Quand Orlinda écrit à Jules César Ave Caesar ! Janus qui voit tout
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Quand Orlinda écrit à Jules César Ave Caesar ! Janus qui voit tout
Quand Orlinda écrit à Jules César Ave Caesar ! Janus qui voit tout sans tourner la tête guidera habilement ma plume, du moins je l’espère, pour te faire découvrir toutes les facettes de Lutèce, ma bonne ville, et te donner l’envie de nous y rejoindre, mon époux et moi. Que tu viennes à cheval ou en lectica, tous voiles tirés, tu seras bienvenu chez nous. Matteo et moi habitons un Hôtel particulier à Rueil Malmaison, à quelques encablures de la Capitale des Gaules. Nos deux filles, Laetitia et Livia qui n’ont pas encore onze ans révolus fréquentent l’Ecole Primaire pour y recevoir des rudiments d’instruction qui s’apparentent à ceux que dispensent à Rome le magister ludi et le grammaticus. Au fronton de nos écoles publiques, s’inscrit notre devise républicaine, Liberté, Egalité, Fraternité. Tout un programme ! Tu aimeras nos jardins, Matteo et moi te conduirons à Giverny, non loin de Lutèce. Certes tu n’y croiseras pas un peuple de statues représentant des nymphes dénudées, ni une pléiade de divinités coquines, mais à défaut de myrte, de lauriers et de citronniers, une extraordinaire symphonie végétale de rosiers, d’iris, de nymphéas, de glycines, de lavandins et autres plantes aromatiques. A Lutèce point de bains publics, ils ont disparu au milieu du siècle dernier. Je sais que tu regretteras l’immersion dans ces eaux parfumées qui relaxent le corps et rendent l’esprit plus alerte, que tu déploreras l’absence d’unctorium où des affranchis aux mains agiles pratiquent la manucure, l’épilation, le massage et se servent avec un art consommé des onguents les plus précieux. A la place nos modernes gaulois ont ouvert des Instituts de Beauté, plutôt réservés aux femmes fortunées, et des parfumeries qui vendent de rares essences scellées dans des flacons aux formes artistiques. Vous autres, latins, êtes friands de spectacles. Nous te conduirons à la Comédie Française dont l’agencement te déroutera. Point de cavea, ce demi-cercle aux trente-trois rangées de gradins taillés dans la pierre, mais une modeste salle dont on ferme les portes quand débute la pièce de théâtre. 2Des fauteuils repliables habillés de velours rouge font office de siège, et les acteurs ne se produisent pas dans une arène mais sur une simple estrade de bois. Ne portant ni cothurnes ni masques ils jouent à visage découvert. Chez toi, entre Palatin et Aventin, se tient le fameux cirque Maximus dont la cavea accueille facilement deux cent cinquante mille spectateurs à l’époque des jeux plébéiens. Moins imposants les Hippodromes d’Auteuil, de Longchamp et de Vincennes sont de hauts lieux où concourent nos purs sangs. Aucune sonnerie de trompette n’annonce le départ, ni breloques, ni médaillons, ni plumets n’entravent l’élan des coursiers. Point d’auriges, casque sur la tête, le torse et les jambes protégés par une cuirasse de cuir. Nos jockeys coiffés d’une bombe bien rembourrée et portant casaque aux couleurs de leur Ecurie chevauchent leur étalon ou conduisent de légères charrettes appelées sulkys. Un seul point commun entre nos courses hippiques et les vôtres : les habitués sont de féroces parieurs qui hurlent comme des fous furieux quand leur favori franchit le premier la ligne d’arrivée. Au gré de tes déambulations dans les rues de Lutèce, tu passeras devant un temple aux douze colonnes doriques, le Palais Bourbon. Il n’abrite ni le culte de Jupiter ni celui de Vénus, on y vénère Marianne, la République Française, représentée par une assemblée de dignitaires élus, les députés, et tu pourras observer qu’une poignée d’entre eux se contente de dormir pendant les débats ! Quand tu lèveras ton nez aquilin vers le ciel, ta stupéfaction nous amusera. Ces maisons superposées appelées immeubles par nos architectes, sont des ruches géantes où nichent nos concitoyens. Tu seras au comble de l’étonnement quand tu découvriras l’accoutrement des femmes et leur comportement très libre qui te semblera certainement impudique. Elles ne sont pas toutes astreintes à la dignité de matrone ni au devoir d’assurer la lignée, certaines restent célibataires toute leur vie, exercent des métiers normalement réservés aux hommes. Elles ne portent pas de stolae colorées recouvertes d’une élégante palla, beaucoup d’entre elles affublées de chandails informes et de pantalons de toile bleue, les jeans, jamais maquillées, mal fagotées, les cheveux presque rasés, ressemblent à des garçons manqués. 3– Bien d’autres détails t’intrigueront ou même te choqueront. Mais comme tu es intelligent, ouvert à la nouveauté, tu t’adapteras vite. Par exemple, tu as l’habitude de dîner mollement allongé sur un lit pourpre garni de coussins brodés d’or. Chez nous le repas se prend en position assise, sur des chaises ou des tabourets, devant une grande table. Pas de monceaux de victuailles, chevreaux entiers, lièvres par douzaines, poissons en masse, montagnes d’huîtres, pâtés à gogo, ruissellement de grappes de raisin, énormes corbeilles de fruits, et autres mets en abondance, simplement une entrée à base d’œufs ou de charcuterie, une viande ou un poisson agrémenté de légumes, du fromage et un dessert, fruit ou pâtisserie. Les femmes surveillent leur poids, font la guerre aux sucres inutiles et aux graisses nocives et ne veulent pas que leur partenaire prenne du ventre ! Le vin n’est pas puisé dans des amphores mais conservé dans des flacons de verre que nous appelons bouteilles. Au risque de te dégoûter à tout jamais des tavernes gauloises, nous te réservons une sacrée surprise. Un soir nous sortirons dîner au Mac’Do, une invention étrangère dont tu nous diras des nouvelles ! Tu ne sais pas encore ce que sont les cornets de frites huileuses, les burgers à la viande hachée recouverte d’oignon, nappée d’une tranche de fromage et arrosée de ketchup, le Coca Cola, une boisson gazeuse noirâtre bourrée de sucre, les nuggets … Les enfants qui à Rome seraient encore en âge de porter autour du cou l’amulette protectrice en forme de bulle d’or adorent ce type de restauration peu diététique qui les change des plats conventionnels. Enfin nous avons décidé de te conduire au stade de football, à Saint Denis. Familier des jeux du cirque, tu nous demanderas où sont les lions, les gladiateurs. Ici ne s’ébattent, te répondrons-nous, que les fous du ballon rond. Mais je ne t’en dis pas plus, cette sortie sera le clou de ton séjour à Lutèce. Matteo se joint à moi pour te prier d’honorer notre demeure de ton auguste visite. Il parle couramment latin, vos échanges seront passionnants. Nous t’attendons avec la plus grande impatience, César … Orlinda