les grands événements de l`histoire canadienne
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les grands événements de l`histoire canadienne
LES GRANDS ÉVÉNEMENTS DE L’HISTOIRE CANADIENNE DE 1840 À 1945 Par Sean Mills Sous la direction de Brian Young, Université McGill Traduit de l’anglais par Denise Parent MARS 2003 Musée McCord d’histoire canadienne TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ............................................................. 1 1840-1867.................................................................. 3 Sur la scène politique................................................................... 3 Le contrecoup des rébellions ...................................................... 3 Lord Durham............................................................................ 3 Le Conseil spécial ..................................................................... 4 L’Acte d’Union .......................................................................... 5 Un gouvernement responsable ................................................... 5 L’incendie du Parlement............................................................. 6 La scène économique ............................................................... 6 La construction ferroviaire.......................................................... 7 La construction des canaux et l’immigration irlandaise ................... 7 Vers la Confédération ............................................................... 8 George Brown .......................................................................... 9 L’opposition à l’Union ................................................................ 9 Les causes externes de l’Union ................................................. 10 Les causes internes de l’Union .................................................. 11 Suggestions de lecture ............................................................ 13 1867-1896................................................................ 16 Sur la scène politique ............................................................. 16 L’Acte de l’Amérique du Nord britannique ................................... 16 L’Acte de l’Amérique du Nord britannique en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick ............................................................ 16 La Nouvelle-Écosse et la Confédération ...................................... 17 La Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard ..................... 17 Sur la scène économique ........................................................ 18 La rébellion de la Rivière-Rouge................................................ 19 Le scandale du Pacifique et la Politique nationale......................... 19 Les Maritimes et la Politique nationale ....................................... 20 Le travail en industrie.............................................................. 21 Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 Sur le plan idéologique ........................................................... 22 Le mouvement Canada First ..................................................... 22 L’Église catholique romaine ...................................................... 23 Le libéralisme au Québec ......................................................... 23 Suggestions de lecture ............................................................ 25 1896-1919................................................................ 27 Sur la scène politique ............................................................. 27 Wilfrid Laurier ........................................................................ 27 L’établissement du système d’éducation publique ........................ 28 Sur la scène économique ........................................................ 28 La colonisation de l’Ouest ........................................................ 28 L’immigration ......................................................................... 29 L’urbanisation ........................................................................ 29 Le mouvement de réforme de la classe moyenne ........................ 30 Sur le plan idéologique ........................................................... 31 L’impérialisme canadien........................................................... 31 Le nationalisme canadien-français ............................................. 32 La Première Guerre mondiale ................................................... 33 L’effort de guerre du Canada .................................................... 33 La Loi du service militaire ........................................................ 34 La crise de la conscription ........................................................ 34 Le contrecoup de la guerre....................................................... 35 Sur la scène économique ........................................................ 35 L’épidémie de grippe espagnole ................................................ 35 La grève générale de Winnipeg ................................................. 36 Suggestions de lecture ............................................................ 37 1919-1945................................................................ 39 Sur la scène politique ............................................................. 39 William Lyon Mackenzie King .................................................... 39 R.B. Bennett et son « New Deal » canadien ................................ 40 Les luttes sur les compétences constitutionnelles ........................ 41 La Commission Rowell-Sirois .................................................... 42 Sur la scène économique ........................................................ 42 L’après-guerre........................................................................ 42 Le Mouvement des droits des Maritimes ..................................... 43 Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 La prospérité économique des années 1920................................ 44 La Crise de 1929 .................................................................... 44 La dépression dans l’Ouest, le Centre et l’Est .............................. 45 La vie durant la dépression ...................................................... 45 Les camps de secours.............................................................. 46 Colère et frustration ................................................................ 46 Sur la scène idéologique......................................................... 47 Les nouveaux groupes politiques............................................... 47 L’opposition au libéralisme classique.......................................... 48 L’extrême gauche ................................................................... 48 L’extrême droite ..................................................................... 49 La Co-operative Commonwealth Federation ................................ 49 La naissance du « néo-libéralisme » .......................................... 50 La Deuxième Guerre mondiale .................................................. 50 Adélard Godbout..................................................................... 51 L’effort de guerre du Canada et la conscription ........................... 51 Les femmes et la guerre .......................................................... 52 La fin de la guerre et l’émergence d’un nouveau Canada .............. 52 Suggestions de lecture ............................................................ 54 Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 INTRODUCTION Du dix-neuvième au début du vingtième siècle, le Canada a connu de profonds bouleversements sur les plans politique, social et idéologique. De 1840 à 1945, des visions changeantes de la nation ont façonné les idéologies canadienne-anglaise et canadienne-française. Au plan politique, l’Acte d’Union, la constitution de gouvernements responsables Confédération (d'abord ont en modifié Nouvelle-Écosse en 1848) et la en les structures du profondeur gouvernement. Si l’Acte d’Union (1840), qui avait pour but d’accélérer l’assimilation des Canadiens français, a donné naissance à un système fédéral non officiel, il est devenu de plus en plus évident, dans les années 1860, que le compromis politique entre le Canada-Est et le Canada-Ouest n’était plus possible. Encouragés par la GrandeBretagne et mus par la crainte des États-Unis, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et la Province du Canada-Uni conviennent de former le Dominion du Canada en 1867. Durant cette période, on assiste au Québec à une augmentation du pouvoir et de l’influence de l’Église catholique romaine. Régissant à la dépopulation des régions rurales et à l’impact de l’industrialisation, l’Église met les citoyens en garde contre le protestantisme et tente de préserver la « mission providentielle » des Canadiens français. En outre, les Canadiens anglais espèrent exercer une plus grande influence au sein de l’Empire Musée McCord d’histoire canadienne 2 britannique. Durant les années qui mènent à la Première Guerre mondiale et tout au long du conflit, l’impérialisme canadien-anglais affrontera le nationalisme naissant des Canadiens français, inspiré par Henri Bourassa. La prospérité économique des années 1920, la dépression des années 1930 et l’expansion de l’État canadien durant et après la Deuxième Guerre mondiale ont contribué à faire du Canada ce qu’il est aujourd’hui. En examinant le Canada et ses liens avec le monde plus large de la côte atlantique, nous tenterons de cerner les forces politiques, sociales et idéologiques dominantes ainsi que les événements qui ont façonné l’histoire développements du Canada. politiques, le Portant texte principalement abordera les sur les thèmes du fédéralisme, du nationalisme et du libéralisme par rapport au conservatisme, et traitera de la nécessité de créer une certaine stabilité pour le capitalisme. Le texte est une ressource pédagogique pour l’enseignement de l’histoire canadienne, et a été conçu comme complément au matériel sur les conditions sociales et économiques mis à la disposition des élèves. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 3 1840-1867 Sur la scène politique Le contrecoup des rébellions Dans la foulée des rébellions de 1837 et 1838 du Haut et du Bas-Canada, les structures politiques de l’Amérique du Nord britannique sont entièrement réévaluées. Les rebelles du HautCanada, menés par William Lyon Mackenzie, exigent l’abolition du « Family Compact »1 et la rupture des liens avec l’Empire britannique. Durant les années qui mènent à la rébellion, Mackenzie, par le biais de son journal, le Colonial Advocate, fait la promotion des idéaux démocratiques américains et s’en prend à la nature hiérarchique de la société du Haut-Canada. Quoique pour des raisons différentes, les rebelles du Bas-Canada sont également mécontents de l’oligarchie politique qui contrôle leur province. Attisées par une classe moyenne frustrée et une crise de l’agriculture, les rébellions du Bas-Canada sont d’une plus grande ampleur et plus violemment réprimées. Lord Durham Envoyé par le gouvernement britannique pour faire un rapport sur les colonies rebelles, Lord Durham débarque en Amérique du Nord britannique en qualité de gouverneur en chef et haut-commissaire. « Je m’attendais », admettra-t-il plus tard dans son rapport, « à assister à un conflit entre un gouvernement et son peuple ». Au lieu de cela, il trouva « deux nations luttant au sein d’un même État ». 1 Le « Family Compact » était le nom donné au groupe de personnes qui en sont venues à dominer la scène politique du Haut-Canada après la guerre de 1812. Considéré par les réformistes comme une oligarchie, le groupe avait des opinions conservatrices et défendait avec Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 4 Passant la majorité de son temps dans le Bas-Canada, Durham réserve ses critiques les plus dures à l’endroit de la société canadiennefrançaise : puisque les Canadiens français n’ont pas de culture ni d’histoire, il est impératif de créer une structure politique qui accélérera le processus inévitable de leur assimilation. En réponse aux commentaires insultants de Durham sur sa culture, François-Xavier Garneau entreprend l’écriture d’une histoire détaillée du Canada français2. Le Conseil spécial Au Québec, pendant la période entre les rébellions et l’Acte d’Union qui s’étend de 1838 à 1841, le Conseil spécial gouverne sans mandat électoral. S’il ne gouverne la province que durant une courte période, le Conseil aura néanmoins un impact considérable. On compte parmi ses réformes les plus importantes la création de nouvelles institutions pour les classes ouvrières urbaines, l’introduction de la franche tenure à Montréal et sa reconnaissance et sa réaffirmation du rôle social de l’Église catholique romaine. Le conseil permet l’entrée dans le Bas-Canada de nouveaux ordres religieux masculins et féminins, et les communautés l’autorisation de prendre de religieuses l’expansion. existantes Un autre reçoivent élément extrêmement important concerne les droits des femmes qui, au cours de cette période, sont de plus en plus réprimés au plan juridique. En 1841, par exemple, avec l’adoption de la « Registry Ordinance Act », une ordonnance stipulant la création de bureaux d’enregistrement, les droits des femmes sur le douaire dépendent désormais de l’enregistrement en bonne et due forme par le mari de la propriété de véhémence les traditions britanniques ainsi que ses propres positions privilégiées aux plans économique et politique. