les grands événements de l`histoire canadienne

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les grands événements de l`histoire canadienne
LES GRANDS ÉVÉNEMENTS DE L’HISTOIRE CANADIENNE
DE 1840 À 1945
Par Sean Mills
Sous la direction de Brian Young, Université McGill
Traduit de l’anglais par Denise Parent
MARS 2003
Musée McCord d’histoire canadienne
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ............................................................. 1
1840-1867.................................................................. 3
Sur la scène politique................................................................... 3
Le contrecoup des rébellions ...................................................... 3
Lord Durham............................................................................ 3
Le Conseil spécial ..................................................................... 4
L’Acte d’Union .......................................................................... 5
Un gouvernement responsable ................................................... 5
L’incendie du Parlement............................................................. 6
La scène économique ............................................................... 6
La construction ferroviaire.......................................................... 7
La construction des canaux et l’immigration irlandaise ................... 7
Vers la Confédération ............................................................... 8
George Brown .......................................................................... 9
L’opposition à l’Union ................................................................ 9
Les causes externes de l’Union ................................................. 10
Les causes internes de l’Union .................................................. 11
Suggestions de lecture ............................................................ 13
1867-1896................................................................ 16
Sur la scène politique ............................................................. 16
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique ................................... 16
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique en Ontario, au Québec et
au Nouveau-Brunswick ............................................................ 16
La Nouvelle-Écosse et la Confédération ...................................... 17
La Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard ..................... 17
Sur la scène économique ........................................................ 18
La rébellion de la Rivière-Rouge................................................ 19
Le scandale du Pacifique et la Politique nationale......................... 19
Les Maritimes et la Politique nationale ....................................... 20
Le travail en industrie.............................................................. 21
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
Sur le plan idéologique ........................................................... 22
Le mouvement Canada First ..................................................... 22
L’Église catholique romaine ...................................................... 23
Le libéralisme au Québec ......................................................... 23
Suggestions de lecture ............................................................ 25
1896-1919................................................................ 27
Sur la scène politique ............................................................. 27
Wilfrid Laurier ........................................................................ 27
L’établissement du système d’éducation publique ........................ 28
Sur la scène économique ........................................................ 28
La colonisation de l’Ouest ........................................................ 28
L’immigration ......................................................................... 29
L’urbanisation ........................................................................ 29
Le mouvement de réforme de la classe moyenne ........................ 30
Sur le plan idéologique ........................................................... 31
L’impérialisme canadien........................................................... 31
Le nationalisme canadien-français ............................................. 32
La Première Guerre mondiale ................................................... 33
L’effort de guerre du Canada .................................................... 33
La Loi du service militaire ........................................................ 34
La crise de la conscription ........................................................ 34
Le contrecoup de la guerre....................................................... 35
Sur la scène économique ........................................................ 35
L’épidémie de grippe espagnole ................................................ 35
La grève générale de Winnipeg ................................................. 36
Suggestions de lecture ............................................................ 37
1919-1945................................................................ 39
Sur la scène politique ............................................................. 39
William Lyon Mackenzie King .................................................... 39
R.B. Bennett et son « New Deal » canadien ................................ 40
Les luttes sur les compétences constitutionnelles ........................ 41
La Commission Rowell-Sirois .................................................... 42
Sur la scène économique ........................................................ 42
L’après-guerre........................................................................ 42
Le Mouvement des droits des Maritimes ..................................... 43
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
La prospérité économique des années 1920................................ 44
La Crise de 1929 .................................................................... 44
La dépression dans l’Ouest, le Centre et l’Est .............................. 45
La vie durant la dépression ...................................................... 45
Les camps de secours.............................................................. 46
Colère et frustration ................................................................ 46
Sur la scène idéologique......................................................... 47
Les nouveaux groupes politiques............................................... 47
L’opposition au libéralisme classique.......................................... 48
L’extrême gauche ................................................................... 48
L’extrême droite ..................................................................... 49
La Co-operative Commonwealth Federation ................................ 49
La naissance du « néo-libéralisme » .......................................... 50
La Deuxième Guerre mondiale .................................................. 50
Adélard Godbout..................................................................... 51
L’effort de guerre du Canada et la conscription ........................... 51
Les femmes et la guerre .......................................................... 52
La fin de la guerre et l’émergence d’un nouveau Canada .............. 52
Suggestions de lecture ............................................................ 54
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
INTRODUCTION
Du dix-neuvième au début du vingtième siècle, le Canada a
connu de profonds bouleversements sur les plans politique, social et
idéologique. De 1840 à 1945, des visions changeantes de la nation ont
façonné les idéologies canadienne-anglaise et canadienne-française.
Au plan politique, l’Acte d’Union, la constitution de gouvernements
responsables
Confédération
(d'abord
ont
en
modifié
Nouvelle-Écosse
en
1848)
et
la
en
les
structures
du
profondeur
gouvernement. Si l’Acte d’Union (1840), qui avait pour but d’accélérer
l’assimilation des Canadiens français, a donné naissance à un système
fédéral non officiel, il est devenu de plus en plus évident, dans les
années 1860, que le compromis politique entre le Canada-Est et le
Canada-Ouest n’était plus possible. Encouragés par la GrandeBretagne et mus par la crainte des États-Unis, la Nouvelle-Écosse, le
Nouveau-Brunswick et la Province du Canada-Uni conviennent de
former le Dominion du Canada en 1867. Durant cette période, on
assiste au Québec à une augmentation du pouvoir et de l’influence de
l’Église catholique romaine. Régissant à la dépopulation des régions
rurales et à l’impact de l’industrialisation, l’Église met les citoyens en
garde contre le protestantisme et tente de préserver la « mission
providentielle » des Canadiens français. En outre, les Canadiens
anglais espèrent exercer une plus grande influence au sein de l’Empire
Musée McCord d’histoire canadienne
2
britannique. Durant les années qui mènent à la Première Guerre
mondiale et tout au long du conflit, l’impérialisme canadien-anglais
affrontera le nationalisme naissant des Canadiens français, inspiré par
Henri Bourassa. La prospérité économique des années 1920, la
dépression des années 1930 et l’expansion de l’État canadien durant et
après la Deuxième Guerre mondiale ont contribué à faire du Canada ce
qu’il est aujourd’hui.
En examinant le Canada et ses liens avec le monde plus large de
la côte atlantique, nous tenterons de cerner les forces politiques,
sociales et idéologiques dominantes ainsi que les événements qui ont
façonné
l’histoire
développements
du
Canada.
politiques,
le
Portant
texte
principalement
abordera
les
sur
les
thèmes
du
fédéralisme, du nationalisme et du libéralisme par rapport au
conservatisme, et traitera de la nécessité de créer une certaine
stabilité pour le capitalisme. Le texte est une ressource pédagogique
pour l’enseignement de l’histoire canadienne, et a été conçu comme
complément au matériel sur les conditions sociales et économiques
mis à la disposition des élèves.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
3
1840-1867
Sur la scène politique
Le contrecoup des rébellions
Dans la foulée des rébellions de 1837 et 1838 du Haut et du
Bas-Canada,
les
structures
politiques
de
l’Amérique
du
Nord
britannique sont entièrement réévaluées. Les rebelles du HautCanada, menés par William Lyon Mackenzie, exigent l’abolition du
« Family Compact »1 et la rupture des liens avec l’Empire britannique.
Durant les années qui mènent à la rébellion, Mackenzie, par le biais de
son journal, le Colonial Advocate, fait la promotion des idéaux
démocratiques américains et s’en prend à la nature hiérarchique de la
société du Haut-Canada. Quoique pour des raisons différentes, les
rebelles du Bas-Canada sont également mécontents de l’oligarchie
politique qui contrôle leur province. Attisées par une classe moyenne
frustrée et une crise de l’agriculture, les rébellions du Bas-Canada sont
d’une plus grande ampleur et plus violemment réprimées.
Lord Durham
Envoyé par le gouvernement britannique pour faire un rapport
sur les colonies rebelles, Lord Durham débarque en Amérique du Nord
britannique en qualité de gouverneur en chef et haut-commissaire.
« Je m’attendais », admettra-t-il plus tard dans son rapport, « à
assister à un conflit entre un gouvernement et son peuple ». Au lieu de
cela, il trouva « deux nations luttant au sein d’un même État ».
1
Le « Family Compact » était le nom donné au groupe de personnes qui en sont venues à
dominer la scène politique du Haut-Canada après la guerre de 1812. Considéré par les
réformistes comme une oligarchie, le groupe avait des opinions conservatrices et défendait avec
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4
Passant la majorité de son temps dans le Bas-Canada, Durham réserve
ses critiques les plus dures à l’endroit de la société canadiennefrançaise : puisque les Canadiens français n’ont pas de culture ni
d’histoire, il est impératif de créer une structure politique qui
accélérera le processus inévitable de leur assimilation. En réponse aux
commentaires insultants de Durham sur sa culture, François-Xavier
Garneau entreprend l’écriture d’une histoire détaillée du Canada
français2.
Le Conseil spécial
Au Québec, pendant la période entre les rébellions et l’Acte
d’Union qui s’étend de 1838 à 1841, le Conseil spécial gouverne sans
mandat électoral. S’il ne gouverne la province que durant une courte
période, le Conseil aura néanmoins un impact considérable. On compte
parmi ses réformes les plus importantes la création de nouvelles
institutions pour les classes ouvrières urbaines, l’introduction de la
franche tenure à Montréal et sa reconnaissance et sa réaffirmation du
rôle social de l’Église catholique romaine. Le conseil permet l’entrée
dans le Bas-Canada de nouveaux ordres religieux masculins et
féminins,
et
les
communautés
l’autorisation
de
prendre
de
religieuses
l’expansion.
existantes
Un
autre
reçoivent
élément
extrêmement important concerne les droits des femmes qui, au cours
de cette période, sont de plus en plus réprimés au plan juridique. En
1841, par exemple, avec l’adoption de la « Registry Ordinance Act »,
une ordonnance stipulant la création de bureaux d’enregistrement, les
droits
des
femmes
sur
le
douaire
dépendent
désormais
de
l’enregistrement en bonne et due forme par le mari de la propriété de
véhémence les traditions britanniques ainsi que ses propres positions privilégiées aux plans
économique et politique.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
5
celui-ci, ce qui a pour effet de restreindre les droits de propriété des
femmes mariées.
L’Acte d’Union
Adoptant certaines recommandations de Durham mais faisant fi
de certaines autres, le gouvernement britannique unit le Haut et le
Bas-Canada en vertu d’une seule législature. Les deux Canadas,
renommés Canada-Est et Canada-Ouest, seraient représentés par
quarante-deux sièges chacun. Sa population étant plus grande, le
Canada-Est est sous-représenté au sein du nouveau système : les
450 000
habitants
du
Canada-Ouest
ont
le
même
nombre
de
représentants que les 650 000 habitants du Bas-Canada. Ajoutant
l’insulte à l’injure, l’anglais est proclamé langue unique de la
législature et du gouvernement, et puisque les dettes publiques des
deux colonies sont combinées, le Bas-Canada se retrouve dans
l’obligation de partager la responsabilité pour la dette beaucoup plus
grande du Haut-Canada.
Un gouvernement responsable
Dès les années 1840, les quatre colonies de l’Atlantique
(Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et Île-du-PrinceÉdouard)
et
la
Province
du
Canada-Uni
sont
toutes
dotées
d’assemblées formées de représentants élus, mais le pouvoir officiel
demeure entre les mains d’une élite non élue. Certains exigent
l’adoption
des
principes
de
gouvernement
responsable,
qui
conféreraient aux membres élus de l’assemblée le contrôle ultime des
affaires de l’État, tandis que d’autres s’y opposent farouchement. Aux
yeux de leurs opposants, comme le gouverneur Sir Charles Metcalfe,
2
Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours (publié de 1845 à 1848).
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
6
les gouvernements responsables sont purement un moyen pour les
dirigeants
politiques
canadiens
d’octroyer
des
faveurs
à
leurs
partisans.
Malgré les voix dissidentes, la Nouvelle-Écosse devient en 1948
la première colonie à constituer un gouvernement responsable au sein
de l’Empire britannique, suivie des autres colonies de l’Atlantique
jusqu'en 1855. Dans la Province du Canada-Uni, les principes de
gouvernement responsable font de plus en plus d'adeptes dans les
années 1840, sous l’initiative de Robert Baldwin et de Louis-Hyppolyte
LaFontaine, et deviennent une réalité avec l'élection de ces deux
hommes en 1848. À la fin de cette décennie, toutefois, la situation
dans les deux Canadas ne fait pas le bonheur de tous. Le projet de loi
du nouveau gouvernement sur l'indemnisation des pertes occasionnées
par la répression des rébellions provoque l'indignation des marchands
montréalais, déjà furieux à la perspective de se voir ruinés par une
économie chancelante.
