Simuler pour stimuler des élèves de 4ème et de 3ème ou comment
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Simuler pour stimuler des élèves de 4ème et de 3ème ou comment
Simuler pour stimuler des élèves de 4ème et de 3ème ou comment la classe inversée en îlots ludifiés rend les élèves acteurs de leur apprentissage ? A) Genèse du projet Leonard District, un quartier dans un monde virtuel, Flanders Lane : Le projet Leonard District, accessible à l’adresse http://www.leonarddistrict.net, est né de ma participation à l’atelier animé par Sébastien FRANC, professeur d’anglais au lycée Hazebrouck (59), dans l’académie de Lille, à l’occasion de Clic2015, le premier congrès de la classe inversée. Lors de cet événement, Sébastien FRANC a présenté son projet de simulation globale, Flanders Lane et expliqué les bienfaits de la simulation globale sur la stimulation des élèves. Convaincue par cette présentation, j’ai décidé de rejoindre son projet en créant mon quartier virtuel, Leonard District dont l’objectif est de rendre mes élèves acteurs et de donner du sens à leurs apprentissages.Ce projet s’adresse à mes deux niveaux : 4ème et 3ème. B) Organisation du projet : En mettant les élèves dans une situation de simulation, je souhaite les mettre à l’aise en situation de communication et les aider à libérer leur parole. Il est en effet toujours plus facile de se mettre dans la peau d’un personnage lorsqu’on est adolescent, plutôt que de s’exposer directement pour apprendre une langue. J’ai donc construit le projet autour de trois rôles : habitant, touriste et journaliste. Le rôle d’habitant consiste à vivre dans le monde virtuel et à interagir avec les autres habitants de Flanders Lane. Le rôle de touriste consiste à se rendre dans ce monde virtuel, sans y être installé. La durée maximale de ce voyage est l’année scolaire. Le dernier rôle est celui de journaliste ou d’envoyé spécial. Ce rôle consiste à observer, à interviewer et à commenter ce qui se passe afin de tenir les différentes rubriques d’un magazine. En offrant le choix aux élèves de choisir leur rôle, je leurdonne encore plus la possibilité de devenir acteurs de leurs apprentissages. Les élèves se sont principalement dirigés vers les rôles d’habitants et de touristes. Le rôle d’envoyé spécial n’a pas été choisi, car jugé plus difficile par les élèves. Le rôle de touriste a été le plus plébiscité, car l’engagement dans le monde virtuel est moins important que pour celui d’habitant. Les touristes ne vivent pas en colocation dans une maison virtuelle avec les partenaires par exemple. J’ai été surprise par la réaction d’un certain nombre d’élèves, qui ne parvenaient pas à comprendre la finalité du projet. Même si les élèves sont habitués à jouer aux Sims ou à d’autres jeux vidéo, certains ont beaucoup de mal à accepter qu’un enseignant puisse se saisir de certains codes du jeu pour les amener à travailler. Certains élèves ne m’ont pas semblé prêts à brouiller les frontières entre le jeu et le travail. Les élèves semblent vouloir jouer pour se détendre et non pas pour travailler. D’ailleurs quelques élèves, en quatrième, ont décidé de quitter le projet car ils ne parvenaient pas à accepter la finalité du projet. Certains sont des élèves en très grandes difficultés et d’autres sont de très bons élèves. Ils m’ont confié qu’ils ne souhaitaient pas échanger avec d’autres jeunes participant au projet par peur de l’inconnu. Les activités proposées, comme partager une maison virtuelle, semblaient leur faire peur. Certains n’ont pas du tout réussi à accepter l’idée que l’on puisse échanger virtuellement dans une maison virtuelle. Ils sont restés bloqués sur l’idée qu’il s’agissait d’inconnus avec qui ils ne souhaitaient pas partager des éléments de leur « vie privée ». Enfin, cette approche est tellement différente de ce à quoi ils avaient été habitués, que cela semble les avoir déstabilisés. La simulation globale fait sortir les élèves de leur zone de confort et les pousse à prendre des risques en devenant acteurs. Certains ne sont pas prêts à prendre ce type de risques et ils n’associent pas le travail au plaisir d’apprendre. On ne joue pas pour apprendre et l’apprentissage n’est pas un jeu. Pourtant, dans l’apprentissage d’une langue, un certain nombre d’activités se prêtent facilement au jeu et permettent le lien entre le cours et l’après cours. C) Les outils créant le lien entre le cours et l’après cours : Beaucoup d’outils numériques permettent de faire travailler des compétences de production de façon ludique et/ou collaborative. Bien souvent, les élèves ne font pas leurs devoirs à la maison car ils sont seuls face à leur travail et ne savent pas comment réaliser le travail demandé. Le numérique permet de contourner cette difficulté. Ainsi, pour