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LE CINÉMA DU 123 COLLECTION DVD Pauline à la plage rue des archives d’éric rohmer LE CINÉMA DU 123 Eric Rohmer : « J’aime la peinture » Dans un entretien avec Pascal Bonitzer et Michel Chion, publié en 1983 dans les « Cahiers du cinéma », le réalisateur de « Pauline à la plage » parle de l’influence de Matisse sur la photo de son film ethnologue, et j’ai pensé que ça irait de soi et que son tatouage expliquerait la chose. Il ne parle jamais d’ethnologie. On voit seulement qu’il écrit, qu’il a une machine à écrire. Ce sont ces petites choses qui font que ça passe comme une lettre à la poste. Je ne voulais pas du tout alourdir le film par des considérations explicatives, sociales et sociologiques. rue des archives Pauline à la plage est donc le troisième film de la série « Comédies et proverbes ». Est-ce que vous l’avez programmé à l’intérieur de la série ou l’idée vous en est-elle venue récemment ? (…) Ça n’est pas très précis, j’avais quelques vagues pensées, je n’avais rien écrit, j’avais simplement défini des personnages, six, et j’avais envie de faire une histoire avec ces six personnages dans les années 1950, mais ça n’avait pas abouti. Je ne peux pas dire : « Je fais un film, après ce film, je cherche un sujet, je me retire, comme un certain nombre de personnes, à la campagne en toute tranquillité pour l’écrire, et puis je tourne »… Pas du tout, ce sont des films qui sont tirés d’une masse en gestation, qui sont dans ma tête depuis longtemps et auxquels je pense simultanément. Evidemment, lorsque j’écris un film, je ne pense qu’à lui, mais j’ai écrit une partie du Beau Mariage avant de tourner La Femme de l’aviateur, la scène avec Dussollier était déjà écrite. J’ai écrit le synopsis Pauline (Amanda Langlet) et le tableau de Matisse, « La Blouse roumaine ». Fiche technique de Pauline à la plage la veille du tournage du Beau Mariage. (…) Pauline à la plage (France, 1983, 94 min). Réalisation et scénario : Eric Rohmer. Photographie : Nestor Almendros. Montage : Cécile Decugis. Musique : Jean-Louis Valero. Production : Les Films du Losange/Les Films Ariane. Interprètes : Amanda Langlet, Arielle Dombasle, Pascal Greggory, Féodor Atkine, Simon de la Brosse, Rosette. Dans les autres « Contes moraux », le cadre était très typé, très caractérisé. Ici, dans Pauline, c’est la plage en général, le lieu n’a même pas tellement d’importance, à peine si son nom est dit. Il n’est pas précisé non plus du point de vue social, si c’est une plage chic, ou pas. Non, rien, absolument rien. Moins que dans La Collectionneuse, où on sentait ce côté snob de Saint-Tropez. C’est le côté classique du film, pour renforcer une certaine abstraction de la situation. Par exemple, le métier d’Henri : il est Dans Pauline à la plage, il y a une crudité plus grande des situations que dans les précédents films, l’incidence de la question sexuelle est plus directement posée comme telle. Est-ce parce qu’on est à la plage ? (…) Mes personnages dans le film sont plus habillés sur la plage que les acteurs qui les jouent ne l’étaient en dehors du tournage ! Je n’aime, au cinéma, ni la crudité ni les images cadrées arbitrairement de façon à cacher la nudité. Mais dans Pauline ce n’est pas arbitraire, il y a un système de narration fondé sur la multiplicité des points de vue, et qui est tel que les personnages découvrent les autres en train de faire l’amour. Cette vision est forcément choquante, relativement à eux. Pauline est choquée de voir Marion au lit avec Henri, puis Marion est choquée de voir les deux jeunes, Pauline et Sylvain, et enfin on est choqué avec FILMOGRAPHIE (longs métrages, de 1959 à 2004) 1959 LE SIGNE DU LION (Fr., 103 min). Avec Jess Hahn, Van Doude, Michèle Girardon. 