Mise en page 1

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Mise en page 1
Respectable Loge n° 1222 Regius
Grande Loge De France à l’Orient de Marseille
Recueil des travaux 6009 - 6010
1er, 2e & 3e degrés symboliques
Juillet 2010
Note d’édition
Les textes des travaux sont publiés tels que les Frères les ont communiqués.
Les modifications et corrections ont été limitées à la mise en page, à l’orthographe, et à la mise en cohérence typographique.
Toute erreur ou omission serait involontaire.
Les Frères Apprentis, Compagnons et Maîtres n’ont pas choisi les sujets sur lesquels ils ont travaillé, ni les dates de présentation
de leurs travaux. Les travaux en vue d’élévation à un grade supérieur ont été attribués par le Frère Surveillant concerné.
Nous n’avons pas voulu mentionner le grade ou la fonction des Frères en regard de leurs travaux ; ça nous a paru de nature à
troubler l’appréciation que le lecteur peut avoir des travaux.
Ce recueil peut être diffusé librement, sans modification, et exclusivement auprès de Frères ou de Sœurs initiés, sous la protection desquels il est placé ; nous remercions les destinataires de ne pas placer ce recueil à la libre disposition de lecteurs anonymes, par quelque moyen que ce soit.
Il en existe trois versions :
une version complète réservée aux Maîtres qui comprend l’ensemble des travaux aux trois premiers degrés symboliques ;
une version destinée aux Compagnons dont sont exclus les travaux du 3e degré et ceux au 2e degré présentés en vue d’une élévation au grade de Maître. Les sujets de tous les travaux sont toutefois indiqués.
Une version destinée aux Apprentis dont sont exclus les travaux du 2e et du 3e degré et ceux au 1er degré présentés en vue d’une
élévation au grade de Compagnon ; les sujets de tous les travaux sont toutefois indiqués.
Pour joindre la Respectable Loge Regius n° 1222, écrire à : Les Amis de Regius 182-184 Boulevard Rabatau, 13010 Marseille,
ou prendre contact avec un des Frères de l’atelier.
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Par auteur, il est entendu conjointement et indissociablement la personne
auteur de chaque texte et l’association Les Amis de Regius, celle-ci étant
le représentant légal désigné.
Année après année la Respectable Loge Regius travaille avec audace, opiniâtreté et
curiosité à explorer de multiples facettes de la pensée symbolique, de l’ésotérisme, des
voies initiatiques traditionnelles.
C’est un périple sans fin, que nous n’avons qu’entamé. Notre étape cette année a été
le Tarot initiatique de Marseille. Notre curiosité est en éveil. Nous sommes armés et
motivés pour aller plus loin. Du moins nous l’espérons.
Il nous apparaît que la Franc-Maçonnerie et le Tarot sont porteurs de la même pensée
traditionnelle, certes sous des formes très différentes, mais avec de nombreux recoupements et points communs.
Le Tarot initiatique est un puissant moyen d’investigation symbolique pour l’initié
qui interroge l’Univers et les Dieux, qui veut se connaître lui-même, et par lui-même.
Il nous propose l’effort d’affûter une vision que l’on ne doit qu’à soi-même ; restant
indéfiniment suggestif, chacun y voit ce qu’il s’est préparé à percevoir par la réflexion,
par l’étude, par l’expérience, par l’ouverture du cœur et de l’esprit. Par ses oppositions
il permet de dépasser l’opposition à l’autre, fut-il l’autre face de soi-même.
Nous avons regardé les cartes, nous les avons interrogées séparément l’une de l’autre,
comme on regarde le tableau de loge. Nous les avons aussi regardées ensemble, en
paires, en complémentarité ou en opposition. Nous les avons regardées enfin parmi
les autres, toutes les autres, notamment les différentes semblables, les opposés, ainsi
qu’entre la précédente et la suivante, et en séries, et au delà.
Nous avons observé, scruté, et spéculé.
Chaque carte est un chemin d’accès à une réalité plus grande ; à les lire nous cherchons
collectivement à nous dérouter pour ensuite, peut-être, nous orienter ; pour cela il
faut disposer des pièces, des pierres, des éléments de la construction, il faut les avoir
acquis, avoir étudié, travaillé. Nous exerçons notre capacité à la connaissance, c’est à
dire à voir clairement ce qui est. Le symbole est un instrument de passage vers l’informel, c’est un moment dans la voie initiatique. La perception que nous avons du monde
n’est pas le monde, mais elle permet d’y évoluer.
La lecture symbolique des arcanes majeurs du Tarot de Marseille, l’exercice des déductions analogiques, la tentative de rendre visibles rapprochements et différences avec la
Qabbale, l’ésotérisme chrétien, la mythologie grecque, l’alchimie, et la maçonnerie,
nous indiquent un parcours initiatique dont la finalité est la perfection à laquelle nous
aspirons. Nous avons désiré poursuivre le dialogue de la pensée vivante, et nous avons
vu dans le Tarot un formidable outil pour faire bouger les esprits et les mettre en mouvement.
Bien sûr, dans le travail que produisent les Franc-maçons en loge, l’essentiel est dans
les échanges, dans l’exposé des réactions, dans l’émergence d’une pensée analogique,
dans l’éveil au plus intime de chacun des ferments de la progression initiatique. Et cela
est incommunicable.
Seuls les Frères présents, et les nombreux Frères visiteurs venus partager nos efforts,
ont pu en vivre une part.
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Les travaux écrits agissent comme catalyseur et ils n’ont pas de valeur intrinsèque, permanente et identique pour tous. Ce sont des signaux sur un chemin que le Frère a emprunté, par où il est passé, sans que nous sachions s’il a dû rebrousser chemin ou pas.
Ne nous méprenons donc pas, réunir ces travaux ne fait pas une étude savante sur le
sujet, ni une référence ; tout au plus un témoignage de la vitalité de la loge.
Nous avons traité quelques sujets complémentaires aux arcanes majeurs ; ils correspondent chacun à un moment dans le processus de travail de la loge, et ont tous leur
importance à ce titre dans la construction de notre édifice.
À chaque Frère il a été demandé de privilégier les travaux personnels, en évitant absolument les compilations et les citations, dans la recherche constante de l’authenticité
de la pensée, dans l’audace de la prise de risque, dans le partage sincère. Cela même
n’est pas une tâche facile, quelle que soit la culture formelle à laquelle on peut puiser.
Mais nous avons l’ambition de nous hisser au-dessus des lieux communs, de la facilité,
de l’évidence immédiate.
Nous continuons à accepter que les choses avancent lentement, poussés que nous
sommes par une impatience féconde, mais qu’elles avancent tout de même, mues par
notre exigence profonde avec nous-mêmes.
Michel Lecour
Vénérable Maître
Un brève bibliographie, à compléter au gré de chacun, pour amorcer la découverte
de l’univers du Tarot
Anonyme
Jean-Pierre Bayard
Jean Beauchard
Alain Jacques Bougearel
Claude Darche
Alexandro Jodorowsky
René Guénon
Carl Gustav Jung
Paul Marteau
Joseph Maxwell
Patrick Roeckel
Aun Weor Samael
Carole Sédillot
Oswald Wirth
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Méditations sur les arcanes du Tarot
La pratique du Tarot
Tarot symbolique maçonnique
Origines et histoire du Tarot
Pratique du Tarot de Marseille
La Voie du Tarot
Symboles de la science sacrée
La Vie symbolique
Le Tarot de Marseille
Le Tarot, le symbole, les arcanes, la divination
Le tarot des humanistes
Tarot et Kabbale
Ombres et lumières du Tarot
Le Tarot des Imagiers du Moyen-âge
Table des travaux
15 Septembre - 1er degré
Hervé Bab∴ : Le Collège des Officiers.
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21 Septembre - 1er degré
Tenue commune avec la Respectable Loge 1301 Les Veilleurs de l’Aube
Introduction du thème annuel
Pierre-Henri Lan∴ : Pourquoi étudier le Tarot de Marseille quand on est Franc-maçon de
Rite Écossais Ancien et Accepté ?
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29 Septembre - 1er degré
Tenue commune avec la Respectable Loge 1301 Les Veilleurs de l’Aube
Pascal Con∴ : Il ne suffit pas d’être mis en présence de la Vérité pour qu’elle nous soit intelligible.
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Edouard Bot∴ : Le Rite Écossais Ancien et Accepté, un rite méthodique et progressif qui
nous met toutes les cartes en mains.
Conclusions de l’Orateur
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6 Octobre - 1er degré
Luc Pou∴ : Les Francs-maçons ouvrent et ferment leurs travaux à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers ; ils manifestent par là leur attachement à l’idée d’un univers où le sens
l’emporte sur le non-sens et l’être sur le néant. La tâche de l’homme n’est-elle pas de se détourner d’un univers imparfait mais d’agir pour parfaire son achèvement ?
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Les deux commencements
Michel Lec∴ : Arcane 1 - Le Bateleur
Michel Isn∴ : Arcane 11 - La Force
Conclusions de l’Orateur
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3 Novembre - 1er degré
Gestation et Intériorité
Edouard Bot∴ : Arcane 2 - La Papesse
Georges Col∴ : Arcane 12 - Le Pendu
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39
Conclusions de l’Orateur
42
1er Décembre - 1er degré
Énergie créative ou destructrice
Albert Ben∴ : Arcane 3 - L’Impératrice
Conclusions de l’Orateur
43
47
52
15 Décembre - 1er degré
Sécurité au Ciel et sur la Terre
François Mar∴ : Arcane 4 - L’Empereur
53
Bernard Flo∴ : Arcane 13 - L’Arcane sans nom
Gilbert Iso∴ : Arcane 14 - Tempérance
Conclusions de l’Orateur
61
66
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5 Janvier - 1er degré
Nicolas Per∴ : Dégrossir la Pierre Brute afin de la dépouiller de ses aspérités et la rapprocher d’une forme en rapport avec sa destination.
67
La Tentation, en haut comme en bas
Conclusions de l’Orateur
69
75
79
19 Janvier - 1er degré
Travaux en vue de l’élévation au 2e degré
Gilles Del∴ : La marche de l’apprenti révèle progressivement ma propre trajectoire, de
mes pas zélés à ma démarche de demain.
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Dominic Lea∴ : Arcane 5 - Le Pape
Stéphane Cai∴ : Arcane 15 - Le Diable
Gérard Gal∴ : Le Silence est l’Alambic d’où jaillit la Parole. De mon silence retrouvé à ma
parole à conquérir.
Vénérable Maître : Travail spontané.
85
87
Conclusions de l’Orateur
88
2 Février - 1er degré
Christian Bel∴ : Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler ; donnez-moi la première
leettre et je vous donnerai la suivante.
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Le Plaisir de la relation d’Amour
Edouard Bot∴ : Arcane 16 - La Maison Dieu
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95
2 Mars - 1er degré
Fabrice Gam∴ : J’étais dans les Ténèbres et j’ai désiré la Lumière.
99
Hervé Bab∴ : Arcane 6 - L’Amoureux
L’Action dans le monde
Maxime Ama∴ : Arcane 7 - Le Chariot
Bruno Riq∴ : Arcane 17 - L’toile
Conclusions de l’Orateur
101
105
108
16 Mars - 1er degré
Tenue commune des Respectables Loges
104 Justice Égalité, 811 Initium, 969 Stella Gyptis, 1222 Regius, 1385 Utopia
sous la présidence de Regius
Universalité initiatique
Travail collectif des Frères Apprentis : Les épreuves de l’initiation.
Hervé Bab∴ : Voyage en Avalon
30 Mars - 2e degré
Christophe Bea∴ : Dégrossir la Pierre Brute afin de la dépouiller de ses aspérités et la rapprocher d’une forme en rapport avec sa destination.
Eric All∴ : L’Étoile Flamboyante : toute la science du Compagnon y est condensée.
Conclusions de l’Orateur
6
109
115
119
121
124
6 Avril - 1er degré
Les Visages de la Perfection
Gilles Cor∴ : Arcane 8 - La Justice
Fabien Gof∴ : Arcane 18 - La Lune
Conclusions de l’Orateur
20 Avril - 3e degré
Crise et Régénération
Bernard Flo∴ : Arcane 9 - L’Hermite
125
129
134
Raymond Jol∴ : Arcane 19 - Le Soleil
135
141
Conclusions de l’Orateur
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4 Mai- 1er degré
Ce qui commence finit
Michel Isn∴ : Arcane 9 - La Roue de Fortune
Pierre-Henri Lan∴ : Arcane 19 - Le Jugement
147
151
Conclusions de l’Orateur
154
18 Mai - 2e degré
Edouard Bot∴ : Propos symbolique du 1er Surveillant
Luc Pou∴ : L’éthique du Compagnon sur la voie de la Maîtrise
Gérard Gal∴ : Tout symbole “fait signe”, il est renvoi à une signification qui n’est jamais
donnée ou offerte, mais seulement suggérée et que le Franc-maçon est invité à découvrir. Il
apparaît comme une énigme qui au lieu de bloquer l’intelligence doit au contraire la provoquer, la réveiller.
Conclusions de l’Orateur
155
157
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161
1er Juin - 1er degré
L’Alpha et l’Oméga
Albert Ben∴ : Arcane 21 - Le Monde
François Mar∴ : Arcane sans numéro - Le Mat
Conclusions de l’Orateur
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167
174
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15 Septembre 2009
Hervé Bab∴
Le Collège des Officiers
Il ne me semble pas abusif de dire que le Collège des Officiers est une Loge dans la Loge. Après tout l’étymologie
du mot Collège renvoie au sens d’un groupe censé garantir un ordre, une loi (lex). Venue de l’antiquité et probablement des débuts de l’humanité, cette structure de direction, collégiale donc, traverse l’histoire, conseil des
sages, Sacré-Collège, soviet ou staff. Elle traduit la recherche d’un idéal de commandement juste, équilibré, efficace, incarné par un collectif. C’est dans les ordres initiatiques authentiques que le Collège trouve son fonctionnement le plus harmonieux et c’est d’ailleurs certainement un des critères de la régularité de ces ordres. L’on
trouve d’ailleurs déjà la dénomination de collegia dans le monde romain pour qualifier des structures initiatiques
basées sur l’exercice de métiers.
Faire une œuvre est justement l’étymologie d’Officier (opus, facere) et l’on parle alors d’une charge, ce qui précise
qu’il s’agit moins d’un honneur que d’un devoir, d’une responsabilité. Cette notion est féodale dans le bon sens
du terme, disons chevaleresque. Quand nous sommes Apprentis, nous percevons inconsciemment la phylogenèse
de la structure du Collège à travers ces dénominations qui étonnent de prime abord et qui plongent dans l’antiquité et au-delà, nous venons de le voir, mais aussi dans le moyen-âge ancien et moderne : hospitalier, vénérable,
charge, office … L’office, cela me paraît important, rappelons-nous que c’est également la pièce attenante à la cuisine où se prépare le service de la table. Car c’est à un festin spirituel que nous sommes conviés en Loge et nous
entendons d’ailleurs souvent des Frères, visiteurs notamment, s’exclamer en fin de Tenue pour remercier, « je
me suis régalé ! ». Cela veut dire donc que les Frères et notamment les Officiers ont bien travaillé, cela veut dire
surtout qu’un Officier est un serviteur.
Le Collège des Officiers est la Loge dans la Loge qui œuvre au service de celle-ci, redoublant ainsi le message initiatique : recevoir la Lumière c’est s’engager sur le chemin du service de l’autre.
Mais pourquoi un ordre initiatique comme la Franc-Maçonnerie a-t’il choisi une structure de direction de ce
type ? A un premier niveau, et nous l’avons esquissé, pour des raisons que je qualifierai de « progressistes » ou
« humanistes », dans l’idée de perfectionner le gouvernement de la société humaine, le Collège devant être une
garantie contre la tyrannie et permettre par la mise en commun d’intelligences et de réflexions associées une
meilleure gouvernance. L’idéal social, porté d’ailleurs par la Franc-maçonnerie des Lumières est que chaque citoyen devienne roi et que l’humanité, enfin débarrassée de l’obscurantisme et de la misère, devienne une libre
association d’individus régaliens. Nous en sommes encore loin mais Liberté-Egalité-Fraternité n’aurait pas eu
une telle résonance si un archétype n’avait là été réveillé … Archétype ? Oui, car pourquoi le Directoire ou les
Soviets n’ont-ils pas été efficients ? Et pourquoi les Collèges des Officiers, de type maçonnique par exemple, fonctionnent-ils relativement bien (ou mieux) ?
Nous atteignons là un deuxième niveau : la structure interne du Collège des Officiers est calquée manifestement
en effet sur un archétype, René Guénon dirait sur une configuration « non-humaine ». Je disais plus haut que
cette structure de direction venait du plus lointain de l’humanité mais, abordée ainsi, il faut supposer qu’elle
vienne de plus loin encore …
Ici, il est difficile de ne pas évoquer l’arbre séphirotique, singulier Sephira, mot hébreu renvoyant aux notions de
nombre, catégorie, sphère, lumière que la Qabbale commencera à théoriser au XIIIe siècle comme étant des émanations divines, voire des êtres d’une nature supérieure au service de la création de l’Univers. Il y en a dix, elles
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constituent tout ce qui est contenu dans l’univers, elles renferment toute la variété des choses. Le Sepher Yetsira
dit : « leur mesure est dix sans fin ». On peut rapprocher cela de la tétractys pythagoricienne, ce qui illustre bien
que les voies initiatiques authentiques, quoique différentes au début de leur cheminement finissent par converger,
se rejoindre.
Les Séphiroth, au nombre de dix donc, forment une structure et une hiérarchie qui peut être une grille de lecture
de beaucoup de choses, toutes choses même, et notamment le Collège des Officiers. Pour demeurer bref, je cite
ici Henri Serouya : « … La première tend à présider à la force divine, la seconde à la force des anges, la troisième
à la force prophétique, la quatrième à répandre la grâce parmi les essences supérieures, la cinquième à répandre
la terreur de sa force, la sixième à répandre la pitié sur les choses inférieures, la septième à faire croître et fortifier
l’âme sensible en voie de développement, la huitième à produire la gradation successive, la neuvième à faire émaner
le force de toutes les autres. Enfin la dixième est la voie par laquelle l’ensemble de toutes les autres forces se répand
dans le monde inférieur. »
Toujours dans un souci de brièveté sur ce sujet très complexe mais aussi pour illustrer ce que j’évoquais du Collège
des Officiers et de l’écoulement de la force dans l’arborescence, je vous cite un mail estival de notre Vénérable
Maître :
« Mon Très Cher Hervé,
J'ai lu qu'on peut voir les choses ainsi :
à l'Orient (triade supérieure) :
Kéther (Couronne) Le V∴ M∴
H'okmah (Sagesse) L'Orateur
Binah (Intelligence) Le Secrétaire
Puis les 6 Séphiroth "de terrain"
H'esed (Grâce) L'Hospitalier
Guebourah (Rigueur) Le 1er Surveillant.
Tiphéreth (Beauté) Le Maître des Cérémonies.
Netzah' (Victoire) Le 2nd Surveillant.
Hod (Gloire) Le Trésorier.
Yesod (Fondement) L'Expert.
Enfin, détachée du reste de l’Arbre, une Sephira "de transition" entre les 2 mondes : Malkouth (Royaume) Le Couvreur.
Et d'autres y associent des connotations astrologiques, François devrait pouvoir nous éclairer là dessus.
Certains qabbalistes groupent deux par deux les dix Séphiroth de cette manière :
Kéther - Malkouth les 2 extrêmes
H'okmah -Yesod les 2 "énergétiques"
Binah - Hod les 2 "intellectuelles"
H'esed -Netzah les 2 "bénéfiques"
Guebourah - Tiphéreth les 2 "pathétiques"
De cette manière, on aurait un "jeu des couples":
V∴ M∴ - Couvreur (Les 2 gardiens du Temple)
Orateur - Expert (les savants)
Secrétaire - Trésorier (les scribes !)
Hospitalier - 2nd Surv∴ (les "indulgents")
1er Surv∴ - M∴ des C∴ (les "sévères")
On va avoir besoin des lumières d’Albert. »
Ainsi, on pourrait concevoir le Temple comme un monde intermédiaire entre le « monde des idées » et la réalité
matérielle « déchue » ou « abîmée » puisqu’une tradition qabbalistique rapporte que la création aurait subi
un accident, nommé la Brisure des Vases, l’énergie divine ayant été trop puissante pour les réceptacles séphirotiques … Le Temple maçonnique donc, monde intermédiaire où les initiés travaillent à se régénérer grâce à la Lumière qu’ils reçoivent et qu’ils sont chargés ensuite d’irradier dans le monde profane, le monde altéré (« la
Franc-maçonnerie travaille au perfectionnement de l’humanité »). Le Collège des Officiers peut ainsi être vu
comme le reflet d’une arborescence « invisible », « éternelle » émanant de l’Orient. D’où pour le Vénérable
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Maître, l’attribut de l’épée flamboyante, reflet là-aussi de l’épée des Chérubins qui marque la frontière de l’Eden.
Un ordre religieux chrétien, dont le nom m’échappe, a pour jolie devise « nos racines sont dans le Ciel ».
Parcourir cette arborescence manifestée dans le Temple, c’est œuvrer à éveiller à chaque station, à chaque office
donc, un état de conscience latent, une tonalité particulière de l’Etre. Au final, en ayant occupé successivement
tous les offices, l’initié devrait potentiellement avoir réalisé en lui-même l’harmonie de l’arbre séphirotique qui
associe, conjugue et équilibre toutes les forces vitales primordiales, lesquelles, rappelons-le, ne sont que les modalités créatrices d’une seule force initiale. Dans l’absolu, l’initié est appelé ainsi à retrouver la nature édénique,
Adam Kadmon, Adam Primordial.
Et pour terminer et en même temps rattacher ce propos au programme initiatique de cette année qui débute,
nous évoquerons les vingt-deux canaux qui relient les différentes parties de l’arbre séphirotique, vingt-deux
comme le nombre de lettres de l’alphabet hébreu, vingt-deux également comme le nombre d’arcanes majeurs
du Tarot. Oswald Wirth avait déjà relevé cette analogie et l’a développée. Dans le programme d’études qu’il a
élaboré, notre Vénérable Maître associe deux à deux les arcanes majeurs, ce qui nous donne onze couples. Nous
évoquions plus haut l’arbre des dix Séphiroth en correspondance avec les dix officiers de la Loge. Certains qabbalistes évoquent une onzième Sephira, Daath, Sephira cachée et qui dans la géographie d’une Loge correspondrait à peu près au niveau de l’Autel des Serments. Je me suis toujours demandé s’il n’y avait pas là un rapport
avec l’impossibilité de franchir la ligne qui sépare l’Autel des Serments du Trône de Salomon où siège le Vénérable
Maître …Toutefois, il faut préciser que Daath serait une Sephira un peu particulière, de la même manière que le
Mat est un arcane un peu particulier … Toujours est-il que nous retrouvons le nombre 11, un nombre par ailleurs
assez intéressant … Je précise que toutes ces dernières considérations demandent à être vérifiées et validées, notamment par des Frères plus experts que moi, et particulièrement en ce qui concerne la Qabbale.
Ce ne sont que des hypothèses, quelques coups de sonde dans ces mystères que nous allons cette année aborder.
Bibliographie :
René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Ed. Traditionnelles, 2005
Carlo Suares, Le Sepher Yetsira, Ed. Arma Artis, 2004
Oswald Wirth, Le Tarot des imagiers du Moyen-Age, Ed. Sand, 1984
Henri Serouya, La Kabbale, Ed. Grasset, 1947
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21 Septembre 2009
Pierre-Henri Lan∴
Pourquoi étudier le Tarot de Marseille quand on est Franc-maçon de Rite Écossais Ancien et
Accepté ?
Temple de Piolenc (84) - Paroi septentrionale de l’Orient
Bien que notre Vénérable Maître ait déjà entrepris le travail dans un de ses mails estivaux, je reprendrai ici quelques
principes de base pour qui veut mettre le Tarot de Marseille au service de sa propre démarche initiatique.
Ceci a parfaitement été exposé par Alejandro Jodorowski dans « l’Art du Tarot ».
L’essentiel est d’admettre que le Tarot est un système qui se construit essentiellement avec l'imagination. Il est bien
difficile d’en retrouver l’origine, probablement dans le courant du 15e siècle.
Son auteur l’a volontairement truffé d’anomalies … à tel point que certains prétendus érudits ont entrepris d’en
corriger … les erreurs ! [1]
Comme toujours en matière de symbolisme, l’anomalie a pour fonction d’attirer l’attention, afin que la raison soit
obligée de laisser place à l’imaginaire. Face à une figure inachevée, le cherchant voudra imaginer le reste du dessin,
au delà du cadre. Certains tracés suggèrent tout autre chose que ce qu’ils représentent, ouvrant ainsi la porte au
rêve. On trouve des distorsions de formes, des parties manquantes, ou au contraires visibles alors qu’elles ne le devraient pas.
Ainsi notre Frère Cor∴ va‐t‐il devoir passer “son” Bateleur à la moulinette.
[1]
En 1781, Court de Gébelin présente le Tarot de Marseille dans le neuvième volume de son " Monde primitif " après avoir rajouté le pied
manquant à la table du Bateleur, modifiant le sceptre du Pape, dessinant le Pendu debout, etc. Il imagine la théorie d’une origine égyptienne
des 22 arcanes majeurs.
[2]
Le Bateleur révèle d’emblée la clé : «Avant toute chose, apprenez la concentration sans effort ; transformez le travail en jeu ; faites que tout
joug accepté soit doux, et que tout fardeau porté soit léger». Il faut examiner les trois points de cette formule pour pénétrer l'Arcane de la
“détente active”, de “l'effort sans effort”. Les divers enseignements des autres arcanes du Tarot, ne sont que des aspects, modalités ou développements de cette règle de base donnée par le Bateleur.
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Ce premier arcane est une pièce majeure du Tarot [2], mais … la forme de la table n’est‐elle pas étonnante ? Où est
son quatrième pied ? Jusqu’où descend celui qui s'enfonce hors du cadre ? A‐t‐il des racines ? Jusqu'où va le
chapeau qui se perd dans le ciel ? Comment se continue la forme du chapeau ? Que touche le coude du bras
gauche ? Vers quoi est pointée la baguette ? Que regarde le personnage ? Comment se continue le paysage ? etc
... Ensuite, l'imagination pourra s'appliquer à répondre aux énigmes proposées par la carte. Par exemple, que renferme la bourse du Bateleur ? Mais aussi sans brider son imagination : la table de couleur chair est‐elle vivante ?
Le ceinturon pourrait‐il être un serpent ? Etc, etc …
Et puis de toute évidence, les couleurs ont une importance.
Mais attention, ce qui est trop évident recèle souvent un piège.
Le franc‐maçon est bien souvent un symboliste pavlovien, conditionné pour donner des réponses toutes faites :
le maillet représente la volonté, le niveau l’égalité, l’équerre la rectitude, le rouge la force ou le sang, le vert la
beauté ou l’espérance, etc ...
Aussi Jodorowsky propose‐t‐il une méthode :
« Avant toute tentative de donner une signification symbolique aux dix couleurs du Tarot, le cherchant doit éliminer
neuf couleurs de son attention et ne plus penser qu’à une seule. Par exemple LE JAUNE. Le Tarot déployé devant
lui, le cherchant essayera de trouver le jaune.
Il le regardera très minutieusement, carte après carte, puis globalement. Il verra toutes les parties jaunes d’un seul
coup d’œil. Il sentira la vibration du jaune et l’effet qu’il produit dans son esprit. Il intégrera la couleur à son esprit.
Son organisme, sa conscience, sa mémoire se teindront de jaune. Le monde, le système solaire, l’univers seront jaunes.
Puis la couleur parcourra le chemin inverse de la totalité à l’unité, redeviendra elle-même et enfin il la verra sur le
Tarot dans son intégralité pour s’arrêter alors sur le jaune d’un détail. Cet exercice devra être réalisé successivement
avec les dix couleurs. Ce “vivre”, cet “être la couleur”, cette totalisation du ton permettra de comprendre ses incommensurables aspects positifs et négatifs et sera la source d’une pluralité d’interprétations. »
Cette liberté que l’on doit s’imposer dans ce que nous font ressentir les formes et les couleurs du Tarot est d’autant
plus nécessaire que de nombreuses versions du Tarot de Marseille ont été imprimées par des artisans différents,
à diverses époques et avec des moyens techniques variables ; les traits et les couleurs ont été reproduits avec plus
ou moins de fidélité, certains ont simplifié le canon originel à l’extrême. Ceux qui les ont copiés, ont encore
ajouté des erreurs aux erreurs. Tout au plus, ce sont certaines constantes et similitudes qui permettent de reconstituer un jeu [3] dont nul ne peut affirmer qu’il est parfaitement conforme au canon commun originel. Rajoutons
aussi que des milliers de livres ont été écrits, affirmant que le Tarot prend sa source chez les Égyptiens, les Chaldéens, les Hébreux, les Arabes, les hindous, les Grecs, les Chinois, les Mayas, les Extraterrestres, quand on n'évoque
pas l’Atlantide ou Adam lui‐même !
C’est un devin à la mode vers 1790 [4] qui a prétendu “restaurer” la "signification" du Tarot de Marseille en établissant des liens plus ou moins fantaisistes entre ses lames et l’Astrologie ou la Kabbale.
L’alchimie n’est évidemment pas en reste.
En définitive, chaque nationalité, chaque groupe religieux, chaque noyau ésotérique, chaque société secrète,
chaque branche de la magie, chaque Initié, chaque artiste finira ainsi par revendiquer la véritable et (évidemment
…) seule authentique signification du Tarot …
Même s’il y a à prendre et à laisser, Oswald Wirth a insisté sur la nécessité d’une approche très liée des différents
arcanes [5]. Ainsi peut‐on analyser :
‐ les ternaires, et comment chacune des trois lames se relie aux autres
‐ les rapports entre les ternaires, leur caractère “actif ” ou “passif ”
‐ la constitution des trois septénaires (3+3+1)
‐ les liens entre lames ayant la même position au sein des septénaires
[3]
Cf. version de Jodorowsky & Camoin
Le barbier Eteilla
[5]
Sur les sept ternaires, les trois premiers s’opposent aux trois suivants et le dernier ramène le tout à l’unité. La loi du septénaire nous est
ainsi révélée.
[4]
14
Je crois enfin qu’il ne faut pas négliger les idées, voire les émotions que nous inspirent la vision de la carte ou la lecture de son intitulé au tout premier degré, au sens littéral. L’Amoureux, le Pendu, l’Arcane sans nom, le Diable, la
Justice, la Tempérance, le Jugement, voilà qui peut nous renvoyer en tou premier lieu à notre vie de tous les jours.
Certaines cartes attirent plus l’attention que d’autres. Certaines apparaissent comme “positives”, d’autres comme
“désagréables”.
Pour Jodorowsky, la maîtrise du Tarot s’obtient quand les cartes ne sont plus ni désagréables, ni muettes. Tant que
l’on n’établit pas un contact étroit avec chacun des arcanes, une relation d’amour, on ne peut prétendre connaître
ce jeu de cartes. C’est pourquoi il faut explorer chaque lame, détail après détail. Á chaque pas des mystères surgiront ...
Mais attention ! La caractéristique du langage onirique est d’être ambigü. Les dessins sont réalisés de telle manière
que l’intellect projette sur eux une définition, essayant de les enfermer immédiatement dans des concepts.
Jodorowsky ajoute : « ce que nous voyons dans le Tarot de Marseille, c’est ce que nous sommes à l’instant précis de
notre lecture ». C’est pourquoi une grande attention est nécessaire pour ne pas tomber dans le piège, pour dépasser
sa vision personnelle afin de l’enrichir. Les arcanes mémorisés et chargés de signification devront ensuite vivre dans
notre esprit.
Sans oublier que les arcanes varient en fonction de celui qui les travaille, mais aussi avec les heures, les saisons, les
événements car ils sont des miroirs. Ils ne sont ni ceci, ni cela. Ils sont ceci et cela, ou ne sont que ceci et que cela
et vice‐versa ! La “négativité” ou la “positivité” de la carte n’a, par exemple, rien à voir avec le fait d’être debout ou
à l’envers. Chaque arcane mérite par exemple d’être interprété de la façon la plus négative possible pour, peu à peu,
remonter vers son exaltation.
Les arcanes peuvent dès lors donner lieu à de multiples significations ; ils ne sont pas des objets clos aux définitions
fermées, mais des structures ouvertes, nécessairement porteuses de contradictions fécondes.Le Tarot est donc conçu
comme une “clé” d’accès à la Connaissance. Comme dans le processus initiatique maçonnique, il fonctionne par
analogies “ouvertes”. Comme le Rite Ècossais Ancien et Accepté, il offre – à celui qui le veut vraiment – une possibilité de lever le voile qui dissimule la nature profonde de l’Humain.
C’est pourquoi il est avant tout nécessaire d’observer et de voir chaque arcane de façon objective, sans imaginer ni
tirer de conclusion à priori, en laissant de coté l’expérience intellectuelle, en oubliant tout savoir, en s’obligeant à
ne pas rechercher de définitions ou de concepts.
Cet exercice apparemment simple se révèle d’une redoutable complexité, d’autant qu’il devrait être accompli pour
chacune des 78 cartes du jeu !!!
Il va donc nous falloir beaucoup de temps, bien plus que cette année maçonnique, avant que les arcanes ne vivent
dans notre sang, et que nous voyons enfin s’approcher le Mat qui – peut-être – finira par nous laisser comprendre
ce qu’il cache dans sa besace.
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29 Septembre 2009
Pascal Con∴
Il ne suffit pas d’être mis en présence de la Vérité pour qu’elle nous soit
intelligible.
Dans le langage courant, on qualifie de vrai ou de faux aussi bien des énoncés que des objets, des événements ou
des situations. Mais, peut-on qualifier une chose de vraie comme on peut le faire d’un énoncé ? Dire, par exemple,
que le maillet du Vénérable Maître est en “or vrai” signifie qu’il n’est pas une imitation, mais ce qui est qualifié, estce le jugement porté sur le maillet ou l’objet lui-même ? En clair, ne confond-on pas vérité et réalité ?
Il faut donc d’abord savoir en quel sens on parle de vérité.
Il semble que le but de notre parcours initiatique soit la recherche de la vérité. Mais que faut-il entendre par là ?
Est-ce la recherche d’une Vérité intangible, ne souffrant d’aucune contestation, la même pour tous ? Est-ce la recherche de ma Vérité ? Celle qui est invisible et qui m’habite et que je dois révéler pour pouvoir enfin rayonner ?
Ce que j’ai compris à ce jour, c’est que cette vérité n’est pas inventée, elle n’existe pas préalablement. Elle se découvre
peu à peu au prix d’un long travail.
Si cet accès à la vérité semble difficile, peut-on cependant poser les critères de cette vérité ? Existe-t-il des outils
nous permettant de nous aider dans notre recherche ? En d’autres termes, ces critères et ces outils vont-ils me permettre de dire que ce que je pense est la vérité … ou la réalité.
Dans le monde profane, la vérité désigne le plus souvent la conformité des paroles dites ou des récits entendus avec
ce que nous savons ou ce que nous croyons savoir. Spinoza indique que « la première signification de vrai et de
faux semble avoir tiré son origine des récits ; et on a dit vrai quand le fait est réellement arrivé ; faux quand le fait
raconté n’était arrivé nulle part. Ainsi on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même
; fausse celle qui montre une chose autrement qu’elle n’est en réalité ». En outre dans nos sociétés l’obligation de
dire la vérité est ce qui rend possible les rapports de confiance. La vérité d’une parole est alors une exigence morale.
On situe alors la vérité dans l’ordre du devoir. Cette valeur morale s’exprime d’abord dans le refus de tromper et
d’être trompé. Mais revenons à la vérité d’une idée qui signifie que celle-ci est en conformité avec la réalité.
Mais, un autre problème surgit alors : qu’entend-on par réalité ? Dire qu’une chose est vraie signifie souvent qu’elle
a lieu ou que c’est un fait avéré. La définition de la vérité dépend alors de la conception que l’on se fait de la réalité.
Platon considère que la réalité se trouve dans le monde des idées, que seul l’esprit peut atteindre et refuse d’accorder
de la réalité aux choses parce que le monde n’est constitué que d’apparences. Il y a malgré tout un problème : n’y
a-t-il de vérité qu’intelligible ? Et nous sommes là dans le vif du sujet. Est-ce que ce qui est vrai est seulement ce
que je comprends ou bien y a-t-il une Vérité suprême compréhensible par tous, une espèce de langage commun,
universel, les réponses à toutes mes questions ? Les philosophes nous parlent de vérité de raison, de vérité de fait,
de vérité révélée, de vérité rationnelle ... La vérité révélée est donnée par la Foi sous forme de dogmes qui sont des
vérités fondamentales enseignées sans être démontrées et sans qu’il soit autorisé d’en douter. C’est personnellement
celles que je fuis car je ne peux me construire que dans le doute. La vérité rationnelle est une vérité que l’on recherche
à l’aide de la raison humaine. Elle doit donc être fondée et démontrée. Cependant, de quelle manière se manifeste
la vérité parce qu’une fois admise l’idée que l’on en connaît la définition, est-ce pour autant aussi simple de l’atteindre ?
Constitué d’apparences, le monde réel dans lequel nous vivons est source d’erreurs et d’illusions. La vérité est à rechercher au-delà, parce qu’elle n’est pas accessible à l’intelligence seule : «Il ne suffit pas d’être mis en présence de
la vérité pour qu’elle nous soit intelligible». Pour Platon l’accès au monde intelligible, n’est pas l’effet d’une révélation mais constitue le résultat d’un effort de la raison donc d’un travail de longue haleine nécessitant de se débarrasser de nos préjugés, de nos scories. Donc nous avons d’un côté, l’idée d’un monde intelligible qui est le
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produit d’une réflexion sur la nécessaire universalité et immuabilité du vrai. Et d’un autre côté, nous avons le travail
que nous effectuons en Loge afin de nous libérer des apparences comme le prisonnier que l’on délivre et qui se
tourne pour la première fois vers les véritables réalités afin de se libérer de ses préjugés, de ses opinions. Dans cette
optique, savoir qu’on ne sait rien est la première condition de la recherche de la vérité, mais cette recherche est
difficile.
La situation des prisonniers de Platon, enchaînés dans une caverne, ne voyant que les ombres qu’ils prennent pour
des réalités symbolisent leurs illusions et même si l’on suppose qu’on en libère un de ses chaînes (chaînes qui symbolisent les opinions, les préjugés, etc.), la quête s’avère pénible parce qu’il faut d’abord qu’il prenne conscience
de son ignorance pour ensuite pouvoir quitter son univers de croyance et qu’il ose s’aventurer seul à l’extérieur vers
la lumière et donc qu’il s’érige contre l’opinion générale, parce que même si on le guide dans cette recherche, la
vérité ne se révèle qu’à un esprit prêt à le recevoir. En fait, on ne reçoit jamais la vérité : on la découvre soi-même
au prix d’un effort de la pensée.
Évidemment, la vérité existe indépendamment de l’esprit qui la découvre et chez Platon, l’acte par lequel elle est
découverte est comparée à la vision de la lumière, mais le soleil qui éclaire peut aussi éblouir et aveugler, ce qui est
le cas pour le prisonnier évadé: il faut donc qu’une pédagogie prépare l’esprit à recevoir la vérité. La vérité n’éclate
jamais au grand jour, elle se terre au fond de soi, elle ne se dissimule pas, elle “hiberne” et attends son heure. Mais
la vérité, cette vérité que nous recherchons tous, ne peut résulter que de l’examen critique de nos opinions. Nous
devons donc remettre en cause tout ce que nous avons appris dans notre enfance et l’expérience que nous avons
eue d’opinions tenues pour vraies et qui se sont ensuite révélées fausses doit nous inciter à douter de tous les préjugés. Sur ce point précis, Descartes semble très proche de Socrate et de Platon : c’est le doute méthodique qui est
le moyen d’accéder à la vérité. Douter me prouve que je suis libre, que je ne me contente pas de recevoir ce qu’on
me dit, mais que je réfléchis par moi-même : « Je pense donc je suis ».Néanmoins, si je connais les moyens pour
purifier mon esprit des opinions, si je sais qu’il convient que je laisse mes métaux à la porte du temple, le problème
de la compréhension de la vérité reste posé. C’est par l’usage de la raison que les hommes cherchent à atteindre la
vérité, mais l’accès à la vérité se complique très souvent par la pluralité des discours sur elle. De la même manière,
chaque franc-maçon dispose de sa propre méthode pour appréhender la Vérité, méthode qui s’inscrit dans son propre système de pensée d’où l’utilité de ce que j’appelle la “pédagogie maçonnique” qui constitue un critère indispensable pour la recherche de la vérité.
La définition de la vérité est embarrassante :
Réside-t-elle dans l’évidence, dans la conformité des discours à la réalité ?
Chez les profanes, deux états d’esprit s’opposent :
D’une part le scepticisme qui nie la possibilité d’atteindre la Vérité.
D’autre part, le dogmatisme qui affirme une Vérité de manière absolue.
L’un et l’autre de ces courants de pensée ne sont pas tenables jusqu’au bout car douter est bien mais fait stagner et
le dogmatisme l’est de même car nous sommes des êtres subjectifs et il est de notre devoir de remettre en cause sans
cesse notre savoir. Il reste que la vérité est un idéal qui ne peut être atteint qu’en se méfiant de nos certitudes subjectives ou préjugés. Fonder la vérité sur le postulat de l’existence d’un Dieu est tout aussi intenable car l’accès à un
savoir véritable suppose qu’on cesse de croire. La croyance est une attitude de l’esprit qui adhère à un énoncé, à un
fait sans pouvoir en donner de preuve concrète et tout savoir est par définition rationnel et donc prouvé.
Le seule chose que je sais c’est que je ne sais rien….
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Edouard Bot∴
Le Rite Écossais Ancien et Accepté, un rite méthodique et progressif qui nous met toutes les cartes en
mains.
Je crois que le moment est bien choisi, avant d’entamer nos travaux sur les vingt-deux arcanes majeurs du Tarot,
pour bien redéfinir notre rite et ses spécificités ; en mesurer toute l’étendue et la profondeur ; redécouvrir les perspectives infinies qu’il nous offre ; pouvoir porter aussi un regard impartial sur lui et essayer d’apporter des réponses
à quelques questions que l’on peut et doit se poser pour comprendre comment le R∴E∴A∴A∴, se fondant sur
la Tradition Primordiale, sur tout l’héritage des grands mouvements de pensée qui se succédèrent dans le temps,
sur son universalisme et sa spiritualité nous met toutes les cartes en main. Nous découvrirons en le parcourant qu’il
y a en effet un parallélisme et des similitudes entre le Tarot et la Franc-maçonnerie, au travers du R∴E∴A∴A∴.
Mais bien redéfinir notre rite n’est pas si facile, immergés en lui comme nous le sommes depuis notre initiation,
avec aussi la tentation de se dire que nous aurons toujours le temps d’aller y voir de plus près puisque nous sommes
“in situ”.
1) Qu’est-ce que le rite ?
Tout rite véritable relève du sacré ; il est principiel en ce sens qu’il remonte jusqu’au principe de toutes choses et
qu’il invite l’homme à toujours se recommencer, à toujours renaître pour mieux se continuer et persévérer dans
son être.
« Le rite est constitué par un ensemble de symboles mis en action »[1] et « il a pour fonction d’instaurer un ordre
ici et maintenant, mais en relation avec ce qui a été et ce qui sera ; un ordre qui est donc au-delà de l’ici et du maintenant, donc qui est transcendant à l’espace et au temps. » [2]
Si le rite est né de l’instant évènementiel, il le dépasse et l’affranchit des servitudes et du temps. Le rite maçonnique
se définit par un ensemble de règles concernant les pratiques gestuelles, les déplacements et les mises en situation
des participants à des cérémonies rituéliques et qui portent pour nous le nom de tenues. Ces règles établissent un
ordre et donnent un sens à la démarche initiatique que le rite véhicule. Une certaine confusion règne souvent entre
rite et rituel du fait de la ténuité entre les deux. On pourrait dire que rite et rituel sont un peu comme le fond et la
Forme, ou un peu comme l’esprit et la lettre. Ils sont en fait en totale symbiose et synergie, concourant ainsi à un
effet unique. Autrement dit « le Rite Maçonnique est une invitation à la reconnaissance et à la reconquête de
l’homme par lui-même et les rituels en usage dans toutes les loges sont la traduction de cette invitation à cette reconnaissance et à cette reconquête à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers. »” [3]
2) Pourquoi notre Rite est-il dit Écossais, alors que la Franc-maçonnerie passe pour avoir été fondée à Londres en
1717 par les membres de la Royal Society ? Et pourquoi Ancien et Accepté ?
Sans vouloir entrer dans une étude historique de la Franc-maçonnerie, il faut savoir qu’à Londres, à cette époque,
les hommes étrangers au métier de bâtisseurs et devenus majoritaires décidèrent de réunir quatre loges pour fonder
la Nouvelle Grande Loge de Londres. La Maçonnerie spéculative avait pris racine pour répondre aux aspirations
philosophiques, scientifiques, culturelles et sociétales du temps, au sein de la Royal Society, point de rencontre des
élites londoniennes.
En Écosse, à la même époque, la situation était différente. Le 20 Novembre 1736 naissait la Grande Loge des FrancsMaçons Libres et Acceptés d’Écosse (Grand Lodge of Ancient Free and Accepted Masons of Scotland), fondée
par trente trois loges dont la majorité remontait au siècle précédent. Les pratiques rituelles des Écossais et celles
des Anglais présentaient des variantes importantes, mais ce sont les spécificités écossaises qui se sont transmises,
notamment à partir de 1747, date à laquelle la Grande Loge d’Écosse autorisa Alexandre Drummond, écuyer, à
[1]
[2]
[3]
René Guénon : Aperçus sur l’Initiation.
Henri Tort-Nouguès : l’Idée Maçonnique.
Maurice Cazeneuve : Ordo ab chao.
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constituer des loges sur toutes les côtes de l’Europe et de l’Asie baignées par la Méditerranée , ainsi qu’à y surveiller
tant ces loges que celles qui y étaient déjà établies.
La loge mère de Marseille, qui à son tour créera une trentaine de loges date de 1749.
Les spécificités rituelles écossaises se sont conservées intactes jusqu’à nos jours en Écosse et dans de nombreux pays.
Elles ont subies quelques modifications mineures en France mais qui n’en remettent pas en cause l’efficacité. L’Écossisme était né et devait conduire en 1801 aux Etats-Unis à la création du Rite Ècossais Ancien et Accepté, organisé
en une hiérarchie de trente-trois degrés. Il reçut ces qualificatifs car il admettait dans les grades écossais des Maîtres
Maçons de deux grandes loges existant en Caroline du sud et en Angleterre : la Grande Loge des Anciens Maçons
d’York, d’origine opérative, et la Grande Loge des Francs-Maçons Acceptés, dite des Modernes, d’origine spéculative.
A partir de 1717 la Franc-maçonnerie va donc s ‘établir sur de nouvelles bases, celles d’une philosophie spéculative.
Si auparavant la réflexion naissait de la réalisation manuelle et était liée à la transmission de connaissances traditionnelles, maintenant le geste est signifié et non plus réel. La matière devient symbole et c’est à travers la mémoire
des outils que le geste conserve son potentiel. Si la symbolique transforme le phénomène en idée, puis l’idée en
image, l’idée restant toujours active, on comprend que, l’imagerie populaire s’étant répandue, le Tarot Symbolique
ait bénéficié d’une grande diffusion. C’était une mise en image de ce que le Moyen Âge nommait le pèlerinage de
l’âme, les étapes et les évolutions de la vie, de l’incarnation à la mort. La description d’un chemin de connaissance,
d’initiation et d’enseignement.
Les modes d’expression du Tarot et ceux de la Franc-maçonnerie sont fondés sur l’utilisation du symbole. Tarot et
Franc-maçonnerie véhiculent la même pensée traditionnelle sous des formes différentes. Leurs rites, symboles et
mythes, par leur puissance de suggestion, métaphorique et imagée, proposent des représentations possibles de ce
qui en nous est de l’ordre de l’Infini. Si la démarche maçonnique a pour but la recherche et la compréhension de
l’individu en lui-même, le Tarot quant à lui est avant tout un révélateur et un moyen d’investigation. La réflexion
qu’il propose sur les signes et leurs associations possibles apporte des clés pour cette compréhension de son être
profond ; mais la démarche vraie reste individuelle : celle de l’homme devant son miroir.
C’est à peu près à la même époque, vers 1756-1760 que se fixe un jeu de Tarot propre à la ville de Marseille. Et
c’est celui de Fautrier, imprimé vers 1756, qui deviendra et restera une référence et celui sur lequel vont s’appuyer
les exégètes, à commencer par le Franc-maçon Court de Gébelin qui dans son livre « Le Monde Primitif » en
1781 présente le Tarot comme «… contenant la synthèse de toute connaissance humaine et de tout mysticisme».
L’origine du Tarot est un mystèr et il existe de nombreuses thèses différentes et souvent contradictoires concernant
cette origine : du mythique Tarot égyptien amené par les Gitans (qui étymologiquement signifie venant d’Égypte),
= peuple d’origine indienne = et malgré le fait que les jeux de cartes eux- mêmes seraient originaires de Chine, ce
jeu aurait transité en Europe par le biais des arabes sous le nom de naibis. Le mot Tarik d’origine moyen-orientale,
proche du mot tarot signifie Voie.
3) Quelles sont les spécificités du Rite Ècossais Ancien et Accepté ?
L’histoire de l’Écossisme rattache le rite à plusieurs traditions. Des documents anciens comme le Régius, de 1390,
le Manuscrit de Cooke, de 1425, le Registre d’Edimbourg, de 1696, et de nombreux autres font référence à la tradition des métiers des constructeurs, à ses règles et à sa déontologie. Par ailleurs, citadelle des valeurs spirituelles de
la Tradition Primordiale, le Rite Ècossais Ancien et Accepté a intégré l’héritage des grands mouvements de pensée
qui se succédèrent dans le temps : l’hermétisme, la tradition judaïque issue de Moïse et de Salomon, l’idéal chevaleresque de la chrétienté médiévale, le modèle des bâtisseurs de cathédrales, l’humanisme de la renaissance, l’ésotérisme de l’alchimie, les mystères de la kabbale, le mysticisme des soufis. En un mot toutes les orientations
spirituelles qui ont pris naissance dans le monde occidental. Aujourd’hui comme hier l’unanimité s’est toujours
faite autour des mêmes résolutions qui réaffirment la spécificité du rite et en font une véritable charte de l’initiation.
Ces résolutions font partie des cartes que nous avons en main.
Parmi les plus importantes c’est d’abord l’invocation et la glorification du Grand Architecte de l’Univers, symbole
transcendant dont l’interprétation est du seul ressort de la liberté de conscience de chacun.
N’identifiant pas le Grand Architecte de l’Univers à un dieu “révélé”, n’exigeant aucun positionnement religieux
ou philosophique et refusant toute spéculation idéologique, le Rite Ècossais Ancien et Accepté postule cependant
l’existence de l’Esprit et sa primauté sur la matière. Cette conception universaliste de notre rite, neutre, adogmatique
et tolérante, ne prétendant aucunement détenir la vérité, respectueuse de la liberté de pensée et de conscience de
chacun, écarte tout prosélytisme partisan, reste étrangère aux controverses et requiert une alliance de la raison, du
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cœur et de l’esprit. Elle est un atout majeur, en ce sens qu’elle peut convenir, sans exclusive ni assujettissement d’aucune sorte, à tout honnête homme, quelles que soient sa tradition culturelle et ses convictions personnelles.
Dans le Tarot disposé en Roue (la rota, tiré de taro), cette roue, qui représente le labyrinthe de la vie, a une seule
entrée possible, le Mat, qui s’intercale entre le commencement et la fin, qui n’a pas de nombre, et qui figure l’irrationnel et l’incompréhensible infini.
Je ne suis ni d’orient ni d’occident ;
Je ne suis ni de Terre ni d’Eau ;
Ni de Feu, ni d’Air ;
Mon lieu est le non lieu.
J’ai dépouillé la dualité,
J’ai vu que les deux mondes
N’étaient qu’Un.
Libéré je demeure,
Par delà ce qui est permis.
dit un poème persan qui correspond bien au Mat.
Je crois que dans notre rite, le Mat pourrait peut-être symboliser le Grand Architecte de l’Univers, dont l’interprétation est du seul ressort de chacun et qui grâce à cela peut passer en permanence d’un état à un autre et intervenir
à tout moment. Chaque arcane majeur du tarot est unique, mais tous sont reliés les uns aux autres grâce au principe
figuré par le Mat qui joue un rôle d’intermédiaire. Il est l’entrée et la sortie de ce labyrinthe. Il nous fait quitter une
vie pour entrer dans une autre vie et nous propose une expérience hors des chemins habituels. N’ayant pas de
nombre, il se situe en dehors de toutes les références qui d’ordinaire jalonnent et orientent notre vie et peut nous
donner accès à un monde hors du monde, à une renaissance. Il est le lieu du monde, et le monde n’est pas son lieu.
Dans la Rota composée par les vingt-deux lettres de l’alphabet sacré, la dernière lettre est le aV. Elle représente
l’aboutissement de la création et la totalité des choses créées ; c’est l’accomplissement, le retour à l’absolu, le retour
à l’unité après les divisions de la Création, la force centripète opposée à la force centrifuge qui ramène les parcelles
au foyer émanateur.
La seconde des plus importantes résolutions dont je parlerai est la Bible ouverte sur l’autel des Serments :
On peut considérer que la Tradition repose sur l’idée qu’il existe une pensée universelle, que les Anciens appelaient
logos, structure harmonieuse et rationnelle du monde, divine organisation du cosmos dans son ensemble.
Ce logos, ou Verbe pour les Chrétiens, communique avec l’homme par l’intermédiaire de la Tradition, du Sacré,
du Symbole, du Mythe et de la Révélation, qui sont des moyens de communication entre le monde humain et le
monde divin. La Bible témoigne de cette communication entre l’homme et le divin ; et l’on peut dire de la Parole
Perdue qu’elle est la rupture de ce lien, de cette communication. Par cette rupture l’homme se trouve isolé de son
principe et livré à lui-même. La parole est certes perdue, mais par les mots substitués, l’initié peut s’accrocher à elle
et garder en mémoire l’idée de celle-ci. C’est dans la recherche de cette parole perdue que s’effectue la démarche
initiatique et que s’articulent les enseignements du Rite Ècossais Ancien et Accepté.
La présence du Volume de la Loi Sacrée sur l’autel de la loge est un des critères de régularité et de spécificité du
rite. Les deux mondes complémentaires que sont pour l’homme l’Équerre, symbolisant le monde matériel et le
Compas le monde spirituel, se trouvent réunis sur la Bible, qui symbolise le chemin d’accès à la Vérité et à la Parole.
Si l’on peut dire de notre rite qu’il est méthodique et progressif c’est parce qu’il respecte la démarche initiatique
et sa lente progression de degrés en degrés. La méthode c’est l’initiation ; c’est vouloir atteindre à la plénitude de
l’esprit humain au terme d’une longue maturation, engagé sur la voie du perfectionnement individuel, indispensable
pour surmonter les épreuves qui jalonnent cette quête de la vérité et de la parole. Construction et durée sont les
deux éléments qui caractérisent la démarche initiatique, spécificité majeure du Rite Ècossais Ancien et Accepté.
La construction écossaise, harmonieuse, décomposée en plans successifs, a pour objectif d’éveiller par paliers la
conscience et de révéler l’immanence du Principe. C’est en lui-même que l’initié va découvrir, au fil du chemin, le
Grand Architecte de l’Univers.
L’objectif des trente-trois degrés du rite n’est pas de contraindre la liberté de chacun, mais est, et reste, son épanouissement personnel. Pour accéder à un degré supérieur il est nécessaire d’avoir assimilé le niveau précédent.
L’assimilation est longue et difficile, à tel point que bien souvent on ne comprend un degré qu’en accédant au suivant. Dans la progression de notre rite, l’important est de transmettre. Ce qui compte est que chacun accède au
message tel qu’il a été formulé de tout temps aux porteurs du même tablier pour qu’il n’y ait pas de rupture. Le
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respect des rituels permet à chaque Frère de transmettre non pas ce qu’il a compris ou ressenti, mais l’enseignement
du Rite et de la Tradition.
Le Tarot est un formidable imagier du cheminement de l’être et donc aussi un formidable outil de connaissance
de soi. Les vingt-deux arcanes sont, comme les degrés de notre Rite, un alphabet de l’âme. Chacun d’eux contient
un message de vie ; chacun d’eux est unique, mais tous sont reliés les uns aux autres. Chaque arcane majeur nous
questionne, nous confronte à une énigme, coïncide avec une expérience humaine et une prise de conscience. Le
décryptage des codes et symboles contenus dans chacun d’eux nous permet d’avoir accès à l’inconscient. Les Nombres , en hébreu Séphiroth, révèlent selon la Kabbale les mystères de la Création, en expliquant comment la multiplicité découle de l’unité. Au travers des dix sephiroth, comme au travers des arcanes majeurs, c’est tout le
déroulement de la Création, de notre création : de Keter, la Couronne, cause et point de départ de toutes choses,
principe dont tout émane et qui renferme tout en puissance, jusqu’à Malkuth, le Royaume, ou le penser le vouloir
et l’agir peuvent réaliser l’être complet en puissance de devenir : l’Homme céleste ou Adam Kadmon. De ces dix
sephiroth, le premier ternaire, keter, Hockmah et binah : le Bateleur, la Papesse et l’Impératrice, correspond à l’Esprit.
Le ternaire suivant Hessed, Gevourah et Tiphereth : l’Empereur, le Pape et l’Amoureux est relatif à l’Ame.
Le troisième enfin Netsah, Hod et Yessod : le Chariot, la Justice et l’Ermite se rapporte au Corps.
La dixième sephire, Malkuth, ramène ces trois ternaires à l’Unité.
Les sephiroth fournissent la clé des trois premiers ternaires du Tarot. Ces neuf arcanes constituent un tout auquel
correspond un second ensemble formé par les neuf arcanes suivants.
Malkuth, le Royaume, qui synthétise = penser, vouloir et agir = esprit, âme et corps = est le dixième arcane, la Roue
de Fortune, dont le message est : savoir gouverner sa vie. Cette arcane nous dit l’instabilité de toute vie, qu’il faut
faire tourner soi-même la roue de notre vie pour ne pas qu’elle tourne au hasard des vents et des courants ; qu’il
faut avoir le courage de regarder notre vie en face et sans cesse interroger le sphinx, image de l’énigme de notre vie
pour qu’il nous dise comment faire tourner cette roue.
Ce chemin, que nous invitent à suivre le Rite Ècossais Ancien et Accepté, les vingt-deux arcanes majeurs du Tarot
ou les vingt-deux lettres de l’alphabet secret empruntant les vingt-deux sentiers de l’arbre séphirotique, nous paraît
être un véritable labyrinthe ; mais nous avons notre fil d’Ariane : la volonté de l’homme (le Bateleur), éclairée par
la sagesse (la Papesse), et manifestée par l’action (l’Impératrice), réalise son pouvoir (l’Empereur) qui peut être dirigé judicieusement ou non, selon l’intuition (le Pape) dans le cercle des lois de l’univers. L’homme ayant subi
l’épreuve (l’Amoureux) qui lui avait été imposée par la volonté divine, entre, par la victoire (le Chariot) en possession
de sa création et, réalisant son équilibre (la Justice) sur l’axe de la prudence (l’Ermite), régularise les oscillations de
la fortune (la Roue de Fortune). Et l’on peut continuer ainsi jusqu’à la dernière carte, dans cette remontée vers
Keter, la Couronne.
A partir de la Porte Basse ce chemin est long et difficile, voire périlleux ; mais il est jalonné de panneaux indicateurs
et de rambardes de sécurité mis en place par notre Rite.
« Efforcez-vous d’entrer par la Porte Ètroite » est-il dit dans l’Evangile de Luc (XIII 23), ..//.. « mais étroite est la
porte et resserrée la voie qui conduisent à la vie, et il en est peu qui les trouvent. ».
Ne désespérons pas de trouver cette porte et cette voie : nous avons toutes les cartes en main.
Bibliographie
Ordo Ab Chao n° 48 - 49 - 54.
Points de vue Initiatiques n° 122.
Jean Beauchard : Tarot symbolique Maçonnique.
Amédée de Miribel : Arcanes Sacrés.
Oswald Wirth : Le Tarot des Imagiers du Moyen-Âge.
Enel : Trilogie de Rota ou Roue Céleste.
Virya : Lumières sur la Kabbale
22
Conclusions de l’Orateur
Ne vivons-nous pas dans la Vérité puisque nous sommes venus au monde ? Et pourtant cette Vérité nous échappe
... Le prologue de Jean l'Èvangéliste ne dit-il pas en effet : « le monde a été fait par la Vérité mais le monde ne la
connaît pas.» C'est ce paradoxe que notre Frère Pascal a pointé et nos Frères Edouard et Alain ont alors amorcé
des voies de recherches et les Frères qui sont intervenus ont commencé à creuser, fortement également, les sentiers
que cette année nous sommes invités à suivre mais aussi à créer.
Donc mes Frères, cette fois encore, nos deux Respectables Loges [*] se sont coalisées pour essayer d'avancer dans
des chemins de connaissance. Et, curieusement, illustrant bien il me semble cet appel au coeur de nousmêmes mais aussi cette souffrance, une sourate du Coran, la trente-troisième, s'intitule « les Coalisés». En voici
le verset émouvant qui nous concerne ce soir : « les cieux, la terre et les montagnes, trop effrayés, n'ont pas voulu du
fardeau de la Vérité divine. Seul l'homme, malgré son ignorance et ses mauvais penchants, a osé s'en charger ...»
*
À la rentrée 2009 les loges Regius et Les Veilleurs de l’Aube se sont réunies deux fois en tenue commune.
23
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6 Octobre 2009
Luc Pou∴
Les Francs-maçons ouvrent et ferment leurs travaux à la Gloire du Grand Achitecte de l’Univers ; ils manifestent par là leur attachement à l’idée d’un univers où
le sens l’emporte sur le non-sens et l’être sur le néant. La tâche de l’homme n’estellepas de se détourner d’un univers imparfait mais d’agir pour parfaire son achèvement ?
Je dois vous confier qu’il s’est avéré très difficile de commencer ce travail. Comment considérer que dans l’univers
le sens puisse l’emporter sur le non-sens, si on le trouve imparfait ? Et comment parler d’un univers imparfait
alors que je suis persuadé du contraire et conforté dans ma pensée par le fait que les Francs-maçons ouvrent et
ferment leurs travaux à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers. Pourrait-on glorifier et qualifier de grand
architecte un créateur aux œuvres imparfaites ou inachevées ?
Je dois avouer que jusqu’à l’an dernier j’ai souvent douté de la perfection de l’univers et la victoire du sens sur le
non-sens. Mais ma rencontre en août dernier avec un chercheur spécialisé dans le nucléaire m’a définitivement
convaincu de la perfection de l’univers.
Ce chercheur travaille dans le Centre de Recherche Nucléaire situé à cheval sous la frontière Franco-Suisse. Il
m’a expliqué qu’actuellement les chercheurs travaillent sur la création en laboratoire d’un mini trou noir.
Jusqu’alors, le trou noir représentait pour moi la seule preuve de l’imperfection de l’univers. En effet, noyau
d’anti-matière, il ne servait qu’à transformer l’existant en néant ! Comment, dans cet univers que j’espérais parfait,
pouvait- il exister une structure si néfaste, si inconcevable ? Une structure qui peu à peu, allait absorber l’univers,
ne laissant aucune trace de l’œuvre du Grand Architecte de l’Univers.
Mais ce chercheur m’a véritablement interloqué. Les découvertes d’aujourd’hui tendent à démontrer que le trou
noir ne serait qu’une porte au-delà de laquelle tout se transformerait en ondes musicales : nous pénètrerions dans
une autre dimension où tout ne serait que des sortes d’ondes musicales. La discussion m’a d’autant plus captivé
que je me suis souvenu que, pour Pythagore, à l’origine du Monde tout était onde musicale. Il attribuait à Apollon
et à sa Harpe à sept cordes la mise en ordre de ce monde.
Cette pensé m’a aussitôt fait prendre conscience que lorsque l’on a réellement compris que le Grand Architecte
de l’Univers a fait en sorte que le sens l’emporte sur le non-sens, non seulement l’on a découvert le réel fonctionnement de l’univers mais en plus on peut tout deviner ! Ainsi il ne paraît plus inimaginable que dans l’Antiquité un Démocrite ait pu découvrir les structures nucléaires et un Hippocrate les principes de la médecine
alors qu’ils ne disposaient ni l’un, ni l’autre, d’un laboratoire de recherche. Cependant des évènements tels que
les catastrophes naturelles peuvent pousser certains à interpréter ces phénomènes comme la juste preuve de l’imperfection de l’univers. Mais pourquoi considérons-nous un bouleversement naturel comme une véritable catastrophe naturelle ? Tout simplement parce que l’homme n’ayant pas su prévoir l’évènement et son ampleur,
l’espèce humaine connaît une perte significative de ses représentants. Face à ce drame, l’homme oublie qu’il
ignore la plus grande partie des lois qui régissent le fonctionnement de l’univers et se considère la victime d’une
terrible injustice. Cette injustice ajoutée aux précédentes constitue aux yeux des profanes une preuve supplémentaire que le sens ne l’emporte pas toujours sur le non-sens, ce qui rendrait notre univers imparfait !
D’autres concluent que notre univers est imparfait car l’être humain qui constitue une de ses composantes est
imparfait ! Pour le véritable croyant monothéiste, cette remarque se révèle blasphématoire puisque dieu ayant
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créé l’homme à son image il ne peut qu’être parfait. Mais pour le Frère Franc-maçon le problème se révèle plus
ardu. En ouvrant et fermant ses travaux à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, il reconnaît la perfection du
Tout. Cependant il considère aussi que l’être humain est imparfait et que certains, comme lui, peuvent entrer en
Franc-maçonnerie et œuvrer en eux et autour d’eux pour parfaire son achèvement.
Nous abordons ici non pas un secret de la Franc-maçonnerie , mais tout simplement un véritable mystère pour les
Apprentis et les Compagnons Francs-maçons.
En effet, pourquoi les Francs-maçons ne considèrent ils pas un seul instant que si le monde des humains leur paraît
imparfait, il pourrait tout simplement être comme le Grand Architecte de l’Univers le désire et que le vouloir
conforme à leurs souhaits constituerait une véritable offense envers son créateur ? Pourquoi s’acharner à vouloir
faire de l’espèce humaine la raison essentielle de l’existence de l’univers, alors que l’homme n’a peut être qu’un
rôle mineur à jouer dans l’évolution d’un univers qui n’en est qu’à ses balbutiements ?
Aujourd’hui nous ne sommes pas encore capables de répondre aux véritables questions fondamentales que l’homme
pourrait se poser. Cependant, est-ce que, parce que nous sommes ignorants de trop de choses, nous devrions devenir
attentistes ? Nos anciens nous ont précédé dans notre démarche. Parmi eux, le célèbre Pythagore a conclu que :
- l’homme doit découvrir tous les secrets de la nature,
- l’homme doit se connaître lui-même,
- l’homme doit donner le pouvoir à l’intelligence.
Cette démarche a porté ses fruits. Les découvertes se sont multipliées et le processus c’est même emballé durant le
siècle dernier. L’homme a marché sur la Lune et aujourd’hui il parle de marcher sur Mars !
À ce jour quel que soit le niveau d’ignorance de l’espèce humaine, vouloir l’améliorer ne peut nuire à personne et
encore moins au Grand Architecte de l’Univers.
N’oublions pas que sa loi du sens qui l’emporte sur le non-sens préserve son œuvre de toute altération !
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Les deux commencements
Michel Lec∴
Arcane 1 - Le Bateleur
Un homme jeune, plein de potentiels, mais encore incertain quant à ses
choix. Le 1 est la totalité en puissance, mais le Bateleur s’affaiblit sans
la Force, il peut rester superficiel, tournant en rond intellectuellement,
ignorant la voix/la voie des profondeurs.
Bateleur et Force sont les deux commencements de même que l’arbre se
déploie par ses branches comme par ses racines.
« Moi le Bateleur, je prends place dans ce croisement de l’éternité et de
l’infini qu’on appelle le présent. Parmi l’infini des possibles, j’en choisis
un, point de traction qui me mènera à la totalité. »
Note : le Frère qui devait présenter son travail sur cet arcane ne l’a pas remis en temps voulu comme il le devait, et en a été
empêché par un drame personnel au moment où il comptait le faire.
Le Vénérable Maître a introduit la réflexion sur cet arcane à partir de ses propres notes, ci-dessous.
Lorsque l’épreuve nous saisit, lorsque la réalité passe au vitriol nos certitudes et nos espérances, il ne nous reste que
notre force et que notre cœur pour faire face. Le bel ordonnancement du Temple intérieur que nous construisons
peut être mis en déséquilibre par l’irruption de l’imprévu, et l’architecte que nous prétendons être peut faiblir sous
des coups inattendus. Alors notre recours est dans la fraternité que nous portent nos Frères, dans l’amitié active et
sincère qu’ils peuvent nous témoigner, dans leur capacité à tenir le coup et à nous remplacer.
Notre Frère Gilles a longuement travaillé sur l’arcane du Bateleur, cette lame qui ouvre la série des 22 arcanes
majeurs du Tarot, mais ayant besoin de s’accorder encore un peu de temps, il n’avait prévu de passer au clavier que
vendredi pour saisir son texte, et vendredi l’imprévu l’en a empêché. Il nous livrera sa planche à une autre occasion.
Le premier geste que nous pouvons avoir pour nous porter à son secours dans le moment difficile qu’il traverse est
de le remplacer ici, même au pied levé, et de faire que l’œuvre commencée se poursuive malgré tout, sans faiblesse.