L’incendie du Parlement
En indemnisant les citoyens dont la propriété avait subi des
dommages durant les rébellions déclenchées dix ans auparavant, le
gouvernement, aux yeux des marchands, admettait la légitimité des
soulèvements. Marchant sur le nouvel édifice du Parlement le 25 avril
1849, les conservateurs anglophones de Montréal incendient le
bâtiment qui sera réduit en cendres.
La scène économique
Tandis que les politiciens s’affrontent au sujet du gouvernement
responsable, l’économie continue d’évoluer, passant d’un capitalisme
préindustriel à un capitalisme industriel. Des réseaux de transports
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
7
bien implantés sont essentiels au développement du capitalisme, et
dès les années 1840, la construction de canaux et de voies ferrées se
poursuit à un rythme sans précédent.
La construction ferroviaire
Les chemins de fer, qui donnent accès à beaucoup plus de
ressources et à de nouveaux marchés, assurent un transport à l’année
longue qui n’est plus à la merci d’une météo imprévisible. Les deux
plus importantes compagnies ferroviaires à faire leur apparition sont le
Chemin de fer Intercolonial, reliant Montréal aux provinces maritimes,
et le Chemin de fer du Grand Tronc, qui s’étend de Sarnia à Portland,
dans le Maine, en passant par Montréal. Financée par les capitaux et
l’expertise technologique britanniques, la construction des chemins de
fer devient un élément central des affaires politiques canadiennes, et
de 1852 à 1867, plus de 3 200 kilomètres de rails seront construits
(Conrad et Finkel, p. 370).
La construction
irlandaise
des
canaux
et
l’immigration
Outre des chemins de fer, on construit des canaux sur le SaintLaurent et la rivière Niagara, et l’arrivée massive des catholiques
irlandais fuyant leur pays ravagé par la famine apporte une source
importante
de
main-d’œuvre
non
qualifiée3.
C’est
d’ailleurs
l’exploitation de la main-d’œuvre irlandaise dans la construction du
canal Welland, en Ontario, qui a assuré à William Hamilton Merritt un
pouvoir à la fois économique et politique. Entretenant souvent de
vieilles rivalités, les ouvriers irlandais vivent dans des bidonvilles le
3
Il est à noter que de nombreux immigrants irlandais s’installent aussi dans les
Maritimes. Bien que des conflits s’engagent entre ces immigrants d’obédience
catholique et leur concitoyens protestants, cette situation n’est pas exceptionnelle
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
8
long du canal et forment une classe ouvrière extrêmement solidaire.
Réagissant à l’exploitation économique dont ils sont victimes, les
Irlandais
deviennent
reconnus
pour
la
violence
qu’ils
exercent
fréquemment aussi bien contre leurs employeurs qu’entre eux. Suite à
leur arrivée en 1845-1846, le choléra apparaît et devient un problème
sérieux menaçant de dévaster la population du Québec. Dans la ville
de Québec, des émeutes sont déclenchées alors que des ouvriers
s’attaquent à un hôpital soignant des victimes du choléra (Young et
Dickinson, p. 174).
Vers la Confédération
Avec
l’établissement
des
réseaux
de
transport
et
le
développement de l’économie, les colonies de l’Amérique du Nord
britannique
commencent
à
examiner
la
possibilité
d’une
union
politique. La Confédération n’est pas une idée nouvelle; un officier
d’état-major britannique avait déjà parlé d’union en 1783, et cette
idée avait été reprise durant une grande partie du siècle suivant par
les représentants du gouvernement britannique et les autorités de la
colonie. Les structures politiques établies par l’Acte d’Union de 1840 se
révèlent inefficaces pour assurer la bonne marche des affaires de la
province.
Conçues
pour
assurer
une
majorité
anglophone
à
l’assemblée en instaurant une représentation égale pour le Canada-Est
et le Canada-Ouest, elles deviennent, dans les années 1860, peu
favorables aux intérêts anglophones. Dans la période qui suit
l’adoption de l’Acte d’Union, la population du Canada-Ouest augmente
considérablement, passant à plus du double en 1851. En 1861, le
Canada-Ouest
compte
1 396 091 habitants
comparativement
a
durant le 19e siècle. À titre d’exemple, la ville de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick,
est reconnue pour être alors le théâtre de violents conflits religieux.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
9
1 111 566 au Canada-Est. Pour redresser ce nouveau désavantage,
les
réformistes
du
Canada-Ouest
commencent
à
exiger
une
représentation selon la population (« rep by pop »)4.
George Brown
Les intérêts divergents des diverses parties au sein de la
législature accentuent les conflits, et la Province du Canada devient de
plus en plus difficile à diriger. En 1864, le gouvernement de coalition
démissionne en raison de son incapacité à trouver une formule pour
gouverner la colonie, et de nombreux politiciens commencent à
chercher d’autres solutions constitutionnelles. George Brown, chef du
parti réformiste et propriétaire du Globe de Toronto, change de cap et
accorde son appui à la Confédération, profondément convaincu que
l’acquisition du Nord-Ouest ouvrirait de nouveaux horizons. Tendant la
main à ses vieux adversaires politiques, Macdonald et Cartier, Brown
propose une « Grande Coalition » formée des réformistes, des tories et
des
bleus,
qui
travailleraient
ensemble
pour
promouvoir
la
Confédération. Le chef des rouges du Canada-Est, Antoine-Aimé
Dorion, est exclu de la coalition et devient le parfait chef du
mouvement d’opposition.
L’opposition à l’Union
En Ontario, les deux principaux partis faisant front commun,
l’opinion publique est en général favorable à l’Union. Depuis les années
1850, l’élite de la communauté des affaires de Toronto a des vues sur
les avantages économiques de l’expansion. Au Québec, toutefois, une
multitude de voix dissidentes s’élèvent contre la Confédération. La plus
influente est celle de Dorion, qui dénonce les immenses pouvoirs qui
4
Le principe de la représentation proportionnelle à la population signifie que la
province obtient un nombre de sièges proportionnel à la taille de sa population.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
10
sont accordés au gouvernement fédéral. Tant à l’assemblée que dans
les journaux, les rouges prétendent que la Confédération ne réglera
pas les problèmes du Canada. La Confédération, clament-ils, a été
conçue pour avantager les grandes compagnies ferroviaires et est
fondamentalement antidémocratique de nature. La moindre des
choses, disent-ils, aurait été de déclencher une élection sur la
question. Craignant les conséquences pour la nation canadiennefrançaise, les rouges rappellent aux électeurs qu’en vertu de la
Confédération,
le
gouvernement
fédéral
acquiert
des
pouvoirs
beaucoup plus grands en matière d’impôt et de droit criminel et, peutêtre plus grave encore, il obtient le pouvoir de révoquer la législation
provinciale.
Les causes externes de l’Union
Sur la scène internationale, les années 1860 sont marquées par
la création de nombreux États. Pour les Canadiens, que les journaux
tiennent au courant des développements internationaux, la création
d’États « est dans l’air » (Trofimenkoff, p. 101). Le Nouveau-Brunswick
et la Nouvelle-Écosse parlent depuis déjà longtemps de réunifier leur
colonie, qui avait été séparée en 1784, et le British Colonial Office
commence à promouvoir la question d’une union maritime entre le
Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard.
Lorsque la Province du Canada annonce son intention de faire partie
des négociations, on organise la Conférence de Charlottetown de
1864. Au sud, la guerre civile américaine fait rage, et la possibilité que
la Union Army dirige sa puissance militaire contre l’Amérique du Nord
britannique à la fin de la guerre est extrêmement inquiétante. La
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
11
révocation de la réciprocité5 par les États-Unis, en 1866, et leur
acquisition de l’Alaska en 1867 confirment le caractère menaçant de
leur politique étrangère. Les raids des Féniens6, au Nouveau-Brunswick
et au Canada-Ouest, renforcent en outre les arguments en faveur
d’une défense centralisée. La Grande-Bretagne, impatiente d’éliminer
ses dépenses pour la défense des colonies, encourage aussi fortement
l’Union.
Les causes internes de l’Union
Les politiciens de l’Amérique du Nord britannique voient des
avantages éventuels à un commerce national centré sur un axe estouest. Jusqu’à la Confédération, la Province du Canada effectuait des
échanges commerciaux principalement avec les États-Unis et la
Grande-Bretagne,
une
situation
renforcée
par
les
accords
commerciaux et les chemins de fer. Mais à cause de leur dépendance à
l’égard du commerce extérieur, les colonies souffrent lorsque des
problèmes économiques frappent la Grande-Bretagne et les États-Unis
après 1857. Le gouvernement canadien et le chemin de fer du Grand
Tronc éprouvent tous deux des difficultés financières, et des chefs
politiques et économiques comme Alexander Galt et George-Étienne
Cartier considèrent l’expansion comme la solution à leurs déboires
économiques. La Confédération, croient-ils, tout en répartissant la
dette parmi une plus grande population, fera naître de nouveaux
marchés plus stables. Les intérêts internationaux, comme la Baring
5
Le Traité de réciprocité entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, en vigueur de 1854 à 1866,
assurait le libre-échange des ressources primaires entre l’Amérique du Nord britannique et les
États-Unis. Lorsque la demande des ressources de l’Amérique du Nord britannique était très
élevée durant la guerre civile américaine des années 1860, le Canada a réalisé des profits
considérables.
6
Les Féniens étaient des Américains d’origine irlandaise qui militaient en faveur de
l’indépendance de l’Irlande. Dans leur tentative pour forcer le gouvernement britannique à
libérer l’Irlande, les Féniens ont attaqué les colonies de l’Amérique du Nord britannique.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
12
Brothers Bank, déclarent qu’ils ne financeront une plus grande
expansion ferroviaire qu’à la condition d’une union entre les colonies
de l’Amérique du Nord britannique. Pour les manufacturiers du Québec
et de l’Ontario, la Confédération aurait, outre l’avantage de créer de
nouveaux marchés, celui d’imposer des droits d’importation qui
contribueraient
à
protéger
leurs
industries
de
la
concurrence
étrangère. Pour les défenseurs de la Confédération dans les régions de
l’Atlantique, tout particulièrement en Nouvelle-Écosse et au NouveauBrunswick, elle garantirait une plus grande croissance économique
grâce à des marchés protégés et de meilleures liaisons ferroviaires.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
13
Suggestions de lecture
Les principaux manuels généraux sur l’histoire canadienne, un bon point de
départ pour approfondir la recherche, sont History of the Canadian Peoples:
Beginnings to 1867 vol. 1 et 2, 3e éd. (Toronto : Addison Wesley Longman, 2002) de
Margaret Conrad et Alvin Finkel; on peut trouver une histoire générale détaillée
rédigée par un certain nombre de grands spécialistes dans Craig Brown, dir., The
Illustrated History of Canada (Toronto : Key Porter Books, 1997); pour un bon
compte rendu, voir Desmond Morton, A Short History of Canada 5e éd. (Toronto :
McClelland and Stewart, 2001); pour un examen de l’histoire de l’Ontario après la
Confédération, voir Joseph Schull, Ontario Since 1867 (Toronto : McClelland and
Steward,
1978);
Edgar-André
Montigny
et
Lori
Chambers,
Ontario
Since
Confederation: A Reader (Toronto : University of Toronto Press, 2000); les textes
faisant autorité sur la période de l’après-Condéfération dans l’histoire du Québec
sont ceux de Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, et, pour le
deuxième volume, de François Ricard, Histoire du Québec contemporain, tome I et
tome II (Montréal : Boréal, 1989); pour un regard socio-économique sur le passé du
Québec, voir John A. Dickinson et Brian Young, A Short History of Quebec 2e éd.
(Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2000); pour un examen de l’histoire
sociale du Québec dans le contexte de l’idéologie et de l’expérience des femmes, voir
Susan Mann Trofimenkoff, The Dream of Nation: A Social and Intellectual History of
Quebec (Toronto : Gage Publishing Limited, 1983); pour un excellent survol de
l’histoire des peuples autochtones du Canada, voir Olive Patricia Dickason, Canada’s
First Nations: A History of Founding Peoples from Earliest Times 2e éd. (Toronto :
Oxford University Press, 1997); pour des ouvrages généraux sur les femmes
canadiennes, voir Canadian Women: A History (Toronto : Harcourt Brace, 1996);
Collectif Clio, Quebec Women: A History, trad. Roger Gannon et Rosalind Gill
(Toronto : Women’s Press, 1987); pour un survol de l’immigration dans l’histoire
canadienne, voir Gerald Tulchinsky, Immigration in Canada: Historical Perspectives
(Toronto : Copp Clark Longman Ltd., 1994); les revues spécialisées les plus
importantes sur l’histoire canadienne sont la Canadian Historical Review et la Revue
d’histoire de l’Amérique française; pour des études biographiques détaillées, voir le
Dictionnaire biographique canadien.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
14
Pour un examen des raisons et des causes des rébellions du Bas-Canada, voir
Allan Greer, The Patriots and the People: The Rebellion of 1837 in Rural Lower
Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1993); Fernand Ouellet, Lower
Canada, 1791-1840: Social Change and Nationalism (Toronto : Macmillan, 1981) et
Economic and Social History of Quebec (Toronto : Macmillan, 1981).
