consentement, dans
leurs décisions précitées, la Cour d’appel
de Mons et le juge de paix de Hasselt
acceptent que la clause d’arbitrage soit
rédigée dans des conditions générales.
Le juge de paix d’Anvers paraît toutefois
plus sceptique en relevant que la clause
d’arbitrage était imprimée au verso du
contrat de voyage, que les conditions
étaient écrites en petits caractères et
qu’elles n’étaient pas suivies d’une
signature. Dans la lignée de ce scepticisme, il nous semble qu’un consentement spécifique et distinct de la part
de l’adhérent serait requis. En effet, la
clause en question entraîne dans son
chef une renonciation à des droits, et diffère de la simple condition contractuelle
qu’il peut être présumé accepter (220).
Dans le cas contraire, il risquerait d’être
mal informé et son consentement pourrait ne pas être certain. La renonciation
à pouvoir s’adresser au juge étatique
n’est certainement pas prévisible pour
un consommateur moyen qui consent
globalement à une affaire. Et c’est là
plus généralement – et surtout dans
le contexte d’internet – l’adhérent qui
mérite protection, comme l’a étudié
S. Guillemard, et non plus seulement le
consommateur (221).
Il convient à présent d’étudier les limites
que la CEDH peut poser au recours à l’arbitrage en matière d’« e-contentieux ».
(…) ◆
(215) Voir partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable. et s., et en particulier le point n° Erreur ! Source du renvoi introuvable.. (216) CCA, n° 20, avis du 5 mai 2006 sur un contrat type
service d’avocat, point 8, publié dans Ponet B. (Éd.), Commission des clauses abusives, Présentation, activités et législation, précité. (217) Article 73, al. 3°, de la LPMPC. (218) Article 2, 3°, de la
LPMPC. (219) Voir la définition de l’entreprise à l’article 2, 1°, de la LPMPC. (220) « Arbitration clauses are different from other contracts in that they affect not only substantive rights but also the
procedure by which the rights are vindicated. Agreements to waive access to otherwise competent courts are qualitatively different from contract terms such as price or interest rate », Park W.W.,
Amending the federal arbitration act, Report, précité, p. 128. En matière de conclusion de contrats d’adhésion en ligne, voir Moiny J.-P., Contracter dans les réseaux sociaux : un geste inadéquat
pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, précité, p. 214-224. Voir égal. partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable.-Erreur ! Source du renvoi introuvable.
(221) Voir Guillemard S., Le « cyberconsommateur » est mort, vive l’adhérent, JDI, 2004/1, p. 7 et s.
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RLDI
PERSPECTIVES ÉTUDE
2573
C’est cette question que devait trancher la Cour économique du Caire ; ce qu’elle a fait par une décision
du 26 décembre 2010. Yasser Omar Hamine nous livre l’analyse qui doit en être faite.
Une « butte publicitaire » est-elle
considérée comme une œuvre protégeable
par le droit d’auteur en Égypte ? (1)
Par Yasser OMAR
AMINE
Conseil en propriété
industrielle (Le Caire)
Diplômé de la Faculté
de droit de l’Université JeanMoulin (Lyon-III)
DES de propriété intellectuelle
de la Faculté de droit de
l’Université de Helwan
(Le Caire)
À la fin de l’année 2010, la Cour économique du Caire, récemment instituée par
la loi n° 120 de 2008 (2), a eu l’occasion
de trancher une affaire singulière à propos
de l’éventuelle protection d’une butte (tabah, en arabe) publicitaire par le droit d’auteur
sous l’empire de la nouvelle loi n° 82 du
2 juin 2002 sur la protection des droits
de propriété intellectuelle (3) (ci-après « Code
égyptien de la propriété intellectuelle »). Cette affaire
mérite de retenir l’attention puisqu’elle
porte sur une question sur laquelle la jurisprudence est relativement rare et que,
malheureusement, ces belles décisions ne
sont guère publiées (plus particulièrement, celles
qui sont rendues après la promulgation du Code égyptien de
la propriété intellectuelle) (4). De plus, les enjeux
juridiques de ce contentieux sont d’une
importance majeure dans la mesure où
ce jugement constitue une première direction jurisprudentielle ayant pour objet de
veiller à ne pas dénaturer la conception
égyptienne de la propriété littéraire et
artistique, voire la conception person-
naliste, en protégeant n’importe quels
« objets inutiles (5) ». Il faut donc saluer,
avec certaines réserves, ce jugement qui a
décidé qu’une butte publicitaire n’est pas
protégeable par le droit d’auteur égyptien.