Nous avons donc à passer Le Bateleur à la moulinette, comme le suggérait notre Frère Pierre-Henri dans sa planche
d’introduction. Il nous disait «Ce premier arcane est une pièce majeure mais … la forme de la table n’est-elle
pas étonnante ? Où est son quatrième pied ? Jusqu’où descend celui qui s'enfonce hors du cadre ? A-t-il des racines
? Jusqu'où va le chapeau qui se perd dans le ciel ? Comment se continue la forme du chapeau ? Que touche le coude
du bras gauche ? Vers quoi est pointée la baguette ? Que regarde le personnage ? Comment se continue le paysage
? etc ...
Ensuite, l'imagination pourra s'appliquer à répondre aux énigmes proposées par la carte. Par exemple, que renferme
la bourse du Bateleur ? Mais aussi sans brider son imagination : la table de couleur chair est-elle vivante ? Le ceinturon pourrait-il être un serpent ? Etc, etc …»
Pour poursuivre dans la même veine, quelques remarques ou observations, à travailler ensemble :
Dans la paire composée par Le Bateleur et La Force, le n°1 contient la totalité en puissance ; mais il n’est pas sûr
qu’il soit l’unité. Alors, est-ce que le 11, qui répète 2 fois le 1, est son double ?
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Les deux cartes sont chacune la première des deux séries de onze.
Le 1 est le point originel, pour lui tout est possible : tous les éléments sont devant lui, y compris ceux qu’on ne voit
pas, dans la besace par exemple, ou hors du cadre.
Mais le 11, la Force peut être comprise comme la nature vierge, donc comme ayant à voir avec tout ce qui apparait
(miracle, naissance, renaissance, printemps, élan créateur). Or c’est bien ce que dit cette idée du 1 comme étant la
totalité en puissance.
Et cette Vierge, on pourrait la rapprocher d’Isis.
Les 3 dés montrent les faces 1, 2 et 4, ce qui donne 7, et 3 fois 7 c’est 21, l’arcane du Monde réalisé, le dernier
arcane avant le Mat, qui lui a un rôle particulier au sujet duquel notre Frère Edouard nous a confié sa vision. Nous
en reparlerons nécessairement.
Le Bateleur manie ombre et lumière, conscient et inconscient :
à Gauche il tient un bâton, symbole de principe actif ;
à Droite il tient un denier, symbole de principe réceptif.
La ligne du bâton se poursuit sur la manche puis sur le vêtement, vers la main qui tient le denier, cette pièce d’or
qu’on peut voir comme un petit soleil.
Goethe dit que celui qui veut mener à terme quelque chose de solide et d’habile doit concentrer la plus grande
force sur le plus petit point.
C’est aussi un enseignement de Sun Tzu, stratège et philosophe, dans l’Art de la guerre.
Le Bateleur a comme un sixième doigt à la main gauche, celle qui est en connexion avec le spirituel, avec le haut.
la Force, elle, a comme un sixième orteil au pied droit, celui sur lequel s’appuie le lion.
Est-ce que cela renvoie aux 6 dents du lion et aux 6 triangles du chapeau ?
Ces deux membres, pied droit et main gauche, sont en opposition symétrique inverse.
Concernant la table et ses 3 pieds ; où est le 4e ? A l’évidence, cela parle à un Franc-maçon qui a devant les yeux le
tableau de loge et ses 3 colonnettes.
Sur la table il y a les 4 «couleurs» du Tarot (qui donneront les couleurs des jeux de cartes modernes) : l’épée (représentée par le couteau), le denier, la coupe et le bâton.
Au fond des replis de couleur chair, peut-être l’ondoiement des champs qui ont bien l’air d’être cultivés, est-ce une
fleur, un arbuste, ou une vulve, celle d’où vient Le Bateleur ? De la nature vierge source de toute transformation ?
Sur la table, le bâton en forme de serpent évoque t-il la kundalini, l’énergie vitale ? Est-ce que cela indique la nécessité
du contrôle de sa puissance sexuelle parmi les outils et les moyens qu’il a à sa disposition devant lui ?
Le Bateleur évoque aussi le jongleur, le prestidigitateur, celui qui traverse l’illusion pour atteindre la vérité, comme
l’artiste, comme l’enfant qui se construit par le jeu ; c’est donc un jeu, mais un jeu sérieux dont JE est le centre et
l’objet. Mais il y a un risque.
Sans travail l’enfant reste immature, l’artiste reste un gribouilleur, et le prestidigitateur reste un manipulateur d’objets, un charlatan qui fait semblant, un illusionniste.
Dit autrement, ce qui est vulgaire te trompe, ou mieux «le bas te leurre».
Le Bateleur se tient avec aisance, sans tension ni effort, ni hâte.
Son chapeau dessine l’infini (le 8 horizontal) ET le rythme (la courbe) ; par analogie il évoque la concentration
qui permet de descendre du système cérébral au système rythmique, à la manière de la concentration des artistes,
des sportifs, des enfants qui se produit sans effort parce que l’effort a été fourni avant, dans le travail.
Le Bateleur et La Force ne manifestent pas d’effort dans leurs gestes ; et ils ont chacun un chapeau du même type.
On pourrait en penser qu’ils présentent deux aspects d’un même principe :
l’effort signale la présence d’un obstacle (le lion, la concentration de la baguette vers le denier) ; ils l’ont dépassé.
Leur unité intérieure se manifeste par leur aisance, par l’absence d’effort pour passer l’obstacle.
La concentration parfaite se fait sans effort ; la Force véritable agit sans effort.
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Le Bateleur a huit boules oranges dans ses cheveux jaunes : cela pourrait signifier que son intelligence se fixe la perfection comme objectif conscient.
Mais il en est au dialogue intérieur ; la vérité n’est pas encore là, il est au début du cycle.
Il acquiert la «concentration sans effort» : se taire précède le savoir, le pouvoir et l’oser. Ca fait penser immanquablement aux Pythagoriciens.
L’art de se taire, que nous pratiquons en Apprentis, n’est pas l’art de retenir le son de sa bouche ; c’est l’art de se
concentrer, de la réceptivité. Une fois maitrisée la concentration, il devient possible de passer à la suite. Celui qui
sait se taire saura parler, ou saura retenir sa parole, à bon escient. Cela devient sa force où il puise sans effort.
Mais alors, si tous les possibles sont possibles, le Bateleur doit choisir sa voie ; passer de la jeunesse à l’âge mûr. Il
doit savoir quoi faire, il doit acquérir le pouvoir de le faire, et il doit enfin oser le faire.
Ce quelque chose peut commencer dans le présent ; ici et maintenant c’est le temps de l’éternité et de l’infini. Nous
avons déjà repéré cela à plusieurs reprises.
Le Bateleur manifeste le rapport entre effort personnel et réalité spirituelle ; il manifeste la méthode de travail (de
jeu) et en cela c’est un pré-requis pour la suite. Il n’est pas le premier arcane pour rien.
Il manifeste la concentration sans effort, la transformation du travail en jeu, la légèreté du fardeau.
Le Bateleur révèle d’emblée la clé, qu’on pourrait formuler ainsi : «Avant toute chose, apprenez la concentration
sans effort ; transformez le travail en jeu ; faites que tout fardeau porté soit léger». On dira que cet arcane est celui
du rapport entre effort personnel et réalité spirituelle.
Les divers enseignements des autres Arcanes du Tarot seront des aspects, des modalités ou des développements de
cette règle de base donnée par le Bateleur. il faut l’avoir comprise et intégrée pour pouvoir aborder les arcanes suivants.
Et si La Force est son double, elle est l’arcane de l’intégrité naturelle de l’être. Mais elle n’est pas de même nature ;
elle est d’un ordre supérieur. Elle est une invitation à passer de la quantité (l’animalité) à la qualité (l’unité du
charnel et du spirituel).
On voit que le lion ne subit aucune contrainte, il est soumis, il offre sa puissance, il obéit à sa propre nature. Il
évoque le combat contre l’ego. Et on pourra se demander utilement où donc le lion apparaît ailleurs.
Ce premier arcane nous indique à titre personnel et très pratiquement que comme le Bateleur il nous faut commencer par être concentré sans effort, puis à opérer avec aisance, pour enfin agir avec un calme parfait.
On dirait autrement qu’il indique que nous devons passer de «l’union fait la force» à «l’unité est la force» avant
de prétendre à la suite. Ce que nous tentons de faire en nous-même, individuellement, ce que nous tentons aussi
de faire collectivement en tant que loge et dont je vous parle souvent.
Commençons donc par être Bateleur.
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Michel Isn∴
Arcane 11 - La Force
Archétype de l’intériorisation, des énergies telluriques et charnelles, la
Force porte la créativité.
La Force sans le Bateleur, sans mots pour s’exprimer ni structure pour
se déployer, peut tomber dans la passion ou le refoulement extrêmes.
Force et Bateleur sont les deux commencements de même que l’arbre se
déploie par ses branches comme par ses racines.
« Moi la Force obscure qui monte en vous vers la lumière, je vous apprendrai à vaincre la peur. Je suis une échelle par laquelle l’énergie monte
et descend. Je suis le commencement de la création. »
À l’aube de nos travaux sur le Tarot de Marseille, c’est un peu comme une maquette de l’univers que je le perçois,
une maquette que chacun monterait avec ses outils et ses clés, pour y trouver une lecture à la fois personnelle et
universelle. À mon tour, donc, ce soir, d’entrer dans la ronde de ce monde étonnant. Tel Alice au Pays des Merveilles,
à la découverte de personnages parfois aussi étonnants pour moi que ceux imaginés par Lewis Carroll pour nous
parler de “l’envers du décor”.
Onzième Arcane du Tarot marseillais, la Force est précédée de la Roue de Fortune, Xe, et suivie du Pendu, XIIe Arcane. La Force est avant tout associée à l’Arcane I, Le Bateleur, ces deux arcanes étant identifiés comme deux commencements. Il m’a très vite semblé que cet arcane majeur est l’une des cartes les plus maçonniques du jeu : dans
un premier temps, bien sûr, parce que son nom même renvoie à notre vocabulaire, à notre pratique : nous travaillons
tous avec force et vigueur, dans un rituel ouvert sur les 3 lumières que sont Sagesse, Force et Beauté. Mais aussi et
surtout car cet arcane parle en fait de l’intérieur de la démarche, du commencement du travail, de l’initiation, de
la créativité …
Archétype de l’intériorisation, des énergies telluriques et charnelles, la Force porte la créativité. L’arcane de la force
renvoie donc à ce qui, dans la tradition (idée d’archétype, d’image première), représente la capacité de l’être (pas
n’importe lequel, peut-être celui qui apprend à se mettre sur le chemin, celui qui marche sur le chemin de l’initiation) à se saisir des énergie telluriques, des énergies de la terre, et charnelles (qui relèvent donc de la nature animale,
de la chair, par opposition a l’esprit). Cette force, dans un premier temps, je l’imaginais très masculine. Virile. La
Force peut être associée à la violence, à la colère. Elle peut exposer à des blessures. Mais elle est surtout soutien,
pilier. Sa représentation première, pour nous, est le deuxième pilier du temple : BOAZ, “dans la force”, ou peutêtre plutôt “en lui la force”. BOAZ, force du pilier, arbre de vie. Entre ciel et terre. Erigé.
Mais voilà que le livre d’images que propose le Tarot de Marseille m’invite à voir plus loin, autrement. À avancer,
pour reprendre Gide qui disait : « Le Tarot vous enseigne à vous intéresser à vous plus qu’à lui-même, puis à tout le
reste plus qu’à vous ».
Reprenons l’arcane : nous y voyons une femme, calme, tenant ouverte la gueule d’un lion, sans aucune difficulté,
presque du bout des doigts. Aucune violence dans cette image. On a même l’impression qu’il n’y a pas “d’action”
réelle. Cela représenterait-il le pouvoir sans effort ?
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Le lion, symbole s’il en est de la force animale, mais aussi de l’énergie sexuelle, donne l’impression de s’offrir à la
maîtrise de la dame. On peut même penser qu’ils sont tous les deux complices. Si je vais plus loin, je constate que
dans le carré du haut de l’image, lieu du ciel, masculin, figure une femme. A l’inverse, dans le carré du bas, lieu de
la terre, féminine, figure le lion. Le sens même de cette carte semble donc être dans le rapprochement des symboles :
chaque principe, masculin et féminin, ne peut exister sans être uni à son opposé.
Pour devenir fécond, l’homme doit devenir femme. Ainsi la force réelle n’a-t-elle pas besoin de faire peur : elle est
ce qui unit les deux personnages, leur complicité même.
Par ailleurs, on distingue nettement les mains et les poignets de la femme : l’action, c’est-à-dire la relation entre ses
mains et la gueule de l’animal, se situe au centre de la carte, entre ciel et terre. En revanche, on ne distingue qu’un
bout de pied et le personnage ne repose sur rien : pas de sol, aucune terre représentée, contrairement à d’autres arcanes. La force “est”. Née de l’union et du travail des symboles opposés, cette force semble dépasser le matériel, dépasser les oppositions de pouvoir et de faiblesse, les oppositions femme/homme. La Force est donc l’Arcane du
pouvoir intérieur, qui rayonne à l’extérieur. L’Arcane de la confiance. Il ne s’agit pas de tuer le lion, mais de le maîtriser. L’homme fort est un homme doux. Un homme féminin ?
Il peut, car il croit qu’il peut.
Le Tarot nous rapproche de notre travail : découvrir nos préjugés, descendre en nous afin de permettre un épanouissement intérieur. Cette démarche nécessite de se comprendre, et de comprendre aussi ce qui ne nous appartient
pas vraiment, ou même ce que nous n’aimons pas en nous et qui doit être apprivoisé (tiens, et si c’était le retour
du lion, vu sous un autre angle ? Les deux personnages de l’arcane seraient donc complices parce qu’ils s’accepteraient sous leurs différentes facettes ...). Seule cette vie intérieure favorise la prise de décision, parfois si difficile. Et
il me semble qu’accepter l’erreur, comme entendre le doute, fait aussi partie de la force. Et même si, en cours de
route, la connaissance que nous développons modifie notre appréhension du chemin, nous développons, dans la
durée, une personne qui progresse et se construit pas à pas. Cette progression n’est pas linéaire, mais s’inscrit et se
forge dans l’éternité de l’instant présent. Telle est, me semble-t-il, l’énergie, la force créatrice. Ce flux porteur et
conscient, qui nous permet de créer une continuité et de “marcher sur l’échelle”, malgré tous nos faux pas.
L’homme fort ainsi compris peut faire tourner la roue du destin, par sa force intérieure et non par des actions inutiles. La roue de la fortune, le X, marque l’enchaînement des causes et des effets, à la fois apparence de la vie et
réalité qui se cache sous cette apparence. Elle symbolise l’éternité, le progrès de la vie. La Force pourra arrêter le
circuit inexorable de cette roue. Puissance libératrice, spirituelle, en répudiant tout moyen répressif, en accédant,
tel l’ermite, à la connaissance des choses, la Force permet de parvenir à la connaissance initiatique totale, à l’amour.
Elle a trouvé l’infini que cherchait dans son voyage le bateleur, l’initié, en dépassant le sensible : « Moi le bateleur
je prends place dans ce croisement de l’éternité et de l’infini que l’on appelle le présent. Parmi l’infini des possibles, je
choisis un point de traction qui me mènera à la totalité ». La force pourra le porter.
Le bord du chapeau de la femme a la forme d’un ∞, symbole mathématique de l’infini. Avec la Force, c’est un cycle
qui se clôt et un autre qui recommence, nécessitant chaque fois l’abandon du vieil homme, tel que le symbolise
l’arcane XII du Pendu (qui n’a plus les pieds sur terre, contrairement au Bateleur). C’est dans ce sens aussi que je
comprends le nombre XI : ce nombre est au centre des 21 arcanes majeurs numérotés. Il y en a 10 avant, 10 après.
XI peut faire office d’axe de symétrie : les arcanes peuvent être vus comme symétriques par rapport à lui : le X avec
le XII, IX avec XIII, … Le complémentaire du XI, dans ce cas, ne pourrait pas être un nombre. Il serait le Mat,
l’humanité en marche. La Force serait alors l’objet de la quête : y accéder, ce serait faire la jonction entre le ciel et
la terre.
Comme nous le souffle BOAZ, la Force renvoie sans doute à “être dans la force”, “ne pas avoir peur”, ni des autres
ni de soi-même, penser les possibles et accepter les erreurs, avancer en confiance. Être dans la force, c’est être de
tout son être dans l’instant comme si cet instant là était une goutte d’éternité. Pour parvenir à cette approche, nous
développons des qualités nécessaires, par l’introspection, par l’acceptation de la lumière mais aussi de toutes nos
parts d’ombres et de ténèbres. La force n’est qu’un moyen ou un état sans intérêt s’il n’est accompagné de sagesse
et s’il ne vise la beauté : dans l’amour, à construire à trouver et à préserver.
Pensons au maître des cérémonies qui ponctue à l’aide de sa canne à chaque invocation : « Que la sagesse préside
à la construction de notre édifice » « que la force le soutienne », « que la beauté l’orne ».
Le Vénérable.Maître et les Officiers allument les lumières et la loge s’illumine, par leur invocation le Vénérable
Maître et les deux Surveillants donnent corps à la Sagesse, à la Force, à la Beauté. Lorsque le Maître des Cérémonies
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frappe le sol de sa canne, son action symbolise le chemin de la lumière, le rapprochement du haut et du bas. Et il
frappe le sol, l’intérieur, en appelle aux forces telluriques. Ce sont ces gestes qui vont permettre notre travail d’intériorisation et le développement de notre spiritualité en tenue.
Si la Sagesse renvoie à une pleine connaissance, la Force quant à elle est la faculté naturelle de faire quelque chose.
Elle donne de la confiance pour supporter les afflictions ou, avec la Beauté, de l’audace pour entreprendre de grandes
choses, des projets lumineux et ouverts à la rencontre, comme le projet de voyage musical de l’un de nos Frères.
Sagesse, Force et Beauté se réalisent dans leur union.
La Force, c’est aussi notre union, symbolisée par la chaîne que nous formons. Nous le vérifions à chaque fois qu’un
nouveau maillon l’enrichit. Chaque fois, nous nous sentons plus forts, plus vivants.
A nous de travailler sans cesse à maîtriser et à renouveler cette force, sans la réduire mais en lui permettant de s’épanouir dans un cadre propice à la création, à la magie de la vie …
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Conclusions de l’Orateur
Que de passion ce soir ! Et dans toutes les directions !
Mais aussi : ambitieux et même courageux d'aborder en prologue la question du Grand Architecte De L'Univers.
En effet nous sommes immergés dans la temporalité, l'Univers évolue, le temple est en construction, bref le jeu est
ouvert ...
Le Bateleur inaugure ce jeu qui pourrait alors représenter le désir, l'Éros du Créateur. Et en même temps n'est-il pas
une sorte de camelot ? Alors la liberté totale est illusion, alors le jeu est truqué. Il prolonge et corrige la pensée d'Albert Einstein : «Dieu ne joue pas aux dés». Oui, Dieu joue aux dés mais les dés sont pipés. Quant à la Force, n'estce pas pareillement et autrement dit l'heureuse et quelque peu quantique union du Hasard et de la Nécessité ?
Bénissons donc les noces divines de l'énergie puissante et du contrôle subtil, de l'obscur et du lumineux, du terrifiant
et du merveilleux, du grave et du futile. Remercions ce jeu chatoyant, déconcertant même par les contradictions
qu'il juxtapose, par l'imagination qu'il libère, par les audaces de la pensée qu'il suscite et qui raconte ainsi le Cosmos
et nous-mêmes en pérégrination c'est à dire tout simplement dans le mouvement de la vie.
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3 Novembre 2009
Gestation et intériorité
Edouard Bot∴
Arcane 2 - La Papesse
Elle se prépare à l’action, elle accumule la connaissance, dans la pureté
de sa virginité, dans la vacuité propice à l’absolu.
Sans l’énergie du Pendu, la Papesse pourrait tomber dans le dogmatisme
et l’orgueil.
« En union avec la puissance que je perçois en tout, mes doutes, et mes
faiblesses s’évanouissent. J’habite mon corps comme un lieu sacré, je peux
à chaque instant me donner la place qui me correspond. Personne ne
peut me prendre ou m’attacher avec ses sentiments, ses désirs, ses projections mentales. »
L’Arcane est devant moi ; je regarde sa représentation à travers une image ; je l’examine, j’en traque les moindres
détails. Que dois-je y trouver ? L’emblème d’une idée, d’un être physique ou moral ? Les attributs distinctifs de cet
être ou de cette personnalité ? Une métaphore, développant une comparaison entre cette image et moi ? Un rapport
entre elle et moi ; une certaine analogie ? Cette image, ayant un sens en elle-même, doit-elle comme une parabole
me suggérer une leçon morale ? Est-elle destinée à faire passer un enseignement ?
Pour le moment toutes ces formes d’expression ne sont que des signes, des moyens de communication, qui sont
comme un miroir mais qui ne sortent pas du cadre de la représentation. Il va m’importer de bien distinguer l’image
symbolique de toutes les autres ; de me mettre sur un autre plan de conscience que l’évidence rationnelle, le symbole
étant peut-être le seul moyen de dire ce qui ne peut-être appréhendé autrement ; ce qui n’est jamais expliqué une
fois pour toutes, mais toujours à déchiffrer à nouveau et qui reste, au-delà de la signification, du domaine de l’interprétation ; qui appelle, par son pouvoir de retentissement, à un approfondissement de notre propre existence ;
à une transformation en profondeur.
Regardons …
Elle est assise, le buste droit ; elle paraît sans âge … On ne peut capter son regard car ses yeux sont tournés vers sa
droite, la gauche pour nous : peut-être vers le passé … Calme et concentrée, elle semble méditer sur tout ce qu’elle
sait, qu’elle a appris, étudié et qu’elle est prête à transmettre, avec la patience de la mère qui enseigne à l’enfant. La
blancheur de son visage et de ses mains évoque la pureté, la virginité. Elle porte une tiare à trois étages, richement
décorée, et dont les quatre pointes, pouvant se situer, malgré la perspective, aux quatre points cardinaux, indiqueraient alors que sa connaissance est dans le monde matériel.
Cette tiare montre son appartenance à une fonction religieuse et ses trois étages, s’élevant dans une hiérarchie allant
du plan physique, puis psychique jusqu’au plan spirituel, se terminent au sommet par un point orange qui touche
et même dépasse le bord du cadre. Ce dépassement du cadre, et donc des limites fixées semble témoigner de la su35
prématie de l’Esprit sur le corps, de la haute élévation intellectuelle et spirituelle du personnage et de sa grande
force morale.
Ainsi assise, elle semble dériver de nombreuse représentations de Sybilles, de celles de la Sophia ou de la Philosophie.
Elle figure l’être humain élevé à une dimension surnaturelle, lui permettant de communiquer avec le divin et d’en
livrer les messages : une sybille, considérée à travers sa fonction comme une émanation de la sagesse divine, comme
le symbole même de la révélation. En quelque sorte une médiatrice entre ce qui est en haut et ce qui est en bas,
entre le ciel et la terre.
Elle pourrait être, ainsi représentée, la déesse de la Terre, Cybèle, fille du ciel, épouse de Saturne. Mère de Jupiter,
de Junon, de Neptune, de Pluton, elle a engendré les dieux des quatre éléments, qui nous rappelle notre initiation
par les épreuves de la terre, de l’air, de l’eau, et du feu. Elle est la source primordiale de toute fécondité, et elle
dispose des clés de la terre donnant accès à toutes les richesses. Issue du père des dieux, c’est elle qui initiera Dyonisos
à ses mystères …
Nous pouvons voir dans l’œuf posé derrière elle, comme le croyaient les Ègyptiens, la renaissance après la naissance
et la mort, que cette mort soit symbolique ou réelle, et cet œuf nous montre qu’elle est en gestation de cet œuf et
d’elle-même. C’est l’œuf primordial, qui contient la connaissance de ce qui était avant la création et aussi réservoir
de toutes les possibilités d’existence. C’est le principe de l’Un mais qui traduit le passage de l’Un au Deux, de l’incréé à la Création.
Regardons à nouveau …
Une draperie de couleur bleue à l’intérieur, chair dans les extrémités qui s’enroulent, est disposée autour de sa tête,
lui voilant la vue et empêchant ainsi l’accès à d’autres horizons ; comme des oeillères la protégeant des tentations
et autres sollicitations extérieures. Est-ce vraiment pour la protéger ? Ou n’est-ce pas plutôt un enfermement volontaire, un isolement du monde ?
Le livre ouvert qu’elle tient sur ses genoux et qu’elle ne lit pas nous indique qu’elle est détentrice d’un savoir, disponible à tous, pourvu que l’on se donne la peine de soulever le voile de l’ignorance, car ce livre étant tenu à l’envers
pour nous qui regardons l’image, il faudra se placer derrière son épaule et l’écarter ce voile pour en lire le contenu
; qu’il nous faut aller au fond des choses pour comprendre. Elle est la gardienne du passage vers ce qu’il y a au-delà
de ce voile, vers une autre vie.
Ce personnage c’est la Papesse !
Sybille ou Cybelle, prêtresse ou déesse, elle détient tous les secrets du monde …
Hiératique, elle attend … Elle attend le Bateleur, c’est à dire vous, moi, engagés sur le chemin …
C’est la Sagesse, qui nous attend pour nous dire que toute recherche commence par l’écoute des messages issus de
nos profondeurs, de la vie qui est en nous ; et qu’il faut s’établir dans notre silence intérieur pour pouvoir les entendre. Elle semble nous dire que tout est révélé à celui qui ouvre son esprit dans ce silence intérieur.
Son voile c’est celui qui recouvrait la tombe supposée d’Isis, près de Memphis. Sur le socle de la statue était gravée
l’inscription : « je suis tout ce qui a été, ce qui est, ce qui sera et aucun mortel n’a jamais encore soulevé mon
voile. »
Sous ce voile se cachent tous les mystères et le savoir du passé … Le retrait du voile d’Isis représente la révélation de
la lumière et réussir à soulever ce voile c’est devenir immortel.
Dans les fragments du Livre Sacré d’Hermès Trismégiste, intitulé « La Vierge du Monde », Isis raconte à son fils
Horus le commencement du monde …
Qu’il fallait que la nature entière soit ornée et complétée par ce qui était au-dessus d’elle, car cette ordonnance ne
pouvait aller que du haut vers le bas ; que la suprématie des grands mystères sur les plus petits était nécessaire,
l’ordre céleste l’emportant sur l’ordre terrestre comme absolument fixe et inaccessible à l’idée de la mort. C’est
pourquoi les choses d’en bas gémissaient de crainte devant la merveilleuse beauté et l’éternelle permanence du
monde supérieur. Et tant que l’Ouvrier Universel ne mettait pas de terme à cette crainte incessante, l’ignorance
enveloppait l’univers. Mais lorsqu’il jugea bon de se révéler au monde, il souffla aux dieux l’enthousiasme de l’amour
et versa dans leur pensée la splendeur que contenait sa poitrine pour leur inspirer d’abord la volonté de chercher,
puis le désir de trouver et enfin la puissance de redresser.
Et ce fut Hermès, la pensée universelle, en sympathie avec les mystères du ciel, qui vit l’ensemble des choses. Et
ayant vu il comprit ; et ayant compris, il avait la puissance alors de manifester et de révéler. Mais ce qu’il pensa et
écrivit, il le cacha en grande partie, se taisant avec sagesse et parlant à la fois, afin que toute la durée du monde à
venir cherchât ces choses.
36
La Parole, que nous croyons perdue, ne nous est peut-être que volontairement cachée… Et la Papesse, deuxième arcane du Tarot symbolique et sacré, Grande Prêtresse silencieuse et mystérieuse, prophétesse mais également médiatrice, nous attend, sur le chemin que nous parcourons, pour nous donner, si nous le désirons ardemment, la
volonté de chercher, puis le désir de trouver et enfin la puissance de redresser ; ce rectificando de la formule VITRIOL, nécessaire pour Invenire l’Occultum Lapidem.
Dans le Livre de oth, Maître de l’Univers, dieu de sagesse, identifié plus tard avec Hermès, il est écrit que si Ptah,
démiurge et dieu des architectes a dit : « que la lumière soit ! et la lumière a inondé l’Espace », l’homme doit dire
« que la Vérité se manifeste et que le Bien m’arrive ! ». Et si l’Homme possède une saine volonté, il verra luire la
Vérité et guidé par elle, il atteindra tout bien auquel il aspire. Frappe résolument à la porte de l’Avenir, et il te sera
ouvert ; mais étudie longtemps la Voie où tu vas entrer. Tourne ta face vers le Soleil de Justice, et la Science du Vrai
te sera donnée. Garde le silence sur tes desseins, afin de ne point les livrer à la contradiction des hommes. Comme
Isis, la Papesse est la gardienne de l’entrée du Temple intérieur ; elle est assise au seuil du sanctuaire ; elle est la frontière entre le conscient et l’inconscient, entre l’ombre et la lumière. Elle symbolise la vraie science, qui, fermée pour
le profane, attend l’initié pour lui faire connaître les secrets les plus profonds de la nature.
Comme Isis, qui retrouve et reconstitue les morceaux dispersés du corps de son frère et époux Osiris et lui redonne
le souffle vital, la Papesse est le lieu de passage entre deux états, sans la sagesse de laquelle, véritable souffle vital, le
changement de notre être ne peut s’effectuer.
Comme Isis, mère des Initiés, la Papesse nous fait comprendre qu’il faut savoir découvrir cette science initiatique
par nous-mêmes. Comme Isis elle ne confiera la Clef des Mystères qu’à ses fils, les Enfants de la Veuve, dignes de
connaître ses secrets.
La Kabbale, à travers les vingt-deux lettres hébraïques qui ont valeur de nombres et représentent chacune une
qualité spécifique, donne une certaine vision de la constitution et des mécanismes de l’univers, sur les rapports qui
existent entre l’infini et l’individu. L’Arbre Séphirotique représente cette vision : trois groupes de trois Séphiroth
qui de Keter à Yessod forment les mondes de l’Emanation, de la Création et de la Formation. La dernière, Malkuth,
notre monde, reçoit et intègre ces neuf séphirot.
La Papesse, est la lettre Beith, qui est le symbole fondamental de la richesse intérieure acquise par la Sagesse, de l’esprit pénétrant le mystère, et elle a pour sentier, parmi les vingt-deux qui relient les séphirot entre eux, celui qui va
de Keter, la Couronne (monde de l’émanation) à celui de Tipheret, l’Harmonie-la beauté (monde de la Création).
Ce sentier traverse celui de l’Impératrice et celui de la Justice. Il est Daat, l’attribut de la connaissance, qui concrétise
la prise de conscience. L’arcane la Papesse, sur la voie médiane et descendante de l’arbre, est la voie qui transmet
l’enseignement secret qui se découvre par la méditation : c’est la Voie des intuitions.
Par la blancheur du visage et des mains la Papesse évoque la pureté, mais aussi la virginité. Comment ne pas penser
à la Vierge, dont le voile entourant sa tête et ses épaules l’ayant protégée de toute souillure, symboliserait sa pureté
et sa virginité, vouée qu’elle est a porter Dieu en son sein. Nouvelle Eve, qui mettra fin au péché originel en enfantant
le Christ.
Pour nous qui la regardons elle peut signifier la partie encore intacte qui est en nous, une terre vierge pas encore
travaillée ni exploitée et source de toutes les potentialités. Comme la Papesse, cette terre attend, dans le silence et
l’isolement, d’être ensemencée pour entrer en gestation et atteindre l’éclosion. Quel que soit le nom qu’on lui
donne dans toutes les parties du monde, son rôle est d’être un intercesseur entre ce qui est en haut et qui nous dépasse, et notre monde tangible ; car c’est une mère, initiatrice et médiatrice entre son fils et nous. Le manteau dont
elle est recouverte est en ligne avec cette fonction d’initiatrice et de passeuse d’une rive à l’autre. Rouge à l’extérieur,
symbole de la force vitale, du feu, de l’amour divin, il est bleu à l’intérieur, couleur du ciel, gage de paix et de spiritualité, et les trois croix qui ornent son étole montrent bien qu’elle appartient au monde spirituel. Le livre qu’elle
tient dans ses mains comporte dix-sept lignes et peut-être fait-il référence au dix-septième arcane : l’Etoile, pour
nous dire qu’il y aura toujours une étoile pour nous guider sur le chemin vers notre Campus Stellae, notre Compostelle, qu’elle soit Etoile du Matin, du Berger, de la Mer, ou Polaire … mais qu’il faut pour cela regarder vers le
ciel …
Avec le Bateleur, la Papesse symbolise les deux axes sur lesquels l’homme doit se développer : le monde de l’action
physique et le monde de l’esprit.
Comme la Papesse, le Pendu s’est isolé du monde et s’est mis en gestation …
“Mais ceci est une autre histoire” comme disait Rudyard Kipling, et elle va vous être contée …
37
38
Georges Col∴
Arcane 12 - Le Pendu
Le Pendu s’est écarté du monde des humains, auquel il n’est plus relié
que par la corde qui l’attache ; suspendu entre ciel et terre, il attend de
naître. Spirituellement le Pendu cesse de s’identifier à la comédie du
monde, et en ce sens sa chute est une ascension.
Sans la rigueur de la Papesse, le Pendu pourrait sombrer dans une illusion de méditation profonde, dans la paresse, l’inaction et l’apathie.
« Je suis dans cette position parce que je le veux. C’est moi qui ai coupé
les branches. J’ai délivré mes mains du désir de saisir, de m’approprier,
de retenir. Sans abandonner le monde, je me suis retiré de lui. »
Le mot de pendu m’a fait aussitôt penser à la ballade des pendus de François Villon.
Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cuers contre nous endurciz,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Point de supplice, point de désespérance sur le chemin du gibet, point de mort pour le Pendu de la 12e lame, qui
devrait plutôt être dénommé “le suspendu”.
Car il est vivant.
Il est vivant mais retiré du monde : il est entre deux mondes, et sans être retiré du monde terrestre auquel il appartient, il demeure rattaché à celui-ci de façon ténue, mais solide (la corde qui lie son pied à la traverse).
Il demeure attentif à celui-ci, tout en aspirant à une connaissance supérieure.
Examinons attentivement la lame XII, dans sa position dans le jeu des cartes, d’abord, ensuite dans sa composition
picturale, en gardant à l’esprit que la carte est un miroir où l’on voit son propre reflet, et que c’est une clé, un chemin
d’accès vers une réalité qui dépasse l’objet, infiniment plus grande et dont nous peinons à entrevoir les contours.
Ce n’est pas un hasard que le nombre XII ait été attribué à cette figure du Tarot. Le nombre indique dès l’abord
dans quelle position sacrée est placé notre personnage. La symbolique du nombre est évidente et permet de rattacher
le pendu à la Tradition. La Tradition, au travers de ses multiples déclinaisons, ouvre par le chiffre XII vers les mondes
supérieurs de la connaissance, vers les sphères divines et célestes … Est-il besoin de rappeler que le ciel est divisé en
douze secteurs, représentés par les douze les signes du Zodiaque, que le douze est le produit des quatre éléments,
La Terre, l’ Eau, l’ Air, le Feu par les trois principes alchimiques, le soufre, le sel et le mercure, que de ce fait les calendriers comportent douze mois pour une année, qu’Israël avait douze tribus issues des douze fils de Jacob, que
la Jérusalem céleste a douze portes et que le Christ avait douze apôtres ?
La déclinaison de ce nombre vous lasserait, et nous éloignerait de la tentative de compréhension de la lame du
pendu, mais il me semblait important de la rappeler.
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Examinons maintenant la carte :
Le Pendu, n’est ni en bas, ni en haut, ni à droit ni à gauche, ni debout, ni assis, ni couché. Il est dans une position
tout à fait inhabituelle qui exprime bien qu’il est dans un état intermédiaire, indéfinissable. Il est dans une position
de “devenir”. Il était debout avant de se lier un pied et de se pendre à ce genre de portique au centre duquel il s’est
placé. Car je crois qu’il est là de sa propre et libre volonté. Personne ne l’y a placé.
Pourquoi a-t-il pris cette position autant incongrue qu’inconfortable ? Pour moi, il est dans une situation de gestation, de mûrissement. Comme la chrysalide suspendue à son support, être indéfinissable de laquelle sortira un
insecte parfait, il est en pleine transformation interne. Ses yeux sont ouverts pour exprimer qu’il ne dort pas. Il est
conscient et tourne son regard tout autant en lui pour y voir s’opérer les changements qu’il désire mais qu’il ne
connaît pas encore, qu’autour de lui, pour observer le Monde sous un angle nouveau, et y découvrir de nouvelles
perspectives. Sa bouche est fermée: il a fait vœu de silence en se retirant à l’intérieur de lui-même. Il n’est pas pour
autant coupé du Monde qui continue à vivre autour de lui : il est le seul personnage des 22 arcanes majeures qui a
une oreille. Bien que discrètement figurée, celle-ci lui permet d’entendre et de rester en contact avec le monde, ou
peut-être d’écouter d’autres paroles qui ne sont pas perceptibles aux oreilles des autres ?
Le pendu a quelque chose d’ascétique. Bien que sa physionomie ne reflète pas de souffrance, seulement une sorte
d’impassibilité, il est comme un yogi qui descend en lui-même, mais il ne rejette pas la réalité extérieure. Il s’en est
seulement éloigné pour un temps plus ou moins long. Il n’est pas un ermite qui s’est retiré au désert, pour fuir le
siècle, ses imperfections, et ses tentations profanes. Il n’est pas l’hermite de l’arcane VIIII qui le précède et à qui il
est relié par le jeu de l’étude des lames, et des 484 combinaisons qu’elles autorisent. Hermite avec un H comme
hermétisme ?
Le Pendu est cependant proche de cette lame et de ce personnage, il est lié à lui, car tous deux sont sur le chemin
de la Connaissance, mais chacun par une voie différente : l’hermite de la lame VIIII est un cherchant, un homme
âgé qui a passé sa vie à la recherche de la sagesse et de la Connaissance par l’étude. Il élève la lanterne qui éclaire
son chemin. Mais sa lanterne n’éclaire que le chemin, elle n’éclaire pas au-delà, le lieu vers lequel le voyageur qu’il
est se dirige. Sa vision reste limitée. Il est penché sur l‘étude, la prière aussi ? (il y a un aspect monastique pour moi
dans cette représentation). L’hermite regarde vers la gauche, vers le passé : le chemin de l’étude est long et difficile
(il s’appuie sur un bâton), et la vie d’un homme est souvent insuffisante à atteindre le but qu’il s’est fixé : le personnage est un vieil homme: ses cheveux sont blancs et il est voûté … Selon la Tradition alchimique, l’hermite est
engagé dans la voie sèche de l’étude, d’une discipline rigoureuse, d’une domination de la matière par l’intellect.
Que fera le cherchant représenté par l’hermite au terme de sa vie d’études,? Il y a de fortes chances qu’il constate
que, plus il cherche, moins il sait … « Je sais que je ne sais rien », pourra-t-il dire un jour. Sera-il devenu un sage ?
Le Pendu semble constituer l’autre versant de la voie initiatique de la Tradition alchimique, la voie humide : on ne
“cherche” pas. Dans celle-ci la recherche prend la forme d’un abandon. Comme dans la voie du Tao, le Pendu
s’abandonne, fait le vide en lui, renonce à toute volonté et se prépare, grâce à cette vacuité intérieure, à recevoir
une connaissance, ou une révélation
Il prépare le vase qui se remplira de l’En Sof, il est le vase qui accueillera l’hypostase qui lui apportera la réponse
qu’il attend ? ... peut-être …
Ce Pendu ne ressemble-il pas comme un frère à un apprenti, hormis sa singulière position, disons, à un apprenti
assez avancé sur le chantier pour se préparer à retourner dans le Monde, qu’il continuera à observer cependant sous
un angle différent. Il ne parle pas, il regarde, il écoute et médite, rien ne lui est confié des outils qui, pourtant, sont
sur le chantier. Comme le Pendu, l’apprenti ne peut tous les saisir. Les premiers outils symboliques ont été éloignés
des mains de l’apprenti dès qu’il a eu effectué son premier travail. Les autres outils, il les voit sur le tapis de loge, ou
sur les sautoirs des officiers. Ils sont là, mais ils ne le sont pas, leur essence est cependant présente. Tout comme la
vocation de l’apprenti est de progresser sur le chantier, dès qu’il aura été jugé apte par les Maîtres à y aller, la vocation
du Pendu est de redescendre de son portique et de reprendre son mouvement un moment interrompu, car son attitude laisse à penser qu’il s’y prépare. Le Pendu va, a un moment, sortir de cet état d’immobilité apparente, une
fois son mûrissement achevé. La grappe qui mûrit au soleil, suspendue au cep de la vigne, sera vendangée et transformée en vin, destiné au partage et à la joie. Encore faudra-t-il, pour que le vin soit bon, que la vendange ne soit
pas prématurée.
Le Pendu manifeste les prémices de sa sortie de gestation par le mouvement de ses jambes. D’aucuns voient dans
ses jambes croisées, une figuration d’une croix christique. Pour ma part, j’y verrais plutôt l’ébauche d’un swastika
dextrogyre, symbole solaire de vie et de mouvement.
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Et tel l’enfant à naître, le pendu donne des coups de pied dans le sein de sa mère … C’est la promesse d’un futur et
de toutes ses possibilités.
Il y a de l’alchimie dans le Pendu, je l’ai déjà suggéré. Il y a une promesse de transmutation, de transformation de
l’épais en subtil, du plomb en or, du vil en noble, de l’inachevé en parachevé.
Vous avez sans doute fait comme moi, et parcouru les images des 22 lames pour vous laisser imprégner des images
sans chercher, de prime abord, à les analyser … laissant parlez votre imagination, vos émotions, face à ces figures
étranges et déconcertantes.
Jetez donc un coup d’œil à l’arcane XXI: Le Monde.
La lame XXI représenterait la réalisation suprême, ce que vous pouvez lire dans l’abondante bibliographie recommandée par notre Vénérable Maître. Observez les jambes de la jeune femme qui semble danser ou courir d’une
foulée légère. Elles sont dans la même position que les jambes du Pendu, immobile au bout de sa corde. Le Pendu
porte en lui les germes de sa réalisation, le mouvement de la vie même s’il est d’une apparence immobile. Il lui
faudra, à un moment, redescendre vers le sol terrestre dont il s’est détaché pour tenter de s’élever vers les sphères
célestes. Redescendu sur terre, il va devoir se mettre en mouvement, faire un pas qu’il commence déjà à esquisser,
finir de changer d’état, grandir, progresser …
Contrairement à l’hermite de la lame VIIII qui, retiré dans son ermitage, ne pourra réellement aller de l’avant, le
Pendu, homme jeune, a trouvé un nouvel élan dans cette ascèse qu’il s’impose, dans ces exercices spirituels, dans
ce nécessaire et momentané retrait du Monde. Une certaine mortification de son corps aussi est suggérée par cette
position de suspension, non pour nier sa chair et sa matérialité, mais pour lui en faire prendre encore mieux
conscience. Il est à la fois l’immuable et le changement, l’éternité et la fugacité de l’instant présent. Passant entre
deux mondes, entre le monde supérieur et le monde terrestre, entre l’émanation et la création, entre le passé et le
futur, entre l’Occident et l’Orient, il est la figuration de la tentative de l’Homme d’en réaliser la synthèse et de
vivre celle-ci, d’une façon intuitive, sans effort de recherche, en se laissant envahir par la Connaissance. La recherche
de la Gnose, d’une Connaissance parfaite et englobante qui le délivrera de ses angoisses causées par la conscience
de sa finitude. Mais ce désir de connaissance que nous avons vu tout à l’heure, avec l’hermite et sa discipline d’étude,
ne va pas sans aussi une autre ascèse qui, si elle n’est pas souffrance, me semble cependant s’en rapprocher. Le visage
du Pendu est impassible, ses traits sont immobiles, mais il est placé dans une position yogique qui doit lui permettre
de renoncer, au moins pendant un temps au confort du corps qu’il habite. C’est comme une épreuve destinée à
être surmontée pour en sortir changé et grandi.
Regardons de plus près l’appareil auquel il est attaché.
Les deux troncs aux branches coupées sont comme les colonnes d’un temple. Il est placé entre ces colonnes, tel un
impétrant qui va recevoir la lumière, ou un apprenti, dans le parcours progressif et rituélique vers les degrés qui
l’attendent. Les 12 moignons des branches sont comme des blessures sanglantes sur un corps, et rappellent que la
souffrance est toujours présente, même si la vie est toujours là -le rouge des plaies des arbres- et saura renaitre à la
fin des épreuves, de ce temps de latence semblable à la mort. Ne sont-ce pas des épreuves et pourquoi pas, une certaine souffrance, que les maçons ont affrontés et affrontent toujours, pour approcher de la Connaissance ?
Le Pendu, mes Frères c’est moi, c’est vous, c’est nous, dans notre quête, à un moment de celle-ci, et peut-être encore
et toujours, ici et maintenant.
Sommes-nous seulement revenus de cette position scabreuse ?
Le Monde que nous avons observé de cette étrange façon, ou bien que nous regardons et écoutons encore parfois
ainsi, est-il vraiment à la place où nous croyons qu’il est? Sommes-nous nous-mêmes vraiment à la place où nous
croyons être ?
Pour ma part, je crois n’avoir pas encore entièrement répondu à ces questions.
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Conclusions de l’Orateur
Ce soir, ce ne sont pas les pleurs des nouveau-nés au monde profane que nous avons entendus mais les balbutiements
de bonheur des enfançons Apprentis tandis que la barque du Passeur emmène notre Frère Léon vers l’Orient Eternel. Puissent les coups de rame dans les flots sombres de l’Achéron résonner au rythme de nos batteries d’espérance
…
La Papesse est grosse de la gestation d’un livre de chair, histoire de l’Univers dont il appartient à chacun de nous
d’écrire quelques mots. Comment bien écrire sa vie alors ? En inversant radicalement notre représentation du
monde comme le montre le Pendu, lié à son origine, la terre Céleste et plongeant sans crainte vers un Ciel intérieur
dont le fil à plomb des Maçons indiquerait la direction ?
Laissons les derniers mots, pour ce soir, à notre Frère Jodorowsky, grand spécialiste du Tarot :
« Le Pèlerin voyage pour trouver celui qui le rêve.
Jamais la Terre Promise ne révèle son secret à l’avance.
Au fond l’effet précède la cause.
L’origine du monde se trouve dans le futur. »
Citation : A.Jodorowsky, « L’échelle des anges » Ed. Albin Michel 2005
Illustration : F.Bourgeon, « Cyann »
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1er Décembre 2009
Énergie créative ou destructrice
Albert Ben∴
Arcane 3 - L’Impératrice
C’est le passage de la virginité à la créativité. L’Impératrice nous rappelle
que nous ne sommes pas à l’origine de notre force créative, mais qu’il
s’agit d’une énergie cosmique qui nous traverse.
Seule l’Arcane XIII peut arrêter la fertilité envahissante et désordonnée
de l’Impératrice qui crée sans se préoccuper du devenir de ce qui est créé.
Sans mort il n’y a pas de vie, sans vie il n’y a pas de mort.
« Lorsque je dis “créer”, je parle de transformer : c’est moi qui fait éclater
la graine et surgir le germe. L’abondance de pensée est permise. Laissezles briller comme des étoiles éphémères au firmament de votre esprit. »
- I – AD LIB …
Mais quelle est donc cette impératrice qu’il m’est demandé de découvrir, de conquérir, d’apprivoiser, de séduire,
d’aimer, de féconder ? Et si cette démarche m’amenait plutôt à la haïr ? La haine comme résultante de la connaissance ? Pas banal ! Après tout, chaque chose ne contient-elle pas les germes de son contraire ? Tant pis, l’aventurier
ne décide pas à l’avance de ses rencontres. Et puis, il s’agit de conquérir l’impératrice conquérante, il ne s’agit pas
de l’aimer.
Nous qui nous prétendons quelque part héritiers d’une tradition chevaleresque, je me dois maintenant d’enfourcher
le fidèle canasson de mes conquêtes spirituelles, quoiqu’à ce jour bien affaibli et avancé dans l’âge (la seule et certaine
avance que je lui reconnaisse …). Je décide donc de porter les couleurs de cette étrange Dulcinée pour aborder ce
tournoi. Quelles couleurs ? A bien la regarder elle porte en elles toutes les couleurs du prisme, celles de l’Arc en
Ciel, et cela me va parfaitement de par la lourde symbolique attachée à ce phénomène atmosphérique. En effet,
après une énième répétition de la création, Dieu décide, pour la nième - mais dernière - fois de détruire son œuvre
dont décidément les hommes n’en ont pas fait un usage conforme à sa volonté. Noé est chargé, comme moi ce soir,
de s’embarquer pour construire un nouveau monde. Après le cataclysme, la terre s’ensoleille et se fertilise à nouveau.
Avant de poser le pied sur la terre ferme, Dieu donne aux hommes ses dernières instructions et marque le ciel du
sceau de son alliance : l’Arc en Ciel. Toutes les couleurs du prisme seront désormais celles du nouveau monde. C’est
pourquoi je décide également d’arborer les couleurs de l’Arc en Ciel.
Cette histoire se passe au verset 17 du chapitre IX de la Genèse (énième rappel pour les réfractaires à la comprenure : la Genèse est le premier des cinq Livres du Pentateuque (du grec penta = 5, teukhos = livres), le Pentateuque
est la Torah, la bible, l’ancien testament). Au verset suivant, n°18, les fils de Noé – ils sont 3, très important eu
égard au chiffre 3 attaché à l’Impératrice - sortent de l’arche, le premier étant Sem, qui a donné son nom au sémites.
Sem veut dire le Nom. Le sémites sont ceux qui portent le Nom. Au verset suivant, n°19, les 3 fils de Noé et leur
postérité peuplent toute la terre. Au verset suivant, n° 20, Noé commence à cultiver la terre et plante de la vigne.
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Au verset suivant, n° 21, soit à peine 3 versets (d’une ligne chacun) après que Dieu ait apposé le sceau de son alliance
dans le ciel - tout va très vite - Noé boit du vin, s’enivre et se “découvre” au milieu de sa tente, livrant sa nudité à sa
descendance, et les exégètes ont démontré qu’il y eut homosexualité, et pis encore : incestueuse. Paraphrasant
Jacques Brel, j’ajouterai : et chez ces gens-là, Monsieur, on ne plaisante pas avec ces choses. Cette histoire est fondamentale car elle illustre à quel point le processus de purification est long, dur, totalement destructif et difficile à
atteindre, immédiatement suivi, sans attendre, du processus de corruption et de pourrissement. Paradoxalement
le point extrême de la clarté nous jette dans l’obscur, alors que cheminer dans l’obscur conduit à la clarté, dans un
jeu de va et vient (terme technique utilisé dans l’électricité), va et vient permanent.
À ce stade du voyage il me semble que Rossinante ait emprunté la bonne voie, puisque l’Impératrice rayonnante a
pour pendant l’Arcane sans nom. Elle est la garante d’un ordre établi que la destruction guette pourtant. Et la destruction aura lieu. Alors la conquérir ? Pourquoi ? Pour la dominer et asseoir un nouvel ordre ? Ce serait alors se
substituer à l’Arcane sans nom, n° 13, chiffre hautement symbolique de destruction et de fin, et donc de recommencement. Plutôt aller vers l’Impératrice pour se placer sous son aile protectrice ? Même remarque : cela ne durera
pas, d’autant qu’elle-même pourrait se raviser, c'est-à-dire se transformer, pour devenir mon ange destructeur, cela
après avoir été mon ange gardien. Son pouvoir, comme le mien, ne seraient que temporels, alors que le fruit de nos
ébats spirituels nous garantirait la permanence. Car il s’agit bien de cela : nous sommes les acteurs d’un jour qui
permettons la perpétuité des jours à venir, la perpétuité de l’espèce, la perpétuité des mondes. Chacun a son impératrice à féconder, chacun à son arche à construire, chacun a son alliance à établir, chacun a ses couleurs à porter,
chacun à son devoir d’aborder son propre futur et d’ensemencer celui des générations à venir.
Oui mais : et si l’Impératrice était ma mère ? Tel un saumon remontant à la source, ma démarche serait in fine la
même. Je dois mourir de, par et pour mon ancien monde, et remonter à la source pour restituer les mots secrets et
sacrés qui m’ont été transmis. D’autres en auront besoin.
Oui mais, et si l’Impératrice était moi-même, le côté féminin de ma bipolarité, arche nécessaire au dépôt des graines
fécondes de ma créativité ? Pour une mort nécessaire du vieil homme et une renaissance non moins nécessaire du
nouvel homme ? Impératrice Vierge et nouvel homme Christ de lui-même ? Couple éternel …
- II – DEFINITION
Arcane – nom masculin – du latin arcanum : mystère. Toute opération hermétique dont le secret ne doit être connu
que des seuls initiés. Les 22 premières lames du tarot constituent les arcanes majeurs, réservés au plan céleste ou
divin et à celui des idées. Les 56 autres sont les arcanes mineurs parce qu’ils sont dévolus au plan terrestre ou inférieur, celui des passions, des désirs humains et de leur assouvissement.
Nous nous situons ce soir au niveau spirituel, celui des 22 arcanes majeurs.
- III – SUJET
Par crainte de m’égarer, il me semble nécessaire de relire mon sujet : « 3- L’Impératrice : C’est le passage de la
virginité à la créativité. L’Impératrice nous rappelle que nous ne sommes pas à l’origine de notre force créative, mais
qu’il s’agit d’une énergie cosmique qui nous traverse.
Seule l’Arcane XIII peut arrêter la fertilité envahissante et désordonnée de l’Impératrice qui crée sans se préoccuper du
devenir de ce qui est créé.Sans mort il n’y a pas de vie, sans vie il a pas de mort.
Lorsque je dis « créer, je parle de transformer : c’est moi qui fait éclater la graine et surgir le germe. L’abondance de
pensée est permise. Laissez-les briller comme des étoiles éphémères au firmament de votre esprit. »
OK. J’ai toujours pensé ne pas être à l’origine de ma force créative, mais qu’il s’agissait d’une énergie cosmique
qui me traversait. Il faudra qu’un jour je prenne le temps de développer cette vielle idée qui m’habite : l’homme ne
serait qu’une suite d’instants immobiles et successifs, sortes de briques fusibles disposées en file (d’attente ?) l’une
après l’autre. L’énergie créatrice, voire la vie, ne serait qu’un faisceau traversant successivement ces briques, leur
donnant vie et mort instantanées, l’une après l’autre, comme le trait lumineux d’une étoile filante dans la nuit. La
dernière brique est identique à toutes les autres, sauf qu’elle est la dernière. Il y a une première brique, il faut qu’il
y en ait une dernière, qui est nécessairement l’arcane sans nom, celle de la fin. Cette énergie traversante est immatérielle, illimitée, mais se nourrit de ces briques, matérielles, limitées. Seule cette énergie a droit à l’éternité, d’où la
nécessité de la fécondité, et de se raccorder à d’autres files de briques pour un engendrement exponentiel et perpétuel. J’ai dit qu’il y avait une première brique ? En fait c’est faux : il y en a Trois : deux appartenant a mes géniteurs
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et une étant ma première. D’où et encore le degré 3 attaché à l’Impératrice. Cette évocation biologique, anthropomorphique, est de même nature que la bipolarité (masculin/ féminin) qui nous constitue psychologiquement
et qui fonde la matrice couveuse de notre créativité et de notre personnalité. Nous sommes tous les vases sefirot
qui vont finir par se briser (l’Arcane sans nom y veille) faute de pas être de constitution assez solide pour contenir
cette énergie plus qu’atomique et faute de pas savoir ouvrir les canaux de déversement de ce trop plein d’énergie.
L’homme n’est pas encore prêt. Il en est encore à la préhistoire de sa quatrième dimension. À bien y penser, je ne
sais si finalement je développerai cette idée en raison des maux de tête qu’elle libère en ma boite crânienne de Pandore. Mais revenons au sujet : Lorsque je dis « créer, je parle de transformer : c’est moi qui fait éclater la graine et
surgir le germe. L’abondance de pensée est permise. Laissez-les briller comme des étoiles éphémères au firmament de
votre esprit. » Mais oui !!!
Genèse Chap.1, verset 11 : «Dieu dit : Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres
uitiers donnant du uit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre.»
Genèse Chap.1, verset 12 : «la terre produisit de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres uitiers donnant du uit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.»
Genèse Chap.1, verset 22 : «Dieu Dit : soyez fécond, multipliez.»
Pour ceux qui savent que dans la Torah aucun mot n’est superflu, que rien n’est dû au hasard, que tout a un sens,
la Genèse nous informe ainsi dès ses 22 premiers versets (22 arcanes majeurs, 22 mystères, 22 lettres de l’alphabet
hébraïque …) que chaque chose qu’il a créée est en fait un sac à semences, et qu’il ordonne a toute chose vivante,
minérale, végétale ou animale, d’ensemencer, d’être fécond et de multiplier. L’Impératrice est donc partout où ces
graines vont éclore, sur terre, sur mer, au ciel, géographiquement, psychologiquement, sociologiquement, dans l’espace (naissance et mort des planètes et galaxies), le tout découlant de ce principe ontologique.
L’Impératrice ne serait en fait qu’un immense entrepôt couveuse dans lequel s’accumulent les sacs à semences, depuis la nuit des temps et jusqu’à la fin des temps. Sa fécondation perpétuelle, sa gestation perpétuelle, renforcées
par cet afflux de semences toujours exponentiel, est quelque peu allégée par l’Arcane sans nom, qui, par son action
de mort, régule l’expansion de son travail d’accouchement. Cette thèse pourrait sans doute accréditer la théorie
de l’expansion de l’univers.
- IV – LA CARTE
Je prends seulement maintenant la carte de l’Impératrice pour vérifier si, par jeu, j’ai été capable d’inventer tout ce
que je vais y trouver maintenant. Au premier abord, elle ne m’apparaît pas vraiment sympathique. Siégeant sur son
trône, quelle tristesse et quelle solitude ! Solitude du pouvoir ? Tristesse de savoir que ses enfantements sont voués
à une mort certaine ? Elle est impératrice de droit divin, alors pourquoi ne pas être heureuse d’avoir un rôle déterminant dans l’accomplissement du plan divin ? Ses ailes d’ange, bleu ciel, ne lui permettent-elles pas d’alléger la
pesanteur de sa tache ? Un bouclier pour protéger sa progéniture ? Oui mais pourquoi l’aigle en effigie ? Cet aigle,
qui a conduit tant d’armées destructrices et malfaisantes au cours de l’histoire est-il son emblème, et si oui, pourquoi
choisir un animal pour guider ses conquêtes ? Ou bien est-il là pour effrayer les rapaces de toutes sortes qui voudraient s’en prendre à ses couvées ? Il paraît que cet aigle est encore en gestation (une aile n’est pas tout a fait terminée) et que c’est un aigle mâle. Moi je veux bien …
Et ce sceptre, symbole de pouvoir, tel un phallus émergeant de sa partie basse et au sommet duquel se trouve une
sphère, sphère de laquelle émerge une croix ? Cela indique-t-il qu’elle est fécondée par l’esprit, ou qu’elle a enfanté
l’esprit, ou les deux en même temps ? J’ai lu que l’ Impératrice est l’œuf qui s’ouvre à la vie et laisse sortir le poussin,
qu’elle renvoie à l’énergie de l’adolescence, avec sa force vitale extrême, sa séduction, son manque d’expérience,
que ses jambes ouvertes pouvaient faire penser à une position d’accouchement, comme si elle accouchait d’ellemême. À ses pieds un serpent blanc symbole d’une énergie sexuelle dominée et canalisée. Sur sa poitrine une pyramide (jaune) ferait penser à une porte ouverte sur la lumière et une invitation au voyage initiatique.
Mais tellement d’éléments représentatifs du pouvoir (ailes, trône, couronne, sceptre, aigle royal) semblent surtout
indiquer un besoin d’affirmation de ce pouvoir, et surtout un besoin de s’en convaincre.
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Non, cette représentation graphique est vraiment trop réductrice de tout ce qui a été précédemment dit, et je ne
l’aime pas, même si tout s’y retrouve. On m’a trop enseigné que ces concepts n’admettent aucune représentation
graphique, ni ne doivent être gravées, burinées ou autre.
Au risque de choquer certains, je dirai que c’est une représentation chrétienne qui confirme le besoin de sécurisation
inhérent au Christianisme, sécurisation illustrée par une simplification de l’abstraction monothéiste.
Je m’explique : l’ordre d’être fécond et de multiplier s’applique également au monde des idées (« L’abondance de
pensée est permise. Laissez-les briller comme des étoiles éphémères au firmament de votre esprit » nous rappelle
le sujet ».
L’idée monothéiste, naissante, puis conquérante, après avoir mis à terre les idolâtres récalcitrants, après s’être installée dans la maison d’Abraham, s’est trouvée, dans son besoin d’expansion, face aux hordes barbares et païennes
de l’occident, peuplades totalement imperméables à l’abstraction monothéiste. Pour les vaincre, le monothéisme
a donc produit son cheval de Troie : le Christianisme. Quand cela fut acquis, après six siècles, le monothéisme
poursuivit son expansion au sein des peuples nomades du moyen orient via l’Islam, avec pour mot d’ordre : la soumission. Glaive chrétien et sabre mahométan ont été les fers de lance de cette avancée. Mais globalement, Sagesse,
Force et Soumission sont les 3 colonnes garantes de cet équilibre de degré 3 permettant la stabilité du trône de
l’impératrice. À ce jour, le monothéisme est toujours bien installé sur son trône, et pour longtemps, et son pendant,
son arcane sans nom, ne s’est pas encore montré. Cela aurait pu être la Laïcité, mais c’est impossible puisqu’ elle a
un nom. Logique : ils ne jouent pas dans la même cour. Le monothéisme appartient aux arcanes majeurs, la laïcité
aux arcanes mineurs
- V – CONCLUSIONS
Nous en sommes donc toujours au stade des semailles, pas à celui du pastorat et si j’avais du illustrer cet arcane du
3° degré, conformément à tout ce que j’ai dit, j’aurai laissé cette carte blanche. Je descends de mon cheval soudainement en rut au passage d’une jument. Il sait, lui, mais moi j’ai tendance à l’oublier, qu’il doit également être fécond et multiplier. Ses graines seront logées à côté des miennes, chez l’Impératrice. L’affaire faite, et nous apprêtant
à reprendre notre chemin, il me dit : « Seule compte la Voie ».
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Bernard Flo∴
Arcane 13 - L’Arcane sans nom
C’est le passage de la virginité à la créativité. L’Impératrice nous rappelle
que nous ne sommes pas à l’origine de notre force créative, mais qu’il
s’agit d’une énergie cosmique qui nous traverse.
Seule l’Arcane XIII peut arrêter la fertilité envahissante et désordonnée
de l’Impératrice qui crée sans se préoccuper du devenir de ce qui est créé.
Sans mort il n’y a pas de vie, sans vie il n’y a pas de mort.
« Lorsque je dis “créer”, je parle de transformer : c’est moi qui fait éclater
la graine et surgir le germe. L’abondance de pensée est permise. Laissezles briller comme des étoiles éphémères au firmament de votre esprit. »
Empruntant les paroles prêtées au Roi Arthur après qu’il eut goûté au calice que lui avait tendu Perceval, je lui répondis : « Je ne connaissais pas l’étendue du vide de mon âme jusqu’à ce qu’elle se soit nourrie. »
J’ai donc hérité de l’arcane XIII, la mort, la faucheuse, et, en guise d’introduction, si vous me le permettez, je voudrais vous parler de ma femme. Non pas qu’elle soit squelettique, ni camarde, loin de là, mon dieu quelle horreur,
ni qu’elle manie la faux, ou la faucille, loin s’en faut, à la rigueur un sécateur pour couper quelques roses dans son
jardin. Et peut-être que ça va vous paraître un peu déplacé, voire même hors de propos, mais j’irai encore plus loin
: je voudrais en effet dédicacer ce modeste travail sur l’arcane XIII à mon épouse chérie. Mais pourquoi, me direzvous, bon Dieu !
Eh bien, tout d’abord, parce que je sais depuis de nombreuses années qu’elle tire les cartes, comme on dit vulgairement, et bien avant que je m’y intéresse moi-même, non pas le tarot marseillais d’ailleurs, mais l’oracle de Belline,
que certains d’entre vous connaissent sûrement. Elle pratique donc la divination, et elle ne s’en tient pas qu’aux tarots, elle excelle aussi dans la lecture du marc de café, voire dans la divination directe, sans parler des rêves prémonitoires et de tout un tas de choses du même genre, ce qui pose la question de la médiumnité, et cette question
n’est pas si éloignée de celles que nous allons nous poser au sujet de l’arcane XIII.
A l’époque gréco-romaine, elle aurait sans doute lu l’avenir dans des fumigations, du plomb fondu ou des entrailles
de poulet, et vous noterez au passage que les pythonisses, devineresses, vestales, prêtresses, magiciennes et autres
sorcières étaient –et sont toujours- en grande majorité des femmes.
Cette constatation suffit à elle-même d’ailleurs à poser notre problématique vis-à-vis de la féminité, et peut-être de
la présence ou non des femmes en maçonnerie, et il semble bien évident à tout cherchant en maçonnerie que la
part du féminin en soi – le fameux sixième sens - ne peut absolument pas être laissée de côté, même et surtout si
nous préférons rester entre nous autres, les hommes.
Je dédicace encore ce petit travail à ma femme pour une seconde raison qui relève pour moi aujourd’hui d’une
coïncidence autant surprenante qu’inattendue.
En tant que cadre de santé hospitalière, elle vient en effet d’accepter, il y a à peine quinze jours, une nouvelle et
lourde charge professionnelle, à savoir la gestion et l’encadrement des trois chambres mortuaires de l’Assistance
Publique de Marseille, Timone, Sud et Nord. Les fameuses morgues. Comme vous le savez peut-être, nous mourons
la plupart du temps à l’hôpital, c’est de l’ordre du 80%, et à Marseille, on arrive à des chiffres astronomiques, environ
10 à 15000 décès par an enregistrés. En tant que responsable, elle va donc côtoyer la mort tous les jours, la mort
dans tous ses états, banals, émotionnels, médicaux, médico-légaux, et j’en passe. Je lui souhaite bien du courage –
je sais qu’elle n’en manque pas- et je voudrais terminer cette dédicace en soulignant combien de nombreux profanes
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sont finalement des êtres épatants. Pas seulement ma femme dont je viens de vous rabattre les oreilles, mais tout
plein de gens. Par contraste, nous sommes nous-mêmes –malgré nos nombreuses prétentions- parfois bien suffisants,
bien médiocres. A l’instant, évidemment, vous l’aurez compris, je parlais uniquement pour moi-même. Cette réflexion un peu déplacée, elle aussi, n’enlève rien, bien sûr, rassurons-nous, à la valeur de notre initiation. Et, nous
le verrons tout au long de ce travail, l’initiation, c’est la mort.
Regardons à présent notre carte.
L’arcane XIII est la seule arcane qui ne possède pas de nom. L’arcane sans nom, c’est peut-être justement l’innommable, l’inconnaissable mort. L’absence de nom, c’est aussi le chaos qui précède la création, la lumière et le verbe
divin qui inaugure nos travaux, ce silence d’avant le dire, d’avant le nommer, ce silence infini qui précéda la création,
ce silence qui règne en maître sur la colonne du nord, et qui est tout entier absorption spirituelle, préparation à la
prise de parole et à la métamorphose.
De plus, cette arcane porte le nombre XIII qui est un chiffre maléfique. La Kabbale dénombre 13 esprits du mal.
Le 13° chapitre de l’Apocalypse est celui de l’Antéchrist et de la Bête, et, dans les clubs vidéo, le film « vendredi
13» a toujours autant de succès. Le nombre 13 peut rentrer dans ce qu’on pourrait appeler le paradigme de la fin
des temps, cette fin des temps que René Guénon interprète comme un passage progressif du cercle au carré, de la
sphère au cube, de la qualité à la quantité.
Le nombre 13 est un signe porteur de sens, au même titre que le nombre 666 qui est, comme vous le savez, le chiffre
de la bête. Un autre chiffre en ce moment rassemble les foules au cinéma ; c’est 2012, un énième film sur la fin du
monde, le déluge et l’arche de Noé. Un pur navet, je vous le garantis. Mais quelque chose de bestial au fond de nous
a peur, quelque chose de primitif qui a besoin de ce type de représentation spectaculaire pour exorciser sa peur.
Dans les traditions primordiales, et plus particulièrement dans les Vedantas, la peur de la mort est considérée comme
la manifestation de l’ignorance de qui nous sommes réellement. Et si la mort pouvait parler, elle dirait combien
nous sommes en effet aveugles et ignorants de notre état, tous enfermés que nous sommes dans nos petites cavernes
personnelles. Connais-toi toi-même et tu connaîtras les Dieux : se connaître, c’est aussi regarder la mort en face et
l’intégrer consciemment dans le mouvement de la vie.
Dans son livre « La Voie du Tarot », Alexandro Jodorowsky fait parler notre squelette et lui fait dire ceci : « ceux
qui m’assimilent deviennent des esprits puissants. Ceux qui me nient, en cherchant vainement à s’échapper, perdent les
délices de l’éphémère : tout en étant, ils ne savent pas être. Tout en agonisant, ils ne savent pas vivre. »
L’arcane XIII n’a donc pas de nom et renvoie en cela directement à l’arcane du Mat qui, lui, n’a pas de chiffre. La
silhouette du Mat progresse dans le même sens que celle du squelette de l’arcane XIII, de la gauche vers la droite,
et il y a bien d‘autres similitudes entre ces deux personnages. D’ailleurs le Mat est-il au début ou à la fin de la série
des 22 arcanes, ou bien n’importe où à la fois ?
En tout cas, l’arcane XIII –du fait de son chiffre- se situe à peu près à mi-chemin du parcours des 22 arcanes, ce
qui semble déjà montrer qu’il n’est pas la fin d’un cycle, ni une fin en soi. Ni fin, ni commencement, peut-être déjà
une image de l’éternité.
Dans la mythologie populaire, le squelette de la faucheuse est devenu célèbre. C’est la mort dans toute sa splendeur.