Pour des ouvrages sur les effets de l’immigration irlandaise, voir Don
Akenson, The Irish in Ontario: A Study in Rural History (Montréal : McGill-Queen’s
University Press, 1984); pour certains aspects plus sombres de l’histoire, voir
Geoffrey
Bilson, A
Darkened
House:
Cholera
in
Nineteenth-Century
Canada
(Toronto : University of Toronto Press, 1980); Scott See, Riots in New Brunswick:
Orange Nativism and Social Violence in the 1840s (Toronto : University of Toronto
Press, 1993); Ruth Bleasdale, « Class Conflict on the Canals of Upper Canada in the
1840s », Labour / Le Travail (vol. 7, 1981); pour un examen de la religion au
Québec, voir Serge Gagnon et Louise Lebel-Gagnon, « Le milieu d’origine du clergé
québécois 1775-1840 : mythes et réalités », Revue d’histoire de l’Amérique française
(vol. 73, no 3, décembre 1983).
Pour des ouvrages sur l’histoire des provinces de l’Atlantique, voir Phillip
Buckner et John Reids, dir., The Atlantic Region to Confederation: A History
(Toronto: University of Toronto Press, 1994); P.A. Buckner et David Frank, dir., The
Acadiensis
Reader:
Atlantic
Canada
before
Confederation,
2e
édition,
vol. 1
(Fredericton: Acadiensis Press, 1988); pour en savoir davantage sur les femmes et
les Maritimes, voir Janet Guildford et Suzanne Morton, dir., Separate Spheres:
Women’s Worlds in the Nineteenth-Century Maritimes (Fredericton: Acadiensis Press,
1994).
Les princiaux ouvrages sur la période de la Confédération sont J. M. S.
Careless, The Union of the Canadas: The Growth of Canadian Institutions, 18411857 (Toronto : McClelland and Stewart, 1967); D.G. Creighton, The Road to
Confederation: The Emergence of Canada 1863-1867 (Toronto : Macmillan, 1964);
Ramsay Cook, dir., Confederation (Toronto : University of Toronto Press, 1967); et
Ged Martin, dir., The Causes of Canadian Confederation (Fredericton : Acadiensis
Press, 1990); P.B. Waite, The Life an Times of Confederation, 1864-1867 (Toronto :
University of Toronto Press, 1962); pour un aperçu de la Confédération dans la
région de l’Atlantique, voir George Rawlyk, The Altlantic Provinces and the Problem
of Confederation (St. John’s Backwater Press, 1980); pour un compte rendu
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
15
marxiste, voir Stanley Ryerson, Unequal Union: Confederation and the Roots of
Conflict in the Canadas, 1815-1873 (Toronto : Progress Books, 1968).
Pour un regard particulier sur le Québec durant cette période, voir Jean-Paul
Bernard, Les rouges. Libéralisme, nationalisme et anticléricalisme au milieu du XIXe
siècle. (Montréal : Les presses de l’Université du Québec, 1971); Arthur Silver, The
French-Canadian Idea of Confederation, 1864-1900 (Toronto : University of Toronto
Press, 1982).
Pour des biographies de certaines des grandes figures historiques ayant
participé aux débats sur la Confédération, voir Brian Young, George-Étienne Cartier,
Montreal Bourgeois (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1981); J.M.S.
Careless, Brown of the Globe (Toronto : Macmillan, 1959); D. G. Creighton John A.
Macdonald: The Young Politician (Toronto : Macmillan 1965); A.A. den Otter,
Civilizing the West: The Galts and the Development of Western Canada (Edmonton :
University of Alberta Press, 1982).
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
16
1867-1896
Sur la scène politique
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique
Le Dominion du Canada naît le 1er juillet 1867 en vertu d’un acte
du
Parlement
britannique.
Il
regroupe
environ
quatre
millions
d’habitants, vivant dans quatre provinces : l’Ontario, le Québec, le
Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Contrairement aux ÉtatsUnis, le nouveau pays décide de conserver les institutions sociales et
politiques britanniques et, craignant une démocratie excessive, est
fondé sur les principes de « paix, ordre et bon gouvernement ». Nourri
des espoirs et des rêves de ses citoyens, le Dominion lutte pour
démontrer que les États-Unis n’offrent pas la seule formule viable pour
l’Amérique du Nord. Au début, cependant, le droit de vote est réservé
principalement aux propriétaires fonciers de sexe masculin, au
détriment des femmes et de la majorité de la classe ouvrière. Exclues
des négociations ayant mené à l’Acte de l’Amérique du Nord
britannique, les populations autochtones deviennent des pupilles du
gouvernement fédéral.
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique en Ontario,
au Québec et au Nouveau-Brunswick
Au Québec, Cartier vante les mérites de la Confédération qu’il
présente comme une façon pour le Québec d’exercer un contrôle
politique indépendant sur la culture et l’éducation. Le fondement des
droits provinciaux sera toutefois ébranlé par le rôle de subalterne que
l’Acte de l’ANB réserve en réalité aux provinces. Contrairement à la
façon dont ils ont présenté la Confédération, Cartier et ses bleus sont
des partisans convaincus du centralisme politique. Si les Québécois
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
17
appuient
la
Confédération
à
contrecœur,
le
Nouveau-Brunswick
envisage avec peu d’enthousiasme les possibilités économiques de
l’Union. Le projet obtient le plus de faveur populaire en Ontario, où les
deux grands partis politiques ont appuyé l’idée. Rêvant de chemins de
fer et d’expansion vers l’Ouest, les Torontois se rassemblent à Queen’s
Park le 1er juillet pour assister, aux dires de George Brown, « au plus
beau spectacle de feux d’artifices jamais présenté au Canada ».
D’emblée, l’Ontario joue un rôle prépondérant dans la Confédération.
Originaire de Kingston, John A. Macdonald devient le premier premier
ministre, et il nomme des Ontariens à cinq des treize postes
ministériels. La ville d’Ottawa est en outre fermement établie comme
la capitale permanente.
La Nouvelle-Écosse et la Confédération
Les Néo-Écossais, cependant, rejettent autant le consentement du
Québec et du Nouveau-Brunswick que la jubilation de l’Ontario, et
s’opposent fortement à la Confédération. Charles Tupper, premier
ministre de la Nouvelle-Écosse, croit que la Confédération sera
favorable à la Nouvelle-Écosse à long terme, mais, comme le
démontrent clairement les résultats de l’élection de 1867 en NouvelleÉcosse, la majorité de ses concitoyens sont d’un autre avis. Lorsque la
Grande-Bretagne refuse de permettre à la Nouvelle-Écosse de se
retirer de l’Union, Joseph Howe, à la tête du mouvement d’opposition,
accepte de siéger au cabinet de Macdonald en échange de subventions
plus généreuses pour la province.
La Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard
Lors de l’élection fédérale de novembre 1867, la première dans
l’histoire du pays, Macdonald et ses partisans remportent facilement la
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
18
majorité, détenant 108 sièges dans la toute nouvelle Chambre des
Communes. Dans les années 1870, la Colombie-Britannique (1871) et
l’Île-du-Prince-Édouard (1873) entrent toutes deux dans le nouveau
dominion. Après la ruée vers l’or, la Colombie-Britannique s’était
retrouvée avec une importante dette publique et, lors d’une rencontre
à
Ottawa,
Cartier
avait
promis
d’accorder
à
la
province
des
subventions pour 60 000 habitants malgré le fait que sa population
non autochtone ne s’élevait qu’à 28 000 habitants. Lorsque Cartier
promet de relier la province de l’extrême Ouest à l’Est grâce à un
chemin de fer transcontinental, les délégués ne peuvent plus refuser.
Quant à l’Île-du-Prince-Édouard, elle devient une province en 1873
lorsqu’elle accepte l’offre d’Ottawa d’assumer sa dette de 3 millions de
dollars et de racheter les terres des grands propriétaires.
Sur la scène économique
Suite à la Confédération, les événements qui se sont déroulés
dans l’Ouest ont eu une importance capitale. Craignant que les ÉtatsUnis cherchent à obtenir le contrôle de l’ensemble du continent
conformément à la doctrine d’une « destinée manifeste », Macdonald
s’emploie rapidement à consolider les prétentions du Canada à l’égard
des territoires de l’Ouest. En qualité de représentants du Canada,
Cartier et William MacDougall se rendent à Londres en 1868 et
achètent la Terre de Rupert7 au coût de 1,5 million de dollars. Ayant
vu leur terre être transférée sans avoir été consultés, et voyant des
arpenteurs débarquer chez eux, les habitants des nouveaux territoires
7
La Terre de Rupert désigne le territoire cédé à la Compagnie de la baie d’Hudson en 1670.
Couvrant le territoire de l’ouest et du nord-ouest canadien, la Terre de Rupert était délimitée
par le bassin d’alimentation de la Baie d’Hudson
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
19
ne partagent pas l’enthousiasme de Cartier et Macdonald au sujet des
tentatives d’Ottawa pour contrôler l’Ouest.
La rébellion de la Rivière-Rouge
Les Métis de la Rivière-Rouge sont de loin les plus réticents, et
sous
la
direction
de
Louis
Riel,
ils
réussissent
à
établir
un
gouvernement provisoire dans la colonie. Réclamant que le Manitoba
devienne une province au même titre que les autres, Riel portera ses
revendications à l’extrême, faisant comparaître en cour martiale et
condamnant à mort Thomas Scott, un orangiste de Toronto, en mars
1870. Si la nouvelle de l’assassinat de Scott soulève la colère des
protestants ontariens, au Québec, Riel commence à être perçu par les
catholiques comme un défenseur des droits des Canadiens français et
des catholiques. Créant la province du Manitoba (1870) en réponse
aux revendications des rebelles, le gouvernement fédéral refuse
cependant d’accorder l’amnistie pour le meurtre de Scott, et Riel
s’enfuit aux États-Unis. Quatorze ans plus tard, en 1885, les Métis
l’invitent à revenir au Canada pour mener leur révolte. Formant encore
une fois un gouvernement provisoire, Riel et ses partisans prennent les
armes
contre
le
gouvernement
fédéral
afin
de
défendre
leurs
revendications. Capturé et accusé de trahison, Riel est jugé coupable
et exécuté, un événement qui polarisera une fois de plus l’opinion
publique francophone et anglophone.
Le scandale du Pacifique et la Politique nationale
Comme le démontrent clairement les rébellions de Riel, diriger
un pays aussi vaste que le Canada, avec ses diverses populations et
ses intérêts multiples, était une tâche ardue. Après sa deuxième
campagne
électorale,
l’administration
de
Macdonald
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
subit
le
20
contrecoup du scandale du chemin de fer Pacifique8. C’est un libéral,
Alexander Mackenzie, qui forme le gouvernement à la place de
Macdonald. Si Mackenzie apporte d’importantes réformes, la promesse
de Macdonald concernant l’adoption d’une « Politique nationale »
favorisant l’immigration, établissant des droits de douane pour
protéger les intérêts des Canadiens et poursuivant la construction des
chemins de fer le reportera au pouvoir en 1878. À compter de 1879,
Macdonald augmente les droits de douane de 15 % et il continuera de
les
augmenter
tout
au
long
des
années
1880.
L’industrie
manufacturière prendra de l’expansion en Ontario et au Québec, et la
construction ferroviaire sera stimulée. Sous la direction de George
Stephen et de Donald Smith et financé par des investisseurs
américains et britanniques, le nouveau Chemin de fer Canadien
Pacifique (CP), recevant des fonds du gouvernement, un monopole et
des concessions de terre, s’engage à construire le chemin de fer
jusqu’à l’océan Pacifique. Même si la main-d’œuvre est composée à la
fois de travailleurs canadiens et étrangers, c’est aux immigrants
chinois qu’il revient d’accomplir la plupart des tâches dangereuses et
indésirables. Après des années de labeur, le CP est enfin terminé en
1885.