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 5 celui-ci, ce qui a pour effet de restreindre les droits de propriété des femmes mariées. L’Acte d’Union Adoptant certaines recommandations de Durham mais faisant fi de certaines autres, le gouvernement britannique unit le Haut et le Bas-Canada en vertu d’une seule législature. Les deux Canadas, renommés Canada-Est et Canada-Ouest, seraient représentés par quarante-deux sièges chacun. Sa population étant plus grande, le Canada-Est est sous-représenté au sein du nouveau système : les 450 000 habitants du Canada-Ouest ont le même nombre de représentants que les 650 000 habitants du Bas-Canada. Ajoutant l’insulte à l’injure, l’anglais est proclamé langue unique de la législature et du gouvernement, et puisque les dettes publiques des deux colonies sont combinées, le Bas-Canada se retrouve dans l’obligation de partager la responsabilité pour la dette beaucoup plus grande du Haut-Canada. Un gouvernement responsable Dès les années 1840, les quatre colonies de l’Atlantique (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et Île-du-PrinceÉdouard) et la Province du Canada-Uni sont toutes dotées d’assemblées formées de représentants élus, mais le pouvoir officiel demeure entre les mains d’une élite non élue. Certains exigent l’adoption des principes de gouvernement responsable, qui conféreraient aux membres élus de l’assemblée le contrôle ultime des affaires de l’État, tandis que d’autres s’y opposent farouchement. Aux yeux de leurs opposants, comme le gouverneur Sir Charles Metcalfe, 2 Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours (publié de 1845 à 1848). Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 6 les gouvernements responsables sont purement un moyen pour les dirigeants politiques canadiens d’octroyer des faveurs à leurs partisans. Malgré les voix dissidentes, la Nouvelle-Écosse devient en 1948 la première colonie à constituer un gouvernement responsable au sein de l’Empire britannique, suivie des autres colonies de l’Atlantique jusqu'en 1855. Dans la Province du Canada-Uni, les principes de gouvernement responsable font de plus en plus d'adeptes dans les années 1840, sous l’initiative de Robert Baldwin et de Louis-Hyppolyte LaFontaine, et deviennent une réalité avec l'élection de ces deux hommes en 1848. À la fin de cette décennie, toutefois, la situation dans les deux Canadas ne fait pas le bonheur de tous. Le projet de loi du nouveau gouvernement sur l'indemnisation des pertes occasionnées par la répression des rébellions provoque l'indignation des marchands montréalais, déjà furieux à la perspective de se voir ruinés par une économie chancelante. L’incendie du Parlement En indemnisant les citoyens dont la propriété avait subi des dommages durant les rébellions déclenchées dix ans auparavant, le gouvernement, aux yeux des marchands, admettait la légitimité des soulèvements. Marchant sur le nouvel édifice du Parlement le 25 avril 1849, les conservateurs anglophones de Montréal incendient le bâtiment qui sera réduit en cendres. La scène économique Tandis que les politiciens s’affrontent au sujet du gouvernement responsable, l’économie continue d’évoluer, passant d’un capitalisme préindustriel à un capitalisme industriel. Des réseaux de transports Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 7 bien implantés sont essentiels au développement du capitalisme, et dès les années 1840, la construction de canaux et de voies ferrées se poursuit à un rythme sans précédent. La construction ferroviaire Les chemins de fer, qui donnent accès à beaucoup plus de ressources et à de nouveaux marchés, assurent un transport à l’année longue qui n’est plus à la merci d’une météo imprévisible. Les deux plus importantes compagnies ferroviaires à faire leur apparition sont le Chemin de fer Intercolonial, reliant Montréal aux provinces maritimes, et le Chemin de fer du Grand Tronc, qui s’étend de Sarnia à Portland, dans le Maine, en passant par Montréal. Financée par les capitaux et l’expertise technologique britanniques, la construction des chemins de fer devient un élément central des affaires politiques canadiennes, et de 1852 à 1867, plus de 3 200 kilomètres de rails seront construits (Conrad et Finkel, p. 370). La construction irlandaise des canaux et l’immigration Outre des chemins de fer, on construit des canaux sur le SaintLaurent et la rivière Niagara, et l’arrivée massive des catholiques irlandais fuyant leur pays ravagé par la famine apporte une source importante de main-d’œuvre non qualifiée3. C’est d’ailleurs l’exploitation de la main-d’œuvre irlandaise dans la construction du canal Welland, en Ontario, qui a assuré à William Hamilton Merritt un pouvoir à la fois économique et politique. Entretenant souvent de vieilles rivalités, les ouvriers irlandais vivent dans des bidonvilles le 3 Il est à noter que de nombreux immigrants irlandais s’installent aussi dans les Maritimes. Bien que des conflits s’engagent entre ces immigrants d’obédience catholique et leur concitoyens protestants, cette situation n’est pas exceptionnelle Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 8 long du canal et forment une classe ouvrière extrêmement solidaire. Réagissant à l’exploitation économique dont ils sont victimes, les Irlandais deviennent reconnus pour la violence qu’ils exercent fréquemment aussi bien contre leurs employeurs qu’entre eux. Suite à leur arrivée en 1845-1846, le choléra apparaît et devient un problème sérieux menaçant de dévaster la population du Québec. Dans la ville de Québec, des émeutes sont déclenchées alors que des ouvriers s’attaquent à un hôpital soignant des victimes du choléra (Young et Dickinson, p. 174). Vers la Confédération Avec l’établissement des réseaux de transport et le développement de l’économie, les colonies de l’Amérique du Nord britannique commencent à examiner la possibilité d’une union politique. La Confédération n’est pas une idée nouvelle; un officier d’état-major britannique avait déjà parlé d’union en 1783, et cette idée avait été reprise durant une grande partie du siècle suivant par les représentants du gouvernement britannique et les autorités de la colonie. Les structures politiques établies par l’Acte d’Union de 1840 se révèlent inefficaces pour assurer la bonne marche des affaires de la province. Conçues pour assurer une majorité anglophone à l’assemblée en instaurant une représentation égale pour le Canada-Est et le Canada-Ouest, elles deviennent, dans les années 1860, peu favorables aux intérêts anglophones. Dans la période qui suit l’adoption de l’Acte d’Union, la population du Canada-Ouest augmente considérablement, passant à plus du double en 1851. En 1861, le Canada-Ouest compte 1 396 091 habitants comparativement a durant le 19e siècle. À titre d’exemple, la ville de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, est reconnue pour être alors le théâtre de violents conflits religieux. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 9 1 111 566 au Canada-Est. Pour redresser ce nouveau désavantage, les réformistes du Canada-Ouest commencent à exiger une représentation selon la population (« rep by pop »)4. George Brown Les intérêts divergents des diverses parties au sein de la législature accentuent les conflits, et la Province du Canada devient de plus en plus difficile à diriger. En 1864, le gouvernement de coalition démissionne en raison de son incapacité à trouver une formule pour gouverner la colonie, et de nombreux politiciens commencent à chercher d’autres solutions constitutionnelles. George Brown, chef du parti réformiste et propriétaire du Globe de Toronto, change de cap et accorde son appui à la Confédération, profondément convaincu que l’acquisition du Nord-Ouest ouvrirait de nouveaux horizons. Tendant la main à ses vieux adversaires politiques, Macdonald et Cartier, Brown propose une « Grande Coalition » formée des réformistes, des tories et des bleus, qui travailleraient ensemble pour promouvoir la Confédération. Le chef des rouges du Canada-Est, Antoine-Aimé Dorion, est exclu de la coalition et devient le parfait chef du mouvement d’opposition. L’opposition à l’Union En Ontario, les deux principaux partis faisant front commun, l’opinion publique est en général favorable à l’Union. Depuis les années 1850, l’élite de la communauté des affaires de Toronto a des vues sur les avantages économiques de l’expansion. Au Québec, toutefois, une multitude de voix dissidentes s’élèvent contre la Confédération. La plus influente est celle de Dorion, qui dénonce les immenses pouvoirs qui 4 Le principe de la représentation proportionnelle à la population signifie que la province obtient un nombre de sièges proportionnel à la taille de sa population. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 10 sont accordés au gouvernement fédéral. Tant à l’assemblée que dans les journaux, les rouges prétendent que la Confédération ne réglera pas les problèmes du Canada. La Confédération, clament-ils, a été conçue pour avantager les grandes compagnies ferroviaires et est fondamentalement antidémocratique de nature. La moindre des choses, disent-ils, aurait été de déclencher une élection sur la question. Craignant les conséquences pour la nation canadiennefrançaise, les rouges rappellent aux électeurs qu’en vertu de la Confédération, le gouvernement fédéral acquiert des pouvoirs beaucoup plus grands en matière d’impôt et de droit criminel et, peutêtre plus grave encore, il obtient le pouvoir de révoquer la législation provinciale. Les causes externes de l’Union Sur la scène internationale, les années 1860 sont marquées par la création de nombreux États. Pour les Canadiens, que les journaux tiennent au courant des développements internationaux, la création d’États « est dans l’air » (Trofimenkoff, p. 101). Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse parlent depuis déjà longtemps de réunifier leur colonie, qui avait été séparée en 1784, et le British Colonial Office commence à promouvoir la question d’une union maritime entre le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard. Lorsque la Province du Canada annonce son intention de faire partie des négociations, on organise la Conférence de Charlottetown de 1864. Au sud, la guerre civile américaine fait rage, et la possibilité que la Union Army dirige sa puissance militaire contre l’Amérique du Nord britannique à la fin de la guerre est extrêmement inquiétante. La Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 11 révocation de la réciprocité5 par les États-Unis, en 1866, et leur acquisition de l’Alaska en 1867 confirment le caractère menaçant de leur politique étrangère. Les raids des Féniens6, au Nouveau-Brunswick et au Canada-Ouest, renforcent en outre les arguments en faveur d’une défense centralisée. La Grande-Bretagne, impatiente d’éliminer ses dépenses pour la défense des colonies, encourage aussi fortement l’Union. Les causes internes de l’Union Les politiciens de l’Amérique du Nord britannique voient des avantages éventuels à un commerce national centré sur un axe estouest. Jusqu’à la Confédération, la Province du Canada effectuait des échanges commerciaux principalement avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, une situation renforcée par les accords commerciaux et les chemins de fer. Mais à cause de leur dépendance à l’égard du commerce extérieur, les colonies souffrent lorsque des problèmes économiques frappent la Grande-Bretagne et les États-Unis après 1857. Le gouvernement canadien et le chemin de fer du Grand Tronc éprouvent tous deux des difficultés financières, et des chefs politiques et économiques comme Alexander Galt et George-Étienne Cartier considèrent l’expansion comme la solution à leurs déboires économiques. La Confédération, croient-ils, tout en répartissant la dette parmi une plus grande population, fera naître de nouveaux marchés plus stables. Les intérêts internationaux, comme la Baring 5 Le Traité de réciprocité entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, en vigueur de 1854 à 1866, assurait le libre-échange des ressources primaires entre l’Amérique du Nord britannique et les États-Unis. Lorsque la demande des ressources de l’Amérique du Nord britannique était très élevée durant la guerre civile américaine des années 1860, le Canada a réalisé des profits considérables. 6 Les Féniens étaient des Américains d’origine irlandaise qui militaient en faveur de l’indépendance de l’Irlande. Dans leur tentative pour forcer le gouvernement britannique à libérer l’Irlande, les Féniens ont attaqué les colonies de l’Amérique du Nord britannique. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 12 Brothers Bank, déclarent qu’ils ne financeront une plus grande expansion ferroviaire qu’à la condition d’une union entre les colonies de l’Amérique du Nord britannique. Pour les manufacturiers du Québec et de l’Ontario, la Confédération aurait, outre l’avantage de créer de nouveaux marchés, celui d’imposer des droits d’importation qui contribueraient à protéger leurs industries de la concurrence étrangère. Pour les défenseurs de la Confédération dans les régions de l’Atlantique, tout particulièrement en Nouvelle-Écosse et au NouveauBrunswick, elle garantirait une plus grande croissance économique grâce à des marchés protégés et de meilleures liaisons ferroviaires. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 13 Suggestions de lecture Les principaux manuels généraux sur l’histoire canadienne, un bon point de départ pour approfondir la recherche, sont History of the Canadian Peoples: Beginnings to 1867 vol. 1 et 2, 3e éd. (Toronto : Addison Wesley Longman, 2002) de Margaret Conrad et Alvin Finkel; on peut trouver une histoire générale détaillée rédigée par un certain nombre de grands spécialistes dans Craig Brown, dir., The Illustrated History of Canada (Toronto : Key Porter Books, 1997); pour un bon compte rendu, voir Desmond Morton, A Short History of Canada 5e éd. (Toronto : McClelland and Stewart, 2001); pour un examen de l’histoire de l’Ontario après la Confédération, voir Joseph Schull, Ontario Since 1867 (Toronto : McClelland and Steward, 1978); Edgar-André Montigny et Lori Chambers, Ontario Since Confederation: A Reader (Toronto : University of Toronto Press, 2000); les textes faisant autorité sur la période de l’après-Condéfération dans l’histoire du Québec sont ceux de Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, et, pour le deuxième volume, de François Ricard, Histoire du Québec contemporain, tome I et tome II (Montréal : Boréal, 1989); pour un regard socio-économique sur le passé du Québec, voir John A. Dickinson et Brian Young, A Short History of Quebec 2e éd. (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2000); pour un examen de l’histoire sociale du Québec dans le contexte de l’idéologie et de l’expérience des femmes, voir Susan Mann Trofimenkoff, The Dream of Nation: A Social and Intellectual History of Quebec (Toronto : Gage Publishing Limited, 1983); pour un excellent survol de l’histoire des peuples autochtones du Canada, voir Olive Patricia Dickason, Canada’s First Nations: A History of Founding Peoples from Earliest Times 2e éd. (Toronto : Oxford University Press, 1997); pour des ouvrages généraux sur les femmes canadiennes, voir Canadian Women: A History (Toronto : Harcourt Brace, 1996); Collectif Clio, Quebec Women: A History, trad. Roger Gannon et Rosalind Gill (Toronto : Women’s Press, 1987); pour un survol de l’immigration dans l’histoire canadienne, voir Gerald Tulchinsky, Immigration in Canada: Historical Perspectives (Toronto : Copp Clark Longman Ltd., 1994); les revues spécialisées les plus importantes sur l’histoire canadienne sont la Canadian Historical Review et la Revue d’histoire de l’Amérique française; pour des études biographiques détaillées, voir le Dictionnaire biographique canadien. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 14 Pour un examen des raisons et des causes des rébellions du Bas-Canada, voir Allan Greer, The Patriots and the People: The Rebellion of 1837 in Rural Lower Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1993); Fernand Ouellet, Lower Canada, 1791-1840: Social Change and Nationalism (Toronto : Macmillan, 1981) et Economic and Social History of Quebec (Toronto : Macmillan, 1981). Pour des ouvrages sur les effets de l’immigration irlandaise, voir Don Akenson, The Irish in Ontario: A Study in Rural History (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1984); pour certains aspects plus sombres de l’histoire, voir Geoffrey Bilson, A Darkened House: Cholera in Nineteenth-Century Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1980); Scott See, Riots in New Brunswick: Orange Nativism and Social Violence in the 1840s (Toronto : University of Toronto Press, 1993); Ruth Bleasdale, « Class Conflict on the Canals of Upper Canada in the 1840s », Labour / Le Travail (vol. 7, 1981); pour un examen de la religion au Québec, voir Serge Gagnon et Louise Lebel-Gagnon, « Le milieu d’origine du clergé québécois 1775-1840 : mythes et réalités », Revue d’histoire de l’Amérique française (vol. 73, no 3, décembre 1983). Pour des ouvrages sur l’histoire des provinces de l’Atlantique, voir Phillip Buckner et John Reids, dir., The Atlantic Region to Confederation: A History (Toronto: University of Toronto Press, 1994); P.A. Buckner et David Frank, dir., The Acadiensis Reader: Atlantic Canada before Confederation, 2e édition, vol. 1 (Fredericton: Acadiensis Press, 1988); pour en savoir davantage sur les femmes et les Maritimes, voir Janet Guildford et Suzanne Morton, dir., Separate Spheres: Women’s Worlds in the Nineteenth-Century Maritimes (Fredericton: Acadiensis Press, 1994). Les princiaux ouvrages sur la période de la Confédération sont J. M. S. Careless, The Union of the Canadas: The Growth of Canadian Institutions, 18411857 (Toronto : McClelland and Stewart, 1967); D.G. Creighton, The Road to Confederation: The Emergence of Canada 1863-1867 (Toronto : Macmillan, 1964); Ramsay Cook, dir., Confederation (Toronto : University of Toronto Press, 1967); et Ged Martin, dir., The Causes of Canadian Confederation (Fredericton : Acadiensis Press, 1990); P.B. Waite, The Life an Times of Confederation, 1864-1867 (Toronto : University of Toronto Press, 1962); pour un aperçu de la Confédération dans la région de l’Atlantique, voir George Rawlyk, The Altlantic Provinces and the Problem of Confederation (St. John’s Backwater Press, 1980); pour un compte rendu Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 15 marxiste, voir Stanley Ryerson, Unequal Union: Confederation and the Roots of Conflict in the Canadas, 1815-1873 (Toronto : Progress Books, 1968). Pour un regard particulier sur le Québec durant cette période, voir Jean-Paul Bernard, Les rouges. Libéralisme, nationalisme et anticléricalisme au milieu du XIXe siècle. (Montréal : Les presses de l’Université du Québec, 1971); Arthur Silver, The French-Canadian Idea of Confederation, 1864-1900 (Toronto : University of Toronto Press, 1982). Pour des biographies de certaines des grandes figures historiques ayant participé aux débats sur la Confédération, voir Brian Young, George-Étienne Cartier, Montreal Bourgeois (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1981); J.M.S. Careless, Brown of the Globe (Toronto : Macmillan, 1959); D. G. Creighton John A. Macdonald: The Young Politician (Toronto : Macmillan 1965); A.A. den Otter, Civilizing the West: The Galts and the Development of Western Canada (Edmonton : University of Alberta Press, 1982). Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 16 1867-1896 Sur la scène politique L’Acte de l’Amérique du Nord britannique Le Dominion du Canada naît le 1er juillet 1867 en vertu d’un acte du Parlement britannique. Il regroupe environ quatre millions d’habitants, vivant dans quatre provinces : l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Contrairement aux ÉtatsUnis, le nouveau pays décide de conserver les institutions sociales et politiques britanniques et, craignant une démocratie excessive, est fondé sur les principes de « paix, ordre et bon gouvernement ». Nourri des espoirs et des rêves de ses citoyens, le Dominion lutte pour démontrer que les États-Unis n’offrent pas la seule formule viable pour l’Amérique du Nord. Au début, cependant, le droit de vote est réservé principalement aux propriétaires fonciers de sexe masculin, au détriment des femmes et de la majorité de la classe ouvrière. Exclues des négociations ayant mené à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les populations autochtones deviennent des pupilles du gouvernement fédéral. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick Au Québec, Cartier vante les mérites de la Confédération qu’il présente comme une façon pour le Québec d’exercer un contrôle politique indépendant sur la culture et l’éducation. Le fondement des droits provinciaux sera toutefois ébranlé par le rôle de subalterne que l’Acte de l’ANB réserve en réalité aux provinces. Contrairement à la façon dont ils ont présenté la Confédération, Cartier et ses bleus sont des partisans convaincus du centralisme politique. Si les Québécois Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 17 appuient la Confédération à contrecœur, le Nouveau-Brunswick envisage avec peu d’enthousiasme les possibilités économiques de l’Union. Le projet obtient le plus de faveur populaire en Ontario, où les deux grands partis politiques ont appuyé l’idée. Rêvant de chemins de fer et d’expansion vers l’Ouest, les Torontois se rassemblent à Queen’s Park le 1er juillet pour assister, aux dires de George Brown, « au plus beau spectacle de feux d’artifices jamais présenté au Canada ». D’emblée, l’Ontario joue un rôle prépondérant dans la Confédération. Originaire de Kingston, John A. Macdonald devient le premier premier ministre, et il nomme des Ontariens à cinq des treize postes ministériels. La ville d’Ottawa est en outre fermement établie comme la capitale permanente. La Nouvelle-Écosse et la Confédération Les Néo-Écossais, cependant, rejettent autant le consentement du Québec et du Nouveau-Brunswick que la jubilation de l’Ontario, et s’opposent fortement à la Confédération. Charles Tupper, premier ministre de la Nouvelle-Écosse, croit que la Confédération sera favorable à la Nouvelle-Écosse à long terme, mais, comme le démontrent clairement les résultats de l’élection de 1867 en NouvelleÉcosse, la majorité de ses concitoyens sont d’un autre avis. Lorsque la Grande-Bretagne refuse de permettre à la Nouvelle-Écosse de se retirer de l’Union, Joseph Howe, à la tête du mouvement d’opposition, accepte de siéger au cabinet de Macdonald en échange de subventions plus généreuses pour la province. La Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard Lors de l’élection fédérale de novembre 1867, la première dans l’histoire du pays, Macdonald et ses partisans remportent facilement la Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 18 majorité, détenant 108 sièges dans la toute nouvelle Chambre des Communes. Dans les années 1870, la Colombie-Britannique (1871) et l’Île-du-Prince-Édouard (1873) entrent toutes deux dans le nouveau dominion. Après la ruée vers l’or, la Colombie-Britannique s’était retrouvée avec une importante dette publique et, lors d’une rencontre à Ottawa, Cartier avait promis d’accorder à la province des subventions pour 60 000 habitants malgré le fait que sa population non autochtone ne s’élevait qu’à 28 000 habitants. Lorsque Cartier promet de relier la province de l’extrême Ouest à l’Est grâce à un chemin de fer transcontinental, les délégués ne peuvent plus refuser. Quant à l’Île-du-Prince-Édouard, elle devient une province en 1873 lorsqu’elle accepte l’offre d’Ottawa d’assumer sa dette de 3 millions de dollars et de racheter les terres des grands propriétaires. Sur la scène économique Suite à la Confédération, les événements qui se sont déroulés dans l’Ouest ont eu une importance capitale. Craignant que les ÉtatsUnis cherchent à obtenir le contrôle de l’ensemble du continent conformément à la doctrine d’une « destinée manifeste », Macdonald s’emploie rapidement à consolider les prétentions du Canada à l’égard des territoires de l’Ouest. En qualité de représentants du Canada, Cartier et William MacDougall se rendent à Londres en 1868 et achètent la Terre de Rupert7 au coût de 1,5 million de dollars. Ayant vu leur terre être transférée sans avoir été consultés, et voyant des arpenteurs débarquer chez eux, les habitants des nouveaux territoires 7 La Terre de Rupert désigne le territoire cédé à la Compagnie de la baie d’Hudson en 1670. Couvrant le territoire de l’ouest et du nord-ouest canadien, la Terre de Rupert était délimitée par le bassin d’alimentation de la Baie d’Hudson Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 19 ne partagent pas l’enthousiasme de Cartier et Macdonald au sujet des tentatives d’Ottawa pour contrôler l’Ouest. La rébellion de la Rivière-Rouge Les Métis de la Rivière-Rouge sont de loin les plus réticents, et sous la direction de Louis Riel, ils réussissent à établir un gouvernement provisoire dans la colonie. Réclamant que le Manitoba devienne une province au même titre que les autres, Riel portera ses revendications à l’extrême, faisant comparaître en cour martiale et condamnant à mort Thomas Scott, un orangiste de Toronto, en mars 1870. Si la nouvelle de l’assassinat de Scott soulève la colère des protestants ontariens, au Québec, Riel commence à être perçu par les catholiques comme un défenseur des droits des Canadiens français et des catholiques. Créant la province du Manitoba (1870) en réponse aux revendications des rebelles, le gouvernement fédéral refuse cependant d’accorder l’amnistie pour le meurtre de Scott, et Riel s’enfuit aux États-Unis. Quatorze ans plus tard, en 1885, les Métis l’invitent à revenir au Canada pour mener leur révolte. Formant encore une fois un gouvernement provisoire, Riel et ses partisans prennent les armes contre le gouvernement fédéral afin de défendre leurs revendications. Capturé et accusé de trahison, Riel est jugé coupable et exécuté, un événement qui polarisera une fois de plus l’opinion publique francophone et anglophone. Le scandale du Pacifique et la Politique nationale Comme le démontrent