Et si le tarot marseillais tire une grande partie de sa force de la civilisation médiévale, on ne peut qu’évoquer les
danses macabres et autres nefs de fous qui parcouraient l’Occident, entre épidémies de peste et départs en croisades,
entre le XII° et le XV° siècle. On songe aussi à Rabelais et aux tableaux de Bosch, à l’ars moriendi, l’art du bien
mourir qui était un vrai sujet de réflexion à l’époque médiévale, et on regarde notre squelette presque souriant : il
est bien une sorte de pied de nez à la mort.
Donc –si on revient à l’interprétation convenue- la mort n’est pas ce qu’elle semble être. Voilà l’évidence de notre
arcane XIII.
Tout d’abord, ce squelette est plein de vie. Ses os sont couleur chair, par opposition aux deux os blancs figurant
dans la scène, et dont l’un porte même des trous, ce qui le transforme en flute à sept trous, allusion peut-être aux
fêtes carnavalesques remplies de squelettes ambulants et de musiciens. Et là, je pense aussitôt au couple de jongleurs
envoyés sur terre par le diable dans les Enfants du Paradis de Marcel Carné, au septième Sceau d’Ingmar Bergman
et aux films de Jean Cocteau. Et je voudrais ajouter au passage que l’image médiévale du jongleur saltimbanque –
le bateleur de notre tarot marseillais- est associée dans l’œuvre de Guénon à ce qu’il appelle le masque populaire
revêtu par la tradition Primordiale dans son cycle descendant. Saltimbanque ou bien bouffon ou bien mendiant :
ainsi, toujours d’après Guénon, les templiers survivants de l’holocauste et les véritables rose-croix parcoururentils l’Europe et le Moyen-orient sous cette apparence. Ainsi l’auteur du Tao-te-King se dirigea-t-il vers les ultimes
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frontières de la Chine à dos d’âne. Ainsi le Christ, d’après les légendes, alla-t-il se perdre incognito dans les vallées
de l’Indus et du Gange.
Mais revenons à notre squelette. D’autres éléments vont encore dans le sens de la vie renaissante. La faux est rouge
et vitale, bleue et spirituelle, et son manche est jaune, couleur de l’intelligence solaire. Son maniement n’est pas
fortuit mais correspond à un travail voulu, pensé, structuré. Ce qui est fauché ne l’est pas par hasard mais suivant
un plan pré-établi. Il s’agit d’un processus d’élimination volontaire et salvateur. Et ici, en effet, l’association de l’arcane XIII avec celui de l’Impératrice trouve tout son sens. Il ne s’agit pas de mourir n’importe comment, mais, à
travers le mouvement de la faux, il s’agit en fait d’accéder à la vie intelligente et créative qui remplit le décor de
notre arcane.
Et cette vie, c’est aussi celle qui se dégage de la figure de l’Impératrice : une vie vouée à l’amour, à l’intelligence et
à la fécondation. Une vie débordante de ferveur et de spiritualité, mais aussi de la connaissance sous-jacente et incarnée en arrière-plan par le visage grave de la Papesse. L’Ars moriendi, l’art du bien mourir consiste à mourir en
intelligence avec la vie qui, inlassablement, poursuit son œuvre au milieu du fléau de la destruction.
Mais poursuivons la description de notre personnage à la faux.
Son bassin et sa colonne vertébrale reprennent les couleurs des contours de la faux : bleu et rouge comme si ces
deux couleurs associées constituaient la base de la croissance consécutive au passage de la faux, et cette croissance
se développe le long de la colonne vertébrale en épis de blé –symbole s’il en est de la vie renaissante- jusqu’à la fleur
rouge à quatre pétales qui soutient la tête. Un cœur bleu est logé dans l’aine du personnage, signe que le travail est
fait avec amour, et des fleurs rouges se retrouvent aux articulations du genou et du coude. Un bras et une jambe
sont couleur chair, et les autres bleus : ce squelette est incarné, il est au centre de la manifestation, et en même temps
il est spiritualisé ; il est dans la transformation, la transmigration de l’âme : humain et divin tout en même temps :
ne porte-t-il pas d’ailleurs le nom de Dieu gravé en lettre hébraïques su son visage ? Au fait, ce visage étrange, un
peu terrifiant, comme s’il portait un masque de film d’horreur, contient entre autres choses un croissant de lune,
symbole de la réceptivité spirituelle, et son œil rappelle un dragon se mordant la queue, figure de l’ouroboros, symbole du mouvement sans fin et de l’éternel retour.
Observons à présent l’environnement. Le sol est noir et rappelle le nigredo de l’alchimie –l’oeuvre au noir pour
paraphraser le titre du roman de Marguerite Yourcenar-, mais également la vase d’où émerge le lotus dans la tradition
bouddhiste.
Plus près de nous, la couleur noire est celle du cabinet de réflexion où nous avons tous été plongés et au sein duquel
–face à un crâne et face aussi à la formule VITRIOL- nous avons rédigé notre testament.
A noter que la couleur noire ne se retrouve qu’à un seul autre endroit dans les 22 arcanes du tarot, à l’arcane XV,
qui est celui du diable, et où deux diablotins enchaînés ont les pieds plongés dans un sol noir identique. À noter
également que cette couleur noire se retrouve dans la moitié inférieure du visage de notre squelette, signe qu’il est
encore en partie issu des profondeurs, des abysses de la non-manifestation et du magma primordial. Si nous poursuivons notre description de l’environnement nous trouvons deux têtes couronnées et foulées par les pieds de notre
squelette. Ces têtes sont-elles coupées ou bien surgissent-elles de l’obscurité ? Nous trouvons ici l’expression des
principes féminin et masculin qui parcourent sans relâche les 22 arcanes du tarot, souvent par paires : pape/papesse,
empereur /impératrice, figures de l’amoureux et du jugement. Peut-être que notre squelette a dépassé la dichotomie
féminin/masculin, peut-être que c’est un être androgyne ayant résolu par son travail spirituel la tragédie de la séparation des sexes.
Ces deux têtes figurent également l’image des archétypes parentaux –éducation, préjugés, croyances inculquéesdont le squelette se débarrasse sans regret dans sa marche forcée vers la transformation spirituelle. Les couronnes
renvoient aux symboles royaux et impériaux présents dans le tarot. Ici, elles pourraient indiquer que toute royauté
est vaine face à la faux égalisatrice. Et ce thème égalisateur de la mort parcourt toute la tradition des danses macabres
et de leurs représentations sur les tapisseries, les retables, les murs et les sols des églises du Moyen-Âge.
Des pieds et des mains –complets et incomplets- côtoient des herbes bleues et jaunes qui surgissent du sol noir. Le
bleu foncé est la couleur de la réception spirituelle intuitive, le jaune la couleur de l’intelligence active et solaire.
Ces pieds et ces mains sont-ils coupés par la faux, comme les têtes, ou bien poussent-ils sur le terreau noir ? Dans
ce cas, ils signifieraient qu’un être nouveau est en train d’affleurer à la surface du sol.
Au final, lorsque nous achevons la description de notre arcane, nous nous sentons submergés par un fleuve de symboles porteurs d’un sens qui nous interpelle, nous, maçons, puisqu’il rejoint totalement la problématique de notre
initiation. Etre initié, c’est avant tout être mort à tout ce que nous pensions être auparavant. Le rituel, reprenant
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les paroles de Saint-Paul, parle de faire mourir le vieil homme. Cette mort symbolique, c’est le point de départ
obligé de toutes les initiations, maçonniques ou non. En ce qui nous concerne, de quoi s’agit-il ?
Le séjour dans le cabinet de réflexion est déjà suffisamment parlant. Nous sommes descendus physiquement et
symboliquement dans les entrailles de la terre, dans le nigredo alchimique, dans l’œuf primordial qui est aussi le
vase, le graal, la pierre de voûte inversée au sein de laquelle nous nous sommes liquéfiés –huile sainte, onguent sacré,
sang du christ- afin de remplir la forme et la non-forme et de ressurgir aussitôt à la lumière que nous sommes venus
chercher ici, dans ce temple en construction, cette Arche de Noé en pleine ascension, au sein de ce nouvel œuf ou
plus précisément ce vortex tour à tour fermé et ouvert –clignotant comme la réalité quantique- sur l’infini, la voûte
étoilée, la Jérusalem Céleste.
Mais cette lumière ne nous est pas accordée sans contrepartie : le silence, l’absorption silencieuse sous le faible éclat
de l’astre lunaire, la digestion spirituelle, et en même temps cette attirance violente vers le midi solaire et le travail
attentif et soigné sur la pierre brute grâce aux merveilleux outils prodigués par le Grand Architecte de l’Universla perpendiculaire, le niveau, le triangle, le cercle et le carré, et finalement une géométrie sacrée qui peut nous
conduire jusqu’à dieu, ou mieux même jusqu’aux dieux, merde au monothéisme.
Au fond, l’arcane XIII pourrait se substituer au tapis de loge du premier degré de nos loges bleues. Elle y figurerait
tout ce que nous avons entrepris depuis notre initiation : mourir à soi-même tout en se connaissant mieux et en
s’aimant mieux soi-même, c’est le sens de la succession d’épis de blés, de coeurs et de fleurs au sein du squelette
(songeons à la violette de Regius) : amour de la vie, amour de soi avant de devenir amour de la totalité par le biais
d’un travail, d’une mise au chantier effective. Il ne s’agit pas d’être un maçon contemplatif et distrait, voire même
aveugle –ce que je suis parfois moi-même, je le reconnais, y compris dans ma charge d’Officier- mais un agissant
éclairé, un opérateur ardent dans la vie quotidienne : qu’est-ce que j’ai fait aujourd’hui, dans ma vie, dans mon travail, dans mes relations, dans mes pensées les plus intimes, qu’est-ce que j’ai fait qui soit un tant soit peu le reflet
de la lumière que j’ai reçue ici ?
Mais en même temps la faux tranche, elle avance vite, elle ne discute pas, ne négocie pas, elle nous oblige à accepter
notre condition de mortel, accepter de perdre nos certitudes, à nous fondre dans le froid et le silence septentrional
afin de parvenir à entendre la musique des sphères et d’apercevoir, même de très loin, la lumière du midi qui circule
et inonde tout et qui nous conduira jusqu’à l’orient. C’est cette aventure délirante que nous désigne l’arcane XIII.
Cette aventure a commencé avec le Bateleur, elle s’est poursuivie avec la figure du Pendu qui peut être vue comme
une figuration du charivari ou du tohu-bohu de l’initiation, elle s’est poursuivie encore avec la mort et encore et
toujours avec la figure du Mat qui parcourt le monde un mâtin à ses trousses : entre-temps des papesses, des impératrices, des figures amoureuses, des rois triomphants –le chariot d’Alexandre- des amoureux, et la roue de fortune
qui, à mon sens, est associée à l’arcane XIII en ceci : la mort fauche, la roue (rota) tourne, c’est comme dans les manèges des fêtes foraines de notre enfance, tu tires le pompon, tu gagnes un tour gratuit, sauf qu’ici, le pompon,
c’est la Délivrance que Guénon oppose au salut chrétien, et qu’est-ce que la Délivrance sinon la possibilité d’échapper justement à la roue du manège et au cycle de la manifestation et d’avancer –tel le squelette sur son sol noirdans l’indescriptible fleuve de l’éternité ?
Revenons un peu en arrière. L’homme de la rue voit ce squelette et pense aussitôt à la mort. Et, au niveau profane,
la mort, c’est terrifiant. C’est l’arrêt de tout. C’est la fin des haricots. En même temps l’homme profane introduit
du rituel, il embaume ses morts, les enterre, les vénère et leur édifie des monuments, et le culte des ancêtres est fondateur de toutes les civilisations. Pour tous les êtres humains, la mort demeure une fin obligatoire, inéluctable et
tragique où se mêlent effroi, tristesse, abattement, solitude, fatalisme. L’homme moderne n’échappe pas à cette
problématique : c’est l’horreur de la mort subie, parfois désirée, parfois choisie, c’est l’horreur de la souffrance, de
la maladie, de l’acharnement thérapeutique, sans parler des morts pour rien, pour l’amour de la patrie, ou je ne sais
quoi.
Qui a dit que les profanes n’étaient pas dans le symbolisme, voire même dans le sacré ? Ils y sont plongés en permanence tous les jours, comme notre brave Jourdain dans sa prose, et nous-mêmes nous sommes noyés parmi eux.
Au niveau symbolique, nous l’avons vu, le squelette de notre arcane XIII est l’homme du renouveau. Pas de début
ni de commencement. La mort est nécessaire à la vie. C’est une manifestation banale de la biologie la plus basique.
D’autre part, du point de vue initiatique, la mort est doublement nécessaire : la vraie mort pour passer le relais, et
la mort symbolique, pour avancer sur le chemin : mourir de son vivant n’est-il pas la meilleure manière de côtoyer
l’éternité ?
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Du point de vue ésotérique, les choses deviennent un peu plus compliquées. Et là, à notre niveau, je voudrais dire
combien, au-delà des traditions connues, telles que l’alchimie, la kabbale, l’ésotérisme islamique, le taoïsme, l’hermétisme chrétien, pour ne citer que celles-ci parmi bien d’autres, dire combien la nécessité d’une véritable métaphysique maçonnique se fait sentir, et, dans ce domaine, seul René Guénon a entrepris quelque chose de valable et
de transmissible aux futures générations. En gros, de quoi s’agit-il ?
Guénon part du symbolisme qu’il définit ainsi : « le symbolisme a son fondement dans la nature même des êtres et
des choses, et les lois naturelles ne sont elles-mêmes qu’une expression de la volonté divine ou principielle. Le véritable
fondement du symbolisme c’est la correspondance qui existe entre tous les ordres de réalité, qui les relie l’un à l’autre et
qui s’étend, par conséquent, de l’ordre naturel pris dans son ensemble, à l’ordre surnaturel lui-même ; en vertu de cette
correspondance, la nature toute entière n’est elle-même qu’un symbole, c'est-à-dire qu’elle ne reçoit sa vraie signification
que si on la regarde comme un support pour nous élever à la connaissance des vérités surnaturelles ou “métaphysiques”
au sens propre et étymologique de ce mot, ce qui est la fonction principale du symbolisme et qui est aussi la raison d’être
profonde de toute science traditionnelle. »
C’est cette dimension métaphysique du symbole qui constitue notre chantier à nous, maçons, et dans cette perspective la signification ésotérique de la mort devient notre pain quotidien : il y est question de mourir de son vivant,
il y est question de multiplicité d’états de l’être primordial, et toute la vie, toute la nature foisonnante qui recouvre
le sol noir de l’arcane XIII, nous invite à ce voyage à travers les états successifs de l’être. Car ce que nous croyons
savoir au sujet d’un hypothétique au-delà de la mort, ce que nous entendons partout à ce sujet, les NDE et autres
voyages dans d’autres dimensions, est bien en deçà de la réalité. Voilà l’avenir de notre mort. A nous d’y travailler,
en conscience, en toute intelligence.
En guise de conclusion, je vous avouerai tout bêtement que j’ai toujours boudé les jeux de cartes, et lorsque ma
femme sortait pour la énième fois son jeu de tarots, j’allais m’évader ailleurs parce que je trouvais ça un peu simpliste,
bêtement ludique, sans véritable signification.
Aujourd’hui, je corrige mon jugement. Le brassage des 22 arcanes du tarot marseillais justifie à lui seul l’analyse sidérante et enthousiaste apportée par le pape de l’occultisme et de l’hermétisme chrétien, Eliphas Levi, je cite : «
le tarot est une véritable machine philosophique qui empêche l’esprit de s’égarer, tout en lui laissant son initiative et sa
liberté ; ce sont les mathématiques appliquées à l’absolu, c’est l’alliance du positif et de l’idéal, c’est une loterie de pensées
toutes rigoureusement justes comme les nombres, c’est enfin peut-être ce que le génie humain a jamais conçu tout à la
fois de plus simple et de plus grand ».
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Conclusions de l’Orateur
Oui, l’Impératrice pourrait être Isis c’est à dire l’ange gardien, cette part spirituelle en nous qui cherche à rassembler
sous son empire les diverses provinces de nous-mêmes qui lui appartiennent même si elles l’ignorent et jusqu’aux
plus lointaines, les plus occidentales … Une fois l’Empire constitué par la force du glaive mais le glaive de l’Esprit,
le Djihad, le vrai, le combat intérieur, l’Être est alors reconstitué, ses parties éparses sont rassemblées, il peut alors
mourir puisque le Moi illusoire et chaotique n’a plus de raison de Paraître. Commence alors, dans la transparence
de l’âme et du corps à la lumière de l’Esprit libéré, la vie éternelle du Principe de toutes choses qui va œuvrer à
travers nous.
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15 Décembre 2009
Sécurité au Ciel et sur la Terre
François Mar∴
Arcane 4 - L’Empereur
L’Empereur fait appliquer les lois du cosmos dans la matière ; il est responsable de la bonne marche du monde, on peut compter sur lui.
C’est la force au repos ; il n’éprouve aucun besoin de s’agiter, établi qu’il
est dans la consolidation de son autorité.
Si Tempérance manque à l’Empereur, il tombe dans la sévérité et la tyrannie, perd la bonté et se perd lui-même.
« Mes lois sont les lois de l’univers en action. Lorsqu’on ne s’oppose pas
à elles, elles sont infiniment pacifiques. Mais lorsqu’on leur désobéit,
elles sont terribles.
Placez-moi au centre de vous comme une source inépuisable, comme la
racine de votre envol futur. Je suis votre guerrier intérieur, celui qui voit
vos faiblesses et ne faiblit pas. »
Regardez bien l’Empereur que nous a remis notre Vénérable Maître, il a de belles chaussures rouges ! Or dans le
Dictionnaire des Symboles, de Jean Chevalier et d’Alain Gheerbrant, qui est un ouvrage de référence, il est dit que
l’Empereur a « les pieds blancs » comme sa barbe et ses cheveux. Or la barbe et les cheveux de notre Empereur ne
sont pas blancs !
Si on essaye en conscience de se reporter à tous les ouvrages qui ont paru sur les tarots, des plus sérieux aux plus
fous, on en voit de toutes les couleurs ! On se perd dans une forêt plus obscure que celle de Dante ; on trouve tout
et son contraire et les choses les plus surprenantes. Même si on s’en tient aux Tarots de Marseille qui sont les plus
épurés, à travers tous les commentaires qui ont paru sur eux, on risque de partir dans toutes les directions et de
perdre ainsi la “voie droite”. Au-delà des affirmations non expliquées ou incongrues et des inventions, au seul premier
sens de ce mot : invention, qui n’est pas son meilleur sens ; ce qu’il y a de plus grave, et qui est le plus fait pour nous
égarer, c’est bien : au-delà de l’absence de hiérarchie, entre l’essentiel et les simples détails, la confusion des genres
et plus gravement encore la confusion des plans !
Que savons nous sur les Tarots ? D’où viennent-ils ? En dehors des explications plus ou moins hasardeuses qui ne
furent données qu’au XVIIIe siècle seulement, nous ne pouvons qu’évoquer la mémoire, la légende de Nicolas Flamel l’alchimiste, qui tenait une librairie ésotérique à Paris, sous Charles VI le “fol” et de son ami Jacquemin Gringonneur, peintre habitant Rue de la Verrerie, lequel confectionnait des cartes portant des figures étranges, de
plusieurs couleurs. Ces cartes ce sont les Tarots, dont l’origine est restée mystérieuse. On dira plus tard qu’elle sont
venues d’Egypte et introduites en Europe par les Sarrazins, au temps de Charlemagne. On évoquera plus tard pour
expliquer leur nom, le mot sanscrit « Taro » désignant l’étoile polaire ! Le mot ora qui signifie la Loi Hébraïque
et bien d’autres choses encore, la ROTA ! La roue de la vie, le zodiaque … dont le tarot serait l’anagramme.
Au-delà de cette légende, on sait seulement que ces cartes peuvent être utilisées de diverses manières, comme un
simple jeu de société, comme un support de divination, ou encore et c’est ce qui nous inspire à Regius cette année,
comme un ensemble de représentations d’une étrange et fascinante Beauté et qui rassemble des symboles fondamentaux de la science sacrée.
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Mais je pense à nos apprentis, en particulier aux tout nouveaux : nous allons leur parler des tarots pendant toute
une année, nous risquons non seulement de les lasser, de les décevoir, mais encore de les égarer, si nous nous bornons
à compiler tous les plus ou moins mauvais ouvrages qui ont été commis sur le sujet et comme le disait lors d’une
précédente tenue notre Vénérable Maître, si nous nous bornons à empiler tout ce qui pourrait nous venir à l’esprit,
d’heureux ou de moins heureux, sans aucun ordre et sans conscience à tous les sens de ce terme. En effet la “symbolique est une chose trop sérieuse pour la confier à qui l’exercerait sans conscience”. Science sans conscience n’est
que ruine de lame !
Dans nos loges vous le savez cela vous sera répété toutes les fois qu’il le faudra, tout est symbole ! Mais les symboles
ne sont pas accessibles à ceux qui cherchent à y découvrir ce qu’ils veulent y trouver, ils ne contiennent pas tout et
n’importe quoi, mais nous allons tenter de l’entrevoir, ils se dévoilent à la conscience par degrés et niveaux successifs ; mais pour les pénétrer il faut se garder de la confusion et comme je l’indiquais il y a un instant du mélange
des genres et des plans.
Entrons dans les voies qui nous sont tracées, regardons, contemplons notre 4e Arcane majeur, notre Empereur. Il
est assis sur un trône. Vous me direz que c’est bien la moindre des choses pour un Empereur ! Mais tous les observateurs observent également qu’il est dans une certaine position, un seul pied posé à plat sur le sol, la jambe droite
croisée ! Ceci me fait penser qu’il est prêt à quitter son trône pour se mettre en marche.
Au premier degré (entendez au premier degré de notre réflexion), si on prend les choses à la lettre, si je puis dire à
propos d’une image, on pourrait imaginer qu’il est prêt à bondir pour botter les fesses d’un apprenti distrait ou
pourquoi pas d’un vieux couvreur provocateur (un couvreur titulaire et non son remplaçant occasionnel).
Au deuxième degré sur un plan qui pourrait être plus moral, social, voir politique, on peut imaginer qu’il est ainsi
à peine posé sur son siège, car il n’est qu’un simple mortel, qui remplit son office à un poste, à une fonction qui elle
seule est inamovible et éternelle, et qu’il va devoir à un moment ou à un autre quitter sa charge. Il ne peut donc
s’affaler, faire corps avec un trône où il ne fait que passer.
Au troisième degré (entendez toujours d’une réflexion plus approfondie) la fonction, la mission impériale implique
à la fois et de manière paradoxale, une nécessité de mouvement et un besoin “impérieux” si je puis dire de stabilité,
ce qui donne cette impression de décalage entre ce qui dans l’arcane relève de la mobilité, de la “cinétique” et à l’inverse ce qui évoque la stabilité. Antoine de Saint-Exupéry a dépassé cette contradiction apparente, entre ces deux
tendances au niveau de l’Empereur et de l’Empire, lorsqu’il proclame dans Citadelle : « Il est un temps pour la
Conquête et il est un temps pour la stabilité des Empires ».
Au quatrième sens qui est caché plus loin, au-delà de la lettre et au-delà de l’esprit de la lettre, nous pouvons entrevoir
que l’Empereur ne peut et ne doit surtout pas s’affaler sur son trône, car son trône n’a pas de pieds, et que si par
malheur il le faisait, il écraserait le malheureux petit volatile qui se trouve à ses pieds ! Plus loin il semble que ce
trône qui n’a pas de pieds n’est pas un trône matériel, et qu’il serait plutôt d’un autre ordre, d’une nature spirituelle.
Ce qui ne veut pas dire qu’il pourrait flotter en l’air dans le ciel mais bien plutôt qu’il serait d’une toute autre
nature, sur un tout autre plan ailleurs et autrement. Ainsi le petit volatile, ne sera pas écrasé et pourra lui prendre
les airs comme tout volatile qui se respecte, mais ceci est une autre histoire.
Je me suis livré à cette petite digression pour vous rappeler que notre démarche est progressive. Les anciens me pardonneront de reprendre ainsi la méthode des quatre sens que Dante a emprunté à la Kabbale, méthode qui s’applique à toutes les œuvres humaines. Le sens littéral, le sens “social”, le sens philosophique et le sens caché,
anagogique, pour les Kabbalistes, les deux derniers en tout équivalence étaient le sens herméneutique - l’herméneutique qui était la science qui permettait l’interprétation des livres sacrés, et le « sod », le sens caché. Ce qui
rappelle dans la loge les trois piliers, la Beauté, la Force, la Sagesse et le 4e qui est invisible parce qu’il est en nous.
Je vais donc évoquer avec vous très rapidement l’image de l’Empereur, puis l’emblème, en troisième lieu je vous
parlerai de la vision de l’Empereur et enfin au quatrième sens du symbole.
I – L’image
Il semble à première vue que nous connaissons notre Empereur, il représente un curieux mélange de Roi Arthur et
de Charlemagne. Notre frère Oberlé, d’Initium, m’a offert des Tarots Vénitiens où notre Empereur a pris les traits
et les habits de Charles Quint. Ce genre de projection est tout à fait logique, les grands empereurs sont ceux qui à
un moment ou à un autre de l’histoire du monde ont pu incarner la fonction. Ainsi il n’est pas étonnant de constater
que les jeux d’échec en Chine ont au XIXe siècle représenté le Roi par Napoléon. A ce propos je soupçonne fort
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notre Vénérable Maître de m’avoir confié ce travail sur l’Empereur parce que je suis Corse, que les Corses me reconnaissent comme tel, que je suis né dans une île, mais n’anticipons pas. Il ne savait pas que j’ai déjà fait une
planche sur Napoléon et que j’ai pu acquérir la conviction qu’il était franc-maçon.
L’image de notre Empereur suit celle de l’Impératrice, il existe dans toutes les grandes mythologies des couples divins, des tables rondes ou ovales où se réunissent des Dieux et des Déesses. L’Empereur nous l’avons entrevu est à
peine posé sur son trône. Autour de la Table ronde du Roi Arthur il y avait en effet le siège périlleux, qui était peutêtre un siége éjectable. La position de ses jambes croisées évoque le chiffre 4 qui est le numéro de l’arcane, mais
aussi le signe de Jupiter en astrologie. Jupiter étant le roi des Dieux et le maître du 4e signe du zodiaque.
Si nous examinons sa « vêture » nous pouvons noter ses chausses qui évoquent, sauf le respect que je dois à mon
arcane impérial, un survêtement d’entraîneur d’une équipe de football. Elles sont bleues, ce qui pourrait évoquer
le saphir qui est une couleur Jupitérienne. Dans la symbolique Biblique le bleu était la couleur des personnages
mystérieux, surnaturels qui apparaissaient dans les visions des prophètes. L’ombre représentée par les traits hachurés
sur les membres inférieurs et supérieurs de l’Empereur nous rappelle qu’il est un homme. Le bas de sa tunique est
marqué par dix bandes vertes et rouges, je vous laisse décider de la relation avec les dix sephiroths dont la plus
proche est Malkuth : le Royaume ou de la Tetractys. Le vert est la couleur de Vénus, le rouge de Mars, ils avaient
enfanté l’harmonie.
Sur sa poitrine en évidence, nous avons sept bandes rouges. J’avais travaillé à Regius sur le chiffre sept, le sujet est
inépuisable ; peut être car ce plastron, est essentiel et que notre Empereur “plastronne”, ces sept bandes représentent-elles les 7 jours de la création, le septième étant celui du repos et de la paix, et évoque tout à la fois le Roi de
Salem, le Roi des Rois de l’initiation : Melkitsedek ou encore le “sun” - “day” le jour du Dieu de la lumière, du Dieu
du soleil Apollon.
Sur son flanc, ou sa manche gauche trois motifs peuvent évoquer à la fois des flèches ou des abeilles, les deux signes
sont solaires et Apolloniens, les abeilles vous le savez sont un symbole impérial récupéré par Napoléon. Les flèches
sont aussi bien jupitériennes qu’apolloniennes. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Sa coiffe est hérissée de six
crêtes visibles ce qui laisse supposer qu’il y en a en tout douze ! Comme les signes du zodiaque. Ce curieux empennage n’est pas sans rappeler un grade de la “Stricte Observance Templière” : “l’Eques a penna rubra”. “ Le chevalier
aux plumes rouges”. Mais les plumes sont à peine ébauchées ce qui n’en fait pas un chef Indien, à moins que nous
ne parlions, comme il se devrait, des Indes orientales. En réalité cette sorte de crête évoque un griffon, animal fabuleux qui participe tout à la fois de la symbolique du lion et de l’Aigle, symboles royaux et impériaux. Pour les
Hébreux, le griffon symbolisait la Perse et la doctrine des Mages, des Rois Mages. Et la coiffe d’or de Melcki-or, le
Roi de l’or évoque les richesses fabuleuses des anciennes dynasties Egyptiennes et Perses.
Au pied de l’Empereur, nous l’avons vu, se trouve un drôle d’oiseau Aigle ou Phénix mais nous savons que les deux
symboles sont équivalents. Il ressemble comme un frère à celui que l’Impératrice tient sur ses genoux. Ils sont l’un
et l’autre dans une sorte de vase de jaspe. Le Jaspe était en rapport avec la fécondité, les anciens l’appliquaient sur
le ventre des femmes en gésine. Le Jaspe était aussi appelé la “pierre des Aigles”, bien en relation avec Jupiter le
maître du signe du Cancer signe de fécondité et 4e signe du zodiaque. Certes le petit Aigle Phénix de l’Empereur
a du mal à tenir debout, il a ses deux pattes écartées sur deux rives qui s’écartent, telles des plaques tectoniques,
dans une végétation qui n’est pas sans évoquer des flammes sismiques, comme l’a écrit Friedrich Heer. « Le Moyen
Age, au temps de son apogée est un sol volcanique, tous les jours éclatent des conflits » : L’univers du Moyen Âge (page
19 Fayard).
En grec le Phoinix et en latin le Phoenix désignait le palmier, l’arbre de la Phénicie, de l’orient d’où vient la lumière.
C’est sous un palmier à Delos que Leto a enfanté Apollon.
Notre Phénix est aussi hermétique et alchimique, Fulcanelli dans ses Demeures Philosophales évoque le Phénix à
plusieurs reprises ; en particulier le récit de Cyrano de Bergerac, l’écrivain du XVIIe : « Il n’y a qu’un Phénix par
monde, par ère, le César des oiseaux est le témoin de tous les âges du monde, lui seul se joue de la mort, lui faisant
enfanter la vie ». Le Phénix annonce l’imminence d’un nouvel âge d’or, l’âge d’Apollon et des héros, c’est ainsi
qu’Auguste conçut pour lui-même une filiation remontant à Apollon et que le « César des oiseaux » figure dans
les armes d’Antonin et d’Hadrien. L’Empire Romain se rattache à la Royauté sacrée des origines, Numa le roi sabin
dont le nom était l’anagramme de Manu le législateur primordial, Numa était prêtre et Roi.
La barbe et les cheveux de l’Empereur qui dans un premier temps ont pu nous faire penser à Charlemagne, ne sont
cependant pas blancs et pour cause, ils ont la couleur du plomb, le métal de Saturne le roi de l’Âge d’or, mais l’adepte
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sait que dans l’œuvre menée à son terme, le plomb va se transformer en or, le même or que celui qui compose la
coiffe solaire de l’Empereur. Notre Empereur a la cordonite ! Mais son cordon n’est pas un simple ornement, il
évoque la Toison d’Or, la Toison du Bélier de Colchide et de la quête des argonautes, du zodiaque, mais aussi l’Ordre de la Toison d’Or, ordre Burgonde nous le verrons. Le cordon symbolise aussi tous les maillons de la chaîne, le
lien immatériel qui unit les adeptes qui appartiennent au même ordre qui deviennent ainsi les porteurs d’une influence invisible. En or également le sceptre que tient l’Empereur qui ressemble aussi à celui de l’Impératrice, leurs
croix sont différentes, celle de l’Empereur est tréflée elle évoque un ternaire, les trois mondes, la croix est rouge
comme celle des Templiers. Le globe en or évoque bien entendu le soleil, Apollon, l’île d’Avallon, l’île sacrée, audelà de l’homophonie entre Napoléon et Apollon vous noterez qu’il est né un quinze août au cours du signe Apollonien s’il en est du Lion.
L’Anneau de l’Empereur qui pend sur son plexus solaire peut évoquer l’anneau retrouvé en mer dans le corps du
poisson par le Roi pêcheur, ou encore la fameuse chevalière dont nos contemporains ont perdus le sens et qui était
le signe de reconnaissance et de fidélité à leur ordre des chevaliers Romains.
II – L’emblème
Notre Arcane Impérial précède le Pape. Toute la deuxième partie du Moyen-Âge a été perturbée par le conflit entre
les Papes et les Empereurs. L’Empire Romain réunissait les deux pouvoirs en la personne de l’Empereur qui était
le “Pontifex maximus”. Les premiers chrétiens réclamaient seulement la liberté de leur culte en formulant une première ébauche de la séparation des Eglises et de l’Etat : « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est
à Dieu ».Puis Constantin créa la confusion, le christianisme devint la religion de l’Etat, l’Empereur s’instaura le
protecteur de l’Eglise et des chrétiens et sa fameuse donation de biens aux Evêques accrut encore la confusion entre
le Temporel et le spirituel qui auraient du rester séparés. À l’époque où les Tarots sont distribués la querelle des
deux glaives, du sacerdoce et de l’Empire, des guelfes et des gibelins, bat son plein.
Au livre I de son Enfer, Dante qui s’était perdu dans la « forêt obscure » est entré le pied gauche déchaussé, mais
voici que surgissent devant lui : les trois bêtes. La Lonza, la femelle panthère, la léoparde ! Le Lion, la tête haute
plein de faim, enragé et la Louve qui paraissait dans sa maigreur chargée de toutes les envies.
Au plan qui est le notre à cet instant, les trois bêtes représentaient : la Lonza : la voluptueuse et veule Italie. Quand
Dante était enfant il avait pu voir une Lonza, une panthère enchaînée dans une cage, dans le Palais du Podestat de
Florence qui était Charles de Valois ; elle symbolisait pour lui l’Italie asservie. Le lion enragé c’est l’orgueilleux
Philippe le Bel le Roi de France. La louve lubrique symbolise l’Eglise de Rome, la lupa, le mot lupanar vient de là,
l’Eglise est “la prostituée”, “la putain dévergondée”. La papauté dans sa lutte contre l’Empire a renoncé à tous ses
devoirs, elle s’est mise au service du Roi de France, elle va même quitter son siège romain pour s’exiler en Avignon.
Dante a placé dans son Enfer un très grand nombre de papes, il a même réussi le tour de force d’y placer le pape en
exercice, toujours vivant donc, Boniface VII ! En effet au chant IX de l’Enfer, le pape Nicolas II qui il est vrai a la
tête en bas, prend Dante qui arrive pour le dit Boniface : « C’est toi Boniface dit-il, déjà toi ! le livre de l’avenir a
donc menti de plusieurs années … » Il demande aux papes qui sont aux Enfers : « Quelle différence y a t-il entre vous
et les idolâtres, sinon qu’ils adorent une seule idole et que vous en avez cent ».
Les cardinaux ne sont pas mieux lotis, Dante proclame (Paradis XXI – 133 – 135) : « Dans les premiers temps ils
étaient maigres et déchaussés, ils prenaient leur nourriture en tout auberge. A présent, ils veulent tant ils sont lourds
qu’on les soulève par derrière (quand ils montent sur leurs chevaux » : Et poursuit Dante « Ils couvrent de leur fourrure
leur cheval, si bien que deux bêtes vont sous la même peau ! ».
Mais la louve lubrique, dont la nature est si mauvaise et si perverse, que jamais son envie ne s’apaise et quand elle
est repue, elle a plus faim qu’avant, sera nous dit Dante vaincue par le “Veltro”.
C’est ici qu’il faut découvrir un fameux jeu de mots, comme peut parfois en contenir la science sacrée ; le “Veltro”
peut se traduire par un vautre, un grand chien très fort et très courageux qui pouvait, lors des chasses sauvages, s’attaquer aux sangliers et aux ours. Un grand “Cane”, un can, or en Italie à l’époque le vicaire de l’Empereur qui était
le protecteur de Dante et a qui fut dédié la Divine comédie, Enguerand de Veronne, avait pour nom Can Grande
della Scala et encore le “Can” pouvait désigner l’Empereur de l’Asie Centrale le Khan, l’Empereur d’Orient descendant d’Alexandre ou d’Ogier qui pouvait, lui et lui seul, lutter à la fois contre l’Église corrompue et l’orgueilleux
Philippe Roi de France.
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En effet l’Église de Pierre, cupide et dépravée, en inversant la hiérarchie traditionnelle qui aurait du placer l’Autorité
Spirituelle au-dessus du pouvoir temporel, en quête de pouvoirs et de richesses s’était mise à la solde de Philippe le
Bel. Le Roi de France avait le vendredi 13 Octobre 1307 à l’aube fait arrêter tous les Templiers (depuis lors les vendredi 13 sont quelques peu redoutés). Après un long procès, des supplices et des tortures le 18 Mars 1314 le Grand
Maître Jacques de Molay et le commandeur pour la Normandie De Charny furent brûlés vifs dans l’île aux juifs ;
Dante pendant le procès séjourna à Paris à la Rue du Fouare ; entre-temps le jeune Empereur Henri de Luxembourg
avait été empoisonné. Les Templiers allaient renaître dans diverses organisations gibelines. Les Fidèles d’Amour
dont Dante fut l’un des dignitaires principaux constituaient une organisation secrète proche du tiers ordre des
Franciscains et s’inscrivant dans la tradition des Templiers. On a pu dire ainsi que le mot Amor, la traduction de
l’Amour, en Italien Amor était l’opposé de Roma. De même que l’Amour Amor signifiait avec le A privatif, ce qui
est sans mort, ce qui vit éternellement contre les arbres morts du clergé Romain. Roma en sanscrit ayant un rapport
avec la force et s’opposant à la recherche d’adhésion : AMOR.
C’est ici qu’il nous faut observer, la curieuse manière dont est inscrit le chiffre IIII de l’arcane 4e ! Cela n’est pas
latin, car en latin cela ce serait inscrit IV, mais cela est bien “Palatin”. Les Palatins étant les nobles chevaliers de
l’Empereur. Amor contre Roma. Certes cette forme de transcription existe pour d’autres arcanes ! Mais il faut que
chacun s’en sorte.
Cependant c’est ici que je vous demande de bien considérer que le couvre chef de l’Empereur ne ressemble plus du
tout à ce qu’on a pu croire un peu rapidement. Plus rien à voir avec la couronne de Charlemagne qui a été si bien
représentée par le Maître de Moulins, peintre du Rétable de Moulins, qui fut actif entre 1480 et 1501 ! Qui a bien
représenté Charlemagne avec une couronne en or et en métal, et avec des pierreries ; ici je vous prie de bien vouloir
m’en donner acte : la coiffe impériale, avec ses crêtes rouges, son sommet en or, ressemble bien plus à celle d’un
chef Druze ou à celle de l’Iman des Ismaéliens, le Vieux de la Montagne, les Druzes et les Ismaéliens étant comme
les Templiers, les gardiens de la Terre Sainte, du Temple Secret. Le Temple du grand Khan, Empereur du Centre
du Monde.
III – La vision
De même le cordon de l’Empereur va s’éclairer autrement et nous permettre d’accéder dans ce troisième plan à
une vision idéale de l’Empire.
L’Empereur pour tous les persécutés (l’Eglise et le Roi de France n’avaient pas persécuté que les Templiers, mais
également les disciples de Saint François) représentait celui qui pouvait restaurer l’image du seigneur universel que
Dante a évoqué dans le « De Monarchia ». L’Empire n’est donc plus le Saint Empire Romain ; on dira plus tard
qu’il n’était plus ni Saint, ni Romain ! Il était devenu l’Empire idéal. C’est ainsi qu’en écho ou en correspondance
avec cet Empereur que l’on attendait dont les temps allaient venir, les principaux dignitaires des organisations secrètes qui allaient de l’Occident à l’Orient, à l’instar des Rosi cruciens prirent le nom d’Imperator.
Et on ne peut en parler ici, mais le Saint Empire est un vocable qui a une haute signification dans les derniers grades
du Rite Ècossais Ancien et Accepté. Un seul exemple les lettres JBM qui apparaissent sur un insigne et qui représentent entre autres les initiales de “Jacobus Burgondus Molay” qui évoque ainsi la maison de Bourgogne rivale
des Rois de France, et soutien de l’Empire, l’Ordre des Chevaliers portant la toison d’or fut créée par le Duc de
Bourgogne en 1429.
La Toison d’Or évoque la mythique expédition des Argonautes, mais encore l’art Goth, l’argot des initiés comme
l’a rappelé Fulcanelli dans le Mystère des cathédrales. L’or à la recherche duquel la quête s’organise et qui n’est pas
l’or des souffleurs, mais qui est d’un autre ordre, il résulte de la transmutation non plus des métaux mais des Etres.
L’Or évoque aussi l’Âge d’or.
Dans le « De Monarchia », nous venons de l’évoquer Dante a abordé, le thème qui nous retient ce soir : du Pouvoir
temporel et de l’Autorité spirituelle. En réalité au-delà de son engagement Gibelin, il sait que l’Empereur doit se
soumettre, ainsi que toute la classe des chevaliers non pas au pouvoir spirituel, mais à l’Autorité spirituelle car il
faut poser que l’un et l’autre ne s’exercent pas sur le même plan. Ainsi pour Dante l’Empereur doit conduire les
hommes au Paradis terrestre, l’âge d’or retrouvé et l’Autorité Spirituelle doit les conduire au paradis céleste.
Et c’est ici que s’inscrit la vision idéale, le mythe archétypal de l’Empereur qui symbolise tout ce qu’il doit représenter. L’ordre dans le monde, la force tranquille bienveillante et éclairée. L’Empereur est l’arbitre suprême audessus de la mêlée, il doit faire régner la paix.
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Notre Vénérable Maître l’a associé à la Temperance car si la Temperance manquait à l’Empereur, il ne serait plus
digne d’exercer son office, il verserait dans la tyrannie, il ne serait qu’un petit roi, comme ceux qu’il est chargé de
rassembler et de contrôler.
La Vision Impériale correspond à un rêve éternel et universel.
Je voudrai ici attirer votre attention, nous rêvons tous et on nous dit que le rêve est nécessaire. Mais de quoi rêvons
nous quand nous sommes éveillés, le rêve n’étant en effet pas le songe ! Nous rêvons tout simplement, non pas de
ce que nous pourrions imaginer comme pouvant, ou devant se passer, nous pouvons en effet rêver de choses improbables ou impossibles. Sommes nous des insensés lorsque nous rêvons de choses qui ne peuvent se réaliser ? En
réalité nous rêvons des choses que nous aurions tout simplement aimé voir se réaliser. Nous rêvons de ce que nous
aimons. Comme ce que nous aimons ne peut pas se réaliser, nos frustrations n’en sont que plus grandes, notre rupture avec la réalité plus profonde, comme celle du petit aigle Phenix qui a ses petites pattes écartées entre le rêve et
la réalité. Mais nous devons continuer à rêver pour croire que le rêve pourra devenir une réalité. Ainsi le mythe, le
rêve de l’Âge d’or, de l’Ordre Cosmique, de l’Empire Universel au-delà du plan temporel, politique des apparences
au-delà de l’histoire elle-même, existe ou plutôt est sur un plan supra historique, métahistorique essentiel au centre
de notre être.
Déjà on a pu dire que ce ne sont pas les hommes qui entrent dans l’histoire, mais l’histoire qui entre en eux ; de
même et plus profondément, nous n’entrons pas dans les mythes, mais ce sont les mythes qui entrent en nous. Ce
qui explique que nous poursuivions l’œuvre, le grand œuvre des initiés, des gardiens de la Tradition, des Templiers
même s’il n’y a pas eu de passation de pouvoirs directe, mais d’une manière intemporelle, spirituelle.
Il ne faut pas tomber dans le travers des exégètes profanes, des historiens ou des politiciens profanes qui coupent
les fils de l’histoire en quatre. Il nous faut au contraire retrouver le fil qui relie des êtres, des situations ou des états
en dehors de l’espace et en dehors du temps. De César qui va instaurer l’Empire le plus puissant et qui sait que le
temps lui est compté, et qui va s’empresser de publier et de mettre en acte la Lex Julia Municipalis, et ainsi créer les
communes, le pouvoir communal qui plus de deux mille ans après constitue la plus belle délégation du pouvoir
central, et qui permet encore aux Européens d’être libres et de participer à l’amélioration de leur vie de tous les
jours.
De César à Charles Quint qui symbolise l’Empereur, nous l’avons vu dans les Tarots de Venise, et qui le mérite ;
En effet nous ne saurons oublier qu’il est à plus d’un titre un modèle, l’exemple inégalé de l’Empereur le plus puissant qui a su descendre de charge. Monarque le plus puissant, son empire était tellement vaste que le soleil ne se
couchait jamais sur ses terres ; et pourtant, en pleine force de l’âge, de sa seule et propre volonté, il a à un moment
décidé d’abandonner le pouvoir et de se retirer dans un couvent à Yagüe en Espagne.
En commençant notre propos, nous avions évoqué l’image du Roi Arthur. Or pour suivre notre pensée, nous pouvons considérer que la relation du Roi Arthur avec l’Angleterre, patrie historique, dont il est issu est devenue par
la suite, tout à fait accidentelle, dans la littérature médiévale, dans l’imaginaire des peuples, son royaume est supra
national, universel éternel. Il possédait les meilleurs chevaliers, et sa force de suggestion sur la chevalerie chrétienne
héroïque fut si grande que chaque chevalier crée, constitué, suivant une formule que vous connaissez bien, voulait
être admis dans son Ordre Mystérieux. Je n’ai pas le temps d’expliquer ici comment le Roi Arthur symbolisait le
souverain du centre du monde, du pôle, sachez seulement que le nom même d’Arthur dérivait du mot Celte Arthos
qui désignait l’ours, l’Ourse polaire, l’Étoile polaire et le pôle envisagé comme le centre immuable. Le Centre du
Monde, l’Empire invisible, le royaume central du prêtre Jean ; la Terre Sainte, l’île au milieu des eaux, l’île au milieu
de nulle part, l’île en dehors du temps et de l’espace, l’Âge d’or sans cesse renouvelé.
Ainsi le couvre chef de notre Empereur ne cesse de briller des mille feux de son or fabuleux, l’or mythique des origines du monde ; notre Empereur est bien ainsi le souverain invisible. Melki Tsedeq le “souverain de justice”, le roi
et prêtre de justice, le Roi de Salem, Salem n’est pas une ville, Salem signifie la paix. Elle n’est donc ni une ville, ni
une contrée mais un état. En Hébreu Melki Tsedeq signifie aussi le roi de la planète Jupiter. Jupiter, le roi des Dieux
est aussi en maîtrise dans le 4e signe du zodiaque.
Notre arcane 4 Melchisédech était selon Saint Paul, celui qui était sans père ni mère qui n’avait ni commencement,
ni fin de ses jours. Le chevalier du soleil, de l’Eden retrouvé, l’homme étant le soleil secret de l’univers et l’Age d’or
évoquent, l’or du soleil, de la Toison de Jason et des Argonautes.
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III – Le symbole
Il nous faut maintenant élever plus encore le débat. Est-il besoin de le rappeler le titre du Roi du Monde en Hébreu
et en Arabe est appliqué couramment à Dieu lui-même. Il y a cependant une très grande différence entre “le Monde”
et “ce Monde”, et il y a deux mots pour désigner ce que nous désignons en français par un seul.
Et Dante au chant I de son Enfer fait dire à Virgile en parlant de Dieu : « car cet Empereur qui est là haut » (Enf.
I 124). Là haut, pour les initiés, bien au-dessus du monde visible, du monde de la manifestation, l’Ensoph des Kabbalistes, l’ineffable dont l’émanation la plus proche de ce monde est Malkuth, le royaume, mais ce n’est point là
que je voudrais vous guider.
Le Royaume, l’Empire dont nous devons parler dans notre quatrième partie, pour conclure, ne correspond plus à
la seule image visible de l’Empereur, ni comme nous l’avons aussi évoqué à son emblème, ni même encore à la
vision aussi noble soit-elle, mais il nous faut, ici et maintenant, méditer sur le symbole de l’Empereur.
J’aimerai vous rappeler à cet instant une très belle définition du symbole que j’emprunte à Xavier Léon Dufour
qui était un Jésuite qui a écrit Lecture de l’Evangile selon Jean, qui dans son tome I écrit : « Le symbole signifie en
premier lieu : “mettre ensemble” ; un symbole joint deux entités, celle qui est immédiatement perceptible par les sens et
celle, invisible qui est visée ; celle là transparaît d’emblée dans la première. Il s’en suit que la première ne renvoie pas à
la seconde comme à une réalité distante et hétérogène (ce que fait le signe, la fumée signe du feu) tout en n’étant pas le
signifié, elle le laisse se manifester et se communiquer à la conscience ».
Nous avons évoqué jusqu’ici les représentations, les entités qui étaient immédiatement perceptibles par les sens ; il
nous faut maintenant percevoir, entrevoir ce qui dans notre Arcane est invisible, qui est visé et qui transparaît, se
manifeste et se communique à la conscience. L’Empereur nous l’avons entrevu, ne représente pas seulement un
homme, un individu déterminé, mais une fonction. Une fonction métahistorique intemporelle, universelle, Melchisédech était celui qui est de toute éternité. Plus loin, cet Empereur du centre du monde ne règne pas sur un
Etat, sur des Etats, si on entend par ce mot désigner une ou des contrées géographiques. Le Centre dont-il s’agit
n’est pas non plus situé en un point de l’espace, mais au centre de l’être qui se réalise pleinement dans tous ses états
entendez bien, dans tous ses états de conscience et de réalisation. Ainsi s’éclaire le symbole de l’Empire secret.
A l’époque où les tarots furent mélangés, battus et distribués, fleurissait la pensée mystique Allemande à l’abri des
théologiens officiels en terre d’Empire, la pensée du grand Maître Eckart et de ses disciples qui proclamaient que
le royaume de Dieu est en l’homme, toute la splendeur du ciel et de la terre appartient à l’âme qui s’élève vers Dieu.
Un des disciples de Maître Eckart, l’ Empereur secret dans le secret Empire : Jean Tauler, prêche le grandiose message
de paix, laissez faire les méchants, qu’ils soient ou non d’Église, le pape ou les Évêques deviendraient-ils pour moi
des loups, je devrai les souffrir, en effet les persécutions se poursuivaient après les Templiers, les partisans du pauvre
d’Assises de Saint-François furent également persécutés nous l’avons vu ; Tauler prêche et enseigne que c’est en
lui-même que « l’homme intérieur bâtit sa propre Église, son propre Empire ».
Ainsi se crée la tragique et durable coupure entre le royaume extérieur, et le royaume intérieur, entre la brutalité
bestiale et cupide et l’amour, entre les hommes avides de pouvoir et de richesses et les Fidèles d’Amour, entre les
animaux de la jungle politique et les esprits libres !
Ainsi que l’a évoqué notre Vénérable Maître lors de notre avant dernier repas du vendredi, en réponse à Albert qui
évoquait le souci, l’exigence de tout initié à ne pas se renfermer dans son for intérieur voire son confort intérieur,
mais à rechercher comment poursuivre à l’extérieur le travail commencé dans le Temple, notre Vénérable Maître a
bien rappelé que c’est en approfondissant tous les plans et en s’élevant par là même que se réalise l’œuvre de transformation, de transmutation et que l’initié pourra ainsi et alors vraiment, aller dans le monde « solitaire mais solidaire ».
Et c’est ici que s’éclairent les flèches qui figuraient sur le flanc de l’Empereur. Nous pouvons évoquer l’épopée ancienne et mythique de Gilgamesch, le combat contre le Lion, le lion est certes un symbole solaire royal, mais il est
aussi le symbole de la force brutale, de l’animalité qui est en nous. Pour l’initié le combat contre le Lion est le symbole du combat que l’homme doit mener contre l’animalité qui est en lui, les trois bêtes qui étaient aux portes de
l’Enfer, les trois mauvais qu’il faut vaincre pour accéder à la véritable maîtrise, à l’Empire sur soi même : « l’Empire
secret dans le secret Empire ».
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Nous pouvons dans le premier cycle des Tarots voir émerger à notre conscience ce qui pourrait s’énoncer comme
suit I le Bateleur pourrait représenter l’initié, l’alchimiste qui doit en II recevoir l’influence d’en haut, la Sekkinah
symbolisée par la sagesse qui éveille en III la subtile intelligence intérieure symbolisée par l’Impératrice qui permet
en IIII à l’initié en pleine possession de ses états (de conscience) qui est parvenu à l’Etat édénique de la réalisation,
au degré, à la fonction, au grade d’Empereur de son Secret Empire, qui doit se soumettre en V à l’autorité spirituelle
du pape du Tarot qui n’est pas celui de Rome, pour accéder au paradis spirituel.
Il est en effet le Fidèle d’Amour , l’ Amoureux en VI. Amour est en effet comme l’a écrit Dante à Can Grande Della
Scala et à la fin de son Paradis, le nom de Dieu et l’Arcane VI du Tarot symbolisent l’initié d’Eleusis, parvenu au
carrefour, le Y des Pythagoriciens.
Platon dans son Gorgias a évoqué le carrefour sacré des mystères d’Éleusis en termes voilés, carrefour où l’âme peut
se perdre ou trouver la voie. Sur une tablette orphique retrouvée à Pétilla, il était indiqué que le point critique était
marqué par un cyprès blanc, il était recommandé à l’adepte de ne pas s’approcher de la source qui coulait à gauche
qui est la source de l’oubli, mais de tourner à droite, là ou coule l’eau de mémoire qui va lui permettre de se rappeler
de son origine divine, de se rappeler qu’il est le fils de la Terre et du ciel Etoilé. Et de remonter vers les Etoiles «
sallire alle stelle » avec le char céleste symbolisé par la 7e arcane, le chariot de la Merkaba qui dans la vision d’Ézéchiel
permet de remonter aux cieux. Le chiffre 7 marquant l’achèvement de ce premier cycle et notre Vénérable Maître
a bien rattaché le septième arcane aux Étoiles.
Ainsi l’opération mystérieuse des arcanes s’accomplit en nous, le symbole ne donne pas seulement à penser mais à
être.
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Gilbert Iso∴
Arcane 14 - Tempérance
Tempérance ajoute à la sécurité concrète une sécurité spirituelle et la
connaissance intime de soi-même. Le temps de la paix et de la santé est
venu.
Par son action il n’y a plus d’énergies opposées, plus de contraires, mais
seulement des complémentarités : c’est le secret de l’équilibre.
Sans le principe de réalité de l’Empereur, Tempérance n’est plus qu’une
illusion, un excès de bonté qui protège l’utile autant que l’inutile.
« Je suis l’équilibre et la prospérité. Je suis la voix intérieure qui s’exclame et qui vous évite l’erreur fatale, le geste irréversible. »
Cette carte symbolise l'équilibre, l'harmonie, la juste mesure des choses. Elle adoucit, tempère les cartes environnantes, apporte la tranquillité et conseille d'adopter une attitude modérée et équilibrée en toute chose.
Tempérance, définition du Larousse : « Vertu qui modère les désirs, les passions ».
L’absence d’article défini est notamment significative. Il n’est pas écrit La Tempérance mais simplement Tempérance. Cette spécificité peut prendre sens de différentes manières :
Le nom devient prénom. Il ne s’agit alors plus d’un nom commun mais d’une appellation personnalisée. La femme
ange s’appelle Tempérance. Elle est Tempérance.
D’autre part, cette absence singulière ôte sa sexualité au terme à l’origine féminin. Cette qualité réside dans l’équilibrage des énergies, dans l’accomplissement de l’union des polarités féminine et masculine La répartition des couleurs évoque dans la même lignée l’androgyne dont il est question.
Tempérance symbolise une unification. La présence d’un article aurait engendré deux termes accolés l’un à l’autre :
“La” et “Tempérance”. Aussi, avec l’arcane XIV, nous ne sommes pas dans la dyade mais dans la monade sacrée. La
femme ange, en reliant les deux vases, ramène le deux au un. La dénomination de la lame est donc en conformité
avec sa signification profonde.
En dernier lieu, le nom évoque le verbe tempérer. Il induit une action, plus sûrement que ne l’aurait fait La Tempérance. Cette dernière apparaît comme un état intérieur, une qualité alors que “Tempérance” suggère une notion
d’activité.
Dans la figuration il pourrait bien s’agir de l’Ange du grand conseil, le Christ. Qui porte au front une fleur, un
terme qui se dit « Nazareth » en Hébreu. L’association fleur et ange, qui se retrouve dans plusieurs vitraux du
Moyen Âge, illustre les scènes consacrées à l’Annonciation entre l’Ange et la Vierge. Au Moyen Âge, la tempérance
– qui est représentée par une dame tenant une jarre et une coupe – est associée à la chasteté qui elle-même est représentée par la figure de l’ange. «ème parmi les plus équents de la littérature spirituelle et morale durant la
période patristique et le Moyen Âge, la chasteté est souvent associée, voire identifiée aux notions de virginité et de continence ou tempérance, bien qu’elle en diffère. (…) la chasteté est la vertu première, qui fait retrouver l’état adamique,
voire angélique.»
Cette figure idéalisée représente parfois l’Épouse sans tache du Christ, l’Église, qui suit l’Agneau partout où il va.
(Ap. 14 : 4). Cette référence au chapitre XIV de L’Apocalypse peut expliquer sans doute la position de notre ange
au sein du Tarot.
Les cartes 14-La Tempérance et 17-L’Étoile présentent chacune une action, accomplie avec deux œnochées (récipient servant à verser du vin) par un personnage apparemment féminin. Bien qu’aucun modèle figuratif antique
n’ait pu être retrouvé pour ces deux scènes, l’ustensile lui-même et les actes, visiblement rituels, ne quittent pas
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l’univers dionysiaque que les cartes étudiées précédemment ont défini. Le terme même de tempérance, dans sa
conception populaire, évoque par ailleurs un certain “art de boire”.
Pour revenir à la définition du terme Tempérance, celui-ci repose sur des notions de mesure, d’équilibre et de modération. Tempérer, c’est rechercher l’harmonie en toutes choses.
Le Nombre 14
« Le nombre 14 », nous suggère Paul Marteau, « est égal à 12 + 2, c’est-à-dire à une période évolutive accomplie,
enfermée dans une polarité. C’est pourquoi, cet arcane, prenant sa puissance d’une concentration due à l’expérience d
‘un cycle accompli, travaille en circuit fermé, engendrant un mouvement entre deux réservoirs passifs, qui se compensent
l ‘un par l’autre ».
Le quatorze peut être envisagé comme 1 + 4 = 5. Or cinq est le nombre de la médiation. Il fait un pont entre le ciel
et la terre (il unit les quatre premiers nombres 1, 2, 3, 4 aux quatre suivants 6, 7, 8, 9). Le quatorze et le cinq participent à la même symbolique : la liaison. Ce sont deux nombres qui font communiquer des objets ou des êtres.
Seulement, on peut qualifier la relation établie par le cinq comme étant verticale car il relie le haut et le bas, l’homme
à Dieu; alors que le quatorze exprime une relation horizontale, en établissant un lien entre deux principes de même
nature.
De plus, au niveau des compositions possibles du nombre, celle qui semble la plus significative est 7 + 7, c’est-àdire l’addition, l’union de deux éléments identiques, comme le sont les deux vases. Cependant, certaines différences
demeurent pour défendre le principe d’unicité. Rien n’est jamais véritablement semblable. Sur un plan phénoménal,
aucun être n’est jamais identique à un autre, mais sur un plan existentiel, tous les êtres, aussi grandes soient leurs
différences apparentes, sont de même nature.
Pistes d’interprétation sur l’image …
De même que pour la Justice ou la Force, la troisième vertu figurant dans le Tarot est incarnée par le principe féminin. Elle exprime ainsi ses qualités de réceptivité. Toute vertu est passive, c’est-à-dire potentielle, contenue en
l’homme mais non-manifestée ; l'évolution consiste à développer ce qui n’est que latent. La femme est pourvue de
grandes ailes, ce qui l’identifie à un ange. Les ailes sont un symbole d’allégement et de libération, par le fait qu’elles
affranchissent de la pesanteur terrestre. Elles suggèrent la sortie du corps, la dématérialisation. « Dans toutes les
traditions, les ailes ne se prennent pas, elles se conquièrent, au prix d ‘une éducation initiatique et purificatoire souvent
longue et périlleuse ».
Tout dans le quatorzième arcane confine à l’équilibre. De même, les couleurs s’alternent assez régulièrement sans
que le bleu ne domine sur le rouge ou l’inverse. Les polarités positive et négative sont en parfaite harmonie. On retrouve la juste répartition des énergies exprimées dans le symbole du yin et du yang, tel les deux serpents enlacés
aux pieds de Tempérance " qui représentent un des plus compréhensibles symboles pour le grand public avec les
deux serpents entrelacés aux pieds (Mercure et Médecine).
Tempérance constitue un passage, par l’épreuve, d’un état à un autre. La fleur rouge, qui lui orne le front, induit
l’existence d’une activité mentale et d’une production intellectuelle. D’autre part, elle réaffirme que Tout est dans
Tout : l’activité comprend la passivité et vice-versa. La fleur symbolise aussi le comportement pacifique et non
agressif. Tempérance, c’est donc aussi l’arcane de l’équilibre, de la circulation harmonieuse des énergies, de la guérison. C’est la carte de la souplesse, de la fluidité, du compromis. C’est l’ange protecteur. C’est tout ce qui a trait
à l’amélioration des choses. C’est l’union en soi d’élans contraires ou complémentaires, le masculin et le féminin,
l’actif et le réceptif, etc … la voie du milieu, celle de la réconciliation.
En observant la carte, on a aussi le sentiment qu’elle continuera éternellement à déverser le contenu d’un vase dans
l’autre. Elle donne ainsi une impression d’éternité, de permanence et d’omniprésence. D’autre part, ce qui caractérise
son action, c’est son apparente inutilité. En effet, l’action accomplie ne vise pas une création, n’aboutit pas à un
quelconque résultat. Elle est unitive et non productive. Elle rappelle d’ailleurs étrangement la loi physique énoncée
par Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Car si, il n’y a effectivement et visiblement ni
création, ni déperdition de matière ou d’énergie, il y a bel et bien transformation.
Abordons maintenant assez rapidement les couleurs principales qui se trouvent sur cette arcane : … bleu, rouge,
orange, jaune, vert, violet … une pincée de blanc
Les deux principales :
Le bleu est la couleur de l’azur, du ciel, donc du paradis. Il symbolise la vérité et la sagesse divine. Les dieux sont
issus de cette couleur : Osiris, Krishna, Vishnu, Bouddha, Jupiter, Zeus et Yavhé tiennent les pieds posés sur l’azur.
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Ce voile céleste azuré cache “l’autre côté, l’inconnu divin”, c’est le manteau qui “couvre et voile la divinité”. Dans
les peintures qui représentent l’Assomption, le voile de Marie est bleu.
Dans le combat du ciel contre la terre, le bleu et le blanc s’opposent au rouge et au vert. On les retrouve dans les
couleurs des quatre factions de chars qui s’affrontaient à Byzance dans l’hippodrome. Le bleu des turquoises est
chez les Aztèques à la fois signe de sécheresse et d’incendie ; c’est aussi la pierre qui ornait la déesse du renouveau
et la pierre que l’on mettait à la place du cœur d’un prince mort avant de l’incinérer. Dans le bouddhisme tibétain
le bleu est couleur de la sagesse transcendante et de la vacuité qui ouvre la voie de la libération. Le bleu est la couleur
du Yang, et pour les Juifs la cité bleue est le séjour d’immortalité.
Le rouge : Couleur du Feu et du Sang, est « considéré comme un symbole fondamental du principe de vie avec sa
force, son éclat, sa puissance ». Étant l’attribut de Mars, dieu de la guerre, c’est une couleur masculine, donc brûlante
et violente. Elle est « débordante d’une vie ardente et agitée ». En Grèce elle représente l’amour sanctificateur, mais
aussi l’innocence et la virginité. En Inde ancienne Vishnu qui représente l’amour divin était habillé de pourpre.
À Rome, les généraux, les patriciens et empereurs étaient vêtus de rouge.
Au Moyen-Âge le Christ fût souvent représenté vêtu de rouge comme les prêtres ; il en reste la robe des cardinaux,
la capa magna". En pratique, actuellement, les cardinaux ont simplement une ceinture rouge en dehors des grandes
cérémonies. Pour les alchimistes d’ailleurs, la régénération, "l’œuvre rouge", produit l’homme universel. C’est la
couleur de la science, de la connaissance ésotérique.
Des couleurs intermédiaires …
Le vert est la couleur de la nature au printemps. Cette couleur est associée à l’eau. Elle correspond à la renaissance
de la nature, à la croissance, à la jeunesse, à l’expérience. C’est à la fois l’éveil de la vie (“verte Jeunesse”) et sa pérennité
“il est encore vert”). C’est une couleur féminine, centripète, réflexive (différente du rouge masculin) aussi bien chez
les Chinois que chez les Barbares. Elle est donc tiède, accueillante, comme la nature printanière. Elle génère la
connaissance, donc la justice. Cette notion de croissance et de justice expliquait au Moyen-Âge le chapeau des
évêques, pasteurs qui guidaient vers les verts pâturages, mais aussi les chapeaux verts des médecins et apothicaires
car ils utilisaient des plantes, et cette couleur est restée celle des pharmaciens dans l’Armée.
En Inde, les eaux primordiales vertes donnèrent la vie et Vishnu, porteur du monde, est une tortue au visage vert.
La déesse de la matière philosophale qui naît de la mer de lait a le corps vert.
Pour l’islam, vert est le salut, d’où le drapeau vert car le manteau du prophète Mahomet était vert. Pour le christianisme le vert représente la régénération de l’âme, la charité, la sagesse, c’est la couleur de la Vierge et de L’Enfant
Jésus et du Christ après sa crucifixion. La croix et les instruments de la passion étaient représentés en vert au MoyenÂge. Les vêtements liturgiques de la messe sont verts pour certaines fêtes.
Dans l’Apocalypse, Saint Jean décrit la vision de Dieu : « ce qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline,
un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d’émeraude ».
Dans le cycle arthurien, le Graal est un vase d’émeraude ou de cristal vert le plus pur, car il contient le sang de Dieu.
La vision de Saint Jean est vraisemblablement l’origine du Graal.
Le vert est donc manifestation de l’Amour et de la Sagesse divine dans la création, origine de la vie, donc beauté,
jeunesse, vigueur, force vitale. Il s’identifie à la régénération de la nature et aussi à la régénération spirituelle avec
l’espérance de l’immortalité.
Des couleurs plus discrètes …
L’orange symbolise le point d’équilibre de l’esprit et de la libido, à mi-chemin entre le rouge et le jaune donc entre
la raison et la tempérance. Si l’équilibre tend à se rompre vers le jaune, il y a révélation de l’amour divin. C’est à
cette conception que se rattachent la robe safranée des moines bouddhistes et la croix orangée des chevaliers du
Saint Esprit. L’orange symbolise aussi la fidélité. L’orange signifie l’union de l’homme à Dieu, symbole des noces
mystiques …avec les fruits issus de cette union représentés sur le sol.
Le jaune est la couleur du soleil, de la lumière et du métal le plus précieux, l’or. Cette couleur possède une vertu
magique. C’est le symbole de Jeunesse et de Force. Dans pratiquement tous les peuples l’or fût lié à la richesse,
donc à la noblesse, au pouvoir. C’est la couleur de Dieu (on ne peut regarder le soleil). Couleur de l’immortalité,
elle est couleur divine, donc celle de l’Empereur et des rois aussi bien en Europe qu’en Chine, Inde ou Égypte.
C’est une couleur chaude, associée souvent à l’air. En Égypte le jaune d’or symbolisait le char du Soleil et ses dieux ;
de nombreuses chambres funéraires sont peintes en jaune (et bleu) pour assurer la survie de l’âme. En Inde le jaune
correspond au centre racine et à l’élément lumière. C’est la couleur de la robe des moines bouddhistes.
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Pour les chrétiens le jaune est couleur d’éternité et l’or est son métal. Nous retrouvons ainsi le jaune dans le drapeau
du Vatican avec l’or du ciboire et la croix de la chasuble. On ne peut dissocier le jaune de l’or. L’or est le métal le
plus pur connu depuis l’antiquité, donc considéré comme le plus précieux. Il a l’éclat de la lumière et du soleil,
donc de Dieu. En Inde on dit qu’il est lumière minérale, on représente donc Bouddha en or, car c’est le signe de
l’illumination, de la perfection absolue, de l’immortalité. L’or vient de la terre (pépites) mais évoque le soleil. Il
est une arme de lumière, ce qui explique les couteaux sacrificiels en or et la faucille d’or des druides.
Au Moyen-Âge la recherche alchimique visait la transmutation des métaux en or.
Le violet est la couleur de la tempérance. Mélange de bleu et de rouge, il associe action réfléchie et lucidité, équilibre
entre le ciel et la terre, le sens et l’esprit, la passion et l’intelligence, l’amour et la sagesse. C’est la couleur du secret,
elle correspond à l’involution : passage de la vie à la mort (par opposition au vert qui est l’évolution) ; d’où la robe
violette du Christ pendant la Passion et les vêtements liturgiques violets pour les enterrements. C’est la couleur du
deuil et du demi-deuil. Il est associé aux martyrs, le pied symbolise le sol et le renoncement aux passions terrestres.
Ainsi rejoint-on l’Extrême-Orient qui attribue au violet une signification dynamique : c’est la couleur du passage
du Yang au Yin, de l’actif au passif.
Le blanc est à peine esquissé sur fond de pureté.. Inaccessible mais plausible …
Quelles impressions liées à Tempérance ?