Les Maritimes et la Politique nationale
Bien qu’à ses débuts, la Politique nationale stimule la croissance
économique dans la région de l’Est, elle a pour effet à long terme
d’accroître l’industrialisation en Ontario et au Québec tout en laissant
derrière les provinces de l’Atlantique. Durant la récession des années
8
Le scandale du Canadien Pacifique a terni la réputation de Macdonald à la suite de la
deuxième élection fédérale. Ayant besoin de plus d’argent pour financer sa campagne
électorale, Macdonald avait fait appel à Sir Hugh Allan. En retour, Allen avait reçu le contrat
pour la construction du chemin de fer jusqu’au Pacifique. Lorsqu’une descente dans le bureau
de l’avocat d’Allen mit au jour une multitude de preuves incriminant Macdonald, et que ces
preuves furent remises entre les mains de l’opposition, le gouvernement Macdonald s’effondra.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
21
1890, des usines ferment leurs portes et le secteur manufacturier dans
les Maritimes connaît un déclin par rapport à celui du centre du
Canada. Déjà, au début du siècle suivant, la moitié de la valeur brute
du secteur manufacturier canadien est concentrée en Ontario, et un
autre tiers au Québec (Conrad et Finkel, p. 77).
Le travail en industrie
Au moment de la Confédération, la majorité des Canadiens
vivent dans un environnement rural et gagnent leur vie grâce à
l’agriculture ou à l’exploitation des ressources naturelles. La famille
constitue habituellement la main-d’œuvre de base. Dans les années
1880, le travail rémunéré à l’extérieur de la maison et réalisé dans un
environnement urbain devient de plus en plus courant. Le travail en
industrie est souvent dégradant, dangereux et sous-payé, et les
femmes et les enfants qui travaillent dans les usines reçoivent la
moitié du salaire des hommes. Pour les personnes sans-emploi et les
travailleurs saisonniers, les durs hivers canadiens ont un effet punitif.
Les tavernes fréquentées par les ouvriers, comme la célèbre taverne
Joe Beef de Montréal, permettent aux travailleurs occasionnels de se
divertir et de se loger à peu de frais; elles deviendront donc les pivots
d’une
culture
naissante
de
la
classe
ouvrière.
À
mesure
que
l’industrialisation progresse, les ouvriers prennent de plus en plus
conscience de leurs intérêts collectifs. Dépassant le cadre des premiers
syndicats de métiers, par exemple, les chevaliers du Travail s’installent
au Canada dans les années 1880 et tentent de syndiquer à la fois les
travailleurs et travailleuses de tous les niveaux de compétences et
groupes ethniques. Les mouvements réformistes exercent aussi une
grande influence sur la structure de la classe ouvrière. L’Armée du
Salut, par exemple, qui est très populaire auprès des femmes
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
22
ouvrières, milite contre « l’immoralité » des classes populaires, tente
de « réchapper » ceux qui « se sont égarés» et offre une aide
spirituelle aux personnes les plus touchées par l’industrialisation.
Sur le plan idéologique
Le mouvement Canada First
Durant la période qui suit la Confédération, les fondements
idéologiques de l’Ontario et du Québec continuent de se développer.
Une tradition locale littéraire et culturelle commence à prendre forme
en Ontario. Susanna Moodie et Catherine Parr Traill, par exemple, ont
écrit abondamment sur leur vie dans la nature sauvage de l’Amérique
du Nord9. De plus, un groupe restreint, mais influent, de riches
Ontariens forme le mouvement Canada First dans les années 1870.
Croyant à la nécessité de créer un « esprit national » reposant sur
l’alliance du Canada avec la Grande-Bretagne, le groupe espère
construire une nation protestante. Les Canadiens, avance-t-il dans la
Canadian Monthly and National Review, sont des descendants de races
nordiques qui sont bien adaptés à la vie dans l’environnement
nordique du pays. Rejetant nettement tout besoin de reconnaître
l’identité
canadienne-française,
le
mouvement
Canada
First
est
résolument élitiste, méprisant aussi bien les classes ouvrières que les
peuples
autochtones.
Les
« Canada
Firsters »
ne
monopolisent
cependant pas l’opinion publique, puisqu’on voit apparaître des
défenseurs des liens serrés avec la Grande-Bretagne et des partisans
de relations plus étroites avec les États-Unis. Si le sentiment
impérialiste prend de l’ampleur, Goldwin Smith, dans son Canada and
the Canadian Question (1891), maintient que les États-Unis devraient
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
23
annexer le Canada. Une « union entre le Canada et l’État américain,
comme celle de l’Écosse et de l’Angleterre », soutient-il, « ne pourrait
qu’apporter de grands avantages ».
L’Église catholique romaine
Durant cette période, l’Église catholique romaine affermit son
pouvoir
au
Québec.
Unissant
l’ultramontanisme
européen
au
nationalisme québécois, l’élite cléricale consolide son influence. L’un
des ultramontains les plus irréductibles du Québec est Ignace Bourget,
évêque de Montréal de 1840 à 1876, qui croit que le pape à Rome
devrait représenter l’autorité suprême de la société. Bourget, comme
son homologue Louis-François Laflèche, évêque de Trois-Rivières
(1870-1898),
s’emploie
à
implanter
une
doctrine
catholique
conservatrice. L’Église mettra sur pied des institutions et réduira le
pouvoir de l’État en matière d’éducation.
Le libéralisme au Québec
Malgré
les
efforts
des
ecclésiastiques
conservateurs,
le
libéralisme est présent dans la société du Québec. L’un des plus
importants mouvements d’opposition aux ultramontains naît d’une
controverse entourant l’Institut canadien. Ce club de Montréal, en
activité du milieu des années 1840 au milieu des années 1870, offre à
ses quelque 2 000 membres une bibliothèque bien garnie et un lieu où
les hommes peuvent échanger des idées libérales. L’Institut exerce
une grande influence, comme en témoigne la présence parmi ses
membres de Wilfrid Laurier, qui jouera un rôle de premier plan dans la
formation des rouges, et plus tard du parti Libéral. Discutant des
idéaux libéraux concernant le progrès et les droits des femmes, les
9
Voir Backwoods of Canada (1836), de Traill, et Roughing it in the Bush (1852), de Moodie.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
24
membres sont des lecteurs avides et font fit des sanctions du clergé.
Le conflit entre l’Institut et l’Église atteint un po int culminant lors du
décès d’un des membres, Joseph Guibord. Bourget refuse son
enterrement en terre consacrée, et la famille de Guibord en appelle au
Conseil privé d’Angleterre qui ordonnera qu’il soit enterré comme un
catholique, conformément aux droits civils. Incapable d’accepter que
les tribunaux aient outrepassé l’autorité papale, Bourget déconsacrera
le lieu de sépulture où Guibord est enterré. Comme le démontre
l’affaire Guibord, l’influence sociale de l’Église n’a pu freiner les forces
de la modernisation et de la libéralisation qui balayaient le monde
occidental durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle. En 1896,
au grand désarroi de l’Église, un libéral canadien-français et ancien
membre de l’Institut est élu premier ministre; Laurier allait mener le
Canada vers une nouvelle étape de sa croissance.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
25
Suggestions de lecture
Pour une histoire générale de la période, voir P.B. Waite, Canada, 1874-1896:
Arduous Destiny (Toronto : McClelland and Stewart, 1971).
Pour une histoire des rébellions de la Rivière-Rouge et du Nord-Ouest, voir
Gerhard Ens, Homeland to Hinterland: The Changing Worlds of the Red River Métis,
1869-1885 (Waterloo : Wilfrid Laurier University Press, 1988); Frits Pannekoek, A
Snug Little Flock: The Social Origins of the Red River Resistance, 1869-1870
(Winnipeg : Watson & Dywer, 1991); George Stanley, The Birth of Western Canada:
A History of the Riel Rebellions (Toronto : University of Toronto Press, 1970);
Thomas Flanagan, Riel and the Rebellion: 1885 Reconsidered (Saskatoon : Western
Producer Prairie Books, 1983); pour un regard sur le développement des relations
entre Autochtones et Européens, voir J.R. Miller, Skyscrapers Hide the Heavens: A
History of Indian-White Relations in Canada (Toronto : University of Toronto Press,
1989).
Pour un regard sur la politique canadienne vis-à-vis l’Ouest, voir V.C. Fowke,
The National Policy and the Wheat Economy (Toronto : University of Toronto Press,
1957); pour une histoire de la colonisation de l’Ouest, voir John W. Bennett et Seena
B. Kohl, Settling the Canadian-American West, 1890-1915: Pioneer Adaptation and
Community Building (Lincoln : University of Nebraska Press, 1995); pour l’histoire
économique du Québec, voir Jean Hamelin et Yves Roby, Histoire économique du
Québec, 1851-1896 (Montréal : Fides, 1971); sur la construction ferroviaire, voir W.
Kaye Lamb, History of the Canadian Pacific Railway (New York : Macmillan, 1977);
John Eagle, The Canadian Pacific Railway and the Development of Western Canada
(Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1989); Brian Young, Promoters and
Politicians: The North-Shore Railways in the History of Quebec 1854-85 (Toronto :
University of Toronto Press, 1978).
Pour des ouvrages traitant du rôle de l’Église catholique au Québec, voir Nive
Voisine, Histoire de l’Église catholique au Québec 1608-1970 (Montréal : Fides,
1971); Nive Voisine et Jean Hamelin, dir., Les ultramontains canadiens-français
(Montréal : Boréal, 1985); sur l’expérience des femmes au sein des structures de
l’Église catholique, voir Marta Danylewycz, Taking the Veil (Toronto : McClelland &
Stewart, 1987).
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
26
Pour un regard sur la culture de la classe ouvrière durant la période suivant la
Confédération, voir Peter DeLottinville, « Joe Beef of Montreal: Working Class Culture
and the Tavern, 1869-1889 », Labour / Le Travailleur 8-9 (1981-1982); Bryan
Palmer, A Culture in Conflict: Skilled Workers and Industrial Capitalism in Hamilton,
Ontario, 1860-1914 (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1979); Gregory S.
Kealey et Bryan D. Palmer, « The Bonds of Unity: The Knights of Labor in Ontario,
1880-1900 », Histoire Sociale / Social History 14:28 (novembre 1981); Lucia Ferretti
présente un bon compte rendu des transformations au sein d’une paroisse de
Montréal dans Entre Voisins : La société paroissiale en milieu urbain : Saint-PierreApôtre de Montréal, 1848-1930 (Montréal : Boréal Express, 1985).
Sur la façon dont les femmes ont vécu l’industrialisation, voir Susan
Trofimenkoff, « One Hundred and Two Muffled Voices: Canada’s Industrial Women in
the 1880s » dans MacDowell et Radforth, dir., Canadian Working-Class History:
Selected Readings (Toronto : Canadian Scholars’ Press, 1992); Bettina Bradbury,
Working Families: Age, Gender, and Daily Survival in Industrializing Montreal
(Toronto : McClelland and Stewart, 1993); Bettina Bradbury, « Women and Wage
Labour in a Period of Transition: Montreal, 1861-1881 » dans Bercuson et Bright,
dir., Canadian Labour History: Selected Readings, 2e éd. (Toronto : Copp Clark
Longman,
1994);
Marjorie
Cohen,
Women’s
Work,
Markets
and
Economic
Development in Nineteenth Century Ontario (Toronto : University of Toronto Press,
1988); Joy Parr, The Gender of Breadwinners: Women, Men and Change in Two
Industrial Towns, 1880-1950 (Toronto : University of Toronto Press, 1990).
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
27
1896-1919
Sur la scène politique
Wilfrid Laurier
Les élections de 1896, qui consacrent Wilfrid Laurier premier
ministre, marquent un point tournant majeur dans l’histoire du
Canada. Mettant fin au règne des conservateurs à la
Chambre des
communes, les libéraux domineront la scène politique canadienne
pendant la quasi-totalité du siècle suivant. De 1896 à 1929, le Canada
subira d’importants changements : les Prairies seront colonisées et se
joindront à la Confédération (Alberta et Saskatchewan, 1905), les
nouveaux immigrants transformeront la composition ethnique du pays,
et l’économie connaîtra une croissance fulgurante. Mais si l’économie
prend de la maturité, la richesse est de plus en plus concentrée et les
monopoles consolident leur contrôle sur la société canadienne. Les
immigrants qui ne sont ni Français ni Britanniques sont bien accueillis
et le développement des ressources se poursuit, particulièrement dans
les secteurs des mines et de l’hydroélectricité. Enfin, la Première
Guerre
mondiale
modifie
encore
plus
profondément
la
société
canadienne. L’arrivée au pouvoir de Laurier coïncide avec une reprise
économique, et la population en vient à associer son gouvernement
libéral à la prospérité qui s’ensuit. En 1893, Laurier, alors chef de
l’opposition, abandonne le libre-échange et accepte plusieurs principes
de la Politique nationale de Macdonald. Dominé par l’industrie
manufacturière, le centre du pays a moins de crainte à voter pour les
libéraux. Laurier, qui allait remporter trois autres élections fédérales,
en vient même, ironiquement, à symboliser l’essence même de la
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
28
Politique nationale : la construction ferroviaire se poursuit, l’Ouest est
colonisé et les industries prospèrent.
