Le jardin de Lily

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Le jardin de Lily
Le jardin de Lily
Ce matin, comme tous les matins, j’ai retrouvé Lily devant l’école. Avec son fameux petit
foulard rouge à carreaux blancs sur la tête pour cacher la marque qu’a laissée son cancer sur
elle. Elle n’a pas non plus de sourcils. En revanche, elle est très belle et sa joie de vivre est
contagieuse. Mes parents trouvent que c’est une fille formidable mais surtout très courageuse.
Sa mère m’a expliqué un jour que ce cancer la détruit, que bientôt elle ne sera plus de ce
monde. Il est vrai que tout le monde meurt un jour, mais perdre Lily, c’est aussi perdre ce que
j’ai de plus cher au monde avec ma famille. Parfois, je me mets à pleurer en rentrant à la
maison.
Ce matin-là, Lily a insisté pour me montrer quelque chose au lieu d’aller à l’école. Après
plusieurs minutes de marche, nous sommes arrivés dans une forêt que je connais bien de nom,
mais je n’y suis allé qu’une seule fois, avec Lily justement qui, d’après sa marche assurée,
avait l’air de connaitre la forêt comme sa poche. Ses beaux yeux verts couleur émeraude me
surveillaient de temps en temps, car elle voulait s’assurer que je ne sois pas trop à la traîne. Sa
peau blanche, douce comme de la soie brillait au soleil. Le vent s’engouffrait dans les volants
de sa petite robe rouge.
Arrivés devant une petite clairière, j’ai senti les fines mains de Lily, si douces et si fraîches,
se poser délicatement sur mes yeux. Sa voix fragile de petite fille m’a murmuré à l’oreille
« Laisse-toi guider maintenant Julian. Attention, ne triche pas ! ». Bien que nous ayons deux
ans d’écart, j’ai tout juste onze ans et elle en a neuf, nous nous sommes toujours bien
entendus depuis notre rencontre, au milieu de l’année scolaire il y a deux ans. C’était un jour
ensoleillé, Lily venait tout juste d’emménager dans notre petite ville nommée Ormes, située à
une dizaine de kilomètres d’Orléans. Elle restait toujours seule dans la cour de récréation. Un
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jour, je suis venu la voir et nous avons discuté. Elle était timide mais ça, c’était juste le
premier jour. Ensuite, nous sommes vite devenus amis et cette amitié a toujours duré. D’après
les photos que j’ai vues de sa plus petite enfance, elle avait de magnifiques cheveux châtains
ondulés. Quel dommage qu’ils aient disparu avec la maladie.
J’ai essayé de suivre ses indications du mieux possible. Enfin, elle a retiré ses mains délicates
de mes yeux et m’a murmuré que je pouvais enfin les ouvrir. Lorsque j’ai enfin découvert le
paysage qui nous entourait, j’ai été submergé par de curieuses sensations de bien-être. Même
mes plus grandes peurs comme celle de perdre Lily par exemple, se sont évanouies dans ce
magnifique jardin aux fleurs diverses et colorées. J’ai cueilli l’une d’elles et l’ai posée
délicatement sur mon visage, juste au-dessous de mon nez. Son parfum m’a envahi et Lily a
été obligée de me l’arracher des mains afin que je retrouve mes esprits. « Il faut faire attention
à ce que tu trouves dans ce jardin, m’a-t-elle prévenu, certaines plantes peuvent te faire perdre
la raison. C’est ma grand-mère qui me l’avait confié avant de mourir. Comme mon étoile va
bientôt s’éteindre également, je veux que tu puisses prendre soin de ce jardin lorsque je ne
serai plus là pour le faire. » Elle m’a ensuite emmené un peu plus loin, devant un arbre de
petite taille et de fine circonférence. « Pour te consoler, tu auras toujours cet arbre pour venir
me parler. Ma grand-mère avait réussi à planter une petite graine à cet endroit précis au
moment où ma mère a commencé à sentir de violentes contractions qui annonçaient ma venue
au monde. On peut donc dire que cet arbre est mon deuxième moi. Mais attention, il faut que
personne ne découvre cet endroit. Tu auras juste le droit de choisir une personne de grande
confiance pour en prendre soin lorsque tu seras là-haut toi aussi.» a-t-elle dit en regardant le
ciel. En repartant, elle m’a expliqué comment entrer dans le jardin et sa position exacte dans
la forêt. C’est si simple de s’y perdre…
Le dimanche suivant, en pleine matinée, le téléphone a sonné. Ma mère a décroché. La pauvre
Lily venait de décéder. Ma mère a tenté de me consoler en vain. Elle aussi était visiblement
affectée par cette affreuse nouvelle car je pouvais deviner que ses yeux luttaient pour retenir
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ses larmes. Quant à moi, il m’était complètement impossible de cacher mon chagrin. En début
d’après-midi, après un repas silencieux, j’ai décidé de me rendre dans le jardin de Lily. Je n’ai
pas prévenu ma mère car elle m’aurait interdit de sortir, de peur que je fasse une bêtise due à
ma tristesse qui me coûterait la vie à moi aussi.