Rappelons, tout d’abord, les faits. M. Tarek Mohamed Wafaa Abdel-Moati Hegazy
possède une société de commerce et de
publicité (dénommée Miga). Il a enregistré une
idée créative (originale), selon la formulation
maladroite de la Cour, dans le domaine
de la publicité auprès du ministère de la
Culture (plus précisément à l’Administration des droits
d’auteur), le 17 juillet 2006 sous le numéro
de registre 2561. Le résumé de cette idée
créative consistait en une « butte verte artificielle utilisée comme intermédiaire de publicité dans lequel est représenté le message
publicitaire de diverses épaisseurs et divers
genres » intitulé « une butte publicitaire »
selon la formule employée par le demandeur. Ajoutons que M. Tarek voyait cette
butte comme étant un modèle industriel
qu’il avait déposé à l’Administration des
droits d’auteur (6) (sic !). Il avait mis en
garde le public en vue de ne pas exploiter
cette « idée publicitaire » sans solliciter son
autorisation écrite via une annonce publiée
dans le quotidien Al-Ahram en date du
8 juin 2006. Par la suite, il a découvert que
des sociétés ont repris cette idée en mettant
en place plusieurs publicités de leurs produits sur des buttes vertes artificielles dans
beaucoup d’endroits sur la route (la nationale)
de l’Égypte – Alexandrie du désert ainsi que
d’autres endroits. Il convient de noter qu’un
certain M. Adel Ibrahim Ahmed (Société Pacha
pour la publicité) avait également déposé cette
même idée en tant que « colline publicitaire » (« œuvre écrite » selon le certificat de dépôt (7)), le
13 mai 2007 sous le numéro 187.
C’est dans ces conditions que le demandeur a intenté une action devant le Tribunal de grande instance du nord du Caire,
le 12 février 2009, contre les sociétés CocaCola, Arma Food Industries, Sony Ericsson, Arab Real Estate Company, société
égyptienne pour les télécommunications
(Telecom Egypt), Al-Futtaim Real Estate et
Jotun au motif que celles-ci violaient donc
ses droits de propriété intellectuelle. Il sollicitait la condamnation desdites sociétés
au paiement de la somme de deux millions de livres égyptiennes pour chacune
d’entre elles à titre de dommages-intérêts
en réparation du préjudice matériel et
moral qu’il a subi. L’affaire a été renvoyée
devant la Cour économique du Caire (8),
puisqu’elle est désormais compétente de
façon exclusive pour connaître les litiges
et les affaires relatives à l’application du
Code égyptien de la propriété intellectuelle (art. 6 de la loi n° 120 de 2008) depuis la
promulgation de la loi n° 120 de 2008.
Par un jugement préliminaire, la Cour a eu
recours à un expert le 28 février 2010 (9).
Ce conflit nous donnera l’occasion, d’une
part, de s’interroger sur la question de la
>
(1) Cour économique du Caire, 4e ch., 26 déc. 2010, aff. n° 3099/2009, Tarek M. Wafaa Abdel-Moati Hegazy c/ Coca-Cola et a. (inédit). L’auteur tient à remercier Mme Soumaya Hanafi Mahmoud,
examinatrice à l’Administration des marques (Le Caire) et expert en propriété intellectuelle près la Cour économique, pour son aimable communication de la présente décision et son rapport d’expertise
rendu dans l’affaire. (2) La loi n° 120 de l’année 2008 portant promulgation de la loi relative à la création des Cours économiques (JO n° 21 « suite » du 22 mai 2008). (3) JO n° 22 bis du 2 juin
2002. (4) « Several factors affect the rarity of reported judicial decisions regarding copyright, particularly the manner of reporting judicial decisions in Egypt. Official reports exist only for the Cour de
Cassation (Supreme Court) and very few cases ever reach the Cour de Cassation and those cases that do reach the Court take a long time to do so. As a result, most decisions decided under the new
IP law are unpublished. The few copyright cases that have reached the Cour de Cassation and have been published predominantly deal with formalities and do not address or interpret substantive
copyright issues. In addition, the Court interprets the law or applies it only in relation to a particular decision of a lower court. Hence, such decisions are not always precedent-setting. Furthermore,
because Egypt is a civil law country, the entire system relies on the statutes promulgated rather than judicial theory or application », in Awad B., El-Gheriani M. et Abou Zeid P., « chapter 2 : Egypt »,
in Access to knowledge in Africa : The role of copyright (ss dir. Chris Armstrong, De Beer J., Kawooya D., Prabhala A. et Schonwetter T.), University of Cape Town (UCT) Press, 2010, p. 40. (5) En
France, plusieurs spécialistes récusent à juste titre le trop-plein de la propriété littéraire et artistique. Notamment le professeur André Lucas qui souligne que : « Si l’on veut que le droit d’auteur garde
toute sa légitimité, ce qui est bien nécessaire pour résister aux innombrables et sévères assauts dont il est l’objet par les temps qui courent, si l’on veut que la barque garde le cap, il faut éviter de la
charger d’objets inutiles », Propr. intell. 2004. 778, cité par M. Bruguière, Le paparazzi n’a pas de droit d’auteur sur ses photographies, note sous CA Paris, 5 déc. 2007, D. 2008. p. 461. Adde : « Par
un effet d’entraînement, on tend de plus en plus à faire du droit d’auteur le mode de protection de droit commun de toutes les créations intellectuelles qui ne peuvent être appropriées par d’autres
voies. (…) Il faut veiller à ne pas dénaturer le droit d’auteur en l’appliquant de manière systématique dans des hypothèses marginales, ce qui oblige à en gommer la spécificité » : Lucas A., Droit
d’auteur, information et entreprise, JCP E 1992, suppl. n° 6, p. 7. (6) Voir infra I., B. (7) Voir infra. (8) Article 2 des dispositions de la loi n° 120 de l’année 2008 portant promulgation de la loi relative à la
création des Cours économiques. (9) En Égypte, les juges recourent souvent à des experts en matière de propriété intellectuelle. Les juges demandent aussi à l’expert de se prononcer sur le caractère
original ou non de l’œuvre. Nous avons remarqué que la Cour s’est fortement appuyée sur le rapport de l’expert. Voir Vivant M. et Bruguière J.-M., Droit d’auteur, Dalloz, Paris, 2009, p. 172, n° 213.
