Amères Congo-Léances

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Amères Congo-Léances
Bruxelles, 11 septembre 1958. Henri Galloy, fringant maître d'école, grimpait
allègrement à bord d'un DC 6 de la Sabena. Destination : le Congo belge. Son épouse, Émilie,
adorable rouquine de vingt ans, ne pouvait l'accompagner pour cause de ventre enflé.
Frustrée, ses yeux, immensément bleus, suivirent l'avion jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un
point vague dans l'horizon. Leur amour allait connaître trois mois de jachère.
Ce départ fut l'aboutissement d'une formation anachronique – à la limite du burlesque –
durant laquelle Henri subit un endoctrinement relatif à l'enseignement pour autochtones. Il
bûcha l'hygiène et la prophylaxie, les institutions administratives de la colonie et du RuandaUrundi, l'ethnographie des populations locales, des éléments de linguistique, et, alors qu'en
secret la Belgique bouclait déjà ses valises, des principes de colonisation.
Cette dernière matière s'attachait à démontrer que le brave Bantou n'était qu'une sorte de
grand gosse qu'il fallait impérativement prendre par la main pour en faire un béni-oui-oui
acceptable. Le maître mot de ce programme s'articulait autour du paternalisme, sorte de
philosophie nunuche, destinée à canaliser en douceur les vilains instincts et chasser les
mauvais esprits du primate que, dans son infinie bonté, le Blanc avait aidé à sortir de l'obscur
tunnel des temps.
Comme il se doit, les Galloy visitèrent “l'Expo 58”, dont la date fut choisie à dessein
pour coïncider avec le cinquantième anniversaire de l'annexion du Congo par la Belgique.
C'est dire si l'exposition internationale accordait une place importante aux territoires occupés.
Pas moins de sept pavillons pour apporter au monde le témoignage de “l'œuvre civilisatrice”,
concrétisée par de splendides photos et des graphiques pointés vers le ciel : belle affiche
d'agence de voyage, centuplant la démangeaison de consommer.
Des Noirs montrables – triés sur le marché – furent exposés comme du mobilier urbain,
des Nègres sur mesure, pittoresques et évolués à la fois. A Bruxelles, malgré toutes les
précautions prises, ils communiquèrent beaucoup et, tant qu'à faire, ils niquèrent tout court –
façon de parler – quelques belles madames; pas des “filles bordels”, mais de replètes
bourgeoises en mal d'exotisme, aussi blanches qu'un réfrigérateur tout neuf.
Vous pensez s'ils pavoisèrent et en rajoutèrent une fois rentrés chez eux, où l'on
admirait beaucoup ceux qui, désormais, connaissaient le pays et les moukères des chefs.
L'indépendance venue, on les trouva parmi les premiers à bouffer du Blanc, un peu comme on
se payait du curé en 1789.
En débarquant pour la première fois à Léopoldville, les Noirs provocants, qui rôdaient
autour de l'aérodrome de la “Ndolo”, amusèrent Henri; de même que ceux qui arboraient
d'énormes lunettes à monture blanche, visiblement garnies de verre à vitre. Que dire alors des
Blancs m'as-tu-aperçu, machos ventrus, sinon qu'ils polluaient vachement le paysage !
Surprenante capitale que Léo. On y allait de découvertes en éblouissements, dans un
cadre d'une extraordinaire vitalité : vieilles aux seins nus démesurés, pipe au bec, gros cul
posé sur le trottoir; étonnants forçats, rayés jaune et bleu, occupés à des travaux d'utilité
publique avec des airs d'équipe de foot en goguette; tendres regards des gens simples respirant
la gaieté et la droiture; succession d'immenses quartiers populaires vivant à un rythme
frénétique. Les marchés irrigués par une foule bigarrée de ménagères, de marchands, de
badauds constituaient le carrefour des richesses du pays : poissons séchés, singes rôtis,
manioc, patates douces, chèvres sanguinolentes, chenilles et vers en paniers, fruits exotiques
aux parfums mystérieux... étalés sur des tréteaux de fortune ou à même le sol.