Après avoir suivi les indications de Lily, j’ai cueilli quelques fleurs dans le jardin et les ai
déposées au pied de l’arbre qu’avait planté sa grand-mère. Afin de me réconforter, j’ai parlé à
l’arbuste comme si je parlais à ma meilleure amie elle-même. Evidemment, personne ne me
répondait mais j’avais l’impression d’évacuer mes émotions douloureuses, ce qui me
soulageait. Oh Lily, comme tu me manques…
Tous les jours, je déposais une petite pivoine mauve sous son arbre, symbole de notre amitié.
Ce dernier, d’ailleurs, a continué de grandir, ce qui me rend heureux. Trois jours après la mort
de Lily, alors que je changeais la pivoine, un petit lapin aussi brun que les cheveux qu’avait
Lily avant son cancer bondit de derrière son arbre. Je le voyais chaque jour au même endroit.
On aurait dit qu’il attendait ma venue à chaque fois. Il avait des yeux vert foncé et était très
mignon. Dès que je déposais de nouvelles fleurs, il sautait dessus et les humait avec plaisir.
Le jour où Lily aurait dû avoir 10 ans, le petit lapin n’est pas venu lorsque je suis arrivé
devant l’arbre de ma meilleure amie. J’ai attendu. Rien ne se passait. La nuit est tombée mais
je voulais attendre encore. Je ne voulais pas perdre un nouvel ami. Alors que les étoiles
commençaient à apparaître dans le ciel obscur, j’ai décidé de fouiller le jardin. J’ai cherché
des heures et des heures sans résultats. J’ai donc décidé de rentrer conscient que ma mère
devait s’inquiéter énormément.
Le lendemain, je suis revenu dans le jardin malgré l’interdiction de ma mère de sortir.
Toujours aucune trace du petit lapin. Cette fois-ci, j’ai décidé de l’attirer à l’aide de petites
carottes que ma mère avait fait pousser dans le potager. Je suis sûre qu’elle m’en voudra mais
elle oubliera vite. J’ai donc déposé les petites carottes sur un large tapis de feuilles, puis je me
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suis posté derrière un buisson et j’ai attendu. J’étais en train de m’amuser à enlever un à un
des pétales de pâquerettes pour savoir si le petit lapin m’aime un peu, beaucoup,
passionnément, à la folie ou pas du tout. Un vieux jeu qui m’a permis de passer le temps sans
m’ennuyer. Après une heure d’attente, des feuilles ont bougé dans un buisson près des
carottes. J’ai avancé doucement la tête pour mieux voir et c’est à ce moment que j’ai vu le
petit lapin apparaître. J’ai voulu me lever pour aller le rejoindre mais un craquement de
branches mortes m’a interpellé. Mes yeux ont alors cherché tout autour de moi en vain. J’ai
attendu encore un léger instant tout en fixant le petit lapin jusqu’au moment où une silhouette
est sortie de l’endroit même où l’animal était apparu. C’était un humain sans hésitation avec
ses contours bien dessinés. Cette personne s’est alors approchée du lapereau et s’est mise à le
caresser tout en lui parlant. Mon cœur s’est mis à battre très fort lorsque j’ai reconnu le visage
aux yeux verts et aux longs cheveux châtains ondulés… Lily ! Mais comment ses cheveux
avaient-ils pu repousser ? Comment était-ce possible ? Je me suis alors levé et les beaux yeux
couleur émeraude m’ont dévisagé avec méfiance. Elle s’est levée à son tour. Ses fines lèvres
ont commencé à s’ouvrir puis à formuler des mots inaudibles qu’elle adressait au lapin. Ce
dernier a remué les oreilles puis Lily a ramassé la pivoine mauve qui se trouvait sous son
arbre avant de disparaître en une volute de fumée. Le lapin s’est ensuite hâté de repartir dans
la forêt et je suis alors rentré chez moi pour me remettre de cette étrange apparition, persuadé
que cette histoire n’était que le fruit de mon imagination. Sinon, comment expliquer ça
autrement ? Les fantômes n’existent pas, je suis assez grand pour le savoir.
Le lendemain matin, je me suis réveillé assez tard car c’était le week-end. Par bonheur, je n’ai
pas fait de cauchemar, comme c’est le cas presque toutes les nuits depuis la disparition de
Lily. Elle me manque toujours horriblement et ça me fait toujours mal quand je pense à elle
en voyant les photos de nous deux sur le mur de ma chambre. Mon estomac m’a tiré de mes
pensées. Je suis alors descendu pour me rendre dans la cuisine. C’est alors qu’en passant par
le salon, j’ai aperçu une fleur sur la table… Je me suis alors approché… C’était une pivoine
mauve…
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