douleur liée à la polyneuropathie diabétique
Transcription
douleur liée à la polyneuropathie diabétique
Raisonnement diagnostique Douleur liée à la polyneuropathie diabétique Le raisonnement diagnostique au travers d’un cas clinique n Le diabète est une maladie aux conséquences multiples, l’une d’entre elles étant la vulnérabilité des troncs nerveux, une autre l’altération progressive des fibres sensitives, en particulier en distalité des membres inférieurs. Son corollaire classique, la polyneuropathie diabétique, d’évolution lente, peut être reconnue chez certains patients dès le diagnostic de diabète de type 2, voire au stade d’intolérance au glucose (1-3). L e diagnostic de neuropathie diabétique est avant tout un diagnostic clinique, puisque la neuropathie diabétique est souvent asymptomatique ou faiblement symptomatique durant les premières années d’évolution, alors que certaines autres complications peuvent déjà faire leur apparition (ulcérations distales indolores). Lorsqu’un patient diabétique rapporte une douleur des membres inférieurs, le diagnostic étiologique est à considérer dans le contexte des fréquentes comorbidités du diabète : • gonarthrose ou coxarthrose (dans le cadre d’une surcharge Le raisonnement diagnostique, chez Monsieur N… Monsieur Patrick N., 51 ans, présente un diabète de type 2 connu depuis 11 ans. Il est observant des mesures hygiénodiététiques préconisées par le Le diagnostic de neuropathie diabétique est avant tout clinique, car elle est souvent asymptomatique ou faiblement symptomatique, alors que les complications peuvent déjà faire leur apparition. Paradoxalement, la douleur neuropathique liée à une polyneuropathie diabétique peut être de survenue précoce, bien avant les formes symptomatiques déficitaires. En effet, la douleur neuropathique et sa sévérité ne sont pas fonction du degré de sévérité de la lésion neurologique causale. pondérale souvent associée) ; • étroitesse canalaire lombaire d’origine arthrosique ; • artériopathie d’origine athéromateuse ; • insuffisance veineuse. *Centre d’Evaluation et Traitement de la Douleur, Hôpital Neurologique, Lyon Le raisonnement diagnostique et le choix thérapeutique corollaire, pragmatiques, peuvent être discutés au travers d’un cas clinique simple. Diabète & Obésité • Octobre 2011 • vol. 6 • numéro 52 Dr Gérard Mick, Dr Loïc Rambaud* médecin traitant, qui est le seul médecin à assurer son suivi médical. Son traitement comporte deux antidiabétiques oraux, un antihypertenseur, une statine, et un hypnotique. Depuis un an, le suivi par dosage de l’hémoglobine glyquée révèle une dégradation de l’équilibre glycémique, le dernier résultat étant à 9,3 %, la dernière clairance de la créatinine révélant 291 Raisonnement diagnostique également une insuffisance rénale débutante (102 ml/min). Un bilan somatique complet a par ailleurs montré l’existence d’une rétinopathie non proliférative, sans conséquence visuelle. Le poids est de 90 kg pour 1,85 m, soit un IMC de 28,5. Les symptômes de Monsieur N. Monsieur N. consulte un neurologue, à la demande du médecin traitant, du fait de l’apparition de douleurs des membres inférieurs depuis 6 mois environ, qu’il décrit comme des sensations de brûlure superficielle de pieds survenant essentiellement en période vespérale et qui le gênent pour s’endormir. Ces douleurs peuvent d’ailleurs être insomniantes, et le patient arpente alors sa chambre, pratique un massage des pieds, ou prend un bain de pieds froid. Ces mesures restent cependant sans effet significatif, tout autant que la prise de 1 g de paracétamol au coucher ou la nuit. Un entretien semi-dirigé évaluant les caractéristiques de la séméiologie douloureuse permet d’apprendre que Monsieur N. ressent également une sensation d’engourdissement plantaire bilatérale depuis plusieurs mois, ainsi que des paresthésies des orteils, essentiellement en fin de journée ou après la marche. Cette gêne, tout autant que la douleur, sont essentiellement ressenties au repos, jamais au cours de l’activité professionnelle (juriste), ni au cours de l’activité sportive (natation, 2 heures par semaine). Monsieur N. ne décrit pas de sensation de faiblesse motrice aux membres inférieurs, mais présente des épisodes lombalgiques fugaces, fréquents depuis 2 ans. 292 Tableau 1 - Le questionnaire d’aide au diagnostic de la douleur neuropathique DN4 : Douleur Neuropathique en 4 questions. D’après Bouhassira et al. (4). Répondre aux 4 questions ci-dessous par OUI ou NON, pour chaque item. La présence d’au moins 4 des 10 symptômes décrits dans ces questions suggère la nature neuropathique de la douleur. OUI NON Interrogatoire Question 1 : La douleur présente-t-elle une ou plusieurs des caractéristiques suivantes ? 1. brûlure 2. sensation de froid douloureux 3. décharges électriques Question 2 : La douleur est-elle associée dans la même région à un ou plusieurs des symptômes suivants ? 