clairement les rébellions de Riel, diriger un pays aussi vaste que le Canada, avec ses diverses populations et ses intérêts multiples, était une tâche ardue. Après sa deuxième campagne électorale, l’administration de Macdonald Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 subit le 20 contrecoup du scandale du chemin de fer Pacifique8. C’est un libéral, Alexander Mackenzie, qui forme le gouvernement à la place de Macdonald. Si Mackenzie apporte d’importantes réformes, la promesse de Macdonald concernant l’adoption d’une « Politique nationale » favorisant l’immigration, établissant des droits de douane pour protéger les intérêts des Canadiens et poursuivant la construction des chemins de fer le reportera au pouvoir en 1878. À compter de 1879, Macdonald augmente les droits de douane de 15 % et il continuera de les augmenter tout au long des années 1880. L’industrie manufacturière prendra de l’expansion en Ontario et au Québec, et la construction ferroviaire sera stimulée. Sous la direction de George Stephen et de Donald Smith et financé par des investisseurs américains et britanniques, le nouveau Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), recevant des fonds du gouvernement, un monopole et des concessions de terre, s’engage à construire le chemin de fer jusqu’à l’océan Pacifique. Même si la main-d’œuvre est composée à la fois de travailleurs canadiens et étrangers, c’est aux immigrants chinois qu’il revient d’accomplir la plupart des tâches dangereuses et indésirables. Après des années de labeur, le CP est enfin terminé en 1885. Les Maritimes et la Politique nationale Bien qu’à ses débuts, la Politique nationale stimule la croissance économique dans la région de l’Est, elle a pour effet à long terme d’accroître l’industrialisation en Ontario et au Québec tout en laissant derrière les provinces de l’Atlantique. Durant la récession des années 8 Le scandale du Canadien Pacifique a terni la réputation de Macdonald à la suite de la deuxième élection fédérale. Ayant besoin de plus d’argent pour financer sa campagne électorale, Macdonald avait fait appel à Sir Hugh Allan. En retour, Allen avait reçu le contrat pour la construction du chemin de fer jusqu’au Pacifique. Lorsqu’une descente dans le bureau de l’avocat d’Allen mit au jour une multitude de preuves incriminant Macdonald, et que ces preuves furent remises entre les mains de l’opposition, le gouvernement Macdonald s’effondra. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 21 1890, des usines ferment leurs portes et le secteur manufacturier dans les Maritimes connaît un déclin par rapport à celui du centre du Canada. Déjà, au début du siècle suivant, la moitié de la valeur brute du secteur manufacturier canadien est concentrée en Ontario, et un autre tiers au Québec (Conrad et Finkel, p. 77). Le travail en industrie Au moment de la Confédération, la majorité des Canadiens vivent dans un environnement rural et gagnent leur vie grâce à l’agriculture ou à l’exploitation des ressources naturelles. La famille constitue habituellement la main-d’œuvre de base. Dans les années 1880, le travail rémunéré à l’extérieur de la maison et réalisé dans un environnement urbain devient de plus en plus courant. Le travail en industrie est souvent dégradant, dangereux et sous-payé, et les femmes et les enfants qui travaillent dans les usines reçoivent la moitié du salaire des hommes. Pour les personnes sans-emploi et les travailleurs saisonniers, les durs hivers canadiens ont un effet punitif. Les tavernes fréquentées par les ouvriers, comme la célèbre taverne Joe Beef de Montréal, permettent aux travailleurs occasionnels de se divertir et de se loger à peu de frais; elles deviendront donc les pivots d’une culture naissante de la classe ouvrière. À mesure que l’industrialisation progresse, les ouvriers prennent de plus en plus conscience de leurs intérêts collectifs. Dépassant le cadre des premiers syndicats de métiers, par exemple, les chevaliers du Travail s’installent au Canada dans les années 1880 et tentent de syndiquer à la fois les travailleurs et travailleuses de tous les niveaux de compétences et groupes ethniques. Les mouvements réformistes exercent aussi une grande influence sur la structure de la classe ouvrière. L’Armée du Salut, par exemple, qui est très populaire auprès des femmes Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 22 ouvrières, milite contre « l’immoralité » des classes populaires, tente de « réchapper » ceux qui « se sont égarés» et offre une aide spirituelle aux personnes les plus touchées par l’industrialisation. Sur le plan idéologique Le mouvement Canada First Durant la période qui suit la Confédération, les fondements idéologiques de l’Ontario et du Québec continuent de se développer. Une tradition locale littéraire et culturelle commence à prendre forme en Ontario. Susanna Moodie et Catherine Parr Traill, par exemple, ont écrit abondamment sur leur vie dans la nature sauvage de l’Amérique du Nord9. De plus, un groupe restreint, mais influent, de riches Ontariens forme le mouvement Canada First dans les années 1870. Croyant à la nécessité de créer un « esprit national » reposant sur l’alliance du Canada avec la Grande-Bretagne, le groupe espère construire une nation protestante. Les Canadiens, avance-t-il dans la Canadian Monthly and National Review, sont des descendants de races nordiques qui sont bien adaptés à la vie dans l’environnement nordique du pays. Rejetant nettement tout besoin de reconnaître l’identité canadienne-française, le mouvement Canada First est résolument élitiste, méprisant aussi bien les classes ouvrières que les peuples autochtones. Les « Canada Firsters » ne monopolisent cependant pas l’opinion publique, puisqu’on voit apparaître des défenseurs des liens serrés avec la Grande-Bretagne et des partisans de relations plus étroites avec les États-Unis. Si le sentiment impérialiste prend de l’ampleur, Goldwin Smith, dans son Canada and the Canadian Question (1891), maintient que les États-Unis devraient Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 23 annexer le Canada. Une « union entre le Canada et l’État américain, comme celle de l’Écosse et de l’Angleterre », soutient-il, « ne pourrait qu’apporter de grands avantages ». L’Église catholique romaine Durant cette période, l’Église catholique romaine affermit son pouvoir au Québec. Unissant l’ultramontanisme européen au nationalisme québécois, l’élite cléricale consolide son influence. L’un des ultramontains les plus irréductibles du Québec est Ignace Bourget, évêque de Montréal de 1840 à 1876, qui croit que le pape à Rome devrait représenter l’autorité suprême de la société. Bourget, comme son homologue Louis-François Laflèche, évêque de Trois-Rivières (1870-1898), s’emploie à implanter une doctrine catholique conservatrice. L’Église mettra sur pied des institutions et réduira le pouvoir de l’État en matière d’éducation. Le libéralisme au Québec Malgré les efforts des ecclésiastiques conservateurs, le libéralisme est présent dans la société du Québec. L’un des plus importants mouvements d’opposition aux ultramontains naît d’une controverse entourant l’Institut canadien. Ce club de Montréal, en activité du milieu des années 1840 au milieu des années 1870, offre à ses quelque 2 000 membres une bibliothèque bien garnie et un lieu où les hommes peuvent échanger des idées libérales. L’Institut exerce une grande influence, comme en témoigne la présence parmi ses membres de Wilfrid Laurier, qui jouera un rôle de premier plan dans la formation des rouges, et plus tard du parti Libéral. Discutant des idéaux libéraux concernant le progrès et les droits des femmes, les 9 Voir Backwoods of Canada (1836), de Traill, et Roughing it in the Bush (1852), de Moodie. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 24 membres sont des lecteurs avides et font fit des sanctions du clergé. Le conflit entre l’Institut et l’Église atteint un po int culminant lors du décès d’un des membres, Joseph Guibord. Bourget refuse son enterrement en terre consacrée, et la famille de Guibord en appelle au Conseil privé d’Angleterre qui ordonnera qu’il soit enterré comme un catholique, conformément aux droits civils. Incapable d’accepter que les tribunaux aient outrepassé l’autorité papale, Bourget déconsacrera le lieu de sépulture où Guibord est enterré. Comme le démontre l’affaire Guibord, l’influence sociale de l’Église n’a pu freiner les forces de la modernisation et de la libéralisation qui balayaient le monde occidental durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle. En 1896, au grand désarroi de l’Église, un libéral canadien-français et ancien membre de l’Institut est élu premier ministre; Laurier allait mener le Canada vers une nouvelle étape de sa croissance. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 25 Suggestions de lecture Pour une histoire générale de la période, voir P.B. Waite, Canada, 1874-1896: Arduous Destiny (Toronto : McClelland and Stewart, 1971). Pour une histoire des rébellions de la Rivière-Rouge et du Nord-Ouest, voir Gerhard Ens, Homeland to Hinterland: The Changing Worlds of the Red River Métis, 1869-1885 (Waterloo : Wilfrid Laurier University Press, 1988); Frits Pannekoek, A Snug Little Flock: The Social Origins of the Red River Resistance, 1869-1870 (Winnipeg : Watson & Dywer, 1991); George Stanley, The Birth of Western Canada: A History of the Riel Rebellions (Toronto : University of Toronto Press, 1970); Thomas Flanagan, Riel and the Rebellion: 1885 Reconsidered (Saskatoon : Western Producer Prairie Books, 1983); pour un regard sur le développement des relations entre Autochtones et Européens, voir J.R. Miller, Skyscrapers Hide the Heavens: A History of Indian-White Relations in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1989). Pour un regard sur la politique canadienne vis-à-vis l’Ouest, voir V.C. Fowke, The National Policy and the Wheat Economy (Toronto : University of Toronto Press, 1957); pour une histoire de la colonisation de l’Ouest, voir John W. Bennett et Seena B. Kohl, Settling the Canadian-American West, 1890-1915: Pioneer Adaptation and Community Building (Lincoln : University of Nebraska Press, 1995); pour l’histoire économique du Québec, voir Jean Hamelin et Yves Roby, Histoire économique du Québec, 1851-1896 (Montréal : Fides, 1971); sur la construction ferroviaire, voir W. Kaye Lamb, History of the Canadian Pacific Railway (New York : Macmillan, 1977); John Eagle, The Canadian Pacific Railway and the Development of Western Canada (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1989); Brian Young, Promoters and Politicians: The North-Shore Railways in the History of Quebec 1854-85 (Toronto : University of Toronto Press, 1978). Pour des ouvrages traitant du rôle de l’Église catholique au Québec, voir Nive Voisine, Histoire de l’Église catholique au Québec 1608-1970 (Montréal : Fides, 1971); Nive Voisine et Jean Hamelin, dir., Les ultramontains canadiens-français (Montréal : Boréal, 1985); sur l’expérience des femmes au sein des structures de l’Église catholique, voir Marta Danylewycz, Taking the Veil (Toronto : McClelland & Stewart, 1987). Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 26 Pour un regard sur la culture de la classe ouvrière durant la période suivant la Confédération, voir Peter DeLottinville, « Joe Beef of Montreal: Working Class Culture and the Tavern, 1869-1889 », Labour / Le Travailleur 8-9 (1981-1982); Bryan Palmer, A Culture in Conflict: Skilled Workers and Industrial Capitalism in Hamilton, Ontario, 1860-1914 (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1979); Gregory S. Kealey et Bryan D. Palmer, « The Bonds of Unity: The Knights of Labor in Ontario, 1880-1900 », Histoire Sociale / Social History 14:28 (novembre 1981); Lucia Ferretti présente un bon compte rendu des transformations au sein d’une paroisse de Montréal dans Entre Voisins : La société paroissiale en milieu urbain : Saint-PierreApôtre de Montréal, 1848-1930 (Montréal : Boréal Express, 1985). Sur la façon dont les femmes ont vécu l’industrialisation, voir Susan Trofimenkoff, « One Hundred and Two Muffled Voices: Canada’s Industrial Women in the 1880s » dans MacDowell et Radforth, dir., Canadian Working-Class History: Selected Readings (Toronto : Canadian Scholars’ Press, 1992); Bettina Bradbury, Working Families: Age, Gender, and Daily Survival in Industrializing Montreal (Toronto : McClelland and Stewart, 1993); Bettina Bradbury, « Women and Wage Labour in a Period of Transition: Montreal, 1861-1881 » dans Bercuson et Bright, dir., Canadian Labour History: Selected Readings, 2e éd. (Toronto : Copp Clark Longman, 1994); Marjorie Cohen, Women’s Work, Markets and Economic Development in Nineteenth Century Ontario (Toronto : University of Toronto Press, 1988); Joy Parr, The Gender of Breadwinners: Women, Men and Change in Two Industrial Towns, 1880-1950 (Toronto : University of Toronto Press, 1990). Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 27 1896-1919 Sur la scène politique Wilfrid Laurier Les élections de 1896, qui consacrent Wilfrid Laurier premier ministre, marquent un point tournant majeur dans l’histoire du Canada. Mettant fin au règne des conservateurs à la Chambre des communes, les libéraux domineront la scène politique canadienne pendant la quasi-totalité du siècle suivant. De 1896 à 1929, le Canada subira d’importants changements : les Prairies seront colonisées et se joindront à la Confédération (Alberta et Saskatchewan, 1905), les nouveaux immigrants transformeront la composition ethnique du pays, et l’économie connaîtra une croissance fulgurante. Mais si l’économie prend de la maturité, la richesse est de plus en plus concentrée et les monopoles consolident leur contrôle sur la société canadienne. Les immigrants qui ne sont ni Français ni Britanniques sont bien accueillis et le développement des ressources se poursuit, particulièrement dans les secteurs des mines et de l’hydroélectricité. Enfin, la Première Guerre mondiale modifie encore plus profondément la société canadienne. L’arrivée au pouvoir de Laurier coïncide avec une reprise économique, et la population en vient à associer son gouvernement libéral à la prospérité qui s’ensuit. En 1893, Laurier, alors chef de l’opposition, abandonne le libre-échange et accepte plusieurs principes de la Politique nationale de Macdonald. Dominé par l’industrie manufacturière, le centre du pays a moins de crainte à voter pour les libéraux. Laurier, qui allait remporter trois autres élections fédérales, en vient même, ironiquement, à symboliser l’essence même de la Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 28 Politique nationale : la construction ferroviaire se poursuit, l’Ouest est colonisé et les industries prospèrent. L’établissement du système d’éducation publique Durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, l’éducation prend de l’importance. L'éducation étant désignée compétence provinciale par l’Acte de l’ANB, les provinces sont libres de créer leurs propres systèmes et normes. Des ministères de l’éducation sont créés et l’on se dirige graduellement vers une éducation gratuite et obligatoire. En Ontario, Egerton Ryerson fait vigoureusement campagne en faveur de la création d’écoles publiques. En 1871, la province fonde des écoles secondaires et instaure graduellement un système de fréquentation obligatoire de l’école primaire. Au Québec, malgré la création initiale d’un ministère de l’éducation, dissous en 1875, des comités confessionnels catholiques et protestants contrôlent l’éducation par le truchement du Conseil de l’instruction publique, et, en général, l’établissement du système d’éducation prend du retard sur le reste du pays. Vu l’opposition féroce des groupes confessionnels à toute intervention de l’État en matière d’éducation, il faut attendre 1943 avant l’abolition des frais de scolarité et l’adoption de l’éducation obligatoire. La prise en charge de l’éducation par l’État et l’établissement d’un ministère de l’Éducation (1964) ne se produisent qu’au moment de la Révolution tranquille des années 1960. Sur la scène économique La colonisation de l’Ouest Si la construction ferroviaire et l’expansion des industries canadiennes du centre alimentent toutes deux le boom économique, c’est la colonisation de l’Ouest qui embrasera l’imagination du Canada Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 29 anglais. Avec la diminution du nombre de terres agricoles distribuées gratuitement aux États-Unis, l’Ouest canadien devient « the last best west » (les meilleures terres nouvelles), et c’est alors que débute une colonisation à grande échelle. La demande croissante, dans des pays industriels comme la Grande-Bretagne, pour les ressources naturelles du Canada contribue grandement à assurer la prospérité du pays. Se chiffrant à seulement 14 millions de dollars en 1900, les exportations de blé, par exemple, sont évaluées à 279 millions de dollars en 1920 (Cook, p. 380-381). L’immigration Mais le développement de l’Ouest dépend de l’immigration. Clifford Sifton, ministre de l’Immigration de Laurier, travaille sans relâche pour promouvoir l’immigration au Canada, tant en Europe qu’aux États-Unis. Des deux millions de personnes qui viendront au Canada de 1896 à 1911, près d’un million s’installeront dans l’Ouest. On se souviendra de Sifton pour son désir et sa capacité d’attirer des gens ayant une « expérience de l’agriculture », modifiant ainsi de façon radicale la composition ethnique de la société canadienne. D’origine essentiellement française et britannique, les colons voient arriver des immigrants de l’Europe de l’Est et de l’Ouest; en 1921, 54 % de la population de l’Ouest est née à l’extérieur du Canada. L’urbanisation Les premières années du vingtième siècle ont également d’importantes répercussions sur des centres industriels comme Montréal et Toronto. Les communautés d’immigrants sont liées par les liens de parenté, la langue et une expérience commune d’exploitation économique. Vivant des tensions avec les populations dominantes et Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 30 les membres de leurs propres communautés arrivés au Canada plus tôt, les immigrants juifs et italiens, par exemple, réussissent à former des communautés culturelles distinctes. Les conditions de vie et de travail des classes ouvrières représentent les aspects les plus sombres et les plus occultés de cette « ère de prospérité ». En outre, en raison de la division du travail en fonction du sexe, de la discrimination au niveau des salaires et de leur exclusion du travail organisé, les femmes reçoivent toujours des salaires inférieurs à ceux de leurs homologues masculins. Le mouvement de réforme de la classe moyenne Les problèmes sociaux causés par l’industrialisation inquiètent grandement les réformistes de la classe moyenne. À titre d’exemple, Herbert Brown Ames fait une description détaillée des conditions de vie des ouvriers de Montréal, dans son ouvrage The City below the Hill (1897). Au début du vingtième siècle, les églises protestantes en Ontario sont très engagées dans le mouvement de réforme progressiste. Se démarquant des réformistes évangélistes qui les ont précédés, les réformistes progressistes soutiennent que la pauvreté est causée, du moins en partie, par les ratés du système économique. Les presbytériens, les méthodistes et les baptistes mènent le mouvement « social gospel » qui, transcendant le salut spirituel, vise l’amélioration des conditions sociales des classes ouvrières. Tentant de créer un « royaume de Dieu sur Terre », les églises protestantes mettent sur pied des missions urbaines et des maisons d’entraide, et font pression en faveur de l’adoption de la Loi sur le dimanche, qui accorderait aux ouvriers au moins un jour de repos par semaine. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 31 Sur le plan idéologique L’impérialisme canadien Au tournant du vingtième siècle, l’Ontario et le Québec connaissent d’importants changements au plan idéologique. Durant les années qui précèdent la Première Guerre mondiale, l’impérialisme devient la forme dominante de nationalisme parmi les Canadiens anglais qui recherchent la sécurité de l’Empire britannique au sein duquel ils espèrent que le Canada joue un rôle plus important. Selon le politologue Louis Balthazar, puisque les Canadiens anglais n’ont pas de mythe national concernant la fondation de leur nation, « l’Empire, la Couronne deviennent leur mythe social, leur légitimation, leur raison d’être comme société » (Balthazar, p. 84). Les Canadiens anglais croient, malgré leur loyauté envers la Grande-Bretagne, que le Canada a la destinée de jouer un rôle important au sein de l’Empire. Comme le mentionne l’historien Carl Berger, le sentiment de nationalité « reposait sur une conception arrêtée du passé du Canada, de son caractère national, de sa mission dans l’avenir, et à sa source se trouvait un désir d’importance, et la volonté d’effacer les traces de la colonisation » [trad.] (Berger, p. 259). Pour illustrer l’attitude impérialiste, l’historien et économiste politique Stephen Leacock a comparé l’Angleterre à un vieil homme et le Canada à son fils, parvenu à maturité. Dans l’esprit de la plupart des Canadiens, l’impérialisme est une forme de nationalisme puisqu’en partageant les responsabilités de l’Empire, le Canada, espèrent-ils, augmenterait son pouvoir de façonner les politiques impériales en sa faveur. L’impérialisme a aussi beaucoup d’impact auprès des communautés religieuses, et du haut de leur chaire, les chefs religieux livrent souvent un message impérialiste. Chez les protestants des diverses confessions, c’est à qui exercera le Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 32 plus d’influence sur le développement de la nation. Ce profond attachement à l’Empire se reflète en outre dans l’approbation massive, par les Canadiens anglais, de la participation à l’effort de guerre britannique en Afrique du Sud. Lorsqu’on annonce aux nouvelles que les Britanniques ont forcé les Boers à se replier, les étudiants universitaires descendent dans les rues en chantant des chants militaires, et les usines et les écoles ferment leurs portes. Le nationalisme canadien-français Si les Canadiens anglais se préparent à aller au front, les Canadiens français, beaucoup moins chauds à l’idée de défendre l’Empire britannique, remettent en cause l’attachement du Canada à la Grande-Bretagne. À Montréal, Canadiens français et anglais s’affrontent dans des batailles de rue. Henri Bourassa, député libéral, refuse d’appuyer l’effort de guerre britannique, démissionne de son poste au sein du gouvernement Laurier et devient le principal porteparole du nouveau nationalisme canadien-français. Bourassa veut que le Canada rompe ses liens avec l’Empire britannique et qu’il se reconstitue à titre de pays indépendant basé sur une égalité pancanadienne des francophones et des anglophones. Considéré comme un traître à l’extérieur du Québec, Bourassa devient la voix d’une population canadienne-française de plus en plus isolée, qui refuse de participer aux conflits impériaux. Mais l’opposition de Bourassa à l’impérialisme canadien-anglais ne s’arrête pas à sa dénonciation de la participation du Canada à la guerre des Boers. Suite à la décision de Laurier de créer, avec la Loi navale de 1909, une petite marine « de pacotille », Bourassa rejette l’engagement envers la défense impériale alors qu’en même temps, les Canadiens anglais dénoncent l’insignifiance de la flotte. Après avoir fondé le quotidien Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 33 montréalais Le Devoir en 1910, Bourassa verra son influence augmenter radicalement lors des controverses entourant la Première Guerre mondiale. La Première Guerre mondiale En 1914, la guerre est subitement déclenchée en Europe, et les Canadiens croient d’abord que le conflit sera de courte durée. À titre de colonie, le Canada est tenu de participer à l’effort de guerre impérial en vertu de la déclaration de guerre britannique. Impatients de s’enrôler, des jeunes hommes, la plupart des nouveaux immigrants originaires de la Grande-Bretagne, remplissent bientôt les rues des grandes villes du pays. Malgré une organisation boiteuse et des instructions confuses, 31 000 hommes et 8 000 chevaux sont envoyés en Europe. Au Canada anglais, les citoyens patriotiques créent des campagnes de recrutement massives et, au nom du patriotisme impérial, évincent les Allemands et les Autrichiens de la fonction publique et font pression pour que la ville de Berlin, en Ontario, soit rebaptisée Kitchener. L’effort de guerre du Canada Mais c’est la faible participation canadienne-française à la guerre, cependant, qui préoccupe l’opinion canadienne-anglaise et qui rallume les vieilles hostilités. Seulement 13 000 des recrues du Corps expéditionnaire canadien (CEC) sont de langue française, et s’ils étaient au départ sympathiques à la cause des alliés, l’appui des Canadiens français à la guerre s’estompe au fur et à mesure que le conflit progresse. Commandé par des officiers britanniques dont les ordres sont donnés en anglais, le CEC ne donne pas aux Canadiens français l’impression d’être les bienvenus. De leur côté, les Canadiens Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 34 français ne ressentent pas le besoin particulier d’aller défendre les intérêts de l’Empire britannique. La Loi du service militaire En mai 1917, avec la Loi du service militaire, le premier ministre Borden impose la conscription pour les hommes célibataires âgés de 20 à 35 ans. Si de nombreux fermiers et agriculteurs au Canada anglais sont en défaveur de la Loi, l’opposition la plus forte vient du Québec. Ayant besoin d’un nouveau mandat pour mettre son projet en œuvre, Borden, avec un gouvernement de coalition formé de conservateurs et de libéraux dissidents, déclenche une élection. Pour s’assurer de la victoire, Borden étend le droit de vote aux membres masculins et féminins du CEC, ainsi qu’aux épouses, aux mères et aux sœurs des soldats. En outre, les immigrants naturalisés après 1902 perdent le droit de vote. Les résultats divisés de l’élection reflètent l’état de polarisation du pays : si le parti unioniste remporte 153 sièges, les libéraux balaient le Québec, se faisant élire dans 62 des 65 circonscriptions. La crise de la conscription Son mandat en poche, Borden autorise la conscription, et pour la première fois dans l’histoire, le gouvernement du Québec discute de la possibilité d’une sécession. La tension monte encore lorsqu’en mars 1918, de violentes démonstrations anti-conscription à Québec se