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U N E « B U T T E P U B L I C I TA I R E » E S T - E L L E C O N S I D É R É E C O M M E U N E Œ U V R E P R OT É G E A B L E ( … )
« protégeabilité » d’une butte publicitaire
par le droit d’auteur égyptien en revenant
sur les dispositions qui ont permis aux
juges de justifier leurs refus (I) et, d’autre
part, de revenir sur le rôle du Bureau permanent pour la protection du droit d’auteur et de l’Administration des droits d’auteur en Égypte qui nous semble obscur (II).
I. – UNE « BUTTE PUBLICITAIRE »
PEUT-ELLE CONSTITUER UNE
ŒUVRE PROTÉGEABLE PAR LE
DROIT D’AUTEUR DES PHARAONS ?
À cette question, la Cour économique
du Caire a répondu par la négative en
décidant, dans un premier temps, que le
travail en cause du demandeur n’est pas
une œuvre ou une création entrant dans
la catégorie des œuvres protégées conformément aux articles 138 et 140 du Code
égyptien de la propriété intellectuelle (A),
et, dans un second temps, elle affirme
que le travail du demandeur n’est pas
un dessin ou un modèle industriel (B).
A. – Une « butte » n’est pas
une œuvre ou une création
au sens du Code égyptien
de la propriété intellectuelle
La question posée à la Cour était de savoir
si une « butte publicitaire » pouvait être
une œuvre au sens du Code égyptien de la
propriété intellectuelle. Avant d’analyser la
position de la Cour, il convient de définir le
terme « butte ». Selon le dictionnaire Le Robert, une butte est une « petite éminence de
terre » c’est-à-dirune colline, hauteur, un
mont, monticule, une motte, un tertre : par
exemple, une butte rocheuse, une butte de
sable. En général, la butte est formée par la
nature. Nous trouvons, le plus souvent, ces
petites élévations de terre sur la route du Sahara : l’Égypte – Alexandrie, sur lesquelles
il y a parfois des panneaux de publicité.
En effet, le droit d’auteur protège les
œuvres de l’esprit (10). Sans entrer dans
le détail, cette notion renvoie à un travail
créatif qui résulte d’une activité humaine
consciente mise en forme (11). La propriété
littéraire et artistique ne protège pas les
idées elles-mêmes ou concepts mais seu-
lement la forme originale sous laquelle ils
sont exprimés. Selon la célèbre formule du
professeur Desbois, les idées sont « de libre
parcours ». Dans cet esprit, l’article 141,
alinéa 1, du Code égyptien de la propriété
intellectuelle prévoit que « la protection
ne s’applique pas aux simples idées, procédures, méthodes de travail, moyens de
fonctionnement, concepts, principes, découvertes et les données (informations), même
s’ils sont exprimés ou décrits ou illustrés ou
inclus dans une œuvre [sic] ». Les sociétés
défenderesses s’appuyaient sur cet article.
Elles invoquaient le fait que l’œuvre en
cause n’était qu’une simple idée qui ne
pouvait être appropriée car elle conférait
au demandeur un avantage injustifié en
interdisant les tiers à recourir à d’autres
buttes pour présenter leurs publicités.