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Difficile de ne pas chanceler sous le charme des troublantes Eve africaines, alanguies,
nonchalantes, insolentes... comme des reines de Saba – pas des reines d'Angleterre, bien sûr –
les reins creusés, tanguant des hanches, roulant des fesses, projetant en avant leur petit ventre
dur et pointu. Sous l'étoffe collée au nombril, on imaginait – entre des jambes qui montaient,
montaient – la touffe centrale, triomphale, obsédante... les sortilèges de la magie bantoue
réactivaient brusquement un territoire de fantasmes secrets invitant à l'exultation des sens...
interdits.
A croire que la ville était quadrillée de xénophobes en service, Henri subit d'emblée les
discours scientifico-racistes, récités sur le ton de componction moralisatrice des
missionnaires : “L'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie. Ces macaques ont un tout petit
cerveau, c'est prouvé. Pour eux, le rétroviseur d'une voiture, ça sert à se regarder dedans; ils se
lavent même le visage dans la cuvette du bidet, s'essuient le cul à l'aide d'un caillou; ce sont
des têtes de mule qui disent oui en pensant non; la souffrance et la vie n'ont pas la même
portée que pour nous; d'ailleurs, pensent-ils... souffrent-ils ?”
A peine sur le sol congolais, Emilie subit une expérience semblable : ayant gentiment
remercié le portier d'un “Merci M'sieur”, une rombière broussarde – verbe haut, idées courtes
– dame d'œuvre pour sacristie mondaine, la ramena dans les lignes blanches :
“Sachez qu'ici, ma fille, un nègre ne s'appelle pas Monsieur, mais “boy”. Ne respectez
jamais un macaque : tenez le en respect !
Indignée, révoltée, plus rouge qu'un coquelicot, Emilie saisit la balle au bond :
— Sachez, Madame, qu'André Gide – si vous connaissez – assurait que moins un Blanc
est intelligent, plus il trouve le Noir bête...!
Et sur sa lancée, la voix tremblante, elle-même surprise par son audace :
— Qui vous a invitée ici ? Il n'y pas si longtemps, ces gens vivaient heureux... Vous
leur interdisez leurs croyances pour les remplacer par un Dieu aryen : vous bafouez leur
passé...”
Dans un Congo, lessivant les esprits plus blanc que blanc, un pays où la justice sociale
consistait à organiser des loteries pour secourir la masse des pauvres, une société où le
concubinage capitalisme-puritanisme s'épanouissait dans toute sa décadence, les jugements
portés par Emilie dégageaient des connotations intolérables.
Pour l'essentiel, les Congolais avaient été évangélisés à coups de sermons et de travail
forcé. Mais, dès 1956, de grandes écoles laïques s'implantèrent à travers tout le pays pour
contrebalancer la masse, solidement ancrée depuis longtemps, des “boutiques” religieuses.
Ces dernières jouxtaient les missions dirigées par les “mon-pères” barbus, véritables
têtes de saint Joseph, les cornes en moins, les roubignoles en plus.
Le soir, dans les cases en pisé, on susurrait qu'ils ne portaient pas de slip sous leur robe
puante : “Pour tiii-rer plus râââ-pidement”, disaient les bons sauvages, avec des sourires plus
larges que leur grande gueule. Les zélés pères blancs avaient une curieuse manière de s'y
prendre pour introduire le christianisme jusqu'au plus profond de l'Afrique.
Au bon vieux temps des pionniers, ces curés-là vous ficelaient un catho pratiquant en
six mois et soixante coups de chicotte, le très saint fouet colonial. Ils enseignaient aux Noirs
en dialecte local, parlaient de leurs ancêtres les Gaulois, de telle sorte que les petits Congolais
apprenaient le catéchisme, mais n'accédaient jamais au plus haut niveau.
Une grave interrogation obsédait Henri : pourquoi la colonisation belge avait-elle
modelé aussi peu de vrais intellectuels ?
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Sous les portraits en sépia des Marx, Wauters, Vandervelde... – Dieu et ses apôtres, en
quelque sorte – il obtint la version d'un vieil instituteur retraité, prototype du plus-que-parfait
honnête homme cultivé, gauchiste intarissable à la sensibilité bourrue :
“Mon cher Henri, d'abord qu'est-ce qu'un intellectuel ? Un autodidacte sans diplôme ?
Un abruti bardé de certificats, muni d'une mémoire d'éléphant et aussi con qu'une prune dans
un bocal à stériliser...
— Vous en avez de ces comparaisons !