transforment en émeutes. Lorsque la police de Québec refuse d’intervenir et de disperser les foules, le gouvernement fédéral dépêche des troupes qui ouvrent le feu, tuant quatre civils. Si les conséquences militaires de la conscription sont négligeables, et que seulement 24 000 conscrits ont réellement participé à des combats en Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 35 France, les effets fractionnels de la crise de la conscription se feront sentir longtemps dans l’avenir (Conrad et Finkel, p. 209). Le contrecoup de la guerre Lorsque la Grande Guerre prend fin en novembre 1918, il est clair que le Canada a profondément changé. Six cent mille Canadiens ont participé au conflit, et 60 661 y ont perdu la vie. Beaucoup de ceux qui sont revenus ont souffert de blessures physiques ou psychologiques. En raison de son grand sacrifice à l’effort de guerre, le Canada renforce son profil sur la scène internationale. Représenté dans la délégation britannique lors de la conférence sur la paix de Paris, le Canada, affichant une partie de son indépendance nouvellement acquise, signe pour la première fois dans son histoire un traité multilatéral international. En 1918, le gouvernement d’union, s’appuyant sur les réformes de la Loi des élections en temps de guerre, étend le droit de vote aux femmes aux élections fédérales, et dans les années 1920, la plupart des gouvernements provinciaux avaient emboîté le pas et accordé également aux femmes le droit de voter aux élections. Le Québec fait cependant exception, et l’influence conservatrice refuse le droit de vote aux femmes jusqu’en 1940. Sur la scène économique L’épidémie de grippe espagnole La paix ne résout pas les graves problèmes sociaux, économiques et de santé publique qui accablent le Canada. À l’automne 1918, par exemple, presque autant de Canadiens meurent de la grippe espagnole que ceux qui ont perdu la vie à la guerre. De plus, avec le retour des soldats sur le marché du travail, et le passage Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 36 d’une économie de guerre à une économie de paix, les tensions dans les usines s’aggravent et une vague de radicalisme ouvrier balaie le pays. Ainsi, l’affiliation syndicale passe de 143 000 membres en 1915 à 378 000 en 1919, plusieurs partisans de la gauche s’inspirant de la révolution bolchevique en Russie. En 1919, lors d’une réunion de la Western Labour Conference, à Calgary, des délégués créent un syndicat industriel appelé « One Big Union » pour défendre les ouvriers dans la lutte des classes. La grève générale de Winnipeg Le 15 mai 1919, le Winnipeg Trades and Labour Congress déclenche une grève générale, et près de 30 000 travailleurs, dont seulement 12 000 sont syndiqués, débraient. Même s’il s’agit de l'action la plus longue et la plus complète du genre, la grève de Winnipeg n’est qu’un élément de la révolte ouvrière qui balaie le pays et l’Occident entier durant la période de l’après-guerre. Par exemple, selon les historiens Ian McKay et Suzanne Morton, les habitants des provinces maritimes se sont soulevés par milliers entre 1917 et 1925 pour exiger des changements profonds. Ils ont créé un troisième parti politique et disputé certaines des grèves les plus spectaculaires et sauvages de toute l’histoire canadienne. (Morton et McKay, p. 43) De nombreux Canadiens craignent une révolution violente, et le gouvernement se hâte d’étouffer les éléments radicaux. Aux termes de l’article 98 du Code criminel, Ottawa interdit tout groupe soupçonné de prôner le renversement du gouvernement. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 37 Suggestions de lecture L’urbanisation et l’industrialisation à Montréal sont bien documentées dans l’ouvrage de Paul-André Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération (Montréal : Boréal, 1992); Terry Copp, The Anatomy of Poverty: The Condition of the Working Class in Montreal, 1897-1929 (Toronto : McClelland and Stewart, 1974); Terry Copp, « The Conditions of the Working Class in Montreal, 1867-1920 », Historical Papers (1972); Lucia Ferretti, Entre Voisins : La société paroissiale en milieu urbain : Saint-Pierre Apôtre de Montréal, 1848-1930 (Montréal : Boréal, 1992). Au sujet de l’idéologie canadienne-anglaise au tournant du siècle, voir Carl Berger, The Sense of Power: Studies in the Ideas of Canadian Imperialism (Toronto : University of Toronto Press, 1970); pour un compte rendu de la participation du Canada à la guerre des Boers, voir Carman Miller, Painting the Map Red (Montréal : McGill-Queen’s Press, 1993). Au sujet du nationalisme canadien-français durant la période, voir Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec (Montréal : l’Hexagone, 1986); Casey Murrow, Henri Bourassa and French-Canadian Nationalism: Opposition to Empire (Montréal : Harvest House, 1968); Joseph Levitt, Henri Bourassa and the Golden Calf (Ottawa : Les éditions de l’Université d’Ottawa, 1969); au sujet du développement du nationalisme clérical dans les années 1920, voir Susan Mann Trofimenkoff, L’Action Française: French-Canadian Nationalism in the Twenties (Toronto : University of Toronto Press, 1975). Pour un regard très intéressant sur la réforme sociale, voir Mariana Valverde, The Age of Light, Soap and Water: Moral Reform in English Canada, 1885-1925 (Toronto : McClelland and Steward, 1991); également utile, l’ouvrage de Ramsay Cook, The Regenerators: Social Criticism in Late Victorian English Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1985). Pour un survol de l’histoire de la classe ouvrière durant la période, voir Bryan Palmer, The Working Class Experience: Rethinking the History of Canadian Labour, 1800-1991 (Toronto : McClelland and Stewart, 1992); pour une interprétation quelque peu différente, voir Desmond Morton, Working People: An Illustrated History of the Canadian Labour Movement (Toronto : Summerhill, 1990); et pour un regard sur le mouvement ouvrier au Québec, voir Jacques Rouillard, Histoire du Syndicalisme au Québec (Montréal : Boréal Express, 1989); pour un aperçu de la Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 38 révolte ouvrière des Maritimes, voir Ian McKay et Suzanne Morton, « The Maritimes: Expanding the Circle of Resistance » dans Craig Heron, dir., The Workers’ Revolt in Canada, 1917-1925 (Toronto : University of Toronto Press, 1998). Pour plus d’information sur l’expérience des femmes, voir le Collectif Clio, Quebec Women: A History (Toronto : Women’s Press, 1987); Bettina Bradbury Karen Dubinsky, « "Maidenly Girls" or "Designing Women"? The Crime of Seduction in Turnof-the-Century Ontario » dans F. Iacovetta et M. Valverde, dir., Gender Conflicts: New Essays in Women’s History (Toronto : University of Toronto Press, 1992); Carolyn Strange, Toronto’s Girl Problem: The Perils and Pleasures of the City, 18801930 (Toronto : University of Toronto Press, 1995); Pour d’excellents comptes rendus de l’expérience des immigrants au Canada au début du vingtième siècle, voir Irving Abella, A Coat of Many Colours: Two Centuries of Jewish Life in Canada (Toronto : Key Porter Books Limited, 1999); Bruno Ramirez, Les Premiers Italiens de Montréal : L’origine de la Petite Italie du Québec (Montréal : Boréal Express, 1984); Geralt Tulchinsky, Taking Root: The origins of the Canadian Jewish Community (Toronto : Lester Publishing, 1992). Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 39 1919-1945 Sur la scène politique William Lyon Mackenzie King Le radicalisme ouvrier de l’après-guerre se poursuit au début des années 1920, avant de perdre graduellement son élan révolutionnaire. Les élections de 1921 voient naître une nouvelle ère politique canadienne. L e Parti progressiste, un parti de protestation qui défend principalement les intérêts des agriculteur, surprend tout le monde en se classant deuxième avec 64 sièges. Le Parti libéral de William Lyon Mackenzie King, un ancien fonctionnaire possédant une vaste expérience des relations de travail, prend cependant les rênes du pays, qu’il conservera pendant la majeure partie des trois prochaines décennies. Les élections de 1921 marquent également un point tournant dans l’histoire des femmes au Canada. Signe du rôle grandissant qu’elles allaient jouer dans l’arène politique, Agnes Macphail devient la première femme députée. Mais les femmes, qui n’ont pas encore le statut de « personnes » au sens de la loi, demeurent exclues du Sénat canadien et continuent d’occuper des rôles subordonnés dans presque toutes les sphères de la société. Au lieu de prétendre à la victoire, elles accueillent le droit de vote et l’accès d’Agnes Macphail à la Chambre des communes comme un premier pas de la lutte féministe qui se poursuivra tout au long du siècle. Malgré de grands efforts, le gouvernement King perd rapidement de sa popularité, surtout dans les Maritimes et dans l’Ouest. En 1925, lors des élections suivantes, il doit se contenter d’un gouvernement minoritaire. Conscient du fait qu’il n’est plus en position de gouverner, Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 40 Mackenzie King demande au gouverneur général, Lord Byng, de dissoudre la Chambre des communes. Lord Byng refuse et demande au chef conservateur Arthur Meighen de former un gouvernement. Mais le gouvernement Meighen s’écroule rapidement et, lors des élections suivantes, Mackenzie King reprend facilement le pouvoir grâce à une campagne axée sur la « stabilité » et la « démocratie ». Or, diriger un pays en période de prospérité économique est plutôt facile comparativement aux défis posés en période de récession. Quand l’économie se met à s’effondrer, les provinces s’adressent à Ottawa pour obtenir des fonds de secours. Mackenzie King montre alors à quel point il est insensible aux préoccupations de l’électorat. Opposé à l’octroi de fonds de secours, il prononce en Chambre des communes un discours désastreux que ses opposants ne seront pas prêts d’oublier. Fier de son budget équilibré, il riposte à la demande des provinces en affirmant que « pour combattre le prétendu problème de chômage », il n’accorderait « même pas une pièce de cinq cents ». Moins de quatre mois plus tard, le 28 juillet 1930, la population punit Mackenzie King de son indifférence en donnant aux conservateurs de R.B. Bennett une majorité de 137 sièges contre 91 à la Chambre des communes. R.B. Bennett et son « New Deal » canadien Il ne faut pas attendre longtemps, toutefois, avant que la colère de la population à l’endroit de Mackenzie King ne s'abatte à son tour sur Bennett. À mesure que la dépression s’intensifie, l’image d’homme d’affaires millionnaire que renvoie Bennett commence à contrarier la population affamée. Pendant la plus grande partie de son mandat, Bennett, un partisan de l’économie de laisser-faire, refuse ardemment d’étendre le rôle de l’État. La population et son propre cabinet sont Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 41 donc surpris de l’entendre annoncer un programme de réforme économique et sociale d’envergure quelques mois avant les élections fédérales de 1935. Sur les traces de l’Américain Franklin D. Roosevelt, Bennett présente à la radio les paramètres de sa nouvelle plate-forme d’action gouvernementale. Mais ses nouvelles propositions de réforme arrivent trop tard, et la population peu convaincue redonne le pouvoir au gouvernement libéral de Mackenzie King. Malgré une campagne libérale fondée sur le slogan « King ou chaos », un nombre sans précédent de Canadiens, méfiants des partis politiques traditionnels et des politiciens indifférents, ne votent ni pour les libéraux ou les conservateurs. Plus la richesse de la population canadienne s’évapore et plus les partis de protestation acquièrent de la popularité. Les luttes sur les compétences constitutionnelles Compte tenu du niveau sans précédent de misère causé par la dépression, les querelles sur les compétences constitutionnelles et le financement des programmes sociaux se font constantes entre les différents paliers de gouvernement. Lorsque King reprend le pouvoir en 1935, il somme la Cour suprême de trancher sur la validité constitutionnelle des mesures législatives du « New Deal » de Bennett. La Cour déclare anticonstitutionnels les éléments principaux du programme, à la grande consternation des sociaux-démocrates canadiens qui y avaient enfin vu un signe de réforme. Les compétences constitutionnelles préoccupent également la classe politique provinciale. En 1936, Maurice Duplessis et son parti de l’Union nationale10 mettent fin à 39 années de règne libéral au Québec. Faisant fi des promesses de réforme qu’il avait faites durant sa 10 Le gouvernement de l’Union nationale a été créé au Québec à la suite de la fusion du petit Parti conservateur provincial de Duplessis et d’un groupe de libéraux mécontents. Après avoir gagné ses élections, cependant, Duplessis a réussi à prendre le plein contrôle du parti. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 42 campagne électorale, le premier ministre Duplessis fait la cour aux grandes entreprises et à l’Église catholique, réprime le mouvement syndical et promet de « défendre » le Québec contre l’ingérence fédérale dans les secteurs de compétence provinciale. Pendant que Duplessis tient les rênes du pouvoir au Québec et défend ardemment les compétences constitutionnelles de la province, Mitchell Hepburn suit une politique semblable en Ontario. Ensemble, Duplessis et Hepburn cherchent à défendre les compétences provinciales et, par conséquent, s’opposent farouchement au programme d’assurancechômage de Mackenzie King. La Commission Rowell-Sirois Durant la seconde moitié des années 1930, la question des compétences constitutionnelles empoisonne constamment l’atmosphère politique. King, qui s’oppose à toute action décisive permettant d’atténuer les effets de la dépression, forme la Commission royale d’enquête sur les relations entre le Dominion et les provinces, mieux connue sous le nom de Commission Rowell-Sirois, chargée d’étudier la situation et d’émettre des recommandations. Le fait de soumettre la question à un comité permet à King d’éviter de prendre des mesures concrètes, du moins dans l'immédiat. Sur la scène économique L’après-guerre Au lendemain de la Grande Guerre, le gouvernement d’union et les libéraux qui l’ont remplacé prônent le retour à des doctrines économiques libérales d’avant-guerre, qui accordent la primauté aux « forces du marché » et s’opposent à toute forme d’intervention de l’État. Dans un tel contexte, les Canadiens sans-emploi souffrent et, faute de système d’assistance publique appréciable, sont obligés de Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 43 compter sur des dons privés et des mesures de soutien locales mal administrées. Le Mouvement des droits des Maritimes Dans l’Est du Canada, la fin de la guerre marque le début d’une crise économique sans précédent. Frappée par une récession et une vague croissante de radicalisme ouvrier, la région connaît une chute de 40 % de sa production agricole entre 1917 et 1921. Pis encore, pendant que le reste du pays connaît la prospérité économique durant la deuxième moitié des années 1920, l’économie des Maritimes n'arrive pas à sortir du marasme de l'après-guerre, et plus de 100 000 personnes doivent quitter la région pour trouver un emploi dans des lieux plus prospères. Cet exode crée un déclin relatif de la population des Maritimes par rapport au reste du pays et entraîne une réduction du nombre de ses représentants à Ottawa (Conrad et Finkel, p. 232). Le gouvernement fédéral semble indifférent aux difficultés de la région, ce qui n'aide en rien la situation. Aux yeux des habitants des Maritimes, il ne fait que satisfaire les intérêts du Centre et de l’Ouest du Canada. Par exemple, durant la guerre, la fusion du chemin de fer Intercolonial et de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada signifie des pertes d’emplois et, pour Halifax et St-Jean, la fin du statut de plaques tournantes du commerce international. Rassemblant des groupes divers et dirigé principalement par l’élite professionnelle et du monde des affaires, le Mouvement des droits des Maritimes exige, outre des subventions fédérales plus importantes, la prise en compte des intérêts de la région dans les politiques nationales en matière de transport et de tarifs. Le mouvement joue un rôle important sur la scène politique électorale des années 1920, obligeant même la création de la Commission royale sur les réclamations des Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 44 provinces maritimes (1926), avant de disparaître à la fin de la décennie. Le gouvernement King fait cependant fi de la plupart des recommandations de la Commission (Conrad et Finkel, p. 232-233). La prospérité économique des années 1920 Les difficultés économiques du début des années 1920 font lentement place à la croissance durant la seconde moitié de la décennie. S’appuyant sur une économie américaine forte, de nouvelles industries manufacturières voient le jour en Ontario. Le Québec, qui connaît également une expansion de son secteur manufacturier, se tourne vers l’exploitation des richesses naturelles. Grâce au capital et au savoir-faire canadiens et américains, les secteurs miniers, forestiers et hydro-électriques occupent une place centrale dans les économies ontarienne et québécoise. Les villes prennent de l’expansion au même rythme que les industries. La population de Toronto augmente de 32 % durant cette période et celle de Montréal grimpe de 38 % (Brown, p. 426). La Crise de 1929 La prospérité économique qui, en général, caractérise les années 1896 à 1929 connaît une fin brutale en 1929. L’effondrement de la bourse américaine n’est que le symptôme le plus visible de problèmes économiques majeurs. Il faut peu de temps au Canada, comme à la plupart des pays occidentaux, pour sombrer dans une profonde dépression. Afin d’adoucir les effets de l’effondrement, les nations ont recours à des politiques protectionnistes qui, selon elles, protègeront leurs industries intérieures. Pour le Canada, qui dépend de ses exportations agricoles (80 % des produits agricoles canadiens sont exportés et la récolte de 1928 a déjà produit un surplus sur le marché), la crise a des effets catastrophiques. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 45 La dépression dans l’Ouest, le Centre et l’Est Alors que l'on croit avoir vu le pire, les Prairies, déjà durement frappées par la crise économique, subissent l’une des pires sécheresses et invasions de sauterelles de leur histoire. Les récoltes sont dévastées et un grand nombre de gens perdent leurs moyens de subsistance. L’industrie manufacturière canadienne en ressent aussi les contrecoups et sa production chute du tiers entre 1929 et 1932 (Thompson, p. 196). Le taux de chômage du Canada grimpe de façon draconienne de 13 % en 1930 à 26 % en 1933, et le revenu net passe de 417 millions de dollars à 109 millions de dollars durant la même période (Cook, p. 444; Morton, p. 107). Mais aucune région ne peut comparer son désespoir à celui de Terre-Neuve (qui ne fait pas encore partie du Canada). L’effondrement des marchés d’exportation des richesses naturelles s’avère désastreux pour la colonie, dont les pêches, les produits forestiers et les minéraux représentent 98 % des exportations. Aux prises avec une dette écrasante et un malaise social grandissant, la chambre d’assemblée de Terre-Neuve décide, en désespoir de cause, de suspendre la démocratie et de céder le pouvoir à une commission nommée par les Britanniques et chargée de diriger la province tout au long de cette décennie tumultueuse. La vie durant la dépression À mesure que l’économie s’effondre et que le taux de chômage grimpe, les prix chutent. Pour les travailleurs qui réussissent à conserver leur emploi, la baisse du coût de la vie compense amplement les réductions salariales. Les fonctionnaires du gouvernement du Dominion connaissent même une hausse du niveau de vie de 25 % entre 1926 et 1933 (Bliss, p. vi). Pour les sans-emploi, cependant, la situation est tout autre : à une époque où l’on associe la Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 46 pauvreté à de mauvaises valeurs morales ou au manque d’initiative, il y a peu de structures de soutien, voire aucune, en place pour amortir le choc. Durant toute la décennie, les administrations fédérale, provinciales et municipales se renvoient la responsabilité des frais de secours. Et lorsqu’elles offrent enfin de l’assistance, celle-ci s’accompagne de critères de résidence stricts et de travaux forcés. Les préjugés de la classe dirigeante, voulant qu'il y ait de l’emploi pour ceux qui veulent vraiment travailler, font beaucoup de victimes chez les personnes dans le besoin. Si les chômeuses acceptent souvent des emplois avilissants comme domestiques, les chômeurs célibataires ont plutôt tendance à traîner les rues, et constituent par conséquent un grave danger social aux yeux du gouvernement. Les camps de secours Pour composer avec la situation, les administrations fédérale et provinciales créent des camps de secours. Sous discipline militaire (les camps fédéraux sont même administrés par le ministère de la Défense nationale), les chômeurs célibataires sont forcés d’y travailler pour un salaire d’environ 20 cents par jours. Colère et frustration Au bord de la famine, de nombreux Canadiens éprouvent le besoin d’écrire au premier ministre Bennett pour lui raconter leur misère. Dans sa lettre au premier ministre, Charles Grierson exprime bien le désespoir ressenti par un grand nombre de Canadiens : Cher Monsieur Il y a quelque temps, je vous écris une lettre pour vous demander de l’aide ou un travail. Ça fait maintenant 40 mois que je n’ai pas eu le plaisir de recevoir une paye. Sous-alimentée, mal vêtue et sans abri décent, ma famille a besoin d’assistance médicale. Combien de temps pensez-vous qu’on peut continuer comme ça? Vous avez dit que personne ne mourrait de faim au Canada. J’imagine que vous vouliez dire mourir de faim du jour au lendemain. Mais lentement notre famille et des milliers d’autres risquent de le faire peu à peu…. Pour l’amour de Dieu, s’ilvous-plaît faites personnellement quelque chose pour m’aider à améliorer notre situation immédiatement. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 47 Bien à vous, Charles Grierson [traduction libre] Certaines personnes s’en prennent même personnellement au premier ministre qui, selon elles, n’en fait pas assez pour aider la population. La lettre suivante d’un ouvrier anonyme résume clairement la colère collective du peuple canadien : Eh bien, M. R.B. Bennett, êtes-vous un homme ou non? pour être la cause de toute cette famine et privation. Vous nous appelez des misérables, mais si nous sommes des misérables, vous n’êtes rien d’autre qu’un misérable vous aussi. Même pire. Vous avez dit que si vous étiez élu, vous alliez tous nous donner des emplois et un salaire. Eh bien, vous êtes premier ministre depuis quatre ans, et nous cherchons encore un emploi et un salaire. Vous nous avez enlevé tous nos emplois. On ne peut plus gagner de l’argent. Vous dites qu’on mérite un camp de secours, mais vous n’en méritez même pas un, M. Bennett. Vous profitez vous-même du secours. Vous mettez de côté votre gros salaire du gouvernement, puis lui demandez de payer pour vos festins pendant que nous, pauvres hommes, nous mourons de faim (cité par Bliss, p. 47 et 95). [traduction libre] La pauvreté aiguë et le manque d’emplois valorisants ne peut faire autrement que d’inciter la population à remettre en question les structures économiques et politiques existantes, voire même à chercher à les remplacer. Les années 1930 connaissent donc un élargissement sans précédent de l’éventail politique et d’une grande effervescence d’idéologies. Sur la scène idéologique Les nouveaux groupes politiques La gravité de la crise économique des années 1930 a des répercussions profondes sur la population canadienne. De nouveaux groupes politiques semblent poindre de partout, annonçant leur mécontentement envers le gouvernement et prônant le changement. Les jeunes et les femmes, qui se méfient de la classe dirigeante, expriment leur manque de confiance envers l’élite politique et économique qui dirige la société, se frayent un chemin sur la scène politique et créent des organisations politiques autonomes. Ils Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 48 s’unissent à des groupes traditionnels à majorité masculine pour remettre en cause les paradigmes libéraux classiques. L’opposition au libéralisme classique Fondé sur les concepts de primauté des forces de marché, de liberté individuelle et de droit à la propriété privée, le libéralisme classique domine la pensée politique et économique jusqu’aux années 1930. Mais aux yeux d’une population en détresse constituée d’un nombre sans précédent de chômeurs, le libéralisme classique s’avère incapable de répondre aux besoins de la société. Informées de la situation en Europe par leurs journaux quotidiens, certaines personnes commencent à chercher des solutions de rechange. L’extrême gauche Aux deux extrémités de l’éventail politique, des groupes radicaux s’établissent et suscitent un intérêt sans précédent. À l’extrême gauche, le Parti communiste du Canada (PCC) prône la révolution totale comme seule solution à la crise économique. Fondé en 1921 dans une grange des environs de Guelph, en Ontario, le parti s’emploie à syndiquer différents métiers et obtient un grand succès auprès des ouvriers immigrants. La gravité de la dépression aide la cause du parti, qui commence à acquérir de la popularité parmi les travailleurs canadiens. Mais en raison du danger qu’il constitue pour l’ordre établi, le Parti communiste est soumis à une répression policière brutale. En 1931, son chef Tim Buck et bon nombre de ses membres sont arrêtés et écopent d’une peine de cinq ans au pénitencier de Kingston. Malgré la légalisation du parti par Mackenzie King en 1936, la répression se poursuit. Au Québec, le régime de Duplessis fait fi des libertés civiles et ne tolère aucune dissidence politique. Lors d’une visite de trois délégués de la nouvelle République espagnole en 1936, le clergé – Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 49 motivé par la peur – demande au gouvernement de sévir contre les communistes. Duplessis est heureux d’accéder à sa requête et fait adopter, en mars 1937, la Loi du cadenas, qui lui permet de cadenasser de force tout édifice utilisé à des fins « communistes ». Les défenseurs des libertés civiles exigent en vain du gouvernement fédéral qu’il rejette la loi. L’extrême droite À l’autre bout de