revue lamy - Le Cabinet Fusco
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LAMY l’immatériel REVUE D É C E M B R E 2 0 1 1 I I N FORMATI QUEI MÉD I ASICOMMUN ICATIONI Validation des « décrets Hadopi » (…) Par Emmanuel DERIEUX Protection de la marque en cas de double identité : regard sur la jurisprudence créative de la CJUE Par Benoît HUMBLOT Originalité d’une adaptation et d’une mise en scène théâtrales Par Brad SPITZ Succession Giacometti : le conflit en héritage Par Ariane FUSCO-VIGNÉ DROIT DE L’IMMATÉRIEL Zoom sur la question de l’originalité des photographies « pack-shot » Par Véronique DAHAN et Charles BOUFFIER Le monopole du PMU sur les courses hippiques hors internet soumis à conditions par la Cour de justice Par Luc GRYNBAUM Label Cnil et conformité « informatique et libertés » : publication des premiers référentiels Par Fabrice NAFTALSKI et Guillaume DESGENS-PASANAU La vente en ligne de produits cosmétiques dans la distribution sélective : il est interdit d’interdire ! Par Céline CASTETS-RENARD Concurrence, concurrence… Par Élisabeth TARDIEU-GUIGUES ANALYSES La cession légale des droits d’auteur des journalistes : considérations pratiques sur les contributeurs et œuvres visés par le texte Par Jean-Marie LÉGER Ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques et transposition du troisième « Paquet télécom » Par Florence GUTHFREUND-ROLAND et Élisabeth MARRACHE La propriété intellectuelle au cœur de l’exportation Par Philippe RODHAIN et Daniel LASSERRE ÉTUDES Cloud computing : validité du recours à l’arbitrage ? (partie I) Par Jean-Philippe MOINY 77 Une « butte publicitaire » est-elle considérée comme une œuvre protégeable par le droit d’auteur en Égypte ? Par Yasser OMAR AMIN CRÉATIONS IMMATÉRIELLES 6 ÉCLAIRAGES > Validation des « décrets Hadopi » Modalités de constat et de sanction des pratiques de téléchargement illégal 45 ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL 46 > Le monopole du PMU sur les courses hippiques hors internet soumis à conditions par la Cour de justice Par Emmanuel DERIEUX 10 > Protection de la marque en cas de double identité : regard sur la jurisprudence créative de la CJUE Par Benoît HUMBLOT 19 > Originalité d’une adaptation et d’une mise en scène théâtrales Par Brad SPITZ 23 > Succession Giacometti : le conflit en héritage Par Ariane FUSCO-VIGNÉ Par Luc GRYNBAUM 50 > Label Cnil et conformité « informatique et libertés » : publication des premiers référentiels Par Fabrice NAFTALSKI et Guillaume DESGENS-PASANAU 55 > La vente en ligne de produits cosmétiques dans la distribution sélective : il est interdit d’interdire ! Par Céline CASTETS-RENARD 60 > Concurrence, concurrence… 28 > Zoom sur la question de l’originalité des photographies « pack-shot » Par Élisabeth TARDIEU-GUIGUES Par Véronique DAHAN et Charles BOUFFIER ACTUALITÉS DU DROIT DES CRÉATIONS IMMATÉRIELLES 31> 31> 34> 34> 35> 35> 36> 38> 39> 41> 42> 43> 83 Adoption par les députés du projet de loi sur la copie privée Affaire Sabam : l’analyse de la CJUE À propos de la présomption de titularité du droit de propriété incorporelle de l’auteur Contrat de maintenance corrective et évolutive d’un logiciel et restitution par le prestataire de ses codes sources modifiés Revendication de droits d’auteur et nonrespect du principe du contradictoire Droit moral et irresponsabilité du cessionnaire des droits d’exploitation pour les faits du sous-cessionnaire Une restitution de négatifs noir et blanc de photographies déclarée irrecevable La qualité d’artiste-interprète inappropriée La qualification d’œuvre de collaboration audiovisuelle appliquée à un jeu vidéo en ligne Utilisation par un moteur de recherche de marques notoires de la SNCF comme marques d’appel À vos marques, le sport, ce n’est pas du jeu Gare aux politiques de référencement naturel trop audacieuses ! ÉCLAIRAGES ACTUALITÉS DU DROIT DES ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL 67> 68> 69> 69> 71> 72> 73> 73> 75> 76> 76> 78> 81> « Affaire Bettencourt » : confirmation par la Cour de cassation de la violation du secret des journalistes du Monde Diffamation et délai pour présenter l’offre de preuve de la vérité de faits Diffamation : nullité des poursuites engagées prononcée à tort Élection de « Miss France 2011 » et caractérisation de propos dénigrants L’autorisation de diffuser son image n’implique pas celle de divulguer son nom « Affaire Grégory » : délit de diffamation retenu à tort Relaxe du délit de provocation à la discrimination raciale Google Adwords : rejet de la qualification d’hébergeur Vie privée en entreprise Limites à la géolocalisation des salariés Condamnation d’EDF et prison ferme de salariés pour piratage informatique Inconnu à cette adresse : compétence juridictionnelle subsidiaire dans un litige de consommation Dol par réticence retenu à tort Perspectives ANALYSES 83 > La cession légale des droits d’auteur des journalistes : considérations pratiques sur les contributeurs et œuvres visés par le texte Par Jean-Marie LÉGER 88 > Ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques et transposition du troisième « Paquet télécom » Par Florence GUTHFREUND-ROLAND et Élisabeth MARRACHE 93 > La propriété intellectuelle au cœur de l’exportation Par Philippe RODHAIN et Daniel LASSERRE 95 ÉTUDES 95 > Cloud computing : validité du recours à l’arbitrage ? (partie I) Par Jean-Philippe MOINY 111 > Une « butte publicitaire » est-elle considérée comme une œuvre protégeable par le droit d’auteur en Égypte ? Par Yasser OMAR AMIN La Revue Lamy droit de l’immatériel actualise, dans sa première partie « Actualités », les deux ouvrages de la Collection Lamy droit de l’immatériel : le Lamy droit de l’informatique et des réseaux et le Lamy droit des médias et de la communication. 2 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 S C I E N T I F I U E 5 Actualités à l’Université Paris I — Panthéon Sorbonne Michel VIVANT — Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris > Judith ANDRÈS — Avocat à la Cour > Valérie-Laure BENABOU > > > > > > > C O N S E I L sommaire > Président d’honneur Jean FOYER (†) — Ancien ministre > Présidents Pierre SIRINELLI — Professeur > > Professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin Jean-Sylvestre BERGÉ — Professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon 3 Guy CANIVET — Membre du Conseil constitutionnel Alain CARRÉ-PIERRAT — Président de la 4e chambre A de la Cour d’appel de Paris Lionel COSTES — Directeur de la Collection Lamy droit de l’immatériel Christian DERAMBURE — Président de la CNCPI Joëlle FARCHY — Professeur à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne Christiane FÉRAL-SCHUHL — Avocat au Barreau de Paris Jean FRAYSSINET — Professeur à l’Université Paul Cézanne — Aix-Marseille Luc GRYNBAUM — Professeur à l’Université René Descartes — Paris V > Anne-Marie LEROYER — > > > > > > > > > > > Professeur à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne André LUCAS — Professeur à l’Université de Nantes Marie-Françoise MARAIS — Conseiller à la Cour de cassation — Président de la Hadopi Alice PÉZARD — Conseiller à la Cour de cassation Lucien RAPP — Professeur à l’Université de Toulouse — Avocat au Barreau de Paris Thierry REVET — Professeur à l’Université Paris I — Panthéon Sorbonne Cyril ROJINSKY — Avocat à la Cour Michel TROMMETTER — Chercheur à l’UMR/GAEL de Grenoble Gilles VERCKEN — Avocat au Barreau de Paris Pierre VÉRON — Avocat au Barreau de Paris Patrice VIDON — Conseil en propriété industrielle Bertrand WARUSFEL — Avocat au Barreau de Paris Professeur à l’Université de Lille II WOLTERS KLUWER FRANCE SAS au capital de 300 000 000 € Siège social : 1, rue Eugène et Armand Peugeot 92856 Rueil-Malmaison cedex RCS Nanterre 480 081 306 Directeur de la publication/Président Directeur Général de Wolters Kluwer France : Michael Koch Associé unique : Holding Wolters Kluwer France Directrice de la rédaction : Bernadette Neyrolles Directeurs scientifiques : Pierre Sirinelli et Michel Vivant Rédacteur en chef : Lionel Costes (01 76 73 32 89) Rédactrice en chef adjointe : Marlène Trézéguet (01 76 73 42 92) Réalisation PAO : Nord Compo Imprimerie : Delcambre — BP 389 — 91959 Courtaboeuf Cedex N° Commission paritaire : 0212 T 86065 Dépôt légal : à parution N° ISSN : 1772-6646 Parution mensuelle Abonnement annuel : 457,41 € TTC (TVA 2,10 %) Prix au numéro : 45,95 € TTC (TVA 2,10 %) Information et commande : Tél. : 0 825 08 08 00 Fax : 01 76 73 48 09 — Internet : http://www.wkf.fr Cette revue peut être référencée de la manière suivante : RLDI 2011/77, n° 2535 (année/N° de la revue, n° du commentaire) éditorial Vers un élargissement du champ d’action de la Hadopi Lionel COSTES Rédacteur en chef Directeur de collection Lamy Droit de l’Immatériel À l’occasion du 4e Forum sur la culture et l’économie, qui s’est tenu à Avignon, le 18 novembre, Nicolas Sarkozy a présenté ses différents projets visant à défendre la création musicale. Outre la confirmation de sa volonté de mettre à contribution les fournisseurs d’accès à internet, le président de la République en a profité pour faire part de son projet d’étendre l’action de la Hadopi aux sites de streaming qui permettent de lire des vidéos en ligne ou d’écouter de la musique sans télécharger. Et de les mettre en cause dans des termes véhéments : ces « sites de streaming illégal qui font des ravages (…) il faut les combattre ». « Je n’accepte pas qu’on tire un profit commercial du vol des œuvres. » « J’aime une musique, je veux la partager : la démarche n’est pas en soi négative. Mais sur les sites de streaming, l’idéologie du partage, c’est l’idéologie de l’argent : je vole d’un côté et je vends de l’autre. Personne ne peut soutenir cela. » Dans le même temps, il a déclaré « [avoir] bien conscience que la technologie évolue. Si la technologie nous permet une nouvelle évolution, on adaptera la législation » laissant ainsi la porte ouverte à l’élaboration d’une éventuelle loi « Hadopi 3 ». De fait, en ce qui concerne le streaming, la Hadopi ne peut pas en l’état simplement modifier ses procédures dans la mesure où les décrets d’application de la loi précisent qu’elle ne peut spécifiquement surveiller que les réseaux P2P ; technologie qui est sans rapport avec la diffusion en continu. Il s’agit là d’une faiblesse du dispositif Hadopi que nous avons précédemment évoquée en soulignant que son manque d’efficacité pouvait conduire à ce que le téléchargement illégal se reporte inévitablement, après sa mise en place, sur d’autres technologies. Au-delà, Nicolas Sarkozy s’est félicité que plusieurs pays suivent l’exemple de la France et de son dispositif Hadopi qui a permis de faire reculer le piratage de 35 %, selon lui, depuis qu’il est opérationnel. On soulignera cependant que ce chiffre reste à vérifier… Derrière la volonté ainsi affichée dans les termes les plus nets, il n’en demeure pas moins que la lutte contre le streaming reste délicate. De fait si, dans le P2P, la lutte contre le piratage passe par la détection des utilisateurs, via leur adresse IP, qui mettent illégalement à disposition des œuvres culturelles, la lutte contre le streaming illégal revêt un aspect différent et passe par le blocage ou le filtrage des sites qui proposent des contenus illégaux. Or, un grand nombre est hébergé à l’étranger ; ce qui rend les choses délicates. On notera d’ailleurs la prudence des ministres concernés face à ces annonces présidentielles. Ainsi, pour le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, une nouvelle loi n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour, tout en soulignant « qu’il y aura peut-être un jour une nouvelle loi, une nouvelle révolution. Mais compte tenu de l’évolution actuelle des technologies, la Hadopi sera appelée à élargir son champ de réflexion et à modifier peut-être quelques-unes des méthodes et des procédures ». Il précise dans le même temps que « le Gouvernement proposera une stratégie en tenant compte de ce qui se fait à l’étranger ». Et principalement aux États-Unis où la Chambre des représentants examine le très controversé projet de loi Stop Online Piracy Act (Sopa) qui vise à couper les revenus d’un site peu importe où il se trouve situé dans le monde. De son côté, le ministre de l’Industrie et de l’Économie numérique, Éric Besson, s’est également bien gardé de trancher. À le suivre, « on va voir, puisque c’est une nouvelle commande très claire du président de la République », avouant cependant qu’il ne pouvait pas dire si son souhait était techniquement possible, et sans se prononcer sur le type de mesure qui serait prise. « Il y aurait des ingénieurs pour le faire, je ne dis pas que ça va se faire dans la facilité. » Ses propos, des plus nuancés, ne peuvent qu’être approuvés. De plus ne peut être ignorée la position adoptée par la CJUE dans son arrêt du 24 novembre rendu dans l’affaire Sabam, selon laquelle le filtrage imposé aux fournisseurs d’accès était illégal s’il n’était pas encadré par une loi nationale ; celle-ci devant elle-même respecter des principes de proportionnalité (voir infra, nos observations n° 2541). Ce faisant, il pourrait constituer un frein à la volonté présidentielle. ◆ Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 3 Index thématique des sources commentées CRÉATIONS IMMATÉRIELLES RLDI ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL Éclairages Éclairages DROIT D’AUTEUR – DÉCRETS HADOPI – CONSEIL D’ÉTAT – PARIS HIPPIQUES – JEUX EN LIGNE – MONOPOLE CJUE, 30 juin 2011, aff. C-212/08 VALIDATION CE, 19 oct. 2009, n° 339.154, n° 339.279, n° 342.405 2535 MARQUES – SERVICE DE RÉFÉRENCEMENT – ADWORDS – 2536 DROIT D’AUTEUR – ADAPTATION – MISE EN SCÈNE THÉÂTRALE – 2537 DROIT D’AUTEUR – SUCCESSION – ABUS NOTOIRE POST MORTEM e e TGI Paris, 3 ch., 4 sect., 8 sept. 2011, n° 11/05933 Cnil, délib. n° 2011-249, 8 sept. 2011, JO 22 sept. Cnil, délib. n° 2011-315, 6 oct. 2011, JO 3 nov. 2553 INTERNET – PRODUITS DERMO-COSMÉTIQUES – ORIGINALITÉ (OUI) CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678 2552 INFORMATIQUE ET LIBERTÉ – CNIL – LABELLISATION – RÉFÉRENTIELS MOTS CLÉS CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09 RLDI 2538 CONTRAT DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE – VENTE (OUI) CJUE, 3e ch., 13 oct. 2011, aff. C-439/09 MOTS CLÉS CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09 DROIT D’AUTEUR – PHOTOGRAHIES DE « PACK-SHOT » – 2554 MARQUES – SERVICE DE RÉFÉRENCEMENT – ADWORDS – 2555 TITULARITÉ – ORIGINALITÉ (OUI) – CONTREFAÇON (OUI) CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept. 2011, n° 11/00536 2539 La propriété littéraire et artistique Droits fondamentaux JOURNALISTES – SECRET DES SOURCES – VIOLATION (OUI) Règles générales Cass. crim., 6 déc. 2011, n° 11-83.970 DROIT D’AUTEUR – COPIE PRIVÉE – RÉMUNÉRATION « Petite loi », JO doc. AN n° 776 2540 2541 Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-88.091 2542 Cass. crim.., 20 oct. 2011, n° 10-25.833, Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-24.808 RESTITUTION (OUI) 2543 Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-24.761 PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE – RESPECT (NON) PRESSE – DIFFAMATION (NON) 2544 DROIT D’AUTEUR – DROIT MORAL – CESSION DE DROITS 2545 DROIT D’AUTEUR – PHOTOGRAPHIES – NÉGATIFS – 2546 2561 PROVOCATION À LA DISCRIMINATION RACIALE DÉLIT (NON) Cass. crim., 8 nov. 2011, n° 09-88.007 2562 INTERNET – ADWORDS – RESPONSABILITÉ – HÉBERGEUR (NON) – VIE PRIVÉE – DROIT À L’IMAGE – DROIT AU NOM ATTEINTES (OUI) Statuts particuliers : droits voisins TGI Paris, 17e ch., 14 nov. 2011 DROITS VOISINS – ARTISTE-INTERPRÈTE – CONTRAT DE CESSION 2563 INTERNET – VIE PRIVÉE – SALARIÉ – LICENCIEMENT DE DROIT D’AUTEUR CA Aix-en-Provence, 1re ch. B, 17 nov. 2011, n° 10/14246 Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19.381 2560 Réseaux/Internet RESTITUTION (NON) TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 20 oct. 2011, n° 09/08873 2559 IMAGE – DIFFUSION – VIE PRIVÉE – ATTEINTE (OUI) DROIT D’AUTEUR – ORIGINALITÉ – CONTREFAÇON – Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-13.410 2558 MISS FRANCE 2011 – PROPOS DÉNIGRANTS (OUI) DROIT D’AUTEUR – LOGICIEL – MAINTENANCE – CODES SOURCES – Cass. 1re civ., 17 nov. 2011, n° 10-20.332 2557 DIFFAMATION – CITATION – ÉLECTION DE DOMICILE DROIT D’AUTEUR – TITULARITÉ – PRÉSOMPTION Cass. com. 15 nov. 2011, n° 10-26.617 Presse DÉLAI LÉGAL FOURNISSEUR D’ACCÈS – FILTRAGE Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10.26.323 2556 PRESSE – DIFFFAMATION – PREUVE DE LA VÉRITE DES FAITS – DROIT D’AUTEUR – INTERNET – PEER-TO-PEER – CJUE, 24 nov. 2011, aff. C-70/10 Les grands secteurs de l’immatériel 2547 Cass. 1re civ., 18 oct. 2011, n° 10-26.782 2564 INTERNET – CNIL – GÉOLOCALISATION – SALARIÉ Statuts particuliers : jeux vidéo Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18.036 JEU VIDÉO EN LIGNE – QUALIFICATION – ŒUVRE DE COLLABORATION – SÉCURITÉ INFORMATIQUE – PIRATAGE – STAD T. corr. Nanterre, 15e ch., 10 nov. 2011 MUSIQUE – ORIGINALITÉ (OUI) – CONTREFAÇON (OUI) TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 sept. 2011 2548 La propriété industrielle 2549 MARQUE – CLASSE – JEU – CONFUSION 2550 Les pratiques sectorielles : contrats informatiques CONTRAT D’INTÉGRATION DE PROGICIEL – DOL (NON)– OBLIGATIONS DE RÉSULTAT – MANQUEMENTS (NON) MARQUE – NOM DE DOMAINE – RÉFÉRENCEMENT ABUSIF 2551 CA Poitiers, 1re ch. civ., 25 nov. 2011, n° 10/00285 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel 4 2567 Les pratiques contractuelles MARQUES NOTOIRES – ATTEINTE (OUI) CA Douai, 1re ch., 2e sect., 5 oct. 2011 Commerce électronique CJUE, 17 nov. 2011, aff. C-327/10 MOTEUR DE RECHERCHE – HÉBERGEUR – ÉDITEUR – CA Versailles, 12e ch., 22 nov. 2011, n° 11/01718 2566 INTERNET – CONSOMMATION – COMPÉTENCE Marques CA Paris, pôle 5, ch. 2, 28 oct. 2011 2565 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 2568 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel Informatique I Médias I Communication SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DE Pierre Sirinelli, Professeur à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne Michel Vivant, Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris C hargé par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) d’étudier les moyens de revaloriser la musique originale, le compositeur Marc-Olivier Dupin a rendu son rapport, le 7 novembre. À le suivre, la situation est paradoxale puisqu’en 2010, 179 des 203 films français avaient un compositeur mais « la musique arrive trop tard dans le processus d’élaboration d’un film, et le soutien public à la création musicale pour l’image ne représente qu’une infime partie de cette manne ». ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES Il relève dans le même sens que « la musique ne fait que trop rarement partie intégrante du projet artistique, dès les débuts de la conception ou de réalisation du film. Elle ne peut ainsi véritablement s’inscrire dans une démarche de création pluridisciplinaire. Arrivant en fin de course, sa fonction ne dépasse que rarement le stade ornemental ». De plus, « plus l’écriture et l’enregistrement d’une musique originale arrivent en fin de production du film, plus les moyens financiers qui lui sont initialement dévolus se réduisent. Les moyens consacrés à la musique devenant de facto, l’une des variables d’ajustement du budget du film ». Pour le rapport, les dysfonctionnements sont à la fois de nature artistique et financière. Aussi, pour y remédier, deux objectifs s’imposent : « Arrimer au film son projet musical, bien davantage en amont dans la chronologie de sa conception et de sa fabrication ; rechercher une amélioration des conditions financières de la composition et de la production de la musique. » Aussi, il propose 25 préconisations pour soutenir la création musicale des films, des œuvres audiovisuelles et des jeux vidéo, organisées autour des quatre axes suivants : « le soutien à la pédagogie, les aides à la composition et la production de la musique pour l’image, les conditions de l’optimisation des ressources musicales et l’action culturelle ». On retiendra plus spécialement que l’une de ses propositions consiste en la création d’un bonus pour la musique originale de film dans les aides à la production de films de court métrage. Elle a d’ailleurs déjà été entérinée par le CNC. L’esprit de cette aide est d’associer un réalisateur et un compositeur suffisamment en amont du tournage pour leur permettre une véritable collaboration artistique Est également proposée la création au CNC d’« un couloir de financement sanctuarisé correspondant à un pourcentage minimum du budget de production total de l’œuvre cinématographique ou de l’œuvre audiovisuelle alloué à la création de musique originale ». Cette proposition concernerait les films et œuvres audiovisuelles faisant appel à la création de musique originale – ce qui n’obère pas pour les réalisateurs la possibilité d’utiliser des musiques du domaine public ou des musiques préexistantes. Le constat qui l’inspire est celui d’une indifférence générale, voire d’une négligence délibérée à l’égard de la production de musique originale pour l’image, pour les œuvres cinématographiques et dans une mesure encore plus importante pour les œuvres audiovisuelles. Ainsi qu’il est relevé, ce constat déborde d’ailleurs du strict cadre de la musique proprement dite, et concerne en fait la bande-son dans son ensemble, qui est indiscutablement le « parent pauvre » de la production cinématographique et audiovisuelle. Un certain nombre des propositions faites doivent être mises en œuvre très rapidement et l’enveloppe consacrée par le CNC à la musique doit être revalorisée. Lionel COSTES Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 5 Validation des « décrets Hadopi » PPar EEmmanuel DERIEUX RLDI Professeur à l’Université Panthéon-Assas – Paris-II 2535 Modalités de constat et de sanction des pratiques de téléchargement illégal Saisi de trois décrets d’application des « lois Hadopi », le Conseil d’État les valide tous. À ceux qui chercheraient ainsi à empêcher ou à retarder leur mise en vigueur, il conviendrait d’invoquer d’autres arguments ou d’utiliser d’autres voies. CE, 19 oct. 2009, n° 339.154, Sté Apple Inc. et Sté I Tunes SARL, n° 339.279, Ass. French Data Network, n° 342.405, Ass. French Data Network, RLDI 2011/76, n° 2500 P ar trois arrêts du 19 octobre 2011, le Conseil d’État rejette les requêtes par lesquelles il lui était demandé d’annuler, pour des motifs différents et pas tous très convaincants, autant de décrets d’application de dispositions du Code de la propriété intellectuelle introduites par les « lois Hadopi » (1) (loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet », dite « loi Hadopi », et loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 « relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet », dite « loi Hadopi 2 » (2)). Les diverses modalités de contrôle, de constat et de sanction des pratiques de téléchargement illégal, adoptées par les textes en cause, dont la plupart des éléments sont intégrés dans la partie réglementaire du Code de la propriété intellectuelle, s’en trouvent ainsi juridiquement validées, à défaut de démontrer leur totale efficacité pratique. Par la requête aboutissant au premier arrêt (n° 339.154, Sté Apple Inc. et Sté I Tunes SARL), il était demandé, au Conseil d’État, d’annuler le décret du 29 décembre 2009 (décret n° 2009-1773 du 29 décembre 2009 « relatif à l’organisation de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet »). La seconde procédure (objet de l’arrêt n° 339.279, Ass. French Data Netwok) contestait la légalité du décret du 5 mars 2010 (décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 « relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l’article L. 331-29 du Code de la propriété intellectuelle dénommé “Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet” »). La troisième action (donnant lieu à l’arrêt n° 342.405, Ass. French Data Network) visait le décret du 26 juillet 2010 (décret n° 2010-872 du 26 juillet 2010 « relatif à la procédure devant la Commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet ») (3). Se prononçant sur des questions distinctes, objet des décrets contestés pour des raisons qui, pour une part au moins, semblent surtout tenir à la volonté de retarder sinon d’empêcher l’entrée en vigueur de certaines dispositions de la « loi Hadopi » dont ils assurent l’application, les trois arrêts méritent d’être évoqués successivement. I. – DÉCRET DU 29 DÉCEMBRE 2009 Dans la procédure qui a abouti au premier arrêt (n° 339.154), les sociétés Apple Inc. et I Tunes SARL demandaient au Conseil d’État d’annuler le décret n° 2009-1773 du 29 décembre 2009, relatif à l’organisation de la Hadopi, dont l’essentiel des dispositions (compétences des différentes structures, personnel, financement et comptabilité…) a été codifié, dans la partie réglementaire du Code de la propriété intellectuelle, aux articles R. 331-2 et suivants. Différents motifs fondaient la contestation, au regard de prétendues exigences du droit interne (A), d’une part, et du droit européen (B), d’autre part. A. – Droit interne Les éléments de contestation se prévalant de supposées violations du droit interne portaient sur la régularité de la consultation du Conseil d’État (1°/) et sur la conformité aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle (2°/). 1°/ Consultation du Conseil d’État Considérant, contrairement au moyen avancé, que le décret contesté « ne contient aucune disposition différant (…) de celles qui figuraient dans le projet soumis », par le Gouvernement, au Conseil d’État, en son rôle de conseiller juridique au stade de l’élaboration de semblables textes, le même Conseil d’État, dans sa fonction juridictionnelle, conclut que « les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la consultation (…) sur le décret attaqué aurait été entachée d’irrégularité ». 2°/ Conformité au Code de la propriété intellectuelle L’autre motif de contestation au regard du droit interne était relatif à une prétendue violation du Code de la propriété intellectuelle dans la délégation ainsi donnée au Gouvernement dont les compétences constitutionnelles n’auraient pas ainsi été respectées. (1) Benabou V.-L., Glose de la loi Hadopi ou opération nécessaire de débroussaillage, RLDI 2009/51, n° 1732, p. 63-73 ; Derieux E. et Granchet A., Lutte contre le téléchargement illégal. Lois DADVSI et Hadopi, Lamy, Coll. « Axe Droit », 2010 ; Mariez J.-S., « Hadopi »… trois petits points de suspension…, RLDI 2010/65, n° 2129, p. 11-17 ; Robert J.-H., Commentaire de la loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, Droit pénal, déc. 2009, p. 7-13 ; Loi « Création et internet », Dossier spécial, RLDI 2009/51, p. 89-126. (2) Trézéguet M., Présentation de la loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection de la propriété littéraire et artistique sur internet (loi « Hadopi 2 »), RLDI 2009/55, n° 1840, p. 77-79. (3) Gaullier Fl., Pasacal-Heuze E., Vercken G., Les derniers décrets d’application des lois « Hadopi », RLDI 2010/63, n° 2061, p. 6-9. 6 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication L’article litigieux portant sur la détermination de certaines des compétences du « collège » de la Hadopi, le Conseil d’État n’y voit aucune violation de l’habilitation donnée, par la loi, au Gouvernement, pour intervenir sur une tout autre question concernant les compétences de ladite Haute Autorité à l’égard des « mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés ». Se référant, dans une certaine confusion, à différents articles de la loi, l’arrêt écarte le moyen présenté. B. – Droit européen Vis-à-vis du droit européen était soulevée la question de la conformité du décret en cause au regard du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (1°/) et de diverses directives communautaires (2°/). 1°/ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne Pour conclure que « les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret attaqué », le Conseil d’État considère que les dispositions en cause, « relatives aux compétences d’une autorité interne pour mettre en œuvre les dispositions assurant l’exacte transposition d’une directive, ne méconnaissent en rien les articles 34 et 56 » dudit Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui, s’il s’agit des bonnes références, concernent pourtant respectivement l’« interdiction des restrictions quantitatives à l’importation » de produits ou marchandises et le principe de « libre prestation de services ». 2°/ Directives communautaires Était, par ailleurs, alléguée la violation de plusieurs directives communautaires relatives à divers aspects desdites « nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC) ou, dans ce cadre-là et de manière tout aussi contestable, à la « société de l’information » (4). Il était d’abord fait état de la prétendue « méconnaissance de l’obligation de transmission à la Commission prévue par la directive n° 98-34 » du 22 juin 1998 déterminant « une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information ». En son article 8-1, ladite directive énonce pour principe que « les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règles techniques, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas, une simple information quant à la norme concernée suffit ». Considérant que l’article 1er de la même directive qualifie de « “règle technique” : une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent », et de « “projet de règle technique” : le texte d’une spécification technique ou d’une autre exigence ou d’une règle relative ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES aux services (…) qui est élaboré dans le but de l’établir ou de la faire finalement établir comme une règle technique », le Conseil d’État estime que « le décret contesté, qui se borne, d’une part, à prescrire les dispositions relatives à l’agrément des personnes habilitées à procéder à des constatations permettant de caractériser une infraction aux dispositions protégeant le droit d’auteur et les droits voisins, et, d’autre part, à fixer les règles relatives à l’organisation » de la Hadopi « ne comporte aucune règle technique » et qu’il « ne constitue pas par lui-même un projet de règle technique au sens de la directive ». Il en conclut que « les dispositions de l’article 8-1 n’ont pas été méconnues ». En conséquence, le fait que les lois du 1er août 2006 (« loi DADVSI ») et du 12 juin 2009 (« loi Hadopi ») n’aient « elles-mêmes pas fait l’objet de la notification prévue » est jugé « sans incidence sur la légalité du décret attaqué ». de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 » sur « l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » et de la « directive n° 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur ». Considérant que « les dispositions attaquées n’ayant ni pour objet ni pour effet d’assurer la mise en œuvre des mesures adoptées par le législateur (…) pour imposer l’interopérabilité des mesures techniques de protection, mais seulement d’attribuer, au collège de la Haute Autorité, compétence pour adopter des règles procédurales permettant l’exercice des pouvoirs reconnus par le législateur en cas de désaccord entre les parties sur l’interopérabilité des mesures techniques », le Conseil d’État ne peut que conclure que le moyen avancé de la violation des deux directives en cause « est sans incidence sur la légalité du décret attaqué ». De tout cela, il résulte que « les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret attaqué ». Il en va de même des deux autres décrets contestés. II. – DÉCRET DU 5 MARS 2010 Dans l’arrêt n° 339.279, le Conseil d’État se prononce sur la requête de l’association French Data Network lui demandant « d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l’article L. 311-29 » du Code de la propriété intellectuelle. Par cet article est admise la création, par la Hadopi, « d’un traitement automatisé de données à caractère personnel portant sur les personnes faisant l’objet d’une procédure » relative à des pratiques de téléchargement illégal supposées commises par elles. Il y est mentionné qu’un « décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application » et qu’il « précise notamment : les catégories de données enregistrées et leur durée de conservation ; les destinataires habilités à recevoir communication de ces données », et > (4) Voir, par exemple, l’intitulé de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 du Parlement européen et du Conseil « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ». Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 7 V A L I D AT I O N D E S « D É C R E T S H A D O P I » particulièrement les fournisseurs d’accès. Ces derniers ne sont cependant tenus de procéder à la suspension de l’accès à internet que sur décision de justice et non, comme il avait été initialement envisagé (avant que, dans sa décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel ne déclare cette modalité de contrôle contraire à la Constitution) (5), par la Commission de protection des droits 1°/ Relation avec le décret du 5 mars 2010 S’étant prononcé comme il l’a fait au sujet du décret précédent qu’il a validé, le Conseil d’État ne peut évidemment que conclure que « le moyen tiré de ce que le décret du 26 juillet 2010 serait illégal par voie de conséquence de l’annulation du décret du 5 mars 2010 ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ». de la Hadopi elle-même. Par les requérants, reproche était fait au Gouvernement, 2°/ Présomption d’innocence de ne pas avoir consulté l’Autorité de régulation des comConsidérant que « les dispositions attaquées énoncent les munications électroniques et des postes (Arcep) comme, estirègles applicables à la procédure et à l’instruction des dosmaient-ils, l’imposerait l’article L. 36-5 du Code des postes et siers devant la Commission de protection des droits » de la des communications électroniques (CPCE). Hadopi et que « l’ensemble de ces prescriptions n’emportent Par ledit article, il est posé notamment que l’Arcep « est aucune automaticité entre les constats des manquements aux consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement obligations prévues par la loi et le prorelatifs au secteur des communications noncé éventuel d’une sanction pénale électroniques ». S’agissant de contestations par l’autorité judiciaire », l’arrêt conclut Pour le Conseil d’État, cet article de conformité au regard que « le moyen tiré de ce que le décret n’imposait « pas au Gouvernement de d’éléments de droit attaqué méconnaîtrait le principe de la consulter » cette Autorité « avant de interne, l’arrêt rendu présomption d’innocence garanti par prendre le décret attaqué relatif au traiconsidère trois éléments l’article 9 DDHC (6) ne peut qu’être tement de données à caractère personnel qui ne concerne pas les communications écarté ». distincts : la relation électroniques au sens des dispositions de faite, par les requérants, 3°/ Principe du contradictoire l’article 36-5 » du CPCE. Il en est conclu avec le décret du 5 mars que « le moyen tiré de ce que le décret Sur le troisième motif de contesta2010 ; l’allégation de attaqué serait entaché d’irrégularité (…) tion, le Conseil d’État considère que, l’atteinte à la présomption ne peut qu’être rejeté ». telles que déterminées par le décret en d’innocence et la Validant le décret du 5 mars 2010, cause, les « recommandations » adresprétendue violation du l’arrêt rendu en cette affaire a une incisées, par la Commission de protection principe du contradictoire. dence sur la décision relative à la contesdes droits, aux titulaires d’accès à intation du décret suivant. ternet ayant servi à des pratiques de téléchargement illégal, « ne revêtent aucun caractère de sanction ni d’accusation » ; qu’elles n’ont pas d’autre effet « que III. – DÉCRET DU 26 JUILLET 2010 de rendre légalement possible l’engagement d’une procédure judiciaire » ; qu’elles ne constituent pas, « par elles-mêmes, Présentée par les mêmes requérants (l’association French Data des décisions individuelles » qui devraient « être motivées Network), la troisième contestation visait le « décret n° 2010-872 en application des articles 1er et 2 » de la loi n° 79-587 du du 26 juillet 2010 relatif à la procédure devant la Commission de protection des droits » de la Hadopi dont les dispositions 11 juillet 1979 « relative à la motivation des actes adminissont intégrées aux articles R. 331-35 et suivants du Code de tratifs et à l’amélioration des relations entre l’Administration la propriété intellectuelle. et le public », au sens de l’article 24 de la loi n° 2000-321 À cet égard également, le Conseil d’État statue par réfédu 12 avril 2000 « relative aux droits des citoyens dans leurs rence à diverses dispositions de droit interne (A) et de droit relations avec l’Administration ». En conséquence, l’arrêt conclut que « le moyen tiré de européen (B). ce que l’envoi de ces recommandations prévu par le décret A. – Droit interne attaqué méconnaîtrait le caractère contradictoire résultant de la loi précitée ne peut qu’être écarté ». S’agissant de contestations de conformité au regard d’éléments de droit interne, l’arrêt rendu considère trois éléments B. – Droit européen distincts : la relation faite, par les requérants, avec le décret du S’agissant des exigences relatives à la conformité, au 5 mars 2010 (1°/) ; l’allégation de l’atteinte à la présomption droit européen, du décret contesté, c’est ici de la Convend’innocence (2°/) ; et la prétendue violation du principe du tion (européenne) de sauvegarde des droits de l’Homme et contradictoire (3°/). (5) Boubekeur I., De la « loi Hadopi » à la « loi Hadopi 2 ». Analyse de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC et de ses conséquences, RLDI 2009/51, n° 1700, p. 107-113 ; Bruguière J.-M., Loi « sur la protection de la création sur internet » : mais à quoi joue le Conseil constitutionnel, D 2009, n° 26, p. 1770 ; Gautron A., La « réponse graduée » (à nouveau) épinglée par le Conseil constitutionnel, RLDI 2009/51, n° 1694, p. 63-73 ; Rousseau D., Hado-pirate la Constitution : le Conseil sanctionne, RLDI précitée, n° 1699, p. 103-105. (6) « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » par les juges. 8 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication des libertés fondamentales de novembre 1950 qu’il s’agit, et particulièrement de son article 6 qui énonce, tout à la fois, les principes du droit à un procès équitable et celui, précédemment évoqué en droit interne, de la présomption d’innocence (7). Le Conseil d’État considère que « les recommandations qu’adresse la Commission de protection des droits de la Hadopi n’ont (…) aucun caractère de sanction ni d’accusation » et que, « par suite, le moyen tiré de ce qu’elles ne pourraient, à raison de leur nature, être prises » que dans le respect des « stipulations de l’article 6 de la Convention ne peut qu’être écarté ». Il en conclut que l’association French Data Network « n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué ». CONCLUSION Saisi de trois décrets d’application des « lois Hadopi », le Conseil d’État, dans sa fonction et formation contentieuse, en valide les dispositions. Pouvait-on s’attendre qu’il statue autrement puisque, dans son rôle de conseiller juridique du Gouvernement, il en avait déjà préalablement validé les termes ? À ceux qui, par de telles actions, chercheraient notamment à empêcher ou à retarder l’entrée en vigueur desdites lois dont ils contestent le bien-fondé et l’utilité, il conviendrait de trouver d’autres motifs et arguments et probablement d’utiliser d’autres voies que celles du droit ou, à tout le moins, des recours juridictionnels. ◆ ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES (7) « Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (…). » AGENDA Conférence organisée par l’Institut de recherche en propriété intellectuelle (IRPI) « Actualité jurisprudentielle Droit des marques » 7 février 2012 (9h00-13h00) ESCP Europe, 79, avenue de la République, 75011 Paris (Amphi Gélis) 350 € (non assujettis à la TVA) Contact : Sylvie Mostier (01.49.23.58.60) Heures validées au titre de la formation des Avocats Pour plus de détails, voir http://www.irpi.ccip.fr/upload/em/2012/2012_aj_marques/flyer_aj_marque_2012.pdf Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 9 PPar BBenoîtî HUMBLOT Enseignant-chercheur à l’EPF (École polytechnique féminine) RLDI Membre de l’Ercim (UMR 5815 – Université Montpellier-I) 2536 Protection de la marque en cas de double identité : regard sur la jurisprudence créative de la CJUE La jurisprudence récente de la CJUE sur les fonctions de la marque rend mieux compte de la variété des utilités d’un tel signe. Cela ouvre favorablement la voie à une protection qui ne soit pas uniquement centrée sur la régulation/libération du jeu concurrentiel. À l’occasion de l’arrêt Interflora, la CJUE semble toutefois rendre des comptes au dogme de la « concurrence libre et non faussée » au service du « bien-être du consommateur »… Laissez faire, laissez passer ! CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora c/ Marks & Spencer, RLDI 2011/76, n° 2509 1. L’Avocat général dans ses conclusions relatives à l’affaire C-323/09 (Interflora) se fait l’écho, quelque peu inquiet, de la réception de la jurisprudence de la CJUE : « La Commission a critiqué certains aspects de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne les fonctions de la marque autres que la fonction d’indication de l’origine, les considérant erronés et problématiques du point de vue de la sécurité juridique. (…) Il ne saurait être nié que la Cour se trouve placée dans une situation délicate en ce qui concerne l’acceptation de sa jurisprudence relative à l’article 5 de la directive n° 89/104, compte tenu aussi des critiques formulées par de nombreux auteurs de la doctrine ainsi que de juges nationaux faisant autorité en droit des marques » (conclusions de l’Avocat général, points 7 et 8). C’est dans ce contexte, que la Cour, ayant à se prononcer de nouveau sur la question de la protection de la marque en cas de double identité, poursuit la construction de sa jurisprudence sur l’atteinte aux fonctions de la marque (I). L’occasion lui est donnée par ailleurs de fournir un éclairage sur la protection spécifique des marques renommées (II). D’une manière générale, il convient de souligner, dans cette affaire, l’évident volontarisme de la Cour qui entend privilégier la mise en concurrence des produits et services sur l’affirmation du droit de marque ; au risque d’aller trop loin ? I. – DOUBLE IDENTITÉ : UNE PROTECTION SOUS CONDITION D’ATTEINTE À L’UNE DES FONCTIONS DE LA MARQUE 2. L’arrêt Interflora confirme – et affirme pour qui en doutait – une évolution essentielle dans l’accès à la protection en cas de double identité : désormais, l’atteinte à la fonction essentielle (l’indication d’origine) ne s’infère plus du simple constat de l’identité des signes et des produits ou services désignés. L’accès à la protection nécessite donc la démonstration – dûment établie – d’une atteinte à la fonction essentielle ou à l’une quelconque des autres fonctions de la marque (A). La Cour a dit pour droit dans l’arrêt L’Oréal que la protection privative est désormais acquise en cas d’atteinte à l’une quelconque des fonctions de la marque. Ce faisant, la Cour a affirmé la protection de la marque dans toutes ses dimensions 10 et utilités et – en cas de double identité – n’inféode plus la protection à la seule question d’une atteinte à la fonction d’indication d’origine. À lire dans le détail certains points de l’arrêt Interflora, on pourra se demander si – pour la CJUE – le tourment ne fait pas suite à l’audace constructive (B). L’atteinte à la fonction essentielle de la marque – l’indication d’origine des produits ou des services – ne se déduisant plus du simple constat de la double identité, il convient de démontrer le risque de confusion par le consommateur. Or, c’est une lecture attentive qu’impose la Cour, devant prendre en compte le contexte d’emploi de la marque qui peut contenir des éléments d’information de nature à écarter toute confusion (C). La fonction d’investissement de la marque doit permettre à son titulaire de faire sanctionner les emplois seconds de son signe qui contrarient le développement de sa réputation, portent atteinte à son maintien ou en provoquent la dégradation. La Cour entend cependant laisser hors de la protection les atteintes non substantielles à cette fonction d’investissement (D). L’emploi non autorisé de la marque en tant qu’instrument de promotion des ventes constitue une atteinte à la fonction de publicité. Toutefois, dans le cas particulier de l’emploi d’une marque comme mot clé pour déclencher l’affichage d’une publicité en ligne, la Cour relève, certes, des répercussions sur l’emploi publicitaire, mais ne les qualifie pas d’atteinte à la fonction de publicité (E). A. – Revirement de jurisprudence : l’atteinte à la fonction essentielle ne s’infère plus de la double identité 3. À l’occasion de l’arrêt Interflora, la CJUE étend peu à peu les conséquences de sa jurisprudence initiée avec l’arrêt L’Oréal et relative aux fonctions de la marque. Le simple constat d’une double identité suffisait anciennement à déclencher la protection, l’atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine s’inférant automatiquement de cette double identité. Au fond, la protection était possible alors même que la fonction essentielle n’était peut-être pas atteinte… et peu importait même le contenu de cette fonction… dès lors que son atteinte était automatiquement supposée. La situation R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication était simple et claire : en cas de double identité (et d’usage de la marque dans la vie des affaires), la protection était due, sans exigence dans ces conditions atteinte à la fonction d’identification d’origine de la marque Interflora » (point 49). Cela amène à de multiples suppositions sur ce que cette situation « risque de faire croire » (point 49)…, sur ce que l’internaute « est censé savoir, sur la base des caractéristiques généralement connues du marché » (point 51)…, le tout afin « d’évaluer » si l’emploi de termes tels que « M&S flowers » « suffit ou non » pour que l’internaute « puisse comprendre » que le service de livraison de fleurs ne provient pas d’Interflora (point 53). On mesure la complexification de l’accès à la protection qui en résulte et l’incertitude qui pèse désormais sur le principe même de la protection dans les hypothèses de double identité. Assurément, le renoncement à une protection sinon a priori (« absolue » nous dit – têtu – le texte légal) du moins fondée sur un constat simple et immédiat (la double identité) engage le droit des marques dans une casuistique sans fin, y compris en cas de double identité. probatoire supplémentaire. Ainsi : « Il convient de constater que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n’exige pas la preuve d’un tel risque (de confusion) pour accorder une protection absolue en cas d’identité du signe et de la marque ainsi que des produits ou des services » (LTJ Diffusion, aff. C-291/00, 20 mars 2003, point 49). 4. Sans doute le point 88 de l’arrêt Google n’était-il pas suffisamment explicite – ou du moins un tel revirement méritait-il confirmation – puisque l’Avocat général lui-même en reste dans l’affaire Interflora a une lecture jusque-là orthodoxe : « la protection conférée par l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive n° 89/104 dans l’hypothèse de signes et de produits ou services identiques, est “absolue” dans le sens où le titulaire de la marque n’est pas tenu de démontrer l’existence d’un risque de confusion » (conclusions de l’Avocat général, point 35). Et ce, donc, alors même que la Cour avait posé inversement B. – La protection fondée sur l’atteinte dans l’arrêt Google qu’il « incombe à la juridiction nationale à l’une quelconque des fonctions de la marque : d’apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est la CJUE saisie par le doute ? saisie sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d’atteinte, à la fonction 7. L’arrêt Interflora est l’occasion d’indication d’origine » (Google France et Google, pour la Cour de rappeler que, désorChangement radical mais, le titulaire de la marque peut aff. C-236/08 à C-238/08, 23 mars 2010, point 88). de perspective désormais « invoquer son droit exclusif en cas 5. Changement radical de perspecpuisque – nous l’enseigne d’atteinte ou de risque d’atteinte à tive désormais puisque – nous l’enseigne de nouveau la CJUE – l’une des fonctions de la marque, qu’il de nouveau la CJUE – la double identité la double identité ne s’agisse de la fonction essentielle d’inne dispense plus de caractériser le risque dispense plus dication d’origine du produit ou du de confusion ; l’atteinte à la fonction de caractériser le risque service couvert par la marque ou de essentielle d’indication de l’origine doit de confusion ; l’atteinte l’une des autres fonctions de celle-ci, donc être pleinement démontrée. C’est à la fonction essentielle telles que celle consistant à garantir la là une incontestable complication proqualité de ce produit ou de ce service, batoire de laquelle résultera fatalement d’indication de l’origine ou celles de communication, d’investisun recul de la protection. Ainsi, bien doit donc être pleinement sement ou de publicité (arrêt L’Oréal que les signes soient identiques et que démontrée. et a., points 63 et 65, ainsi que Google les produits désignés le soient aussi, « il France et Google, points 77 et 79) » incombe à la juridiction de renvoi d’ap(point 38). Ainsi, la fonction essentielle est-elle complétée par précier si les faits du litige au principal sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d’atteinte, à la fonction d’indication d’autres fonctions qui permettent – elles aussi – de fonder la d’origine de la marque (…) » (point 46). Question de fait pour protection. Force est donc d’observer – avec satisfaction – que la fonction essentielle, autrement dénommée « fonction d’inlaquelle il conviendra au cas par cas aux juridictions du fond dication d’origine » devient une fonction comme les autres. de déterminer si l’emploi second permet au consommateur La protection est désormais possible sur le fondement de normalement informé et raisonnablement attentif de savoir l’atteinte à l’une quelconque des fonctions de la marque, et si les produits ou les services proviennent du titulaire de la alors même que la fonction d’indication d’origine ne serait pas marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci atteinte. C’est dire alors que, d’une certaine manière, toutes ou, au contraire, d’un tiers. les fonctions sont essentielles… 6. Nous avions souligné – à l’occasion de l’affaire Fer8. L’arrêt L’Oréal est d’une parfaite clarté à ce sujet, la rero – que le consommateur n’accorde le plus souvent que Cour ayant dit pour droit – sans ambiguïté aucune – que peu d’importance à l’origine marchande des produits et « l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n° 89/104 qu’il est donc difficile d’arbitrer la protection sur ce motif. doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque Cette difficulté se retrouve dans l’affaire Interflora lorsque enregistrée est habilité à faire interdire l’usage par un tiers est mise en débat la question de savoir si « l’internaute (…), d’un signe identique à cette marque pour des produits normalement informé et raisonnablement attentif ayant inou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque troduit des termes de recherche contenant le mot “interflora” a été enregistrée, même lorsque cet usage n’est pas susceptible peut comprendre que le service de livraison de fleurs proposé de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est ne provient pas d’Interflora » (point 53). Si, au contraire, le d’indiquer la provenance des produits ou services, à condition consommateur internaute est amené à penser que « M&S que ledit usage porte atteinte ou soit susceptible de porter fait partie du réseau commercial d’Interflora (…) il y aurait Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 11 P R OT E C T I O N D E L A M A R Q U E E N C A S D E D O U B L E I D E N T I T É ( … ) atteinte à l’une des autres fonctions de la marque » (L’Oréal et a., aff. C-487/07, 18 juin 2009). 9. Subrepticement pourtant (sous l’effet des critiques dont l’Avocat général se fait l’écho ?) cette possibilité d’une protection de la marque alors même que la fonction d’indication d’origine (la fonction essentielle) n’est pas atteinte, semble moins affirmée dans l’arrêt Interflora. Il est vrai que la position – dogmatique – de la Commission est tranchée : « La Commission européenne, quant à elle, estime que le paragraphe 1, sous a) de l’article 5 de la directive n° 89/104 et 9 du règlement n° 40/94 protège le titulaire de la marque uniquement contre des atteintes à la fonction d’indication d’origine de la marque » (point 35). On peut ainsi lire dans l’arrêt Interflora qu’une « (…) marque constitue souvent, outre une indication de la provenance des produits ou des services [souligné par nous], un instrument de stratégie commerciale employé, en particulier, à des fins publicitaires ou pour acquérir une réputation afin de fidéliser le consommateur » (point 39) ; mais encore, que « certes une marque est toujours censée remplir sa fonction d’indication d’origine [souligné par nous], tandis qu’elle n’assure ses autres fonctions que dans la mesure où son titulaire l’exploite en ce sens, notamment à des fins de publicité ou d’investissement » ; la Cour soulignant là une « différence entre la fonction essentielle de la marque et les autres fonctions » (point 40). Peut-être la Cour – en forme de recul – souhaite-t-elle installer l’idée que l’atteinte à la fonction essentielle est une condition toujours nécessaire de l’accès à la protection… laquelle protection pourra secondairement être en quelque sorte confirmée lorsque des atteintes aux autres fonctions seront constatées. Cela est suggéré, instillé sans doute, mais n’est pas affirmé, tant ce qui a été dit pour droit dans l’arrêt L’Oréal est parfaitement explicite. Dans ce contexte, la Cour n’a certainement pas la liberté d’un revirement à court terme ; lequel aurait pour conséquence de rendre inutile, car superfétatoire, la recherche d’une atteinte aux autres fonctions de la marque. Ce serait renoncer à une jurisprudence qui mérite pleinement l’approbation en cela qu’elle est fondée sur une meilleure compréhension de la marque et de ses utilités. C. – L’atteinte à la fonction d’indication d’origine s’infère strictement du risque de confusion 10. La CJUE a énuméré une liste des fonctions de la marque méritant protection. Ces fonctions – outre la fonction dite « essentielle » d’indication d’origine – sont les fonctions de publicité, d’investissement, de garantie de la qualité et de communication. Dans l’affaire Interflora, la Cour est invitée à se prononcer sur la question de savoir si l’affichage d’une publicité pour des produits identiques à ceux désignés par la marque protégée – déclenché par l’usage d’un mot clé identique à cette marque dans le cadre d’un service de référencement sur internet – est susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque. Dans une situation similaire, l’arrêt Google avait posé que l’usage second était un usage pour des produits identiques à ceux désignés par la marque : « le fait qu’un signe identique à une marque est sélectionné en tant que mot clé par un concurrent du titulaire de la marque (…) [vaut] usage dudit signe pour les produits ou les services dudit concurrent » (Google France et Google, aff. C-236/08, 23 mars 2010, point 69). 12 Il est entendu aussi – et sans difficulté – qu’un tel usage est un usage réalisé « dans la vie des affaires ». Il demeure alors de savoir si l’usage d’un mot clé identique à la marque vaut usage de la marque et si – cela étant – il est susceptible de porter atteinte à sa fonction d’origine. 11. L’emploi d’un mot clé par un consommateur peut très bien être fait en référence à un signe homonymique de la marque, et donc ne pas constituer un usage de la marque elle-même. L’Avocat général relève très justement « qu’un mot identique est souvent enregistré par d’autres titulaires de marques pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires ». Par ailleurs, « il existe aussi des marques qui sont composées de noms communs ou de termes descriptifs » ; dès lors, « il serait audacieux de présumer qu’un internaute qui utilise le mot “apple” ou le mot “diesel” comme mot de recherche vise toujours un ordinateur ou un jean d’une certaine marque, et non pas un fruit ou un carburant. Ou que le mot de recherche “nokia” serait toujours utilisé pour des recherches portant sur des téléphones mobiles, mais jamais pour des recherches relatives à une ville, un lac, un mouvement religieux ou une marque de pneus portant tous un nom similaire » (conclusion de l’Avocat général, point 70). « Il serait tout autant audacieux de présumer, de manière générale, qu’une entreprise qui achète des signes en tant que mot clé dans le cadre d’un service de référencement payant sur internet vise toujours telle ou telle marque, en particulier s’il existe plusieurs marques identiques enregistrées par différents titulaires dans différents pays. En conclusion, on peut présumer avec certitude que l’identité entre un mot clé et une marque indique un lien entre eux en présence de marques véritablement uniques qui possèdent un caractère distinctif intrinsèquement fort. De même, on peut présumer qu’une entreprise qui achète un mot clé ne vise une marque identique que si la marque a ces caractéristiques et que le mot clé est acheté par un concurrent, c’est-à-dire par une entreprise qui vend des produits ou des services concurrents de ceux couverts par la marque. Selon moi, ces conditions apparaissent remplies dans le cas plutôt exceptionnel que constitue la marque Interflora » (conclusions de l’Avocat général, points 71 et 72). Cette analyse souligne le rôle central de la signification véhiculée par la marque. À cet égard, la protection de la marque suppose que l’occurrence d’emploi litigieuse active bel et bien la signification de la marque protégée dans l’esprit du public pertinent. C’est très justement que l’Avocat général conclut que l’emploi du signe « Interflora » en tant que mot clé constitue inévitablement un emploi de cette marque, en cela que ce signe ne dispose pas d’homonymes courants. 12. Pour autant, quand bien même il est constaté qu’est en cause un usage de la marque à l’identique et pour des produits ou services identiques – et ce dans la vie des affaires – la protection n’est désormais plus automatique puisqu’il demeure de prouver une atteinte à l’une des fonctions de la marque. Dans l’hypothèse en cours, la preuve d’une atteinte à la fonction d’indication d’origine sera établie « lorsque l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers (arrêt Google France R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication tion s’effectue non seulement au moyen de la publicité, mais et Google, points 83 et 84, ainsi que Portakabin, point 34). En également au moyen de diverses techniques commerciales » effet, dans une telle situation, qui est au demeurant caractérisée (point 61). La fonction d’investissement participe donc à la par la circonstance que l’annonce apparaît tout de suite après l’introduction de la marque en tant que mot de recherche et construction et au maintien de la réputation de la marque, elle est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de œuvre à l’établissement et à la conservation de son contenu mot de recherche, également indiquée sur l’écran, l’internaute sémantique. La fonction de publicité – telle que définie par la peut se méprendre sur l’origine des produits ou des services en Cour – est relative à l’exploitation de ce contenu sémantique, cause (arrêt Google France et Google, point 85) » (point 44). La de cette réputation. 16. La Cour en vient à distinguer deux hypothèses dans juridiction de renvoi devra donc, de manière très factuelle, lesquelles la fonction d’investissement est susceptible d’être déterminer si l’internaute ayant introduit la marque « Interatteinte. La première vise l’amélioration ou le maintien de la flora », comme mot de recherche, est en mesure – « sur la valeur sémantique de la marque : « lorsque l’usage par un tiers base des caractéristiques généralement connues du marché » (…) gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, ou « par l’emploi de termes tels que M&S Flowers dans une de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation suscepannonce » – de « comprendre que le service de livraison proposé tible d’attirer et de fidéliser des consomne provient pas d’Interflora » (point 53). mateurs, il convient de considérer que 13. Porter atteinte à la fonction cet usage porte atteinte à la fonction d’identification d’origine, c’est empêLa lecture que propose d’investissement de la marque ». La cher le public pertinent de distinguer les la Cour de la fonction seconde hypothèse est relative à l’affaientreprises de provenance des produits d’indication d’origine blissement de la valeur sémantique de ou des services. C’est dire – a contra– strictement centrée sur la marque : « Dans une situation où la rio – que la fonction d’identification son utilité intrinsèque – marque bénéficie déjà d’une telle répud’origine ne permet pas d’interdire un est rigoureuse et peut être tation, il est porté atteinte à la fonction emploi second de la marque – même en approuvée, à condition d’investissement lorsque l’usage par le cas de double identité – lorsque cet emtoutefois que les autres tiers (…) affecte cette réputation et met ploi second est réalisé dans un contexte utilités de la marque en péril le maintien de celle-ci » (point 63). contenant des éléments d’information permettent d’activer de nature à indiquer au consommateur 17. Il est important de relever que la protection dans des la provenance réelle et différenciée des dans la première hypothèse – celle hypothèses où elle semble produits ou des services. Cette lecture d’une « gêne » en matière d’acquisisemble devoir légitimer (sous réserve de l’attion ou de maintien de la réputation – s’imposer. l’atteinte n’est caractérisée que si cette teinte à une autre fonction) tous les emplois de gêne est « substantielle ». C’est dire marque fondés sur le rapprochement, la évidemment – a contrario – que l’usage second de la marque comparaison, l’alternative, etc., bien au-delà des hypothèses qui contrarie – de manière non substantielle – l’acquisition, – légalement régulées – de publicité comparative ou d’usage ou la conservation de la réputation de la marque, ne constitue de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la despas une atteinte à la fonction d’investissement et donc n’active tination d’un produit ou d’un service, notamment en tant pas la protection sur ce fondement, y compris donc en cas qu’accessoires ou pièces détachées. Dans cette logique, il de double identité. Dans la seconde hypothèse – celle d’un faudrait alors conclure à l’absence de confusion sur l’origine affaiblissement de la réputation de la marque – la protection des produits ou services dès lors que la marque sera présentée de la fonction d’investissement n’est pas non plus sans limites avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, et l’atteinte sans conséquences significatives ne sera guère imitation, genre, méthode »… plus sanctionnée. Cela se déduit de l’exposé général de la 14. La lecture que propose la Cour de la fonction d’indicaCour donnant la mesure des agissements que le titulaire de la tion d’origine – strictement centrée sur son utilité intrinsèque – marque doit tolérer : « En revanche, il ne saurait être admis que est rigoureuse et peut être approuvée, à condition toutefois le titulaire d’une marque puisse s’opposer à ce qu’un concurrent que les autres utilités de la marque permettent d’activer la fasse [usage de la marque], dans des conditions de concurrence protection dans des hypothèses où elle semble s’imposer. loyale (…) si cet usage a pour seule conséquence d’obliger le D. – L’atteinte non substantielle à la fonction titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir d’investissement est légitime ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs. De la même manière, la circonstance que 15. La fonction d’investissement correspond à une utilité ledit usage conduise certains consommateurs à se détourner de la marque centrée sur l’acquisition ou le maintien d’une rédes produits et services revêtus de ladite marque ne saurait être putation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs utilement invoqué par le titulaire de cette dernière » (point 64). (point 60). Il n’est pas inutile que la Cour précise la distinction qu’il convient de faire entre fonction d’investissement et foncEn somme, nous dit la Cour, la protection est ici fonction du tion de publicité : « Si cette fonction, dite “d’investissement”, de degré d’inconvénient subi par le titulaire de la marque. Celui-ci la marque peut présenter un chevauchement avec la fonction se retrouve donc en situation difficile : il doit attendre de subir de publicité, elle se distingue néanmoins de celle-ci. En effet, une atteinte consommée et significative – et en apporter la l’emploi de la marque pour acquérir ou conserver une réputapreuve – afin de faire valoir son droit. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES > 13 P R OT E C T I O N D E L A M A R Q U E E N C A S D E D O U B L E I D E N T I T É ( … ) 18. La Cour entend donc faire prévaloir le jeu concurrentiel sur le droit des marques lorsque l’atteinte à la fonction d’investissement n’est pas substantielle. Par ailleurs, l’atteinte sera non substantielle lorsqu’elle imposera simplement au titulaire de la marque de corriger les effets négatifs de l’emploi second de son signe sur la construction ou le maintien de sa signification. Remarquons que la Cour rend possible l’emploi second de la marque – à l’identique et pour de mêmes produits ou services – lorsque même il en résulte une perte d’affaires pour le titulaire de la marque enregistrée. Tout cela sous deux réserves importantes tout de même. La première est qu’il ne soit pas porté atteinte à la fonction d’indication de l’origine (ni à une autre d’ailleurs), c’est-à-dire que les consommateurs puisse distinguer que l’usage concurrent n’est pas un usage du titulaire de la marque. La seconde est que l’agissement concurrentiel soit « loyal », c’est-à-dire – pour l’essentiel – qu’il ne se rapporte pas à des produits contrefaits. Pour autant, la limite demeure floue : à partir de quel degré d’inconvénient la protection sera-t-elle acquise ? On peut craindre que les juridictions du fond produisent des lectures très variables et qu’il en résulte une réelle incertitude quant au principe même de la protection due au titulaire de la marque. E. – Les répercussions sur l’emploi publicitaire ne sont pas une atteinte à la fonction de publicité 19. La marque est un instrument utile afin d’informer et de persuader les consommateurs, « dès lors, le titulaire de la marque est habilité à en interdire l’usage (…) (en cas de double identité) lorsque cet usage porte atteinte à l’emploi de la marque, par son titulaire, en tant qu’élément de promotion des ventes ou en tant qu’instrument de stratégie commerciale » (Google France et Google, aff. C-236/08 à C-238/08, 23 mars 2010, point 92). Dans les cas d’emploi d’une marque comme mot clé par un concurrent afin de faire apparaître sa propre publicité lors d’une recherche fondée sur ladite marque, la Cour admet que « ledit usage peut avoir des répercussions sur l’emploi publicitaire d’une marque verbale par son titulaire » (point 55), et ce concernant notamment le coût des publicités. Cela peut aussi contraindre « le titulaire de cette marque à intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir ou augmenter sa visibilité auprès des consommateurs » (point 57). Étant ainsi constaté que l’usage mis en débat a une incidence sur l’emploi de la marque en tant qu’élément de promotion, il est curieux que la Cour pose de manière à la fois péremptoire et quelque peu contradictoire « qu’il n’y a pas atteinte à la fonction de publicité de la marque » (point 57) (voir aussi Google France et Google, aff. C-236/08 à C-238/08, 23 mars 2010, points 95 à 98). 20. On comprend bien que la Cour souhaite faire primer le jeu concurrentiel sur le droit privatif. Cela est exprimé clairement : « Il importe de souligner (…) que, si la marque constitue un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le droit de l’Union entend établir (voir notamment, arrêt du 23 avril 2009, Copad, aff. C-59/08, Rec. p. I-3421, point 22), elle n’a cependant pas pour objet de protéger son titulaire contre des pratiques inhérentes au jeu de la concurrence » (point 57). Dans cette logique, la Cour ne manque pas d’exposer les mérites de la publicité sur internet à partir de mots clés ; pratique qui permet « de proposer aux internautes des alternatives par rapport aux produits ou aux services des titulaires desdites marques (voir, à cet égard, arrêt 14 Google France et Google, point 69) » (point 58). Cette pratique que la Cour juge inhérente au jeu de la concurrence « n’a pas pour effet de priver le titulaire de cette marque de la possibilité d’utiliser efficacement sa marque pour informer et persuader les consommateurs (voir, à cet égard, arrêt Google France et Google, points 96 et 97) » (point 59). Pour autant, est-ce à dire que l’atteinte à la fonction de publicité ne peut être admise qu’en cas d’impossibilité d’utiliser la marque à cette fin ? On mesure mal la frontière entre l’agissement qui aura des répercussions sur la fonction de publicité et celui qui lui portera atteinte… Mais encore : en quoi l’usage d’une marque comme mot clé dans des conditions de double identité relève-t-il de pratiques concurrentielles loyales et non faussées ? Sur tous ces points – essentiels – l’exposé de la Cour est quelque peu lacunaire et lapidaire. 21. La question de l’appréciation de l’atteinte à la fonction de publicité dans le cadre de l’affaire Interflora amène la Cour à dire pour droit qu’un tel usage « ne porte pas atteinte, dans le cadre d’un service de référencement ayant les caractéristiques de celui en cause au principal, à la fonction de publicité de la marque ». Ce faisant, la Cour nous semble dévier d’une trajectoire imposée et il est à craindre que – s’agissant de la question particulière de l’atteinte à la fonction de publicité – la réponse en droit ait cédé la place au jugement de fond. L’objectif qu’avait justement identifié l’Avocat général dans l’affaire L’Oréal, n’a sans doute pas – sur le point examiné – été atteint : « la difficulté principale réside pour la Cour dans la double pondération qu’elle est appelée à opérer. Non seulement la Cour est appelée par la juridiction nationale à dégager une interprétation des dispositions du droit de l’Union européenne dans un contexte difficile, mais elle devrait, dans le même temps garantir que l’interprétation des actes en question restera applicable dans des situations présentant des paramètres différents » (L’Oréal et a., aff. C-324/09, conclusions de l’Avocat général, point 5). II. – MARQUE RENOMMÉE : UNE PROTECTION SOUS CONDITION DE PARASITISME, DE DILUTION OU DE TERNISSEMENT 22. Lorsque la marque est renommée – et en cas de double identité – sa protection peut être recherchée sur le fondement de l’atteinte à l’une quelconque de ses fonctions, mais aussi sur celui du parasitisme ou du préjudice porté à son caractère distinctif ou à sa renommée. Ces protections sont différenciées et non exclusives les unes des autres (A). Le préjudice porté au caractère distinctif de la marque – autrement dénommé « dilution » – résulte d’emplois seconds de cette marque de nature à en disperser l’identité. Il était entendu qu’une telle atteinte était possible, y compris lorsque les consommateurs sont en mesure de distinguer l’origine des produits ou des services ; donc en l’absence de risque de confusion. La jurisprudence de la Cour semble ne plus être en ce sens lorsqu’elle pose qu’une telle atteinte est possible uniquement lorsque les consommateurs sont dans l’incapacité de distinguer l’origine des produits ou des services (B) Le profit tiré indûment du caractère distinctif ou de la renommée de la marque – autrement dénommé « parasitisme » – mérite sanction. Cette sanction peut toutefois être écartée en présence d’un « juste motif ». Pour la Cour, l’emploi d’un mot R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication graphe 2, de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 ont vocation à s’appliquer dans l’affaire au principal » (point 70). A. – Enjeux et cadre d’application de la protection 25. L’hypothèse de l’arrêt Interflora est celle d’une double de la marque renommée identité. En tel cas, la protection est possible en raison d’une atteinte à l’une quelconque des fonctions de la marque, sur 23. L’Avocat général expose la conviction qui l’anime : le fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la di« L’avantage d’internet est précisément qu’il amplifie considérective n° 89/104. La marque « Interflora » étant renommée, rablement les possibilités pour les consommateurs de faire des son titulaire peut aussi rechercher la protection offerte par choix éclairés entre des produits et services » (conclusions de l’Avocat l’article 5, paragraphe 2. La protection contre les atteintes à général, point 45). Il conviendrait donc d’encourager cet accès à une fonction de la marque étant autonome de la protection une information variée et d’éviter que le droit des marques spécifique des marques renommées, l’absence éventuelle de ne soit un frein à cet égard : « Il peut être utile de rappeler protection privative sur le premier fondement n’écarte évidemque “le droit de marque constitue en effet un élément essentiel ment pas la possibilité d’une protection sur le second. C’est du système de concurrence non faussée que le traité entend dans ce contexte qu’est envisagée l’application de la protection établir et maintenir” (arrêt de la Cour du 12 novembre 2002, spécifique des marques renommées à la marque « Interflora ». Arsenal Football Club, aff. C-206/01, Rec. 2002 p. I-10273, 26. La protection spécifique des marques renommées point 47). Selon moi, la finalité de la concurrence économique passe par la démonstration que la marque en cause est vicest d’améliorer le bien-être du consommateur en instaurant time de l’une – ou de plusieurs – des de meilleurs substituts aux produits existrois atteintes prévues par le législatants (en termes de qualité, de caractérisLa protection contre teur : « Les atteintes contre lesquelles tiques ou de prix), pour promouvoir ainsi les atteintes les articles 5, paragraphe 2, de la dil’efficacité et les innovations, et parvenir à une fonction de la rective n° 89/104 et 9, paragraphe 1, ainsi à une allocation plus rationnelle marque étant autonome sous c), du règlement n° 49/94 assurent des facteurs de production » (conclusions de la protection spécifique la protection sont, premièrement, le préde l’Avocat général, note 34). On comprend que judice porté au caractère distinctif de l’emploi d’une marque en tant que mot des marques renommées, la marque, deuxièmement, le préjudice clé permettant l’affichage de publicil’absence éventuelle porté à la renommée de cette marque tés concurrentes contribue à enrichir de protection privative et, troisièmement, le profit indûment l’information du consommateur, qui, sur le premier fondement tiré du caractère distinctif ou de la rerecherchant à accéder au site internet n’écarte évidemment pas nommée de ladite marque, une seule de et aux produits de la société Interflora, la possibilité ces atteintes étant suffisante pour que se voit proposer ceux aussi d’autres d’une protection sur la règle énoncée auxdites dispositions sociétés. Dès lors – la marque « Interle second. s’applique (voir arrêt du 18 juin 2009, flora » étant renommée – le « bien-être L’Oréal et a., points 38 et 42) » (point 72). du consommateur » nécessitera d’écarter l’application de l’article 5, paragraphe 2… Les atteintes examinées dans le cadre de l’arrêt Interflora sont 24. La Cour est donc invitée à se prononcer sur l’applicabilité l’atteinte au caractère distinctif de la marque renommée – la de l’article 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 relatif à dilution – et le profit indûment tiré du caractère distinctif ou la protection spécifique des marques renommées. Inlassablede la renommée de la marque, c’est-à-dire le parasitisme. Le ment, la Cour rappelle le champ d’application de ce texte tel préjudice porté à la renommée de la marque – autrement déqu’issu de sa jurisprudence Davidoff : « Il est de jurisprudence nommé « ternissement » – n’est pas examiné dans la présente constante que, même si les dispositions ne se réfèrent expresséaffaire mais il n’est cependant pas inutile d’en rappeler les ment qu’à l’hypothèse où il est fait usage d’un signe identique enjeux : « En ce qui concerne le préjudice porté à la renommée ou similaire à une marque renommée pour des produits ou des de la marque, également désigné sous les termes de “ternisservices qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels cette sement” ou de “dégradation”, ce préjudice intervient lorsque marque est enregistrée, la protection y énoncée vaut, à plus forte les produits ou les services pour lesquels le signe identique raison, également par rapport à l’usage d’un signe identique ou similaire est utilisé par le tiers peuvent être ressentis par ou similaire à une marque renommée pour des produits ou des le public d’une manière telle que la force d’attraction de la services qui sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque en est diminuée. Le risque d’un tel préjudice peut marque est enregistrée » (point 68). Ainsi, l’article 5, paragraphe 2, résulter notamment du fait que les produits ou les services offerts par le tiers possèdent une caractéristique ou une qualité s’applique-t-il aux hypothèses de double identité, tout comme susceptible d’exercer une influence négative sur l’image de la il s’applique à celles de simple identité, y compris lorsque les marque » (L’Oréal et a., aff. C-487/07, 18 juin 2009, point 40). produits ou les services ne sont pas similaires. Dans l’affaire Interflora, la renommée de la marque et la double identité ne B. – L’atteinte au caractère distinctif subordonnée font aucun doute : « La marque Interflora étant renommée et à un risque de confusion ? l’usage par M&S du signe identique à cette marque en tant que mot clé ayant été fait (…) pour un service identique à celui 27. L’Avocat général rappelle très justement que « la Cour pour lequel ladite marque a été enregistrée, les articles 5, paraa défini la dilution par brouillage dans les termes suivants : ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES clé comme marque relève d’une concurrence saine et loyale de nature à constituer un « juste motif » (C). Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 15 P R OT E C T I O N D E L A M A R Q U E E N C A S D E D O U B L E I D E N T I T É ( … ) s’agissant plus particulièrement du préjudice porté au caractère distinctif de la marque, également désigné sous les termes de ‘dilution’, de ‘grignotage’ ou de ‘brouillage’, ce préjudice est constitué dès lors que se trouve affaiblie l’aptitude de cette marque à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de ladite marque, l’usage de la marque postérieure entraînant une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de son emprise sur l’esprit du public. Tel est notamment le cas lorsque la marque antérieure, qui suscitait une association immédiate avec les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, n’est plus en mesure de le faire (voir les arrêts Intel Corporation, point 29, et L’Oréal et a., point 39) » (point 79). Ce qui est en jeu, c’est la capacité de la marque à singulariser certains produits ou services. Il est possible en effet que la marque évolue dans l’esprit des consommateurs et tende à devenir – voire devienne – un terme générique à même de désigner une catégorie entière de produits ou de services. C’est toute la question du glissement sémantique de la marque qui, délaissant sa condition de nom propre, évoluera vers celle de nom commun. Ainsi : « Le brouillage ou la dilution en ce sens signifient essentiellement que le caractère distinctif de la marque se trouve “affaibli” (“watered down”, en anglais, “Verwässerung” en allemand) dans la mesure où la marque devient banale. Un signe utilisé comme marque qui fait référence à différents produits et services provenant d’origines commerciales différentes n’est plus capable d’identifier les produits et services couverts par la marque avec une source unique » (point 81). 28. La Cour forme le constat qu’en cas de double identité, l’usage second de la marque est de nature à entamer son caractère distinctif et à provoquer la dilution de sa signification : « Il est vrai que l’usage, par un tiers et dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à une marque renommée réduit la capacité distinctive de celle-ci et porte donc préjudice au caractère distinctif de cette marque au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 ou, en cas de marque communautaire, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, lorsqu’il contribue à la dénaturation de ladite marque en terme générique » (point 79). Ce constat général est évidemment sujet à appréciation particulière selon les faits en cause. La démonstration du risque de dilution doit être établie et elle ne saurait se postuler. Dès lors il convient d’observer – dans l’affaire Interflora – si l’usage de la marque en tant que mot clé pour susciter la présentation publicitaire de produits ou de services concurrents est de nature à en provoquer la dilution. 29. Il semble important de souligner que l’atteinte à l’indication d’origine – la confusion des produits ou services – n’est pas un prérequis pour admettre un éventuel préjudice porté au caractère distinctif de la marque. L’article 5, paragraphe 2, qui prévoit la protection spécifique des marques renommées, propose justement une protection y compris lorsque celle-ci n’est pas acquise sur les fondements – différents – du paragraphe 1. Citons la jurisprudence de la Cour : « Les atteintes visées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel 16 le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas. Il n’est donc pas exigé que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe utilisé par le tiers soit tel qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion » (arrêts Adidas-Salomon et Adidas Benelux, points 29 et 31, ainsi que L’Oréal et a., aff. C-487/07, 18 juin 2009, point 36). Ainsi, l’atteinte visée au paragraphe 2 peut-elle être reconnue sans devoir prouver un risque de confusion sur l’origine des produits ou services, dès lors que l’établissement d’un lien entre les signes suffit. 30. À cet égard, les développements de la Cour dans l’arrêt Interflora posent problème puisqu’ils postulent – inversement – que le constat d’un risque de confusion est un préalable à la possibilité d’une protection : « Si, en revanche, ladite juridiction devait conclure que la publicité déclenchée par ledit usage du signe identique à la marque Interflora n’a pas permis à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de comprendre que le service promu par M&S est indépendant de celui d’Interflora, (…) il incomberait à ladite juridiction d’apprécier, sur la base de tous les indices qui lui sont soumis, si la sélection de signes correspondant à la marque Interflora en tant que mots clés sur internet a eu un impact tel sur le marché des services de livraison de fleurs que le terme “Interflora” a évolué pour désigner, dans l’esprit du consommateur, tout service de livraison de fleurs » (point 83). Force est de constater que l’atteinte à la fonction d’origine de la marque est mise en débat. En l’absence de confusion sur l’origine des produits ou des services, il ne saurait y avoir de réduction de la capacité distinctive et donc de préjudice pour dilution : « Si la juridiction de renvoi devait conclure que la publicité déclenchée en raison de l’usage, par M&S, du signe identique à la marque Interflora a permis à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de comprendre que le service promu par M&S est indépendant de celui d’Interflora, cette dernière entreprise ne saurait utilement faire valoir, en se prévalant des règles énoncées aux articles 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, que cet usage a contribué à une dénaturation de ladite marque en terme générique » (point 82). 31. Une autre contradiction semble devoir être relevée, moins sévère toutefois. La Cour l’affirme : si la perte consommée de la distinctivité est l’issue ultime de la dilution, il convient cependant de porter attention et remède au processus lui-même, sans attendre son résultat fatal : « Pour que le titulaire de la marque renommée soit protégé efficacement contre ce type d’atteinte, il convient d’interpréter les articles 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 en ce sens que ce titulaire est habilité à interdire tout usage d’un signe identique ou similaire à cette marque réduisant la capacité distinctive de ladite marque, sans qu’il doive attendre l’issue du processus de dilution, à savoir la perte complète du caractère distinctif de la marque » (Interflora, point 77). Comment dès lors exiger, pour reconnaître la protection, que la juridiction de renvoi caractérise « (…) que le terme “Interflora” a évolué pour désigner, dans l’esprit du consommateur, tout service de livraison de fleurs » (point 83) ? Au demeurant, de manière plus ouverte, la Cour dit pour droit qu’une « publicité à partir d’un mot clé R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication 34. Cette possibilité d’admettre le parasitisme sans avoir porte préjudice au caractère distinctif de la marque renommée à justifier d’un préjudice propre, mais en démontrant sim(dilution), notamment, si elle contribue à une dénaturation plement le bénéfice retiré par le concurrent, ne satisfait pas de cette marque en terme générique ». Assurément, ce sont les l’Avocat général. Ainsi : « La Cour a considéré dans l’arrêt conditions initiant un processus de dilution qui doivent être L’Oréal et autres que l’existence d’un profit indûment tiré ne sanctionnées, et cela sans attendre la dégénérescence aboutie présuppose pas que l’usage de la marque porte préjudice à son – et le plus souvent irréversible – de la marque. titulaire. J’estime que cela pose un grave problème du point 32. Au plan pratique – mais c’est l’appréciation des faits de vue de la concurrence parce que la Cour affirme en réalité qui va importer – il nous semble que la généralisation de que le titulaire de la marque est fondé à exercer son droit l’emploi des marques renommées en tant que mot clé par d’interdire l’usage d’un signe dans des circonstances où cela les concurrents aura pour effet que les consommateurs utiaboutirait à s’écarter d’une situation d’optimum de Pareto. La liseront volontairement ces marques afin de faire apparaître situation du titulaire de la marque ne s’améliorerait pas étant les offres de produits ou de services de l’ensemble des acdonné que, par définition, il ne souffrirait aucun préjudice du teurs d’un marché. Cela aura pour effet de favoriser l’accès fait de l’usage, alors que celle de son concurrent se dégraderait à l’information pour les consommateurs ; la Cour n’a pas parce qu’il perdrait une partie de son activité. De même cela manqué de l’observer et entend le privilégier. Cependant, de aurait un effet négatif sur la situation telles pratiques seront inévitablement des consommateurs qui n’avaient pas de nature à contribuer à la dilution de Au plan pratique – mais été induits en erreur par l’annonce mais la marque, à l’affaiblissement de sa disc’est l’appréciation des qui, sciemment, avaient préféré acheter tinctivité, dès lors qu’elle sera employée faits qui va importer – les produits du concurrent » (point 94). en tant que signe permettant l’accès à il nous semble que tous les produits de la catégorie et non En somme, nous dit l’Avocat général, la généralisation de plus seulement à ceux de son titulaire. l’octroi d’une protection n’apportel’emploi des marques rait rien de bénéfique au titulaire de C. – Un comportement renommées en tant que la marque puisqu’il ne subit pas de parasitaire peut-il relever d’une mot clé par les concurrents préjudice, alors que – bien évidemconcurrence saine et loyale ? ment – la situation de son concurrent aura pour effet que les 33. La protection offerte aux serait atteinte en cela qu’il perdrait consommateurs utiliseront marques renommées par l’article 5, l’avantage que lui conférait son action volontairement ces paragraphe 2, peut se fonder sur l’un parasitaire. Quel que soit l’intérêt des marques afin de faire quelconque des trois motifs qu’il théories de Vilfredo Pareto (1848-1923), apparaître les offres de contient : « Un seul de ces trois types on ne manquera pas de lui trouver des produits ou de services d’atteintes suffit pour que l’article 5, confrères qui concluent différemment de l’ensemble des acteurs paragraphe 2, de la directive n° 89/104 sur la manière de faire la prospérité des d’un marché. soit applicable » (L’Oréal et a., aff. C-487/07, nations… La Cour semble cependant ne pas être insensible à un tel regard. 