Mais faut-il décomposer la formule employée par M. Tarek « une butte publicitaire » car, en lisant sa description de son
éventuelle idée publicitaire présentée à
l’Administration des droits d’auteur, nous
allons remarquer qu’il souhaitait tantôt
protéger la butte elle-même « une chose
de la nature », tantôt une idée publicitaire (12) (sic). Dans ce dernier cas, la butte
ne sert que de support à une œuvre publicitaire (in fine la description). Comme le souligne Me André Bertrand : « “les choses de
la nature” sont normalement exclues du
champ du droit d’auteur, les “produits fortuits”, c’est-à-dire les choses dont la forme
n’a pas été façonnée par l’homme comme,
par exemple les pierres, galets, branches
et racines, autres éléments naturels “travaillés” par la nature (…) » (13). Il en est
de même pour une butte. D’ailleurs, le
droit d’auteur ne protège pas les phénomènes naturels tels que l’érosion (14).
Personne ne peut donc les approprier.
En ce qui concerne les créations publicitaires, chacun sait qu’elles peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur
si elles remplissent les deux conditions
(une création de forme originale). L’œuvre litigieuse
pourrait être protégée en tant qu’une
œuvre publicitaire si elle fait preuve d’originalité et qu’elle est matérialisée dans une
forme. Le principe de la non-protection des
idées publicitaires par le droit d’auteur a
été réaffirmé, à plusieurs reprises, par la
jurisprudence française (15). Il en va de
même pour les thèmes publicitaires. Dans
sa défense, M. Tarek prétendait avoir réalisé une idée publicitaire originale puisqu’il
estimait qu’il avait été le premier à réaliser
et exécuter cette idée en vertu d’un contrat
avec la société Pepsi en août 2006 et de
l’annonce publiée dans le quotidien AlAhram. De ce fait, il revendiquait un droit
d’auteur sur cette butte publicitaire.
M. Tarek décrivait l’idée d’une butte publicitaire dans la demande présentée à l’Administration des droits d’auteur en expliquant
« l’on doit choisir un endroit bien approprié
sur les bords de la route que ce soit des routes
désertiques ou agricoles (…), puis il explique la manière dont est construite la butte
(les matériaux nécessaires). Et ensuite, cette
butte sera cultivée ou bien couverte d’une
pelouse pour donner une vue esthétique
agréable aux passants et qui donne l’effet
d’une oasis tropicale. Enfin, cette butte sera
susceptible d’être utilisée comme intermédiaire de publicité ». Cette description a été
qualifiée par l’expert comme « une méthode
de travail, ou moyens de fonctionnement,
qui n’est pas protégé juridiquement ». Cette
idée relève donc du « fonds commun » (16).
En vertu de l’article 141 précité, qui suscite
des critiques, l’idée même décrite par le
demandeur ne pourrait donner prise au
droit d’auteur.
Dans ce contexte, la Cour économique du
Caire a débouté M. Tarek de ses demandes
en jugeant que « la butte n’est pas une
œuvre ou une création entrant dans la
catégorie des œuvres protégées conformément aux dispositions des articles 138 (1),
(2) (17) et 140 du Code égyptien de la
propriété intellectuelle ». Cependant, la
lecture du jugement appelle quelques observations. Si la position de la Cour est
accueillante en ce qu’elle ne considère pas
« la butte comme une œuvre ou une création », toutefois, la première remarque que
suscite la lecture du jugement n’est sans
doute pas tout à fait satisfaisante puisque
la Cour ne s’est pas prononcée sur la question des œuvres publicitaires, ce qui est
(10) Le législateur égyptien emploie seulement le terme d’« œuvre » et non pas celui d’« œuvres de l’esprit ». (11) Le professeur Caron définit la création comme « un fait juridique résultant d’une activité
humaine consciente qui entraîne une modification de la réalité », in Droit d’auteur et droits voisins, 2e éd., Litec, Paris, 2009, n° 44, p. 48 et s., spéc. p. 54. (12) Il convient de noter que le demandeur
n’a jamais employé le terme d’« œuvre publicitaire ». (13) Bertrand A.-R., Droit d’auteur, 3e éd., Dalloz, Paris, 2010, p. 103, n° 103.16. (14) Caron C., précité, n° 49. (15) Sur cette question, voir Greffe F.