l’éventail politique, des groupes d’extrêmedroite font également irruption. Durant les années 1930, les partis fascistes trouvent des appuis notamment chez de nombreux immigrants allemands et italiens. Antisémites, anticommunistes et antihomosexuels, les fascistes tentent de maintenir l’harmonie sociale et voient d’un bon œil la fierté allemande et italienne restaurée. Le fascisme se répand aussi dans les grandes villes canadiennes, principalement à Montréal, où ses adeptes se présentent comme les défenseurs de la religion catholique et des Canadiens français. La Co-operative Commonwealth Federation Outre les organisations communistes et fascistes, d’autres groupes voient le jour qui sont probablement tout aussi radicaux, mais moins extrêmes. La nouvelle Ligue en faveur de la reconstruction sociale, par exemple, exige au début de la décennie l'apport de changements profonds au système économique. Fondée en 1932, la Co-operative Commonwealth Federation (CCF, à l’origine du Nouveau parti démocratique) exerce une influence beaucoup plus grande. Regroupement de nombreux groupes politiques divers, la CCF énonce clairement ses intentions politiques dans son manifeste, citant qu’aucun gouvernement de la CCF ne sera satisfait avant d’avoir fait complètement disparaître le capitalisme et mis entièrement en œuvre Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 50 le programme de planification socialisée qui mènera à l’établissement au Canada du Commonwealth coopératif. Gagnant peu à peu du terrain sur les scènes provinciales et fédérale, la CCF fait une brèche permanente dans le régime de dualité de parti et constitue une menace sérieuse pour le parti au pouvoir. La naissance du « néo-libéralisme » Même si l’apparition de mouvements politiques n’apporte pas de changements radicaux, l’ampleur de la dépression démontre clairement que le chômage ne provient pas simplement d’un manque d’initiative personnelle et que le gouvernement ne peut continuer sans revoir ses grandes structures économiques. Dès le milieu des années 1930, par conséquent, de nombreuses personnes commencent à promouvoir un néo-libéralisme fondé sur l’établissement de programmes sociaux universels, l’intervention de l’État en matière d’économie et une rhétorique d’égalité des chances. Repris en partie dans le « New Deal » manqué de Bennett, ce néo-libéralisme trouve ses plus ardents défenseurs parmi un groupe de jeunes économistes qui se frayent un chemin au sein du gouvernement fédéral et jettent les bases du futur État providence de l’après-guerre. Or, en même temps que l’on redéfinit les rôles des administrations provinciales et fédérale et s’apprête à lentement apporter des réformes au Canada, la guerre éclate en Europe et balaie ces questions sous le tapis. Le Canada se prépare en vue d’un nouveau conflit européen. La Deuxième Guerre mondiale Comme le fait si bien remarquer Arthur Lower en mai 1939, chaque nouveau jour, « avec son lot d’agressions allemandes, nous fait clairement comprendre que l’ancien ordre mondial, au sein duquel le Canada jouissait d’un grand confort, est en train de disparaître. » Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 51 Après des années de tensions et de peurs croissantes, le Canada déclare la guerre à l’Allemagne le 10 septembre 1939, sept jours après la Grande-Bretagne. Le gouvernement adopte la Loi sur les mesures d’urgence, qui lui confère la plupart des responsabilités énoncées dans le rapport de la Commission royale Rowell-Sirois. L’impasse dans laquelle se trouve le duo Duplessis-Hepburn et Mackenzie King cède la place à des questions plus pressantes. Adélard Godbout Quand Duplessis annonce la tenue d’élections en octobre 1939, il se présente comme le vrai défenseur du Québec et rappelle aux électeurs qu’ils ont été trahis en étant appelés sous les drapeaux durant la Première Guerre mondiale. Mais quand les dirigeants libéraux promettent qu’il n’y aura pas de conscription, la population leur fait confiance et Adélard Godbout est élu premier ministre du Québec. Au nombre de ses réformes, Godbout accorde enfin le droit de vote aux Québécoises. L’effort de guerre du Canada et la conscription Dans l’espoir d’éviter l’envoi de troupes terrestres au combat en Europe, Mackenzie King s’engage à créer un programme de formation de pilotes alliés. En limitant l’effort de guerre canadien à la formation de pilotes, il pense pouvoir échapper au clivage national qui a marqué la Première Guerre mondiale. Mais, outre-mer, la situation se détériore rapidement. Après la « drôle de guerre », l’Europe tombe vite aux mains des forces hitlériennes en progression et la Grande-Bretagne doit lutter pour sa survie. En 1942, les choses se présentent mal pour les Alliés et le Canada passe au stade de « guerre totale ». Pour envoyer assez de soldats en Europe, toutefois, le pays doit une fois de plus recourir à la conscription. Se rappelant la promesse qu’il a faite au Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 52 Québec de ne pas l’imposer, King décide de résoudre la question par plébiscite national. Lors du vote qui suit, 64 % de la population canadienne se prononce en faveur de la conscription; au Québec, cette proportion n’atteint que 28 %. Même si la conscription n’a pas d’effet considérable sur l’effort de guerre du Canada, elle divise une fois de plus le pays et aura des conséquences bien après la fin de la guerre. Les femmes et la guerre La guerre a également d’importantes répercussions sur la vie des femmes. Même si les postes de combat sont réservés aux hommes, plus de 43 000 d’entre elles se joignent au personnel non combattant de l’Armée canadienne à titre d’infirmières, de secrétaires, de machinistes et autres. Étant donné la pénurie subite de main-d’œuvre masculine au pays, d’autres accèdent pour la première fois au marché du travail et des garderies ouvrent leurs portes pour prendre soin des enfants durant la journée. Quand la guerre finit, toutefois, les garderies ferment; le gouvernement et les hommes s’attendent à ce que les femmes reprennent le travail domestique. La fin de la guerre et l’émergence d’un nouveau Canada Tandis que la guerre tire lentement à sa fin, il devient de plus en plus évident que le pays ne sera plus jamais le même. Dans les années 1940, la CCF acquiert rapidement de la popularité à l’échelle fédérale et provinciale. En 1944, le chef de la CCF, Tommy Douglas, forme le premier gouvernement social-démocrate en Saskatchewan. Pour empêcher une prise de pouvoir complète de la CCF et par désir keynésien de maintenir le pouvoir d’achat et de faire en sorte que le pays ne sombre pas de nouveau dans la misère économique, les libéraux fédéraux entreprennent l’édification d’un État-providence Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 53 centralisé, basé à Ottawa. La création d’un régime d’assurancechômage fédéral en 1940 et d’un programme de prestations familiales11 en 1944 marque le début d’une expansion fédérale soutenue. Dans l’après-guerre, le désir de reprendre la vie normale gagne la population canadienne, les projets de mariage et de famille stoppés pour cause de guerre reprennent, et les nouveaux programmes sociaux offrent un sentiment de sécurité. Ces trois éléments entraînent une hausse de la natalité sans précédent qui se poursuit jusqu’aux années 1960. Pendant la décennie et demie qui suit, l’explosion démographique, l’expansion de l’État et la naissance d’une nouvelle culture de consommation –héritage de la période 19191945 – jettent les bases de la société canadienne moderne. 11 Aux termes des mesures législatives initiales, les mères d’enfants de moins de 16 ans reçoivent entre 5 $ et 8 $ par enfant. Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 54 Suggestions de lecture Pour consulter de bonnes enquêtes sur cette période, voir John Thompson et Alan Seager, Canada, 1922-1939: Decades of Discord (Toronto : McClelland and Stewart, 1985) et Ian Drummond, Robert Bothwell et John English, Canada, 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1987); pour un aperçu de la situation au Québec, voir Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain: Le Québec depuis 1930, nouvelle édition révisée (Montréal : Boréal compact, 1989); pour un aperçu des répercussions de la dépression sur les idéologies au Québec, voir Idéologies au Canada français, 1930-1939, Fernand Dumont, Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy, dir. (Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1978). Pour un aperçu de l’agitation politique dans les Maritimes, voir Ernest R. Forbes, Maritime Rights: The Maritime Rights Movement, 1919-1927 (Montréal: McGill-Queen’s University Press, 1979), E.R. Forbes et D.A. Muise, dir., The Atlantic Provinces in Confederation (Toronto : University of Toronto Press, 1993); voir aussi Gary Burrill et Ian McKay, dir., People, Resources and Power: Critical Perspectives on Underdevelopment and Primary Industries in the Atlantic Region (Fredericton : Acadiensis Press, 1987); pour un aperçu des soulèvements ouvriers dans les Maritimes, voir Ian McKay et Suzanne Morton, « The Maritimes: Expanding the Circle of Resistance » dans The Workers’ Revolt in Canada, 1917-1925, Craig Heron, dir. (Toronto : University of Toronto Press, 1998); pour consulter un excellent article sur les difficultés propres à la documentation de l’histoire des provinces de l’Atlantique, voir Ian McKay, « A Note on ‘Region’ in Writing the History of Atlantic Canada », Acadiensis XXIX, vol. 2 (printemps 2000). Pour des ouvrages en histoire sociale de la dépression, voir Blair Neatby, The Politics of Chaos: Canada in the Thirties (Toronto : Macmillan, 1972); pour consulter une série déchirante de lettres adressées à R.B. Bennett durant la dépression, voir Michael Bliss, dir., The Wretched of Canada: Letters to R.B. Bennett, 1930-1935 (Toronto : University of Toronto Press, 1971); pour un regard sur le Québec, voir Dans le sommeil de nos os : quelques grèves au Québec de 1934 à 1944 (Montréal : Black Rose Books, 1975); fait surprenant, peu d’ouvrages ont été écrits sur la condition sociale au Québec durant la dépression; pour une excellente exception à cette règle, voir Denyse Baillargeon, Ménagères au temps de la crise (Montréal : Éditions du Remueménage, 1991). Pour le Parti communiste du Canada, voir Ian Angus, Canadian Bolsheviks (Montréal : Vanguard, 1981), Ivan Avakumovic, The Communist Party in Canada: A History (Toronto : McClelland and Stewart, 1975); il existe une vaste documentation sur la FCCA, mais les ouvrages principaux sont ceux de Walter Young, Anatomy of a Party: The National CCF, 19321961 (Toronto : University of Toronto Press, 1969) et Norman Penner, From Protest to Power: Social Democracy in Canada 1900-Present (Toronto : Lorimer, 1992); pour un très bon examen Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003 55 du rôle des femmes de la gauche, voir Joan Sangster, Dreams of Equality: Women on the Canadian Left, 1920-1950 (Toronto : McClelland and Stewart, 1989); pour un aperçu spécifique du Québec, voir Andrée Lévesque, Virage à gauche interdit: les communistes, les socialistes, et leurs ennemis au Québec, 1929-1939 (Montréal : Boréal Express, 1984); pour un aperçu de la Ligue en faveur de la reconstruction sociale, voir Michiel Horn, The League for Social Reconstruction (Toronto : University of Toronto Press, 1980); pour un regard sur l’autre extrémité de l’éventail politique, voir Lita-Rose Betcherman, The Swastika and the Maple Leaf (Toronto : Fitzhenry and Whiteside, 1975). Pour des ouvrages sur l’évolution du libéralisme et le rôle des intellectuels dans la fonction publique, voir Doug Owram, The Government Generation: Canadian Intellectuals and the State, 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1986), Barry Ferguson, Remaking Liberalism: The Intellectual Legacy of Adam Shortt, O.D. Skelton, W.C. Clark, and W.A. Mackintosh, 1890-1925 (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1993); pour un aperçu des répercussions de l’émergence de l’État-providence sur les femmes, voir Nancy Christie, Engendering the State: Family, Work, and Welfare in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 2000). De nombreux ouvrages ont été écrits sur la Deuxième Guerre mondiale. Pour les ouvrages principaux, voir J.L. Granatstein and Desmond Morton, A Nation Forged in Fire: Canadians and the Second World War (Toronto : Lester and Orpen Dennys, 1989); pour l’ouvrage principal sur la conscription, voir J.L. Granatstein et J.M. Hitsman, Broken Promises: A History of Conscription in Canada (Toronto : Oxford University Press, 1979); pour un examen de l’internement des Japonais durant la Deuxième Guerre mondiale, voir Ann Gamer Sunahara, The Politics of Racism: The Uprooting of Japanese Canadians During the Second World War (Toronto : Lorimer, 1981); pour un regard sur les questions intérieures durant la guerre, voir J.L. Granatstein, Canada’s War: The Politics of the Mackenzie King Government, 1939-1945 (Toronto : Oxford University Press, 1975); pour un excellent aperçu du rôle des femmes durant la guerre, voir Ruth Roach Pierson, ‘They’re Still Women After All’: The Second World War and Canadian Womanhood (Toronto : McClelland and Stewart, 1986). Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003