18 juin 2009, point 42, voir aussi en ce sens, arrêt Intel 35. Dans l’affaire Interflora, il est entendu que l’emploi Corporation, point 28). Le parasitisme est l’un de ces motifs : la de la marque en tant que mot clé constitue un usage de la protection spécifique des marques renommées doit être marque dans la vie des affaires. Ces conditions étant remplies, admise lorsque l’usage second du signe tire indûment profit il convient de savoir si Marks & Spencer tire profit de la renomdu caractère distinctif ou de la renommée de la marque. mée ou du caractère distinctif de la marque Interflora. À cet La Cour donne la définition suivante du parasitisme : « La égard, « il ne saurait être contesté que, lorsque le concurrent du notion de “profit indûment tiré du caractère distinctif ou de titulaire d’une marque renommée sélectionne cette marque en la renommée de la marque”, également désignée sous les tant que mot clé dans le cadre d’un service de référencement sur termes de “parasitisme” et de “free-riding”, (…) s’attache internet, cet usage a pour objet de tirer avantage du caractère non pas au préjudice subi par la marque, mais à l’avantage distinctif et de la renommée de ladite marque. En effet, ladite tiré par le tiers de l’usage du signe identique ou similaire. sélection est susceptible de faire naître une situation où les Elle englobe notamment les cas où, grâce à un transfert consommateurs, probablement nombreux, procédant à une de l’image de la marque ou des caractéristiques projetées recherche sur internet de produits ou de services de la marque par celle-ci vers les produits désignés par le signe identique renommée à l’aide de ce mot clé, verront afficher sur leur ou similaire, il existe une exploitation manifeste dans le écran l’annonce de ce concurrent. Par ailleurs, il ne saurait sillage de la marque renommée » (L’Oréal et a., aff. C-487/07, 18 juin être contesté que, lorsque des internautes achètent, après avoir 2009, point 41). Ce qui importe donc, ce n’est pas le préjudice pris connaissance de l’annonce dudit concurrent, le produit porté à la renommée ou au caractère distinctif de la marque ou le service offert par ce dernier au lieu de celui du titulaire (questions de la dilution et du ternissement) mais l’exploitation indue de de la marque sur laquelle portait initialement leur recherche, cette renommée ou de ce caractère distinctif par le concurce concurrent tire un réel avantage du caractère distinctif et rent. Il est bien certain cependant que l’exploitation de la de la renommée de cette marque » (points 86 et 87). La Cour en renommée ou du caractère distinctif sont certainement de nature à leur porter atteinte, mais ce n’est toutefois pas la vient à constater qu’il « (…) résulte de ces caractéristiques de caractérisation de cette atteinte qui fonde le parasitisme. la sélection de signes correspondant à des marques renommées Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES > 17 P R OT E C T I O N D E L A M A R Q U E E N C A S D E D O U B L E I D E N T I T É ( … ) d’autrui en tant que mots clés sur internet qu’une telle sélection peut (…) s’analyser comme un usage par lequel l’annonceur se place dans le sillage d’une marque renommée afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige, ainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir l’image de cette marque. S’il en va ainsi, le profit ainsi réalisé par le tiers doit être considéré comme étant indu » (point 89). L’analyse est on ne peut plus claire : l’usage d’une marque renommée en tant que mot clé est un acte de parasitisme caractérisé. La conclusion s’impose : en tel cas, le concurrent tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque. 36. Pour autant, la protection ne sera pas accordée si l’agissement parasitaire peut être « racheté » par un juste motif. En considérant les faits – l’emploi d’une marque comme mot clé – qui nous occupent, la Cour en vient à distinguer deux hypothèses. Dans la première, le bénéfice est indu et ne peut se prévaloir d’un juste motif car « les annonceurs sur internet offrent à la vente, moyennant la sélection de mots clés correspondant à des marques renommées, des produits qui sont des imitations des produits du titulaire desdites marques (arrêt Google France et Google, précité, points 102 et 103) » (point 90). La seconde hypothèse – c’est le cas de l’affaire Interflora – est celle d’annonces portant sur des produits qui ne sont pas des « imitations » de ceux proposés par la marque parasitée : « Lorsque la publicité affichée sur internet à partir d’un mot clé correspondant à une marque renommée propose, sans offrir une simple imitation des produits ou des services du titulaire de cette marque (…) une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de la marque renommée, il convient de conclure qu’un tel usage relève, en principe, d’une concurrence saine et loyale dans le secteur des produits ou des services en cause et a donc lieu pour un “juste motif” au sens des articles 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1 sous c) du règlement n° 40/94 » (point 91). Dans un tel cas, la protection doit être écartée car – nous dit la Cour – l’agissement parasitaire est « racheté » par un juste motif. Il demeurera possible – bien évidemment – que la protection soit accordée sur un autre fondement, l’usage litigieux pouvant par ailleurs « causer une dilution ou un ternissement (…) et porter atteinte aux fonctions de ladite marque » (point 91). 37. La Cour l’affirme, l’emploi d’une marque en tant que mot clé pour déclencher une publicité concurrente est un acte de parasitisme, mais cet agissement parasitaire n’active pas la protection car il est couvert par un « juste motif » qui tient au fait qu’il s’opère dans un contexte de « concurrence saine et loyale » (point 91). Selon la Cour, le contexte sain et loyal de la concurrence se déduit du fait que les produits désignés ne sont pas des imitations. Il convient de mesurer la portée 18 de cette lecture jurisprudentielle. Tout d’abord, on pourra s’interroger sur la notion « d’imitation » qui semble renvoyer – sans le dire – à une situation de contrefaçon en matière de droit d’auteur ou de droit des dessins et modèles. Ensuite – et surtout – la question se pose de savoir dans quelle mesure ce « rachat » du parasitisme est lié aux faits rencontrés dans l’affaire Interflora ou les dépasse. À cet égard, la Cour dit pour droit que « le titulaire d’une marque renommée n’est pas habilité à interdire, notamment, des publicités affichées par des concurrents à partir de mots clés correspondant à cette marque et proposant (…) une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de celle-ci ». Cela donne à penser – en raison de l’emploi du mot « notamment » – que l’enseignement vaut bien au-delà de l’anecdote des mots clés. Si tel est le cas, la position de la Cour est audacieuse car – il faut le comprendre ainsi – elle rend légitime l’essentiel des agissements parasitaires et réduit considérablement le champ de ceux qui peuvent être sanctionnés. Certes, la protection pourra être recherchée pour d’autres motifs, mais on pourra trouver ce choix peu opportun, sinon risqué. 38. Qu’elle soit opportune ou non, la décision de la Cour pourra sembler fragile au plan de la construction logique. Les faits de l’affaire Interflora sont des faits de parasitisme ; cela est reconnu par la Cour et si l’on débat d’un « juste motif » c’est bien parce que le parasitisme est attesté. Or, le juste motif tient – selon la Cour – au fait que l’usage litigieux « relève, en principe, d’une concurrence saine et loyale » (point 91). On pourra trouver curieux d’admettre ainsi qu’un agissement parasitaire puisse relever d’une concurrence saine et loyale… l’un étant tout de même quelque peu antinomique de l’autre. À cet égard, le raisonnement de la Cour n’est guère satisfaisant, l’exception à un principe ne pouvant se fonder que sur des motifs extérieurs à ce principe. Peut-être aurait-il été plus adapté de mettre en avant la liberté d’informer… mais cela aurait imposé d’avoir foi en d’autres valeurs que celles de la concurrence. CONCLUSION 39. L’interprétation constructive de la CJUE dans l’arrêt Interflora est sous-tendue par l’idée que le déploiement de la concurrence est favorable à tous les acteurs du jeu économique. À cependant pousser trop loin une idée, à l’ériger en dogme, elle finit par produire des effets inverses de ceux escomptés. La limite semble avoir été franchie au-delà de laquelle il ne reste que des perdants : les consommateurs finalement trompés par un parasitisme ordinaire désormais libéré ; les industriels investissant dans l’économie de l’immatériel qui devront tolérer des atteintes « non substantielles » innombrables à leur patrimoine et une complexification de sa défense ; notre économie dans son ensemble. ◆ R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES Originalité d’une adaptation et d’une mise en scène théâtrales PPar BBradd SPITZ Docteur en droit RLDI Avocat associé YS Avocats Chargé d’enseignement à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Université de Versailles 2537 La Cour d’appel de Paris devait dans ce contentieux trancher la délicate la question de l’originalité de l’adaptation, de la scénographie et de la mise en scène théâtrales ; question qui implique plus largement que soient recherchés les critères généraux à retenir pour apprécier l’originalité d’une œuvre. Me Brad Spitz nous livre son analyse. CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678, inédit (1) A gnès Arnau a adapté, mis en scène et créé la scénographie du spectacle intitulé Lettres de délation sous l’occupation puis simplement Lettres de délation, à partir de lettres recueillies par André Halimi (2) et de textes spécialement commandés au philosophe Alain Guyard. Son spectacle a été produit et donné plusieurs fois entre 2004 et 2005. Le spectacle a par la suite été repris dans une version nouvelle produite par une autre société et mise en scène par d’autres auteurs. À l’exception de quelques modifications, Agnès Arnau estimait que ce spectacle reprenait l’essentiel de son travail d’adaptation, de mise en scène et de scénographie. Elle a donc assigné le producteur et les coauteurs de cette nouvelle version afin de voir juger qu’elle était l’auteur de l’adaptation et de la mise en scène théâtrales et de les faire condamner pour contrefaçon de ses droits patrimoniaux et de son droit moral (droits à la paternité et à l’intégrité de l’œuvre), et, indépendamment des faits de contrefaçon, au titre du parasitisme. En l’absence de fixation de son spectacle d’origine, la demanderesse a versé aux débats un certain nombre de pièces démontrant la forme et le contenu de son travail d’adaptation et de mise en scène, parmi lesquelles : de nombreux articles de presse ayant rendu compte du spectacle, un dossier de presse décrivant la pièce (Agnès Arnau étant mentionnée dans ce dossier comme auteur de la mise en scène et de la scénographie) et le texte de l’adaptation dont le contenu n’a pas été contredit par une preuve contraire (3). Le Tribunal de grande instance de Paris (4) a déclaré Agnès Arnau irrecevable à agir au titre du droit d’auteur, au motif d’une absence d’originalité de son travail, en jugeant qu’elle n’établissait « pas précisément sa qualité d’auteur de l’adaptation théâtrale, de la scénographie et de la mise en scène du spectacle » au vu des éléments apportés (5). Pour conclure à l’absence d’originalité, le Tribunal a énuméré quelques choix opérés par l’auteur, lesquels étaient, selon le Tribunal, « banals » (l’acteur portait des gants blancs et avait le visage grimé, la pièce de théâtre était subdivisée pour évoquer deux espaces distincts permettant le passage d’une situation à une autre, des extraits radiophoniques d’époque étaient diffusés, etc.) ou dictés par le contenu des lettres issues de l’ouvrage d’André Halimi (par exemple la nécessité pour un acteur unique d’endosser plusieurs personnages). Le Tribunal de grande instance a également débouté Agnès Arnau de ses demandes fondées sur le parasitisme. Par un arrêt du 9 septembre 2011, la Cour (6) a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, estimant notamment que le travail d’adaptation d’Agnès Arnau, qui a sélectionné les textes pour la pièce, était original. S’agissant de la mise en scène et de la scénographie, la Cour a estimé que l’originalité résidait dans la combinaison des choix de l’auteur, et non dans chaque caractéristique prise individuellement (comme le recours à une voix off, l’utilisation d’un acteur unique empruntant les habits des délateurs, le recours à un cintre auquel sont suspendus des objets, etc.). Ainsi, selon la Cour d’appel, la combinaison des choix « rend compte de l’approche et du propos d’Agnès Arnau et porte son empreinte personnelle ». L’arrêt de la Cour d’appel s’inscrit ainsi dans le fil d’une « approche plus large et plus objective » (7) de la notion d’originalité, consacrée par l’affaire Infopaq (8) et certains arrêts récents de la Cour de cassation (9). Le spectacle litigieux ayant repris, en dépit de quelques variations, les mêmes construction et structure caractérisant l’œuvre d’Agnès Arnau, la Cour a condamné les intimés au titre de la contrefaçon de ses droits d’adaptateur, de metteur en scène et de scénographe. Le présent commentaire s’attachera uniquement à la question de l’originalité de l’adaptation, de la scénographie et de > (1) L’auteur remercie Me Jean-Louis Langlois pour lui avoir transmis la décision et fait part de ses commentaires. (2) La Délation sous l’occupation, éd. L’Harmattan, 2003. (3) Et ce même si la force probante de la pièce a été contestée en défense. (4) TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 2 fév. 2010, n° 06/02820. (5) Il est précisé que les défendeurs arguaient qu’aucun enregistrement de la pièce de théâtre n’était produit, ce qui ne permettrait donc pas d’identifier suffisamment l’œuvre. Sur ce point, la Cour d’appel de Paris (pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678, voir ci-après) a constaté au contraire que la pièce a été divulguée sous le nom de l’auteur dans divers articles et documents de presse, et notamment dans un dossier de presse pour un festival, où elle était présentée comme auteur de la « mise en scène et scénographie ». La Cour a en outre relevé que l’auteur avait conclu des contrats avec la première compagnie ayant dirigé la pièce, qui lui reconnaissaient la qualité d’auteur de l’adaptation. (6) CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2011, n° 10/04678. (7) Gaullier F., La preuve de l’originalité, une charge complexe – La preuve de l’originalité : mission impossible ?, RLDI 2011/70, n° 2334, p. 126. (8) CJUE, 16 juill. 2009, aff. C-5/08, Infopaq/Danske Dagblades, <www.curia.eu> ; JCP 2009, n° 39, p. 272, note Marinon L. ; obs. Benabou V.-L., Propr. intell. 2009, n° 33, p. 378 ; RIDA 2010, n° 226, obs. Sirinelli P., p. 401. (9) Par ex. Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-17.852, Comm. com. électr. 2011, n° 9, comm. 84, note Caron Ch. ; RLDI 2011/74, n° 2448, obs. Costes L. et aff. Paradis, Cass. 1re civ., 3 nov. 2008, n° 06-19.021, Caron Ch., L’Art conceptuel au paradis de la Cour suprême, Comm. com. électr. 2009, n° 1, p. 2324 ; Daleau J., La consécration de l’art conceptuel, D. 2008, p. 2933-2934 ; Edelman B., La création dans l’art contemporain, D. 2009, p. 38-43. Sur ces affaires, voir infra. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 19 O R I G I N A L I T É D ’ U N E A D A P TAT I O N E T D ’ U N E M I S E E N S C È N E T H É Â T R A L E S la mise en scène théâtrales (II), en se concentrant en premier lieu sur les critères généraux qu’il convient de retenir pour juger de l’originalité d’une œuvre (I). La question est d’importance car, depuis plusieurs années, les juges du fond interprètent souvent trop restrictivement l’originalité, et ce au détriment des titulaires de droits et de la sécurité juridique, alors même que le législateur français souhaite conforter, notamment grâce à la spécialisation des juridictions en matière de propriété intellectuelle, la « réputation d’excellence et l’attractivité juridique de notre pays » (10). I. – ORIGINALITÉ : APPRÉCIATION OBJECTIVE DE L’ENSEMBLE DES CHOIX ARBITRAIRES ET DE LEUR COMBINAISON Des décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation permettent de penser que les juges du fond devront désormais revenir à une interprétation plus large et objective des critères de l’originalité. Dans l’arrêt Infopaq, la Cour de justice, dans une décision contraignante pour les juridictions des États membres, a jugé que l’originalité est une notion communautaire et a donné les critères d’appréciation de la condition de l’originalité (11). Rendue à propos de la reproduction d’un très court extrait d’un texte financier, l’arrêt précise que « les différentes parties d’une œuvre bénéficient (…) d’une protection au titre de [l’article 2, A, de la directive n° 2001/29 (12)] à condition qu’elles contiennent certains des éléments qui sont l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur de cette œuvre » (13) et que « compte tenu de l’exigence d’une interprétation large de la portée de la protection conférée par l’article 2 de la directive n° 2001-29, il ne saurait être exclu que certaines phrases isolées, ou même certains membres de phrases du texte concerné, soient aptes à transmettre au lecteur l’originalité d’une publication telle qu’un article de presse, en lui communiquant un élément qui est, en soi, l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur de cet article » (14). La Cour de justice souligne en outre que si les mots ne sont pas, isolément, protégeables, « à travers le choix, la disposition et la combinaison de ces mots (…) il est permis à l’auteur d’exprimer son esprit créateur de manière originale et d’aboutir à un résultat constituant une création intellectuelle » (15). Le critère décisif de l’originalité est ainsi, comme en droit français (16), l’existence de choix arbitraires mis en œuvre dans la réalisation d’une création. Peu importe que les choix soient contraints ou dictés par la technique ou l’existence d’une œuvre préexistante objet d’un travail d’adaptation, dès lors que le travail, dans son ensemble, est le résultat de choix arbitraires. Cet arbitraire est relatif et en aucun cas absolu. C’est ainsi la consécration au plan communautaire du principe de l’originalité relative, connu dans certains États membres et notamment en France (17), et qui permet de protéger les œuvres dérivées telles que les adaptations et les œuvres à caractère scientifique ou technique, dès lors que la création considérée a impliqué des choix arbitraires révélateurs de la personnalité de son auteur. L’approche est en ce sens subjective, mais le juge doit analyser de manière large et objective les choix mis en œuvre. Par conséquent, le juge doit étudier l’ensemble du travail créatif de celui qui revendique la protection du droit d’auteur, en prenant en compte les choix qu’il a opérés, même si ceux-ci peuvent apparaître, pris individuellement, comme des choix banals et/ou dictés par des contraintes (qu’il s’agisse de contraintes techniques ou de contraintes liées à une commande). À cet égard, les choix ne doivent pas nécessairement relever d’un arbitraire total et peuvent constituer des choix simples dès lors qu’ils sont personnels (18). Dans l’affaire Paradis, la Cour de cassation a, avec cette même approche qui est classique en droit français, relevé que « l’œuvre litigieuse ne consiste pas en une simple reproduction du terme “Paradis”, mais en l’apposition de ce mot en lettres dorées avec effet de patine et dans un graphisme particulier, sur une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans un mur décrépi dont la peinture s’écaille, que cette combinaison implique des choix esthétiques traduisant la personnalité de l’auteur », ce qui caractérisait la recherche conceptuelle de l’artiste qui avait décidé de détourner un mot de son sens commun dans une réalisation matérielle originale (19). Dans une affaire récente portant sur l’originalité d’un site internet (20), la Cour de cassation a censuré un arrêt de la Cour d’appel de Paris (21) qui, pour conclure que les éléments revendiqués au titre du droit d’auteur n’étaient pas de nature à caractériser l’originalité, avait énuméré les choix qui étaient, selon elle, imposés par des contraintes techniques ou qui relevaient d’un savoir-faire, ainsi que les éléments n’ayant pas des caractéristiques esthétiques séparables de leur fonction (22). La Cour d’appel avait ainsi, comme le Tribunal de grande instance de Paris dans l’affaire commentée (23), motivé sa décision en retenant une série d’exemples « négatifs » destinés à justifier l’absence d’originalité, alors que l’énumération révélait que la création du (10) Lutte contre la contrefaçon : premier bilan de la loi du 29 octobre 2007, Rapport d’information n° 296 (2010-2011) de MM. Béteille L. et Yung R., fait au nom de la Commission des lois, déposé le 9 février 2011, <www.senat.fr/rap/r10-296/r10-296_mono.html>. Sur ces affaires, voir infra. (11) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8. (12) Directive no 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JOCE 22 juin 2001, no L 167, p. 10). (13) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8, n° 39. (14) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8, n° 47. (15) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8, n° 45. (16) Caron Ch., Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2e éd., 2009, n° 94. (17) Michaux B., L’originalité en question – L’originalité en droit communautaire après l’arrêt Infopaq, RLDI 2011/70, n° 2333. (18) Précité. (19) Cass. 1re civ., 3 nov. 2008, n° 06-19.021 ; Caron Ch., L’art conceptuel au paradis de la Cour suprême, Comm. com. électr. 2009, n° 1, p. 23-24 ; Daleau J., La consécration de l’art conceptuel, D. 2008, p. 2933-2934 ; Edelman B., La création dans l’art contemporain, D. 2009, p. 38-43. (20) Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-17.852, Comm. com. électr., oct. 2011, comm. 84, note Caron Ch. ; RLDI 2011/74, n° 2448, obs. Costes L. (21) CA Paris, pôle 5, ch. 1, 17 mars 2010, Juris-Data, n° 2010-010644. (22) La Cour d’appel a relevé : « que la présence d’une fenêtre blanche permettant au client de s’identifier ainsi que le choix et la dénomination des rubriques étaient des “éléments commandés par des impératifs utilitaires ou fonctionnels” et qu’ils ne présentaient, en l’espèce, “aucune forme singulière de nature à traduire un quelconque effort créatif”, que la bande-annonce animée “ne revêt pas des caractéristiques esthétiques (…) séparables de tout caractère fonctionnel”, que “la mise en place d’un espace de dialogue interactif”, au moyen d’un blog, “atteste tout au plus d’un savoir-faire commercial”, que le choix de dominantes de couleurs rose et noir n’était pas “perceptible d’emblée”, ni de nature à “conférer au site en cause une physionomie particulière qui le distingue des autres sites du même secteur d’activité” et en définitive, qu’ils soient pris séparément ou combinés dans leur ensemble, les éléments invoqués sont dénués de pertinence au regard du critère d’originalité requis en la cause faute de porter la marque d’un effort personnel de création ». (23) Voir infra, II. 20 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication site internet avait nécessité une suite de nombreux choix : couleurs, bande-annonce animée, architecture avec utilisation de fenêtres, un blog, etc., lesquels, au moins lorsqu’ils sont combinés, constituent un ensemble original. Des choix parfois simples, mais des choix arbitraires et combinés. C’est alors logiquement que la Cour de cassation, en ligne avec la jurisprudence Infopaq (24), a estimé « qu’en statuant ainsi sans justifier en quoi le choix de combiner ensemble ces différents éléments selon une certaine présentation serait dépourvu d’originalité la Cour d’appel a privé sa décision de base légale » au regard de l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle. Il est au passage intéressant de constater, comme le souligne le professeur Caron, que « la caractérisation de l’originalité (ou de son absence d’originalité) ne relève pas (ou plus) de l’apanage exclusif des juges du fond » (25). II. – ORIGINALITÉ DE L’ADAPTATION, DE LA SCÉNOGRAPHIE ET DE LA MISE EN SCÈNE THÉÂTRALES Néanmoins, il résulte du principe de l’originalité relative rappelé ci-dessus que si les choix de l’auteur sont par essence subjectifs – puisque c’est l’auteur qui, en fonction de sa personnalité, opère certains choix qui vont avoir pour conséquence la création de l’œuvre – l’étude par le juge des choix de l’auteur doit être réalisée de manière plus large et plus objective. C’est l’ensemble des choix, y compris simples, composant le travail dont la protection est revendiquée qui doit être étudié, ainsi que la disposition et la composition des choix. L’auteur n’a donc pas à démontrer que la création de son œuvre résulterait d’« impressions tout à fait subjectives ». À cet égard, en ce qui concerne la preuve de l’originalité – laquelle est trop souvent utilisée comme prétexte pour débouter les auteurs de leurs actions en contrefaçon (28) – le juge doit prendre en compte de lui-même tous les choix qui apparaissent de manière évidente dans les pièces versées au débat (les choix de cadrage et de lumière dans une photographie, par exemple) et pas uniquement les choix qui seront éventuellement expliqués par le demandeur (explications qui ne seront Celui qui revendique la protection du droit d’auteur a-t-il opéré des choix personnels, même simples, pour obtenir le résultat considéré ? Les adaptations sont protégées au titre du droit d’auteur dès lors qu’elles sont originales. Il résulte de l’article 2 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques que les œuvres dérivées, telles que les traductions, adaptations, arrangements et autres transformations, sont protégées comme les œuvres premières. L’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en ce sens que « les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ». La jurisprudence a en outre depuis longtemps admis que certaines mises en scène peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur (26). Dans l’affaire présentement commentée, le Tribunal de grande instance de Paris, en guise d’introduction à son analyse, avait précisé que « toute personne revendiquant des droits sur une œuvre doit la décrire et spécifier ce qui la caractérise et en fait le support de la personnalité de son auteur, tâche qui ne peut revenir au Tribunal qui n’est par définition pas l’auteur des œuvres et ne peut substituer ses impressions tout à fait subjectives aux manifestations de la personnalité de l’auteur » (27). ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES rendues nécessaires qu’en raison du caractère technique de la réalisation ou encore dans le cas d’une adaptation, ce qui est effectivement le cas en l’espèce). La question est donc la suivante : celui qui revendique la protection du droit d’auteur a-t-il opéré des choix personnels, même simples, pour obtenir le résultat considéré ? Ainsi, une photographie sera originale si elle requiert le choix d’un angle, de la lumière, de la vitesse d’obturation (29), ce qui sera le cas y compris de photographies de tableaux réalisées pour un catalogue de ventes aux enchères, puisqu’en choisissant de faire ressortir des couleurs ou des contrastes ou au contraire l’homogénéité du tableau en accentuant des traits, les choix arbitraires du photographe ne s’effacent pas « devant la majesté » du tableau photographié (30) (l’originalité sera certes relative, mais le juge ne pourra pas refuser la protection du droit d’auteur). La Table bleue et la Table dorée d’Yves Klein seront également originales dès lors qu’elles ont nécessité des choix arbitraires, tels que le choix de certains matériaux et une combinaison de choix se manifestant par l’agencement d’éléments y compris connus (31). Un texte scientifique sera original même s’il est court et ne fait que procéder à des descriptions, dès lors que le choix des mots et/ou la construction des phrases ont nécessité, de la part de son auteur scientifique et peut-être peu poète, des choix arbitraires. > (24) CJUE, 16 juill. 2009, précitée, note 8. (25) Note sous Cass. 1re civ., 12 mai 2011, précitée, note 20 ; Comm. com. électr. 2011, n° 10, comm. 84. (26) TGI Seine, 2 nov. 1965, JCP 1966, II, p. 14577, note Boursigot ; RTD com. 1964, 579, note Desbois ; CA Paris 8 juill. 1971, RIDA 1973, p. 134 ; TGI Paris, 6 juill. 1990, RIDA 1991, p. 348. (27) TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 2 fév. 2010, n° 06/02820. (28) Gaullier F., La preuve de l’originalité, une charge complexe – La preuve de l’originalité : mission impossible ?, RLDI 2011/70, n° 2334, p. 126. Le Tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, ch. 3, 2e sec., 22 fév. 2008, n° 05/08007, <www.legifrance.gouv.fr>) avait, par exemple, débouté un photographe de son action en contrefaçon parce qu’il n’avait pas indiqué les photographies « qui seraient éligibles à la protection revendiquée » et n’avait pas démontré « en quoi en l’espèce les différents éléments qui caractérisent chacun d’eux seraient originaux et traduiraient un parti pris esthétique et l’empreinte de la personnalité ». Ce jugement a été réformé par la Cour d’appel de Paris (pôle 5, ch. 1, 27 janv. 2010, n° 08/04978), qui a fort justement estimé qu’une « photographie, en ce qu’elle résulte de la captation instantanée d’une scène particulière, ne peut être précédée ni suivie d’aucune autre absolument identique ; que, sauf à être produite par un procédé purement dépourvu de toute recherche ou finalité esthétique, elle suppose que l’opérateur prenne personnellement parti, certes de manière plus ou moins délibéré, dans le choix du sujet, de son cadrage (…) » et que la société défenderesse à l’action en contrefaçon n’était donc « pas fondée à invoquer l’absence de preuve d’originalité des photographies revendiquées (…) en affirmant que les explications de M. X. ne mettent en évidence “aucune démarche artistique du photographe avec une ligne directrice de son travail qui serait sa marque de fabrique” », les éléments au débat démontrant suffisamment l’originalité. (29) CA Paris, pôle 5, ch. 1, 27 janv. 2010, n° 08/04978. (30) CA Paris, 4e ch., 4 mars 2009, n° 07/12226. (31) Walravens-Mardarescu N., Les tables d’Yves Klein, peintre de l’Immatériel, protégées par le droit d’auteur, RLDI 2011/70, n° 2293, au sujet des décisions TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 9 nov. 2010 et CA Paris, pôle 5, ch. 2, 7 janv. 2011, RLDI 2011/68, n° 2224. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 21 O R I G I N A L I T É D ’ U N E A D A P TAT I O N E T D ’ U N E M I S E E N S C È N E T H É Â T R A L E S Dans l’affaire ici commentée, et s’agissant en premier lieu de l’adaptation théâtrale, le Tribunal de grande instance a considéré que les textes sélectionnés par Agnès Arnau sont « une compilation des textes de MM. Halimi et Guyard » ne permettant pas de « déterminer son travail d’adaptation » (32). La Cour d’appel de Paris relève au contraire que l’auteur démontre avoir choisi les lettres tirées de l’ouvrage d’André Halimi et composant la pièce, et avoir commandé d’autres textes à un philosophe, destinés à être lus, ce qui était attesté par ledit philosophe. Infirmant le jugement, la Cour d’appel estime que l’œuvre est originale « en l’absence de tout élément produit par les intimés propre à ruiner l’originalité de son travail de conception et de formalisation ». L’originalité du travail de l’adaptateur, révélateur de sa personnalité, résultait ainsi du choix des lettres composant la pièce, alors que l’adaptateur n’avait pas écrit ou adapté les textes sélectionnés. S’agissant en second lieu de la mise en scène et de la scénographie, le Tribunal a estimé que les choix de l’auteur étaient « des éléments parcellaires et banals » : le fait qu’une scène comporte une pièce au centre de la scène ; l’utilisation d’accessoires suspendus ; la présence d’une étagère de bocaux ; le fait que le personnage principal, le visage grimé, porte des gants blancs et qu’il saisisse un vêtement ou un accessoire pour changer de personnage et lire la lettre correspondante ; l’utilisation d’extraits radiophoniques d’époque. En outre, la présence des différentes personnes et la nécessité pour un acteur unique d’endosser plusieurs rôles étaient, pour le Tribunal, des choix dictés par le contenu des lettres issues de l’ouvrage adapté. Pris individuellement, ces choix ne permettaient donc pas, selon le Tribunal, d’accéder à la protection du droit d’auteur. Reprenant notamment le dossier de presse de l’auteur de l’adaptation et les articles parus dans la presse et versés aux débats (33), puisque le spectacle n’avait pas été fixé, la Cour considère au contraire que « ces documents caractérisent à suffisance le travail de mise en scène et de scénographie d’Agnès Arnau dont l’originalité réside dans la combinaison de ces caractéristiques et non pas dans chacune d’elle considérée individuellement, tel le recours à une voix off ou le recours à un cintre auquel sont suspendus des objets, en sorte que le moyen tiré de l’absence d’originalité de chacune de ces caractéristiques est inopérant pour ruiner l’originalité de la combinaison, laquelle rend compte de l’approche et des propos d’Agnès Arnau et porte son empreinte personnelle » (34). Ainsi, en présence de choix personnels opérés par celui qui revendique la protection du droit d’auteur, le juge ne peut pas exiger la démonstration d’« impressions tout à fait subjectives » ayant présidé à la création, ni isoler une série de choix qui, pris individuellement, pourraient être « banals » ou « commandés par des contraintes », pour juger qu’un travail de création (adaptation théâtrale, mise en scène, photographie, site internet, etc.) ne peut pas bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur. Le juge doit étudier l’ensemble du processus créatif, c’est-à-dire les choix arbitraires conduisant à la création, le cas échéant en étudiant la combinaison des choix, y compris les plus simples. C’est exactement le sens de l’arrêt Infopaq et de la jurisprudence de la Cour de cassation évoquée dans le présent commentaire. ◆ (32) TGI Paris, 2 févr. 2010, précité, note 27, p. 6. (33) Par exemple l’Humanité du 28 juillet 2008 : « la scénographie d’une belle sobriété, lui permet de se présenter sous nos yeux, tantôt bourreau, tantôt victime, par un jeu de lumière assez subtil, qui signifie le changement de décor, tandis que sur les cintres sont posés quelques accessoires dont il s’empare l’un après l’autre », cité par CA Paris, 9 sept. 2011, précitée, note 6, p. 6. (34) Souligné par nous. 22 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES Succession Giacometti : le conflit en héritage PPar A Ariane i FUSCO-VIGNÉ Avocat au Barreau de Paris RLDI Chargée de cours au master Droit des biens culturels, Université d’Avignon 2538 L’articulation entre le droit commun des successions, de l’indivision et des régimes matrimoniaux appliqués aux spécificités du droit de la propriété littéraire et artistique relève souvent du grand art et donne naissance à des conflits éprouvants pour les ayants droit mais passionnants pour les professionnels du droit. En voilà l’illustration au travers d’un contentieux relatif à la succession d’Alberto Giacometti, succession qui alimente régulièrement les juridictions françaises. TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 8 sept. 2011, Fondation Alberto et Annette Giacometti c/ Giacometti Stiftung Fondation et a., n° 11/05933, inédit P our en comprendre les enjeux, il convient de rappeler qu’Alberto Giacometti est décédé le 11 janvier 1966, laissant pour lui succéder sa veuve Annette Arm, ses frères Bruno et Diego et son neveu Silvio Berthoud. Annette Giacometti, décédée le 19 septembre 1993, avait par testament appelé de ses vœux la création d’une fondation qui mettra plus de dix ans à voir le jour (1). Si cette fondation peut aujourd’hui se tourner réellement vers la défense de l’œuvre d’Alberto Giacometti, action récemment couronnée de succès (2), c’est sans compter sur la menace de conflit interne entre les indivisaires détenteurs des droits moraux et patrimoniaux de l’artiste. Rappelons qu’aujourd’hui ces détenteurs sont : – la fondation Alberto Giacometti, constituée après la mort d’Annette Giacometti ; – la Giacometti Stiftung (créée en 1965) en qualité d’ayant droit de Bruno Giacometti et ; – les consorts Berthoud. Or, ces derniers se sont récemment opposés sur la question d’un éventuel abus notoire qu’auraient commis certains des indivisaires dans le refus d’autoriser de nouvelles éditions de sculptures en bronze de certaines œuvres d’Alberto Giacometti. Selon une convention-transaction régularisée, le 7 avril 2004, les indivisaires précités se sont partagé les plâtres originaux ainsi que les fontes posthumes qu’avait fait réaliser Annette Giacometti. Par une autre convention régularisée le même jour, les indivisaires ont établi les règles de gestion des droits moraux et patrimoniaux de l’œuvre d’Alberto Giacometti : en vertu de cette convention, la décision de procéder à l’édition de nouvelles fontes en bronze doit être prise à l’unanimité. À défaut, aucune nouvelle édition ne peut être entreprise par les ayants droit. Considérant que les consorts Berthoud et la Giacometti Stiftung fondation s’opposaient systématiquement depuis 2005 à la réalisation de nouvelles éditions de bronze de certaines des sculptures d’Alberto Giacometti, la fondation Giacometti a saisi en avril 2011 le Tribunal de grande instance de Paris, sur le fondement de l’article L. 122-9 du Code de la propriété intellectuelle (3), aux fins de voir juger que leur refus était constitutif d’un abus notoire. Les défendeurs, la Giacometti Stiftung et les consorts Berthoud, ont contesté tout abus notoire et conclu également, outre une exception d’incompétence et une demande de rejet de communication de pièces, à l’irrecevabilité de l’action de la fondation Giacometti dans la mesure où l’existence de la convention conclue, le 7 avril 2004, et posant la règle de l’unanimité pour toute fabrication de bronze, faisait obstacle à l’application de l’article L. 122-9 du Code de la propriété intellectuelle. Le Tribunal de grande instance devait donc trancher sur le fond deux questions principales : – celle de savoir si l’action de la fondation Giacometti était recevable à agir sur le fondement de l’article L. 122-9 du Code de la propriété intellectuelle compte tenu des règles d’indivision organisée contractuellement par les parties et ; – celle de savoir si le refus, par deux des indivisaires, d’autoriser la fabrication de nouveaux bronzes de certaines sculptures de l’artiste constituait un abus notoire. Seule la deuxième question retiendra notre attention. Concernant la première, le Tribunal balaya l’argumentation de la Giacometti Stiftung et des consorts Berthoud en considérant que la règle de l’unanimité établie par la convention précitée, convention soumise au droit français, ne pouvait faire obstacle à l’application de l’article L. 122-9 du Code de la propriété intellectuelle, règle d’ordre public. Quant à l’appréciation de l’abus notoire, le Tribunal va considérer que, si la fabrication de nouvelles éditions en > (1) Les freins à sa constitution ont été notamment l’existence d’une procédure pénale pour abus de confiance d’un commissaire-priseur célèbre de la place de Paris et complicité d’abus de confiance de l’exécuteur testamentaire d’Annette Giacometti (Cass. crim., 10 mai 2007, n° 06-81.866, Juris-Data, n° 2007-038894), la procédure opposant la directrice de l’Association Giacometti, créée en 1989 par Annette Giacometti afin d’assurer la transition de l’œuvre jusqu’à la création de la fondation et son ancienne présidente, Mme Palmer (Cass. civ., 16 juill. 2000, n° 98-11.087, Mme Palmer c/ M. Dumas ès qualités d’exécuteur testamentaire de la succession de Mme Giacometti et a.), et enfin, une certaine désaffection des pouvoirs publics. (2) La fondation a obtenu le démantèlement d’un des plus grands trafics de faux et la condamnation du principal receleur et faussaire en avril et juillet 2011 par le Tribunal régional de Stuttgart en Allemagne ; voir Wachthausen J.-L., Procès des faux Giacometti, Le Figaro, 8 avr. 2011, p. 29. (3) L’article L. 122-9 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’« en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage des droits d’exploitation de la part des représentants de l’auteur décédé visés à l’article L. 121-2, le Tribunal de grande instance de Paris peut ordonner toute mesure appropriée. Il en est de même s’il y a conflit entre lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence. Le Tribunal peut être saisi notamment par le ministre de la Culture ». Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 23 S U C C E S S I O N G I A C O M E T T I : L E C O N F L I T E N H É R I TA G E bronze de certaines sculptures d’Alberto Giacometti pouvait apparaître légitime, l’abus notoire de la Giacometti Stiftung et des consorts Berthoud n’était pas en l’espèce caractérisé. Par jugement du 8 septembre 2011, le Tribunal de grande instance de Paris a donc débouté la fondation Giacometti de l’intégralité de ses demandes. Ce jugement est intéressant en ce qu’il rend compte de la méthode utilisée par les magistrats afin de caractériser l’abus notoire post mortem (I), appréciation rendue en l’espèce délicate compte tenu de la nature des œuvres en cause (II). I – L’APPRÉCIATION DE L’ABUS NOTOIRE POST MORTEM Constatant que les ayants droit de l’artiste, dans le respect de la volonté d’Alberto Giacometti, œuvraient tous pour faire rayonner son œuvre (A), les juges vont toutefois considérer que des divergences quant aux modalités de diffusion et de rayonnement de son œuvre étaient insuffisantes à caractériser un abus notoire (B). A. – La volonté de l’artiste à l’épreuve de ses ayants droit 1 / La recherche de la volonté de l’artiste La Cour de cassation a posé le principe selon lequel « le droit de divulgation post mortem, s’il doit s’exercer au service de l’œuvre, doit s’accorder à la personnalité et à la volonté de l’auteur telle que révélée et exprimée de son vivant » (4). Cette ligne directrice a été récemment rappelée dans une affaire ayant opposé M. Miller, exécuteur testamentaire de Jacques Lacan, contre l’Association des amis de Jacques Lacan (5). Dans cette affaire, les juges ont rappelé avec soin que « le droit de divulgation d’une œuvre de l’esprit est, du vivant de son auteur, un droit absolu qu’il appartient à lui seul d’exercer. Ce droit comporte le droit de déterminer le procédé selon lequel l’œuvre sera portée à la connaissance du public et d’en fixer les conditions. À la mort de l’auteur, l’exécuteur testamentaire désigné par celui-ci doit exercer ce droit au service de l’œuvre, en accord avec la volonté de l’auteur telle que révélée et exprimée de son vivant ». C’est donc en toute logique que les juges se sont en l’espèce interrogés sur le fait de savoir si Alberto Giacometti avait voulu, de son vivant, divulguer ses sculptures mais, surtout, s’il avait manifesté, de manière implicite ou explicite, le souhait que chacune de ses sculptures soient éventuellement rééditées. Préalablement, le Tribunal, de manière rigoureuse, va se demander si les sculptures en question avaient été considérées comme achevées par l’artiste. Le Tribunal va y répondre par l’affirmative après avoir constaté que « Giacometti n’a jamais fait état d’une quelconque réserve quant à l’état des tirages en bronze de ses sculptures et qu’il a considéré que le tirage final de celles-ci constituait le stade final de l’œuvre, les plâtres eux-mêmes pouvant être enduits de gomme-laque ou sciés, s’ils étaient trop grands, en vue de la fonte des épreuves en bronze » (souligné par nous). Aussi, constatant que les plâtres ayant servi de moule à chacune des sculptures objet du litige n’avaient jamais fait l’objet d’ajustement, ces moules devaient être considérés comme achevés. Constatant ensuite que les œuvres en cause avaient toutes été éditées en bronze et divulguées du vivant de l’artiste, parfois rééditées plusieurs années après leur création pour être exposées, et ce avec son autorisation et sous sa responsabilité, le Tribunal va conclure que l’artiste, d’une part, avait souhaité de son vivant que son œuvre soit accessible au public et que, d’autre part, la réédition de certaines de ses sculptures attestait de son consentement implicite à de tels actes d’exploitation. 2 / Le respect de la volonté de l’artiste par ses ayants droit Le Tribunal va ensuite sans surprise se demander si cette volonté était bien respectée par ses ayants droit, ces derniers ne devant être que « l’agent d’exécution » de la volonté de l’auteur (6). Le Tribunal va ainsi relever que la Giacometti Stiftung, défenderesse, comme la fondation Giacometti, demanderesse, œuvraient toutes deux au rayonnement de l’œuvre de l’artiste et que, surtout, des bronzes avaient été réalisés post mortem tant par sa veuve, Annette, que ses frères Diego et Bruno Giacometti et son neveu, Silvio Berthoud, ce dernier élément paraissant particulièrement important quant à la caractérisation d’un éventuel abus. La légitimité des demandes de la fondation Giacometti, dès lors que la preuve que ces sculptures avaient bien été éditées en moins de 12 exemplaires chacune était rapportée, était-elle suffisante à caractériser un abus notoire ? Autrement dit, lorsqu’une convention prévoit l’unanimité des voix des indivisaires afin de faire fabriquer de nouvelles éditions de bronze, le refus opposé par deux des indivisaires recèle-t-il un abus notoire ? Les juges vont répondre par la négative à cette question. B. – Le droit de la propriété intellectuelle à l’épreuve du droit de l’indivision 1 / Définition de l’abus notoire L’abus consiste à faire un mauvais usage d’une prérogative juridique (7). L’adjonction du qualificatif « notoire » implique que cet abus doit être évident (8). Il doit d’autant plus l’être en l’espèce puisque, à la différence de la propriété industrielle, l’obligation d’exploiter est étrangère au droit de la propriété littéraire et artistique (9). Dès lors, l’admission du caractère abusif de l’usage ou du non-usage des droits d’exploitation doit conserver un caractère exceptionnel. Afin d’illustrer cette définition restrictive, on pense à l’affaire Foujita, que les défendeurs n’ont certainement pas manqué d’évoquer. Il s’agit d’une des rares jurisprudences à avoir abordé la question de l’abus notoire dans le non-usage d’un droit d’exploitation. (4) Cass. 1re civ., 3 nov. 2004, n° 03-11.011, Balsan, Juris-Data, n° 2004-02543. (5) CA Paris, ch. 4, sect. B, 13 mars 2009, n° 07/07875. (6) Pollaud-Dulian F., Le droit de divulgation de l’auteur et la théorie de l’abus de droit, JCP G, 27 mai 2009, II, n° 22, p. 10093. (7) Cornu G., Vocabulaire juridique, PUF, 2011. (8) Sur la question de l’abus de droit, voir la thèse de Caron C., Abus de droit et droit d’auteur, Litec, 1998. (9) Vivant M. et Bruguière J.-M., Droit d’auteur, Dalloz 2010, n° 961. 24 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication Jacques Lacan qui considérait lui-même la mise en forme de Dans cette affaire, rappelons qu’un éditeur, qui souhaitait ses conférences comme un travail long et difficile. » publier un ouvrage sur Foujita illustré de reproductions de ses Le Tribunal devait donc en l’espèce s’attacher à caractéœuvres, se heurtait, de la part de la veuve du peintre, à un refus riser en quoi le refus opposé par les indivisaires des droits de lui accorder le droit de reproduire des œuvres. Il invoqua en d’exploitation attachés à l’œuvre d’Alberto Giacometti pouvait conséquence l’abus notoire dans le non-usage du droit d’exêtre susceptible d’être manifestement abusif. ploitation et le Tribunal de grande instance de Nanterre (10), Quant aux faisceaux d’indices permettant de le caractéripuis la Cour d’appel de Versailles (11) lui donnèrent raison. ser, la Cour d’appel de Versailles (18), dans l’affaire Foujita, Par un arrêt du 28 février 1989, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles (12) : « en énonce que la preuve du caractère abusif « peut résulter des conditions dans lesquelles le refus intervient, compte tenu statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le 26 janvier notamment de la volonté éventuellement exprimée par l’au1987, Mme Foujita avait conclu avec la société Hachette-Japon, teur, de son vivant, des publications déjà faites ou des motifs filiale de la Librairie Hachette, un contrat qui prévoyait la puinvoqués à l’appui du refus ». blication d’un “recueil des œuvres” de Foujita préparé avec sa Enfin, rappelons que la charge de la preuve repose bien évicollaboration, sans qu’il soit soutenu que cet ouvrage ne ferait demment sur celui qui invoque l’abus pas l’objet d’une diffusion en France, la notoire. Cour d’appel n’a pas caractérisé l’abus Le Tribunal devait manifeste commis par Mme Foujita dans 2 / Caractérisation de l’abus en l’espèce s’attacher en l’espèce l’exercice de ses droits(…) ». à caractériser en quoi Les juges, dans la droite ligne des Sur cette affaire, Françon écrivait le refus opposé jurisprudences précitées, vont tenter que « la Cour de cassation entend ne de caractériser l’abus notoire en tenant recourir qu’avec la plus grande prudence par les indivisaires compte de : aux sanctions de l’article 20 dans le cas des droits d’exploitation « – la diffusion actuelle de son œuvre où il y a non-usage du droit d’exploitaattachés à l’œuvre en fonction des tirages réalisés ; tion par les héritiers de l’auteur » (13). d’Alberto Giacometti – des circonstances factuelles entouIl faut donc que ce soit un abus évident, pouvait être susceptible rant l’exploitation envisagée et ; patent, comme le souligne également d’être manifestement – de la légitimité des motifs évoqués le professeur Kerever (14) qui estime abusif. au soutien du refus d’exploitation. » que la cassation prononcée dans l’arrêt Ces derniers vont tout d’abord Foujita montre la volonté de restreindre considérer que la demanderesse ne rapportait pas la preuve, les cas où les juges du fond peuvent écarter les droits exclusifs difficile au demeurant, que la diffusion auprès du public de ces exercés par l’ayant droit de l’auteur. S’il est vrai que la Cour œuvres serait insuffisante pour en assurer le rayonnement. Ils d’appel de renvoi de Rennes (15) a pu juger par la suite que vont, à l’appui de cette affirmation, constater que les défenla veuve de l’artiste avait finalement commis un abus dans deurs pratiquaient eux-mêmes une politique active de prêts la non-exploitation de l’œuvre du peintre, il reste que l’arrêt pour en favoriser la diffusion. Les juges vont donc conclure que de la Cour de cassation, par l’arrêt précité, a entendu définir la fondation échouait à rapporter la preuve d’un abus notoire et strictement l’abus notoire (16). En définitive, le contrôle du en conséquence la débouter de l’intégralité de ses demandes. juge en la matière ne saurait être un simple contrôle d’opporEnfin, afin de compléter leur analyse, les juges vont relever tunité mais seulement celui des abus manifestes qui pourraient que les modalités de réalisation de la fonte des bronzes ne être commis par les ayants droit de l’artiste. respectaient pas la convention conclue le 7 avril 2004 et que Cette interprétation est constante pour avoir été récemment les conditions de la vente d’une des œuvres (L’homme qui marche) rappelée par l’arrêt précité relatif à la succession de Jacques Lacan (17) : « La condition de notoriété implique l’évidence de posaient des problèmes vis-à-vis du droit au respect de l’œuvre. Le Tribunal a donc considéré que les héritiers, quand l’abus. Le passage à l’écrit d’une œuvre orale dont l’auteur a bien même respecteraient-ils la volonté de l’artiste, devaient disparu ne peut se faire au rythme de celui qui s’est réalisé en rester maîtres des modalités de diffusion et de rayonnement sa présence. En conséquence, l’abus notoire dans le non-usage de son œuvre, et qu’il n’a pas en conséquence le pouvoir de du droit de divulgation par l’exécuteur testamentaire des œuvres contrôler les modalités de gestion d’une succession : c’est la de Jacques Lacan n’est pas caractérisé, alors que le souci de ne liberté des ayants droit qui doit primer. Le juge est là pour pas trahir la pensée de l’auteur qui n’est plus là pour éclairer et sanctionner un abus notoire, non des divergences de choix guider le travail de transcription et d’écriture allonge le temps dans les modalités de diffusion et de rayonnement entre ayants de la réflexion sans qu’il puisse en être fait grief à l’exécuteur droit de l’œuvre d’un artiste. testamentaire auquel au surplus aucun délai ne fut imposé par ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES > (10) TGI Nanterre, 9 juin 1986, RIDA 1986, p. 163 ; TGI Nanterre, 15 sept. 1986, RIDA 1987, p. 268 ; RTD com. 1987, p. 60, obs. Françon. (11) CA Versailles, 1re ch., 3 mars 1987, RIDA 1988, p. 160 ; D. 1987, jur., p. 382, note Edelman B. (12) Cass. 1re civ., 28 févr. 1989. (13) RIDA 1989, p. 257, note Françon. (14) Kerever A., RIDA 1991, p. 107. (15) CA Rennes, 16 nov. 1990, RIDA 1991, p. 168. (16) Pollaud-Dulian F., Le droit d’auteur, Economica, 2006, p. 340 et s. : « Il est vraisemblable que la Cour de cassation ait voulu prévenir toute dérive pouvant aboutir à affaiblir le droit exclusif des héritiers et à susciter une multiplication des litiges, en insistant sur la nécessité d’établir le caractère notoire, qu’elle donne pour synonyme de “manifeste”. En d’autres termes, l’admission de l’abus doit rester exceptionnelle. » (17) CA Paris, ch. 4, sect. B, 13 mars 2009, n° 07/07875 précité. (18) CA Versailles, 1re ch., 3 mars 1987, RIDA 1988, p. 160 ; D. 1987, jur., p. 382, note Edelman B. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 25 S U C C E S S I O N G I A C O M E T T I : L E C O N F L I T E N H É R I TA G E Un dernier argument, qui mérite à lui seul d’être commenté dans la seconde partie de ce commentaire, a également été pris en compte par les juges afin de caractériser l’absence d’abus notoire de la part des défendeurs. Cet argument tient de l’évolution législative de la définition légale du droit de suite. II. – L’INFLUENCE DE LA NATURE DES ŒUVRES EN CAUSE Dans cette affaire, bien que la preuve du caractère manifeste de l’abus n’ait pas été rapportée, il est certain que les juges ont fait montre de prudence compte tenu de la remise en cause du droit d’exploitation dont la fondation Giacometti requérait la mise en œuvre (A). D’un comportement abusif, la Giacometti Stiftung et les consorts Berthoud se seraient-ils au contraire comportés en bon père de famille ? (B). A. – La remise en cause du droit de reproduction post mortem de fontes en bronze Contrairement à une œuvre audiovisuelle ou un tableau, une même sculpture peut être dupliquée en plusieurs exemplaires tout en étant considérée comme originale de sorte qu’il existera sur le marché une pluralité d’originaux (19). Dans cette hypothèse, la notion d’originalité ne doit pas être entendue comme condition d’accès à la protection par le droit d’auteur mais comme condition d’application du droit de suite, qui permet aux artistes et à leurs héritiers de percevoir un pourcentage sur le prix obtenu lors de toute revente d’œuvres effectuée par les professionnels du marchée de l’art. Concernant les sculptures, la notion d’œuvre originale est définie par les dispositions relatives au droit de suite dont elle est l’un des critères d’application (article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle (20)). En application de ce texte, le droit de suite n’a vocation à jouer qu’en présence d’« œuvres originales ». Aussi, à quelles conditions des tirages de bronze peuvent être considérés comme des œuvres originales ? Un arrêt de la Cour de cassation (21), reprenant les principes posés par les célèbres affaires Rodin 1 et Rodin 2 (22) rappelle que le bronze original se caractérise par trois éléments : – un tirage limité à 12 exemplaires : ce chiffre ressort de l’article 98A issu du décret du 27 février 1995 relatif à la définition des biens d’occasion, des œuvres d’art, des objets de collection et d’antiquité pour l’application des dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée et qui considère comme œuvres d’art « les fontes de sculptures à tirage limité à huit exemplaires et contrôlées par l’artiste ou ses ayants droit ». À ces huit exemplaires ont été ajoutés, par le code de déontologique des fonderies d’art signé le 18 novembre 1993, les quatre épreuves d’artiste numérotées I/IV à IV/IV (article 3) ; – des exemplaires « strictement et en tous points identiques » aux épreuves agréées par l’artiste lui-même ; – des exemplaires réalisés à partir d’un plâtre original fabriqué par le sculpteur personnellement, et ce peu important que le tirage ait été fabriqué du vivant de l’artiste. C’est cette dernière condition qui était en l’espèce problématique. Un bref historique s’impose : cette condition avait été posée par l’arrêt Rodin 2 (23) précité qui avait considéré que « le fait que le tirage limité des épreuves en bronze soit postérieur au décès du sculpteur n’a aucune influence sur le caractère d’œuvre originale et de création personnelle – de la part du sculpteur – revêtu par ces épreuves, ni sur l’exercice du droit de suite en cas de vente de l’une d’elles ». Aussi, la jurisprudence admettait l’originalité des tirages réalisés tant du vivant de l’artiste que post mortem aux fins d’application du droit de suite. La fondation Giacometti se fondait donc sur cette interprétation extensive de la définition d’une œuvre originale pour solliciter l’autorisation de faire fabriquer, dans la limite de 12, de nouvelles éditions. Or après avoir pris soin de constater que l’édition en bronze des œuvres objet du litige « n’avait pas atteint à ce jour le tirage maximum de 12 exemplaires définissant l’œuvre originale et que de nouvelles fontes pouvaient être réalisées dans cette limite », les juges vont toutefois considérer que le fondement sur lequel elle légitimait sa demande, savoir la jurisprudence Rodin, semblait aujourd’hui caduc. En effet, il semblerait que les éditions de bronze faites à titre posthume ne devraient plus, depuis la transposition, par la loi du 1er août 2006, de la directive européenne du 27 septembre 2001 destinée à harmoniser le droit de suite sur l’ensemble du territoire communautaire, pouvoir être qualifiées d’œuvres originales. L’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle issu de cette transposition définit les œuvres originales, comme des « œuvres créées par l’artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité ». Une partie de la doctrine (24) a considéré que la formule de l’article L. 122-8, alinéa 2, visant les « exemplaires exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité » condamnait la jurisprudence dite Rodin en excluant par principe que le droit de suite puisse porter sur des tirages posthumes et que ces termes indiquaient « clairement que les exemplaires originaux doivent être exécutés du vivant de l’artiste ».. Le décret du 9 mai 2007 pris pour l’application de l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle conforterait cette position puisqu’il vient préciser que « les œuvres exécutées en nombre limité d’exemplaires et sous la responsabilité de (19) Sur la question des œuvres à originaux multiples et le cas particulier des bronzes, voir Lucas-Schloetter A., La contrefaçon artistique : état des lieux », Comm. com. électr. 2011, étude 3. (20) C. propr. intell., art. L. 122-8 : « Les auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques, ressortissants d’un État membre de la Communauté européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, bénéficient d’un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art. Par dérogation, ce droit ne s’applique pas lorsque le vendeur a acquis l’œuvre directement de l’auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 €. On entend par œuvres originales au sens du présent article les œuvres créées par l’artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité (…). » (21) Cass. crim., 22 mai 2002, n° 01-86.156 et n° 99-86.208, Juris-Data, n° 2002-015332 ; Comm. com. électr. 2002, comm. 150, obs. Caron C. (22) Cass. 1re civ., 18 mars 1986, aff. Rodin, Bull. civ. 1986, I, n° 71 ; Cass 1re civ., 5 nov. 1991. (23) Cass. 1re civ., 5 nov. 1991, Bull. civ. 1991, I, n° 303. 26 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication l’auteur sont considérées comme œuvres d’art originales (…) si elles sont numérotées ou signées ou dûment autorisées d’une autre manière par l’auteur » (25). D’autres auteurs (26) ont au contraire considéré que cette interprétation ajoutait au texte de la loi une condition que celle-ci ne posait pas. Quoi qu’il en soit, l’incertitude quant au maintien de la qualification d’œuvres originales de bronze éditées à titre posthume a influencé la décision commentée : « par ailleurs, ils [les défendeurs] font observer à juste titre que, depuis la loi du 1er août 2006 réformant le droit de suite, il existe actuellement une incertitude sur le maintien de la qualification d’œuvres originales de bronzes édités à titre posthume qui doit inciter les ayants droit de l’artiste à la prudence ». En l’état, il était donc hasardeux de conclure, comme le faisait la fondation Giacometti, que le titulaire du droit de reproduction sur cette œuvre pouvait librement faire fondre des bronzes originaux à partir du plâtre, dans la limite de 12 éditions. Leurs demandes avaient finalement une légitimité bien fragile. Dans ces conditions, il était encore plus difficile de reprocher aux défendeurs de commettre un quelconque abus notoire dans le non-usage de leur droit d’exploitation dès lors que la réalisation d’épreuves originales posthumes se heurtait à la nouvelle définition légale posée par l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle. B. – De l’abus notoire à la gestion de bon père de famille ? La fondation Giacometti a échoué à rapporter la preuve d’un abus notoire. Mais les incertitudes planant sur l’avenir de la définition de l’originalité des bronzes posthumes était-il un argument si pertinent ? Si, certes, le droit de suite n’était plus applicable aux bronzes posthumes, la fondation Giacometti prenait le risque de s’amputer d’un financement précieux lié à l’application du droit de suite mais cela n’ôtait pas pour autant à ces sculptures leur caractère licite. Les juges, en faisant leur cet argument, s’attaquaient implicitement à la délicate question de la spécificité du marché de l’art liée à la rareté des œuvres qui y sont échangées. Procéder ainsi à de nouvelles reproductions, considérées ou pas comme originales au sens de l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle, était susceptible de créer un risque de perturbation sur le marché de l’art en raison de la coexistence d’exemplaires considérés comme des exemplaires originaux et d’autres comme de simples reproductions et donc un risque de voir la cote de l’artiste se déprécier. Rejeter les demandes de la fondation Giacometti permettait donc, peutêtre, indirectement, de protéger la cote de l’artiste et son œuvre dans son ensemble. Walter Benjamin (27) affirmait à cet égard que les œuvres d’art ont toujours été reproductibles, car « ce que des hommes avaient fait, d’autres pouvaient toujours le refaire », tout en nuançant aussitôt son propos : « À la plus parfaite reproduction il manquera toujours une chose : le hic et nunc de l’œuvre d’art, l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve » (souligné par nous). Aussi la reproduction d’une œuvre sera toujours privée de l’aura, « trame singulière d’espace et de temps », qui s’attache à l’original… Ce raisonnement ne semble toutefois pas trouver écho dans la sphère économique concernant l’œuvre de Giacometti : rappelons que L’homme qui marche I d’Alberto Giacometti a été vendu 65 millions de livres alors même qu’il ne s’agissait pas de l’œuvre unique mais de l’un des dix exemplaires originaux de cette œuvre… L’absence d’« aura » ne semble pas refroidir outre mesure les collectionneurs… ◆ ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES (24) Voir not. Pollaud-Dulian F., L’Estampille-L’objet d’art, 2007, p. 94-95 ; Duret-Robert F., Droit du marché de l’art, Dalloz 2010, p. 522. (25) Article R. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, issu du décret n° 2007-756 du 9 mai 2007. (26) Deblanc O., Les bronzes d’art à prix d’or (à propos de la vente de L’homme qui marche d’Alberto Giacometti), Comm. com. électr. 2010, étude 22 ; Edelman B., L’Estampille-L’objet d’art, 2007, précité, p. 98-99. (27) Benjamin W., L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Gallimard, Paris, 2008. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 27 PPar Vé Véronique i DAHAN Et Ch Charles l BOUFFIER Avocat à la Cour August & Debouzy Avocat à la Cour August & Debouzy Zoom sur la question de l’originalité des photographies « pack-shot » RLDI Retour sur la décision de la Cour d’appel de Paris du 16 septembre 2011 qui a considéré comme caractérisé le caractère original des photographies en cause. Que faut-il en penser ? Me Véronique Dahan et Me Charles Bouffier nous livrent leur analyse. 2539 D CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept. 2011, RLDI 2011/76, n° 2503 ans un arrêt du 16 septembre 2011, la Cour d’appel de Paris condamne la société Caudalie à indemniser un photographe professionnel en raison de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux et moraux du fait de l’utilisation de photographies dites de « pack-shot », sans autorisation ni mention du nom du photographe. La société Caudalie, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits de beauté réalisés à partir de pépins de raisin, avait fait appel entre 2000 et 2004 à un professionnel pour la réalisation de photographies destinées à mettre en image ses produits (photographies dites de « pack-shot »). Estimant que la société Caudalie exploitait plusieurs de ses photographies sans avoir conclu avec lui de contrats de cession de droits, le photographe assigna en contrefaçon la société devant le Tribunal de grande instance de Paris. Le Tribunal le débouta presque intégralement de ses demandes, considérant qu’il ne rapportait pas la preuve de sa qualité d’auteur sur certaines des photographies en cause et que, pour les autres, il n’établissait pas l’originalité de son apport. Le photographe interjette appel et la décision est infirmée. Pour la Cour, le contexte de la collaboration et surtout la possession par le photographe appelant d’« Ektachrome » des photographies litigieuses constituent une présomption de sa qualité d’auteur que la société intimée ne parvient pas à renverser. Cette dernière ne parvient pas non plus à convaincre de ce qu’elle aurait privé le photographe de tout apport créatif par la précision de ses directives d’exécution. Appliquant une méthode désormais classique en jurisprudence et qui sera développée ci-après, la Cour conclut à l’originalité de l’ensemble des photographies sur lesquelles l’appelant entendait faire valoir ses droits. Dès lors, faute d’avoir conclu avec le photographe un contrat de commande d’œuvres publicitaires respectant les exigences de l’article L. 132-31 du Code de la propriété intellectuelle, la société Caudalie ne justifie pas avoir été investie des droits dont elle se prévaut. Elle est donc condamnée à réparer les atteintes portées au droit moral et aux droits patrimoniaux du photographe résultant de la reproduction non autorisée et non créditée des œuvres de ce dernier à des fins promotionnelles. L’intérêt de cet arrêt est double : il confirme la force probante de la possession d’« Ektachrome » par le photographe en matière de preuve de sa qualité d’auteur (I). Il illustre surtout la casuistique qui règne en jurisprudence quant à l’éligibilité de photographies dites de « pack-shot » à la protection par le droit d’auteur (II). I. – RÔLE PROBATOIRE ATTACHÉ À LA POSSESSION MATÉRIELLE, PAR L’ASPIRANT AUTEUR, D’« EKTACHROME» DE SES PHOTOGRAPHIES Un « Ektachrome » est « un film en couleurs inversible » selon la définition qui en est donnée par le dictionnaire Larousse (1), c’est-à-dire un film à partir duquel on peut obtenir une image positive en le développant par inversion. Ce type de support se rencontre en matière de photographie analogique, où « toute exploitation professionnelle requiert le transfert physique d’un support intermédiaire négatif ou Ektachrome » (2). En l’espèce, l’appelant entendait prouver sa qualité d’auteur des photographies litigieuses en se fondant notamment sur la détention matérielle d’« Ektachrome » de celles-ci. La société Caudalie lui déniait fermement cette qualité, au motif que « la seule détention des Ektachrome, copies d’Ektachrome ou fichiers numériques » ne saurait suffire à la prouver. La Cour, après avoir relevé « qu’il est acquis aux débats que [l’appelant] a travaillé entre 2000 et 2004 à la demande de la société Caudalie pour la réalisation de visuels destinés à être reproduits dans son catalogue et sur les conditionnements de certains de ses produits », considère « que dans un tel contexte (1) <www.larousse.fr>. (2) Latreille A., La création photographique face au juge : entre confusion et raison, Légipresse 2010, n° 274, p. 139 et s. 28 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication d’auteur de l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellecla possession par [le photographe] des Ektachrome constitue tuelle en vertu de laquelle « la qualité d’auteur appartient sauf une présomption de sa qualité d’auteur » (souligné par nous). preuve contraire, à celui ou ceux sous le nom de qui l’œuvre Ce faisant, la Cour confirme une jurisprudence désormais est divulguée » (6). bien établie en vertu de laquelle la « détention matérielle [d’un] Ektachrome ne [suffit] pas à établir la qualité d’auteur », sauf à ce que cette détention soit « confort[ée] » par d’autres éléments II. – APPRÉCIATION IN CONCRETO DE L’ORIGINALITÉ ou indices à partir desquels il est permis de déduire la qualité DE PHOTOGRAPHIES DITES DE « PACK-SHOT » d’auteur du détenteur matériel des « Ektachrome » en cause (3). Les articles 1349 et 1353 du Code civil autorisent en effet En matière d’originalité de photographies, la jurisprudence l’admission de présomptions permettant aux magistrats de a pu dégager depuis plusieurs dizaines d’années une méthode déduire de faits connus (la détention matérielle d’un « Ektachrome », l’existence d’appréciation qui repose sur des critères précis : choix du cadrage et des angles de prise de vue, choix des focales et des d’une collaboration professionnelle entre les parties, etc.) un fait inconnu (la quapellicules, contrastes des couleurs, jeux des lumières, etc. (7) lité d’auteur du détenteur matériel des « Ektachrome »). Toutefois, seules sont admises « les présomptions graves, précises et concordantes ». Le présent arrêt illustre parfaitement la mise en œuvre de Est-ce à dire que seul un faisceau de plusieurs indices ces critères par les juges du fond, appliqués au cas particurendrait admissible une présomption du fait de l’homme ? lier de photographies dites de « pack-shot ». Pour rappel, un Doctrine et jurisprudence ne vont pas « pack-shot » est défini officiellement nécessairement dans ce sens (4), mais comme un « plan permettant l’identiMême lorsqu’elle est fication d’un produit » (8). L’encyclola réponse semble cependant positive en admise, la présomption matière de droit d’auteur, car admettre pédie libre en ligne Wikipédia évoque que la seule détention matérielle par un « une photographie de haute qualité de paternité fondée photographe d’un « Ektachrome » puisse d’un produit sur un fond le plus souvent sur la détention matérielle suffire à établir sa qualité d’auteur des uni servant à présenter le produit sur d’un « Ektachrome » est photographies qui y sont incorporées catalogue, sur un site web ou encore une présomption simple, irait à l’encontre des dispositions de dans une démarche de contrôle qualité c’est-à-dire susceptible l’article L. 111-3, al. 1er, du Code de la au sein d’une entreprise » (9). Il s’agit de preuve contraire. propriété intellectuelle selon lesquelles donc d’une photographie publicitaire « la propriété incorporelle définie par dont l’originalité n’est généralement l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet pas évidente au premier abord dès lors qu’elle se limite soumatériel ». Dès lors, comme le relève très justement le provent en pratique à mettre en image un produit. fesseur Sirinelli, « conçue pour mieux protéger les auteurs et En l’espèce, alors que la question de l’originalité de l’apport issue d’un texte voulant rompre avec les solutions antérieures du photographe était justement contestée par la société intimée, contraires, la règle, par un effet boomerang dévastateur, laisse la Cour prend soin de caractériser « une réflexion préalable du (…) un créateur sans défense contre ceux qui exploitent son photographe dont rendent compte ses choix de composition, de œuvre ! » (5). cadrage, d’angle de prise de vue et l’importance du travail sur la lumière (ses sources, sa direction, la recherche d’effets, de Même lorsqu’elle est admise, la présomption de paternité reliefs), les contrastes et les couleurs ». Elle conclut que « ces fondée sur la détention matérielle d’un « Ektachrome » est photographies ont pour objet et pour effet de mettre en valeur une présomption simple, c’est-à-dire susceptible de preuve et de promouvoir des produits en les rendant attractifs et en contraire. En l’espèce, la Cour a pris soin de préciser que la faisant notamment ressortir les qualités esthétiques de leurs présomption retenue « est corroborée par le fait que la société conditionnement », et « qu’il ne s’agit pas seulement de la Caudalie ne produit aucune pièce qui permettrait d’attribuer mise en œuvre d’un savoir-faire mais bien de choix qui reflètent à un autre auteur que l’appelant la paternité des œuvres phol’approche personnelle de l’auteur, quand bien même l’idée tographiques qu’il revendique ». de recourir à des grappes de raisin entourées d’un ruban et à À noter enfin que cette présomption du fait de l’homme des pépins a-t-elle pu lui être fournie par la société Caudalie ». peut être renversée par une présomption légale. En particulier, À cet égard, la Cour refuse de faire droit à l’argument de la seule détention matérielle d’un « Ektachrome » n’est pas la société intimée selon lequel « l’appelant ne démontre pas suffisante pour détruire la présomption de titularité de droits ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE CRÉATIONS IMMATÉRIELLES > (3) CA Paris, 10 déc. 1991, Jean-Louis David c/ Société Saneva, n° 90/010531 ; CA Paris, 4e ch., 28 mai 2003, M. Laguens c/ Universal Music, Propr. intell. 2003, n° 9, p. 378, 1re esp., note Sirinelli P. : « la seule propriété de l’Ektachrome correspondant à la photographie en cause est (…) insuffisante à établir [la] qualité d’auteur ». Voir également : TGI Paris, 27 nov. 2007, M. Claude G. c/ Société La Martinière Groupe, n° 07/10531 : « Le fait de détenir un Ektachrome ne peut que corroborer une présomption de paternité de droit d’auteur et non de titularité des droits qui ne dispose pas d’une telle présomption et peut servir à établir pour un auteur contre un autre auteur sa paternité. » (4) Voir Terré F., Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 6e éd., n° 465, citant Cass. 2e civ., 28 oct. 1970, JCP 1070, IV, p. 300 et Cass. 3e civ., 28 nov. 1972,, JCP 1972, 1073, IV, p. 15 : « ce n’est pas aller au-delà de la lettre et de l’esprit du texte que d’autoriser le juge à former sa conviction sur un fait unique, si celui-ci lui paraît de nature à établir la preuve nécessaire ». (5) Sirinelli P., note sous CA Paris, 4e ch., 28 mai 2003, précité. (6) CA Paris, 4 sept. 2009, M. Claude G. c/ Société La Martinière Groupe, n° 07/22016 : « Considérant que la photographie n° 1 a été divulguée sous le nom de M. G. dans une publication “Palm Beach” ; que Mme Yoyo M. produit un Ektachrome relatif à cette photographie ; que néanmoins, la seule possession de ce document n’est pas suffisante pour détruire la présomption de titularité de droits d’auteur qui résulte de la publication sous le nom de M. G. » (7) Voir sur ce point, Gaullier F., La preuve de l’originalité : mission impossible ?, RLDI 2011/70, n° 2334, Dossier spécial : « L’originalité en photographie », p. 126 et s. (8) Arrêté du 24 janvier 1983 relatif à l’enrichissement du vocabulaire de l’audiovisuel et de la publicité ; voir le terme « plan produit » (traduction française officielle de « pack-shot »). (9) <http://fr.wikipedia.org/wiki/Packshot>. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 29 Z O O M S U R L A Q U E S T I O N D E L’ O R I G I N A L I T É D E S P H OTO G R A P H I E S « PA C K - S H OT » en quoi sa participation à la réalisation des photographies qui ne sont que la représentation fidèle de produits cosmétiques et de leur conditionnement peut leur conférer une originalité quelconque (…) dans la mesure où [ce dernier] n’a fait que procéder à des choix purement techniques qui relèvent d’un simple-savoir faire qu’il a mis en œuvre sous sa direction ». Il arrive en effet que ce moyen de défense, consistant à qualifier de simple savoir-faire dénué de toute originalité l’apport du photographe, emporte la conviction des juges du fond (10). En l’espèce toutefois, « la société Caudalie n’établit nullement la nature des directives précises et impératives qu’elle aurait données à M. B. pour chacune des photographies en cause et dont la précision aurait été telle qu’elle aurait privé celui-ci de tout apport créatif ». Dès lors, en raison de cette insuffisance probatoire, la Cour conclut à l’originalité de l’apport du photographe, et l’argument de la société intimée selon lequel ces « photographies seraient des œuvres collectives » est également écarté. S’il est certain qu’une grande casuistique existe en jurisprudence en matière d’appréciation de l’originalité de photographies publicitaires, cet arrêt révèle néanmoins, au même titre que certaines décisions récentes, que celle-ci dépend largement voire exclusivement de l’autonomie dont jouit le photographe. Une appréciation in concreto est donc de rigueur. Ainsi, dans un arrêt du 9 mars 2011, les juges aixois ont considéré qu’une photographie réalisée par un photographe professionnel dans le cadre d’un contrat de commande et représentant une jeune fille de dos tenant une boule de bowling, « ne révèle aucune recherche dans les éclairages, la tonalité des fonds, l’environnement, le cadrage et les angles de prises de vue et [le photographe] n’explique pas en quoi ceux-ci seraient particuliers » : le cliché, résultant « d’une commande du publicitaire (…) ne constitue ainsi qu’une prestation de services techniques ne traduisant qu’un savoirfaire » (11). Inversement, dans un arrêt du 5 avril 2011, la Cour d’appel de Pau a conclu à l’originalité de photographies de produits de couture réalisées par un non-professionnel et reproduites dans des catalogues. La Cour relève tout particulièrement l’absence de « directive technique quant à l’angle de vue, l’éclairage, le cadrage, les contrastes de couleur et reliefs, la composition et la mise en scène, le jeu des lumières, le choix des objectifs, qui relèvent de la seule initiative [du photographe] qui opère seul », et conclut que ce dernier « jouit d’une liberté d’action lui permettant, par l’expression d’une véritable créativité, de manifester sa personnalité, de sorte que les photographies [litigieuses] présentent une originalité qui permet leur protection au titre du droit d’auteur » (12). Ce critère de la marge de manœuvre laissée au photographe dans l’exécution de son art semble donc tempérer la relative « insécurité juridique » qui régnerait en la matière (13). ◆ (10) CA Rennes, 2e ch., 23 mai 2006, M. Christian R. c/ Société Simep Le Studio T, n° 04/07667 : ne constitue pas une œuvre originale la photographie d’un gigot d’agneau réalisée sous l’entière direction du fabricant qui a fourni au photographe des indications précises sur la position du produit et sur son entourage. Le seul choix par le photographe du cadre de la prise de vue et de l’éclairage est insuffisant dès lors qu’il ne fait que répondre à des impératifs techniques. (11) CA Aix-en-Provence, 2e ch., 9 mars 2011, SARL Bowling de Bandol c/ Michel, n° 10/10492, RLDI 2011/70, n° 2300, obs. Trézéguet M. (12) CA Pau, 2e ch., 5 avr. 2011, Mme X c/ Société Artiga, n° 09/03298, RLDI 2011/71, n° 2342, obs. Trézéguet M. (13) Latreille A., La création photographique face au juge : entre confusion et raison, Légipresse 2010, n° 274, p. 139 et s. 30 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication CRÉATIONS IMMATÉRIELLES Par Lionel COSTES Directeur de collection Lamy droit de l’immatériel Lamy droit international et Marlène TRÉZÉGUET Secrétaire générale de la rédaction Lamy droit de l’immatériel LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE RLDI RÈGLES GÉNÉRALES 2540 d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, doivent être exclus du champ de cette rémunération. Le projet de loi vise à inscrire l’ensemble de ces précisions jurisprudentielles dans le Code de la propriété intellectuelle. Il remédie également au risque d’une interruption ou d’une remise en cause des versements effectivement dus au titre de la copie privée d’œuvres ainsi qu’aux effets d’aubaine liés à la décision du Conseil d’État du 17 juin 2011. Il garantit ainsi la rémunération des auteurs et des titulaires de droits voisins, mais aussi la pérennité des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes financées par l’intermédiaire de la rémunération pour copie privée. Le projet de loi prévoit, enfin, l’information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement sur le montant de la rémunération pour copie privée auquel il est assujetti. Le texte a été adopté dans des termes identiques par le Sénat, le 19 décembre (L. n°2011-1898, 20 déc., JO 21 déc., p.2146). ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 121-87, n° 139–63 ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 3349 Adoption définitive du projet de loi sur la copie privée RLDI L.C. Le projet de loi « relatif à la rémunération pour copie privée » a été adopté à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale, le 29 novembre, dans une version très proche de celle présentée par le ministre de la Culture et de la Communication, le 26 octobre. « Petite loi », JO doc. AN n° 776 On rappellera que la loi du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle a instauré une rémunération juste et équitable pour les auteurs et les titulaires de droits voisins au titre des copies d’œuvres réalisées sans leur autorisation préalable. Elle prévoit que la répartition de la rémunération entre les différentes catégories d’ayants droit soit opérée après un prélèvement de 25 % sur la recette brute, destiné à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes. Cette ressource, dont le montant s’élevait en 2010 à environ 47 M€ hors taxes (pour un montant total de la rémunération pour copie privée de 189 M€ hors taxes), représente aujourd’hui une part capitale du financement de la création française et contribue à la promotion d’une plus grande diversité culturelle. Par ailleurs, plusieurs décisions récentes du Conseil d’État ont contribué à préciser le champ d’application de la rémunération pour copie privée. Ainsi, il a d’abord jugé que la rémunération pour copie privée ne pouvait servir à compenser que les « copies réalisées à partir d’une source acquise licitement » (décision Simavalec du 11 juillet 2008). Il a ensuite précisé, dans une décision du 17 juin 2011 (Canal+ Distribution et a.), que les supports d’enregistrement, acquis notamment à des fins professionnelles, dont les conditions Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS CRÉATIONS IMMATÉRIELLES 2541 Affaire Sabam : l’analyse de la CJUE La CJUE considère présentement que le droit de l’Union s’oppose à une injonction, prise par une juridiction nationale, d’imposer à un fournisseur d’accès à internet la mise en place d’un système de filtrage afin de prévenir les téléchargements illégaux de fichiers. CJUE, 24 nov. 2011, aff. C-70/10, Scralet Extended SA c/ Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (Sabam), <www.curia.eu> Il convient de rappeler que ce contentieux est né d’un litige opposant Scarlet Extended SA (Scarlet), fournisseur d’accès à internet à la Sabam, société de gestion belge chargée d’autoriser l’utilisation, par des tiers, des œuvres musicales des auteurs, des compositeurs et des éditeurs. Elle a constaté, en 2004, que des internautes utilisant les services de Scarlet téléchargeaient sur internet, sans autorisation et sans paiement de droits, des œuvres reprises dans son catalogue au moyen de réseaux peer-to-peer. À sa demande, le président du Tribunal de première instance de Bruxelles a ordonné, le 29 juin 2007, sous peine d’astreinte à Scarlet, en sa qualité de fournisseur d’accès, de faire cesser ces atteintes au droit d’auteur en rendant impossible, au moyen d’un logiciel peer-to-peer, toute forme d’envoi ou de réception par ses clients de fichiers électroniques reprenant une œuvre musicale du répertoire de la Sabam. Scarlet a interjeté appel devant la Cour d’appel de Bruxelles au motif que l’injonction n’était pas conforme au droit de l’Union dans la mesure où elle lui imposait, de facto, une obligation générale de surveillance des communications sur N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 31 son réseau ; ce qui serait incompatible avec la directive sur le commerce électronique et avec les droits fondamentaux. La Cour bruxelloise demande alors à la CJUE si le droit de l’Union permet aux États membres d’autoriser un juge national à ordonner à un fournisseur d’accès de mettre en place, de façon générale, à titre préventif, aux frais exclusifs de ce dernier et sans limitation dans le temps, un système de filtrage des communications électroniques, et ce afin d’identifier les téléchargements illégaux de fichiers. À la question ainsi posée, elle répond donc par la négative. Pour se prononcer en ce sens et après avoir rappelé les termes des dispositions des directives applicables (directives nos 2000/31, 2001/29, 2004/48, 95/46 et 2002/58), elle souligne dans un premier temps qu’« [elle] a déjà jugé qu’une telle interdiction s’étend notamment aux mesures nationales qui obligeraient un prestataire intermédiaire, tel qu’un FAI, à procéder à une surveillance active de l’ensemble des données de chacun de ses clients afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, une telle obligation de surveillance générale serait incompatible avec l’article 3 de la directive n° 2004/48, qui énonce que les mesures visées par cette dernière doivent être équitables et proportionnées et ne doivent pas être excessivement coûteuses ». Et de s’appuyer à cette fin sur sa précédente décision du 12 juillet 2011 (arrêt L’Oréal, aff. C-324/09). Elle en déduit qu’« il convient d’examiner si l’injonction en cause au principal, qui imposerait au FAI de mettre en place le système de filtrage litigieux, l’obligerait à procéder, à cette occasion, à une surveillance active de l’ensemble des données de chacun de ses clients afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle ». Or, à la suivre, « il est constant que la mise en œuvre de ce système de filtrage supposerait : – que le FAI identifie, en premier lieu, au sein de l’ensemble des communications électroniques de tous ses clients, les fichiers relevant du trafic peer-to-peer ; – qu’il identifie, en deuxième lieu, dans le cadre de ce trafic, les fichiers qui contiennent des œuvres sur lesquelles les titulaires de droits de propriété intellectuelle prétendent détenir des droits ; – qu’il détermine, en troisième lieu, lesquels parmi ces fichiers sont échangés illicitement, et ; – qu’il procède, en quatrième lieu, au blocage d’échanges de fichiers qualifiés par lui d’illicites ». Dans ces conditions, « une telle surveillance préventive exigerait une observation active de la totalité des communications électroniques réalisées sur le réseau du FAI concerné et, partant, elle engloberait toute information à transmettre et tout client utilisant ce réseau ». Elle en conclut que « l’injonction faite au FAI concerné de mettre en place le système de filtrage litigieux l’obligerait à procéder à une surveillance active de l’ensemble des données concernant tous ses clients afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle. Il s’ensuit que ladite injonction imposerait audit FAI une surveillance générale qui est interdite par l’article 15, paragraphe 1, de la directive n° 2000/31 ». 32 Dans un second temps, elle apprécie la conformité de cette injonction au droit de l’Union. Ainsi, elle rappelle que « l’injonction en cause au principal poursuit l’objectif visant à assurer la protection des droits d’auteur, qui font partie du droit de propriété intellectuelle, auxquels sont susceptibles de porter atteinte la nature et le contenu de certaines communications électroniques réalisées par l’intermédiaire du réseau du FAI concerné ». Or, pour la Cour, si « la protection du droit de propriété intellectuelle est certes consacrée à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (…), il ne ressort nullement de cette disposition, ni de la jurisprudence de la Cour, qu’un tel droit serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue ». Bien au contraire, il résulte de sa décision du 29 janvier 2008 (arrêt Priomusicae, aff. C-275/06, Rec. p. 1-271) que « la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d’autres droits fondamentaux ». De fait, « il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d’auteur, d’assurer un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures. Ainsi, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, les autorités et les juridictions nationales doivent notamment assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l’article 16 de la Charte. Or, en l’occurrence, l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux implique de surveiller, dans l’intérêt de ces titulaires, l’intégralité des communications électroniques réalisées sur le réseau du FAI concerné, cette surveillance étant en outre illimitée dans le temps, visant toute atteinte future et supposant de devoir protéger non seulement des œuvres existantes, mais également celles futures qui n’ont pas encore été créées au moment de la mise en place dudit système. Ainsi, une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise du FAI concerné puisqu’elle l’obligerait à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais, ce qui serait d’ailleurs contraire aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 1, de la directive n° 2004/48, qui exige que les mesures pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses ». Il en résulte que « l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux doit être considérée comme ne respectant pas l’exigence que soit assuré un juste équilibre entre, d’une part, la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et, d’autre part, celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI ». De plus, elle estime dans le même sens qu’« il est constant, d’une part, que l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux impliquerait une analyse systématique de tous les contenus ainsi que la collecte et l’identification des R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication adresses IP des utilisateurs qui sont à l’origine de l’envoi des contenus illicites sur le réseau, ces adresses étant des données protégées à caractère personnel, car elles permettent l’identification précise desdits utilisateurs. D’autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d’information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de communications à contenu licite. En effet, il n’est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d’une transmission dépende également de l’application d’exceptions légales au droit d’auteur qui varient d’un État membre à l’autre. En outre, certaines œuvres peuvent relever, dans certains États membres, du domaine public ou elles peuvent faire l’objet d’une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés ». Autant d’éléments qui permettent à la Cour de conclure qu’« en adoptant l’injonction obligeant le FAI à mettre en place le système de filtrage litigieux, la juridiction nationale concernée ne respecterait pas l’exigence d’assurer un juste équilibre entre le droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, d’autre part ». Et de répondre dans ces conditions aux questions qui lui étaient posées dans les termes suivants : « [les directives en cause] doivent être au regard des exigences résultant de la protection des droits fondamentaux applicables interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une injonction faite à un fournisseur d’accès à internet de mettre en place un système de filtrage : – de toutes les communications électroniques transitant par ses services, notamment par l’emploi de logiciels peer-to-peer ; – qui s’applique indistinctement à l’égard de toute sa clientèle ; – à titre préventif ; – à ses frais exclusifs, et ; En bref... Le piratage en streaming analysé par la Hadopi Conformément aux souhaits exprimés par Nicolas Sarkozy (voir supra, notre édito. p. 3), la Haute Autorité a annoncé, le 25 novembre, qu’elle allait étudier les moyens de lutter contre le piratage pratiqué sur les sites de streaming et de direct download. Des propositions seront avancées à la fin du premier trimestre 2012. La Hadopi, qui est déjà en charge de la riposte graduée contre le P2P, a ainsi dévoilé les trois volets qu’elle compte mettre en œuvre de façon concrète, avec des résultats « significatifs » sur chacun d’eux au terme du premier trimestre 2012 : – « la réalisation d’une évaluation claire et précise des phénomènes visés, notamment dans leurs dimensions technique et économique ; ainsi que des mesures de lutte juridiques et techniques existantes et de leurs – sans limitation dans le temps, capable d’identifier sur le réseau de ce fournisseur la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer le transfert de fichiers dont l’échange porte atteinte au droit d’auteur ». • OBSERVATIONS • La présente décision a été saluée par les premiers commentateurs comme une grande victoire contre le filtrage généralisé en Europe, susceptible même d’enterrer une éventuelle loi « Hadopi 3 » destinée à lutter contre le streaming illégal (voir supra notre édito, p. 3). Il convient cependant d’être sans doute un peu plus nuancé. Il ne fait aucun doute que son impact est, de fait, important dès lors que la CJUE considère qu’il est disproportionné d’ordonner le filtrage d’un site internet pour des litiges relatifs à la propriété intellectuelle au motif que, si sa protection est bien consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il n’en ressort nullement qu’un tel droit soit pour autant intangible et que sa protection soit assurée de manière absolue. C’est par conséquent « un juste équilibre » qui doit être assuré entre la protection du droit d’auteur et la liberté de communiquer. Concrètement, ne se limitant pas au piratage par peer-to-peer mais s’appliquant à toutes les formes de filtrage, elle porte par là même un coup d’arrêt aux tentatives d’empêcher, par exemple, la lecture des films et des séries télévisées sur les plates-formes illégales de streaming par l’instauration d’un système de filtrage à grande échelle. Ainsi, si tout système de filtrage généralisé est bien prohibé, il n’en est pas forcément de même pour des systèmes de filtrage plus ciblés. De fait, des États membres pourront toujours tenter de déployer des systèmes de filtrage plus ciblés que celui demandé par la Sabam. La Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) rappelle d’ailleurs, dans un communiqué, que cette décision ne concerne pas le blocage. Or, cette technique, moins radicale et intrusive que le filtrage, fonctionne par un système de listes noires de sites interdits, bloqués par les fournisseurs d’accès, mais n’analyse pas en temps réel le type de contenus visualisé par les internautes. Le blocage déjà à l’œuvre en France, par exemple pour restreindre l’accès à des services de jeu en ligne non autorisés ou aux sites pédopornographiques, n’est par conséquent nullement ici remis en cause. Pour aller plus avant sur ce contentieux, voir Manara C., Bloquer le filtrage ! Une approche critique des affaires Sabam, RLDI 2011/76, n° 2533. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 2468 et s., nos 4399 et s. limites ». La Hadopi s’appuiera notamment sur ses Labs. Elle invite ayants droit, fournisseurs d’accès et autres prestataires à y participer ; – « l’ouverture d’un dialogue intensif avec les sites et plates-formes concernés, ainsi que tous les intermédiaires qui contribuent à leur fonctionnement », tels que les établissements bancaires et intermédiaires de paiement ; – « la proposition d’adaptations de toute nature y compris législative afin de parvenir à mieux atteindre les objectifs fixés » en cernant notamment les limites des outils juridiques existants. Elle annonce vouloir mener ces missions de façon transparente. Et d’estimer que ces trois chantiers constituent une nouvelle étape dans la protection des droits d’auteur sur internet. À la suivre, « il est temps désormais d’entrer dans une phase active de lutte contre ce comportement mercantile qui, du créateur à l’internaute, pénalise tous ceux qui sont respectueux des lois ». Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS CRÉATIONS IMMATÉRIELLES L.C. > Offensive judiciaire du cinéma contre le streaming illégal Producteurs et éditeurs de cinéma ont déposé une plainte afin que soit ordonné le blocage des sites <allostreaming>, <alloshowtv>, <alloshare> et <allomovies>. L’Association des producteurs de cinéma (APC), la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) et le Syndicat des éditeurs de vidéo numérique (SEVN) ont ainsi introduit « une action en cessation » devant le Tribunal de grande instance de Paris demandant aux opérateurs et aux moteurs de recherche « de bloquer ou de déréférencer » ces quatre sites. Pour Frédéric Goldsmith, délégué général de l’APC, « ce sont des sites notoirement connus pour organiser la contrefaçon numérique de masse : c’est de la piraterie pure et ils en ont fait leur business principal ». Et de préciser que « nous demandons aux juges d’ordonner aux opérateurs et aux moteurs de recherche concernés qu’ils procèdent au blocage ou au déréférencement des quatre sites visés ». L’audience était fixée au 15 décembre. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 33 À propos de la présomption de titularité du droit de propriété incorporelle de l’auteur À suivre la Cour de cassation, c’est à juste titre que les juges d’appel ont considéré que l’auteur des œuvres litigieuses n’était pas une société tierce et que la société requérante était par conséquent recevable à agir en contrefaçon. Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10.26.323, F-D Une société (Sté Shop concept et services), qui fournissait à une seconde (Sté Mr Bricolage) en équipements de magasin et mobiliers de vente, prétendant que cette dernière avait rompu brutalement leur relation commerciale, avec la complicité d’une société tierce (Sté A5 Industrie) qui avait imité ses produits, les a toutes deux assignées en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie ainsi que pour contrefaçon et concurrence déloyale. La société Mr Bricolage fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir décidé qu’elle avait contrefait les meubles (dénommés « banque accueil rectangulaire », « banque accueil ronde » et « banque encadrement ») dont les droits appartiennent à la société Shop concept et services et de lui avoir fait interdiction d’en poursuivre la fabrication, la commercialisation et le référencement sous astreinte. Au soutien de son pourvoi, elle fait notamment valoir que la présomption de titularité du droit de propriété incorporelle de l’auteur, instituée au profit de la personne morale qui exploite l’œuvre, vaut à l’encontre du seul tiers recherché pour contrefaçon ; qu’elle ne joue pas à l’encontre de l’auteur de l’œuvre, et, par conséquent, de la personne morale que désigne l’application combinée des articles L. 113-2, alinéa 3, et L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle. Et d’invoquer le fait que les œuvres prétendument contrefaites ont été créées à son initiative, qu’elle les a éditées en ayant recours à des façonniers (d’abord la société Shop concept et services puis ellemême), et les a distribuées dans son réseau. Aussi, en faisant application de la présomption de titularité du droit de propriété intellectuelle instituée au profit de la personne morale qui exploite l’œuvre, sans se demander si la société Mr Bricolage était bien un tiers au sens de cette présomption, les juges d’appel auraient violé les articles précités. Ce moyen est écarté par la Cour de cassation au motif suivant : « après avoir constaté que la société Shop concept et services, qui exploitait les mobiliers sur lesquels aucun tiers ne revendiquait de droits, bénéficiait d’une présomption légale de titularité des droits sur ces derniers, l’arrêt relève encore (…) que la société Mr Bricolage a reconnu la propriété intellectuelle de la société Shop concept et services sur tous les matériels développés par elle pour son compte ; qu’en l’état de cette appréciation, exempte de dénaturation, la Cour d’appel a pu écarter le moyen pris de ce que l’auteur des œuvres litigieuses était une société tierce et 34 retenir que la société Shop concept et services était recevable à agir en contrefaçon ». • OBSERVATIONS • On rappellera plus globalement que la présomption de titularité dont bénéficient les personnes morales a été instituée par la Cour de cassation par un arrêt du 24 mars 1993 (Cass. 1re civ., 24 mars 2003, Grands Arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz 2003, n° 10, comm. Clément-Fontaine M. et Robin A ; JCP G 1993, II, p. 22095, note Greffe F. ; RTD com. 1995, p. 418, obs. Françon). Elle a été confirmée depuis à de nombreuses reprises (voir par ex. Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, D. 2001, somm. p. 2635, obs. Sirinelli P. ; Comm. com. électr. 2000, comm. n° 42, obs. Caron C. ; Cass. crim., 24 févr. 2004, Rev. Lamy dr. aff. 2004, n° 4433 ; JCP E 2004, n° 880, note Singh A. ; Propr. intell. 2004, p. 933, obs. de Candé ; Cass. 1re civ., 19 oct. 2004, RLDI 2005/1, n° 5 ; Cass. 1re civ., 14 juin 2005, RLDI 2005/8, n° 216). On retiendra là également qu’en l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation d’une œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle de l’auteur (en ce sens, Cass. com. 20 juin 2006, RLDI 2006/20, n° 596). ➤ Lamy Droit de médias et de la communication, nos 118-97 et s. L.C. RLDI RLDI 2542 2543 Contrat de maintenance corrective et évolutive d’un logiciel et restitution par le prestataire de ses codes sources modifiés Pour la Cour de cassation, c’est à juste titre qu’a été ordonnée la restitution des codes sources modifiés du logiciel de l’espèce par la société prestataire chargée de sa maintenance. Cass. com. 15 nov. 2011, n° 10-26.617, F-D En exécution d’un contrat conclu, le 14 février 2005, entre deux sociétés (Stés Percall et Res Humana), celle-là a réalisé pour le compte de celle-ci un audit de son installation informatique, puis une mission de maintenance corrective et évolutive d’un logiciel (Soft RH"é). Soutenant que ce contrat avait été tacitement reconduit à son terme, fixé au 31 mars 2006, la société Percall a assigné la société Res Humana en paiement d’une certaine somme à ce titre. Elle reproche notamment à l’arrêt d’appel d’avoir ordonné sous astreinte la restitution des codes sources modifiés à la société Res Humana. Au soutien de son pourvoi, elle fait valoir que les juges d’appel ont statué en ce sens sans avoir répondu à ses conclusions selon lesquelles, quelles que puissent être les stipulations contractuelles, en application des articles L. 111-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, les prestations réalisées au titre de la maintenance du progiciel en cause constituaient des créations originales, entraînant à son profit des droits moraux et patrimoniaux et notamment des droits exclusifs d’exploitation, lui conférant le droit de conserver les programmes ou codes sources modifiés par elle. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication • OBSERVATIONS • La propriété des codes sources des logiciels est une question souvent délicate qui a donné lieu à de nombreux contentieux. Elle l’est encore plus lorsqu’elle ne fait l’objet d’aucune stipulation contractuelle ; ce qui était le cas de la présente espèce. De fait, il est important de préciser, en complément de la clause précisant les droits respectifs du prestataire et du client, le sort qui sera fait aux codes sources. On retiendra sur un plan général que « l’auteur reste détenteur des droits (…). La règle demeure la même dans le cadre de la réalisation d’un logiciel spécifique : il est donc nécessaire d’inclure au contrat une clause expresse de transfert des droits de propriété afin d’éviter tout contentieux » (Bitan H., Le droit des contrats informatiques forgé par la jurisprudence, RLDI 2009/54, n° 1805). On rappellera simplement au niveau des principes que, si la cession des droits est totale au profit du client, il est nécessaire que soit précisé que les codes sources lui soient effectivement remis. S’il n’y a aucune cession ou si celle-ci n’est que partielle, il est encore plus important de prévoir si le client se voit néanmoins remettre ou non les code sources – ce qui est rarement le cas – ou si – ce qui est plus fréquent – il dispose simplement d’un droit contractuel à y accéder auprès d’un tiers entre les mains duquel lesdites sources auront été dûment déposées. La situation était ici particulière puisqu’il s’agissait de savoir qui était propriétaire des codes sources modifiés dans le cadre d’une opération de maintenance corrective et évolutive d’un progiciel ; l’annexe du contrat prévoyant simplement que « le prestataire garantit [au client] l’entière propriété des développements de maintenance ». ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 877, n° 993, n° 3363,n° 3789 RLDI L.C. 2544 Revendication de droits d’auteur et non-respect du principe du contradictoire • OBSERVATIONS • Il s’agit là d’une nouvelle application, des plus classiques, du principe du contradictoire faite à propos d’une action en contrefaçon de droits d’auteur. ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 118-7 L.C. 2545 Droit moral et irresponsabilité du cessionnaire des droits d’exploitation pour les faits du sous-cessionnaire Une société cessionnaire des droits d’exploitation d’une œuvre audiovisuelle ne saurait être tenue responsable, en sa seule qualité de cédante des droits d’exploitation, de l’atteinte au droit moral par la société souscessionnaire. Ainsi qu’il est présentement rappelé, le juge ne peut fonder sa décision sur des pièces non régulièrement versées aux débats et qui n’ont pas été soumises à la discussion contradictoire. Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-13.410, FS-P+B+I Casss. 1re civ., 17 nov. 2011, n° 10-20.332, F-D Une société (Sté Mico), soutenant qu’une autre société (Sté Urba design) avait utilisé pour la promotion de ses propres produits des photographies d’un modèle d’abri à chariots (Grande Courbe) qu’elle-même commercialise et que de tels agissements étaient constitutifs à son égard d’actes de parasitisme, l’a fait assigner en paiement de dommages-intérêts. Le président du conseil d’administration de la société Urba design (M. X) est intervenu volontairement à l’instance et, préten- Informatique I Médias I Communication dant être le créateur de l’abri à chariots litigieux, a reproché à la société Mico d’avoir commis à son encontre des actes de contrefaçon de droits d’auteur. La société Urba design invoquait quant à elle des actes de concurrence déloyale résultant, d’une part, de ces actes de contrefaçon et, d’autre part, de l’utilisation par la société Mico d’une photographie de l’un de ses abris pour illustrer une plaquette de présentation. Pour débouter M. X. de ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur et la société Urba design de ses demandes subséquentes au titre de la concurrence déloyale, l’arrêt d’appel, après avoir relevé que le plan dressé le 13 septembre 1996, avec un en-tête qui désigne « Market Value », dévoile la physionomie générale d’un abri à chariots comportant une toiture convexe ou en courbe, retient que les abris revendiqués par M. X. ne présentent, dans ces conditions, aucune originalité. Le présent arrêt est censuré au visa des articles 7 et 16 du Code de procédure civile. En effet, pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, cette pièce n’avait pas été régulièrement communiquée, ce dont il résultait que les parties n’avaient pas été à même d’en débattre contradictoirement, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ». RLDI Et d’en déduire qu’elle n’avait l’obligation que de restituer les codes sources qui lui avaient été initialement remis pour lui permettre d’exécuter ses prestations ; obligation qu’elle avait déjà exécutée. La Cour de cassation ne la suit pas sur ce terrain. En effet, elle relève que « dans ses conclusions d’appel, la société Percall a soutenu non qu’elle était titulaire de droits de propriété intellectuelle au titre des prestations de maintenance du progiciel réalisées, quelles que puissent être les stipulations contractuelles, mais que, rien n’étant prévu au contrat concernant la propriété des codes sources modifiés, les dispositions légales devaient trouver à s’appliquer ». ACTUALITÉS CRÉATIONS IMMATÉRIELLES Les réalisateurs d’un film sur Claude Nougaro avaient cédé, par contrat, leurs droits d’exploitation à la société La Base films et à la société Mercury aux droits de laquelle s’est substituée la société Universal Music France. Sept années se sont écoulées lorsqu’ils constatent la diffusion sur une chaîne de télévision d’un portrait de Claude Nougaro incorporant près de neuf minutes de leur film et décident, d’une part, d’assigner le producteur de l’émission, à laquelle la société Universal Music France avait cédé les droits d’exploitation du film, et, d’autre part, d’assigner cette dernière société aux fins de voir N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 35 • OBSERVATIONS • De cet arrêt, nous retiendrons que les sous-cessions de droits d’exploitation, parce qu’elles ne concernent que les seuls droits patrimoniaux, ne peuvent fonder une action pour atteinte au droit moral. Ainsi, « le cessionnaire, parce qu’il s’est limité à céder les droits d’exploitation qu’il tenait lui-même des auteurs, n’a commis aucune faute » (de Ravel d’Esclapon T., Cession des droits d’exploitation : utilisation des droits par le sous-cessionnaire et responsabilité du cessionnaire, D. Actu., 2 déc. 2011). Au premier abord surprenante, la solution s’explique par la nature personnelle du droit moral. Les cessionnaires n’auraient pu engager d’action à l’encontre des sous-cessionnaires, ne pouvant invoquer un droit dont ils ne disposent pas. Cependant, la solution peut se révéler fortement préjudiciable pour l’auteur en cas de sous-cessions multiples pour lesquelles il reviendrait à l’auteur d’agir à l’encontre de tous les sous-cessionnaires. La situation est différente concernant le contrat d’édition pour lequel l’article L. 132-16, alinéa 1er, du Code de propriété intellectuelle prévoit expressément que : « L’éditeur ne peut transmettre, à titre gratuit ou onéreux, ou par voie d’apport en société, le bénéfice du contrat d’édition à des tiers, indépendamment de son fonds de commerce, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de l’auteur. » En 36 effet, « on ne cède pas un contrat d’édition comme un contrat de maintenance sur un matériel sophistiqué » ; le contrat d’auteur est « un lien social » marqué d’un fort intuitu personae (Vivant M. et Bruguière J.-M., Droit d’auteur, Précis Dalloz, 2009, n° 712). ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 384-1 et s. M.T. RLDI prononcer la nullité de certaines clauses du contrat initial et la condamner au paiement de dommages-intérêts. Les juges du fond déclarent leur demande irrecevable. Les demandeurs au pourvoi soutiennent notamment que « le droit de l’auteur au respect de sa qualité et de son œuvre est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ; que cette disposition est d’ordre public ; que le vice affectant une convention en raison de l’atteinte qu’il porte au droit moral de l’auteur ne peut dès lors être couvert par aucune prescription » et que « la prescription de l’action en nullité de conventions contrevenant aux dispositions d’ordre public du Code de la propriété intellectuelle protégeant les auteurs court à compter de la découverte du vice par l’auteur ». La Haute Juridiction approuve les juges du fond d’avoir rappelé que « l’action en nullité relative exercée par les bénéficiaires des clauses litigieuses était soumise à la prescription quinquennale de l’article 1304 du Code civil et constaté qu’une telle action, qui invoquait la violation de dispositions légales, avait été introduite par [les demandeurs] selon assignations des 12 et 23 janvier 2007 soit plus de cinq ans après la signature des contrats de juillet et septembre 1998, [et] en a justement déduit qu’elle était tardive ». Par ailleurs, « la clause de substitution de la société Mercury à la société La Base films concernait exclusivement l’interprétation et l’exécution du contrat » ; ainsi, « les auteurs n’étaient pas recevables à rechercher la responsabilité de la société Universal France venant aux droits de la société Mercury, du chef d’une faute qui aurait été commise lors de la conclusion du contrat ». Enfin, « la société Universal Music ne pouvait, en sa seule qualité de cédante des droits d’exploitation qui lui avaient été cédés par les auteurs, être tenue pour responsable de la manière dont la société Way productions avait utilisé ou incorporé dans le film Dansez sur moi les extraits ou fragments litigieux ». La demande fondée sur l’atteinte à leur droit moral est rejetée. Mais la Haute Juridiction accepte cependant, au visa de l’article 1134 du Code civil, la demande de réparation du préjudice des auteurs résultant de l’absence de reddition de comptes, au contraire de la Cour d’appel qui avait considéré la rémunération prévue par le contrat pour l’utilisation fragmentaire des œuvres comme étant forfaitaire. En effet, selon les termes clairs et précis de l’article 8-6 du contrat des auteurs, inséré dans la clause 8 intitulée « Rémunération », « le décompte des droits découlant de l’application des présentes sera arrêté à la fin de chaque année, et le règlement des redevances éventuellement dû devra lui être fait par le producteur dans les trois mois qui suivront l’année écoulée ». 2546 Une restitution de négatifs noir et blanc de photographies déclarée irrecevable Faute pour le requérant de démontrer que son père assumait les frais techniques liés à la réalisation des photographies en cause, sa demande tendant à la restitution de ces supports doit dans ces conditions être rejetée. TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 20 oct. 2011, M. Bourdin c/ Sté Les Publications Condé Nast, n° 09/08873, inédit Décision aimablement communiquée par Me Gilles Vercken Un photographe de mode reconnu (Guy Bourdin) a travaillé pour l’édition d’un magazine (Vogue) durant de nombreuses années (de 1955 à 1988). Il est décédé en 1991, laissant pour lui succéder son fils Samuel Bourdin. Il a demandé à la société éditrice dudit magazine de lui restituer les tirages contrecollés sur carton des photographies en noir et blanc de son père dont il s’estimait propriétaire ; ce qu’elle a refusé, d’où la présente instance. Au soutien de son action, il fait principalement valoir que les photographies que son père a réalisées pour ce magazine sont identifiées et répertoriées et que les photographies publicitaires ont été exclues. Il déclare également que celui-ci avait son propre studio, qu’il prenait en charge les frais techniques et qu’il attachait une grande importance à ses tirages et aux négatifs de ses photographies. Il ajoute qu’il n’a jamais cédé le support matériel de ses œuvres, en l’absence de cession écrite expresse. Il précise, enfin, que les supports des œuvres photographiques de son père ont été détruits et que la société s’est abstenue de l’en informer. Aussi, n’étant pas en mesure de lui restituer les 1 773 négatifs noir et blanc qu’il a répertoriés, il soutient qu’il subit une atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur, réclamant 173 000 €. En défense, la société éditrice avance principalement le fait que Guy Bourdin détruisait les négatifs de photographie qui n’avaient pas été choisis et qu’elle était propriétaire des supports mais que, compte tenu de ses bonnes relations avec le photographe, elle lui donnait les négatifs ou tirages qu’il souhaitait conserver. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication En conséquence, elle fait valoir que des négatifs peuvent être manquants, soit parce qu’ils ont été détruits par M. Bourdin, soit parce qu’il les a lui-même conservés. De plus, elle conteste avoir déclaré que des négatifs de celui-ci avaient été endommagés et confirme que les droits d’exploitation des photographies une fois que celles-ci étaient parues dans le magazine appartenaient au photographe. Elle indique, enfin, qu’elle a toujours sollicité l’autorisation pour une nouvelle utilisation en réglant les redevances mais que, depuis le décès de son père, son fils a refusé de lui délivrer des autorisations d’exploiter son fonds tant qu’il n’aurait pas obtenu la restitution des supports des œuvres photographiques. Le Tribunal de grande instance de Paris ne reçoit pas la présente action. En effet, il s’avère que « les pièces produites par Samuel Bourdin ne permettent pas d’identifier les photographies réalisées par son père publiées dans le magazine Vogue sur lesquelles il revendique des droits d’auteur ». Or, il fait état de 1 773 négatifs dont la perte porterait atteinte aux droits patrimoniaux et moraux d’auteur attachés aux œuvres de son père. Or, toujours selon le Tribunal, « faute pour lui d’identifier les œuvres objet de ces droits, sa demande en indemnisation doit être déclarée irrecevable. Il convient au surplus de relever que l’absence d’identification des œuvres interdit toute appréciation de leur originalité ». Sa demande d’inventaire et de restitution de supports détenus par la société éditrice n’est pas davantage reçue. En bref... La « carte musique » relancée Le Gouvernement a annoncé, le 2 novembre, la prochaine vente en magasin de la « carte musique » pour les 12-25 ans. L’objectif poursuivi est de tenter de relancer cette offre destinée à lutter contre le téléchargement illégal des jeunes, qui n’a pas connu le succès espéré un an après sa création. On rappellera que cette carte, jusqu’ici seulement sur internet, était une des propositions phares du rapport « Création et internet » de la mission Zelnik sur l’amélioration de l’offre légale sur internet, remis au Gouvernement début 2010. Avec d’autres mesures, elle constitue le volet incitatif du dispositif contre le téléchargement illégal mis en place avec la loi Hadopi. Uniquement accessible aux 12-25 ans, cette offre permettait d’acquérir pour 50 € de musique sur internet en n’en payant que la moitié, le reste étant financé par l’État. Si le principe fut simple, sa création fut cependant laborieuse. En effet, espérée avant l’été 2010, elle n’a finalement été lancée qu’en octobre 2010. Ainsi, il rappelle qu’« il est admis que les supports appartiennent à celui qui a supporté les frais techniques nécessaires à la réalisation de la photographie tels que l’achat des pellicules et les frais de laboratoire ». Or, il relève que « Samuel Bourdin fait valoir que son père ne faisait pas figurer de frais techniques sur ses bulletins de pige. Néanmoins cet élément est équivoque dans la mesure où l’absence de facturation pouvait s’expliquer si le photographe ne supportait pas les coûts d’achat de pellicules et de laboratoires ». Toujours selon le Tribunal, « il est suffisamment établi que la société Condé Nast a fait l’avance pour Guy Bourdin, de nombreux frais sans lien avec les photographies qu’elle publiait. Aussi, il ne peut se déduire ni des bulletins de pige ni des relevés de comptes correspondants que Guy Bourdin assumait personnellement les frais d’achat de pellicule et développement des photographies réalisés par Vogue ». Il relève, enfin, dans le même sens, que « la remise par Guy Bourdin des Ektachrome par la société Condé Nast peut également être interprétée comme un don à une époque où on commençait seulement à prendre conscience de la valeur de ces documents de telle sorte qu’il ne peut s’en déduire de façon certaine que la société défenderesse ne s’estimait pas propriétaire des supports ». Il en résulte que « Samuel Bourdin échoue à démontrer que son père assumait les frais techniques liés à la réalisation des photographies publiées dans Vogue ». En revanche, « la société Condé Nast établit quant à elle qu’elle disposait de studios, qu’elle supportait le coût des prise de vue à l’extérieur (…), le Instituée pour une durée de deux ans, le Gouvernement avait alors limité son accès à un million de personnes au maximum chaque année. De plus, elle n’a jamais rencontré son public. De fait, si le ministère de la Culture ne fournit pas de données officielles, les derniers chiffres ayant circulé dans la filière musicale tournaient autour de 50 000 exemplaires vendus. Cette version physique, disponible depuis le 25 novembre, est ainsi la principale mesure de la relance de la carte musique décidée par le Gouvernement. Toujours destinée aux 12-25 ans, elle sera commercialisée dans des enseignes généralistes et culturelles sous deux formats : 10 € et 25 €. Après l’avoir activée sur un site internet dédié (<www. lacartemusique.fr>), l’internaute pourra l’utiliser pour acheter de la musique sur des sites partenaires de téléchargement et de streaming. Pour chaque euro acheté sur ces plates-formes, l’État doublera le montant des crédits dans la limite de 25 € par personne. S’il détient une carte de 25 €, l’internaute pourra ainsi acheter pour 50 € de musique. La carte musique pourra toujours être achetée directement sur <www.lacartemusique.fr>, mais la procédure a été simplifiée. En outre, les détenteurs de la carte musique auront dorénavant accès à des privilèges et offres exclusives : informations sur l’actualité musicale, rencontres avec les artistes, accès aux coulisses des concerts… Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS CRÉATIONS IMMATÉRIELLES > Pour compléter l’opération de relance, une campagne de communication a été confiée à Euro RSCG C&O, avec notamment des opérations dans les Abribus parisiens. Protocole d’accord Sacem/Associations La Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) a signé, le 7 octobre, un accord avec 67 fédérations associatives visant à simplifier ses tarifs et ses procédures. Ces nouveaux accords, qui ont pris effet au 1er octobre 2011, contiennent notamment une extension importante de la procédure de forfaitisation des redevances. Cela signifie en pratique que les associations qui devaient auparavant effectuer jusqu’à quatre démarches administratives auprès de la société d’auteurs n’en feront plus qu’une pour déclarer leur événement, connaître immédiatement le montant de la redevance de droits d’auteur, s’en acquitter et éviter ainsi des démarches ultérieures, par exemple la remise d’un bordereau de recettes. Les barèmes de droits d’auteur ont été également revus. Ils reposent dorénavant sur deux critères uniquement : le budget des dépenses et le prix d’entrée pour les bals et concerts ; le nombre prévisionnel de convives et le prix du repas pour les repas en musique. Les grilles tarifaires des forfaits ont été de plus conçues en tenant compte de la spécificité économique des associations et de leurs attentes. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 37 coût de l’achat des films et pellicules et les frais de laboratoires (…) pour les photographies réalisées pour son compte ». Dans ces conditions, « Samuel Bourdin n’établit pas que son père était propriétaire des supports des photographies qu’il a réalisés pour la société Condé Nast. Sa demande tendant à la restitution de ces supports (…) doit par conséquent être rejetée ». Et de le condamner à payer à la société éditrice 5 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des refus d’autorisation d’exploiter les œuvres de Guy Bourdin. • OBSERVATIONS • Il est acquis que le propriétaire du support d’une œuvre photographique est celui qui l’a financée, c’est-à-dire, plus précisément, les séances de prises de vue ou de reportage, le développement des négatifs et la réalisation de tirages ; support matériel qui doit bien évidemment être différencié de la forme d’expression, elle seule protégeable par le droit d’auteur. Concernant plus précisément la portée qu’il convient d’attacher à la détention matérielle d’Ektachrome, elle ne saurait à elle seule établir la qualité d’auteur des photographies qui y sont incorporées dès lors que l’admettre irait à l’encontre de l’article L. 111-3, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle (en ce sens, voir CA Paris, 4e ch., 2 mai 2003, Propr. intell. 2003, p. 378, 1re espèce, obs. Sirinelli P., pour qui « la seule possession de l’Ektachrome correspondant à la photographie en cause est (…) insuffisante à établir [la] qualité d’auteur »). Il en irait différemment si cette détention était confortée par plusieurs indices qui permettraient alors de déduire cette qualité (en ce sens, CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept 2011, RLDI 2011/76, n° 2503 ; sur cet arrêt, voir comm. Dahan V. et Bouffier C., supra n° 2539). ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 118-53 et s. L.C. RLDI STATUTS PARTICULIERS : DROITS VOISINS 2547 La qualité d’artisteinterprète inappropriée Selon la Cour de cassation, la prestation de l’espèce ne peut par nature se rapporter à l’exécution d’une œuvre littéraire ou artistique, ou encore d’un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. CA Aix-en- Provence, 1re ch. B, 17 nov. 2011, M. X. c/ Sté Pois Chiche Films, n° 10/14246, <www.lamyline.fr> Le requérant de l’espèce (M. X) était embauché, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, par une société de production (PCF), pour animer un magazine audiovisuel diffusé à la télévision pendant 43 semaines (du 20 août 2002 au 24 mai 2003), ayant pour thème la gastronomie bretonne et la rencontre avec des restaurateurs, des chefs cuisiniers, et des producteurs de spécialités gastronomiques en Bretagne. Aux termes du contrat de travail, il était embauché en qualité d’« animateur-présentateur ». Selon son contrat d’auteur signé par ailleurs, il cède à l’employeur les droits d’auteur dont il serait titulaire sur l’émission et/ou sur sa contribution nécessaire à l’utilisation de ses prestations conformément à l’objet du contrat. Il cède également à l’employeur ses droits d’auteur sur sa contribution qu’elle puisse ou non être individualisée, incluse dans l’émission en cause et/ou exploitée séparément 38 ou par extrait en vue de la publicité et de la promotion de l’émission. Cette cession de droits comprend la cession de reproduction sur tous supports connus ou inconnus en l’état de la technique, le droit de représentation pour toute communication au public par tous moyens connus ou inconnus en l’état de la technique, notamment télédiffusion, télécommunication, transmissions numériques. Cette cession est consentie pour tous pays et pour la durée de la propriété littéraire et artistique selon la loi française et toute prorogation future qui pourrait y être apportée par la loi française ou toute convention internationale. En contrepartie de cette cession de droits, l’employé percevra un forfait de 3 311 € payé au fur et à mesure de la diffusion de l’émission et dont le solde interviendra au plus tard le 30 juin 2003. Il autorise en conséquence la fixation de son image et de sa voix, ensemble et séparément, dans le cadre du présent contrat, par des moyens audiovisuels. Il autorise également la reproduction et la communication au public de ces enregistrements audiovisuels. De même, il autorise l’utilisation de toute image fixe le représentant, prise dans le cadre de la production du magazine audiovisuel, pour la promotion et la commercialisation du magazine audiovisuel. À l’issue de la durée prévue et convenue, la diffusion du magazine était poursuivie, mais avec le concours d’un autre présentateur. En décembre 2004 et janvier 2005, PCF réglait en deux versements la somme de 10 000 € à M. X. Courant 2005, des discussions ont eu lieu entre les deux parties pour la création et la production d’un nouveau magazine audiovisuel, ayant toujours pour thème la gastronomie française, mais cette fois-ci non exclusivement centrée sur la Bretagne et une « bande-annonce test » à destination de diffuseurs potentiels était réalisée par M. X. Courant janvier 2006, celui-ci ne répondant pas aux sollicitations de PCF pour faire avancer le projet, elle prenait acte de l’abandon de celui-ci, indiquait qu’elle avait entièrement produit et financé la bande-annonce, que ses investissements demeuraient sa propriété et ne pouvaient être utilisés sans son accord ; mettant en demeure M. X. de ne pas utiliser la bande-annonce et de la lui restituer. PCF l’assignait en conséquence devant le Tribunal de grande instance de Marseille en paiement d’une somme de 43 350 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de pourparlers. M. X. a interjeté appel du jugement prononcé, le 24 juin 2010, qui a considéré que sa responsabilité quasi délictuelle était engagée au titre d’une rupture abusive des pourparlers avec PCF, et l’a condamné à lui payer 18 139 € à titre de dommages et intérêts. En défense, PCF lui conteste le droit de se prévaloir d’une qualité d’auteur concernant la réalisation du premier magazine, en faisant valoir l’absence de contrat de cession de droits d’auteur signé avec lui, et le fait que l’inclusion dans son contrat de travail d’une clause prévoyant une rémunération partielle, forfaitaire, au titre d’une cession de droits d’auteur, constitue un usage courant dans l’industrie de la production audiovisuelle, pour prendre en compte, à titre de précaution, les éventuels apports intellectuels du présentateur dans la réalisation encore à venir de l’émission. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication Informatique I Médias I Communication recettes générées par l’exploitation du premier magazine), ni à celle tendant au paiement d’une somme de 116 000 €, à parfaire, à titre de dommages et intérêts ». • OBSERVATIONS • Ce contentieux nous donne l’occasion de rappeler que, pour que la qualification d’artiste-interprète soit retenue, il faut que soit démontré qu’il apporte une contribution originale et personnelle à travers sa prestation (CA Paris, 2e ch., 3 mai 1996 ; CA Paris, 18e ch., 24 avr. 2001, citées in Vivant M. et Navarro J.-L., Code de la propriété intellectuelle, p. 265 et p. 266, Litec, 2011). En d’autres termes, la personne qui ne peut rapporter la preuve de l’utilisation d’une quelconque interprétation ne saurait revendiquer cette qualité. Elle ne saurait par exemple être déduite de l’existence d’un casting ou d’un montage des images recueillies (voir en ce sens, CA Versailles, 6e ch., 5 avr. 2011, RLDI 2011/71, n° 2346, rendu à propos des participants à l’émission « L’Île de la tentation »). ➤ Lamy Droit de médias et de la communication nos 139-8 et s. L.C. STATUTS PARTICULIERS : JEUX VIDÉO RLDI De plus, la qualification a priori d’un revenu de « droits d’auteur » n’est absolument pas la preuve d’un quelconque apport intellectuel à l’œuvre audiovisuelle par le bénéficiaire de ce revenu. La Cour de cassation ne la suit pas sur ce terrain au motif suivant : « mais le recours à cet usage constitue une présomption d’une véritable cession de droits d’auteur, qui n’est pas utilement combattue en l’espèce par la signature d’un contrat de cession de droits d’auteur avec deux “auteurs professionnels” (…), alors que la réussite de ce type d’émission, axée sur la rencontre, l’interview, et la mise en valeur de professionnels (producteurs de produits et chefs cuisiniers), nécessite une certaine capacité d’improvisation de la part du présentateur (également animateur), ce qui était dans la compétence de M. X., qui avait acquis lui-même une certaine notoriété comme chef cuisinier. Il est donc tenu pour acquis l’existence entre les parties d’un contrat de cession de droits d’auteur moyennant une rémunération forfaitaire ». Toujours selon les Hauts magistrats, « en revanche M. X. ne peut prétendre défendre des droits en qualité d’artisteinterprète, sa prestation au titre de l’animation et de la présentation du premier magazine, en dépit de la faconde ou la manière personnelle qu’il y a apportée, ne pouvant par nature se rapporter à l’exécution d’une œuvre littéraire ou artistique, ou encore d’un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes (article L. 212-1 du Code de la propriété littéraire et artistique) ». M. X. faisait encore valoir qu’en application des dispositions de l’article L. 131-5 du Code de la propriété littéraire et artistique, il a subi un préjudice de plus de 7/12. De fait, selon ces dispositions, en cas de cession du droit d’exploitation, lorsque l’auteur aura subi un préjudice de plus de 7/12 dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l’œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat. Cette demande ne pourra être formée que dans le cas où l’œuvre aura été cédée moyennant une rémunération forfaitaire, et la lésion sera appréciée en considération de l’ensemble de l’exploitation par le cessionnaire des œuvres de l’auteur qui se prétend lésé. Cependant, pour la Cour de cassation, « M. X. ne peut être suivi, aucune mesure d’une quelconque lésion ou insuffisance de rémunération ne pouvant être définie, dès lors qu’en premier lieu, sa contribution créative personnelle effective à l’œuvre n’a eu qu’un caractère essentiellement aléatoire et résiduel, et qu’il ne donne aucune espèce d’indication ou de précision sur ce qu’a pu être la consistance réelle, épisode par épisode, de son apport intellectuel, qu’en second lieu, contrairement à ce qu’il invoque, son droit ne peut concerner que les émissions auxquelles il a participé, jusqu’en juin 2003, et non les suivantes pour lesquelles un autre présentateur-animateur a été retenu en ses lieu et place par les producteurs ». Dans ces conditions, « ne rapportant aucune preuve d’un principe de lésion ou d’une insuffisance de rémunération, il ne peut être fait droit, ni à sa demande de liquidation de l’astreinte ordonnée par le juge de la mise en état (qui n’avait pour objectif que de lui permettre de quantifier le montant des ACTUALITÉS CRÉATIONS IMMATÉRIELLES 2548 La qualification d’œuvre de collaboration audiovisuelle appliquée à un jeu vidéo en ligne À suivre le Tribunal de grande instance de Paris, les jeux en ligne constituent une œuvre de collaboration au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle dans la mesure où plusieurs personnes ont concouru à leur réalisation et où il est tout à fait possible d’attribuer un droit distinct au musicien dont la contribution, par le biais de la composition musicale, peut être séparée du reste du jeu vidéo. TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 sept. 2011, Julien F. c/ Sté Prizee.com et a., <www.legalis.net> Un graphiste et compositeur a été embauché en qualité de sound designer par la société Prizee.com. Après avoir été licencié, il a constaté que les musiques qu’il avait créées pour cette plate-forme de jeux en lige destinée à un jeune public étaient exploitées avec les jeux mais également rassemblées sur un CD de compilation et téléchargeable sur différents sites, et ce sans son autorisation. Plus précisément au soutien de son action, il avance plusieurs arguments. Tout d’abord, il indique avoir été embauché en qualité de compositeur et, unique salarié en charge de la production musicale des jeux en ligne, avoir composé l’ensemble des musiques Prizee.com. Concernant la compilation, il relève qu’il bénéfice de la présomption de titularité dès lors qu’il est crédité sur la pochette du disque. Il soutient également avoir bénéficié d’une autonomie créative dans la mesure où il ne disposait que d’une commande accompagnée du thème et de l’ambiance des jeux et rédigeait N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 39 lui-même le sound design et qu’il n’avait donc pas un rôle de simple technicien ou exécutant. Il s’oppose, par ailleurs, à la qualification d’œuvre collective soulevée en défense, ses créations étant parfaitement identifiables, ayant d’ailleurs fait l’objet d’une publication dans un CD. Aussi, il s’agit, compte tenu de son travail en concertation avec la société Prizee.com pour que la musique et les jeux s’accordent, d’œuvres de collaboration. Il fait, enfin, valoir que les musiques en cause sont protégeables au titre du droit d’auteur car elles sont le fruit d’un processus créatif et expriment sa personnalité dans la mélodie, l’harmonie et le rythme. Autant d’arguments qui sont rejetés par la société Prizee.com. Ainsi, elle estime, tout d’abord, que le son et la musique sont des éléments accessoires dans les jeux qu’elle met à la disposition des internautes et ne représentent qu’une part minime du processus de création et qualifie l’activité du requérant de prestataire sonore ; son activité répondant à une commande portant sur la nature, la durée, le poids et le format du son attendu et s’agissant de musique d’atmosphère, de son contexte et de son style. Aussi, elle lui dénie toute qualité d’auteur dans la mesure où il n’a pas été embauché en tant que créateur de musiques mais d’exécutant technique, n’avait pas d’intervention créative, ni d’autonomie dans l’exécution des tâches, son travail étant encadré et se caractérisant par une absence d’autonomie des choix, dans le respect de consignes strictes et impératives. Et d’ajouter que son travail ne portait pas sur des créations d’œuvres originales mais sur l’habillage de jeux vidéo. Elle estime, enfin, que les jeux en ligne constituent des œuvres collectives dans lesquelles les œuvres des membres de l’équipe En bref... Hadopi : le jeu vidéo moins piraté que la musique Selon une étude de la Hadopi, diffusée, le 16 novembre, le jeu en ligne est moins piraté que la musique ou la vidéo. De fait, l’écart entre usages licite et illicite se révèle moins important. Publiée à l’occasion du Congrès de l’institut de l’audiovisuel et des télécoms en Europe à Montpellier, cette étude souligne que « 30 % des internautes ayant déclaré un usage licite ont consommé des jeux vidéo en ligne au cours des 12 derniers mois, contre 46 % de ceux ayant déclaré un usage illicite, soit un écart de 16 points ». La Hadopi rappelle que cet écart atteint 27 points pour la musique (50 % d’usage licite et 77 % d’usage illicite) et 32 points pour la vidéo (39 % d’usage licite et 71 % d’usage illicite). À la question posée qui est de savoir la raison pour laquelle le jeu vidéo est moins touché, sa réponse est la suivante : « L’industrie du jeu vidéo – historiquement tournée vers le 40 se confondent, l’habillage sonore du jeu n’étant pas indépendant du jeu qu’il accompagne. Les arguments qui lui sont soumis conduisent le Tribunal à se prononcer, en premier lieu, sur la qualification des jeux en ligne. Ainsi, il relève que « certains éléments penchent en faveur de la qualification d’œuvre collective au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle puisque les œuvres musicales ont été divulguées sous le nom de la société Prizee, réalisées par un salarié et impliquent une contribution personnelle de chaque auteur. Cependant, l’ensemble des conditions de l’œuvre collective n’est pas réuni, en l’absence de la preuve d’instructions et alors que, contrairement à ce que soutient la société Prizee.com, la musique ne se fond pas dans l’ensemble que constitue le jeu vidéo, puisqu’on peut l’écouter sans jouer, ainsi que l’établit d’ailleurs la commercialisation par la société Prizee.com d’un CD contenant les créations musicales ». Il en déduit que « les jeux en ligne constituent une œuvre de collaboration au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle, plusieurs personnes ont concouru à leur réalisation et qu’il est tout à fait possible d’attribuer un droit distinct [au requérant] dont la contribution par le biais de la composition musicale peut être séparée. Les autres coauteurs, qui ne sont pas identifiés et n’ont pas été mis en cause, aucune des parties ne soulevant de fin de non-recevoir de ce chef, ont réalisé la partie graphique de l’œuvre. La musique des jeux, créée par [le demandeur], fait donc partie d’une œuvre de collaboration audiovisuelle ». Le Tribunal statue, en second lieu sur la protection des œuvres revendiquée par le demandeur. Il rappelle à cette fin que « l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un numérique – a su tirer parti de la rapide transformation des usages en proposant des modèles économiques variés et innovants qui permettent d’élargir les offres en direction du public (…) et les possibilités de financement et de rémunération pour les développeurs et éditeurs. » Universal acquiert la musique enregistrée d’EMI Universal Music, filiale de Vivendi, a annoncé, le 11 novembre, la signature d’un accord définitif avec Citigroup en vue de racheter la branche musique enregistrée de sa concurrente britannique EMI pour un montant total de 1,2 milliard de livres sterling (1,4 milliard d’euros). Cette opération risque cependant de faire l’objet d’un examen long et minutieux par les autorités de la concurrence. Le président du directoire de Vivendi, Jean-Bernard Lévy, en évoquant les signes de redressement observés notamment aux États-Unis, a souligné que « nous pensons que nous faisons cette opération au bon moment du point de vue du cycle de l’industrie musicale ». Et d’ajouter que cette opération aura un impact positif sur les résultats de Vivendi dès sa première année et permettra d’améliorer les marges d’Universal Music. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Hadopi : le jeu vidéo moins piraté que la musique Selon une étude de la Hadopi, diffusée, le 16 novembre, le jeu en ligne est moins piraté que la musique ou la vidéo. De fait, l’écart entre usages licite et illicite se révèle moins important. Publiée à l’occasion du Congrès de l’institut de l’audiovisuel et des télécoms en Europe à Montpellier, cette étude souligne que « 30 % des internautes ayant déclaré un usage licite ont consommé des jeux vidéo en ligne au cours des 12 derniers mois, contre 46 % de ceux ayant déclaré un usage illicite, soit un écart de 16 points ». La Hadopi rappelle que cet écart atteint 27 points pour la musique (50 % d’usage licite et 77 % d’usage illicite) et 32 points pour la vidéo (39 % d’usage licite et 71 % d’usage illicite). À la question posée qui est de savoir la raison pour laquelle le jeu vidéo est moins touché, sa réponse est la suivante : « L’industrie du jeu vidéo – historiquement tournée vers le numérique – a su tirer parti de la rapide transformation des usages en proposant des modèles économiques variés et innovants qui permettent d’élargir les offres en direction du public (…) et les possibilités de financement et de rémunération pour les développeurs et éditeurs. » Informatique I Médias I Communication • OBSERVATIONS • Ce jugement se situe dans la droite ligne de l’arrêt Cyro de la Cour de cassation du 30 septembre 2009 qui avait déjà refusé pour les jeux vidéo la qualification d’œuvre logicielle. Ainsi, elle avait considéré qu’« un jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle quelle que soit l’importance de celle-ci » (Cass. 1re civ., 30 sept. 2009, RLDI 2009/51, n° 16723, obs. L.C). Nous avions alors indiqué que « la Cour de cassation met[tait] un terme aux hésitations jurisprudentielles et aux controverses doctrinales soulevées par la question de la qualification juridique des jeux vidéo ». Aussi, en les considérant comme des œuvres multimédias en raison de leur structure complexe qui ne se résume donc pas à leur seule dimension logicielle ou audiovisuelle, elle s’était par là même prononcée en faveur d’une gestion distributive des droits sur les différents composants des jeux vidéo. Nous avions également souligné que, si cette approche était sans aucun doute plus réaliste en comparaison de l’analyse qu’elle avait pu faire auparavant, la qualification choisie ne mettait pas pour autant fin à toute incertitude ; celle-ci générant à son tour un certain nombre de questions nouvellement posées et laissant subsister de larges zones d’ombre tant sur la qualification appliquée au jeu vidéo qu’au régime juridique qu’il convient de lui appliquer. Pour de substantiels éléments d’analyses, voir comm. Marino L., Sardain F., Azzabi Z, Auroux J.-B. et Matakovic S., Hassler T., in RLDI 2009/52, n° 1735 à n° 1739. Informatique I Médias I Communication On rappellera également que la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 20 septembre 2007, s’était déjà prononcée en ce sens. Excluant la qualification d’œuvre collective, elle avait considéré qu’il était « possible d’attribuer au compositeur [de la musique] des droits d’auteur distincts sur ces œuvres qui, par rapport [au jeu vidéo], est une œuvre de collaboration » au motif que « la musique ne se fond pas dans l’ensemble que constitue le jeu vidéo » (CA Paris, 3e ch. sect. B, 20 sept. 2007, RLDI 2008/34, n° 1130 ; obs. Azzabi Z. ; RIDA 2008, p. 335, obs. Sirinelli P. ; contra Cass. crim., 21 juin 2000, D. 2001, somm., p. 2552, obs. Sirinelli P ; Cass. 1re civ., 27 avr. 2004, Bull. 2004, I, n° 117 ; Propr. intell. 2004, p. 770, obs. Sirinelli P.). C’est ce même raisonnement qu’emprunte ici le Tribunal de grande instance de Paris. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 516 et s., nos 3517 et s. L.C. LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE MARQUES RLDI droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Le droit de l’article susmentionné est conféré, selon l’article L. 112-1 du même code, à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination et en particulier (5°) les compositions musicales avec ou sans paroles. Il déduit de ses dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale ». Dans le même temps, il précise que « lorsque cette protection est contestée en défense, l’originalité d’une œuvre doit être explicitée par celui qui revendique des droits d’auteur, seule cette partie étant à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité ». Et de le déclarer dans ces conditions recevable à agir pour certaines des œuvres musicales en cause. Or, toujours selon le Tribunal, « le fait que ces musiques aient été réalisées à partir de techniques informatiques ne peut empêcher leur protection par le droit d’auteur dès lors qu’il ne s’agit pas d’un simple travail technique mais d’un travail de création. Par ailleurs, la société Prizee.com n’apporte pas la preuve que les compositions musicales dont la protection est sollicitée ont été recopiées au sein de banques de sons, qu’elle s’abstient de verser au débat ». Concernant, en troisième lieu, la contrefaçon, et pour la caractériser, le Tribunal rappelle qu’« aux termes de l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite, et il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». Il relève à cet égard que « la société Prizee.com ne conteste pas avoir représenté et reproduit, sans le consentement [du requérant], les œuvres musicales, que ce soit sur le site internet dont elle est titulaire, à l’occasion de conférences de presse, dans le restaurant qu’elle exploite et par l’exploitation des titres figurant sur la compilation Prizee Music (…) ; qu’aucune pièce ne justifie d’une cession des droits [du demandeur] sur l’exploitation de ses œuvres alors que dans le cadre d’un œuvre de collaboration, cette cession est impérative ». Et de la condamner à lui payer 50 000 € en réparation de son préjudice fondé sur ses droits patrimoniaux d’auteur. ACTUALITÉS CRÉATIONS IMMATÉRIELLES 2549 Utilisation par un moteur de recherche de marques notoires de la SNCF comme marques d’appel En faisant apparaître sur la page d’accueil d’un site internet le signe « SNCF » ainsi que sur une page de résultat de son moteur de recherche un lien commercial intitulé « TGV » et en affichant, après saisie par l’internaute sur la barre URL de son moteur de recherche des signes « SNCF », « TGV », « Transilien », « Voyages-SNCF.com » et « Voyages-SNCF » des liens commerciaux concurrents à des emplacements privilégiés, les sociétés de l’espèce ont porté atteinte aux marques notoires « SNCF », « TGV », « Transilien », « Voyages-SNCF.com » et « Voyages-SNCF » dont la SNCF est titulaire. CA Paris, pole 5, ch. 2, 28 oct. 2011, Sté Tuto4.com c/ SNCF, <www.legalis.net> Ayant découvert qu’un site internet (<www.lo.st>) utilisait et reproduisait sans son autorisation certaines de ses marques qualifiées de notoires afin de diriger le consommateur malgré lui vers des produits et services identiques ou similaires à ceux qu’elle-même propose, la SNCF a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris les exploitant et l’hébergeur de ce site pour atteintes auxdites marques sur le fondement de l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle ; action à laquelle il a fait droit par un jugement du 11 juin 2010, tout en mettant hors de cause les premiers. Si sur ce point son jugement est réformé, il est, en revanche, confirmé à la fois sur la qualification à donner au site internet incriminé ainsi que sur l’atteinte aux marques en cause. Ainsi, il lui revenait de trancher, tout d’abord, une nouvelle fois la question de savoir si la société qui l’héberge doit être qualifiée d’intermédiaire technique ou d’éditeur. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 41 • OBSERVATIONS • Le présent arrêt est riche d’enseignements à plus d’un titre. Nous retiendrons plus spécialement que c’est pour avoir joué un rôle actif dans l’apparition des marques notoires de la SNCF en page d’accueil, dans le but de rediriger les internautes vers des sites concurrents, que le moteur de recherche de l’espèce est lourdement condamné. Les décisions qui ont condamné des moteurs de recherche pour avoir utilisé des marques pour diriger des internautes vers des sites qui ne sont pas ceux des titulaires desdites marques sont désormais nombreuses (parmi les plus illustratives, voir par ex., et dans des situations voisines, CA Versailles, 2e ch., 2 nov. 2006, RLDI 2007/24, n° 22, comm. Martin N, à propos de 42 Google AdWords, de la marque renommée « Belle Literie » ; CA Paris, 4e ch., 28 juin 2006, RLDI 2006/18, n° 529 ; RLDI 2006/18, n° 559, comm. TardieuGuigues É., à propos des marques « Louis Vuitton »). Les exemples pourraient être multipliés… ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 20011, n° 2515, n° 2710, nos 4445 et s. ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 473-18 L.C. RLDI De fait, pour dénier la faute que lui impute la SNCF, elle affirme qu’elle n’a agi qu’en qualité d’intermédiaire technique fournisseur d’hébergement, qu’elle ne propose aucun service de référencement commercial payant auprès des annonceurs puisqu’elle se contente de faire apparaître, par le biais de son interface de recherche LO.ST les résultats naturels et les liens commerciaux. Son argumentation n’est cependant pas reçue pas le Tribunal dans la mesure où, au vu des éléments propres à l’espèce, il résulte que « la société (…) en exploitant le moteur de recherche LO.ST (…), a joué un rôle actif avec la connaissance et le contrôle des données stockées ; elle ne saurait donc être qualifiée de simple fournisseur d’hébergement mais doit se voir reconnaître la qualité d’éditeur ». En effet, à le suivre, « elle ne s’est pas bornée à stocker des informations de nature publicitaire fournies par les annonceurs mais elle a également de façon délibérée inséré dans sa page d’accueil le mot clé SNCF lequel dirigeait l’internaute vers des liens concurrents ». Dans ces conditions, elle ne peut bénéficier du régime de responsabilité limitée instauré par l’article 6-2 de la loi « pour la confiance dans l’économie numérique ». Pour caractériser, ensuite, l’atteinte qui a été commise aux marques notoires en cause, le Tribunal relève plus spécialement que « le moteur de recherche LO.ST propose aux annonceurs à titre de mots clés, à l’identique ou par imitation, les marques notoires de la SNCF. Cette offre faite en connaissance de cause aux annonceurs a pour objet de leur faire bénéficier du pouvoir attractif des marques notoires dont la SNCF est titulaire dans le but d’inciter les internautes à cliquer sur elles en croyant être sur un site officiel de la SNCF, mais en fait, à se voir mener vers des liens commerciaux qui proposent des prestations similaires ou identiques, donc concurrentes à celles de la SNCF, telles que des voyages, des billets de train ou d’avion, des locations de véhicule, des réservations, etc., généralement à des prix bradés ». Il en déduit que « le moteur de recherche LO.ST mis en œuvre par les intimés a certes utilisé les marques notoires pour désigner des produits ou des services authentiques de la SNCF, mais en a fait un usage non conforme comme marques d’appel pour offrir les services d’organismes concurrents, lésant les intérêts, d’une part, du titulaire des marques qui voit celles-ci détournées à des fins mercantiles, d’autre part des internautes qui reçoivent une information erronée qui les éloigne des services proposés par la SNCF ». Et d’en conclure que « la connaissance et la maîtrise des données indexées sur le site internet LO.ST font qu’en reproduisant ou en imitant les marques notoirement connues les sociétés [intimées] ont porté atteinte de façon effective et actuelle aux marques dont la SNCF est propriétaire et ont par conséquent commis une faute qui engage leur responsabilité civile ». Elles sont en conséquence condamnées à lui verser 250 000 € à titre de dommages et intérêts. 2550 À vos marques, le sport, ce n’est pas du jeu Les services de paris en ligne ne sont pas nécessairement associés aux événements sportifs. Le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ne saurait confondre ou attribuer une origine commune aux signes « GOAL » et « GOAL AN’MILE ». CA Versailles, 12e ch., 22 nov. 2011, n° 11/01718, SA La Française des Jeux c/ INPI, <www.lamyline.fr> La Française des Jeux, titulaire de la marque verbale communautaire « GOAL », forme une action en opposition du dépôt de la marque verbale « GOAL AN’MILE », rejetée par le directeur de l’INPI au motif qu’il n’y a pas similarité entre les activités sportives visées par la demande d’enregistrement et les jeux, organisation de loteries et autres jeux de hasard de la marque appartenant à la demanderesse. S’ensuit un recours dans lequel La Française des Jeux soutient qu’il existe un lien étroit entre le jeu et le sport. Les juges versaillais considèrent que « la complémentarité suppose l’existence d’une relation étroite et nécessaire susceptible de générer un risque de confusion et non pas un simple lien éventuel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que les services de paris en ligne ne sont pas nécessairement associés aux événements sportifs ». De même, « la société La Française des Jeux ne saurait prétendre à la similarité des services de photographie de la marque antérieure et les services de production d’émissions de télévision, les seconds n’ayant pas obligatoirement recours aux premiers, de même que les premiers sont généralement rendus indépendamment des seconds ». Et, elle ne saurait soutenir qu’ils relèvent de la catégorie plus générale du divertissement puisque les services de divertissement ne figurent pas dans la marque antérieure. Ainsi, « cette société ne peut invoquer le lien qu’elle a fait dans son acte d’opposition, entre les services d’informations en matière de divertissement de la demande d’enregistrement et les services de divertissement lesquels ne sont pas visés au dépôt de la marque première ». Concernant la comparaison des marques et le risque de confusion allégué, les juges apprécient les deux marques, l’une portant sur la dénomination verbale « GOAL » en lettres majuscules d’imprimerie droites et noires tandis que la demande d’enregistrement est constituée du signe verbal, présenté en lettres majuscules droites et noires « GOAL AN’MILE ». Ils relèvent que « si le terme “GOAL” revêt un caractère dominant dans la marque antérieure en tant que seul élément verbal R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication permettant de désigner celle-ci, tel n’est pas le cas dans le signe contesté où cette dénomination se trouve accompagné des termes “AN’MILE” ». En effet, les vocables « AN’MILE » sont arbitraires et « tout aussi perceptibles, individualisables et distinctifs” ; “visuellement, les deux signes diffèrent par leur longueur et leur structure” ; “phonétiquement, les signes se différencient par des rythmes distincts, un temps pour la marque première et trois temps pour le signe contesté » ; enfin, « conceptuellement, si la marque antérieure évoque la notion de but, le signe second n’a pas de signification propre, le vocable GOAL étant perçu comme faisant partie d’une expression anglo-saxonne ». Et d’en conclure que « les signes en présence produisent une impression d’ensemble différente qui exclut tout risque de confusion, le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé n’étant pas conduit à confondre, voire à associer les deux signes et à leur attribuer une origine commune » et « la seule reprise du terme GOAL au sein du signe contesté n’est pas de nature à créer un risque de confusion ». ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 2506 et s. RLDI M.T. 2551 Gare aux politiques de référencement naturel trop audacieuses ! Constitue un acte de concurrence déloyale la multiplication de sites satellites comportant des mots clés de nature à placer son nom de domaine en tête des moteurs de recherche. CA Douai, 1re ch., 2e sect., 5 oct. 2011, Sté. Saveur Bière c/ Céline S. et a., <www.legalis.net> Une société de vente à distance de bière, la société Sélection Bière, propriétaire du nom de domaine <selection-biere.com>, se plaint de la politique de référencement d’un de ses concurrents, la société Saveur Bière, qui utilise un nom de domaine similaire au sien – <selectionbiere.com> – redirigeant les internautes vers son site <saveur-biere.com> qui, de surcroît, est positionné en tête de liste des pages de résultat du moteur de recherche Google grâce à la création de sites satellites (<misterbiere.com>, <in2beers.com>, <mister-biere.com>, <esprit-biere.com>, <couleur-biere. com>, <couleursbieres.com>, <monsieurbiere.com>, <aufrigo.fr>) contenant uniquement des mots clés, notamment le nom de domaine <selectionbiere.com> et des mentions élogieuses de ses produits. Dans un jugement rendu par le Tribunal de Roubaix-Tourcoing, elle obtient la condamnation de cette société pour concurrence déloyale et le transfert, sous astreinte, du nom de domaine <selectionbiere.com>. La société Saveur Bière interjette appel de la décision. Concernant le transfert du nom de domaine <selectionbiere. com>, la Cour d’appel de Douai infirme le jugement après avoir rappelé que l’usage d’un nom de domaine est « soumis à l’action en responsabilité délictuelle de droit commun régie par l’article 1382 du Code civil, qui suppose la démonstration Informatique I Médias I Communication d’une concurrence déloyale par un usage excessif de la liberté du commerce par des procédés qui rompent l’égalité dans les moyens de la concurrence ». Or, « ces deux termes [sélection et bière] pas plus que leur association ne présentent de caractère distinctif par rapport à l’objet du site désigné, qu’ils évoquent en eux-mêmes, ni ne permettent l’identification d’une entreprise particulière ; que dans ces conditions, il ne peut être fait grief aux intimés d’en avoir fait usage ». Mais, constatant que « lorsque l’on saisit différents mots clés identiques ou similaires à selection bière dans les différents moteurs de recherche (Google, Yahoo !, Voila, MSN, AOL, Altavista, Excite, Alltheweb, Lycos) ce sont les sites <selectionbiere.com> et <saveur-biere>, ou les sites qui leur sont liés qui apparaissent ». Et de constater que les sites <misterbiere.com>, <in2beers. com>, <mister-biere.com>, <esprit-biere.com>, <couleur-biere.com>, <couleursbieres.com>, <monsieurbiere. com> lui appartenant, « n’offrent aucun service, sinon de proposer une suite de liens renvoyant sur le site principal de la société Saveur Bière ». Sachant que « les moteurs de recherche classent les sites selon leur indice de popularité calculé en fonction du nombre de liens pointant vers eux qu’en outre ces sites dits satellites comportent un grand nombre de fois le mot clé “bière” indicatifs retenus par les moteurs de recherche pour élaborer le classement en page de résultats », il ressort que « l’ensemble de ces techniques est destiné à tromper les moteurs de recherche sur la qualité d’une page ou d’un site afin d’obtenir par un mot clé donné, un bon classement dans les résultats de moteurs ». Pour leur défense, « les intimés exposent que cet excellent référencement s’expliquerait par les dépenses engagées pour la notoriété de leur site mais ne produisent qu’une copie d’un document élaboré par eux-mêmes répertoriant des sommes censées représenter des frais de publicité auprès de différents supports pour les années 2007 et 2008 qui n’offre toutefois aucun caractère probant dès lors qu’il n’est confirmé par aucun document comptable ». Et les juges d’en conclure qu’« en multipliant la réservation de noms de domaine comportant à de nombreuses reprises le terme “bière” favorisant la création de liens orientant vers leur nom de domaine, le plaçant de ce fait en tête des moteurs de recherche, Julien L. et la SARL Saveur Bière ont commis des actes de concurrence déloyale en privant le site appartenant à Céline S., qui exerce dans le même secteur d’activité, d’être normalement visité ». La société est condamnée sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt à supprimer les sites satellites du site <saveur-biere.com>. Ainsi, la demande tendant à voir supprimer le nom de domaine <selectionbiere.com> dans ces sites satellites devient donc sans objet. Enfin, « affirmant faussement sur leur site <saveur-biere.com> que les nouveaux produits qu’ils commercialisent sont plus fiables que les anciens produits, qui sont ceux commercialisés sur le marché allemand et distribués par Céline S., la SARL Saveur Bière et Julien L., en leur qualité de propriétaire du nom de domaine et d’exploitant du site, commettent des actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale au préjudice de leur concurrente dont les produits sont signalés comme déficients ». Ainsi, « la captation par Julien L. et la SARL Saveur Bière de clients potentiels par la redirection vers le site internet <saveurbiere. com> par le biais de sites satellites dont c’est la seule finalité N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L ACTUALITÉS CRÉATIONS IMMATÉRIELLES > 43 et le dénigrement des pompes à bière qu’elle commercialise ont causé à Céline S., leur concurrente, un préjudice commercial et une atteinte à l’image de sa société qui seront justement indemnisés par l’allocation de la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ; que le jugement sera donc infirmé de ce chef ». Enfin, la demande d’indemnisation des appelants liée à la publicité détournée auprès de l’ensemble des internautes se connectant sur la page d’accueil du site est rejetée par les juges, la décision de première instance étant partiellement confirmée, « ils ne peuvent invoquer aucun dommage ni faute de l’intimée à l’origine de ce dommage ». • OBSERVATIONS • L’amélioration du classement des sites web dans les résultats des moteurs de recherche est d’une importance capitale pour les entreprises. Cette activité d’optimisation du référencement, appelée référencement naturel ou SEO, acronyme de Search Engine Optimization, dépend des algorithmes utilisés par les robots d’indexation des moteurs de recherche et propres à chacun d’eux : mots clés, métatags, liens extérieurs pointant vers le site, recherches antérieures, etc. (pour une définition, voir CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08). En comprenant les critères d’indexation des pages de sites web, en choisissant des expressions clés et des noms de domaine pertinents, on augmente sa visibilité sur les moteurs de recherche, En bref... Universal acquiert la musique enregistrée d’EMI Universal Music, filiale de Vivendi, a annoncé, le 11 novembre, la signature d’un accord définitif avec Citigroup en vue de racheter la branche musique enregistrée de sa concurrente britannique EMI pour un montant total de 1,2 milliard de livres sterling (1,4 milliard d’euros). Cette opération risque cependant de faire l’objet d’un examen long et minutieux par les autorités de la concurrence. Le président du directoire de Vivendi, Jean-Bernard Lévy, en évoquant les signes de redressement observés notamment aux États-Unis, a souligné que « nous pensons que nous faisons cette opération au bon moment du point de vue du cycle de l’industrie musicale ». Et d’ajouter que cette opération aura un impact positif sur les résultats de Vivendi dès sa première année et permettra d’améliorer les marges d’Universal Music. Marché de la musique : la progression continue des ventes numériques Telle est l’une des principales tendances révélées par les chiffres du Syndicat de l’édition phonographique (Snep), le 16 novembre. Elles progressent ainsi fortement (+ 22,7 %). Dans le même temps, le marché de la musique enregistrée a reculé de 5,6 % au cours des neuf premiers mois de 2011. Ainsi, sur les neuf premiers mois de l’année, le marché de gros de la musique enregistrée a représenté au total 321,3 millions d’euros contre 340,4 millions d’euros pour la même période de l’année précédente, a précisé David El Sayegh, directeur général du Snep lors d’un point presse. 44 à moindres frais, sans recourir aux adwords (SEM pour Search Engine Marketing). En l’espèce, une société de vente à distance de bières avait eu l’idée de créer une dizaine de sites satellites avec des noms de domaine évocateurs de son activité dans le but d’augmenter le ranking du site principal. Cette idée n’est pas sans rappeler les effets du SMO (pour Social Media Optimization) qui permettent d’obtenir des liens « naturellement » en incluant son site dans une communauté. Cependant, les juges ont condamné purement et simplement cette pratique considérant qu’elle était constitutive de concurrence déloyale. La solution est vivement critiquée par la doctrine et source de nombreux questionnements. Par exemple, pour justifier la concurrence déloyale, faut-il démontrer que les sites satellites sont uniquement destinés à optimiser le référencement d’un site principal (voir Haas G., Lorsque la concurrence vire à la mise en bière, <http://www. haas-avocats.com>) ? Et quid du préjudice réel subi par les concurrents ? Sachant qu’en l’espèce le préjudice commercial n’est nullement quantifié alors que « les pratiques destinées à être visibles sur les moteurs ne peuvent être jugées déloyales qu’à la condition d’être effectivement à l’origine d’un préjudice pour un concurrent » (voir Manara C., Une société sanctionnée pour son référencement… ou quand il est mal vu d’être bien vu, D. Actu., 2 déc. 2011 et, spéc., CA Paris, 13 mars 2002, D. 2002, p. 1752, obs. Manara C.) ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 2710. M.T. Les ventes physiques continuent de s’effondrer avec une chute de 12,2 % à 242,2 millions d’euros (275,9 millions d’euros en 2010). En revanche, les ventes numériques augmentent de 22,7 %, à 79,1 millions d’euros. Pour David El Sayegh et Denis Ladegaillerie (directeur général et président du Snep), il s’agit d’« une tendance qui devrait se confirmer » dans les mois à venir. La part du marché du numérique s’établit désormais à 24,6 % contre 18,6 % en 2010. Sur ce segment, les revenus tirés des abonnements ont bondi de 87,9 %, à 17,7 millions d’euros, et représentent désormais 22,5 % des revenus numériques, contre 14,6 % au cours des neuf premiers mois cumulés de 2010. Les revenus du streaming (diffusion en continu), financés par la publicité, ont augmenté de 45,7 %, à 9,8 millions d’euros, et représentent 12,4 % des revenus numériques, contre 10,4 % pour les neuf premiers mois de l’année 2010. Les téléchargements à l’unité restent la principale source de revenus numériques (51,1 % de ce segment) mais baissent un petit peu (53,9 % pour les neuf premiers mois de l’année 2010). Les revenus tirés de la téléphonie mobile (sonneries…), un marché en fin de cycle, poursuivent leur baisse (– 18 %, soit – 2,4 millions d’euros). Et de souligne que « le marché du numérique est conditionné par le streaming et l’abonnement qui représentent plus d’un tiers de ce marché ». À terme, ils espèrent « que le numérique tire l’ensemble du marché de la musique enregistrée vers le haut » en mettant en place de nouveaux outils et notamment des « services à forte valeur ajoutée ». Chanson française à la radio : l’exception culturelle renforcée Si les radios sont libres d’assurer la programmation de leurs antennes, elles sont toutefois tenues par la loi de R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 respecter une proportion de diffusion de chansons d’expression française et d’en fournir chaque mois le décompte au Conseil au nom de l’exception culturelle française. Dans ce cadre, les professionnels de la filière musicale, les organisations professionnelles des producteurs phonographiques et des opérateurs radiophoniques sont convenus avec le CSA de nouvelles mesures en faveur d’une exposition accrue des chansons d’expression originale française. Les conventions des radios comporteront plusieurs mesures destinées à promouvoir l’exception culturelle. La période durant laquelle un titre bénéficie de la qualification de « nouvelle production » est portée de six à neuf mois. La définition conventionnelle des « nouveaux talents » est inchangée. Pour permettre une meilleure exposition des artistes d’expression française, les heures d’écoute significative le weekend sont écourtées et seraient fixées de 8 heures à 22 h 30 le samedi et le dimanche au lieu de 6 h 30 à 22 h 30. À partir du 1er janvier 2012, seuls les titres musicaux dont la durée de diffusion sera d’au moins deux minutes (une minute aujourd’hui) seront prises en compte par le CSA, ainsi que ceux d’une durée inférieure à deux minutes dès lors qu’ils seront diffusés dans leur intégralité. Un délai de trois mois est prévu pour permettre aux éditeurs d’adapter leur programmation. Enfin, le CSA souhaite que l’Observatoire de la musique prenne en compte, dans son panel, de nouvelles stations musicales originales en termes de genres musicaux exposés (42 stations contre 31 actuellement). Et les producteurs s’engagent avec la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) à communiquer à l’Observatoire de la musique des données chiffrées relatives à la production francophone annuelle de nouveautés par genre musical (CSA, communiqué, 10 nov. 2011). Informatique I Médias I Communication SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DE Pierre Sirinelli, Professeur à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne Michel Vivant, Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris L e rapport du sénateur François Trucy sur l’évaluation de la loi du 12 mai 2010 relative à la concurrence et la régulation des jeux d’argent et de hasard en ligne a été approuvé, le 15 octobre, par la Commission des finances du Sénat (JO doc. Sénat, n° 17). Ce rapport intervient après ceux de Jean-François Lamour, de l’Autorité de régulation des jeux en ligne et du Livre blanc de l’Association française des jeux en ligne. Il est aussi le quatrième document lié au secteur à recommander que la taxation des opérateurs bascule d’un impôt sur les mises vers une taxe sur le produit brut des jeux. ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL De fait, et plus précisément, il dresse, tout d’abord, le bilan de l’application de la loi, se félicitant d’avoir tenu un calendrier impossible, et que des modalités d’application aient été rapidement fixées, à quelques exceptions près. En revanche, il regrette que des conventions pluriannuelles avec les opérateurs historiques n’aient toujours pas été signées et que l’installation d’un Comité consultatif des jeux ait pris un retard inacceptable. Il formule également 69 propositions qui permettraient de parfaire l’atteinte des objectifs recherchés par le législateur : développer une concurrence loyale du marché des jeux et des paris en ligne tout en apportant le maximum de sécurité aux joueurs et en préservant les intérêts – notamment financiers – de l’État et des différentes filières concernées. Ainsi, afin de trouver un meilleur équilibre pour l’activité des opérateurs légaux, il propose principalement de maintenir l’interdiction des jeux de chance et de hasard en ligne et d’évaluer le niveau de dépendance lié à l’offre correspondante de la Française des jeux ; d’amorcer rapidement une réflexion sur l’intégration des jeux d’habileté en ligne dans le champ du régime d’agrément de la loi du 12 mai 2010 et de la surveillance de l’Arjel ; de retenir l’assiette du produit brut des jeux (PBJ) pour les jeux en ligne tout en maintenant le principe du plafonnement du TRJ. Dans une phase ultérieure, il préconise d’appliquer la même assiette aux paris hippiques et sportifs du réseau physique. Si l’assiette du PBJ est mise en œuvre, il appartient au Gouvernement de fixer le nouveau taux du prélèvement, dans le cadre d’un arbitrage entre la sécurité fiscale à court terme et une possible redynamisation du marché légal. On notera cependant qu’il reste favorable au maintien de la fiscalité actuelle. Si l’assiette des mises est maintenue, le taux de prélèvement fiscal applicable aux paris sportifs pourrait être aligné sur le nouveau taux des paris hippiques, soit 4,6 %. Afin de renforcer la lutte contre la fraude et l’offre illégale, le rapport propose notamment de promouvoir les solutions techniques dites « d’identification forte » des joueurs en ligne, sans pour autant leur donner force de loi ; de demander à l’Arjel qu’elle intensifie ses investigations sur l’existence de « robots informatiques » et le degré de menace qu’ils représentent pour l’authentification des joueurs ; de renforcer les mises à disposition d’agents investis de pouvoirs de police judiciaire auprès de l’Arjel. Enfin, quant à ses pouvoirs, à son efficacité et à sa transparence, il recommande principalement de la doter de la personnalité morale, ou à défaut de consacrer un droit d’action civile de son président en cas de publicité pour un site illégal, quels que soient les jeux et paris en ligne en cause ; d’octroyer au collège de l’Arjel, en cas d’urgence et de manquement d’une particulière gravité, la faculté de prendre, dans des délais brefs et sous le contrôle de la Commission des sanctions, une mesure conservatoire à l’encontre d’un opérateur, consistant en une suspension provisoire de l’agrément, l’interdiction de tout ou partie de l’offre de jeux ou la modification de ses caractéristiques. La décision du collège devrait être motivée et rendue publique, et serait susceptible de recours. Le Comité consultatif des jeux dont le sénateur François Trucy assure la présidence devait examiner ce rapport et se prononcer sur les propositions ainsi faites. Sur ce même terrain, on relèvera que le Gouvernement, ainsi que l’a prévu la loi du 12 mai 2010, a publié, le 2 novembre, un rapport d’évaluation sur l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne 18 mois après avoir promulgué la loi (<www.budget.gouv.fr>). Il décrit ainsi la politique des jeux mise en œuvre en France depuis la promulgation de la loi et, après un état des lieux du secteur, 49 recommandations sont formulées pour parfaire l’équilibre entre la volonté d’ouvrir le secteur dans des conditions suffisamment attractives pour assécher le marché illégal et la volonté d’exclure du champ de l’ouverture toute activité risquée pour la santé des joueurs, sensible au blanchiment d’argent ou constituant une menace pour l’intégrité des compétitions sportives. À suivre… Lionel COSTES Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 45 PPar Luc L GRYNBAUM RLDI Professeur à l’Université Paris-Descartes Directeur du master II Droit des activités numériques Doyen honoraire de la Faculté de droit de La Rochelle L 2552 Le monopole du PMU sur les courses hippiques hors internet soumis à conditions par la Cour de justice Retour sur la décision de la CJUE du 30 juin dernier qui a considéré qu’un monopole sur les paris hippiques hors hippodromes pouvait être justifié dans certains pays de l’Union européenne et en explicite les conditions, dans un contentieux opposant le PMU à la société de droit maltais Zeturf. CJUE, 30 juin 2011, aff. C-212/08, RLDI 201/75, n° 2491 ’arrêt du 30 juin 2011 de la Cour de justice a été rendu sur une question préjudicielle émanant du Conseil d’État qui avait à connaître d’un recours de la société Zeturf. Cette dernière organise des courses en ligne depuis son site installé à Malte et demandait de déclarer nul le monopole du PMU pour organiser les paris sur course hippiques en dehors des champs de courses. Ce monopole trouve sa source dans la loi du 2 juin 1891 et le décret n° 97-456 du 5 mai 1997. Le Conseil d’État a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle par arrêt du 9 mai 2008 afin de savoir si la Cour de justice estimait ce monopole conforme aux articles 49 et 50 du Traité CE relatifs à la libre prestation de services. Cette saisine présente la particularité d’être intervenue avant l’adoption de la loi du 12 mai 2010 sur les jeux et paris en ligne (1). Ce texte a ouvert à la concurrence les paris sportifs, le pari mutuel sur courses hippiques et les jeux de cercles en ligne. La loi du 12 mai 2010 a donc ouvert une brèche dans le monopole du PMU, tout en précisant quelques principes. L’article 1er de la loi a fixé le cadre dans lequel l’État a inscrit son action. Après avoir affirmé que « les jeux d’argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire » ; il est ajouté qu’ils « font l’objet d’un encadrement strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs ». On retrouve ces objectifs dans l’arrêt de la Cour de justice pour justifier l’existence d’un monopole. L’article 3, I, de la loi du 12 mai 2010 développe encore les buts poursuivis par le législateur en ajoutant que l’État s’est fixé pour objectif de « limiter et d’encadrer l’offre et la consommation des jeux et d’en contrôler l’exploitation » afin de « prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs » ; d’« assurer l’intégrité, la fiabilité et la trans- parence des opérations de jeu » ; de « prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » et enfin de « veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d’éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ». Ces dispositions déterminent donc les missions de maintien de l’ordre public qui appartiennent à l’État et qui justifient son intervention : prévention des risques pour les joueurs, a fortiori mineurs, et lutte contre la criminalité. Cette motivation n’est pas inutile car elle vise non seulement à justifier une législation dont le principe de libéralisation des jeux est discutable dans l’ordre interne, mais encore fonde le contrôle de l’État français sur cette activité au regard des exigences de liberté de marché du droit européen. L’article 4 donne les définitions du pari hippique ou du pari sportif organisé en France ou à l’étranger ; ces derniers reposent sur l’exactitude du pronostic des parieurs. Le périmètre des activités de jeux et paris ouverts à la concurrence et ceux restant sous monopole est défini à l’article 3, II. Tout d’abord le principe demeure que les jeux et paris réalisés grâce à des installations physiques restent soumis aux dispositions législatives actuelles (2). C’est-à-dire que les paris hippiques qui ne se réalisent pas par internet et sont pris en dehors des hippodromes demeurent le monopole PMU. L’arrêt rendu par la Cour de justice, le 30 juin 2011, dans une affaire qui a été introduite avant la libéralisation des paris par internet, présente donc un intérêt certain pour l’avenir de ce monopole. Ce dernier est-il justifié pour les paris qui ne sont pas pris par internet ou sur les hippodromes ? Plus exactement, le Conseil d’État avait posé deux questions à la Cour de justice. La Haute Juridiction administrative demandait si les efforts de publicité réalisés par le titulaire d’un monopole n’étaient pas contraires aux objectifs de lutte contre le développement du jeu, dès lors susceptibles de remettre en (1) Loi n° 2010-476, 12 mai 2010, relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8881. La loi est complétée par les décrets n° 2010-481, du 12 mai 2010 relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’Autorité de régulation des jeux en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8927 ; n° 2010-482, 12 mai 2010, fixant les conditions de délivrance des agréments d’opérateur de jeux en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8930 ; n° 2010-483, du 12 mai 2010 relatif aux compétitions sportives et aux types de résultats sportifs définis par l’Autorité de régulation des jeux en ligne, JO 13 mai 2010, p. 8932. (2) La loi du 2 juin 1891 sur les courses hippiques connaît des modifications par les articles 56 et 57 de la loi mais qui ne remettent pas en cause le monopole du PMU sur les paris qui n’ont pas lieu en ligne. 46 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication jeu, il serait alors possible de « segmenter » le marché. Les cause la justification du monopole. Il était ensuite soulevé effets du monopole pourraient être appréciés hors internet la question du champ d’appréciation de l’atteinte portée à et hors hippodrome. la liberté de prestation de services par le monopole. Cette Cet arrêt est à replacer dans le courant jurisprudentiel initié atteinte devait-elle s’apprécier à l’égard de la seule offre par par la Cour de justice et la politique extrêmement libérale de internet ou bien plus largement en considérant l’ensemble du la Commission sur la question des jeux. secteur des paris hippiques. En effet, la France faisait l’objet depuis le 12 octobre 2006 La réponse de la Cour de justice est assez nuancée. Elle d’une action en manquement initiée par la Commission euréaffirme que le monopole conféré à un opérateur par un ropéenne qui lui demandait d’expliquer si sa législation sur État membre est possible dès lors qu’il permet d’atteindre les paris sportifs n’était pas contraire au principe de la libre les objectifs de lutte contre la criminalité et de lutte contre circulation des services. Cette position de la Commission avait l’assuétude au jeu des consommateurs. Toutefois, il convient été reprise un temps par la jurisprudence communautaire. Un de veiller à ce que l’État membre poursuive véritablement de premier arrêt, Zenatti (3), assez nuancé, avait décidé que « les tels objectifs en instaurant un monopole ; que cet État contrôle étroitement l’institution investie du monopole afin de veiller dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services à ce que cette dernière poursuive également ces objectifs. En ne s’opposent pas à une législation nationale qui réserve à ceroutre, la publicité réalisée par le détenteur du monopole ne tains organismes le droit de collecter des paris sur les événements peut se justifier qu’en montrant que le sportifs, telle que la législation italienne, développement des jeux exclusivement si cette législation est effectivement justiCet arrêt est à replacer par ce dernier permet de lutter contre la fiée par des objectifs de politique sociale dans le courant criminalité et l’assuétude au jeu. Cette visant à limiter les effets nocifs de telles jurisprudentiel initié par publicité ne peut être que mesurée et activités et si les restrictions qu’elle imla Cour de justice et la limitée à la nécessité de canaliser les pose ne sont pas disproportionnées au politique extrêmement consommateurs vers ces jeux licites. regard de ces objectifs ». Il en résultait libérale de la Commission En effet, il a souvent été reproché que les limitations étatiques aux jeux et au PMU d’encourager le jeu par des paris étaient justifiées dès lors qu’elles sur la question des jeux. campagnes publicitaires très incitatives. obéissaient exclusivement à l’objectif de La Cour de justice admet donc la publicité par les titulaires de restriction de la pratique du jeu ou pari. Puis, dans les arrêts monopoles si elle est de nature à empêcher le développement Gambelli (4) et Placanica (5) la Cour de justice s’était montrée de jeux non contrôlés, notamment ceux qui seraient proposés beaucoup plus défavorable à ces restrictions. Aux termes de ces par des organisations criminelles. arrêts, une législation nationale « qui interdit l’exercice d’activités Sur la seconde question relative à la manière d’apprécier de collecte, d’acceptation, d’enregistrement et de transmission de la restriction de concurrence engendrée par le monopole, la propositions de paris, notamment sur les événements sportifs, en Cour de justice distingue, au-delà du cas de la France, deux l’absence de concession ou d’autorisation de police délivrées par types de dispositifs législatifs. Quand la législation nationale l’État membre concerné » constituait une violation des articles instaure un monopole général, quelle que soit la modalité de 43, sur la liberté d’établissement, et 49, sur la libre prestation prise de paris, il faudrait juger de l’atteinte à la libre prestation de services. Il appartenait donc aux juridictions nationales « de de services en prenant en considération tous les marchés : par vérifier si une telle réglementation, au regard de ses modalités internet ou non. Toutefois, la Cour ajoute qu’il ne doit pas être concrètes d’application, répond véritablement aux objectifs procédé ainsi s’il est démontré qu’internet risque d’accroître susceptibles de la justifier et si les restrictions qu’elle impose la propension au jeu par rapport aux canaux traditionnels. n’apparaissent pas disproportionnées au regard de ces objectifs ». La Cour prévoit ensuite le cas d’une législation nationale qui La jurisprudence communautaire avait été reprise par la s’applique indifféremment aux paris pris en ligne ou non. Dans Cour de cassation qui, dans un arrêt du 10 juillet 2007 (6), ce dernier cas il faut apprécier l’atteinte à la libre prestation de avait censuré l’arrêt d’appel qui avait admis le monopole du services sans distinguer selon que le pari est pris par internet PMU en demandant à la Cour de renvoi de vérifier si cette ou par les autres moyens. situation correspondait à une véritable politique sociale de La France ayant adopté une législation qui distingue restriction du jeu et de rechercher si les autorités nationales entre internet et hors internet, il convient au Conseil d’État ont adopté une politique expansive dans le secteur des jeux d’appliquer la première branche de l’alternative. C’est-à-dire afin d’augmenter les recettes du Trésor public. En outre, la qu’en principe l’atteinte que porte le monopole du PMU à la Cour de cassation avait indiqué que la Cour de renvoi devait libre prestation de services s’apprécie sur le marché considéré vérifier si l’État membre d’origine de l’organisateur des paris, dans son ensemble : hors internet et internet. Toutefois, Malte en l’espèce, n’avait pas déjà pris des mesures afin de s’il est démontré qu’en France, l’offre de paris hippiques limiter les occasions de jeu et prévenir l’exploitation de ces par internet est susceptible d’augmenter la propension au activités à des fins criminelles ou frauduleuses. ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL > (3) CJCE, 21 oct. 1999, Zenatti, aff. C-67/98, <www.curia.europa.eu/jurisp>. (4) CJCE, 6 nov. 2003, Gambelli, aff. C-243-01, JOCE 10 janv. 2004, n° C 7, p. 7, <www.curia.europa.eu/jurisp>. (5) CJCE, 6 mars 2007, aff. jtes. Placanica, aff. C-338-04, Pallazzese, aff. C-359-04, Sorricchio, aff. C-360-04, <www.curia.europa.eu/jurisp>. (6) Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-13986, arrêt Zeturf, Bull. civ. IV, n° 186. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 47 LE MONOPOLE DU P M U SU R LES COU R SES H I P P IQU ES HOR S I NTER N ET (…) Cette jurisprudence défavorable au monopole a été remise en cause par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne Santa Casa dans lequel il a été décidé que « l’article 49 CE ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui interdit à des opérateurs, comme Bwin International Ltd., établis dans d’autres États membres, où ils fournissent légalement des services analogues, de proposer des jeux de hasard par l’internet sur le territoire dudit État membre » (7). Cet arrêt, qui constitue un revirement de jurisprudence, a légitimé les législations nationales restrictives, motif pris de la lutte contre la fraude et la criminalité. Il a rouvert ainsi une large possibilité de contrôle strict des États membre sur l’activité de jeux et paris. Il semble que l’arrêt Santa Casa (8) aurait sans doute permis de maintenir le statu quo en justifiant les monopoles existants notamment par le souci de lutter contre le développement du jeu. Toutefois, cette position attentiste n’aurait sans doute pas été efficace pour encadrer l’offre de jeux en ligne réalisée par des prestataires établis en dehors des frontières hexagonales. La réponse législative était donc nécessaire. La réponse de la Cour de justice aux questions posées par le Conseil d’État invite le PMU à démontrer devant le Conseil d’État qu’il est justifié de maintenir son monopole pour les paris hors internet et hippodromes. Pour cela, il doit d’abord prouver qu’internet constitue un facteur d’accroissement de la demande de jeux ce qui fondera le traitement séparé du marché internet et hors internet. Il faudra enfin que le PMU explique que ses campagnes publicitaires visent à canaliser la demande des consommateurs vers l’offre légale et la détourner d’une offre qui serait illicite. C’est au prix de cette construction juridique dictée par la Cour de justice que le PMU sauvera son monopole. ◆ (7) CJCE, 8 sept. 2009, aff. C-42/07, Liga Portuguesa de Futebol Profissional, Bwin International Ltd. c/ Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericórdia de Lisboa, D. 2009, p. 2585, note Clergerie J.-L. ; Idot L., Ouverture à la concurrence des jeux en ligne : la Cour de justice redistribue les cartes ?, Europe 2010, n° 10, p. 2 ; notre commentaire, in RLDI 2009/53, n° 1762 ; Verbiest T., Monov M., in RLDI 2009/54, n° 1809 ; Forti V., in RLDI 2009/54, n° 1810. (8) Précité. 48 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication Décision (extraits) Arrêt de la Cour (8e chambre), 30 juin 2011 « (…) JOUE, 27 août 2011, n° C-252/2 Dans l’affaire C-212/08, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 9 mai 2008, parvenue à la Cour le 21 mai 2008, dans la procédure Zeturf Ltd contre Premier ministre, (…) La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 CE et 50 CE. 2. – Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Zeturf Ltd (ciaprès « Zeturf »), une société de droit maltais, au Premier ministre français à propos d’une décision implicite de ce dernier portant refus de procéder à l’abrogation de mesures nationales conférant un monopole, en France, pour la gestion des paris hippiques hors hippodromes au groupement d’intérêt économique Pari mutuel urbain (ci-après le « PMU »). (…) Le litige au principal et les questions préjudicielles 26. – Zeturf est une société prestataire de services de paris hippiques sur internet. Elle bénéficie d’une licence délivrée par l’Autorité maltaise de régulation des jeux de hasard et propose, notamment, des paris sur des courses hippiques françaises à partir de son site internet. 27. – Le 18 juillet 2005, Zeturf a demandé au ministre de l’Agriculture d’abroger l’article 27 du décret de 1997, en particulier le premier alinéa de cet article, conférant au PMU un monopole pour la gestion des paris hippiques hors hippodromes. 28. – Ledit ministre n’ayant pas répondu à cette demande, il en est résulté une décision implicite de rejet que Zeturf a attaquée devant la juridiction de renvoi. Cette société a également demandé à la juridiction de renvoi d’enjoindre au Premier ministre et au ministre de l’Agriculture, sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, d’abroger le premier alinéa dudit article 27. 29. – Le recours introduit par Zeturf devant le Conseil d’État est notamment fondé sur une violation de la libre prestation des services garantie par l’article 49 CE. 30. – La juridiction de renvoi a constaté à cet égard que l’article 27, premier alinéa, du décret de 1997 constitue une restriction à la libre prestation des services en ce qu’il est de nature à limiter, pour les prestataires d’un État membre autre que la République française, l’exploitation des paris hippiques hors hippodromes en France. 31. – Elle reconnaît toutefois qu’une telle restriction peut être admise au titre des Informatique I Médias I Communication mesures dérogatoires prévues par le traité CE ou justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général si elle répond aux exigences imposées par le droit de l’Union quant à sa proportionnalité. 32. – Devant la juridiction de renvoi, Zeturf soutient notamment que les autorités nationales compétentes n’ont pas démontré l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général justifiant ladite restriction, que, même en supposant qu’elle puisse être établie, cette restriction n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis et que le PMU conduit une politique commerciale expansionniste fondée sur l’incitation au jeu et à la dépense qui n’est pas cohérente avec les buts de la réglementation nationale applicable. 33. – En revanche, lesdites autorités font valoir, devant la juridiction de renvoi, que le monopole conféré au PMU a pour but la protection de l’ordre social, eu égard aux effets du jeu sur les individus et la société, et celle de l’ordre public, en vue de lutter contre l’utilisation des jeux d’argent à des fins criminelles ou frauduleuses, et qu’un tel monopole contribue en outre au développement rural par le financement de la filière équine. La politique de croissance du PMU serait par ailleurs justifiée par l’objectif de lutter efficacement contre la tentation du jeu en maintenant une offre légale attrayante pour que les joueurs s’orientent vers des activités autorisées et réglementées. 34. – Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : « 1) – Les articles [49 CE] et [50 CE] doiventils être interprétés comme s’opposant à une réglementation nationale qui consacre un régime d’exclusivité des paris hippiques hors hippodromes en faveur d’un opérateur unique sans but lucratif laquelle, si elle semble propre à garantir l’objectif de lutte contre la criminalité et ainsi de protection de l’ordre public d’une manière plus efficace que ne le feraient des mesures moins restrictives, s’accompagne pour neutraliser le risque d’émergence de circuits de jeu non autorisés et canaliser les joueurs vers l’offre légale d’une politique commerciale dynamique de l’opérateur qui n’atteint pas en conséquence complètement l’objectif de réduire les occasions de jeu ? 2) – Convient-il, pour apprécier si une réglementation nationale telle que celle en vigueur en France, qui consacre un régime d’exclusivité de gestion du pari mutuel hors hippodromes en faveur d’un opérateur unique sans but lucratif, contrevient aux articles [49 CE] et [50 CE], d’apprécier l’atteinte à la libre prestation de services du seul point de vue des restrictions apportées à l’offre de paris hippiques en ligne ou de prendre en considération l’ensemble du secteur des paris hippiques quelle que soit la forme sous laquelle ceux-ci sont proposés et accessibles aux joueurs ? » (…) Par ces motifs, la Cour (8e chambre) dit pour droit : 1). L’article 49 CE doit être interprété dans ce sens : a) un État membre cherchant à assurer un niveau de protection particulièrement élevé des consommateurs dans le secteur des jeux de hasard peut être fondé à considérer que seul l’octroi de droits exclusifs à un organisme unique soumis à un contrôle étroit des pouvoirs publics est de nature à permettre de maîtriser les risques liés audit secteur et de poursuivre l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées aux jeux et de lutte contre l’assuétude au jeu d’une façon suffisamment efficace ; b) il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier que : – les autorités nationales visaient véritablement, au moment des faits au principal, à assurer un tel niveau de protection particulièrement élevé et que, au regard de ce niveau de protection recherché, l’institution d’un monopole pouvait effectivement être considérée comme nécessaire, et, – les contrôles étatiques auxquels les activités de l’organisme bénéficiant des droits exclusifs sont en principe soumises sont effectivement mis en œuvre de manière cohérente et systématique dans la poursuite des objectifs assignés à cet organisme ; c) afin d’être cohérente avec les objectifs de lutte contre la criminalité ainsi que de réduction des occasions de jeu, une réglementation nationale instituant un monopole en matière de jeux de hasard doit : – reposer sur la constatation selon laquelle les activités criminelles et frauduleuses liées aux jeux et l’assuétude au jeu constituent un problème sur le territoire de l’État membre concerné auquel une expansion des activités autorisées et réglementées serait de nature à remédier, et, – ne permettre la mise en œuvre que d’une publicité mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers les réseaux de jeu contrôlés. 2). Afin d’apprécier l’atteinte à la libre prestation des services par un système qui consacre un régime d’exclusivité pour l’organisation des paris hippiques, il incombe aux juridictions nationales de tenir compte de l’ensemble des canaux de commercialisation substituables de ces paris, à moins que le recours à internet n’ait pour conséquence d’aggraver les risques liés aux jeux de hasard concernés au-delà de ceux existants en ce qui concerne les jeux commercialisés par des canaux traditionnels. En présence d’une réglementation nationale qui s’applique de la même manière à l’offre de paris hippiques en ligne et à celle effectuée par des canaux traditionnels, il convient d’apprécier l’atteinte à la libre prestation des services du point de vue des restrictions apportées à l’ensemble du secteur concerné ». N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL 49 PPar FFabrice bi NAFTALSKI (*) RLDI Avocat associé Expert légal du programme de labellisation euroPrise (1) Ernst & Young, société d’avocats 2553 Et G Guillaume ill DESGENSPASANAU (*) Avocat Ancien chef du service des affaires juridiques de la Cnil Ernst & Young, société d’avocats Label Cnil et conformité « informatique et libertés » : publication des premiers référentiels La procédure de la labellisation vient de connaître de nouveaux développements avec son intégration dans le règlement intérieur de la Cnil et la publication au Journal officiel des deux premiers référentiels d’évaluation. Me Fabrice Naftalski et M. Guillaume Desgens-Pasanau nous les présentent. Cnil, délib. n° 2011-249, 8 sept. 2011, JO 22 sept. Cnil, délib. n° 2011-315, 6 oct. 2011, JO 3 nov. À la faveur d’évolutions législatives récentes, la labellisation « informatique et libertés » est désormais une réalité en France. Il y a près d’un an et demi, nous faisions le point, dans ces mêmes colonnes, sur le cadre juridique existant ainsi que sur l’importance des enjeux pour les professionnels (2). Afin de devenir une réalité sur le plan opérationnel, le cadre juridique devait néanmoins être complété par une modification du règlement intérieur de la Cnil ainsi que par la publication de référentiels servant de « support » au dépôt d’une demande de labellisation. Une étape essentielle vient ainsi d’être franchie avec la publication récente au Journal officiel du règlement intérieur modifié de la Cnil ainsi que de deux référentiels relatifs à l’évaluation de procédures d’audits de traitements de données à caractère personnel ainsi qu’à des formations « informatique et libertés » (3). Depuis le 3 novembre 2011, la première campagne de labellisation est donc officiellement ouverte et les professionnels peuvent adresser à la Cnil une demande de labellisation sur le fondement des deux référentiels précités. I. – RAPPEL DES MODALITÉS DE FONCTIONNEMENT DU POUVOIR DE LABELLISATION DE LA CNIL La possibilité donnée aux organisations professionnelles et aux institutions regroupant des responsables de traitement de saisir la Cnil d’une demande de création de label concernant des produits ou des procédures relatives à la protection des données a été introduite par la loi du 6 août 2004 modifiant la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978. La mise en œuvre de ce nouveau pouvoir nécessitait la définition de mesures réglementaires d’application outre une intervention législative complémentaire si le recours à des experts indépendants extérieurs à la Cnil était envisagé (4). Ce fut chose faite avec l’introduction à l’article 11 de la loi « Informatique et libertés » d’une disposition précisant que : « À la demande d’organisations professionnelles ou d’institutions regroupant principalement des responsables de traitements : [la Cnil] délivre un label à des produits ou à des procédures tendant à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, après qu’elle les a reconnus conformes aux dispositions de la présente loi ; dans le cadre de l’instruction préalable à la délivrance du label de la Commission, le président peut, lorsque la complexité du produit ou de la procédure le justifie, recourir à toute personne indépendante qualifiée pour procéder à leur évaluation. Le coût de cette évaluation est pris en charge par l’entreprise qui demande le label. » Le pouvoir de labellisation constitue une réelle opportunité pour la Cnil de sortir de sa réserve, observée en considération du principe de neutralité technologique, afin de se positionner en faveur d’outils ou de procédures respectueuses des principes de protection des données et s’inscrivant dans une démarche privacy by design (5). Ce faisant, l’exercice du pouvoir de labellisation permettra à la Cnil de valoriser et de communiquer sur les bonnes pratiques en matière de vie privée, alors que, jusqu’à présent, les actions de la Cnil pointaient davantage du doigt les mauvais (*) Les auteurs tiennent à remercier Lina Su, juriste au sein de l’équipe Ipit du cabinet pour son aide précieuse dans la préparation du présent article. (1) Programme visant à la certification des produits et des plates-formes électroniques conformes à la réglementation européenne de protection des données à caractère personnel, à savoir à titre principal la directive n° 95/46 sur la protection des données à caractère personnel et la directive n° 2002/58 relative à la vie privée, mise en place par le régulateur du Schleswig-Holstein sous l’égide de la Commission européenne et en partenariat avec un certain nombre d’autorités de régulation des données personnelles européennes et de partenaires privés. (2) Naftalski F. et Desgens-Pasanau G., Enjeux et perspectives du pouvoir de labellisation de la Cnil, RLDI 2010/63, n° 2094, p. 91. (3) Délibération n° 2011-249 du 8 septembre 2011 portant modification de l’article 69 du règlement intérieur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en insérant un chapitre IV bis intitulé « Procédure de labellisation ». (4) Ce qui fut d’ailleurs rendu possible avec l’entrée en vigueur, le 12 mai 2009, de la loi de simplification et de clarification du droit. (5) La notion de privacy by design correspond à la démarche engagée par un industriel ou un responsable de traitement ayant intégré la dimension « protection des données » dès le stade de la conception d’un nouveau produit informatique, d’un nouveau traitement de données ou d’une nouvelle procédure impliquant la collecte de données à caractère personnel. 50 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication comportements de professionnels en infraction à la réglementation. La Cnil tend ainsi à renforcer son statut de « véritable régulateur économique pouvant orienter le marché vers les solutions les plus protectrices en matière de vie privée » (6). Dans le cadre de la mise en œuvre de ce pouvoir de labellisation, la Cnil a décidé de développer en priorité les outils nécessaires à la labellisation de procédures d’audits et de formations. Ce choix n’est pas anodin et correspond à une stratégie de mise en œuvre progressive. La Cnil, consciente de l’enjeu d’image qui pèse sur elle, a préféré commencer par labelliser des procédures plutôt que des produits informatiques. De même, elle a préféré cibler à titre principal des prestataires de services qui ont vocation à décliner sur une base systématique de telles procédures plutôt que des responsables de traitement. Ces choix permettent à la Cnil de « tester » les mécanismes de labellisation qui viennent d’être définis tout en limitant son exposition en cas de difficultés de mise en œuvre. Dans ce schéma, la Cnil garde également les mains « libres » vis-à-vis des responsables de traitement susceptibles de faire l’objet d’opérations de contrôle sur place. L’enjeu est de permettre au régulateur de la protection des données à caractère personnel de préconiser des outils appropriés sans fragiliser la mise en œuvre de ses pouvoirs de contrôle qui ont vocation à continuer à se développer. Il ne s’agit néanmoins que d’une première étape qui devrait à moyen terme évoluer vers la mise en œuvre de référentiels relatifs à des produits (outils d’archivage électronique, d’anonymisation de données, de navigation sur internet, etc.) ou concernant directement des responsables de traitement (dispositif de contrôle d’accès biométrique, de gestion des durées de conservation, etc.). À l’heure où les problématiques liées à la protection des données personnelles ne peuvent plus être ignorées et où le risque de non-conformité n’a jamais été aussi fort (7), les organismes désireux de s’engager dans une politique volontariste de gestion de la conformité ne manqueront pas d’utiliser les outils de labellisation désormais disponibles. Un responsable de traitement peut par exemple désormais solliciter la réalisation d’un audit « informatique et libertés » par un auditeur labellisé. Il peut également faire appel à un prestataire de formation dont le programme de formation « informatique et libertés » aura été labellisé par la Cnil. II. – INTÉGRATION DE LA PROCÉDURE DE LABELLISATION DANS LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR DE LA CNIL Une étape essentielle a été franchie le 8 septembre 2011 au travers de l’adoption par la Cnil de sa délibération n° 2011-249 portant modification de l’article 69 de son règlement intérieur et insérant un chapitre IV bis relatif à la procédure de labellisation (8). Cette procédure de labellisation fait intervenir plusieurs acteurs parmi lesquels le Comité de labellisation. Ce nouvel ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL organe est composé de membres de la Commission désignés par le président de la Cnil. Les réunions du Comité sont présidées par son président, lequel est désigné parmi les membres de ce Comité. D’une manière générale, la procédure de labellisation se subdivise en deux procédures successives : en amont, la procédure mise en œuvre pour la création d’un label au travers d’un référentiel (A), puis la procédure d’évaluation de conformité aux référentiels afin d’octroi de label (B). Enfin, à l’issue de l’octroi du label, des procédures spécifiques de vérification et, le cas échéant, de retrait du label sont également définies (C). A. – La procédure de création d’un référentiel Conformément à l’alinéa 3-c de l’article 11 de la loi « Informatique et libertés » modifiée, l’initiative en matière de création de label repose sur les organismes professionnels ou institutions regroupant principalement des responsables de traitements (9). Le comité de labellisation joue, dans ce contexte, un rôle prépondérant de relai des demandes de création de label émanant des acteurs professionnels en définissant les orientations relatives à la politique de labellisation de la Cnil (10). Ainsi, il appartient au Comité de labellisation d’élaborer les projets de référentiels afin de les proposer, pour adoption, à la Commission (11) réunie en formation plénière (12). B. – La procédure d’octroi de label Au terme de la procédure d’adoption du référentiel de labellisation par la Cnil, réunie en formation plénière, débute la procédure d’octroi de label. La première étape de la procédure d’octroi de label consiste en la fixation par le président de la Commission du modèle de formulaire de demande de labellisation. Les organismes souhaitant obtenir un label pour un produit ou une procédure devront ainsi renseigner ledit formulaire. Il est intéressant de noter que plusieurs personnes juridiques distinctes peuvent solliciter un label de manière conjointe, aux fins de faire un usage commun du produit ou de la procédure labellisée. En contrepartie, elles doivent s’engager à maintenir leur collaboration (13). À la suite de l’envoi du formulaire par le ou les demandeurs, la Cnil dispose d’un délai de deux mois à compter de l’attribution du numéro d’enregistrement à la demande de labellisation pour se prononcer sur sa recevabilité. La demande est alors réputée rejetée en cas d’absence de réponse au terme de ce délai (14). Si la demande est déclarée recevable, le demandeur en sera notifié et la Cnil procédera à l’évaluation de la conformité du produit ou de la procédure au référentiel auquel il se rapporte. À cette fin, la Cnil pourra procéder à des tests et demander communication de toutes pièces utiles et auditionner toutes personnes susceptibles de fournir des > (6) Cnil, communiqué du 17 mai 2010. (7) Risque judiciaire (pénal et civil) de sanction administrative prononcée directement par la Cnil et risque « réputationnel » et commercial. (8) Délibération n° 2011-249 du 8 septembre 2011 portant modification de l’article 69 du règlement intérieur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en insérant un chapitre IV bis intitulé « Procédure de labellisation ». (9) Article 11-3° de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée. (10) Article 53-2 du règlement intérieur de la Cnil. (11) Article 53-1 du règlement intérieur de la Cnil. (12) Article 53-4 du règlement intérieur de la Cnil. (13) Article 53-6, II, du règlement intérieur de la Cnil. (14) Article 53-7 du règlement intérieur de la Cnil. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 51 L A B E L C N I L E T C O N F O R M I T É « I N F O R M AT I Q U E E T L I B E R T É S » : P U B L I C AT I O N D E S P R E M I E R S R É F É R E N T I E L S Schéma 1 : procédure d’élaboration de référentiels aux fins de labellisation de produits ou de procédure. 1 Proposition de création de label par : _ une organisation professionnelle ou _ une institution regroupant principalement des responsables de traitement 4 Adoption par la CNIL en formation plénière de la délibération portant référentiel aux fins de labellisation de produits ou de procédures 2 Le Président de la CNIL décide de l’opportunité de la demande, sur proposition du Comité de labellisation et en informe le demandeur 3 Le Président estime opportun de faire suite à la demande Elaboration d’un référentiel précisant : – les modalités d’appréciation de la conformité – les particularités relatives aux vérifications subséquentes informations utiles (15). Si l’évaluation s’avère concluante, la Cnil réunie en séance plénière délivrera le label. Le label délivré par la Cnil sera valable trois ans renouvelables (16), période durant laquelle le titulaire pourra utiliser le logo « label Cnil ». Toute modification du produit ou de la 3 bis Le Président n’estime pas opportun de faire suite à la demande procédure labellisée ultérieure à la délivrance du label devra être notifiée à la Cnil, laquelle appréciera si les modifications nécessitent une nouvelle évaluation (17). Enfin, il sera nécessaire, afin de renouveler le label, d’adresser une demande six mois avant la date d’échéance (18). Schéma 2 : Procédure d’évaluation de la conformité aux référentiels de labellisation de produits ou de procédures. 5 bis 3 2 1 Proposition d’un modèle de formulaire de demande de label + Avis du comité de labellisation Le président de la CNIL fixe le modèle de formulaire + annexes de la demande de délivrance de label Fixation du formulaire de demande Le demandeur adresse à la CNIL la demande d’obtention d’un label par lettre remise contre signature 4 Attribution par la CNIL d’un numéro d’enregistrement à la demande Dépôt de la demande is 2 mo La demande est réputée rejetée en cas d’absence de réponse du Président dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande 2 m ois 5 9 8 Si la CNIL réunie en formation plénière reconnait la conformité du produit/procédure, elle délivre un label. Les labels délivrés par la CNIL sont valables pendant une durée de trois ans renouvelable Etablissement d’un rapport concluant, ou non, à la conformité du produit/ procédure au référentiel. Le rapport et le projet de délibération correspondant sont inscrits à l’ordre du jour de la CNIL réunie en séance plénière 8 jours Délibération de la CNIL urs 8 jo 10 bis Notification de la délibération portant refus de label par lettre remise contre signature. Elle indique les voies et délais de recours applicables 6 7 Le demandeur peut à tout moment modifier ou retirer sa demande par voie postale 11 10 Notification de la délibération portant délivrance du label par lettre remise contre signature. Elle indique les conditions d’utilisation du logo label CNIL. Modification du produit/procédure labellisé Le demandeur doit informer sans délai la CNIL de toute modification du produit/procédure labellisé Instruction de la demande : – réalisation de tests visant à vérifier la conformité au référentiel – demande de communication de toutes pièces utiles – audition de toutes personnes susceptibles de fournir les informations nécessaires Évaluation/ Instruction Le président prononce la recevabilité de la demande si : _ la demande est complète _ le produit/la procédure correspond au référentiel. Il notifie sa décision de recevabilité au demandeur et l’informe du délai d’évaluation du produit/procédure. 13 12 Les services de la CNIL apprécient si les modifications nécessitent une nouvelle évaluation Le président notifie le titulaire, par lettre contre signature, la suite donnée à l’instruction de sa demande de modification (15) Article 53-8 du règlement intérieur de la Cnil. (16) Article 53-11 du règlement intérieur de la Cnil. (17) Article 53-13 du règlement intérieur de la Cnil. (18) Article 53-18 du règlement intérieur de la Cnil. (19) Article 53-15 du règlement intérieur de la Cnil. (20) Articles 53-16 et 53-17 du règlement intérieur de la Cnil. (21) Articles 53-19 et 53-20 du règlement intérieur de la Cnil. 52 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication C. – Procédures de vérification et de retrait du label La Cnil dispose d’un pouvoir de contrôle qui lui permet de vérifier à tout moment que le produit, ou la procédure, labellisé respecte le référentiel auquel il se rapporte. Cette vérification peut faire suite au signalement d’une non-conformité par toute personne ayant recours au produit ou à la procédure labellisée (19). Si la Cnil estime que les observations transmises par le titulaire ne sont pas satisfaisantes, elle peut décider de retirer le label précédemment délivré (20). Toutes les décisions de délivrance d’un label, de retrait ou de reconduction sont rendues publiques. La Cnil tiendra à disposition du public, sur son site, la liste des produits ou procédures labellisés précisant la date d’expiration du label et le nom du titulaire (21). ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL éléments justificatifs correspondants. À cet effet, les demandeurs pourront fournir, de manière générale, des extraits pertinents de référentiels internes, le descriptif de méthodes ou de procédures, ou tout autre document utile afin de démontrer la satisfaction des exigences formulées dans le référentiel. A. – Le référentiel d’évaluation d’une procédure d’audit de traitements Au travers de ce référentiel, l’audit « informatique et libertés » est défini comme une démarche méthodologique « dont les critères permettent de juger de la conformité de traitements de données à caractère personnel à la loi n° 78/17 du 6 janvier 1978 modifiée ». L’audit doit non seulement porter sur les aspects juridiques des traitements mais également sur les aspects techniques de mise en œuvre de ces traitements. L’auditeur doit donc disposer d’une double compétence juridique III. – PUBLICATION DES DEUX mais également technique. PREMIERS RÉFÉRENTIELS D’une manière générale, Les critères d’évaluation portent D’ÉVALUATION : RÉFÉRENTIELS on peut relever que principalement sur le statut et les comD’ÉVALUATION « PROCÉDURE les exigences formulées pétences de l’auditeur, la méthodoloD’AUDIT DE TRAITEMENTS » ET par la Cnil sont RÉFÉRENTIEL D’ÉVALUATION gie adoptée pour l’accomplissement de particulièrement fortes et « FORMATION » l’audit, ainsi que les points de contrôle qu’elles permettront ainsi intégrés dans la procédure d’audit. L’article 53-3 du règlement intérieur d’attacher à la délivrance D’une manière générale, on peut de la Cnil précise que « l’examen d’une du label une image relever que les exigences formulées par demande de label est effectué sur la base la Cnil sont particulièrement fortes et d’un référentiel établi par la Commisde qualité. qu’elles permettront ainsi d’attacher à sion. Ce référentiel définit les caractérisla délivrance du label une image de qualité. tiques que doit présenter un produit ou une procédure afin que S’agissant par exemple du statut de l’auditeur, les exicelui-ci soit reconnu conforme aux dispositions de la loi du 6 gences formulées garantissent que seuls des professionnels janvier 1978 modifiée. Il précise les modalités d’appréciation compétents, suffisamment formés et disposant d’une véritable de cette conformité et, le cas échéant, les particularités relatives expérience professionnelle dans le domaine pourront prétendre aux vérifications subséquentes à la délivrance du label ». à bénéficier d’un label. Ces exigences sont ainsi cohérentes et Conformément à l’article 53-3 du règlement intérieur de complémentaires avec le cadre législatif et réglementaire applila Cnil, la Cnil a adopté le 6 octobre 2011 ses deux premiers cable à certaines professions réglementées, en particulier aux référentiels de labellisation. avocats qui sont seuls autorisés à réaliser des prestations de Le premier référentiel s’applique à la mise en œuvre d’une conseil juridique pour lesquelles ils engagent leur responsabilité procédure d’audit de traitements (22) et le second à la mise professionnelle et apportent une forte garantie d’indépendance. en œuvre d’une procédure de formation « informatique et En application du référentiel, les exigences de la Cnil porlibertés » (23). Ainsi que nous l’avons indiqué, l’adoption d’un tent également sur le respect par l’organisme d’audit lui-même référentiel nécessite la formalisation initiale d’une demande des dispositions de la loi « Informatique et libertés » modifiée. par une communauté de professionnels. Dans le cas d’espèce, Ce point est essentiel dans la mesure où seuls des auditeurs c’est principalement l’Association française des corresponayant déjà engagé, au sein de leur propre structure, une podants à la protection des données (AFCDP) qui a joué un grand litique sérieuse de gestion de la conformité « informatique et rôle dans la sollicitation de ces premiers référentiels (24). libertés » pourront prétendre à bénéficier d’un label dans le Lesdits référentiels ont été publiés au Journal officiel du cadre des audits qu’ils accomplissent pour le compte de tiers. 3 novembre 2011. Concernant le contenu des audits, le référentiel passe en Les organismes candidats à l’obtention d’un label Cnil revue tous les champs figurant de la déclaration normale tels devront renseigner un formulaire de demande de délivrance que l’identification des traitements et des données traitées, la de label disponible sur le site de la Cnil. licéité des traitements, les durées de conservation, les mesures Les demandeurs devront démontrer qu’ils satisfont aux de confidentialité et de sécurité, ainsi que le respect des droits exigences du référentiel correspondant au label demandé en des personnes concernées. fournissant des explications spécifiques et détaillées, et les > (22) Délibération n° 2011-316 du 6 octobre 2011 portant adoption d’un référentiel pour la délivrance de labels en matière de procédure d’audit tendant à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel. (23) Délibération n° 2011-315 du 6 octobre 2011 portant adoption d’un référentiel pour la délivrance de labels en matière de formation tendant à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel. (24) <www.afcdp.net/-Referentiels-et-Labels->. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 53 L A B E L C N I L E T C O N F O R M I T É « I N F O R M AT I Q U E E T L I B E R T É S » : P U B L I C AT I O N D E S P R E M I E R S R É F É R E N T I E L S L’analyse de ce référentiel fait notamment ressortir de manière évidente : – l’importance d’associer dans le cadre de ces audits des professionnels du droit « informatique et libertés » et des experts disposant de compétences techniques en matière de système d’information, particulièrement sur les questions de sécurité. Ces compétences devront être étayées tant par leur expérience professionnelle que par leur formation ; – l’importance accordée aux principes de déontologie et d’indépendance ainsi qu’à la méthodologie d’audit qui doit être dûment documentée. B. – Le référentiel d’évaluation de formation « informatique et libertés » S’agissant de ce second référentiel, la définition de « formation » est entendue au sens de la norme ISO 10015 « Management de la qualité – Lignes directrices pour la formation » comme « un processus destiné à produire et à développer les connaissances, les savoir-faire et les comportements nécessaires au respect de la loi Informatique et libertés ». Les critères, pris en considération par la Cnil pour évaluer la conformité de la formation, portent, d’une part, sur l’activité de formation (respect par l’organisme de formation de la loi « Informatique et libertés » modifiée, nature de la démarche pédagogique, compétences et modalités d’évaluation des formateurs, etc.) et, d’autre part, sur le contenu de la formation (description du module principal de connaissances fondamentales que la formation doit comporter a minima ainsi que les éventuels modules complémentaires). 54 CONCLUSION À l’orée de la refonte du cadre juridique et réglementaire du droit communautaire en matière de protection des données à caractère personnel, qui devrait mettre à l’honneur le concept d’« accountability » dont un des principaux effets sera d’imposer aux responsables de traitement d’être en mesure de documenter et de justifier des moyens mis en place pour assurer la conformité « informatique et libertés », la Cnil se positionne, avec la définition d’un cadre juridique opérationnel en matière de labellisation, comme un véritable laboratoire en matière de mécanismes d’« accountability ». Il doit être souligné que la Cnil avait déjà joué ce rôle moteur en prenant une part active, notamment au sein du Groupe de l’article 29, dans l’élaboration des référentiels applicables en matière d’instruction des Binding Corporate Rules, outil juridique d’encadrement des transferts de données à caractère personnel intragroupe aujourd’hui utilisé par les groupes comme dispositif de gestion de la conformité et qui répond parfaitement à l’économie des mécanismes d’« accountability ». Sur le fond (pour gérer la maintenance de leur conformité), mais aussi en opportunité, il est plus que jamais pertinent pour les responsables de traitement de s’intéresser à ces procédures, soit pour bénéficier directement du label, soit pour tirer parti de l’expérience des acteurs qui feront labelliser leurs procédures d’audit et/ou de formation. ◆ R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication PPar Céline Céli CASTETS-RENARD RLDI Maître de conférences de droit privé, HDR Codirectrice du master II Droit et informatique Université de Toulouse-I – Capitole En délégation auprès de l’Université de la Nouvelle Calédonie, Larje ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL La vente en ligne de produits cosmétiques dans la distribution sélective : il est interdit d’interdire ! Que faut-il penser de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 octobre dernier qui a considéré que le refus des laboratoires Pierre Fabre de vendre leurs produits dermo-cosmétiques sur internet est contraire aux règles communautaires de libre concurrence ? Céline Castets-Renard nous fait part de son sentiment. CJUE, 3e ch., 13 oct. 2011, aff. C-439/09, RLDI 2011/76, n° 2526 2554 L a CJUE encourage, une nouvelle fois (1), le commerce électronique de produits cosmétiques, dans le cadre d’un réseau de distribution sélective. Bien que prise sur le fondement du règlement d’exemption n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 relatif aux restrictions verticales de concurrence, désormais remplacé par le règlement n° 330-2010 du 20 avril 2010, la solution n’en semble pas moins influencée par ces nouvelles règles. Elle se situe, par ailleurs, dans la continuité de la jurisprudence antérieure. La fameuse affaire Fabre, dont on attendait le dénouement devant la Cour de justice de l’Union européenne, témoigne de la résistance du fournisseur d’un réseau de distribution sélective à la vente en ligne de ses produits cosmétiques. Dans un arrêt rendu le 13 octobre 2011 (2), la Cour de justice admet, sans surprise, que de tels produits puissent être proposés à la vente sur l’internet par les distributeurs du réseau. La décision oppose la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS au président de l’Autorité de la concurrence et au ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique est l’une des sociétés du groupe Pierre Fabre. Elle dispose de plusieurs filiales parmi lesquelles les laboratoires Klorane, Ducray, Galénic et Avène, dont les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle sont vendus, sous ces marques, majoritairement par l’intermédiaire de pharmaciens, sur le marché français et européen. Ces produits ne sont toutefois pas des médicaments et échappent au monopole des pharmaciens prévu par le Code de la santé publique. Les contrats de distribution desdits produits précisent que les ventes doivent exclusivement être réalisées dans un espace physique, avec la présence obligatoire et permanente dans son point de vente, et pendant toute l’amplitude horaire d’ouverture de celui-ci, d’au moins une personne diplômée en pharmacie. Or, ces exigences excluent de facto toute forme de vente par internet. C’est pourquoi, par une décision en date du 27 juin 2006, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle et, par décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007, a accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par l’ensemble des entreprises concernées. Ces contrats prévoient désormais la possibilité pour les distributeurs de vendre leurs produits sur internet, à l’exception de la société Pierre Fabre DermoCosmétique (3), contre laquelle la procédure ouverte a suivi son cours. Dans une décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008, le Conseil de la concurrence (4) a conclu que l’interdiction faite par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à ses distributeurs agréés de vendre par l’intermédiaire d’internet constitue une restriction à la concurrence contraire à l’article 81 du Traité CE et à l’article L. 420-1 du Code de commerce. Elle l’a enjointe de supprimer dans ses contrats de distribution sélective toutes les mentions équivalant à une interdiction de vente sur internet de ses produits et de prévoir expressément la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de distribution. Elle a condamné Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à une amende de 17 000 €. Le 24 décembre 2008, la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a introduit un recours en annulation de cette décision et, subsidiairement, en réformation de la décision litigieuse devant la Cour d’appel de Paris. Dans le même temps, elle a demandé au premier président de celle-ci de prononcer un sursis à l’exécution de la décision litigieuse qui lui a été accordé le 18 février 2009. La Commission européenne a, par ailleurs, présenté des observations écrites, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des > (1) Une décision comparable a été rendue pour les produits d’optique lunetterie : CJUE, 2 déc. 2010, Ker-Optika, aff. C-108/09, non encore publié au Recueil. Pour un commentaire, voir CastetsRenard C., L’essor du commerce électronique : la CJUE autorise la vente en ligne de lentilles de contact, D. 2011, p. 419. (2) Aff. C-439/09. (3) Castets-Renard C., L’internet et les réseaux de distribution sélective : quel avenir ? ; RLDI 2007/31, n° 1053. (4) Devenu Autorité de la concurrence depuis le 13 janvier 2009. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 55 L A V E N T E E N L I G N E D E P R O D U I T S CO S M É T I Q U E S DA N S L A D I ST R I B U T I O N S É L EC T I V E ( … ) règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité. Mais, dans une décision du 29 octobre 2009, la Cour d’appel de Paris, relevant que cet avis ne présentait pas un caractère contraignant pour les juridictions nationales, pas plus que les lignes directrices complétant le règlement d’exemption n° 2790/1999, décide de poser une question préjudicielle à la Cour, en application de l’article 234 CE. La Cour est interrogée sur l’interprétation de l’article 81, § 1 et 3, CE, devenu l’article 101, § 1 et 3 du TFUE et du règlement (CE) n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, § 3, du Traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées. La Cour d’appel de Paris demande : premièrement, si la clause contractuelle en cause dans le litige au principal constitue une restriction de la concurrence « par objet » au sens de l’article 101, § 1, du TFUE ; deuxièmement, si un contrat de distribution sélective contenant une telle clause – dans l’hypothèse où il entre dans le champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE – peut bénéficier de l’exemption par catégorie instituée par le règlement n° 2790/1999 ; troisièmement, si, lorsque l’exemption par catégorie est inapplicable, ledit contrat pourrait néanmoins bénéficier de l’exception individuelle de l’article 101, § 3, du TFUE. La Cour de justice décide que l’interdiction de la vente en ligne est une restriction de concurrence par l’objet (I) qui risque de ne pas faire l’objet d’une exemption catégorielle, l’exemption individuelle restant à prouver (II). I. − L’INTERDICTION DE LA VENTE EN LIGNE, RESTRICTIVE DE CONCURRENCE La Cour décide que l’interdiction de la vente en ligne constitue une restriction de concurrence par l’objet (A), non justifiée par la propriété des produits en cause (B). A. − L’interdiction de la vente en ligne, restrictive de concurrence par l’objet Selon l’article 101, § 1, du TFUE (ex-art. 81, § 1, du Traité CE), est sanctionné l’accord ayant « pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur ». La CJUE envisage, d’abord, l’objet même de l’accord, car s’il s’avère anticoncurrentiel, il n’est pas nécessaire de considérer ses effets sur la concurrence (5). Une telle appréciation de l’objet suppose de s’attacher à la teneur de la clause, aux objectifs qu’elle vise, ainsi qu’à son contexte économique et juridique. La clause contractuelle litigieuse dispose que les ventes des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle des marques Avène, Klorane, Galénic et Ducray doivent être réalisées dans un espace physique, dont les critères sont définis avec précision, et avec la présence obligatoire d’un diplômé en pharmacie. La Cour d’appel de Paris estime aussi qu’une telle exigence interdit de facto aux distributeurs agréés toute forme de vente par internet. Au cours de la procédure administrative, l’Autorité de la concurrence a, tout d’abord, relevé que l’interdiction de vente par internet équivaut à une limitation de la liberté commerciale des distributeurs de Pierre Fabre DermoCosmétique, en excluant un moyen de commercialisation de ses produits. De plus, cette prohibition restreint le choix des consommateurs désireux d’acheter par internet et, enfin, empêche les ventes aux acheteurs finaux qui ne sont pas localisés dans la zone de chalandise « physique » du distributeur agréé. C’est pourquoi, elle en a conclu que cette limitation a nécessairement un objectif restrictif de concurrence. La Commission décide, également, que la clause contractuelle en cause est susceptible de restreindre la concurrence dans ce secteur. La Cour de justice confirme cette interprétation en décidant que ces accords constituant un système de distribution sélective influencent nécessairement la concurrence dans le marché commun (6). De tels accords sont à considérer, à défaut de justification objective, en tant que « restrictions par objet ». La décision, conforme à la jurisprudence antérieure, ne surprend pas. Encore faut-il, cependant, vérifier ensuite si cette clause peut être objectivement justifiée. B. − L’interdiction de la vente en ligne non justifiée par la propriété des produits en cause La Cour de justice doit vérifier si la restriction de concurrence par objet peut être objectivement justifiée. Ainsi, des exigences légitimes peuvent justifier une réduction de la concurrence par les prix, au profit d’une concurrence portant sur d’autres éléments que les prix. En l’occurrence, les systèmes de distribution sélective visent à maintenir un commerce spécialisé, capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité. Dans ces circonstances, on a pu admettre qu’ils visent à atteindre un résultat légitime, de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci ne s’exerce pas seulement sur les prix. Dès lors, l’organisation d’un tel réseau ne relève pas de l’interdiction de l’article 101, § 1, du TFUE, sous réserve de respecter plusieurs conditions : le choix des revendeurs doit s’opérer en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire (principe de non-discrimination) ; les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution (nature du produit) ; enfin, les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire (7) (principe de nécessité). Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si la clause contractuelle en cause interdisant de facto toutes les formes de vente par internet peut être justifiée par un objectif légitime. À cet effet, la Cour de justice doit lui fournir les éléments d’interprétation du droit de l’Union pour lui permettre de se prononcer (8). En l’espèce, dans le cadre du réseau de distribution sélective de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, les revendeurs sont bel et bien choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme pour (5) CJUE, 6 oct. 2009, GlaxoSmithKline Services et a. c/ Commission et a., aff. C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, Rec. CJUE,, p. 9291, pt 55. (6) CJCE, 25 oct. 1983, AEG Telefunken c/ Commission, aff. C-107/82, Rec. CJCE, p. 3151, pt 33. (7) CJCE, 25 oct. 1977, Metro SB-Großmärkte c/ Commission, aff. C-26/76, Rec. CJCE, p. 1875, pt 20 ; CJCE, 11 déc. 1980, L’Oréal, aff. C-31/80, Rec. CJCE, p. 3775, pts 15 et 16. (8) Arrêt L’Oréal, précité, pt 14. 56 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication doivent être obligatoirement utilisés par le client avant de tous les revendeurs potentiels. Cette condition ne cause donc procéder à l’achat des lentilles (13). En outre, des informations pas de difficulté. En revanche, il faut vérifier que les restrictions de la concurrence soient proportionnées aux objectifs et conseils supplémentaires peuvent aussi être donnés sur le légitimes poursuivis. Or, la Cour de justice a déjà décidé, au site du fournisseur. Enfin, l’État membre peut imposer aux regard des libertés de circulation, que la nécessité de fournir opérateurs économiques une obligation de mettre à la disposiun conseil personnalisé au client et d’assurer la protection de tion du client un opticien qualifié pour fournir à distance des celui-ci contre une utilisation incorrecte de produits, dans le informations et des conseils individualisés. L’utilisateur doit cadre de la vente de médicaments non soumis à prescription pouvoir formuler ses questions de manière réfléchie, ciblée et médicale (9) et de lentilles de contact (10), ne permet pas de sans être obligé de se déplacer (14). Il semble ainsi admis que justifier une interdiction de vente par internet. En l’espèce, la l’obligation de conseil des distributeurs puisse être respectée Cour de justice ne se prononce pas mais sous-entend ici que la par les moyens interactifs de l’internet. technicité et la spécificité des produits dermo-cosmétiques ne Quant à la nécessité de préserver l’image de prestige sauraient exclure la vente en ligne. Elle renvoie toutefois, à la des produits en cause, la Cour décide clairement que cette Cour d’appel de Paris, le soin de préciser, à la suite d’un exaconsidération ne saurait constituer un objectif légitime pour men individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette restreindre la concurrence. Cette précision est de taille et réclause contractuelle et du contexte juridique et économique vèle peut-être l’influence des nouvelles lignes directrices du dans lequel elle s’inscrit, si, eu égard aux 22 avril 2010 accompagnant le nouveau propriétés des produits en cause, cette règlement d’exemption n° 330-2010 En l’espèce, la Cour de clause n’est pas objectivement justifiée. du 20 avril 2010 qui précisent que des justice ne se prononce La Cour d’appel de Paris devra se restrictions à la concurrence peuvent pas mais sous-entend prononcer sur ce point en se fondant sur être exceptionnellement caractérisées, ici que la technicité et la la jurisprudence antérieure, mais on voit lorsqu’elles sont « objectivement nécesspécificité des produits mal comment elle pourrait juger que la saires » et non plus seulement « objecdermo-cosmétiques vente de produits cosmétiques puisse tivement justifiées ». Des auteurs (15) ne sauraient exclure être interdite sur l’internet eu égard à ont pu remarquer que la nouvelle terla nature du produit, lors même que la minologie engendre une rigueur accrue la vente en ligne. Cour de justice ne l’a pas admis pour les et empêcherait de faire valoir « l’image lentilles de contact et les médicaments non soumis à prescripde marque » ou « la sensation de luxe ». C’est chose faite tion. De tels produits ne sont pas plus dangereux pour la santé avec cet arrêt. et ne devraient pas davantage justifier un rapport de visu, et Dès lors, la Cour admet que la clause litigieuse constitue non simplement virtuel, entre les vendeurs et les acheteurs. une restriction par objet si, à la suite d’un examen individuel et L’Autorité de la concurrence a pu relever que l’argument selon concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle lequel le contact visuel entre le pharmacien et les utilisateurs et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, permettrait d’assurer la « cosmétovigilance » est sans effet, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, car l’observation des effets négatifs des produits en cause ne cette clause n’est pas objectivement justifiée. Il appartiendra pourrait apparaître qu’après l’utilisation du produit et non donc à la Cour d’appel de Paris, juridiction de renvoi, de se propas au moment de son achat. En outre, l’établissement d’un noncer in concreto sur les propriétés des produits cosmétiques diagnostic n’entre pas dans les pouvoirs d’un pharmacien, seul en cause, lesquels risquent de ne pas justifier une restriction le médecin y étant autorisé. Au vu de ces considérations, il de concurrence. En conséquence, la Cour encourage implicitey a de fortes chances que la juridiction de renvoi estime que ment le commerce électronique, d’autant que la restriction de l’interdiction de vendre en ligne des produits cosmétiques ne concurrence risque de ne pas non plus être exemptée. soit pas proportionnée aux objectifs poursuivis (11). On remarquera que l’obligation de conseil dont s’est préII. − L’EXEMPTION DE LA RESTRICTION value la société Fabre devant l’Autorité de la concurrence n’a DE CONCURRENCE pas fait l’objet de discussions en l’espèce (12). Il est vrai que depuis l’arrêt Ker Optica et la conception souple consacrée La Cour de justice refuse d’admettre que l’interdiction de par la Cour de justice dans la mise en œuvre de cette obligala vente en ligne de produits cosmétiques constitutive d’une tion, il paraît fort difficile de s’appuyer sur cette obligation, restriction de concurrence par l’objet puisse bénéficier d’une pour justifier une restriction de concurrence. La Cour a ainsi exemption catégorielle (A). Par ailleurs, elle ne se prononce estimé que les clients peuvent être conseillés via l’internet, pas sur l’exemption individuelle, en l’absence d’éléments de d’une manière équivalente, grâce aux moyens interactifs qui preuve suffisants (B). ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL > (9) CJCE, 11 déc. 2003, Deutscher Apothekerverband, aff. C-322/01, Rec. CJCE, p. 14887, pts 106, 107 et 112. (10) CJUE, 2 déc. 2010, Ker-Optika, aff. C-108/09, non encore publié au Recueil, pt 76. (11) En ce sens, par anticipation de la solution, lors de la décision Ker-Optika relative aux lentilles de contact : Castets-Renard C., L’essor du commerce électronique : la CJUE autorise la vente en ligne de lentilles de contact, D. 2011, p. 419. (12) Le Conseil de la concurrence a assoupli l’obligation de conseil dans une décision n° 07-D-07 rendue le 8 mars 2007, en matière de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle nécessitant un « conseil pharmaceutique » mais la société Fabre a toujours argumenté en faveur d’une obligation de conseil justifiée par la technicité du produit. (13) En ce sens, pour la vente en ligne de médicaments : arrêt Deutscher Apothekerverband, précité, pt 114. (14) Précité, pt 113. (15) Chagny M. et Choisy S., Les nouvelles règles applicables aux restrictions verticales de concurrence : quels changements pour la distribution en ligne ?, Comm. com..électr. 2010, n° 9, étude 17. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 57 L A V E N T E E N L I G N E D E P R O D U I T S CO S M É T I Q U E S DA N S L A D I ST R I B U T I O N S É L EC T I V E ( … ) A. − Le rejet de l’exemption catégorielle Les restrictions verticales de concurrence sont susceptibles de faire l’objet d’une exemption catégorielle, conformément au règlement n° 2790/1999 sur les restrictions verticales de concurrence, modifié par le nouveau règlement n° 330-2010 du 20 avril 2010, dès lors que la part du marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent sur lequel il vend les biens ou services contractuels, ce qui est le cas en l’espèce. Mais, par ailleurs, ce règlement, en application de l’article 2 du règlement n° 19/65, a exclu certains types de restrictions ayant des effets anticoncurrentiels graves, indépendamment de la part de marché des entreprises concernées. L’article 4 c) du règlement n° 2790/1999 prévoit ainsi que l’exemption catégorielle ne s’applique pas aux accords verticaux qui ont pour objet la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finaux par les membres d’un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé. L’Autorité de la concurrence, puis la Cour de justice ont donc examiné si la pratique restrictive de concurrence litigieuse pouvait bénéficier de l’exemption par catégorie. En l’espèce, une clause contractuelle interdisant de facto internet comme mode de commercialisation a, à tout le moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finaux désireux d’acheter par internet et localisés en dehors de la zone de chalandise physique du membre concerné du système de distribution sélective. Dès lors, bien que la pratique d’interdiction de vente par internet ne soit pas expressément visée dans ce règlement, elle équivaudrait à une interdiction de ventes passives. Par conséquent, elle relèverait de l’article 4, sous c), dudit règlement, qui exclut du bénéfice de l’exemption automatique par catégorie les restrictions de ventes actives ou passives par les membres d’un système de distribution sélective. Les nouvelles lignes directrices du 22 avril 2010 complétant le nouveau règlement d’exemption n° 330-2010 du 20 avril 2010 précisent expressément que « l’utilisation par un distributeur d’un site internet pour vendre des produits sont considérés comme une forme de vente passive » (point 52). Également, l’interdiction de vente sur internet ne remplit pas les conditions de l’exception prévue à l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 selon lequel ces restrictions de ventes sont sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer « à partir d’un lieu d’établissement non autorisé ». En effet, internet serait non pas un lieu de commercialisation, mais un moyen de vente alternatif utilisé comme la vente directe en magasin ou la vente par correspondance par les distributeurs d’un réseau disposant de points de vente physiques. L’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999, en mentionnant « un lieu d’établissement », ne vise que des points de vente où des ventes directes se pratiquent. La Cour de justice refuse expressément d’étendre l’interprétation de cette notion. En effet, dans la mesure où une entreprise ayant la faculté, en toutes circonstances, de soulever, à titre individuel, l’applicabilité de l’exception légale 58 de l’article 101, § 3, du TFUE, ses droits peuvent ainsi être protégés, aussi n’y a-t-il pas lieu de donner une interprétation large aux dispositions qui font entrer les accords ou les pratiques dans l’exemption par catégorie. En conséquence, l’exemption par catégorie ne s’applique pas à un contrat de distribution sélective qui comporte une clause interdisant de facto internet comme mode de commercialisation des produits contractuels. Cet aspect de la décision ne surprendra pas non plus, en ce qu’il est tout à fait conforme aux interprétations précédentes et correspond à « l’air du temps ». En effet, les nouvelles lignes directrices du 22 avril 2010 qui accompagnent le nouveau règlement d’exemption par catégorie du 20 avril 2010 précisent désormais expressément qu’« internet est un instrument puissant qui permet d’atteindre un plus grand nombre et une plus grande variété de clients que par les seules méthodes de vente plus traditionnelles, ce qui explique pourquoi certaines restrictions à son utilisation sont considérées comme une restriction des (re)ventes. En principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits » (point 52). Le règlement d’exemption catégorielle ne saurait donc permettre d’exempter un accord interdisant de facto la vente par l’internet. L’accord peut peut-être encore être sauvé par une exemption individuelle. B. − L’exemption individuelle à prouver Le contrat de distribution sélective peut bénéficier, à titre individuel, de l’applicabilité de l’exception légale de l’article 101, § 3, du TFUE si les conditions de cette disposition sont réunies. Mais la Cour de justice, ne disposant pas d’éléments de preuve suffisants pour apprécier si le contrat de distribution sélective satisfait aux conditions de l’article 101, § 3, du TFUE, décide de ne pas se prononcer sur ce point. Elle ne peut donc fournir d’indications supplémentaires à la juridiction de renvoi. Rappelons que l’article 101, § 3, dispose que « toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables : – à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises, – à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et, – à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées, qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans : a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ». Pour bénéficier de l’exemption individuelle, la société Fabre doit donc prouver que l’organisation du réseau contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, et réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit. Par ailleurs, les restrictions doivent être proportionnelles aux objectifs et ne pas aller jusqu’à éliminer la concurrence, pour une partie substantielle des produits en cause. La société Fabre risque ici R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication de rencontrer de sérieuses difficultés pour apporter une telle preuve. On voit mal comment l’interdiction de la vente en ligne de produits cosmétiques pourrait permettre de promouvoir le progrès technique ou économique. De même, le fait de se priver d’un mode de distribution risque de ne pas améliorer ladite distribution des produits… Notons, par ailleurs, que l’Autorité de la concurrence n’a pas considéré comme pertinent le fait que la distribution par internet n’entraînerait pas de baisse de prix. Le gain pour le consommateur résiderait non seulement dans une baisse de prix, mais également dans l’amélioration du service proposé par les distributeurs, dont, notamment, la possibilité de commander des produits à distance, sans limitation de temps, avec accès facile à l’information sur les produits et en permettant la comparaison de prix. Dès lors, l’interdiction de la vente en ligne risque de ne pas être vue comme un facteur d’amélioration mais plutôt de détérioration de la distribution. Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence a également rejeté l’argument de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique selon lequel l’interdiction de vente par internet en cause contribuerait à améliorer la distribution des produits dermo-cosmétiques en prévenant les risques de contrefaçon et de parasitisme entre officines agréées. C’est sans doute ce point qui pourrait le plus prêter à discussion devant la juridiction de renvoi… Il faudra donc attendre la décision de la Cour d’appel de Paris pour apprécier si la clause contractuelle en cause interdisant de facto toutes les formes de vente par internet peut être justifiée par un objectif légitime et faire l’objet d’une exemption individuelle. La société Fabre aura fort à faire pour convaincre la Cour d’appel de Paris. ◆ ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL BULLETIN D’ABONNEMENT À retourner à l’adresse suivante : 5HVWH]FRQQHFWpjO·DFWXDOLWp GXGURLWGHO·LPPDWpULHO HWEpQpÀFLH]GHPRLVGHOHFWXUHJUDWXLWH Wolters Kluwer France - Service Clients - Case Postale 402 1, rue Eugène et Armand Peugeot - 92856 Rueil-Malmaison cedex - www.wkf.fr Fax : 01 76 73 48 09 - Oui, je souhaite m’abonner à la Revue Lamy Droit de l’Immatériel (réf. 00157) et je choisis : L’abonnement 2 ans au prix de 810 € HT (827,01 € TTC), et je bénéficie alors de 4 mois de lecture gratuite. L’abonnement 1 an au prix de 448 € HT (457,41 € TTC) Vous trouverez ci-joint mon règlement de _________________€ TTC par chèque à l’ordre de Wolters Kluwer France SAS, je recevrai une facture acquittée. Je réglerai à réception de la facture. ENT 2 ANS D’ABONNEM 990 € HT Pour 810 € HT au lieu de tuite ! Soit 4 mois de lecture gra Mme Mlle M. 002579 004 Nom : ___________________________________________________________________________ Prénom : ________________________________________________________________________ Fonction : ______________________________________________________________________ Établissement : ________________________________________________________________ Adresse : ________________________________________________________________________ A_RLDI_3-10 ___________________________________________________________________________________ 1 AN D’ABONNEMENT Pour 448 € HT Compris dans votre abonnement annuel 11 numéros de la Revue Lamy Droit de l’Immatériel + 1 cédérom archives actualisé Conditions de vente, informations et commandes : www.wkf.fr Informatique I Médias I Communication Code postal : Ville : ____________________________________________________________________________ Téléphone : Télécopie : E-mail : _________________________________________________________________________ N° Siret : Siège Établissement Code NAF : Nombre de salariés à mon adresse : _______________________________________ * TVA 2,10 %. 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N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 59 Concurrence, concurrence… Retour sur la décision Interflora de la CJUE avec l’analyse d’Élisabeth Tardieu-Guigues. CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, RLDI 2011/76, n° 2509 PPar Éli Élisabeth b th TARDIEUGUIGUES RLDI Maître de conférences – HDR Responsable du DU Innovation, valorisation, partenariat Ercim UMR 5815, Faculté de droit et de science politique de Montpellier L 2555 ’utilisation d’un signe identique à la marque d’autrui dans le cadre d’un service de référencement, ayant les caractéristiques d’AdWords, aux fins de proposer une alternative aux produits ou services du titulaire de la marque peut être justifiée. La société Interflora Inc. (ci-après Interflora) détient la marque « Interflora », marque nationale au Royaume-Uni et marque communautaire, pour designer un service de livraison de fleurs. Celle-ci jouit d’une renommée importante au Royaume-Uni ainsi que dans d’autres États membres de l’Union européenne. La société Marks and Spencer Plc (ciaprès M & S), société de droit anglais, est l’un des principaux détaillants au Royaume-Uni. Elle distribue un large éventail de produits et propose des services via son réseau de magasins et via son site <www.marksandspencer.com>. L’un de ces services consiste dans la vente et la livraison de fleurs. Cette activité commerciale est en concurrence avec celle d’Interflora. M & S a, dans le cadre du service de référencement AdWords de Google, sélectionné le terme « Interflora » de même que des variantes constituées de ce terme avec de petites erreurs, ainsi que des expressions comportant le mot « Interflora » (à savoir « Interflora Flowers », « Interflora Delivery », « Interflora.com », « Interflora co uk », etc.) en tant que mots clés. Par conséquent, lorsqu’un internaute tape sur son ordinateur le mot « Interflora » ou l’une desdites variantes ou expressions comme terme de recherche dans le moteur de recherche Google, une annonce de M & S apparaît dans la rubrique « liens commerciaux ». À la suite de ces faits, la société Interflora intente une action en contrefaçon à l’encontre de M & S et de Flowers Direct Online (cette dernière postérieurement écartée de l’affaire). C’est dans le cadre de ce litige que la Hight Court of Justice (England & Wales, Chancery Division, Royaume-Uni) a saisi la CJUE, celle-ci a rendu un arrêt le 22 septembre 2011 (1). La demande de décision préjudicielle portait premièrement sur l’interprétation de l’article 5 de la première directive n° 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, et de l’article 9 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire. Ces articles « doivent[-ils] être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un concurrent de faire afficher, à partir d’un mot clé identique à cette marque que ce concurrent a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet, une annonce pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée » ? (I). Dans un second temps la juridiction de renvoi demandait aussi, en substance, si « les articles 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 doivent[-ils] être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque renommée est habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d’un mot clé correspondant à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet » ? (II). I. – L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 5, § 1, A), DE LA DIRECTIVE N° 89/104 La CJUE, après un rappel des interprétations (2) qui ont déjà été données de l’article 5, § 1, a), de la directive n° 89/104 (aujourd’hui abrogée sans réel changement et remplacée par la directive n° 2008/95 CE) (et de l’article 9 du règlement [CE] n° 40/94), rappelle que c’est au regard des fonctions de la marque que la juridiction saisie doit interpréter les faits qui lui sont soumis : « Si le législateur de l’Union a qualifié d’“absolue” la protection contre l’usage non consenti de signes identiques à une marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels (1) CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09. (2) Entre autres, CJCE, 12 juill. 2002, aff. C-206/01, Arsenal ; CJUE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal et a ; CJUE, 8 juill. 2010, aff. C-558/08, Portakabin ; CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236-08 à C-238/08, Google ; CJUE, 25 mars 2010, aff. C-278/08, BergSpechte. 60 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication celle-ci est enregistrée, la Cour a mis cette qualification en perspective en relevant que, aussi importante qu’elle puisse être, la protection octroyée par l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n° 89/104 ne vise qu’à permettre au titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de celle-ci, c’est-à-dire d’assurer que cette dernière puisse remplir ses fonctions propres. » (3) La Cour a déjà défini plusieurs fois quelles étaient les fonctions de la marque. Ce sont celles d’indication de l’origine du produit ou du service couvert par la marque (4) et celles de communication d’investissement et de publicité (5). Il découle de cette décision que l’usage du signe identique à la marque d’un tiers, par un annonceur dans le cadre d’un service de référencement sur internet, peut être libéré, si cet usage ne porte pas atteinte à l’une des fonctions de la marque, fonction d’indication d’origine (A), de publicité et d’investissements (B) attachées au droit de marque. A. – L’atteinte à la fonction d’indication d’origine La fonction essentielle de la marque a été maintes fois définie comme la garantie de l’indication de provenance ou d’origine, ou encore garantie d’identité d’origine, et le droit exclusif octroie au titulaire de la marque le pouvoir d’empêcher l’usurpation de sa marque par un concurrent, pour désigner ses propres produits ou services dans le sens où la fonction de garantie de provenance en serait altérée (6). Pour la CJUE, l’atteinte à la fonction d’identification d’origine de la marque dépend de la façon dont l’annonce qui apparaît en lien commercial est présentée (7). En effet il n’y a atteinte que « lorsque l’annonce ne permet pas, ou permet difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise qui lui est économiquement liée » (8). Ce n’est donc pas l’usage, en tant que tel, du signe identique pour des produits ou services identiques à la marque du tiers, choisi en un mot clé par l’annonceur, qui porte atteinte au droit de marque. C’est une appréciation in concreto de l’atteinte à une fonction qui est affirmée. La CJUE, dans un arrêt du 23 mars 2010 (9), avait qualifié cet usage d’un signe identique à la marque du tiers par l’annonceur « d’un usage du signe pour des produits et services au sens de l’article 5, § 1a), de la directive » tout en renvoyant à la juridiction saisie (10) le soin d’apprécier si, au cas par cas, les faits du litige portent atteinte ou risquent de porter atteinte à la fonction d’identité d’origine. La Cour a fait référence aux critères qui doivent guider le juge dans son appréciation de l’atteinte, nous les retrouvons ici : « Si l’annonce du tiers suggère l’existence d’un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y a lieu de conclure qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de cette marque. De même, lorsque l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou bien, au contraire, s’il est économiquement lié à celui-ci, il convient de conclure qu’il y a atteinte à ladite fonction de la marque (arrêts précités Google France et Google, points 89 et 90, ainsi que Portakabin, point 35). » (11) Il semble que, désormais, l’atteinte à la fonction d’indication d’origine soit caractérisée (12) par ces critères. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 2 février 2011, s’était emparé de l’arrêt de la CJCE, du 23 mars 2010, pour débouter de sa demande en contrefaçon le titulaire d’une marque à l’encontre d’un annonceur qui avait utilisé sa marque en mot clé (13) ; dans les mêmes circonstances la Cour d’appel de Montpellier le 22 février 2011 (14), retenant une interprétation plus extensive du droit de marque, condamnait pour contrefaçon un annonceur alors même que manifestement il n’y avait pas de confusion sur l’origine des produis vendus sur son site. Cette dernière jurisprudence, fondée sur l’atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque de se servir du « signe » n’aura plus lieu d’être, dans la mesure où, en l’absence de méprise sur l’origine des produits présentés, il n’y a pas d’atteinte à la fonction d’indication de provenance de la marque. Si l’annonce présentée par le tiers ne peut faire croire à l’internaute « normalement informé et raisonnablement attentif » qu’il existe un lien entre les entreprises ou produits et services en cause et qu’a fortiori, il comprend qu’il se trouve face à une offre alternative de produits ou de service, il n’y a pas atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque et a fortiori au droit de marque. C’est à la juridiction de renvoi d’apprécier si au regard des faits « l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif ayant introduit les termes ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL > (3) Point 37 de l’arrêt. (4) CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal, point 48, fonction qualifiée maintes fois d’essentielle. La fonction de la garantie de la qualité des produits n’est pas évoquée dans cet arrêt commenté, sur ce sujet voir OHMI, 14 sept. 2000, Unilever, R 0436/1999-1, point 17. (5) CJUE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal c/ Bellure, Propr. indust. 2009, comm. 51, Folliard Monguiral A. ; CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, Google. (6) Pour la naissance de la fonction de la marque dans les premiers arrêts rendus dans le cadre de la compatibilité entre droit des marques et droit de non-concurrence mis en place par le Traité de Rome voir CJCE, 31 oct. 1974, aff. 16/74, Centrafarm, Rec. CJCE 1974, p. 1183 : « l’objet spécifique du droit de marque est d’assurer au titulaire le droit exclusif d’utiliser la marque pour la mise en circulation du produit et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette marque » ; voir CJCE, 3 juill. 1974, aff. 192/73, Hag I, Rec. CJCE 1974, p. 731 ; CJCE, 22 juin 1976, aff 119/75, Terrapin c/ Terranova : « la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit désigné par la marque en permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux ayant une autre provenance », ; voir aussi CJCE, 23 mai 1978, aff. C-102/77, Hoffmann Laroche c/ Centrafarm : « La marque doit contribuer à garantir au consommateur l’identité d’origine du produit sans confusion possible de ce produit de ceux qui ont une autre provenance » (7) Point 44 de l’arrêt ; égal. arrêt Google du 23 mars 2010, voir infra note 9. (8) Point 44. (9) CJUE, 23 mars 2010, aff. C.236/08 à C-238/08 , Google, points 69, 70, 71 : « Dans cette situation caractérisée par le fait qu’un signe identique à une marque est sélectionné en tant que mot clé par un concurrent du titulaire de la marque dans le but de proposer aux internautes une alternative par rapport aux produits ou aux services dudit titulaire, il y a usage dudit signe pour les produits ou les services dudit concurrent. (…) Il convient de rappeler, à cet égard, que la Cour a déjà jugé qu’un annonceur qui utilise, dans le cadre d’une publicité comparative, un signe identique ou similaire à la marque d’un concurrent afin d’identifier, explicitement ou implicitement, les produits ou les services offerts par ce dernier et de comparer ses propres produits ou services avec ceux-ci, fait un usage dudit signe “pour des produits ou des services” au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive n° 89/104 (…) l’usage que l’annonceur fait du signe identique à la marque d’un concurrent pour que l’internaute prenne connaissance non seulement des produits ou des services offerts par ce concurrent mais également de ceux dudit annonceur, est un usage pour les produits ou les services de cet annonceur. » (10) CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, point 88. (11) Point 45 de l’arrêt. (12) Limitée ? (13) Voir nos obs., in RLDI 2011/71, n° 2338. (14) CA Montpellier, n° 10.00594, < www.legalis.net>. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 61 CONCU R R ENCE, CONCU R R ENCE… tée ». Mais cela dépend aussi de la personne qui lit l’annonce, “Interflora” puisse comprendre que le service de livraison de cela dépend aussi de l’internaute « normalement informé et fleurs proposé ne provient pas d’Interflora » (15). raisonnablement attentif ». Ce point est réaffirmé ici (20). Ce Le droit exclusif octroyé au titulaire de la marque sur le fondement de l’article 5, § 1, a), de la directive, est lu au ren’est donc plus tant l’exclusivité du signe (sans confondre le signe et gard de la fonction du droit. Du caractère exclusif du droit il le droit) au profit du titulaire de la marque qui est protégé, que n’est plus beaucoup question. L’article 5, § 1), indique : « Le les fonctions pour lesquelles le droit de marque a été octroyé. titulaire est habilité à interdire à tout tiers en l’absence de son Le lien commercial permet une concurrence accrue entre consentement, de faire un usage dans la vie des affaires, a) d’un les différents opérateurs économiques, puisque peut être signe identique à la marque pour des produits et des services proposée au consommateur une alternative aux produits identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. » du titulaire de la marque, ce qui est tout à l’avantage des Comme le fait justement remarquer un auteur (16) à propos consommateurs. Dès lors, l’absence de toute ambiguïté dans l’annonce permet un renversement de la présomption de de l’arrêt L’Oréal c/ Bellure (17), et analysant le 10e considérant l’atteinte au droit établie par l’article 5, § 1, a), de la direcde la directive n° 89/104 (devenu n° 11 dans la directive n 2008/95) « le tive. La distinction entre « signe identique » et « marque » risque de confusion est dans tous les cas la condition spécifique met en valeur la fonction économique de la marque, qui de la protection de la marque. (…) » et « si le considérant est de permettre la concurrence entre indique que la protection conférée par les produits et les services des opérala marque est absolue en cas d’identité Lorsqu’il y a une identité teurs économiques. La Cour précise entre les signes et les spécialités ce n’est absolue entre le signe et la que « seule l’existence d’un risque de pas pour souligner qu’elle ne dépend en marque et les produits, ou contusion permet au titulaire d’évoquer aucune façon du risque de confusion, utilement son droit exclusif ». Dans mais semble-t-il seulement pour faire apservices, il n’y a pas lieu la mesure où l’internaute « normaparaître que le risque de confusion, dans de prouver la confusion lement informé et raisonnablement le sens où il est entendu, est présumé ». entre les produits et les attentif » peut faire la différence entre Cette interprétation est juste. Lorsqu’il y services pour obtenir la les produits et services du titulaire a une identité absolue entre le signe et la protection du droit des de la marque et ceux de l’annonceur, marque et les produits, ou services, il n’y marques, car ce risque de l’accès au signe peut être libéré. a pas lieu de prouver la confusion entre confusion est présumé. En l’espèce, la Cour remarque que les produits et les services pour obtenir la diversité des commerçants auxquels la protection du droit des marques, car recourt la société Interflora permet peut-être difficilement ce risque de confusion est présumé. Mais désormais il semble à l’internaute « normalement informé et raisonnablement que la preuve de l’absence de confusion ou de toute méprise attentif » de savoir, en l’absence d’indication donnée par sur l’origine des produits dans le cadre de l’annonce passée l’annonceur, si ce dernier fait ou non partie du réseau d’Inen lien commercial, permet de faire tomber cette présompterflora. C’est à la juridiction saisie d’évaluer, au regard de tion (18). Comme nous l’avions évoqué, « il n’était pas si ce fait et d’autres « qu’elle considérera comme pertinents », si évident que l’apparition de liens commerciaux suggère un lien l’annonce de M & S permettait à l’internaute de comprendre entre des entreprises concurrentes. Si un annonceur dans un que son service de livraison de fleurs n’appartient pas au journal achète des emplacements, systématiquement à côté réseau d’Interflora (21). de son concurrent sera-t-il condamnable ? C’est l’opacité du système qui est ici en cause, le fait que l’internaute ne soit pas B. – L’atteinte aux fonctions de publicité vraiment informé sur la nature du lien commercial qui risque de et d’investissements l’induire en erreur sur les liens entre les différentes entreprises, alors que l’erreur du consommateur dans un journal n’est pas La Cour rappelle en introduction (22) que la fonction possible ». Comme l’indique la CJCE dans l’arrêt Google du 23 d’indication de provenance n’est pas la seule, il existe d’autres mars 2010 (19), « la question de savoir s’il y a une atteinte à fonctions qui méritent la protection et il nous est dit que ces fonctions concernent toutes les marques, celles qui sont cette fonction de la marque lorsque est montrée aux internautes, renommées et les autres (23). Ces fonctions qualifiées à pluà partir d’un mot clé identique à une marque, une annonce d’un tiers, tel qu’un concurrent du titulaire de cette marque, sieurs reprises par la doctrine de « mystérieuses » (24)sont ici dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présenexplicitées, mais l’atteinte à celles-ci paraît difficile à mettre (15) Point 55 de notre arrêt. (16) Passa J., Caractérisation de la contrefaçon par référence aux fonctions de la marque : la Cour de justice sur une fausse piste, Propr. indust. 2011, n° 1, étude 1. (17) CJUE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, point 58, L’Oréal c/ Bellure. (18) Passa J., étude précitée. (19) Points 83 et 84 de l’arrêt. (20) Point 44. (21) Et la Cour précise aussi que l’on doit faire référence à la majorité des internautes. (22) Points 39 et 40. (23) « S’agissant des fonctions de la marque autres que celle de l’indication d’origine, il importe de relever que tant le législateur de l’Union, par l’emploi du terme “notamment” au 10e considérant de la directive n° 89/104 et au 7e considérant du règlement n° 40/94, que la Cour, par l’emploi des termes “fonctions de la marque” depuis l’arrêt Arsenal Football Club, précité, ont indiqué que la fonction d’indication d’origine de la marque n’est pas la seule fonction de celle-ci digne de protection contre des atteintes par des tiers. Ils ont ainsi tenu compte de la circonstance qu’une marque constitue souvent, outre une indication de la provenance des produits ou des services, un instrument de stratégie commerciale employé, en particulier, à des fins publicitaires ou pour acquérir une réputation afin de fidéliser le consommateur. » « Certes, une marque est toujours censée remplir sa fonction d’indication d’origine, tandis qu’elle n’assure ses autres fonctions que dans la mesure où son titulaire l’exploite en ce sens, notamment à des fins de publicité ou d’investissement. Toutefois, cette différence entre la fonction essentielle de la marque et les autres fonctions de celle-ci ne saurait aucunement justifier que, lorsqu’une marque remplit l’une ou plusieurs de ces autres fonctions, des atteintes à ces dernières soient exclues du champ d’application des articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94. De la même manière, il ne peut être considéré que seules des marques renommées peuvent avoir des fonctions autres que celle d’indication d’origine. » (24) En ce sens, Bonet G., Publicité sur internet et référencement selon la Cour de justice : contrefaçon ou directive n° 2003/CE, Comm. com. élect. 2010, n° 6, étude 12 ; Larrieu J., Propr. indust. 2010, n° 9, alerte 87. 62 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication en œuvre, le titulaire de la marque n’est donc pas avantagé dans la défense de son droit. 1°/ L’atteinte à la fonction de publicité Si l’arrêt Google (25) définissait par la négative la fonction publicitaire de la marque, cette décision précise le contenu de cette fonction qui est « d’informer et persuader les consommateurs » (26). Dans le cadre des adwords, il n’y a pas atteinte à la fonction publicitaire de la marque, car « la sélection d’un signe identique à la marque d’autrui n’a pas pour effet de priver le titulaire de cette marque de la possibilité d’utiliser efficacement sa marque pour informer et persuader » (27). La Cour conclut « que ne porte pas atteinte, dans le cadre d’un service de référencement ayant les caractéristiques de celui en cause au principal, à la fonction de publicité de la marque » (28). Cette formulation assez sèche paraît exclure l’atteinte à la fonction publicitaire dans le cadre de la pratique des adwords. La CJUE fait remarquer qu’en principe l’usage d’un terme identique à une marque d’autrui dans le cadre d’un service de référencement ne porte pas atteinte à la fonction publicitaire de la marque, même si elle reconnaît que « ledit usage peut avoir des répercussions sur l’emploi publicitaire d’une marque verbale par son titulaire (29). (…) Toutefois, le seul fait que l’usage, par un tiers, d’un signe identique à une marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée contraigne le titulaire de cette marque à intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir ou augmenter sa visibilité auprès des consommateurs, ne suffit pas, dans tous les cas, pour conclure qu’il y a atteinte à la fonction de publicité de ladite marque ». Donc si ledit usage du signe peut avoir des répercussions sur l’emploi publicitaire de la marque, notamment en termes de coûts, cela n’est pas une atteinte à la fonction publicitaire de la marque. Il est réaffirmé que la publicité sur internet à partir de mots clés a un but : proposer une alternative par rapport aux produits et services de ladite marque, et l’utilisation du signe par le tiers permet le jeu de la concurrence. « Il importe de souligner, à cet égard, que, si la marque constitue un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le droit de l’Union entend établir (voir, notamment, arrêt du 23 avril 2009, Copad, C-59/08, Rec. p. I-3421, point 22), elle n’a cependant pas pour objet de protéger son titulaire contre des pratiques inhérentes au jeu de la concurrence. » (30) De prime abord la publicité permet l’annonce des produits ou des services d’une entreprise. Cela suppose-t-il que l’usage du signe par l’annonceur concurrent étant caché, il ne peut être une atteinte à la fonction publicitaire de la marque qui est d’informer et de persuader les consommateurs dans la mesure où aucun argumentaire n’est offert au public ? La fonction publicitaire se résumerait à un affichage public ? Ce sera aux juridictions saisies de nous éclairer… ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL 2°/ L’atteinte à la fonction d’investissement Ici est défini ce que peut être la fonction d’investissement. Manifestement tous les actes qui permettent l’acquisition, le développement, le maintien, la conservation de la réputation de la marque sont regroupés au sein de la fonction d’investissement ; ce qui suggère que désormais certaines atteintes à la réputation que l’on pouvait auparavant qualifier d’actes de concurrence déloyale peuvent sous certaines conditions être qualifiés d’actes de contrefaçon au sens de l’article 5, § 1, a), de la directive, et que d’autres actes appréhendés sur d’autres fondements tel le conditionnement les y rejoignent… Cet assemblage disparate, comme nous allons le voir, tend peut-être à rassembler sous le même manteau la défense de la réputation de la marque, quelle que soit la marque, renommée ou non. Il nous semble que la Cour vise, dans cette décision, à une plus grande uniformisation des pratiques de défense de la réputation de la marque sur le territoire européen (31). Dans un premier temps la Cour donne une « idée » de ce qu’est la fonction d’investissement et des atteintes qui peuvent lui être portées (a) et dans un second temps elle écarte très nettement au nom de la liberté du commerce et de l’industrie le fait que l’usage du signe dans le cadre des adwords par le tiers soit condamnable en soi (b). La question est donc de savoir quel est l’intérêt de la fonction d’investissement si l’atteinte à la fonction requiert les mêmes types de preuve que la preuve des actes de concurrence déloyale. a) La fonction d’investissement La fonction d’investissement a pour but de permettre l’acquisition et la conservation de la réputation d’une marque « au moyen de différentes techniques commerciales » (32). « Lorsque l’usage par un tiers, tel qu’un concurrent du titulaire de la marque, d’un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs, il convient de considérer que cet usage porte atteinte à la fonction d’investissement de la marque. Ledit titulaire est, par conséquent, habilité à interdire un tel usage en vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n° 89/104 ou, en cas de marque communautaire, de l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 » (33) (nous soulignons). « Dans une situation où la marque bénéficie déjà d’une telle réputation, il est porté atteinte à la fonction d’investissement lorsque l’usage par le tiers d’un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques affecte cette réputation et met ainsi en péril le maintien de celle-ci. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le titulaire d’une marque doit pouvoir s’opposer, en vertu du droit exclusif qui lui est conféré par la marque, à un tel usage (voir arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal et a., C-324/09, non encore publié au Recueil, point 83). » > (25) CJUE, 23 mars 2010, précité, point 69. (26) Point 59. (27) Point 59. (28) Point 66. (29) Points 54 : « Notamment, lorsque ce dernier inscrit sa propre marque en tant que mot clé auprès du fournisseur du service de référencement afin de faire apparaître une annonce dans la rubrique “liens commerciaux”, il devra parfois, si sa marque a également été sélectionnée en tant que mot clé par un concurrent, payer un prix par clic plus élevé que ce dernier s’il veut obtenir que son annonce apparaisse devant celle dudit concurrent (voir arrêt Google France et Google, précité, point 94) » et 55. (30) Point 57. (31) En espérant ne pas avoir une lecture trop hâtive de l’arrêt… (32) Point 61 : « l’emploi de la marque pour acquérir ou conserver une réputation s’effectue non seulement au moyen de la publicité, mais également au moyen de diverses techniques commerciales » (nous soulignons). (33) Point 62. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 63 CONCU R R ENCE, CONCU R R ENCE… Toutes ces atteintes à la réputation de la marque sont-elles L’acquisition, le développement, la conservation, et enfin désormais sanctionnées comme des atteintes à la fonction la défense de la réputation de la marque, tous ces actes relèvent d’investissement ? Cette fonction soulève donc bien des donc de la fonction d’investissement de la marque, et à ce titre questions, notamment de preuve… entrent dans le champ de l’article 5, § 1, de la directive. La lecture de ces paragraphes suscite des interrogations. Offrons b) Un usage du signe justifié au regard des règles quelques pistes… de concurrence Lorsque sont visées « les diverses techniques commerMais la preuve de l’atteinte à cette fonction paraît très ciales », les réseaux de distribution (sélective, ou exclusive, de concession, difficile… voire la licence) sont-ils visés ? Auquel cas l’atteinte à ces réseaux Pour la CJUE, « il ne saurait être admis que le titulaire (antérieurement sanctionnée sur le terrain de la concurrence déloyale) deviendrait d’une marque puisse s’opposer à ce qu’un concurrent fasse, une atteinte au droit de marque au sens de l’article 5, § 1, de dans des conditions de concurrence loyale et respectueuse la directive. Le second paragraphe de l’arrêt fait-il référence à de la fonction d’indication d’origine de la marque, usage la pratique de la vente de produits de moindre qualité, idend’un signe identique à cette marque pour des produits ou tiques ou similaires à ceux du titulaire de la marque, signalés, des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enannoncés, dans les liens commerciaux grâce aux adwords registrée, si cet usage a pour seule conséquence d’obliger le ou, bien encore, à la revente des produits du titulaire de la titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir marque dans un environnement préjudiciable à la réputation ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser de la marque ? Sans qu’il y ait de confusion sur l’origine des les consommateurs. produits, ces actes n’ont-ils pas déjà été sanctionnés comme De la même manière, la circonstance que ledit usage atteinte à la réputation de la marque sur le terrain de l’article 5, conduise certains consommateurs à se § 2, pour les marques renommées ? (34), détourner des produits ou des services sous réserve toujours de l’appréciation Quel est l’intérêt revêtus de ladite marque ne saurait des faits par la juridiction saisie. L’arrêt d’inclure cette fonction être utilement invoquée par le titulaire nous plonge dans l’expectative… des « d’investissement » de cette dernière (…). C’est eu égard à interprétations. Enfin, dans le dernier dans le droit de ces considérations qu’il appartiendra paragraphe, il est fait référence à l’armarque ? Concurrence, à la juridiction de renvoi de vérifier si rêt L’Oréal, or ce dernier concerne des concurrence… l’usage, par M & S, du signe identique faits très différents de notre affaire. En à la marque Interflora met en péril le simplifiant il s’agissait du titulaire d’une maintien, par Interflora, d’une réputation susceptible d’attirer marque qui tentait d’empêcher un revendeur (non agréé) de et de fidéliser des consommateurs » (36). vendre sur internet des objets (parfums) dont le conditionnement avait été ôté. Que nous dit cet arrêt : « le titulaire d’une marque Autrement dit, il est nécessaire au titulaire de la marque peut, en vertu du droit exclusif conféré par celle-ci, s’opposer à de prouver l’atteinte à la réputation de la marque, dans les la revente de produits, tels que ceux en cause dans l’affaire au mêmes termes que ceux requis dans le cadre d’une action en principal, au motif que le revendeur a retiré l’emballage de ces concurrence déloyale, pour empêcher un tiers de se servir du produits, lorsque ce déconditionnement a pour conséquence signe identique à la marque. Le titulaire de la marque ne peut que des informations essentielles, telles que celles relatives à empêcher l’usage du signe s’il est fait dans des conditions de l’identification du fabricant ou du responsable de la mise sur concurrence loyale et respectueuse de la fonction d’indication le marché du produit cosmétique, font défaut. Lorsque le retrait d’origine de la marque par les concurrents, et ce même si de l’emballage n’a pas conduit à un tel défaut d’informations, cela aboutit à ce que les internautes se reportent pour partie le titulaire de la marque peut néanmoins s’opposer à ce qu’un sur les produits ou services du concurrent du titulaire de la parfum ou un produit cosmétique revêtu de la marque dont marque, grâce au fait qu’ils ont pu prendre connaissance il est titulaire soit revendu dans un état déconditionné, s’il d’autres produits grâce aux liens commerciaux. établit que le retrait de l’emballage a porté atteinte à l’image Finalement s’il n’y pas d’ambiguïté dans l’annonce elledudit produit et, ainsi, à la réputation de la marque » (35). même, si la proposition des produits et services du tiers se fait de façon loyale, si les produits du tiers, ou ses services, Mais cette pratique n’est-elle pas déjà interdite sur le fondene portent pas atteinte à la réputation de la marque, l’usage ment de la règle relative à l’épuisement du droit, où, dès lors d’un signe identique à la marque est libre pour des produits que les produits du titulaire de la marque sont modifiés ou et services identiques à ceux du titulaire de la marque. altérés, ce dernier a un motif légitime pour s’opposer à un Quel est donc l’intérêt d’inclure cette fonction « d’invesnouvel de acte de commercialisation ? C’est dire que c’est sur tissement » dans le droit de marque ? Concurrence, concurle fondement de l’article 7 de la directive que le titulaire de la rence… marque pouvait s’opposer à ce type de pratiques. (34) Voir arrêt Dior c/ Evora, 4 nov. 1997, aff. C-337/95 où la CJCE avait indiqué que si « le titulaire d’une marque ne peut s’opposer, au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive n° 89/104, à ce qu’un revendeur, qui commercialise habituellement des articles de même nature, mais pas nécessairement de même qualité, que les produits revêtus de la marque, emploie, conformément aux modes qui sont usuels dans son secteur d’activité, la marque afin d’annoncer au public la commercialisation ultérieure de ces produits, à moins qu’il ne soit établi que, compte tenu des circonstances propres à chaque espèce, l’utilisation de la marque à cette fin porte une atteinte sérieuse à la renommée de ladite marque » (nous soulignons) ; sur la défense de la réputation et de la renommée, arrêt Dior c/ Copad, 23 avr. 2009, aff C-59/08, point 57 : Droit de marque et contrat de licence : un élargissement du pouvoir des titulaires de marques de luxe vis-à-vis de leurs licenciés, Propr. intell. 2009, n° 32, nos obs., p. 251-260. (35) Point 83 de l’arrêt L’Oréal, 12 juill 2011, aff. C-324/09, précité. (36) Points 64, 65. 64 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication II. – L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 5, § 2, DE LA DIRECTIVE N° 89/104 ET DE L’ARTICLE 9, § 1, C), DU RÈGLEMENT N° 40/94 ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL d’un « juste motif », si celui-ci existe, il libère l’accès au signe identique à la marque renommée (B). A. – Les atteintes Le titulaire d’une marque renommée est-il habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d’un mot clé correspondant à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement du titulaire de la marque sélectionnée dans le cadre d’un service de référencement sur internet ? Rappelant le champ de l’article 5, § 2, de la directive n° 89/104 (37), la Cour, au regard de la renommée de la marque « Interflora », conclut à son application. La Cour se prononce ensuite sur la portée de la protection octroyée : « il résulte du libellé desdites dispositions que les titulaires de telles marques sont habilités à interdire l’usage par des tiers, dans la vie des affaires, de signes identiques ou similaires à celles-ci, sans leur consentement et sans juste motif, lorsque cet usage tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ces marques ou porte préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée » (38). C’est un résumé de l’article 5, § 2 (39), de la directive où la Cour juxtapose les termes « sans leur consentement » et « sans juste motif », ce qui présume de la suite du raisonnement. La Cour répète que l’exercice de ce droit par le titulaire de la marque renommée ne présuppose pas l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public concerné (40). La Cour énumère ensuite les atteintes à la marque renommée, et décrit le contenu de ces dernières, une seule de ces atteintes étant suffisante pour que la règle énoncée auxdites dispositions s’applique (41). Il y a, premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (42). La Cour reprend ensuite point par point ce que sont les atteintes à la renommée, et il semble bien que, dans notre cas, l’atteinte à la renommée soit constituée. Ce qui est reproché à M & S, c’est l’atteinte au caractère distinctif de la marque, le risque de dilution (43) de la marque « Interflora » et le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, le parasitisme (44), actes ici constitués (A). Mais, comme en matière de droit de la concurrence, où une pratique condamnable peut être « exemptée » pour des justes motifs, ce qui va être déterminant dans la décision c’est l’appréciation Les atteintes pour la Cour après l’analyse des faits semblent constituées. 1°/ L’atteinte au caractère distinctif du signe, le risque de dilution La Cour fait valoir qu’il y a effectivement un risque de dilution, lorsque l’utilisation du signe peut mener à une dénaturation ou à une évolution de la marque en terme générique. Interflora indiquait que l’utilisation du terme « Interflora » dans le cadre d’un service de référencement par M & S (voire d’autres entreprises) risquait de faire croire à l’internaute que la marque désignait tout service de livraison de fleurs. Mais, toujours en référence à « l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif », la Cour (45) énonce que si, lorsque l’internaute saisit le signe, la publicité qui apparaît en lien commercial lui permet de comprendre que le service promu par M & S est indépendant de celui d’Interflora, il n’y a pas de dilution ou d’affaiblissement de la marque. C’est donc à la juridiction saisie d’apprécier « sur la base de tous les indices qui lui sont soumis, si la sélection de signes correspondant à la marque Interflora en tant que mots clés sur internet a eu un impact tel sur le marché des services de livraison de fleurs que le terme “Interflora” a évolué pour désigner, dans l’esprit du consommateur, tout service de livraison de fleurs ». Le problème qui va se poser est de savoir à quel moment les titulaires de marques « renommées » vont pouvoir agir pour empêcher la dégénérescence de leur marque sur internet. À quel moment la marque devient-elle un mot du langage courant ou synonyme d’un objet ou service ? Encore une appréciation des faits à trancher par les juridictions. 2°/ Le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, le parasitisme Lorsqu’un annonceur a sélectionné, dans le cadre d’un service de référencement sur internet, un mot clé correspondant à une marque d’autrui, il espère que les internautes introduisant ce mot en tant que terme de recherche iront sur le site répertorié en lien commercial et pas seulement sur les liens affichés qui proviennent du titulaire de ladite marque. C’est bien dans cet espoir que l’annonceur utilise une marque renommée en mot clé, quitte à payer plus cher > (37) « S’agissant, d’abord, de l’applicabilité des règles énoncées au paragraphe 2 dudit article 5 et au paragraphe 1, sous c), dudit article 9, il est de jurisprudence constante que, même si ces dispositions ne se réfèrent expressément qu’à l’hypothèse où il est fait usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, la protection y énoncée vaut, à plus forte raison, également par rapport à l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée pour des produits ou des services qui sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée (voir, notamment, arrêts du 9 janvier 2003, Davidoff, aff. C-292/00, Rec. p. I-389, point 30 ; du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon et Adidas Benelux, aff. C-408/01, Rec. p. I-12537, points 18 à 22, ainsi que Google France et Google, précité, point 48). » (38) Point 70. (39) L’article 5, § 2, de la directive°n° 89/104 indique que « le titulaire de la marque est habilité à interdire à tout tiers en l’absence de son consentement, de faire un usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits et des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice » (nous soulignons). (40) Point 71. (41) Voir CJUE, 18 juin 2009, L’Oréal, point 38 ainsi que la note 42, précité. (42) Reprenant chacun de ces points la Cour indique que « le préjudice porté au caractère distinctif de la marque renommée (appelé aussi “dilution”) est constitué lorsque se trouve affaiblie l’aptitude de cette marque à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, un préjudice porté à la renommée de la marque, également désigné sous le terme, notamment, de “ternissement”, intervient lorsque les produits ou les services pour lesquels le signe identique ou similaire est utilisé par le tiers peuvent être perçus par le public d’une manière telle que la force d’attraction de la marque en est diminuée (voir arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal et a., précité, points 39 ainsi que 40). La notion de “profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque”, également désigné sous le terme, notamment, de “parasitisme”, quant à elle, s’attache non pas au préjudice subi par la marque, mais à l’avantage tiré par le tiers de l’usage du signe identique ou similaire à celle-ci. Elle englobe notamment les cas où, grâce à un transfert de l’image de la marque ou des caractéristiques projetées par celle-ci vers les produits désignés par le signe identique ou similaire, il existe une exploitation manifeste dans le sillage de la marque renommée (arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal et a., précité, point 41) ». (43) Points 75, 77. (44) Points 75, 84. (45) Point 81 : « si l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif est en mesure de comprendre que les produits ou les services offerts proviennent non pas du titulaire de la marque renommée mais, au contraire, d’un concurrent de celui-ci, il conviendra de conclure que la capacité distinctive de cette marque n’a pas été réduite par ledit usage, ce dernier ayant simplement servi à attirer l’attention de l’internaute sur l’existence d’un produit ou d’un service alternatif par rapport à celui du titulaire de ladite marque ». Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 65 CONCU R R ENCE, CONCU R R ENCE… de principe de la condamnation d’un acte punissable sur le ce mot. C’est parce que la marque à un attrait publicitaire, terrain de l’article 5, § 2, de la directive. qu’elle est un vecteur de communication important, et qu’elle est connue des internautes que l’annonceur choisit celle-ci, B. – L’existence d’une concurrence saine sinon il n’aurait aucune raison de la sélectionner en mot est un juste motif qui libère l’accès au signe clé (46)… Pour l’Avocat général lorsque le concurrent du Au nom de la concurrence et des nouvelles pratiques pertitulaire d’une marque jouissant d’une renommée sélectionne mises par l’outil internet, l’Avocat général nous dit : « compte cette marque en tant que mot clé dans le cadre d’un service tenu de la nécessité de favoriser une concurrence non faussée et de référencement sur internet, « il est évident que M & S tire d’offrir aux consommateurs des possibilités de rechercher des profit de la renommée d’Interflora, car on conçoit mal que le informations sur des produits et services (…) la raison d’être choix des mots clés auquel elle a procédé puisse s’expliquer de l’économie de marché est, après tout, que des consommapour une autre raison » (47). teurs bien informés puissent faire des choix conformément à La Cour constate que « lorsque des internautes achètent, leurs préférences. Je trouverais injustifié que le titulaire de la après avoir pris connaissance de l’annonce dudit concurrent, marque puisse interdire un tel usage de sa marque, à moins le produit ou le service offert par ce dernier au lieu de celui du qu’il n’ait des motifs de s’opposer à l’annonce qui s’affiche titulaire de la marque sur laquelle portait initialement leur lorsque l’internaute tape un mot de recherche correspondant à recherche, ce concurrent tire un réel avantage du caractère un mot clé » (49). La Cour lui emboîte le pas : « lorsque la pudistinctif et de la renommée de cette marque. Il est au surplus constant que, dans le cadre d’un blicité affichée sur internet à partir d’un service de référencement, l’annonceur mot clé correspondant à une marque reLa liste des atteintes sélectionnant des signes identiques ou nommée propose, sans offrir une simple similaires à des marques d’autrui ne imitation des produits ou des services n’est pas limitative, paie, en règle générale, aucune compendu titulaire de cette marque, sans causer sinon la possibilité qu’il sation pour cet usage aux titulaires de une dilution ou un ternissement et sans existe une exploitation ces marques » (48). au demeurant porter atteinte aux foncindue de la renommée tions de ladite marque, une alternative En conséquence, « il résulte de ces du droit de marque serait par rapport aux produits ou aux services caractéristiques de la sélection de signes singulièrement étroite. du titulaire de la marque renommée, il correspondant à des marques renomconvient de conclure qu’un tel usage mées d’autrui en tant que mots clés sur relève, en principe, d’une concurrence saine et loyale dans le internet qu’une telle sélection » peut, lorsqu’un « juste motif » secteur des produits ou des services en cause et a donc lieu au sens des articles 5, paragraphe 2, de la directive n° 89/104 pour un “juste motif” au sens des articles 5, paragraphe 2, de et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 fait défaut, la directive n° 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règle« s’analyser comme un usage par lequel l’annonceur se place ment n° 40/94 ». Il incombe donc à la juridiction de renvoi dans le sillage d’une marque renommée afin de bénéficier de d’apprécier, en tenant compte des éléments d’interprétation son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige, qui précèdent, si les faits du litige au principal sont caractéainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière risés par un usage du signe sans juste motif tirant indûment et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard, l’effort profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer Interflora. Dans la mesure où les services proposes par M & S et entretenir l’image de cette marque. S’il en va ainsi, le prosont de qualité (nous semble-t-il), il n’existera pas d’atteinte à la fit ainsi réalisé par le tiers doit être considéré comme étant indu (voir, à cet égard, arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal et a., réputation de la marque. précité, point 49) ». Le paragraphe suivant précise : « une Pour favoriser la concurrence, et l’information des consomtelle conclusion peut notamment s’imposer dans des cas où mateurs, il était autorisé légalement l’usage du signe dans le des annonceurs sur internet offrent à la vente, moyennant cadre de publicité comparative, l’usage du signe à titre de la sélection de mots clés correspondant à des marques reréférence nécessaire, désormais l’interprétation de l’article 5, nommées, des produits qui sont des imitations des produits § 2, de la directive par la Cour permet aussi un usage à titre du titulaire desdites marques (arrêt Google France et Google, informatif, dans le cadre des adwords, pour proposer des proprécité, points 102 et 103) » (nous soulignons). duits ou services alternatifs à ceux du titulaire de la marque La liste des atteintes n’est pas limitative, sinon la possibilité sous condition toujours de l’appréciation des atteintes par la qu’il existe une exploitation indue de la renommée du droit juridiction saisie… Le droit des marques devient de moins en de marque serait singulièrement étroite. Voilà pour l’énoncé moins « exclusif ». ◆ (46) Voir RLDI 2011/71, nos obs. précitées. (47) Point 96 des conclusions de l’Avocat général. (48) Point 88. (49) Point 99. 66 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication rendant compte d’investigations réalisées dans une enquête la concernant, Mme Bettencourt a porté plainte du chef de violation du secret professionnel auprès du procureur de la République ; ce dernier ayant, le 2 septembre 2010, ordonné une enquête préliminaire, en autorisant notamment les officiers de police judiciaire à obtenir, par voie de réquisitions auprès des opérateurs de téléphonie, l’identification des numéros de téléphone des correspondants des journalistes auteurs dudit article. Procédant par voie de recoupement, les enquêteurs ont ainsi dressé une liste des personnes pouvant avoir un lien avec la procédure en cours. Après ouverture d’une information contre personne dénommée, les juges d’instruction désignés ont saisi la chambre de l’instruction qui a prononcé l’annulation des réquisitions visant à des investigations sur les lignes téléphoniques des journalistes en cause et celle des pièces dont elles étaient le support. Sa décision est donc suivie par la Haute Juridiction. De fait, à la suivre, « l’atteinte portée au secret des sources des journalistes n’était pas justifiée par l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public et la mesure n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi ». Il s’agit là de la formule employée usuellement par la CEDH. Et d’en conclure que « la chambre de l’instruction a légalement justifié sa décision tant au regard de l’article 10 de la CEDH qu’au regard de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 ». ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL Par Lionel COSTES Directeur de collection Lamy droit de l’immatériel Lamy droit international et Marlène TRÉZÉGUET Secrétaire générale de la rédaction Lamy droit de l’immatériel LES GRANDS SECTEURS DE L’IMMATÉRIEL RLDI DROITS FONDAMENTAUX 2556 Affaire Bettencourt : confirmation par la Cour de cassation de la violation du secret des journalistes du Monde Sa chambre criminelle a ainsi rejeté le pourvoi introduit contre la décision de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Bordeaux du 5 mai dernier. Cass. crim., 6 déc. 2011, n° 11-83.970, FS-P+B Il convient de rappeler qu’à la suite de la publication dans le quotidien Le Monde par deux de ses journalistes d’un article • OBSERVATIONS • Il est inutile de souligner l’importance de la présente décision dans la mesure où, d’une part, l’enquête du procureur de Nanterre est en conséquence annulée – celui-ci étant susceptible d’être mis en examen –, et où, d’autre part, c’est la première fois que la Cour de cassation fixe le cadre légal du secret des sources des journalistes. On ne peut que s’en féliciter. De fait, elle constitue une nouvelle très positive pour les défenseurs de la protection des sources des journalistes. Ce faisant, elle suit les conclusions de l’Avocat général, Yves Charpenel, qui, lors de l’audience du 22 novembre, avait rappelé que la loi de janvier 2010 « a clairement voulu renforcer la protection des sources des journalistes ». Il revient à l’éditeur le pouvoir de fixer un même prix de Aussi, il a demandé, le 17 novembre, à la Commission vente pour tous les revendeurs, qu’ils opèrent depuis européenne de revoir sa législation dans ce sens. la France ou depuis l’étranger. Selon lui, « les États membres peuvent appliquer Par ailleurs, il définit les critères permettant à l’éditeur des taux de TVA réduits à la fourniture de livres sur de fixer des prix différents pour une même œuvre tous les supports physiques, tandis que les livres commercialisée sous forme numérique (contenu de électroniques sont soumis à un taux normal de pas Publication du décret sur le prix unique du livre numérique l’offre, modalités d’accès, modalités d’usage). Il déter- moins de 15 % ». mine aussi les modalités qui s’imposent aux éditeurs Et les eurodéputés de souligner dans une résolution La loi sur le prix unique du livre numérique est entrée en vigueur, le 12 novembre, avec la publication de son décret d’application au Journal officiel (D. n° 2011-1499, 10 nov. 2011, JO 11 nov., p. 18999). Ce décret, qui avait fait l’objet d’une notification à la Commission européenne, précise deux aspects de la loi relative au prix unique du livre numérique : – la définition du livre numérique ; – les modalités de fixation du prix de vente par l’éditeur. et aux détaillants pour le marquage des prix et leur adoptée à une large majorité à Strasbourg que « cette communication au consommateur final. discrimination est indéfendable, vu le potentiel de On rappellera que la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 croissance de ce segment du marché ». doit permettre de créer pour les acteurs français les Le Parlement estime que l’UE pourrait permettre à ses conditions d’une concurrence équitable. États membres d’appliquer, de manière temporaire, un En bref... ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL > taux réduit de TVA sur « les services à contenu culturel Livre numérique : le Parlement européen favorable à une baisse de la TVA fournis par voie électronique ». Le Parlement européen souhaite que le taux de TVA mée par le chef de l’État, le 18 novembre, lors du On relèvera que ce souhait rejoint la volonté expri- sur les livres numériques soit le même que celui qui 4e Forum sur l’économie et la culture (voir supra est appliqué aux livres papier. notre édito, p. 3). Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 67 ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 224-78 L.C. En bref... Publication de la directive sur les droits des consommateurs et proposition de directive optionnelle pour un droit européen des contrats La directive n° 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive n° 93/13/CEE et abrogeant la directive n° 85/577/ CEE (voir RLDI 2011/68, n° 2249 et RLDI 2011/73, n° 2433) a été publiée, le 22 novembre, au Journal officiel (JOUE 22 nov. 2011, n° L 304/64). Dans le même temps, les 17 et 18 novembre, l’Institut de droit européen, nouvellement créé, a tenu son premier atelier à Vienne en Autriche, sur le thème du projet de droit communautaire des contrats de vente, faisant suite à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur un droit communautaire des contrats de vente (COM[2011]635 final, 2011/0284 [COD]) du 11 octobre 2011 qui aboutirait à mettre en place un droit optionnel. L’article 9 prévoit en effet que « dans les relations entre professionnels et consommateurs, outre les obligations d’information précontractuelle énoncées dans le droit commun européen de la vente, le professionnel est tenu d’avertir le consommateur de son intention d’appliquer ce droit, avant la conclusion du contrat, en lui remettant de façon bien visible l’avis d’information figurant à l’annexe II. Si la convention d’application du droit commun européen de la vente est conclue par téléphone ou par un autre moyen qui ne permet pas de délivrer l’avis d’information au consommateur, ou si le professionnel n’a pas fourni cet avis, le consommateur n’est pas lié par la convention tant qu’il n’a pas reçu la confirmation visée à l’article 8, paragraphe 2, accompagnée de l’avis d’information, et manifesté son consentement d’appliquer 68 PRESSE RLDI Il avait alors estimé que les enquêtes doivent « rester subordonnées aux principes supérieurs » du droit. À ce titre, « il est nécessaire que la jurisprudence définisse cet impératif prépondérant d’intérêt général », et ce d’autant que « l’émetteur de la réquisition n’a, lui, nullement cherché » à le faire. Il avait en conséquence conclu au rejet du pourvoi. Philippe Courroye s’est cependant défendu avoir commis toute infraction pénale. À le suivre, « la Cour de cassation dit que procéduralement notre enquête est annulée car elle n’a pas respecté l’esprit de la loi de janvier 2010, mais elle ne dit pas qu’il y a eu commission d’infractions pénales et j’affirme qu’il n’y a pas eu la moindre infraction ». Et de préciser que « la Cour de cassation constate une nullité de procédure. Mais j’observe que c’est le premier arrêt rendu depuis la loi de janvier 2010 sur la protection des sources. Il y a désormais une interprétation, donc s’il fallait lancer à nouveau la procédure, nous en prendrions évidemment acte ». Ces arguments ne sont cependant pas guère convaincants dès lors que la Haute Juridiction a rendu présentement un « arrêt d’autorité » qui est des plus clairs et des plus tranchés. 2557 Diffamation et délai pour présenter l’offre de preuve de la vérité de faits C’est à tort que les juges d’appel ont déclaré le prévenu, poursuivi pour diffamation publique, déchu de son offre de preuve dès lors qu’elle a été faite le dernier jour du délai légal. Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-88.091, F-P+B Une personne poursuivie pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, et diffamation publique ce droit ». Et l’article 9.2 de préciser que « s’il est délivré sous forme électronique l’avis d’information mentionné au paragraphe 1 doit comporter un hyperlien ou, en toute autre circonstance, indiquer un site internet grâce auquel le texte du droit commun européen de la vente peut être obtenu gratuitement ». Lancement par Éric Besson du plan « France numérique 2020 » Éric Besson a présenté, le 30 novembre, à l’université ParisDauphine, lors de 4es Assises du numérique son nouveau plan, « France numérique 2020 », fixant les grands objectifs pour le secteur du numérique, qui représente aujourd’hui 3,7 % de l’emploi en France et 5,2 % du PIB. Parmi une cinquantaine de mesures, le ministre a annoncé que le Gouvernement veut libérer des fréquences supplémentaires pour le développement du très haut débit mobile ; ce qui constitue une bonne nouvelle pour les opérateurs mobiles, qui, face à la croissance exponentielle du trafic, auraient besoin de 450 mégahertz supplémentaires. En vue de récupérer des fréquences, le Gouvernement souhaite réaménager les bandes de fréquences affectées aux communications électroniques, mais aussi optimiser celles qui sont occupées par l’audiovisuel grâce au format de compression MPEG 4, généralisé d’ici à 2015, et à la norme de diffusion DVB-T2 en 2020. Il a également annoncé une accélération du développement de l’administration électronique. Ainsi, d’ici à 2013, 100 % des démarches administratives les plus attendues seront disponibles sur internet. D’ici à 2020, le papier sera définitivement abandonné et les démarches administratives seront entièrement dématérialisées. Création de l’Observatoire du numérique (ODN) L’Observatoire du numérique, portail rassemblant des informations statistiques et économiques dans le domaine du numérique, a été installé par Éric Besson, le 28 novembre. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Il a pour mission « de mobiliser et de diffuser l’information statistique relative à la production et à l’utilisation des Stic (services et des technologies de l’information et de la communication) en France et, d’autre part, de piloter des études sectorielles ou prospectives sur l’économie numérique. Il s’appuiera sur des contributions publiques et privées pour remplir sa mission d’études économiques et statistiques » afin de permettre « à tous les acteurs d’avoir une visibilité sur le dynamisme du numérique et de réaliser des comparatifs internationaux » (<www.observatoire-dunumerique.fr/>). Abrogation de canaux compensatoires de la TNT Le ministre de la Culture et de la Communication a présenté, en Conseil des ministres, le 30 novembre, un projet de loi portant abrogation des canaux compensatoires de la télévision numérique terrestre. On rappellera qu’en organisant l’extinction anticipée de la diffusion analogique des services de télévision terrestre en France, la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur avait prévu l’octroi aux opérateurs historiques, sous certaines conditions, d’un droit à diffusion d’un nouveau service sans passer par la procédure de droit commun de l’appel à candidatures. On rappellera également que la Commission européenne a adressé un avis motivé à la France le 29 septembre 2011 selon lequel elle estimait que ce dispositif d’octroi de « canaux compensatoires » est contraire au droit de l’Union, pénalise les opérateurs concurrents et prive les téléspectateurs d’une offre plus attractive. Tenant compte de cet avis, et conformément aux recommandations du rapport remis par M. Michel Boyon, le 9 septembre 2011, le Gouvernement a donc décidé d’abroger ce dispositif. Ce projet de loi vise par conséquent à mettre en œuvre cette décision. Informatique I Médias I Communication • OBSERVATIONS • De fait, l’article 55 a pour point de départ exclusif la signification de la citation introductive d’instance (voir par ex. Cass. crim., 6 nov. 1962, Bull. crim. n° 303), y compris lorsque la juridiction de jugement est saisie par une ordonnance de renvoi du juge d’instruction (en ce sens, Cass. crim, 8 nov. 2005, Bull. crim. n° 282 ; Gaz. Pal. 2006, 1, somm. 2064, note Monnet J.). Ce délai n’est donc pas un délai franc (voir Cass. crim., 11 mai 1960, Bull. crim. n° 253). Il commence à courir le lendemain de la signification de l’exploit introductif d’instance. En l’occurrence, celui-ci expirait bien le 20 juin. Dans ces conditions, la signification de l’offre de preuve par le prévenu était bien régulière. Sur ce même terrain, on rappellera que la 2e chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 5 février 1991, a posé le principe selon lequel ce délai de dix jours accordé par l’article 55 pour faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires était applicable à une procédure de référé relative à un délit de presse (Cass. 2e civ., 5 févr. 1991, D. 1992, jur., p. 442, note Burgelin J.-F. ; égal. Cass. 2e civ., 22 juin 1994, Bull. civ., II, n° 164, p. 95, note Bruntz J.-M. et Domingo M., en ce qui concerne une juridiction de jugement). ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 230-100 RLDI L.C. • OBSERVATIONS • Sur ce même terrain, on rappellera que la Cour de cassation a précisé que l’élection du domicile, pour être valable, doit être faite dans la ville même où siège la juridiction saisie et non dans n’importe quelle ville de son ressort (Cass. 1re civ., 27 juin 2006, Bull. civ. 2006, I, n° 330). Elle a également considéré que l’indication dans l’assignation d’un avocat pouvant exercer devant le Tribunal de grande instance où siège la juridiction saisie emporte élection de domicile du demandeur au sens de l’article 53 (Cass. 1re civ., 22 sept. 2011, RLDI 2011/76, n° 2516) Cette exigence qui tend à garantir les droits de la défense et à assurer la liberté d’expression doit être d’autant plus observée en matière de diffamation que c’est au domicile élu que le prévenu doit effectuer dans les dix jours de la citation les significations prescrites pour être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires (Cass. crim., 15 oct. 1985, Bull. crim. n° 316). Sur le point de départ de ce délai, voir n° 2557 ci-dessus. ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 230-85 L.C. 2559 Élection de « Miss France 2011 » et caractérisation de propos dénigrants C’est à juste titre que les juges d’appel ont estimé que les propos incriminés visaient à dénigrer l’élection de « Miss France 2011 » organisée par les sociétés Endemol et Miss France. 2558 Diffamation : nullité des poursuites engagées prononcée à tort Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-24.808, F-D Ainsi qu’il est ici rappelé, seule la citation doit à peine de nullité contenir élection de domicile. Cass. crim., 20 oct. 2011, n° 10-25.833, F-D La requérante de l’espèce a assigné en diffamation, sur le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, les prévenus en raison des termes du procès-verbal d’une assemblée générale de copropriété lui imputant un « branchement électrique sauvage » sur les parties communes de l’immeuble. Informatique I Médias I Communication Pour prononcer la nullité des poursuites engagées, l’arrêt d’appel a considéré que, si la citation délivrée devant le Tribunal de Nice contenait élection de domicile au cabinet de l’avocat de la demanderesse situé à Nice, sa notification au procureur de la République de Nice comportait élection de domicile au cabinet de l’huissier instrumentaire situé à Gap et que cette citation irrégulière était donc nulle, la loi ne faisant aucune distinction entre l’acte à délivrer aux parties et celui à notifier au ministère public. Telle n’est pas l’analyse des Hauts magistrats qui cassent ledit arrêt au visa de l’article 53 de la loi de 1881 au motif qu’« en statuant ainsi alors que seule la citation doit à peine de nullité contenir élection de domicile, la Cour d’appel a violé par fausse application le texte susvisé ». RLDI envers un particulier, avait été condamnée par les juges d’appel à 1 500 € d’amende. Pour déclarer le prévenu déchu de son offre de preuve, ils avaient retenu que le délai de dix jours avait commencé à courir le 10 juin 2008, date de la signification au prévenu de la citation introductive d’instance, que ce délai avait expiré le 19 juin 2008, et qu’en conséquence l’offre de preuve notifiée le 20 juin 2008 avait été tardive. Ce n’est pas l’analyse de la Cour de cassation qui censure leur arrêt au visa des articles 641 du Code de procédure civile et 55 de la loi du 29 juillet 1881. En effet, elle rappelle que « selon le premier de ces textes, lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas » ; que « selon le second, le prévenu qui veut être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires doit faire signifier les moyens de son offre de preuve à la partie poursuivante dans les dix jours après la signification de la citation ». Et d’en déduire, qu’« en statuant ainsi, alors que l’offre de preuve a été faite le dernier jour du délai légal, la Cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ». ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL Mme de Fontenay et son fils ont, par contrat, cédé à la société Endemol la totalité des parts représentant le capital de la société Miss France qui organise l’élection nationale de Miss France et la production de l’émission de télévision associée. Cet acte comportait un engagement de non-concurrence à la charge des cédants. Mme de Fontenay, qui était salariée de la société Miss France, est devenue mandataire social de cette société tout en restant présidente de l’association Comité Miss France. Ultérieurement, elle s’est, en outre, engagée à s’investir de manière exclusive et à temps plein dans la société Miss France. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 69 Invoquant une campagne de dénigrement à leur encontre et l’organisation d’une élection concurrente de celle de « Miss France 2011 » par Mme de Fontany, les sociétés Endemol et Miss France l’ont assignée ainsi que l’association afin qu’il soit mis fin à ces actes qui auraient été constitutifs d’un trouble manifestement illicite et les auraient exposées à un dommage imminent. Il est reproché à l’arrêt d’appel d’avoir ordonné de cesser tout acte de nature à constituer des actes de dénigrement, direct ou indirect, quel qu’en soit le support ou en présence de tiers, à l’encontre des sociétés Miss France et Endemol, sous astreinte de 3 000 € par infraction constatée. Au soutien de leur pourvoi, les prévenus faisaient principalement valoir que les propos portant atteinte à la considération d’une personne morale relèvent exclusivement de la loi du 29 juillet 1881, la critique des produits ou services relevant seule du droit commun. Aussi, en considérant que Mme de Fontenay pouvait se voir reprocher des actes de dénigrement et non de diffamation, après avoir pourtant constaté que ses critiques jetaient le discrédit sur les sociétés Miss France et Endemol, la Cour d’appel a violé les articles 1382 du Code civil et 29 de la loi de 1881. En bref... Presse en ligne : le Sénat vote une TVA réduite Le Sénat a étendu le 21 novembre, à la presse en ligne le taux de TVA réduit de 2,1 % dont bénéficie la presse écrite, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2012. Les sénateurs ont ainsi adopté un amendement en ce sens de la présidente écologiste de la Commission de la culture, Marie-Christine Blandin, et du sénateur socialiste, David Assouline (amendement n° I-163, 17 nov. 2011). On rappellera que cette mesure est réclamée de longue date par les professionnels concernés (principalement par le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne). Si ce vote sénatorial constitue par conséquent une avancée indéniable dans la reconnaissance du statut de la presse en ligne, le combat pour l’alignement des droits de la presse en ligne avec ceux de la presse papier n’est pas encore acté dans la mesure où il revient désormais aux députés de se prononcer. Sénat : création d’une taxe sur la revente de chaînes de la TNT Le Sénat a adopté, le 21 novembre, un amendement déposé par les sénateurs David Assouline et MarieChristine Blandin visant à taxer à hauteur de 5 % les reventes de fréquences obtenues gratuitement par des radios ou des télévisions. Cette taxe serait assise sur la valeur des titres apportés, cédés ou échangés. 70 La Cour de cassation ne les suit pas sur ce terrain. En effet, à la suivre, « ayant constaté que les nombreux propos de discrédit tenus par Mme de Fontenay concernaient à la fois les sociétés Endemol et Miss France et l’élection Miss France et que Mme de Fontenay, qui revendiquait l’organisation d’une élection semblable, reconnaissait par là même qu’il s’agissait bien d’une élection concurrente, la Cour d’appel en a exactement déduit que Mme de Fontenay avait dénigré l’élection Miss France 2011 organisée par les sociétés Endemol et Miss France ». Et de préciser que « la Cour d’appel qui devait seulement rechercher si les propos proférés par Mme de Fontenay à l’encontre de l’élection Miss France 2011 constituaient un trouble manifestement illicite au détriment des sociétés Endemol et Miss France, sans être tenue de préciser leur teneur exacte, et qui a procédé à cette recherche, a légalement justifié sa décision ». L’arrêt d’appel est néanmoins censuré au visa de l’article 873 du Code de procédure civile. En effet, il a retenu que la violation de la clause de nonconcurrence souscrite par Mme de Fontenay ne peut constituer un trouble manifestement illicite dès lors que cette clause est elle-même manifestement illicite en l’absence de limitation dans l’espace. Le rachat par Canal+ de Direct 8 et DirectStar serait de ce fait impacté. On rappellera que le groupe Canal+ a annoncé, le 8 septembre, la conclusion d’un accord avec le groupe Bolloré Média, en vue à titre principal d’acquérir 60 % du capital des chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre (TNT) Direct 8 et DirectStar, pour un montant de 465 millions d’euros et une possibilité de rachat des 40 % restants dans trois ans. Autorisation par la Commission européenne des scanners corporels dans les aéroports La Commission européenne a officiellement adopté, le 14 novembre, la nouvelle réglementation autorisant l’utilisation des scanners corporels dans les aéroports de l’UE. Elle entrera en vigueur avant la mi-décembre, 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’UE, prévue dans les jours qui viennent. Les États et les aéroports seront alors libres de recourir à cette nouvelle technologie, moyennant le respect de règles visant à protéger la santé et la vie privée des citoyens. Pour des raisons de santé, seuls les scanners n’utilisant pas de rayonnements ionisants – les rayons X – sont autorisés. Un projet de règlement avait été publié durant l’été, qui avait reçu l’assentiment du Conseil et du Parlement européen. Concrètement, le règlement de la Commission ajoute les scanners corporels à la liste des méthodes d’inspection autorisées dans l’UE (annexe du règlement n° 300/2008 fixant les règles communes de sûreté dans l’aviation) ; ce qui ne les rend évidemment pas obligatoires. Il revient aux États ou aux aéroports de décider s’ils y ont recours ou non. Jusqu’ici, ils n’étaient admis que sous forme de tests, auxquels ont par exemple recouru des pays R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la France, l’Italie, l’Allemagne ou la Finlande. Selon la Commission, ces expériences ont montré un accueil en général « très positif » de la part des passagers. En tout état de cause, la nouvelle réglementation prévoit que les États devront laisser le choix de s’y soumettre ou pas. En cas de refus, les passagers devront cependant accepter des méthodes de détection alternatives, par exemple les fouilles manuelles. Sur cette question, voir Guerrier C., La problématique juridique du scanner corporel, RLDI 2011/75, n° 2496. Un rapport très critique de l’Inspection des finances sur le CNC Un rapport confidentiel met l’accent sur les excédents financiers engrangés par le Centre national du cinéma et l’utilisation contestable qui en est faite. Dans ce rapport, l’Inspection des finances chiffre à 517 millions d’euros « les ressources supplémentaires [engrangées] entre 2009 et 2011, par rapport à la base 2008 ». On retiendra plus spécialement qu’il passe au crible les subventions accordées à des productions pour le cinéma et la TV. Il déplore ainsi « la multiplication récente des aides transversales sans réelle priorisation ». Il est encore plus critique concernant la fiction française, qui « s’est effondrée » en audience depuis cinq ans. Et de souligner que « sa compétitivité est décevante sur le marché national comme international ». Et « lorsque le CNC a essayé de relancer la fiction, le résultat a été décevant ». Et d’en conclure que le budget du CNC pourrait revenir au niveau de 2008 « sans effet » sur le secteur – « une partie des recettes perçues depuis 2008 a d’ailleurs opportunément été mise en réserve par le CNC ». Informatique I Médias I Communication • OBSERVATIONS • Alors que l’on pensait achevée la « guerre des Miss » entre Geneviève de Fontenay et Endemol, la présente décision constitue un nouveau coup de théâtre. Il convient de rappeler qu’en mai 2010, une action en justice avait été engagée par les sociétés Miss France et Endemol Productions devant le Tribunal de commerce de Paris contre Mme de Fontenay et son comité pour faire cesser toute campagne de dénigrement, protéger la marque « Miss France » et lui interdire d’organiser une élection nationale concurrente de l’élection de « Miss France 2011 ». Le Tribunal de commerce de Paris, par une décision du 15 juin 2010, avait fait droit à l’ensemble de ces demandes. Mme de Fontenay et son comité avaient alors interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Paris, laquelle avait confirmé, le 9 juillet 2010, l’interdiction, sous astreinte de 3 000 € par infraction constatée, de tout acte de dénigrement direct ou indirect à l’encontre des sociétés Miss France et Endemol Productions. Contrairement au Tribunal de commerce de Paris, la Cour d’appel avait considéré que la clause de non-concurrence souscrite par Mme de Fontenay était illicite, alors qu’elle n’avait pas à statuer sur sa validité. Les sociétés Miss France et Endemol Productions ont alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation pour invalider la prise de position de la Cour d’appel. La Cour de cassation censure donc son arrêt pour avoir rejeté la demande des sociétés Endemol développement et Miss France tendant à ordonner à Mme de Fontenay et à l’association Comité Miss France de cesser tout acte de quelque nature que ce soit en vue d’organiser une élection concurrente de l’élection Miss France 2011.Elles obtiennent ainsi gain de cause. Elle considère également que les propos de discrédits portés par Mme de Fontenay jugés dénigrants à l’encontre de l’élection Miss France avaient été justement qualifiés. En bref... Lancement d’une mission sur le Centre national de la musique Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, a confié, le 7 novembre, à Didier Selles, conseiller maître à la Cour des comptes, une mission de préfiguration du Centre national de la musique. On rappellera que la création d’un Centre national de la musique (CNM), destiné à assurer la relance de la production, a été recommandée par le rapport remis au ministre de la Culture et de la Communication par Alain Chamfort, Daniel Colling, Franck Riester, Didier Selles et Marc Thonon, le 30 septembre dernier (voir Costes L., in RLDI 2011/76, p. 5). La mission de préfiguration est notamment chargée de définir les modalités de mise en œuvre juridiques, opérationnelles et budgétaires du futur Centre national de la musique, les conditions de sa gouvernance ainsi que les différents régimes d’aides administrés par le CNM, en concertation étroite avec l’ensemble des professionnels du secteur. Les sociétés Miss France et Endemol Productions se sont bien évidemment félicitées de la position de la Haute Juridiction, rappelant que « la marque “Miss France” est et reste la seule et unique propriété de la société Miss France et toute action en contrefaçon, ou parasitisme, menée à l’encontre de cette marque quelle que soit son origine fera l’objet de poursuites ». ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 233-10 et s. L.C. RLDI Or, pour la Haute Juridiction, « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’organisation par Mme de Fontenay d’une élection concurrente à l’élection Miss France 2011 ne pouvait être de nature à exposer les sociétés Endemol et Miss France à un dommage imminent, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». 2560 L’autorisation de diffuser son image n’implique pas celle de divulguer son nom En application de l’article 1134 du Code civil, l’accord donné par une personne pour la diffusion de son image ne peut valoir accord pour la divulgation de ses nom et grade. Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-24.761, FS-P+B+I Des fonctionnaires de police estimant avoir été victimes d’atteintes à leur vie privée lors d’un reportage où ils apparaissaient dans l’exercice de leurs missions, au sein d’une brigade anticriminalité, ont assigné une société de télévision, son directeur de la programmation et de la diffusion ainsi qu’une société de production en réparation de leurs préjudices. Les premiers résultats de la mission sont attendus d’ici au 15 janvier 2012. Sans les attendre, le chef de l’État, lors du 4e Forum sur l’économie et la culture qui s’est tenu, le 18 novembre, a d’ores et déjà précisé que « nous allons mettre en place pour la musique un système qui s’apparente au système du Centre national du cinéma pour le cinéma ». Et de « souhaite[r] que les fournisseurs d’accès, qui sont extrêmement prospères et tant mieux pour eux, puissent contribuer à la création musicale »… Rachat de TPS par Canal+ (suite) Vivendi et le groupe Canal+ ont renotifié, le 26 octobre, à l’Autorité de la concurrence l’opération de rachat de TPS. Ainsi qu’il est précisé, elle examinera l’opération au regard des conditions actuelles de marché. Dans le cadre de son examen, qui ne débutera que lorsqu’elle aura vérifié que le dossier contient toutes les informations nécessaires pour engager l’instruction, l’Autorité de la concurrence évaluera l’impact concurrentiel de l’opération au regard de la situation prévalant aujourd’hui sur les marchés concernés. Elle étudiera également les remèdes pouvant ou devant être apportés aux problèmes de concurrence susceptibles d’être identifiés. Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL > Dès à présent, tous les tiers intéressés (chaînes de télévision, opérateurs de télécommunication, producteurs…) sont invités à présenter leurs observations à l’Autorité de la concurrence. On rappellera que, constatant le manquement de Canal+ à plusieurs engagements, dont certains essentiels, l’Autorité de la concurrence avait retiré par une décision du 21 septembre (déc. n° 11-D-12) au groupe Canal+ la décision autorisant le rachat de TPS. Elle avait ainsi constaté l’inexécution de 10 des 59 engagements, souscrits par celui-ci lors du rachat de TPS. Les manquements constatés concernaient notamment la mise à disposition à des distributeurs tiers de sept chaînes, le maintien de la qualité de ces chaînes et les relations entretenues avec les chaînes. Elle avait par conséquent retiré la décision d’autorisation de l’opération et prononcé une sanction de 30 millions d’euros à l’encontre du groupe Canal+. On relèvera encore que Vivendi et Canal+ ont saisi le Conseil d’État, le 4 novembre, pour contester précisément l’annulation par l’Autorité de la concurrence de la fusion des bouquets satellite CanalSat et TPS. Une période d’instruction du dossier va désormais être nécessaire, qui pourrait être assez longue, et l’ensemble de la procédure pourrait prendre plusieurs mois. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 71 • OBSERVATIONS • C’est par conséquent en application de l’article 1134 du Code civil selon lequel « les conventions sont la loi des parties et doivent être exécutées de bonne foi » que la Cour de cassation fonde sa décision. D’autres textes auraient pu être invoqués comme les articles 9 du Code civil relatif au droit au respect de la vie privée et à l’image, 8 de la CEDH, ou 2 de la Déclaration des droits de l’Homme. Il est présentement fait application du principe selon lequel l’autorisation donnée par une personne à la publication de son image doit être interprétée strictement. Du présent arrêt, on retiendra plus spécialement que les « nom et grade » sont des éléments protégés par le droit des personnes. En bref... Mise en demeure par l’Arcep de sept titulaires de licence Wimax Elle les a mis en demeure, le 23 novembre, leur reprochant de ne pas avoir suffisamment déployé la technologie Wimax qui permet de faire de l’internet haut débit en mobilité. Elle a ainsi annoncé que, parmi les dix titulaires de licences métropolitaines pour lesquels une procédure avait été ouverte, sept d’entre eux n’ont pas respecté les obligations de déploiement figurant dans leurs autorisations, en termes de nombre de sites déployés. Il s’agit d’Altitude Wireless, d’Axione, de Bolloré Telecom, du département de la Charente, de la collectivité territoriale de Corse, de Nomotech et de SHD. IFW, la filiale d’Iliad qui gère le déploiement du Wimax, n’est donc pas concernée. Trois de ces titulaires (Altitude Wireless, Bolloré Telecom et la collectivité territoriale de Corse) n’ont pas non plus fait une utilisation effective des fréquences sur chacun des départements sur lesquels ils sont autori- 72 Aussi, aucune communication ne peut en être faite publiquement sans leur accord écrit et préalable, et ce même si l’intéressé a donné son accord afin que son image puisse être diffusée. De fait, la protection du droit au respect de la vie privée et du droit à l’image d’une personne nécessite l’accord de celle-ci pour la communication ou la diffusion de tout élément relevant de sa vie privée ou professionnelle. Sur ce même terrain, on mentionnera un arrêt de la Cour de cassation du 29 avril 2004 selon lequel la révélation dans la presse du nom d’un fonctionnaire de police, à propos de faits relatifs à son activité professionnelle, est légitime à condition d’être directement en relation avec l’événement qui en est la cause. Cette révélation ne constitue donc pas une atteinte au respect de la vie privée (Cass. 2e civ., 29 avr. 2004, n° 02-19.432). Si cette position est à l’inverse de celle adoptée ici, elle s’explique par fait que la situation était toute autre. ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 209-86 L.C. RLDI Pour rejeter ces demandes, l’arrêt d’appel a considéré que ces policiers ont accepté d’être filmés et que leur image soit diffusée sans être « floutée » mais qu’ils dénoncent le fait que leurs noms et grades ont été divulgués alors qu’ils n’avaient donné aucune autorisation à cet égard, que dès lors qu’elle avait été autorisée à diffuser les images de ces policiers, la société de production était fondée à se croire tacitement autorisée à divulguer également leurs noms et grades. Aussi, ils avaient estimé qu’il n’y a pas eu dans ce contexte et de ce seul fait atteinte portée au respect de leur vie privée, étant précisé que la révélation publique de leur profession découlait nécessairement et complètement de la seule diffusion de leur image, sans que cette révélation ait été en elle-même majorée par celle de leur nom et grade, même si l’une et l’autre de ces révélations ont pu conduire à des différences de réaction du public. Ce n’est pas la position de la Haute Juridiction qui censure leur arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil. De fait, à la suivre, « en statuant ainsi, alors que l’accord donné par une personne pour la diffusion de son image ne peut valoir accord pour la divulgation de ses nom et grade, la Cour d’appel a violé l’article susvisé ». 2561 Affaire Grégory : délit de diffamation retenu à tort Ce contentieux est l’occasion pour la Cour de cassation de préciser les conditions pour que le délit prévu par l’article 29 de la loi sur la presse puisse être considéré comme constitué. Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19.381, F-D Une société d’édition a publié un ouvrage sur l’affaire Grégory consacré à l’assassinat de l’enfant de M. et Mme X. Prétendant que ce livre contenait des passages diffamatoires à leur égard, les époux X. ont assigné l’auteur et la société sés. Cette utilisation effective consiste notamment en un déploiement d’au moins un site et en l’ouverture commerciale d’un service. Compte tenu des manquements constatés, et en application de l’article L. 36-11 du CPCE, le directeur général de l’Arcep a mis en demeure ces titulaires de se conformer à leurs obligations de déploiement. Chaque acteur a été mis en demeure de respecter les prescriptions suivantes : – d’ici au 30 juin 2012 : utilisation effective des fréquences dans l’ensemble des départements dans lesquels il est autorisé, et déploiement d’un nombre de sites au moins égal à la moitié du nombre de sites que le titulaire s’était engagé à déployer pour le 30 juin 2008 ; – d’ici au 31 décembre 2012 : déploiement d’un nombre de sites au moins égal au nombre de sites que le titulaire s’était engagé à déployer pour le 30 juin 2008 ; – d’ici au 30 juin 2015 : déploiement d’un nombre de sites au moins égal au nombre de sites que le titulaire s’était engagé à déployer pour le 31 décembre 2010. L’Arcep indique qu’elle procédera à un contrôle attentif des échéances prévues dans les mises en demeure. En cas de manquement, les titulaires s’exposent à une des sanctions prévues à l’article L. 36-11 du CPCE. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Un plafonnement finalement limité pour les ressources du CNC Les députés ont adopté, le 20 octobre, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, un amendement gouvernemental qui plafonne toutes les taxes affectées aux organismes publics, les excédents étant reversés au budget de l’État. Le Centre national du cinéma (CNC) est par conséquent directement concerné dans la mesure où son autonomie se trouverait ainsi limitée. Cette disposition a suscité un vif émoi de la part des acteurs concernés lors des Rencontres cinématographiques de l’ARPD, les 22 et 23 octobre. De fait, face à la menace d’un plafonnement général des ressources du CNC, le monde du cinéma était monté très rapidement, et de façon assez spectaculaire, au créneau. Aussi, au cours d’une réunion d’arbitrage qui s’est tenue, le 25 octobre, le Gouvernement a cependant décidé de ne plafonner qu’une partie des ressources du CNC pour l’année prochaine. De son côté, le chef de l’État a tenu à rassurer les professionnels du cinéma qu’il a reçus, le 24 octobre, et a affirmé que « la culture qui joue un rôle fédérateur doit être protégée même en temps de crise ». Informatique I Médias I Communication éditrice de cet ouvrage ainsi que le directeur de celle-ci en réparation de leur préjudice. L’arrêt d’appel a déclaré diffamatoires certains des passages incriminés, alloué des dommages et intérêts aux requérants et ordonné l’insertion d’un avertissement dans toute nouvelle impression ou édition dudit ouvrage. Plus précisément, pour déclarer diffamatoires les passages présentement poursuivis, les juges d’appel ont considéré principalement que ces propos insinuent que Mme X. et son époux se seraient constitués parties civiles, non par souci de participer à la manifestation de la vérité, mais, par stratégie, en raison de témoignages recueillis susceptibles de mettre en cause Mme X. Leur arrêt est cependant annulé par la Cour de cassation au visa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. De fait, selon elle, « en statuant ainsi, quand l’auteur se bornait à relever des coïncidences chronologiques entre des déclarations et cette constitution de partie civile à laquelle il était raisonnable de s’attendre sans en tirer aucune conséquence, ni articuler à cet égard aucun fait précis de nature à être sans difficulté l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ». • OBSERVATIONS • La Cour de cassation a, à de nombreuses reprises, précisé que le délit de diffamation suppose l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ; celle-ci devant se présenter sous la forme d’une articulation des faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire (voir not. Cass. crim., 2 mars 2010, RLDI 2010/60, n° 1988 ; Cass. crim., 1er sept. 2010, RLDI 2010/64, n° 2115 ; Cass. crim., 7 déc. 2010, RLDI 2010/68, n° 2239). On rappellera que le fait qu’ils soient présentés sous une forme interrogative ou dubitative ou par voie d’insinuation ne leur fait pas perdre leur caractère diffamatoire (voir par ex. Cass. crim., 29 janv. 2008, RLDI 2008/35, n° 1177 ; Cass. crim., 20 janv. 2009, RLDI 2009/47, n° 1547). Plus globalement, sur les éléments constitutifs du délit de diffamation, voir comm. Derieux E., in RLDI 2010/63, n° 2073. ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL À l’issue de l’information, le juge d’instruction a renvoyé les prévenus devant le Tribunal correctionnel qui les a relaxés. La partie civile et le ministère public ont alors interjeté appel de ce jugement. Pour le confirmer, l’arrêt d’appel, après avoir rappelé que le délit visé à la prévention est caractérisé à l’égard de ceux qui, notamment par leurs écrits, ont incité le public à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, à raison de leur origine, ou leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, a retenu que les développements relatifs à la « culture du mensonge et de la dissimulation » telle que décrite dans les quatre pages visées aux poursuites et replacées dans le contexte de l’ouvrage, même si leur formulation peut légitimement heurter ceux qu’ils visent, ne contiennent néanmoins aucun appel ni aucune exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’encontre des Tutsi. C’est également la lecture de la Cour de cassation pour qui, « en cet état, la Cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés, a justifié sa décision ». • OBSERVATIONS • Cette contravention a été considérée comme constituée par la Cour de cassation à de nombreuses reprises (par ex., Cass. crim., 17 févr. 1998, n° 97-85.567, à propos de l’appartenance d’une personne à la communauté juive avec la répétition neuf fois sur deux colonnes du nom patronymique d’un magistrat qui a pour but de souligner que la partialité qui lui est prêtée est due à son appartenance à la communauté juive que traduit son nom ; plus récemment, Cass. crim., 4 janv. 2011, RLDI 2011/69, n° 2272, à propos de l’association des deux expressions « compte tenu de ses origines [du plaignant] n’a pas de leçon à nous donner », et « mais il est juif », qui a pour objet ou pour effet de faire défense au plaignant de donner des leçons et de tenir certains propos en raison de ses origines). ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, n° 233-123 L.C. RÉSEAUX/INTERNET ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 233-15 et s. RLDI RLDI L.C. Google AdWords : rejet de la qualification d’hébergeur 2562 Relaxe du délit de provocation à la discrimination raciale Il est présentement fait application de l’article 24, alinéa 8, de la loi de 1881 selon lequel ce délit doit « concerner une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Cass. crim., 8 nov. 2011, n° 09-88.007, F-D L’association SOS Racisme a porté plainte et s’est constituée partie civile contre un éditeur, du chef, notamment, de provocation à la discrimination raciale, pour avoir publié un ouvrage portant le titre Noires fureurs, blancs menteurs – Rwanda 19901994 et l’auteur de ce dernier, en qualité de complice de ce délit. Informatique I Médias I Communication 2563 Pour le Tribunal de grande instance de Paris, la société Google ne saurait en sa qualité de fournisseur du service AdWords bénéficier du régime de responsabilité allégée prévue par la loi du 21 juin 2004 (LCEN) et la directive du 8 juin 2000 relative au commerce électronique. TGI Paris, 17e ch., 14 nov. 2011, Olivier M. c/ Sté Prisma Presse et a., <www. legalis.net> Le comédien Olivier Matinez a assigné les sociétés Prisma Presse, éditrice du site internet <www.gala.fr>, et Google sur le fondement des articles 9 et 1382 du Code civil. De fait, il considère que la mise en ligne sur ce site d’un article et de photographies ainsi que le renvoi à cet article depuis le moteur de recherche de la société Google, par un lien commercial (service AdWords), sont attentatoires au respect dû à sa vie privée et au droit qu’il détient sur sa propre image. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 73 Le Tribunal de grande instance de Paris le reçoit dans son action. Celui-ci se prononce, en premier lieu, sur la qualification de l’activité des sociétés Google dans le service AdWords. Il rappelle à cette fin que les parties divergent sur le sens qu’il convient de donner à l’arrêt de la CJUE du 23 mars 2010. Ainsi, les sociétés Google estiment qu’il « est désormais établi en droit que lorsque Google, au travers de son service AdWords, assure le stockage de contenus à la demande de tiers, afin que ce contenu soit ultérieurement diffusé au public, il bénéficie de la qualité d’hébergeur ». Pour Olivier Martinez, « il est parfaitement faux d’affirmer, comme le fait la société Google dans ses écritures, qu’aux termes de cet arrêt elle bénéficierait du régime aménagé de responsabilité des hébergeurs ». Ainsi qu’il est rappelé, la Cour avait précisé que, pour être considéré comme hébergeur au sens de l’article 14 de la directive relative au commerce électronique, cette activité de prestataire de services devait revêtir un caractère purement technique, automatique et passif, impliquant qu’il n’a pas En bref... TVA à 7 % : le milieu culturel s’alarme Le relèvement du taux réduit de la TVA à 7 % (contre 5,5 %) annoncé, le 7 novembre, par le Premier ministre va peser sur nombre de produits culturels qui, comme le livre, les tickets de cinéma ou certains abonnements télévisés vont coûter encore plus cher. Ainsi, pour l’édition (2,8 milliards d’euros de ventes annuelles), cette mesure devrait se traduire par un surcoût de 60 millions d’euros, estime le Syndicat national de l’édition (SNE), qui a demandé, le 8 novembre, un « rendez-vous d’urgence » à François Fillon. Pour le SNE, l’édition « amorce une transition sans précédent vers un marché numérique qui peut être destructeur autant que créateur ». Et de souligner que le livre représente « un bien de première nécessité ». Le ministère de la Culture et de la Communication a cependant assuré que cette décision ne changerait rien « au passage à taux réduit de la TVA pour le livre numérique » et que le relèvement ne devrait avoir qu’un « impact assez faible sur les prix ». Pour le Syndicat de la librairie française, « cette mesure va faire passer dans le rouge » tous les libraires, leur marge nette moyenne étant de 0,7 % et la librairie n’ayant « aucune latitude pour encaisser cette hausse ». Aller au cinéma va également être plus onéreux. De fait, en 2010, les recettes en salles se sont élevées à 1,3 milliard d’euros, incluant une TVA de 5,5 %, soit quelque 68 millions, selon les chiffres du Centre national du cinéma. La hausse de TVA, si elle est intégralement 74 la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées. Elle avait alors ajouté qu’il appartenait au juge national de vérifier si ces conditions sont réunies. C’est par conséquent à cette recherche que se livre présentement le Tribunal. Il rappelle à cette fin que « le service AdWords est présenté comme “le programme de publicité en ligne de Google”, que ce service propose, moyennant rémunération, de faire apparaître un message publicitaire déterminé, dans un positionnement plus favorable que celui qui serait obtenu sans recourir à ce service, c’est-à-dire en principe sur la première page des résultats de la recherche lorsqu’un internaute inscrit comme objet de sa recherche, un des mots clés sélectionné comme pertinent ». Il relève, ensuite, que « la modification de l’ordre d’apparition des annonces caractérise déjà un rôle actif, qui ne saurait être assimilé à ce qui est décrit par le considérant 42 de la directive n° 2000/31, à savoir une activité qui “revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises répercutée, représentera par conséquent une hausse de près de 20 millions. Les cinéastes de l’ARP, l’une des cinq organisations qui représentent les auteurs, réalisateurs et producteurs, s’étonnent que « le Gouvernement français ne considère pas que les biens et services culturels constituent des biens de première nécessité, particulièrement en temps de crise où la culture demeure un refuge de l’esprit ». De son côté, la SACD (Société des auteurs compositeurs dramatiques) regrette « une mesure inattendue et néfaste » et dit espérer que ce relèvement « ne s’accompagnera pas d’un renoncement de la France à poursuivre le combat engagé en Europe pour obtenir le droit pour chaque État d’établir une fiscalité spécifique pour tous les biens culturels, qu’ils soient numériques ou non ». La presse à l’ère numérique : comment ajouter de la valeur à l’information ? Les propositions du Centre d’analyse stratégique La presse on line comme levier de la presse papier ? En témoignent les cinq axes de réflexion présentés, le 30 novembre, par Vincent Chriqui, le directeur général du Centre d’analyse stratégique. Partant du constat que la presse est confrontée à une crise profonde depuis une dizaine d’années avec le développement de l’internet, dont les usages s’intensifient en mobilité, via les smartphones et les tablettes, et une culture de la gratuité, Vincent Chriqui préconise une adaptation de la profession et une mobilisation des acteurs. Les acteurs de la presse traditionnelle devraient renforcer leur présence sur le web et, à ce titre, bénéficier d’une formation solide dans les nouveaux médias. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Et il faudrait, ab initio, développer des modules d’ingénierie informatique, d’infographie et de data journalisme, au sein des formations de journaliste. Ils devraient également constituer un laboratoire français de réflexion en ligne dédié à l’avenir de la presse où seraient recensés toutes les pistes de réflexions, les problématiques et les nouveaux modèles économiques de la profession. La presse électronique ne doit pas être considérée comme un support concurrent du papier et devrait bénéficier du même cadre légal. Ainsi est-il proposé de conditionner l’attribution des financements du fonds d’aide au développement des services de presse en ligne à des engagements de développement de contenus enrichis et d’applications pour tablettes numériques innovantes. Autrement dit, les extensions purement mécaniques des versions papier sur du on line seraient écartées. Par ailleurs, conformément à différentes résolutions du Parlement européen (Résolution Parl. UE, 13 oct. 2011 sur l’avenir de la TVA ; Résolution Parl. UE, 17 nov. 2011 sur la modernisation de la législation sur la TVA dans le but de stimuler le marché unique du numérique), il serait nécessaire d’aligner, au moins à titre temporaire, le taux de TVA de la presse payante en ligne (19,6 %) sur celui de la presse papier (2,1 %) ; une mesure qui, de l’aveu du directeur, pourrait, à terme, devenir pérenne, dans un souci d’égalité (voir supra l’amendement n° I-163, 17 nov. 2011). Enfin, pour fidéliser les jeunes à la presse payante, il serait intéressant d’étendre l’opération « mon journal offert » aux abonnements « tout numérique » des grands quotidiens et à ceux des pure players (Centre d’analyse stratégique, Note d’analyse n° 253, nov. 2011). Informatique I Médias I Communication Informatique I Médias I Communication • OBSERVATIONS • Ce jugement est riche d’enseignements à plus d’un titre. Ainsi, on retiendra plus spécialement le refus par le Tribunal de grande instance de Paris de qualifier Google d’hébergeur. Pour se prononcer en ce sens, il s’appuie donc sur l’arrêt de la CJUE du 23 mars 2010. De fait, on rappellera qu’elle conditionnait le bénéfice du régime spécial de responsabilité de la LCEN à la démonstration du fait que l’hébergeur n’avait pas un rôle actif sur le contenus stockés, et ce tout en précisant que cette interprétation était dévolue aux juges nationaux (voir Grynbaum L., in RLDI 2010/60, n° 1980 ; Glaize F. et Pautrot B., RLDI précitée, n° 1994 ; égal. Castets-Renard C., in RLDI 2010/61, n° 1999 ; Tardieu-Guigues É., in RLDI 2010/62, n° 2029). C’est par conséquent sur la base de ces critères que le Tribunal fonde son raisonnement. Il s’agit en quelque sorte d’une traduction in concreto de l’analyse de la Cour européenne. On relèvera, à rester dans ce même registre, que la Cour d’appel de Paris, dans une décision du 11 mai 2011, avait préféré ne pas prendre position sur cette question, préférant condamner Google pour concurrence déloyale et publicité mensongère dans le cadre de son activité de commercialisation de liens sponsorisés ; ce que nous avions alors regretté (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 11 mai 2011, RLDI 2011/73, n° 2431, obs. L.C.) On retiendra également que, à notre connaissance, c’est la première fois que Google a été condamné pour violation de la vie privée et du droit à l’image d’une personne au titre de l’annonce publicitaire diffusée par un tiers sur internet dans le cadre de son programme de référencement AdWords. ➤ Lamy Droit des médias et de la communication, nos 473 1 et s. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 2515, n° 2516, n° 4337 L.C. RLDI ou stockées”, que ce rôle est non négligeable compte tenu de l’importance pour un annonceur de figurer en page une des résultats plutôt qu’en page cent ». De plus, toujours selon le Tribunal, « la connaissance par le service AdWords des informations traitées, comme le rôle actif des sociétés Google dans le système AdWords, résultent des “conditions générales des services de publicité” produites par les sociétés Google ». Et d’en conclure que « compte tenu de la connaissance avérée par le responsable du service AdWords, du contenu des messages et mots clés, comme de la maîtrise éditoriale qui lui est contractuellement réservée, il convient d’exclure à son égard la qualification d’hébergeur et le bénéfice de dérogations de responsabilité qui lui est réservé ». Il se prononce, ensuite, d’une part, sur les atteintes au droit à la vie privée et à l’image, et d’autre part, sur l’atteinte au droit au nom. Concernant les premières, il rappelle que « l’article 9 du Code civil prévoit que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection ; que de même, elle dispose, en principe, sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit distinct, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation ». Or, « la vie sentimentale fait partie de la sphère protégée de la vie privée ». Il en résulte que « l’article [incriminé] brodant sur les sentiments du demandeur, sa jalousie, son désir de mariage ou de paternité, portent atteinte à sa vie privée ». De plus, « cet article est illustré de deux clichés photographiques représentant le demandeur, l’un sur un voilier, manifestement pris sans son autorisation lors d’un moment de loisir, l’autre en compagnie d’une jeune femme, qui aurait été pris lors d’une manifestation officielle, mais reproduit sans son autorisation, détourné de son contexte, et illustrant un écrit illicite ». Dans ces conditions, « l’atteinte au droit à l’image est également caractérisée ». Il en est de même de l’atteinte au droit au nom. Le Tribunal rappelle ainsi que le demandeur invoque le droit dont il dispose sur son nom et son prénom, pour contester aux sociétés défenderesses la possibilité de les utiliser comme mot clé servant de lien à une annonce commerciale pour un article illicite. Il considère, ensuite, que « le droit dont dispose un individu sur son nom ne permet, en règle générale, que de s’opposer à une utilisation de ces éléments d’identification de la personne qui serait source de confusion ; qu’en conséquence, et en principe, si la simple utilisation d’un nom comme mot clé d’un moteur de recherche agissant de façon qualifiée de “naturelle” peut ne pas être considérée comme fautive, il en va différemment lorsque le nom d’un tiers est sciemment choisi et utilisé comme un mot clé pertinent, renvoyant à un article illicite ». Et d’en conclure que « c’est (…) la pertinence du nom du demandeur comme mot clé conduisant à un tel article qui sera considérée comme fautive ». Les sociétés défenderesses sont en conséquence condamnées in solidum à payer au requérant 1 500 € à titre de dommagesintérêts et 3 000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile. ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL 2564 Vie privée en entreprise Une Cour d’appel ayant constaté que les courriels litigieux n’étaient pas identifiés par le salarié comme étant personnels et qu’ils étaient, sans signe distinctif, dans sa messagerie professionnelle, en a légitimement déduit qu’ils pouvaient être régulièrement ouverts par l’employeur et que la preuve ainsi rapportée était licite. Cass. 1re civ., 18 oct. 2011, n° 10-26.782, F-D Un chef de publicité junior a été licencié pour faute grave pour avoir exercé un commerce illicite en utilisant son ordinateur professionnel et les services d’accueil de la société. Débouté devant la Cour d’appel de Paris, il forme un pourvoi en invoquant une violation des articles L. 1121-1 et L. 1331-1 du Code du travail ainsi que de l’article 9 du Code civil. Mais les juges rappellent que « les courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir en dehors de la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels ». Ainsi, « la Cour d’appel ayant constaté que les courriels litigieux n’étaient pas identifiés par le salarié comme étant personnels et qu’ils étaient, sans signe distinctif, dans sa messagerie professionnelle, en a légitimement déduit qu’ils pouvaient être régulièrement ouverts par l’employeur et que la preuve ainsi rapportée était licite ». N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 75 • OBSERVATIONS • Sans grande surprise, la présente espèce fait application des règles classiques gouvernant les communications électroniques dans un cadre professionnel. On notera cependant que la référence à l’absence de « signe distinctif » plutôt que la formule littérale « personnel » laisse une plus grande marge d’interprétation sur la nature personnelle des courriers électroniques. À propos d’un logiciel d’effacement des fichiers temporaires, voir Cass. soc., 21 sept. 2011, RLDI 2011/76, n° 2523, obs. Costes L. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 5002 RLDI M.T. 2565 Limites à la géolocalisation des salariés L’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen et n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail. Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18.036, FS-P+B+R+I • OBSERVATIONS • « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (C. trav., art. L. 1121-1). L’employeur souhaitant recourir à un dispositif de géolocalisation doit le déclarer auprès de la Cnil (voir la norme simplifiée n° 51 issue de Cnil, délib. n° 2006-067, 16 mars 2006 ; comp. avec Cnil, Guide de la géolocalisation des salariés. Droits et obligations en matière de géolocalisation des employés par un dispositif de suivi GSM/GPS, 2005). Selon la norme simplifiée de la Cnil, le traitement doit correspondre à l’une des finalités suivantes : – le respect d’une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés ; – le suivi et la facturation d’une prestation de transport de personnes ou de marchandises ou d’une prestation de services directement liée à l’utilisation du véhicule ; – la sûreté ou la sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou véhicules dont il a la charge ; – une meilleure allocation des moyens pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés, notamment pour des interventions d’urgence. Et ce n’est qu’à titre accessoire que le traitement peut avoir pour finalité le suivi du temps de travail, « lorsque ce suivi ne peut être réalisé par d’autres moyens ». En l’espèce, le salarié étant libre d’organiser son activité selon une base horaire de 35 heures, l’employeur ne pouvait justifier son licenciement en se fondant sur les relevés de GPS, d’autant plus que le dispositif était, alors, utilisé à d’autres fins que celles qui avaient été portées à la connaissance du salarié. Voir également Tilche M., Géolocalisation, Bulletin Lamy des Transports et de la Logistique, n° 3339, 2010. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 609, 4775 76 M.T. RLDI Un vendeur dans le domaine du commerce de gros est licencié. Selon son contrat de travail, il était tenu à un horaire de 35 heures par semaine et libre de s’organiser, à charge pour lui de respecter le programme fixé et de rédiger un compte-rendu journalier précis et détaillé, faisant la preuve de son activité. L’employeur avait notifié au salarié la mise en place d’un système de géolocalisation sur son véhicule afin de « permettre l’amélioration du processus de production par une étude a posteriori de ses déplacements et pour permettre à la direction d’analyser les temps nécessaires à ses déplacements pour une meilleure optimisation des visites effectuées ». Prenant acte de la rupture de son contrat de travail, il reproche cependant à son employeur d’avoir calculé sa rémunération sur la base du système de géolocalisation du véhicule. Les juges parisiens concluent à l’illicéité du système de géolocalisation des véhicules de service et considèrent le licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur, demandeur au pourvoi, invoque la violation des articles 1134 du Code civil et L. 1121-1 et L. 1221-1 du Code du travail mais le pourvoi est rejeté. En effet, « selon l’article L. 1121-1 du Code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Ainsi, « l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail ». Enfin, « un système de géolocalisation ne peut être utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et portées à la connaissance des salariés ». 2566 Condamnation d’EDF et prison ferme de salariés pour piratage informatique Une enquête de piratage informatique à l’encontre de l’Agence française de lutte contre le dopage permet de révéler une affaire d’espionnage de plus grande ampleur mettant en cause l’entreprise EDF. T. corr. Nanterre, 15e ch., 10 nov. 2011, Greenpeace et a. c/ EDF et a., <www. legalis.net> En 2008, les policiers de l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication) transmettent au procureur de la République de Nanterre un rapport de synthèse visant des faits d’intrusion dans le système informatique du laboratoire d’analyses de l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage). Deux années plus tôt, un audit commandé par l’AFLD, soupçonnant une intrusion informatique, avait révélé la présence d’un cheval de Troie au nom générique de Bifrost installé après l’ouverture d’un courrier accompagné d’une pièce jointe infectée par un virus informatique et permettant de contrôler l’ordinateur à distance. Les investigations techniques réalisées par les enquêteurs confirment les éléments techniques déjà recueillis par l’entreprise d’audit informatique, un fichier malveillant contenant un logiciel de type keylogger permettant d’enregistrer et de récupérer à distance les frappes clavier. Ce programme R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication apparaissait avoir été paramétré pour se connecter automatiquement sur deux sites (<Netzck.noip.com> et <Zipsni-ip.com>) du service de redirection américain <NO-IP.com>. Une demande d’entraide internationale adressée aux autorités américaines lors de l’enquête préliminaire permet de découvrir que les noms de domaines de ces sites avaient été déposés par le titulaire d’une adresse de messagerie <zipmq@ aol.com> se révélant ultérieurement appartenir à Alain Q. Après perquisition de son domicile et de l’ensemble de son matériel informatique, diverses pièces sont confisquées, et notamment des faits nouveaux dont le magistrat instructeur est saisi : « 1 420 documents non publics relatifs au fonctionnement de l’organisation Greenpeace étaient découverts, dont un fichier contenant des frappes clavier captées à distance en septembre 2006 concernant Yannick J., ainsi que des courriels envoyés ou reçus par des membres de l’organisation. Sur le même CD-Rom scellé 14, était découvert un fichier intitulé 2006.doc contenant de frappes clavier entre mai et juillet 2006 relatifs à un certain Frederick K. C. et où apparaissait régulièrement le mot EADS ». En bref... Accélération de l’internet très haut débit L’Arcep, dans un communiqué du 15 novembre, se félicite de l’important accord conclu par France Télécom-Orange et SFR, concernant le déploiement de la fibre optique sur l’ensemble du territoire, à l’exception des zones très denses. Ce programme de déploiement concerne 11 millions de logements, situés dans environ 3 500 communes réparties sur l’ensemble du territoire. Les opérations de déploiement démarreront dans l’ensemble des communes entre 2012 et 2015 et s’achèveront, au plus tard, en 2020. À cette date, si l’on ajoute les déploiements dans les zones très denses, environ 17 millions de logements (soit 60 % des foyers français) seront éligibles à la fibre optique. Les 40 % des logements restants seront rendus éligibles à la fibre optique, à partir de 2012, par des déploiements associant les collectivités territoriales et les opérateurs. Ces déploiements nécessiteront des financements publics d’origine locale, nationale ou européenne. L’Autorité « estime aujourd’hui que le cadre de déploiement de la fibre optique qu’elle a édicté, conformément à la loi, est adapté et efficace. Il va permettre à l’ensemble de la population de bénéficier prochainement du très haut débit, grâce à la fibre optique et aux nouveaux réseaux mobiles de quatrième génération dont l’attribution des licences s’achèvera début janvier 2012 ». Et de souligner que « parmi les grands pays d’Europe, la France dispose déjà du pourcentage de logements éligibles au très haut débit parmi les plus élevés (20 %). Elle est aussi, désormais, grâce à l’action convergente des acteurs publics et privés, le pays qui s’est doté, en ce domaine, du programme d’investissement le plus précis et le plus ambitieux » (<www.arcep.fr>). Au vu des résultats d’expertise, le hacker, qui travaillait depuis 2003 pour Thierry L., ancien fonctionnaire à la DGSE, dirigeant le cabinet d’intelligence économique qu’il avait créé, Kargus Consultants, reconnaît les faits de piratage du LNDD et de Greenpeace et, concernant l’association, oriente les investigations vers deux cadres de l’entreprise EDF. Après enquête, il est découvert un CD-Rom dans le bureau de Pierre Paul F. chez EDF et sa comparaison avec le scellé 14 permettait d’établir que les 171 fichiers présents sur le CD-Rom en possession de Pierre Paul F. avaient la même signature numérique que ceux présents parmi les 1 489 fichiers du scellé 14 découverts en possession d’Alain Q. et provenant du piratage par ce dernier de l’ordinateur du dirigeant de Greenpeace, « afin de connaître à l’avance les actions du groupe contre EDF ». De plus, les enquêteurs ont trouvé un contrat conclu entre Kargus Consultants et la direction Production ingénierie sécurité d’EDF branche Énergies portant sur une mission de veille stratégique « sur les modes d’actions et les organisations des écologistes ». Selon les termes de ce contrat, Kargus Consultants, avec comme chef de projet Thierry L., était rémunérée Abandon du haut débit universel en Europe ? Tel semble être le bilan de la consultation publique lancée en mars 2010 sur la faisabilité de la mise en place d’un service universel visant à réduire la fracture numérique (Révision des lignes directrices communautaires de 2009 pour l’application des règles relatives aux aides d’État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit, « lignes directrices relatives au haut débit »). « La raison d’être des obligations de service universel est de servir de filet de sécurité social lorsque les forces du marché n’offrent pas, à elles seules, un accès peu onéreux aux services de base pour les consommateurs, en particulier ceux qui habitent dans des zones éloignées ou qui disposent de faibles revenus ou souffrent d’un handicap » (COM/2011/795 final, p. 3). Mais il est constaté que, si ces obligations « devaient être étendues au haut débit pour l’ensemble de l’UE, cela augmenterait considérablement la nécessité d’un financement sectoriel et de “subventions croisées” entre les groupes de consommateurs d’un pays donné, la charge pesant sur l’industrie et l’influence sur les prix aux consommateurs étant maximales dans les États membres où les niveaux de revenus et de couverture du haut débit sont actuellement faibles », sans compter les risques de distorsions sur les marchés engendrant, en outre, des retards dans les investissements privés dans le haut débit. Ainsi, « si l’on peut s’attendre à ce que les opérateurs de télécommunications investissent dans des nouveaux réseaux rentables, la question essentielle reste de savoir si des obligations de service universel étendues, qui placeraient une charge élevée sur le seul secteur dans l’intérêt de l’intégration sociale, seraient appropriées et durables, alors que d’autres entités publiques et privées et la société dans son ensemble tireraient profit d’un haut débit omniprésent » (COM/2011/795 final, p. 7) (Rapport sur les résultats de la consultation publique Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL > et du troisième réexamen de la portée du service universel dans les communications électroniques, conformément à l’article 15 de la directive n° 2002/22/CE, 23 nov. 2011, COM/2011/795 final). Les principales propositions du rapport sur la TV connectée Ce rapport, commandé par le Gouvernement qui lui a été remis le 30 novembre, propose que les acteurs d’internet participent au financement des films. Si les propositions du rapport visent à placer les acteurs français dans les « meilleures conditions possibles pour affronter la compétition internationale », elles mettent aussi en garde contre « l’accélération de son développement [qui] peut changer le paysage culturel et économique de manière importante et imprévisible ». Ainsi, le rapport propose de remettre « en cause les règles de programmation et de diffusion d’œuvres sur la télévision », ainsi que les règles relatives à la publicité. Actuellement, la « chronologie des médias », qui régit les délais de diffusion des films sur différents supports, réserve l’exclusivité aux salles les quatre premiers mois, autorise le DVD ou Canal+ après 10 mois, 22 mois pour les chaînes partenaires et 30 mois pour les autres chaînes gratuites. Et d’ajouter que les diffuseurs doivent pouvoir exploiter les œuvres sur l’ensemble des supports, y compris internet. Le rapport préconise également de « faire évoluer » les règles des concentrations des médias. Actuellement, un groupe ne peut pas posséder plus de sept chaînes numériques. Il propose que les acteurs d’internet devraient désormais participer au financement des œuvres audiovisuelles, via le fonds de soutien du Centre national du cinéma (CNC), le « Cosip ». Il est également envisagé d’adopter un régime de TVA « compétitif » pour les ventes de contenus audiovisuels en ligne. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 77 78 peace et condamnée au paiement d’une amende de 1,5 million d’euros. L’entreprise EDF interjette appel de cette décision. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 3615, n° 3645 et s. M.T. COMMERCE ÉLECTRONIQUE RLDI à hauteur de 4 664,40 € par mois et « s’engageait à mettre en œuvre tous les moyens intellectuels et matériels nécessaires pour assurer cette mission et Kargus Consultants ne pouvait être tenu responsable des conséquences de l’utilisation faite par EDF des résultats de la prestation exécutée ». Le cadre et son supérieur hiérarchique sont condamnés à une peine de 3 ans d’emprisonnement, dont 30 mois avec sursis et le second à 3 ans, dont 24 mois avec sursis, assortis d’une peine d’amende de 10 000 €. La seule défense de Pierre Paul F. consistait à dire qu’il ne connaissait pas l’origine frauduleuse du contenu de ce CD-Rom qu’il détenait matériellement, en affirmant ne jamais avoir lu ce CD-Rom mais « au regard de la compétence reconnue de Pierre Paul F. en matière de sécurité et d’intelligence économique, de son évolution en interne chez EDF depuis plus de 20 ans, de l’importance éminemment stratégique de son poste sous la hiérarchie de Pascal D., il est inimaginable que le prévenu, ancien policier chevronné, ait pu négliger ainsi une éventuelle source de renseignements concernant la sécurité du parc nucléaire d’EDF. De la même manière, il est impossible que Pierre Paul F. ait pris seul l’initiative de rencontrer Alain Q. par l’intermédiaire de Thierry L. pour amener ce dernier à conclure un contrat avec Pascal D. qui ne pouvait évidemment être un simple contrat de veille stratégique sur sources ouvertes, assurée depuis 10 ans en interne selon les explications du représentant de la personne morale EDF ». Et concernant son supérieur, « la gravité des faits commis par un ancien haut gradé de l’armée faisant appel à une officine pour espionner par des moyens illégaux Yannick J. et Greenpeace justifie une peine mixte sévère. En répression il sera condamné à une peine d’emprisonnement de 3 ans dont 24 mois avec sursis et à une peine d’amende de 10 000 € ». L’ancien fonctionnaire de la DGSE est « sanctionné par une peine mixte prenant en compte la gravité des faits qui lui sont reprochés, à une peine d’amende et à l’interdiction de gérer toute société pendant cinq ans ayant pour objet social la sécurité, le gardiennage et l’intelligence économique », le Tribunal estimant qu’il a « porté atteinte à l’État de droit, à la vie privée de ses cibles telles que Yannick J. et Frederick K. C. dans un dévoiement des valeurs républicaines ». Les parties civiles obtiennent d’importants dommages-intérêts, 500 000 € à l’association Greenpeace, 50 000 € à son ancien dirigeant, 71 000 € à l’Association française de lutte contre le dopage et 50 000 € à l’avocat Frédéric Karel-Canoy. Enfin, l’entreprise EDF, renvoyée en qualité de personne morale, est reconnue coupable et condamnée à 1,5 million d’euros d’amende. Le Tribunal considère que « Pascal D. et Pierre Paul F. dans le cadre de leur mission, ont eu en quelque sorte carte blanche pour mettre en place les moyens d’assurer la sécurité du parc nucléaire dans le contexte sensible de la construction de l’EPR. Ils n’ont évidemment pas agi pour leur compte personnel mais dans l’intérêt exclusif d’EDF qui seule en a tiré bénéfice sous la forme concrète du CD-Rom frauduleux détenu dans les locaux d’EDF. Pascal D. et Pierre Paul F. ont agi pour le compte et dans l’intérêt de leur employeur ». Ainsi, la personne morale EDF est déclarée coupable des délits de recel et de complicité d’accès et maintien frauduleux aggravé dans un STAD au préjudice de Yannick J. et de Green- 2567 Inconnu à cette adresse : compétence juridictionnelle subsidiaire dans un litige de consommation L’impossibilité de localiser le domicile actuel du défendeur ne doit pas priver le demandeur de son droit à un recours juridictionnel. Lorsque le domicile actuel d’un consommateur est inconnu, la juridiction du dernier domicile connu peut être compétente pour connaître d’une action à son encontre. CJUE, 17 nov. 2011, aff. C-327/10, Lindner c/ Udo Mike, Lindner c/ Hypotecní banka, <www.curia.eu> Une banque tchèque accorde un prêt hypothécaire pour financer l’achat d’un bien immobilier d’un consommateur allemand domicilié en République tchèque au moment de la conclusion du contrat. Ce contrat de crédit prévoyait la compétence générale de la juridiction du siège de la banque. La banque engage une procédure à l’encontre de son client en vue d’obtenir le paiement de 4,4 millions de couronnes tchèques (CZK), montant correspondant au total des arriérés mais saisit le juge du domicile du défendeur plutôt que celui de son siège social, comme il était prévu dans son contrat. Il est fait droit à sa demande par une injonction de payer qui n’a, cependant, pas pu être notifiée au défendeur, ce dernier ne résidant à aucune des adresses connues de la juridiction. Conformément à la législation, un tuteur est désigné pour représenter le défendeur dont les objections ont conduit la juridiction à surseoir à statuer et à poser à la Cour des questions préjudicielles portant sur l’application et l’interprétation du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, ainsi que son articulation avec une clause attributive de juridiction nulle pour violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive n° 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. La Cour précise d’abord que « dans une situation telle que celle au principal, dans laquelle le défendeur est de nationalité étrangère et n’a pas de domicile connu dans l’État sur le territoire duquel se trouve la juridiction saisie de l’action, les règles de compétence du règlement n° 44/2001 sont susceptibles de s’appliquer ». Sur la question de savoir si le règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition du droit interne d’un État membre qui permet de mener une procédure R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication à l’encontre de personnes dont le domicile n’est pas connu, il est d’abord rappelé que « le règlement n° 44/2001, comme la Convention de Bruxelles, a pour objet non pas d’unifier toutes les règles de procédure des États membres, mais de régler les compétences juridictionnelles pour la solution des litiges en matière civile et commerciale dans les relations entre ces États et de faciliter l’exécution des décisions juridictionnelles » et qu’aucune disposition ne définit expressément la compétence juridictionnelle dans un cas tel d’adresse inconnue, l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement prévoyant seulement qu’une telle action ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. Le juge national doit donc, en premier lieu, « vérifier si le défendeur est domicilié sur le territoire de son État membre en appliquant, conformément à l’article 59, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, son propre droit ». Mais, si « le défendeur au principal n’a pas de domicile sur le territoire de son État membre, il doit alors vérifier si ce dernier est domicilié dans un autre État membre. À cette fin, il applique, conformément à l’article 59, paragraphe 2, dudit règlement, le droit de cet autre État membre ». En bref... Rihanna censurée par le CSA Le nouveau clip We Found Love de la chanteuse de rap a été censuré par le CSA, le 15 novembre Le Conseil, réuni en séance plénière, a considéré que « cette vidéo-musique devait, conformément à la recommandation du 7 juin 2005 relative à la signalétique jeunesse, être diffusée après 22 heures en raison des séquences présentant des comportements autodestructeurs des protagonistes : relation de couple violente (notamment des scènes de tatouage à vif, de disputes) avec prise de drogue, de médicaments, d’alcool et des scènes à caractère suggestif prononcé, qui ne sont pas destinées à un jeune public ». Un de ses précédents clips S & M. avait déjà été interdit de diffusion en journée. TF1 : Patrick Poivre d’Arvor condamné Patrick Poivre d’Arvor a été condamné à verser 400 000 € de dommages et intérêts à TF1, par le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, le 7 novembre, pour ne pas avoir respecté une clause de « non-critique ». Il a annoncé son intention d’interjeter appel de ce jugement, estimant « invraisemblable » la somme à laquelle il est condamné. Selon son avocat, Me Francis Teitgen, son client a été condamné pour ne pas avoir respecté une « clause d’interdiction de critique et de dénigrement » de son Enfin, « si le juge national, d’une part, ne parvient toujours pas à identifier le lieu où est domicilié le consommateur et, d’autre part, ne dispose pas non plus d’indices probants lui permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union, hypothèse dans laquelle l’article 4 du règlement n° 44/2001 trouverait à s’appliquer », l’article 16, paragraphe 2, « peut être interprété en ce sens que, dans un cas tel que celui envisagé, la règle de la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le domicile du consommateur, énoncée à cette dernière disposition, vise également le dernier domicile connu du consommateur ». En effet, « une telle solution semble répondre à la logique dudit règlement et s’inscrit dans le cadre du système établi par celui-ci » et permet « d’éviter que l’impossibilité de localiser le domicile actuel du défendeur empêche l’identification d’une juridiction compétente et prive ainsi le demandeur de son droit à un recours juridictionnel. Une telle situation peut se produire, notamment, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, dans laquelle un consommateur qui, en vertu de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement, devrait être attrait devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel ancien employeur, lors de son départ en 2008 de la présentation du journal télévisé. On rappellera qu’en mai 2009, il avait déjà été condamné par le Tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffamé le président de TF1, Nonce Paolini, au cours d’un entretien paru en octobre 2008 dans un magazine. Dans cette interview, il avait déclaré qu’à son arrivée à TF1, celui-ci avait « installé un système de pointage à badges ». Il avait alors été condamné à une amende de 500 € avec sursis, et à verser 1 € de dommages et intérêts à Nonce Paolini. Mathieu Kassovitz obtient la condamnation d’un blogueur du JDD pour injure publique La 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris a déclaré, le 15 novembre 2011, un blogueur du Journal du dimanche coupable d’injure publique envers Mathieu Kassovitz. Dans un texte intitulé Kassovitz redonne des couleurs à Goebbels, mis en ligne deux jours plus tard sur le site internet <jdd.fr>, Lilian Massoulier, un directeur de librairie, avait qualifié Joseph Goebbels, qui fut ministre de l’Information et de la Propagande de Hitler, de « nouveau maître à penser » de l’acteur et réalisateur. Pour le Tribunal, l’expression « revêt un caractère outrageant et dépasse les limites autorisées de la liberté d’expression ». De plus, ces propos constituent « un jugement de valeur tenu par un journaliste dans le cadre de sa liberté d’expression ». Informatique I Médias I Communication ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL > Lilian Massoulier est ainsi condamné à une amende de 1 000 € avec sursis, à verser 1 € de dommages et intérêts et à payer les frais de justice d’un montant de 1 500 €. Rachida Dati condamnée pour diffamation L’ancienne garde des Sceaux a été condamnée, le 21 novembre, par le Tribunal de grande instance de Paris à une amende de 2 000 € avec sursis. À le suivre, elle a diffamé Marek Halter et son épouse, créatrice du Mur pour la paix, installé sur le Champde-Mars à Paris. La maire UMP du VIIe arrondissement devra également verser 4 000 € de dommages et intérêts au couple, ainsi que 3 000 € de frais de justice. Elle devra en outre publier sa condamnation. On rappellera qu’il lui était reproché d’avoir publié sur internet une pétition demandant le démontage immédiat du Mur pour la paix. Selon la 17e chambre du Tribunal « le caractère illégal du Mur » allégué par Rachida Dati n’était pas démontré. Au contraire, la construction « a été autorisée par les pouvoirs publics pour une durée provisoire qui jusqu’à ce jour a été renouvelée ». Aussi faute de « propos prudents », elle a jugé que l’ancienne ministre ne pouvait « bénéficier de la bonne foi ». Cette décision est assez surprenante dans la mesure où l’Avocate générale, durant l’audience, il y a un peu plus de un mois, avait estimé que ses propos, certes désagréables, n’étaient pas pour autant diffamatoires. De fait, il est exceptionnel qu’un ancien ministre de la Justice soit sanctionné pour diffamation… N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 79 il est domicilié a renoncé à son domicile avant que l’action à son encontre n’ait été introduite ». Enfin, « le critère du dernier domicile connu du consommateur permet, pour les besoins de l’application de l’article 16, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001, d’assurer un juste équilibre entre les droits du demandeur et ceux du défendeur précisément dans un cas, comme celui au principal, où ce dernier avait l’obligation d’informer son cocontractant de tout changement d’adresse qui se produirait postérieurement à la signature du contrat de prêt immobilier de longue durée ». Et de rappeler que « l’exigence du respect des droits de la défense, telle qu’énoncée également à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être mise en œuvre en concomitance avec le respect du droit du demandeur de saisir une juridiction pour statuer sur le bienfondé de ses prétentions ». Ainsi, le règlement ne s’oppose pas à l’application d’une disposition du droit procédural interne d’un État membre En bref... Dominique Strauss-Kahn attaque en justice différents médias Dominique Strauss-Kahn et son épouse Anne Sinclair ont annoncé, le 22 novembre, des poursuites judiciaires contre plusieurs médias et contre Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, pour des articles et propos tenus sur leur vie privée. Les avocats de l’ancien directeur général du FMI poursuivront pour atteinte à la vie privée L’Express, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, Paris-Match et VSD après « l’avalanche d’articles de presse s’exonérant de tout objectif d’information légitime du public ». Les articles ont trait à la vie sexuelle et affective de Dominique Strauss-Kahn et à la situation de son couple. Paris-Match est également poursuivi pour « atteinte au droit à l’image » du couple en raison d’une photo de une où l’on voit DSK et Anne Sinclair échanger un baiser. Les plaignants affirment que cette photo a été prise et utilisée à leur insu. Henri Guaino fera par ailleurs l’objet d’une plainte pour diffamation pour des propos tenus sur Paris Première, où le conseiller avait estimé que le comportement prêté à DSK était à la frontière « entre délinquance et vie privée » et pénalement répréhensible. Ces procédures, qui devraient être matérialisées sous peu, seront jugées directement concernant les médias, dans un délai de plusieurs mois, tandis qu’Henri Guaino devrait être mis en examen automatiquement avant que ce volet des poursuites soit abordé devant le Tribunal. Dans le communiqué diffusé à cette occasion, il est précisé que « ni Anne Sinclair ni Dominique StraussKahn n’entendent limiter la libre expression des idées et la diffusion de l’information mais ils n’acceptent pas pour autant que leur intimité soit exploitée et jetée en pâture à des fins exclusivement mercantiles ». 80 qui, dans un souci d’éviter une situation de déni de justice, permet de mener une procédure à l’encontre et en l’absence d’une personne dont le domicile n’est pas connu, si la juridiction saisie du litige s’est assurée, avant de statuer sur celui-ci, que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver le défendeur. • OBSERVATIONS • Si cette espèce ne concerne pas le commerce électronique, la solution intéresse vivement la matière. En cas d’impossibilité de localiser le domicile actuel, le critère du dernier domicile connu du consommateur permet d’assurer un juste équilibre entre les droits du demandeur et ceux du défendeur en conformité avec les prescriptions du règlement (CE) nº 44/2001 du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, dûment interprétées. Voir récemment, sur l’interprétation de l’article 5.3 de ce même règlement pour les victimes d’atteintes aux droits de la personnalité sur l’internet, CJUE, 25 oct. 2011, RLDI 2011/76, n° 2524, obs. Costes L. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, nos 2372, 4375 M.T. Apple cesse de commercialiser l’application « Juif ou pas juif ? » Apple a cessé au niveau mondial la commercialisation de son application « Juif ou pas juif ? », a affirmé, le 23 novembre, l’avocat des quatre associations antiracistes qui l’avaient assignée en justice. Aussi se sont-elles désistées de leur action. On rappellera que l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), J’accuse, SOS Racisme et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) avaient assigné Apple devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris pour obtenir qu’il renonce à commercialiser cette application au niveau mondial. Le 14 septembre, le groupe avait annoncé le retrait de la vente en France de cette application qui a fait scandale. Le 18 octobre, il avait étendu ce retrait à toute l’Europe. L’application, qui offrait une liste de 3 500 personnalités d’origine ou de religion juive, restait cependant disponible ailleurs dans le monde. Un artiste relaxé après avoir porté une burqa tricolore Il a été relaxé, le 25 novembre, par le Tribunal de police de Caen du chef d’accusation « d’utilisation dégradante du drapeau ». Le Tribunal a considéré que « les agissements qui [lui] étaient reprochés étaient couverts » par les limites fixées en juillet dernier par le Conseil d’État à l’application du décret paru le 23 juillet 2010 élargissant le délit d’outrage au drapeau. C’est la première fois qu’un Tribunal avait à statuer sur l’application de ce décret à un artiste. Lors de l’audience le 30 septembre, l’artiste avait expliqué avoir revêtu ce « costume » dans le cadre d’un spectacle de rue visant à dénoncer la loi sur le voile intégral comme une incitation à la xénophobie. Le procureur François Lalès avait requis 400 € d’amende, dont une partie avec sursis. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Il estimait que « la démarche artistique » de l’espèce n’était « absolument pas palpable ». On rappellera que le décret n° 2010-835 du 23 juillet 2010 institue une amende de 1 500 €, qui sanctionne le fait « lorsqu’il est commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore », de « détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante » le drapeau « dans un lieu public ».Christian Blanc condamné pour avoir diffamé son chef de cabinet La 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris, par une décision du 2 décembre, l’a cependant relaxé pour les propos où il suggérait que son collaborateur était en partie responsable du scandale des cigares qui lui avait coûté son poste en 2010. Il a ainsi été condamné à une amende de 1 000 € avec sursis pour avoir déclaré que Guillaume Jublot avait « distribué des indemnités de façon indue ». À ce titre, il devra lui verser en outre 1 € de dommages et intérêts ainsi que 2 500 € au titre des frais de justice. En revanche, le Tribunal l’a relaxé « pour le surplus ». Piratage informatique : plainte du ministère du Budget Le ministère du Budget a indiqué, le 4 décembre, avoir porté plainte pour escroquerie contre les pirates informatiques inconnus. Il leur est reproché d’avoir usurpé le nom du site officiel de l’administration fiscale pour extorquer des numéros de comptes et de cartes bancaires. Les cyberescrocs, imitant le site officiel des impôts, envoyaient des courriels annonçant une erreur des impôts en faveur du destinataire et demandaient en retour des coordonnées bancaires pour régulariser la situation. Ils comportaient de nombreuses fautes d’orthographe et de termes impropres, comme « usager » au lieu de « contribuable ». Il s’agit en fait de phishing ou d’« hameçonnage », un procédé destiné à récupérer des données personnelles. Informatique I Médias I Communication LES PRATIQUES CONTRACTUELLES RLDI LES PRATIQUES SECTORIELLES : CONTRATS INFORMATIQUES 2568 Dol par réticence retenu à tort La Cour d’appel de Poitiers infirme présentement la décision des premiers juges qui ont prononcé l’annulation, pour cause de dol, du contrat d’intégration du progiciel de l’espèce et des protocoles subséquents. CA Poitiers, 1re ch. civ., 25 nov. 2011, BNP Paribas Factor et a. c/ Mutuelle d’assurance des instituteurs de France (Maif), n° 10/00285, inédit Décision aimablement communiquée par Me Sandrine Rambaud La Maif avait conclu avec la société IBM, le 14 décembre 2004, un contrat d’intégration clé en main par lequel elle s’engageait à fournir sur la base d’une obligation de résultat une solution intégrée conforme au paramètre fonctionnel et technique convenu entre les parties. Malgré la conclusion de protocoles intervenue les 30 septembre et 22 décembre 2005 ayant eu pour objet de redéfinir et de réévaluer le projet, et en raison des retards accumulés et de nombreuses dérives, la Maif reprochant à la société IBM de lui avoir volontairement dissimulé le coût réel du projet pour obtenir son consentement, l’a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Niort ; action qu’il a reçue. Elle lui reprochait plus précisément de l’avoir trompée en phase précontractuelle sur sa capacité à mener le projet en cause en lui faisant croire qu’elle maîtrisait l’ensemble des paramètres de celui-ci et en dissimulant des informations capitales du projet s’agissant des risques qu’elle a pris par rapport au projet. Elle lui reprochait également, alors qu’elle était tenue à cette phase d’une obligation d’information et de conseil renforcée et qu’elle avait une connaissance parfaite de son système d’information comme de la solution cible, de n’avoir émis aucune réserve ni alerte sur la faisabilité du projet, manifestant ainsi son intention dolosive. Elle ajoutait qu’elle n’aurait pas signé le contrat proposé par IBM s’il lui avait été révélé l’ampleur des délais et des coûts nécessaires à l’intégration du progiciel. Ce n’est donc pas l’analyse de la Cour poitevine pour qui « il y a lieu d’écarter le moyen invoqué par la Maif tiré d’une Informatique I Médias I Communication réticence dolosive d’IBM dès lors qu’il n’est pas établi qu’IBM a dissimulé volontairement à la Maif des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget du projeté ». Pour se prononcer en ce sens, elle retient plus précisément qu’« aucun dol par réticence n’est venu vicier le contrat du 14 décembre 2004, alors d’une part que la Maif, qui ne conteste pas disposer d’une division informatique très étoffée, n’ignorait pas compte tenu de l’échec du projet préalablement confié à la société Siebel en 2002 les difficultés et les risques associés au projet (…) ». Elle retient également qu’« à supposer qu’il soit admis que la Maif ignorait lors de la conclusion du contrat le risque relatif au non-respect des délais prévus et au complément des prix, en tout état de cause il découle de l’examen du préambule du protocole, régularisé le 30 septembre 2005, que c’est en connaissance des retards qui ont affecté les différents sous-projets, que la Maif a accepté la redéfinition des charges, la modification du planning ainsi que le prix et les conditions y afférentes, et ce afin d’y remédier ». Il en résulte qu’« en redéfinissant le projet en connaissance du vice initial, qui affectait le contrat du 14 décembre 2004, et afin de le réparer, la Maif a nécessairement renoncé à se prévaloir de la possibilité d’en contester l’efficacité ». Et d’ajouter dans le même sens que « c’est en connaissance de cause que la Maif (qui dispose d’une direction informatique étoffée) et ne peut donc être qualifiée de profane dans le domaine de l’informatique a conclu le protocole du 22 décembre 2005 ». La Cour d’appel ne reçoit pas davantage la Maif dans ses allégations tirées des différents manquements commis par IBM à ses obligations de résultat. À la suivre, « la Maif ne peut soutenir qu’IBM reste tenu par les obligations telles que définies dans le contrat du 14 décembre 2004, qu’en tout état de cause à défaut d’avoir démontré compte tenu du contexte dans lequel les relations ont évalué l’existence de fautes d’une exceptionnelle gravité, elle doit être infirmant le jugement déféré déboutée de ses demandes indemnitaires ». Alors qu’en première instance IBM avait été condamné à verser à la Maif à titre de dommages et intérêts plus de 9 millions d’euros, c’est cette dernière qui se trouve condamnée à verser à IBM plus de 450 000 €. ACTUALITÉS ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL • OBSERVATIONS • Ce contentieux est l’occasion de rappeler que le dol est caractérisé par les manœuvres accomplies par un contractant afin de conduire son cocontractant à conclure. Il ne peut être sanctionné que s’il est prouvé que la conclusion du contrat a été déterminée par ces manœuvres et si ses conséquences vont au-delà d’un simple désavantage contractuel. En tout état de cause, dans le cas où le dol est reconnu, il ne peut ouvrir droit à des réparations qui procureraient à sa victime un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu si le dol n’avait pas été commis (en ce sens, Cass. 1re civ., 25 mars 2010, RTD civ. 2010, p. 322, comm. Fages B.). Il s’apprécie donc au cas par cas au fil des espèces. ➤ Lamy Droit de l’informatique et des réseaux 2011, n° 857 L.C. N 0 77 • D É C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 81 En bref... ONDRP : forte hausse de la cybercriminalité L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a publié, le 22 novembre, son rapport annuel sur la délinquance. On retiendra qu’en 2010, il y a eu en France plus de 33 000 infractions par internet dont 80 % d’escroqueries. Selon l’ONDRP, cette cybercriminalité « regroupe des infractions très diverses » : des infractions en lien avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), comme d’autres liées aux systèmes d’information et de traitement automatisé des données (Stad). Ainsi qu’il est relevé ces infractions sont parfois difficiles à comptabiliser – car il y a peu de plaintes – et compliquées à cerner car les statistiques proviennent souvent des administrations. En 2010, police et gendarmerie ont recensé 602 atteintes aux Stad. Le tiers est des « altérations du fonctionnement » ou de « suppression de données ». Plus de 33 000 infractions dites de « délinquance astucieuse » ont donc été enregistrées et effectuées par internet. Plus de 80 % d’entre elles sont des escroqueries et des abus de confiance. 82 « Un peu moins de 1 500 atteintes à la dignité et à la personnalité » et « 330 atteintes sexuelles » (pédophilie), toujours via internet, ont aussi été constatées par les forces de l’ordre disposant désormais d’outils et d’équipes formées afin de lutter contre cette nouvelle criminalité informatique. On retiendra également que le taux de fraude sur les paiements par internet « continue d’augmenter » sans toutefois atteindre le pic de 2007. Ainsi, les paiements à distance – près de 9 % de la valeur des transactions effectuées en France – « comptent pour 62 % du montant global de la fraude ». Ce montant n’est pas précisé mais la « cybercriminalité aurait coûté » en France « 1,7 milliard d’euros » en 2010, dont 872 millions d’euros « de pertes directes ». L’ONDRP dresse, enfin, un profil type des cybercriminels, multiples et variés : « acteurs individuels » tels les pédophiles, « crime organisé » dont la « motivation est essentiellement financière » et « reste rare en France », « hackers » revendiquant parfois leur geste au nom de l’amélioration et de l’ouverture des systèmes informatiques. Fevad : une hausse continue des ventes sur internet La Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance) a publié, le 17 novembre, les résultats du e-commerce au troisième trimestre ainsi que ses prévisions pour les achats de Noël 2011 sur internet. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D É C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 On retiendra plus spécialement que la hausse des ventes sur internet s’est poursuivie sur les mois de juillet à septembre. Ainsi, au cours du troisième trimestre, l’ensemble des sites de vente en ligne a vu son chiffre d’affaires progresser de 2 % par rapport au deuxième trimestre 2011 et de 23 % sur un an. La progression enregistrée au cours du dernier trimestre continue d’être dopée par la progression du nombre de Français qui achètent sur internet. Selon Médiamétrie, le nombre de cyberacheteurs a bondi de 3,2 millions sur un an. La France compte désormais 30,4 millions d’acheteurs en ligne. On retiendra également que l’offre en ligne continue de s’étoffer. De fait, le rythme de création de sites ne faiblit pas au troisième trimestre ; le nouveau record du nombre de sites marchands s’établissant à 93 300 sites. Enfin, ainsi qu’il est précisé, les internautes ont dépensé, en 2010, 6,2 milliards d’euros en ligne pour leurs achats de fin d’année. Aussi, compte tenu de la progression du nombre d’internautes sur un an, et du niveau élevé d’intentions d’achat en ligne pour Noël mesuré par Médiamétrie, la Fevad estime que le montant des ventes devrait franchir la barre des 7 milliards d’euros soit 20 % de plus que l’an dernier. Le e-commerce devrait ainsi dépasser 37 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour l’année 2011. Informatique I Médias I Communication RLDI PERSPECTIVES ANALYSE 2569 Le présent article est consacré aux contributeurs et contributions visés par les nouvelles dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à la cession légale des droits d’auteur des journalistes professionnels. Me Jean-Marie Léger nous livre son analyse. La cession légale des droits d’auteur des journalistes : considérations pratiques sur les contributeurs et œuvres visés par le texte Par Jean-Marie LÉGER Avocat associé incluses dans la cession (II), n’est pas la moindre de ces difficultés. FLP Avocats I. – LES CONTRIBUTEURS VISÉS PAR LE TEXTE L’article L. 132-36 du Code de la propriété intellectuelle, issu de la loi du 12 juin 2009, dite « Hadopi I » (1), énonce le principe d’une cession automatique des droits patrimoniaux des journalistes professionnels au profit des éditeurs. La pleine application de ce principe reste subordonnée à la négociation d’un accord d’entreprise ou, à défaut, de tout autre accord collectif, portant sur les rémunérations dues aux journalistes en contrepartie des cessions prévues par la loi. L’accord d’entreprise est d’autant plus privilégié qu’il est le seul outil collectif autorisé pour définir l’étendue et la contrepartie de certaines cessions (2). Les accords collectifs existants (3), sous réserve de dénonciation anticipée, doivent être renégociés avant le 13 juin 2012, date à laquelle ils cesseront d’être applicables. À ce titre, la tâche des partenaires sociaux n’est guère facilitée par la rédaction défectueuse de certaines dispositions des articles L. 132-35 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’étendue du champ d’application du mécanisme légal quant aux contributeurs concernés (I), et quant aux œuvres La cession légale s’applique tant aux journalistes professionnels qui collaborent de manière permanente qu’à ceux qui ne collaborent que de manière occasionnelle. A. – Journalistes professionnels permanents ou occasionnels salariés Est visée par le texte la catégorie générique des journalistes professionnels et assimilés au sens des articles L. 7111-3 et suivants du Code du travail. Toutefois, ces articles définissent davantage une profession qu’une catégorie juridique homogène relevant sans exception du droit social. On sait en effet que les journalistes professionnels pigistes qui ne collaborent qu’occasionnellement avec une entreprise de presse peuvent ne pas avoir la qualité de salarié (4). Or, les articles L. 132-36, L. 132-41 et L. 13245, ces deux dernières dispositions s’appliquant aux auteurs d’images fixes, visent les journalistes professionnels qui contribuent de manière permanente ou occasionnelle à l’élaboration d’un titre de presse. La notion de collaboration occasionnelle est pour le moins troublante dès lors qu’elle renvoie notamment à la situation du pigiste occasionnel non salarié. L’article L. 132-36 qui mentionne, sans autre précision, une convention, vient alors suggérer que le mécanisme de cession légale ne s’appliquerait pas uniquement aux journalistes salariés. Une telle interprétation n’est manifestement pas acceptable dès lors que l’article L. 132-36 vise expressément l’employeur du journaliste professionnel et que l’ensemble du mécanisme repose sur des accords d’entreprise dont on voit mal qu’ils pourraient s’appliquer à d’autres personnes que des salariés. Mais quels sont donc alors, en pratique, ces collaborateurs occasionnels ? Puisqu’ils sont nécessairement salariés, il ne peut s’agir que de journalistes intégrés ou de pigistes, dits « réguliers », liés à l’éditeur par un contrat de travail. S’agissant des journalistes intégrés, ces textes s’appliqueraient donc à ceux qui n’étant pas contractuellement rattachés à un titre donné y contribueraient de manière occasionnelle. Toutefois, ce sont les œuvres ainsi créées qui risquent d’échapper au domaine d’application de la cession légale (voir II). B. – Les auteurs d’image fixe 1 / Exclusion des journalistes des services de communication audiovisuelle La notion d’image fixe renvoie à la définition de l’œuvre audiovisuelle telle qu’énoncée à l’article L. 112-2, 6° du Code de la propriété intellectuelle (5). Les journalistes professionnels des services de communication audiovisuelle sont en > (1) Voir Hassler Th., Loi Hadopi et la cession légale des droits d’auteur des journalistes, RLDI 2009/52, n° 1733 qui écrit notamment : « On ne s’étonnera plus que le texte soit particulièrement long, technique et abscons. Comme à son habitude, le législateur nous a gratifiés d’un pâté juridique peu digeste, recourant à la technique de la “commissionnite” venant chapeauter l’ensemble. » (2) La notion de famille cohérente de presse, visée à l’article L. 132-39, doit être ainsi définie par un accord d’entreprise. (3) Article 20, IV, de la loi n° 2009-669, IV – « Durant les trois ans suivant la publication de la présente loi, les accords relatifs à l’exploitation sur différents supports des œuvres des journalistes signés avant l’entrée en vigueur de la présente loi continuent de s’appliquer jusqu’à leur date d’échéance, sauf cas de dénonciation par l’une des parties. » Selon le rapport n° 1626 à l’Assemblée nationale, « le fondement juridique de ces accords est cependant fragile, dès lors que le principe de l’autorisation explicite de chaque nouvelle exploitation de l’œuvre par son auteur demeure formulé dans les mêmes termes par le Code de la propriété intellectuelle ». (4) Pour une application récente, Cass. soc., 6 oct. 2010, Legifrance n° 09-41017 : « Mais attendu que la Cour d’appel a constaté que Mme X. Y. ne justifiait que de prestations occasionnelles ayant consisté, de mai 2002 à janvier 2003, en la vente aux deux sociétés de plusieurs reportages relatifs à six personnalités, qu’elle avait le libre choix des reportages qu’elle offrait à l’achat et qu’elle ne recevait aucune directive des entreprises de presse qui lui achetaient ses reportages ; qu’elle a pu en déduire que les deux sociétés avaient détruit la présomption attachée par l’article L. 7112-1 du Code du travail. » (5) « Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles ». Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 83 L A C E S S I O N L É G A L E D E S D R O I T S D ’A U T E U R D E S J O U R N A L I S T E S ( … ) effet exclus du champ d’application de la cession légale (6). Les œuvres audiovisuelles ainsi que les œuvres radiophoniques échappent-elles, pour autant, aux articles L. 132-35 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ? La réponse est incertaine comme nous le verrons ci-après. 2 / Photographes et autres auteurs d’images fixes L’article L. 132-41 énonce une règle dérogatoire au profit des journalistes professionnels qui tirent le principal de leurs revenus de l’exploitation d’images fixes et qui collaborent de manière occasionnelle à l’élaboration d’un titre de presse. L’auteur d’une image fixe est ici principalement le journaliste professionnel photographe. Conformément aux préconisations du « Blanc », le législateur a souhaité créer un régime spécifique pour ce secteur (7). Ce faisant, le législateur soumet aux mêmes dispositions spécifiques les dessinateurs et les autres auteurs d’œuvres graphiques qui ont également la qualité de journaliste professionnel (8). Un dessin, une caricature, un montage, de même que toute autre œuvre graphique devraient également recevoir la qualification d’image fixe. Si le législateur avait entendu limiter l’application de l’article L. 132-41 aux seuls photographes, on peut espérer qu’il l’aurait alors précisé. Au demeurant, la situation économique des caricaturistes et autres dessinateurs journalistes est probablement assez similaire à celle des photographes. Rien ne semble donc s’opposer à ce qu’ils soient également soumis à des règles dérogatoires. 3°/ Journalistes professionnels, auteurs « occasionnels » d’images fixes L’application du régime dérogatoire ne concerne que les journalistes professionnels qui tirent l’essentiel de leurs revenus de l’exploitation d’images fixes. Il faut donc exclure les journalistes professionnels pour lesquels cette activité n’est qu’accessoire. Un journaliste professionnel rédacteur peut en effet être l’auteur ponctuel de photographies, voire de dessins. Il sera alors soumis au principe général de cession automatique tant pour ses écrits que pour ses œuvres photographiques ou graphiques, sous réserve pour ces dernières qu’elles se rattachent effectivement aux missions qui lui sont contractuellement dévolues. 4°/ Journalistes professionnels intégrés, auteurs « permanents » d’images fixes Les journalistes professionnels intégrés, auteurs « occasionnels » ou « permanents » d’images fixes relèvent du régime général de l’article L. 132-36. Le régime de l’article L. 132-41 ne vise en effet que les collaborateurs occasionnels d’un titre de presse. Comme nous l’avons vu précédemment, ces collaborateurs occasionnels ne peuvent être que des journalistes pigistes réguliers, titulaires d’un contrat de travail (9). Tableau récapitulatif Catégories Journalistes non professionnels, salariés et non salariés Régime applicable Droit commun Journalistes professionnels, pigistes occasionnels non salariés Droit commun Journalistes professionnels, pigistes réguliers salariés Article L. 132-36 Journalistes professionnels, intégrés salariés Article L. 132-36 Journalistes professionnels, essentiellement auteurs d’images fixes : – pigistes occasionnels non salariés ; Droit commun – pigistes réguliers salariés ; Article L. 136-41 – journalistes intégrés Article L. 132-36 Journalistes professionnels, accessoirement auteurs d’images fixes : – pigistes occasionnels non salariés ; Droit commun – pigistes réguliers salariés ; Article L. 132-36* – journalistes intégrés salariés Article L. 132-36* Journalistes professionnels des services de communication audiovisuelle Droit commun** * La question de l’intégration de leurs œuvres graphiques dans le champ d’application de l’article L. 132-36 reste ici posée. ** Application de l’article L. 132-24 du Code de la propriété intellectuelle et autres textes spécifiques au secteur de l’audiovisuel. (6) L’article L. 132-35 dispose en effet que « sont exclus les services de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ». (7) Rapport n° 396 (2008-2009) de M. Michel Thiollière, fait au nom de la Commission des affaires culturelles, déposé le 12 mai 2009 : « Ce secteur doit, en effet, faire face à des difficultés économiques structurelles liées à l’explosion de l’offre numérique et à la très grande précarisation de la situation des photographes : en effet, ces journalistes sont, pour la plupart d’entre eux, rémunérés à la pige et tirent une part essentielle de leurs revenus des ré-exploitations de leurs images ». (8) Cass. soc., 17 nov. 2004, n° 02-45.892, Legifrance : « Mais attendu qu’après avoir constaté que le dessinateur-pigiste avait collaboré durant 18 années à la rédaction du quotidien de manière constante et régulière, la Cour d’appel a retenu qu’il n’avait pas la liberté du choix des dessins qui lui étaient commandés et devait respecter les dates de leur remise ; qu’elle a pu en déduire que la présomption de subordination établie par l’article L. 761-2 du Code du travail n’était pas détruite » – Cass. soc., 13 mai 1996, n° 94-42.166, Legifrance : « Mais attendu que la Cour d’appel, après avoir procédé à l’analyse des bandes dessinées conçues par M. X. et constaté que ces œuvres qui n’étaient pas de pure fiction mais illustraient les sujets d’actualité développés par le magazine, a exactement décidé que l’intéressé avait la qualité de journaliste professionnel au sens de l’article L. 761-2 du Code du travail (…) » – Cass. soc., 24 nov. 1966, Legifrance : « Mais attendu que l’arrêt attaqué constate que l’activité exercée au sein de la société par X qui avait depuis 1946 la carte de journaliste professionnel, n’était pas celle d’un simple monteur de dessins, d’un dessinateur d’exécution géométrique ou purement fantaisiste, mais qu’il produisait des illustrations relatives à l’orientation professionnelle actuelle de la femme (militaire, technicien d’aviation, préparatrice de pharmacie) et à des reportages sur certains événements tels que les fêtes de Noël, de la Chandeleur, de Pâques, du 11 Novembre, etc. ; qu’il répondait ainsi à la définition de reporter-dessinateur (…) ; qu’en déduisant de ces constatations que X devait être considéré comme reporter-dessinateur, assimilé aux journalistes professionnels et, à ce titre, bénéficier de leur statut, la Cour d’appel, loin de violer les textes visés au moyen, en a fait une exacte application ». (9) La cession de droit attachée à l’existence d’un contrat de travail pourrait avoir cette curieuse conséquence de voir les éditeurs de presse soutenir que des journalistes occasionnels ont bien la qualité de salarié. Le professeur Derieux écrit ainsi (in Loi du 12 juin 2009, Restriction des droits d’auteurs des journalistes, RLDI 2 009/51, n° 1698) que : « La commande entraîne l’application de la présomption de salariat, posée par l’article L. 7112-1 du Code du travail (…) et les conséquences que, théoriquement, ce statut, à lui seul, ne devrait pas avoir non seulement sur la titularité mais même sur la “jouissance” du droit d’auteur ! Cette présomption de salariat (dont certains syndicats de journalistes, en 1974, avaient cru pouvoir faire une victoire) s’avère-t-elle finalement si avantageuse pour les journalistes ? » 84 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication La cession légale porte sur les œuvres du journaliste réalisées dans le cadre du titre auquel il contribue, de manière permanente ou occasionnelle, que ces œuvres soient ou non publiées. Elle ne vise naturellement que les œuvres originales au sens des articles L. 112-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (10). A. – Les œuvres réalisées dans le cadre d’un titre de presse Si la notion de titre de presse fait l’objet d’importants développements, la réalisation de l’œuvre dans le cadre dudit titre ne fait l’objet d’aucune précision légale. Il faut ici s’interroger sur les incidences de la notion de contribution permanente ou occasionnelle quant aux œuvres incluses dans la cession légale et sur celles résultant du rattachement des œuvres à un titre de presse initial. il est attaché, ou à exécuter son contrat de travail selon un mode d’expression différent, cette modification doit faire l’objet d’un accord dans les conditions prévues à l’article 20 (11). Comme nous l’avons vu précédemment la notion de collaboration occasionnelle, décidément malheureuse, n’avait sans doute pour objet, dans l’esprit du législateur, que d’intégrer les journalistes pigistes salariés dans le mécanisme légal. En faveur d’une interprétation extensive de l’article L. 132-36, on pourrait encore s’appuyer sur la définition du titre de presse. L’article L. 132-35 le définit comme l’organe de presse à l’élaboration duquel le journaliste professionnel a contribué, sans distinguer selon que cette contribution est permanente ou occasionnelle. Dès lors que le journaliste collabore avec un employeur qui édite plusieurs titres de presse, il importerait peu que les œuvres soient issues de Les oeuvres réalisées par des journalistes dans le cadre de titres de presse auxquels ils ne sont contractuellement pas rattachés devront être cédées à l’employeur conformément au droit commun. 1°/ Incidence de la notion de contribution permanente ou occasionnelle a) La question des œuvres conçues hors mission contractuelle Dès lors que les textes visent une collaboration permanente ou occasionnelle, il pourrait être de prime abord soutenu que les œuvres occasionnellement réalisées dans le cadre d’un titre de presse sont nécessairement incluses dans la cession. Ainsi, la réalisation d’œuvres journalistiques en dehors des missions permanentes dévolues aux journalistes en application des dispositions de leur contrat de travail s’inscrirait pleinement dans l’hypothèse légale. Il est cependant douteux que la cession légale puisse s’appliquer à l’œuvre d’un journaliste qui aura ponctuellement accepté de collaborer à un titre de presse auquel il n’est pas contractuellement rattaché conformément au formalisme imposé par les articles 8 et 20 de la convention collective. En effet, l’article 8 dispose que si un journaliste est appelé par son employeur à collaborer à un autre titre que celui ou ceux auxquels collaborations accessoires ou principales à l’un quelconque de ces titres sous réserve, le cas échéant, qu’ils appartiennent à une même famille cohérente de presse (12). Mais ce serait là confondre les conditions de conception de l’œuvre journalistique avec celles relatives au domaine d’exploitation cédé. Ce n’est pas parce que l’œuvre aura été créée pour un titre appartenant à une même famille cohérente de presse incluant un ou plusieurs titres relevant des missions permanentes du journaliste que les droits patrimoniaux attachés à cette œuvre seront nécessairement cédés à l’employeur. Il est également nécessaire que cette œuvre soit conçue dans le cadre d’une relation contractuelle conforme aux dispositions de la convention collective. À ce titre, l’article L. 7111-5-1, introduit dans le Code du travail par la loi du 12 juin 2009, n’a que partiellement étendu le champ légal d’intervention des journalistes. Cet article dispose en effet que « la collaboration entre une entreprise de presse et un journaliste professionnel porte sur l’ensemble des supports du titre de presse tel que défini au premier alinéa de l’article L. 132-35 du Code de la propriété intellectuelle, sauf stipulation contraire dans le contrat de travail ou dans toute autre convention de collaboration ponctuelle ». Cette polyvalence reste donc limitée aux supports constituant les déclinaisons du titre, l’intervention d’un journaliste sur un titre autre que celui auquel il collabore habituellement restant subordonnée à son accord conformément à l’article 8 de la convention collective. Il est douteux qu’un accord collectif puisse régler cette difficulté. D’une part, un tel accord ne peut comporter de stipulations moins favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur (article L. 2251-1 du Code du travail). À ce titre, les articles L. 132-35 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, bien que muets sur la question, impliquent que l’œuvre ait été conçue par un journaliste salarié dans le cadre de son contrat de travail ; si elle lui est extérieure, la condition déterminante de la cession, à savoir la relation salariée, fait défaut. D’autre part, si une convention ou un accord d’entreprise peut comporter des stipulations nouvelles et des stipulations plus favorables aux salariés que celles résultant des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels applicables (article L. 2253-1 du Code du travail), la clause de l’accord d’entreprise se heurterait aux dispositions des articles 8 et 20 de la convention collective en ce qu’elle constituerait une stipulation moins favorable. Dès lors, les œuvres réalisées par des journalistes dans le cadre de titres de presse auxquels ils ne sont contractuellement pas rattachés devront être cédées à l’employeur conformément au droit PERSPECTIVES ANALYSE II. – LES CONTRIBUTIONS VISÉES PAR LE TEXTE > (10) Pour celles des contributions qui ne constituent pas des œuvres de l’esprit, la protection des bases de données ou, plus simplement, la « propriété matérielle » des fichiers dits « professionnels » reconnue à l’employeur par la jurisprudence doivent en principe recevoir application. (11) Cet article dispose notamment qu’un échange de lettres sera nécessaire chaque fois qu’interviendra une modification du contrat de travail. (12) L’article L. 132-39 dispose en effet que : « Lorsque la société éditrice ou la société qui la contrôle, au sens de l’article L. 233-16 du Code de commerce, édite plusieurs titres de presse, un accord d’entreprise peut prévoir la diffusion de l’œuvre par d’autres titres de cette société ou du groupe auquel elle appartient, à condition que ces titres et le titre de presse initial appartiennent à une même famille cohérente de presse. Cet accord définit la notion de famille cohérente de presse ou fixe la liste de chacun des titres de presse concernés . Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 85 L A C E S S I O N L É G A L E D E S D R O I T S D ’A U T E U R D E S J O U R N A L I S T E S ( … ) commun. L’employeur préférera sans doute modifier par avenant le contrat de travail afin d’étendre le champ d’intervention du journaliste. La démarche est finalement plus sûre que ne l’est le recours au formalisme du contrat de cession. Du reste, la notion de famille cohérente de presse incite naturellement à cette extension. b) Les œuvres conçues selon un mode d’expression non contractuel Reste l’hypothèse des œuvres réalisées à l’aide d’un mode d’expression différent de celui que le journaliste manie habituellement. Le phénomène devrait se répandre dès lors que les nouveaux supports autorisent le journaliste de presse à s’essayer à la caméra et au micro. L’œuvre ainsi créée sera-t-elle cédée à l’employeur en application de l’article L. 132-36 si le moyen d’expression utilisé n’a pas été contractualisé conformément aux exigences posées par les articles 8 et 20 de la convention collective ? La généralité de l’article L. 132-36 plaide pour la cession dès lors que l’œuvre a été réalisée dans le cadre du titre de presse auquel le journaliste est rattaché. Cependant, la pluralité de supports n’a pas en soi d’incidence sur le mode d’expression. Au demeurant, là encore, les termes de l’article 8 de la convention collective impliquent qu’une œuvre réalisée dans le cadre du contrat de travail l’ait été selon un mode d’expression préalablement convenu. Si tel n’est pas le cas, l’article L. 132-36 ne pourra s’appliquer à des œuvres réalisées en dehors du champ d’application du contrat de travail. 2°/ Incidence du rattachement de l’œuvre au titre de presse Les œuvres visées par l’article L. 132-36 sont celles réalisées dans le cadre du titre de presse à l’élaboration duquel le journaliste contribue. En application de l’article L. 132-35, le titre de presse est l’organe de presse à l’élaboration duquel le journaliste professionnel a contribué ainsi que l’ensemble des déclinaisons du titre. Les œuvres originellement réalisées dans le cadre d’une déclinaison de l’organe de presse sont-elles pour autant cédées au même titre que celles originellement réalisées dans le cadre de cet organe (13) ? Une brève spécifiquement rédigée pour la déclinaison internet du support papier est-elle soumise au même régime que la brève rédigée directement pour le support papier ? Certes l’organe de presse auquel le texte fait référence n’est pas, semble-t-il, nécessairement sur support papier. Il peut avoir été conçu initialement sous un format électronique avant que ne soit créée une déclinaison « papier » dudit support. Si la loi assimile à la publication dans le titre de presse – supposé « papier » – la diffusion par un service de communication au public en ligne, elle vise, dans cette dernière hypothèse, la diffusion « de tout ou partie » du contenu du titre de presse (14). C’est donc qu’elle considère que l’œuvre cédée est avant tout – exclusivement ? – une œuvre créée pour le support papier. Là encore, le texte suscite la confusion. À quoi bon l’alinéa 3 de l’article L. 13235 dès lors que l’alinéa 1 définit largement le « titre de presse » en y incluant l’ensemble des déclinaisons, y compris électronique, du support initial ? C’est que l’alinéa 3 vise des services de communication en ligne qui ne sont pas des déclinaisons du support initial au sens de l’alinéa 1. L’article L. 132-36 vise sans exception les œuvres réalisées dans le cadre d’un titre de presse. Le titre de presse incluant désormais l’ensemble des supports, sont bien cédées à l’employeur toutes les œuvres réalisées par le journaliste dans le cadre du titre de presse, quel que soit le support dudit titre pour lequel l’œuvre a été initialement réalisée. B. – Les œuvres publiées ou non : preuves et ébauches La cession des droits patrimoniaux n’est pas subordonnée à l’exploitation effective de l’œuvre. Cette disposition permet à l’entreprise de presse de se constituer, outre les archives d’œuvres publiées, un fonds documentaire d’œuvres non publiées exploitables tant en interne que pour des opérations relevant du « troisième cercle ». 1°/ L’identification des œuvres non publiées cédées Si l’identification des œuvres cédées publiées ne devrait pas soulever de difficulté particulière, il est à craindre que l’identification des œuvres cédées non publiées se révèle plus délicate. L’accord d’entreprise mettra utilement en place une procédure destinée à les marquer du sceau de la cession. On peut à ce titre imaginer de confier aux rédacteurs en chef un rôle centralisateur ou d’instituer, via le système d’information, un dossier unique destiné à recueillir l’ensemble des créations journalistiques. 2°/ Quid des projets, ébauches et autres esquisses ? Ce procédé d’identification s’avérera d’autant plus important qu’il faudra également s’attacher au sort des projets, ébauches et esquisses qui constitueront, probablement, la substance quantitativement dominante des œuvres non publiées. Faute d’exclusion légale, il faut en effet considérer que les droits patrimoniaux attachés à ces projets, ébauches et esquisses sont bel et bien cédés à l’employeur. Cela ne signifie pas pour autant qu’il pourra librement les exploiter. Le droit moral des journalistes, et plus particulièrement le droit de divulgation, risque de constituer un obstacle majeur. C. – Les œuvres audiovisuelles Les services de communication audiovisuelle sont expressément exclus du champ d’application de la cession légale. Est-ce à dire que les œuvres audiovisuelles conçues par des journalistes de presse en sont écartées ? Les supports électroniques d’un organe de presse qui diffusent, outre des textes, des vidéos ou autres reportages « audiovisuels » peuvent-ils être assimilés (13) Laurent Dray écrit ainsi (La réforme du droit d’auteur des journalistes par la loi n° 209-669 du 12 juin 2009, Comm. com. électr. 2009, n° 9, étude 10) : « Une interprétation stricte pourrait laisser croire que seule une publication reprise dans un titre publié à l’identique sur un nouveau support entre dans le champ d’application du texte. Toutefois la référence à “l’ensemble des déclinaisons du titre” devrait permettre d’y intégrer les exploitations qui prolongent et/ou complètent le titre de référence. Nombreux sont en effet les sites qui proposent un contenu différent de l’édition papier, soit qu’ils développent les sujets traités, soit qu’ils offrent d’autres informations. L’esprit de la loi est d’offrir aux éditeurs une vaste marge de manœuvre quant à l’exploitation des œuvres journalistiques ; se contenter d’une définition en termes de support ne permettrait pas d’atteindre les objectifs affichés. On peut toutefois s’attendre à un contentieux relatif à l’interprétation de la notion de “déclinaison du titre ”. » (14) Article L. 132-35, alinéas 2 et 3. 86 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication la loi du 21 juin 2004 (18). Les œuvres audiovisuelles conçues pour ces supports par des journalistes de presse seront donc également cédées aux éditeurs (19). D. – Les œuvres futures L’article L. 132-36 écarte expressément la lancinante question de la cession des œuvres futures (20). Certains accords l’avaient tout simplement ignorée et d’autres l’avaient contournée par des mécanismes de confirmation d’un maniement pratique malaisé et dangereux (21). En tout état de cause, on pouvait douter que cette interdiction soit ici applicable dès lors que la cession ne porte que sur les œuvres conçues par un salarié dans l’exercice des fonctions délimitées par son contrat de travail. La dérogation à l’article L. 131-1 règle définitivement la question en suggérant, du reste, qu’elle pouvait être effectivement un obstacle à la pleine efficacité de la cession légale. CONCLUSION Si l’objectif visant à permettre aux entreprises de presse une diffusion multisupport des œuvres journalistiques semble avoir été atteint, il n’en est pas de même de l’uniformisation des régimes applicables aux journalistes et à leurs réalisations. La sécurité juridique des éditeurs préconisée par le Livre vert apparaît quelque peu compromise par la complexité d’un texte à laquelle les statuts des journalistes ne sont pas, au demeurant, étrangers. La négociation et la rédaction des accords d’entreprise s’avèrent en pratique délicates. Les subtilités du droit social s’ajoutent à celles, non moins redoutables, d’un texte mal écrit. ◆ PERSPECTIVES ANALYSE à des services de communication audiovisuelle ? Au terme des articles 1 et 2 de la loi du 30 septembre 1986 (15), les services de communication audiovisuelle comprennent les services de télévision, les services de radio, les services de médias audiovisuels à la demande et des services résiduels ne relevant pas de la communication au public en ligne. S’il faut écarter dans notre hypothèse les services de télévision et de radio qui impliquent une réception simultanée ainsi qu’une suite ordonnée d’émissions, ainsi que les services de médias audiovisuels à la demande (16), l’incertitude demeure quant à la catégorie innommée des services résiduels de communication audiovisuelle (17). Reste que les supports électroniques des titres de presse constitueront le plus souvent des services de communication au public en ligne au sens de l’article 1er de Tableau récapitulatif Types d’œuvres Régime applicable Œuvres initialement conçues pour le support papier de l’organe de presse contractuel Article L. 132-36 Œuvres initialement conçues pour une déclinaison de l’organe de presse contractuel Article L. 132-36 Œuvres conçues pour un titre autre que l’organe de presse contractuel Droit commun Œuvres conçues selon un mode d’expression non contractuel Droit commun Projets, ébauches, esquisses Article L. 132-36 mais droit moral Œuvres audiovisuelles conçues par des journalistes de presse Article L. 132-36* * Sauf si le support de diffusion peut être qualifié de service de communication audiovisuelle. (15) Loi n° 86-1067 relative à la liberté de la communication. (16) Sont en effet exclus les services dont le contenu audiovisuel est secondaire, ce qui devrait être généralement le cas. Les Smad sont définis de la manière suivante (art. 2) : « Est considéré comme service de médias audiovisuels à la demande tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de ce service. Sont exclus les services qui ne relèvent pas d’une activité économique au sens de l’article 256 A du Code général des impôts, ceux dont le contenu audiovisuel est secondaire, ceux consistant à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échanges au sein de communautés d’intérêt, ceux consistant à assurer, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le seul stockage de signaux audiovisuels fournis par des destinataires de ces services et ceux dont le contenu audiovisuel est sélectionné et organisé sous le contrôle d’un tiers. » (17) Cette catégorie est pour le moins obscure et les commentateurs sont, à son sujet, peu prolixes. Relèveraient de cette catégorie l’exploitation en ligne d’œuvres audiovisuelles (J.-Cl Civil Annexes, Fasc. 1075, n° 130 – avant la loi du 5 mars 2009 sur les services de médias audiovisuels à la demande), le Télétexte et les guides de programmes selon les travaux préparatoires. (18) « On entend par communication au public en ligne toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur. » (19) Voir, notamment, Derieux E., La presse : le droit d’auteur des journalistes – Incidences de la loi du 12 juin 2009, Création et inventions de salariés, Colloque de l’Irpi, éd. Litec, p. 71 et s., qui écrit : « les dispositions relatives aux droits d’auteur des journalistes de la presse écrite (et des extensions de celle-ci au sein des “titres de presse” (…) qui peuvent pourtant être plurimédias ou multimédias et inclure des œuvres audiovisuelles) constituent, à l’avantage de l’entreprise, et au détriment des journalistes, un véritable bouleversement et une réelle remise en cause de ces droits ». (20) Des tolérances jurisprudentielles ont pu valider des clauses de cession d’œuvres futures, notamment pour des créations des salariés ; Cass. 1re civ., 4 févr. 1986, n° 83-13.114 , Legifrance : « Mais attendu, d’une part, que ni la prévision d’une cession automatique des droits de propriété littéraire et artistique au fur et à mesure de l’exploitation ou du règlement éventuels des travaux, ni celle du transfert des seuls “engagements en cours” à un agent successeur, en particulier relativement à la recherche et à l’utilisation des espaces publicitaires, ne sont constitutifs de la cession globale d’œuvres futures interdite par l’article 33 de la loi du 11 mars 1957. » – Voir également, CA Lyon, 28 novembre 1991, Juris-Data, n° 1991-603538. (21) Dans un arrêt du 31 mai 2011 (Juris-Data, n° 08/08703), la Cour d’appel de Paris a jugé que : « Considérant que la clause du contrat de travail prévoyant une cession au profit de l’agence de presse au fur et à mesure de leur création des droits de propriété intellectuelle sur les photographies (…) n’est pas constitutive d’une cession globale d’œuvres futures prohibée (…) qu’il est cependant prévu dans le contrat que la cession sera confirmée tous les ans dans un document particulier qui identifiera les œuvres en cause ; qu’il n’est pas contesté que cette confirmation annuelle des œuvres cédées n’a jamais eu lieu ; que la cession des droits d’exploitation sur les photographies (…) n’ayant pas été mise en œuvre régulièrement, il y a lieu d’ordonner la cessation d’exploitation du fonds photographique. » Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 87 RLDI 2570 Si le présent texte contient un certain nombre d’apports appréciables, il n’en demeure pas moins que la transposition à laquelle il procède est minimaliste ; ce qui peut être regretté. Tel est le sens de l’analyse de Me Florence Guthfreund-Roland et de Me Élisabeth Marrache (*). Ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques et transposition du troisième « Paquet télécom » Par Florence GUTHFREUNDROLAND Avocat à la Cour Associée Simmons & Simmons LLP Et Élisabeth MARRACHE Avocat à la Cour Simmons & Simmons LLP L’ordonnance n° 2011-1012 relative aux communications électroniques est entrée en vigueur le 26 août 2011 (JO 26 août, p. 14473 et s.). Cette ordonnance, qui arrive bien tardivement, transpose en droit interne les directives du « Paquet télécom 2009 » (par ex. les directives n° 2009/140/ CE (1) et n° 2009/136/CE, toutes deux du 25 novembre 2009 (2)) et représente l’aboutissement d’un long processus de révision du cadre réglementaire applicable aux communications électroniques. Elle devra être complétée par des décrets d’application (3), dont un premier projet a été soumis à consultation au mois de juin 2011 (4). Compte tenu de l’urgence (5) et du caractère réputé quasi mécanique (6) de cette transposition, le recours à une procédure d’ordonnance – autorisé par la loi du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne – s’est imposé. Toutefois, si ce processus ne bouleverse pas le cadre juridique mis en place par le « Paquet télécom » de 2002 (deuxième « Paquet télécom »), mais tend plutôt à réaliser des aménagements de ce cadre, il comporte des avancées non négligeables, qui auraient pu être plus importantes si le Gouvernement avait saisi la chance d’utiliser les marges de manœuvre offertes par le législateur européen. L’ordonnance est un texte fourre-tout qui modifie à la fois le Code des postes et communications électroniques (CPCE), le Code de la consommation et la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978. Les apports du nouveau dispositif portent essentiellement, d’une part, sur le renforcement de la régulation et une meilleure gestion du spectre (I), et, d’autre part, sur une plus grande protection des consommateurs et des données à caractère personnel (II). I. – UNE RÉGULATION RENFORCÉE DU SECTEUR DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES Outre la création au niveau de l’Union européenne de l’Orece, le dispositif de 2009 apporte d’importantes modifications du point de vue de la réglementation sectorielle des communications électroniques et de la gestion du spectre. S’agissant de la gestion du spectre, l’ordonnance introduit diverses mesures : réaffirmation du principe de délivrance d’autorisations générales, renforcement des pouvoirs de l’Agence nationale des fréquences, abolition de la libre utilisation des dispositifs de brouillage, ou encore la possibilité pour l’Arcep d’abroger une autorisation accordée lorsqu’elle n’a pas été mise en œuvre à l’expiration d’un certain délai ou de délivrer des autorisations expérimentales. Mais les apports de l’ordonnance se manifestent surtout au travers de nouvelles prérogatives accordées à l’Arcep et destinées à favoriser la neutralité de l’internet et des réseaux (A) et, de façon plus générale, à redynamiser le secteur des communications électroniques (B). A. – La neutralité de l’internet en filigrane du renforcement des prérogatives de l’Arcep La question de la neutralité des réseaux et de l’internet a été, à l’instar de ce qui s’est passé aux États-Unis (7), au cœur d’intenses débats lors de l’élaboration et de la transposition du troisième « Paquet télécom » (8). Pourtant, alors que les principes de neutralité technologique et des services (*) Article rédigé avec le concours d’Édouard Roger. (1) À laquelle est annexée une déclaration de la Commission sur la neutralité de l’internet. (2) Le règlement n° 211/2 009 du 25 novembre 2009 instituant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece ou Berec, en anglais) étant d’application immédiate et la déclaration de la Commission sur la neutralité de l’internet annexée à la directive n° 2009/140/CE n’ayant pas de caractère contraignant pour les États membres, seules les directives nécessitaient des mesures de transposition. (3) Étant précisé que la date limite de transposition des textes communautaires concernait l’ensemble des mesures devant être prises par les États membres, y compris celles de nature réglementaire. (4) <www.telecom.gouv.fr/fonds_documentaire/consultations/11/dispositionsreglementaires.pdf>. (5) La date limite de transposition des deux directives étant fixée au 25 mai 2010. (6) Étude d’impact jointe au projet de loi, p. 103. (7) Les règles de la Federal Communications Commission sur la neutralité du net devant d’ailleurs entrer en vigueur prochainement. (8) Dont les implications sont très larges, y compris en matière de données personnelles (voir l’opinion du contrôleur européen de la Protection des données en date du 7 octobre 2011 sur la neutralité du net, la gestion de trafic et la protection des données personnelles : <www.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/Consultation/ Opinions/2011/11-10-07_Net_neutrality_EN.pdf>). 88 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • N O V E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 6 Informatique I Médias I Communication par la Commission européenne annexée à l’une des deux directives et, désormais, d’une résolution du Parlement européen (9)). Selon l’Arcep (10), le principe de neutralité des réseaux et de l’internet suppose que chaque utilisateur ait accès, à travers l’internet et, plus généralement, les réseaux de communications électroniques (quel que soit le support de diffusion), à l’ensemble des contenus, services et applications véhiculés sur ces mêmes réseaux, quelle que soit la personne qui les délivre ou les utilise, de façon transparente et non discriminatoire. Les débats relatifs à la neutralité de l’internet qui ont rythmé l’élaboration et la transposition du troisième « Paquet télécom » ont eu pour toile de fond la volonté des fournisseurs d’accès à internet de faire payer une redevance aux fournisseurs de contenus qui consomment le plus de bande passante afin de financer le développement de leurs infrastructures, mais aussi les méthodes de gestion de trafic employées par les fournisseurs d’accès. En France, on se souvient notamment de Neuf Cegetel qui avait bridé l’accès de ses abonnés à Dailymotion au cours de négociations commerciales portant sur un accord de peering ou, plus récemment, du différend opposant Orange à Cogent (Megaupload), ce dernier accusant l’opérateur de brider l’accès à ses abonnés pour favoriser sa filiale OpenTransit. Toutefois, l’absence d’affirmation de ce principe n’est qu’apparente dans la mesure où certaines des nouvelles prérogatives confiées à l’Arcep sont destinées à contribuer au respect du principe de neutralité des réseaux et de l’internet afin d’assurer une concurrence effective et loyale entre fournisseurs et exploitants de réseaux. Il en va ainsi de l’extension de son pouvoir de règlement des différends à ceux portant sur « les conditions réciproques techniques et tarifaires d’acheminement du trafic entre un opérateur et une entreprise fournissant des services de communication au public en ligne » (11). L’Arcep pourra donc désormais être amenée à régler des différends relatifs à certains accords entre opérateurs et fournisseurs de contenus, par exemple entre un hébergeur de vidéos et un opérateur. Par ailleurs l’Arcep se voit accorder le pouvoir d’imposer un niveau minimal de qualité de service. Cette disposition devrait lui permettre de mettre un frein à la tentation que pourraient avoir les opérateurs de financer leurs investissements en développant discrimination tarifaire et services gérés. Néanmoins, il faut souligner qu’il n’est question que d’exigences « minimales » de qualité, là où certains demandaient des exigences de qualité « suffisantes ». Le Gouvernement n’a cependant pas osé franchir le pas. Cette nouvelle prérogative n’est pas, du reste, sans susciter d’interrogations sur sa mise en œuvre, notamment sur les modalités de réalisation des mesures de la qualité de service. Ces nouvelles prérogatives participent à un mouvement plus général d’accroissement des pouvoirs de l’Arcep. B. – Un phénomène s’inscrivant dans le cadre plus général d’un accroissement des pouvoirs de l’Arcep En premier lieu, et conformément à la directive n° 2009/140, l’ordonnance comporte des dispositions tendant à accroître l’indépendance de l’Arcep (12) qui sont bien loin du projet avorté du Gouvernement d’instaurer un commissaire du Gouvernement au sein du régulateur (13). Des dispositions sont introduites afin d’accélérer le déploiement de réseaux de nouvelle génération, reposant sur un certain degré de mutualisation. Ainsi, les autorités compétentes en matière de régulation des communications électroniques doivent désormais tenir compte (14), lorsqu’elles « fixent des obligations en matière d’accès, du risque assumé par les entreprises qui investissent et autoriser des modalités de coopération entre les investisseurs et les personnes recherchant un accès, afin de diversifier le risque d’investissement dans le respect de la concurrence sur le marché et du principe de non-discrimination ». Le nouveau cadre régissant les communications électroniques vient compléter les règles existantes relatives à l’accès. L’ordonnance impose à l’Arcep (15) de prendre en compte, dans son appréciation du caractère proportionné des obligations d’accès qu’elle peut imposer, la nécessité de préserver la concurrence à long terme en apportant une attention particulière à la concurrence effective fondée sur les infrastructures. De même, les lignes établies à l’intérieur d’immeubles (16) ainsi que les « ressources associées » aux infrastructures physiques (17) entrent désormais dans le champ du pouvoir dont est dotée l’Arcep d’imposer à un opérateur de faire droit à des demandes d’accès. On assiste à travers ces dispositions à la recherche d’un difficile équilibre entre, d’un côté, le désir de favoriser la mutualisation et, de l’autre, la volonté de développer la concurrence par les infrastructures (18). Le dispositif mis en œuvre par l’ordonnance contraste avec l’idée parfois avancée de créer une entité dédiée pour le développement des infrastructures afin que les coûts y afférents soient entièrement mutualisés et que la concurrence ne s’exerce qu’au niveau des services – idée justifiée notamment par l’augmentation exponentielle des coûts liés au déploiement des réseaux de nouvelle génération et le développement de nouveaux usages toujours plus gourmands en bande passante. À cet égard, il est intéressant de noter que Mme Kroes (commissaire européen en charge du Numérique) envisage une consultation publique (19) sur de nouveaux modèles réglementaires pour encourager les investissements dans la fibre optique, laquelle peine toujours à se développer en Europe. D’autre part, l’ordonnance introduit de nouvelles mesures de régulation asymétrique dont l’importance doit être soulignée. L’Arcep se voit ainsi attribuer des pouvoirs de séparation fonctionnelle (20), conformément aux directives. Ce procédé, utilisé pour la première fois au Royaume-Uni à l’encontre de PERSPECTIVES ANALYSE sont désormais affirmés expressément par l’ordonnance à l’article L. 32-1, 17°, du CPCE, elle ne fait aucune référence explicite au principe de neutralité des réseaux et de l’internet. Les directives ne prévoient d’ailleurs pas expressément ce principe (tout au plus fait-il l’objet d’une déclaration > (9) Résolution du Parlement européen n° B7-0000/2011. (10) Arcep, Neutralité de l’internet et des réseaux – Propositions et recommandations, sept. 2010. (11) Article 18 de l’ordonnance modifiant l’article L. 36-8 II 5° du CPCE. (12) Article 31 de l’ordonnance. (13) Arcep, La nomination d’un commissaire du Gouvernement définitivement refusée, 9 mars 2011, <Le Monde.fr>. (14) Article L. 32-1, 3° bis, du CPCE. (15) Article L. 38 du CPCE. (16) Article 9 de l’ordonnance. (17) (Ces infrastructures font désormais l’objet d’une définition à l’article L. 32 du CPCE et désignent essentiellement les pylônes, antennes, etc. 18) Voir le débat au cours du colloque « Croissance, innovation, régulation » de l’Autorité. (19) Reuters, L’UE cible les opérateurs historiques pour doper la fibre, 2 octobre 2011. (20) Article L. 38-2 du CPCE. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 89 O R D O N N A N C E N ° 2 0 1 1 - 1 0 1 2 D U 2 4 A O Û T 2 0 1 1 R E L AT I V E A U X C O M M U N I C AT I O N S É L E C T R O N I Q U E S ( … ) British Telecom et accueilli avec un certain enthousiasme par l’Autorité de la concurrence, représente un ultime recours visant à séparer les activités d’accès de celles de services d’un opérateur puissant afin de remédier à une situation où la concurrence ferait toujours défaut. En outre, l’Autorité est désormais en mesure de fixer des obligations aux opérateurs puissants susceptibles d’exercer un effet de levier sur un segment de marché non régulé, c’est-à-dire d’influencer un marché sur lequel ils ne sont pas en position dominante (21). Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures qui ne sont pas dictées par les directives. Ainsi, le texte prévoit des dispositions ayant pour objectif de renforcer la sécurité et la résilience des réseaux des opérateurs de communications électroniques à travers la possibilité, pour le ministre chargé des Communications électroniques, d’imposer à tout opérateur un audit de ses installations, réseaux ou services (22). Ce renforcement des prérogatives de l’Arcep, presque 12 ans après sa création et alors même qu’une fusion avec d’autres Autorités (CSA, Hadopi…) était encore récemment envisagée, peut paraître paradoxal, d’autant que la régulation ex ante a, comme dans tout secteur réglementé, vocation à progressivement disparaître au profit de la régulation ex post (i.e. du droit commun de la concurrence). II. – UNE PROTECTION RENFORCÉE DES DONNÉES PERSONNELLES ET DU CONSOMMATEUR L’ordonnance apporte des modifications bienvenues à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et au Code de la consommation. A. – Données personnelles L’ordonnance, dans la droite ligne du nouveau « Paquet télécom », ne se contente pas de modifier le régime applicable aux cookies ou à la prospection automatique ; elle met aussi en place des obligations nouvelles telles que la notification des violations de données personnelles. 1°/ Cookies Les cookies, autrement désignés sous le terme de témoins de connexion, sont des fichiers permettant aux sites internet de stocker des données sur l’ordinateur de l’internaute auxquelles ils peuvent accéder ultérieurement et donc d’observer la navigation des internautes, le plus souvent à des fins de démarchage commercial. L’article 37 de l’ordonnance consacre le passage du mécanisme de l’« opt-out » à celui de l’« opt-in » : désormais l’internaute doit pouvoir consentir à l’accès ou la création de cookies sur son ordinateur là où le précédent cadre ne prévoyait que la possibilité pour l’internaute de pouvoir les désactiver. Ce consentement doit s’accompagner d’une information relative aux mécanismes permettant à l’internaute de revenir sur sa décision et d’exprimer son refus. Ce principe fait toutefois l’objet d’aménagements. Ainsi, l’article 37 de l’or- L’Autorité est désormais en mesure de fixer des obligations aux opérateurs puissants susceptibles d’exercer un effet de levier sur un segment de marché non régulé, c’est-à-dire d’influencer un marché sur lequel ils ne sont pas en position dominante. donnance (23) dispose que l’accord de l’internaute « peut résulter de paramètres appropriés de son dispositif de connexion ou de tout autre dispositif placé sous son contrôle ». Par le biais de cet aménagement, le Gouvernement, faisant preuve d’un certain pragmatisme, tente de réaliser un compromis entre la protection des données personnelles des internautes et la pratique, le principe d’« opt-in » risquant en effet d’être trop contraignant tant pour l’utilisateur que pour l’éditeur du site. Pourtant, si cette intention paraît louable, cette disposition devra être interprétée à la lumière des précisions apportées par certaines instances européennes (24) et nationales (25). Tant le Groupe de l’article 29 (« G29 ») que la Cnil estiment en effet que l’internaute n’est pas réputé avoir consenti à la mise en place d’un cookie en raison des paramètres par défaut de son navigateur ou de son dispositif de connexion. Il faudra par conséquent que l’utilisateur puisse accepter les cookies spécifiquement pour un site donné et pour un but déterminé, ce qui suppose que son navigateur soit paramétré de manière qu’il n’accepte pas tous les cookies par défaut. Autre aménagement important : le consentement de l’internaute n’est pas requis lorsqu’un cookie est strictement nécessaire à la fourniture du service ou qu’il a pour finalité exclusive de permettre ou de faciliter la communication par voie électronique. En dépit de la formulation très large de cette disposition, les éditeurs de sites internet devront se garder d’une interprétation trop extensive. En effet, si des cookies ayant un caractère essentiellement technique tels que les cookies de session pourront en bénéficier, le traitement de cookies émanant de tiers (notamment de régies publicitaires) est bien moins clair. En tout état de cause, on peut penser que la Cnil ne manquera pas d’interpréter cette disposition de manière restrictive. Les éditeurs de sites internet pourront utilement s’inspirer de l’Information Commissionner Office (homologue anglais de la Cnil), qui a mis en place sur son site (26) un bandeau ad hoc permettant à l’internaute, d’accepter les cookies utilisés par le site internet qu’il visite au travers d’une case à cocher. 2°/ Prospection automatique Si la règle, figurant à l’article L. 34-5 du CPCE, d’un consentement préalable à toute forme de prospection automatique demeure inchangée, la référence à un système automatisé d’appel ou de communication est substituée à celle d’automate d’appel. L’ordonnance modifie également l’article L. 121-15-1 du Code de la consommation en précisant que tous les messages publicitaires doivent comporter une adresse ou un moyen électronique (typiquement un formulaire) permettant au destinataire de transmettre une demande visant à faire cesser ces envois, alors même que l’article L. 34-5 précité prévoyait déjà la nécessité (21) Article L. 37-2 du CPCE. (22) Article L. 33-10 du CPCE. (23) Modifiant l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978. (24) Lettre du Groupe de l’article 29 du 3 août 2011 adressée à l’Easa (European Advertising Standards Alliance). (25) Cnil, Transposition du Paquet télécom : renforcement des droits des internautes et signalement des failles de sécurité à la Cnil, 19 sept. 2011. (26) <http://www.ico.gov.uk/>. 90 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication 3°/ Les notifications de violations de données à caractère personnel La principale nouveauté de l’ordonnance réside dans l’insertion d’un article 34 bis dans la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, qui dispose qu’« en cas de violation de données à caractère personnel, le fournisseur de services de communications électroniques accessibles au public avertit, sans délai, la Commission nationale de l’informatique et des libertés ». Les opérateurs doivent tenir un inventaire de ces violations. L’article ajoute que « lorsque cette violation peut porter atteinte aux données à caractère personnel ou à la vie privée d’un abonné ou d’une autre personne physique, le fournisseur avertit également, sans délai, l’intéressé ». Néanmoins, la notification d’une violation des données à caractère personnel à l’intéressé n’est pas nécessaire si la Cnil a constaté que des mesures de protection appropriées ont été mises en œuvre par le fournisseur afin de rendre les données incompréhensibles à toute personne non autorisée (27), en d’autres termes si les données ont été cryptées. La notion de violation de données à caractère personnel désigne toute violation de la sécurité entraînant accidentellement ou de manière illicite la destruction, la perte, l’altération, la divulgation ou l’accès non autorisé à des données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement dans le cadre de la fourniture au public de services de communications électroniques. On peut regretter que le Gouvernement ne soit pas allé au-delà des textes européens sur ce point. En effet, en restreignant le champ d’application de cette obligation aux seuls fournisseurs au public de services de communications électroniques (c’est-à-dire essentiellement les opérateurs de téléphonie et fournisseurs d’accès à internet (28)), des fournisseurs de contenus tels que les réseaux sociaux ou les fournisseurs de services de cloud computing (29) (informatique dans les nuages) ne seront pas tenus à cette obligation de notification alors même qu’ils seront sans aucun doute à l’avenir les plus grands générateurs de risques pour les individus en matière de sécurité des données personnelles. Le récent piratage du Playstation Network de Sony, au cours duquel ont été dérobées des millions de données personnelles et bancaires d’utilisateurs, a pourtant montré une nouvelle fois que de telles violations de données personnelles concernent bien d’autres acteurs que les seuls fournisseurs de services de communications électroniques. Il aurait donc été utile d’étendre à tout le moins cette obligation aux fournisseurs de services de communication au public en ligne afin d’englober les fournisseurs de contenus. D’autant que le considérant 59 de la directive n° 2009 /136/CE affirme le « caractère important s’attachant à la généralisation du dispositif à tous les responsables de traitement ». Ce choix résulte sans aucun doute d’un certain pragmatisme : une telle obligation représente, à n’en pas douter, une contrainte extrêmement importante pour les acteurs auxquels elle s’impose et l’étendre à l’ensemble des responsables de traitement aurait pu constituer un frein au développement du secteur. En même temps, on peut se demander si l’extension du périmètre de cette obligation aux acteurs autres que les seuls opérateurs n’aurait pas permis de renforcer la confiance du consommateur et par là même de jouer un rôle de catalyseur du développement du commerce en ligne. Quant au contenu de la notification, le projet de modification du décret n° 20051309 du 20 octobre 2005 (inclus dans le projet de dispositions réglementaires) prévoit qu’elle devra préciser « la nature de la violation de données à caractère personnel, les personnes auprès desquelles des informations supplémentaires peuvent être obtenues ainsi que les mesures que le fournisseur recommande à la personne concernée de prendre pour atténuer les conséquences négatives d’une telle violation ». Enfin, PERSPECTIVES ANALYSE d’indiquer, dans le cadre de prospection directe, des coordonnées valables auxquelles le destinataire puisse transmettre une demande tendant à obtenir que ces communications cessent. On peut toutefois s’interroger sur l’articulation et la redondance de ces deux dispositions et regretter qu’au minimum une terminologie similaire n’ait pas été utilisée. l’ordonnance prévoit que la notification doit être effectuée « sans délai », c’est-à-dire immédiatement et instaure également des sanctions pénales en cas de violation de cette obligation : cinq ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende. B. – Protection du consommateur L’ordonnance de 2011 prévoit diverses mesures destinées à renforcer la protection du consommateur (y compris des personnes handicapées, vis-à-vis desquels les opérateurs ont l’obligation de proposer un accès aux services de communications électroniques équivalant à celui dont bénéficient les autres utilisateurs, et ce à un tarif abordable). Il est intéressant de noter que le Gouvernement n’a pas suivi l’Arcep sur le point de savoir si ces dispositions devaient être codifiées dans le CPCE ou le Code de la consommation. L’Autorité avait en effet estimé, dans son avis sur le projet d’ordonnance (30), que dans la mesure où ces dispositions concernaient désormais l’ensemble des utilisateurs, et non plus seulement les consommateurs comme lors de la transposition du second « Paquet télécom », elles devaient figurer dans le CPCE (31). L’Arcep rappelait qu’elle ne pouvait intervenir que sur le fondement des seules dispositions du CPCE et que la codification de ces dispositions dans le Code de la consommation la priverait de l’exercice du pouvoir de sanction qui lui est conféré par l’article L. 36-11 du CPCE en cas de nonrespect de ces obligations. 