et Greffe P.-B., La publicité et la loi, 11e éd., Litec, Paris, 2009, nos 831 et s. ; Francon, La protection des créations publicitaires par le droit d’auteur, RIDA 1980, p. 3 et s. Adde colloque de l’Irpi, Publicité
et droit d’auteur, Librairies techniques, Paris, 1990. Les idées publicitaires peuvent éventuellement être protégées sur le terrain de la concurrence déloyale. (16) Vivant M. et Bruguière J.-M., précité, p. 78,
n° 75 ; « Or notre fonds commun est beaucoup plus large puisqu’il intègre à la fois les œuvres tombées dans le domaine public, les idées, les créations ne pouvant accéder à la protection…, en un mot
tous “matériaux” ayant vocation à être utilisés dans le cadre d’un processus créatif », in Vivant M. et Bruguière J.-M., précité, p. 79, note 4. (17) L’article 138 (1), relatif aux définitions de certains termes,
précise ce qu’il faut entendre par « œuvre » : « Toute œuvre originale [mobtakar] littéraire ou artistique ou scientifique quels qu’en soient son genre ou son mode d’expression ou son importance ou
l’objectif poursuivi par sa création ». À notre avis, il ne s’agit pas d’une définition proprement dite puisqu’elle n’apporte rien de nouveau. Quant à la notion cruciale d’originalité, le législateur égyptien la définit
dans l’article 138 (2) comme étant : « Le caractère créatif [ibda’ii] qui caractérise l’originalité de l’œuvre. » Quant à l’article 140, il énumère la liste des œuvres éligibles à la protection par le droit d’auteur.
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B. – Une butte n’est pas un
dessin ou un modèle industriel
À vrai dire, la protection était seulement
demandée au titre du droit d’auteur et
non pas sur le terrain du droit des dessins
et modèles. Cependant, le demandeur
soutenait que la butte était un modèle
industriel qu’il avait déposé à l’Administration des droits d’auteur (sic !). Il est clair
donc que le demandeur s’est trompé de
bureau ou bien de qualification. Puisque
l’autorité compétente en matière de dépôt de dessins et modèles industriels, en
vertu de l’article 122 du Code égyptien
de la propriété intellectuelle, est l’Admi-
nistration générale des dessins et des modèles industriels qui relève de l’Autorité
du registre de commerce (19). Avant de
déposer sa demande à l’Administration
des droits d’auteur, le demandeur avait
tenté, il convient de le noter, de la déposer
auprès de l’Administration générale des
dessins et des modèles industriels. Mais
cette demande a été refusée. En réalité,
on voit mal comment une butte pourrait
être un dessin ou un modèle industriel.
À cet égard, la Cour s’est fondée sur l’ar-
L’un des avantages de
l’enregistrement ou du
dépôt des oeuvres auprès
d’un organisme consiste,
notamment dans le cadre
d’un contentieux, en une
mesure de précaution
qui permet d’assurer
une date certaine de la
création de l’oeuvre et de
rapporter la preuve de la
paternité de l’oeuvre.
ticle 119 du livre II (chap. II) du Code égyptien
de la propriété intellectuelle pour rejeter
l’argument du demandeur et justifier son
refus. Cet article prévoit qu’« est considéré
comme un modèle, ou un dessin industriel,
chaque arrangement de lignes et de formes
dimensionnelles avec couleurs ou sans couleurs s’il se caractérise par un caractère
spécifique, présente une nouveauté et susceptible d’application industrielle » (20). La
Cour a estimé que : « La butte n’est pas
un dessin ou un modèle industriel » et elle
ajoute que : « la butte n’est pas utilisée dans
le domaine de l’industrie ».
Comme l’observe justement l’expert, « il
n’y a pas un dessin ou un modèle enregistré sous le nom du demandeur. Et l’idée
et l’objet de l’affaire n’entrent pas dans le
PERSPECTIVES ÉTUDE
regrettable puisque, comme on l’a déjà
souligné, elles peuvent être protégées par
le droit d’auteur. Même si les œuvres publicitaires ne figurent pas dans la liste des
œuvres énumérées à l’article 140, la Cour
n’a pas rappelé que cette liste n’est pas, en
effet, exhaustive comme en témoigne la
présence de l’adverbe « notamment » (en
arabe, bewagh khas) (18). De même, la Cour n’a
pas souligné que les idées publicitaires ne
sont pas protégées par le droit d’auteur.
On notera en second lieu que la Cour s’est
bornée à renvoyer aux articles 138 et 140
du Code égyptien de la propriété intellectuelle, sans avoir procédé à une analyse
minutieuse, sur les deux notions fondatrices du droit d’auteur (forme et originalité).
Autrement dit, nos juges n’ont pas pris
soin de relever la raison pour laquelle la
butte publicitaire échappe aux canons du
droit d’auteur des pharaons ! Ce qui est regrettable car nous ne disposons pas d’une
jurisprudence abondante ayant trait aux
conditions de la protection des œuvres.
Dans son jugement in fine, la Cour estime
logiquement que « Pas d’œuvre à protéger.
Donc, pas d’allocation de dommages-intérêts et pas de responsabilité délictuelle. »
Au final, la décision n’est pas très riche.
champ du droit des dessins et modèles ».
Certes, l’affaire n’entre pas dans le champ
du droit des dessins et modèles !
II. – QUEL EST LE RÔLE DU
BUREAU PERMANENT POUR LA
PROTECTION DU DROIT D’AUTEUR
ET DE L’ADMINISTRATION DES
DROITS D’AUTEUR ?