C’est bien sur de relier deux éléments entre eux. En effet, la femme/homme /androgyne /ange met en relation
deux choses qui, normalement, étaient séparées. Elle unit deux vases par un principe fluidique. Ils n’entrent pas directement, par le contact, en relation l’un avec l'autre. Mais, c’est un troisième élément, une autre substance, qui
permet l’interaction. Il ne s’agit donc pas d’un contact matériel ou physique mais d’un lien immatériel, métaphysique et indéfinissable. L’image, étant donné sa fixité, nous montre un vase se déversant dans l’autre. De nombreux
commentateurs ont interprété ce symbole comme révélant la présence de l’esprit dans la matière. C’est le Ciel qui
féconde la Terre. Le filet qui relie les deux vases est torsadé. Il exprime ainsi la neutralité du principe : le lien peut
être de différentes natures entremêlées. La communication peut se fonder à différents niveaux : elle peut être affective, intellectuelle, matérielle, sexuelle, etc. La couleur ne limite pas le lien établi mais l’ouvre au contraire à toutes
les possibilités.
Au Sens psychologique, Tempérance est un arcane d’harmonie. Son tracé arrondi, la douceur de l’acte, l’échange
établi, expriment la résolution des conflits. Il s’oppose à la démesure et assure l’équilibre parfait. Tempérance décrit
la voie du milieu. Sur un plan psychologique, la présence des ailes, en affranchissant de la pesanteur, renvoie à la
notion psychanalytique de sublimation. Les pulsions, au lieu d’être objet de soumission et d’attachement, s’ennoblissent et s’élèvent dans des attitudes créatrices. La libido se déplace et s’investit dans d’autres buts. L’énergie
sexuelle, définie par Freud, se canalise dans la recherche d’un dépassement et dans une volonté de pureté et de perfection. Ce que traduit bien le symbole de l’ange, correspondant, à un niveau inconscient, à la sagesse incarnée (expression : “tu es un ange”).
Enfin, par le principe de l’échange, Tempérance représente le travail de mise en relation, nécessaire à la compréhension des situations. Elle permet d’accomplir des liens et pourrait s’apparenter, à ce titre, à la démarche analytique
de recherche de sens. Il est nécessaire de rattacher les événements entre eux, les représentations entre elles. Par sa
valeur unificatrice, elle s’oppose aux notions de division et de morcellement, suggérées par les arcanes XII et XIII.
Elle est rassurante et revêt, la plupart du temps, une valeur positive pour l’observateur.
Au Sens initiatique, la maîtrise de ce nombre quatorze, et de cette faculté qu’est l’Imagination spirituelle dans la
pratique de la Tempérance, implique un intense travail de Connaissance et de méditation, l’Ora et labora de nos
alchimistes, pour que les images spirituelles ainsi confectionnées dans la lumière astrale, soient les justes reflets des
fresques grandioses et majestueuses de la Création, et non des esquisses ou de vulgaires croquis caricaturaux d’un
pauvre imaginaire indigent. Les premières élèvent l’âme-de-vie alors que les deuxièmes l’abaissent. La Tempérance
aura pour principale fonction de permettre de saisir le plus juste rapport entre l’image (imagination) et sa comparaison analogique avec sa personnalité phénoménale. Car n’oublions pas le principe qui veut que si le Destin se
subit, la Providence se reçoit par adhésion volontaire ; il découle de ceci, que nous ne recevons de la Providence
qu’à proportion de la capacité de notre vase d’Or (l’âme-de-vie), à la contenir. Ici se vérifie une nouvelle fois la pertinence de l’Arcane des tablettes de oth qui dit : L’homme ne devient que ce qu’il pense. S’il pense grandeur,
harmonie et lumière, son Imagination spirituelle (le vase réceptacle), recevra les énergies lui permettant d’élaborer
des images en rapport avec ce qu’il pense. Qu’il vienne à manquer de Tempérance dans la mesure des Puissances,
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la maîtrise croisée des Nombres et la pratique des Vertus, la justesse de ce qu’il pense étant alors altérée, il y aura
forcément distorsion d’inspiration, ce qui se traduira par un manque de précision dans les manifestations imagées
de son Imagination ; Imagination spirituelle qui produit une image en harmonie avec la lumière astrale, inspirée
par la Providence, et qui reçoit ce qu’il est coutumier d’appeler une Illumination. Mais avant de parvenir à cette
Illumination, il faut d’abord que la Conscience soit en osmose de pensées et d’élévation entre l’image qu’elle imagine
et son modèle, ce qui passe nécessairement par la juste Connaissance des hiérarchies et des influences.
Lorsque les mathématiques spirituelles deviennent rigoureuses et justes, alors le fluide du modèle originel peut
s’écouler et vivifier l’image, passant librement d’un vase à l’autre sans altération ni déformation.
L’arcane XIV incarne donc par excellence le principe de l’échange. Plus encore, il n’y a aucune production d’énergie ; et en ce sens, il figure la communication désintéressée : c’est-à-dire sans attente de résultat. Sur un plan initiatique, succédant à l’arcane XIII, le quatorzième arcane représente la phase d’adaptation nécessaire après une
grande transformation. Les ailes sont significatives d’une nouvelle naissance. Elle induit l’obligation de se recentrer,
en laissant s’échanger pour s’équilibrer les énergies internes. Si l’arcane XIII déstabilise pour permettre de mourir,
Tempérance équilibre pour permettre de vivre (ou de revivre). La qualité, qui est suggérée, est la modération. Il
s’agit surtout de ne pas se livrer à la démesure plutôt que d’être prudent.
Que signifie alors : modérer ? C’est principalement éviter l’excès destructeur, respecter l’harmonie des choses, se
soustraire à la violence, à la colère et autres passions destructrices. Tempérance prône la douceur, la compréhension
et l’intelligence du cœur. Elle symbolise ainsi le principe sacré de la relation qui doit s’établir entre soi et tout son
environnement.
Communiquer apparaît donc comme une nécessité, dépouillée de toutes attentes. Si les deux vases entrent en interaction l’un avec l’autre : ils demeurent libres quand même. Ils conservent leur véritable nature. Ainsi, communiquer, ce n’est pas refuser les différences ; aimer, ce n’est pas se fondre dans l’autre, bien au contraire. Il s’agit
simplement d’accepter d’établir un lien, un peu comme nous le tentons tous, avec le support de ces ondes, en partie
phonétiques, ici et maintenant …
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Conclusions de l’Orateur
Il semblerait que, dans notre cheminement au travers des lames, nous soyons ce soir dans le monde d’après … Après
que l’esprit a été libéré, après que l’Empire a été constitué, après que l’initiation a commencé à produire du fruit.
Comment conduire alors notre vie d’initié ou plus exactement comment laisser agir la Vie Éternelle à travers nous ?
Comment maintenir cette union du Ciel et de la Terre, comment agir dans ce monde désaxé sans rompre cette
unité ? Essayons donc de demeurer en Tempérance, dans cette vibration intermédiaire entre le visible et l’invisible,
dans l’énergie violette de la pierre améthyste. Car cette position impériale, de fils du Ciel, est périlleuse que nous
qualifierons d’osirienne (Osiris) qui nécessite un renoncement, une perte …
Et d’ailleurs et en effet, ne sommes-nous pas entrés la première fois dans le Temple ni nus ni vêtus ?
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5 Janvier 2010
Nicolas Per∴
Dégrossir la Pierre Brute afin de la dépouiller de ses aspérités et la rapprocher d’une forme en rapport
avec sa destination.
Lors de notre tenue du 15 décembre dernier les Frères premier et second surveillants nous ont rappelé l’ instruction
au premier degré symbolique. Cette lecture ma permis de mesurer le chemin a parcourir et celui que j ai entrepris
de commencer. Elle m’a fait remarquer que mon sujet de planche ainsi que celui d’autres Frères apprentis était
présent textuellement dans ce texte . Quoi de plus normal puisque nous sommes apprentis cette pierre brute qu’il
va falloir tailler c’est nous même.
A quoi travaillent les apprentis ?
Cette question de l’instruction amène notre sujet comme réponse.
Le travail à fournir doit se faire sur la pierre brute donc sur nous. Nos outils, le maillet et le ciseau que j’ai utilisés
le soir de mon initiation, avec vigueur si vous vous en souvenez, ceci était peut être un signe du fait qu’il y a beaucoup
à tailler. Ces outils permettent de creuser pour descendre dans notre être profond pour tenter de comprendre notre
fonctionnement, nos réactions, ces profondeurs de notre âme ne sont pas toujours une vision agréable mais seule
notre démarche initiatique nous force à les explorer car le profane lui se détourne de cette réalité.
Notre but est de nous élever pour tenter d’atteindre la perfection ; la verticalité de notre démarche est représentée
par le fil à plomb mais aussi par les deux arcanes du tarot marseillais au programme de cette tenue : le Diable incarne
le monde souterrain, les entrailles de la terre, le mal, la noirceur de l’âme en opposition avec le Pape qui tend vers
une élévation spirituelle. Il incarne la sagesse en contraste avec la tentation du Diable.
Pour nous le Vitriol est ce symbole d’un travail en soi pour ensuite remonter et tenter de s élever.
Les aspérités dont nous devons nous dépouiller sont tous ces principes qui nous ont été enseignés au cours de notre
éducation tant dans notre façon de penser que dans celle d’agir. Notre formatage a débuté à notre naissance et il
est difficile de remettre en question les fondations de notre vie. Ma renaissance date du 7 décembre 2008 ; cette
année en Franc-maçonnerie ma donné les moyens d’avoir un autre regard sur moi même et sur les autres, ce travail
de remise en question est permanent, les doutes, les interrogations affluent mais les réponses, elles, je les cherche
toujours.
Et si j ai bien compris c’est le principe même de notre démarche initiatique.
Tailler notre pierre est primordial pour nous imbriquer dans notre édifice commun ; il faut pouvoir prendre place
parmi nos Frères, à leur côtés car nous sommes un temple en construction et en perpétuel chantier. Pour que cette
construction soit la plus parfaite possible, les matériaux qui la composent se doivent eux aussi de donner le meilleur
d’eux mêmes.
Une forme en rapport avec sa destination, une formule très maçonnique ; le sens ne nous est jamais donné mais
l’outil pour le trouver.
Lors d’une discussion avec le Vénérable Maître, je lui faisais part de ma très grande difficulté à comprendre les
planches de nos Frères car la teneur de celles-ci est si riche qu’il me faut plusieurs minutes pour assimiler un passage
donc je perd le fil . Sa réponse ressembla à cette formule : le but n’est pas de tout comprendre comme sur les bancs
de l’école mais que cette fraction de planche qui nous a été intelligible nous grandisse dans notre quête de la perfection.
La voie nous est tracée mais nous seul pouvons construire le chemin.
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La tentation, en haut comme en bas
Dominique Lea∴
Arcane 5 - Le Pape
Le Pape est un médiateur qui communique avec les plus hautes valeurs
de l’esprit ; il conduit son troupeau vers les vertus. Mais ces valeurs lumineuses sont la transformation des pulsions obscures qu’on trouve dans
Le Diable. Si Le Pape est la fleur de lotus qui symbolise l’épanouissement de la conscience et reçoit la lumière solaire, Le Diable est la vase
dans laquelle cette fleur s’enracine pour transformer ses émanations
nauséabondes en parfum. Si Le Pape n’absorbe pas Le Diable tous ses
enseignements sont utopiques, artificiels, désincarnés.
« Entre ma nature spirituelle sublime et mon humanité la plus instinctive, j’ai choisi d’être le lieu où la relation s’opère. Je suis au service de
cette communication entre le bas et le haut, ma mission est d’unir les
apparents opposés. »
Lorsqu’on aborde l’inconnu, naturellement, nous tentons de le reconnaitre. On ne l’interroge pas encore dans sa
potentialité, car il est déstabilisant. On tente d’abord d’y calquer notre monde connu. On repère, structure, nomme,
norme, pour lui donner plus de cohérence, de stabilité, un sens, une légitimité, où je puis facilement me placer. Je
le perçois directement en rapport avec ce que je suis aujourd’hui, chargé de mon expérience et mon degré de perception de la réalité. Par contre, ce que je vais y chercher, puis y découvrir dépendra non pas directement de mon
bagage, mais plus de ma capacité à remettre en lumière mes acquis et à me réinterroger en incarnant une nouvelle
part d’inconnu. Aujourd’hui et à chaque instant, je suis intermédiaire entre le connu et l’inconnu, entre le visible
et l’invisible, entre l’accompli et l’inaccompli. J’emprunte à Annick de Souzenelle l’expression suivante que j’ai
faite mienne: « Nous sommes en exil de nous-même », il nous faut rechercher, reconnaitre et intégrer “l’autre côté”.
Cela est pour moi l’enjeu primordial de la voie initiatique. Le Rite, son symbolisme et ses mythes sont le support
de cette exploration à n dimensions ; n variant, bien entendu, du fini à l’infini.
LA VOIE DU TAROT
Dans ce cheminement individuel que nous effectuons ensemble, notre Vénérable Maître nous a embarqués dans
une nouvelle arche pour naviguer sur le fleuve Tarot, où chacun de nous n’emportera que l’essentiel. C'est-à-dire,
ce qu’il aura réussi à « mettre en rapport avec sa destination ».
En m’inscrivant dans la voie du Tarot, j’ai frappé à la porte du Bateleur et j’ai vu se dessiner une ligne directrice
qui commence au I, le point de départ de ma feuille de route qui me conduira à parcourir les XXI étapes suivante.
Le chemin est devant moi, comme tracé et progressif. J’y vois une analogie avec notre nos premiers pas en Maçonnerie, la règle nous indique la voie. Comme notre Frère François Mar∴ le soulignait dans sa planche sur le IIII –
l’Empereur, la façon d’écrire les nombres est singulière. D’influence romaine au premier abord, on s’aperçoit que
le IIII aurait du s’écrire IV (V-I). J’ai lu à ce sujet, que la voie initiatique n’offre pas de recul possible, qu’elle ne
peut être que progressive. Cela fait sens. Je rajouterai que les expériences ne peuvent que s’additionner et on ne
peut s’y soustraire pour avancer effectivement.
Derrière cette première vision du jeu plutôt linéaire, se cache une infinité de dimensions à explorer. Chaque carte
est un puits dans lequel on retrouve l’ensemble des cartes. Chacune remet en perspective les autres, l’égarement
nécessaire et le doute nous guette, c’est un voyage initiatique en soi, un labyrinthe intérieur à créer et parcourir.
C’est une intégration progressive en soi et cela est au centre notre action.
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DISPOSITION DES CARTES
Ainsi : I, II, III, IIII et V, nous l’avons vu, se suivent et se succèdent avec le Bateleur, la Papesse, l’Impératrice, l’Empereur et aujourd’hui le Pape. Chaque carte a sa place et une valeur symbolique propre. Lorsqu’on rajoute une
deuxième rangée parallèle dans la lecture, comme le propose le programme de nos travaux: les cartes du XI au XV,
de la Force au Diable, nous amènent à les étudier par paires. Les cartes se complètent l’une l’autre, graphiquement,
symboliquement, énergétiquement, tout en se contredisant parfois, en mettant le doigt sur des paradoxes. Il s’agit
là d’un nouvel éclairage. Ce soir, le Pape se frotte au Diable.
Tout en tirant le fil de mes lectures et de mes réflexions, je m’aperçois, que bon nombre d’autres rapprochements
sont possibles.
Par exemple, toujours sur deux rangées, du I à XI cette fois et du XII au 0 dans le sens inverse (j’ai appris que cela
s’appelle l’écriture boustrophédon) est une disposition intéressante aussi, qui pourrait symboliser le cheminement
de l’Occident à l’Orient et le retour l’Orient à l’Occident. Ici le Pape rencontre en chemin le XVIII, la Lune.
Ensuite, en considérant 3 rangées (1-7, 8-14, 15-21) on obtient les trios (18-15 ; 2-9-16 ; … ; 7-14-21). Le Pape se retrouve ici avec XII, le Pendu et le
XVIIII, le Soleil.
Un dernier exemple nous fait aller de la ligne vers le cercle, consiste à mettre
les cartes en rond (dite Rota) et qui situe le Mat, entre les arcanes I et XXI ;
une variante place le Mat au centre du cercle, ce qui me parait très intéressant.
Ici on voit bien l’aspect cyclique du cheminement et notre place dans ce cycle.
Sans aller plus loin dans les assemblages possibles, je pense que la disposition
a toute son importance, sans qu’il y en ait une meilleure que l’autre. Cela
ouvre cependant une infinité de façons d’aborder le jeu et par extension, la
vie, face à une même réalité.
Mais restons sur l’éclairage qui nous est donné. Le Pape succède à L’Empereur, précède L’Amoureux et est placé au dessus du Diable.
A LA RENCONTRE DU PAPE ET DE MOI-MEME
Je frappe en “profane” à la Lame n° V, voici le Pape : Je calque mes représentations. Ma première impression est religieuse, je pense tout de suite au chef de l’Église catholique. On l’appelle aussi le Souverain Pontife, le Saint-Père,
vicaire du Christ, évêque universel, pasteur suprême, ... J’ouvre le dictionnaire pour en savoir un peu plus :
Le Souverain : Qui est au dessus de tout, qui est au plus haut degré, qui règne en maître, qui excelle en son genre
Pontife : Ministre du culte (en histoire romaine) ou le Grand-prêtre des Juifs (pontifex)
Père : Celui qui a engendré, qui est à la source, l’origine.
Saint : Qui est, par essence, la perfection et la pureté absolue.
Christ : Messie, rédempteur, envoyé de Dieu.
Le Vicaire : Celui qui aide et remplace, il se substitue à ..., pour exercer l’autorité de ...
Évêque : qui possède la plénitude du sacerdoce, c’est à dire, du privilège total du Sacré et de la Divinité.
Universel : Qui s’étend à l’univers entier, au tout.
Pasteur : Celui qui fait paître les troupeaux et en prend soin ; celui qui a la charge de guider la spiritualité des fidèles
Suprême : Au dessus de quoi il n’y a plus rien.
Ces quelques définitions confirment la première impression : c’est bien ça, il est le représentant de Dieu sur terre
et on le voit bénir la foule, représenté par deux fidèles qui le regardent et l’écoutent.
Je frappe en “Initié” à la Lame n° V, voici le Pape et plus. Je le découvre. Il est quand même curieux ce Pape coloré
avec ses barrettes dans les cheveux et sa barbe bleue. Tiens, il y a deux autres personnages; c’est la première fois
qu’on rencontre plus d’un être humain sur la carte depuis le couple Bateleur-Force. Au premier regard, tout semble
stable et serein. Mais en observant attentivement la carte dans son ensemble, elle s’anime. Le trône et la triple croix
semblent légèrement pencher, à moins que ce ne soit moi ? Une main, puis un bras apparaissent, comme pour
couper cette stabilité fraichement obtenue, les multiples replis et enchevêtrements me poussent à chercher ce qui
est caché dans cette carte, dans ce symbole. Je frappe en “moi” à la Lame n° V, me-voici ! C’est moi et “l’autre côté”
de moi.
Entrons.
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DU HAUT VERS LE BAS : LE SOUFFLE
Tout en haut, au dehors du cadre : Le V écrit de la sorte me pousse à m’interroger sur son aspect graphique. J’y
vois un réceptacle, qui recueille, ce qui viens d’en haut, et par gravitation, descend et le contact se fait en au sommet de la tiare du
Pape, en un point.
Avec le V, faisons un pas vers l’alphabet hébraïque, et la lettre Hé. Le but n’étant pas d’en faire l’étude, mais simplement de vous restituer quelques éléments de lectures et d’effleurer du doigt les passerelles
possibles entre le Pape et la lettre Hé, que nous rapprochons par l’intermédiaire de la valeur
numérique de la lettre: le 5. La découverte de ces passerelles m’a conduit à un fort sentiment
d’unité. Le mot Hé, apparaît dans la Genèse, pour signifier “voici”, dans le sens de donner :
«voici (hé) pour vous la semence». J’ai aussi lu que Hé peut être utilisé comme un cri de joie
ou de triomphe, exprimant une libération du souffle. Hé est la lettre du souffle de vie. C'est
le mode de communication entre les différents degrés de l’âme qui sont au nombre de 5, ainsi que les 5 livres de
Moïse que je ne citerai pas.
La lettre Hé est constituée par un Daleth (4e lettre, la porte) et un Youd (10e lettre, la main). La ligne verticale et
la ligne horizontale du Daleth symbolisent le monde physique, le Youd représente le Monde à Venir. Les trois barres
qui forment le Hé, sont les symboles des trois principaux vêtements de l'âme. La ligne horizontale correspond à la
pensée en état d'équilibre (l’essence), la ligne verticale attachée à la ligne horizontale, à la parole (la transcendance).
La ligne verticale non attachée, à l'action (l'immanence).
Pour fermer la parenthèse Hé, les premiers pictogrammes la représentant est un homme les bras levés vers le ciel,
en signe d'adoration ou de joie, il me fait aussi penser à une position de réception satisfaite, une sorte de reconnaissance que “tout est parfait”, tout est parfaitement reçu d’en haut, et transmit en bas.
Revenons au point. Le sommet de la tiare du Pape, pour amorcer
la manifestation. Le souffle, donc, descend, et par l’intermédiaire
de deux ponts rouge (couleur de l’activité, du feu) irradie les deux
colonnes, que forme le trône du Pape. Indépendamment de lui,
ces principes se manifestent dans les deux personnages du bas. On
pourrait même penser
qu’ils ont reçu directement les disques
rouges, base des ponts, en application sur le haut de leur crâne. Cela me
fait penser aux baptêmes successifs qui permettent de construire l’Etre
: ceux de l’eau, du feu et du crâne, nous y reviendrons si nous avons le
temps.Revenons encore au point. Une troisième voie est utilisée par le Souffle, ni à droite, ni à gauche, mais au milieu, en traversant les 3 couronnes de la tiare du Pape, qui symbolisent les
3 plans de connaissance : Le 3e est celui du monde supérieur, ou rien n’est
encore séparé, tout est rapproché, il règne l’amour total. En descendant on
entre dans la manifestation. Le 2e, est le monde intermédiaire, celui de
l’Homme, tandis-que le 1er est l’instinct de vie, où la loi naturelle prime.
Le Pape transmet la manifestation du souffle par la bouche fermée, sa barbe
est bleu clair (la réceptivité des forces célestes) la main gauche, gantée de
bleu clair et la main droite couleur chair.
Arrêtons nous sur cette main droite quelques minutes, car elle a un impact
je ne soupçonnais pas jusque là. La main droite donc, couleur de la vie (où
tous les opposés sont contenus), bénit à la fois universellement et de manière sélective. Universellement, car elle s’adresse à tous. De manière sélective, car elle n’est pas complètement ouverte. Elle demande à celui qui est béni de s’investir pour recevoir. Nous
sommes dans une situation de Justice, il est Justement transmit ce que le récipient peut contenir (ce que le récipiendaire peut recevoir).
Toujours à la droite du Pape, les doigts repliés sur le bord du manteau (en jaune) marquent une interruption (la
ligne est rompue) dans le flux de circulation de la connaissance que le jaune symbolise. Ce même geste est une ouverture, qui laisse entrevoir quelque chose de caché sous le manteau dont la doublure est bleu foncée (réceptivité
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terrestre). Les deux doigts ouverts désignent et font écho à la main gauche gantée de bleu (réceptivité céleste), cette dernière tient la triple croix. Le message est certainement offert à la lecture du personnage à la gauche du Pape. La triple croix est constituée au sommet par le soleil
avec en dessous les six planètes connues des anciens. Se sont leur valeurs symboliques qui nous
intéresseront : Lune-Mercure (imagination-intelligence), Venus-Mars (le sentiment et l’action),
Jupiter et Saturne (esprit de religiosité - esprit philosophique). Cette triple croix appuyée sur
le crâne du même personnage, lui en confère les propriétés.
Le Pape est un prisme. En passant par le prisme, la lumière blanche est rendue visible en la décomposant en couleurs, en la séparant. Le Pape opère la réfraction. Le Souffle prend forme par
la manifestation et ouvre autant de voies d’accès que de postulants.
DU BAS VERS LE HAUT : L’UNIFICATION, L’INTEGRATION
Le retournement : la gauche et la droite s’inversent. Nous partons de l’Homme. Les deux
personnages sont enracinés dans la terre, dans
leur propre nature comme le témoigne la
couleur vert foncé dans le dos des personnages. Déjà une distinction se fait entre eux, car un personnage
éclairé à l’extrême droite, dont on ne voit que le bras gauche, sépare, tempère cette nature (le vert) qui pourrait trop retenir le
personnage à son côté dans son intention d’élévation spirituelle, de même il tempère le feu, représenté par la couleur
rouge. C’est me semble-t-il l’équivalent symbolique du signe d’ordre, qui maintient en même temps toute la disponibilité à la réception des forces célestes.
Ce bras peut nous conduire vers d’autres interprétations intéressantes : il fait aussi une séparation entre la démarche
exotérique du personnage à notre gauche et la démarche ésotérique de celui de droite. Aussi c’est la bienveillance
du Frère qui est là pour l’accompagner dans cette démarche. Il semble aussi lui indiquer que l’essentiel reste à venir
et que le chemin ne s’arrête pas là. Il faudra aller éprouver et fertiliser les connaissances acquises théoriquement à
l’aide du Pape. Toute l’attitude du Pape l’invite aussi à aller dans cette direction, tout est orienté vers là.
Le personnage à notre gauche est aussi dans une posture de réceptivité, mais exotérique. Sa tonsure indique un sens de rotation au centre sinistrorsum, sa démarche est extérieure, contrairement au personnage de droite qui a fait un
retournement en lui, chemine intérieurement dextrorsum, dans la voie ésotérique. Il écoute mot à mot l’enseignement du Pape, sa main gauche l’aidant à
capter les sons. Avec sa main droite, il tente symboliquement de recueillir ce qui
pourra lui tomber sous la main. Le chapeau qu’il a dans le dos est jaune. Je rappelle que le jaune symbolise la lumière de l’intellect et de la conscience. Cela
pourrait signifier qu’il n’est pas coiffé de la connaissance qui lui permettrait d’activer sa réceptivité intérieurement. Considérés tous les trois, les personnages dans
leur aspect à priori négatif (ou fatal) pourraient être mal intentionnés ? Un écho
au renversement, …
LA DYNAMIQUE DU PAPE : DE L’EXOTERISME A L’ESOTERISME
Je suis donc les deux personnages. Quelque soit mon degré de connaissance, je suis toujours en situation ou il me
faudra d’abord appréhender extérieurement un plan de réalité, avant de l’arpenter intérieurement. Je suis aussi le
troisième personnage, qui me conduit à la séparation nécessaire à la réintégration. Tout ésotérisme, s’appuie sur un exotérisme qui lui sert de base, de
lien, de pont. Je suis le Pape qui est le lien, le liant, le pont entre ces deux
états. Le Pape m’enseigne que l’unité est en moi, entre l’accompli et l’inaccompli, qui passe par un retournement en moi et l’absorption de mon “autre
côté” pour me réunifier.
Je suis le Pape qui porte le Diable en moi.
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LE PAPE ET LE DIABLE
Le thème de ce soir est « La Tentation, en haut comme en bas » avec Le Pape et Le Diable. Le sujet est complété
par le sous titre suivant : Le Pape est un médiateur qui communique avec les plus hautes valeurs de l’esprit ; il conduit
son troupeau vers les vertus. Mais ces valeurs lumineuses sont la transformation des
pulsions obscures qu’on trouve dans Le Diable. Si Le Pape est la fleur de lotus qui
symbolise l’épanouissement de la conscience et reçoit la lumière solaire, Le Diable est
la vase dans laquelle cette fleur s’enracine pour transformer ses émanations nauséabondes en parfum. Si Le Pape n’absorbe pas Le Diable tous ses enseignements sont
utopiques, artificiels, désincarnés. « Entre ma nature spirituelle sublime et mon humanité la plus instinctive, j’ai choisi d’être le lieu où la relation s’opère. Je suis au service de cette communication entre le bas et le haut, ma mission est d’unir les apparents
opposés. »
Une première lecture nous met en présence du bien, le Pape, et du mal, le Diable.
Cette conception duelle, issue de la morale est nécessaire sur le plan de l’homme,
elle guide notre vie, nous permet de faire des choix et oriente nos actes. On privilégie plutôt le bien au mal pour donner un sens positif à notre vie. Dans notre cas,
cela reviendrait à dire : Le Diable, c’est mal, donc je l’évite, je l’étouffe, je le tue. Il
y a des cartes plus déstabilisantes que d’autres, le Diable en est précisément un
exemple, la carte sans nom en est un autre. Nous en avons déjà parlé, la peur est
un indice symptomatique précieux, pour précisément aller à la rencontre de l’inaccompli. “L’autre côté” que j’introduisais au début de mon propos est ce que nous
ne connaissons pas en nous même mais qui agit ou tente d’agir dans notre ignorance. C’est une énergie non réalisée, inaccomplie, qui dans son état brut, génère
des interférences, du bruit en soi et au dehors de soi.
Avec “la tentation du Pape”, nous sommes dans un paradoxe apparent. La tentation, c’est la « Sollicitation au mal, au péché, par Satan ». Le paradoxe nait des
différences de plans.
Sur un plan moral ou dogmatique, la tentation serait de se laisser glisser vers le
mal, l’obscur en agissant mal envers les autres. Ne pas respecter la loi. La peur de
se laisser posséder par le Diable.
À contrario, sur un plan initiatique, en effectuant un retournement en soi, la tentation serait de cultiver un idéal, sans lien avec ma propre nature. La tentation du
Pape pourrait donc être d’ignorer le Diable, ne pas le reconnaître, comme étant
une partie de lui. Ce dernier devant tout de même se manifester, le ferait d’une manière inconsciente en faisant
certainement grandir l’Ego, et le besoin de pouvoir en cet homme dont la fonction est au contraire, le désintéressement, au profit de la circulation et de l’alliance libre. Sa mission de pontife se transformerait en enfermement, et
il tenterait certainement d’asseoir le dogme comme loi immuable, en effaçant l’unification au profit de l’exclusion,
voire de la destruction. L’ignorance l’aura conduit aux antipodes de son accomplissement de médiateur.
Au contraire, le Pape en ayant abordé “l’autre côté” comme énergie, laissant la place au Diable, et l’absorbe en devenant capable de transformer son énergie dans le sens de son accomplissement.
DEPASSEMENT DU PAPE, EN ROUTE VERS L’AMOUREUX
Depuis le Bateleur, où j’ai appris que les apparences son trompeuses (métaux), je me suis lancé dans l’aventure initiatique. La Papesse a dressé un
voile qui m’a poussé à regarder au delà afin d’apprendre à lire les différents
aspects de la réalité. L’Impératrice m’a placé sur le plan de l’intelligence
et de l’intellectualité, avant que l’Empereur ne m’apprenne à dépasser,
par la pensée, le monde manifesté pour ne plus être sous l’emprise du pouvoir temporel. Cela a été remarqué, le compas sur sa tête ouvert de
quelques degrés, amorce un pas de plus et s’ouvre très largement à la dimension spirituelle avec le Pape.
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Le Pape n’est plus seul, il est le pont entre les différents plans arpentés précédemment et l’Humanité. Le chiffre V
évoque à la fois le Souffle Divin et la Quintessence Humaine. Il est le véhicule, du visible et de l’invisible et réintroduit l’unité en l’Homme multiple; Il a conduit au retournement en soi pour chercher ce qui est caché afin de
libérer et absorber “l’autre côté” et recréer cette unité.
Nous le savons, chaque carte n’est pas une finalité en soi et demande à être dépassée. Les enseignements demandent
à être éprouvés et assimilées.
Le Pape regarde déjà au-delà et indique avec sa main l’épreuve qui arrive. Il m’invite donc à sortir pour éprouver le
monde en “face à face”, sous un nouveau jour et me placer sur la voie du perfectionnement, tout en me faisant
garder en tête que la transmission fera aussi partie de mon accomplissement. Me voilà parti dans mon cheminement
vers le Cœur pour Épouser, faire Alliance avec mon “autre côté”, avec une première étape, l’Amoureux.
BIBLIOGRAPHIE
Le Tarot Initiatique Symbolique et Esotérique. Edmond Delcamp, Ed. Le Courrier du Livre
La Voie du Tarot. Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa, Ed. Albin Michel
La Lettre Chemin de Vie. Annick de Souzenelle, Ed. Dervy-livres
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Stéphane Cai∴
Arcane 15 - Le Diable
Si Le Pape est la fleur de lotus qui symbolise l’épanouissement de la
conscience et reçoit la lumière solaire, Le Diable est la vase dans laquelle
cette fleur s’enracine pour transformer ses émanations nauséabondes en
parfum.
Si Le Diable n’accepte pas Le Pape, il s’enfonce dans l’excès, la destruction, dans le dépassement orgueilleux et insensé des limites.
« Je suis Lucifer, porteur de la lumière. Mon don magnifique à l’humanité est l’absence absolue de morale. Nul ne me limite. Je transgresse
toutes les lois, je brûles les constitutions et les livres sacrés. Je détruis
toutes les théories, je fais exploser tous les dogmes. »
Après les propos de notre Frère Dominic sur le Pape, sur cette attraction vers le haut, cette élévation, lame bénéfique
symbolisant l’association, la protection bienveillante, c’est dans les profondeurs de la Terre que je vous propose de
retourner, dans la noirceur la trahison, l’illusion et les choses cachées, la face obscure de l’être, les tentations du
bas.
En préambule, je tenais à préciser ceci : depuis le début de cette année maçonnique, notre Vénérable Maître nous
a entraînés sur un chemin initiatique nouveau, déstabilisant comme il se doit et nous obligeant plus que jamais à
nous remettre en question et à travailler. Mon propos de ce soir ne peut en aucune façon être une réponse au sujet
tant le thème et les interprétations sont vastes. J’ai bâti mon travail autour de l’image, l’icône, et le symbole. Il n’est
qu’un regroupement d’idées destinées à vous faire réagir à l’instar du Diable dont l’iconographie fait surgir en
vous des sentiments multiples. Lors de notre précédente tenue, un Frère a dit que les cartes étaient faites pour être
battues afin de pouvoir jouer. Certes, il a raison. Mais dans notre cheminement, dans notre découverte progressive
des arcanes majeurs, il me semble important de s’attarder un temps sur la chronologie des cartes et les liens pouvant
exister entre elles. Nous y reviendrons.
Il est un lien sur lequel j’ai travaillé personnellement et que je ne vous rapporterai point ici, à savoir pourquoi cette
lame m’a été dévolue et par quelle malice de notre Vénérable Maître je me retrouve ce soir à vous parler du DIABLE.
Ainsi donc regardons cette carte …. Attachons nous à en observer l’image qui est la première vison. Ma première
réaction fût une certitude, des 22 arcanes majeurs, j’ai hérité de la carte la plus monstrueuse ; monstrueuse dans la
représentation du personnage central mais aussi monstrueuse par sa laideur. Mais nous reviendrons plus loin sur
cette notion de beauté et de laideur.
Le Diable est donc laid. Il a une apparence bisexuelle exhibant son sexe d’homme et arborant des seins de femme.
Il est mi-homme mi-animal avec ses pieds et mains crochus, ses ailes de chauve-souris ou de dragon. En un mot,
c’est un monstre destiné à nous effrayer, à nous faire réagir. Il semble être doté d’une certaine puissance étant équipé
à la façon d’un guerrier d’un casque et vraisemblablement d’une épée dans la main gauche. Il pourrait nous vaincre
si nous venions à l’affronter. Il semble vouloir capter notre attention en nous regardant et en nous adressant un
signe de sa main droite levée. Il est intéressant de relever que sur les 22 arcanes majeurs, très peu ont des figures qui
regardent droit devant elles, qui vous regardent (dans les faits, il n’y en a que quatre). Ces lames sont la VIII La
Justice, magnanime et sans faux fuyant regardant droit devant, la lame XII Le Pendu, l’homme initié ouvrant ses
yeux révélés pour la première fois, la lame XV Le Diable dont nous parlons, et enfin la Lame XX Le Jugement qui
est le couronnement et dont nous parlerons dans une tenue à venir.
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Mais revenons à notre Diable, il dégage une certaine force, ayant asservi deux personnages à ses pieds. Mais son
pouvoir n’est pas noble, car vaincus, il continue à maintenir ces deux êtres entravés. Ils ne sont pas hommes mais
plutôt des créatures mi-hommes mi-animaux au sexe également indéfinissable, ambigü, aux mains entravées dans
le dos. Elles sont attachées par le cou au socle sur lequel s’agrippe ou plutôt trône notre Diable. Elles arborent toutefois tantôt un visage souriant tantôt un visage dépité en regardant le Diable. Elles ont les pieds dans le noir, le
corps dans le bleu et la tête dans le blanc.
Après cette première vision, essayons d’examiner maintenant l’icône, à savoir ce qu’il faut y voir dans cette représentation.
Le Diable (latin : Diabolus signifiant “jeté à travers”, “expulsé”) est l’esprit du Mal selon les religions abrahamiques.
Chez les chrétiens, le Diable est un ange déchu, restant toutefois une créature de Dieu contrairement à la croyance
populaire qui le présenterait comme l’opposé de Dieu.
La plupart des religions précédant le christianisme intégraient un ou plusieurs dieux incarnant le mal. Mais ils
avaient souvent un double visage et faisaient l’objet d’un culte pour leurs aspects positifs.
En Perse Ahriman était la véritable incarnation du mal capable de rivaliser avec le Dieu bienveillant. Il a probablement influencé fortement l’imagerie du diable chrétien.
Le Panthéon égyptien fournit deux divinités avec d’une part Anubis régnant sur le royaume des morts et d’autre
part Seth dont l’une des formes est un serpent dont la couleur rouge a pu être reprise pour la représentation de
Satan (et la forme du serpent pour la tentation d’Ève).
La mythologie grecque nous offre Pan, le fils d’Hermès, dont les sabots, les cornes, le bouc, les pattes velues et
l’odeur pestilentielle seront repris dans la description de Satan.
Dans le livre de Job, on trouve la première apparition nominative du Diable comme un tourmenteur de l’humanité,
un tourmenteur que Dieu laisse agir dans les limites de ce que l’humanité peut supporter et cela pour rendre volontaire son choix de Dieu.
Avec l’avènement du christianisme, le Diable représente la personnification du mal, responsable des pires aspects
de l’humanité. Rapidement la personnification du Diable va dépasser le cadre théologique pour prendre une dimension politique. Lorsque l’Islam prend de l’ampleur et s’étend jusqu’en Europe (732 Charles Martel/Poitiers),
la menace prend naturellement les traits du démon. Et aujourd’hui encore, si le poids de la religion chrétienne a
reculé en Europe, il est intéressant de voir que l’imagerie du Diable continue à faire recette. Il ne se passe pas une
semaine sans que le mot diable ou ses déclinaisons “diabolisation”, … ne soient employés par les médias. Il est à
noter que cela n’est plus forcément une question de religion mais reste toujours une affaire de domination matérielle
sur fond d’idéologie.
Du point de vue théologique, le diable est considéré comme nous l’avons vu plus haut comme un ange déchu et
précipité du ciel en enfer à savoir sur Terre. On peut se questionner sur la véritable latitude du Diable à faire le mal.
A-t-il été précipité du ciel par sa volonté d’autonomie ou le diable est il un agent de Dieu dont ce dernier conserve
la possibilité de réenchaîner le Diable afin que le mal ne gagne pas sur le bien. Mais là, il me semble que nous nous
égarons sur des chemins théologiques éloignés de nos voies symboliques maçonniques.
Revenons donc à l’icône représentée sur la lame XV. Il est une chose qui frappe dès la première observation à savoir
ce visage grimaçant. Pourquoi ce besoin de grimace ? On retrouve dans bien des religions ces faciès grimaçants
comme Kala qui dans la mythologie brahmanique symbolise le temps, divinité terrible, seigneur de la création et
de la destruction. Ou encore Apophis dans la mythologie égyptienne, ennemis juré de Ré qui le terrassera, est représenté sous la forme d’un serpent monstrueux et grimaçant. On pourrait ainsi parcourir des heures durant les
divers panthéons et en dresser une liste exhaustive, mais la question restera toujours pourquoi ce besoin de grimace !
Au-delà de la terreur divine que peuvent inspirer certaines représentations comme les gargouilles de nos cathédrales
ou les gardiens de temples bouddhistes, ces grimaces ne sont elles pas un masque ou plutôt l’absence de masque.
En effet ce diable grimaçant me donne plus l’impression de faire un pied de nez aux bonnes manières que vouloir
me terrifier. Ce faciès grimaçant serait il alors le vrai visage de l’homme ou celui que l’on aimerait pouvoir arborer.
Car après tout le vrai visage de l’Homme est il celui qu’il se doit d’afficher en société ou celui qu’il aimerait afficher ? Le Diable dans son travail de tentation semble nous offrir cette possibilité ; tirez la langue à la règle, à la
Loi. Sa laideur apparente ne serait elle pas au fond la vérité sous de vilains atours. Au travers de cette grimace, c’est
la liberté de l’Homme que nous devons peut être y voir. La matérialisation de son libre arbitre pour donner libre
cours à sa nature. Cette nature est par essence animale et violente. La contrôler et maîtriser ses pulsions le différencie
de la bête. L’établissement et le respect des règles justifient sa démarche de socialisation.
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De même l’ambiguïté des deux créatures enlacées m’interpelle. Certes elles sont attachées par le cou. Mais leur
posture ne révèle pas forcément de la souffrance. Dès lors on peut se questionner sur le fait qu’elles aient les mains
liées dans le dos. Ne sont elles pas, au final, de fidèles soldats, qui dans la position du repos, (repos qui contrairement
à son étymologie est une position du soldat) attendent les ordres de leur chef ? Mais alors, si leurs mains ne sont
pas liées dans le dos, rien ne les empêche de se libérer de leur lien, seule leur volonté leur a fait choisir leur conduite
et la situation qui en découle.
Il nous reste à explorer le dernier volet à savoir le coté symbolique. Goethe (Franc-maçon) a décrit le processus
symbolique en ces termes : « … la symbolique transforme le phénomène en idée, l’idée en image, de telle sorte que
l’idée reste toujours infiniment active et inaccessible dans l’image et que, même dite dans toutes les langues elle reste indicible. ». En stimulant l’imaginaire, comme le fait le Diable ce soir, le symbole s’adresse essentiellement à notre
subconscient ; il ne se raisonne pas en termes de logique appliquée à la vie courante. L’effort à fournir est d’autant
plus nécessaire que son langage se situe à l’opposé de nos habituels modes de pensées, lesquels sont fondés sur une
organisation rationnelle de l’espace, organisation qui conditionne notre réflexion.
En introduction au thème de notre année maçonnique, j’avais lu sur le Tarot de Marseille la chose suivante. A une
époque où les livres étaient rares, volumineux et coûteux, il n’était pas question de sillonner les routes avec tout un
ensemble d’encyclopédies, mais cependant le Savoir devait être transmis. Aussi a-t-on développé d’autres moyens
que le support littéralement écrit pour véhiculer les connaissances, moyen connu sous le nom d’art de la mémoire.
Une lame de Tarot ne peut être en aucune manière modifiée, l’ensemble des éléments la composant (lettres, nombres, et les dessins jusqu’aux plus petits détails) devant être lu tel quel pour permettre l’initiation … on peut supposer
que la reproduction des dessins soit extrêmement pointilleuse, pour qu’aucun message ne se perde. On touche là
un des secrets dans l’élaboration du Tarot de Marseille.
Mais revenons encore et toujours à notre lame XV. Notre principal protagoniste, le Diable est principalement bleu,
le bleu de l’immatérialité qui nous confirme que nous sommes bien en présence d’une créature divine. Il domine
un globe qui repose dans le noir de la terre et non l’azur ou la blancheur du ciel, ceci étant sûrement du à son statut
d’ange déchu. Il manifeste surtout par là son action, son emprise, son règne sur le monde matériel. Ange déchu,
Lucifer, étymologiquement parlant le porteur de lumière, chut du Ciel sur la Terre dont on peut imaginer voir la
représentation au travers du globe doré. C’est la réalisation de la fausse puissance de l’univers matériel, la victoire
de la connaissance sur le spirituel.
Dans le folklore occidental, le symbolisme associé à Lucifer est ambigü : il s'agit d'une figure prométhéenne, symbole
du dépassement de soi, mais par la même d'un symbole du mal car contredisant l'idéal d'une soumission obscure à
Dieu. C'est un mythe récurrent proto-indo-européen que celui du messager divin se rebellant afin d'instruire les
premiers humains contre l'avis des dieux. On le retrouve également chez d'autres peuples.
Nous avons évoqué lors de notre première observation l’épée tenue par la lame, par le tranchant. Il est à noter en
passant que c’est la main gauche qui tient l’épée, main du diable (et c’est un gaucher qui vous le dit). Cette épée
est verte de la couleur de l’immortalité, de la foi, de la fécondité, de la satisfaction, du calme. Le fait qu’elle soit
tenue à l’envers semble inverser l’ensemble de ces notions.
Dans la symbolique on peut relever aussi la forme donnée par la corde qui relie les deux créatures. Elle forme une
demi mandorle qui peut rappeler l’écu des templiers. Le bouclier des templiers en effet avait la forme d’une amande
(mandorle ancien nom de l’amande) une forme proche du losange manifestant l’union du ciel et de la Terre, du
monde supérieur et du monde inférieur. L’arrondi du bouclier était destiné à protéger la tête et la pointe était destinée à mieux combattre et terrasser le Malin. On notera que dans la représentation sur la lame, la forme est inversée
(tout comme l’était l’épée) et là où devrait se trouver la pointe terrassant le Malin on trouve le Diable bien dressé.
Ceci peut se justifier par l’attitude passive des deux créatures comme nous avons pu l’évoquer précédemment.
L’étude symbolique de la carte pourrait s’approfondir avec les trois points sur le corps de la créature de gauche ou
le visage grimaçant sur le ventre du Diable, peut être matrice de la femme. J’aurais pu parler de la Divine Comédie,
mais notre Frère François le fera bien mieux que moi. J’aurais pu parler du Sefer Yetsira et des vingt deux sentiers
reliant une sephira à l’autre (en particulier celui allant de Hod, la gloire, à Tipheret, la beauté l’harmonie). J’aurais
pu m’attarder sur le chiffre XV comme quinze comploteurs assassins. Je souhaiterais plutôt aborder à cet instant
de mon travail la position de la carte dans le jeu. Le Diable est positionné juste après la lame XIIII Tempérance qui
nous a été présentée lors de la tenue précédente. La lame XV s’oppose en tout point à cette dernière. Tempérance
transmettait le savoir (d’un vase à l’autre), elle avait des ailes célestes, la position de son corps, les couleurs tous ces
détails inspiraient la douceur, la modération. Elle était une invitation à l’échange, au partage. Mon Diable est tout
le contraire, (vous m’excuserez ce pronom mais depuis que je travaille sur lui, je m’y suis un peu attaché). Ses ailes
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n’ont rien de céleste, ce sont celles d’un animal des ténèbres, d’une chauve-souris. Il exhibe ses parties en grimaçant
sans pudeur ni retenue, il provoque, il incite à la digression. Il est Homme il est Femme, il n’a aucun tabou. Il est
capable de ruse, de trahison, de perversions. Il est tentations sexuelles, matérielles, vanité, orgueil. Il incarne la fausse
puissance de l’univers matériel. Inversons la carte, Il nous apprend la nécessité de la maîtrise des pulsions, la résistance aux tentations et à la facilité, le besoin du retour du spirituel sur le matériel.
Dans le Tao-To King de Lao Tseu cher à notre Vénérable Maître j’ai trouvé en guise de conclusion ce paragraphe :
« Celui qui sait marcher ne laisse pas de traces. Celui qui sait parler garde ses paroles. Celui qui sait compter n’a pas de
boulier. Celui qui sait garder n’a que faire de verrous et de clefs. Celui qui sait lier n’a pas besoin de liens et nul ne peut
défaire les nœuds qu’il a serrés. Ainsi le Sage se dédie au secours des hommes. Il n’en rejette aucun. Il veille à préserver
les êtres, sans en excepter aucun. Il est dans la lumière. Tout plein de soleil. Le Sage est le maître de celui qui ne l’est pas
et ce dernier est la matière sur laquelle il agit. Ainsi, ils ont besoin l’un de l’autre. Voilà une vérité. Une vérité subtile.
Car tout ce qui essentiel pour l’homme, tout ce qui lui est indispensable, reste une énigme. C’est l’inconnu pour lequel
on lutte et on travaille. C’est l’inconnu qui nous donne la force de vivre, la force d’espérer, la force de croire. Car ce que
l’homme veut savoir lui reste inconnu. A jamais. »
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Conclusions de l’Orateur
Il y avait en effet dans la Rome Antique une fonction importante qui consistait à construire des ponts, veiller à
leur maintenance et à gérer en même temps les affaires religieuses. Ainsi était dévolu au Pontifex de jeter des ponts
d’une rive à l’autre du Tibre et de la Terre vers le Ciel. Mais les trois travaux de ce soir et les commentaires ont bien
illustré qu’il nous est demandé bien plus d’audace car il faut conduire le pont jusqu’en enfer ! Il faut accepter notre
côté obscur, le visiter même : « si je trouvais la porte de l’Enfer, qui oserait venir avec moi pour aller y voir ? » dit
souvent notre Frère Albert … Et, en effet, nous pouvons avoir peur car combien de Souverains Pontifes, les successeurs des Pontifex, ont versé dans les abîmes infernaux tant ces énergies vitales sont puissantes.
Pour construire la Cité de Dieu, autrement dit notre Temple intérieur, il faut réussir à stabiliser le pont, à marier le
Ciel et l’Enfer comme disait William Blake et pour cela, il nous faut être de la trempe de St-Georges ou de StMichel qui ne tuent pas le Dragon mais le maîtrisent, l’intègrent et l’utilisent à bon escient.
C’est la voie chevaleresque donc, et ça aurait peut-être à voir avec L’Amoureux …
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19 Janvier 2010
Gilles Del∴
La marche de l’apprenti révèle progressivement ma propre trajectoire, de mes pas zélés à ma démarche
de demain.
Ce travail a été présenté en vue de l’élévation au 2e degré symbolique.
Lors de l’augmentation de salaire de nos frères Stéphane et Raymond, nous, les apprentis avons visité la loge Justice
Égalité. Lors de cette tenue, le sujet de cette planche qui m’avait été communiqué quelques temps plus tôt par
notre Frère Second Surveillant a résonné si intensément dans ma tête qu’il m’a quasiment obsédé.
Pourquoi ? Pourquoi une visite dans une loge travaillant au même rite que Regius m’aurait-elle marqué à ce point ?
Tout simplement parce que cette tenue avait à son ordre du jour un passage sous le bandeau, et que ce passage sous
le bandeau ne s’est pas déroulé comme ceux auxquels j’avais assisté auparavant puisque l’impétrant a été ajourné.
Les raisons profondes de cet ajournement ne regardent bien sûr que les Frères de la loge Justice Égalité. Pourtant,
en tout humilité, j’ai compris leur choix et je l’aurais partagé si j’avais été invité à donner mon avis. Peu importe
ici les réponses qu’il a fournies ou pas fournies d’ailleurs, le fait est que je n’aurais jamais répondu comme il l’a fait,
mais aussi je n’aurais pas répondu comme j’aurais répondu avec deux ans de moins, en profane. Je ne vais pas vous
rejouer son passage sous le bandeau, ni le mien, mais la différence entre aujourd’hui et il y a deux ans ne relève pas
uniquement de la culture maçonnique. Quelque chose a changé au cours de ces deux dernières années.
Voyons voir ce chemin parcouru et surtout où nous mène-t’il, en parallèle avec la marche de l’apprenti en trois
pas : la découverte, voire la stupeur pour le premier, l’imprégnation pour le deuxième et peut être un début de
compréhension pour le troisième.
Premier Pas de la Marche de l’Apprenti : découverte et stupeur.
Le premier pas de mon cheminement est un moment très bref comparé à ceux qui vont le suivre. C’est le moment
où tout bascule, où plus rien ne sera comme avant. Le temps d’une initiation. Le temps de passer des clichés véhiculés par la presse notamment et les profanes en général, à la réalité. La réalité d’avoir passé deux heures dans une
cave humide, sombre et guère confortable, pour en sortir les yeux bandés, à moitié dénudé, et sentir la pointe d’une
épée sur sa poitrine. La réalité de la puissance du rituel. La réalité de la fraternité manifestée à la fin de la cérémonie
d’initiation. Cette réalité là, si évidente à ressentir et pourtant impossible à décrire à qui ne l’a pas vécue.
Le premier pas est donc celui de l’expérimentation, d’une translation vers l’inconnu. Ce premier pas est certainement le plus compliqué à décider. C’est vrai finalement, entamer un mouvement vers l’avant est tout sauf un choix
anodin, surtout quand on est confortablement installé dans le profane : l’écolier sans histoire a laissé la place à
l’étudiant bruyant à défaut d’être brillant, mais qui a quand même ramené les diplômes susceptibles de calmer son
ego, qui devient le jeune cadre qui doit jongler avec les ressources et surtout des dates butoirs de plus en plus intenables. Notre Vénérable Maître, ainsi que nos deux Frères Surveillants peuvent témoigner qu’il me reste de gigantesques progrès à accomplir dans ce domaine.
Du sur-place donc. Pas désagréable, mais du sur-place quand même. J’ai donc décidé de quitter cet état stationnaire,
et après ce bref mouvement, je m’immobilise de nouveau, histoire de digérer ce premier pas. Je ne me suis pas lancé
à corps perdu vers la lumière. J’ai fait un pas, à priori dans la direction de la lumière - même s’il est un peu trop tôt
pour le savoir - et là, je me remet à l’équerre, à l’arrêt et stable.
Deuxième Pas de la Marche de l’Apprenti : l’imprégnation
On y retourne. Il faut avancer. Je n’ai pas choisi de marcher ce premier pas pour reculer aussi tôt. Ce deuxième pas
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est plus long, dans le sens qu’il dure plus longtemps, que le premier : il correspond à la phase où on ingurgite tout
ce qui compose le rite, le rituel, le temple et les symboles. “Ingurgiter” est dans mon cas le mot juste. Je me sentais
incapable de mettre ces symboles à l’épreuve avant de les avoir un tant soit peu étudiés auparavant. Aussi, pour
avancer, j’ai parcouru sur les conseils de mon Second Surveillant de l’époque et en dépit des avertissements de notre
Frère député, La symbolique maçonnique de Boucher, qui a l’avantage d’être assez complet (du moins de mon
point de vue d’apprenti en plein deuxième pas) mais qui affiche dans le même temps l’inconvénient de présenter
une interprétation des symboles à la manière d’un manuel scolaire : “Tel symbole a telle signification, et puis c’est
tout” Si c’était aussi simple, nous n’aurions plus besoin de venir en tenue, puisque tout est au rayon ésotérisme de
la Fnac la plus proche, à quelques mètres seulement des jeux vidéo. Je grossis peut être un peu le trait.
Toujours est il que pendant cette période, je ne peux pas profiter réellement de ce qui est échangé au cours des tenues. Trop des choses à retenir, trop de phrases du rituel à décortiquer, trop de symboles dans le temple, trop de références que je ne comprends pas encore dans les planches : La table d’émeraude, l’échelle de Jacob, les séphiroths,
la graine de sénevé, etc ... C’est dommage, mais les planches durant cette période m’ont trop souvent dépassé pour
que je puisse en retirer quelque chose de mesurable. Mais tant mieux finalement. C’est ce que je suis venu chercher :
un moyen de me déplier le cerveau, de le défroisser.
Cette période correspond aussi à la période où j’ai le plus apprécié de ne pas avoir la parole. Ce non droit est à ce
moment là un bien inestimable. Souvent, je me suis fait cette réflexion à moi même : «Heureusement que je n’ai
pas à prendre la parole après ce qui a été dit, parce que je ne saurais vraiment pas quoi dire». C’est difficile d’admettre qu’on a assisté à des travaux pendant quelques heures et qu’on n’est pas capable de dire une seule phrase intéressante sur ces sujets.
Ce deuxième pas se termine aussi par une immobilisation, comme pour assimiler tout ce qui a été ingurgité. Il est
d’ailleurs remarquable que la marche de l’apprenti ne comprend pas juste trois pas mais plutôt trois démarrages.
La mise en mouvement d’un corps au repos réclame beaucoup plus d’énergie et d’investissement que l’entretien
d’un mouvement déjà établi. Ainsi va le travail de l’apprenti franc maçon : il ne peut pas et ne doit pas relâcher ses
efforts, de même qu’il ne peut pas avancer en roue libre.
Troisième Pas de la Marche de l’Apprenti : Un début de compréhension.
Le troisième pas, encore plus long que le deuxième représente le moment où on peut commencer à profiter de
quelques passages d quelques planches, et ce, de plus en plus. Le travail sur soi-même entre dans une nouvelle dimension.
Je me tais parce que c’est la règle. Certes.
Je me tais parce que c’est confortable, c’est sûr.
Mais je me tais surtout pour écouter. Mais différemment de d’habitude.
Toute ma vie, je le confesse, certainement sans le faire exprès, je n’ai que trop peu écouté sincèrement les autres.
Disons plutôt que j’attendais mon tour pour parler. Ce constat peut paraître triste, mais en réalité il ne l’est pas
tant que ça et en tout cas, il est très lucide. Dans ce temple, durant toutes les tenues auxquelles j’ai assisté, je savais
pertinemment que mon tour de parler ne viendrait pas. L’écoute est donc radicalement différente de ce que je
connaissais. Résultat, aujourd’hui, j’écoute vraiment les autres que ce soit dans le temple ou au dehors. Ne pas préparer sa réplique, c’est surtout pouvoir bénéficier des travaux et des paroles qui circulent sur les colonnes, entrer en
résonance avec la planche d’un Frère qui a consacré une part importante de son temps pour la rédiger et qui prend
encore son temps pour la partager avec moi entre autres.
Au cours des tenues, de plus en plus d’éléments m’interpellent, de plus en plus de phrases suscitent mon intérêt,
de plus en plus d’histoires me touchent. J’ai demandé la Lumière en tapant à la porte du temple et je pensais trouver
des réponses satisfaisantes à mes questions. Je n’ai pas été déçu : non seulement, je n’ai trouvé aucune réponse satisfaisante, mais je n’en ai trouvé aucune prête à l’emploi et de surcroît j’ai récolté une multitude de nouvelles questions sur lesquelles m’escrimer. Je suis comme le chat que ma grand mère avait quand j’étais petit, qui prenait un
malin plaisir à se faire les griffes sur ses fauteuils. Aujourd’hui, je suis ce chat, lâché dans le rayon Fauteuils du plus
grand magasin Ikea du monde, je vais me régaler, je n’aurai pas le temps de m’ennuyer, mais là j’empiète déjà sur
mon prochain travail en mai prochain.
Je reprends ma marche de l’apprenti, je suis au milieu du troisième pas. qui me semble de plus en plus ample, comme
s’il m’amenait plus loin que je ne l’avais prévu. Je me sens depuis quelques tenues de moins en moins dépourvu au
moment de faire circuler la parole sur les colonnes. Je n’annonce pas ici que j’ai systématiquement depuis quelques
tenues une approche qu’il est indispensable d’approfondir, mais ce n’est déjà plus le vide intergalactique des débuts.
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Le plus souvent, les idées que j’ai l’agréable surprise de voir émerger sont exprimées - et quasi immanquablement
plus clairement que je ne l’aurais fait - par un Frère Maître de l’atelier.
Et plus j’avance, plus j’ai envie ou plus j’ai besoin de partager cette vibration initiée en moi, d’essayer d’ouvrir une
voie de plus et de voir où ça nous mène si on conjugue tous nos efforts.
A la fin du troisième pas, je me retrouve en léger déséquilibre avant, comme emporté par mon enthousiasme, pas
suffisamment en déséquilibre pour tomber en avant, mais attiré par un hypothétique pas suivant, attiré par ce qu’il
dévoilerait, une nouvelle symbolique ? Un nouveau rituel ? De nouveaux outils ?
En guise de conclusion, en forme de petit bilan des deux années passées sur la colonne du septentrion, laissez-moi
vous livrer une petite anecdote toute récente :
avec ma compagne, nous avons passé le réveillon du jour de l’an à Rome, avec un couple d’amis. Lui est francmaçon au Grand Orient et nous nous connaissons depuis que nous avons dix ans. Au cours du séjour, sa compagne
m’a demandé pourquoi je venais régulièrement en tenue. Elle n’avait pas eu de réponse satisfaisante à ses yeux de
la part de son homme, alors elle m’a demandé à moi. Ma réponse l’a déçue, étant donné j’ai répondu quasiment
comme mon ami : je viens régulièrement d’abord parce que mon emploi du temps me le permet et surtout parce
que c’est une évidence de venir : je me sens tellement bien dans cette démarche qu’il ne me vient pas à l’esprit de
me demander à chaque tenue si ça vaut le coût ou non.
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Gérard Gal∴
Le Silence est l’Alambic d’où jaillit la Parole. De mon silence retrouvé à ma parole à conquérir.
Ce travail a été présenté en vue de l’élévation au 2e degré symbolique.
Il s’agit là d’un sujet qui pourrait me permettre de franchir une deuxième étape sur le chemin de l’initiation. Voilà
donc l’occasion pour moi de faire une première analyse de mon bref parcours maçonnique.
Il ne faut pas que j’essaie de construire une planche en faisant appel à des souvenirs ou à des documentations qui
pourraient “polluer” le fil de mes pensées. Les lignes que je suis en train d’écrire, j’ai l’intention de les conserver,
près d’une enveloppe pleine de cendres, pour les relire éventuellement dans quelques années, afin de juger (mais
est ce possible ?) du chemin que j’aurai parcouru.
De mon silence retrouvé …
Attendre les prémices de la vieillesse pour découvrir les vertus de l’initiation !
A ma parole à conquérir …
Est-il vraiment nécessaire de la conquérir ?
Ils sont agréables ses moments ou notre seule préoccupation consiste à écouter, à réfléchir, (un peu comme un
miroir d’ailleurs), pour avoir le sentiment de s’être enrichi de nouvelles connaissances ou tout au moins de nouveaux
sujets de réflexions. Il parait que les fœtus sont rarement très enclins à franchir le Rubicon … Il faudra peut-être
que je demande une consultation à notre frère Hervé ... En d’autres termes, est ce que je suis prêt ? Est ce que j’ai
suffisamment visité l’intérieur de la terre pour remonter quelques temps ?
Je n’ai pas trouvé La pierre cachée, mais j’en ai rencontré quelques unes …
J’ai découvert, grâce aux lectures que m’ont inspirées nos travaux, ces quelques lignes qui résument presque littéralement ce que je voudrais exprimer :
« J’ai une graine dans la main droite.
Je me tiens debout face à une forêt.
Je compte bien parvenir à planter cette graine dans la forêt que je perçois …
Le dédale créé me complique la tâche.
Pis encore, cette forêt que je croyais d’arbres centenaires, est un verger resplendissant.
Chaque uit constitue l’idée créée par le planteur.
Comment se retrouver, comment savoir gouter le bon uit ? »
Je ne sais toujours ni lire ni écrire. Si j’ai appris à compter jusqu’à trois, ce sera pour me poser ces trois questions :
Qu’est ce que j’ai appris ?
Qu’est ce que j’ai compris ?
Qu’est ce que j’ai cherché ?
Qu’est ce que j’ai appris ? Tant de choses et rien à la fois !
J’ai appris que le silence est l’un des outils nécessaires pour trouver le chemin vers la connaissance de soi.
J’ai appris que la base de la connaissance, c’est se connaitre soi même.
J’ai appris que rien n’est futile dans la recherche de la vérité.
J’ai appris qu’il est difficile d’être sincère envers soi même.
J’ai appris que je ne suis pas seul à me remettre en question.
J’ai appris qu’il serait bien vaniteux de prétendre que j’ai compris quelque chose !
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Qu’est ce que j’ai compris ?
Qu’y a t il à comprendre ?
Que notre démarche n’est pas vaine ?
Que le respect du rite et de la méthode maçonnique, nous place “hors du temps” et nous préserve, en loge au moins,
des réactions impulsives, égoïstes et négatives qui jalonnent nos vies profanes ?
Que rien ne remplace la relation de maître à élève dans la transmission de la mémoire de nos ancêtres ?
Qu’il existe des hommes de bonne volonté qui donnent leur temps, leur savoir et leur expérience pour que perdurent
certaines valeurs ?
Que nous sommes des animaux bien différents, à vouloir comprendre d’ou nous venons où nous allons et pourquoi
nous allons ?
Que nous aimerions atteindre la perfection, même si celle ci n’était pas programmée ?
Que notre quête est un signe que tout n’est pas à jeter, que nous pouvons peut être, conserver la foi en l’homme ?
Qu’est ce que j’ai cherché ?
Ma démarche à l’origine était sincère. Je ne connaissais absolument rien de la Franc-maçonnerie, je pensais qu’il
s’agissait simplement d’un lieu d’échanges ou chacun pouvait à loisir apporter sa contribution, une auberge espagnole en quelque sorte. Pouvais-je imaginer que je devrai patienter des années avant d’envisager de conquérir la
parole ? Pouvais-je envisager que je trouverai cela parfaitement logique, évident même ? Je n’avais pas compris …
Le silence est l’un des plus hauts moyens de création, il est notre chance la plus sûre de parvenir à la plénitude.
«C’est grâce à lui que l’aube a la saveur de l’air avant le premier feu» a dit le poète !
Le silence est l’alambic d’où jaillit la parole … Au début était le verbe. La Bible est ouverte sur ce chapitre à chacune
de nos tenues. Saint Jean commence par énoncer la métaphysique du Verbe, en prenant soin de préciser que c’est
le Verbe qui communique à chaque intelligence humaine, sa capacité d’illumination cognitive. La parole constitue
le liant entre les pierres que nous appareillons pendant nos travaux. Lorsqu’un Frère trace une planche, il pose des
fondations en quelques sortes. Ensuite, la parole circule entre les colonnes, jusqu’à ériger une pièce de notre ouvrage.
C’est ainsi que je le perçois !
La parole échappe aux contraintes de la programmation. Elle offre par sa construction tellement élaborée des possibilités infinies. Elle est la base de nos travaux, elle en constitue la matière. Les mêmes sujets pourront être présentés
maintes fois, les planches seront toujours différentes, la parole ne circulera jamais par les mêmes chemins entre les
colonnes. Nous disposons d’autant de voies qu’il existe de routes dans la recherche de la vérité …
J’ai raturé la phrase que je venais d’écrire presque sans réfléchir. C’est une phrase sans verbe, ponctuée par un point
d’interrogation. … Á quoi bon ? ... Il est difficile d’être sincère envers soi même …
Puisqu’il existe tant de chemins, que nous ne saurons jamais trouver le bon !
Puisque nos vies profanes sont jalonnées de rivalités, et de désirs de conquêtes !
Puisque les phrases que nous entendons pendant que nous formons la chaine d’union, nous ne les entendons que
pendant que nous formons la chaine d’union …
Puisque tout ce que nous entendons hors de ce temple, tout ce que nous vivons, nous conduit trop souvent au découragement !
Puisque le doute s’installe de façon plus insistante, au point que nous aimerions être surs que nos petits enfants
auront encore suffisamment de place sur cette planète.
Puisque nos pensées évoluent si lentement que nous avons souvent l’impression de régresser.
Pour toutes ces raisons j’ai raturé cette phrase ! Parce que pour toutes ces raisons notre démarche commune est
primordiale dans la recherche de la parole perdue. Je viens de loin, j’ai du suivre un long trajet avant de rejoindre
le chemin que nous parcourons ensemble. Il a fallu que je fasse des efforts, que je gratte pas mal de scories pour être
une pierre brute acceptable dans cet atelier.
Grâce à ça, je sais le message qui nous est transmis au travers de symboles tels que l’équerre et le compas. Je sais
pourquoi se sont des grenades qui nous surplombent, du haut des colonnes qui ornent ce temple, parce que chacun
de nous est unique mais relié à tout. Parce-que l’avenir ne peut pas se concevoir sans solidarité ni tolérance.
La Franc- maçonnerie est un art, qui nous permet de nous élever, tous, les plus érudits comme les plus sincères, et
de redescendre pour communiquer mieux dans ce temple, et au dehors de ce temple.
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Travail spontané sur un sujet proposé par le Vénérable Maître
L’acte libre n’est pas une illusion, même si le choix du mal se cherche des alibis dans la Fortune et la Fatalité. Le choix
du Bien, en revanche, en surmontant le poids du corps et l’horizon illusoire du temps, est l’exercice même de la liberté,
la participation de l’homme à l’ordre divin, son concours à l’harmonie transcendante de l’univers. [...]
La terre surmontée
Donne les étoiles.
Préface de Marc Fumaroli à Consolation de la Philosophie, de Boèce, Editions Rivages 2005 - page 36
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Conclusions de l’Orateur
Ce soir une demande d’initiation est venue jusqu’à ce temple. « Une translation vers l’inconnu » a dit notre Frère
Gilles ; « un Rubicon à anchir » a dit notre Frère Gérard …
Ce soir des Frères Apprentis s’approchent de la Loge des Compagnons, un Rubicon à franchir, une translation
vers l’inconnu …
Ce soir, les travaux et les débats, les erreurs et les bonheurs, nous ont probablement fait faire un pas de plus vers les
étoiles, une translation vers l’inconnu, un Rubicon à franchir …
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2 Février 2010
Christian Bel∴
Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler. Donnez-moi la première lettre et je vous donnerai la suivante.
Je vais prendre quelques risques dans cette première planche de travail en laissant puiser dans mon intuition
le thème « je ne sais ni lire, ni écrire. Donnez-moi la première lettre, je vous donnerai la suivante ».
De prime abord, cette phrase isolée de son contexte, évoque pour moi le début de tout apprentissage, tel l’enfant qui connaît les lettres de l’alphabet, mais ne sait pas encore les utiliser véritablement, ne sait pas les combiner. Toutefois, conscient de ne pas savoir lire et écrire, ce serait le début de la prise de conscience celle de ne
pas savoir ; ce serait, encore : le besoin de savoir, la volonté de connaître, con-naître (naître avec).
Un germe en nous, celui de cette volonté d’ouverture vers la connaissance et la conscience du travail à venir
avec l’aide d’un guide, de l’instructeur qui nous met sur la voie, nous apporte les éléments de progression nécessaires.