L’établissement du système d’éducation publique
Durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, l’éducation
prend
de
l’importance.
L'éducation
étant
désignée
compétence
provinciale par l’Acte de l’ANB, les provinces sont libres de créer leurs
propres systèmes et normes. Des ministères de l’éducation sont créés
et l’on se dirige graduellement vers une éducation gratuite et
obligatoire.
En
Ontario,
Egerton
Ryerson
fait
vigoureusement
campagne en faveur de la création d’écoles publiques. En 1871, la
province fonde des écoles secondaires et instaure graduellement un
système de fréquentation obligatoire de l’école primaire. Au Québec,
malgré la création initiale d’un ministère de l’éducation, dissous en
1875, des comités confessionnels catholiques et protestants contrôlent
l’éducation par le truchement du Conseil de l’instruction publique, et,
en général, l’établissement du système d’éducation prend du retard
sur le reste du pays. Vu l’opposition féroce des groupes confessionnels
à toute intervention de l’État en matière d’éducation, il faut attendre
1943 avant l’abolition des frais de scolarité et l’adoption de l’éducation
obligatoire.
La
prise
en
charge
de
l’éducation
par
l’État
et
l’établissement d’un ministère de l’Éducation (1964) ne se produisent
qu’au moment de la Révolution tranquille des années 1960.
Sur la scène économique
La colonisation de l’Ouest
Si la construction ferroviaire et l’expansion des industries
canadiennes du centre alimentent toutes deux le boom économique,
c’est la colonisation de l’Ouest qui embrasera l’imagination du Canada
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
29
anglais. Avec la diminution du nombre de terres agricoles distribuées
gratuitement aux États-Unis, l’Ouest canadien devient « the last best
west » (les meilleures terres nouvelles), et c’est alors que débute une
colonisation à grande échelle. La demande croissante, dans des pays
industriels comme la Grande-Bretagne, pour les ressources naturelles
du Canada contribue grandement à assurer la prospérité du pays. Se
chiffrant à seulement 14 millions de dollars en 1900, les exportations
de blé, par exemple, sont évaluées à 279 millions de dollars en 1920
(Cook, p. 380-381).
L’immigration
Mais le développement de l’Ouest dépend de l’immigration.
Clifford Sifton, ministre de l’Immigration de Laurier, travaille sans
relâche pour promouvoir l’immigration au Canada, tant en Europe
qu’aux États-Unis. Des deux millions de personnes qui viendront au
Canada de 1896 à 1911, près d’un million s’installeront dans l’Ouest.
On se souviendra de Sifton pour son désir et sa capacité d’attirer des
gens ayant une « expérience de l’agriculture », modifiant ainsi de
façon radicale la composition ethnique de la société canadienne.
D’origine essentiellement française et britannique, les colons voient
arriver des immigrants de l’Europe de l’Est et de l’Ouest; en 1921,
54 % de la population de l’Ouest est née à l’extérieur du Canada.
L’urbanisation
Les premières années du vingtième siècle ont également
d’importantes
répercussions
sur
des
centres
industriels
comme
Montréal et Toronto. Les communautés d’immigrants sont liées par les
liens de parenté, la langue et une expérience commune d’exploitation
économique. Vivant des tensions avec les populations dominantes et
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
30
les membres de leurs propres communautés arrivés au Canada plus
tôt, les immigrants juifs et italiens, par exemple, réussissent à former
des communautés culturelles distinctes. Les conditions de vie et de
travail des classes ouvrières représentent les aspects les plus sombres
et les plus occultés de cette « ère de prospérité ». En outre, en raison
de la division du travail en fonction du sexe, de la discrimination au
niveau des salaires et de leur exclusion du travail organisé, les
femmes reçoivent toujours des salaires inférieurs à ceux de leurs
homologues masculins.
Le mouvement de réforme de la classe moyenne
Les problèmes sociaux causés par l’industrialisation inquiètent
grandement les réformistes de la classe moyenne. À titre d’exemple,
Herbert Brown Ames fait une description détaillée des conditions de vie
des ouvriers de Montréal, dans son ouvrage The City below the Hill
(1897). Au début du vingtième siècle, les églises protestantes en
Ontario
sont
très
engagées
dans
le
mouvement
de
réforme
progressiste. Se démarquant des réformistes évangélistes qui les ont
précédés, les réformistes progressistes soutiennent que la pauvreté
est causée, du moins en partie, par les ratés du système économique.
Les
presbytériens,
les
méthodistes
et
les
baptistes
mènent
le
mouvement « social gospel » qui, transcendant le salut spirituel, vise
l’amélioration des conditions sociales des classes ouvrières. Tentant de
créer un « royaume de Dieu sur Terre », les églises protestantes
mettent sur pied des missions urbaines et des maisons d’entraide, et
font pression en faveur de l’adoption de la Loi sur le dimanche, qui
accorderait aux ouvriers au moins un jour de repos par semaine.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
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Sur le plan idéologique
L’impérialisme canadien
Au
tournant
du
vingtième
siècle,
l’Ontario
et
le
Québec
connaissent d’importants changements au plan idéologique. Durant les
années qui précèdent la Première Guerre mondiale, l’impérialisme
devient la forme dominante de nationalisme parmi les Canadiens
anglais qui recherchent la sécurité de l’Empire britannique au sein
duquel ils espèrent que le Canada joue un rôle plus important. Selon le
politologue Louis Balthazar, puisque les Canadiens anglais n’ont pas de
mythe national concernant la fondation de leur nation, « l’Empire, la
Couronne deviennent leur mythe social, leur légitimation, leur raison
d’être comme société » (Balthazar, p. 84). Les Canadiens anglais
croient, malgré leur loyauté envers la Grande-Bretagne, que le Canada
a la destinée de jouer un rôle important au sein de l’Empire. Comme le
mentionne
l’historien
Carl
Berger,
le
sentiment
de
nationalité
« reposait sur une conception arrêtée du passé du Canada, de son
caractère national, de sa mission dans l’avenir, et à sa source se
trouvait un désir d’importance, et la volonté d’effacer les traces de la
colonisation »
[trad.]
(Berger,
p.
259).
Pour
illustrer
l’attitude
impérialiste, l’historien et économiste politique Stephen Leacock a
comparé l’Angleterre à un vieil homme et le Canada à son fils, parvenu
à maturité. Dans l’esprit de la plupart des Canadiens, l’impérialisme
est une forme de nationalisme puisqu’en partageant les responsabilités
de l’Empire, le Canada, espèrent-ils, augmenterait son pouvoir de
façonner les politiques impériales en sa faveur. L’impérialisme a aussi
beaucoup d’impact auprès des communautés religieuses, et du haut de
leur chaire, les chefs religieux livrent souvent un message impérialiste.
Chez les protestants des diverses confessions, c’est à qui exercera le
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
32
plus d’influence sur le développement de la nation. Ce profond
attachement à l’Empire se reflète en outre dans l’approbation massive,
par les Canadiens anglais, de la participation à l’effort de guerre
britannique en Afrique du Sud. Lorsqu’on annonce aux nouvelles que
les Britanniques ont forcé les Boers à se replier, les étudiants
universitaires descendent dans les rues en chantant des chants
militaires, et les usines et les écoles ferment leurs portes.
Le nationalisme canadien-français
Si les Canadiens anglais se préparent à aller au front, les
Canadiens français, beaucoup moins chauds à l’idée de défendre
l’Empire britannique, remettent en cause l’attachement du Canada à la
Grande-Bretagne.
À
Montréal,
Canadiens
français
et
anglais
s’affrontent dans des batailles de rue. Henri Bourassa, député libéral,
refuse d’appuyer l’effort de guerre britannique, démissionne de son
poste au sein du gouvernement Laurier et devient le principal porteparole du nouveau nationalisme canadien-français. Bourassa veut que
le Canada rompe ses liens avec l’Empire britannique et qu’il se
reconstitue à titre de pays indépendant basé sur une égalité
pancanadienne des francophones et des anglophones. Considéré
comme un traître à l’extérieur du Québec, Bourassa devient la voix
d’une population canadienne-française de plus en plus isolée, qui
refuse de participer aux conflits impériaux. Mais l’opposition de
Bourassa à l’impérialisme canadien-anglais ne s’arrête pas à sa
dénonciation de la participation du Canada à la guerre des Boers. Suite
à la décision de Laurier de créer, avec la Loi navale de 1909, une
petite marine « de pacotille », Bourassa rejette l’engagement envers la
défense impériale alors qu’en même temps, les Canadiens anglais
dénoncent l’insignifiance de la flotte. Après avoir fondé le quotidien
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
33
montréalais
Le
Devoir
en
1910,
Bourassa
verra
son
influence
augmenter radicalement lors des controverses entourant la Première
Guerre mondiale.
La Première Guerre mondiale
En 1914, la guerre est subitement déclenchée en Europe, et les
Canadiens croient d’abord que le conflit sera de courte durée. À titre
de colonie, le Canada est tenu de participer à l’effort de guerre
impérial en vertu de la déclaration de guerre britannique. Impatients
de s’enrôler, des jeunes hommes, la plupart des nouveaux immigrants
originaires de la Grande-Bretagne, remplissent bientôt les rues des
grandes villes du pays. Malgré une organisation boiteuse et des
instructions confuses, 31 000 hommes et 8 000 chevaux sont envoyés
en Europe. Au Canada anglais, les citoyens patriotiques créent des
campagnes de recrutement massives et, au nom du patriotisme
impérial, évincent les Allemands et les Autrichiens de la fonction
publique et font pression pour que la ville de Berlin, en Ontario, soit
rebaptisée Kitchener.
L’effort de guerre du Canada
Mais c’est la faible participation canadienne-française à la
guerre, cependant, qui préoccupe l’opinion canadienne-anglaise et qui
rallume les vieilles hostilités. Seulement 13 000 des recrues du Corps
expéditionnaire canadien (CEC) sont de langue française, et s’ils
étaient au départ sympathiques à la cause des alliés, l’appui des
Canadiens français à la guerre s’estompe au fur et à mesure que le
conflit progresse. Commandé par des officiers britanniques dont les
ordres sont donnés en anglais, le CEC ne donne pas aux Canadiens
français l’impression d’être les bienvenus. De leur côté, les Canadiens
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
34
français ne ressentent pas le besoin particulier d’aller défendre les
intérêts de l’Empire britannique.
La Loi du service militaire
En mai 1917, avec la Loi du service militaire, le premier ministre
Borden impose la conscription pour les hommes célibataires âgés de
20 à 35 ans. Si de nombreux fermiers et agriculteurs au Canada
anglais sont en défaveur de la Loi, l’opposition la plus forte vient du
Québec. Ayant besoin d’un nouveau mandat pour mettre son projet en
œuvre,
Borden,
avec
un
gouvernement
de
coalition
formé
de
conservateurs et de libéraux dissidents, déclenche une élection. Pour
s’assurer de la victoire, Borden étend le droit de vote aux membres
masculins et féminins du CEC, ainsi qu’aux épouses, aux mères et aux
sœurs des soldats. En outre, les immigrants naturalisés après 1902
perdent le droit de vote. Les résultats divisés de l’élection reflètent
l’état de polarisation du pays : si le parti unioniste remporte 153
sièges, les libéraux balaient le Québec, se faisant élire dans 62 des 65
circonscriptions.
La crise de la conscription
Son mandat en poche, Borden autorise la conscription, et pour la
première fois dans l’histoire, le gouvernement du Québec discute de la
possibilité d’une sécession. La tension monte encore lorsqu’en mars
1918, de violentes démonstrations anti-conscription à Québec se
transforment en émeutes. Lorsque la police de Québec refuse
d’intervenir et de disperser les foules, le gouvernement fédéral
dépêche des troupes qui ouvrent le feu, tuant quatre civils. Si les
conséquences militaires de la conscription sont négligeables, et que
seulement 24 000 conscrits ont réellement participé à des combats en
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
35
France, les effets fractionnels de la crise de la conscription se feront
sentir longtemps dans l’avenir (Conrad et Finkel, p. 209).
Le contrecoup de la guerre
Lorsque la Grande Guerre prend fin en novembre 1918, il est
clair que le Canada a profondément changé. Six cent mille Canadiens
ont participé au conflit, et 60 661 y ont perdu la vie. Beaucoup de ceux
qui
sont
revenus
ont
souffert
de
blessures
physiques
ou
psychologiques. En raison de son grand sacrifice à l’effort de guerre, le
Canada renforce son profil sur la scène internationale. Représenté
dans la délégation britannique lors de la conférence sur la paix de
Paris,
le
Canada,
affichant
une
partie
de
son
indépendance
nouvellement acquise, signe pour la première fois dans son histoire un
traité multilatéral international. En 1918, le gouvernement d’union,
s’appuyant sur les réformes de la Loi des élections en temps de
guerre, étend le droit de vote aux femmes aux élections fédérales, et
dans les années 1920, la plupart des gouvernements provinciaux
avaient emboîté le pas et accordé également aux femmes le droit de
voter aux élections. Le Québec fait cependant exception, et l’influence
conservatrice refuse le droit de vote aux femmes jusqu’en 1940.