1963 LA CARRIÈRE DE SUZANNE (Fr., 52 min). Avec Philippe Beuzen, Catherine Sée. 1966 LA COLLECTIONNEUSE (Fr., 89 min). Avec Patrick Bauchau, Haydée Politoff. 1969 MA NUIT CHEZ MAUD (Fr., 110 min). Avec Jean-Louis Trintignant, Françoise Fabian, Marie-Christine Barrault. 1970 LE GENOU DE CLAIRE (Fr., 105 min). Avec Jean-Claude Brialy, Aurora Cornu, Béatrice Romand. 1972 L’AMOUR L’APRÈS-MIDI (Fr., 97 min). Avec Bernard Verley, Zouzou, Françoise Verley. 1976 LA MARQUISE D’O (Fr.-RFA, 102 min). Avec Edith Clever, Bruno Ganz. 1979 PERCEVAL LE GALLOIS (Fr.-Suisse-It., 140 min). Avec Fabrice Luchini, André Dussolier. 1981 LA FEMME DE L’AVIATEUR (Fr., 104 min). Avec Philippe Marlaud, Marie Rivière, Anne-Laure Meury. II/LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 27-LUNDI 28 MARS 2005 1982 LE BEAU MARIAGE (Fr., 97 min). Avec Béatrice Romand, Arielle Dombasle, André Dussolier. 1983 PAULINE A LA PLAGE (Fr., 94 min). 1984 LES NUITS DE LA PLEINE LUNE (Fr., 100 min). Avec Pascale Ogier, Tchéky Karyo, Fabrice Luchini. 1986 LE RAYON VERT (Fr., 98 min). Avec Marie Rivière, Rosette, Béatrice Romand. 1987 QUATRE AVENTURES DE REINETTE ET MIRABELLE (Fr., 99 min). Avec Joëlle Miquel, Jessica Forde. L’AMI DE MON AMIE (Fr., 103 min). Avec Emmanuelle Chaulet, François-Eric Gendron. 1990 CONTE DE PRINTEMPS (Fr., 112 min). Avec Anne Teyssèdre, Hugues Quester. 1992 CONTE D’HIVER (Fr., 114 min). Avec Charlotte Very, Michel Voletti. 1993 L’ARBRE, LE MAIRE ET LA MÉDIATHÈQUE (Fr., 105 min). Avec Pascal Greggory, Arielle Dombasle, Fabrice Luchini. 1995 LES RENDEZ-VOUS DE PARIS (Fr., 94 min). Avec Clara Bellar, Antoine Basler. 1996 CONTE D’ÉTÉ (Fr., 113 min). Avec Melvil Poupaud, Amanda Langlet. 2001 L’ANGLAISE ET LE DUC (Fr., 125 min). Avec Lucy Russell, Jean-Claude Dreyfus. 2004 TRIPLE AGENT (Fr.-Ital.-Esp.-Gr.-Russie, 115 min). Avec Katerina Didaskalou, Serge Renko. LE CINÉMA DU La passion du langage cinéaste écrivain, cinéaste musicien, Eric Rohmer – né Maurice Schérer à Tulle, en 1920 – est un personnage singulier du paysage cinématographique français. Ecrivain d’abord, puisque, depuis la parution de son roman Elisabeth chez Gallimard, en 1946, cet ancien professeur de lettres n’a jamais cessé d’écrire : des critiques pour le journal qu’il a fondé, La Gazette du cinéma, et pour les Cahiers ; une thèse sur « L’organisation de l’espace dans le Faust de Murnau » ; plus récemment, une pièce, Le Trio en mi bémol, et un essai, De Mozart en Beethoven, essai sur la notion de profondeur en musique (Actes Sud). Musicien, aussi, et pas seulement parce qu’il s’est intéressé à ces deux compositeurs, tentant de cerner chez eux « l’invention de formes absolument originales ». Théoricien à l’écrit, Rohmer est poète à l’écran : il exalte la sensation, manifeste à chaque plan ce « goût de la beauté » qui donne son titre à l’un de ses articles les plus fameux. Dès son premier film, Le Signe du lion, Rohmer inscrit son cinéma dans la tension entre recherche spirituelle et exploration de la matière. Dès cette époque aussi, le cinéaste – qui fonde avec Barbet Schroeder les Films du Losange pour pouvoir travailler à sa guise – élabore la série des « Contes moraux », invention d’un cinéma « qui dépeint les états d’âme, les pensées tout autant que les actions ». En six films, il parcourt toute la gamme du sentiment amoureux, de l’austérité de La Boulangère de Monceau à la sensualité radieuse du Genou de Claire, de l’amertume de Ma nuit chez Maud au parfum de vaudeville de L’Amour collection christophe l. Pierre de découvrir la marchande dans l’encadrement de la fenêtre. (…) J’ai envie de vous parler de quelque chose d’à la fois très voulu et très aléatoire dans Pauline, et qui me permettra de parler de la photo. J’ai des tas de choses à dire là-dessus : c’est