— M'interromps pas, p'tit ! Non, en fait, les intellos, ce sont avant tout des gens qui
accordent plus d'importance à la raison qu'à la croyance. Des femmes et des hommes qui
pratiquent la réflexion individuelle plutôt que de se réfugier derrière le “délit” de clocher, le
mercantilisme, l'intégrisme, le tribalisme, le nationalisme, le fascisme... Ils sont de ceux qui
savent que, s'il est parfois difficile de prodiguer la culture, il est, par contre, très dangereux de
ne pas la donner. L'éducation et le savoir émancipent, engendrent la recherche scientifique, la
justice sociale, la solidarité, la démocratie, le contrôle des naissances... tous ingrédients
incompatibles avec les esprits étroits qui ne peuvent admettre que les idées sur la richesse, la
sexualité, le sacré, la mort, le travail... ne valent que pour un temps et pour un lieu...
A mesure qu'il laïussait, les prunelles et la voix du vieux camarade s'enfiévraient. Avant
de poursuivre, il s'en alla pisser, et, pour bien prouver qu'il emmerdait les réacs, il émit
quelques courants d'air sonores à vous faire trembler un lustre en cristal. Tout en reboutonnant
son soupirail, il poursuivit :
— Tu sais, mon garçon, j'ai toujours combattu ces écoles dont l'objectif indéfectible
visait à loger une vérité révélée et parasitaire dans les cœurs, les cerveaux, les consciences, les
oreilles, les vagins... et ce, pour asservir.
Une main posée sur l'épaule d'Henri, il signa sa tranche d'anthologie :
— Tu comprends, à présent, pourquoi les églises n'ont cessé de freiner la propagation
des connaissances et pourquoi tous les systèmes totalitaires tiennent libres-penseurs et francsmaçons pour de dangereux contestataires. Rien n'équivaudra jamais les religions pour occulter
l'injustice sociale, les méfaits les plus odieux et la barbarie la plus insoutenable...”
Effectivement, les cathos, qui, jusqu'en 1956, ne développèrent que le niveau primaire,
vomirent leur haine sur le ministre des Colonies, le Liégeois Buisseret, lorsqu'il institua
l'enseignement non-confessionnel et inaugura, très rapidement, plusieurs centaines
d'établissements primaires, secondaires, techniques ainsi que l'université d'Eville. La droite
réactionnaire le qualifia de “personnage foncièrement anticlérical qui marquait le
commencement de la fin de l'œuvre royale”.
Dans le même caniveau, en parlant des enseignants laïques : “Ce sont essentiellement
des mécréants notoires”.
D'une intransigeance bornée : “Alors, nombreux furent les Noirs qui – par arrivisme ou
naïveté – tournant le dos à leurs éducateurs, se débarrassèrent prestement du fardeau
rédempteur de la doctrine chrétienne pour se lancer dans les délices faciles d'un athéisme
libertaire”.
Henri, nommé directement par Buisseret, enfourcha sa carrière dans ce climat de guerre
scolaire qui préludait à la libération du peuple congolais.
Des quelques jours d'attente passés dans la capitale, il retint surtout les immeubles
prétentieux alignés tout au long du boulevard Albert Ier, artère de la colonisation
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triomphaliste, partant du port fluvial jusqu'au “Belge”, nom paradoxal imposé aux quartiers
indigènes.
Il fut écœuré par les buildings, dressés tels d'absurdes phallus, dont les silhouettes
constituaient autant de points d'exclamation réprobateurs et au pied desquels, une fois la nuit
venue, de vieux gardiens dépenaillés s'allongeaient sur des nattes et allumaient des feux pour
exorciser les esprits immatériels.
Première affectation : Luluabourg. Heureux à en vivre, il quitta Léo, presque autant
échauffé qu'une pucelle explorant les prémices de l'amour !
Vu d'avion, le Congo se déployait comme une superbe carte géographique défilant entre
les rares nuages. Véritable enchantement que de surplomber la mosaïque des brousses variées,
le moutonnement uniforme d'immenses forêts interrompues par les méandres fantaisistes de
rivières chargées de boues brunâtres. On distinguait aussi les rectangles chauves des villages
avec leurs alignements de cases, semblables à des meules de foin garées sur des prés tondus.
A peine débarqué, Henri fut chaperonné – en “Chevrolet” noire... s'il vous plaît ! –
jusqu'au siège administratif provincial, où un planton se précipita en brandissant un
télégramme au texte laconique : “C'est une fille, Justine; tout va bien...”