4. fourmillements 5. picotements 6. engourdissement 7. démangeaisons Examen Question 3 : La douleur est-elle localisée dans un territoire où l’examen met en évidence : 8. hypoesthésie au tact 9. hypoesthésie à la piqûre Question 4 : La douleur est-elle provoquée ou augmentée par : 10. le frottement L’examen clinique de Monsieur M. Outre une tension artérielle à 130/70 mmHg, les éléments significatifs de l’examen clinique sont, de façon bilatérale et relativement symétrique, une hypoesthésie multimodale distale : hypopallesthésie sévère au niveau du gros et du petit orteils, hypoesthésie lemniscale superficielle discrète en socquettes, abolition de la distinction piquetouche et de la sensibilité au froid (testée avec le manche du diapason qui était posé sur la table) au niveau de la plante du pied et de la partie la plus distale du dos des pieds. Le test au monofilament de Semmes-Weinstein est positif au niveau des orteils, sans déficit moteur associé, ni trouble trophique au niveau de l’ensemble des membres inférieurs. Les réflexes ostéo-tendineux sont présents et symétriques. Le reste de l’évaluation clinique est normal au niveau somatique. L’évaluation par le DN4 De façon préliminaire, afin de conforter le diagnostic syndromique de douleur neuropathique, l’usage de l’outil d’aide au diagnostic DN4 (Tab. 1) fournit, en reprenant les divers symptômes et signes cliniques déjà recueillis, un score de 5/10, ce qui rend le diagnostic de douleur neuropathique très probable (4). A ce stade, on peut raisonnablement suspecter l’existence d’une polyneuropathie sensitive prédominant au niveau des petites fibres, probablement d’origine diabétique, et donc discuter son lien direct avec la douleur neuropathique et la gêne ressenties aux membres inférieurs (paresthésies). Diabète & Obésité • Octobre 2011 • vol. 6 • numéro 52 Douleur liée à la polyneuropathie diabétique Le diagnostic différentiel Il reste cependant licite d’exclure d’autres étiologies de neuropathie périphérique des membres inférieurs, en particulier intéressant les petites fibres et fréquemment douloureuses : • éthylisme : aucune consommation d’alcool ; • pathologie systémique, dont le Gougerot-Sjögren avant tout : aucune notion anamnestique ou clinique n’est suggestive. On doit également discuter de principe : • une étiologie iatrogène : la prise de statine au long cours est un facteur étiologique potentiel ; • le syndrome des jambes sans repos : les critères diagnostiques ne sont pas remplis. Parallèlement, le fait que le patient ne présente pas de claudication intermittente des membres inférieurs, de trouble trophique, ou de signe d’insuffisance veineuse, n’incite pas à réaliser d’autres examens complémentaires, en dehors de l’EMG afin de caractériser l’atteinte polyneuropathique, un bilan biologique standard devant une polyneuropathie, et une radiographie pulmonaire. Les autres explorations L’EMG des membres inférieurs montre seulement un allongement significatif des latences des ondes F et une discrète réduction d’amplitude des potentiels évoqués sensitifs des nerfs suraux. Le bilan biologique ne rapporte aucun argument en faveur d’une pathologie systémique ou infectieuse latente et les clichés thoraciques sont sans anomalie. Le diagnostic de polyneuropathie Diabète & Obésité • Octobre 2011 • vol. 6 • numéro 52 diabétique sensitive distale symétrique des membres inférieurs reste donc le plus probable. Une évolution à suivre… Tout doute au cours du suivi sur l’origine diabétique de la polyneuropathie ou toute évolution atypique telle qu’une sensation de faiblesse des membres inférieurs, des crampes, une prédominance nocturne, une ataxie locomotrice, ou l’apparition d’un déficit moteur, imposera une nouvelle discussion étiologique, qui guidera les examens nécessaires. Entre autres, une sensation de faiblesse, douloureuse ou non, aux membres inférieurs lors de la marche, suggèrera sans délai la pratique d’un Doppler artério-veineux des membres inférieurs et d’une imagerie du rachis dorso-lombaire. La prise en charge du patient Sur le plan thérapeutique, un renforcement des mesures hygiéno-diététiques, pour un amaigrissement d’au moins 5 kg, voire un ajustement du traitement antidiabétique afin de normaliser l’équilibre glycémique au long cours, suivi par le dosage de l’hémoglobine glyquée avec pour objectif une valeur inférieure à 7 %, peuvent être proposés, après concertation avec le médecin traitant (5). Le traitement symptomatique de la douleur neuropathique comporte, en première intention : • soit certains antiépileptiques de nouvelle génération (gabapentinoïdes) ; • soit des antidépresseurs aux propriétés antalgiques (tricycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline : IRS-NA). Il sera avant tout basé sur les contre-indications et les précautions d’emploi de ces traitements, tenant compte des comorbidités associées et du traitement en cours. L’évaluation de l’efficacité est réalisée à 15 ou 30 jours, plus tardivement si l’augmentation de la posologie jusqu’à recherche d’efficacité est lente, sachant que la tolérance est meilleure lorsqu’une telle titration est effectuée (6). Une information est fournie au patient à propos des propriétés