le tableau de Matisse. C’est un peu prétentieux de parler de peinture quand on fait un film, mais j’aime la peinture et je pense plus à la peinture qu’au cinéma. Je n’ai pas de modèles, et je ne dis jamais que je veux refaire Howard Hawks, mais j’ai parfois des modèles picturaux. Dans Ma nuit chez Maud, il y avait des allusions à Léonard de Vinci, dans L’Amour l’aprèsmidi, il y avait une allusion à L’Odalisque d’Ingres. Dans La Marquise d’O, il y avait Füssli. Dans Le Genou de Claire, il y avait une très vague allusion à Gauguin. J’avais demandé à Almendros [Nestor Almendros, directeur de la photographie, NDLR] de penser à Gauguin à cause de ces montagnes au-dessus d’un lac, de ces gens avec des serviettes de bain à fleurs, ce côté un peu Tahiti. C’est toujours bien de penser à un peintre. Cette fois-ci c’était Matisse. Quand j’ai vu Almendros, je lui ai dit que je voulais une photo très claire, dans laquelle il y aurait beaucoup de blanc. (…) Nestor Almendros avait l’habitude d’une photo très XVIIe siècle espagnol, très ombrée, avec beaucoup de clairsobscurs et avec des oppositions assez violentes entre l’ombre et la lumière. Je lui ai dit que je voulais une photo qui ressemble plus à la côte normande, qui soit plus claire, comme par exemple chez Boudin. J’ai cherché un modèle et j’ai parlé de Matisse et il s’est trouvé que passant devant un magasin, c’est ça le côté aléatoire, j’ai vu ce tableau, La Blouse roumaine, je suis entré, je l’ai acheté et je l’ai mis au mur. (…) J’avoue que j’ai eu une récompense en choisissant Matisse parce qu’il s’est trouvé que l’attitude de la femme du tableau et de Pauline dans la scène du restaurant sont très semblables, et ce n’était pas voulu, c’est complètement aléatoire. Propos recueillis par Pascal Bonitzer et Michel Chion, Cahiers du cinéma, 1983 123 Eric Rohmer porte la tension entre cinéma et littérature à son comble l’après-midi. Pendant cette aventure qui dure dix ans (1962-1972), Rohmer réalise des émissions littéraires pour la télévision. La série s’intitule « En profil dans le texte », et l’on s’y intéresse à Hugo, Pascal ou La Bruyère. Prolongeant cette expérience, il se met, juste après les « Contes moraux », à l’adaptation de grands textes – Perceval ou le Conte du Graal, de Chrétien de Troyes, et La Marquise d’O, d’Heinrich von Kleist. Là où d’autres illustrent les grands classiques, Rohmer porte la tension entre cinéma et littérature à son comble. Il juxtapose ces textes dans leur intégralité, avec tout leur mystère, avec des images splendides et statiques : il laisse aux mots le soin de venir les animer. La foi inébranlable de Rohmer dans le pouvoir du langage, dans sa beauté musicale, ne se démentira jamais. Parler raffiné d’Arielle Dombasle dans les « Comédies et proverbes » ; logorrhée de Fabrice Luchini dans Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle ; délicieux accent de Lucy Russell dans L’Anglaise et le Duc, le film qu’il a consacré à la période de la Terreur. Avec les armes de l’écrivain et du musicien, Rohmer fait du cinéma non seulement l’expression de son goût naturel pour la beauté, mais aussi un grand « essai sur la notion de profondeur », une recherche de la note qui frappe juste, et qui résonne au plus profond. Florence Colombani LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 27-LUNDI 28 MARS 2005/III LE CINÉMA DU 123 Parler, se taire, parler… Q Pascal Greggory, Amanda Langlet, Arielle Dombasle et Féodor Atkine. dr UI trop parloit, il se mesfait. » Ce précepte de Chrétien de Troyes vaut pour Pauline à la plage, où il sert d’exergue, comme pour bien des films d’Eric Rohmer. Or il n’y a rien de plus naturel, pour les personnages rohmériens, que de s’adonner à l’art de la conversation, c’est même un penchant irrésistible, ce sont des êtres de parole. Il faut d’abord, pour que dialogue s’y frotte, une situation. Pauline, 15 ans (Amanda Langlet), accompagne pour les vacances sa cousine fraîchement divorcée Marion (Arielle Dombasle). A la plage, elles rencontrent Pierre (Pascal Greggory), l’ancien amant de Marion, toujours amoureux d’elle. Puis Henri (Féodor Atkine), vague connaissance de Pierre. 