À première vue, la détermination du rôle
du Bureau permanent pour la protection du droit d’auteur (ci-après « BPPDA ») et
de l’Administration des droits d’auteur
peut se révéler classique et sans grand
intérêt, il convient, néanmoins, de s’interroger sur leur rôle exact qui demeure,
à notre sens, ambigu en ce qui concerne
l’examen et le contrôle effectué par ces
autorités.
En principe, comme chacun sait, selon
la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques
de 1886, la protection est née du seul
fait de la création de l’œuvre (art. 5/2),
sans qu’il soit nécessaire d’accomplir une
quelconque formalité et/ou démarche
administrative (par exemple, procédure de dépôt ou
d’enregistrement). L’auteur d’une œuvre originale est donc protégé, dès la création de
son œuvre. Pourtant, de nombreux pays
sont dotés d’un bureau national du droit
d’auteur et certains pays prévoient dans
leur législation nationale une procédure
d’enregistrement. En effet, l’un des avantages de l’enregistrement ou du dépôt des
œuvres auprès d’un organisme consiste,
notamment dans le cadre d’un contentieux, en une mesure de précaution qui
permet d’assurer une date certaine de
la création de l’œuvre et de rapporter la
preuve de la paternité de l’œuvre.
En Égypte, le dépôt ne constitue pas une
condition pour accéder à la protection
légale des œuvres par le droit d’auteur
comme dans beaucoup d’autres pays (21).
>
(18) À titre d’exemple, le caractère non exhaustif de la liste des œuvres énumérées à l’article L. 112-2 du Code français de la propriété intellectuelle a été rappelé à maintes reprises par les juridictions
françaises à l’occasion du débat très intéressant sur la protection des fragrances de parfum par le droit d’auteur français. L’article 140 du Code égyptien de la propriété intellectuelle prévoit que : « Les droits
des auteurs sur leurs œuvres littéraires et artistiques bénéficient de la protection au sens de la présente loi et notamment les œuvres suivantes : 1 – Les livres, brochures, articles, bulletins et autres œuvres
écrites ; 2 – Les programmes d’ordinateur ; 3 – Les bases de données qu’elles soient lisibles par l’ordinateur ou par d’autres ; 4 – Les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres orales si elles sont
enregistrées ; 5 – Les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales et pantomimes 6 – Les œuvres musicales avec ou sans paroles ; 7 – Les œuvres audiovisuelles ; 8 – Les œuvres d’architecture ; 9 – Les
œuvres de dessin avec lignes ou couleurs, de sculpture, de lithographies et les dessins sur les tissus et autres œuvres de même nature dans le domaine des beaux-arts ; 10 – Les œuvres photographiques
et autres œuvres de même nature ; 11 – Les œuvres d’art appliqué et plastique ; 12 – Les illustrations, les plans géographiques et les sketches et les œuvres tridimensionnelles relatives à la géographie
ou à la topographie ou à l’architecture ; 13 – Les œuvres composites, sans préjudice à la protection prévue aux œuvres préexistantes (originales). La protection s’étend au titre de l’œuvre s’il est original ».
(19) Ce nom vient d’être modifié pour devenir « l’Autorité pour le développement du commerce intérieur ». Cette Autorité relève désormais, sous le Gouvernement provisoire pour la gestion des affaires du
pays, du ministère de la Solidarité sociale. Avant la révolution égyptienne du 25 janvier 2011, l’Autorité du registre de commerce relevait du ministère du Commerce et de l’Industrie. (20) Voir Haute Cour
administrative (HCA), 25 juill. 1993, Recours n° 981, 36e A.J. (21) Par exemple, en France, l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur
cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » Adde C. propr. intell., art. L. 111-2. Aux termes de l’article 184 du Code égyptien de la propriété
intellectuelle : « Les éditeurs, imprimeurs et les producteurs des œuvres, des phonogrammes, des interprétations enregistrées et des programmes radiophoniques, doivent effectuer en solidarité le dépôt de
un seul ou plusieurs exemplaires de l’œuvre ne dépassant pas dix. Le ministre compétent fixera par un arrêté le nombre d’exemplaires ou les exemplaires analogues, prenant en considération la nature
de chaque œuvre et, également, le lieu de dépôt. Le défaut de dépôt ne portera pas préjudice ni aux droits d’auteur ni aux droits voisins prévus par la présente loi. En cas de violation des dispositions du
premier alinéa du présent article, l’éditeur, l’imprimeur et le producteur seront punis d’une amende non inférieure à 1 000 livres égyptiennes et, ne dépassant pas 3 000 livres égyptiennes pour chaque
œuvre ou phonogramme ou programme radiophonique, sans préjudice de l’obligation de procéder au dépôt. Sont exonérées du dépôt, les œuvres publiées dans les journaux ou revues périodiques, sauf
si l’œuvre est éditée à part. » Voir Omar Amine Y., Chronique d’Égypte, RIDA n° 223, janvier 2010, p. 273 et s., note 54 (pour la genèse de l’article 184). Sur la question du dépôt, voir Awad B., Le dépôt légal
et le droit d’auteur en Égypte, Les Cahiers de propriété intellectuelle, 2011, vol. 23, n° 1, p. 105 et s.
