PRINCIPE DE PRECAUTION ET SANTE PUBLIQUE

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PRINCIPE DE PRECAUTION ET SANTE PUBLIQUE
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PRINCIPE DE PRECAUTION
ET
SANTE PUBLIQUE
Claude MERCIER
24 mars 2011
la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 mars 2005
introduit « la Charte de l’environnement de 2004 »
article 5 :
« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état
des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave
et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent,
par application du principe de précaution et dans leurs domaines
d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des
risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées
afin de parer à la réalisation du dommage. »
C’est à partir de cette notion de protection dans le domaine de
l’environnement que ce principe de précaution a été étendu, après
consultation du Conseil d'Etat par le Gouvernement, en l’appliquant
à la profession médicale:
Dans le rapport public du Conseil d'Etat de 1998
« réflexions sur le droit à la santé », Le Conseiller d'Etat Marceau
Long avait rappelé qu’un principe n’est pas une règle d’application
pratique, mais une orientation, c'est-à-dire « une appréciation des
faits » pour résoudre un cas concret.
Il avait ajouté : l’introduction du principe de précaution dans le
droit de la responsabilité médicale pourrait comporter plus de
risques de déséquilibre, que de facteurs favorables à une évolution
harmonieuse du partage entre le risque et la faute.
IL CONVIENT DE DIFFERENCIER PREVENTION ET PRECAUTION
« Très schématiquement la prévention consiste à prendre les mesures
nécessaires à la non-survenance d’un événement prévisible ou, en
tout cas, probabilisable… La précaution consiste à aller plus loin,
soit en multipliant, au-delà de ce que la probabilité rend
nécessaire les mesures de protection, soit en adoptant des mesures
de protection à l’encontre de risques qui ne sont même pas
probabilisables » .
Dans le domaine de la santé publique, deux situations différentes :
 1) Si la menace est identifiable dans ses trois paramètres,
nature, gravité, et probabilité de survenue, on est dans le
cadre classique de la prévention. La décision d’intervention
relève d’une double évaluation ; sous l’angle sanitaire, celle
du rapport bénéfices/risques et, sous l’angle économique, celle
du rapport coût/efficience.

2)Le principe de précaution répond, au contraire, à un risque
incertain, soit parce qu’il est impossible de déterminer la
nature de la menace, soit parce qu’il est impossible d’établir
la probabilité de l’événement.
Exemples d’Application du Principe de Précaution
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Sans être exhaustif citons :La transfusion sanguine, La vache
folle, La grippe porcine,le téléphone portable et les antennes
relais,la vaccination contre l’Hépatite B, le « chikungunya »
et enfin la grippe H1-N1.
Nous en retiendrons trois
1) les antennes relais des téléphones portables: aucune évidence
scientifique n’a été prouvée d’effets nocifs des antennes relais.
Nous rappèlerons
une grande enquête réalisée par un journal de
week-end chez une famille « radio-sensible ». On la voyait souffrant
de nausées, de migraines, d’éruptions cutanées,etc… la fenêtre
ouverte sur
cette antenne qu’Il fallait détruire. Quelques mois
plus tard, on apprenait dans un entrefilet du même journal que
l’antenne incriminée n’avait jamais été mise en service…
2) L’hépatite B . L’utilité de cette vaccination dans la protection
d’une maladie qui entraîne un pourcentage notable de complications
graves (hépatite fulminante, cirrhose et cancer du foie) a été
parfaitement établie. Or cette mesure de protection s’est trouvée
ébranlée dans les années 1990 par le signalement d’un certain nombre
de
complications
nerveuses aiguës (Sclérose en plaques )
susceptibles d’avoir été provoquées par la vaccination. Bien que
cette relation ait paru d’emblée discutable à la majorité des
experts, le ministère de la santé s’appuyant sur le principe de
précaution a suspendu en 1998 les campagnes scolaires de vaccination
contre l’hépatite B. Cette décision politique a été déplorée par la
majorité des spécialistes français et totalement incomprise des
autres pays, en particulier des Etats-Unis fermement engagés en
faveur du maintien de la vaccination du fait du caractère peu
probant de la relation avec les complications nerveuses évoquées. De
fait de nombreux travaux ont permis d’éliminer cette hypothèse et
les pouvoirs publics se sont prononcés pour une reprise généralisée
de la vaccination, tout particulièrement chez les nourrissons, âge
auquel aucune complication n’avait jamais été signalée. Mais le mal
était fait dans l’opinion publique et la chute du taux de
vaccination vient encore d’être récemment confirmée. L’analyse a
posteriori des raisons de la décision politique a bien mis en
évidence le rôle décisif joué par l’introduction dans le
raisonnement bénéfice/risque d’un risque non prouvé, celui de
complications nerveuses, qui s’est révélé non fondé. Ainsi a-t-on
basculé d’une démarche de prévention dans une démarche de précaution
dont on constate maintenant la gravité des conséquences puisqu’elle
laisse sans protection à l’égard de risques majeurs une large partie
de la population.