Sur la scène économique
L’épidémie de grippe espagnole
La
paix
ne
résout
pas
les
graves
problèmes
sociaux,
économiques et de santé publique qui accablent le Canada. À
l’automne 1918, par exemple, presque autant de Canadiens meurent
de la grippe espagnole que ceux qui ont perdu la vie à la guerre. De
plus, avec le retour des soldats sur le marché du travail, et le passage
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
36
d’une économie de guerre à une économie de paix, les tensions dans
les usines s’aggravent et une vague de radicalisme ouvrier balaie le
pays. Ainsi, l’affiliation syndicale passe de 143 000 membres en 1915
à 378 000 en 1919, plusieurs partisans de la gauche s’inspirant de la
révolution bolchevique en Russie. En 1919, lors d’une réunion de la
Western Labour Conference, à Calgary, des délégués créent un
syndicat industriel appelé « One Big Union » pour défendre les ouvriers
dans la lutte des classes.
La grève générale de Winnipeg
Le 15 mai 1919, le Winnipeg Trades and Labour Congress déclenche
une grève générale, et près de 30 000 travailleurs, dont seulement
12 000 sont syndiqués, débraient. Même s’il s’agit de l'action la plus
longue et la plus complète du genre, la grève de Winnipeg n’est qu’un
élément de la révolte ouvrière qui balaie le pays et l’Occident entier
durant la période de l’après-guerre. Par exemple, selon les historiens
Ian McKay et Suzanne Morton, les habitants des provinces maritimes
se sont soulevés par milliers entre 1917 et 1925 pour exiger des
changements profonds. Ils ont créé un troisième parti politique et
disputé certaines des grèves les plus spectaculaires et sauvages de
toute l’histoire canadienne. (Morton et McKay, p. 43) De nombreux
Canadiens craignent une révolution violente, et le gouvernement se
hâte d’étouffer les éléments radicaux. Aux termes de l’article 98 du
Code criminel, Ottawa interdit tout groupe soupçonné de prôner le
renversement du gouvernement.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
37
Suggestions de lecture
L’urbanisation et l’industrialisation à Montréal sont bien documentées dans
l’ouvrage de Paul-André Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération
(Montréal : Boréal, 1992); Terry Copp, The Anatomy of Poverty: The Condition of the
Working Class in Montreal, 1897-1929 (Toronto : McClelland and Stewart, 1974);
Terry Copp, « The Conditions of the Working Class in Montreal, 1867-1920 »,
Historical Papers (1972); Lucia Ferretti, Entre Voisins : La société paroissiale en
milieu urbain : Saint-Pierre Apôtre de Montréal, 1848-1930 (Montréal : Boréal,
1992).
Au sujet de l’idéologie canadienne-anglaise au tournant du siècle, voir Carl
Berger, The Sense of Power: Studies in the Ideas of Canadian Imperialism (Toronto :
University of Toronto Press, 1970); pour un compte rendu de la participation du
Canada à la guerre des Boers, voir Carman Miller, Painting the Map Red (Montréal :
McGill-Queen’s Press, 1993). Au sujet du nationalisme canadien-français durant la
période, voir Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec (Montréal :
l’Hexagone,
1986);
Casey
Murrow,
Henri
Bourassa
and
French-Canadian
Nationalism: Opposition to Empire (Montréal : Harvest House, 1968); Joseph Levitt,
Henri Bourassa and the Golden Calf (Ottawa : Les éditions de l’Université d’Ottawa,
1969); au sujet du développement du nationalisme clérical dans les années 1920,
voir Susan Mann Trofimenkoff, L’Action Française: French-Canadian Nationalism in
the Twenties (Toronto : University of Toronto Press, 1975).
Pour un regard très intéressant sur la réforme sociale, voir Mariana Valverde,
The Age of Light, Soap and Water: Moral Reform in English Canada, 1885-1925
(Toronto : McClelland and Steward, 1991); également utile, l’ouvrage de Ramsay
Cook, The Regenerators: Social Criticism in Late Victorian English Canada (Toronto :
University of Toronto Press, 1985).
Pour un survol de l’histoire de la classe ouvrière durant la période, voir Bryan
Palmer, The Working Class Experience: Rethinking the History of Canadian Labour,
1800-1991 (Toronto : McClelland and Stewart, 1992); pour une interprétation
quelque peu différente, voir Desmond Morton, Working People: An Illustrated History
of the Canadian Labour Movement (Toronto : Summerhill, 1990); et pour un regard
sur
le
mouvement
ouvrier
au
Québec,
voir
Jacques
Rouillard,
Histoire
du
Syndicalisme au Québec (Montréal : Boréal Express, 1989); pour un aperçu de la
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
38
révolte ouvrière des Maritimes, voir Ian McKay et Suzanne Morton, « The Maritimes:
Expanding the Circle of Resistance » dans Craig Heron, dir., The Workers’ Revolt in
Canada, 1917-1925 (Toronto : University of Toronto Press, 1998).
Pour plus d’information sur l’expérience des femmes, voir le Collectif Clio,
Quebec Women: A History (Toronto : Women’s Press, 1987); Bettina Bradbury Karen
Dubinsky, « "Maidenly Girls" or "Designing Women"? The Crime of Seduction in Turnof-the-Century Ontario » dans F. Iacovetta et M. Valverde, dir., Gender Conflicts:
New Essays in Women’s History (Toronto : University of Toronto Press, 1992);
Carolyn Strange, Toronto’s Girl Problem: The Perils and Pleasures of the City, 18801930 (Toronto : University of Toronto Press, 1995);
Pour d’excellents comptes rendus de l’expérience des immigrants au Canada
au début du vingtième siècle, voir Irving Abella, A Coat of Many Colours: Two
Centuries of Jewish Life in Canada (Toronto : Key Porter Books Limited, 1999);
Bruno Ramirez, Les Premiers Italiens de Montréal : L’origine de la Petite Italie du
Québec (Montréal : Boréal Express, 1984); Geralt Tulchinsky, Taking Root: The
origins of the Canadian Jewish Community (Toronto : Lester Publishing, 1992).
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
39
1919-1945
Sur la scène politique
William Lyon Mackenzie King
Le radicalisme ouvrier de l’après-guerre se poursuit au début des
années 1920, avant de perdre graduellement son élan révolutionnaire.
Les élections de 1921 voient naître une nouvelle ère politique
canadienne. L e Parti progressiste, un parti de protestation qui défend
principalement les intérêts des agriculteur, surprend tout le monde en
se classant deuxième avec 64 sièges. Le Parti libéral de William Lyon
Mackenzie King, un ancien fonctionnaire possédant une vaste
expérience des relations de travail, prend cependant les rênes du
pays, qu’il conservera pendant la majeure partie des trois prochaines
décennies. Les élections de 1921 marquent également un point
tournant dans l’histoire des femmes au Canada. Signe du rôle
grandissant qu’elles allaient jouer dans l’arène politique, Agnes
Macphail devient la première femme députée. Mais les femmes, qui
n’ont pas encore le statut de « personnes » au sens de la loi,
demeurent exclues du Sénat canadien et continuent d’occuper des
rôles subordonnés dans presque toutes les sphères de la société. Au
lieu de prétendre à la victoire, elles accueillent le droit de vote et
l’accès d’Agnes Macphail à la Chambre des communes comme un
premier pas de la lutte féministe qui se poursuivra tout au long du
siècle.
Malgré de grands efforts, le gouvernement King perd rapidement
de sa popularité, surtout dans les Maritimes et dans l’Ouest. En 1925,
lors des élections suivantes, il doit se contenter d’un gouvernement
minoritaire. Conscient du fait qu’il n’est plus en position de gouverner,
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
40
Mackenzie King demande au gouverneur général, Lord Byng, de
dissoudre la Chambre des communes. Lord Byng refuse et demande
au chef conservateur Arthur Meighen de former un gouvernement.
Mais le gouvernement Meighen s’écroule rapidement et, lors des
élections suivantes, Mackenzie King reprend facilement le pouvoir
grâce à une campagne axée sur la « stabilité » et la « démocratie ».
Or, diriger un pays en période de prospérité économique est plutôt
facile comparativement aux défis posés en période de récession.
Quand l’économie se met à s’effondrer, les provinces s’adressent à
Ottawa pour obtenir des fonds de secours. Mackenzie King montre
alors à quel point il est insensible aux préoccupations de l’électorat.
Opposé à l’octroi de fonds de secours, il prononce en Chambre des
communes un discours désastreux que ses opposants ne seront pas
prêts d’oublier. Fier de son budget équilibré, il riposte à la demande
des provinces en affirmant que « pour combattre le prétendu problème
de chômage », il n’accorderait « même pas une pièce de cinq cents ».
Moins de quatre mois plus tard, le 28 juillet 1930, la population punit
Mackenzie King de son indifférence en donnant aux conservateurs de
R.B. Bennett une majorité de 137 sièges contre 91 à la Chambre des
communes.
R.B. Bennett et son « New Deal » canadien
Il ne faut pas attendre longtemps, toutefois, avant que la colère
de la population à l’endroit de Mackenzie King ne s'abatte à son tour
sur Bennett. À mesure que la dépression s’intensifie, l’image d’homme
d’affaires millionnaire que renvoie Bennett commence à contrarier la
population affamée. Pendant la plus grande partie de son mandat,
Bennett, un partisan de l’économie de laisser-faire, refuse ardemment
d’étendre le rôle de l’État. La population et son propre cabinet sont
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
41
donc surpris de l’entendre annoncer un programme de réforme
économique et sociale d’envergure quelques mois avant les élections
fédérales de 1935. Sur les traces de l’Américain Franklin D. Roosevelt,
Bennett présente à la radio les paramètres de sa nouvelle plate-forme
d’action gouvernementale. Mais ses nouvelles propositions de réforme
arrivent trop tard, et la population peu convaincue redonne le pouvoir
au gouvernement libéral de Mackenzie King. Malgré une campagne
libérale fondée sur le slogan « King ou chaos », un nombre sans
précédent de Canadiens, méfiants des partis politiques traditionnels et
des politiciens indifférents, ne votent ni pour les libéraux ou les
conservateurs. Plus la richesse de la population canadienne s’évapore
et plus les partis de protestation acquièrent de la popularité.
Les luttes sur les compétences constitutionnelles
Compte tenu du niveau sans précédent de misère causé par la
dépression, les querelles sur les compétences constitutionnelles et le
financement des programmes sociaux se font constantes entre les
différents paliers de gouvernement. Lorsque King reprend le pouvoir
en 1935, il somme la Cour suprême de trancher sur la validité
constitutionnelle des mesures législatives du « New Deal » de Bennett.
La Cour déclare anticonstitutionnels les éléments principaux du
programme, à la grande consternation des sociaux-démocrates
canadiens qui y avaient enfin vu un signe de réforme. Les
compétences constitutionnelles préoccupent également la classe
politique provinciale. En 1936, Maurice Duplessis et son parti de
l’Union nationale10 mettent fin à 39 années de règne libéral au Québec.
Faisant fi des promesses de réforme qu’il avait faites durant sa
10
Le gouvernement de l’Union nationale a été créé au Québec à la suite de la fusion du petit
Parti conservateur provincial de Duplessis et d’un groupe de libéraux mécontents. Après avoir
gagné ses élections, cependant, Duplessis a réussi à prendre le plein contrôle du parti.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
42
campagne électorale, le premier ministre Duplessis fait la cour aux
grandes entreprises et à l’Église catholique, réprime le mouvement
syndical et promet de « défendre » le Québec contre l’ingérence
fédérale dans les secteurs de compétence provinciale. Pendant que
Duplessis tient les rênes du pouvoir au Québec et défend ardemment
les compétences constitutionnelles de la province, Mitchell Hepburn
suit une politique semblable en Ontario. Ensemble, Duplessis et
Hepburn cherchent à défendre les compétences provinciales et, par
conséquent, s’opposent farouchement au programme d’assurancechômage de Mackenzie King.
La Commission Rowell-Sirois
Durant la seconde moitié des années 1930, la question des
compétences constitutionnelles empoisonne constamment
l’atmosphère politique. King, qui s’oppose à toute action décisive
permettant d’atténuer les effets de la dépression, forme la Commission
royale d’enquête sur les relations entre le Dominion et les provinces,
mieux connue sous le nom de Commission Rowell-Sirois, chargée
d’étudier la situation et d’émettre des recommandations. Le fait de
soumettre la question à un comité permet à King d’éviter de prendre
des mesures concrètes, du moins dans l'immédiat.