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U N E « B U T T E P U B L I C I TA I R E » E S T - E L L E C O N S I D É R É E C O M M E U N E Œ U V R E P R OT É G E A B L E ( … )
Cependant, l’article 186 du Code égyptien
de la propriété intellectuelle prévoit que :
« Chaque personne peut obtenir, auprès du
ministère compétent, un certificat du dépôt
d’une œuvre ou d’une interprétation enregistrée ou d’un phonogramme ou d’un programme déposé, contre une rémunération
déterminée par le règlement d’exécution de
la présente loi n’excédant pas 1 000 livres
égyptiennes pour chaque certificat. » (22)
En l’espèce, comme le relève justement
l’expert dans son rapport : « le certificat de
dépôt du demandeur n’est qu’une simple
preuve de la date du dépôt sans se prononcer sur le bien-fondé de l’éventuelle
protection juridique de l’œuvre en cause ».
En d’autres termes, le fait d’obtenir en
Égypte un simple certificat de dépôt d’une
œuvre ne signifie pas que l’œuvre pourrait, d’emblée, accéder aux portes du droit
d’auteur. Elle doit remplir les deux conditions classiques (forme et originalité).
Concernant les deux Autorités, il convient
de rappeler que le BPPDA a été mis en
place par l’arrêté n° 153 de 1985 auprès du ministère de la Culture (art. 1). Il
existe également une Administration des
droits d’auteur au sein du ministère de la
Culture qui comprend plusieurs fonctionnaires. Les attributions de l’Administration des droits d’auteur sont conformes
à celles du BPPDA (23). De son côté, le
BPPDA se compose d’un conseil et d’un
secrétariat (art. 2). Le conseil du Bureau
comprend 13 membres désignés par le
président du Conseil supérieur de la
culture (24) (art. 3). Tandis que le secrétariat comprend quelques fonctionnaires,
outre son président (secrétaire général du Conseil
supérieur de la culture, art. 5). D’une manière générale, le BPPDA est chargé d’assurer
la protection du droit d’auteur dans le
cadre des dispositions de la loi égyptienne ainsi que de veiller à l’exécution
des conventions internationales concernant la protection des œuvres littéraires,
artistiques et scientifiques auxquelles
l’Égypte souscrit sur le plan national et
international (art. 4/1) (25).
Mais la question qui se pose est de savoir
quelle est la différence entre les deux bureaux (BPPDA et l’Administration des droits d’auteur) ?
Selon le personnel de l’Administration des
droits d’auteur, le BPPDA est seulement
une Autorité administrative. Mais d’un
point de vue pratique, l’Administration
des droits d’auteur est la seule compétente pour procéder à l’enregistrement et
à l’examen des œuvres. De prime abord,
nous sentons que nous sommes perdus
puisqu’il existe, en Égypte, d’autres organismes qui peuvent enregistrer des
œuvres. Par exemple, un auteur peut
déposer le scénario d’un feuilleton auprès
de l’Agence pour la publicité immobilière
et la documentation (26) ou comme on
l’a déjà souligné à l’Administration des
droits d’auteur. En ce qui concerne les
programmes d’ordinateur et les bases
de données, le Bureau pour la protection des droits de propriété intellectuelle
de l’Agence pour le développement de
l’industrie des technologies de l’information (Itida (27)) est compétent pour
le dépôt et la protection de ces œuvres
informatiques (28). Cette Agence relève
du ministère de la Communication et
des Technologies de l’information. Il est
regrettable qu’il n’existe aucune coopération entre les différentes Autorités en
la matière. Il en est de même pour les
organismes de propriété industrielle.
Revenons à l’espèce : le 17 juillet 2006,
M. Tarek a enregistré une idée (« une butte
publicitaire ») dans le domaine de la publicité, sans coup férir, à l’Administration
des droits d’auteur sous le numéro de
registre 2561. Le lecteur sera surpris
quand il apprendra que M. Tarek, après
avoir enregistré cette idée, a obtenu un
certificat de dépôt d’une « œuvre écrite »
revêtu du sceau de l’Administration centrale des affaires littéraires et des compétitions (Administration des droits d’auteur) ! Il
en est de même pour M. Adel Ibrahim.