3) La grippe A H1N1:
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Dans le cadre du plan national de prévention et de lutte contre la
pandémie grippale A (H1 N1) 2009, liée à un nouveau virus grippal
contre lequel l'immunité de la population était faible ou nulle, une
campagne de vaccination a été organisée au niveau national afin de
limiter la diffusion de ce virus, d'en diminuer la morbidité et la
mortalité et de permettre d'atteindre une immunité fiable de la
population française.
Des modalités spécifiques de déclaration et d'analyse des événements
indésirables étaient opérationnelles dès le début de la campagne de
vaccination. Ainsi les professionnels de santé et les patients euxmêmes ont eu la possibilité de déclarer d'éventuels effets
indésirables et la surveillance se prolonge actuellement. L'analyse
de l'ensemble des signalements portés à la connaissance de l'AFSSAPS
à la date du 28 mars 2010 n'a pas remis en cause la balance positive
du bénéfice obtenu versus le risque d'administrer l'un des quatre
vaccins antigrippaux préconisés par le ministère de la Santé.
le 18 août 2010, dans le cadre de la surveillance systématique et
internationale de ces vaccins (Pharmacovigilance), l'Agence
européenne du Médicament (EMEA) a été informée de la survenue de
plusieurs cas de narcolepsie chez des enfants âgés de 12 â 16 ans,
un â deux mois après la vaccination. Ces cas de narcolepsie ont été
signalés en Finlande (six cas) et en France (six cas dont cinq
survenus après l'administration du vaccin PANDEMRIX. et un après
l'administration du vaccin PANENZA∗). Les cas français sont survenus
chez trois enfants et trois adultes. A ce jour, un total de 22 cas
de narcolepsie ont été signalés en Europe après vaccination. La
narcolepsie avec cataplexie est une maladie rare caractérisée par
une somnolence diurne excessive sévère associée à des attaques de
cataplexie définies comme des pertes du tonus musculaire déclenchées
par une forte émotion. Cependant il faut savoir qu'en Europe, la
prévalence (ou incidence naturelle) de la narcolepsie (avec
cataplexie) est de
l'ordre de 7 à 8 nouveaux cas par million de
personnes, soit en France l'apparition d'environ 500 nouveaux cas
par an.
Par ailleurs la narcolepsie et la cataplexie ne figurent pas dans
les listes d'effets indésirables répertoriés antérieurement et
reliés à l'administration des vaccins en général.
Le Professeur Aurengo approuve totalement les mesures préventives
prises, mais déplore en revanche que les généralistes n’aient pas
été impliqués dès le départ dans la campagne de vaccination, ce qui
les a démobilisés alors qu’ils sont des relais d’opinion importants.
les dérives du principe de précaution
Cette épidémie pose en réalité un problème difficilement soluble,
car les décideurs se trouvent devant trois échelles de risques: un
risque sanitaire objectif (combien de morts évitables et à quel
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prix, comment affecter au mieux des crédits non extensibles, qui,
s'ils sont employés pour une vaccination systématique, ne le seront
pas pour autre chose), un risque médiatique (être accusé de n'en
avoir pas fait assez, et à quel prix éviter ces attaques), et enfin
un risque judiciaire (être traîné devant les tribunaux avec la
possibilité d'être effectivement condamné).
Tout semble se passer comme si le deuxième risque, et plus encore le
troisième, pesaient dans les décisions d'un poids beaucoup plus
élevé. Si les autorités sanitaires décidaient de ne conseiller la
vaccination, comme pour la grippe banale, qu'aux personnes fragiles,
ou en contact avec le public, ou indispensables à la bonne marche de
telle ou telle activité essentielle (santé, énergie, eau...), un
seul décès parmi la population non ciblée par ces conseils pourrait
aboutir au tribunal, et éventuellement à une condamnation. Même
scénario si on se trouve en rupture de vaccins.
Cette distorsion des choix par le risque médiatique et surtout
judiciaire, contamine les politiques de santé publique, mais
également l'exercice médical « individuel ». Un nombre croissant de
décisions diagnostiques (multiplication des examens peu utiles),
voire thérapeutiques, sont guidées par le souci qu'on ne puisse rien
reprocher au médecin.
En raison de la maladie, de la pénibilité de certains examens et
traitements, les patients avaient plus ou moins peur de leur
médecin; progressivement, cela pourrait devenir l'inverse!