En nous communiquant la première lettre, il suscite en nous l’effort de penser en l'avenir et de se souvenir, le
travail personnel de rassembler en utilisant les outils pour commencer l’apprentissage. Je pense aussi à la transmission orale des bâtisseurs du Moyen-âge et à la nécessité de garder le travail de l’apprentissage suffisamment
secret, pour que la société profane ne vienne le galvauder.
Recevoir, transmettre mettre sur la direction pour péréniser cette éducation qui nous oriente vers l’élévation.
J’entrevois déjà des bribes de lumière à travers les reflets des Frères expérimentés qui nous communiquent
l’envie de progresser sur un chemin sincère, plus riche de connaissances et de conscience. La connaissance de
ne pas savoir ni lire , ni écrire , constituerait ainsi, connaissance en germe, en devenir, une connaissance d’ouverture et qui, guidée, nous permet de commencer à l’appréhender.
Il convient de prendre le chemin à son départ. La première phase en tant qu’apprenti est l’écoute, la première
période qui pourrait symboliser la première lettre. Mon silence est essentiel. Cette véritable écoute, plus que
de tolérer, me permet de respecter le Frère qui parle, pour véritablement apprendre.
Je prends conscience qu’il faut vivre cette période ; je pense à un adulte qui n’aurait pas eu d’enfance ; il lui
manquera, plus tard, un équilibre qu’il ne comblera que par un effort sur lui-même. C’est ainsi qu’il me faut
ne pas me précipiter et n’accéder à la deuxième étape (deuxième lettre), qu’au moment où je serai prêt. Ne
pas brûler les étapes pour pouvoir, un jour accéder à une perception plus profonde dépassant la simple vision
matérielle des choses, celle du profane.
Une image me vient aussi, celle d’un édifice brisé en fragments et qu’il me faut reconstituer étape par étape
pour qu’il devienne, redevienne sens et unité. Travail laborieux de construction de soi-même, mais nécessaire :
les fondements de l’édifice sont apparents aujourd’hui, ils seront bientôt cachés, mais ils doivent être entrepris
dans les règles de l’art, étape par étape, qu’ils soient solides, afin d’éviter qu’un jour l’édifice ne s’écroule.
De l’ombre vers la lumière, très progressivement, pour éviter un brutal aveuglement, être suffisamment stable
et sécurisé pour ne pas sombrer vers la folie. L’aide apportée par l’instructeur génère également, de par cette
rencontre, un complicité, une communion, le mot sacré qui, décomposé, puis recomposé, permet de comprendre sa signification ; le préfixe Beth signifie, avec, dans et Aaz exprime la force : En nous, la Force. Cette
force, c’est la capacité intérieure qu’il nous faut maîtriser et développer pour entreprendre le long chemin de
la connaissance.
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Le plaisir de la relation d’Amour
Hervé Bab∴
Arcane 6 - L’Amoureux
L’apparition de l’Amoureux indique le moment où on cesse d’imaginer
ce qui nous plairait pour commencer à faire ce que l’on aime. Il symbolise
l’union et la désunion, les choix sociaux et émotionnels. Ses personnages
représentent les trois instances de l’être humain : l’intellect, l’émotionnel
et le sexuel, qui doivent s’unir, sous les rayons cosmiques dont Eros est le
messager.
Si l’Amoureux s’arrête à la gamme des relations, il risque de se couper
du monde, de tomber dans le narcissisme et la fusion.
« Je suis la conscience qui brille comme une étoile de lumière vivante au
centre de votre cœur. Je ne suis pas la gentillesse, je ne suis pas l’ambition
du bien-être, je suis l’amour inconditionnel. »
L’Amoureux, VIe arcane majeur du Tarot de Marseille ne m’est pas inconnu totalement. Il est souvent venu ponctuer ma vie, amoureuse d’ailleurs, car, c’est un conseil que je donne en passant aux jeunes célibataires de l’Atelier,
tirer les cartes est une bonne technique de séduction.
Et quand, inversement, il arriva de m’abandonner aux jeux des pythonisses, cette lame sortait très fréquemment
dans les lectures qu’elles faisaient de mon destin. Les amatrices voulaient ainsi me convaincre que le dévolu qu’elles
avaient jeté sur moi était inéluctable, les professionnelles racontaient la classique interprétation d’un choix nécessaire, entre les plaisirs légers et éphémères d’un côté, et de l’autre la Vertu d’apparence moins séduisante mais plus
féconde à terme … Autrement dit, à gauche du personnage, la jeune fille en fleurs, et à droite une femme plus mûre,
coiffée d’un chapeau feuillu. Le feuillage est en effet pérenne contrairement aux fleurs et la couleur verte renforce
cette idée alors que l’orange de la couronne fleurie de la jouvencelle renvoie au plaisir transitoire. Ces feuilles vertes
qui coiffent la douairière sont-elles des feuilles d’acanthe ? Je n’irai pas jusque là car le dessin n’est pas significatif
mais rappelons que chez les Grecs antiques, ce feuillage était symbole d’immortalité qui aimait à pousser dans les
urnes funéraires. Mais puisque nous sommes chez les Grecs, évoquons ma dernière rencontre avec l’Amoureux, il
y a quelques années maintenant, en Loge alors que j’étais Compagnon. Notre Frère François avait fait un travail
sur cette Lame, en allant évidemment bien au-delà du discours cartomancien posant la nécessité d’un choix entre
la légitime et l’illégitime. Si je me souviens bien, il nous avait traité –déjà- de la mémoire et de l’oubli, de la voie solaire, dextrogyre, introduite par les mystères d’Eleusis et conduisant vers Aléthéia, la fontaine de jouvence. Nous
cheminons là davantage dans les profondeurs symboliques qui nous intéressent cette année mais relevons quand
même qu’il ne faut pas sourire de nos sorcières modernes lesquelles traitent ce sujet en surface parce que telle est
simplement la demande de leurs clients. Ce que nous appelons le monde profane ne serait-il pas simplement la périphérie du monde tout court ? C’est en nous dirigeant vers le Centre que la sacralité du monde devient plus manifeste. Charles Baudelaire disait : « La Nature est un Temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses
paroles ».Mais pour l’initié qui s’avance à l’intérieur de ce Temple, les paroles deviennent de moins en moins obscures.J’ai étalé la série de cartes, les ai associées deux à deux. J’éprouve le sentiment respectueux d’être dans une cathédrale de papier face à de magnifiques vitraux. J’ai relu les notes prises depuis que nous avons ensemble entamé
cette traversée sur ces lames qui viennent battre notre conscience.
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L’Amoureux porte bien son nom qui introduit une dimension relationnelle puisque l’on voit apparaître trois personnages humains dans une mise en scène plutôt paisible, plutôt heureuse. La trinité diabolique évoquée il y a peu
semble, en comparaison, comme un reflet disharmonieux, déséquilibré, immature, pulsionnel …
Ici, donc, un jeune homme, les pieds en équerre, comme le Bateleur. Et d’ailleurs, comme celui-ci, sa main droite
est à la taille. La gauche, par contre, ne se lève pas vers le ciel et ne tient plus, comme un bâton ou un sceptre, quelque
instrument porteur d’influx céleste. Cette main désormais, est baissée vers le ventre de la jeune femme, son sexe
peut-être. Pour s’en saisir ou s’en écarter ? Pour transmettre l’influx vital du Ciel vers la Terre ? De l’Esprit dans la
Chair ? Et d’ailleurs, derrière l’Amoureux, le sol n’est-il pas comme labouré, ensemencé ? Le Bateleur, lui, se situait
dans une nature manifestement plus sauvage, vierge, à défricher et à cultiver peut-être. Nature qui, en tout cas, est
réapparue déjà à quelques reprises, en arrière-plan de l’Arcane sans nom, avec un aspect hivernal d’Œuvre au Noir,
de l’Empereur et de Tempérance, dans des tonalités où l’azur, le spirituel, surplombait toujours la matière. Avec la
Maison-Dieu, les représentations de la Nature placeront désormais la couleur verte au-dessus de l’azur. Est-ce à dire
que la matière est désormais spiritualisée, travaillée de l’intérieur par l’esprit?
L’Amoureux serait donc une carte de jonction, terminant un cycle, celui amorcé par le Bateleur, où l’Esprit et la
Matière s’unissaient de par la volonté du premier, pour en commencer un autre où ce serait la seconde, transmutée,
qui désormais prendrait le relais ... Inspiration, expiration, les nôtres ou celle de Brahma, systole, diastole, celles de
notre cœur ou de celui du Monde, manifestations organiques si simples, si fondamentales, si riches d’enseignements
que toutes les traditions y recourent métaphoriquement. N’oublions pas toutefois que si l’une ne va pas sans l’autre,
elles ne sont pas identiques. L’oxygène inspiré ne sera plus présent dans le souffle réémis mais se sera transmuté en
pensée…
C’est donc ainsi et ici, Vénérable Maître et Mes Très Chers Frères, que me conduit la méditation sur l’Amoureux.
Aussi, je dirai qu’il s’agit moins d’un choix que d’une acceptation et la mise en perspective des trois personnages
me paraît illustrer ce propos : la jeune femme est légèrement derrière notre jouvenceau, la plus âgée devant lui. Ce
sont les étapes de la vie : la jeunesse va s’éloigner, la sagesse va venir. Après avoir sacrifié – au sens étymologique de
faire du sacré – au plaisir de la célébration amoureuse charnelle, la saison des fleurs et des parfums enivrants, et
avoir peut-être ainsi transmis la vie, le jeune homme est appelé désormais à aller plus loin. A passer d’Éros, qui surplombe la scène et pointe d’ailleurs vers la jeunesse, à Philia voire Agapè, des formes d’amour plus spirituelles …
Le danger serait de refuser cette acceptation, de refuser de suivre le fleuve de la vie et vouloir demeurer éternellement
dans les plaisirs d’une illusoire jeunesse. Mais, cette jeunesse, il ne faut pas non plus oublier de la vivre lorsqu’elle
est encore là sous peine d’être exposé ensuite aux tourments et tentations de Faust.
Mais continuons car il y a un quatrième personnage dans cette lame, cet ange au dessus de notre trio. Il a l’apparence
d’un chérubin tel qu’on les représente à partir de la Renaissance. U chérubin ? Ce serait alors un gardien, comme
ceux que l’Éternel poste au jardin d’Eden, une fois qu’Adam et Ève furent invités à le quitter. Est-ce l’Eden alors,
cet étrange soleil que garde le chérubin ? Faut-il, dans cette hypothèse, comprendre le message comme signifiant :
« va dans le monde, jeune homme, maintenant que l’Esprit a fécondé la Matière, et que par toi, l’espèce humaine,
la Conscience s’est manifestée … ». Propos que nous pourrions rapprocher des paroles que l’Éternel adresse à celui
qui va devenir Abraham : « va t’en pour toi de la maison de ton Père, vers la terre que je te montrerai. »
Mais l’attribut caractéristique du Chérubin est l’épée flamboyante et ici nous avons l’arc de Cupidon. Aussi, je
pencherai davantage vers la symbolique de ce personnage qui, en grec, se nomme donc Éros.
Rappelons brièvement ce qui dans la mythologie d’Éros peut nous intéresser particulièrement ici : Psyché - qui signifie l’âme ou le psychisme- était une jeune et belle princesse, adorée par son peuple qui délaissait les autels
d'Aphrodite. Celle-ci, jalouse, commanda à son fils Éros de la rendre amoureuse du mortel le plus méprisable qui
soit. Mais le dieu tombe lui-même amoureux et, ayant fait promettre à Psyché de ne jamais chercher à le voir, il lui
rend visite toutes les nuits dans l'obscurité de la chambre puis la quitte avant l'aurore. La jeune femme apprécie de
plus en plus les étreintes et les mots doux qu'ils échangent alors. Mais ses sœurs, jalouses, lui suggèrent que son
amant pourrait être un monstre. Terrifiée à cette idée, elle profite du sommeil d’Éros pour allumer une lampe à
huile afin de percer le mystère. Elle découvre alors le jeune homme le plus radieux qu’elle ait jamais vu. Mais une
goutte d'huile brûlante tombe sur l'épaule du dieu endormi, qui se réveille aussitôt et s'enfuit, furieux d'avoir été
trahi. On conseille à Psyché de tout faire pour reconquérir l'amour d'Éros. Alors la princesse part à la recherche de
son amant. Après bien des épreuves, elle atteindra son but, épousera Éros et sera invitée à boire l’ambroisie de l’immortalité.
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Ce mythe me semble être un commentaire tout à fait adapté à une lecture de notre arcane. Les lames du Tarot sont
comme nos rêves, le moindre détail y revêt sûrement une ou plusieurs significations. Et les différents personnages
qui y apparaissent sont souvent aussi des représentations de nous-mêmes ou de parties de nous-mêmes …
Ici, nous aurions une formulation classique ternaire, corps, âme, esprit. Le jeune homme serait Psyché, notre âme,
qui pourrait demeurer fixée dans l’adoration que lui voue son peuple, la jeune fille, le corps, les plaisirs du monde,
alors que l’immortalité consisterait, sous l’influence d’Éros, à renouer avec l’Esprit dont les caresses sont autrement
plus gratifiantes à condition toutefois de vaincre ses peurs et de s’abandonner en confiance à cet appel.
Relevons maintenant l’analogie de composition entre cette lame VI et la lame XX, le Jugement : trois personnages
et un ange qui les surplombe. Est-ce qu’il faut y voir comme un achèvement, un accomplissement du cheminement
qu’entame notre jeune homme amoureux ? Je n’irai pas plus loin aujourd’hui et laisse à notre Frère Pierre-Henri
le soin de voir s’il y a ou non utilité à un tel rapprochement et de quelles manières. Notons tout de même un détail
curieux : en bas de notre lame VI, encadrant son nom, LAMOUREUX, il y a onze petits traits. La onzième lame
est la Force et là, nous trouvons également des petits traits, il y en a vingt… Mais peut-être je m’égare …
Continuons. J’évoquais il y a un mois, la dimension chevaleresque que me semblait intuitivement contenir cette
lame. Comme si ces deux femmes habillaient le jeune homme, le préparaient avant qu’il ne s’en aille au combat, le
combat de la vie, et ne devienne, pourquoi pas, ce chevalier, ce roi en armure figuré par la lame VII, le Chariot. À
moins qu’elles ne le déshabillent ? N’est-il pas d’ailleurs déjà à moitié nu ? Car ce qui d’emblée frappe aussi dans
cette image, c’est la sensualité, ce sont ces mains que de nos jours l’on qualifierait de baladeuses.
Aussi, ce jeune homme, appelé l’Amoureux, vêtu d’une chemise plissée évocatrice de la “camisia” du chevalier qui
va être adoubé ou bien d’une tunique de troubadour, est peut-être livré à une épreuve initiatique, l’asag.
L’asag, au moyen-âge, était en effet un jeu érotique de l’amour courtois consistant à créer une tension extrême par
la vue et le toucher. Ainsi, par exemple, comme épreuve ultime, la femme pouvait imposer au chevalier de passer
une nuit ensemble, nus, sans aucun acte charnel. Cette technique de sublimation spirituelle de l’énergie érotique
n’est pas sans rappeler les pratiques orientales du tantrisme tibétain ou du saktisme hindou. Il n’est pas impossible
que les Templiers aient utilisé de tels rituels, leur “idole”, Baphomet, renvoyant peut-être en langage codé, à Sophia,
le principe de Sagesse.
Mais l’on pensera évidemment et surtout aux Fidèles d’Amour, organisation initiatique dont le membre le plus célèbre fut Dante Alighieri. Car, parmi ces Fidèles d’Amour, il fut aussi un certain Guido Guinizelli qui évoque son
expérience initiatique avec sa Dame en ces termes que je trouve particulièrement troublants à la lueur du travail
qui va suivre : « Elle passe par les yeux, comme fait le tonnerre, qui blesse par la fenêtre de la tour, et brise ou fend, ce
que trouve dedans. » (cité par L.Valli)
Ces expériences initiatiques semblaient en effet fort redoutables, potentiellement mortelles, qui visaient à produire
une profonde fracture intérieure et Dante les décrit pareillement. Également intéressante, l’allusion de Giordano
Bruno, lui-même initié, qui décrit « cette mort d’amants, qui procède de la joie suprême, et que les kabbalistes appellent
mors osculi, laquelle est vie éternelle, que l’homme peut préparer dans le temps et réaliser dans l’éternité. » Enfin,
Julius Evola, grâce auquel j’ai eu accès à toutes ces informations, fait remarquer que n’est pas anodine l’expression,
dans le langage populaire, des “yeux assassins” … Un chanteur contemporain parlait, lui, des “yeux revolver”.
Nous retrouvons là ce que j’évoquais au début de ce travail, à savoir que tout est lié, des plans périphériques de la
manifestation universelle jusqu’à son centre subtil duquel elle se déploie et que ce qui peut paraître anodin, futile
ou léger est toujours malgré tout en correspondance avec les secrets les mieux gardés.
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N’est-ce pas ce que nous venons de voir, en effet, notamment par les considérations sur les initiations utilisant
l’énergie sexuelle ?
« Je ne suis pas la gentillesse, je ne suis pas l’ambition du bien-être, je suis l’amour inconditionnel »
Nous conclurons donc que l’Amoureux est une lame plus redoutable qu’elle ne paraît de prime abord et que sous
sa dénomination et son iconographie sympathiques, se cachent de puissants mystères dont Edouard, avec la Maison-Dieu, va probablement nous développer bien d’autres aspects.
Bibliographie :
C. Baudelaire, le spleen de Paris, Ed. Garnier, Paris 1997
C. Fauriel, Histoire de la poésie provençale, Paris, 1846
J. Evola, La métaphysique du sexe, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, 1989
L.V alli, Il linguaggio segreto di Dante e dei Fedeli d’Amore, Rome, 1928
G. Bruno, Des Fureurs héroïques, Ed. Classiques de l’humanisme, Paris, 195
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Edouard Bot∴
Arcane 16 - La Maison-Dieu
La Maison Dieu montre qu’ouverte au ciel, la dimension matérielle de
la vie ensemence la terre ; montre que ce qui était enfermé sort à l’extérieur. Et s’il fallait cesser de chercher Dieu au ciel, et plutôt le trouver
sur la terre ?
Sans l’amour qui illumine, sans la relation qui unit, La Maison Dieu
serait une séparation, une perte.
« Croyant défendre un territoire intérieur qui n’appartienne qu’à moi,
de quoi étais-je maître ? Lorsque l’énergie a surgi je me suis ouvert en
haut comme en bas. »
Si dans une de ses conférences Borges disait qu’il y a quatre façons de lire la Divine Comédie, combien de sens s’offrent à nous dans chaque arcane du Tarot ? Si l’image s’adresse à nous tous, elle s’adresse surtout à chacun d’entre
nous en particulier. Du sens direct au sens intuitif, du sens personnel au sens contextuel, sans oublier les sens particuliers, tout est ouvert.
Le temps écoulé entre mon travail sur la Papesse et aujourd’hui la Maison Dieu m’a permis de me rendre mieux
compte - au-delà de trouver pour un arcane donné une définition en fonction de ma sensibilité et de ce qui s’inscrit
dans un ordre donné - de la nécessite de connaître les arcanes dans leur globalité en même temps que dans leurs
plus infimes détails ; ceci pour, mieux qu’une définition secrète, en donner une définition la plus sublimée possible.
Jodorowsky ne transige aucunement quand il dit que le Tarot a la valeur que nous lui donnons. Si nous sommes
médiocres, nous le chargerons de valeurs superficielles. Les symboles ne disent rien de précis ; nous devons les charger de toutes sortes de significations, en donnant à leurs contenants des contenus qui les dépassent. Nous devons
aller voir l’invisible du visible, nous laisser porter par le mystère, par notre imagination, en ayant toujours à l’esprit
que nous sommes unis à la Transcendance qui nous dépasse par l’Immanence qui est en nous. L’étude symbolique
des arcanes peut nous permettre, dans une certaine mesure, de déboucher sur une interrogation de notre inconscient.
Par notre travail initiatique nous pouvons changer notre regard et observer les choses d’un point de vue cosmique,
infini et éternel. Camus dit dans L’énigme : « Chaque artiste, sans doute, est à la recherche de sa vérité. S’il est grand,
chaque œuvre l’en rapproche ou, du moins, gravite encore plus près de ce centre, soleil enfoui, où tout doit venir brûler
un jour. »
La Maison Dieu … Est-ce une église ? Non, ce serait alors la Maison de Dieu. Un hôpital ? Ce serait l’Hôtel Dieu.
Une maison alors ? Non car c’est une tour qui est représentée.
Nous entrons là dans la symbolique importante s’il en est de la tour, et qui ne peut, à coup sûr, qu’être au centre de
notre lecture de cet arcane. Sur un plan symbolique la tour traduit un désir d’élévation : à partir du Moyen-âge
chaque ville tenait à sa tour, qui rivalisait en hauteur et en beauté avec celle de la ville voisine. Sa construction verticale symbolise la volonté humaine d’atteindre les cieux, c’est à dire les dieux. À l’heure actuelle , la Tour de Khalifa
à Dubaï (828 mètres), le projet de Tokio Mother (1321 mètres) et d’autres plus hauts encore nous montrent que
cette volonté perdure. Mais le symbole de la tour illustre plus une création mentale et spirituelle que physique et
matérielle, même si ici la couleur en majeure partie chair de la tour sur la carte l’identifie bien à une œuvre humaine
et non pas divine.
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Les deux lectures symboliques archétypales qui me viennent tout de suite à l’esprit sont la Tour de Babel et la métaphore de la Tour d’Ivoire.
Peut-on voir une référence à la tour de Babel dans cet arcane, je ne le crois pas ; pas plus qu’y voir la foudre du Très
Haut. Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, la tour que nous voyons n’est pas une tour foudroyée, et la
Tour de Babel elle-même, que les hommes ont décidé de construire, dont le sommet devait rejoindre le ciel, acte
d’orgueil démesuré ou acte d’amour pour se rapprocher du Créateur n’est pas foudroyée non plus. Dieu ne foudroie
pas ce projet irréalisable, il crée seulement la diversité des langues pour séparer les hommes. Sanction bénéfique ou
maléfique. Mais si aucune des langues de la planète n’est parfaite, la langue originelle, basée probablement sur une
relation directe objet/cerveau humain par le truchement des symboles de la nature, interprétés intuitivement, était
peut-être ce langage que nous cherchons tant à retrouver …
Même si la Tour de Babel n’est pas la tour que montre cet arcane, les conséquences de sa construction pour l’homme
sont tout de même au centre de notre travail de ce soir. « Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes
mots » dit la Bible. « Comme les hommes se déplaçaient à l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils
s’y établirent » Et plus loin : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisonsnous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! »
La tour était-elle le symbole de l’orgueil humain, qui veut se passer de Dieu, correspondait-elle pour certains à un
désir d’élévation vers lui ? Les raisons de construire n’étaient peut-être pas les mêmes pour les bâtisseurs, mais tous
travaillaient dans une même effervescence ; et Dieu mit en route la plus efficace “des machines à perdre”, l’incapacité
de se comprendre. « Et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre » termine la Bible.
Subsista pour l’homme la nostalgie de quelque chose de perdu, que nous essayons de retrouver …
On peut se poser la question sur le pourquoi de la confusion des langues, car ce fut un évènement incisif de l’évolution humaine et essentiellement spirituel. Les hommes, de même origine spirituelle, formaient une unité et malgré
des différences individuelles tendaient vers un ennoblissement. Mais peut-être, (et n’oublions pas le Diable de l’arcane XV, situé juste avant la Maison Dieu) le développement de l’intellect, qui devait permettre à l’esprit de dominer
la matière, développement prévu dans le plan divin, a-t-il dévié et s’est-il développé en se focalisant de manière excessive sur la matière, bouleversant l’harmonie conforme aux lois de la nature et rompant ainsi les rapports de l’Esprit avec sa patrie de Lumière.
La symbolique de la tour, qui nous a amené à la Tour de Babel, se retrouve quelque peu dans la métaphore de la
Tour d’Ivoire : s’enfermer dans sa Tour d’Ivoire c’est l’orgueil de l’être humain qui croit pouvoir se passer de Dieu
et des autres en s’isolant dans ce lieu surélevé, cette retraite, refusant tout contact et tout engagement ; séjour idéal,
loin de l’agitation du monde et de l’agitation des masses qu’il méprise …, dans cet abri fait d’une matière rare, pour
y savourer en paix les exquises douceurs de la rêverie et de l’étude …
Mais l’Ivoire est aussi la matière dont est faite la porte qu’emprunte Ènée dans l’Ènéide de Virgile pour quitter le
monde souterrain : c’est la porte des songes trompeurs. « Il y a deux portes du Sommeil » dit Virgile, « l’une, diton, est de corne, par laquelle les Ombres vraies trouvent une issue facile ; l’autre, brillante, faite d’un ivoire éblouissant
de blancheur, mais par où les Mânes n’envoient vers le ciel que des fantômes trompeurs. »
Je crois que dans l’arcane seize, la tour représente la forteresse de notre Ego. Les créneaux marquent l’achèvement,
la fin de l’œuvre. Par leur couleur et leur fonction ils correspondent bien à la totale présomption humaine, à la suffisance et la prétention de celui qui dans une complète illusion se dit “voilà mon œuvre, je suis arrivé !”. Et si les trois
fenêtres évoquent le ternaire sacré elles sont closes et signifient l’enfermement.
On se croit à l’abri, et puis tout bascule : tout à coup, l’homme est atteint dans cette illusion où il se trouve enfermé ;
son œuvre n’est pas détruite : la base demeure intacte, seul le sommet est touché. C’est le mental qui lâche prise, la
couronne qui se soulève et une flamme qui semble être descendante pénètre dans la tour, représentant la capacité
de l’individu à entrer en fusion avec le divin, le luminaire sur le coin droit de l’image, avec ses trois cercles traditionnels : le cercle extérieur dans lequel rien n’existe, le cercle médian de l’incarnation, et le cercle, jaune ici, de l’illumination.
Le sens dans lequel se déplace la flamme a une grande importance dans le décryptage de cet arcane et c’est un des
axes qui va orienter notre réflexion. Si la flamme est montante nous sommes dans l’immanence platonicienne ;
descendante, dans la transcendance aristotélicienne : les deux personnages de l’arcane sont-ils allés vers la flamme
ou est-elle venue sur eux ? Il y a certainement des deux : chacun d’entre nous peut, par ses propres forces, entrer
dans l’état de conscience où il est illuminé par la lumière du divin, car si la Maison Dieu n’est pas la maison de dieu,
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c’est le lieu dans lequel réside la conscience … et Dieu ; et la couleur chair nous indique bien que cette tour est
notre corps et que notre corps contient la divinité.
Ce qui est évident dans l’image c’est que les deux personnages sont sortis de leur tour d’ivoire. Leur chevelure
jaune est bien le signe de l’illumination, ainsi que les couleurs de leurs vêtements qui rappellent ceux de la flamme.
La scène représente leur prise de conscience.
Les deux personnages ne sont pas tombés, sinon de leur piédestal ; ils ont la tête en bas, comme le Pendu, car ils
voient maintenant les choses différemment ; le monde leur apparaît dans une toute autre dimension. Ils voient
l’immanence de dieu dans tout ce qui les entoure et prennent contact avec la puissance de la terre en touchant tous
deux de leur main droite les plantes qui poussent sur le sol.
Ils sont sortis de la caverne et leur nouvelle vision des choses fait que tout autour d’eux se colore d’orange, de bleu,
de vert … Les boules multicolores confèrent à l’arcane une dimension apocalyptique, celle de la révélation ; tout
semble tourner, et l’ordre des choses est bouleversé.
On ne sait pas si ces boules sont des particules qui tombent de la flamme et qui tournoient, mais elles sont de
couleur bleu, jaune, rouge et verte, quatre des cinq couleurs de la flamme. Seules des boules de couleur chair manquent ; et justement dans la flamme la seule couleur chair est dans cette sorte de tête fœtale qui pourrait représenter
l’embryon de l’homme nouveau, issu de cette nouvelle conscience : l’être humain qui s’associe aux autres couleurs
de la nature. Les boules sont au nombre de trente sept. Or 3+7= 10, et dix est le symbole de l’éternel recommencement car 10 c’est 1+0, c’est à dire 1, le retour à l’origine. Et l’arcane XVII, l’Étoile, qui suit la Maison Dieu, incarne cette re-création du monde ; c’est bien un retour aux origines après le bouleversement de la Maison Dieu, un
retour à l’état primordial. C’est un hymne à la terre, la fertilité qui surgit, car les personnages de la Maison Dieu
étant devenus généreux deviennent source intarissable. Et si l’on veut voir dans cette Maison Dieu la chute de
l’homme primordial, créature divine parfaite, dans le monde de la matérialité, Pandore qui ouvre la boite dans laquelle étaient emprisonnés tous les maux et toutes les malédictions, on peut y voir aussi le départ pour une remontée
de Malkuth, la terre, vers Ketter, la couronne, à travers les sephiroths de l’Arbre pour retrouver l’état originel,
l’Adam Kadmon.
La Maison Dieu entre Hod, la Gloire, et Netzah, la Victoire, est coupée à angle droit par la Tempérance dans la
ligne centrale qui va du Royaume vers la Couronne. C’est le retour à soi, entre le désir de pouvoir et le Feu divin.
Les deux personnages expulsés de la tour par l’Illumination se trouvent maintenant devant les trois échelons initiatiques blancs qui vont les conduire à ce nouveau Temple qu’ils vont construire. En acceptant la nouvelle connaissance d’eux-mêmes, ils arriveront devant la porte verte, symbole de la renaissance de la nature et de sa pérennité,
de la renaissance de l’âme. Cette porte est marquée d’une demi-lune en forme de coupe, comme une fleur, symbole
de réceptivité. La Maison Dieu se rattache ainsi à la Roue de Fortune, montrant que l’on ne peut s’opposer au perpétuel changement de la réalité : une clôture du passé dans une attente de l’avenir. Pour l’homme, achever la tour
en posant des créneaux, c’était s’opposer au changement, à l’évolution constante des choses, au principe de vie. Le
mot Dieu de l’arcane XVI venant après le mot Diable du XV nous indique tout le bénéfique de cet arcane, et l’association de la Maison Dieu avec l’Amoureux nous indique maintenant l’engagement sur la voie de l’Amour : les
deux petits personnages entravés , aux pieds du diable, se sont libérés et semblent ravis de toucher la terre.
L’Amoureux et la Maison Dieu sont d’une complémentarité indispensable : l’Amoureux, pris entre deux relations,
physique par le toucher et intellectuelle par le regard, a besoin de l’illumination et de la libération de la Maison
Dieu pour ne pas être un corps sans esprit ou un esprit sans corps ; et la Maison Dieu, sans l’Amoureux risque de
provoquer un isolement en perdant ce centre relationnel qu’est l’Amour.
Universalité du symbole, on est frappé par une certaine similitude entre l’image de la Maison Dieu et celle de la légende de Sainte Barbe, (3e siècle de notre ère) patronne de tous ceux qui exercent un métier en rapport avec le feu
… et des Alchimistes. Sainte Barbe, qui serait née à Nicomédie, Turquie actuelle, est toujours représentée près d’une
tour, que beaucoup voient comme un athanor, creuset des transmutations physiques, morales ou mystiques. Enfermée par son père (Dioscure ou Dioscore) dans une tour pour la soustraire aux sollicitations du monde, elle se
convertit au catholicisme durant une absence de son père et fait percer une troisième fenêtre à sa tour, qui en comportait deux, pour symboliser la Trinité. Arrêtée, torturée, elle est décapitée par son père qui est aussitôt frappé
par la foudre.
Ce n’est peut-être pas fortuit si le meurtrier de Sainte Barbe s’appelle Dioscure et si la mort de celle-ci sur le plan
physique, aussi bien que sa mort et sa renaissance sur le plan spirituel par sa conversion, peut donner le jour aux
deux personnages de l’arcane Maison Dieu, qui semblent sortir de cette tour maternelle dans la position des enfants
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nouveaux-nés, promesse de fécondité, et à l’image des Dioscures Castor et Pollux, fils de Zeus, nés dans un œuf,
se partagent l’immortalité, vivant six mois aux enfers, six mois dans l’Olympe, et donnent naissance à la constellation des Gémeaux, dont l’une des principales étoiles se cache lorsque l’autre paraît.
Ils représentent le dualisme de toute manifestation première et promesse de l’Homme nouveau.
Beth-el en hébreu est la maison d’Hel (la maison de Dieu), nom donné par Jacob au lieu où il eut le songe dit de
l’échelle de Jacob, qui représente la montée par degrés du monde terrestre des perceptions et de l’expérience vers
le monde des sphères supérieures. Qui permet à l’esprit spéculatif de s’élever sur l’échelle de la connaissance jusqu’à
ce qu’il accède au Créateur de l’Univers.
Pour que cette tour devienne la maison d’Hel il faut qu’il y ait l’union du masculin et du féminin ; et l’énergie de
la flamme descendante, qui symbolise le masculin, va pénétrer la matière offerte de la tour pour donner un temple,
un sanctuaire habité de Dieu, la Maison Dieu.
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2 Mars 2010
Fabrice Gam∴
J’étais dans les Ténèbres et j’ai désiré la Lumière.
La société dans laquelle nous vivons n’est qu’à demi-civilisée. Les vérités essentielles y sont encore entourées d’ombres, de préjugés et l’ignorance la tuent, la force y prime le droit. La plus grande somme de vérités et de lumières
ne saurait donc mieux se rencontrer que dans les Temples maçonniques, consacrés au travail et à l’étude par des
hommes éprouvés et choisis.
« J’étais » : l'imparfait du verbe être est un temps simple du mode indicatif, c’est-à-dire qu'il présente une action
réelle et la situe dans le temps.
Le verbe désirer possède un sens fort et profond. Il est utilisé pour désigner le mouvement par lequel on aspire à
posséder une chose, un objet, un être humain ou à en faire usage. Le désir est associé à un manque (on désire ce que
l'on n'a pas). La quête de l'avoir permet souvent un accroissement de l'être : en comblant un manque, on va avoir
mais aussi devenir. Il y a donc opposition entre avoir et être.
Étymologiquement, désirer vient du latin “desiderare” : regretter l'absence. Désirer la lune serait donc le propre du
désir ? Le désir porte–t- il sur un objet impossible à atteindre ? L'échec serait donc obligatoire ! Est - ce que le désir
est impossible à atteindre ? Quelqu'un qui ne désire rien peut-il vivre ? Quelle est la fin du désir ? Est-ce la même
chose de désirer un objet inanimé, un être humain, un symbole ? Quel est le rapport entre le désir et la sagesse (=
fin de la philosophie) ? Le désir peut-il être responsable, sage ?
Voici, tant de questions qui laissent le choix à chacun de donner le sens qu’il souhaite au verbe désirer. Dans le
passé, je vivais dans l’ignorance. Aujourd’hui, je ne veux plus subir, mais être actif, comprendre en cultivant mon
jardin tout en le partageant. Ainsi, je désire.
En tapant à la porte du Temple Regius, « j’ai désiré » la Lumière afin d’y trouver des Vérités.
Ce chemin initiatique débuta le Mardi 20 Octobre 2009 à 19h30 dans la première épreuve de mon initiation. En
effet, je ne me suis pas arrêté au premier sens étymologique du mot « Ténèbres » tel que le monde profane ou religieux veut nous le démonter. Il existe une étroite liaison entre l’épreuve de la Terre et les Ténèbres.
La citation de l’écrivain d’Oswald WIRTH « L’Esprit doit s’emprisonner dans les entrailles de la Terre où ne s’infiltre
aucun rayon du jour extérieur » extraite du livre La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, permet de
mettre en évidence l’importance et la valeur positive des ténèbres dans le Cabinet de Réflexion. Le terme
V.I.T.R.I.O.L «Visita Interiora Terrea Rectificando Invenies Occultum Lapidem» illustre cette citation car elle traduit, la découverte initiale de soi-même. Cette inscription marque la présence de symboles qui indiquent les premiers pas du profane dans la voie de la Connaissance.
Ainsi, j’ai reçu la Lumière Maçonnique conformément à la tradition de l’Ordre, sur « l’Autel des Serments ».
En effet, j’ai prêté serment sur les trois Grandes Lumières que compose notre Ordre.
Le Volume de la Loi Sacrée qui est caractérisé par la Bible, ouverte à l’Evangile de Saint Jean, au prologue :
« Au commencement était la parole, et la parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement
avec Dieu. Toutes les choses ont été faites par elle, et, rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et
la vie était la lumière des hommes. La Lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue »
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L’Equerre : utilisée par le maçon qui taille la pierre pour la rendre cubique afin qu’elle s’imbrique plus harmonieusement dans un ensemble afin de le rendre plus solide. Elle est symbole de rectitude et d’équité, elle représente l’espace terrestre. Elle servira d’outil pour façonner l’homme maçon dans sa quête d’harmonie et de raisons.
Le Compas : cet outil sert à tracer des cercles. Il symbolise le ciel et l’intelligence de l’homme par sa libre interprétation et appréciation des choses et des êtres.
Ces lumières caractérisent le symbole de l’activité du maçon franc qui accepte d’être bâtisseur, un constructeur,
voir, un bâtisseur d’hommes, car les outils manifestent l’homme lui-même dans son essence, dans sa dimension
proprement humaine, parce que l’outil est le signe de l’intelligence humaine.
Outre l’opposition que le monde profane nous incite à faire ente le noir et blanc, les Ténèbres et la Lumière, le jour
et la nuit. Le pavé de mosaïque symbolise comme le Yin et le Yang cette complémentarité.
Dans la philosophie Chinoise le Yin et le Yang représentent deux caractères complémentaires que l’on peut retrouver dans les aspects de la vie et l’univers. Cette notion de complémentarité est propre à la pensée orientale qui
pense plus volontiers la dualité sous forme de complémentarité.
Le symbole du Yin et du Yang, le “taijitu” (souvent entouré de 12 hexagrammes) est bien connu dans le monde occidental depuis la fin du XXe siècle. Le yin représente entre autres, le noir, le féminin, la lune, le sombre, le froid, le
négatif, etc ... quant au yang, il représente entre autres le blanc, le masculin, le soleil, la clarté, la chaleur, le positif,
etc ... Cette dualité est également associée à de nombreuses autres oppositions complémentaires.
Ainsi, il faut être conscient que tout homme possède la Lumière. Il faut savoir la trouver et la cultiver. Peu importe
le degré maçonnique, la Lumière comme les Ténèbres font partie de notre chemin initiatique de par leur symbolisme.
Je conclurai par la citation suivante de Jean-Paul Sartre : «Plus claire la lumière, plus sombre l'obscurité ... Il est impossible d'apprécier correctement la Lumière sans connaître les Ténèbres.»
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L’action dans le monde
Maxime Ama∴
Arcane 7 - Le Chariot
Le Chariot représente l’action par excellence, dans tous les plans, sur soi
et dans le monde. Le 7 est le chiffre le plus actif des nombres impairs. Le
Chariot sait parfaitement où il va ; pour que la conquête du Chariot soit
assurée, l’Etoile doit s’enraciner pour la prospérité et la purification de
cette conquête.
« Lorsque le Chariot s’incarne, les échecs deviennent de nouveaux
points de départ, et dix mille raisons de renoncer ne valent rien au regard
d’une seule raison de continuer. »
Si l’énergie de l’Etoile est éliminée, l’action du Chariot devient stérile.
Il ne connaît pas le don.
Au premier regard, c’est un char de parade, qui supporte simplement un personnage nouveau, qui n’est ni le Mat,
ni le Pape ni l’Empereur, mais un prince ou un roi, debout sous la voûte étoilée du dais magistral, avec le regard
lointain de ceux qui ont vécu les vicissitudes du temps et de la vie, ni heureux, ni tristes, mais quelque peu résignés.
Son visage domine le Janus à deux têtes supportées par ses épaules. L’esprit est supérieurement placé, régnant sur
le passé et sur le futur, au centre d’un présent permanent, siège de l’éternité.
Mais serait-ce bien deux visages et deux temps, car pour Pythagore, les âmes des hommes sont éternelles car
l’homme détient deux âmes, l'une d'origine terrestre, l'autre d'origine divine ; il s’agirait alors de deux plans.
Pour remonter sur nos chevaux, ceux ci ont un regard espiègle, manquant de franchise et l’on peut se demander si
ces deux rosses n’ont pas dans l’idée de débarquer leur chargement royal. Notre personnage n’assure pas la maîtrise
de son attelage puisqu’il ne tient pas les rênes, à l’image du comportement des canassons. Ceux sont eux qui semblent maîtriser l’attelage et non l’homme, tout puissant soit-il. Pour ma part, j’y vois plus la force hippomobile du
destin, que l’action de l’homme dans le monde, sauf si l’on considère que l’action de l’homme résulte de l’accomplissement de son destin.
Là se pose la question de Kant : «C’est l’homme qui fait l’histoire ou l’histoire qui fait l’homme ?» Pouvons nous
penser qu’une action divine vienne construire notre quotidien, car « l’homme est d’argile est de paille, Dieu est le chef de chantier, il démolit et construit tous les jours », selon
le sage Pharaon Aménémopé. Selon Pythagore, «le temps serait un enfant qui joue au
dés» et ce ver d’or se termine par «royauté de l’enfant». Peut-être que toute la symbolique de cet arcane n’est que la reprise imagée de ce vers, car nous avons :
le temps, représenté par les chevaux, un enfant qui est un prince en devenir de royauté,
et le dais dans lequel il joue sa propre comédie humaine.
Selon la définition des classiques la règle de trois unités du spectacle est respectée :
unité de temps, d’action, de lieu, et dans cette comédie de la vie nous montons tous
tour à tour sur le chariot de espis pour jouer notre propre tragédie.
Dans cette représentation picturale, les chevaux sont bleus, ailleurs ils sont rouge à la
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gauche de la carte et bleu à droite. Ils arborent ainsi les couleurs de notre Ordre le lien matériel et terrestre, associé
au lien spirituel et céleste, tendant à rechercher dans le mélange, l’équilibre des forces de la passion et de la raison,
pour veiller à l’accomplissement de soi. De plus le blason situé sur le capot du chariot représente une larme, peut
être versée par notre personnage sur lui-même, ou pour quelqu’un ou quelque chose qui serait perdu. Sur d’autres
représentations cette larme se transforme en deux initiales SM, pouvant signifier Sa Majesté en nous indiquant de
la sorte et très précisément qu’il s’agit d’un roi et non d’un prince, ou bien encore Souffre et Mercure.
Le dessin carré et géométrique du haut de la carte représente la perfection du plan supérieur, s’opposant ainsi au
chaos du plan inférieur, siège du monde tumultueux et de l’imparfait. L’on peut aussi s’attarder sur les quatre colonnes qui représenteraient les quatre points cardinaux, les quatre saisons, les quatre éléments ... etc.
Que puis je encore remarquer sur cette carte, que la roue de gauche comporte deux fois sept clous et que la roue de
droite aucun. Ainsi le temps du vécu serait quantifié et marqué par les événements de l’existence et le temps à venir
est inconnu en quantité et en qualité. Ces sept clous nous ramènent aussi au chiffre sept de cet arcane, chiffre des
Maîtres rendant la Loge Juste et Parfaite. Ce dais représenterait donc le lieu de la perfection dans les quatre dimensions plus une, la cinquième, dans le bleu du voile étoilé. Mais ce double sept pourrait tout aussi bien être la représentation du principe des sept vertus et des sept pêchés capitaux. La somme des trois vertus théologales : la foi,
l’espérance et la charité et des quatre vertus cardinales : la prudence, la tempérance, la force et la justice ; puis la
règle fixée par omas d’Aquin des sept pêchés capitaux qui sont l'orgueil, la gourmandise, la luxure, l’avarice, la
colère, l'envie, l'acédie ou relâchement de l'ascèse.
En tant que Franc-maçons, cela nous ramène à l’observation de la règle, à la rectitude de l’Équerre, à l’exploration
permanente de soi à l’aide du fil à plomb. C’est par l’analyse du dehors, comme du dedans, que les choix justes se
révéleront au travers du voile de lumière que l’on peut apercevoir. Si ce n’est l’action sur le monde, il s’agit surtout
de notre action dans le monde c'est-à-dire du sens que l’on donne à notre existence au travers de nos choix et des
événements choisis ou subis. Ne sommes-nous pas quotidiennement tiraillés par nos décisions et nos indécisions,
de par la crainte du mauvais choix ou dans l’angoisse du non accomplissement d’un acte que nous pensons aller de
soi. Malgré notre prudence, qui parfois se révèle être un excès de prudence, nous ne voyons pas s’accomplir ce qui
nous semblait du domaine du presque réalisé. Nous sommes les témoins et les acteurs des tours joués par le destin
non pas seulement au sens du fatum antique, mais un destin construit par les actes des hommes. Nos espoirs s’envolent, allant ainsi : de l’optimisme au pessimisme, de la pression à la dépression, du blanc au noir du pavé mosaïque,
cherchant toujours la ligne ténue du juste choix mais aussi de la faible part dans la réalisation de nos rêves ainsi que
de leur fragilité.
Dans l’interprétation du symbolisme divinatoire, cette carte représente l’accomplissement sur le plan terrestre et
spirituel, que la puissance royale, émanent du droit divin, est sensée exprimer, il peut aussi, à la suite de l’amoureux,
représenter l’amant parfait. Toujours dans cette interprétation, c’est une carte de triomphe et de gloire, elle marque
résolument un élan positif quand elle sort dans le jeu. C'est une carte garante de stabilité et de contrôle de soi. Elle
symbolise les réussites obtenues grâce au travail, à la persévérance et à la réflexion qui s’unissent dans l’action. Avec
cette carte on ne peut aller que de l'avant et dans la bonne direction, elle annonce les réussites en tout genre, c'est
la fin de l'incertitude.
Comme par un jeu de miroir brisé, son tirage inversé replace le consultant dans une lutte vouée à l'échec, surtout
si les cartes voisines sont négatives. Le consultant n'a plus confiance en lui et se révèle plutôt par sa faiblesse, son
manque de courage. Elle peut aussi révéler la présence d'obstacles insurmontables et incontournables qui ne permettront pas d'aboutir au résultat escompté. C’est le roi destitué qui n’a pu, ou l’ange déchu qui a failli ou encore
l’antimatière qui détruit la matière.
Partant de la perfection du chiffre sept symbolisant l’accomplissement parfait, la réussite en toute chose, l’on en
vient par le même nombre à tendre vers la destruction, l’inaccomplissement l’inconstruit ; toute chose possédant
tout et son contraire, comme une opposition mosaïque. Nos destinées roulent ou sont écrasées par les roues du
chariot qui s’ornent d’or pour nous maintenir dans le rêve et faire passer le fiel dans le miel. Cette dureté de la vie
d’où sortent nos existences, Albert Samain l’a traduit ainsi dans son recueil Le Chariot d'Or :
«Mon enfance captive a vécu dans des pierres,
Dans la ville où sans fin, vomissant le charbon,
L'usine en feu dévore un peuple moribond.
Et pour voir des jardins je fermais les paupières ...
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J'ai grandi ; j'ai rêvé d'orient, de lumières,
De rivages de fleurs où l'air tiède sent bon,
De cités aux noms d'or, et, seigneur vagabond,
De pavés florentins où traînaient des rapières …»
Car, comment l’accomplissement de nos destins aurait pu être le mieux évoqué au travers de peu de mots, si ce
n’est au travers d’un symbole. Il me semble que cette carte permet d’illustrer tout ce que nous pouvons dire à propos
du symbole et de sa capacité à traduire, sans mot, tout ce qui pourrait être dit par mille.
Pour en revenir à notre représentation du chariot dans le Tarot Marseillais, j’ai trouvé une autre illustration dans
le tarot égyptien, que d’aucuns considèrent comme étant la préfiguration du Tarot et qui ne serait qu’une version
pervertie de par sa traduction européenne. Alors que dans le tarot égyptien l’arcane VII représente les oiseaux et
les poissons, le chariot devient l’arcane XXI – Le Tyran.
Il ne s’agit plus d’un char de parade mais d’un char de guerre conduit par Bastet qui, selon la tradition, protége
l’homme et déchiquette le serpent du mal au pied de l’arbre sacré. C’est une carte qui révèle la rébellion contre
l’oppression et qui libérera le consultant, mais gare à manquer de discernement dans l’action, car l’épée levée peut
se retourner contre lui. Cet arcane est bien entendu précédé de la XX – La Roue qui représente la Création, au travers du tour du potier qui modèle les plantes et les êtres à partir de la glaise. Bien sûr, cela n’est pas sans rappeler la
création de l’homme par Dieu dans la tradition biblique.
Dans un autre système divinatoire lié à la tradition primordiale, chère à René Guénon , la Rune 7 représente la
lettre G (Gebo) : le chemin à suivre, les dons et cadeaux, le sacrifice et les offrandes. De son côté la Rune 19 représente la lettre E (Ehwaz) : ce dix neuf nous donne dix, soit un, l’unité primordiale. Cette rune est symbolisée par
le cheval, l'accompagnateur du char du soleil, ce même char qu’Apollon empreinte dans sa course. Rien d’étrange
à cela puisqu’Apollon s’envole à son bord pour le pays des Hyperboréens, habitants mythiques d’une terre nordique.
Selon Élien, vers 530 av. J.-C., les habitants de Crotone auraient appelé Pythagore Apollon Hyperboréen. À la fois
philosophe et magicien, si l’on se réfère à Cicéron , qui déclare que c’est un thaumaturge, c’est à dire capable d’accomplir des miracles par l’apposition des mains.
Pourtant loin de tout cela, dès que je fus saisi du sujet, je fis dans mon esprit un lien direct avec la célèbre pièce de
Bertolt Brecht, Mère courage et ses enfants, tirant sa charrette, qui est toute sa vie, sur les champs de bataille de la
guerre de Trente ans (1624). Écrite en 1939, à l’aube de la seconde Guerre mondiale et de l’avènement hitlérien en
Europe, cette pièce était pour Bertolt Brecht l'occasion de dénoncer tout à la fois la guerre, le mercantilisme, que
nous nommerions aujourd’hui libéralisme, et les religions au travers d’une guerre qui déchira la chrétienté. Tout
en tentant de vivre, ou plutôt de survivre, elle rêve de fortune, de sécurité et de destin glorieux pour ses enfants et
surtout pour son fils Eilif. Ces enfants sont pour elle source de fantasmes et de commerce mais à force de jouer sur
les limites, aveuglée par l’exercice de son négoce en toutes choses, elle finira par perdre ce qu’elle a voulu faire exister
et elle se dit alors qu’« il ne lui reste plus rien à vendre et que plus personne n’a rien pour acheter ce rien ». Cependant
elle ne renonce pas et reprend la route avec cette obstination de ceux qui, au bout du malheur, choisissent toujours
le parti de la vie.
En effet, nous formons tous pour nos proches et nous-mêmes des projets, qui souvent se transforment en chimères
au goût d’inachevé. Alliés à notre vécu, ils forment un ensemble visible et invisible de blessures qui expliquent et
structurent nos comportements, constituant ainsi notre propre psyché, créant nos peurs et nos névroses. D’ailleurs,
un auteur français conclu un de ses ouvrages par ces mots : «Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme
l’eau celle des moulins. … Telle est la vie des hommes. Quelques joies très vite effacées par d'inoubliables chagrins. …»
Car derrière nos rires et nos manières nous tentons de nous cacher à nous même et aux autres : cacher nos peurs
d’aujourd’hui et celles de demain, qui nous hantent comme la mort nous habite.
Sur le chemin de la vie, semé d’obstacles et entouré du tumulte, les obligations et les choix s’offrent à nous sans que
pour cela nous ayons besoin d’aller au devant d’eux. Ils se présentent spontanément, parfois brutalement et/ou
cruellement, à charge pour nous de comprendre et de lever les yeux afin de suivre sa bonne étoile.
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Sources :
Aménémopé est un pharaon de la XXIe dynastie, connu pour ces citations philosophiques : Livre de la sagesse
d'Aménémopé (vers -1360 av. J.C.) papyrus détenu depuis 1888 par le British Museum.
espis est un poète grec qui a vécu vers le milieu du VIe siècle av. J.-C. C'est lui qui aurait inventé la tragédie. En
-550 espis introduit en Attique un genre mi-religieux, mi-littéraire où se mêlent le chant et la danse. Il s'agit du
dithyrambe. On dit aussi que espis passait de ville en ville sur un chariot (Le chariot de espis) et qu'il jouait
les pièces de sa création accompagné d'un ou deux comédiens seulement. L’expression “monter sur le chariot de
espis” signifie embrasser la carrière théâtrale.
Fatum : qui signifie destin, a donné en français les mots et concepts de fatalisme et fatalité.
Albert Samain – recueil de poèmes Le Chariot d'Or (1901)
Les Tarots égyptiens – Laura TUAN
Bastet ou Bast : Fille du dieu soleil Rê, elle est cependant parfois considérée comme la fille d’Amon. Elle est une
déesse à double visage : sous sa forme de chatte ou de déesse à tête de chat, elle est la déesse bienveillante protectrice
de l’humanité, également déesse musicienne de la joie et déesse de l’accouchement. Elle est également réputée pour
ses terribles colères. En revanche, sous les traits d’une déesse à tête de lionne, elle s’identifie alors à la redoutable
déesse de la guerre, Sekhmet.
René Guénon – Symboles de la science sacrée (éditions Gallimard 1962)
Cicéron, Tusculanes, I, 16, 3.
Bertolt Brecht - Mère courage et ses enfants (1939) : la cantinière Anna Fierling, dite Mère Courage, accompagnée
de ses deux fils, Eilif et Schweizerkas (Petit-Suisse) et de sa fille muette, Catherine.
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Bruno Riq∴
Arcane 17 - L’Etoile
Au-delà du paraître elle n’a plus rien à cacher, elle n’a qu’à trouver une
place sur la terre. Si le Chariot pénètre dans le monde comme un conquérant, un voyageur ou un prince, l’Etoile agit sur le monde en l’irriguant,
en le nourrissant. Elle donne tout autour d’elle aussi bien qu’à ellemême sans rien demander en retour.
L’Etoile a trouvé sa place dans le monde et en elle-même, car c’est la
même chose ; elle n’a plus besoin de chercher dans l’infinie multiplicité
des êtres et des choses, elle est à sa place ici et partout.
Sans le Chariot, l’action de l’Etoile se réduit à un lieu étroit et déborde
sans rien irriguer.
En préambule au développement de cet arcane , je tiens à vous communiquer la difficulté particulière que j’ai eu à
essayer d’extraire l’essence du symbole principal exprimé. En effet je suis d’abord tombé dans l’apparente facilité
consistant à puiser dans de nombreuses recherches l’inspiration, tombant rapidement dans la communication sans
conviction des bases de l’analyse d’autrui. Puis après réflexion, il ressort que tous ces symboles sont en interactions
les uns les autres et que décortiquer un seul s’avère source d’élévation personnelle du fait de l’effort à fournir afin
d’essayer de comprendre leur signification personnelle liée les uns aux autres.
Plus concrètement :
1. Dans l’arcane XVII, l’Étoile, la Nature est tout entière représentée à travers ses quatre éléments fondateurs : la
Terre (le sol jaune), l’Eau (la rivière bleue), l’Air (l’espace et l’oiseau) et le Feu (les étoiles, astres lumineux) référence
aux quatre éléments. La lame se présente comme un hymne à la Terre. Elle incarne la création du monde, comme
un retour aux origines succédant au bouleversement provoqué par la Maison-Diev. Elle exprime la Nature à l’état
brut, dans toute sa pureté. Aucune création humaine n’apparaît à la différence de l’arcane XVI. Elle prend sens
comme un retour à l’état primordial.
2. La femme est souvent assimilée à Ève, c’est-à-dire à la première femme. Cette analogie prend sa source dans sa
nudité et dans le cadre, évoquant l’Éden. Aucun vêtement ne la recouvre ; elle est tout entière dévoilée. Cependant,
son dénuement ne procède pas, comme celui du Diable, d’une volonté d’affirmation du corps sensuel. Elle représente plutôt le dépouillement extrême et l’absence de masque. Elle situe l’individu dans l’Être et non dans le Paraître.
La nudité est ici symbole d’humilité et d’abnégation. Elle bannit, en outre, les différences sociales manifestées par
la simplicité ou la richesse des tenues vestimentaires. De plus, elle accentue la présence de la couleur chair. En regard
à la Maison-Diev, où l’homme se présentait dans sa rigidité, dans son désir d’éternité, dans son attachement à la
matière (tour couleur chair), la femme de l’Étoile incarne l’homme vivant, fort dans sa fragilité, communiant avec
la Terre Mère et ne s’opposant plus dans un combat vain et épuisant à la Nature souveraine.
3. Elle présente la même attitude physique que la femme ailée de Tempérance, la tête légèrement inclinée sur l’épaule
en signe de confiance et d’abandon. Elle en possède aussi les longs cheveux bleus. La différence essentielle réside
certainement dans l’absence de rouge. Si l’ange de Tempérance équilibrait les énergies masculine et féminine dans
une juste répartition des couleurs bleu et rouge ; la femme de l’Étoile, en dehors de sa dimension profondément
humaine, exprimée par la couleur chair, n’est que réceptivité et passivité (cheveux bleus). Elle n’est qu’un instru105
ment. D’autre part, elle est agenouillée, posture physique traduisant l’humilité. Le fait de plier les genoux, ou de
mettre un genou à terre, intervient comme une volonté d’allégeance et comme une marque de confiance en l’autre.
«Dans la symbolique astrologique, les genoux sont liés au signe du Capricorne, signe de terre en ce que la terre a de
plus lourd, de plus concentré, de plus secrètement enfoui dans ses profondeurs hivernales». Le contact tête genoux est
l’expression d’une union entre le corps (genoux) et l’esprit (tête). La position fœtale témoigne de cette unification
primordiale. Dans de nombreuses traditions, la mise en relation de la tête et du genou (position du fœtus, prière
islamique, etc.) traduit un désir d’unité, de communication et de communion des plans humain (corps) et divin
(tête).
4. L’action qu’elle accomplit rappelle également l’arcane XIV. La femme ailée de Tempérance transvase le contenu
d’un vase bleu dans un vase rouge ; la femme de l’Étoile déverse le contenu de deux vases rouges dans une rivière
bleue. Si l’attitude comporte des ressemblances, la signification symbolique de l’action est néanmoins différente
chez l’une et chez l’autre. L’ange de Tempérance évoque la communication des énergies, le principe de l’échange
parfait. La femme de l’Étoile, elle, ne met pas véritablement des éléments en relation et ne s’articule donc pas sur
un principe interactif ; elle verse, c’est-à-dire qu’elle vide et désemplit les vases pour alimenter une étendue d’eau.
En un mot, elle donne. Si Tempérance conserve, L’Étoile perd ou dispense.
D’autre part, la nature même de l’action est révélatrice de la valeur du don. Elle n’arrose pas le sol ou une terre
aride, mais elle verse un liquide bleu (eau) dans une rivière bleue. Elle accomplit une action totalement gratuite,
sans recherche de résultat et, à priori, sans fondement, ni raison. Et c’est surtout cet acte particulier, et apparemment
absurde, qui permet de s’approcher de la signification de la carte. Si elle avait versé de l’eau sur la terre, l’interprétation aurait été liée à des notions de travail, d’action en vue d’un résultat, de développement. Tandis qu’en “arrosant
de l’eau”, elle enlève toute utilité, tout aspect pratique, toute recherche de rentabilité de son action. Elle donne uniquement et elle donne sans rien attendre en retour, sans intention de profit. En cela, elle décrit la véritable valeur
du don. Il s’agit du don fait avec la seule pensée qu’il faut donner.
Les deux vases qui contiennent 1′eau sont tous les deux rouges, ce qui constitue encore une différence avec Tempérance. Ils sont donc profondément actifs et emplis d’une énergie et d’une vitalité réelle.
5. Le sol occupe une large place. Sa couleur jaune place l’arcane XVII sur un plan cosmique. Ce qui est le cas pour
toutes les lames de XVI à XX, qui appartiennent au niveau céleste. D’ailleurs, pour chacune d’entre elles, le ciel est
animé. Il y a donc expression réelle (la Lune, le Soleil, le Jugement) ou ressentie (la Maison-Diev, L’Étoile) des
forces universelles. La présence d’arbres constitue une exception dans la succession des arcanes du Tarot. Habituellement, la végétation n’est constituée que de simples touffes d’herbe. En dehors de l’Étoile, seul le Bateleur, arcane
1, comporte un arbre (un cyprès). L’arbre est un symbole majeur. Il est vénéré dans toutes les cultures comme principe de vie et de longévité. Sa verticalité qui l’élance vers le ciel s’apparente à celle de la tour. Ses racines plongent
dans la terre et ainsi il relie véritablement et de manière exemplaire le bas et le haut. Il est dispensateur d’oxygène
et donc de vie. À propos de l’arbre, Mircéa Eliade explique que s’il est chargé de forces sacrées, c’est qu’il est vertical,
qu’il pousse, qu’il perd ses feuilles et les récupère et que, par conséquent, il se régénère : il meurt et renaît d’innombrables fois.
L’oiseau noir est censé représenter l’âme, par sa couleur et par son déplacement dans l’espace. Il s’apparente à un
corbeau, oiseau augural dont on interprétait le vol, annonçant selon la direction et la hauteur un destin favorable
ou néfaste. Pour ma part la colombe aurait été mieux adaptée symbole de l’amour et lien entre la terre et le ciel.
C’est alors qu’au cour de mes lectures je suis tombé sur un article d’Alain Bocher philosophe contemporain qui
jouant sur un anagramme décrit le fameux oiseau comme un corps beau référence matérielle à la femme présente
au bord de l’eau.
6. Les étoiles constituent les autres éléments fondateurs de l’arcane XVII. Si la femme exécute, les étoiles sont les
inspiratrices. Elles apportent force, lumière et énergie. Elles éclairent et illuminent. Pourtant, elles apparaissent en
plein jour. On retrouve dans ce paradoxe celui déjà évoqué par la lanterne de l’Ermite. De même, que l’explication
donnée lors de l’étude de l’arcane IX (se reporter à l’Hermite), les étoiles en plein jour prouvent leur effet immuable
et permanent. Les étoiles sont toujours présentes dans le ciel, même si c’est seulement la nuit qu’elles nous apparaissent. La clarté solaire les rend invisibles mais pas inactives pourtant. Leur influence continue à s’exercer. Et,
c’est justement ce que l’on ne voit pas qui importe car « L’essentiel est invisible pour les yeux» Aussi, l’arcane XVII
106
représente la prise de conscience des forces cosmiques. Ceux qui ne voient les étoiles que la nuit ignorent leur véritable nature.
Nous trouvons 7 étoiles à 8 branches, et une étoile double au zénith, qui a 2 x 8 branches. C’est la planète Vénus,
notre étoile bienveillante qui est la première à se lever et la dernière à se coucher. Elle nous apporte la lumière rassurante, et ne nous plonge jamais dans une nuit totale. La lumière ne nous abandonne jamais.
Sept étoiles à huit branches et une double étoile à seize branches au zénith appellent les êtres à s’unir entre eux
pour perpétuer l’espèce, c’est l’être sous sa double forme appelé à recréer son unité en toute simplicité. Par la voie
de l’espérance, acte d’amour total. Seul l’Amour peut conduire à la vérité. Nous pauvres humains cherchons le bonheur là où il n’est pas, nous avons besoin du monde matériel et de l’illusion pour croire que l’on est heureux. Le
bonheur est en nous et en nous seul.
On peut voir ici aussi une allusion à l’astrologie et à l’influence des astres sur la psychologie et l’existence individuelle. Leur couleur caractérise le jeu des influences : les rouges présentent une activité puissante et ressentie ; elles
reposent sur les valeurs d’extraversion, de production, de dynamisme : Mars et Jupiter, les bleues suggèrent une influence plus douce mais plus profonde ; elles reposent sur des valeurs d’inhibition, d’intériorisation et de réflexion :
la Lune et Saturne, les jaunes incarnent les valeurs dominantes des planètes lumineuses : Vénus, Mercure et le Soleil.
L’étoile principale allie les effets du rouge et du jaune, on peut y reconnaître l’Étoile polaire, considèrée comme le
centre du ciel et guidant les hommes dans leur évolution. D’autre part, les sept étoiles regroupées autour d’une
plus grande évoquent la constellation des Pléiades.
NOMBRE
C’est le 17. À propos du nombre, Paul Marteau nous dit : «Le nombre 17 = 10 + 7. 10 représente le cycle universel,
et 7 le septénaire, c’est-à-dire un rayonnement étendu s’exprimant par la gamme universelle et se précisant par les 7
sons, les 7 couleurs, etc … Le nombre des petites étoiles de la lame évoque aussi 7 = 3 + 3 + 1, c’est-à-dire les deux
ternaires du sceau de Salomon, auxquels l’unité apporte un principe d’activité. L’ensemble est synthétisé par la grande
étoile centrale symbolisant L’émanation de la puissance divine qui manie dans la matière les forces involutives et évolutives».
On peut considérer le dix-sept sous la forme de 1 + 7 = 8. Cette combinaison nous est indiquée par la construction
de la lame. En effet, on a au total huit étoiles (réduction du dix-sept) dont une dominante et sept inférieures.
Le rappel du nombre huit est significatif du rattachement de l’arcane XVII à la notion de causalité inspirée par la
Justice (arcane VIII). En fait, L’un et l’autre évoquent le même principe dont l’application pourtant diffère. La
Justice fait appel à l’existence d’un ordre des choses équitable et immuable. L’Étoile, au contraire, figure, les influences cosmiques générales. En ce sens, elle représente une providence généreuse et positive s’exerçant au profit
de l’individu. Elle correspond dans son effet, à ce qui est communément défini sous le terme de chance. Or, la
chance apparaît souvent comme non contrôlable et parfois même comme injustifiée ou imméritée. L’Étoile s’oppose
à cette conception des choses.
En outre, étant donné que les chiffres du Tarot de Marseille respectent l’écriture romaine, ce que nous dit Jean
Chevalier à ce propos mérite d’être pris en compte : Ce nombre aurait été considéré comme néfaste dans l‘Antiquité
romaine, parce que les lettres qui le composent XVII, sont celles, changées d‘ordre, du mot VIXI, j’ai vécu.
Cette référence nous renvoie à l’ambivalence résidant dans tout principe : de même que la Maison-Diev comporte
une dimension positive ; L’Étoile, dans son principe, comporte une dimension négative .
Pour ma part comme je suis et demeure un optimiste invétéré, je veux terminer en confirmant qu’il faut toujours
croire en sa bonne étoile.
107
Conclusions de l’Orateur
Maintenant que la Matière et l’Esprit sont réunis et c’était l’aboutissement de tout le cheminement que nous avons
accompli sur les Lames depuis que nous avons entamé ce voyage ; maintenant donc que la Conscience a éclos dans
l’Univers …
Comme si ce dernier avait repris à son compte, au commencement, à chaque instant, l’intitulé de notre Frère Fabrice : « j’étais dans les Ténèbres et j’ai désiré la Lumière ».
Maintenant que de cette Conscience, l’Humanité, seule ou entre autres peut-être, est porteuse, c’est une prérogative
royale que les Initiés reconnaissent comme telle afin de limiter le pire et tenter de donner le meilleur. Afin que le
Chariot, mouvement de la Conscience dans le monde, ne s’arrête plus même s’il verse souvent dans les ornières de
l’ignorance, du fanatisme, de l’exacerbation du désir de quelques uns au détriment de la satisfaction des besoins de
tous : vous aurez reconnu là l’abîme de notre monde actuel …
Aussi, espérons et travaillons pour que le monde de demain soit davantage celui de l’Être et non du Paraître, que
l’Étoile alors soit la boussole qui indique à chacun et à tous le chemin du juste milieu pour que se réalise le plan du
Grand Architecte De L’Univers.
108
16 Mars 2010
Tenue commune des Respectables Loges
104 Justice Egalité - 811 Initium - 969 Stella Gyptis - 1222 Regius - 1385 Utopia
Universalité initiatique
Collectif des Frères Apprentis
Note : le Frère Second Surveillant de Regius a fait travailler les Frères Apprentis de chaque loge sous la direction de leur Second Surveillant.
Les épreuves de l’initiation
Regius : LE PASSAGE SOUS LE BANDEAU
Passage sous le bandeau …
Rendez vous mardi 19 heures au 182 boulevard Rabatau,
J’arrive devant une adresse inconnue, tout comme l’épreuve qui m’attends.
Cet instant, où je me trouve devant cette porte avant de sonner est marqué par deux sentiments : la crainte et la curiosité.
Je suis là pour m’éprouver alors je passe à l’acte et j’entre.
L’accueil est cordial mais direction le sous sol, où les entrailles du bâtiment m’attendent pour de longues heures
de patience.
Cette descente se fait aussi en moi car je suis seul face aux quatre murs qui m’entourent et une odeur qui rend le
lieu peu hospitalier.
Cette situation est propice à mon recentrage et me conduit à une double réflexion. Quel sort m’attend, que va t-il
m’arriver dans ce bâtiment qui me paraît très mystérieux ?
Et quel sentiment est le plus intense, la peur qui monte crescendo a chaque grincement de porte ou bruit de pas ?
Le désir de savoir, ce qui me pousse à attendre et à patienter ?
En tout cas, je vis cet instant très intensément et ma tension nerveuse grimpe encore lorsqu’enfin un homme vient
me quérir.
Je suis fatigué de cette attente. J'entends une personne qui descend, c'est lui.
Il me pose le bandeau sur mes yeux, s'assure qu'il est correctement fixé, me prends les deux mains pour me guider.
Je tente de paraître confiant, mais sous ce bandeau, diminué, je n'arrive pas à masquer mon incertitude. J'avance
lentement en trainant mes pieds, je ne suis pas assuré, il continue à me guider avec sa voix, je suis sans repères, livré à
cette personne.
Il fait froid.
109
Le chemin est chaotique, je me baisse, butte sur une marche, continue avec appréhension; je risque de tomber, n'arrive pas à anticiper les prochaine marches de ce parcours tortueux. Au fur a et à mesure que je monte, je perçois des
bruits sourds que j'essaie de déchiffrer ... en vain.