Sur la scène économique
L’après-guerre
Au lendemain de la Grande Guerre, le gouvernement d’union et
les libéraux qui l’ont remplacé prônent le retour à des doctrines
économiques libérales d’avant-guerre, qui accordent la primauté aux
« forces du marché » et s’opposent à toute forme d’intervention de
l’État. Dans un tel contexte, les Canadiens sans-emploi souffrent et,
faute de système d’assistance publique appréciable, sont obligés de
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
43
compter sur des dons privés et des mesures de soutien locales mal
administrées.
Le Mouvement des droits des Maritimes
Dans l’Est du Canada, la fin de la guerre marque le début d’une
crise économique sans précédent. Frappée par une récession et une
vague croissante de radicalisme ouvrier, la région connaît une chute
de 40 % de sa production agricole entre 1917 et 1921. Pis encore,
pendant que le reste du pays connaît la prospérité économique durant
la deuxième moitié des années 1920, l’économie des Maritimes
n'arrive pas à sortir du marasme de l'après-guerre, et plus de
100 000 personnes doivent quitter la région pour trouver un emploi
dans des lieux plus prospères. Cet exode crée un déclin relatif de la
population des Maritimes par rapport au reste du pays et entraîne une
réduction du nombre de ses représentants à Ottawa (Conrad et Finkel,
p. 232).
Le gouvernement fédéral semble indifférent aux difficultés de la
région, ce qui n'aide en rien la situation. Aux yeux des habitants des
Maritimes, il ne fait que satisfaire les intérêts du Centre et de l’Ouest
du Canada. Par exemple, durant la guerre, la fusion du chemin de fer
Intercolonial et de la Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada signifie des pertes d’emplois et, pour Halifax et St-Jean, la fin
du statut de plaques tournantes du commerce international.
Rassemblant des groupes divers et dirigé principalement par l’élite
professionnelle et du monde des affaires, le Mouvement des droits des
Maritimes exige, outre des subventions fédérales plus importantes, la
prise en compte des intérêts de la région dans les politiques nationales
en matière de transport et de tarifs. Le mouvement joue un rôle
important sur la scène politique électorale des années 1920, obligeant
même la création de la Commission royale sur les réclamations des
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
44
provinces maritimes (1926), avant de disparaître à la fin de la
décennie. Le gouvernement King fait cependant fi de la plupart des
recommandations de la Commission (Conrad et Finkel, p. 232-233).
La prospérité économique des années 1920
Les difficultés économiques du début des années 1920 font
lentement place à la croissance durant la seconde moitié de la
décennie. S’appuyant sur une économie américaine forte, de nouvelles
industries manufacturières voient le jour en Ontario. Le Québec, qui
connaît également une expansion de son secteur manufacturier, se
tourne vers l’exploitation des richesses naturelles. Grâce au capital et
au savoir-faire canadiens et américains, les secteurs miniers, forestiers
et hydro-électriques occupent une place centrale dans les économies
ontarienne et québécoise. Les villes prennent de l’expansion au même
rythme que les industries. La population de Toronto augmente de
32 % durant cette période et celle de Montréal grimpe de 38 %
(Brown, p. 426).
La Crise de 1929
La prospérité économique qui, en général, caractérise les années
1896 à 1929 connaît une fin brutale en 1929. L’effondrement de la
bourse américaine n’est que le symptôme le plus visible de problèmes
économiques majeurs. Il faut peu de temps au Canada, comme à la
plupart des pays occidentaux, pour sombrer dans une profonde
dépression. Afin d’adoucir les effets de l’effondrement, les nations ont
recours à des politiques protectionnistes qui, selon elles, protègeront
leurs industries intérieures. Pour le Canada, qui dépend de ses
exportations agricoles (80 % des produits agricoles canadiens sont
exportés et la récolte de 1928 a déjà produit un surplus sur le
marché), la crise a des effets catastrophiques.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
45
La dépression dans l’Ouest, le Centre et l’Est
Alors que l'on croit avoir vu le pire, les Prairies, déjà durement
frappées par la crise économique, subissent l’une des pires
sécheresses et invasions de sauterelles de leur histoire. Les récoltes
sont dévastées et un grand nombre de gens perdent leurs moyens de
subsistance. L’industrie manufacturière canadienne en ressent aussi
les contrecoups et sa production chute du tiers entre 1929 et 1932
(Thompson, p. 196). Le taux de chômage du Canada grimpe de façon
draconienne de 13 % en 1930 à 26 % en 1933, et le revenu net passe
de 417 millions de dollars à 109 millions de dollars durant la même
période (Cook, p. 444; Morton, p. 107). Mais aucune région ne peut
comparer son désespoir à celui de Terre-Neuve (qui ne fait pas encore
partie du Canada). L’effondrement des marchés d’exportation des
richesses naturelles s’avère désastreux pour la colonie, dont les
pêches, les produits forestiers et les minéraux représentent 98 % des
exportations. Aux prises avec une dette écrasante et un malaise social
grandissant, la chambre d’assemblée de Terre-Neuve décide, en
désespoir de cause, de suspendre la démocratie et de céder le pouvoir
à une commission nommée par les Britanniques et chargée de diriger
la province tout au long de cette décennie tumultueuse.
La vie durant la dépression
À mesure que l’économie s’effondre et que le taux de chômage
grimpe, les prix chutent. Pour les travailleurs qui réussissent à
conserver leur emploi, la baisse du coût de la vie compense
amplement les réductions salariales. Les fonctionnaires du
gouvernement du Dominion connaissent même une hausse du niveau
de vie de 25 % entre 1926 et 1933 (Bliss, p. vi). Pour les sans-emploi,
cependant, la situation est tout autre : à une époque où l’on associe la
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
46
pauvreté à de mauvaises valeurs morales ou au manque d’initiative, il
y a peu de structures de soutien, voire aucune, en place pour amortir
le choc. Durant toute la décennie, les administrations fédérale,
provinciales et municipales se renvoient la responsabilité des frais de
secours. Et lorsqu’elles offrent enfin de l’assistance, celle-ci
s’accompagne de critères de résidence stricts et de travaux forcés. Les
préjugés de la classe dirigeante, voulant qu'il y ait de l’emploi pour
ceux qui veulent vraiment travailler, font beaucoup de victimes chez
les personnes dans le besoin. Si les chômeuses acceptent souvent des
emplois avilissants comme domestiques, les chômeurs célibataires ont
plutôt tendance à traîner les rues, et constituent par conséquent un
grave danger social aux yeux du gouvernement.
Les camps de secours
Pour composer avec la situation, les administrations fédérale et
provinciales créent des camps de secours. Sous discipline militaire (les
camps fédéraux sont même administrés par le ministère de la Défense
nationale), les chômeurs célibataires sont forcés d’y travailler pour un
salaire d’environ 20 cents par jours.
Colère et frustration
Au bord de la famine, de nombreux Canadiens éprouvent le
besoin d’écrire au premier ministre Bennett pour lui raconter leur
misère. Dans sa lettre au premier ministre, Charles Grierson exprime
bien le désespoir ressenti par un grand nombre de Canadiens :
Cher Monsieur Il y a quelque temps, je vous écris une lettre pour vous demander de l’aide ou un
travail. Ça fait maintenant 40 mois que je n’ai pas eu le plaisir de recevoir une
paye. Sous-alimentée, mal vêtue et sans abri décent, ma famille a besoin
d’assistance médicale. Combien de temps pensez-vous qu’on peut continuer
comme ça?
Vous avez dit que personne ne mourrait de faim au Canada. J’imagine que vous
vouliez dire mourir de faim du jour au lendemain. Mais lentement notre famille et
des milliers d’autres risquent de le faire peu à peu…. Pour l’amour de Dieu, s’ilvous-plaît faites personnellement quelque chose pour m’aider à améliorer notre
situation immédiatement.
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
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Bien à vous,
Charles Grierson [traduction libre]
Certaines personnes s’en prennent même personnellement au premier
ministre qui, selon elles, n’en fait pas assez pour aider la population.
La lettre suivante d’un ouvrier anonyme résume clairement la colère
collective du peuple canadien :
Eh bien, M. R.B. Bennett, êtes-vous un homme ou non? pour être la cause de toute cette
famine et privation. Vous nous appelez des misérables, mais si nous sommes des
misérables, vous n’êtes rien d’autre qu’un misérable vous aussi. Même pire. Vous avez
dit que si vous étiez élu, vous alliez tous nous donner des emplois et un salaire. Eh bien,
vous êtes premier ministre depuis quatre ans, et nous cherchons encore un emploi et un
salaire. Vous nous avez enlevé tous nos emplois. On ne peut plus gagner de l’argent.
Vous dites qu’on mérite un camp de secours, mais vous n’en méritez même pas un,
M. Bennett. Vous profitez vous-même du secours. Vous mettez de côté votre gros salaire
du gouvernement, puis lui demandez de payer pour vos festins pendant que nous,
pauvres hommes, nous mourons de faim (cité par Bliss, p. 47 et 95). [traduction libre]
La pauvreté aiguë et le manque d’emplois valorisants ne peut faire
autrement que d’inciter la population à remettre en question les
structures économiques et politiques existantes, voire même à
chercher à les remplacer. Les années 1930 connaissent donc un
élargissement sans précédent de l’éventail politique et d’une grande
effervescence d’idéologies.
Sur la scène idéologique
Les nouveaux groupes politiques
La gravité de la crise économique des années 1930 a des
répercussions profondes sur la population canadienne. De nouveaux
groupes politiques semblent poindre de partout, annonçant leur
mécontentement envers le gouvernement et prônant le changement.
Les jeunes et les femmes, qui se méfient de la classe dirigeante,
expriment leur manque de confiance envers l’élite politique et
économique qui dirige la société, se frayent un chemin sur la scène
politique et créent des organisations politiques autonomes. Ils
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
48
s’unissent à des groupes traditionnels à majorité masculine pour
remettre en cause les paradigmes libéraux classiques.
L’opposition au libéralisme classique
Fondé sur les concepts de primauté des forces de marché, de
liberté individuelle et de droit à la propriété privée, le libéralisme
classique domine la pensée politique et économique jusqu’aux années
1930. Mais aux yeux d’une population en détresse constituée d’un
nombre sans précédent de chômeurs, le libéralisme classique s’avère
incapable de répondre aux besoins de la société. Informées de la
situation en Europe par leurs journaux quotidiens, certaines personnes
commencent à chercher des solutions de rechange.
L’extrême gauche
Aux deux extrémités de l’éventail politique, des groupes radicaux
s’établissent et suscitent un intérêt sans précédent. À l’extrême
gauche, le Parti communiste du Canada (PCC) prône la révolution
totale comme seule solution à la crise économique. Fondé en 1921
dans une grange des environs de Guelph, en Ontario, le parti s’emploie
à syndiquer différents métiers et obtient un grand succès auprès des
ouvriers immigrants. La gravité de la dépression aide la cause du parti,
qui commence à acquérir de la popularité parmi les travailleurs
canadiens. Mais en raison du danger qu’il constitue pour l’ordre établi,
le Parti communiste est soumis à une répression policière brutale. En
1931, son chef Tim Buck et bon nombre de ses membres sont arrêtés
et écopent d’une peine de cinq ans au pénitencier de Kingston. Malgré
la légalisation du parti par Mackenzie King en 1936, la répression se
poursuit. Au Québec, le régime de Duplessis fait fi des libertés civiles
et ne tolère aucune dissidence politique. Lors d’une visite de trois
délégués de la nouvelle République espagnole en 1936, le clergé –
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
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motivé par la peur – demande au gouvernement de sévir contre les
communistes. Duplessis est heureux d’accéder à sa requête et fait
adopter, en mars 1937, la Loi du cadenas, qui lui permet de
cadenasser de force tout édifice utilisé à des fins « communistes ». Les
défenseurs des libertés civiles exigent en vain du gouvernement
fédéral qu’il rejette la loi.
L’extrême droite
À l’autre bout de l’éventail politique, des groupes d’extrêmedroite font également irruption. Durant les années 1930, les partis
fascistes trouvent des appuis notamment chez de nombreux
immigrants allemands et italiens. Antisémites, anticommunistes et
antihomosexuels, les fascistes tentent de maintenir l’harmonie sociale
et voient d’un bon œil la fierté allemande et italienne restaurée. Le
fascisme se répand aussi dans les grandes villes canadiennes,
principalement à Montréal, où ses adeptes se présentent comme les
défenseurs de la religion catholique et des Canadiens français.