amener les élèves à se préparer au cours, j’utilise Padlet, un mur virtuel, permettant aux élèves d’écrire et de lire ce qui a été rédigé par les autres. De cette façon, les élèves les plus faibles peuvent s’inspirer du travail des autres et mieux comprendre ce qu’on attend d’eux. En utilisant le mur virtuel, j’ai pu constater une très forte baisse du nombre d’élèves qui ne réalisaient pas leur travail à la maison. Cette façon d’aborder le travail à la maison a une nouvelle fois déstabilisé les élèves, car d’une certaine façon, j’acceptais qu’ils « trichent » - c’est leur mot - pour faire leurs devoirs. Quelques rares élèves ont préféré faire leur travail dans leur cahier au lieu de le publier en ligne. En classe, cela me permet de revenir sur les erreurs qui ont été les plus récurrentes et d’effectuer des mises au point grammaticales et/ou lexicales. Outre le mur collaboratif, j’utilise également un groupe fermé sur Facebook pour communiquer avec les élèves et poursuivre le travail entrepris en cours. Les trois quarts de mes élèves possèdent un compte Facebook. Cela m’a donc semblé plus facile d’aller sur leur terrain pour mettre établir un lien entre l’école et la maison. Ce groupe Facebook est fermé. Seul les membres du groupe peuvent lire ce qui est publié. Il s’agit là d’une bonne occasion de montrer aux élèves qu’un outil de détente peut également être utilisé à des fins pédagogiques. Je partage des informations culturelles avec le groupe. La Maison Blanche, par exemple, a un compte Facebook et je partage ses publications dans le groupe. J’utilise le groupe pour informer les élèves sur des thèmes divers. Je mets en valeur leurs productions réalisées en classe en les publiant sur le réseau social. Je leur mets des liens vers des documents de différentes natures pour les amener à s’ouvrir au monde. C’est un excellent outil de partage mais aussi une bonne façon de travailler l’EMI en situation concrète d’apprentissage. Les élèves prennent ainsi conscience de la nécessité de bien paramétrer leur compte, afin que leur intimité ne soit pas exposée publiquement. Pour participer au groupe fermé, les élèves ont l’obligation d’écrire en anglais et d’être respectueux des autres. Ils peuvent réagir à un thème donné, partager des photos, des vidéos, donner leur opinion. Je constate que les élèves ne se sont pas appropriés ce lieu d’échanges et n’ont pas pris d’initiatives pour lancer un thème. Le groupe fermé est resté l’espace du professeur et les élèves attendent le signal du professeur pour s’autoriser à publier. Pour les élèves dont les parents ne souhaitent pas qu’ils soient présents sur Facebook, les contributions s’effectuent via Padlet. On perd la dimension de réseau social, mais c’est cependant un moyen d’échanger. Le seul impératif pour les élèves et leurs familles est de disposer d’une connexion internet, car Padlet est un service en ligne. Pour ceux qui ne possèdent pas de connexion à domicile, ils peuvent toujours se rendre au CDI ou se rendre en salle de permanence où des ordinateurs sont à leur disposition. L’avantage de la classe inversée est qu’elle offre une grande souplesse. Je peux en effet proposer différents types de supports pour mieux répondre aux besoins et aux intérêts des élèves. L’élève choisit ensuite son itinéraire et ses supports. La classe inversée permet de différencier les supports et les élèves travaillent ensuite à leur rythme. Sur cette carte interactive créée avec Thinglink, les élèves doivent choisir leur support pour atteindre Leonard District. Ils ont le choix entre une webquest, une chanson et un jeu sérieux en ligne, Mission US : City of Immigrants. Les trois supports portent sur l’immigration aux Etats-Unis au 19ème siècle. En fonction de leurs intérêts, les élèves choisissent le support leur correspondant le mieux. Quel que soit le support utilisé, les élèves acquièrent un certain nombre d’informations sur le thème étudié. Le jeu sérieux, qui a pu paraître le support le plus simple au premier abord pour les élèves, est en fait un exercice exigeant, puisqu’il faut être capable de mobiliser différentes stratégies pour comprendre la situation du jeu. Cette liberté de choix accordée aux élèves a permis de mieux les engager dans les activités. Puisqu’ils choisissent eux-mêmes d’étudier un support précis, ils sont beaucoup plus impliqués dans le travail qu’ils doivent accomplir. D) Le fonctionnement du cours en classe Cette façon de fonctionner exige une préparation rigoureuse du professeur. Je dois anticiper les différents supports et objectifs visés pour la séquence car l’élève doit être en possession de tous les éléments pour choisir ce qu’il fera et pour avancer à son rythme. Les élèves réalisent des tâches différentes pendant la séance et en