J'arrive au sommet, il me dit d'attendre.
Mon imagination accentue mon rythme cardiaque: je vais entrer.
Ça y est j’y suis … j’ai le rythme cardiaque qui s’accélère … j’ai l’impression d’être au centre mais au centre de quoi ?
Un silence profond règne dans la pièce … Une première question arrive …
J’ai la bouche sèche, pâteuse. Je n’arrive pas à articuler … Je suis angoissé, je bafouille, je bégaie … ils ne vont pas
m’accepter, je suis nul, c’est sûr.
Mon corps tremble, j’essaie de répondre sans hésitation mais ma voix vacille.
Sous le bandeau je suis privé de lumière, peut être la retrouverai-je tout à l’heure …
Pourquoi me bander les yeux ? Y a t il un secret à préserver ?
Ça y est les questions fusent … je n’ai pas compris le sens de celle-ci, où voulait-il en venir ? ... Quand est-ce que j’ai
pleuré pour la dernière fois ? Je ne sais plus. Que m’évoque la Tradition ? ... Vaste débat. Suis-je tolérant ? ... Oui,
je crois.
Ai je bien répondu ? … Tant pis, peu importe, on verra bien …
Ce climat singulier ne me met pas en confiance, je n’ai plus mes repères habituels.
Bon …je dois me ressaisir, puiser au fond de moi toute l’énergie et la sincérité que je vais devoir révéler aux autres.
Je dois me concentrer. Surtout ne pas travestir mes sentiments et mes idées.
J’espère que le but n’est pas de m’humilier ... De toutes façons, ils n’y arriveront pas. Prendre du recul, respirer lentement, me détacher de l’environnement … voilà j’y suis. Eux me voient mais je ne les vois pas et c’est tant mieux.
Je suis libre pas eux.
De toute façon, ce qui est dit est dit.
On ne peut pas annuler. Il est trop tard pour reculer, autant profiter de ce moment. Ce n'est pas tous les jours qu'on
a l'occasion de parler librement.
Ce soir, je n'ai pas besoin du masque que je dois porter tous les jours, j'ai déjà le bandeau à la place. Pratique.
Du coup, je ne vais pas essayer de leur dire ce qu'ils veulent entendre - ou du moins ce que j'estime qu'ils veulent entendre.
De toute façon, je ne sais pas trop ce que c'est ce fameux "ce qu'ils veulent entendre", j'ai plus de chances de tomber
à côté que de viser juste.
Je vais leur dire ce que je pense vraiment, et tant pis pour eux si ça ne leur convient pas. Au moins, je n'aurai pas de
regrets.
Les questions continuent d'affluer, je réfléchis, je prends mon temps, j'essaie de répondre au mieux.
Certaines m'inspirent, d'autres moins. Je sais que je regretterai plus tard certaines de mes réponses, mais bon, c'est
la vie.
La "voix" qui m'a accueilli dans cette pièce reprend la parole pour me remercier. Manifestement, ils en ont assez entendu pour se forger une opinion.
L'épreuve s'achève ...
Je sens une personne s'approcher de moi qui me murmure à l'oreille, «donnez moi vos mains, je vais vous guider
jusqu'à la sortie». Je me lève, je vacille, on me retient, tout se passe très vite.
Je sors de cette pièce, pour emprunter à nouveau ce chemin tortueux qui m'amène au point de départ de cette aventure … “cette salle d'attente” … humide et mystérieuse.
Plus serein, j'arrive les yeux toujours bandés dans cette pièce où deux heures auparavant, je faisais les 100 pas. On
me retire ce bandeau, je suis ébloui, ma tête tourne, j'ai perdu toute notion de temps ...
Je commence à me poser mille questions (Qu'en est-il ? Aurais-je une réponse positive ? Que va t-il se passer ? )
Je me repasse toutes les séquences dans ma tête, je me dis, c'est fait ... j'ai répondu avec sincérité et cœur mais j'ai
peur de ne pas être compris, j'ai peur du mot REFUS ...
Je suis reconduit à la porte par cet inconnu, je sors sous une pluie battante, il fait humide. Je me sens seul ...
Je prends une bouffée d'air, j'avance dans la nuit. Maintenant me voilà livré à mes doutes.
J'attends.
110
Stella Gyptis : L’ÉPREUVE DE LA TERRE
L'inconnu a fermé la porte.
Je reste seul, dans les ténèbres, que la flamme vacillante d'une bougie tente de dissiper.
Je reste seul, dans le silence, et le silence est en moi.
C'est sur ce silence que s'inscrit la pensée intime, comme les mots s'inscrivent sur la page blanche.
En moi c'est le chaos. Tout se bouscule.
Mais dans quel lieu m'a-t-on conduit?
Est ce le tombeau?
Est ce le retour au ventre d'Isis, matrice universelle?
Est ce la mort?
Est ce la naissance?
Est ce mon coeur qui bat, ou celui de la Mère?
Ce doit être la mort, il me faut faire mon testament.
Et ce crâne !
C'est vrai, je le sais, la mort est là, mais la vie aussi, car le vieil homme doit mourir pour que naisse l'initié.
Jean l'a dit : «Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul, mais s'il meurt, il portera beaucoup de
uits.»
Et le néophyte, ou nouvelle plante, doit naître de la mort, comme la plante naît de la terre, cette terre féconde et
profonde où tout prend racine avant d'atteindre l'étape d'en haut, à la rencontre de l'air de la vie, à la rencontre de
l'eau de la pluie, à la rencontre du feu du soleil.
Tel l'arbre qui plonge ses racines dans la terre et s'élance vers la lumière, symbole cosmique reliant la terre au ciel, le
néophyte doit mourir, ici et maintenant, pour donner naissance à l'initié et s'élever vers la plus haute spiritualité.
Mais jamais il ne devra oublier que si tout commence en terre, toute espérance se vit sur terre, et tout finira dans la
terre.
La terre, c'est le début et la fin, c'est l'alpha et l'oméga.
Mais si je suis maintenant dans la terre, je pense que suis aussi cette terre. Ce doit être ce que signifie l'acronyme
VITRIOL inscrit sur le mur, en face de moi. «Descend dans les entrailles de la terre et en rectifiant tu trouveras la
pierre cachée».
Et c'est en moi que je dois descendre, dans une intime introspection.
«Connais toi toi même» disait Socrate à celui qui voulait avancer sur la Voie de la sagesse.
Vitriol est plus une action à faire qu'un résultat à obtenir. L'alchimie le présente comme le procédé de séparation
du pur d'avec l'impur, le passage de la matière brute à la pierre philosophale, qui est la pierre cachée.
Ainsi, il me faudra rectifier la pierre brute et rechercher la purification dans une quête infinie. Dans cette quête, il
me faudra être fort, et patient, car le but est inaccessible. Mais peu importe, ce but n'est pas plus important à atteindre qu'à poursuivre, et l'enrichissement se fait à chaque pas, et chaque pas est un but.
Ici, aux entrailles de la Terre, aux entrailles de moi même,
je crois vivre le mythe de la caverne de Platon.
Dans cette demeure souterraine, sombre et obscure, je tourne le dos à l'entrée.
Des sons qui m'entourent, je n'entends que l'Echo.
Et cette chandelle qui m'éclaire ne me fait percevoir que l'ombre des choses, que l'ombre de moi même.
Les objets qui m'entourent révèlent mon ignorance.
Mais ils me rappellent pourquoi je suis ici.
Comme ces hommes enchaînés dans la caverne, qui ne connaissent que le rayonnement indirect de la lumière, je
veux sortir et me libérer, rompre mes attaches matérielles, déposer mes métaux, oublier mes idées reçues,
Je veux mourir pour mieux renaître, renaître en moi-même, renaître de sens et de vérité, renaître à la lumière.
Et si tout cela n'était qu'illusion, si rien n'était, pas même nous ?
«L'homme n'est que le rêve d'une ombre» disait, il a longtemps, le poète grec Pindare.
Des bruits chassent le silence. La porte s'ouvre.
Porte de la Mort ?
Porte de la Vie ?
111
Justice Égalité : L’ÉPREUVE DE L’AIR
Le vent, … air en mouvement, … masse invisible, … instable et inconstante, … qui nous enveloppe et nous pénètre,
… Pour moi, peut-être que tout cela a commencé, bien avant mon initiation, lorsque par un détour dans une salle
de cinéma, je me suis retrouvé devant Le cinquième élément, film de Luc Besson où l’air y est présenté comme
étant l’un des éléments indispensables à la vie et à l’équilibre des forces qui la constituent.
Plus tard, dans ma quête de connaissances, je me souviens d’avoir marché, privé de lumière par un bandeau symbolisant ma marche à travers les ténèbres. Sur ce chemin chaotique, jonché d’obstacles, j’entendais un vacarme assourdissant. Je me rappelle également de ce basculement, au moment ou j’atteignais le sommet de cette planche,
qui en m’entraînant dans sa chute m’aurait déséquilibré sans la présence d’un bras salutaire. Je ne me doutais pas
que j’étais en train de vivre l’épreuve de l’air, … premier voyage du récipiendaire après l’épreuve de la terre lors de
la cérémonie d’initiation. Ce voyage m’a fait ressentir que la vie est un chemin tumultueux où l’apprenti que je
suis, s’il veut réussir son parcours et recevoir la lumière, doit faire preuve de prudence, de confiance, de sincérité et
d’humilité.
Souffle de vie, l’air m’a fait renaître après cette mort volontaire, concédée plus bas, dans la terre. La nature essentielle
de l’air, sans lequel il n’y aurait ni vie ni lumière, met en évidence toute la richesse symbolique de cette épreuve
sans laquelle je ne serais pas ici ce soir.
L’air, élément actif, élément mâle, se distingue par sa présence dans chacun des trois autres éléments. En pénétrant
la terre, il la rend plus fertile, présent dans l’eau, il rend viable ce milieu pour les espèces qui le peuplent, enfin le
feu ne produirait aucune flamme sans lui.
L’Air vecteur du son a permis la création du langage et ainsi la communication entre les hommes. Il nous fait entendre les bruits, comme ces tonnerres lointains, les voix, comme les cris de joies ou de douleurs, il nous fait sentir
les odeurs, nous rend sensible aux vents et à la chaleur. Mais à travers la Lumière que nous avons reçue, il nous
permet d’entrer en communion avec ce qui est immatériel.
Indissociable des autres éléments symboliques de la cosmologie maçonnique, l’air est le représentatif sensible du
monde invisible, subtil intermédiaire entre le ciel et la terre, il est le monde de la pensée et de l’esprit.
L’air fait partie du cycle perpétuel de la vie, mais s’il est source de vie en permettant au nouveau né de prendre son
premier souffle, il est également le premier témoin de notre dernier souffle. L’air, élément vital et fatal à la fois, impalpable et invisible, magique et ambigu est le vecteur nécessaire à notre ascension spirituelle.
Initium : L’ÉPREUVE DE L’EAU
Par une nuit sans étoiles, j’errais au fond des ténèbres abyssales de mes confusions obscures, des mes illusions, des
mes doutes et de ma sinueuse désespérance, quand, soudain, je fus pris d’un malaise étrange qui me fit perdre tous
repères et toutes connaissances. Mon corps semblait se dissoudre et mon âme, immergée dans l’immensité d’un
océan était aspirée par le courant souterrain des eaux originelles. Mon esprit était saisi dans une vertigineuse spirale
dont les rotations sinistres me projetaient jusqu’à l’aube de la création. La souffrance de l’infinitésimale dimension
de ce que je devenais face à l’éternité de ce présent désormais insondable, me perçait de son dard en m’injectant le
venin de ma vanité. La fluidité et la puissance de ce courant étaient comme la flamme d’un feu insaisissable qui
consumait mon enveloppe d’amertume et me laissa en vie dans cette mort.
Je glissais ainsi porté par une onde de plus en plus calme et limpide qui se répandait sur moi et m’enveloppait d’un
souffle divin qui parvenait à mes oreilles dans une symphonie d’espérance.
Puis je fus poussé sur l’autre rive, déserte mais où le silence m’adressait un appel dans une parole dont le sens était
mystérieux mais que mon âme, elle, semblait comprendre.
Je demeurais là, sans réaction, immobile, le regard vide perdu dans l’immensité du ciel noir et sombre.
Et là, dépouillé, nu devant le miroir de l’eau, il me semblait recevoir et percevoir un être nouveau imprégner mon
112
âme d’une longue histoire de la nuit des temps vers une voie nouvelle, dans une foi nouvelle. M’apparaissait alors
l’émergence sur un rayon de lumière sacré encore humide de rosée, d’une étoile scintillante de myriades éclats
vibrant à l’unisson d’une émotion universelle et fraternelle qui transperça mon cœur et le fit renaître.
Utopia : L’ÉPREUVE DU FEU
Je suis donc à mon troisième voyage, et j’ai peur mes Frères ; est-ce la dernière épreuve avant la lumière ?
Je comprends qu’une flamme est proche de mon visage; vais-je souffrir ?
Je pense que non. J’en mettrais ma main au feu !
Pourquoi ? Je dois avoir confiance, en vous mes Frères.
Je suis venu en Franc-maçonnerie pour m’améliorer ; nous devons laisser le superflu pour garder l’essentiel m’a-ton dit !
Je dois me débarrasser de tout ce qui m’encombre pour tailler le cœur du noyau ; après la Terre, l’Air, et l’Eau,
l’épreuve du Feu boucle un cycle de transformations, de purification.
Le feu me débarrasse des dernières scories, fait fondre les derniers métaux inutiles afin de me présenter nu, tel un
nouveau né, face à vous.
Nu, j’ai froid et c’est le feu de chacun de vous, mes Frères qui me réchauffe, qui m’enveloppe ; votre bienveillance
m’apporte réconfort et confiance.
Mais que vais-je faire ?
Le contact avec la flamme initiatique a allumé un feu intérieur.
Qu’emporterais-je, si un incendie ravageait ma maison ? « Le feu » répondait Jean Cocteau.
Le feu plus important que le reste ?
L’action plus importante que l’inertie ?
Dois-je garder ce feu extraordinaire, tel Prométhée, et subir des châtiments sans fin ?
Dois-je le transmettre ? Oui, assurément, sinon je ne ferai pas long feu. À garder le feu pour soi on se consume !
Objet du feu, je décide d’en devenir le gardien, tel une vestale, en l’honneur du Grand Architecte De L’Univers.
Le feu qui m’a enveloppé, se transmue dans mon cœur en un amour ardent pour mes semblables. « Puisse la charité,
inspirer désormais mes paroles et mes actions. » suggère le rituel.
Mon troisième voyage va commencer, et le feu me fascine et me terrorise à la fois : il symbolise la puissance créatrice
mais aussi destructrice. Ainsi entre douceur et destruction, j’imagine tout et son contraire. Le feu, comme le pavé
mosaïque, me rappelle la dualité, la dialectique inhérente à toute chose. Telle une allégorie de la pensée, le feu qui
brille au paradis et brûle en enfer, inséparables contraires qui se rejoignent dans une synthèse hégélienne. J’espère
accéder à une pensée, à un principe supérieur, celui du Grand Architecte De L’Univers. Seul le Grand Architecte
De L’Univers rassemble ce qui épars, même les contraires.
Quelle leçon dès l’initiation !
Mon visage traverse les flammes. Ou plutôt celles-ci viennent caresser mon visage, avec douceur et bienveillance.
Ce troisième voyage prend fin, mais il a mis le feu aux poudres, ou plutôt a ravivé un feu, comme on souffle sur des
braises. Ce feu intérieur que l’on garde en nous et qui permet de nous transformer, de nous sublimer.
Puis la vie profane. Dans la rêverie d’un feu de cheminée, je pense à Gaston Bachelard, et je contemple ma destinée :
cette bûche qui se consume lentement me rappelle le fil de ma vie ; les quelques soubresauts de ce morceau de bois
qui se met à claquer de temps à autres, me rappellent la vie, et ses coup de feu imprévisibles.
Je sens le feu intérieur courir dans mes veines, jusqu’au bout de mes doigts.
Un objectif se dessine pour moi : éclairer mon chemin, et celui de mes proches, humblement, à l’abri des feux de
la rampe, de peur de finir comme Icare.
Mais pourtant malgré les dédales de vie, je n’hésiterai pas ; alors, chaud devant !
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Hervé Bab∴
Voyage en Avalon
Lorsque le sage Taliesin, le druide de notre communauté, vint ce matin-là informer mes parents que je présentais
certaines dispositions, l’on m’autorisa à assister à l’entrevue. Je compris que le questionnement auquel il m’avait
soumis quelques jours auparavant avec deux de ses pairs n’avait pas été un jeu comme je l’avais imaginé alors. Depuis
la prime enfance je m’étais toujours montré curieux des plantes, des étoiles, des animaux et, à vouloir dialoguer
avec ceux-ci, je suscitais souvent la surprise des adultes ou bien les moqueries de mes camarades. Aussi, que de respectables vieillards à la barbe blanchie mais à l’œil malicieux m’invitent près du dolmen à bavarder avec eux de ces
sujets m’avait plutôt réjoui qu’intimidé. Mais intimidé, désormais je l’étais, puisque, dans un mélange d’insouciance
et de curiosité adolescente, j’avais accepté la proposition. Mes parents ne s’étaient pas opposés à mon désir, même
si mes bras allaient manquer désormais aux travaux des champs. Quant aux larmes de ma jolie et douce amie, si
elles firent saigner mon cœur, elles n’entamèrent pas ma volonté. Celle-ci vacille pourtant maintenant que la nuit
est bien avancée et que la barque, manœuvrée par un passeur lugubre et silencieux, me fait traverser un bras de mer,
dans un brouillard humide, vers l’île interdite dont la clarté de la lune pleine révèle parfois, entre deux bancs de
brume, la silhouette triangulaire qui se rapproche …
À quelques mètres du rivage, soudainement le calme inquiétant de cette nuit fraîche et blafarde fait place au bruit
et à la fureur : le ciel noircit brusquement et se déchire de violents éclairs tandis que de grosses vagues, surgissant
d’une ligne de récifs acérés, ballotent l’embarcation. Le passeur me fait signe de me lever et je peine à le faire tant
le tangage est intense, puis, sans que je le vois venir, il fait un pas vers moi et me précipite dans les flots agités. Refaisant surface, je tousse et je crache entre déferlantes et rugissements de tonnerre. Nimbée d’un halo bleu électrique,
la silhouette encapuchonnée du naute, étonnamment stable sur son esquif, me montre la rive embrumée et sa voix
sourde retentit enfin à mes oreilles : « maintenant va vers ton destin si tu l’oses encore, jeune homme, ou bien péris
ici ! »
Heureusement, il n’y a que quelques mètres à parcourir dans cette eau glaciale et le fond, sous mes pieds, se fait
sentir entre deux vagues. Mais c’est trempé et grelotant que j’accède à la berge et c’est alors que je distingue vaguement les lueurs d’un feu vers lesquelles instinctivement je me dirige. Aussi brutalement qu’ils étaient advenus, les
courroux de l’air et de l’eau ont cessé.
À la lueur des hautes flammes qui me réchauffent et sèchent un peu la simple tunique et les braies dont on m’a
revêtu avant d’embarquer, je me rends compte que je me trouve dans une petite crique sablonneuse et pentue, creusée dans la muraille abrupte d’une falaise. Par où aller maintenant ? Et un frisson me saisit qui ne vient pas des
suites de l’immersion mais du constat que la marée est montante et va bientôt envahir la grève. Je m’efforce de
calmer mon émotion, de respirer calmement pour apaiser mon cœur qui s’emballe. Les sages qui m’ont proposé
l’initiation aux mystères m’ont averti que les épreuves seraient vigoureuses et déconcertantes mais que nul piège et
nulle malice ne s’y embusqueraient. Je réfléchis, j’observe, je saute d’un pied sur l’autre en contrebas du grand feu
de branchages devant l’aplomb, essayant de ne pas trop prêter attention aux vaguelettes qui roulent de plus en plus
proches. Mais oui ! Là, plus haut, derrière ces flammes, il me semble distinguer parfois comme l’ombre d’une ouverture à travers leur danse. Il me faut donc tenter de les traverser au risque de demeurer quelques secondes de trop
en leur sein si ma vue m’a trompé et que, butant sur la roche, il me faut reculer … Tout à ces pensées, un moment
encore a passé et l’eau cette fois est venue jusqu’à mes chevilles. Alors j’inspire profondément, je prends mon élan
et, gravissant la pente d’une grande enjambée, je me jette dans le rideau de flammes. Je le franchis sans dommages
et pénètre dans une petite grotte au fond de laquelle deux yeux jaunes plongent aussitôt dans les miens tandis que
le crépitement du feu laisse le pas à un halètement sourd. C’est un gros chien noir allongé au fond de la cavité et
qui me contemple paisiblement et presque joyeusement, langue pendante et souffle court. Mes yeux s’habituant à
cette pénombre rougeoyante, je constate vite que cet espace en pierre polie est vide et exigü, que je me trouve dans
une sorte d’œuf minéral sans issue autre que celle par laquelle j’ai pénétré.
115
Ce repérage effectué, comme la tête me tourne, que la fatigue me gagne et que je n’ai plus la force d’affronter cette
énigme, je m’assoie puis m’allonge et me laisse aller au réconfort de la tiédeur du lieu. La chaleur du feu qui cependant décroît et celle du souffle de l’animal à mon côté me plongent vite dans une somnolence, un sommeil même
car quand je reprends pleinement conscience, des heures semblent avoir coulé … La température a de nouveau
baissé, le feu s’est éteint et je contemple, affleurant presque l’ouverture de la grotte, une mer étale où même les
vagues, devenues paresseuses, semblent s’être endormies. La lune a plongé derrière l’horizon, le monde paraît appartenir maintenant totalement au royaume de la nuit et du silence. Ce n’est que bien plus tard que je saurai formuler avec des mots cette émotion qui m’étreint alors, d’être là, comme dans une matrice, entre deux mondes, avec
mon étrange compagnon psychopompe.
Et c’est lui qui me tire brusquement de cette rêverie : à ses brefs aboiements succède un lent grincement comme
celui de la meule de pierre au village. Les toutes premières lueurs du jour qui se devine à l’Orient me font entrevoir
une issue circulaire qui s’est ouverte au fond de la grotte et devant laquelle le grand chien se tient, me regardant et
fouettant de la queue, impatient manifestement que je le suive. Et pourtant, quand je fais un pas vers lui en me
courbant pour m’adapter à la déclivité de la voûte, il se met à gronder légèrement et referme sa gueule sur la manche
de ma tunique. Effrayé, je recule et il lâche prise. Mais quand je m’avance de nouveau, le manège se réitère. Il me
faudra du temps et quelques répétitions de la même scène pour que je comprenne enfin que l’animal exige que
j’abandonne mes vêtements. Et, en effet, une fois dévêtu, il libère le passage et s’enfonce dans ce qui se révèle être
une étroite galerie qui m’obligera à adopter son mode quadrupède pour pouvoir le suivre. Il a d’ailleurs disparu
devant moi et c’est d’abord dans l’obscurité que j’avance assez péniblement, le cœur battant de nouveau, tâtonnant
et bientôt transpirant sur une pente montante de plus en plus abrupte. C’est lorsque mon cheminement devient
quasiment vertical qu’une lueur diffuse apparaît, venant d’en haut et grâce à laquelle je distingue désormais des
saillies et des appuis par lesquels je peux me hisser. Je débouche à l’aube naissante au centre d’un cercle de hautes
pierres dressées.
Des bras me saisissent sous les épaules pour achever de m’extraire du puits, des ovations m’acclament. Tout étourdi,
sur la colline sacrée, je vois se lever le soleil tandis que l’on me revêt de la robe sacerdotale et que l’on me couronne
de feuilles de chêne. J’ai subi les épreuves, je suis admis dans la grande confrérie des druides.
Et maintenant que nombre d’années ont passé, que j’ai étudié d’abord sous la conduite de maîtres érudits et respectés, que j’ai ensuite été médecin, puis à présent conseiller de quelques chefs, toujours j’ai aimé à revenir sur
cette île qui m’a vu naître une deuxième fois et où j’ai souvent aidé par la suite à préparer la réception de jeunes novices.
Ce soir, tandis que j’égrène ces souvenirs, cantonné avec quelques frères dans la maison commune sur le plateau, je
vois les lueurs des flambeaux sur la colline. Celle-ci, cette nuit, appartient aux femmes, nos sœurs qui œuvrent avec
leurs propres rites … Tandis que je vogue dans mes souvenirs, près du foyer un vieux barde chantonne qui navigue
dans les siens :
«J’ai été sous de nombreuses formes avant que je ne sois libre,
j’ai été la plus brillante des étoiles,
j’ai été goutte dans l’averse,
j’ai été épée dans la main,
j’ai été bouclier au combat,
j’ai été corde de la harpe,
dans l’eau j’ai été l’écume,
j’ai été l’éponge dans le feu,
j’ai été druide à la neuvième vague …»
Mais probablement faudra-t-il bientôt nous retirer en des lieux plus secrets car le monde est en train de changer.
Demain, en effet, je regagnerai le continent, je traverserai la forêt et j’irai bavarder avec un nouveau venu, le moine
depuis peu installé à la lisière. Je lui raconterai la fête d’Imbolc, les flambeaux en l’honneur de la déesse Brigid et
la lactation des brebis. Il me parlera de la sortie de l’hiver, des cierges de la Chandeleur et de la purification de la
Vierge.
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Encre de Michel Mille 1993
Ce récit, totalement imaginaire, a été écrit en hommage et en souvenir d’une longue conversation au cours du
vol Paris-Dubaï-Colombo en Août 1998, avec le respecté Frère Adrien Paul, passé à l’Orient Éternel en 2003, et
passionné de druidisme.
Bien qu’imaginaire, cette histoire n’est toutefois pas fantaisiste et s’appuie sur des références au monde celtique
qui peuvent être approfondies avec la bibliographie qui suit :
Venceslas Kruta, Les Celtes histoire et dictionnaire, Ed. Robert Laffont, Paris 2000
Françoise Le Roux et Christian J. Guyonvarc’h, Les Druides, Ed. Ouest-France Université, Rennes 1986
Patrick Galliou, le monde celtique, Ed. Gisserot, Luçon 1999
Marion Zimmer Bradley, Les dames du Lac, Ed. Le livre de poche, Paris 2001
Raimonde Reznikov, Les Celtes et le druidisme racines de la tradition occidentale, Ed. Dangles, St-Jean-de-Braye,
1994
T. Basilide, Essai sur la Tradition Celtique, Ed. Traditionnelles, Paris, 1994
Jean Markale, Merlin l’enchanteur, Ed. Albin Michel, 1981
Régis Blanchet, Entretiens avec un druide nommé Gwenc’hlan, Ed. du Prieuré, Rouvray, 1994
L’initiation, article dans Le Jardin des Dragons N°8, Ed. du Prieuré, Rouvray, Octobre 1993
Adolphe Pictet, Du culte des Cabires chez les anciens irlandais, Ed. J.J. Paschoud, Paris 1824 (disponible en format
PDF téléchargeable sur Google)
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30 Mars 2010
Tenue au 2e degré symbolique
Christophe Bea∴
Dans la marche du Compagnon le quatrième pas, dit -pas de coté- invite le Compagnon à agir, à voyager. Il sort de la voie tracée initialement en ligne droite par les trois pas dApprenti. Le Compagnon est
en perpétuelle pérégrination... "Les vrais voyageurs sont ceux qui partent pour partir"
Ce sujet illustre bien la malice de notre Frère Edouard qui par ce choix, ne devant rien au hasard, m'a permit, en y
travaillant, de tenter d'éclairer ma propre lanterne sur l'imbrication de ma vie profane et de ma vie d'initié éloigné
de l'Orient.
Bien sûr, vous le savez tous, la première raison de cet éloignement est profane. Il faut bien rapporter de la viande à
la grotte, mais j'ai découvert aussi au delà des effets matériels sur mon compte en banque et des effets affectifs bouleversants que vous pouvez imaginer facilement – je suis aussi, père, fils, frère, compagnon ! - à quel point cette vie
de passager quasi permanent, transformait mon états de conscience. J'avais déjà observé cela à l'occasion de mon
voyage maritime, mais je mettais ces effets sur le compte des conditions peu ordinaires de son déroulement.
Peu à peu, l'objet d'une quête se dessine. Cette quête, je viens de le dire, n'étant, à priori, pas ma première motivation.
Quelle est-elle ? J'ai bien du mal à répondre à la question de manière rationnelle, mais je crois pouvoir dire, encore
et toujours qu'il s'agit, tout simplement, de se découvrir soi-même, de se dévoiler à ses propres yeux sous son vrai
visage. Comme si de nouveaux paysages raffermissaient les traits du visage de mon autoportrait ou d'autres soleils
jettent d'autres lumières sur l'esquisse ; et je suis désolé de vous faire part de ce non scoop, et de m'inscrire ainsi
dans la ligne déjà tracée de la symbolique classique du voyageur. Il est assez clair dans mon cœur qu'espace, temps
et distances y sont pour quelque chose dans cette transmutation lente. Partir, c'est mourir un peu, et je rajouterais,
c'est renaitre aussi ! Je meurs ici, pour vous, pour ceux qui restent. On ne peut plus me voir dans ce contexte, certes
j'existe toujours car l'on peut encore me nommer, du moins je l'espère, mais je n'interviens plus, je n'agis plus dans
mon quotidien d'origine. Je renais ailleurs – là ou je n'existais pour personne, ni même pour le paysage – d'autres
brins d'herbes se plient sous mes semelles pour eux, c'est sûr j'existe.
Bon, j'existe encore dans votre mémoire, et en même temps j'existe ailleurs … me voici flirtant avec le vieux fantasme
d'ubiquité ! J'ai même l'impression de prendre un petit rab de fluide vital et de souffle essentiel qui échappe aux sédentaires mais aussi, il faut le dire, voyageant beaucoup, je meurs plus souvent – je meurs à chaque instant d'un ciel
à l'autre, je meurs beaucoup – ce qui est à la longue fatiguant mais me permet parfois dans l'état de conscience du
voyageur de perdre de vue l'aspect un tantinet définitif de la mort.
Je suis allé voir ailleurs si j'y étais, et le comble c'est que j'y suis ! Voyager permet de revisiter ses propres certitudes.
Le pas de côté se trouve là, le fleuve tranquille connaît quelques bifurcations. Certaines sont des bras morts, mais
d'autres élargissent encore l'horizon et ouvrent des portes cachées. Je remet en question ce qui semblait déjà taillé
dans le roc, allez encore un petit coup de ciseau sur cette pierre qui semblait presque cubique et je pétris encore
cette terre glaise qui me constitue. Je crois que l'on peut à l'infini tenter encore des retouches. L'esprit, le souffle, le
pneuma, s'alimente aussi dans le voyage.
Moi qui, me prenant pour un humaniste initié et presque éclairé, croyais que le racisme était réservé aux autres …
quelle surprise de découvrir en moi les racines bien présentes de la bête immonde ! Quelle mise à l'épreuve que
cette découverte ! À ce titre, en aparté je vous conseille la lecture ou la relecture d’Au cœur des ténèbres de Joseph
Conrad. où le narrateur remonte le fleuve Zaïre en s'enfonçant de plus en plus à la rencontre d'un certain Kurtz
119
(Apocalypse Now) qui lui s'est immergé dans son propre être originel au contact et s'est retrouvé “Inhumain” ou
de ce combat entre bien et mal.
Comment continuer à s'enrichir de différences qui révoltent mes valeurs ? En fait, on vit la transformation, la notion
de racisme prends une certaine relativité. On ne peut parfois que plonger au centre de sa propre noirceur pour parvenir à la comprendre intimement et d'en tirer une troisième voie qui échappe au dualisme, qui n'est ni noire ni
blanche. Cette voie est difficile, ce n'est toujours pas l'autoroute de la lumière mais on sent que c'est la bonne car
elle est directement issue de nos ténèbres personnelles originelles et intimes. Ou peut-être encore, la montée de cet
escalier tournant dans le temple de Salomon, qui monte à cette fameuse chambre du milieu dont je soupçonne une
signification symbolique avec cette troisième voie qui se superpose dans une dimension non rationnelle. C'est encore, aussi, notre travail d'alchimiste, de faire jaillir l'or de notre propre fange travaillée à l'infini. Toujours est il que
ce pas de côté peut nous mener très loin en dehors du consensus mou et du politiquement correct. Personnellement
je pense qu'il ne faut pas avoir peur de s'oser dire les choses si toutefois on s'est suffisamment détruit et reconstruit
successivement sans jamais se renier.
Et pourtant je ne suis pas si différent ici ou là bas et je ne crois pas me renier en permanence, car dans ce cas, je
n'existerais plus du tout. Alors quoi ? Cela doit tenir dans le processus même du cheminement. L'action est-elle finalement préférable à l'inaction ? Moi qui me délecte si souvent dans la contemplation – la quête prends le pas sur
l'objet de la quête. Le chemin est plus important que la destination.
Nos trois premiers voyages symboliques lors de notre première soirée ici ne sont que le début d'un chemin qui se
dévoile très lentement. Il y a des étapes, des portes à ouvrir, des chemins de traverses à emprunter. Ces trois premiers
voyages nous engagent à poursuivre la démarche sans relâche car les surprises sont toujours au rendez-vous. Le chemin n'est pas direct, il n'y a pas d'autoroute de la connaissance – ou peut être les religions révélées et les sectes assument elles ce rôle ? Qui d'entre nous ici mes Frères accepterait une lumière trop directe sans avoir mis son cœur
à l'épreuve du discernement ? Qui accepterait d'arriver directement au but sans profiter des fleurs et des détours
qui jalonnent le trajet, même si souvent la souffrance – qui nous constitue et construit - se trouve aussi embusquée
dans les virages. Cela reviendrait probablement à ouvrir la boîte de Pandore ou à cueillir encore et encore la pomme
du jardin d'Eden, et nous savons que la lumière est aveuglante pour qui n'a pas œuvré patiemment à sa quête.
Virgile, pour ce qu'il m'en reste d'une lointaine et scolaire lecture de l'Enéïde, justifie les épreuves du terrible voyage
initiatique d’Énée. (je vous fais grâce du latin que je suis allé re-puiser difficilement sur internet) : « accomplir une
telle tâche ne peut se faire sans peine ». Quant à Enée, lui, il ne connaît pas directement le but de son voyage, qui ne
lui sera que progressivement dévoilé étapes par étapes, au fil des prophéties qui s’éclaircissent de plus en plus.
La base même d'un voyage initiatique est l’accomplissement d’une quête : le héros doit remplir une mission. Il part
d’une situation initiale instable et insatisfaisante qui le pousse à entreprendre sa quête, bien souvent à l’instigation
d’un tiers, dieu ou homme. Nous Franc-maçons si nous nous infligeons cette quête en toute liberté, égalité et fraternité, il n'en demeure pas moins qu'une certaine instabilité ou insatisfaction doit quelque-part se trouver à l'origine
de nos démarches respectives et communes. Amis voyageurs, Vénérable Maître, vous tous mes Frères, il me semble
que par là, il nous reste encore beaucoup à creuser.
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Éric All∴
L’Etoile Flamboyante : toute la science du Compagnon y est condensée.
Tout au long de ce travail je vais vous expliquer pourquoi j’ai demandé à notre Vénérable Maître de travailler sur
ce symbole.
Pourquoi l’Étoile Flamboyante ? Que m’a t’elle fait découvrir ? Que cache-t’elle ? Quelle est sa force ? Et enfin
que signifie la lettre G au centre d’elle-même ?
L’Étoile Flamboyante m’a séduit immédiatement lors du cinquième voyage les mains libres où tout de suite j’ai
été ébloui par sa splendeur ; je ne comprenais pas ce qu’elle signifiait mais déjà à cette période que de questions
sans réponses. Que veut elle dire, que représente la lette G, pourquoi me guide-t’elle et que vais-je découvrir ? Je
vais, au cours de ce travail, apporter des réponses à mon vécu maçonnique et expliquer pourquoi l’étoile flamboyante
m’a transformé ?
Ce symbole m’a fasciné immédiatement tant même par sa complexité et sa grandeur ; il est complexe car l’Étoile
délivre d’innombrables messages qu’il faut que je devine ou plutôt déchiffre à savoir quelle est ma place dans l’univers si parfait, si ordonné, si méthodique, si merveilleux, si gigantesque, et moi au milieu de celui-ci quel chemin
dois je emprunter : le plus facile ou le plus difficile.
L’Étoile Flamboyante m’a fait entrevoir les parties les plus sombres de mon intériorité lors d’une cérémonie si particulière où j’éprouvais un détachement total ; ce n’était plus la clarté mais le désordre et la noirceur qui rejaillissent
de nouveau comme si l’Étoile Flamboyante avait ce pouvoir si mystérieux de me recadrer au centre de la terre me
rappelant que je peux trouver aussi bien la force et la chaleur, la brillance et l’éclat, comme le tumulte et la froideur.
Et pourtant l’Étoile Flamboyante a sans cesse grandi dans ma construction personnelle et m’a fait entrevoir la simplicité de la vie où tout y est. Il suffit de prendre le temps.
Je vais vous expliquer ce que j’ai vu l’hiver dernier où je marchais en pleine montagne, un après-midi ensoleillé,
seul dans la neige à la recherche de ma vérité comme un quidam quittant le monde matériel recherchant d’où il
vient et où il va. Je découvris, après plus d’une heure de marche, un endroit magnifique où tout était réuni, le calme,
la sérénité, la beauté des lieux et des paysages, le seul bruit qui m’entourait était au loin le frémissement d’une
cascade d’eau. J’étais soudainement émerveillé par ce lieu si pur, si blanc qui me donna la sensation d’être en loge,
le symbolisme rayonnant autour de moi, il y avait l’essentiel. En levant les yeux vers le ciel je vis la lune et le soleil
réunis, je venais de me rendre compte que l’Étoile Flamboyante m’avait guidé vers le Tout-Puissant et c’était magnifique.
Être si haut pour être bien et rêver un court moment de ne plus redescendre, quelle sensation extraordinaire que
de pouvoir travailler au plus profond de soi et de découvrir, de s’étonner que ces moments de solitude fournissent
force et vigueur, et qu’il faut les vivre à fond. Pourtant, malgré cette expérience vécue, l’Étoile me provoque à nouveau le déséquilibre et me fait réfléchir encore. Je me rends compte que tout n’est pas si clair et limpide mais plutôt
mystérieux et provoque la peur ; il suffit de lever les yeux vers l’univers pour s’apercevoir que l’on n’est rien face à
celui-ci, nous sommes l’infiniment petit face au gigantisme qu’il représente. Quand on pense que notre univers
tient dans une micro-aiguille, comment dois je me positionner face aux étoiles ; dans l’infiniment grand, très difficile
de trouver ma place, voir quasi-impossible ; où se situe vraiment notre univers au début ou à la fin d’un trou noir ;
je ne le sais pas vraiment. Le doute subsiste.
121
Comment est apparue la création de toute vie sur terre ? Avant ou après le big-bang ? Là aussi que de questions demeurent.
Des scientifiques expliquent que l’existence d’un seul big-bang n’est pas envisageable mais celle de plusieurs dans
les confins de l’univers pouvant donner vie et mort en même temps. Tout s’accélère dans l’univers et se désintègre
à plus ou moins moyen terme, le temps n’existe pas.
Pour moi c’est l’un des mystères caché de la sublime étoile, c’est à la fois le perfectionnement où toute planète,
toute étoile, toute galaxie, est minutieusement ordonnée et millimétrée ; à contrario, tout est déséquilibre, désordre.
On peut assister à la naissance d’étoiles comme à la désintégration de milliers d’autres. Nous ne sommes rien face
à ce pouvoir gigantesque, même pas l’infiniment petit, même pas une particule, tout juste une micropoussière et
encore …
Depuis tout temps, fasciné par les étoiles, je me rends compte que l’Étoile Flamboyante me permet d’explorer les
confins de l’univers ; il faut que j’ouvre la porte des étoiles pour y percer les mystères, car l’inconnu c’est la base de
notre devenir, c’est chercher des réponses à des questions que nous nous posons :d’où venons nous ? Où allonsnous ? Que recherchons-nous ?
D’où venons nous vraiment, et qui a créé la vie sur terre et dans l’espace temps : le Grand Architecte de l’Univers
celui qui se nomme Dieu, le créateur des mondes, qui nous laisse un message à décrypter : la signification de la
lettre G portée au centre de l’étoile.
Commençons par mon interrogation à savoir la signification de cette lettre, les rituels donnent les cinq significations
suivantes : gravitation, géométrie, génération, génie, et Gnose. De tout temps la géométrie est considérée comme
base essentielle de l’initiation maçonnique. Le compagnon doit travailler les cinq valeurs de la lettre G, et lui indique
la direction qu’il doit suivre. La pointe du compas lui permet de construire sa propre étoile d’axe en axe et trace
un cercle qui l’oriente au milieu de l’univers et cherche la lumière du Grand Architecte.
Socrate disait : « connaîs-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux » De ce fait, le Compagnon doit suivre
l’enseignement pratiqué par l’Art Royal et réunit ce qui est épars. Il invite chacun d’entre nous à se dépouiller de
ses préjugés et de ses métaux, et cherche la pierre philosophale, la vraie lumière et la véritable connaissance de soi.
On dit aussi que la lette G est le monogramme d’un des noms du Très-Haut, du Tout-Puissant, source de lumière
et de grandeur. Le tracé, sous toutes ses formes, symbolisera “la lettre” comme une sorte de puissance divine et créatrice. Le Compagnon doit néanmoins ouvrir son cœur et son esprit, puis comprendre le sens de son grade. Sa propre
science y est condensée. À lui seul de découvrir les mystères qui le composent. Comme un géomètre, il établit un
plan et une carte exacte de son moi intérieur. Il doit assimiler les cinq ordres d’architecture et les arts libéraux. Il
sait qu’il doit s’écarter de la ligne de l’apprenti et découvrir son alchimie interne. À chaque tracé, le Compagnon
éveille en lui les cinq éléments qui le caractérisent : la Terre, l’Eau, l’Air, le Feu, et l’Éther.
Sa propre curiosité doit lui permettre d’assimiler les différentes composantes de la lettre G.
G comme géométrie : la géométrie étant l’art sacré de toutes constructions universelles ;
G comme gnose : c’est la connaissance intérieure qui conduit le Compagnon vers les profondeurs de son âme. De
cette façon il apprend à se connaitre, et à comprendre ce qui se passe réellement en lui. C’est alors, que son esprit
pénètre les mystères de la connaissance.
G comme gravitation : graviter autour du système solaire, assimiler la constellation des étoiles, trouver sa position
face aux astres , se mettre en harmonie avec les planètes, essayer de comprendre la naissance de l’univers, la formation
des galaxies, la matière et l’anti-matière ; ainsi que le positionnement du tracé de l’étoile à cinq branches.
Pour mon cas précis, ce qui me caractérise c’est le travail que je glorifie, pour m’améliorer et donner un sens à ma
vie. Je dois comprendre et assimiler et ce dans tous les domaines. Ce n’est plus faire le pas de côté mais plutôt avoir
pris un virage à 360° ; je prends une autre direction, je trace, avec le compas, mon propre pentagramme à la recherche
des cinq points qui me caractérisent. Le tout premier, c’est l’esprit qui guide ma force et ne me trahit pas. Je ne
baisse pas les bras pour mieux avancer afin de trouver mon chemin en adéquation avec mon destin.
C’est ainsi, que l’opposition du second et du troisième point, qui sont la lune et le soleil, me guide à chercher plus
loin et à repousser mes limites, à les combattre et à affronter mes peurs. Le soleil étant la chaleur ardente de la vie,
la gravitation autour de ce dernier caractérise mon rayonnement personnel et mon charisme que je déploie, en voulant sans cesse m’améliorer, être toujours plus précis et minutieux dans tout ce que j’entreprends ; et la lune est le
point caractéristique du côté lugubre de l’homme.
C’est la transition aux deux derniers points, l’univers me replaçant face au centre de la lettre G m’oriente à nouveau,
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équerre et compas en main, à travailler sans cesse face à l’univers pour mieux me détacher du matériel et pouvoir
accéder à l’infini.
Je me rappelle il n’y a pas si longtemps, simplement quelques mois, lors d’un de mes voyages dans le sud de la
Tunisie, j’ai découvert un tel rayonnement sur un continent différent dont la splendeur m’a ébloui. Là encore,
l’Étoile Flamboyante rayonnait dans mon cœur et mon esprit : état de joie, de bien être, de calme, de sérénité. Car
tout simplement, j’étais sur un autre continent où je découvrais de nouvelles cultures, la tradition était relayée par
les anciens avec lesquels j’échangeais les points de vues, j’ai aimé la simplicité et les contrastes de culture ; j’étais au
porte du désert où j’avais cette sensation très étrange d’être ici chez moi et en loge. J’ai souvent réfléchi et me suis
souvent questionné, pourquoi ? ...
Je pense qu’en Afrique, notamment en Afrique du Nord, comme en Orient, une certaine magie s’instaure me procurant attirance et force réunies. Une force suprême non palpable est bien présente, ces sensations sont réelles et
avoir le même ressenti en Occident est impossible.
Est-ce que le Grand Architecte nous a envoyé le message suivant : tout est parti de l’Orient et tout se terminera en
Orient ? Il faut chercher, mais alors où aller ? et que chercher ? .... Je pense qu’il faut aller vers l’inconnu et commencer le long et magnifique voyage de l’irrationnel où tout est permis de croire, où tout son imaginaire et ses propres rêves personnels prennent toute son ampleur.
C’est le voyage à la vitesse grand V dans les galaxies les plus éloignées de l’univers ; c’est chercher à faire voyager en
toute modestie ma magnifique étoile là où elle me guide. C’est comme une sorte de catapulte qui me transporte
vers mon destin à la découverte de mon futur.
Que vais-je découvrir dans mon futur ? de la peur, du doute, de la force, de la sérénité, de l’assise. La peur, j’ai appris
à la dominer en comprenant ce que cachent les faces les plus incroyables du miroir que ça soit l’acception du côté
animal de l’homme comme le côté doux et calme qu’il représente. Maintenant, j’arrive à maitriser, j’ai enfin reconstruit, en quasi-totalité, le puzzle de mon miroir. Quant au doute je le gère.
Le paradoxe s’est qu’il faut que je canalise ma force, trop de chaleur brûle au plus profond de mon être, c’est comme
une espèce de cocotier qui bout en permanence. Je pense qu’il faut que je prenne le chemin de la raison et de la sérénité, que j’entame le difficile voyage en quête de mon destin. N’est ce pas la véritable fonction de l’Étoile Flamboyante ? Je me pose la question.
Être face à Dieu et à l’univers qui nous préparent vers l’ultime épreuve : l’acceptation de la mort : voir enfin le
rayonnement de la lumière suprême et se dire « c’était ça ! J’ai cherché toute ma vie, je suis vraiment passé à côté ».
Pour ma part, j’ai tout le temps pour chercher et je vais continuer à creuser, à la recherche de ma vérité et de mon
âme sans jamais reculer, ni jamais regarder derrière, mais toujours fixer les étoiles de l’univers pour viser le sommet
et trouver la sérénité.
123
Conclusions de l’Orateur
« Le poète a toujours raison
Qui voit plus loin que l’horizon »1.
Du pentacle légèrement déstabilisé en début de soirée, il avait déjà écrit :
« Étoile, votre paresse à luire est détestable !
Si vous ne célébrez la naissance d’un homme,
Est-ce, étoile, que vous n’honorez que le diable ? »2
Mais nous avons tenu bon et notre ténacité fut récompensée.
Bientôt le pentacle se redressa, d’abord sous l’effet des flux électroniques racontant les voyages externes et internes
de notre Frère Christophe, et durant lesquels d’ailleurs, la rive des ténèbres fut courageusement longée et acceptée.
Et, de la flamboyance qui suivit, par le travail d’Éric et les interventions qu’il suscita, le poète, le même, disait aussi
et enfin et surtout :
« Écoutez ! Puisqu’on allume les étoiles, c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires … »2
1
2
Jean Ferrat
Vladimir Maïakovski
124
6 Avril 2010
Les Visages de la Perfection
Gilles Cor∴
Arcane 8 - La Justice
Symbole de perfection dans le ciel et sur la terre, d’équilibre et de stabilité, elle n’est pas synonyme de la symétrie diabolique. Mais elle nous invite à ne pas verser dans le perfectionnisme ; la perfection est inhumaine,
puisque figée, indépassable, comme la mort. La Justice est profondément
humaine, les yeux ouverts.
Il faut être vivant dans l’obscurité pour refléter la lumière du soleil. La
Justice solaire devient cosmiquement aveugle, volontariste, normative,
intolérante, sans la Lune.
L’arcane majeur n° 8 du Tarot de Marseille, la Justice, qui se trouve être le symbole de la perfection … Dans les premiers instants mais aussi depuis que nous avons abordé cette étude sur le Tarot de Marseille, je dois dire que les
lames se révèlent et raisonnent pour ma part, plus par leur nom que par leur dessin, que je ne trouve pas beau à
priori. Toutefois, et là déjà le travail, commence en y regardant de plus prés et pourquoi pas de loin parfois, ces arcanes majeurs deviennent attachants. Ceci étant, c’est un peu identique pour les “choses” de la vie à partir du moment où nous parvenons soit à aiguiser notre regard, soit à se distancier, soit à connaitre et/ou à reconnaitre, soit
à appréhender, soit à toucher, etc .… la saveur n’est pas la même. En d’autres termes si je parviens à donner du sens
par la perception symbolique de l’objet, du moment, de l’événement, de la vie, aussi difficile et complexe que cela
puisse paraître, une révélation se montre et apparaît. Alors allons-y pour un voyage dans la carte, dans le symbole
et je le souhaite dans l’intériorité, et surement dans mon intériorité.
Dans un premier temps ce qui m’interpelle, c’est le regard de cette justice. En effet, il ne me semble ni projectif
vers la gauche, ni introspectif vers le bas à droite, ni expressif même lorsque je l’associe au reste du visage, sacré paradoxe il regarde mais n’exprime pas. Que me dit-il alors ?
Il est donc plutôt de face et droit dans les yeux, droit dans mes yeux.
Un reflet, comme une flaque d’eau, un miroir. Regarde-moi comme je te regarde. Si tu le peux ? Un défi ? Une invitation plutôt, à voir plus qu’à avoir ?
Une suggestion : cette focale au niveau du regard insisterait alors à aller sur le versant transperçant de l’Homme.
Je réduis le champ de la vision afin de venir sur l’essentiel, l’au delà de l’apparence, un première porte ouverte à
l’autre et vers l’autre. Comme si le reste de l’apparence devenait soudain superficiel. Seuls trois arcanes fixent le regard du joueur, la justice est la première qui accompagne, viendra le Soleil à l’œil plus mou si je peux me permettre
et enfin l’ange du Jugement. Arcanes majeurs 8, 18, 20. Soit 8+18+20 = 46, soit 4+6=10 soit 1+0=1. Je me suis
rarement aventuré sur ce type d’équation, mais pourquoi pas au final puisqu’elle me confirme le premier temps de
125
ma réflexion sur ce regard à savoir l’unité. De plus j’ai pu lire que le Tarot invite à l’avancée, à l’addition plutôt
qu’à la soustraction, à une marche vers l’avant, à une marche initiatique dans le sens ou elle se réalise degré par
degré.
Comme parfois lorsque l’entrée en matière introspective est un peu forte voir dangereuse, la tendance défensive
consiste donc à soit revisiter des évidences avec suffisance, soit à faire un pas en arrière ou à défaut, dans ce cas et
avec la carte en main, de tendre le bras afin de la jeter, non, d’y voir d’un peu plus loin. Cette carte serait-elle déjà
un miroir ?
Alors, Je regarde vite l’ensemble. Je ne plonge pas dans ce regard qui pourrait bien être le mien, et dans lequel je me
noierais tant la confusion des émotions y règne encore en reine des lieux et dont la pénombre actuelle voile une lumière perdue. Donc je regarde cette carte, et je me demande : est-ce une femme qui incarne la Justice ? Oui sûrement
sinon on l’aurait appelé le Juste. Quel âge pourrais-je lui donner ? En a-t-elle un ? Est-ce important d’ailleurs ?
C’est difficile, le cou laisse apparaître des traits, des rides, des plis ? Indicateurs et marque du temps ? Ou bien cela
indique par sa tête en retrait l’interrogation, l’étonnement, la rigueur, la sévérité ou tout à la fois ? Nous invite-telle par sa posture à la prise de distance ? Par le jeu de l’imitation ?
Non pas si simple, il n’y a pas qu’une seule tête en guise de symbole, il y a une carte en entier. Le phénomène de
lecture consiste à la fois à faire confiance à ses yeux pour voir, c’est peut être pour cela que la Justice nous fixe, mais
dans le même temps la magie et/ou la révélation du mystère fait son œuvre dans cette forme imparfaite d’aller et
retour entre la confiance que je trouve au travers de ma vision sûrement parcellaire et les doutes que cela représente
dans tout ce que revêt la notion de l’affirmation. Je ne perce pas ici de secret particulier, je m’y confronte tout simplement.
Poursuivons notre voyage descriptif ; cette femme alors, est-elle assise ? Oui sur un trône et entre des colonnes qui
elles mêmes appartiennent à ce trône, il y a bien ici quelque chose de royal, une référence supérieure tout comme
la présence de l’hermine semble le confirmer ainsi que la couronne. Cela m’indique que la Justice en elle-même est
particulière mais que son accès, lui aussi, est particulier. Elle ne va pas de soi cette justice, elle doit être reconnue
mais en plus reconnaissable pour être reconnaissante.
L’indication supérieure se constate aussi par ce rayonnement jaune au dessus de la tête qui à la fois montre que le
sommet a une terminaison non finie, ou bien qu’il existe bien un lien avec un plan et un niveau au dessus de l’ensemble, au dessus du monde, au dessus de notre monde. Malgré tous ses apparats, dois-je ici lire une invitation à
l’humilité ? J’aime cette idée.
Dans cette liaison haut / bas, il s’agit aussi d’une traversée du ciel à la terre, de la tête au pied (que je ne vois pas
d’ailleurs). Cette terre, dont la couleur est identique au rayonnement solaire, semble meuble, souple, enveloppante ;
elle offre alors cette assise fondamentale à tout édifice, il ne s’agit pas d’une justice sur pilotis, mais bien ancrée
dans le sol, assise et en lien avec le degré supérieur de l’âme, de l’homme, de l’univers …
D’ailleurs, à propos de la posture, des questions me viennent, et notamment sur l’assise car j’aurais pu penser à plus
de mouvement concernant la Justice, dans le sens où celle-ci se rencontre, va vers et accueille, sans que l’individu
ne le décide, donnant par conséquent une dimension particulière au temps, une forme de distorsion et de rupture,
d’attente et d’espérance, mais dans tous les cas, s’il y a quelque chose de supérieur alors ce n’est pas à notre convenance et surtout ce ne serait pas à nous d’en décider. En effet son assise sur un trône me fait croire qu’elle nous attend, que nous allons la chercher en quelque sorte, alors que je préfère croire que c’est aux aléas du chemin que
celle-ci survient et nous interpelle, nous arbitre, nous rappelle à l’ordre. La symbolique de cette assise, sans mouvement, interpelle donc la notion du temps et dans ce contexte questionne ce ratio, parvient-elle à être en mouvement au travers du mouvement des autres, est-elle assise en notre sein ? Bouge-t-elle avec nous par conséquent ? La
rencontre se ferait à l’intérieur de nous même et au travers de nous même …
Cette posture stable donc équilibrée, ne l’est pas dans sa représentation graphique. En effet, il n’y pas dans le dessin
une image qui invite à la perfection car la dissymétrie est le symbole le plus important de cet arcane majeur. La balance n’est pas à l’équilibre parfait, rectiligne, ou si elle y est c’est grâce à l’intervention du genou et du coude.
Outre cette déviation il me semble que la chose la plus importante, c’est que rien ne semble être matérialisé à l’intérieur. Rien n’est mis en balance. Est-ce le bon outil alors? Ou seulement un outil parmi d’autres, qui seraient plus
cachés, plus secrets ?
Peut être que lorsque la Justice met en balance, le déséquilibre est une constante invariable, car sur le jugement et
son émanation un ingrédient supplémentaire existe forcément, nos propres représentations et le savoir, c’est déjà
une étape, l’outil dans ce cadre anticipe et compense. La Justice montre comment dans l’imperfection qui nous ac126
compagne, des outils nous permette une correction et c’est bien dans cet ensemble qui, à première vue, est imparfait
et déséquilibré que l’équilibre se retrouve et s’énonce. Je constate alors que la superposition des couleurs, des vêtements et bijoux indique de quoi est faite cette Justice. De strates, qui sont à la fois séquentielles, ordonnées, désordonnées, colorées, plissées, souples, et elles marquent bien à mon avis le chaos qui est le nôtre ou qui devrait être
le nôtre avant, et afin de rendre un jugement, alors que bien souvent, chez « les diligents justes » l’apparence est
l’inverse, lisse, rigide, sévère, au dessus des hommes ; est-elle à ce titre plus humaine ? Je pense que l’aspect humain
demeure dans cette harmonie qui consiste à appréhender la nature même de l’individu avec ce qu’il y a de fort, de
faible, de beau et de laid, de conscient et d’inconscient, de chaotique et d’organisé. Ce big-bang intérieur réalisant
le lien entre les éléments constitutifs de l’homme et dont la genèse, dans une forme accomplie, s’est réalisée pour
notre univers et au travers de l’universalité de l’homme dans une transcendance explosive et positive. Si l’homme
se partage la planète, il ne possède pas ou plus le même monde intérieur. Pour cela, pensons-nous que la justice se
rend dans un chaos inquiétant et non dans la sérénité ? L’agitation affective individuelle n’est pas une source de
quiétude, elle doit être tout l’inverse, car effectivement si le perfectionnisme est de mise, il anéantit le reste, il oublie
en chemin que la perfection est inhumaine, puisqu’elle arrête, elle sidère, elle n’inscrit plus l’Homme dans une
évolution, une croissance, elle ne considère plus, l’œuvre est accomplie, rien de plus est à réaliser ; quel sens aura
alors la vie ? Est-ce la mort? L’équilibre parfait existe-t-il ?
Non, l’épée nous le rappelle dans la manière dont elle se montre : désaxée vis-à-vis de la colonne du trône. En même
temps la posture est difficile à tenir. Pour tenir une épée de cette façon, il est nécessaire de coordonner esprit/ (pour
la volonté) force / équilibre. Bien en main, elle n’est pas fuyante, levée elle me rappelle son engagement, sa réactivité,
sa potentialité et en même temps l’aspect irréversible de la sentence. Peut-être vient-elle de trancher entre le bon
et le moins bon d’ailleurs, la touffe au sol est peut-être le reste d’un scalp. Pourquoi pas cette explication en complémentarité de celle qui consisterait à dire : une herbe qui pousse même sur une terre non cultivée, presque aride ?
Ou bien que : même sur une terre non cultivée la graine prend racine.
Cela se confirme, par la couleur chair qui me rappelle ma chair et la position en bas, à droite de la Justice me
rappelle l’introspection, le dialogue intérieur. Mon élévation est-elle jointe ou en lien avec la justice que je rends
ou que je me rends ? Les indices du déséquilibre sont nombreux.
Voilà, j’ai voyagé dans la carte, en moi, et tentant comme souvent d’être juste et en sachant d’avance que je ne le
serai pas. J’ai tenté d’aller au devant de la carte, à la superficie et dans les différents plans qu’elle propose dans sa
profondeur, vers sa hauteur et vers sa bassesse. J’ai appris et j’ai oublié dans ces moments, j’ai été à l’équilibre et à
la chute, j’ai été moi ou ce qu’il en reste.
Il me paraît important avant de conclure de vous dire qu’il y a six mois exactement aujourd’hui( le 6 octobre 2009),
je menais mon ami, mon frère choisi, vers sa dernière demeure. Il était perfectionniste, il était engagé dans la vie, il
a pensé une nuit qu’il était en mesure de se juger au point de s’infliger la sentence suprême. Il s’est forcément
trompé. À partir du moment où quelqu’un affirme et sait, tout s’arrête. Ce n’est pas une plainte de ma part, ni une
revendication, encore moins une excuse éventuelle, mais plutôt une explication pour vous dire que la douleur et la
tristesse qui m’habitent me résolvent à me méfier de mes énoncés. C’est extrêmement difficile pour moi de réfléchir
et de produire de la pensée afin de m’élever au niveau symbolique que nécessite une telle étude ; j’en suis là aujourd’hui. J’ai le sentiment d’aller au front tous les jours, sans gloire, tel un soldat dans la solitude de son combat
à la vie. C’est aussi le prix à payer, de la fraternité, de la liberté et de l’égalité.
En guise de conclusion je souhaite vous lire un petit texte de Paulo Coelho qui résonne particulièrement pour moi
en terme de justice et de lutte perpétuelle pour son accomplissement d’abord pour et vers soi, et éventuellement
vers les autres :
« Le guerrier sait que les mots les plus importants, dans toutes les langues, sont de tout petits mots.
Oui. Amour. Dieu.
Ce sont des mots qui viennent facilement et emplissent de gigantesques espaces vides. Cependant, il existe un mot, lui
aussi très bref, que beaucoup de gens ont du mal à prononcer : non.
Celui qui ne dit jamais non pense qu’il est généreux, compréhensif, bien élevé ; parce que le non a la réputation d’être
maudit, égoïste, primaire.
Le guerrier se garde de tomber dans ce piège. Il y a des moments où, tout en disant oui aux autres, on peut se dire non
à soi même.
Aussi ne dit-il jamais oui avec les lèvres si son cœur pense non. »
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Fabien Gof∴
Arcane 18 - La Lune
Archétype féminin maternel par excellence, elle est réceptivité. Au cœur
de la nuit, elle illumine ; elle porte le signe du pôle opposé, elle est le miroir universel où chacun peut se voir. L’ego a quelque chose à offrir dans
le travail spirituel.
« J’ai reconnu que pour être il me fallait aller où je n’étais pas ».
Sans la rigueur de la Justice, et son ancrage dans la réalité, la Lune peut
se perdre et dériver dans les ténèbres, dans la mélancolie, la folie, l’angoisse.
J’ai toujours été très réticent au Tarot. Je trouve d’ailleurs que ma relation au Tarot, qui a fortement évolué grâce
à ce travail, est assez représentative de ce qu’il m’a apporté et de ce qu’il va encore m’apporter. J’ai découvert le
Tarot par ce travail et ceux auxquels je me suis livré sur d’autres arcanes, intrigué que j’étais par mes découvertes
lors de cette planche.
Voici donc ici et maintenant le résultat d’un travail, d’un de mes travaux devrais-je dire, sur le sujet, d’une vision
qui ne se veut pas pédagogique sur les sens – en deux mots - de l’arcane 18, mais plus sûrement (et excusez le barbarisme pleinement assumé) sur l’essence – avec un l apostrophe – “de ce que je me suis aperçu dans cet arcane miroir” et non de ce que j’y ai aperçu ou encore de ce dont je me suis aperçu.
Le graphisme de cet arcane indique trois plans distincts correspondant chacun à un domaine particulier : le plan
céleste manifesté par la lune. Le plan terrestre comportant le sol, les tours et les animaux. Le plan aquatique, entièrement bleu, figuré par l’eau et l’écrevisse. La construction tri dimensionnelle évoque une globalité, car le monde
psychique, principe que l’arcane XVIII décrit, est infini dans sa nature et dans ses applications. Elle ne compte aucune limite à son exercice et si sa formidable autonomie, par rapport au monde réel, constitue sa plus grande
richesse, elle est également son plus grand risque et son plus sûr objet de perdition.
La lune a toujours été considérée comme menteuse et nous ne devons pas nous en tenir à ces apparences d’ordre
cosmique, car cette lame a une signification plus profonde et d’ordre psychique. La Lune, dit Plutarque, est le séjour
des hommes bons après leur mort. Ils y mènent une vie qui n’est ni divine, ni bienheureuse, mais pourtant exempte
de souci jusqu’à leur seconde mort. Car l’homme doit mourir deux fois. Ainsi la lune est-elle le séjour des humains
entre la désincarnation et la seconde mort, qui préludera à la nouvelle naissance. Cela doit ; mes Frères, vous rappeler
quelque chose.
Le plan terrestre est construit selon une loi binaire. Il y a deux tours et deux chiens, c’est-à-dire deux dyades. Ces
dualismes mettent en évidence la complexité de la nature humaine. L’homme est objet de division, et ce qui le
divise le fait souffrir.
Les chiens-loups (animaux difficilement identifiables sur l’arcane) incarnent l’aspect instinctif et animal. Ils dirigent
les énergies pulsionnelles. D’autre part, le chien, d’un point de vue symbolique, représente les plans infernaux dont
il est généralement le gardien. On pense à Anubis, Cerbère, sans oublier qu’il est l’animal consacré à Artémis, chasseresse lunaire et à Hécate, aussi puissante au Ciel qu’aux Enfers. Il régit à ce titre le monde intérieur, la vie imaginaire
et les profondeurs de l’âme. Quant au loup (puisque le couple d’animaux de l’arcane XVIII semble être hybride),
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il tire en grande partie sa signification de sa vision nocturne. Il est le Maître de la nuit et donc le Maître des ténèbres.
Il règne sur le monde obscur et en exprime les puissances occultes et secrètes.
Les tours (la facilité pourrait me pousser à les comparer à Boaz et Jakin) s’apparentent aux constructions individuelles. En ce sens, elles correspondent au domaine de l’acquis, de l’appris, c’est-à-dire du construit. Une tour
n’existe pas à l’état brut ou naturel. Il faut la bâtir pierre par pierre. C’est une longue et minutieuse œuvre.
L’animal incarne l’instinct, le monde des émotions et des affects ; la tour incarne l’intellect, le monde des idées et
des concepts. Or, dans l’individu, ces deux instances s’opposent souvent. Elles peuvent avoir pour autre signifiant :
passion (animal) et raison (tour), cœur (animal) et esprit (tour) ou encore pensée intuitive (animal) et pensée analytique (tour). La difficulté réside dans l’aptitude à unir ces opposés, à les unir car l’un et l’autre sont nécessaires à
l’équilibre. Elles sont en opposition et cette opposition peut générer un déséquilibre. Il peut y avoir neutralisation
des deux ce qui génère équilibre et bien être, mais le moindre élément extérieur peut générer un déséquilibre. Le
positionnement des tours est cependant révélateur de leur fonction principale. Elles sont placées à chaque extrémité,
entourant ainsi les chiens, comme des limites indispensables. Leur solidité est seule garante d’un bon fonctionnement mental. On ne voit pas la fin des tours. Comment se terminent-elles ? Est-ce des tours seules, les points d’entrée d’une forteresse, de villes, ou des forts (comme ceux du Vieux Port tournés vers l’intérieur, non pour défendre
des attaques mais pour contrôler les pulsions) ?
Le plan aquatique, enfin, est entièrement bleu. Il repose donc sur une valeur essentiellement passive. Valeur féminine
et passive, l’eau est le domaine de la Lune, en même temps que son élément. Sa surface évoque le miroir. Si la Lune
reflète la lumière du soleil; le miroir reflète l’image de l’individu. Il permet seul de se voir, non pas à travers le regard
des autres, mais à travers son propre regard (là encore cela doit éveiller des souvenirs). Il donne symboliquement
accès à la connaissance de soi (et donc peut-être un élément de mise en garde). Cependant, l’image spéculaire comporte des déformations (la plus flagrante étant l’inversion latérale). Aussi, le reflet n’est-il pas complètement fidèle
à la réalité. Il est donc nécessaire de différencier son propre Moi de l’image reflétée. Peut-être est-ce là une des explications au fait que l’écrevisse nous montre, à travers sa taille démesurée, les déformations engendrées par le reflet.
L’eau provoque un effet de loupe, un effet grossissant. Dans une certaine mesure, est évoquée ici la survalorisation
de soi, en tout cas la méprise sur sa propre nature. La connaissance de soi ne peut qu’être intérieure et individuelle.
Elle ne nous est donnée ni à travers le regard déformant des autres, ni à travers le reflet trompeur du miroir. Il est
indispensable d’établir la différence essentielle entre l’apparence (la manifestation extérieure et physique) et l’être
(la dimension intérieure et psychique), mais pas forcément l’être connu ou l’être montré, mais l’ÊTRE en lettres
majuscules, voire même L’ÊTRE (avec apostrophe) MAJUSCULE.
Il est tout aussi difficile d’entendre la prise de conscience de celui qui a l’égo démesuré, que, pour celui qui a un ego
démesuré, d’en prendre conscience. Croyez-moi sur parole c’est assez frais en ce qui me concerne pour que je vous
apporte tous les garanties requises. Ceci dit, en disant cela, je me demande même qui parle : L’ego, l’être minuscule
ou l’être majuscule.
Mais l’arcane est aussi un nombre. Celui de la Lune est le dix-huit. Le dix-huit s’articule sur une notion de passivité
radicale et d’inertie matérielle totale. Selon sa constitution 10 + 8 (vous avez remarqué la structure des travaux et
les couples formées dans nos travaux de l’année la lame 1 avec la 11, la 2 avec la 12, la 3 avec la 13 … et la 8 avec la
18), il met en présence deux chiffres pairs. Le dix incarne le mouvement perpétuel de la Roue de Fortune ; tandis
que le huit se rattache aux notions d’infini, d’éternité et d’immuabilité. Dix-huit évoque le cercle vicieux, ce qui
n’a ni issue, ni fin, l’Ouroboros (le serpent qui se mange la queue). Or, ce principe repose sur une ambivalence. Il
peut trouver une expression positive dans la libération qu’il propose : illimité = sans limite. Ou, au contraire, une
expression négative dans l’enfermement : infini = qui n’a pas de fin, quelque chose dont on ne peut pas sortir. C’est
pourquoi, selon l’exploitation que l’on fait du dix-huit, c’est-à-dire de la Lune, il peut permettre d’évoluer ou il
peut être cause d’involution. C’est l’une des propriétés majeures de l’imaginaire, tel qu’il est décrit dans l’arcane
XVIII, qui peut trouver une manifestation positive dans la création ou négative dans l’illusion.