1°/ Renforcement de l’information contractuelle En premier lieu, l’ordonnance instaure une information renforcée en matière contractuelle, à destination du consommateur (et non de l’utilisateur final, contrairement à ce que prévoit la directive n° 2009/136 en son article 20, restreignant donc la portée de la disposition). Ainsi, l’article L. 121-83 du Code de la consommation prévoit diverses mentions devant impérativement figurer dans les contrats conclus entre un consommateur et un fournisseur de communications électroniques. Parmi elles, figurent notamment : – les modes de règlement amiable des différends, notamment la possibilité de > (27) Le projet de modifications du décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 prévoit les modalités de cette disposition aux articles 91-2 et s. (28) Voir Arcep, Étude sur le périmètre de la notion d’opérateur de communications électroniques, juin 2011. (29) Précité. (30) Avis n° 2011-0524 de l’Arcep du 10 mai 2011 portant sur un projet d’ordonnance relative aux communications électroniques. (31) En ce sens, le considérant 21 de la directive n° 2009/136 indique que les dispositions en matière de contrats devraient s’appliquer non seulement aux consommateurs mais aussi aux autres utilisateurs finals. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 91 O R D O N N A N C E N ° 2 0 1 1 - 1 0 1 2 D U 2 4 A O Û T 2 0 1 1 R E L AT I V E A U X C O M M U N I C AT I O N S É L E C T R O N I Q U E S ( … ) recourir à un médiateur (lequel devra satisfaire aux conditions d’impartialité et de compétence posées par le nouvel article L. 121-84-9 du Code de la consommation (32)) ; – les procédures mises en place par le fournisseur pour mesurer et orienter le trafic, de manière à éviter de saturer ou sursaturer une ligne du réseau et sur leurs conséquences en matière de qualité du service ; – les restrictions à l’accès à des services et à leur utilisation, ainsi qu’à celle des équipements terminaux fournis. On notera que cette nouvelle transparence des contrats sur la gestion du trafic et des restrictions d’accès devrait contribuer à promouvoir le principe de neutralité des réseaux et de l’internet. En pratique, on peut toutefois s’interroger sur la pertinence et l’efficacité de multiplier les mentions obligatoires à destination des consommateurs dans la mesure où ces derniers ne les lisent que rarement, et se demander si leur information ne pourrait pas être plus efficacement renforcée par des moyens complémentaires (pictogrammes…). 2°/ Portabilité D’autre part, l’ordonnance transpose les dispositions relatives au délai de portabilité du numéro en cas de changement d’opérateur, qui passe de dix jours ouvrables à un jour ouvrable pour le fixe comme pour le mobile. À noter que le délai de portage ne commence à courir qu’à l’expiration de ce droit de rétractation (33) de sept jours offert au consommateur (34). 3°/ Service universel Concernant le service universel, l’ordonnance a opté pour une transposition minimaliste de la directive. Certes, si le considérant de la directive qui limitait explicitement le débit de connexion à 56 Kbps a été supprimé et remplacé par la référence à « un débit suffisant au regard des technologies employées », la directive n’est pas allée jusqu’à imposer l’obligation de fournir du haut débit comme certains l’espéraient pourtant. Par les termes vagues utilisés, elle laissait toutefois une marge de manœuvre aux instances nationales dans la transposition. Le Gouvernement n’a toutefois pas saisi cette opportunité et n’est pas allé au-delà de ce que prévoyaient les textes communautaires. Pourtant, d’autres pays ont été plus ambitieux en la matière, comme la Finlande qui a imposé un débit minimal de 1 Mbps (35). CONCLUSION On peut donc globalement regretter que le troisième « Paquet télécom » ait fait l’objet d’une transposition minimaliste alors que le législateur communautaire laissait aux instances nationales une certaine marge de manœuvre et qu’elle disposait de ce fait de la faculté d’orienter de manière structurante l’évolution du secteur en allant plus loin notamment sur le principe de la neutralité des réseaux et de l’internet et sur l’étendue du service universel. À n’en pas douter, le recours à la procédure d’ordonnance n’est pas étranger à cette transposition minimaliste et le résultat aurait peut-être été tout autre si la transposition du troisième « Paquet télécom » avait été confiée au législateur et fait l’objet de débats parlementaires. ◆ (32) On peut par ailleurs s’interroger sur ce médiateur : le précédent médiateur des télécommunications pourra-t-il satisfaire à ces conditions ou bien chaque opérateur devra-t-il prévoir un médiateur ? En outre, les notions d’impartialité et de compétence risquent d’être sujettes à des difficultés d’interprétation. (33) Voir en ce sens l’avis de la députée Laure de La Raudière sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, p. 23. (34) Article L. 121-20 du Code de la consommation. (35) BBC, Finland makes broadband a legal right, 1er juill. 2010. 92 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication RLDI PERSPECTIVES ANALYSE 2571 Si la propriété intellectuelle est désormais devenue un facteur incontournable de toute stratégie d’exportation, un certain nombre d’écueils sont cependant à éviter lors d’une extension d’activités à l’étranger. Quels sont-ils ? Comment les éviter ? C’est à la résolution de ces questions que s’attachent présentement M. Philippe Rodhain et Me Daniel Lasserre. La propriété intellectuelle au cœur de l’exportation I. – LE RÔLE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DANS LE DÉVELOPPEMENT À L’INTERNATIONAL Par Philippe RODHAIN Conseil en propriété industrielle Spécialiste en droit commercial Mandataire européen agréé près l’OHMI Chargé d’enseignement Bordeaux-IV A. – Disparité des normes Et Daniel LASSERRE Avocat spécialiste en droit commercial Selas Exeme Action Les droits de propriété intellectuelle sont essentiels à l’essor pérenne d’une entreprise en France. Ils le sont d’autant plus si celle-ci prétend à un développement à l’international. La sécurisation des marchés à l’étranger et leur négociation sous forme de conventions, notamment de contrats de licence, franchise, distribution ou d’accords de « joint-venture » avec des entreprises locales, reposent sur l’existence préalable de droits de propriété intellectuelle. Sans la protection qu’ils procurent, l’entreprise risque non seulement d’être contrefaite par la concurrence, mais s’expose également au danger d’être ellemême taxée de contrefaçon. Partant, le fait d’exporter des produits, en utilisant le nom commercial de l’entreprise, sans avoir déposé de marque, constitue une erreur de stratégie manifeste. Il suffit de prendre, pour exemple, le prix de la communication sur une marque dont l’exportation se révèle impossible pour des motifs linguistiques ou juridiques dans le pays cible. L’objectif ici est donc d’apporter aux dirigeants un éclairage pratique sur les principaux écueils à éviter lors d’une extension d’activités à l’étranger. Si le droit de la propriété intellectuelle est encadré par des normes internationales, bon nombre de législations nationales présentent encore d’importantes disparités. Un exemple topique est la différence de législation en matière de brevets entre les États-Unis, d’une part, où celui-ci est délivré au premier inventeur, et la France, d’autre part, où il est délivré au premier déposant. Le droit d’auteur est une autre illustration de ces disparités, la protection naissant dans bon nombre de pays du seul fait de la création, alors qu’elle implique, dans d’autres, le dépôt officiel d’un dessin ou modèle industriel. Avant même d’exporter, il apparaît donc du plus grand intérêt de prendre en compte la législation en vigueur dans le pays vers lequel on souhaite exporter. B. – Réalité territoriale D’aucuns pensent que les droits attachés en France à leur marque, dessin, modèle ou brevet s’étendent automatiquement au monde entier. Or, le droit de la propriété intellectuelle est fondé sur le principe de la territorialité. De ce fait, les droits ne prennent effet, à de rares exceptions près, qu’au jour où le titre a été déposé et enregistré sur un territoire concerné. Ainsi, une marque enregistrée en France n’a d’effets que sur le territoire de l’Hexagone. Pour être efficiente, la conquête d’un nouveau marché nécessite, par conséquent, une extension préalable des droits nationaux, à défaut de quoi la Informatique I Médias I Communication concurrence pourrait impunément copier, imiter ou reproduire, sans aucuns frais d’études préalables, les marques, produits ou services créés et conçus par une entreprise exportatrice. II. – LA MISE EN ŒUVRE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DANS LE DÉVELOPPEMENT À L’INTERNATIONAL A. – Protection anticipative des droits de propriété intellectuelle L’obtention de certains droits de propriété intellectuelle, dont les brevets, dessins et modèles industriels, requiert l’accomplissement de formalités de protection auprès des Offices nationaux étrangers, et ce dans des délais réglementés, notamment ceux instaurés par la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883, dits : « délais de priorité unioniste ». Cette Convention prescrit un délai de douze mois pour l’extension des brevets et de six mois pour celle des marques, dessins et modèles industriels. Par cet instrument juridique, tout bénéficiaire d’un dépôt régulier dans un des États membres de la Convention de Paris pourra, à l’intérieur des délais de priorité précités, obtenir une extension de ses droits, dans tout ou partie des 172 autres pays adhérents. Ainsi, ce déposant sera immunisé contre toute divulgation intempestive ou tout droit s’intercalant entre son dépôt initial et son extension internationale. Par ailleurs, pour tenir compte du coût élevé lié aux procédures nationales (qui imposent, le plus souvent, la désignation obligatoire de mandataires locaux), des systèmes de protection N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L > 93 L A P R O P R I É T É I N T E L L E C T U E L L E A U C Œ U R D E L’ E X P O R TAT I O N régionaux et internationaux sont prévus afin de favoriser, à coût réduit, l’extension des droits de propriété intellectuelle. Partant, il est impératif que l’entreprise arrête une stratégie de protection réfléchie, à long terme, au regard des mécanismes de protection disponibles, avant de procéder, dans les délais prescrits, à l’extension de ses droits nationaux. B. – Sécurisation des marchés à l’exportation Exporter, sans vérifier que les produits ou services ne portent pas atteinte aux droits des tiers sur le marché considéré, peut entraîner de sérieuses déconvenues financières. Au-delà du risque de contrefaçon, l’entreprise exportatrice peut également se heurter à d’autres aléas juridiques, notamment dans l’hypothèse où elle exporte des produits dont la fabrication intègre des licences d’exploitation de partenaires. Pour éviter ce genre d’écueils, l’entreprise devra s’assurer, avant toute initiative, que le champ territorial de ladite licence l’autorise à commercialiser sur le marché d’exportation. C. – Contractualisation avec des partenaires locaux 1°/ Divulgation prématurée d’informations et défaut d’accord de confidentialité Il est malencontreusement fréquent que l’entreprise exportatrice divulgue des 94 informations spécifiques à de futurs partenaires locaux, sans avoir pris la précaution de conclure, au préalable, un accord de confidentialité ou de solliciter une protection anticipative de ses droits sur le territoire considéré. Or, cette divulgation prématurée ou exempte de garanties juridiques suffisantes peut se révéler hautement préjudiciable. Elle est susceptible de ruiner la nouveauté du produit et de s’opposer ainsi à sa protection ultérieure par le dépôt d’un brevet et/ou d’un dessin ou modèle industriel. Plus grave encore, un tiers pourrait s’emparer de ces informations pour solliciter, à son profit, une protection, privant, de ce fait, l’entreprise de faire commerce sur le marché considéré. Il importe donc d’être vigilant et de s’assurer, avant toute démarche partenariale, des précautions contractuelles et des protections juridiques qui s’imposent. 2°/ Titularité des droits de propriété intellectuelle en cas de sous-traitance De nombreuses entreprises ont recours à la sous-traitance internationale. Or, il n’est pas rare que ces entreprises omettent de protéger leurs droits de propriété intellectuelle dans les territoires où celle-ci a lieu. Parfois même elles négligent d’insérer, dans les contrats les liant aux entreprises étrangères, des clauses relatives à la propriété des inventions, créations ou marques. R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Ces omissions risquent in fine d’aboutir à des malentendus, voire à des conflits, quant à la titularité des droits de propriété intellectuelle en cause. 3°/ Octroi de licence sans droit de propriété intellectuelle Il est essentiel que l’entreprise qui concède, par exemple, une licence de fabrication de ses produits puisse garantir le licencié de l’existence de droits de propriété intellectuelle sur le territoire contractuel. À défaut, sa responsabilité pourrait être recherchée, tant au regard de la nullité du contrat pour défaut d’objet, que sous l’angle délictuel. CONCLUSION La propriété intellectuelle est devenue un facteur incontournable de toute stratégie d’exportation et les entreprises ont l’impérieuse nécessité d’en tenir compte, si elles veulent prévenir et limiter les risques juridiques et commerciaux, tant à l’égard de la concurrence étrangère que de leurs partenaires locaux. La protection des droits de propriété intellectuelle doit répondre à une stratégie à long terme et ne peut se définir au coup par coup. Certes, cette protection constitue un investissement non négligeable en termes de temps et de coût, mais elle est un passage obligé pour sécuriser les démarches commerciales et assurer une exportation fiable et durable. ◆ Informatique I Médias I Communication RLDI PERSPECTIVES ÉTUDE 2572 L’objectif poursuivi par la présente contribution est d’étudier, au regard des droits de l’Homme et de la prohibition des clauses abusives, la possibilité, le cas échéant les modalités, du recours à l’arbitrage en matière de contentieux du « cloud computing », dans les litiges opposant les individus consommateurs à leurs cocontractants professionnels. Cloud computing : validité du recours à l’arbitrage ? (partie I) Droits de l’Homme et clauses abusives Par Jean-Philippe MOINY Aspirant FRS-FNRS au Crid (FUNDP, Namur) INTRODUCTION L’arbitrage constitue-t-il une voie possible de règlement des différends du cloud computing impliquant des consommateurs ? Les droits européens – CEDH (III) et directive n° 93/13 ainsi que la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs (1) (II) – permettent-ils la convention d’arbitrage liant l’individu consommateur avant la naissance d’un différend, par exemple, dans les conditions générales du contrat de service ? Ces règles relèvent-elles de l’ordre public et à quelles situations internationales sont-elles susceptibles de s’appliquer (IV) ? C’est à ces questions que la présente contribution tente de répondre. Bien entendu, le droit national a, le premier, vocation à s’appliquer en cas de litige. Les textes internationaux précités n’interviennent qu’à titre subsidiaire, en cas de défaut des règles nationales. Le droit belge est principalement choisi à titre d’exemple, même si d’autres droits nationaux (français, espagnol, américain) sont occasionnellement évoqués lorsqu’ils illustrent opportunément l’analyse. En particulier, le propos est centré sur la forme « la plus contraignante » de recours à l’arbitrage. On vise le « predispute binding arbitration » (2), auquel les termes « clause d’arbitrage » font référence dans la suite des développements, pour plusieurs raisons. D’abord, de manière générale, il convient de souligner qu’il existe actuellement une véritable tendance à vouloir limiter le recours aux procédures judiciaires classiques (3), même si la doctrine doute que l’arbitrage des litiges de consommation joue un rôle significatif en matière d’« Online Dispute Resolution » (ODR) (4). Et c’est d’ODR dont il est question en l’espèce (5). Il importe de joindre à cette tendance les vœux du législateur européen. Ainsi, en matière de « services de la société de l’information » (6), les États membres doivent même veiller à ce que le droit national ne fasse pas obstacle aux voies extrajudiciaires de règlement des différends (7). Ensuite, on conçoit, comme un postulat, que les entreprises puissent souhaiter maîtriser le déroulement de litiges internationaux en insérant une clause d’arbitrage dans les conditions générales de leurs services du cloud – des services de la société de l’information. L’arbitrage, modelable au gré des parties, permettrait, quels que soient ses avantages et inconvénients (8), de trancher le différend sans être confronté à la complexité de la justice étatique dans un contexte international. Enfin, on vise le recours obligatoire à l’arbitrage, parce que ce caractère obligatoire est justement un élément dont dépend le succès des ODR (9). Il importe de le concéder, la question de droit abordée n’est pas neuve et constitue certainement un classique des problématiques de la gouvernance d’internet. Il n’empêche, le cloud computing en rappelle l’actualité. On ne s’appesantira pas une fois de plus sur la place des « TIC » et d’internet dans la société. Opportunément, il est plutôt proposé de saisir l’occasion de définir le cloud computing qu’offre la présente contribution juridique (I). Au-delà des aspects juridiques étudiés, la description du cloud présente un intérêt certain pour le juriste qui y est de plus en plus confronté. En quelques mots, nous soutiendrons que les droits européens – Conseil de l’Europe et Union européenne – étudiés laissent en théorie une place aux clauses d’arbitrage en matière de contrats conclus par les consommateurs. Alors que les droits nationaux (toujours européens) > (1) Directive (CEE) n° 93/13 du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, JOCE 21 avr. 1993, n° L. 95 ; Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs, COM (2008) 614 final, ci-après « la nouvelle directive ». À l’heure de la rédaction des présentes lignes, le texte définitif de cette nouvelle directive n’a pas encore été adopté. (2) Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States, North Carolina Journal of International Law and Commercial Regulation, 2002, vol. 28, p. 362. Au sujet des différentes possibilités d’arbitrage, voir p. 361-362. (3) (Schultz T., Human rights : a speed bump for arbitral procedures ? An exploration of safeguards in the acceleration of justice, International Arbitration Law Review, 2006, 9 (1), p. 23. (4) Voir Schultz T. et Kaufmann-Kohler G., Online Dispute Resolution, Challenges for Contemporary Justice, Kluwer, 2004, p. 169. (5) Voir. infra, n° 0 et, en particulier, les notes de bas de page nos 142 et 143. (6) Voir l’article 1er, 2), a), de la directive (CE) n° 98/48 du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 1998, portant modification de la directive n° 98/34/CE prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques, JOCE 5 août 1998, n° L 217. En droit belge, voir l’article 2, 1°, de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information, M.B., 17 mars 2003. (7) Voir l’article 17, § 1er, de la directive (CE) n° 2000/31 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), JO 17 juill. 2000, n° L 178. (8) Voir infra, n° 0. (9) Cortes P., Developing online dispute resolution for consumers in the EU : a proposal for the regulation of accredited providers, International Journal of Law & Information Technology, 2011, 19 (1), p. 16. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 95 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) s’y opposent plutôt. Cette place, très exigeante en pratique, serait toutefois réservée au prix d’un contrôle renforcé, par le juge, des arbitrages et sentences au regard de l’ordre public. Finalement, le propos est synthétisé dans une conclusion questionnant la possibilité du recours à l’arbitrage, dans le cadre du cloud computing, en matière de droits de l’Homme. Il importe de donner un cas où ce mode de règlement des différends, pourtant dans un contexte sensible, mériterait d’être envisagé : celui du droit d’accès en matière de protection des personnes à l’égard du traitement automatisé de données à caractère personnel (10). I. – CLOUD COMPUTING 1. Les auteurs sont partagés quant à la « nouveauté » du cloud computing et les éventuelles révolutions qu’il entraîne. Certains considèrent que le cloud constitue un nouveau paradigme informatique (11) : « the next computing platform » (12) ou « a dominant model of enterprise computing » (13) qui va changer la façon dont les applications sont écrites et distribuées (14), et qui a également le potentiel de modifier l’organisation et la conduite des affaires (15). Si bien que l’infrastructure du cloud « will approach the same level of economic critical dependency as electricity, gas, water and telephony » (16). Mais, si prometteur puisse-t-il être, le cloud computing ne constitue pas une technologie totalement neuve (17). « The basics behind cloud computing are not new » (18) ; le cloud n’est que le résultat de la convergence de technologies déjà existantes. En ce sens, « cloud computing is not so much a new technology as a new way to deliver existing services » (19). D’aucuns considèrent dès lors qu’il n’est qu’un pur effet de mode et rien de bien neuf (20). C’est vrai, le cloud est à la mode. D’ailleurs depuis 2009 et jusqu’en 2010, il a atteint le pic d’« attentes exagérées » (« peak of inflated expectations ») du Gartner’s Hype Cycle for Emerging Technologies, et l’on s’attendra donc à ce qu’il descende – à quelque terme que ce soit – vers un creux de désillusion (« trough of disillusionment ») (21). D’autres encore sont plus pessimistes et jugent qu’il constitue un piège pour enfermer les utilisateurs dans des « proprietary systems » (22), à savoir, par opposition aux logiciels libres, des applications sous licence, protégée par les droits exclusifs de leur auteur. Le cloud pourrait d’ailleurs être à la base de cette évolution de l’internet crainte par J. Zittrain (23). 2. Quoi qu’il en soit, la doctrine juridique commence à s’intéresser directement au cloud en tant que tel (24). Il n’est plus un objet indirect de réflexion via l’une ou l’autre de ses instances telles que les réseaux sociaux en ligne (25). Mais qu’est-ce ? Parmi les nombreuses définitions qui ont été proposées (26), nous retiendrons comme socle de base, celle du National Institute of Standards and Technology (27) (Nist) qui semble bien synthétiser la question : « Cloud computing is a model for enabling ubiquitous, convenient, on-demand network access to a shared pool of configurable computing resources (e.g., networks, servers, storage, applications, and services) that can be rapidly provisioned and released with minimal management effort or service provider interaction » (28). (10) En droit de l’Union européenne, voir directive (CE) n° 95/46 du Parlement et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JOCE 23 nov. 1995, n° L 281, p. 31. En droit du Conseil de l’Europe, voir Convention n° 108 du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, signée à Strasbourg le 28 janvier 1981 ; Protocole additionnel à la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données, signé à Strasbourg le 8 novembre 2001. (11) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, ACM SIGCOMM Computer Communication Review, janvier 2009, vol. 39, n° 1, <http://ccr.sigcomm.org/drupal/files/p50-v39n1l-vaqueroA.pdf>, p. 50 ; Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, 2008, <http://www.cs.ucsb.edu/~lyouseff/ CCOntology/CloudOntology.pdf>, p. 1 ; Frost & Sullivan, Chandrasekaran A. et Kapoor M., State of Cloud Computing in the Public Sector – A Strategic analysis of the business case and overview of initiatives across Asia Pacific, 2010, <http://www.frost.com/prod/servlet/cio/232651119>, p. 3 ; Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud: The Next Computing Paradigm, 20 mars 2009, <http://marketspacenext.files.wordpress.com/2011/01/envisioning-the-cloud.pdf>. (12) Kushida K.E., Murray J. et Zysman J., Diffusing the Cloud : Cloud Computing and Implications for Public Policy, Journal of Industry, Competition, and Trade, juin 2011, <http://www.springerlink.com/content/0102m443m6522v1u/fulltext.pdf>, p. 2. (13) Cisco IBSG, Craig R., Frazier J., Jacknis N., Murphy S., Purcell C., Spencer P. et Stanley J.D., Cloud Computing in the Public Sector : Public Manager’s Guide to Evaluating and Adopting Cloud Computing, White Paper, nov. 2009, <www.cisco. com/web/about/ac79/docs/wp/ps/Cloud_Computing_112309_FINAL.pdf>, p. 2. (14) Précité, p. 5. (15) Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud : The Next Computing Paradigm, précité, p. ii. (16) Kushida K.E., Murray J. et Zysman J., Diffusing the Cloud : Cloud Computing and Implications for Public Policy, précité, p. 6. (17) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité, p. 50 ; Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 1. Même l’emploi du terme « cloud » n’est pas neuf, voir Jefferey K. et Neidecker-Lutz B. (Eds), The Future Of Cloud Computing, Opportunities For European Cloud Computing Beyond 2010, Report written for the European Commission, Information Society and Media, public version 1.0, 2010, <http://cordis.europa.eu/fp7/ict/ssai/docs/cloud-report-final.pdf>, p. 5. (18) Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J., Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing : Defining and Describing an Emerging Phenomenon, 17 juin 2008, <www.emory.edu/BUSINESS/readings/CloudComputing/Gartner_ cloud_computing_defining.pdf>, p. 5. Au sujet des technologies permettant le cloud, voir Furht B., Cloud Computing Fundamentals, in Handbook of Cloud Computing, Furht B. et Escalante A. (Eds), Springer, 2010, p. 9-11 ; Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 2 ; Esteves R., A Taxonomic Analysis of Cloud Computing, 1st Doctoral Workshop, in Complexity Sciences ISCTE-IUL/FCUL, 15 juin 2011, Lisbonne, <http://idpcc.dcti.iscte.pt/docs/Papers_1st_Doctoral_Workshop_15-6-2011/RuiEsteves.pdf>, p. 2. (19) Cox P.A., Mobile cloud computing, 11 mars 2010, <www.ibm.com/developerworks/cloud/library/cl-mobilecloudcomputing/>. (20) « The interesting thing about cloud computing is that we’ve redefined cloud computing to include everything that we already do. I can’t think of anything that isn’t cloud computing with all of these announcements. The computer industry is the only industry that is more fashion-driven than women’s fashion (…) », Ellison L., dont le propos est reproduit sur <http://news.cnet.com/8301-13953_3-10052188-80.html>, 30 sept. 2008. Larry Ellison est le cofondateur et P-DG de la société Oracle. (21) Voir <www.gartner.com/it/page.jsp?id=1124212> (Gartner, août 2009) et <www.gartner.com/it/page.jsp?id=1447613> (Gartner, août 2010). Ce cycle est représenté par un graphique dont les abscisses expriment les cinq états d’attente (celles-ci constituant les ordonnées), au travers du temps, vis-à-vis d’une technologie. Ces cinq états sont dans l’ordre les suivants : « Technology Trigger », « Peak of Inflated Expectations », « Trough of Disillusionment », « Slope of Enlightenment » et « Plateau of Productivity ». Voir égal. Google Trends, <www.google. fr/trends?q=cloud+computing&ctab=0>. (22) Voir les propos de Stallman R., <www.guardian.co.uk/technology/2008/sep/29/cloud.computing.richard.stallman>, 29 sept. 2008. Plus récemment (8 mars 2011) voir encore <www.computerweekly.com/Articles/2011/03/08/245758/Exclusive-Free-software-guru-Richard-Stallman-on-government-IT-and-why-he-hates-the.htm>. Richard Stallman est à l’origine du projet GNU (un OS libre) et de la Free Software Foundation, et est le rédacteur de la bien connue (GNU) GPL (« Global Public Licence », une licence majoritairement utilisée en matière de logiciels libres). (23) Voir Zittrain J.L., The future of the Internet And How to Stop It, Yale University Press, 2008. (24) En doctrine européenne, voir not. Poullet Y., Van Gyseghem J.-M., Moiny J.-P., Gérard J. et Gayrel C., Data Protection in the Clouds, in Computers, Privacy and Data Protection: an Element of Choice, Gutwirth S., Poullet Y., De Hert P. et Leenes R. (Eds), Springer, 2011, p. 377-409, et plus généralement, la partie IV de l’ouvrage collectif de Hon W.K., Millard C. et Walden I., The Problem of « Personal Data » in Cloud Computing – What Information is Regulated ?, 2011, <http:// papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1783577> ; voir égal. les autres contributions de la même équipe, <www.cloudlegal.ccls.qmul.ac.uk/Research/index.html> ; Van Gyseghem J.-M., Cloud computing et protection des données : mise en ménage possible ?, RDTI 2011, n° 1, p. 35-50. En doctrine américaine, voir Gellman R., Privacy in the Clouds : Risks to Privacy and Confidentiality from Cloud Computing, Wolrd Privacy Forum, 23 février 2009, <www.worldprivacyforum.org/pdf/WPF_Cloud_Privacy_Report.pdf> ; Picker R.C., Competition and Privacy in Web 2.0 and the Cloud <http:// papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1151985> ; Robinson W.J., Free at What Cost ? : Cloud Computing Privacy Under the Stored Communications Act, The Georgetown Law Journal, vol. 98, p. 1195-1239 ; Soghoian C., Caught in the cloud : Privacy, encryption, and government back doors in the web 2.0 era, Journal on Telecommunications and High Technology Law, 2010, vol. 8, n° 2, p. 359-424. (25) À propos de ceux-ci en matière de vie privée et protection des données, voir not. Moiny J.-P., Cloudy Weather Cloud Based Social Networks Sites: Under Whose Control ?, in Investigating Cyber Law and Cyber Ethics : Issues, Impacts and Practices, Dudley-Sponaugle A., Braman J. et Vincenti G. (Eds), IGI Global, 2011, p. 147-219 ; Moiny J.-P., Contracter dans les réseaux sociaux : un geste inadéquat pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, Rev. Dr. ULg, 2010, n° 2, p. 134-224 ; Moiny J.-P., Facebook au regard des règles européennes concernant la protection des données, REDC, 2010, n° 2, p. 235-271 ; Van den Hoven van Genderen R., Sociale netwerken, vloek of zegen ? Algemene voorwaarden tot het gebruik van persoonlijke informatie, Computerr., 2010, p. 97-106 ; Van Eecke P. et Truyens M., Privacy en sociale netwerken, Computerr., 2010, p. 115-128. (26) Voir Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité , p. 52. (27) Le Nist est une agence de l’US Department of Commerce. (28) Voir Mell P. et Grance T., NIST, The NIST Definition of Cloud Computing (Draft), Special Publication 800-145 (Draft), janv. 2011, <http://csrc.nist.gov/publications/drafts/800-145/Draft-SP-800-145_cloud-definition.pdf>, p. 2. 96 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication wrapping peoples’ minds around what is possible when you leverage web-scale infrastructure (application and physical) in an on-demand way » (38). Bref, par essence, la technologie étudiée tend à l’internationalité. Cet aspect est fondamental d’un point de vue juridique : la situation internationale est la règle, le cas purement interne, national, devient exceptionnel. Dans ce contexte, l’arbitrage apparaîtra comme l’appréhension, par l’autonomie des volontés, du contentieux international. 4. Au-delà de ce qui précède, le cloud se décline en trois catégories de services Par essence, la technologie étudiée tend à l’internationalité. Cet aspect est fondamental d’un point de vue juridique : la situation internationale est la règle, le cas purement interne, national, devient exceptionnel. ou niveaux d’abstraction (39) : « Cloud Software as a Service » (SaaS), « Cloud Platform as a Service » (PaaS) et « Cloud Infrastructure as a Service » (IaaS) (40). La définition du Nist pointe enfin trois types de déploiement du cloud : « private cloud » (parfois appelé « internal cloud »), « community cloud » (41), « public cloud » (parfois appelé « external cloud ») et « hybrid cloud » (42). Respectivement, l’infrastructure du cloud est exploitée pour une seule entreprise (ou PERSPECTIVES ÉTUDE 3. Les auteurs de la définition identifient cinq caractéristiques essentielles du cloud : « on-demand self-service, broad network access, resource pooling, rapid elasticity, measured service ». Ce qui importe, dans le contexte du présent propos, est l’internationalité propre à la technologie du cloud. Les services du cloud, dont il est question dans la suite des développements, sont accessibles via des « Internet-based interfaces » (29) permettant l’« ubiquitous network access ». À cet égard, il importe de souligner que le cloud repose en principe sur internet (30), ce dernier constituant son canal privilégié de prestation (31). Certains jugent même que le « Cloud Computing is a natural evolution of the Internet » (32). Un autre auteur considère que le plus simple est de considérer le cloud computing comme « Internet centric software » (33). En ce sens, « “Cloud Computing,” to put it simply, means “Internet Computing.” The Internet is commonly visualized as clouds (34) ; hence the term “cloud computing” for computation done through the Internet » (35), et les auteurs concluent : « [i]t is also the beginning of a new Internet based service economy : the Internet centric, Web based, on demand, Cloud applications and computing economy » (36). D’autres expliquent que « cloud lets us exploit all available resources on the Internet in a scalable and simple way (…) [a]s long as users can connect to the Internet, they have the entire Web as their power PC » (37). Dans le même sens, on lit enfin que « [t]he “Cloud” concept is finally organisation), pour plusieurs entreprises ou pour une organisation partageant des intérêts communs, ou alors elle est offerte au grand public, ou encore, elle reflète l’une ou plusieurs des hypothèses précédentes. Techniquement, c’est le « public cloud », eu égard à ces capacités, qui est particulièrement pertinent lorsqu’il est question de « cloud computing » (43). 5. Illustrons à présent les trois types de services impliqués dans le cloud. Si d’autres études offrent de nombreuses illustrations auxquelles il peut être renvoyé (44), on se contentera de mentionner, à côté du pionnier Amazon (Elastic Compute Cloud [EC2], Simple Storage Service [S3]), Google (App Engine, Gmail), Apple (iTunes, AppStore), Microsoft (Windows Azure, Hotmail) et IBM (SmartCloud) qui offrent également des services du cloud. Les trois types de services du « cloud » peuvent être schématisés en trois couches superposées dont le sommet est constitué par le SaaS, la base par l’IaaS et la strate intermédiaire par la PaaS. Il va de soi que le service offert par le prestataire du cloud peut être l’une des strates citées ou la combinaison de plusieurs d’entre elles. Au niveau de la couche du sommet, le SaaS consiste à offrir à l’utilisateur une application (logiciel d’infographie, traitement de texte, jeu vidéo, programme de gestion des ressources humaines, etc.) qui est exécutée sur un équipement du cloud (e.g., sur les serveurs du fournisseur du SaaS ou ceux de son sous-traitant). L’utilisateur peut alors utiliser cette application comme si elle était installée sur son matériel, sans pourtant qu’elle le soit, en y accédant via son navigateur internet et sa connexion > (29) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité, p. 50. Les services web, logiciels permettant aux machines d’interagir via un réseau (par exemple via le protocole HTTP) (au sujet du Web service, voir W3C, Web Services Architecture, W3C Working Group Note, 11 février 2004, <www.w3.org/TR/ws-arch/#introduction>, sont essentiels à l’offre de services du cloud). (30) Selon certains auteurs : « [a]s with all definitions, it is important to recognize that as technology options change, the specifics of the definition can also change. The Gartner definition specifically cites the Internet, whereas the Wikipedia definition (for example) does not. Currently, we feel that the Internet is the single most pervasive and globally visible network available. These characteristics are necessary to delivering IT services to a generic cloud and to a simple definition. However, as time passes, other networking options may become popular and then the specific connection to the Internet will be only one part of the definition. In fact, within companies, the use of private networks means that a cloud-style environment can be delivered without ever using Internet technologies, Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J., Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing: Defining and Describing an Emerging Phenomenon, précité, p. 8. (31) Grossman R.L., The Case for Cloud Computing, ITProfessional, n° 2, 2009, p. 23. Voir aussi la définition de Furht B., Cloud Computing Fundamentals, précité, p. 3. (32) Cisco IBSG, Craig R., Frazier J., Jacknis N., Murphy S., Purcell C., Spencer P. et Stanley J.D., Cloud Computing in the Public Sector: Public Manager’s Guide to Evaluating and Adopting Cloud Computing, précité p. 2. (33) Voir la définition de Cohen R., cité par Geelan J., Twenty-One Experts Define Cloud Computing, It is the infrastructural paradigm shift that is sweeping across the Enterprise IT world, but how is it best defined ?, 24 janv. 2009, SYS-CON Media, <http://cloudcomputing.sys-con.com/node/612375>. (34) Dans le même sens, voir Velte T., Velte A. et Elsepeter R., Cloud Computing, A Practical Approach, 22 sept. 2009, McGraw-Hill, p. 3-4 ; Knorr E. et Gruman G., What cloud computing really means, InfoWorld, <www.infoworld.com/d/ cloud-computing/what-cloud-computing-really-means-031>, p. 1 ; Marinos A. et Briscoe G., Community Cloud Computing, First International Conference on Cloud Computing, Pékin, 1er-4 déc. 2009, <http://eprints.lse.ac.uk/26516/1/community_cloud_computing_%28LSERO_version%29.pdf>, p. 1. (35) Voir Srinivasa Rao V., Nageswara Rao N.K. et Kusuma E., Cloud Computing : an Overview, Journal of Theoretical and Applied Information Technology, 2009, vol. 9, n° 1, p. 71. (36) Précité, p. 76. Ils prédisent également que « it is the beginning to the end of the dominance of desktop computing such as that with the Windows ». (37) Voas J. et Zhang J., Cloud computing : New Wine or Just a New Bottle ?, ITProfessional, n° 2, 2009, p. 15. (38) Voir Edwards D., cité par Geelan J., Twenty-One Experts Define Cloud Computing, It is the infrastructural paradigm shift that is sweeping across the Enterprise IT world, but how is it best defined ?, précité. (39) Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 2. (40) Mell P. et Grance T., NIST, The NIST Definition of Cloud Computing (Draft), précité, p. 2-3. (41) On relèvera que le « Community Cloud » peut être subdivisé en « Social Cloud » et « Partner Cloud » ; voir à ce sujet Esteves R., A Taxonomic Analysis of Cloud Computing, précité, p. 4. (42) Mell P. et Grance T., NIST, The NIST Definition of Cloud Computing (Draft), précité, p. 3. (43) « Except for extremely large data centers of hundreds of thousands of machines, such as those that might be operated by Google or Microsoft, most data centers enjoy only a subset of the potential advantages of public clouds » : Armbrust M., Fox A., Griffith R., Joseph A.D., Katz R., Konwinski A., Lee G., Patterson D., Rabkin A., Stoica I. et Zaharia M., A view of Cloud Computing, Communications of the ACM, vol. 53, n° 4, 2010, p. 53, p. 52. (44) Voir Bradshaw S., Millard C. et Walden I., Contracts for Clouds : Comparison and Analysis of the Terms and Conditions of Cloud Computing Services, 1er sept. 2008, <http://ssrn.com/abstract=1662374> ; Buyya R., Shin Yeo C. et Venugopal S., Market-Oriented Cloud Computing : Vision, Hype, and Reality for Delivering IT Services as Computing Utilities, <www.cloudbus.org/~raj/papers/hpcc2008_keynote_cloudcomputing.pdf>, p. 3-7 ; Marston S., Li Z., Bandyopadhyay S. et Zhang J., Cloud Computing – The Business Perspective, juin 2009, <http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1413545>, p. 31-32. En particulier au sujet des cas Amazon, Google, Salesforce et Microsoft, voir Kushida K.E., Murray J. et Zysman J., Diffusing the Cloud : Cloud Computing and Implications for Public Policy, précité, p. 17-24 ; Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud : The Next Computing Paradigm, précité, p. 15-16 ; Jefferey K. et Neidecker-Lutz B. (Eds), The Future Of Cloud Computing, Opportunities For European Cloud Computing Beyond 2010, précité, p. 19-28. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 97 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) internet. On peut également imaginer que l’application soit tout de même installée sur son terminal, mais que des fonctions additionnelles soient disponibles via le cloud (45). Dans ces hypothèses, l’utilisateur ne contrôle en principe pas les ressources informatiques – processeurs, espace de mémoire, etc., le hardware – utilisées aux fins de l’offre de SaaS. En d’autres termes, il ne maîtrise pas l’infrastructure du cloud permettant le fonctionnement de l’application (les serveurs, etc., y compris des composantes logicielles telles que l’OS). Par exemple, dans le cadre d’un réseau social tel que Facebook, l’interface web que l’internaute utilise – l’outil permettant le fonctionnement du réseau – est une application exécutée sur les serveurs de Facebook. Un service de webmail (Gmail, Hotmail, etc.) constitue aussi un SaaS, de même que les services de paiement et gestion de compte de PayPal, ou encore un moteur de recherche tel que Google. Salesforce offre, sous forme de SaaS, des logiciels « CRM » (« customer relationship management »). On évoquera aussi les Google Apps, la suite d’applications de Zoho, etc. Sans aucun doute, cette couche du cloud intéressera particulièrement l’utilisateur lambda – le consommateur final. Même si des entreprises sont également visées comme les exemples l’illustrent. Il existe ainsi assez logiquement deux catégories générales de SaaS : « Line-of-business services » et « Consumer-oriented-services », selon que le service est offert à une entreprise (ou une organisation) ou à un consommateur (46). Les exemples cités illustrent que les consommateurs – internautes moyens – utilisent déjà des SaaS, et donc le cloud, depuis plusieurs années (47) et massivement. En ce sens, le Pew Research Center signalait en 2008 que 69 % des internautes américains utilisaient des webmails (en particulier, 56 %), stockaient des informations en ligne ou utilisaient des logiciels fonctionnant sur le web (48). Aujourd’hui, la progression fulgurante qu’ont connue les réseaux sociaux en ligne ne laisse planer aucun doute. C’est principalement ce niveau du cloud et uniquement ce type de clientèle qui sont visés par la présente contribution. 6. À l’autre extrême, la couche dite « de base » comporte l’IaaS. Celle-ci consiste en la fourniture de ressources informatiques fondamentales : de la puissance de calcul, de l’espace de stockage et du réseau (de l’« interconnexion »). À cette fin, plusieurs terminaux – des ordinateurs complets – sont émulés sur un même hardware (le matériel informatique, les processeurs, la mémoire, etc., généralement les composants des racks du data center). En informatique, c’est la virtualisation (« virtualization ») (49) qui permet la création de machines virtuelles (ou « virtual machines » [VM]) (50). Clairement, « the abstraction from the underlying hardware pool is essential for cloud solutions » (51). La virtualisation permet l’élasticité du cloud, à savoir son adaptabilité instantanée (ou quasi instantanée) à la demande des utilisateurs. Avec l’IaaS, on touche ici à la « backbone » du « cloud » : les « data centers » ; « [t] he cloud itself is a network of data centers » (52), et « [t]o say it simply, the unit of computing is now the data center » (53). Dans le cas du réseau social, de l’espace de stockage (aux fins d’enregistrer des photos, des messages – postés sur un mur, à l’occasion de chat, etc. –, des vidéos, etc.) et de la puissance de calcul (e.g., celle permettant le fonctionnement du réseau social) sont offerts. Généralement, un service de webmail permet également l’archivage des courriels. Drop Box, Cloud Files (Rackspace) et Amazon S3 ont spécifiquement pour objectif de fournir de l’espace de stockage. Il faut toutefois spécifier que des offres telles qu’un réseau social ou un webmail ne constituent pas de simples IaaS, mais plutôt, à titre principal, des SaaS, l’infrastructure sous-jacente constituant un accessoire, le cas échéant, nécessaire. En effet, il y a systématiquement un SaaS qui est offert. Immanquablement, un SaaS repose toujours sur du hardware – il faut bien en effet que l’application soit exécutée sur des processeurs et que les données soient mises en mémoire sur des supports de stockage (!). En l’espèce, du hardware est offert avec l’applicatif, mais il n’est toutefois pas paramétrable – au mieux, l’utilisateur y inscrit ou efface des données. On pense par exemple aussi à des applications d’entreprise « ERP » (« enterprise resource planning ») de la firme bien connue SAP pouvant être offertes à partir du cloud d’Amazon EC2 (54). Dans le cas d’Amazon EC2, il est cette fois clairement question d’IaaS. On pense également à l’Enterprise Cloud de Terremark (55). De manière plus précise, l’offre d’IaaS consisterait à fournir, par exemple, de simples disques durs, l’utilisateur pouvant y installer l’OS et les applications qu’il souhaite. Il pourrait également être question d’accès à des processeurs. En l’espèce, l’utilisateur maîtrise totalement la destination des ressources fournies. Les entreprises et le secteur public ont en l’espèce un intérêt particulier à recourir à de l’IaaS dès que cela leur permet de diminuer leurs investissements de départ en IT, tout en pouvant bénéficier de ressources toujours à la mesure de leurs besoins. 7. Enfin à un niveau intermédiaire, la PaaS, l’« environment layer » (56) du cloud, semble un peu plus difficile à visualiser. L’idée est ici d’offrir des services permettant aux utilisateurs de concevoir des applications reposant sur l’infrastructure du cloud (57). Celles-ci sont alors conçues avec les langages de programmation et des outils que le fournisseur de PaaS permet d’utiliser. La PaaS est donc clairement destinée aux développeurs. L’utilisateur contrôle l’application voire, le cas échéant, la configuration de son environnement d’hébergement. En d’autres termes, certains relèvent que « PaaS is IaaS with a custom software stack for the given application » (58). En reprenant Facebook (45) Voir Chappell D., A Short Introduction to Cloud Platforms, An Enterprise-Oriented View, août 2008, <www.davidchappell.com/CloudPlatforms--Chappell.pdf>, p. 4. L’auteur cite iTunes comme exemple, en ce que l’application, à la base lecteur de fichiers multimédias, permet, de manière complémentaire, d’acheter de tels fichiers en ligne. (46) Microsoft, Chong F. et Carraro G., Architecture Strategies for Catching the Long Tail, avr. 2006, <www.cistratech.com/whitepapers/MS_longtailsaas.pdf>, p. 2. (47) À titre d’exemple, MSN Hotmail – webmail à succès – est exploité par Microsoft depuis la fin des années 90, voir <http://en.wikipedia.org/wiki/Windows_Live_Hotmail#cite_note-1>. Gmail, le webmail de Google, a quant à lui été lancé en 2004, voir <http:// en.wikipedia.org/wiki/Gmail>. Et YouTube a été lancé en 2005, voir <http://en.wikipedia.org/wiki/Youtube>. (48) Horrigan J.B., Pew Internet & American Life Project, « “Cloud computing” takes hold as 69 % of all internet users have either stored data online or used a web-based software application », Data Memo, sept. 2008, disponible sur <www.pewinternet.org/~/media//Files/ Reports/2008/PIP_Cloud.Memo.pdf.pdf>. (49) Vaquero L.M., Rodero-Merino L., Caceres J. et Lindner M., A Break in the Clouds : Towards a Cloud Definition, précité, p. 51. (50) Il existe deux grandes catégories de machines virtuelles. « A process VM is a virtual platform that executes an individual process. (…) a system VM provides a complete, persistent system environment that supports an operating system along with its many user processes », Smith J.E. et Nair R., The Architecture of Virtual Machines, Computer, mai 2005, p. 34. Pour plus de détails, voir, par ex., Nanda S. et Chiueh T., A survey on Virtualization Technologies, RPE Report, févr. 2005, <www.ecsl.cs.sunysb.edu/tr/TR179.pdf>. (51) Weinhardt C., Anandasivam A., Blau B. et Stößer J., Business Models in the Service World, ITProfessional, n° 2, 2009, p. 37. (52) Marketspace, Rayport J.F. et Heyward A., Envisioning the Cloud : The Next Computing Paradigm, précité, p. 3. (53) Grossman R.L., The Case for Cloud Computing, précité, p. 27. (54) Voir <www.erpsoftware-news.com/sap_erp/>. (55) Une filiale de Verizon Communications. (56) Youssef L., Butrico M. et Da Silva D., Toward a Unified Ontology of Cloud Computing, précité, p. 4. (57) À leur sujet, voir Chappell D., A Short Introduction to Cloud Platforms, An Enterprise-Oriented View, précité, p. 4-13. (58) Furht B., Cloud Computing Fundamentals, précité, p. 5. 98 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication II. – CLAUSES ABUSIVES A. – Droit de l’Union européenne La directive n° 93/13 n’interdit pas systématiquement toutes les clauses d’arbitrage dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs (1°). Elle permet l’existence de telles clauses lorsque in concreto, de bonne foi, elles préservent l’équilibre entre les cocontractants (2°). L’analyse qui suit porte à la fois sur la directive n° 93/13 et la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs (63). La seconde, lorsqu’elle interdit les clauses abusives, reprend en effet des aspects fondamentaux de la première. Mais il importe également de mettre en exergue les divergences entre les deux textes. 1°/ Modalités de l’interdiction 9. Au regard du droit de l’Union euro- Dans le cadre de la gouvernance d’internet, l’arbitrage peut apparaître comme un moyen de surmonter les conflits de juridictions dont le cloud fait déjà sans aucun doute l’objet. péenne, une clause d’arbitrage est-elle abusive au sens de la directive n° 93/13 et de la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs (64) ? On commencera par rappeler la définition générale de la clause abusive : une « clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat » (65). On le verra, si la nouvelle directive adopte une approche différente en listes de clauses, la catégorie résiduaire de clauses abusives est définie selon le même standard (66). Le déséquilibre significatif en dépit de la bonne foi constitue « un seul critère complexe » (67). Nous retiendrons en effet que la bonne foi constitue plus un élément additionnel d’analyse, qu’une condition à satisfaire indépendamment du déséquilibre significatif et outre celui-ci (68). Mais la question est controversée en doctrine (69) et la nouvelle directive ne clarifie pas le débat. Certains jugent qu’il y a deux conditions cumulatives (70). Plus concrètement, le considérant 16 (71) et l’article 4, § 1er, de la directive n° 93/13 commandent que soient pris en compte, dans l’appréciation du caractère abusif d’une clause, les contextes précontractuels (modalités de la négociation et position des parties) et contractuels (nature du bien ou service et autres clauses et contrats liés). 10. En particulier, l’annexe de la directive n° 93/13 « contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives » (72) (nous soulignons). Cette liste peut « faire l’objet d’ajouts ou de formulations plus limitatives » (73). Peut ainsi être abusive la clause susceptible d’avoir pour objet ou pour effet « de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales (…) » (74) (nous PERSPECTIVES ÉTUDE comme exemple, une « Application Programming Interface » (API) est offerte aux développeurs. Ceux-ci peuvent créer des applications fonctionnant sur le réseau social Facebook. Toutefois dans cette hypothèse, Facebook n’héberge en principe pas l’application qui demeure exécutée chez le développeur. L’internaute utilisant le réseau social et installant une application accède alors à un SaaS. On pensera également à Google App Engine qui permet aux développeurs d’exploiter leurs applications dans le cloud. 8. Finalement, le cloud apparaît un peu comme « X as a Service » (59), à savoir « everything as a service » (XaaS) (60) via internet. L’on ne s’attardera pas à répéter fastidieusement ses avantages et inconvénients identifiés par les auteurs cités çà et là dans la présente contribution (61). Seules l’immatérialité et la multilocalisation de son contexte nous intéressent. La ressources informatique est délocalisée et multilocalisée. Il apparaît intéressant de se demander dans quelle mesure un tel environnement peut se doter de moyens de résolution des litiges épousant ses caractéristiques – internationalité, accessibilité ubiquitaire via des interfaces web, rapidité, etc. À cet égard, pourrait-on se permettre de penser à l’arbitrage en ligne ? Dans le cadre de la gouvernance d’internet, l’arbitrage peut apparaître comme un moyen de surmonter les conflits de juridictions (62) dont le cloud fait déjà sans aucun doute l’objet. La suite des développements évalue si la Convention européenne des droits de l’Homme et l’interdiction des clauses abusives permettent au consommateur d’accepter, dans le cloud, le recours à l’arbitrage. > (59) L’expression est empruntée à Schaffer H.E., X as a Service, Cloud Computing, and the Need for Good Judgment, ITProfessional, n° 5, 2009, p. 4. (60) L’expression et son acronyme sont empruntés à Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J., Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing : Defining and Describing an Emerging Phenomenon, précité, p. 5. « Everything as a Service is the Universe of all the cloud delivery services, as it is a generic definition of all delivery ways that exist and that might be created in the future », Esteves R., A Taxonomic Analysis of Cloud Computing, précité, p. 6. L’auteur cite d’autres références quant à l’utilisation de l’acronyme « XaaS », et il identifie plus de 30 expressions « … as a service ». (61) L’expression et son acronyme sont empruntés à Gartner Research, Plummer D.C., Bittman T.J., Austin T., Cearley D.W. et Mitchell Smith D., Cloud Computing : Defining and Describing an Emerging Phenomenon, précité, p. 5. « Everything as a Service is the Universe of all the cloud delivery services, as it is a generic definition of all delivery ways that exist and that might be created in the future », Esteves R., A Taxonomic Analysis of Cloud Computing, précité, p. 6. L’auteur cite d’autres références quant à l’utilisation de l’acronyme « XaaS », et il identifie plus de 30 expressions « … as a service ». (62) Kurbalija J., An Introduction to Internet Governance, DiploFoundation, 2010, p. 88. (63) À l’heure de la rédaction de la présente contribution, la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs n’est pas encore adoptée. (64) À propos de sa proposition, en ce qu’elle concerne les clauses abusives, voir Swaenepoel E., Stijns S. et Wéry P., Onrechtmatige bedingen – Clauses abusives, DCCR, nos 84-85, 2009, p. 142-203. (65) Article 3, § 1er, de la directive n° 93/13. (66) Voir l’article 32, § 1er, de la nouvelle directive. (67) Tenreiro M. et Ferioli E., Examen comparatif des législations nationales transposant la directive n° 93/13/CEE, in La directive « clauses abusives » cinq ans après, Conférence de Bruxelles du 1er au 3 juillet 1999, Commission européenne, 2000, <http://ec.europa.eu/consumers/policy/developments/unfa_cont_term/uct04_en.pdf>, p. 16. (68) Historiquement, aux origines de la directive n° 93/13, les différents rôles du principe de bonne foi dans les législations nationales (de celui d’un principe inconnu à celui d’un principe fondamental quant à l’appréciation du caractère abusif d’une clause) ont conduit la Commission à le combiner au critère du déséquilibre significatif, plutôt qu’à le conserver comme critère autonome de détermination du caractère abusif d’une clau se, voir Tenreiro M., The Community Directive on Unfair Terms and National Legal Systems, The Principle of Good Faith and Remedies for Unfair Terms, Revue européenne de droit privé, 1995, vol. 3, n° 2, p. 276-277 et, en particulier, p. 279. En droit belge, l’exigence de bonne foi n’est pas explicitement requise par la définition de la clause abusive, voir infra, nos 0 et s. (69) Voir Ebers M., Directive relative aux clauses contractuelles abusives (93/13), in Compendium CE de Droit de la consommation, Schulte-Nölke H. (coord.), Schulte-Nölke H., Twigg-Flesner C. et Ebers M. (ss dir.), <http://ec.europa.eu/consumers/rights/ docs/consumer_law_compendium_comparative_analysis_fr_final.pdf>, p. 434-435. (70) Voir par ex. Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States, précité, p. 364. (71) Selon lequel « dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; (…) l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ». Voir égal. le considérant 48 de la nouvelle directive. (72) Article 3, § 3, de la directive n° 93/13. (73) Considérant 17 de la directive n° 93/13. (74) Point q) de l’annexe de la directive n° 93/13. Comp. article 73, 23°, de la LPMPC ; point 1, q) de l’annexe de la LPL. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 99 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) soulignons). Selon une interprétation souvent défendue de ce texte, serait abusive la « clause compromissoire de droit commun » (75), tandis que les « mécanismes d’arbitrage obligatoire que le législateur peut ou pourrait imposer dans certains domaines » seraient réservés (76). Plus largement, l’arbitrage prévu et spécifiquement encadré par le législateur pour les litiges de consommation pourrait échapper à la prohibition (77). Dans un autre sens toutefois, il pourrait être défendu qu’il suffit que l’arbitrage soit un mode de règlement des différends encadré, ne fût-ce que de manière générale, par la loi – comme dans de nombreux États, par exemple en Belgique, dans le Code judiciaire –, pour sortir du champ de la prohibition de l’annexe de la directive n° 93/13 (78). On pourrait encore soutenir que l’amiable composition est seule interdite par la directive (79). On relèvera enfin que d’autres interprétations ont encore été avancées (80). L’annexe de la directive n’est donc pas claire. Si les développements suivants démontrent que la controverse n’est actuellement pas déterminante, on expliquera plus loin qu’elle devient cardinale dans le cadre de la nouvelle directive. 11. En tout cas en vertu de la directive n° 93/13, le critère décisif invalidant ou non une clause d’arbitrage conclue dans un contrat de consommation réside dans le déséquilibre qu’une telle clause crée ou non au désavantage du consommateur. L’annexe à la directive n° 93/13 vise les clauses qui « peuvent » être abusives ; il « est constant qu’une clause qui y figure ne doit pas nécessairement être considérée comme abusive et que, inversement, une clause qui n’y figure pas peut néanmoins être déclarée abusive » (81). La jurisprudence de la Cour de justice est claire à ce sujet : le juge doit apprécier in concreto (82) le caractère abusif d’une clause ; « une clause particulière qui doit être examinée en fonction des circonstances propres au cas d’espèce » (83). Ainsi, le juge européen peut spécifier les « critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause », mais c’est toujours ce dernier qui doit, en tenant compte de ces critères, se prononcer « sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière » (84). Il y a par conséquent place pour débattre, quel que soit le prescrit littéral de l’annexe dont il est question. 12. Le point q) de l’annexe de la directive n° 93/13 interdit les clauses susceptibles de supprimer ou entraver « l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur » (nous soulignons). Et ces autres voies de recours, nous les concevrions volontiers extrajudiciaires, dès lors que la Commission européenne « va renforcer le suivi et encourager l’utilisation des recommandations existantes, qui établissent des garanties minimums pour les dispositifs de règlement extrajudiciaire des litiges » en matière de consommation (85), en particulier dans le contexte transfrontière que constitue l’internet (86), et que certaines direc- tives européennes, pertinentes quant à l’environnement numérique, favorisent également ce type de règlement des litiges (87). Il importe néanmoins d’apporter une précision importante quant à la position de la Commission dans ce contexte. Elle recommande en effet que le consommateur ne puisse consentir à l’arbitrage qu’une fois le litige né (88). Et elle s’est déjà positionnée contre la possibilité de conditionner l’accès du consommateur aux tribunaux, au recours préalable à un mode alternatif de règlement des différends (89). Dans son travail interprétatif, la Cour de justice est susceptible d’attribuer des effets juridiques à cette recommandation. Elle y a déjà procédé, en l’invoquant conjointement avec une disposition de la directive dite « service universel » (90) qui spécifie qu’il ne peut être porté préjudice aux procédures judiciaires (91). Ce qui est fondamental dans le cadre du présent propos puisqu’il entend démontrer qu’une place théorique existe pour la clause d’arbitrage antérieure à la naissance du différend. Les jurisprudences nationales, évoquées ultérieurement, tendent vers la position recommandée par la Commission (92). C’est cette prise de position qui a au demeurant été suivie par la Commission lorsqu’elle se réfère aux modes alternatifs de règlement des différends dans ses clauses contractuelles types à propos des différends en matière de flux transfrontières de données à caractère (75) Dans ce sens, voir Cortes P., Developing online dispute resolution for consumers in the EU : a proposal for the regulation of accredited providers, précité, p. 11-12 et note n° 111. (76) Fouchard P., Clauses abusives en matière d’arbitrage, Rev. arb., 1995, p. 148. Par ex., la directive ne s’oppose pas aux « juntas » espagnoles dont il est question infra, voir infra, n° 0. (77) Fallon M., Le droit applicable aux clauses abusives après la transposition de la directive n° 93/13 du 5 avril 1993, REDC, 1996, p. 16 ; Thilly A., Clause d’arbitrage et contrat de voyage, DCCR, 1996, p. 318. Pour une interprétation. (78) En ce sens, Bosmans M., Oneerlijke en onrechtmatige bedingen : zijn de artikelen 31 en volgende van de WHPC compatibel met de EEG Richtlijn 93/13 van 5 april 1993 ?, DCCR, 1993-1994, p. 703. Ce point est notamment soulevé par. Park W.W, Amending the federal arbitration act, Report American Review of International Arbitration, 2002, 13, note n° 225. (79) Quant à la nouvelle directive, voir infra, n° 0. (80) Voir la doctrine citée par Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States, précité, p. 365-366. (81) CJCE (5e ch.), 7 mai 2002 (Commission c/ Suède), aff. C-478/99, Rec., 2002, p. I-04147, point 20. Voir en particulier les points 37 et 38 des conclusions de l’Avocat général Geelhoed présentées le 31 janvier 2002 ; CJCE (4e ch.), 1er avr. 2004 (Freiburger Kommunalbauten GmbH Baugesellschaft & Co. KG c/ Ludger Hofstetter et Ulrike Hofstetter), aff. C-237/02, Rec., 2004, p. I-03403, point 20 ; CJCE (1re ch.), 26 oct. 2006 (Elisa Maria Mostaza Claro c/ Centro Movil Milenium SL), aff. C-168/05, Rec., 2006, p. I-10421, point 22. (82) Évoquant cette interprétation, voir Flamée M. et Troch K., De invloed van de E.G.-richtlijn van 5 april 1993 betreffende oneerlijke bedingen in consumentenovereenkomsten op het heersend Belgisch recht, RDC, 1996, p. 42. Adde, Bernardeau L., Clauses abusives : l’illicéité des clauses attributives de compétence et l’autonomie de leur contrôle judiciaire (à la suite de l’arrêt CJCE, 27 juin 2000, Oceano, aff. C-240/98), REDC, 2000, p. 268 ; CCA, n° 28, avis du 9 juin 2010 sur le régime des clauses abusives dans la proposition de directive relative aux droits des consommateurs, <http:// economie.fgov.be/fr/binaries/CCA28-d%C3%A9f2_tcm326-106758.pdf>, p. 21. (83) CJCE, arrêt Freiburger c/ Hofstetter, précité, point 22. (84) CJUE (Gr. Ch.), 9 novembre 2010 (VB Pénzügyi Lizing Zrt. c/ Ferenc Schneider), aff. C-137/08, Rec., 2010, point 44. (85) Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, du 13 mars 2007, Stratégie communautaire en matière de politique des consommateurs pour la période 2007-2013, Responsabiliser le consommateur, améliorer son bien-être et le protéger efficacement, COM (2007) 99 final, point 5.3, al. 5. (86) Dans le contexte même des clauses abusives, le Comité économique et social européen juge « pertinent d’instituer des mécanismes extrajudiciaires, de médiation, voire d’arbitrage, pour la résolution de litiges incluant l’utilisation de clauses contractuelles générales, en particulier dans les contrats transfrontières, et notamment lorsqu’ils ont pour objet des contrats négociés par l’intermédiaire du commerce électronique », avis du Comité économique et social européen sur le « Rapport de la Commission sur l’application de la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs », 30 nov. 2011, point 8.2. (87) En matière de service universel par exemple, voir l’article 34 (règlement extrajudiciaire des litiges) de la directive (CE) n° 2002/22 du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »), JOUE 24 avr. 2002, n° L 108 ; en matière de services de la société de l’information, voir l’article 17 de la directive n° 2000/31. (88) Recommandation de la Commission n° 98/257/CE, du 30 mars 1998, concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation, JOCE 30 mars 1998, L 115 p. 31. (89) Voir les développements de Sternlight J.R., Is the US out on a limb ? Comparing the US approach to mandatory consumer and employement arbitration to that of the rest of the world, University of Miami Law Review, 2002, 56, p. 846-847. (90) Voir CJCE (4e ch.), 18 mars 2010 (Rosalba Alassini et a. c/ Telecom Italia), aff. jtes C-317/08 à C-320/08, Rec., 2010, p. I-02213, points 40 et 43 ; article 34, § 4, de la directive n° 2002/22. Dans ce contexte, le droit italien prévoit le recours à un mode alternatif de règlement des différends (une procédure de conciliation) comme préalable nécessaire à une action en justice. (91) Voir l’article 34, § 4, de la directive n° 2002/22. (92) Voir infra, nos 0 et s. 100 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication clause d’arbitrage dans un contrat de consommation. S’il n’y a pas de jurisprudence directement liée au contexte de la consommation, les tendances de la jurisprudence de la Cour EDH et de l’ancienne Commission EDH ne semblent pas être un obstacle insurmontable (97). Il appartiendrait alors au droit national de fixer, dans sa marge d’appréciation, les modalités d’une telle possibilité. 13. En synthèse, dans le cadre de la directive n° 93/13, il appartient aux juges nationaux de veiller à ce que le consommateur ne soit pas désavantagé par rapport au professionnel lorsqu’il entend faire valoir ses droits via l’ensemble des voies de recours ouvertes à lui. Mettant Le règlement prévoit que, lorsque les règles de compétence protectrices du consommateur s’appliquent il ne peut y être dérogé, notamment, que par une convention postérieure à la naissance du différend. en œuvre l’interdiction européenne des clauses abusives, le législateur pourrait aussi spécifiquement prévoir que, dans certaines hypothèses – voire toutes –, le consommateur n’est pas lié par une clause d’arbitrage insérée dans le contrat originellement conclu avec le professionnel. À défaut, s’il se contente de prohiber de manière générale les clauses abusives, la question doit être tranchée in concreto par le juge. Il y a alors place pour une certaine marge d’appréciation. 14. Comme annoncé, la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs suit une approche différente. Elle définit autrement la clause abusive en répartissant les clauses rédigées à l’avance par le professionnel en trois catégories (98). Certaines clauses sont abusives en toutes circonstances (99) – liste noire –, d’autres sont présumées abusives (100) – liste grise – et enfin, de manière résiduaire, toute autre clause peut être abusive si, « en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat » (101). Dans l’établissement des listes grise et noire, l’objectif poursuivi par la Commission était double : assurer la sécurité juridique et garantir un meilleur fonctionnement du marché intérieur (102). Selon la nouvelle directive, est abusive « en toutes circonstances » – peu importe donc la réalité d’un déséquilibre entre le consommateur et le professionnel – la clause qui a pour objet ou pour effet « d’exclure ou d’entraver le droit du consommateur à ester en justice ou à exercer toute autre voie de recours, notamment en lui imposant de résoudre les litiges exclusivement par voie d’arbitrage en dehors des règles du droit » (103) (nous soulignons). La controverse précitée pouvant naître du point q) de l’annexe de la directive n° 93/13 que nous venons d’analyser n’est donc pas épuisée et, pire, devient incontournable. À plus forte raison, d’un point de vue textuel, que dans le cadre de l’annexe de la directive n° 93/13, il semblerait possible de considérer ici que seule la clause d’arbitrage imposant l’amiable composition est toujours interdite. Aussi, comme sous l’empire de la directive n° 93/13, « d’autres voies de recours », pourquoi pas extrajudiciaires, pourraient être ouvertes au consommateur. On pourrait alors défendre qu’une analyse in concreto serait également PERSPECTIVES ÉTUDE personnel (93). Ces clauses sont destinées à garantir la protection des personnes concernées lorsque le pays de destination des données n’offre pas une protection adéquate. Dans cette dernière matière, qui relève des droits de l’Homme, on lit que la possibilité de saisir les juridictions étatiques est toujours maintenue, même si, le cas échéant, il est imposé de « répondre » à une procédure de médiation non contraignante avant d’y recourir. La personne concernée (par exemple, celle sur qui portent les données traitées) est donc freinée dans son accès au Tribunal. Selon les recommandations de la Commission en matière de litiges de consommation, un compromis d’arbitrage devrait donc être conclu. Ou l’arbitrage prévu dans les termes contractuels devrait être optionnel en tout cas pour le consommateur. Par conséquent, la clause d’arbitrage ne pourrait être valable vis-à-vis d’un consommateur. On ne peut s’empêcher de lier cette exigence avec ce qui vaut en matière de protection du consommateur contre les clauses d’élection de for dans le règlement « Bruxelles I » (94). Le règlement prévoit que, lorsque les règles de compétence protectrices du consommateur s’appliquent (95), il ne peut y être dérogé, notamment, que par une convention postérieure à la naissance du différend. Ces prises de position sont toute à fait défendables ; la réalité et le caractère libre de la volonté du consommateur ont plus de chances d’exister et sont plus faciles à démontrer une fois le différend né. En droit, la Commission fonde son exigence de conclusion de la convention d’arbitrage après la naissance du différend, sur l’article 6 de la CEDH (96). Or, nous semble-t-il, la Cour EDH ne s’opposerait pas nécessairement et systématiquement à l’insertion d’une > (93) Voir les articles 25 et 26 de la directive n° 95/46 ; décision de la Commission n° 2010/87/UE du 5 février 2010 relative aux clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des sous-traitants établis dans des pays tiers en vertu de la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE 12 février 2010, n° L 39, clause n° 7. Adde, décision de la Commission n° 2004/915/CE du 27 décembre 2004 modifiant la décision n° 2001/497/CE en ce qui concerne l’introduction d’un ensemble alternatif de clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers, JOUE 29 décembre 2004, L 385, Annexe Clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel à partir de la Communauté vers des pays tiers (transferts de responsable du traitement à responsable du traitement), point V. En particulier, les points a) et b) du point V stipulent que « a) En cas de litige ou de plainte introduite à l’encontre des parties ou de l’une d’entre elles par une personne concernée ou par l’autorité au sujet du traitement des données à caractère personnel, les parties s’informent mutuellement de ces litiges ou plaintes et coopèrent en vue de parvenir à un règlement à l’amiable dans les meilleurs délais. b) Les parties conviennent de répondre à toute procédure de médiation non contraignante généralement disponible mise en œuvre par une personne concernée ou par l’autorité. Si elles participent aux procédures, les parties peuvent choisir de le faire à distance (notamment par téléphone ou autres moyens électroniques). Les parties conviennent également d’examiner la possibilité de participer à toute autre procédure d’arbitrage, de médiation ou de règlement de litige mise en place pour les litiges relatifs à la protection des données. » (94) Voir l’article 17, § 1er, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOUE 16 janvier 2001, L 12. (95) Voir les articles 15 et 16 du règlement n° 44/2001. (96) Voir considérant 21 de la recommandation n° 98/257/CE de la Commission, précitée. (97) Voir partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable. et s. (98) À titre informatif, le Comité économique et social européen s’oppose à l’intégration de la réglementation des clauses abusives dans la directive en projet, voir avis du Comité économique et social européen sur la « Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs », JOUE 23 déc. 2009, C 317, points 4.1.3 et 6. (99) Article 34 et annexe II de la nouvelle directive. (100) Article 35 et annexe III de la nouvelle directive. (101) Article 32, § 1er, de la nouvelle directive. (102) Considérant 50 de la nouvelle directive. Originellement, la Commission souhaitait que les listes ne puissent être modifiées que par une procédure de comitologie visée aux articles 39 et 40 de la proposition. Des amendements ont toutefois été apportés par le Parlement en première lecture pour que les États retrouvent leur marge de manœuvre à cet égard (voir les amendements 179-180 et 184-185, P7_TA(2011)0116, 24 mars 2011 ; articles 34, § 2, et 35, § 2, de la nouvelle directive). Si le texte définitif va dans ce sens, les clauses que les États ajouteraient aux listes devraient alors être communiquées à la Commission qui serait chargée de les publier. (103) Annexe II, point c), de la nouvelle directive. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 101 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) requise, sauf dans les cas d’amiable composition ou dans les hypothèses où l’arbitrage en question se voudrait – ou se produirait – en marge du cadre légal de droit commun encadrant l’arbitrage – parlerait-on alors encore d’arbitrage (104) ? Force est toutefois de relever qu’il pourrait en être fini de l’analyse in concreto, préconisée par la directive n° 93/13, pour évaluer les clauses d’arbitrage. Dans le cadre de la nouvelle directive, deux possibilités existent par conséquent. Soit la clause d’arbitrage du cas d’espèce est visée par la liste noire, et elle est alors automatiquement abusive. Soit la clause d’arbitrage n’est pas visée par cette liste, et il incombe alors d’opérer l’analyse qui valait déjà sous l’empire de la directive n° 93/13, à savoir tester la clause au regard de la définition générale et résiduaire de la clause abusive. 15. Dans toutes les hypothèses, le droit national doit se positionner. En effet, la liste noire de la nouvelle directive, en ce qu’elle vise l’arbitrage, n’est pas assez précise. Ce qui est particulièrement regrettable eu égard à sa portée. Les États membres devront donc la traduire dans leur législation nationale ; ils gardent une marge de manœuvre que la Cour de justice réduira le cas échéant. Il y aura toutefois ici le risque de manquer l’objectif d’amélioration du fonctionnement du marché poursuivi à l’occasion de la nouvelle directive. On verra que le droit belge récemment modifié, à un moment où la proposition de directive relative aux droits des consommateurs existait déjà, n’a pas été retouché sur ce point. Bien entendu, si l’on considère que les textes laissent une place à l’arbitrage, toute clause d’arbitrage n’est évidemment pas pour autant nécessairement valable et il s’avérera fondamental, le cas échéant, de disposer d’éléments de réflexion pour déterminer, sous l’angle du critère général, le caractère abusif ou non d’une clause d’arbitrage. 2°/ Exigence d’équilibre entre les parties 16. La Cour de justice a été interrogée, à plusieurs reprises, par des juges nationaux évaluant le caractère abusif, ou ses conséquences, de clauses d’élection de for ou d’arbitrage. Cette jurisprudence porte bien entendu sur la directive n° 93/13. Dès lors que certaines considérations développées en matière de choix de for (étatique) sont transposables en matière d’arbitrage, il convient d’évoquer l’ensemble de cette jurisprudence. Les développements suivants en attestent : tout est question d’équilibre entre le consommateur et le professionnel. Avant tout, l’affaire Oceano Grupo rappelle la philosophie de la protection offerte par la directive n° 93/13 (105), et adopte une interprétation téléologique. Cette philosophie n’est en rien modifiée par la nouvelle directive. La réglementation pallie le postulat d’« infériorité [du consommateur] à l’égard du professionnel », tant du point de vue du « pouvoir de négociation » que de celui du « niveau d’information », état conduisant ce consommateur à « adhérer » aux conditions préétablies par le professionnel, « sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci » (106). La Cour juge aussi, dans le contexte de la protection du consommateur en matière de compétence internationale (107), que cette partie est « réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée » (108). Par conséquent, via une intervention positive, extérieure aux parties au contrat (109), la directive n° 93/13 « tend à substituer à l’équilibre formel que celui-ci établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers » (110). Il s’agit bien de veiller à l’équilibre des parties (111), comme le spécifie textuellement la définition du concept de clause abusive. 17. Le point 1, q), de l’annexe de la directive n° 93/13, cela a déjà été souligné, n’invalide pas in abstracto le recours aux clauses d’élection de for ou d’arbitrage en matière de consommation. Et à moins que le droit interne ne prévoie une liste noire visant clairement les clauses d’arbitrage, il incombe au juge national de procéder à une analyse in concreto. En matière d’élection de for, la Cour a jugé qu’il lui appartenait de trancher en « ten[ant] compte du fait » qu’une « clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive » (112) (113) (nous soulignons). La Cour se prononce de la sorte dans le cas Oceano Grupo, en considérant que la clause litigieuse « doit être considérée comme abusive au sens de l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat » (nous soulignons) (114). Exceptionnellement en la matière (115), la Cour juge elle-même du caractère abusif d’une clause. La motivation de sa prise de position est qu’il s’agissait « d’une clause à l’avantage exclusif du professionnel et sans contrepartie pour le consommateur, mettant en cause, quel que soit le type de contrat, l’effectivité de la protection juridictionnelle des droits que la directive reconnaît au consommateur » (116) (nous soulignons). Partant, il « était donc possible de constater le caractère abusif de cette clause sans avoir à examiner toutes les circonstances propres à la conclusion du contrat ni à apprécier les avantages et les désavantages liés à cette clause dans le droit national applicable au contrat » (117). La Cour donne des éléments d’explication de sa position aux juridictions nationales. Ces éléments n’ont rien de surprenant. Elle explique qu’une clause (104) Peut-être dans une acception européenne autonome du concept mais probablement pas dans le droit national en cause. (105) Au sujet des philosophies des systèmes nationaux en vigueur avant la directive n° 93/13, voir Ebers M., Directive relative aux clauses contractuelles abusives (93/13), précité, p. 395-397. (106) CJCE, 27 juin 2000 (Oceano Grupo Editorial SA c/ Rocio Murciano Quintero et Salvat Editores SA c/ José M. Sanchez Alcon Prades, José Luis Copano Badillo, Mohammed Berroane et Emilio Vinas Feliu), aff. C-240/98 à C-244/98, Rec., 2000, p. I-04941. Adde, CJUE, arrêt Ferenc Schneider, précité, point 46. (107) Voir. not. à ce sujet Moiny J.-P. et De Groote B., « Cyberconsommation » et droit international privé, RDTI, n° 39, 2009, p. 5 et s. (108) CJCE (6e ch.), 11 juillet 2002 (Rudolf Gabriel), aff. C-96/00, Rec., 2002, p. I-06367, point 39. Adde, CJCE, 19 janvier 1993 (Shearson Lehmann Hutton Inc. c/ TVB), aff. C-89/91, Rec., 1993, p. I-00139, point 18. (109) CJCE, arrêt Oceano Grupo, précité, point 26. (110) CJCE, arrêt Centro Movil Milenium, précité, point 36. Adde, CJUE, arrêt Ferenc Schneider, précité, point 47. (111) (112) Voir CJCE (4e ch.), 4 juin 2009 (Pannon GSM Zrt. c/ Erzsébet Sustikné Gyorfi), aff. C-243/08, Rec., 2009, p. I-04713, point 44. (113) Tel qu’amendé par un vote partiel en première lecture par le Parlement européen, le projet de directive sur les droits des consommateurs prévoit que la clause qui confère « à la juridiction compétente du lieu où le professionnel est domicilié la compétence exclusive pour tous les litiges découlant du contrat, à moins que la juridiction choisie ne soit également celle du lieu où le consommateur est domicilié » est abusive en toutes circonstances, amendement 201, Annexe II, point c) bis, P7_TA(2011)0116, 24 mars 2011. (114) CJCE, arrêt Oceano Grupo, précité, point 24. (115) Voir les conclusions de l’Avocat général Tizzano dans l’affaire Centro Movil Milenium, point 30. (116) CJCE, arrêt Freiburger c/ Hofstetter, précité, point 23. (117) Précité. 102 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication et il est probable qu’ils renonceraient à la centralisation de leur contentieux dans de telles conditions. 18. Les éléments précités sont évidemment pertinents lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère abusif ou non d’une clause d’arbitrage. De manière générale, les sentiments de la doctrine sont a priori partagés par rapport à la possibilité du recours à l’arbitrage en matière de consommation. Et chacun avance des éléments dignes de considération dans l’analyse de l’équilibre existant entre professionnel et consommateur. Certains s’attaquent au coût de l’arbitrage international et considèrent que le « risque que recèle une telle clause est de conduire inéluctablement à un déni de justice » (122), même si « on ne voit pas pourquoi on devrait interdire aux consommateurs l’accès à la justice arbitrale (…) une fois le différend Grâce à la Convention de New York, la sentence arbitrale est un titre qui circule bien dans un contexte international, ce qui lui offre une valeur ajoutée indéniable par rapport au jugement d’une juridiction étatique. né » (123). Toujours sous l’angle du coût, les consommateurs ne peuvent en effet pas avoir recours, dans le cadre de telles procédures, à l’aide juridique (124). En outre, d’autres pensent que la rémunération, dans les faits, des arbitres par les professionnels entacherait leur impartialité (125). Ils seraient favorables aux professionnels dès lors que ceux-ci les rémunèrent généralement. Par ailleurs, si l’arbitrage privait le consommateur du recours à une action collective, sans leur offrir son pendant en matière de justice privée, il serait d’autant plus contestable. Pratiquement, le caractère on line de l’arbitrage pourrait être un désavantage en ce qu’il ne permettrait justement pas la présence physique des parties en litige (126). Pourtant, certains verraient une « aberration » (127) à considérer la clause d’arbitrage comme abusive. On souligne que l’arbitrage, eu égard à l’internationalité des situations – et les coûts y liés – impliquant le web et la potentielle modicité des enjeux, pourrait parfois s’avérer être la « seule solution viable et pratique » (128) (129). L’arbitrage en ligne permettrait surtout aux parties de régler leurs différends à distance. Et il faut relever que « les avantages reconnus à l’arbitrage comme mode alternatif à la justice étatique pour résoudre les litiges sont également recherchés par le droit de la consommation » (130). Rapidité et caractère informel sont par exemple des traits augmentant l’attrait du consommateur pour l’arbitrage. Sur internet, la célérité d’une procédure est un avantage indéniable ; « [o]ut there, in cyberspace, time passes quickly » (131). La rapidité de la résolution des litiges, à laquelle peuvent s’attendre les parties en ligne, est également de nature à réduire le coût de la procédure (132). Dans ce contexte, l’arbitrage pourrait « être le vecteur de la création d’une justice “paritaire” spécialisée dans le règlement des litiges entre professionnels et consommateurs » (133). En outre, il faut le souligner, grâce à la Convention de New York (134), la sentence arbitrale est un titre qui circule bien dans un contexte international, ce qui lui offre une valeur ajoutée indéniable par rapport au jugement d’une juridiction étatique. 19. Bref, il y a des pour et des contre que d’autres ont déjà schématisés (135). Mais a posteriori, une analyse au cas par cas de la problématique, celle que le droit européen prescrit, met tout le monde PERSPECTIVES ÉTUDE d’élection de for rend la comparution du consommateur plus difficile, tandis qu’elle facilite celle du professionnel (118). En effet, d’une part, tous les litiges découlant du contrat sont soumis à la compétence exclusive du for élu – pouvant être éloigné du domicile du consommateur –, et, lorsque les sommes en jeu sont d’un montant limité, les frais de comparution peuvent être dissuasifs et pousser le consommateur à se résigner et ne pas agir en justice (119). Tandis que, d’autre part, le professionnel peut regrouper le contentieux lié à son activité dans le for de son siège, et ainsi faciliter sa comparution et en diminuer le coût (120). Plus tard, la Cour consolidera cette jurisprudence, et cette fois réunie en Grande Chambre dans l’affaire Ferenc Schneider. Elle souligne alors que les mêmes considérations valent pour une clause élisant une juridiction n’étant ni celle du siège du professionnel, ni celle de la résidence du consommateur, mais toutefois à proximité du siège du professionnel « tant sur le plan géographique que du point de vue des possibilités de transport » (121). Ces éléments, détaillant quelque peu l’équilibre qu’il convient d’établir entre les parties, sont à prendre en compte par le juge national dans son appréciation. Par exemple, on peut se demander si ce dernier ne pourrait pas considérer une clause d’élection de for comme valable si le professionnel s’engage à prendre en charge, jusqu’à l’issue du différend, l’ensemble des frais liés à la comparution du consommateur (les frais de déplacement, de logement, le cas échéant, de traduction, etc.), pour peu que sa demande ne soit pas frivole. Dans un tel cas, il existerait une contrepartie à la clause au profit du consommateur, et l’effectivité des droits garantis par la directive n° 93/13 ne serait pas nécessairement mise en péril. Toutefois en pratique, les professionnels n’offrent pas une telle possibilité aux consommateurs, > (118) CJCE, arrêt Oceano Grupo, précité, points 22-23. (119) Précité, point 22. (120) Précité, point 23. (121) CJUE, arrêt Ferenc Schneider, précité, points 52-54. (122) Heuzé V., note sous Cass. 1re ch. civ., 21 mai 1997, Rev. crit. dr. internat. privé, 1998, p. 88. (123) Précité, p. 91. (124) Poissonnier G., La CJCE donne au juge national le pouvoir d’appliquer d’office le droit communautaire de la consommation, REDC, 2007/2008-1, p. 135. (125) Précité. (126) À ce propos, voir Farah Y., Critical analysis of online dispute resolutions : the optimist, the realist and the bewildered, Computer and Telecommunication Law Review, 2005, 11 (4), p. 124. (127) Gudin C.-E., L’arbitrage en matière de consommation dans l’espace judiciaire européen, RAE, 2005, p. 251. (128) Gautrais V., Benyekhlef K. et Trudel P., Les limites apprivoisées de l’arbitrage cybernétique : l’analyse de ces questions à travers l’exemple du Cybertribunal, Revue juridique Thémis, 1999, n° 33, p. 559. L’arbitrage en ligne pourrait constituer un moyen moins onéreux d’appréhender le contentieux international, voir Farah Y., Critical analysis of online dispute resolutions : the optimist, the realist and the bewildered, précité, p. 123-124. Au Royaume-Uni, inversement, la modicité de l’enjeu du litige rend abusive une clause d’arbitrage, voir infra, note n° 157. (129) Quant aux enjeux modiques, on relèvera néanmoins l’intérêt, dans le contexte de la justice étatique, de procédures du type de celle établie par le règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, JOUE 31 juill. 2007, L 199. (130) Loquin E., L’arbitrage des litiges du droit de la consommation, in Vers un Code européen de la consommation, Codification, unification et harmonisation du droit des États membres de l’Union européenne, Osman F. (ss dir.), Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 374. (131) Schultz T., Online Arbitration : Binding or Non-Binding ?, adr online Monthly, 2002, <www.ombuds.org/center/adr2002-11-schultz.html#_ftn1>, p. 6. (132) Schultz T., Human rights : a speed bump for arbitral procedures ? An exploration of safeguards in the acceleration of justice, précité p. 12. (133) Loquin E., L’arbitrage des litiges du droit de la consommation, précité, p. 381. (134) Voir la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York, le 6 juillet 1988. (135) Voir la synthèse du débat général réalisée par Sternlight J.R., In Defense of Mandatory Arbitration (If Imposed on the Company), Nevada Law Journal, 2007, 8, p. 83-84. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 103 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) d’accord. Et tout le monde a raison. Tout dépend évidemment du contexte juridico-factuel en cause. L’arbitrage in abstracto, loin d’être consubstantiellement déséquilibré, offre la souplesse nécessaire à de nombreux compromis in concreto. Évidemment, il est également impérieux que « companies ought not to be able to deprive “little guys” of the opportunity to litigate their disputes » (136). Que le juge, voire le législateur national, procède à l’analyse. À cet égard, la nouvelle directive emporte un risque substantiel de rigidité préjudiciable si les États jugeaient que l’arbitrage de droit commun était intégralement compris dans l’annexe prohibant « en toutes circonstances » les clauses concernées. Il est vrai qu’ils pouvaient – et peuvent toujours – le décider de manière autonome. Ils sembleraient d’ailleurs interdire les clauses d’arbitrages – mais pas les compromis conclus une fois le différend né (137). Par ailleurs, il faut le concéder, soumettre la question à l’appréciation du juge est susceptible de créer une certaine insécurité juridique (138). Or c’est justement ce que la Commission a voulu éviter. Pourtant, il a déjà été défendu en doctrine qu’une analyse au cas par cas et son imprévisibilité consubstantielle pourraient s’avérer, en la matière, plus efficaces (139). Est-il d’ailleurs si complexe, en tout cas théoriquement, de créer un véritable « level playing field » que le juge acceptera dans l’exercice de son office ? Il y a indiscutablement place pour l’arbitrage lorsqu’il « vise (…) à faciliter l’accès des consommateurs à la justice » et, « dans un but d’efficacité, remédi[e] à certains problèmes soulevés dans le cadre judiciaire, tels que les frais élevés, les délais longs et l’utilisation de procédures lourdes » (140) (nous soulignons). L’arbitrage pourrait prendre avantage de l’utilisation des moyens modernes de communication ; s’il s’agit de « cybercontentieux », que l’on recoure à un « cybertribunal » (141) ou à un applicatif ad hoc utilisable via internet. Toute la procédure peut être numérique ; « imaginons un arbitrage où la demande et les écritures subséquentes sont notifiées par courrier électronique [ou via l’interface d’un service web], où les ordonnances de procédures et autres communications empruntent la même voie, où les témoins sont entendus par vidéoconférence, et où les audiences de procédures se tiennent sous forme de “chat” » (142). Via de tels moyens, de nombreux coûts peuvent être réduits. Il suffit d’évoquer la possibilité d’utiliser des logiciels de messagerie – textuelle ou télévisuelle – instantanée (le cas échéant, libres), et de souligner l’absence de frais (déplacement, logement) liés à l’éloignement. On pense simplement à l’« online dispute resolution » (143), dans sa forme la plus contraignante, née d’une synergie entre modes alternatifs de règlement des différends et technologies de l’information et de la communication (144) : l’« online arbitration » (145). In fine, il est clair que la composante financière – rémunération des arbitres, etc. – causera des difficultés substantielles quant à la faisabilité concrète d’un tel projet (146), il faut le concéder, assez idyllique. Si le problème est plus pratique qu’il n’est théorique, il n’en demeure pas moins décisif. On soulignera aussi que, lorsqu’un service web ou du cloud est offert à tout utilisateur d’internet, l’obstacle linguistique demeure problématique, même s’il peut être commué en obstacle financier – frais de traduction. Le support des autorités publiques serait certainement bienvenu en la matière. Il n’empêche, le droit européen n’interdit pas de manière générale et systématique les clauses d’arbitrage insérées dans les contrats de consommation ; il faut que l’arbitrage garantisse l’équilibre entre les parties (147). Il importe à présent d’évoquer les droits nationaux, dont spécifiquement le droit belge, pour préciser l’analyse. B. – Droit national Avant de dresser l’état du droit belge en la matière (2°/), il est intéressant d’enrichir le propos de considérations de droit comparé (1°/), les droits étrangers traduisent des tendances diverses en la matière et/ou offrent des éléments d’analyses utiles. En quelques mots, les droits nationaux des États membres de l’Union européenne semblent interdire les clauses d’arbitrage, contrairement aux États-Unis où de telles clauses sont permises et ont déjà été validées – d’ailleurs dans le contexte de contrats conclus à distance. Il importe enfin de rappeler que les développements relatifs aux droits nationaux des États membres de l’Union européenne visent l’état du droit antérieur à la transposition de la nouvelle directive relative au droit des consommateurs. 1°/ Droits nationaux divers 20. Les États membres de l’Union européenne peuvent avoir des points de vue divergents sur la question de l’arbitrage en matière de consommation. La directive n° 93/13 le permet. T. Schultz écrivait toutefois que « the fact is that one can currently assume that pre-dispute arbitration clauses excluding the professional and the consumer’s right to take the disputes to court – thus bilaterally binding – are more likely to be held unenforceable than not in most European countries » (148). La tendance serait donc plutôt de tolérer le compromis d’arbitrage et d’invalider la clause d’arbitrage de manière générale. Ce qui apparaît plus exigeant que ce que prévoit la directive n° 93/13. On le verra, des considérations similaires se retrouvent en droit belge. (136) Sternlight J.R., In Defense of Mandatory Arbitration (If Imposed on the Company), précité, p. 82. (137) Voir infra, nos 0 et s. (138) Insécurité juridique qui n’est pas souhaitable en la matière, Fouchard P., Clauses abusives en matière d’arbitrage, précité, p. 149. Voir également en faveur, de manière générale, d’une liste noire en raison de considérations de sécurité juridique et son effet préventif, Ghestin J. et Marchessaux-Van Melle I., L’application en France de la directive visant à éliminer les clauses abusives après l’adoption de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, JCP G. 1995, n° 25, p. 279.(139) Voir les développements de Schillig M., Inequality of bargaining power versus market for lemons : Legal paradigm change and the Court of Justice’s jurisprudence on Directive n° 93/13 on unfair contract terms, European Law Review, 2008, p. 343. (140) Recommandation de la Commission n° 98/257/CE, précitée, 17e considérant. (141) Voir justement le projet Cybertribunal II dirigé par Benyekhlef K., <www.cybertribunal.org/odr/domain/cybertribunal2/secure/login.asp>. (142) Kaufmann-Kohler G., Le lieu de l’arbitrage à l’aune de la mondialisation, Réflexions à propos de deux formes récentes d’arbitrage, Rev. arb., 1998, p. 518. (143) Pour quelques illustrations d’organismes offrant de l’ODR (arbitrage ou médiation, etc.), voir Schultz T., Online Arbitration : Binding or Non-Binding ?, précité, note n° 3 ; Benyekhlef K. et Gélinas F., Online Dispute Resolution, LexElectronica, vol. 10, n° 2, 2005, <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_87.pdf>, p. 98 ; projet Ecodir (Electronic Consumer Dispute Resolution), <www.ecodir.org/fr/about_us/index.htm ; http://odr.info/node/32>. (144) Voir Cortes Dieguez J.P., A European legal perspective on consumer ODR, Computer and Telecommunications Law Review, 2009, p. 90-92. Pour une synthèse des différentes définitions et classifications d’ODR réalisées par la doctrine, voir Mann B.L., Smoothing some wrinkles in online dispute resolution, International Journal of Law & Information Technology, 2009, (17) 1, p. 90-97 ; McMahon R., The online dispute resolution spectrum, Arbitration, 2005, 71 (3), p. 218-227. (145) À ce sujet, voir Hörnle J., Cross-border Internet Dispute Resolution, Cambridge University Press, 2009, p. 82-86. (146) P. Cortes identifie trois aspects qui entravent l’extension des ODR : « funding, due process (particularly impartiality) and attracting disputants to ODR ». Cortes P., Developing online dispute resolution for consumers in the EU : a proposal for the regulation of accredited providers, précité, p. 7-11. (147) Le déséquilibre « significatif » étant sanctionné, on acceptera qu’il puisse exister un déséquilibre insignifiant entre les parties. (148) Schultz T., Online Arbitration : Binding or Non-Binding ?, précité, p. 2. À propos des droits nationaux, voir Ebers M., Directive relative aux clauses contractuelles abusives (93/13), précité, p. 423 et s. 104 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication termes de J.L. Pérez-Serrabona Gonzáles, en ce sens que l’arbitrage aura lieu à l’initiative du consommateur (154). Autrement dit, ce denier choisira d’y recourir une fois le différend né. D’autre part, tous les litiges ne sont pas nécessairement « arbitrables » dans ce cadre (155). Il n’en demeure pas moins que le législateur s’est évertué à favoriser l’arbitrage en matière de consommation en le soutenant et surtout en l’encadrant spécifiquement (procédure de choix des arbitres et exigences quant à leurs qualités, fixation des prix, etc.). Une situation du même type que le cas espagnol existe également au Portugal (156). 23. Au Royaume-Uni, on relèvera qu’une clause d’arbitrage (obligatoire pour le consommateur, « compulsory arbitration clause ») est automatiquement abusive si elle porte sur un litige dont l’enjeu est modique (157), à savoir inférieur à 5 000 £ (2 000 £ en Irlande du Nord) (158). L’Office of Fair Trading C’est hors de l’Union européenne, aux États-Unis, que l’on trouve des cas directement liés à l’« e-contentieux » et impliquant des clauses d’arbitrage, le cas échéant, valides. considère que s’il est recouru à une clause d’arbitrage, elle ne devrait pas être obligatoire (159) (« non-compulsory arbitration » ou, en reprenant les termes de T. Schultz, « unilaterally binding arbitration agreements, also called optional arbitration clauses » (160)), et il exige régulièrement des entreprises qu’elles suppriment de telles clauses ou spécifient qu’elles laissent la possibilité au consommateur de s’adresser à un Tribunal (161). La jurisprudence semble également considérer les clauses d’arbitrage liant les consommateurs comme abusives (162). 24. C’est hors de l’Union européenne, aux États-Unis, que l’on trouve des cas directement liés à l’« e-contentieux » et impliquant des clauses d’arbitrage, le cas échéant, valides. Il faut rappeler, même si c’est notoire, que de nombreux et puissants prestataires du web (Google, Facebook, eBay, PayPal, etc.) y sont principalement et originellement établis. En d’autres termes, ils sont imprégnés de la culture juridique américaine où est né internet. Par ailleurs aux États-Unis, « l’arbitrage du droit de la consommation (…) est largement passé dans les mœurs » (163), même si, initialement, le législateur fédéral a dû combattre, par une loi (164), les réticences jurisprudentielles à l’encontre de l’arbitrage. Aujourd’hui, la jurisprudence est plutôt favorable aux « mandatory arbitration clauses », tandis que la doctrine les critique (165). Certains se demandent ainsi dans quelle mesure le droit américain n’est pas susceptible d’évoluer dans un sens similaire au droit européen (166) ; « American legislation to protect consumers and employees could take the European model as its starting point » (167). Il en serait d’ailleurs ainsi si l’Arbitration Fairness Act, plusieurs fois proposé, était adopté. Il amenderait alors le Federal Arbitration Act 1996 (FAA) en interdisant les « predispute arbitration agreements », notamment vis-à-vis des consommateurs (168). Une tendance PERSPECTIVES ÉTUDE 21. Ailleurs, le droit français, par exemple, est explicite quant au sort de la clause d’arbitrage dans les contrats de consommation : l’article 2061 du Code civil français l’interdit (149). La Cour de cassation française n’applique toutefois pas cette disposition aux clauses compromissoires internationales conclues par un consommateur ; à savoir, lorsque l’arbitrage est international, c’est-à-dire s’il met en jeu les intérêts du commerce international (150). Dans ce cas, la clause est appliquée sous réserve de la mise en œuvre, par les arbitres, de l’ordre public international, sous le contrôle du juge de l’annulation. C.-E. Gudin voit d’ailleurs dans l’annexe de la directive n° 93/13 « une reprise au plan communautaire des réserves que le droit interne de l’arbitrage français émet » (151). Si la disposition précitée n’empêche a priori pas le compromis d’arbitrage, il n’en reste pas moins qu’elle traduit une certaine méfiance. 22. Le législateur espagnol, voisin, adopte une position plus favorable vis-à-vis de l’arbitrage en matière de consommation dans la mesure où il l’a institutionnalisé. Cet arbitrage est consacré dans la législation qui établit des instances arbitrales spécifiques – les « juntas » –, offrant ainsi aux consommateurs et professionnels un véritable « système arbitral de consommation » aux multiples vertus – économie, simplicité, équilibre entre les parties, efficacité, etc. (152) Toutefois, deux éléments importants doivent être signalés. D’une part, ce type d’arbitrage est volontaire et implique la participation de l’autorité publique (153). Mais il est « unidirectionnel », pour reprendre les > (149) « Sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle. » (150) Loquin E., Organisation générale du commerce, Tribunaux de commerce et arbitrage (Chroniques), RTD com 2004, p. 447-450. Adde, Heuzé V., note sous Cass. 1re civ.), 21 mai 1997, précité, p. 88 et s. Quant à la potentielle incidence de l’internationalité du litige en matière de droits de l’homme, voirinfra partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable. et s. (151) Gudin C.-E., L’arbitrage en matière de consommation dans l’espace judiciaire européen, précité, 2005, p. 251. (152) Voir Pérez-Serrabona González J.L., Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, REDC, 2002/3, p. 206-210. (153) Ainsi notamment, le président de la junta est un fonctionnaire public diplômé en droit (le collège arbitral comprend en outre trois arbitres, l’un représentant les consommateurs, l’autre le secteur des entreprises), voir Pérez-Serrabona González J.L., Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, précité, p. 204. (154) Pérez-Serrabona González J.L., Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, précité, p. 203. (155) Il en est ainsi des litiges portant sur « les matières indissociablement liées à d’autres dans lesquelles les parties n’ont pas de pouvoir de disposition », Pérez-Serrabona González J.L., Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, précité, p. 202. (156) Voir Mendes Cabeçadas I., The Development of Portuguese Consumer Law With Special Regard to Conflict Resoultion, Journal of Consumer Policy, n° 17, 1994, p. 116-120 ; Boucher M. (ss dir.), Labelle Y., avec la collaboration du Comité Protection du consommateur, L’arbitrage de consommation : un processus équitable et efficace ?, Rapport final du projet présenté au Bureau de la consommation d’industrie Canada, Union des consommateurs, Montréal, juin 2009, <www.consommateur.qc.ca/union-des-consommateurs/docu/protec_conso/arbitrageF.pdf>, p. 56-59. (157) Voir Arbitration Act 1996, Part II, S. 91 (1), <www.legislation.gov.uk/ukpga/1996/23/part/II/crossheading/consumer-arbitration-agreements>. (158) Office of Fair Trading, Unfair standard terms, OFT143, sept. 2008, <www.oft. gov.uk/shared_oft/business_leaflets/unfair_contract_terms/oft143.pdf>, annexe B, note de bas de page n° 11. (159) Office of Fair Trading, Unfair contract terms guidance, OFT311, sept. 2008, <www.oft.gov.uk/shared_oft/reports/unfair_contract_terms/oft311.pdf>, p. 67, § 17.3. (160) Schultz T., Online Arbitration : Binding or Non-Binding ?, précité, p. 2. (161) Drahozal C.R. et Friel R.J., A comparative view of consumer arbitration, Arbitration, 2005, 71 (2), p. 135. (162) Voir not., à ce propos, Helps D. et Sheridan P., Construction Act review (October), Construction Law Journal, 2005, 21(7), p. 521-538 ; Dundas H.R., Recent developments, in English arbitration law : arbitrations involving consumers, whether to hold a hearing, enforcement of foreign awards and a postscript, Arbitration, 2009, 75(1), p. 115-125. (163) Loquin E., L’arbitrage des litiges du droit de la consommation, précité, p. 378. (164) Le Federal Arbitration Act, promulgué en 1925 (US Code, Title 9, Section 1 et s.). (165) Voir Sternlight J.R., Is the US out on a limb ? Comparing the US approach to mandatory consumer and employement arbitration to that of the rest of the world, précité, p. 832-843. (166) Voir Drahozal C.R. et Friel R.J., Consumer Arbitration in the European Union and the United States, précité, p. 392-393. Les auteurs soulignent également que, comparativement à la situation européenne, les spécificités du système juridique américain (recours aux jurys, « class actions » et « punitive damages ») conduisent les entreprises à réaliser une pression politique plus forte en faveur de l’arbitrage en matière de consommation. (167) Park W.W., Amending the federal arbitration act, Report, précité, p. 132. (168) Un tel acte a été proposé à plusieurs reprises. J.R. Sternlight évoque la proposition de 2007, voir Sternlight J.R., In Defense of Mandatory Arbitration (If Imposed on the Company), précité, p. 84 ; <http://frwebgate.access.gpo. gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=110_cong_bills&docid=f:s1782is.txt.pdf>. L’amendement a également été introduit à plusieurs reprises devant la Chambre des représentants et le Sénat en 2009 (voir <www.thomas.gov/cgi-bin/query/z?c111:H.R.1020>, et 2011 (voir <http://washlaborwire.com/2011/05/18/the-arbitration-fairness-act-of-2011-s-987-hr-1873/>. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 105 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) législative inverse s’observerait : face à une interprétation trop libérale par la Cour suprême du FAA et de sa portée, il conviendrait d’amender ce dernier qui n’a pas été rédigé dans le but de régir les relations entre professionnels et consommateurs. À terme, le droit américain serait donc susceptible d’interdire plus systématiquement les clauses d’arbitrage liant les consommateurs, tout comme une certaine lecture de la nouvelle directive européenne relative aux droits des consommateurs le commande. Quoi qu’il en soit, de lege lata, aux ÉtatsUnis, la clause d’arbitrage a pu et peut être insérée dans le contrat d’adhésion conclu avec le consommateur, sous réserve d’être sanctionnée par le juge, sur la base du common law, notamment lorsqu’elle est « unconscionable ». En application de la doctrine de l’« unconscionability » (169), directement liée au propos, le juge peut refuser l’« enforcement » d’une clause d’arbitrage. Quatre éléments d’analyse, pertinents pour les besoins de la réflexion, se dégagent de la jurisprudence américaine étudiée dans la suite du propos : le coût de l’arbitrage, son lieu, la réciprocité des moyens de recours et la confidentialité potentielle de l’arbitrage. Ces éléments sont pris en considération dans l’analyse du caractère « unconscionable » ou non des clauses d’arbitrage. En Europe, ils peuvent directement contribuer à l’évaluation de l’équilibre qui existe entre les parties. Le coût de l’arbitrage a déjà été un facteur décisif de sanction d’une clause l’imposant. Tel fut le cas dans Brower c/ Gateway 2000 (170), où la Cour suprême de l’État de New York considéra la clause en question comme unconscionable spécifiquement en raison des frais liés à l’arbitrage (171). Ce dernier devait avoir lieu selon les règles de l’International Chamber of Commerce (ICC). Selon celles-ci, lorsque l’enjeu du litige était inférieur à 50 000 $, une avance de frais de 4 000 $ – montant supérieur à l’ordinateur acheté à distance en l’espèce – était due, dont 2 000 $ ne pourraient pas être remboursés au consommateur, même en cas de victoire. Les demandeurs invoquaient aussi les frais de déplacement qu’ils devraient supporter – évalués par eux à 1 000 $. La Cour releva néanmoins que, dans une autre affaire impliquant Gateway 2000, une autre juridiction avait accepté qu’il soit recouru à l’arbitrage conformément aux règles de l’American Arbitration Association (AAA) (172). L’arbitrage ICC fut encore critiqué quant à son coût dans l’affaire Bragg c/ Linden Research (173) impliquant le réseau social SecondLife (174). Son coût, supérieur à ce que coûterait l’introduction d’une action judiciaire, constitua une des considérations qui conduisirent la Cour à déclarer la clause pertinente « unconscionable ». Dans Comb c/ PayPal (175), en matière de transactions en ligne, où il fut cette fois renvoyé à l’arbitrage commercial de l’AAA (176), une Cour jugea que « [b]y allowing for prohibitive arbitration fees and precluding joinder of claims (which would make each individual customer’s participation in arbitration more economical), PayPal appears to be attempting to insulate itself contractually from any meaningful challenge to its alleged practices. Under these circumstances, the Court concludes that this aspect of the arbitration clause is so harsh as to be substantively unconscionable » – les plaintes individuelles ne dépassant pas 310 $. Le juge américain, comme le serait le juge européen, est sensible à l’obstacle que peut constituer, pour un consommateur, le coût d’un arbitrage. Très naturellement, le lieu de l’arbitrage – « venue » – entre également en ligne de compte. Dans Comb c/ PayPal, la Cour recommande d’apprécier les circonstances respectives dans lesquelles se trouvent les parties. Elle souligne ainsi que PayPal a des millions de clients au travers des États-Unis et que le montant moyen des transactions effectuées via son service est de 55 $. Elle juge alors que « PayPal cites no California authority holding that it is reasonable for individual consumers from throughout the country to travel to one locale to arbitrate claims involving such minimal sums ». Et que « [l]imiting venue to PayPal’s backyard appears to be yet one more means by which the arbitration clause serves to shield PayPal from liability instead of providing a neutral forum in which to arbitrate disputes ». Ce raisonnement, repris dans Bragg c/ Linden Research, fait ainsi prévaloir l’intérêt du consommateur dès lors que les montants en jeu sont faibles et que le professionnel commerce délibérément globalement. À l’opposé toutefois, dans l’affaire RealNetworks (177), mettant en cause un problème de « privacy » lié notamment au lecteur multimédia RealPlayer gratuitement téléchargeable sur internet, la Cour saisie ne juge pas pertinent ce critère de rayon d’action de l’entreprise quant à l’« unconscionability » (178), et les plaignants sont renvoyés à l’arbitrage. Le manque de « réciprocité dans les moyens de résolution des différends » – « mutuality of remedies » – est également pris en compte. Il se présente lorsque la partie la plus forte se réserve plus de moyens de résoudre un litige, (169) Voir à ce sujet Moiny J.-P., Contracter dans les réseaux sociaux : un geste inadéquat pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, précité, p. 172-175. Retenons synthétiquement que l’« unconscionability » comporte deux branches, la « procedural unconscionability » et la « substantive unconscionability ». Selon les États, un contrat est automatiquement « procedurally unconscionable » s’il est d’adhésion (par ex. le droit californien). L’élément de « substantive unconscionability » renvoie quant à lui à la situation de déséquilibre manifeste – un résultat « overly harsh » ou « one-sided » – résultant de l’exploitation par une partie de sa position supérieure. Les développements concernent en substance ce second élément. (170) Supreme Court of the State of New York, 1st. Department, 17 août 1998, Brower, et a., Levy, et a. c/ Gateway 2000 Inc. et a., <www.internetlibrary.com/pdf/Brower-Gateway-2000.pdf>. (171) « We do find, however, that the excessive cost factor that is necessarily entailed in arbitrating before the ICC is unreasonable and surely serves to deter the individual consumer from invoking the process (see, Matter of Teleserve Systems, 230 AD2d 585, 594, lv denied __NY2d__, 1997 NY App Div LEXIS 10626). Barred from resorting to the courts by the arbitration clause in the first instance, the designation of a financially prohibitive forum effectively bars consumers from this forum as well. » (172) C’est probablement également ces dernières qui étaient en cause dans Hill c/ Gateway 2000 où les acheteurs en cause furent réputés avoir consenti à la clause d’arbitrage sans que soit discuté le caractère « unconscionable » de celle-ci, voir US Court of Appeals for the Seventh Circuit, 6 janv. 1997, Rich Hill and Enza Hill c/ Gateway 2000 Inc., <http://law.scu.edu/facwebpage/neustadter/contractsebook/main/cases/Gateway.html>. Pour un autre cas, impliquant la vente d’ordinateurs en ligne, où une clause d’arbitrage a été entérinée, voir Appellate Court of Illinois, First District, 12 août 2005, Dewayne Hubbert et a. c/ Dell Corporation, <www.internetlibrary.com/pdf/Hubbert-Dell.pdf>. (173) US District Court for the Eastern District of Pennsylvania, 30 mai 2007, Marc Bragg c/ Linden Research Inc., et Philip Rosedale, <iwww.paed.uscourts.gov/documents/opinions/07D0658P.pdf>. (174) Au sujet des règles applicables « [t]he court’s own estimates place the amount that Bragg would likely have to advance at $ 8,625, but they could reach as high as $ 13,687.50. Any of these figures are significantly greater than the costs that Bragg bears by filing his action in a state or federal court. Accordingly, the arbitration costs and feesplitting scheme together also support a finding of unconscionability », Bragg c/ Linden Research, précitée, p. 37. (175) US District Court for the Northern District of California, 30 août 2002, Craig Comb et Roberta Toher, Jeffrey Resnick, c/ PayPal Inc., <http://pub.bna.com/ eclr/021227.htm>. (176) Dans le cadre d’un arbitrage AAA, des règles spécifiques en matière de litiges impliquant des consommateurs existent, voir <www.adr.org/consumer_arbitration>. (177) US District Court for the Northern District of Illinois, 8 mai 2000, In re RealNetworks Inc., Privacy Litigation, <www.internetlibrary.com/pdf/In-re-RealNetworks-N.D.-Ill.-May-8-2000.pdf>. (178) « The designation of any state as a forum is bound to be distant to some potential litigants of a corporation that has a nationwide reach. Intervenor would have the Court essentially preclude arbitration agreements from having any forum selection clause in order to prevent the designation of a distant forum to any of these litigants. This Court is not willing to do so. Arbitration provisions containing forum selection clauses have previously been upheld (…). Thus, that Washington is a distant arbitration forum for some does not render the arbitration clause substantively unconscionable. » 106 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication limiter sa responsabilité en étranglant les voies de recours du consommateur. De manière générale, c’est ainsi également une attitude « en dépit de la bonne foi » qui est prohibée, comme dans la directive n° 93/13. On ne peut manquer de souligner ici les similitudes existant entre droit européen et droit américain. Enfin à titre illustratif, il peut être renvoyé à une clause « d’arbitrage » (179) équilibrée présente dans un contrat conclu, aux États-Unis, entre un consommateur et un prestataire de services de téléphonie mobile – AT&T –, récemment mise en cause devant la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire AT&T c/ Concepcion (180). La Cour suprême a validé cette clause en annulant la décision de la Court of Appeals for the Ninth Circuit (181) qui l’avait considérée comme « unconscionable » car elle entraînait, pour les consommateurs, renonciation à la possibilité d’introduire l’équivalent d’une « class action » devant les arbitres – « classwide arbitration waiver » (182). L’existence d’un pendant aux « class actions » en matière d’arbitrage est un argument de poids pour accepter l’arbitrage en matière de consommation. Il aurait été intéressant d’étudier dans quelle mesure, aux États-Unis, la possibilité d’une « class arbitration » ne jouerait pas un rôle décisif dans l’équilibre existant en matière de protection des consommateurs. En effet, l’existence d’un pendant aux « class actions » en matière d’arbitrage est un argument de poids pour accepter l’arbitrage en matière de consommation. Il convient désormais de s’intéresser de plus près au droit belge. 2°/ Droit belge 25. En droit belge, la section 6 du chapitre 3 de la loi sur les pratiques du marché et la protection du consommateur (LPMPC) (183), remplaçant l’ancienne loi sur les pratiques du commerce (LPC) (184), et le chapitre III de la loi relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative, aux clauses abusives et aux contrats à distance en ce qui concerne les professions libérales (LPL) (185) interdisent les clauses abusives. Un contrat conclu entre une entreprise et un consommateur ne peut contenir de clause créant, seule ou combinée à d’autres, un « déséquilibre manifeste » entre les droits et obligations des parties – notion légale dont la Cour de cassation connaîtra le cas échéant (186) –, peu importe que la clause ait été ou pas négociée individuellement ou standardisée. Le déséquilibre devant être manifeste, le contrôle du juge est marginal (187). Par ailleurs, si l’exigence de bonne foi n’est pas reprise de manière explicite, qu’importe, le droit belge n’empêche pas que l’on s’y réfère, et il prescrit l’évaluation des contextes précontractuels et contractuels conformément à la directive n° 93/13 (188). L’article 74 de la LPMPC contient une liste noire de clauses réputées abusives en toutes circonstances. Le point 1, q), de l’annexe de la directive n° 93/13 n’y est pas repris explicitement, une clause d’arbitrage devant alors être évaluée en fonction de la définition générale de la clause abusive. La LPL reprend en revanche à la lettre – mutatis mutandis –, le texte de l’annexe de la directive (189). 26. On peut se demander si l’attitude du droit belge face à la clause d’élection de for est transposable à la matière de l’arbitrage. En effet, la LPMPC interdit l’élection de for dérogeant aux critères traditionnels de compétence territoriale interne des juridictions belges (190). PERSPECTIVES ÉTUDE contraignant contractuellement la partie la plus faible au seul recours à l’arbitrage. Tel fut le cas dans Comb c/ PayPal, où PayPal, à sa seule discrétion, avait la possibilité de restreindre les comptes des utilisateurs, de les fermer, de geler des fonds, de mener sa propre enquête, de modifier unilatéralement le « User Agreement » et de s’octroyer la propriété des fonds jusqu’à ce que son client soit ultérieurement jugé comme y ayant droit. En d’autres termes, PayPal disposait de moyens contractuels spécifiques lui permettant de résoudre les litiges. Alors que les utilisateurs ne pouvaient pas en bénéficier. La décision Bragg c/ Linden Research s’appuie directement sur ces éléments pour aboutir à la même conclusion en mettant en évidence que Bragg a lui aussi la possibilité, à sa seule discrétion, de mettre un terme à tout compte, de refuser l’utilisation du service, de retenir les fonds litigieux, d’amender l’accord, etc. Enfin, la jurisprudence américaine peut invoquer la confidentialité de l’arbitrage à l’appui de la thèse de l’« unconscionability ». Ainsi dans Bragg c/ Linden Research, la Cour relève à juste titre que « if the company succeeds in imposing a gag order on arbitration proceedings, it places itself in a far superior legal posture by ensuring that none of its potential opponents have access to precedent while, at the same time, the company accumulates a wealth of knowledge on how to negotiate the terms of its own unilaterally crafted contract ». En synthèse, dans les cas cités, à part Brower c/ Gateway 2000, c’est une combinaison de deux ou plusieurs des éléments précédents qui conduisent à un constat d’« unconscionability ». La tentative d’immunisation contentieuse et/ou le déséquilibre entre les moyens de recours sont sanctionnés. La jurisprudence empêche le professionnel de > (179) Le terme est entre guillemets car il faut relever que la clause en question n’était pas contraignante pour les demandes de 10 000 $ ou moins. En effet, en cas d’une telle demande, chaque partie pouvait saisir une « small claim court » plutôt que de recourir à l’arbitrage. (180) Supreme Court of the United States, 27 avr. 2011, AT&T Mobility LLC c/ Concepcion, <www.supremecourt. gov/opinions/10pdf/09-893.pdf>. La clause était rédigée comme suit : « [i]n the event the parties proceed to arbitration, the agreement specifies that AT&T must pay all costs for non frivolous claims ; that arbitration must take place in the county in which the customer is billed ; that, for claims of $ 10,000 or less, the customer may choose whether the arbitration proceeds in person, by telephone, or based only on submissions ; that either party may bring a claim in small claims court in lieu of arbitration ; and that the arbitrator may award any form of individual relief, including injunctions and presumably punitive damages. The agreement, moreover, denies AT&T any ability to seek reimbursement of its attorney’s fees, and, in the event that a customer receives an arbitration award greater than AT&T’s last written settlement offer, requires AT&T to pay a $ 7,500 minimum recovery and twice the amount of the claimant’s attorney’s fees » (nous soulignons). (181) Dont la juridiction comporte notamment la Californie. (182) L’opinion des quatre juges dissidents, à laquelle il est renvoyé, est toutefois plus convaincante. (183) Loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, MB, 12 avril 2010. (184) Loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur, MB, 29 août 1991. (185) Loi du 2 août 2002 relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative, aux clauses abusives et aux contrats à distance en ce qui concerne les professions libérales, MB, 20 novembre 2002. (186) Voir Cass. 1re ch., 12 oct. 2007, RCJB, p. 527, note Kirkpatrick J. (187) Voir Swaenepoel E., Stijns S. et Wéry P., Onrechtmatige bedingen – Clauses abusives, précité, p. 168 et les références citées par les auteurs. (188) La bonne foi n’étant pas reprise comme critère spécifique, elle ne jouera qu’un rôle complémentaire dans l’analyse. Voir l’article 73, alinéa 1er, de la LPMPC ; supra, note n° 71 ; Swaenepoel E., Stijns S. et Wéry P., Onrechtmatige bedingen – Clauses abusives, précité, p. 168 ; Cambie P., Onrechtmatige bedingen, Larcier, Bruxelles, 2009, p. 154. (189) Voir point 1, q), de l’annexe à la LPL. Dans ce contexte par ailleurs, la clause demeure nulle même lorsqu’elle a été négociée. (190) Au sujet des clauses attributives de compétence dans le cadre de l’interdiction des clauses abusives, voir Cambie P., Onrechtmatige bedingen, précité, p. 332-338. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 107 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) C’est en ce sens que peuvent être interprétés les articles 74, 23°, de la LPMPC (191) et 30, 20°, de l’ancienne LPC. La Cour d’appel de Mons a déjà jugé que cette dernière disposition, sans viser les clauses d’arbitrage, avait pour but « d’éviter de réserver au demandeur [l’entreprise] un avantage procédural en forçant la comparution “sur son terrain”, ce qui créerait un déséquilibre manifeste dans les droits et obligations des parties » (192). On n’hésitera pas à prendre cet élément en compte dans l’analyse du caractère abusif ou non d’une clause d’arbitrage. Et on liera cette décision à l’affaire Comb c/ PayPal étudiée précédemment, où il s’agissait d’attirer les consommateurs dans le « backyard » de PayPal. Cette prise de position de la Cour d’appel de Mons est compatible avec les avis de la Commission des clauses abusives en matière de clauses d’élection de for. Cette Commission « fait remarquer que les clauses qui déclarent systématiquement compétent un Tribunal déterminé, quel que soit le lieu de la conclusion du contrat ou de son exécution, peuvent être interprétées comme une élection de domicile », clauses qui sont alors contraires à l’article précité de la LPC lorsque aucun des critères de rattachement prévus par l’article 624, 1°, 2° et 4°, du Code judiciaire (193) ne s’applique (194). On relèvera également qu’une décision de la Cour d’appel de Liège, à rapprocher des décisions américaines Comb c/ PayPal et Bragg c/ Linden Research, a sanctionné une clause d’élection de for en application de l’article 31 de la LPC – critère général de la clause abusive – en raison de l’octroi à une banque de la possibilité de choisir un Tribunal parmi ceux compétents en vertu du droit commun, outre la possibilité de saisir le for du siège de la banque, alors que ses clients étaient tenus de s’adresser à ce dernier (195). La Cour illustre ici une situation de déséquilibre entre les droits du consommateur et ceux du professionnel. Une analyse, comme s’y exerce la Cour d’appel de Liège, de la clause d’élection de for sous l’angle de la définition générale de la clause abusive offrirait un peu plus de souplesse, malgré la jurisprudence de la Cour de justice, et permettrait, le cas échéant, de sauver certaines clauses (196). Ainsi la LPL qui, comme explicité précédemment, reprend le texte de l’annexe à la directive n° 93/13, laisserait cette marge. Quoi qu’il en soit, la disposition étudiée (article 74, 23°, de la LPMPC) – dans ses nouvelle (LPMPC) et ancienne (LPC) moutures – ne met pas en cause la possibilité du recours à l’arbitrage, seul objet de la présente réflexion. Originellement, par la LPC, le législateur n’avait pas la volonté de considérer comme illicite l’arbitrage en matière de consommation (197). Rien n’indique qu’il ait changé de position, même si les deux types de clauses peuvent partager certaines tares. 27. Quid alors du recours à l’arbitrage en matière de consommation ? On pense à une instance d’arbitrage spécifique et paritaire qui existe en Belgique en matière de voyages (198) : la Commission litiges voyages (CLV). Son objectif est de trancher les différends opposant les voyageurs et les intermédiaires de voyage. Sa compétence, lorsqu’il y est fait référence dans le contrat de voyage, n’est toutefois jamais obligatoire pour le voyageur dans la mesure où il peut, le différend né, refuser l’arbitrage demandé par le professionnel (199). Il le fera toutefois selon les modalités contractuelles imposées par les autorités et reprises dans les contrats types à propos du règlement des litiges. Le droit belge se situe ici dans la tendance européenne qui consisterait à limiter le recours à l’arbitrage une fois le différend né. Cela n’a pas toujours été le cas. La réglementation et les conditions générales de la CLV ont en effet évolué, et originellement, une véritable clause – convention – d’arbitrage était prévue (200). Ce qui importe dans la suite des développements, notamment liés à l’arbitrage de la CLV, est de déterminer si le juge belge considère ou pas comme abusive une clause d’arbitrage liant un consommateur. 28. La Cour d’appel de Mons, sous l’empire des anciennes conditions générales de la CLV, a déjà décliné sa juridiction au profit de la CLV, en n’hésitant pas à juger, sous l’angle de la LPC, que « pareille clause [d’arbitrage], favorable au (191) Selon l’article 74, 23°, de la LPMPC, sont abusives les clauses ayant pour objet de « permettre à l’entreprise, au moyen d’une élection de domicile figurant dans le contrat, de porter sa demande devant un juge autre que celui désigné par l’article 624, 1°, 2° et 4°, du Code judiciaire, sans préjudice de l’application du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ». (192) Mons (11e ch.), 6 juin 2000, JT, 2001, p. 474. (193) Selon cette disposition : « [h]ormis les cas où la loi détermine expressément le juge compétent pour connaître de la demande, celle-ci peut, aux choix du demandeur, être portée : 1° devant le juge du domicile du défendeur ou d’un des défendeurs ; 2° devant le juge du lieu dans lequel les obligations en litige ou l’une d’elles sont nées ou dans lequel elles sont, ont été ou doivent être exécutées ; (…) 4° devant le juge du lieu où l’huissier de justice a parlé à la personne du défendeur si celui-ci ni, le cas échéant, aucun des défendeurs n’a domicile en Belgique ou à l’étranger ». (194) CCA, n° 9, avis du 11 juin 2002 sur les conditions générales pour les abonnements de téléphonie mobile, titre 2, sous-titre 3, point j). Adde CCA, n° 5, recommandation du 12 mai 1998 concernant les conditions générales de vente dans le secteur du meuble, point 7 ; CCA, n° 17, avis du 1er juin 2005 sur les conditions générales des contrats de location des véhicules automobiles, point 8 ; CCA, n° 23, avis du 19 décembre 2007 sur les conditions générales dans les contrats entre vidéothèques et consommateur, titre B, point 6 ; CCA, n° 24, avis du 25 juin 2008 sur les conditions générales dans le secteur de la télédistribution, titre XI, point 1. Tous ces avis sont publiés dans Ponet B. (Éd.), Commission des clauses abusives, Présentation, activités et législation, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 49-186. (195) Liège (12e ch.), 26 janvier 2007, DCCR, 2008, n° 78, p. 84, note Van den Steen L. Dans ce cas, il y a un déséquilibre entre les droits de la banque et ceux du client qui ne dispose pas de la même alternative que celle-ci ; il y a un manque de réciprocité dans les moyens de recours. (196) Voir supra, n° 0, al. 2, in fine. On concevrait aussi qu’une distinction puisse être réalisée entre clause d’élection de domicile et clause d’élection de for, même si, dans les faits, leur résultat est identique, dans la mesure où la seconde est explicite, tandis que la première contraint le consommateur de manière détournée. (197) Voir sur ce point, Piers M., note sous JP Anvers (2e canton), 4 octobre 2007, JJP, 2009, p. 235. E. Balate considère que l’article 30.20 de la LPC – ce qui vaudrait toujours dans le cadre de la LPMPC –, a pour conséquence que « toute clause d’arbitrage est abusive », le recours « au judiciaire » étant un « minimum incontournable ». Il admet toutefois que ces conclusions sont trop radicales et qu’il conviendrait de mettre en chantier une nouvelle lecture de la disposition. Balate E., Le traitement des litiges et le Fonds de garantie, in Rapports actualisés et annexes complémentaires de la journée d’étude du 28 avril 1994, De Coninck H., Straetmans G. et Stuyck J. (Éds), Bruxelles, Commissions de litiges voyages a.s.b.l., 1994, p. 92. (198) Existent également une Commission de litiges meubles (voir <http://economie.fgov.be/fr/litiges/litiges_consommation/ Belmed/quoi/possibilites_reglement_alternatif/arbitrage/com_litiges_meubles/>) et une Commission d’arbitrage consommateurs – Secteur de l’entretien du textile (voir <http://economie.fgov. be/fr/litiges/litiges_consommation/Belmed/quoi/possibilites_reglement_alternatif/arbitrage/cacet>). (199) Voir l’article 6 du Règlement des litiges, mars 2010, <http://economie.fgov.be/fr/ modules/publications/general/disputes_voyages_fr_001.jsp>. Lorsque les montants revendiqués sont inférieurs à 1 250 , le voyageur peut refuser l’arbitrage. S’ils sont égaux ou supérieurs à cette somme, le professionnel a également le droit de refuser l’arbitrage. Les conditions générales de la Commission de litiges voyages renvoie, en leur article 18, à cette procédure d’arbitrage. Les textes sont disponibles sur <http://economie.fgov.be/fr/consommateurs/Voyages/Commission_litige/Competences_Litiges/>. En vertu de cette disposition, si « aucune procédure de conciliation n’a été entamée ou si celle-ci a échoué, la partie plaignante a en principe le choix entre une procédure devant le tribunal ordinaire ou une procédure d’arbitrage devant la Commission de litiges voyages » (nous soulignons). Le roi n’a pas rendu obligatoires ces conditions générales en application de l’article 39 de la loi du 16 février 1994 régissant le contrat d’organisation de voyages et le contrat d’intermédiaire de voyages, MB, 1er avril 1994. (200) Voir à ce sujet, Speybrouck J., note sous JP Gand, 9 mars 1998, DCCR, 1999, p. 67 ; Piers M. et Verbist H., Recente vernietigingen van arbitrale uitspraken van de Geschillencommissie Reizen : een analyse, DCCR, 2005, p. 5-6 ; Piers M., note sous JP Anvers (2e canton), 4 octobre 2007, précité, p. 239. On relèvera toutefois que la juridiction étatique n’est compétente que lorsque la partie qui le souhaite a refusé la demande d’arbitrage conformément au règlement de la Commission litiges voyages (à savoir, dans un certain délai, etc.). En d’autres termes, l’arbitrage doit avoir lieu si le voyageur ne respecte pas les modalités encadrant son refus. 108 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication émanation de ces organisations (206). Sans entrer dans le débat relatif au fonctionnement de la CLV – les intérêts du consommateur n’y sont-ils pas représentés, quant à la désignation des arbitres, par l’association Test-Achats ? –, le juge de paix pointe un élément fondamental d’équilibre entre les parties – d’ailleurs exigé par le droit commun en toutes hypothèses d’arbitrage : leur égalité dans la désignation des arbitres. 30. Plus récemment, un juge de paix d’Anvers (207) a envisagé la problématique, sans traiter des clauses abusives, sous l’angle du consentement. Il considéra que, « in casu », la Commission litiges voyages n’avait pas de compétence exclusive et que le voyageur/consommateur pouvait toujours s’adresser à son juge naturel – les faits sont postérieurs aux modifications de la réglementation de la CLV. Plus fondamentalement, le En l’espèce, plutôt que d’analyser l’éventuel caractère abusif de la clause, le juge de paix se fonde sur la qualité de la partie et le caractère « à prendre ou à laisser » du contrat, en jugeant que le consentement du voyageur est vicié. juge souligna « qu’on avait aussi clairement affaire ici à un contrat d’adhésion, par lequel les demandeurs en tant que personnes économiquement faibles se sont forcées de conclure de telle sorte qu’il ne peut être question, dans leur chef, d’un consentement valable à la clause d’arbitrage » (traduction réalisée par nous) (208) (209). Les motifs de la décision intéressent particulièrement le propos. Contrairement aux décisions précitées de la Cour d’appel de Mons et du juge de paix de Hasselt, le consentement du consommateur est considéré comme vicié en droit commun car non libre. Quid alors des autres conditions contractuelles qui ne satisferaient pas/plus le consommateur ? La protection du consommateur contre les clauses abusives a justement pour objectif de rétablir l’égalité entre consommateurs et professionnels là où celle-ci ferait défaut, en particulier quant aux conditions contractuelles insensibles aux lois du marché. Conditions auxquelles le consommateur, généralement, adhère. Et « [t]here is no real market in non-core contractual terms » (210). La protection est le fruit de l’interventionnisme étatique, conscient de la pratique permanente des contrats d’adhésion autorisée par le droit commun probablement depuis la révolution industrielle, contre la loi privée d’une des parties, en l’occurrence celle du professionnel, limitant de la sorte la tolérance de ce droit commun. Elle pallie la faiblesse – présumée – inhérente au statut de consommateur. Aussi, elle limite les risques que le consommateur moyen, peu attentif aux clauses contractuelles (211), accepte par son consentement global à l’affaire (212). À part en ce qui concerne la définition de l’objet du contrat et l’adéquation prix/ service (213). On comprend facilement que ces derniers éléments soient exclus de l’analyse puisqu’ils font l’objet – voire l’unique objet – de l’attention du consommateur. L’utilisation de conditions générales facilite la conclusion des transactions pour tout le monde ; on gagne du temps, mais pas à n’importe quel prix. Le législateur a défini, quant au fond du contrat, le périmètre de liberté des parties. Or en l’espèce, plutôt que d’analyser l’éventuel caractère abusif de la clause, le juge de paix se fonde sur la qualité de la partie et le caractère « à prendre ou à laisser » du contrat, en jugeant que le consentement du voyageur est vicié. Peut-être aurait-il plutôt dû considérer que, dans le cas d’espèce, le consentement du voyageur à la clause d’arbitrage n’était pas certain. Ce qui fait l’objet du point suivant (214). La perspective aurait alors été différente. À propos du caractère libre du consentement, le problème nous semble plus se PERSPECTIVES ÉTUDE consommateur, ne p[ouvai]t être considérée comme abusive » (201) (nous soulignons). En appliquant la définition générique de la clause abusive, la Cour avait estimé que les « droits et obligations des parties sont les mêmes : se rendre devant la commission ». Il était également demandé à la Cour de se prononcer sous l’angle de la directive n° 93/13 directement. Les directives ne disposant pas d’effet direct horizontal et les conditions générales de la CLV n’ayant pas été rendues obligatoires par le roi, la Cour releva qu’il suffisait que la clause litigieuse respecte les conditions de validités de droit commun établies dans les articles 1676 et s. du Code judiciaire (C. jud.). Ce qui était, selon elle, le cas. En 1999, le juge de paix de Hasselt s’était également déclaré sans juridiction, validant le consentement à la clause d’arbitrage via les conditions générales de la CLV (202). 29. Quelques jours avant la décision précitée du juge de paix de Hasselt, la justice de paix de Gand déclara en revanche nulle la clause d’arbitrage octroyant compétence exclusive à la CLV, notamment sous l’angle de l’article 1678, § 1er, du Code judiciaire (203) (204). En appelant dans son analyse les articles 6 et 13 CEDH et le point 1, q), de l’annexe à la directive n° 93/13, le juge décida que le consommateur, qui n’avait de pouvoir ni quant au choix des arbitres, ni quant à la manière dont le différend serait traité, se situait dans une position d’infériorité telle que celle visée à l’article 1678, § 1er, du Code judiciaire (205). Ces éléments relatifs à l’arbitrage étaient fixés dans les règlements et décisions de la CLV. Or le professionnel intermédiaire de voyages, selon la décision étudiée, pouvait influencer la désignation des arbitres, fût-ce de manière indirecte, par l’intermédiaire de son organisation professionnelle, membre constitutif de la Commission. Cette présence des organisations professionnelles a aussi été contestée, en vain, sous l’angle de l’impartialité de la CLV, devant le juge de paix de Hasselt qui avait considéré que la CLV n’était pas une > (201) Mons (11e ch.), 6 juin 2000, précité, p. 475. (202) JP Hasselt, 16 mars 1999, DCCR, 1999, p. 70. (203) Selon cette disposition, la « convention d’arbitrage n’est pas valable si elle confère à une partie une situation privilégiée en ce qui concerne la désignation de l’arbitre ou des arbitres ». (204) JP Gand, 9 mars 1998, DCCR, 1999, p. 59, note Speybrouck J. (205) JP Gand, 9 mars 1998, précité, 1999, p. 62. (206) JP Hasselt, 16 mars 1999, précité (207) JP Anvers (2e canton), 4 oct. 2007, JJP, 2009, p. 226, note Piers M. (208) « Dat men ook hier duidelijk te maken heeft met een toetredingscontract, waarbij eisers als economisch zwakkere persoon zich noodgedwongen hebben aangesloten zodat er van geldige toestemming in hun hoofde om zich aan het scheidsrechterlijk beding te schikken, geen sprake kan zijn », JP Anvers, 4 oct. 2007, précité, p. 229. (209) M. Piers, dans sa note, explique que le jugement confirme la jurisprudence établie quant à la position du consommateur en matière d’arbitrage, Piers M., note sous JP Anvers (2e canton), 4 oct. 2007, précité, p. 229. (210) Bright S., Winning the battle against unfair contract terms, Legal Studies, sept. 2000, 20(3), p. 344. (211) Le consommateur est surtout attentif au service ou bien offert en tant que tel et au prix exigé en contrepartie. (212) Voir Moiny J.-P., Contracter dans les réseaux sociaux : un geste inadéquat pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, précité, p. 214. (213) À moins que les clauses relatives à ces éléments ne soient pas rédigées de manière claire et compréhensible, voir l’article 73, al. 3, de la LPMPC. (214) Voir infra, n° 0. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 109 C LO U D C O M P U T I N G : V A L I D I T É D U R E C O U R S À L’A R B I T R A G E ? ( PA R T I E I ) ( … ) situer dans le caractère répandu ou non de la clause litigieuse, et dans la question de la nécessité de recourir à l’intermédiaire de voyages en question, plus que dans le statut d’adhérent du voyageur. À nouveau, si la clause litigieuse n’est pas abusive, droit de la consommation et droit commun ne devraient pas s’opposer à son intégration au champ contractuel. Le cas échéant, peut-être le droit de la concurrence serait-il susceptible de s’y opposer. C’est également sous l’angle des droits de l’Homme qu’il pourrait y avoir un obstacle quant à la question de savoir si l’individu a consenti librement à la restriction de ses droits (215). Les développements du titre suivant (II) relatif à la CEDH s’attachent à cette question. 31. Quoi qu’il en soit, la position du juge de paix d’Anvers suit la tendance européenne selon laquelle la convention d’arbitrage conclue avant la naissance du différend – dans une clause des conditions générales – n’est pas valable. C’est, de manière plus générale, une tendance que la Commission des clauses abusives semble également suivre en Belgique. En ce sens, elle juge abusive, dans les relations contractuelles entre justiciable et avocat (la LPL est visée), une clause « où le client est obligé de régler à l’amiable son différend devant le Tribunal ou une instance compétente à cet effet près de l’Ordre des avocats » (216). L’on pourrait lire là une condamnation du recours contractuel contraignant et préalable aux modes extrajudiciaires de règlement des différends. La Commission a en effet admis à la même occasion qu’il n’y avait pas de problème lorsqu’une faculté était laissée au client. Seul le compromis d’arbitrage serait valable. Cela n’empêche pas la jurisprudence d’être divisée sur la question. Cela n’épuise pas non plus le débat. En effet, le compromis d’arbitrage pourrait-il alors être considéré comme abusif au sens de la LPMPC ? Il s’agit bien d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, mais celui-ci n’a pas pour objet la fourniture d’un bien ou service par le professionnel. Soulignons certains termes de la législation. « L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération d’une part, et les biens ou services à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de manière claire et compréhensible » (nous soulignons) (217). Et le consommateur est « toute personne physique qui acquiert ou utilise à des fins excluant tout caractère professionnel des produits mis sur le marché » (218) (nous soulignons). On le sent, avec le compromis d’arbitrage, on sort ici du contrat originel conclu avec le professionnel – prestataire de services ou fournisseur de biens – qui semble visé par la LPMPC. Il serait discutable de considérer que le compromis d’arbitrage conclu avec ce professionnel est évaluable sous l’angle de l’interdiction des clauses abusives. En revanche, l’institution sous les auspices de laquelle aurait lieu l’arbitrage et le ou les arbitres constituent bien des entreprises et offriraient un service (d’arbitrage) au consommateur et à son cocontractant (219). L’interdiction des clauses abusives s’appliquerait alors à la réglementation de la procédure d’arbitrage qui constitue un contrat conclu entre l’ensemble des protagonistes. 32. Enfin, sous l’angle du caractère certain et informé du consentement, dans leurs décisions précitées, la Cour d’appel de Mons et le juge de paix de Hasselt acceptent que la clause d’arbitrage soit rédigée dans des conditions générales. Le juge de paix d’Anvers paraît toutefois plus sceptique en relevant que la clause d’arbitrage était imprimée au verso du contrat de voyage, que les conditions étaient écrites en petits caractères et qu’elles n’étaient pas suivies d’une signature. Dans la lignée de ce scepticisme, il nous semble qu’un consentement spécifique et distinct de la part de l’adhérent serait requis. En effet, la clause en question entraîne dans son chef une renonciation à des droits, et diffère de la simple condition contractuelle qu’il peut être présumé accepter (220). Dans le cas contraire, il risquerait d’être mal informé et son consentement pourrait ne pas être certain. La renonciation à pouvoir s’adresser au juge étatique n’est certainement pas prévisible pour un consommateur moyen qui consent globalement à une affaire. Et c’est là plus généralement – et surtout dans le contexte d’internet – l’adhérent qui mérite protection, comme l’a étudié S. Guillemard, et non plus seulement le consommateur (221). Il convient à présent d’étudier les limites que la CEDH peut poser au recours à l’arbitrage en matière d’« e-contentieux ». (…) ◆ (215) Voir partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable. et s., et en particulier le point n° Erreur ! Source du renvoi introuvable.. (216) CCA, n° 20, avis du 5 mai 2006 sur un contrat type service d’avocat, point 8, publié dans Ponet B. (Éd.), Commission des clauses abusives, Présentation, activités et législation, précité. (217) Article 73, al. 3°, de la LPMPC. (218) Article 2, 3°, de la LPMPC. (219) Voir la définition de l’entreprise à l’article 2, 1°, de la LPMPC. (220) « Arbitration clauses are different from other contracts in that they affect not only substantive rights but also the procedure by which the rights are vindicated. Agreements to waive access to otherwise competent courts are qualitatively different from contract terms such as price or interest rate », Park W.W., Amending the federal arbitration act, Report, précité, p. 128. En matière de conclusion de contrats d’adhésion en ligne, voir Moiny J.-P., Contracter dans les réseaux sociaux : un geste inadéquat pour contracter sa vie privée, Quelques réflexions en droits belge et américain, précité, p. 214-224. Voir égal. partie II, nos Erreur ! Source du renvoi introuvable.-Erreur ! Source du renvoi introuvable. (221) Voir Guillemard S., Le « cyberconsommateur » est mort, vive l’adhérent, JDI, 2004/1, p. 7 et s. 110 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication RLDI PERSPECTIVES ÉTUDE 2573 C’est cette question que devait trancher la Cour économique du Caire ; ce qu’elle a fait par une décision du 26 décembre 2010. Yasser Omar Hamine nous livre l’analyse qui doit en être faite. Une « butte publicitaire » est-elle considérée comme une œuvre protégeable par le droit d’auteur en Égypte ? (1) Par Yasser OMAR AMINE Conseil en propriété industrielle (Le Caire) Diplômé de la Faculté de droit de l’Université JeanMoulin (Lyon-III) DES de propriété intellectuelle de la Faculté de droit de l’Université de Helwan (Le Caire) À la fin de l’année 2010, la Cour économique du Caire, récemment instituée par la loi n° 120 de 2008 (2), a eu l’occasion de trancher une affaire singulière à propos de l’éventuelle protection d’une butte (tabah, en arabe) publicitaire par le droit d’auteur sous l’empire de la nouvelle loi n° 82 du 2 juin 2002 sur la protection des droits de propriété intellectuelle (3) (ci-après « Code égyptien de la propriété intellectuelle »). Cette affaire mérite de retenir l’attention puisqu’elle porte sur une question sur laquelle la jurisprudence est relativement rare et que, malheureusement, ces belles décisions ne sont guère publiées (plus particulièrement, celles qui sont rendues après la promulgation du Code égyptien de la propriété intellectuelle) (4). De plus, les enjeux juridiques de ce contentieux sont d’une importance majeure dans la mesure où ce jugement constitue une première direction jurisprudentielle ayant pour objet de veiller à ne pas dénaturer la conception égyptienne de la propriété littéraire et artistique, voire la conception person- naliste, en protégeant n’importe quels « objets inutiles (5) ». Il faut donc saluer, avec certaines réserves, ce jugement qui a décidé qu’une butte publicitaire n’est pas protégeable par le droit d’auteur égyptien. Rappelons, tout d’abord, les faits. M. Tarek Mohamed Wafaa Abdel-Moati Hegazy possède une société de commerce et de publicité (dénommée Miga). Il a enregistré une idée créative (originale), selon la formulation maladroite de la Cour, dans le domaine de la publicité auprès du ministère de la Culture (plus précisément à l’Administration des droits d’auteur), le 17 juillet 2006 sous le numéro de registre 2561. Le résumé de cette idée créative consistait en une « butte verte artificielle utilisée comme intermédiaire de publicité dans lequel est représenté le message publicitaire de diverses épaisseurs et divers genres » intitulé « une butte publicitaire » selon la formule employée par le demandeur. Ajoutons que M. Tarek voyait cette butte comme étant un modèle industriel qu’il avait déposé à l’Administration des droits d’auteur (6) (sic !). Il avait mis en garde le public en vue de ne pas exploiter cette « idée publicitaire » sans solliciter son autorisation écrite via une annonce publiée dans le quotidien Al-Ahram en date du 8 juin 2006. Par la suite, il a découvert que des sociétés ont repris cette idée en mettant en place plusieurs publicités de leurs produits sur des buttes vertes artificielles dans beaucoup d’endroits sur la route (la nationale) de l’Égypte – Alexandrie du désert ainsi que d’autres endroits. Il convient de noter qu’un certain M. Adel Ibrahim Ahmed (Société Pacha pour la publicité) avait également déposé cette même idée en tant que « colline publicitaire » (« œuvre écrite » selon le certificat de dépôt (7)), le 13 mai 2007 sous le numéro 187. C’est dans ces conditions que le demandeur a intenté une action devant le Tribunal de grande instance du nord du Caire, le 12 février 2009, contre les sociétés CocaCola, Arma Food Industries, Sony Ericsson, Arab Real Estate Company, société égyptienne pour les télécommunications (Telecom Egypt), Al-Futtaim Real Estate et Jotun au motif que celles-ci violaient donc ses droits de propriété intellectuelle. Il sollicitait la condamnation desdites sociétés au paiement de la somme de deux millions de livres égyptiennes pour chacune d’entre elles à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral qu’il a subi. L’affaire a été renvoyée devant la Cour économique du Caire (8), puisqu’elle est désormais compétente de façon exclusive pour connaître les litiges et les affaires relatives à l’application du Code égyptien de la propriété intellectuelle (art. 6 de la loi n° 120 de 2008) depuis la promulgation de la loi n° 120 de 2008. Par un jugement préliminaire, la Cour a eu recours à un expert le 28 février 2010 (9). Ce conflit nous donnera l’occasion, d’une part, de s’interroger sur la question de la > (1) Cour économique du Caire, 4e ch., 26 déc. 2010, aff. n° 3099/2009, Tarek M. Wafaa Abdel-Moati Hegazy c/ Coca-Cola et a. (inédit). L’auteur tient à remercier Mme Soumaya Hanafi Mahmoud, examinatrice à l’Administration des marques (Le Caire) et expert en propriété intellectuelle près la Cour économique, pour son aimable communication de la présente décision et son rapport d’expertise rendu dans l’affaire. (2) La loi n° 120 de l’année 2008 portant promulgation de la loi relative à la création des Cours économiques (JO n° 21 « suite » du 22 mai 2008). (3) JO n° 22 bis du 2 juin 2002. (4) « Several factors affect the rarity of reported judicial decisions regarding copyright, particularly the manner of reporting judicial decisions in Egypt. Official reports exist only for the Cour de Cassation (Supreme Court) and very few cases ever reach the Cour de Cassation and those cases that do reach the Court take a long time to do so. As a result, most decisions decided under the new IP law are unpublished. The few copyright cases that have reached the Cour de Cassation and have been published predominantly deal with formalities and do not address or interpret substantive copyright issues. In addition, the Court interprets the law or applies it only in relation to a particular decision of a lower court. Hence, such decisions are not always precedent-setting. Furthermore, because Egypt is a civil law country, the entire system relies on the statutes promulgated rather than judicial theory or application », in Awad B., El-Gheriani M. et Abou Zeid P., « chapter 2 : Egypt », in Access to knowledge in Africa : The role of copyright (ss dir. Chris Armstrong, De Beer J., Kawooya D., Prabhala A. et Schonwetter T.), University of Cape Town (UCT) Press, 2010, p. 40. (5) En France, plusieurs spécialistes récusent à juste titre le trop-plein de la propriété littéraire et artistique. Notamment le professeur André Lucas qui souligne que : « Si l’on veut que le droit d’auteur garde toute sa légitimité, ce qui est bien nécessaire pour résister aux innombrables et sévères assauts dont il est l’objet par les temps qui courent, si l’on veut que la barque garde le cap, il faut éviter de la charger d’objets inutiles », Propr. intell. 2004. 778, cité par M. Bruguière, Le paparazzi n’a pas de droit d’auteur sur ses photographies, note sous CA Paris, 5 déc. 2007, D. 2008. p. 461. Adde : « Par un effet d’entraînement, on tend de plus en plus à faire du droit d’auteur le mode de protection de droit commun de toutes les créations intellectuelles qui ne peuvent être appropriées par d’autres voies. (…) Il faut veiller à ne pas dénaturer le droit d’auteur en l’appliquant de manière systématique dans des hypothèses marginales, ce qui oblige à en gommer la spécificité » : Lucas A., Droit d’auteur, information et entreprise, JCP E 1992, suppl. n° 6, p. 7. (6) Voir infra I., B. (7) Voir infra. (8) Article 2 des dispositions de la loi n° 120 de l’année 2008 portant promulgation de la loi relative à la création des Cours économiques. (9) En Égypte, les juges recourent souvent à des experts en matière de propriété intellectuelle. Les juges demandent aussi à l’expert de se prononcer sur le caractère original ou non de l’œuvre. Nous avons remarqué que la Cour s’est fortement appuyée sur le rapport de l’expert. Voir Vivant M. et Bruguière J.-M., Droit d’auteur, Dalloz, Paris, 2009, p. 172, n° 213. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 111 U N E « B U T T E P U B L I C I TA I R E » E S T - E L L E C O N S I D É R É E C O M M E U N E Œ U V R E P R OT É G E A B L E ( … ) « protégeabilité » d’une butte publicitaire par le droit d’auteur égyptien en revenant sur les dispositions qui ont permis aux juges de justifier leurs refus (I) et, d’autre part, de revenir sur le rôle du Bureau permanent pour la protection du droit d’auteur et de l’Administration des droits d’auteur en Égypte qui nous semble obscur (II). I. – UNE « BUTTE PUBLICITAIRE » PEUT-ELLE CONSTITUER UNE ŒUVRE PROTÉGEABLE PAR LE DROIT D’AUTEUR DES PHARAONS ? À cette question, la Cour économique du Caire a répondu par la négative en décidant, dans un premier temps, que le travail en cause du demandeur n’est pas une œuvre ou une création entrant dans la catégorie des œuvres protégées conformément aux articles 138 et 140 du Code égyptien de la propriété intellectuelle (A), et, dans un second temps, elle affirme que le travail du demandeur n’est pas un dessin ou un modèle industriel (B). A. – Une « butte » n’est pas une œuvre ou une création au sens du Code égyptien de la propriété intellectuelle La question posée à la Cour était de savoir si une « butte publicitaire » pouvait être une œuvre au sens du Code égyptien de la propriété intellectuelle. Avant d’analyser la position de la Cour, il convient de définir le terme « butte ». Selon le dictionnaire Le Robert, une butte est une « petite éminence de terre » c’est-à-dirune colline, hauteur, un mont, monticule, une motte, un tertre : par exemple, une butte rocheuse, une butte de sable. En général, la butte est formée par la nature. Nous trouvons, le plus souvent, ces petites élévations de terre sur la route du Sahara : l’Égypte – Alexandrie, sur lesquelles il y a parfois des panneaux de publicité. En effet, le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit (10). Sans entrer dans le détail, cette notion renvoie à un travail créatif qui résulte d’une activité humaine consciente mise en forme (11). La propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées elles-mêmes ou concepts mais seu- lement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés. Selon la célèbre formule du professeur Desbois, les idées sont « de libre parcours ». Dans cet esprit, l’article 141, alinéa 1, du Code égyptien de la propriété intellectuelle prévoit que « la protection ne s’applique pas aux simples idées, procédures, méthodes de travail, moyens de fonctionnement, concepts, principes, découvertes et les données (informations), même s’ils sont exprimés ou décrits ou illustrés ou inclus dans une œuvre [sic] ». Les sociétés défenderesses s’appuyaient sur cet article. Elles invoquaient le fait que l’œuvre en cause n’était qu’une simple idée qui ne pouvait être appropriée car elle conférait au demandeur un avantage injustifié en interdisant les tiers à recourir à d’autres buttes pour présenter leurs publicités. Mais faut-il décomposer la formule employée par M. Tarek « une butte publicitaire » car, en lisant sa description de son éventuelle idée publicitaire présentée à l’Administration des droits d’auteur, nous allons remarquer qu’il souhaitait tantôt protéger la butte elle-même « une chose de la nature », tantôt une idée publicitaire (12) (sic). Dans ce dernier cas, la butte ne sert que de support à une œuvre publicitaire (in fine la description). Comme le souligne Me André Bertrand : « “les choses de la nature” sont normalement exclues du champ du droit d’auteur, les “produits fortuits”, c’est-à-dire les choses dont la forme n’a pas été façonnée par l’homme comme, par exemple les pierres, galets, branches et racines, autres éléments naturels “travaillés” par la nature (…) » (13). Il en est de même pour une butte. D’ailleurs, le droit d’auteur ne protège pas les phénomènes naturels tels que l’érosion (14). Personne ne peut donc les approprier. En ce qui concerne les créations publicitaires, chacun sait qu’elles peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur si elles remplissent les deux conditions (une création de forme originale). L’œuvre litigieuse pourrait être protégée en tant qu’une œuvre publicitaire si elle fait preuve d’originalité et qu’elle est matérialisée dans une forme. Le principe de la non-protection des idées publicitaires par le droit d’auteur a été réaffirmé, à plusieurs reprises, par la jurisprudence française (15). Il en va de même pour les thèmes publicitaires. Dans sa défense, M. Tarek prétendait avoir réalisé une idée publicitaire originale puisqu’il estimait qu’il avait été le premier à réaliser et exécuter cette idée en vertu d’un contrat avec la société Pepsi en août 2006 et de l’annonce publiée dans le quotidien AlAhram. De ce fait, il revendiquait un droit d’auteur sur cette butte publicitaire. M. Tarek décrivait l’idée d’une butte publicitaire dans la demande présentée à l’Administration des droits d’auteur en expliquant « l’on doit choisir un endroit bien approprié sur les bords de la route que ce soit des routes désertiques ou agricoles (…), puis il explique la manière dont est construite la butte (les matériaux nécessaires). Et ensuite, cette butte sera cultivée ou bien couverte d’une pelouse pour donner une vue esthétique agréable aux passants et qui donne l’effet d’une oasis tropicale. Enfin, cette butte sera susceptible d’être utilisée comme intermédiaire de publicité ». Cette description a été qualifiée par l’expert comme « une méthode de travail, ou moyens de fonctionnement, qui n’est pas protégé juridiquement ». Cette idée relève donc du « fonds commun » (16). En vertu de l’article 141 précité, qui suscite des critiques, l’idée même décrite par le demandeur ne pourrait donner prise au droit d’auteur. Dans ce contexte, la Cour économique du Caire a débouté M. Tarek de ses demandes en jugeant que « la butte n’est pas une œuvre ou une création entrant dans la catégorie des œuvres protégées conformément aux dispositions des articles 138 (1), (2) (17) et 140 du Code égyptien de la propriété intellectuelle ». Cependant, la lecture du jugement appelle quelques observations. Si la position de la Cour est accueillante en ce qu’elle ne considère pas « la butte comme une œuvre ou une création », toutefois, la première remarque que suscite la lecture du jugement n’est sans doute pas tout à fait satisfaisante puisque la Cour ne s’est pas prononcée sur la question des œuvres publicitaires, ce qui est (10) Le législateur égyptien emploie seulement le terme d’« œuvre » et non pas celui d’« œuvres de l’esprit ». (11) Le professeur Caron définit la création comme « un fait juridique résultant d’une activité humaine consciente qui entraîne une modification de la réalité », in Droit d’auteur et droits voisins, 2e éd., Litec, Paris, 2009, n° 44, p. 48 et s., spéc. p. 54. (12) Il convient de noter que le demandeur n’a jamais employé le terme d’« œuvre publicitaire ». (13) Bertrand A.-R., Droit d’auteur, 3e éd., Dalloz, Paris, 2010, p. 103, n° 103.16. (14) Caron C., précité, n° 49. (15) Sur cette question, voir Greffe F. et Greffe P.-B., La publicité et la loi, 11e éd., Litec, Paris, 2009, nos 831 et s. ; Francon, La protection des créations publicitaires par le droit d’auteur, RIDA 1980, p. 3 et s. Adde colloque de l’Irpi, Publicité et droit d’auteur, Librairies techniques, Paris, 1990. Les idées publicitaires peuvent éventuellement être protégées sur le terrain de la concurrence déloyale. (16) Vivant M. et Bruguière J.-M., précité, p. 78, n° 75 ; « Or notre fonds commun est beaucoup plus large puisqu’il intègre à la fois les œuvres tombées dans le domaine public, les idées, les créations ne pouvant accéder à la protection…, en un mot tous “matériaux” ayant vocation à être utilisés dans le cadre d’un processus créatif », in Vivant M. et Bruguière J.-M., précité, p. 79, note 4. (17) L’article 138 (1), relatif aux définitions de certains termes, précise ce qu’il faut entendre par « œuvre » : « Toute œuvre originale [mobtakar] littéraire ou artistique ou scientifique quels qu’en soient son genre ou son mode d’expression ou son importance ou l’objectif poursuivi par sa création ». À notre avis, il ne s’agit pas d’une définition proprement dite puisqu’elle n’apporte rien de nouveau. Quant à la notion cruciale d’originalité, le législateur égyptien la définit dans l’article 138 (2) comme étant : « Le caractère créatif [ibda’ii] qui caractérise l’originalité de l’œuvre. » Quant à l’article 140, il énumère la liste des œuvres éligibles à la protection par le droit d’auteur. 112 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication B. – Une butte n’est pas un dessin ou un modèle industriel À vrai dire, la protection était seulement demandée au titre du droit d’auteur et non pas sur le terrain du droit des dessins et modèles. Cependant, le demandeur soutenait que la butte était un modèle industriel qu’il avait déposé à l’Administration des droits d’auteur (sic !). Il est clair donc que le demandeur s’est trompé de bureau ou bien de qualification. Puisque l’autorité compétente en matière de dépôt de dessins et modèles industriels, en vertu de l’article 122 du Code égyptien de la propriété intellectuelle, est l’Admi- nistration générale des dessins et des modèles industriels qui relève de l’Autorité du registre de commerce (19). Avant de déposer sa demande à l’Administration des droits d’auteur, le demandeur avait tenté, il convient de le noter, de la déposer auprès de l’Administration générale des dessins et des modèles industriels. Mais cette demande a été refusée. En réalité, on voit mal comment une butte pourrait être un dessin ou un modèle industriel. À cet égard, la Cour s’est fondée sur l’ar- L’un des avantages de l’enregistrement ou du dépôt des oeuvres auprès d’un organisme consiste, notamment dans le cadre d’un contentieux, en une mesure de précaution qui permet d’assurer une date certaine de la création de l’oeuvre et de rapporter la preuve de la paternité de l’oeuvre. ticle 119 du livre II (chap. II) du Code égyptien de la propriété intellectuelle pour rejeter l’argument du demandeur et justifier son refus. Cet article prévoit qu’« est considéré comme un modèle, ou un dessin industriel, chaque arrangement de lignes et de formes dimensionnelles avec couleurs ou sans couleurs s’il se caractérise par un caractère spécifique, présente une nouveauté et susceptible d’application industrielle » (20). La Cour a estimé que : « La butte n’est pas un dessin ou un modèle industriel » et elle ajoute que : « la butte n’est pas utilisée dans le domaine de l’industrie ». Comme l’observe justement l’expert, « il n’y a pas un dessin ou un modèle enregistré sous le nom du demandeur. Et l’idée et l’objet de l’affaire n’entrent pas dans le PERSPECTIVES ÉTUDE regrettable puisque, comme on l’a déjà souligné, elles peuvent être protégées par le droit d’auteur. Même si les œuvres publicitaires ne figurent pas dans la liste des œuvres énumérées à l’article 140, la Cour n’a pas rappelé que cette liste n’est pas, en effet, exhaustive comme en témoigne la présence de l’adverbe « notamment » (en arabe, bewagh khas) (18). De même, la Cour n’a pas souligné que les idées publicitaires ne sont pas protégées par le droit d’auteur. On notera en second lieu que la Cour s’est bornée à renvoyer aux articles 138 et 140 du Code égyptien de la propriété intellectuelle, sans avoir procédé à une analyse minutieuse, sur les deux notions fondatrices du droit d’auteur (forme et originalité). Autrement dit, nos juges n’ont pas pris soin de relever la raison pour laquelle la butte publicitaire échappe aux canons du droit d’auteur des pharaons ! Ce qui est regrettable car nous ne disposons pas d’une jurisprudence abondante ayant trait aux conditions de la protection des œuvres. Dans son jugement in fine, la Cour estime logiquement que « Pas d’œuvre à protéger. Donc, pas d’allocation de dommages-intérêts et pas de responsabilité délictuelle. » Au final, la décision n’est pas très riche. champ du droit des dessins et modèles ». Certes, l’affaire n’entre pas dans le champ du droit des dessins et modèles ! II. – QUEL EST LE RÔLE DU BUREAU PERMANENT POUR LA PROTECTION DU DROIT D’AUTEUR ET DE L’ADMINISTRATION DES DROITS D’AUTEUR ? À première vue, la détermination du rôle du Bureau permanent pour la protection du droit d’auteur (ci-après « BPPDA ») et de l’Administration des droits d’auteur peut se révéler classique et sans grand intérêt, il convient, néanmoins, de s’interroger sur leur rôle exact qui demeure, à notre sens, ambigu en ce qui concerne l’examen et le contrôle effectué par ces autorités. En principe, comme chacun sait, selon la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886, la protection est née du seul fait de la création de l’œuvre (art. 5/2), sans qu’il soit nécessaire d’accomplir une quelconque formalité et/ou démarche administrative (par exemple, procédure de dépôt ou d’enregistrement). L’auteur d’une œuvre originale est donc protégé, dès la création de son œuvre. Pourtant, de nombreux pays sont dotés d’un bureau national du droit d’auteur et certains pays prévoient dans leur législation nationale une procédure d’enregistrement. En effet, l’un des avantages de l’enregistrement ou du dépôt des œuvres auprès d’un organisme consiste, notamment dans le cadre d’un contentieux, en une mesure de précaution qui permet d’assurer une date certaine de la création de l’œuvre et de rapporter la preuve de la paternité de l’œuvre. En Égypte, le dépôt ne constitue pas une condition pour accéder à la protection légale des œuvres par le droit d’auteur comme dans beaucoup d’autres pays (21). > (18) À titre d’exemple, le caractère non exhaustif de la liste des œuvres énumérées à l’article L. 112-2 du Code français de la propriété intellectuelle a été rappelé à maintes reprises par les juridictions françaises à l’occasion du débat très intéressant sur la protection des fragrances de parfum par le droit d’auteur français. L’article 140 du Code égyptien de la propriété intellectuelle prévoit que : « Les droits des auteurs sur leurs œuvres littéraires et artistiques bénéficient de la protection au sens de la présente loi et notamment les œuvres suivantes : 1 – Les livres, brochures, articles, bulletins et autres œuvres écrites ; 2 – Les programmes d’ordinateur ; 3 – Les bases de données qu’elles soient lisibles par l’ordinateur ou par d’autres ; 4 – Les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres orales si elles sont enregistrées ; 5 – Les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales et pantomimes 6 – Les œuvres musicales avec ou sans paroles ; 7 – Les œuvres audiovisuelles ; 8 – Les œuvres d’architecture ; 9 – Les œuvres de dessin avec lignes ou couleurs, de sculpture, de lithographies et les dessins sur les tissus et autres œuvres de même nature dans le domaine des beaux-arts ; 10 – Les œuvres photographiques et autres œuvres de même nature ; 11 – Les œuvres d’art appliqué et plastique ; 12 – Les illustrations, les plans géographiques et les sketches et les œuvres tridimensionnelles relatives à la géographie ou à la topographie ou à l’architecture ; 13 – Les œuvres composites, sans préjudice à la protection prévue aux œuvres préexistantes (originales). La protection s’étend au titre de l’œuvre s’il est original ». (19) Ce nom vient d’être modifié pour devenir « l’Autorité pour le développement du commerce intérieur ». Cette Autorité relève désormais, sous le Gouvernement provisoire pour la gestion des affaires du pays, du ministère de la Solidarité sociale. Avant la révolution égyptienne du 25 janvier 2011, l’Autorité du registre de commerce relevait du ministère du Commerce et de l’Industrie. (20) Voir Haute Cour administrative (HCA), 25 juill. 1993, Recours n° 981, 36e A.J. (21) Par exemple, en France, l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » Adde C. propr. intell., art. L. 111-2. Aux termes de l’article 184 du Code égyptien de la propriété intellectuelle : « Les éditeurs, imprimeurs et les producteurs des œuvres, des phonogrammes, des interprétations enregistrées et des programmes radiophoniques, doivent effectuer en solidarité le dépôt de un seul ou plusieurs exemplaires de l’œuvre ne dépassant pas dix. Le ministre compétent fixera par un arrêté le nombre d’exemplaires ou les exemplaires analogues, prenant en considération la nature de chaque œuvre et, également, le lieu de dépôt. Le défaut de dépôt ne portera pas préjudice ni aux droits d’auteur ni aux droits voisins prévus par la présente loi. En cas de violation des dispositions du premier alinéa du présent article, l’éditeur, l’imprimeur et le producteur seront punis d’une amende non inférieure à 1 000 livres égyptiennes et, ne dépassant pas 3 000 livres égyptiennes pour chaque œuvre ou phonogramme ou programme radiophonique, sans préjudice de l’obligation de procéder au dépôt. Sont exonérées du dépôt, les œuvres publiées dans les journaux ou revues périodiques, sauf si l’œuvre est éditée à part. » Voir Omar Amine Y., Chronique d’Égypte, RIDA n° 223, janvier 2010, p. 273 et s., note 54 (pour la genèse de l’article 184). Sur la question du dépôt, voir Awad B., Le dépôt légal et le droit d’auteur en Égypte, Les Cahiers de propriété intellectuelle, 2011, vol. 23, n° 1, p. 105 et s. Informatique I Médias I Communication N 0 77 • D E C E M B R E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 113 U N E « B U T T E P U B L I C I TA I R E » E S T - E L L E C O N S I D É R É E C O M M E U N E Œ U V R E P R OT É G E A B L E ( … ) Cependant, l’article 186 du Code égyptien de la propriété intellectuelle prévoit que : « Chaque personne peut obtenir, auprès du ministère compétent, un certificat du dépôt d’une œuvre ou d’une interprétation enregistrée ou d’un phonogramme ou d’un programme déposé, contre une rémunération déterminée par le règlement d’exécution de la présente loi n’excédant pas 1 000 livres égyptiennes pour chaque certificat. » (22) En l’espèce, comme le relève justement l’expert dans son rapport : « le certificat de dépôt du demandeur n’est qu’une simple preuve de la date du dépôt sans se prononcer sur le bien-fondé de l’éventuelle protection juridique de l’œuvre en cause ». En d’autres termes, le fait d’obtenir en Égypte un simple certificat de dépôt d’une œuvre ne signifie pas que l’œuvre pourrait, d’emblée, accéder aux portes du droit d’auteur. Elle doit remplir les deux conditions classiques (forme et originalité). Concernant les deux Autorités, il convient de rappeler que le BPPDA a été mis en place par l’arrêté n° 153 de 1985 auprès du ministère de la Culture (art. 1). Il existe également une Administration des droits d’auteur au sein du ministère de la Culture qui comprend plusieurs fonctionnaires. Les attributions de l’Administration des droits d’auteur sont conformes à celles du BPPDA (23). De son côté, le BPPDA se compose d’un conseil et d’un secrétariat (art. 2). Le conseil du Bureau comprend 13 membres désignés par le président du Conseil supérieur de la culture (24) (art. 3). Tandis que le secrétariat comprend quelques fonctionnaires, outre son président (secrétaire général du Conseil supérieur de la culture, art. 5). D’une manière générale, le BPPDA est chargé d’assurer la protection du droit d’auteur dans le cadre des dispositions de la loi égyptienne ainsi que de veiller à l’exécution des conventions internationales concernant la protection des œuvres littéraires, artistiques et scientifiques auxquelles l’Égypte souscrit sur le plan national et international (art. 4/1) (25). Mais la question qui se pose est de savoir quelle est la différence entre les deux bureaux (BPPDA et l’Administration des droits d’auteur) ? Selon le personnel de l’Administration des droits d’auteur, le BPPDA est seulement une Autorité administrative. Mais d’un point de vue pratique, l’Administration des droits d’auteur est la seule compétente pour procéder à l’enregistrement et à l’examen des œuvres. De prime abord, nous sentons que nous sommes perdus puisqu’il existe, en Égypte, d’autres organismes qui peuvent enregistrer des œuvres. Par exemple, un auteur peut déposer le scénario d’un feuilleton auprès de l’Agence pour la publicité immobilière et la documentation (26) ou comme on l’a déjà souligné à l’Administration des droits d’auteur. En ce qui concerne les programmes d’ordinateur et les bases de données, le Bureau pour la protection des droits de propriété intellectuelle de l’Agence pour le développement de l’industrie des technologies de l’information (Itida (27)) est compétent pour le dépôt et la protection de ces œuvres informatiques (28). Cette Agence relève du ministère de la Communication et des Technologies de l’information. Il est regrettable qu’il n’existe aucune coopération entre les différentes Autorités en la matière. Il en est de même pour les organismes de propriété industrielle. Revenons à l’espèce : le 17 juillet 2006, M. Tarek a enregistré une idée (« une butte publicitaire ») dans le domaine de la publicité, sans coup férir, à l’Administration des droits d’auteur sous le numéro de registre 2561. Le lecteur sera surpris quand il apprendra que M. Tarek, après avoir enregistré cette idée, a obtenu un certificat de dépôt d’une « œuvre écrite » revêtu du sceau de l’Administration centrale des affaires littéraires et des compétitions (Administration des droits d’auteur) ! Il en est de même pour M. Adel Ibrahim. Comment une « butte publicitaire » ou une « colline publicitaire » pourraitelle être considérée comme une œuvre écrite ?! Les œuvres écrites ne sont-elles pas les livres, brochures, articles, bulletins, etc. ? Cette faute grave doit être reprochée, certes, à l’Administration des droits d’auteur. L’Administration a considéré que la butte publicitaire était une œuvre écrite car le demandeur avait formulé sa demande par écrit ! En tout état de cause, il a été fait remarquer que jadis n’importe quel objet même « inutile » pouvait, de façon abusive, faire l’objet d’un enregistrement à l’Administration des droits d’auteur (sic !) mais, désormais, l’Administration exerce un contrôle sur les œuvres tant sur le fond que sur la forme. À notre sens, ce contrôle est périlleux pour l’avenir du droit d’auteur en Égypte dans la mesure où nos juges se contentent parfois du certificat de dépôt en tant qu’« une sorte de présomption d’originalité [présomption de protection de l’œuvre en cause] (29) ou, plus radicalement, d’instaurer un contrôle administratif “minimal” d’originalité, comme cela se passe pour les brevets » (30). À cet égard, l’expert avait posé une question à la directrice de l’Administration des droits d’auteur concernant son rôle dans l’évaluation des œuvres qui lui sont soumises (31). À cette question, la directrice a répondu que la compétence de l’Administration se bornait dans le dépôt des œuvres sans examiner ni évaluer leurs contenus. Pourtant, nous n’en sommes pas convaincus car, du point de vue pratique, l’Administration procède à un contrôle de fond. Pour conclure, espérons que l’Administration des droits d’auteur n’ait pas à procéder à l’enregistrement des pyramides ! Alors, ne faudrait-il pas s’étonner si un jour une personne revendique un droit d’auteur sur les pyramides… ◆ (22) Article 16 du règlement d’exécution du livre III consacré au droit d’auteur et aux droits voisins. (23) Loutfi M.-H., Guide pratique de la propriété littéraire et artistique, livre I, Le Caire, 1992, p. 17, note 55 (en arabe). Voir notre chronique, in RIDA, précité, p. 279 et 309, note 64. (24) Président de la commission des lois du Conseil supérieur de la culture, secrétaire général du Conseil supérieur de la culture, conseiller du Conseil supérieur de la culture, directeur de l’Administration des relations culturelles extérieures du ministère des Affaires étrangères, représentant de l’Agence générale du livre, représentant de l’Académie de la langue arabe, représentant de l’Union des écrivains, représentant de l’Union des éditeurs, représentant de la Société égyptienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacerau), président du Syndicat des professions musicales, président du Syndicat des professions cinématographiques, président du Syndicat des peintres dans l’art plastique. (25) Loutfi M.-H, précité. (26) Il faut souligner que, du point de vue juridique, l’Autorité pour la publicité immobilière n’est pas compétente. Le règlement d’exécution du livre III (consacré au droit d’auteur et aux droits voisins) du Code égyptien de la propriété intellectuelle prévoit que le Bureau compétent en matière de droit d’auteur est le Bureau pour la protection du droit d’auteur auprès du ministère de la Culture (art. 1/5) (27) En anglais (Information Technology Industry Development Agency). Cette agence a été instituée par la loi n° 15 de 2004 sur la réglementation de la signature électronique et la création d’un organisme pour le développement de l’industrie de la technologie des informations en vertu de l’article 2. Parmi ses attributions : elle est compétente pour « le dépôt et l’enregistrement des exemplaires originales des programmes d’ordinateur et des bases de données que lui soumettent les autorités ou les personnes (éditeurs, imprimeurs et producteurs) en vue de protéger les droits de propriété intellectuelle et autres droits » (art. 4). (28) Il importe de remarquer qu’avant la promulgation du Code égyptien de la propriété intellectuelle, les programmes d’ordinateur et les bases de données étaient déposés au Centre d’information et d’aide à la décision au Conseil des ministres en vertu de l’arrêté du ministre de la Culture n° 82 de 1993 portant exécution de la loi relative à la protection du droit d’auteur concernant les programmes d’ordinateur (JO « Al-Waqâ’i al-Misreya » n° 104 du 9 mai 1993). Voir l’arrêté n° 453 de 1995 portant exécution de l’article 2 de la loi n° 38 de 1992, modifiant la loi n° 354 de 1954 relative à la protection du droit d’auteur (JO « Al-Waqâ’i al-Misreya » n° 37 du 12 février 1996). (29) C’est nous qui précisons. (30) Gautier P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF, 6e éd., Paris, 2007, p. 55, n° 36. (31) Rapport d’expertise, n° 6. 114 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • D E C E M B R E 2 0 1 1 • N 0 7 7 Informatique I Médias I Communication ” Nouveaux droits Nouveaux livres de droit Une synthèse unique et novatrice > Le web 1.0 • Architecture du réseau Internet • Nouvelles extensions et mesures de protection • Quelle politique de noms de domaine pour les entreprises ? • Pouvoirs et actions de l’ICANN • Règlement extrajudiciaire des litiges et contentieux judiciaire français en matière de noms de domaine… > Google Adwords > Le web 2.0 – les réseaux sociaux • Encadrement juridique • Atteintes possibles à la marque • Exploiter les réseaux sociaux • Management des risques… Auteur : Nathalie DREYFUS I 472 pages www.lamyaxedroit.fr ne lig en r de an m m Co À retourner, accompagné de votre règlement à : Wolters Kluwer France - Service VPC - CP 408 - 1 rue Eugène et Armand Peugeot 92856 Rueil-Malmaison cedex - Tél. : 01 76 73 30 82 Mme Oui, je souhaite commander (indiquer le nombre d’exemplaires) : Établissement : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 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