antalgiques des molécules prescrites, le but du traitement étant de soulager, voire de faire disparaître les sensations douloureuses, les sensations non douloureuses et anormales telles que les paresthésies, liées au déficit neurologique, ne répondant que peu ou pas au traitement pharmacologique. En cas de gêne majeure liée à ces sensations, une prise en charge psycho-corporelle est possible (sophrologie, hypnothérapie), afin de renforcer les mécanismes distracteurs et/ou modulateurs des symptômes subjectifs (7). Les douleurs neuropathiques du diabète Les douleurs liées à une polyneuropathie diabétique sont relativement fréquentes au cours de l’évolution du diabète, présentes chez 18 % des patients diabétiques de type 1 et 26 % des patients diabétiques de type 2 présentant une polyneuropathie (3). Elles sont avant tout liées à une atteinte le plus souvent mixte des petites et grosses fibres 293 Raisonnement diagnostique sensitives, l’atteinte initiale des petites fibres étant la plus fréquente, souvent cliniquement patente, subjectivement silencieuse (trouble trophique indolore) ou au contraire cliniquement bruyante (douleur neuropathique). Lorsque l’atteinte des petites fibres prédomine et que les signes d’atteinte des grosses fibres restent discrets, l’EMG peut donc être normal. Il n’y a pas de corrélation entre l’importance du déficit sensitif lié à la polyneuropathie et l’intensité ou la typologie (symptômes élémentaires) de la douleur neuropathique. L’évolution de la douleur neuropathique est capricieuse, le plus souvent sur un mode chronique mais fluctuant, pendant des années, éventuellement à bas bruit, avec des renforcements spontanés ou liés à divers épisodes biographiques (stress environnemental, stress médicaux, etc.). L’ajustement du traitement symptomatique est donc à considérer au cours du suivi, qui s’attache à déterminer tant l’évolution du déficit neurologique que la maîtrise de la douleur. La douleur neuropathique étant la plupart du temps une combinaison de symptômes douloureux et non douloureux, il est impératif d’évaluer régulièrement l’évolution de chaque symptôme élémentaire sous traitement, les symptômes peuvent répondre de façon différentielle à diverses molécules : l’autoquestionnaire NPSI est le seul outil validé à cette fin, très simple d’emploi en pratique quotidienne (8). C’est ainsi que l’on peut justifier la prescription d’une combinaison de molécules appartenant à des classes médicamenteuses différentes et dont les mécanismes d’action sont différents (7). La discussion du choix d’un tricyclique, IRS-NA, ou gabapentinoïde en monothérapie de première intention s’effectue en vérifiant la clairance de la créatinine, les enzymes hépatiques, l’état cardiaque, et vis-à-vis de la prise en charge d’éventuelles comorbidités telle que l’anxiété, la dépression, ou les troubles du sommeil. L’association à des antalgiques usuels de niveau I ou II peut être motivée par la coexistence d’une douleur nociceptive, indépendante de la douleur neuropathique, comme par exemple la lombalgie. On doit se souvenir de l’hyperalgésie, symptôme élémentaire de la douleur neuropathique, qui majore les douleurs nociceptives concomitantes (gonalgie ou coxalgie arthrosiques) et peut expliquer les douleurs des mollets après la marche chez certains patients. L’information itérative du patient et le suivi régulier sont des éléments importants favorisant d’une part l’observance, d’autre part le résultat antalgique. L’adaptation du traitement en terme de posologie ou de molécule ne dépend pas de l’évolution éventuelle de la polyneuropathie proprement dite, et il faut être vigilant quant à la survenue d’autres phénomènes douloureux intercurrents (gonarthrose, par exemple). n Correspondance Gérard Mick : [email protected] Mots-clés : Douleur neuropathique, Diabète, Diagnostic, Cas clinique, DN4, Antiépiletiques, Antidépresseurs, Antalgiques Bibliographie 1. Said G. Neuropathies diabétiques. EMC. Elsevier, 2004 : 369-88. 2. Attali JR. Neuropathie diabétique. In : Traité de diabétologie. Flammarion, 2005 : 593-603. 3. Daousi C, MacFarlane IA, Woodward A et al. Chronic painful neuropathy in urban communauty: a controlled comparison of people with and without diabetes. Diabet Med 2004 ; 21 : 976-82. 4. Bouhassira D, Attal N, Alchaar H et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire. Pain 2005 ; 114 : 29-36. 5. HAS. Recommandations de bonne pratique : traitement médicamen- 294 teux du diabète de type 2, 2006. 6. Freynhagen R, Benett M. Diagnosis and management of neuropathic pain. Br Med J 2009 ; 229 : 3002-11. 7. Bouhassira D, Attal N, Fermanian J et al. Development and validation of the Neuropathic Pain Symptom Inventory. Pain 2004 ; 108 : 248-57 8. Martinez V, Attal N, Bouhassira D et al. Les douleurs neuropathiques chroniques : diagnostic, évaluation et traitement en médecine ambulatoire. Recommandations pour la pratique clinique de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur. Douleurs 2010 ; 11 : 3-21. Diabète & Obésité • Octobre 2011 • vol. 6 • numéro 52