Comment une « butte publicitaire » ou
une « colline publicitaire » pourraitelle être considérée comme une œuvre
écrite ?! Les œuvres écrites ne sont-elles
pas les livres, brochures, articles, bulletins, etc. ? Cette faute grave doit être
reprochée, certes, à l’Administration
des droits d’auteur. L’Administration a
considéré que la butte publicitaire était
une œuvre écrite car le demandeur avait
formulé sa demande par écrit !
En tout état de cause, il a été fait remarquer que jadis n’importe quel objet
même « inutile » pouvait, de façon abusive, faire l’objet d’un enregistrement à
l’Administration des droits d’auteur (sic !)
mais, désormais, l’Administration exerce
un contrôle sur les œuvres tant sur le
fond que sur la forme. À notre sens, ce
contrôle est périlleux pour l’avenir du
droit d’auteur en Égypte dans la mesure
où nos juges se contentent parfois du certificat de dépôt en tant qu’« une sorte de
présomption d’originalité [présomption
de protection de l’œuvre en cause] (29)
ou, plus radicalement, d’instaurer un
contrôle administratif “minimal” d’originalité, comme cela se passe pour les brevets » (30). À cet égard, l’expert avait posé
une question à la directrice de l’Administration des droits d’auteur concernant son
rôle dans l’évaluation des œuvres qui lui
sont soumises (31). À cette question, la
directrice a répondu que la compétence
de l’Administration se bornait dans le
dépôt des œuvres sans examiner ni évaluer leurs contenus. Pourtant, nous n’en
sommes pas convaincus car, du point de
vue pratique, l’Administration procède à
un contrôle de fond.
Pour conclure, espérons que l’Administration des droits d’auteur n’ait pas à procéder à l’enregistrement des pyramides !
Alors, ne faudrait-il pas s’étonner si un
jour une personne revendique un droit
d’auteur sur les pyramides… ◆
(22) Article 16 du règlement d’exécution du livre III consacré au droit d’auteur et aux droits voisins. (23) Loutfi M.-H., Guide pratique de la propriété littéraire et artistique, livre I, Le Caire, 1992, p. 17,
note 55 (en arabe). Voir notre chronique, in RIDA, précité, p. 279 et 309, note 64. (24) Président de la commission des lois du Conseil supérieur de la culture, secrétaire général du Conseil supérieur
de la culture, conseiller du Conseil supérieur de la culture, directeur de l’Administration des relations culturelles extérieures du ministère des Affaires étrangères, représentant de l’Agence générale du
livre, représentant de l’Académie de la langue arabe, représentant de l’Union des écrivains, représentant de l’Union des éditeurs, représentant de la Société égyptienne des auteurs, compositeurs et
éditeurs de musique (Sacerau), président du Syndicat des professions musicales, président du Syndicat des professions cinématographiques, président du Syndicat des peintres dans l’art plastique.
(25) Loutfi M.-H, précité. (26) Il faut souligner que, du point de vue juridique, l’Autorité pour la publicité immobilière n’est pas compétente. Le règlement d’exécution du livre III (consacré au droit
d’auteur et aux droits voisins) du Code égyptien de la propriété intellectuelle prévoit que le Bureau compétent en matière de droit d’auteur est le Bureau pour la protection du droit d’auteur auprès du
ministère de la Culture (art. 1/5) (27) En anglais (Information Technology Industry Development Agency). Cette agence a été instituée par la loi n° 15 de 2004 sur la réglementation de la signature
électronique et la création d’un organisme pour le développement de l’industrie de la technologie des informations en vertu de l’article 2. Parmi ses attributions : elle est compétente pour « le dépôt
et l’enregistrement des exemplaires originales des programmes d’ordinateur et des bases de données que lui soumettent les autorités ou les personnes (éditeurs, imprimeurs et producteurs) en
vue de protéger les droits de propriété intellectuelle et autres droits » (art. 4). (28) Il importe de remarquer qu’avant la promulgation du Code égyptien de la propriété intellectuelle, les programmes
d’ordinateur et les bases de données étaient déposés au Centre d’information et d’aide à la décision au Conseil des ministres en vertu de l’arrêté du ministre de la Culture n° 82 de 1993 portant
exécution de la loi relative à la protection du droit d’auteur concernant les programmes d’ordinateur (JO « Al-Waqâ’i al-Misreya » n° 104 du 9 mai 1993). Voir l’arrêté n° 453 de 1995 portant exécution
de l’article 2 de la loi n° 38 de 1992, modifiant la loi n° 354 de 1954 relative à la protection du droit d’auteur (JO « Al-Waqâ’i al-Misreya » n° 37 du 12 février 1996). (29) C’est nous qui précisons.
(30) Gautier P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF, 6e éd., Paris, 2007, p. 55, n° 36. (31) Rapport d’expertise, n° 6.
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