Pénible, dans un décor de bureaux climatisés, sous les regards interrogateurs des
évolués, de manifester une joie à la mesure de l'événement. Il se contenta de reluquer à
l'intérieur de son crâne pour, un bref instant, rejoindre “l'accouchoir” où, un an plus tôt, se
présentait Caroline : dehors, le vent pirouettait, la pluie giflait les vitres; dedans traînait un
parfum de rose associé à des relents médicamenteux et des odeurs de désinfectants...
Une voix, à l'accent bantou, le sortit de sa douillette rêverie :
“Présennn-tement vous dormirez à l'Excelsior... tééé-nez voici votre réquisitoire, le
chauffeur vous âââ-tend, Missié le surveillant d'internat”.
Quoi ? Emigrer aux antipodes pour se voir emprisonné dans un boulot de pion; jouer les
Topaze : absurde... dérisoire ! Merde, merde, merde ! Henri ne décolérait plus, depuis que le
gratte-papelard de service lui avait notifié la corvée qui l'attendait.
On le logea d'abord dans un de ces hôtels bizarres, dont les piaules n'étaient
compartimentées que par de maigrichonnes cloisons, relayant, comme un bigophone, les
échos des délires galants et autres tapages incongrus. Outre quelques rots, pets en chaîne et
gargouillis dentaires, il percevait les grincements rythmés des ressorts, accompagnés des
gémissements de couples en rut. Les transports, en commun, s'immobilisaient
immanquablement sur le quai d'un râle, immédiatement suivi du dégoulinement saccadé d'un
pipi dans une cuvette de water.
Ambiance difficilement supportable pour un homme dont la fleur aimée se flétrissait à
l'autre bout du monde.
Tenaillé par la tentation d'entrevoir la nudité affolante de peaux noires, noyées dans des
ébats dignes du Kama-Sûtra, “Mister Henri – Doctor Galloy” déambulait dans les couloirs en
zieutant par les trous de serrure.
Tout ce qu'il parvenait à distinguer, confusément, s'inscrivait dans les arcanes étranges
d'un univers glauque. Pas de porte-jarretelles, pas de bas glissant le long des cuisses pour
dégager un parfum d'érotisme désuet. Rien que le lamentable spectacle de ventres boudinés,
de seins flasques, de cuisses variqueuses... Et encore, ce n'était que l'enveloppe : l'intérieur
recelait – à coup sûr – des poumons goudronnés, des estomacs ulcérés, des tripes rongées...
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Dans cette quête voyeuriste, quelques situations attendrissantes, drôles, troublantes...
animèrent sa mortelle solitude :
Ici, une vieille, au vernis très british, que son époux, l'œil allumé, extirpait – au prix de
quels efforts ! – d'un fascinant combiné-gaine-culotte en tissu élastique rose...
Plus loin, un bonhomme en bretelles, encore plein de vigueur combative, adepte de
l'étreinte féroce, s'employait à lutiner une belle jeune femme riant aux éclats...
Ou encore, cette blondinette pimpante, la chair vaguement fraîche, occupée à laver ses
dessous dans le lavabo, pendant qu'un toutou, dressé sur ses pattes de derrière, moulinait de la
queue et dépliait sa langue dégoulinante pour lui lécher le cul. Le cabot semblait déçu :
“Putain ! Si seulement le Seigneur m'avait équipé d'un zizi de doberman” !
Après l'hôtel, on lui attribua une belle villa au quartier Saint Louis. Ce qu'il recevait
gratuitement lui semblait toujours très chic. Pourtant, rien de plus banal que le logement d'un
petit chieur d'alphabet, fût-il colonial : mobilier composé de lourdes armoires, de pesants
fauteuils et de tables massives en bois du pays; murs intérieurs badigeonnés d'un latex vert
pomme; sol en béton teinté de cire rouge... piste idéale pour les cavalcades des cancrelats
noctambules.
En bout de parcelle, un cabanon servait de logement au boy : la “boyerie”, signifiait-on
d'un air dédaigneux. Autour de l'habitation, des bouquets d'hibiscus, des haies de
bougainvillées, des flamboyants... lui emplissaient le pif de senteurs pénétrantes et sensuelles
comme seule l'Afrique peut en produire. De gros lézards moirés et des caméléons curieux
recherchaient les recoins ombragés. De loin, ils épiaient le nouveau Blanc, passablement
effrayé par tout ce qui rampait.