La Co-operative Commonwealth Federation
Outre les organisations communistes et fascistes, d’autres
groupes voient le jour qui sont probablement tout aussi radicaux, mais
moins extrêmes. La nouvelle Ligue en faveur de la reconstruction
sociale, par exemple, exige au début de la décennie l'apport de
changements profonds au système économique. Fondée en 1932, la
Co-operative Commonwealth Federation (CCF, à l’origine du Nouveau
parti démocratique) exerce une influence beaucoup plus grande.
Regroupement de nombreux groupes politiques divers, la CCF énonce
clairement ses intentions politiques dans son manifeste, citant
qu’aucun gouvernement de la CCF ne sera satisfait avant d’avoir fait
complètement disparaître le capitalisme et mis entièrement en œuvre
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
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le programme de planification socialisée qui mènera à l’établissement
au Canada du Commonwealth coopératif. Gagnant peu à peu du
terrain sur les scènes provinciales et fédérale, la CCF fait une brèche
permanente dans le régime de dualité de parti et constitue une
menace sérieuse pour le parti au pouvoir.
La naissance du « néo-libéralisme »
Même si l’apparition de mouvements politiques n’apporte pas de
changements radicaux, l’ampleur de la dépression démontre
clairement que le chômage ne provient pas simplement d’un manque
d’initiative personnelle et que le gouvernement ne peut continuer sans
revoir ses grandes structures économiques. Dès le milieu des années
1930, par conséquent, de nombreuses personnes commencent à
promouvoir un néo-libéralisme fondé sur l’établissement de
programmes sociaux universels, l’intervention de l’État en matière
d’économie et une rhétorique d’égalité des chances. Repris en partie
dans le « New Deal » manqué de Bennett, ce néo-libéralisme trouve
ses plus ardents défenseurs parmi un groupe de jeunes économistes
qui se frayent un chemin au sein du gouvernement fédéral et jettent
les bases du futur État providence de l’après-guerre. Or, en même
temps que l’on redéfinit les rôles des administrations provinciales et
fédérale et s’apprête à lentement apporter des réformes au Canada, la
guerre éclate en Europe et balaie ces questions sous le tapis. Le
Canada se prépare en vue d’un nouveau conflit européen.
La Deuxième Guerre mondiale
Comme le fait si bien remarquer Arthur Lower en mai 1939,
chaque nouveau jour, « avec son lot d’agressions allemandes, nous
fait clairement comprendre que l’ancien ordre mondial, au sein duquel
le Canada jouissait d’un grand confort, est en train de disparaître. »
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
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Après des années de tensions et de peurs croissantes, le Canada
déclare la guerre à l’Allemagne le 10 septembre 1939, sept jours après
la Grande-Bretagne. Le gouvernement adopte la Loi sur les mesures
d’urgence, qui lui confère la plupart des responsabilités énoncées dans
le rapport de la Commission royale Rowell-Sirois. L’impasse dans
laquelle se trouve le duo Duplessis-Hepburn et Mackenzie King cède la
place à des questions plus pressantes.
Adélard Godbout
Quand Duplessis annonce la tenue d’élections en octobre 1939, il
se présente comme le vrai défenseur du Québec et rappelle aux
électeurs qu’ils ont été trahis en étant appelés sous les drapeaux
durant la Première Guerre mondiale. Mais quand les dirigeants libéraux
promettent qu’il n’y aura pas de conscription, la population leur fait
confiance et Adélard Godbout est élu premier ministre du Québec. Au
nombre de ses réformes, Godbout accorde enfin le droit de vote aux
Québécoises.
L’effort de guerre du Canada et la conscription
Dans l’espoir d’éviter l’envoi de troupes terrestres au combat en
Europe, Mackenzie King s’engage à créer un programme de formation
de pilotes alliés. En limitant l’effort de guerre canadien à la formation
de pilotes, il pense pouvoir échapper au clivage national qui a marqué
la Première Guerre mondiale. Mais, outre-mer, la situation se détériore
rapidement. Après la « drôle de guerre », l’Europe tombe vite aux
mains des forces hitlériennes en progression et la Grande-Bretagne
doit lutter pour sa survie. En 1942, les choses se présentent mal pour
les Alliés et le Canada passe au stade de « guerre totale ». Pour
envoyer assez de soldats en Europe, toutefois, le pays doit une fois de
plus recourir à la conscription. Se rappelant la promesse qu’il a faite au
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
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Québec de ne pas l’imposer, King décide de résoudre la question par
plébiscite national. Lors du vote qui suit, 64 % de la population
canadienne se prononce en faveur de la conscription; au Québec, cette
proportion n’atteint que 28 %. Même si la conscription n’a pas d’effet
considérable sur l’effort de guerre du Canada, elle divise une fois de
plus le pays et aura des conséquences bien après la fin de la guerre.
Les femmes et la guerre
La guerre a également d’importantes répercussions sur la vie des
femmes. Même si les postes de combat sont réservés aux hommes,
plus de 43 000 d’entre elles se joignent au personnel non combattant
de l’Armée canadienne à titre d’infirmières, de secrétaires, de
machinistes et autres. Étant donné la pénurie subite de main-d’œuvre
masculine au pays, d’autres accèdent pour la première fois au marché
du travail et des garderies ouvrent leurs portes pour prendre soin des
enfants durant la journée. Quand la guerre finit, toutefois, les
garderies ferment; le gouvernement et les hommes s’attendent à ce
que les femmes reprennent le travail domestique.
La fin de la guerre et l’émergence d’un nouveau
Canada
Tandis que la guerre tire lentement à sa fin, il devient de plus en
plus évident que le pays ne sera plus jamais le même. Dans les années
1940, la CCF acquiert rapidement de la popularité à l’échelle fédérale
et provinciale. En 1944, le chef de la CCF, Tommy Douglas, forme le
premier gouvernement social-démocrate en Saskatchewan. Pour
empêcher une prise de pouvoir complète de la CCF et par désir
keynésien de maintenir le pouvoir d’achat et de faire en sorte que le
pays ne sombre pas de nouveau dans la misère économique, les
libéraux fédéraux entreprennent l’édification d’un État-providence
Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003
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centralisé, basé à Ottawa. La création d’un régime d’assurancechômage fédéral en 1940 et d’un programme de prestations
familiales11 en 1944 marque le début d’une expansion fédérale
soutenue. Dans l’après-guerre, le désir de reprendre la vie normale
gagne la population canadienne, les projets de mariage et de famille
stoppés pour cause de guerre reprennent, et les nouveaux
programmes sociaux offrent un sentiment de sécurité. Ces trois
éléments entraînent une hausse de la natalité sans précédent qui se
poursuit jusqu’aux années 1960. Pendant la décennie et demie qui
suit, l’explosion démographique, l’expansion de l’État et la naissance
d’une nouvelle culture de consommation –héritage de la période 19191945 – jettent les bases de la société canadienne moderne.
11
Aux termes des mesures législatives initiales, les mères d’enfants de moins de 16 ans
reçoivent entre 5 $ et 8 $ par enfant.
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Suggestions de lecture
Pour consulter de bonnes enquêtes sur cette période, voir John Thompson et Alan
Seager, Canada, 1922-1939: Decades of Discord (Toronto : McClelland and Stewart, 1985) et
Ian Drummond, Robert Bothwell et John English, Canada, 1900-1945 (Toronto : University of
Toronto Press, 1987); pour un aperçu de la situation au Québec, voir Paul-André Linteau, René
Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain: Le Québec
depuis 1930, nouvelle édition révisée (Montréal : Boréal compact, 1989); pour un aperçu des
répercussions de la dépression sur les idéologies au Québec, voir Idéologies au Canada
français, 1930-1939, Fernand Dumont, Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy, dir. (Québec : Les
Presses de l’Université Laval, 1978).
Pour un aperçu de l’agitation politique dans les Maritimes, voir Ernest R. Forbes,
Maritime Rights: The Maritime Rights Movement, 1919-1927 (Montréal: McGill-Queen’s
University Press, 1979), E.R. Forbes et D.A. Muise, dir., The Atlantic Provinces in Confederation
(Toronto : University of Toronto Press, 1993); voir aussi Gary Burrill et Ian McKay, dir., People,
Resources and Power: Critical Perspectives on Underdevelopment and Primary Industries in the
Atlantic Region (Fredericton : Acadiensis Press, 1987); pour un aperçu des soulèvements
ouvriers dans les Maritimes, voir Ian McKay et Suzanne Morton, « The Maritimes: Expanding the
Circle of Resistance » dans The Workers’ Revolt in Canada, 1917-1925, Craig Heron, dir.
(Toronto : University of Toronto Press, 1998); pour consulter un excellent article sur les difficultés
propres à la documentation de l’histoire des provinces de l’Atlantique, voir Ian McKay, « A Note
on ‘Region’ in Writing the History of Atlantic Canada », Acadiensis XXIX, vol. 2 (printemps 2000).
Pour des ouvrages en histoire sociale de la dépression, voir Blair Neatby, The Politics of
Chaos: Canada in the Thirties (Toronto : Macmillan, 1972); pour consulter une série déchirante
de lettres adressées à R.B. Bennett durant la dépression, voir Michael Bliss, dir., The Wretched
of Canada: Letters to R.B. Bennett, 1930-1935 (Toronto : University of Toronto Press, 1971);
pour un regard sur le Québec, voir Dans le sommeil de nos os : quelques grèves au Québec de
1934 à 1944 (Montréal : Black Rose Books, 1975); fait surprenant, peu d’ouvrages ont été écrits
sur la condition sociale au Québec durant la dépression; pour une excellente exception à cette
règle, voir Denyse Baillargeon, Ménagères au temps de la crise (Montréal : Éditions du Remueménage, 1991).
Pour le Parti communiste du Canada, voir Ian Angus, Canadian Bolsheviks (Montréal :
Vanguard, 1981), Ivan Avakumovic, The Communist Party in Canada: A History (Toronto :
McClelland and Stewart, 1975); il existe une vaste documentation sur la FCCA, mais les
ouvrages principaux sont ceux de Walter Young, Anatomy of a Party: The National CCF, 19321961 (Toronto : University of Toronto Press, 1969) et Norman Penner, From Protest to Power:
Social Democracy in Canada 1900-Present (Toronto : Lorimer, 1992); pour un très bon examen
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du rôle des femmes de la gauche, voir Joan Sangster, Dreams of Equality: Women on the
Canadian Left, 1920-1950 (Toronto : McClelland and Stewart, 1989); pour un aperçu spécifique
du Québec, voir Andrée Lévesque, Virage à gauche interdit: les communistes, les socialistes, et
leurs ennemis au Québec, 1929-1939 (Montréal : Boréal Express, 1984); pour un aperçu de la
Ligue en faveur de la reconstruction sociale, voir Michiel Horn, The League for Social
Reconstruction (Toronto : University of Toronto Press, 1980); pour un regard sur l’autre extrémité
de l’éventail politique, voir Lita-Rose Betcherman, The Swastika and the Maple Leaf (Toronto :
Fitzhenry and Whiteside, 1975).
Pour des ouvrages sur l’évolution du libéralisme et le rôle des intellectuels dans la
fonction publique, voir Doug Owram, The Government Generation: Canadian Intellectuals and the
State, 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1986), Barry Ferguson, Remaking
Liberalism: The Intellectual Legacy of Adam Shortt, O.D. Skelton, W.C. Clark, and W.A.
Mackintosh, 1890-1925 (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1993); pour un aperçu des
répercussions de l’émergence de l’État-providence sur les femmes, voir Nancy Christie,
Engendering the State: Family, Work, and Welfare in Canada (Toronto : University of Toronto
Press, 2000).
De nombreux ouvrages ont été écrits sur la Deuxième Guerre mondiale. Pour les
ouvrages principaux, voir J.L. Granatstein and Desmond Morton, A Nation Forged in Fire:
Canadians and the Second World War (Toronto : Lester and Orpen Dennys, 1989); pour
l’ouvrage principal sur la conscription, voir J.L. Granatstein et J.M. Hitsman, Broken Promises: A
History of Conscription in Canada (Toronto : Oxford University Press, 1979); pour un examen de
l’internement des Japonais durant la Deuxième Guerre mondiale, voir Ann Gamer Sunahara, The
Politics of Racism: The Uprooting of Japanese Canadians During the Second World War
(Toronto : Lorimer, 1981); pour un regard sur les questions intérieures durant la guerre, voir
J.L. Granatstein, Canada’s War: The Politics of the Mackenzie King Government, 1939-1945
(Toronto : Oxford University Press, 1975); pour un excellent aperçu du rôle des femmes durant la
guerre, voir Ruth Roach Pierson, ‘They’re Still Women After All’: The Second World War and
Canadian Womanhood (Toronto : McClelland and Stewart, 1986).
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