fin de de cours, je collecte aussi bien de la production orale que de la production écrite. Disposant d’une baladodiffusion, les élèves ayant décidé de s’entraîner à l’oral s’enregistrent sur un lecteur MP4. Je récupère ensuite le fichier. D’autres me rendent des feuilles ou me demandent de valider ce qu’ils notent dans leur cahier. D’autres se servent des Ipad pour réaliser leurs tâches. En différenciant autant les moyens, j’ai l’impression d’être devenue une jongleuse, puisque je dois récupérer différents types de travaux sur des supports variés. Avec le recul, cette façon de travailler ne me satisfait pas. Je pense en effet qu’il peut être également frustrant pour l’élève de ne pas pouvoir conserver une trace de tous ses travaux dans un seul et même endroit, afin de constater ses progrès et le chemin qu’il a parcouru. Pour pallier ce manque, j’ai proposé aux élèves d’installer l’application gratuite Seesaw sur leur smartphone. Seesaw est un outil multi-plateforme. Disponible sur IOS, Android et en ligne sur un ordinateur, Seesaw permet aux élèves de bénéficier d’un portfolio numérique individuel. Je peux ainsi récupérer toutes les productions des élèves de quelque soit leur nature. Je demande à mes élèves de s’enregistrer en utilisant le dictaphone de leur smartphone ou le service en ligne gratuit ne nécessitant aucune inscription http://clyp.it Désormais, le suivi de leurs travaux est facilité, puisqu’à la fin de chaque séance, les élèves doivent photographier ce qu’ils ont effectué pour l’ajouter à leur portfolio s’ils ont travaillé sur un polycopié ou dans leur cahier. Ils doivent m’envoyer un fichier ou un lien s’il s’agit d’un travail en ligne. Parce que tout est rassemblé dans un seul et même endroit, les élèves peuvent visualiser aisément le travail déjà effectué et les efforts qu’il leur reste à accomplir. Je commente tous les travaux rendus. Mes commentaires peuvent être audio ou écrits. Jusqu’à présent, j’ai laissé des commentaires écrits mais pour les élèves souffrant de dyslexie, je compte laisser des remarques orales. D’autre part, mon travail de préparation et de partage s’en trouve facilité, car je peux assigner des documents directement aux personnes concernées, ce qui permet une mise en route beaucoup plus rapide des activités. Les élèves ont juste à se connecter à leur smartphone en classe pour récupérer le travail demandé. Pour ceux qui ne peuvent pas utiliser leur matériel personnel, des Ipad sont à leur disposition et les productions sont ensuite ajoutées au portfolio numérique. E) Premières conclusions : Cette nouvelle façon d’organiser le cours requiert un certain temps d’adaptation pour les élèves. Tout au long du processus, des ajustements fins sont à apporter en fonction des réactions de la classe. Je constate qu’une classe inversée en îlots ludifiés n’est pas toujours l’outil le plus adapté pour des classes de jeunes élèves. Mes élèves de 4ème sont ceux qui ont encore le plus de mal à accepter cette nouvelle approche. Cependant, chez ceux qui s’investissent pleinement dans le projet, je remarque des progrès dans l’autonomie face au travail, dans l’organisation du travail collaboratif et dans la qualité du travail réalisé. Certains élèves, plutôt effacés, bénéficient de ce système. Cependant, pour les élèves les plus en difficulté, je n’ai pas réussi à dépasser ce manque d’estime de soi. Certains de mes élèves restent prisonniers de leur image dépréciative. Ils estiment être incompétents et ne souhaitent pas sortir de cette identification négative dans laquelle ils s’enferment. Ce sont d’ailleurs ces mêmes élèves qui ne s’investissent pas dans un travail préparatoire en amont du cours, arguant qu’ils ne savent pas faire et ne comprennent pas. En classe, ils ne font rien sauf lorsque je suis à côté d’eux. J’envisage d’amener les personnes en grande difficulté à adopter un contrat d’objectifs précis, afin qu’elles puissent profiter un minimum de la séance. Jusqu’à présent, ces jeunes n’ont pas réussi à trouver une place valorisante dans le déroulement du cours. En ce qui concerne les autres groupes, ils ont besoin de ma présence pour leur indiquer s’ils sont sur la bonne voie, pour valider des productions, pour répondre à leurs interrogations, etc. Je personnalise ainsi mes cours au sein de la classe et je réponds aux besoins spécifiques de chacun. Cette manière de travailler exige un plus grand investissement du professeur en amont du cours. Par ailleurs, pendant le cours, une grande énergie doit encore être déployée, puisque le professeur doit constamment se déplacer pour répondre aux sollicitations des élèves. Elèves et professeur deviennent co-acteurs et pro-actifs. Régine Ballonad-Berthois Professeure d’anglais Collège Léonard de Vinci à Saint-Brieuc (22)