Si on additionne le chiffre de l'arcane 1+8 nous obtenons 9. Le 9 est un multiple de 3, la mention du ternaire répété
trois fois.
Mais nous avons aussi 2x9=18. Le neuf se rapporte dans ce cas à L'Hermite. Monde de l'intérieur et de l'introspection tout comme la Lune. Le 9 est aussi le nombre généralement associé à la gestation, à la naissance. Or l'arcane
18 symbolise aussi une gestation. Même si elle n'est pas apparente, elle est intense et secrète. Autant dans L'Hermite
que dans La Lune, il n'y a aucune activité apparente. Tout est intérieur. C'est un temps d'arrêt et de méditation, un
temps de développement intérieur. Nous sommes là dans l’évolution, l’aspect positif.
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Mais18 c’est aussi 1 +8 =9 et 9+9 = 18. Cette double opération n’est possible qu’avec ce seul nombre. Habituellement, lorsqu’on ramène un nombre à l’unité, en doublant l’unité trouvée, on n’obtient jamais le nombre de
départ. Par exemple : 14 c’est 1 + 4 = 5 mais 5 + 5 = 10 et non pas 14 ; 16 c’est 1 + 6 = 7 mais 7 + 7 = 14 et non
pas 1. Là 18 c’est donc 1+8 = 9 et 9+9 = 18 et nous sommes là dans l’involution, l’aspect négatif.
La Lune revoie la lumière solaire sur la Terre. Rien ne provient, à proprement dit, de la Lune, puisqu'elle n'est que
le miroir du Soleil. Elle donne la lumière durant la nuit, ce qui permet de voir, de se diriger, pendant ce temps.
Mais cette lumière est faible ou diffuse, en tout cas, indirecte, ce qui provoque des déformations (là encore), un
esprit obscurci, les phobies et névroses de toutes sortes, promises aux déceptions diverses.
En psychologie, c'est l'irruption de l'inconscient. Jung appelait "Soi", le mélange du conscient et de l’inconscient,
c'est à dire d'arriver à fusionner la conscience et l'inconscience, afin d’arriver au bout de soi-même et de ses facultés.
La Lune explique cette face inconsciente de nous, qui est difficile à vivre. Et pourtant, nous avons tous, comme
elle, une face cachée pour ne pas dire plusieurs. Cette face inconsciente est difficile, simplement parce qu'elle est
inconsciente et que l'ego conscient a besoin de certitudes. On peut donc en avoir peur et rester tranquillement
chez soi, casanier, afin de ne rien déstabiliser. Mais on peut aussi en vouloir à d'autres et jeter des flous, créer le
doute et l'incertitude, parfois inconsciemment.
En façonnant les symboles provenant de l'inconscient, on parvient à l'imagination, à la créativité. La Lune permet
donc de faire resurgir tous les contenus refoulés de l'inconscient. Image de la mère, image de l'Anima, image de la
tradition, figuration de toutes les folies issues de l'imagination, la Lune reste pour l'humain un mystère. C'est à l'humain de commencer un dialogue avec ses parties plus inconscientes. Le fait de comprendre ses secrets peut aider à
un véritable épanouissement. Il ne sert à rien de fuir, la vraie réalité doit s'affronter. Encore faut-il avoir conscience
de ce qu’elle est. On peut voir des gens qui rêvent à ce qu'ils ne sont pas. Et je suis là, mes Frères, dans une phase de
fertilité objective, je peux penser à une bonne gestation des circonstances. En effet, le Tarot invite à conduire soimême son initiation en apprenant d'abord à se mettre à l'écoute de son être profond et de l'univers.
Arcane: ce nom est important. «Un arcane est un ferment ou une enzyme dont la présence stimule la vie spirituelle
et animique de l'homme» écrit l'auteur des Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot. Et il ajoute que ces arcanes majeurs sont des symboles authentiques qui cachent et révèlent à la fois leur sens au fur et à mesure de la profondeur du recueillement de celui qui les médite. Il est donc clair que pour comprendre la démarche initiatique
contenue dans le Tarot, l'attitude intellectuelle ne sert à rien. C'est d'une recherche existentielle qu'il s'agit. Dès
lors, la marche à suivre est claire : s'engager résolument sur ce chemin de sagesse dont chacune des 22 étapes correspond à un stade de l'initiation qui est, nous dit Michel Mirabail, «une élévation à un niveau supérieur de conscience
et de perception, germe de développements futurs». Pour discerner ce qu'ils signifient, il faut exercer notre esprit à
chercher, à réfléchir, à raisonner, à comparer jusqu'à ce que la lumière se lève, sans jamais se décourager. Nous
sommes là dans un cheminement des plus initiatiques. Le symbole effleure et stimule l'inconscient. Ce qui est en
cause, dit Oswald Wirth, c'est l'art de penser, le grand art, l'art royal, car le royaume à conquérir est celui de l'Esprit.
L'écrevisse, mangeuse d’excréments, nettoie l'eau de par ses activités. L'eau devient de plus en plus pure, le miroir
opaque de l'inconscient se clarifie.
Les gouttes sont les bribes de messages qui passent de l'inconscient vers le conscient, peut-être d’un chien soumis
et l’autre dominant. Mais qui est le soumis ? Qui est le dominant ? Le conscient ? L’inconscient ? A chacun sa réponse. A chacun son interprétation. A chacun son illusion.
Les femmes et hommes lunaires vivent, parait-il sous l'influence de la lune. Comme cet astre, ils sont soumis à des
marées intérieures où leur sphère émotionnelle varie selon leurs humeurs et par des cycles récurrents. Ultrasensibles,
ils expriment leurs émotions avec vivacité et semblent vulnérables. En réalité ils nourrissent une intériorité en ébullition qu’ils ont du mal à maîtriser voir simplement à utiliser. A ce stade du travail, Vénérable Maître et vous tous
mes Frères, c’est une révélation : je suis un homme résolument lunaire.
Le chemin de la sagesse, c'est ainsi que l'on nomme les arcanes majeurs car ils représentent avant tout un parcours
initiatique au terme duquel l'être humain s'est réalisé. Tel est le cheminement du Mat.
La Lune prépare l’initié à la rencontre avec la lumière. Les Étoiles nous disent d’espérer de nous abandonner en
toute confiance, mais la Lune éclaire doucement que par le reflet du Soleil afin de nous préparer doucement à
contempler la vérité que l’homme lui même ne peut contempler car elle lui est voilée. La Lune nous achemine donc
lentement des ténèbres à la lumière. Étoile, Lune Soleil. 17, 18, 19. Le chemin de la sagesse poursuit son déroulement. Et c’est par ce chemin lunaire en plein cœur des émotions humaines, des doctrines reçues, qu’il faut être ob131
jectif et visionnaire. Soyons donc dynamiques dans notre lecture car rien n’est gratuit dans le Tarot. Rien n’est le
fruit du hasard. Inscrivons donc cette suite, dans celle plus longue des arcanes majeurs.
Par exemple ; en présentant un chien à notre regard, le Tarot souhaite nous dire quelque chose. Or, ce chien est
présent dès la première carte. Mieux même, il est présent comme premier élément d’accroche. En effet, c’est le premier “élément” sur lequel nos yeux se posent lorsqu’on lit la lame du Mat de gauche à droite. Si le Tarot attire notre
attention sur un chien (avant même de débuter avec l’homme qui marche), c’est que ce chien aura une importance
et/ou une symbolique porteuse. Ce chien est donc en train d’accompagner le Mat. Mais il le pousse, aussi. Il l’oblige
à se mettre en route. Il y a donc une impulsion, venant d’ailleurs, qui a fait que le Mat s’est mis en quête. Par extension, ce chien suit, protège et surveille le pèlerin tout au long de son cheminement. Le chien suit le Mat … s’il le
suit, il ne lui ouvre pas la route ! Il guide, mais il ne nous ouvre pas la voie, il ne nous montre pas le chemin. Il ne
passe pas le premier, en éclaireur. Non. Il valide notre mouvement, il nous oblige à faire le premier pas. De là, un
premier enseignement : s’il est à nos côtés tout au long du chemin, ce n’est toutes fois pas lui qui nous l’ouvrira. La
première impulsion donnée, il nous faudra nous prendre en mains. Le chien peut symboliser de nombreuses choses,
valeurs, idéaux. Dans mes recherches, il fut même question de Dieu. De Dieu, alors pourquoi ne pas dire du Grand
Architecte De L’Univers, symbole le plus représentatif pour moi de ce qu’est notre méthode initiatique. Faisons
donc le lien et changeons le chien en “la méthode maçonnique”. La méthode maçonnique veille donc sur nous tout
au long de notre cheminement. Nous pouvons donc être en confiance. Une fois lancé dans l’aventure, nous savons
que son soutien nous est acquis, fidèle comme celui du chien. Elle est là pour nous maintenir sur le droit chemin,
si j’ose ainsi m’exprimer. Elle est là pour nous pousser (c’est bien visible sur la carte) à aller jusqu’au bout. Pas question d’abandonner en chemin ! Nous ne sommes pas en promenade sur un chemin fleuri. Nous sommes sur un
chemin abrupt, certes aidé, mais un chemin abrupt.
En guise de longue conclusion, je vous propose une synthèse de ce travail et quelques développements complémentaires.
La Lune 18e arcane majeur du Tarot, principe féminin, est le symbole des créations imaginatives. Elle est le rêve,
l'imagination, l'intuition et la sensibilité. Archétype féminin maternel par excellence, elle est réceptivité. Au cœur
de la nuit, elle illumine ; elle porte le signe du pôle opposé, elle est le miroir universel où chacun peut se voir. L’ego
a quelque chose à offrir dans le travail spirituel. « J’ai reconnu que pour être il me fallait aller où je n’étais pas ».
Passer du doute de l’autre au doute de soi. Passer du doute de soi au doute sur son ego. Aller où je ne suis pas, avoir
le courage de paraître faible. Avoir la force de dire « non vous n’avez pas tort, mais je ne sais pas. Je ne sais plus ».
Aller où je ne suis pas c’est aussi aller où j’ai peur d’aller. Aller, là où je vais reconnaitre que je me suis trompé. Reconnaitre que la position tenue pendant si longtemps était dictée par les autres (par lâcheté ou pire pour quémander
l’amour ou pire la cooptation). Ou pire encore, se rendre compte en allant où l’on n’était pas, que l’autre, l’ego,
nous avait entrainé dans l’erreur et le fourvoiement. Reconnaitre l’idée derrière le mot, le symbole derrière
l’image … la vérité derrière l’erreur. C’est pourquoi, sans la rigueur de la Justice, et son ancrage dans la réalité, la
Lune peut se perdre et dériver dans les ténèbres, dans la mélancolie, la folie, l’angoisse, refuges parfois de la honte
subit quand la lumière soudain se dévoile violemment.
Recevoir pour renvoyer. Recevoir pour rendre. La lune reçoit la lumière avant de la renvoyer et éclairer différemment. Elle est “ féminin” car cette réception est celle de la sève de l’homme qui va donner l’enfant. La Lune n’est
pas la fleur jolie stérile, mais celle donnant le fruit. Tel doit être notre processus initiatique. Recevoir et donner,
donner et recevoir.
Le doute est initiatique, mais le doute maîtrisé.
Au singulier. LE DOUTE génère le déséquilibre qui quand les forces s’annulent amène l’équilibre. L’équilibre,
précaire par définition, si dangereux par nature. Mais un équilibre qui, par le travail, peut amener à la stabilité. Une
stabilité permettant alors de construire grâce AUX DOUTES. Nous voici dans le pluriel.
Du DOUTE (au singulier, voire du doute singulier) aux DOUTES (au pluriel, voire des doutes singuliers), loin
d’être diabolique, cette symétrie crée une dynamique vertueuse, une mécanique initiatique sur laquelle l’éternel
apprenti devenu Maître. peut construire, grâce aux outils donnés par notre démarche à chaque grade et degré.
Doute => Équilibre => Stabilité, ce triptyque peut devenir une mécanique vertueuse en instillant les doutes dans
une démarche de construction présidée par l’humilité. Etre maître c’est maitriser, garder la maîtrise. Etre maître
de son véhicule c’est en garder le contrôle. Reconnaitre que l’on est maître c’est aussi accepter l’erreur et le doute.
Le sien (gare à l’errance de l’ego), mais aussi celui de l’autre … le Frère, celui que l’on reconnaissait comme tel avant,
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mais que l’on rejette aujourd’hui car on ne veut ou ne peut comprendre ses doutes et ses faiblesses … À moins que
l’on ait peur qu’en comprenant les siens on mette à mal ses propres certitudes. Mais n’est-ce pas là être initié que
de le reconnaitre ? N’est-ce pas là être initié que de se représenter devant ses Frères en reconnaissant ses errances ?
N’est-ce pas être initié que de comprendre les errances de l’autre ?
Il est important de comprendre que cette lame indique qu'il faudra de la persévérance à l'homme pour sortir du
marais, c'est-à-dire de se libérer de ses habitudes et de son passé, de traverser les obstacles, d'abandonner la protection
des tours pour aller de l'avant en assumant son animalité et sa face cachée, aller vers l'horizon, vers l'avenir, vers le
Soleil (qui est la carte suivante).
17 – 18 – 19. Étoile, Lune, Soleil. Le chemin de la sagesse. Sur la voie de l’illumination mystique où nous a conduits
le 17e arcane (l’Étoile), la Lune éclaire le chemin, toujours dangereux de l’imagination tandis que le Soleil ouvre la
voie royale de l’illumination et de l’objectivité.
La quête est longue, mais nous voilà sortis, du moins j’ai la faiblesse de le croire, de la nuit. Le Soleil nous indique
le chemin, espérons qu’il ne nous aveugle pas. Sans quoi le Mat sera échec.
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Conclusions de l’Orateur
Les visages de la Perfection ne le deviennent que s’ils ont l’audace de se regarder. Apprendre à se regarder sans peur
est une conquête de l’humanité, un combat à mener tous les jours, à chaque instant, à chaque rencontre …
Les visages de la Perfection ne le deviennent que si, se regardant, ils acceptent leurs différences et apprennent à les
aimer.
Les visages de la Perfection ne le deviennent, ne tendent à le devenir que si nous n’oublions pas que le visage de la
Lame Justice nous regarde droit dans les yeux et que, par là, elle nous invite à soutenir de même le regard de chacun
de nos Frères, de chacune de nos Sœurs.
Et dans ce dessein, ô étrange signe, regardons la Lune, le satellite de la Terre et sans lequel la vie n’aurait pu s’établir
sur notre planète. Regardons la Lune quand elle est pleine qui nous rappelle à chaque cycle, par le visage qui s’y
dessine, que notre quête de perfection sera vaine si nous omettons de regarder l’autre.
Car regarder l’autre, et même si c’est pour s’y opposer, est sur un mode réflexif, d’échange, un acte de justice qui
introduit à la dignité, la sienne et la mienne.
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20 Avril 2010
Tenue au 3e degré symbolique
Crise et régénération
Bernard Flo∴
Arcane 9 - L’Hermite
Dépasser le parfait suppose l’entrée en crise pour la construction d’un
monde nouveau. L’Hermite transmet son trésor à quelques élus qui viennent le chercher dans sa solitude. Il est aussi le passage vers l’inconnu,
par la plus haute sagesse comme par la crise la plus profonde.
Il se signale dans la oideur de sa solitude, à la recherche de l’amour de
toute chose, sa patience est infinie.
« Entre la vie et la mort, dans une crise continuelle, je tiens ma
conscience éveillée, pour guider le suiveur comme pour me signaler moimême, prêt à être secouru, à être aidé, à être aimé. »
Sans le Soleil, l’Hermite tombe dans la solitude et l’avarice spirituelle,
sans transmettre.
La réalisation de cette planche sur l’Arcane VIIII au troisième degré qui nous réunit ce soir m’a contraint comme
malgré moi à m’interroger sur des questions de méthode, voir de légitimité. En effet, présenter une compilation de
données plus ou moins maçonniques, plus ou moins ésotériques, reviendrait –s’il n’y a pas à la base un fil conducteur, une volonté de faire sens, de spiritualiser la matière et d’avancer dans la Lumière - à faire du tourisme symbolique, et pas vraiment à participer à la construction du Temple.
La carte que nous avons sous les yeux est un matériau qui a pris de nombreux visages différents au cours des siècles :
j’ai vu dans d’autres jeux de tarots l’Hermite avec un sablier à la place de la lanterne, et un dragon à ses pieds, sans
compter l’adjonction tardive de la neuvième lettre de l’alphabet Hébraïque, ou le mélange des couleurs lié probablement aux aléas de la reproduction mécanique. Si on s’en tient strictement à la version orthodoxe du Tarot marseillais que nous avons sous les yeux, celle de Philippe Camoin, on peut tout à fait partir d’une analyse objective,
qui cerne au plus près les formes, comme s’il s’agissait d’une sculpture figée dans le temps, et dériver peu à peu vers
une mécanique de sur-symbolisation dont l’écueil est justement de faire du sens avec n’importe quoi. D’où la
double nécessité à mon avis de s’en tenir d’une part à quelques éléments parmi les plus représentatifs de notre
arcane, et d’autre part de poursuivre un développement cohérent chevillé à notre démarche maçonnique.
Je vais tâcher de m’y atteler, sans garantie de succès, d’abord parce que ce n’est pas si simple et que les pièges sont
nombreux, ensuite parce que nous sommes au troisième degré, c'est-à-dire un degré auquel j’ai été élevé, certes,
mais dans lequel, je vous l’avoue franchement, je patauge encore allègrement. Je feuilletais encore Guénon hier
soir et notamment ce qu’il écrit au sujet des “petits mystères” qu’il fait coïncider en maçonnerie avec le grade de
maître et l’initiation “royale” et qu’il définit comme le stade initial de la tradition primordiale, par opposition à
l’initiation “sacerdotale” et aux “grands mystères” qui, eux, concernent les états supra-humains. C’est dire combien
la Voie initiatique est étroite, exigeante et ne permet à aucun moment l’à peu près. On me répondra aussi (je le
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sais) de prendre garde à ne pas trop lire Guénon, et pourtant ses analyses, mis à part quelques bizarreries, semblent
tellement couler de source que je n’ai pas trouvé à ce jour d’équivalent dans la littérature maçonnique.
Dans la sphère judéo-chrétienne, la figure de l’ermite renvoie à de multiples notions. Historiquement, à l’aube de
la chrétienté, l’érémitisme s’est substitué au culte du martyre, et les anachorètes parcourent le monde, ses cavernes
et ses déserts, à la recherche d’une communion unique avec le divin. Aux premières heures du Moyen-âge, des ermitages sont fondés qui donneront lieu aux multiples formes d’ordres religieux –monastères, abbayes- qui subsistent
toujours actuellement. De façon plus folklorique, des reclus et des recluses sont emmurés vivants, sorte d’icônes
porte-bonheur en tête d’un pont fortifié ouvrant l’accès à une ville médiévale jalouse de ses prérogatives. Le culte
de l’ascétisme et de la pénitence, voire de la flagellation, survivance populaire du Chemin de Croix, avec ses nombreux pèlerinages, donnera au XVIIe siècle le quiétisme, en passant par les exercices spirituels d’Ignace de Loyola,
et la plupart de nos saints et de nos saintes, du Curé d’Ars à Sainte érèse, sont des sortes d’ermites en extase où
les stigmates les plus grossiers rivalisent avec des crises du mysticisme le plus aigü. Dans les temps modernes, un
Charles de Foucault succombant aux coups des mauvais compagnons du désert à Tamanrasset, et un Abbé Pierre
contemplant la voûte étoilée de son regard d’enfant étonné sont encore des figures vivantes de cet érémitisme indissociable de l’exotérisme religieux.
Autre figure célèbre apparentée, mais comme par analogie inverse, celle du juif errant, apparue en Europe à peu
près à la même période historique. Selon la légende, le juif errant était un cordonnier qui n’aurait pas porté secours
au Christ lors de son martyre et vivrait éternellement la double malédiction d’errer en permanence à travers les nations et de ne jamais connaître la mort. Cette figure popularisée par l’imagerie d’Épinal et la littérature romanesque
du XIXe siècle est en fait un redoutable vecteur de l’antisémitisme mondial et a donné notamment lieu à l’affaire
très controversée des Protocoles des Sages De Sion, faux historique né dans la Russie impériale pendant la première
guerre mondiale et dont la renommée diabolique s’étend jusqu’à nos jours, particulièrement dans les cercles révisionnistes et autres négateurs de la Shoah.
Aussi sûrement que d’après Guénon la voie mystique se distingue de la voie initiatique, l’Hermite de l’arcane VIIII
se différencie totalement des figures d’ermites et de pèlerins que je viens s’évoquer. Non pas d’ailleurs que le contenu
judéo-chrétien ait subitement disparu, mais seul subsiste de lui ce qui peut le rattacher à un fond symbolique universel qui va bien au-delà des dogmes strictement religieux. On parlera donc plutôt d’ésotérisme chrétien et d’une
appropriation ésotérique de la passion du Christ. En l’occurrence, dans notre arcane, je note la présence d’une colonne rouge sur l’une des faces de la lanterne qu’il est possible d’interpréter comme le sang du Christ à l’intérieur
du calice ou du vase sacré, le Graal, tout ceci nous ramenant à l’hermétisme chrétien et aux symboles de la Chevalerie, très présents au Rite Écossais Ancien et Accepté.
Autre référence à la Geste biblico-évangélique, le bâton de notre Hermite, sur lequel je reviendrai plus loin, et dont
les ondulations peuvent évoquer le bâton de Moïse se transformant en serpent dans l’Exode. Ces deux points confèrent déjà à la figure de notre arcane un statut bien supérieur aux simples anachorètes parcourant le monde à la recherche de Dieu, et j’en viens maintenant aux deux facteurs qui à mon sens peuvent permettre de rattacher cette
figure à la Voie initiatique et aux sciences Traditionnelles : tout d’abord le H du mot Hermite, et ensuite le nombre 9.
De façon manifeste, la lettre H fait référence à Hermès, version grecque du dieu égyptien ot, qui se transformera
en Mercure chez les latins, et à la figure mythique d’Hermès Trismégiste, patron des alchimistes et dont la Table
d’émeraude contient le fameux précepte : «ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une
seule chose» ; profession de foi de la philosophie hermétiste qui est une vision du monde fondée sur les correspondances et les sympathies unissant microcosme et macrocosme. Ainsi notre Hermite se voit rattaché à une filiation
hautement traditionnelle qui remonte à Pythagore et parcourt les siècles à travers des figures aussi hautes en couleur
que Paracelse, Newton, Fulcanelli ou Robert Ambelain.
Dans cette optique, notre lanterne magique se transforme en athanor, symbole alchimique du creuset des transmutations, symbole également de la matrice ou de l’œuf du monde qui est à la base de toutes les initiations. L’œuf
du monde qui appartient aussi à la symbolique de la caverne et du siège de l’intelligence dans le cœur.
Quant au bâton rouge de notre Hermite, ses ondulations, absentes dans le bâton de marche du Mat, et la sorte de
crochet qui le surmonte peuvent permettre de l’identifier au serpent ou au dragon, traditionnellement interprété
comme le gardien des choses cachées. Ici le serpent a quitté l’horizontale pour la verticale avant de former un cercle
parfait et de figurer l’Ourobouros, union de la Terre et du Ciel. C’est également une préfiguration du caducée,
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emblème d’Hermès : axe du monde autour duquel s’enroulent deux serpents accouplés en spirales inverses représentant les forces ascendantes et descendantes qui président aux changements d’états de l’être. La multiplicité des
états de l’être peut d’ailleurs être suggérée par l’image de l’arcane suivante, la Roue de Fortune vers laquelle se dirige
à reculons l’Hermite. La roue représente dans sa circonférence les innombrables cycles de la manifestation, par opposition au centre, au moyeu de la roue, qui représente lui l’invariable milieu et le centre cosmique de l’être.
Le nombre neuf rédigé en chiffres romain avec un cinq suivi de quatre un ne semble pas vouloir résulter d’une
erreur typographique et permet d’avoir recours à toute la symbolique des nombres qui est aussi une des caractéristiques de l’hermétisme et de toutes les sciences traditionnelles. «Tout est arrangé d’après le nombre» aurait dit Pythagore, et en effet notre nombre neuf nous invite à le décomposer, le dérouler à volonté en sous-ensembles, et
notamment le 3, le 5, le 7 et le 9 qui sont les nombres successivement de l’A, du C et du M en maçonnerie : je cite
Julien Behaeghel, dans Le compagnon franc-maçon et l’art du trait : « diviser ou multiplier par neuf, c’est recevoir
la lumière, la recevoir au centre de la croix. Devenir rose (cinq) – croix (quatre). Le neuf est la nouvelle lumière, celle
que porte l’Hermite du Tarot, celle qui brille au centre du monde en neuf. »
Si le nombre sept est le nombre du Maître maçon, le nombre neuf appartient également au troisième degré : les
batteries sont à neuf coups et neuf maîtres sont envoyés à la recherche du corps d’Hiram. Neuf est le dernier nombre
avant le nombre 10, la Tétrakys, la divine décade, l’unité cosmique. Le monde de la Tradition chinoise est un monde
en neuf, et trois multiplié par trois peut signifier le principe trois terminant son incarnation, d’où une fin des temps
et l’émergence dans le non-temps, au-delà de la manifestation. Le nombre neuf évoque également le fœtus qui a
atteint son plein développement dans l’utérus, avant sa naissance et son apparition au monde. De même le Christ,
selon les Évangiles, est crucifié à la troisième heure, commence son agonie à la sixième heure et expire à la neuvième
heure. Enfin, le nombre neuf est le nombre du ciel et de Béatrice, nombre mystérieux qu’il faut appeler Amour,
nous dit Dante dans la Divine Comédie. Neuf est une germination, une mise en croix précédant la venue au monde
de quelque chose de nouveau. Dans toutes les traditions, quelque chose à un moment donné a été éparpillé et demande à être rassemblé, quelque chose a été perdu et demande à être retrouvé, quelque chose a été dissous et demande à être coagulé, tel peut être le sens que nous pourrions donner à la quête de notre Hermite alchimiste.
Dans le rythme des 22 arcanes, l’Hermite de l’arcane VIIII avance à reculons, quittant le monde trop parfait de la
Justice pour atteindre le monde dangereux et changeant de la Roue de Fortune. Il a les yeux fixés sur sa lanterne,
graal, athanor, pierre cubique à pointe surmontée du cercle entourant le point, symbole de l’unité cosmique. De
même, dans le rituel d’élévation au grade de Maître, le récipiendaire Compagnon avance à reculons en direction
de l’Orient, les yeux encore fixés sur la lumière émanant de l’Étoile Flamboyante, avant de succomber à la traitrise
et de renaître à la Lumière, transfiguré par la mort. Le thème du sacrifice et de la résurrection, omniprésent dans
les traditions initiatiques, est central dans le rituel du troisième degré de la maçonnerie. Qu’il s’agisse de la passion
du Christ, du sacrifice d’Osiris ou de la mort de Maître Hiram, les éléments du mythe se superposent et se croisent
indéfiniment. Osiris devient successivement, en se répandant, l’eau, l’air et la terre. Il connaîtra ensuite la résurrection par le feu de l’amour d’Isis et d’Horus. De même, le Christ sacrifié connaîtra l’écartèlement de la crucifixion,
l’enfermement dans la terre et la renaissance dans la lumière. Quant à Hiram, il combine en lui les aspects essentiels
du sacrifice initiatique. Il mourra par les trois blessures que les trois mauvais compagnons lui infligeront : au cœur,
à la nuque et au front. Ces trois points représentent les chakras de vie de l’être humain. Ils figurent également le
signe de la croix christique. Et Hiram renaîtra par les cinq points de perfection qui faisaient partie à l’origine du
grade de Compagnon.
Notre Hermite de l’arcane VIIII a plusieurs affinités avec Hiram : c’est un initié qui a atteint les degrés supérieurs
de la connaissance alchimique et traditionnelle. La lanterne qu’il tient à hauteur de son regard symbolise la quintessence de l’être à laquelle il est parvenu et dégage une lumière lunaire, cachée, mais suffisante pour le guider dans
les ténèbres du monde manifesté où il se déplace, en quête d’immortalité. Son œuvre terrestre est accomplie, en témoignent les champs soigneusement labourés remplis de la promesse de futures moissons, et, à l’instar de son bâton
commençant sa métamorphose, il est en train de quitter l’horizontale pour la verticale. En effet, là où on aurait attendu des pieds, entre les deux plis de son vêtement bleu et vert, je trouve, si je n’ai pas la berlue, ce qui semble manifestement être une branche d’acacia de couleur jaune, ce qui n’était certainement pas prémédité par les
concepteurs médiévaux du tarot marseillais, encore que, l’acacia étant tout de même le bois dont est faite l’arche
d’alliance de la Bible, ce qui, disais-je, pourrait vouloir signifier que notre Hermite a déjà quitté la deuxième di137
mension et entamé son ascension et sa métamorphose. On peut ici évoquer la marche du Maître qui enjambe à
deux reprises le tombeau et dont le pied gauche puis le pied droit quittent momentanément le sol, dans un mouvement qui l’arrache furtivement à la terre et le rapproche du ciel, par opposition aux deux degrés précédents, Apprenti et Compagnon, qui sont, dans leurs déplacements, encore fermement rattachés à la terre, la matéria prima.
La figure du Pendu de l’arcane XII évoque également cette coupure symbolique entre l’esprit et la matière. Accroché
par un seul pied à l’arbre de vie, le pendu a rejoint le monde des Dieux boiteux qui sont des Dieux initiateurs. L’initié a le pied libre. Claudiquer, boiter, c’est quitter progressivement le sol de la “terrestréité”. Devenir boiteux ou
unijambiste est le signe de l’initiation. En mythologie, je cite Julien Behaeghel, « la claudication symbolise la marque
au fer rouge de ceux qui ont approché la puissance et la gloire de la divinité suprême. Dans le processus initiatique, c’est
le commencement de la transmutation de la matière en esprit. » Cet accès à la troisième dimension signifie que
l’initié a acquis la maîtrise et traversé en partie le royaume de la mort. L’Hermite se coupe du monde terrestre, se
plonge dans la gnose, l’adoration et l’état d’éveil, il parcourt le ciel, en témoignent les deux lunes placées à deux
endroits stratégiques, la nuque et le bas-ventre, et figurant peut-être le parcours de la Kundalini ou du serpent mythologique se préparant à se métamorphoser.
Abandonnant la justice des hommes et tournant encore le dos aux manifestations cycliques de la roue de fortune,
l’Hermite est en état d’enstase, ayant acquis suffisamment de lumière solaire pour ne plus laisser subsister que la
pâle lumière intérieure de sa lanterne dont lui seul connaît l’extraordinaire richesse puisqu’il s’agit ni plus ni moins
que de l’or des philosophes, du sang du Christ ressuscité auquel il s’assimile à travers son regard empli de sagesse.
Julien Behaeghel, dans son livre Le maître maçon et la mort symbolique, insiste sur le fait que le mythe d’Hiram,
introduit par les maçons spiritualistes du XVIIIe siècle, constitue une dégradation des mythes fondateurs. Il y
manque en effet l’élément féminin : C. G. Jung écrit, je cite : « le facteur féminin, c'est-à-dire l’anima est le pont et
la condition sine qua non (…) L’anima qui signifie naturellement l’homme dans sa totalité : masculin plus féminin =
conscient plus inconscient (…) Et la sphère inconsciente de la psyché est le lieu où se manifeste l’esprit vivant qui en
l’homme dépasse l’homme. »
Je cite encore Julien Behaeghel : « Dans la plupart des morts et résurrections des Dieux, c’est par la femme, la Vierge
Mère que se fait la régénération de l’être. Ce fut le cas pour Osiris, par la quête amoureuse d’Isis ; pour ésée par le fil
d’Ariane ; pour Orphée par sa descente en enfer à la recherche d’Eurydice ; pour Dionysos qui trouvera son unité par
son union avec Ariane ; et enfin pour le Christ qui recevra son incarnation par Marie. La Vierge permet à l’homme
initié ou au Dieu de refaire son unité. Il s’agit à la fois d’une nouvelle naissance et d’une union sacrée. Une union que
les alchimistes ont symbolisée par le mariage de la reine et du roi dans l’eau philosophale de régénération. »
Alexandro Jodorowsky, dans La voie du Tarot, voit, dans l’arcane VIIII et dans le pli de la main qui tient la lanterne
« des hanches et un pubis de femme en miniature ». Et effectivement, en regardant le dessin de cette manière on
voit bien cela. Mais comment l’interpréter ? Et comment interpréter l’expression bien connue des “Enfants de la
Veuve” ? De qui sommes-nous donc les enfants ? De la maçonnerie ? De Jacques de Molay, Grand Maître des Templiers, supplicié en 1314 ? De la Vierge Marie ou bien de cette femme évoquée brièvement par la Bible en ces
termes : « le roi Salomon envoya chercher Hiram de Tyr. C’était le fils d’une veuve de la tribu de Nephtali, mais son
père était un Tyrien qui travaillait le bronze. » ? Jean Pierre Bayard écrit, dans Symbolisme maçonnique traditionnel,
« la anc maçonnerie serait veuve depuis la mort de Jacques de Molay, le Grand Maître des Templiers. La filiation directe entre Templiers et anc-maçons n’est pas certaine ; on peut surtout penser à des influences. Aucune explication ne
fournit la raison profonde de cette expression qui provient surtout du compagnonnage. La Veuve caractérise la mère, le
féminin supérieur. » Je terminerai cette analyse de l’élément féminin par cette expression très marquante de Julien
Behaeghel : « Si la quaternité est la condition logique de tout jugement de totalité, ce jugement ne peut se faire que
dans la miséricorde et la mansuétude de la Vierge. Elle est l’eau de notre réenfantement. »
Les évocations d’Isis, de Néphertys, d’Ariane, d’Eurydice, mais aussi de la Reine de Saba et de Béatrice, nous conduisent au concept d’amour fou mis en avant par André Breton dans son admirable texte Arcane XVII, et là nous revenons à cette notion d’amour qui n’est pas l’amour charnel, ou sentimental, comme nous l’entendons tous
communément, mais un amour primordial et ésotérique comme l’entendaient les fideli d’amour à l’époque de
Dante. Cette notion d’amour ésotérique nous conduit tout naturellement à évoquer la chaîne d’union qui est aussi
vecteur de transmission. Le Maître doit mourir à lui-même pour refaire son unité dans le soi et transmettre cette
conscience du soi au disciple. Ainsi notre Hermite n’est pas seul dans sa déambulation. Bien au contraire, il est
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multiple dans son ascension, son angélomorphose. Du multiple de la manifestation il va vers l’unité, le moyeu, le
centre, l’invariable milieu, et à partir de là, il rayonne. Ce sera sans doute le sens de son entrée dans la Roue de Fortune. Et cette entrée dans la Roue de Fortune se traduira par un égrégore, antithèse de la damnation de la tour de
Babel, dans laquelle s’est enfermée le genre humain, et réunification holistique de l’homme, but ultime peut-être
de la franc-maçonnerie. Cet égrégore, qui n’est autre que l’esprit transmutant la matière me conduit à évoquer le
rêve de Teilhard de Chardin, dans Le phénomène humain, ou sa vision plus exactement d’une noosphère résultant
de l’agglomération des consciences des êtres humains sur la terre et produisant une sorte de couche immatérielle
capable peut-être à un certain stade critique d’agir en retour sur le destin de l’humanité. A rapprocher de la notion
d’annales Akashiques et de celle d’un “entiment océanique” présente dans l’œuvre de Jung. A rapprocher également
des analyses contemporaines sur l’émergence d’une nouvelle vision d’un monde global et informationnel.
En conclusion, ce travail sur l’Hermite du Tarot marseillais m’a permis de mieux réaliser ce qui semble constituer
l’essentiel du troisième degré au Rite Écossais Ancien et Accepté, à savoir que l’esprit transcende la matière. Cette
affirmation qui est une sorte de lapalissade pourrait d’ailleurs sembler banale aux yeux du profane qui n’y verrait
peut-être que la simple traduction du mouvement civilisateur de la science et de l’industrie. Mais l’esprit transcendant la matière va bien au-delà des apparences. Il s’agit ni plus ni moins que de l’accès pour l’initié à l’état de
l’homme primordial mentionné par toutes les grandes Traditions. Et c’est peut-être là le vrai secret maçonnique,
un secret que nous portons tous en nous et qu’il nous est donné –sur ce chemin- de mettre en œuvre pas à pas.
Tout nouvel apprenti, je m’imaginais naïvement qu’une sorte d’enseignement maçonnique allait m’apporter une
forme de connaissance secrète hors de portée des non initiés. J’ai vite compris ma méprise. Il n’y a pas de contenu
initiatique protégé à l’intérieur de mystérieux grimoires, pas de préceptes, pas de dogmes, pas d’enseignement, mais
juste cette très subtile connexion entre l’esprit et la matière, cette conjugaison patiente du ternaire
animus/anima/corpus qui –correctement effectuée, grâce au rituel et grâce aussi au travail sur les symboles-peut
permettre à une certaine métamorphose de se réaliser, et cette métamorphose, lorsqu’elle intervient, n’apporte pas
des changements extraordinaires, mais plutôt des sortes de minuscules ajustements qui au final peuvent transformer
l’être de fond en comble.
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140
Raymond Jol∴
Arcane 19 - Le Soleil
Le Soleil nous regarde droit dans les yeux. Symbole de vie, d’amour, archétype du Père universel, il donne vie à toutes les créatures. Il annonce
que la part consciente de l’être aide la part animale, primitive, à accéder
à une réalité différente. Il brille au cœur de la matière, elle ne peut rien
sans lui.
« Tout ce qui n’est pas clair n’est pas moi ; je suis le renouvellement
continuel. On m’appelle le Soleil mais je n’ai pas de nom, je suis l’éclat
radieux de l’existence. »
Le Soleil travaille dans la prodigalité. Sans l’Hermite il perd son discernement, reste flou et amorphe.
Dans le jeu de tarot, il y a les cartes que l’on découvre, et pour ma part, elles sont nombreuses. Elles aiguisent
la réflexion et permettent à la pensée de s’étirer, de se prolonger, de se perdre, de se retrouver. Et puis, il y a
celles que l’on perçoit avec des à priori de connaissances, tant nous partageons par l’évidence de notre vie, le
voisinage. Ne plus connaître ce que nous connaissons, regarder d’un regard pur ce que nous voyons est une
tâche difficile. Il faut effectuer une marche arrière, remettre le compteur à zéro, redevenir apprenti, tenter de
renaître pour ne pas seulement savoir, mais comprendre.
L’arcane XVIIII LE SOLEIL est de cette catégorie. Il est particulièrement impressionnant …
N’est-il pas la source de toute vie, l’énergie qui anime le monde ? « Tu resplendis et ils vivent, tu te couches et
ils meurent », proclamait à son attention le pharaon Akhenaton. N’est-il pas l’évidence du haut, la limite, le
point ou le (ou les) monde(s) manifesté(s) et non manifesté(s) se rejoignent, la porte possible vers le divin ?
L’histoire des hommes a bien pris cela en compte et nombreux ont été les cultes dédiés à sa gloire : antique
culte solaire, culte slave, chez les Aztèques le soleil se trouve au centre de la “pierre du soleil”, culte de l’Égypte
ancienne avec le principe solaire RE, ou encore les Celtes dont la civilisation apparaît directement issue de
la lumière solaire et puis bien d’autres … Il allait donc de soi que les gouvernants de toute sorte s’emparent
de son prestige et de sa gloire : les rois Incas étaient les “Fils du soleil”, les rois Hittites étaient nommés “Mon
soleil”, les rois Indiens Natchez étaient “les Grands Soleils”, Louis XIV le “Roi soleil”, et il y a de nombreux
autonommés Phébus comme Gaston de Foix, qui passait sa vie à terroriser sa population et à écrire de savants
traités sur l’art de la chasse. Ce même Phébus qui décéda d’une crise cardiaque, au hasard d’une promenade,
en voyant pour la première fois de sa vie … un ours. Alors, rois puissants, pharaons ou carnavalesque Phébus
de pacotille, chacun, en quête de pouvoir, a usurpé son nom pour poursuivre sur terre, l’ordre ordonnateur
de la création, et devenir le protecteur des ténèbres. Les nations, elles-mêmes, arborent souvent (après l’étoile)
sur leur drapeau, l’image de l’astre dominant ; le plus célèbre étant le cercle écarlate sur un drap blanc de
l’empire du soleil levant. En ce qui me concerne le soleil a été particulièrement impressionnant pour le nouvel
initié que j’ai été lorsque j’ai découvert en entrant dans la loge, le Soleil et la Lune encadrant le Vénérable
Maître et dont le message est à déchiffrer.
Peut-être est-il temps de le faire en commençant par regarder la carte. Je vous propose de l’approcher avec
les yeux de l’aigle, le seul animal à ne pas cligner les paupières, face à Lui.
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I. OBSERVATION DE L’ARCANE
- LE REGARD :
Mon premier regard est immédiatement attiré par le visage du soleil et c’est une surprise. Au milieu du cercle parfaitement tracé, se trouve, en contraste, sur le fond jaune une figure humaine qui semble attendre patiemment
d’être découverte. Un peu de gêne se manifeste en moi, car en fait, c’est lui qui m’observe. Son regard est droit, fixe
comme celui du Diable, mais sans provocation dans les yeux ou dans l’expression de sa bouche ; plutôt de la concentration, un besoin de savoir qui je suis. Peut être m’évalue-t-il ?
Je ressens sa sérénité, la force de celui qui a tout son temps, qui connaît la sagesse, qui apaise et réconforte. Il m’est
difficile de me détacher de son emprise. Elle amène à se questionner. Quelle est la signification que les imagiers du
Moyen-âge voulaient lui donner ? Il me semble que le cercle solaire jaune d’or qui symbolise la perfection intellectuelle, la richesse du métal, la généreuse moisson et le grand œuvre alchimique aurait suffit pour entrer dans mon
propre mystère et me situer par rapport à lui.
Mais les yeux … Pourquoi les yeux ? Les yeux sont fait pour regarder, mais tout autant pour être vu. Ils créent
l’échange qui permet de se comprendre et de se rapprocher. Le message ne tente t il pas de dire : « même si tu ne
peux m’atteindre, tu peux me voir comme je te vois ! » Les amants de Jacques Brel dans Orly, qui étaient comme
soudés l’un à l’autre se séparent, et l’un en haut de la passerelle, l’autre au bas se “tiennent” par les yeux. Le haut et
le bas en correspondance et formant un tout. Est-ce cela le message ? Ou peut être encore le dessin du visage veutil montrer que ce que je ne vois pas tout d’abord, existe ; que je peux connaître sans voir physiquement ; que l’émotion, l’écoute, l’observation et la force de l’esprit peuvent dépasser les simples apparences, qu’il faut oser regarder
vers le haut, vers celui qui éclaire.
Dans son douxième sermon, Maître Eckart traite de la symbolique de l’œil et écrit notamment « Il est dans l’âme
une partie qui tient tellement de la nature de Dieu qu’elle est une avec Dieu et ne lui est pas simplement unie. L’œil
dans lequel je vois Dieu, est le même œil dans lequel Dieu me voit. Mon œil et l’œil de Dieu sont un seul et même œil,
une seule et même vision, une seule et même connaissance, un seul et même amour ». Ainsi il semblerait nous être recommandé “d’ouvrir l’œil”, ce qui, dans une perspective initiatique, n’est pas seulement faire attention, mais faire
naître un désir spirituel à l’origine de toutes les mutations. En outre, l’œil contient toutes les mesures et les proportions harmoniques. Pour les bâtisseurs, il est la clef majeure qui leur permet de construire.
- LE CERCLE – LES RAYONS :
Ce regard accaparant est le contenu d’un cercle et le cercle est le signe de l’unité principielle et celui du ciel, symbole
du temps et de la roue qui tourne. Rassemblé sur lui-même, sans commencement ni fin, accompli et parfait, il est
aussi le signe de l’absolu, de la perfection, de l’homogénéité. Sa rondeur lui donne un sens universel ; il est comparé
par les néo-platoniciens à l’image de Dieu dont le centre est partout, thème repris par les soufis qui prétendent que
si l’on ouvrait un grain de poussière, on y trouverait un soleil et des planètes tournant autour. Celui-ci semble féconder directement 59 traits noirs, 8 triangles allongés de couleur rouge qui alternent avec 8 autres à bords ondulés
de couleur jaune. Cet ensemble parfaitement homogène semble procéder d’un principe unique et le rond central
contiendrait en lui les lignes et les triangles unitairement unifiés les uns par rapport aux autres, mais aussi tous ensemble par rapport au principe duquel ils procèdent. En reliant les extrémités des pointes toutes autour, nous pourrions obtenir un 2ème cercle tracé aussi parfaitement que le 1er, mais qui ramènerait ce dernier à être son centre
ou son principe. Il y a toujours un cercle à tracer, une quatrième colonne à édifier ou une parole perdue à retrouver …
Il doit être midi et le soleil est à son maximum. Le fond blanc de la carte élimine toute trace. Seuls les traits noirs
rectilignes accompagnent et ajoutent leur intensité à la Force du rayonnement des triangles. Le rouge et le jaune
de ceux-ci soulignent leur action à la fois calorique et lumineuse.
- LES GOUTTES – LE MURET :
Des gouttes s’échappent et pleuvent vers le sol comme pour le féconder : 6 rouges, couleur de l’esprit tout puissant,
2 jaunes, couleur de l’éternité, et 5 blanches, couleur de la vérité. Cette manne solaire est nourricière, prometteuse ;
encore faudra-t-il savoir la recueillir, l’exploiter, creuser un sillon et avoir la sagesse d’attendre. Rien, à mon avis, ne
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remonte vers l’astre comme dans l’arcane XVIII la lune où la circulation des gouttes marquait l’intense échange
énergétique entre celle-ci et la terre. Le soleil distribue généreusement et à tous sans exception. Les gouttes pleuvent
devant et derrière un muret. Ce dernier qui traverse horizontalement la largeur de la carte est l’œuvre d’un authentique constructeur. Il semble que les rangées de pierres rouges encadrant les trois rangées de pierres jaunes, reflètent
les couleurs solaires : le jaune et le rouge, l’intelligence et l’esprit. Une autre rangée inférieure verte est elle, comme
fertilisée par la chaleur du soleil et l’eau du fleuve qu’elle côtoie. La hauteur du muret est franchissable, il semble
qu’il marque seulement une séparation, une limite à respecter en même temps qu’il peut servir de mesure.
- LES JUMEAUX :
Deux personnages au premier plan, l’ont sans doute compris. Ils lui tournent le dos et tentent de trouver refuge
sur un petit îlot de terre blanche immaculée. Ils sont en tous points semblables sauf que celui de gauche porte une
courte queue dans le bas du dos qui peut vouloir montrer son aspect plus bestial, son retard sur son frère jumeau.
Celui-ci a déjà franchi la rivière, l’attend et l’aide fraternellement à le rejoindre. Son regard est attentif à l’autre
qui comme un aveugle, avance prudemment sous sa conduite. Ils portent le même pagne bleu, ceint autour de leur
taille, au dessous de leur poitrine divisée en deux par un trait vertical délimitant respectivement l’actif et le réceptif.
Ils sont libres et les cordes qui enchaînent les jumeaux du Diable ont disparues. Ils ont conscience de leur individualité et à l’instar des personnages de la caverne de Platon au contact de la lumière, ils ont vu leur ombre et cherchent au dehors leur place. Le personnage de droite porte trois points sur son flanc comme le diablotin femelle à
gauche de l’arcane XV le Diable. Jodorowski note que « l’énergie qui se trouvait dans l’obscurité est sortie en pleine
lumière et qu’au lien passionnel inconscient les deux personnages ont substitué une relation d’entraide et d’amour humain ». Un tour de cou ou un collier rouge et l’or de leur chevelure s’inspirent, ainsi que le muret, des couleurs solaires créant une unité divine.
Dans un mythe ZUNI, il est fait état de deux créations : - la première avait produit une humanité ignorante et imparfaite et l’un de ses membres, conscient de son insuffisance, implore le soleil pour sa délivrance. Le soleil répète
alors le processus de création mais, cette fois, il produit des êtres intelligents et libres, mais qui doivent cependant
accoutumer leur regard à passer des ténèbres de l’ignorance à la lumière de la connaissance. Pour qu’ils puissent
accomplir ce long chemin, le soleil envoie des jumeaux pour les initier et les mener progressivement vers la lumière.
Les jumeaux expriment toujours une intervention de l’au-delà. Ils expriment également la dualité de tout être, le
dualisme de ses tendances spirituelles ou matérielles, diurnes ou nocturnes. Ceux de la lame pourraient manifester
le travail accompli, les étapes du chemin vers la lumière ou celles de notre initiation. L’îlot vierge atteint par le jumeau de droite est peut-être une terre de renaissance ; entre ses jambes s’est substitué du bleu azur à la place du
paysage. Ces jumeaux qui respectent la limite du muret et tentent de se sauver par eux-mêmes en s’entraidant, pressentent (peut être) que l’arcane XX du Jugement est tout proche, que tout va être compté.
- L’EAU DU FLEUVE :
Ils ont traversé une rivière, peut-être un fleuve où l’eau vive, fraîche, fertilisante s’écoule abondamment. Elle est
comme le soleil, source de vie, régénérescence. Nul doute que sa traversée a été difficile car ils ont marché contre le
courant, mais qu’elle a permis aux jumeaux de puiser une force nouvelle, comme si son flux provenait d’une fontaine
de jouvence. Le soleil a dû rencontrer l’Étoile de l’Arcane VII pour transformer le cours d’eau en un fleuve et l’offrir
à qui souhaite en profiter dans un message d’amour universel.
II. L’ARCANE DANS LE JEU :
Je vous propose et il est temps, de prendre un peu de recul par rapport aux différentes composantes de la lame et
de tenter de cerner leur relation. Le soleil est le symbole le plus lumineux du jeu. La carte est à dominante jaune et
rouge : sang et lumière. Il y a une unité totale entre les différents plans qui se complètent et d’enrichissent : chaleur
nourricière en haut, fraîcheur fertilisante en bas, et entre eux, l’échange de 13 gouttes à leur couleur qui renvoient
à la transformation de l’arcane XIII : l’arcane sans nom. Cette vie lumineuse a permis la construction d’un muret
qui montre la limite et protège d’un retour vers le passé. Les jumeaux en pleine conscience et libres s’en détournent
et aspirent au changement ; ils ont vu d’où venait la lumière, ils ont trouvé un chemin. Celui de droite, qui pourrait
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être la partie spirituelle de notre être, guide l’autre en une nouvelle vie et tente d’incarner ce qu’il a perçu dans le
mystère de la lumière créatrice. Le soleil brille pour tous et dans la plupart des cartes du jeu. Encore faudra-t-il que
le Bateleur, le premier arcane, se rende compte que le petit disque jaune qu’il a entre ses doigts est un soleil en puissance, une énergie prête à le renforcer. Il faudra aussi que vers l’extrémité de la série, l’Hermite, l’arcane VIIII
dépasse son individualité, même parfaite, pour s’ouvrir aux autres et construire un monde nouveau. Le cas est identique pour la Papesse avec qui le soleil totalise
le nombre 21 et qui constitue un chemin de réalisation. Elle n’est plus alors seule avec son livre : le verbe se fait
chair et chaleur.
III. LE SOLEIL ET L’INITIATION :
Les anciens auraient pu conclure à une véritable re-création, à une réintégration de l’être dans la lumière d’où il
était issu. Qu’en est-il pour nous ? Faire naître le soleil en notre cœur, c’est percevoir la lumière. Cette illumination,
cette connaissance supérieure permettrait à certains, de voir briller le soleil à minuit dans une unité totale avec le
jour. Plus modestement, voir le soleil, c’est découvrir une succession de soleils à l’intensité variable que pourraient
symboliser les grades initiatiques. Pour y parvenir, nous avons utilisé une des voies offertes avec celle de la Lune
pour frapper à une porte qui s’ouvre difficilement, mais qui donnera sur un nouveau chemin. Le parcours n’est
donc pas achevé.
On peut remarquer que le premier jour, Dieu a créé la Lumière et ce n’est que le quatrième jour que le soleil fut
créé. Le soleil qui est entièrement lumineux (à la différence de la lune), n’est pas pour autant la Lumière. Il est son
messager, son représentant visible, le signe, le symbole. Or notre initiation nous a appris à ne pas confondre le symbole en esprit et sa manifestation ; le verbe créateur et l’astre qui l’incarne. Il existerait donc un premier soleil, une
lumière primordiale, secrète, à l’origine mystérieuse, situé au Nord, point de départ de toute construction. Là où
l’impulsion, hors du temps, précède la création. C’est dans le secret, dans ce lieu unique, que la lumière, spirituelle
stable, se régénère en permanence. Fulcanelli assure même que « le soleil est un astre oid et que ses rayons sont
obscurs. Rien ne semble plus paradoxal en apparence et pourtant rien n’est plus vrai ».
Il représenterait la première lueur, la potentialité d’où naîtra l’acte créateur. Dans les cathédrales, c’est à la porte
du nord, au lieu de l’origine, que se réunissaient les alchimistes à la recherche du secret de la Pierre perdue, pour
ensuite pénétrer dans le temple et accomplir l’Œuvre. Essence même du vivant, ce centre de vie, la loge, tente de
l’approcher pour sentir son feu secret. Cette relation est de nature alchimique, science des métamorphoses et de la
régénération, dont certains d’entre vous pourront savamment parler.
Pour ma part, je crois qu’il est temps de conclure avant que notre frère Second Surveillant nous annonce qu’il est
minuit plein.
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Conclusions de l’Orateur
Ce soir, à la lueur des travaux et des interventions qui ont éclairé la Tenue, c’est comme si la petite lueur de la lanterne de l’Hermite avait allumé le grand Soleil qui illumine des cieux nouveaux et une terre nouvelle.
Ainsi, en ce degré où nous avons traversé la vallée de la Mort, comment ne pas s’interroger sur le sens véritable et
universel de ces quatre lettres au Golgotha, I.N.R.I. : « il appartient au feu spirituel de régénérer la Nature ». (Igne
Natura Renovatur Integra)
La Salamandre Alchimique, blason de François Ier
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146
4 Mai 2010
Ce qui commence finit
Michel Isn∴
Arcane 10 - La Roue de Fortune
Entre le centre, lieu de l’arrêt, du noyau du problème, et du mouvement
possible, et la clairvoyance de la conscience matérielle, émotionnelle et
intellectuelle, la Roue de Fortune ouvre vers le changement, l’acceptation, et la mutation.
« Tout ce qui s’élève descend, et tout ce qui descend s’élève. J’accepte les
changements jusqu’au moment où naît la Conscience, où la réalité cesse
de tourner sur elle-même. »
Sans le Jugement, la Roue de Fortune perd foi et espérance, bloquée dans
un cercle vicieux sans issue.
Il n’y a sans doute pas de hasard, et notre démarche nous permet sans cesse d’avancer et de comprendre notre
vie profane … Nous le savons tous, nous le répétons souvent. Mais il y a des moments où cela prend plus de
sens que d’autres. Pour moi, le travail sur la Roue de Fortune a représenté l’un de ces moments, où vie profane
et vie maçonnique se rejoignent profondément. Alors que j’avais à gérer quelques “tours de manivelle intempestifs” sur le plan professionnel, l’étude de l’arcane m’a réellement permis d’avancer et de me repositionner sur mon chemin, de mesurer mon engagement. Et de ne pas perdre de vue le sens de notre démarche,
et donc de notre vie.
Dixième arcane du tarot, la Roue de Fortune semble plus simple que d’autres à comprendre, au premier
abord. La roue, présente dans tous les mythes humains, symbolise la vie ou le temps. Le temps qui tourne,
qui passe. La répétition. Il n’y a rien de plus semblable à un mouvement de roue que celui qui le précède ou
le suit … La forme géométrique associée à la roue est le cercle. Un cercle, et l’énergie circule, et les hommes
se rapprochent, prennent conscience de leur propre centre. Le cercle est origine et éternel retour.
La roue représente aussi la Terre ou l’Univers. Elle contient. Sans commencement ni fin, elle est le tout.
Celle de l’arcane X possède 6 rayons, c’est donc la roue solaire.
En regardant la carte de plus près, pourtant, les questions apparaissent : qui sont ces animaux étranges, et
que font-ils, comme sur une roue de fête foraine ? Pourquoi l’homme ne figure-t-il pas dans cette lame, pour
la première fois dans l’iconographie du Tarot ? Que représente ce mouvement et cette agitation ? Je découvre
aussi, en haut de la roue, un sphinx couronné portant le glaive, installé sur une planche dorée qui ne demande
qu’à basculer ... à moins qu’il ne soit là pour empêcher la roue de tourner … Enfin, la manivelle qui actionne
la roue est mise en avant, comme si elle nous était proposée. Qui la commande ? Qui donne l’impulsion ?
Après l’enseignement et le premier bilan des arcanes précédents, me voici donc confronté à une multitude
questions, dont l’homme semble absent, et qui participent d’un mouvement purement répétitif …
Avant tout, la Roue de Fortune évoque pour moi un recommencement, au cœur de notre humanité : l’expé147
rience et l’empreinte du chemin, commencer, initium, recommencer et ne pas reproduire … Le haut et le bas y sont
reliés cycliquement, des figures animales la composent, dont l’une est couronnée : signe de la maîtrise de l’animal ?
De l’animal qui maîtrise ? Ce sont plutôt, il me semble, les représentations des différentes composantes d’un homme
dans sa potentialité et son humanité, socle de la roue. L’axe vertical de l’arcane est lisible au premier plan : l’un des
animaux monte, un autre descend. Celui du haut est amené à descendre … La révolution du tour de roue est accompagnée d’une évolution (ascension) et d’une involution (descente), au sens cosmogonique.
L’axe qui fait tourner la roue ne la traverse pas : il ne laisse donc aucune prise à une force contraire.
Dans la phase ascendante, l’animal représenté semble être un chien, pourvu d’un collier. Est-ce là un signe de soumission ? Le singe est présent dans la phase descendante, sans doute signe de la décadence. Enfin, le sphinx trône,
symbole de l’accomplissement, mais dans un équilibre difficile à tenir, sur une planche instable. Les couleurs de la
roue, le jaune et le rouge, renvoient elles aussi à l’image de la roue de la vie, avec ses hauts et ses bas. Ces trois
animaux évoquent peut-être les trois singes de la sagesse : l’un est aveugle, le deuxième semble avoir un bandeau
sur les oreilles et être sourd, la forme de la bouche du troisième peut nous faire pense qu’il ne peut pas parler. Ce
sont aussi les trois âges de la vie : la jeunesse (monte), l’âge adulte (milieu), la vieillesse (descend). Enfin, les vêtements portés par les trois personnages soulignent qu’ils ne font qu’un : l’un porte le haut, un autre le bas, le troisième
le manteau ou la cape.
La Roue de Fortune n'est pas la roue de la fortune : elle nous rappelle qu'ici-bas tout évolue et rien ne reste en place.
Celui qui était en haut perdra, celui qui était en bas gagnera.
Venant après l’Hermite, après une connaissance acquise, elle prévient qu’il faut s’attendre à une évolution. Elle
invite à prendre son destin en main, en prenant conscience des causes et conséquences de ses actes. Mais aussi à
saisir la chance et la faire tourner. La Roue de Fortune est en fait la “roue de devenir” de chacun d’entre nous, la
roue du mouvement pour avancer sur le chemin de la découverte de la vie : chaque jour est un, est un tout, à inclure
dans une succession de tout … Une manivelle nous est tendue. Elle semble nous dire « prends ta vie en main ».
Dans cet arcane de mouvement et de transformation, elle nous invite à utiliser notre énergie et à la diffuser. Un
peu comme si on coupait le “pilotage automatique”, pour passer en “mode manuel”. La roue et son axe vertical nous
disent que nos croyances déterminent nos comportements. La manivelle nous invite à transformer ces croyances
négatives en énergie positive. À “prendre en main” le mouvement. Nous pouvons rejouer toujours la même chose
ou nous transformer : c’est là le sens de l’arcane X, mais aussi celui de notre démarche. Il est possible de déposer
peu à peu le lourd fardeau des habitudes, des préjugés, des héritages … et de marcher vers la liberté. La roue est une
transition, le passage d’un plan à un autre.
La Roue de Fortune indique au Bateleur devenu Hermite qu’il lui est demandé de travailler et d’étudier vers la
compréhension de l’être, conscient de lui-même dans le cosmos. Rectifier ce que nous faisons, en finir avec la reproduction de nos expériences pour construire ce que nous sommes. Le Franc-maçon désire devenir un homme
libre, qui agit au lieu de réagir. Lorsqu’on entre en maçonnerie, comme lorsqu’on entame une psychanalyse, on
part du constat que l’on reproduit souvent les mêmes situations pénibles. Les deux démarches s’appuient d’ailleurs
sur la conscience que la répétition n’est pas inéluctable : on peut se libérer, devenir soi. Et cette libération est
porteuse de lumière, créatrice.
Pour Irène Mainguy, les trois âges de l’initié franc maçon, ou les trois étapes de sa progression, peuvent être caractérisés par ces trois mots : Naître pour l’Apprenti, Croître pour le Compagnon et Produire pour le Maître. L’initiation maçonnique comporte ainsi trois phases distinctes, consacrées successivement à la découverte, à
l’assimilation et à la propagation de la lumière. Ces phases sont représentées par les trois grades de l’apprenti, compagnon et maître, qui correspondent à la triple mission des maçons consistant à rechercher d’abord, pour posséder
ensuite et pouvoir finalement répandre la lumière. Les grades initiatiques correspondent au triple programme poursuivi par l’initiation maçonnique. Ils apportent dans leur ésotérisme une réponse aux trois questions énigmatiques
du sphinx : d’où venons nous ? Qui sommes nous ? Où allons nous ? Symbole fondamental dans toute recherche
personnelle et spirituelle, le sphinx trône ici, en maître, en roi. Mais il est aussi sur une planche, en équilibre sur
une roue : équilibre fragile à tenir, qui ne va pas sans questions et remise en question.
L’homme en marche se trouve maintenant obligé de répondre à cette question fondamentale : qui suis-je au cœur
de l’humanité et dans le cosmos ?
La Roue de Fortune, véritable roue de vie cosmique, nous rappelle alors la Rota Mundi des Rosicruciens, mais aussi
la rosace des cathédrales. Pour Jung, toutes deux représentent le Soi de l’homme sur le plan cosmique. Rappelons
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aussi que « Bouddha le bienheureux a mis en mouvement la roue de la Loi dont personne ici bas ne peut inverser le
mouvement » : chaque tour de roue va enclencher un nouveau pas dans la croissance de la conscience, un nouveau
cycle irréversible dans la spirale de l’évolution de l’être.
Jusqu’au neuvième arcane du Tarot, l’homme ne faisait qu’un avec lui-même, comme en témoignent les premiers
nombres simples de I à VIII ; avec la Roue de Fortune, arcane X, l’homme entre dans une nouvelle dizaine, dans
un autre temps. Il part à la recherche du secret de son identité cosmique. Le nombre X représente le retour à l’unité
au centre créateur ; il comprend l’ensemble de la Loi en dix commandements qui n’en font qu’un.
Dix est, en tant que nombre parfait, le nombre de la Tetraktys pythagoricienne ; la somme des quatre premiers
nombres, 1+2+3+4 = 10, est représentée sous forme d’une pyramide à base quaternaire :
Principe
*
impulsion spirituelle (la manivelle)
Manifestation de la dualité
**
questionnement (ciel/terre, singe/chien)
Composition tripartite
***
3 niveaux constitutifs de l’homme (3 animaux)
Corps/ âme/ esprit
Champs énergétiques
* * * * (expression tétra morphique du sphinx :
4 éléments & 4 points cardinaux
corps de taureau, ailes d’aigle, griffes de lion, tête d’homme)
Dans la pensée chinoise, le dix, double cinq, nombre propre à l’homme, signifie la totalité dans sa dualité, donc
dans une dynamique orchestrée. Avec l’arcane X, l’homme se met dans le mouvement de la roue qui l’entraîne à la
rencontre de son Autre.
En numérologie, dix égale un car 10 = 1 + 0 = 1.
Cette carte représente donc bien la fin d'un cycle et le retour au début d'un autre, le I étant le Bateleur. On peut
aussi le lire en regardant de plus près les rayons de la roue : ils forment les chiffres romains X et I l’un sur l’autre,
entremêlés. Un nouveau cycle numérologique commence, de 10 (1+0 = 1) à 18 (1+8 =9). C’est aussi une nouvelle
initiation, le X initie les nombres de X à XVIII.
Manifestation de l’unité, le X correspond à la dixième lettre de l’alphabet hébraïque, yod, signifiant la main. Selon
Annick de Souzenelle, il représente la main du potier qui façonne, fait et harmonise ; la divinité au fond de chaque
être, à la recherche «du germe divin caché au cœur de la création dès son principe». Cette main sacrée est appelée
par la manivelle de la Roue de Fortune : l’homme quitte le cycle de sa création en tant que conscience monolithique
pour entrer dans une phase d’interrogation essentielle, la roue contenant toujours symboliquement l’idée du vide
créateur. Conscient de n’être qu’une simple poussière de l’univers, l’homme s’allie avec les animaux et se transforme
alors en sphinx, ce qui symbolise encore l’unité dans la totalité, déjà contenue dans la symbolique du nombre dix.
Son corps de couleur bleue témoigne de sa grande réceptivité spirituelle. À cette étape, il est le seul à pouvoir apporter un début de réponse, dans son questionnement même. Sa morphologie réunit les quatre énergies nécessaires
à la transformation : la terre du Taureau, l’air de l’Aigle, le feu du Lion et l’eau de l’Homme.
Il porte une couronne d’or, à 5 pointes, rappel du pentagramme de l’homme, sans doute signe précurseur de la
transformation et de l’accomplissement à venir.
A partir de la Roue de Fortune, l’homme met son corps au service d’une quête plus spirituelle. Le mouvement de
la roue est alors celui des questions, sans cesse renouvelées.
Le trône précaire du sphinx est notre planche de salut. Il questionne, interroge. Le singe semble alors être envoyé
pour dépister des signes de réponse ; le bas de son corps est recouvert d’une jupe rayée bleue et rouge, sans doute
en témoignage de la maîtrise et de l’ordonnancement de ses pulsions. Le chien, lui, est attentif. Mais ses longues
(très longues !) oreilles sont tenues sous un bandeau : il est concentré sur son écoute intérieure. Il semble hisser son
corps, s’aidant des barreaux de la roue. Il porte seulement une tunique bleue, sur le cœur. Il apporte la réponse au
sphinx roi, garant de l’équilibre, qui porte un glaive blanc : le Logos. Chaque tour de roue, chaque passage de relais
du singe au chien permet sans doute la découverte d’un bout de réponse, d’une parcelle de l’inscription cosmique
de l’homme. «Dès que l’esprit s’ouvre à la lumière et le cœur à la bonté, le vivant cesse d’être emprisonné dans le tombeau de la chair» nous dit Oswald Wirth. Avec la Roue de Fortune, le cherchant peut appréhender le sens de son
incarnation dans l’univers. Il sera alors capable de confronter la puissance de son désir à une vie vraie, avec l’arcane
XI, la Force.
Mais le dépassement du cycle répétitif, le passage du cercle à la spirale, ne peuvent se faire que dans l’éveil de la
conscience. L’alchimie de la transformation, la renaissance de la roue de fortune ne se réalisent qu’avec et par l’intervention du Jugement … dont il va être question maintenant.
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Pierre-Henri Lan∴
Arcane 20 - Le Jugement
Tout ce qui est mort renaît, tout ce qui est caché aspire à s’élever. Pour
trouver la puissance et la lumière il convient de faire la paix avec soimême et qu’au plus profond de soi ai commencé à croître le nouvel
homme.
L’éveil irrépressible de la Conscience inspire un impérieux désir de s’élever, réveille ce qui était endormi, ressuscite ce qui était mort. Il apporte
la lumière de tous les univers, la réconciliation de toutes les facettes de
soi.
S’il ignore le monde, le Jugement devient négation de l’incarnation,
fuite du monde, désir insensé d’atteindre au divin sans passer par l’humain.
Ce qui est détruit physiquement restera éternel en esprit.
Depuis quelques mois, chacun d’entre nous se trouve donc être un bateleur
qui se promène plus ou moins au hasard sur les lames aiguisées du Tarot, pour
tenter de percer le secret de l’Arcane. Notre Vénérable Maître a orienté cette
quête en nous proposant de relier, à chaque Tenue, ce qui est en haut et ce qui
est en bas. La Table d’Émeraude nous enseigne en effet que notre travail a pour
but de faire les miracles d’une chose. C’est à dire les miracles de la Pierre : car
la partie inférieure c’est la terre, qui est la nourrice et le ferment ; et la partie
supérieure c’est l’âme, laquelle vivifie toute la pierre, et la ressuscite [Hortulain].
Tel est bien l’objet et le sujet de ce Jugement dont nous avons le devoir de faire
qu’il ne soit pas le dernier, mais au contraire constamment renouvelé, en séparant le subtil de l’épais, doucement et avec grande industrie. Plus nous approchons du terme apparent du voyage, plus notre vision se doit d’être globale.
Plus nous progressons dans les voies de l’initiation, plus nous pouvons nous
affranchir de la lettre du symbolisme mais à condition d’en avoir d’abord maîtrisé l’alphabet, puis d’avoir appris à donner du sens à la parole qui s’en dégage.
Chaque méthode initiatique a sa logique interne, il en va de même pour chaque
version du Tarot, pour chaque rite au sein de la franc?maçonnerie, pour chaque
déclinaison particulière au sein d’un même rite, et le Rite Écossais Ancien et
Accepté n’y échappe pas. Nous devons d’abord approfondir les spécificités de
la méthode que nous avons choisie, puis progressivement la mettre en perspective avec d’autres car c’est finalement l’élimination des différences apparentes
qui révèlera l’unité de ce qui les réunit. Et pour ce qui concerne la franc?maçonnerie, notre engagement dans notre Rite ne devra pas nous faire oublier
que seuls les trois 1ers degrés recouvrent l’universalité de l’Ordre et de son
questionnement, d’ailleurs partagé avec toutes les démarches initiatiques :
Qui suis?je ? D’où viens?je ? Où vais?je ? Cela semble si élémentaire et basique
que l’on en oublie parfois que ces trois petites questions englobent la totalité
151
de toute intention spirituelle.