Risques médiatiques
Le Pr AURENGO
membre de l’Académie de médecine et du haut
Conseil de la Santé Publique s'indigne de ce que des crises
sanitaires virtuelles occupent, à répétition, le devant de la
scène. Pour lui, les fauteurs de trouble jouent sur des
considérations émotionnelles et non sur des données médicales
et scientifiques.
Il donne la
sanitaire :
recette
suivante
pour
fabriquer
une
crise
1) prenez une incertitude, un semblant de débat entre des pour et
des contre (l'eau du robinet, les antennes relais, les OGM,
les adjuvants dans les vaccins, le bisphénol dans les
biberons...) ;
2) exigez que les scientifiques prouvent que les risques évoqués
sont nuls;
3 ) devant l'impossibilité d'obtenir satisfaction (statistiquement
la preuve de non-risque n'est pas possible), saisissez les
médias qui vont renforcer l'inquiétude de l'opinion publique;
4) observez alors que, ne sachant à quel saint se vouer, celle-ci
fera pression sur les pouvoirs publics pour que soit appliqué
le principe de précaution: antennes démontées, arrachage des
plants génétiquement modifiés, arrét de campagne de
vaccination (hépatite B), moratoires...
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Risques Judiciaires :
Pour le PROFESSEUR HERVE « La responsabilité trouve son fondement
sous Napoléon, son but étant alors de punir ; à l’heure actuelle la
punition s’est transformée en dommages et intérêts, le responsable
est maintenant un payeur.Cette bascule vers l’indemnisation en
toutes circonstances entraîne un blocage du système, en effet le
responsable ne peut supporter une charge qu’il ne peut prévenir.
Le retour et l’inflation actuelle de la procédure pénale
révèlent un bouleversement profond de notre société qui met fin à un
certain nombre “ d’impunités qualitatives ” (les politiques, les
scientifiques), et redessine un espace de débat ou de conflit ouvert
à de nouveaux acteurs (les citoyens, les victimes et leurs
associations). »
Conclusions :
Pour le
P r DAVID, Le principe de précaution est une réponse
dangereuse à l’exigence sécuritaire de la société : il y a une autre
voie : l’anticipation par la veille sanitaire.
« On peut déplorer la sensibilité particulière de la société
française à l’égard du risque. Mais force est de constater que c’est
elle qui a pesé pour l’extension du principe de précaution du
domaine de l’environnement à celui de la médecine, avec les
inconvénients majeurs qui, en bonne logique, devrait faire
abandonner cette utopie.
Encore faut-il proposer une autre voie. La perception de l’exigence
sécuritaire a conduit il y a une dizaine d’année à une réponse
beaucoup plus raisonnable. Elle repose sur le principe d’une veille
sanitaire permanente et conçue pour réagir avec rapidité à la
constatation d’un effet nuisible imprévu. Cela nécessite la mise sur
pied d’un dispositif d’alerte et d’expertise extrêmement réactif. La
loi 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits
destinés à l’homme en a fournit le cadre. Cette loi a en effet donné
un schéma cohérent fondé sur la création d’une structure
spécialement adaptée, l’Institut national de veille sanitaire
(InVS), complété par trois agences, l’Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), l’Agence française de
sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et l’Agence française de
sécurité sanitaire de l’environnement (AFSSE). Ce dispositif
coordonne les différentes vigilances spécialisées, telles que la
pharmacovigilance, l’ hémovigilance et la biovigilance pour ne citer
que les plus anciennes ou les plus importantes. Par ailleurs il
s’appuie sur des échelons régionaux et se coordonne avec des
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instances internationales ( OMS ) , en particulier européennes, de
même vocation.
La preuve de l’efficacité de cet ensemble a été apportée par
différentes mises à l’épreuve, en particulier l’épidémie du Sras
(Syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003, celle de la grippe
aviaire en 2004 et celle du Chikungunya en 2006.
Cette nouvelle voie, qui a totalement intégré la nécessité d’une
réponse rapide mais fondée sur des faits identifiés et des pratiques
épidémiologiques éprouvées, devrait permettre de refouler le
principe de précaution dans son domaine initial, celui de
l’environnement qui lui offre, encore, l’occasion d’une utilité
qu’il perd de plus en plus dans le domaine médical.
Les dispositifs de santé publique doivent être sereinement mis en
place en s'appuyant sur l'expertise de santé publique, en gardant en
tête que 1'« information» fondée sur l'émotion, le sensationnel ou
les a priori idéologiques, et largement médiatisée, peut conduire à
des décisions non justifiées ou absurdes, au gré des peurs
médiatisées et du « principe de précaution» qui leur est associé. »
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