1. Parler. Une première conversation fixe un enjeu provisoire : confronter différentes conceptions de l’amour. Pierre attend le grand amour, Henri préfère le défilé des plaisirs, fussent-ils éphémères, Marion tortillée dans son fauteuil, caressant son épaule nue, opte quant à elle pour la passion ardente. Et Pauline, en un ballet millimétré, navigue d’un siège à l’autre, finit par apporter son point de vue, au demeurant plus réfléchi que ceux de ses aînés. Mais enfin, les jeux sont faits : Marion s’éprend d’Henri et passe la nuit avec lui, sous l’œil jaloux de Pierre, qui s’évertue, sans succès, à discréditer son rival. 2. Se taire. Comme souvent chez Rohmer, le nœud de l’intrigue est, non pas une parole, un mot, un dialogue, mais une image muette. Et comme souvent, c’est un tiers, un personnage secondaire, qui est au centre de cette image. Tandis que Marion et Pauline sont en excursion et que Pierre rentre de la plage, celui-ci aperçoit par la fenêtre d’Henri une fille toute nue, Louisette, la marchande de cacahuètes. Nous savons qu’elle batifole avec le maître des lieux pendant que Sylvain (Simon de la Il n’y a rien de plus naturel, pour les personnages rohmériens, que de s’adonner à l’art de la conversation Brosse), le flirt de Pauline, regarde la télévision au rez-de-chaussée. Pierre, qui n’a vu que la seule Louisette par la fenêtre, le devine seulement. Alors, parler ? Se taire ? Parler, bien sûr. Mais avant la dénonciation, le machiavélique Henri a mis au point un stratagème pour faire croire à Marion que c’était Sylvain dans la chambre, avec Louisette. Tant pis pour Pauline, qui s’imagine alors être trompée. Aucune chance, pour Pierre, de convaincre Marion de la veulerie de son amant estival. 3. Parler. Oui, mais de quoi ? De cette fenêtre ? Celle-ci est comme un pro- gramme du cinéma de Rohmer. Son cadre, sa neutralité de façade en font un ersatz d’écran de cinéma. L’écran, comme lieu du malentendu. Malentendu qui engage pour chacun une position, des choix, des actions. Il faut composer avec ce rectangle, ce malin génie qui montre (Louisette) autant qu’il cache (Henri), révèle autant qu’il trompe. Un plan de cinéma est un point de vue qui ne coïncide d’abord qu’avec luimême. Au montage, ensuite, d’en assurer la continuité. Aux personnages, enfin, de confronter leur point de vue à celui de la caméra, en y mettant leurs propres motivations. (…) Depuis ce retrait silencieux qui est sa marque, Rohmer cinéaste-narrateur conte l’éternelle équivoque des rapports humains. La transparence est l’art du cache ; l’ensemble des faits, un royaume à tiroirs. Jamais éteinte, la possibilité d’ignorer la vérité. Jamais innocente, la déclaration vraie qui se retourne immédiatement contre qui la lance (Pierre, ici). Il y a mille manières de composer avec pareille énigme, et Marion et Pauline s’entendent sur un compromis : chacune garde sa version des faits, même si l’une sait ce que l’autre ne fait que redouter. Se taire enfin, en suspension. Jean-Philippe Tessé Offre d’abonnement découverte % 44 n uctio d é r de Bulletin d’abonnement à retourner accompagné de votre règlement à : Cahiers du cinéma • Service abonnements • 60646 Chantilly Cedex • France OUI, je souscris à votre offre exclusive* 3 nos pour 9€ Q Mes coordonnées : Mr Mme Melle Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 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