Les frémissants eucalyptus apportaient au voisinage un plus de fraîcheur et de
coquetterie verdoyante. En milieu de journée, la chaleur devenait insupportable, plus un
soupir de vent n'agitait les longues feuilles des cocotiers, pointues comme des épées.
Certaines villas, de style flamand, juraient telles des nains de jardin égarés au centre de
la végétation tropicale. Tout cela ressemblait à une image pour calendrier des postes en
quadrichromie.
L'épreuve de la solitude devint très vite insoutenable. Seul l'amour aurait pu combler
son corps et apaiser son âme. Des clichés entremêlés ravivaient les résidus d'un passé tout
proche : la dernière étreinte, le sexe ardent dont on se détache, les adieux sirupeux, la bouche
qui continue de vous aspirer, le vent gonflant dans les cheveux fous d'Emilie, la silhouette
d'une femme séduisante dont le bras s'agite... Enfin, le tarmac luisant, l'avion, sorte de
gigantesque oiseau-cercueil à haleine de kérosène; au dernier moment, l'étreinte pathétique et
maladroite d'un père...
Le climat africain ignorait les demi-tons et les paliers. Avant la pluie, tout devenait
lourd, moite, poisseux. Le ciel s'engorgeait d'interminables éclairs, le tonnerre explosait
partout à la fois.
L'atmosphère transitait par toutes les nuances : du vert émeraude au rouge vif, en
passant par des jaunes et des bleus d'un rare éclat.
D'un coup sec, la pluie figeait tout. La bordure des barzas délimitait deux univers : d'un
côté, l'air oppressant; de l'autre, la flotte formant comme un store et s'appropriant les espaces
troués. Cette avalanche déracinait les arbres, débordait des caniveaux, n'abandonnait rien sur
son trajet.
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Le torrent s'arrêtait, comme si quelqu'un avait brutalement bloqué la livraison d'eau,
pour cause de facture impayée ! Après le déluge, le ciel retrouvait son bleu adriatique et le sol
en latérite rougeâtre, assoiffé de liquide, séchait avec la rapidité d'un buvard.
Aussitôt renaissaient en altitude des cumulus d'une blancheur de poudre à lessiver. Le
soleil de béton grimpait au pinacle et une buée chaude désertait la terre.
L'obscurité survenait aussi avec une promptitude saisissante. La touffeur ambiante
transformait le sommeil en une suite de séquences irrégulières, agitées, pénibles... La
proximité d'une épaule devenait impérative, primordiale...
Avant de rencontrer Emilie, Henri avait connu quantité de minettes. Sa femme n'aimait
pas qu'il plaisantât à ce sujet, mais comment museler un joyeux baiseur olympique : “Garde-ton en mémoire le nombre de branlettes consommées durant sa jeunesse” ?
Le lascar chérissait les femmes au-delà du raisonnable, si bien que ce célibat forcé le
perturbait diablement. Force lui était d'admettre qu'on ne rencontre pire ennemi que soi :
“Côté fesses, côté faille” !
Au hasard d'une boum, sans qu'un zeste de morale ne vînt brider sa lubricité, il céda à
une jeune et aguichante rose noire.
Dans la pénombre complice d'une alcôve, elle lui offrit à la fois son corps sublime et
son ardeur attisée. Les méplats de sa chair satinée luisaient autant que ses yeux électrisés de
désir. Elle exhiba des seins en forme de poire dont les tétons rosés regardaient vers le plafond.
Son entrejambe affriolant recelait un buisson bouclé s'égarant jusqu'au nombril.
Pour la baise, debout, elle ploya légèrement des genoux, se suspendit à la nuque d'Henri
qui la soutint par les cuisses. Ses longs doigts experts, orientèrent la pénétration et elle
entreprit une lente oscillation chaloupée jusqu'à ce que l'extase naissante l'obligeât d'accélérer
la caresse.
Au paroxysme de l'euphorie, la fille frémit et ponctua son contentement d'un cri –
presque animal – comme le font toutes les Vénus comblées, noires ou blanches.
Jamais il ne la revit, mais elle lui laissa un double souvenir : la tendresse d'une aventure
furtive et... quelques tenaces morpions !
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