Ce qui change, ce sont les réponses …
Le Franc-maçon écossais ajoutera peut-être une quatrième question : que vais-je tirer de
ce que j’ai appris et compris de cet enseignement en termes de morale, de comportement,
de savoir-être, de devoir … ?
Mais nous sommes déjà passés dans les conséquences de l’initiation plutôt que son essence. Toutes les versions du Tarot évoquent le Jugement Dernier, ce qui pour la plupart
des chrétiens croyants conditionne l’accès non pas à la vie éternelle, mais à ses modalités
; un examen de passage au cours duquel l’instance supérieure jugerait du bien et du mal
avec, selon le résultat, envoi au Paradis, au Purgatoire ou en Enfer. Mais pour l’Initié, le
bien ou le mal n’ont aucune existence propre ; ils ne sont que l’expression, la modalité
particulière et le continuum d’une seule unité qui coexiste dans toute la Nature, que ce
soit celle de l’individu, de l’humanité ou du macrocosme. Alors pour moi cette lame
évoque essentiellement la renaissance, ou du moins les conditions par lesquelles nous
en avons permis l’émergence. Autrement dit, quelle que soit l’ancienneté de mon parcours maçonnique et humain, en quoi puis-je dire aujourd’hui, hic et nunc, que j’ai laissé
derrière moi le cadavre du vieil homme pour qu’émerge un homme nouveau. Affranchi
autant que faire se peut de son ombre personnelle …
Je ne vais pas analyser la lame, le décor et les personnages. Je trouve néanmoins assez
drôle de lire ici ou là des interprétations d’un symbolisme très péremptoire … : «les bras
de l’ange sont rouges en signe d'activité … il ne sonne pas dans sa trompette, il est silencieux
; ceux qui croient en la réalité divine n'ont pas besoin d'être appelés. … Les cheveux bleus
des personnages montrent leur réceptivité psychique.» Ben voyons? C’est bien sûr, tout
ça ??? Et pourquoi pas le jaune ? Etc …
Je préfère considérer de manière globale que l’on nous signifie la résolution de la dualité
dans un principe ternaire qui prélude au changement de plan. Quelle est donc cette lame
qui “dit vingt” et confirme que depuis le début, “le bas te leurre” Nous avons dû passer
par les marais putrides sous la Lune, puis avons été éclairés par la lumière physique du
Soleil avant d’être inondés par le rayonnement spirituel émanant de l’Ange. Alors ce jugement, c’est celui qui découle de notre prise de conscience de nous même, sans attendre
l’heure de notre mort. Un jugement que nous énonçons nous même, ce n’est pas un verdict asséné par un quelconque tribunal, fût-il divin. Cela nécessite courage et lucidité
vis à vis des pièges de l’illusion ; si tel est le cas, alors le bateleur approche du terme de
sa course ; sinon … le Juge ment ! L’exercice sera nécessairement productif car porter
un jugement éclairé sur soi contribue forcément à apprendre à se connaître, en évitant
de se détruire. Et dans une démarche ésotérique, cela demande de franchir une étape de
conscience et de s'élever. Il va falloir laisser derrière soi la ceinture de plomb métallique
qui nous maintient cloué au sol, et qui recèle une bonne partie de nos interrogations et
expériences passées, de nos ressentiments et autres scories qu’il va nous falloir abandonner, après y avoir jeté un dernier regard. La route de notre l’existence a déjà été longue ;
nous sommes fiers de ce que nous avons accompli, nous avons depuis longtemps trouvé
de bonnes explications pour ce que nous regrettons. Et si d’autres pensent le contraire,
ils n’ont vraiment rien compris.
Mais en vérité, nous savons bien que notre premier objectif a d’abord été de satisfaire
notre bien?être, sans oublier notre paraître. Nous savons aussi que les défauts que nous
ne voulons pas nous reconnaître sont en général ceux que l’on ne supporte pas chez les
autres. Par moments, nous avons cru nous être affranchi de la dictature d’un Moi parfois
trop expansif et bien sûr, nous sommes tôt ou tard retombés sous son emprise. Mais pas
de critique excessive, nous sommes humains et il me semble normal de vouloir satisfaire
nos besoins, élémentaires ou élaborés. Là où l’initiation va entrer en jeu, ce sera plutôt
152
pour mettre activement en lumière la capacité que nous avons à nous mentir à nous même,
pour finalement admettre que la suite de notre progression ne pourra pas se faire hors la
conscience de l’intégration dans un Ordre supérieur et universel. Arrivé à ce stade de
notre évolution, nous ne marcherons plus à reculons. Nous savons désormais d’où nous
venons, ce que nous sommes et la valeur de nos actes. Ordo ab chao, quelle que soit la vision que nous pourrons alors avoir de ce Monde désormais totalisé, peut-être en meilleure
harmonie, mais dont la conception sera probablement à éternellement recommencer.
Echec et Mat ? Nous verrons … mais pour l’instant, considérons que le Jugement se révèle
comme l’arcane de la mort de l'homme profane, la renaissance du Bateleur qui sera guidé
par l’Ange vers sa nouvelle nature, vers la rencontre avec sa dimension surhumaine.
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Conclusions de l’Orateur
Alors que nous approchons tranquillement du terme apparent de notre année d ‘études sur le Tarot de Marseille,
ce soir, au-delà de l’aspect particulier de cette Tenue et des travaux, je voudrais vous inviter à prendre conscience
de la chance que nous avons d’être ici en Loge, d’être là dans le sein probablement de la dernière organisation initiatique vivante en Occident.
Aussi, je conclurai donc en proposant de méditer une célèbre devise alchimique qu’il pourrait être intéressant de
rapporter à notre manière maçonnique de cheminer :
«Prie, lis, lis, relis, travaille et tu trouveras» (ora, lege, lege, relege, labora et invenies)
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18 Mai 2010
Tenue au 2e degré symbolique
Edouard Bot∴
du Pavé Mosaïque à la Voûte étoilée … de la Terre au Ciel … l’Axis Mundi
«Nul n’entre ici s’il n’est géomètre», phrase dont la tradition veut qu’elle ait été gravée à l’entrée de l’académie de
Platon à Athènes en 387 AC.
Lors de notre initiation, une fois le bandeau enlevé, nous avons découvert le Temple. Ce carré long, double carré
en fait, était le sol sur lequel nous avions subi les épreuves, et nos regards se sont portés alors de l’Orient à l’Occident
pour la longueur et du Septentrion au Midi pour la largeur. Nous étions dans l’horizontale.
Mises à plat, deux équerres peuvent former une croix, et quatre équerres un carré ; et comment voir les choses autrement sans comprendre qu’une équerre peut être relevée et nous montrer à la fois l’horizontalité et la verticalité.
Le plan horizontal nous indiquant alors qu’il faut apprendre à se maîtriser, savoir écouter, confronter les idées et
la dimension verticale symbolisant l’élévation sur un plan spirituel : le croisement de ces deux axes devenant alors
le lieu où nous devons nous situer pour devenir homme universel, le point de rencontre de notre immanence et de
l’unité transcendante.
Nous avions vu sur l’Autel des Serments que l’équerre recouvrait le compas, mais nous ne savions pas encore que
c’était là le signe que la matérialité l’emportait encore sur notre spiritualité, le carré de l’équerre entourait le cercle
que pouvait tracer le compas. Cercle dont tout notre travail à venir allait être de le dégager de ce carré et surtout
d’en découvrir le centre : le carré représentant la terre, le temple visible, symbolisant l’univers créé, l’immanent où
l’homme se situe, par rapport au ciel représenté par le cercle, le temple invisible, le transcendant auquel il aspire.
En devenant Compagnon, nous sommes passés de la Perpendiculaire au Niveau, qui permet de trouver l’horizontale
tout en donnant la verticale et dont l’union parfaite des deux donne le juste milieu et permet de tendre vers l’équité
et l’équilibre. Dans notre marche, le quatrième pas de côté nous fait voyager aux confins de l’extrême de l’Étoile
Flamboyante et le cinquième pas nous ramène vers notre but, dans l’axe du sommet de cette étoile.
Dans l’antiquité toute architecture sacrée est orientée et se ramène au passage rituel du centre au cercle, puis du
cercle au carré. Le procédé, empirique, traditionnel et universel, utilisé en Occident jusqu’à la fin du Moyen-Âge
nous a été décrit par Vitruve : on procède à midi ; au centre de l’emplacement choisi on plante un pieu, autour duquel avec un cordeau on trace un grand cercle. On détermine l’axe nord-sud, le cardo, en traçant sur le sol l’ombre
du pieu au moment où elle passe par un minimum ; puis l’axe est-ouest, le decumanus, est déterminé à angle droit,
ce qui donne la croix des points cardinaux du cercle. En prenant ces points pour centre, on trace des cercles de
même rayon que le premier ; leurs intersections déterminent les diagonales du carré orienté inscrit dans le cercle
originel. Avec un simple cordeau on est passé du centre au cercle, puis au carré orienté.
On refait dans un rite sacré la genèse du monde, car tout édifice sacré est cosmique et fait à l’imitation du monde.
On imite le dieu Architecte, «celui tourna le compas aux bords du monde et au dedans distingua l’occulte et le manifeste.» dit Dante. (Le Paradis, XIX, 40-42)
Passer du cercle au carré c’est établir un rapport entre l’ordre cosmique et l’ordre terrestre, ou encore l’ordre divin
et l’ordre humain. L’homme synthétise cette création, il en est le centre et établit le lien entre le Haut, le cercle, le
ciel, l’essence, et le Bas, le carré, la terre, la substance. Cette relation est symbolisée par la croix, les deux axes dont
nous parlions tout à l’heure.
La première opération consistait à tracer un grand cercle directeur, à partir d’un centre marqué par un pieu. Ce
pieu est un axe et il représente l’axe vertical futur de l’édifice. Il devient l’axe du monde : il est un Omphalos.
(= nombril).
155
Avant de commencer à nous élever il a fallu, et il le faudra toujours, descendre pour pouvoir remonter. Ce fil à
plomb, que nous avons suivi, a été le symbole de notre recherche en profondeur, notre descente en soi nécessaire à
notre introspection et à la rectification qui allait s’ensuivre ; et ce fil à plomb passe par cet omphalos. Après l’Orient
et l’Occident, après le Septentrion et le Midi nous avons découvert le Nadir. Voilà une dimension importante à
notre temple intérieur ! Cette profondeur qui allait nous aider à remonter vers le Zénith.
Orient, Occident, Septentrion, Midi, Nadir, Zénith, les dimensions du Temple, dans l’espace, sont là. Pour passer
du temple visible au temple invisible, inscrire le cube du créé dans le transcendant de la sphère, il va nous falloir
passer de la géométrie plane à la géométrie dans l’espace. Le centre de notre cube, point de concours des diagonales
intérieures, va coïncider avec le centre de la sphère, qui devient le centre de symétrie de l’ensemble : une sphère
considérée comme un symbole de perfection et de totalité, dont tous les points sont à égale distance du centre, qui
est sans commencement ni fin et représente l’Unité illimitée de Dieu. Elle va englober le cube, forme de toute
assise stable et image de son immutabilité.
Dans le Banquet, Platon nous dit «qu’avant la division des sexes, l’homme était sphérique.», union du principe féminin et masculin, de la substance et de l’essence qui par leur fusion rappellent l’unité principielle, cet Adam Kadmon de la Kabbale, Adam originel que nous cherchons à reconstituer en nous.
Notre Temple, orienté, devient un espace sacré , car «nous ne sommes plus dans le monde profane ; nous avons laissé
nos métaux à la porte du Temple …». En laissant nos métaux à la porte du temple nous constituons donc un univers
orienté et protégé, dans lequel nous observons des règles et un rite, et qui devient par cela une voie d’approche
pour tout ce qui s’offre à l’homme dans sa quête, bien au-delà de son savoir, de son pouvoir et de son espoir.
À la question : qui suis-je ? nous répondons que nous sommes des êtres de conscience, mais perdus dans toutes les
dimensions de l’espace et du temps, ne sachant plus à quelle pensée nous raccrocher, ne sachant plus finalement ni
lire ni écrire …
Souvenons-nous que nous avons un symbole, qui est celui du fil à plomb, et qui nous relie à l’axe fondamental de
la terre. Ce symbole actif nous dit en permanence : va vers la rectitude de ta pensée !
Le point, symbole primordial du Grand Architecte De L’Univers, de l’Être Suprême, va permettre de définir la
zone du sacré, celle de la réalité absolue. Le centre de tout cercle tracé à partir de ce point, de cet omphalos, que ce
soit l’Univers, la Terre, la Cité, notre Temple, notre corps ou notre esprit, devient le point de passage d’un axis
mundi reliant le ciel à la terre. La route qui mène à ce point est certes une route difficile pour celui qui cherche le
chemin vers le soi, vers le centre de son être ; c’est en fait le point de passage du profane au sacré, de l’éphémère et
de l’illusoire à la réalité et à l’éternité, de la mort à la vie et de l’homme à la divinité. C’est la Voie du milieu, qui
est représentée par un axe vertical, du point de vue d’un être qui, placé au centre de l’état humain, tend à s’élever
de là aux états supérieurs. «Ce point,» dit René Guénon, «est le centre qui contient en lui-même toutes les possibilités,
non plus seulement d’un état particulier, mais de la totalité des états manifestés et non-manifestés».
La route qui mène du Pavé Mosaïque à la Voûte Étoilée est cet axis mundi, ce fil à plomb, ce chemin qui part du
centre de notre être, au plus profond du Cabinet de réflexion, traverse le Pavé Mosaïque, symbole de la pluralité de
nos moi, de la pluralité du monde et des êtres, pour atteindre la voûte étoilée, les sphères célestes.
Cette route est celle qui va permettre notre passage à l’unité, à la plénitude, dans notre remontée vers la Lumière,
bien dans l’axe qui conduit vers le sommet de notre inaccessible Étoile …
156
Luc Pou∴
L’Éthique du Compagnon sur la voie de la Maîtrise
Ce travail a été présenté en vue de l’élévation au 3e degré symbolique.
Je dois reconnaître m'être trouvé quelque peu abasourdi en recevant un sujet pareil. De quoi dois-je parler ? Car
dès que l’on aborde l’éthique, la morale et la déontologie nous interpellent aussitôt.
Si la morale est un ensemble de règles ou de lois ayant un caractère universel, irréductible, voire éternel, et la déontologie un ensemble des règles ou des devoirs régissant la conduite à tenir pour les membres d’une profession ou
pour les individus chargés d’une fonction dans la société, l’éthique, elle, est la science de la morale et des mœurs :
c’est une discipline philosophique qui réfléchit sur les finalités, sur les valeurs de l’existence, sur les conditions
d’une vie heureuse, sur la notion de “bien” ou sur des questions de mœurs ou de morale. Étymologiquement le mot
“éthique” est un synonyme d’origine grecque de “morale”. De nos jours il a une connotation plus théorique et plus
philosophique. L’éthique s’attache aux valeurs et se détermine de manière relative dans le temps et dans l’espace,
en fonction de la communauté humaine à laquelle elle s’intéresse. Notre frère Jules Boucher a écrit : «l’éthique est
un questionnement essentiellement individuel qui émerge de la conscience humaine, contrairement à la morale, ensemble
de règles … qui imposent, de tout le poids du passé, des conduites d’obéissance». Évidemment, la Franc-maçonnerie
possède son éthique et les Maîtres en sont ses plus valeureux ambassadeurs. Mais mon sujet, « l’éthique du Compagnon sur la voie de la maîtrise », semble indiquer que le Compagnon possède une proto ou prè-éthique maçonnique qui, lors de son élévation évoluera en éthique.
À ce stade de ma réflexion, je me souviens que lors de mon élévation au grade de compagnon, le Vénérable Maître
a déclaré lors du cinquième voyage : «La Franc-maçonnerie, mes Frères, est une véritable religion du travail. Élevons
nos cœurs dans une commune pensée pour glorifier le travail, la première et la plus haute vertu maçonnique.»
GLOIRE AU TRAVAIL caractérise donc pour moi l'éthique du Compagnon. Ce travail sans lequel je ne peux
m’élever et être élevé au grade de Maître. C'est ce travail qui nous réunit, et pour lequel le Vénérable Maître déclare :
« Mes Frères nous allons ouvrir les travaux ».
Mais sur quoi travaillons-nous en loge ? Tout d’abord, sur notre propre pierre, en la taillant pour l’insérer harmonieusement dans l’édifice. Nous travaillons donc sur nous-mêmes. Alors qu’Apprenti je me suis déstructuré, il me
faut me reconstruire pour être, exister. Je dois rassembler ce qui est épars. La règle m’aide à suivre la loi morale, et
avec les planches de mes Frères, j’élargis ma vision. Ils m’aident à devenir un homme libre. Enfin, doté de la parole,
je veille en l'utilisant à ne pas ramener par inadvertance les métaux laissés à la porte du temple. Pour cela, j’abandonne le mode de réflexion profane. J'essaie de me situer sur un autre plan en retournant la réflexion vers mon intérieur. J’observe mon comportement, j’entre en contact avec mon moi et je le régénère. La valeur de mon travail
est indissociable du devoir d’assiduité et de la compréhension du rituel.
Le tableau de Compagnon déroulé dans le temple me rappelle les outils symboliques qui nous aident à forger notre
âme. Au fil des tenues je m’imprègne de la méthode de travail maçonnique basée sur l’écoute, le respect de l’autre
et l’échange entre Frères. La discipline de parole permet à chacun de s’exprimer librement avec des propos mesurés.
Très vite, je comprends que le travail en loge consiste donc à œuvrer, sans cesse, encore et toujours sur soi même. Je
dois distinguer le savoir de la connaissance en séparant radicalement ce que je sais de ce que je crois connaître. Le
travail me permet d’avancer toujours plus dans la compréhension du symbolisme et de me transformer peu à peu
en un homme nouveau. Au fil des tenues je comprends que ce travail engagé n’a pas de fin. Il n’est interrompu par
aucune phase de repos. Et le Vénérable Maître nous le rappelle à l’issue de chaque tenue : «Il est donc l’heure de les
renvoyer, puissent-ils continuer à travailler ainsi, dans la liberté, la ferveur, et la joie».
Lors du cinquième voyage d’élévation au grade de Compagnon, l’expression Gloire au travail concrétise donc l’apologie de cette recherche incessante que chacun de nous doit effectuer pour transformer progressivement sa nature
et l'acheminer vers l'éveil. Ce travail est le reflet de ce que nous sommes. C'est lui qui témoigne de notre progression.
Il est vrai. Il vise la perfection asymptotique, celle que l'on approche mais que l'on atteint jamais.
157
Les cinq voyages du compagnon dessinent avec précision le contour d’un travail idéal. J’ai reçu durant ces voyages
les outils nécessaires. Il s’agit du maillet, du ciseau, de la règle, du levier, du fil à plomb, du niveau, de l’équerre et
enfin de mes propres mains qui doivent me permettre de réaliser le travail idéal. Au premier voyage j’ai découvert
la Beauté, au second la Force, au troisième la Sagesse, au quatrième l’Infini et au cinquième la Liberté.
C'est après une année de Compagnon que, fort de tout l’enseignement acquis en loge, un passage du rituel m'est
revenu sans cesse en tête : «il est donc l’heure de les renvoyer, puissent-ils continuer à travailler dans la liberté, la
ferveur et la joie». Alors que je ne comprenais pas comment je pouvais travailler ainsi hors loge, j'ai soudainement
réalisé que pour le Compagnon, il s’agissait d’une invitation à voyager. Aussitôt je débute mon périple. En un an
je visite plus de trente fois, dans quatre départements différents.
Au tout début de mes voyages, je découvre la fraternité et l’importance du rituel qui me permettent de me sentir
chez moi où que je sois. Et chaque fois, je peux travailler comme à l’accoutumé, dans la liberté, la ferveur et la joie.
Parce qu'une grande partie de l’enseignement maçonnique se communique oralement et que la Franc-maçonnerie
n'est pas dogmatique, chacune des loges a sa spécificité. Loin du cocon protecteur de ma loge mère, mon éthique
s'abreuve de ces différences, les emmagasinant à la vitesse des voyages.
En observant la position des Frères lors de leurs interventions, leurs façons de s'exprimer de se positionner par rapport aux colonnes tout au long des tenues, mon subconscient enregistre et restitue sur cela des valeurs moyennes
qui ressurgissent avec le rayonnement de ma propre étoile.
Loin de chez soi, les agapes révèlent toute leur importance. On y aborde nos particularités. D'où viens-tu ? Quel
est-ton rite ? Quel genre de travaux effectuez-vous ? A cet instant nous pénétrons le cœur de la Franc-maçonnerie.
Les discussions sur l'évolution des rites, imprègnent le Compagnon que je suis de l'histoire de la Franc-maçonnerie.
Ma culture grandissante et ma connaissance plus étoffée des obédiences me rendant plus accompli, et mon éthique
peut enfin interpeller davantage le subconscient de l'autre. Cela est très important car, comme le dit si bien notre
Frère Henry Lentillac : «La démarche initiatique est équilibre. Équilibre harmonieux entre travail sur soi et construction d'une éthique du rapport à l'autre». Et c'est bien du rapport à l'autre qu'il s'agit lorsque le Franc-maçon travaille
sur lui pour devenir plus humain. Plus humain envers les humains. Plus humain envers tous les êtres vivants. Plus
humain envers l'univers.
Voyager seul c'est passer du chaos à l'harmonie, des ténèbres à la lumière, de l'extérieur du temple à l'intérieur du
cœur. N'est ce pas là la quête de l'homme depuis l'aube de l'humanité, homme à la recherche de son histoire, des
raisons de sa présence sur terre et de la découverte de son inexplicable devenir? Cette quête est aussi la mienne.
Heureusement l'Étoile Flamboyante placée dans le temple est toujours là pour me guider. Je comprends vraiment
pourquoi elle est le symbole du Compagnon. Avec les voyages, je fais le pas sur le côté et je reviens toujours sur le
droit chemin, conforté dans ma démarche par cette étoile toujours présente. L'Étoile Flamboyante est source de
lumière et de connaissance. Si je parviens à m'inscrire dans l'Étoile Flamboyante je trouverais mon équilibre, je réaliserais mon unité propre et cette flamme divine qui est en moi me permettra de flamboyer à mon tour.
En voyageant je comprends qu'en glorifiant le travail maçonnique, je rappelle que celui ci est effectué à la gloire du
Grand Architecte De L’Univers, c'est à dire pour son rayonnement. Ainsi je suis invité à m'inscrire dans l'Étoile
Flamboyante pour m'élever dans la lumière. Mais à ce jour, je ne suis qu'à mi-chemin du but de mon initiation.
C'est pour cela que la pointe du compas, placé sur le Volume de la Loi sacrée est découverte, le compas et l'équerre
entrelacés. Ils représentent à ce jour l'équilibre du Compagnon dans lequel raison et éthique ont la même importance.
Un de nos illustres prédécesseurs, Giacomo Casanova, a écrit : «Le secret maçonnique est inviolable par sa propre
nature puisque le maçon qui le sait ne le sait que pour l’avoir deviné. Il ne l’a appris de personne, et l’a découvert à force
d’aller en loge, d’observer, de raisonner et de déduire». À ce jour, je ne prétends pas avoir découvert le secret maçonnique. Cependant, la méthode préconisée par Giacomo Casanova m’a permis de construire mon éthique. Alors
qu’apprenti, je pensais n’être qu’un trou noir, avide du rayonnement de mes frères, je me rends compte aujourd’hui
que, au contraire, au plus profond de moi se trouvait une toute petite flamme. Cette flamme se nourrit du rayonnement de mes Frères. Lorsqu’elle croît mon éthique croît indissociablement. Elle me permet d’accepter des choses
qui ne sont pas telles que je le souhaite, elle me fait prendre conscience que je dois accepter mon ego pour pouvoir
le rectifier. Bien plus encore, elle me fait accepter mes propres faiblesses, pour accepter celles des autres.
Ainsi s'achève mon travail sur l'éthique du Compagnon sur la voie de la maitrise. Après avoir commencé mes
travaux à midi je déclare maintenant à mon Premier Surveillant que je suis content. Quant à vous mes Frères, sachez
que maintenant j'attends l'heure où mon instruction maçonnique sera suffisamment avancée pour être digne d'être
admis parmi les Maîtres.
158
Gérard Gal∴
Tout symbole “fait signe”, il est renvoi à une signification qui n’est jamais donnée ou offerte, mais seulement suggérée et que le Franc-Maçon est invité à découvrir. Il apparaît comme une énigme qui au
lieu de bloquer l’intelligence doit au contraire la provoquer, la réveiller.
Symbole : mot issu du grec ancien sumbolon, qui dérive du verbe sumbalein signifiant “mettre ensemble”, “joindre“,
“comparer”, “échanger”, “se rencontrer”, “expliquer”. Tout un symbole pour cet atelier !
En Grèce, un symbole était au sens propre et originel un tesson de poterie cassée en deux morceaux et partagé entre
deux contractants. Pour liquider le contrat, il fallait faire la preuve de sa qualité de contractant (ou d'ayant-droit),
en rapprochant les deux morceaux qui devaient s'emboîter parfaitement. Le sumbolon était constitué des deux morceaux d'un objet brisé, de sorte que leur réunion, par un assemblage parfait, constituait une preuve de leur origine
commune et donc un signe de reconnaissance très sûr.
Le symbole est aussi un mot de passe. Signe de reconnaissance, mot de passe … La recherche sur l’origine et l’étymologie du mot symbole impose une évidente corrélation avec le rite maçonnique. Tout est symbole ici, tout est
enseignement secret, avec une double face, une expression énigmatique et un sens profond. Ainsi, nous-même, qui
sommes à la fois les constructeurs et les matériaux d’un Temple (Soyez vous-même une colonne vivante qui s’élève
vers les hauteurs, tout en vous appuyant sur la terre qui vous a donné naissance. Vous deviendrez ainsi un des piliers
inébranlables de notre Temple). Temple qui n’est autre que le symbole de l’univers. Quelques recherches au niveau
des nouveaux outils (ou symboles), qui ont été mis à ma disposition, vont sûrement étayer le sujet qui m’est proposé
ce soir.
Mon Frère, je vais vous donner maintenant une preuve de confiance. Elle est constituée par la communication d’un
mot de passe qui conduit au degré auquel vous aspirez à être admis. Le mot de passe est Shiboleth. Shiboleth signifie
épi, et il est représenté sur le tableau du deuxième degré par un épi à côté d’un cours d’eau, allusion à un passage
relaté dans la Bible au livre des Juges. Cette phrase, nous l’avons tous entendue ici (moi même très récemment
d’ailleurs). Il pourrait s’agir de la communication d’un simple mot de passe, symbolisé par un épi de blé. Mais rejoignons, comme il est suggéré, le passage relaté dans la bible au livre des Juges, ainsi que les enseignements qui
m’ont été délivrés par la lecture d’un morceau d’architecture de Louis Trébuchet. L’épi que représente SHIBOLETH, nous ramène aux mystères d’Éleusis et donc au mythe chtonien et agricole de la descente aux enfers suivie
du retour de la moisson, (référence à notre initiation maçonnique, - visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant tu
trouveras la pierre cachée). Il s’agit bien là de la version spéculative, ésotérique, appliquée à la maturation de l’être
humain: descendre en soi-même pour que la graine y meure au solstice d’hiver, à la St Jean d’Hiver, et renaître
comme un épi au solstice d’été, à la St Jean d’été, pour apporter au monde le fruit de notre maturité.
Mais alors quelle est cette maturité, quel est ce moyen d’action que le Compagnon peut exprimer ? C’est la
deuxième signification de SHIBOLETH, que nous indique le livre des Juges. Les hommes de Galaad, Jephté à leur
tête, se replient de l’autre côté du Jourdain, attendent au gué les Ephraïmites, et leur demandent de prononcer
SHIBOLETH. Et, nous dit la Bible, les hommes d'Ephraïm, prononçant mal le SH (CH), disaient SIBOLETH,
ce qui signait leur arrêt de mort, car tous ceux qui ne pouvaient prononcer ce mot étaient exécutés. Il est remarquable
que le verset hébreu qui traduit «ils ne pouvaient prononcer ce mot» utilise justement le mot YAKHIN, mot sacré
des Compagnons, dans le sens “il formera” pour un mot, une parole. On trouve là une utilisation fondamentale du
mot sacré du Compagnon associé au mot de passe des Compagnons qui montre bien que Shiboleth l’épi qui naît
au solstice d’été pour le Compagnon, après qu’il soit descendu en lui-même au solstice d’hiver, c’est la parole.
(Dans le pythagorisme, le mot “symbole” désigne une parole, un enseignement secret)
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Le mot de passe, SHIBOLETH, est donc un symbole, pas un de ces mots de passe que l’on apprend par coeur, que
l'on se donne comme les mots de semestre, ce n'est pas un mot que les hommes d'Ephraïm ne connaissaient pas,
c'est un mot qu'ils ne pouvaient pas prononcer correctement.
De même, si le Compagnon peut prendre la parole, ce n'est pas parce qu'il connaît les mots, mais parce qu'il a la capacité intérieure de construire une parole. Pour comprendre où et comment le Compagnon va trouver la capacité
à formuler cette parole véritablement initiatique, il convient de se pencher sur la différence entre SHIBOLETH,
et SIBOLETH. C'est d'un côté le SAMEKH qui se prononce S, et de l’autre SHIN. D’une part SAMEKH, l'arbre
de la tradition, le chemin tracé que l’on peut suivre sans se poser de questions, (symbolisé par le faux labyrinthe de
la cathédrale de Chartres, par exemple ?), et d'autre part SHIN, le feu de la lumière divine, notre pierre des profondeurs, racine profonde de notre arbre de vie. L’ésotérisme Hébreu donne à cette lettre, symbole du Principe créateur,
une place toute particulière dans le premier mot du premier verset du Volume de la Loi Sacrée, BERESHIT, que
l’on devrait traduire en Français non pas « au commencement » mais « dans le Principe.» La connaissance de la
tradition ne suffit pas pour avoir droit à la parole, c'est le feu intérieur de la lumière originelle, du reflet du Principe
au fond de nous même, qui fait que l'on peut parler.
Outre sa fonction sémiotique, le symbole à donc une fonction révélatrice. Il apparaît comme une réalité visible,
qui invite à découvrir des réalités invisibles. Le symbole traduit l’intraduisible, il éclaire l’obscur. Pas d’un éclat
éblouissant comme celui du soleil (les yeux des Compagnons ne sont pas assez forts pour supporter la vraie lumière).L’Étoile Flamboyante, empreinte de la lettre G serait donc le symbole qui transforme le Franc-maçon en
Perceval en quête du Graal … Les étoiles les plus lointaines semblent être les plus insignifiantes alors quelles sont
probablement les plus grosses. L’étoile à cinq branches, guide du Compagnon, porteuse d’une haute signification
qui vient de très loin … Le temple que chaque Franc-maçon construit à La Gloire Du Grand Architecte De L’Univers. c’est la quête de ce Graal qui permettra la transmutation du plomb en or; du profane en initié. Soyez vousmême une colonne vivante qui s’élève vers les hauteurs, tout en vous appuyant sur la terre qui vous a donné naissance
Tous les mots entendus dans le Rite Écossais Ancien et Accepté sont des symboles porteurs de sens, et parfois,
peut-être de mise en garde. Pourquoi la phrase rituelle que je viens de rappeler, nous intime-t’elle de garder les pieds
sur terre? Comme pour nous éviter de nous disperser, comme pour nous rappeler à la sagesse, au discernement.
Doit on craindre l’antonymie du symbole? Le damier que nous avons sous les yeux nous rappelle que nous devons
composer sans cesse entre le bien et le mal. Le diabolique est, au sens propre, pour les Grecs, le bâton qui semble
rompu lorsqu'il est plongé dans l'eau ; au sens figuré, c'est l'apparence trompeuse. Ce qui est trompeur, fait croire à
la cassure et relève de l'illusion des sens, est de l'ordre du diabolique. Ce qui rapproche, reconstitue l'unité ou la totalité originelle en dévoilant du sens, est de l'ordre du symbolique …
La frontière est effectivement bien mince, et les garde-fous ne sont pas en reste pour nous éviter de tomber dans
l’illusion et la folie ! Je fais là évidemment, référence au svastika. L’un des plus anciens symboles de l’humanité.
Littéralement, svastika veut dire bonne santé ! En Chine c’est un idéogramme qui représente le coeur de BOUDDHA. En Inde, il représente l’éternité ! S’il s’agit de l’un des plus anciens symboles, c’est aussi sans doute le plus
répandu dans le monde. Son ubiquité s’explique parce qu’il représente le mouvement des étoiles autour de l’étoile
polaire (fonction symbolique à tous les hommes). Le problème c’est que le sens de sa rotation reste indéfini (illusion
des sens) … Inutile de rappeler ce qu’est devenu ce symbole, aujourd’hui tabou en occident ! Ainsi le pentagramme,
guide du Compagnon, symbole de ralliement des pythagoriciens … figure liée au nombre d’or, qui a la particularité
de générer des suites de dessins semblables au dessin initial, on peut ainsi faire évoluer notre figure depuis l’infiniment grand jusqu’à l’infiniment petit, et inversement. (C’est amusant, je m’y suis essayé plus jeune en cours de
dessin industriel) … Constatons tout de même que lors de cet exercice, l’étoile se présente la pointe en bas une fois
sur deux …
Le symbole est une énigme qui doit provoquer, réveiller l’intelligence ? Probablement. Forcer l’imagination, intéresser à la recherche, à la lecture ? Sans doute. Le symbole reste avant tout un rappel au devoir fondamental du
Franc-maçon.
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Conclusions de l’Orateur
S’il fallait comparer le Compagnonnage à la croissance d’un arbre, ne serait-ce pas alors la période où les premières
frondaisons s’installent ? En explorant l’horizontale après la poussée verticale initiale. C’est le monde du plan qui
se développe et va capter l’énergie diffusée par le soleil. Il faudrait d’ailleurs se demander si on ne pourrait associer
la couleur verte à ce second degré symbolique et je ne peux m’empêcher d’évoquer ici le fameux Lion Vert des alchimistes dévorant justement le soleil …
Plus tard, il faudra à cet arbre produire du fruit mais ceci sera une autre étape. Ce soir, de nos deux Compagnons,
l’un approche d’une nouvelle croissance, l’autre débute à peine la construction de sa canopée. Mais, nous n’en doutons pas, l’un comme l’autre, à l’instar du grain de sénevé, seront appelés à s’élever très haut vers les cieux, à relier
le Ciel et la Terre, à devenir des « axis mundi ».
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4 Mai 2010
L’Alpha et l’Oméga
Albert Ben∴
Arcane 21 - Le Monde
Totalisant tous les arcanes précédents, Le Monde est réceptif. Il appelle
à se reconnaître et à accepter sa réalisation dans l’unité.
Le Monde pourrait dire au Mat « si tu arrives à moi, si tu me développe
en toi, tu goûteras au bonheur de vivre ».
Reformulation du sujet
Totalisant tous les arcanes précédents, Je suis réceptif. J’appelle à me reconnaître et à accepter ma réalisation dans l’unité.
Je pourrais dire au Mat : « Si tu arrives à moi, si tu me développes en toi, tu goûteras au bonheur de vivre ».
De l’image (pieuse ? sainte ?) de la lame représentative du Monde
Plus je regarde cette lame numéro 21, plus je me demande si elle pourra guider le travail que j’ai à entreprendre.
Où pourrais-je donc en trouver les bases ?
Ne suis-je pas le Monde, accompli, réalisé, dans l’unité, l’alpha et l’oméga ?
Quel est ou quels sont donc ces piètres artistes à la prétendue vocation ésotériste qui ont pu imaginer que mon
univers se glorifierait d’une couronne d’épis de blé tressés ? (Mais qui donc a dit que c’était du feuillage ? Et bien
non, c’est du blé).
Or ! Mon blé n’a pas encore poussé.
Or ! Mon blé me sert à fabriquer mon pain, celui qui nourrit, celui que je partage.
De mon blé, il n’y en a jamais assez, et surtout pas pour en gaspiller à la fabrication de couronnes ou de totems.
Sauf au pays du pain de la honte, où le pain sèche pour avoir été refusé, refusé par peur d’avoir à rendre, refusé par
peur d’avoir à partager, et pis encore, par peur d’avoir à partager ce que l’on n’a pas encore, ce que l’on aura plus
tard, peut-être …
Mais ce pays n’existe plus dans le Monde que je suis. Je l’ai rayé de la carte. Moi, mon blé est toujours en devenir.
Moi, mon blé, je ne l’ai pas encore fait. Moi, Je n’ai fait que semer. Je n’ai pas encore récolté.
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Je suis le monde, et bien qu’accompli, toujours en devenir, paradoxalement.
Alors, tant de labeur, tant d’efforts, tant de sueur, pour me retrouver finalement en représentation féminine, genre
ventre mou à féconder, moi, le Monde ? Cette jeune fille fragile, blonde de surcroît, nue, prenant pourtant soin de
cacher ses parties intimes d’une écharpe absorbante, ascenseur de sanguines remontées, pour en être imbibée
jusqu’au cou. Quelle horreur !
On nous dit qu’elle tient en main droite une fiole, principe réceptif. Moi j’y vois une cloche, sans doute pour battre
le rappel, et en main gauche, un bâton de maréchal, pour signer l’accomplissement.
Le tout monté sur un char tiré par un cheval et un lion, tous deux à l’air inoffensif, sous l‘emprise de je ne sais quelle
mixture. Le lion est auréolé, pas le cheval.
Le tout sous le regard bienveillant de Saint Machin (auréolé) et d’un aigle (également auréolé) emprisonnant dans
ses serres le cœur de qui ? de quoi ? Ange et aigle se regardant comme se disant narquoisement et réciproquement :
je suis le bienveillant qui veille.
Même le chiffre XXI ne semble pas approprié.
Je suis le Monde, l’Unité, le début et la fin.
Je suis tous les chiffres et aucun ne peut à lui seul me représenter.
Bien sûr les numérologues de cafés du commerce (ceux qui sévissent dans nos loges) pourront toujours dire que
deux suivi de un (21) peut signifier que le couple des deux principes premiers (jaillissement – absorption) engendre
l’unité, et qu’ainsi sont posés les trois piliers de la grande trinité, etc …
Il m’a fallu une vie, (la mienne, la seule) pour atteindre ce degré de plénitude et d’accomplissement, et certains
osent prétendre que cette représentation de la lame 21 est de circonstance, car elle symbolise l’oeuf philosophique.
Or, je n’ai plus d’oeuf à casser : les omelettes, je n’en fais plus !
Seule approche peu ou prou symbolique de la réalité : deux grosses et belles fraises excrémentées l’une par le Lion,
l’autre par le Cheval, sanguines elles aussi, et sur lesquelles tout l’édifice repose. Comme pour dire : “pour totaliser,
pour recevoir, pour se reconnaître et accepter sa réalisation dans l’unité, il faut en avoir une grosse paire …”
Je pourrais dire au Mat : “Si tu arrives à moi, si tu me développes en toi, tu goûteras au bonheur de vivre.”
Je pourrais le lui dire. Mais je ne lui dirai rien.
S’il venait à insister, je lui dirais : “passes ton chemin électron libre, Jean sans terre, Arcane sans numéro, Juif errant,
Joker de pacotille, mouche du coche de la démarche initiatique, musicien de foire. Il n’y a pour te suivre qu’un animal qui semble prêt à se nourrir de tes déjections. Si tous les chemins sont ton chemin, ils ne te conduiront pas à
moi. Seule la Voie mène à moi : j’en suis la source. C’est la tête qui doit guider les jambes, et non l’inverse. Quelle
folle prétention que celle de croire que parcourir le monde c’est le comprendre. D’ailleurs, qui te l’a demandé ?
On t’a seulement demandé de quitter ton milieu familial, de devenir adulte, autonome et responsable. « Genèse,
Chap. 12 Lekh-Lekha : L’Éternel dit à Abraham : Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père,
dans le pays que je te montrerai »
Si le Mat persiste, je lui dirai alors : « Je n’ai pas de temps à perdre, alors montre-moi ta paire ».
C’est d’ailleurs le titre d’un roman d’Hemingway, En avoir ou pas (en anglais, To Have and Have Not).
Tout est dit.
Tout avait d’ailleurs été déjà dit depuis bien longtemps.
Ainsi, Genèse, chapitre 24 :
« 1- Abraham était vieux, avancé en âge, et l’Éternel avait béni Abraham en toute chose »
2- Abraham dit à son serviteur, le plus ancien de la maison, l’intendant de tous ses biens : mets, je te prie, ta main
sous ma cuisse ;
3- Et je te ferai jurer par l’Eternel, le Dieu du Ciel et le Dieu de la Terre, de ne pas prendre pour mon fils une femme
parmi les Cananéens au milieu desquels j’habite
4- Mais d’aller dans mon pays et dans ma patrie prendre une femme pour mon fils Isaac.
……
9- Le serviteur mit sa main sous la cuisse d’Abraham, son seigneur, et lui jura d’observer ces choses. »
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Versets surprenants dans cette Bible, et qui appellent la question suivante : pourquoi donc Abraham, révélateur du
monothéisme, demande-t-il à son serviteur, avec assez d’insistance pour que cela soit cité à deux reprises, de mettre
sa main sous sa cuisse pour pouvoir jurer ?
RACHI, célèbre rabin médiéval français (Troyes env. 1040 - 13 juillet 1105), incontesté pour son exégèse juive de
la Bible et du Talmud, et inspirateur, entre autres, de la traduction de la Bible de Martin Luther, explique ces versets
de la façon suivante :
Lorsque Abraham demande à son serviteur de jurer, il n’y a pas de lieux saints aux alentours, ni d’autel, ni aucun
autre lieu consacré où prêter serment devant Dieu. Seule la Circoncision ordonnée par Dieu à Abraham témoigne
alors de la sainte alliance conclue entre Abraham et l’Eternel. C’est pourquoi Abraham demande à son serviteur
de poser sa main, avant de jurer, sur ses parties génitales.
Comme pour surtout lui dire : cette semence contenue dans mes bourses est précieuse, sacrée, sanctifiée. Elle me
totalise. Elle ne doit donc pas être dispersée à tous vents. Trouve un contenant digne de recevoir ce précieux contenu
que j’ai transmis à mon fils Isaac en le créant et qui en est l’actuel réceptacle. Il m’appartient de veiller à sa bonne
distribution. Il s’agit de la semence des mondes à venir. Comme pour dire également à son serviteur : ta seule parole
ne me suffit pas. Prends garde, car si tu me trompes, elles sont assez grosses pour t’anéantir.
Je suis le Monde, je suis le Tout réalisé, je suis donc aussi et surtout Abraham et je saurai reconnaître si le Mat en a
ou n’en a pas ; et s’il en a, si elles sont sanctifiées ou pas, si elles sont pures ou pas. Je fermerai la porte du Monde à
toute semence folle et impure.
Et cela me fait penser à notre micro-monde, notre micro-onde, notre loge, ou bon nombre de Mat(s) se présentent,
énergies libres cherchant des canaux pour se manifester, arcanes sans numéro, en proie au désordre et au chaos,
même fondamentalement créatifs, pèlerins illuminés ou fous insensés. Énergies arrivantes dans un monde patiemment construit, énergies victorieuses après avoir subi les épreuves de notre détecteur de mensonge, détecteur O
combien souvent défaillant, détecteur pourtant toujours en service, dans l’attente d’un progrès ésoterologique,
énergies au jugement facile et expéditif, énergies à la forte tendance au parjure inconscient, croyant infiltrer le système alors que, sans dur labeur, ils n’en deviennent que les jouets.
Perroquets se prenant pour des porte-paroles.
Les paroles de Qui, de Quoi ?
Gentils, mais pas inoffensifs, parce que, pour le plus grand nombre, laquais du pouvoir, à quelque degré que ce soit.
Oui, me direz-vous, mais alors, que faut-il faire ?
La réponse est dans mes deux sacs de propositions : « Repassons les épreuves et prêtons un vrai serment en mettant
notre main dégantée sous la cuisse du Vénérable Maître ».
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François Mar∴
Arcane sans numéro - Le Mat
Énergie qui arrive, ou énergie qui s’en va, Le Mat est une énergie libre
qui cherche les canaux par où se manifester.
Arcane sans numéro, Le Mat est liberté totale, folie, désordre, chaos,
créativité fondamentale.
Pèlerin illuminé ou fou insensé, selon par où il ensemence Le Monde,
selon sa conscience.
Albert, vous a fait faire le tour du monde, moi je dois vous amener ailleurs !
Le Mat n’a pas de numéro ; à l’instar de certains spécialistes, notre Vénérable Maître a considéré que nous devions
en parler en dernier, non point parce qu’il serait le dernier des derniers, mais bien parce qu’il serait important et
que son étude permettrait de clôturer, de conclure l’ensemble de nos travaux de l’année sur le Tarot de Marseille.
Or, cette option n’est point partagée par tous.
Quand j’étais apprenti à Paracelse, Oswald Wirth avait, le moins que l’on puisse dire, la cote ! Nos jeunes frères,
maintenant, pour la plupart, ignorent même son nom. C’est très bien comme cela. En effet, si vous vous reportez
à son ouvrage sur le Tarot des imagiers du Moyen-âge au chapitre qui nous retient ce soir, en particulier, vous y découvrirez que «si le Mat n’a pas de numéro, c’est parce que sa valeur symbolique équivaut à zéro car» poursuit-il,
«le Fou est le personnage qui ne compte pas, vue son inexistence intellectuelle et morale …»
Pour paraphraser Sacha GUITRY, je dirais qu’Oswald WIRTH ne me paraît pas assez intelligent pour être fou.
Oswald WIRTH ira même, et vous m’entendez bien, comparer le Mat au juif errant. ( Je le ferai aussi tout à l’heure
mais autrement), pour l’identifier à Cephée un monarque noir d’Ethiopie, et il insiste : « ce monarque africain
est noir, couleur que nous donnons au “fou”, bien que les imagiers n’aient pas songé à en faire un “nègre” !» Et un
peu plus loin, il conclut en affirmant que le “fou” signifie passivité, impulsivité, abandon aux instincts aveugles …
nullité, jouet des forces occultes … aveugle entraîné à sa perte, insensé.
J’en passe et des meilleures, et enfin nous dit Wirth « profane non initiable ».
Pour nous remettre de tous ces anathèmes, je dois recourir à notre frère Pierre Dac, je le cite, car ils nous faut renverser la tendance : « c’est dans le monde à l’envers qu’on risque le plus de se retrouver cul par-dessus tête, et c’est
dans le monde spirite qu’on a le plus de chance de recevoir des coups de pieds occultes ! »
Gardons nous, fidèles à notre méthode, d’affirmer quoique ce soit, avançons prudemment dans les voies qui nous
sont tracées. Fidèle à la méthode que je vous avais proposée lorsque j’ai planché sur l’arcane IIII L’Empereur, même
si je devais être le seul à être fidèle à cette méthode que je vous rappelle donc, c’est la méthode dite des quatre sens
que Dante a emprunté à la Kabbale, souvenez-vous le Psaume In Exitu qui contient la phrase fameuse : « Le peuple
d’Israël est sorti d’Égypte » qui signifie au sens littéral, à la lettre, que le peuple d’Israël a quitté l’Égypte.
Au deuxième sens, allégorique, que le genre humain a été délivré du péché.
Au troisième sens, philosophique que chaque homme peut assurer son salut ou sa libération !
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Enfin, au quatrième sens, que l’Esprit peut échapper au monde de la manifestation et retourner à sa source.
J’aborderai donc nécessairement l’image du Mat puis ce qu’il peut représenter au regard de l’action sur un plan
historique, moral et politique, très rapidement je vous rassure. En troisième lieu, son sens philosophique et enfin
et surtout dans une deuxième partie, le sens secret, le Sod des Kabbalistes qui nous permettra d’entrevoir la vraie
place du Fou dans tout le Tarot.
LE PLAN DE LA BEAUTÉ, L’IMAGE
Je ne sais si vous trouvez que l’image est belle, car le Mat est un peu dépenaillé voire débraillé, littéralement qui
perd ses brailles, car il perd son froc, même si cela est moins visible dans notre Tarot de Marseille que dans d’autres
versions moins expurgées !
On traduit généralement Mat par Fou. Or il semble que le terme Mat étymologiquement désigne plutôt ce qui serait, un personnage terne, peu brillant au sens propre. Nous verrons qu’il faut se méfier des sens propres apparents.
Mat viendrait du latin et signifierait plus précisément affligé, abattu, faible. Nous pouvons donc dire faible d’esprit.
Et c’est cette faiblesse d’esprit qui pourrait le ranger au rayon des faibles, des pauvres en esprit de l’Écriture, des insensés, rappelez vous Oswald Wirth ! Mais tous ceux qui sont prêts à sortir des sentiers battus et surtout qui ne
veulent pas suivre Wirth, savent que ce sont les pauvres d’esprit qui ont accès au Royaume des Cieux. Nous verrons
comment cela doit s’entendre et comment nous pouvons à l’instar d’Érasme faire l’Éloge de la folie.
En italien, Matto signifie bien le Fou, nous assumons donc la folie.
Et pour vous permettre de vous détendre, je reviens un instant à Pierre Dac. Méfiez-vous des mots tels qu’ils sont
écrits, car vous savez aussi que Mat en terme de marine signifie bien autre chose ! Mât de misaine, mât d’artimon,
et nous dit Pierre Dac « confondre le Mât de Beaupré d’un navire avec le Dalaï-lama du Tibet, c’est prendre un
œuf dur pour une pomme cuite et réciproquement ».
Je ne m’égare pas, même si j’erre un peu, nous verrons que la référence au Dalaï-lama et à l’errance n’est nullement
déplacée.
Toutes les représentations nous montrent un chien qui s’accroche aux basques du Mat pour le retenir dans sa
marche, pour certains, il pourrait s’agir d’un lynx, d’un loup. Pour Jean Richer, dans son Gérard de Nerval, ce serait
un chat sauvage qui freine le « noble voyageur » dans sa progression. Or, si on veut bien y regarder de plus près, le
chien dans notre Tarot n’aboie pas, et ne mord pas, il essaie même de retenir le noble voyageur affectueusement si
l’on peut dire.
Et pourtant le Mat continue et droit continuer sa route.
Comme il est rappelé dans le Manuscrit d’Edinburgh de 1696 (Ordo Ab Chao N°39-40 1er et 2e trimestre 1999
page 22) à la question «Qu’est ce qui rend une loge juste et parfaite ?» la réponse est «Sept maîtres, cinq apprentis,
à une journée de distance d’un bourg sans chien qui aboie, ni coq qui chante». L’adepte doit donc s’arracher aux
cris, aux braillements, à tous les soucis de la vie quotidienne !
Mais le coq, me direz-vous, vous verrez qu’alors même qu’il ne figure pas sur notre image, il est bien présent. Dans
d’autres représentations de notre arcane, au second plan, figurent généralement une colonne brisée et un crocodile.
Que n’a-t-on pas donné comme explications, des plus évidentes au plus improbables ; ainsi pour certains auteurs
le crocodile représente la matière, le cuir, le cuir qui sera utilisé pour fabriquer la reliure du livre fermé, dont le
contenu ne pourra se révéler qu’à l’initié !
Et ce n’est qu’au bout de sa marche à peine entreprise que le Mat sera un véritable initié. En effet, plus sérieusement,
pour l’essentiel, le Mat est celui qui marche, qui avance, qui progresse. Il symbolise à la fois le marcheur et la démarche. En fait, plus loin, si l’on peut dire, on ne sait s’il part, ou s’il arrive mais on le voit marcher. Il évoque pour
moi une sculpture de Giacometti où est représenté un homme très épuré réduit à une silhouette métallique en X,
L’homme qui marche.
L’homme est projeté sur la scène du monde à sa naissance, il ne sait d’où il vient, qui il est, où il va ! L’initié quant
à lui à chaque étape à chaque degré doit repartir. Grégoire de Nysse disait de la progression de l’initié « celui qui
s’élève va de commencements en commencements, des commencements qui n’ont jamais de fin » !
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Notre Mat semble marcher de gauche à droite, dans un sens dextrogyre, mais nous ne pouvons déceler s’il suit une
voie droite, où s’il tourne en rond, tout est possible. Il marche.
A moins qu’il ne nous fasse le coup de ce deuxième classe qui avait pris dix jours de prison au motif qu’il était
«sorti la nuit du poste à reculons pour faire croire qu’il y rentrait ».
LE PLAN DE LA FORCE, L’ALLÉGORIE
Comme nous le verrons un peu plus loin, Fulcanelli dans ses Demeures philosophales, dans une étude consacrée à
“l’homme des bois” de iers, a évoqué une gravure publiée de nombreuses fois dès les débuts de l’imprimerie, période qui nous intéresse tout particulièrement et qui figure un Fou de cour représentant le Fou du Grand Œuvre,
le Mercure des sages. Nous pouvons ici aborder rapidement le rôle joué dans l’histoire par les fous de cour sans remonter à l’antiquité, à David qui dut simuler la folie, pour échapper au danger qui le menaçait à la cour du roi de
Gat.
Attila avait un fou à son service ainsi que le confirme l’historien grec Priscus. Plus près de nous, plus près de moi
en tout cas, Pascal Paoli avait aussi son fou, Grossu Minutu, dont le nom signifierait “gros et menu”, signe de la
dualité des gémeaux, signe d’air, d’inspiration et de souffle ; nous verrons plus loin comment le fou tient un soufflet.
En France, Charles V, alors qu’il n’était encore que dauphin avait déjà son fou, alors même que son père le roi Jean
en avait un autre qu’il appelait Maître Jehan et ce non sans raison car il était le double du roi et renvoyait à ce
dernier son image. Charles le Sage en eut trois, trois fous, ce qui confirme qu’il était vraiment sage.
Les successeurs de Maître Jehan s’appelaient Hainsselicoq et un autre Coquinet ; le mot coquin, et cela n’exclut
pas une autre origine plus courante qui a un rapport avec le nom latin du cuisinier, le maître coq, pourrait aussi
bien être en rapport avec le coq emblème de Mercure Hermès, le dieu des voleurs, et des voyageurs.
Nous évoquerons seulement pour nous en tenir à l’essentiel le célèbre Triboulet qui fut Bouffon du Roi Chevalier
François 1er que François Rabelais a introduit dans son Tiers Livre et qui a par ses exhortations entraîné Pantagruel,
Panurge, et leurs compagnons à s’embarquer pour le pays de la Dive Bouteille. Nous verrons ce que son nom Triboulet signifiait.
De nombreux historiens ont relevé une coïncidence significative (comme il se doit pour une coïncidence digne de
ce nom) entre le destin des fous de cour et celui du mythe royal. En effet, comme le rappelle Bernard Roger dans
son ouvrage À la découverte de l’Alchimie, publié chez Dangles, je le cite : « privé de ce qui était sa propre dérision,
de son miroir grotesque, où la couronne était capuchon, et le sceptre marotte, le roi ne tarda pas à être englouti
comme Narcisse. En quelques années, le soleil de Versailles consuma sa substance qui avait mis des siècles à se constituer … Dissolvant naturel du pouvoir royal dont il préservait les détenteurs de la schizophrénie totalitaire ».
Le fou rappelle Bernard Roger était formé à sa mission par des sortes d’entraîneurs, de gouverneurs, tels que les
livres des comptes royaux le font apparaître, ce qui confirmait qu’il s’agissait bien d’une institution et que les rois
étaient plus puissants tant qu’ils se sont appuyés sur des fous et ne l’ont plus été lorsqu’ils n’ont plus été entourés
que de courtisans.
Dans son Éloge de la folie, Érasme a rappelé que les souverains ne sauraient se mettre à table ou faire un pas, ni se
passer de leurs fous pendant une heure.
Certains fous prirent même le nom de Prince. Il en fut ainsi du célèbre Angoulevent, auquel son titre de Prince des
Sots de la Basoche valut d’échapper à une contrainte par corps décerné par ses créanciers. Le Prince des sots est
une œuvre méconnue de Gérard de Nerval écrite entre 1836 et 1840, très imprégnée comme son Aurélie de références au Tarot symbolique. Angoulevent, qui s’orthographie parfois Engoulevent, vient du verbe engouler qui signifie avaler, celui qui avale le vent, le bouffi, le bouffon, le glouton d’air, plein de vent, portant la fameuse vessie
de porc gonflée d’air que Panurge donne à Triboulet.
Le nom de Triboulet évoque le trouble et la tribulation, tribler signifie broyer, triturer, agiter remuer, les fous étaient
bien les agitateurs d’idées. Et plus loin, Triboulet évoquait les trois boules, à savoir les trois mondes, les trois étapes
de l’œuvre, au noir, au blanc, au rouge.
Et François Rabelais qui savait de quoi il parlait avait bien prévenu son lecteur dans son Tiers livre « un fou enseigne
bien un sage ».
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LE PLAN DE LA SAGESSE : LE SENS PHILOSOPHIQUE
Nous avons évoqué Érasme et son Éloge de la folie, de 1509. Avec une verve inépuisable il a ridiculisé les moines
mendiants, les théologiens, les sophistes, les rhéteurs, les princes de l’Église indignes, il s’est moqué des astrologues,
des superstititions populaires, des faiseurs de guerre. Mais à cette folie du monde, il oppose la véritable folie, il recommande de ne pas s’attacher à la lettre des Saintes Écritures. Les professeurs de la Sorbonne et les Dominicains
lui ont reproché de s’être engagé avec mollesse contre Luther, voire même de lui avoir ouvert la voie, pourtant il
s’oppose vivement à l’intégrisme de ce dernier. Il fut le “précepteur de l’Europe” et le créateur de l’Humanisme
occidental, à l’origine non pas de la libre pensée, mais de la pensée libre.
Singulièrement, et d’une bien étrange manière, tous les auteurs les plus sages ont prôné le passage par la folie pour
sortir de l’enfermement de la pensée dans les dogmes et les fanatismes, ainsi William Shakespeare dans le Songe
d’une nuit d’été : «Le fou, l’amoureux et le poète sont pleins d’imagination». Et dans Hamlet : «bien que ce soit
de la folie voilà qui ne manque pas de logique».
Plus près de nous, Michel Foucault a lui, aussi, écrit une Histoire de la folie à l’âge classique, éditée chez Plon ; je
le cite «de l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou».
Il y a là bien entendu un «noble voyage» à entreprendre au sein même de notre rite, à un certain degré, qui est le
premier des degrés chevaleresques, on trouve l’Homme vrai, Emereck, «L’homme vrai en toutes circonstances».
Nous devons aller vite mais je dois cependant vous rappeler que nos modernes spécialistes en management prétendent avoir inventé le brain-storming (tempête dans le cerveau) ; en réalité les grands prêtres babyloniens et je vous
renvoie sur ce point à une très belle étude sur l’astrologie publiée dans les années 70 dans l’Encyclopédie Universalis,
tous les grands prêtres à Babylone pratiquaient cet exercice dans leurs temples au cours de leurs “tenues”. Ils échangeaient des calembours. J’aurais aimé travailler avec eux ; leurs échanges permettaient les associations d’idées.
De nos jours, tous les gourous amateurs ou institutionnels nous incitent à nous recycler. Or, à force de spécialisation,
le savoir est éclaté, atomisé, épars, à force d’aller au fond des choses on y reste ! Il vaut mieux aller au fond de soimême et se décycler, sortir des cercles vicieux, des conditionnements, sortir par le haut, au centre du cercle.
Au cours de l’histoire des civilisations, en dehors des cercles officiels, ce sont les fous qui ont ouvert les voies que
parcourent les sages. Arthur Koestler dans les Somnambules a rappelé que les plus grandes découvertes qui ont fait
progresser l’humanité ne sont pas dues aux agrégés des universités, mais à des chercheurs quelque peu décalés, sans
le sou, mais qui étaient inspirés, qui n’avaient pas emprunté les sentiers battus, mais qui souvent s’étaient égarés ;
Kepler avait ainsi découvert les lois qui régissent les mouvements de la planète Mars parce qu’il avait fait des erreurs
de calculs.
À un certain degré de notre rite à la question «qui vous a reçu ?» il est répondu «le plus humble de tous (d’aucuns
se trompent sur la personne de ce plus humble) parce qu’il sait que l’inspiration vient d’en haut». Et l’inspiration
qui vient d’en haut est de la même nature que le Feu qui est en nous. Ainsi, des révoltés, des utopistes enthousiastes
(enthousiasme vient du grec en théos, le dieu qui est en nous), même s’ils sont méprisés par les bien pensants, sont
les seuls à pouvoir changer le monde. Bernard Shaw a écrit dans ses Maximes révolutionnaires, «l’homme raisonnable s’adapte au monde ; l’homme déraisonnable s’obstine à essayer d’adapter le monde à lui-même. Tout progrès
dépend donc de l’homme déraisonnable».
Georges Benkoula a travaillé à un certain degré sur le thème du voyageur, du pèlerin, armé d’un bâton nommé également baguette, qui est le signe du commandement. «La baguette que vous portez est le signe du commandement
et du droit de l’exercer avec modestie. Elle représente aussi le bâton du pèlerin qui soutient l’adepte dans ses
voyages». Les voyages que nous retrouvons à tous les degrés de notre rite. Georges Benkoula évoquait le juif errant
que les bourgeois de Bruxelles questionnaient :
« Où vas-tu ? » « Je vais où je vais ». « D’où viens-tu ? » « Je viens d’où je viens ». « Qui es-tu ? » « Je suis qui
je suis ».
Certes, les réponses sont pleines de vérité. Seul Pierre Dac a été plus loin ! Et Georges Benkoula évoquait un tableau
de Courbet intitulé La rencontre, où l’on découvre Courbet, barbu, la barbe en pointe comme celle de notre Mat
et nous verrons plus loin à qui appartient cette barbe. Comme un paysan du Danube, un bâton retenu par le poignet,
son chapeau de voyageur à la main, il rencontre, d’où le titre du tableau, deux personnages qui s’inclinent avec respect devant lui, et un chien, comme dans notre arcane, un braque qui le regarde. L’artiste est digne d’admiration
car il est inspiré. «Qui vous a reçu ? » « Le plus humble de tous parce qu’il était le plus éclairé et qu’il savait que
l’inspiration vient d’en haut».
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LE SENS SECRET : LE SYMBOLE
Mais c’est ici qu’il nous faut changer de plan, quitter ce monde, le monde de la manifestation. Rappelez-vous de
notre visite dans la loge qui travaillait au rite de Memphis Misraïm “À la gloire du Sublime Architecte de Tous les
Mondes”.
Il y a un instant, nous avons évoqué le Fou du Grand Œuvre de Fulcanelli. Le mot Fou, Fol vient de Follis, le mot
latin qui signifie soufflet, le soufflet qui permettait de raviver le feu, le feu secret, l’étincelle qui est en nous et
Mercure qui symbolise le Fou de l’œuvre est la planète des gémeaux, signe d’air et de la mutation.
Dans Psychologie et alchimie, Jung rappelle que le terme Mercurius recouvre de nombreuses significations, il désigne
bien entendu le mercure, élément chimique, le vif argent, mais également le dieu Mercure–Hermès qui est le dieu
qui assure le passage des âmes, la planète Mercure qui est la plus près du soleil, mais aussi et surtout il symbolise la
substance secrète qui permet la transformation qui est également essentiellement l’esprit qui demeure en toute
créature vivante qui anime chacun d’entre nous, la force universelle.
Il nous faut aller vite et aller à l’essentiel : le « Mat » c’est le « noble voyageur ».
Dans notre imaginaire, dans notre culture, le voyage évoque le pèlerinage, les épreuves, et en particulier le voyage
de Saint Jacques de Compostelle.
Le Mat ressemble beaucoup au Saint Jacques représenté sur les murs de l’Eglise de Santa Marta de Serra entre Salamanque et Compostelle avec sa barbe en pointe qui est du reste celle du dieu Hermès tel qu’il est représenté sur
les vases grecs.
Ces jours derniers avec notre Vénérable Maître, nous nous trouvions dans l’atelier d’imprimerie de Gilbert Bonnet
et il y avait toute une série de posters, d’affiches magnifiques qui figuraient le voyage de Compostelle, des paysages,
des chemins, des chapelles, et notre Vénérable Maître me fit remarquer qu’il y avait 22 images disposées comme
un Tarot symbolique, où notre “noble voyageur” avec son chapeau était cette fois ci en tête avec le numéro un en
quelque sorte. Et c’est ainsi qu’après avoir admiré ces images, il m’est venu à l’esprit, si je peux dire, et il s’agit bien
de cela, l’idée forte qui m’a permis de prendre conscience de ce que la quête que nous poursuivons dans notre
marche, dans notre démarche peut certes être évoquée par le voyage de Compostelle, mais qu’en tout état de cause
elle ne lui correspond pas, elle est d’un autre ordre, elle se déroule, s’accomplit sur un autre plan.
En effet, notre voyage à nous, ne se fait pas dans le temps et dans l’espace. Il ne se fait pas, en France, en Espagne
ou dans une quelconque contrée, par des chemins de terre, ou de pierre, des monts ou des vallées. Nous ne cherchons
point le salut à travers des souffrances ou des épreuves, mais la délivrance à partir d’une progression à l’intérieur de
nous-même, les étapes de ce voyage intérieur nous permettent d’atteindre les multiples états de notre être.
L’alchimie est intérieure, l’alchimiste, le Mat c’est l’adepte lui-même qui est à la fois l’acteur et l’objet de la transformation qui se fait en lui-même ; l’artisan et la matière de l’œuvre.
Pour Michel Lecour et ceci explique qu’il ait choisi d’aborder l’arcane sans numéro à la fin, le Mat est l’adepte qui
a traversé, franchi toutes les épreuves et qui va enfin s’élever vers les sphères supérieures de la connaissance, «devenir
enfin ce qu’il est» suivant la formule de Nietzsche.
En réalité, nous allons tenter de l’entrevoir, le Mat ne peut être ni avant ni après, ni premier, ni dernier.
« Ni nu, ni vêtu », car le chien s’accroche à ses basques et le défroque, voyageant dans tout l’univers à la recherche
de la lumière, il représente l’initié passé sur un autre plan d’existence et de conscience, totalement libéré du temps
et de l’espace.
Dans le chant XXX du Paradis, Dante évoque cet état (V. 121 à 123), cet état qui se situe hors du temps et de l’espace : « près et loin, là haut, n’enlèvent ni n’ajoutent : car là où Dieu règne sans intermédiaire, la loi naturelle est
sans effet ».
L’œuvre est achevée, éclairée par la lumière de l’âme inspirée par l’Esprit.
L’Esprit : René Guénon, dans un étude publiée dans Initiation et réalisation spirituelle, qui, tenez vous bien, et ce
n’est pas par hasard, fait pratiquement suite à une autre étude, insérée dans le même ouvrage intitulé Folie apparente
et sagesse cachée. Cette étude s’intitule donc L’esprit est-il dans le corps ou le corps dans l’esprit ?
Il commence par énoncer : «la conception ordinaire suivant laquelle l’esprit est considéré comme logé en quelque
sorte dans le corps ne peut manquer de sembler fort étrange à quiconque possède seulement les données métaphysiques les plus élémentaires». En effet, poursuit il, «l’Esprit n’est autre qu’Atma», le principe de tous les états de
l’Être à tous les degrés de sa manifestation (et non de la manifestation qui n’est que l’état conditionné que les
chinois appellent l’Espace Temps). « Or, le moins ne peut contenir le plus ». L’enfermement de l’Esprit dans le
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corps ne peut donc qu’être erroné, de même que plus loin l’enfermement de l’esprit dans le conditionnement de
l’espace temps, dans le monde visible.
Dans les traditions religieuses, où il est question d’une création historique, il en va tout autrement, ainsi en Islam,
le prophète est à la fois le premier de la création quant à sa réalité principielle et le dernier des envoyés de Dieu. De
même, dans la tradition chrétienne, le Christ est l’alpha et l’oméga lui aussi, le premier et le dernier des envoyés, le
seul messie. Mais cela ne peut qu’éclairer pour nous autrement la controverse sur le point de savoir si le Mat doit
être placé à l’alpha ou à l’oméga.
Il se voit souvent, dans d’autres systèmes que celui de Marseille, attribuer la lettre hébraïque Schin qui symbolise
la force dynamique et vivifiante de l’Esprit. Pour nous, il n’est donc ni avant, ni après, il est ailleurs.
Rappelez vous le Talmud et la fameuse formule «Quiconque se préoccupe de quatre choses –ce qui est dessus- ce
qui est dessous- ce qui est avant-ce qui est après, mieux vaudrait qu’il ne soit jamais né».
Ce qui peut signifier que celui qui reste enfermé dans l’espace et le temps n’est pas né à la connaissance.
Brueghel l’ancien dans un de ses tableaux a évoqué la place, la vraie place, du fou. Dans ce tableau intitulé Le combat
de Carnaval et de Carême, sont figurés d’un côté les partisans du Carnaval qui se défoulent, qui auraient pu appartenir à l’académie des “connards”, je vous renvoie à l’ouvrage de Bernard Roger (La découverte de l’Alchimie, précité), de l’autre les partisans du carême, les “carêmes prenants”, les grenouilles, et les crapauds de bénitier qui coassent
et se multiplient.
Et au milieu au centre du tableau, il y a une maison en forme de tour et le Fou est en haut à sa fenêtre, il regarde
d’un côté les insouciants évaporés, de l’autre les intégristes, sans les voir, il est non seulement hors de la mêlée, bien
au dessus, mais sur un autre plan, il est ailleurs.
Et, je voudrais pour terminer non pour en terminer, ce qui ne serait ni possible ni souhaitable, puisque vous m’avez
confié la lourde tâche de conclure sur notre année de travaux sur les Tarots, essayer moi aussi de me décycler de
sortir du cercle.
Conclure vous le savez signifie étymologiquement fermer, refermer ensemble, nous refermerons donc ensemble
un cycle, mais nous devons repartir, ouvrir à nouveau notre esprit sur un nouveau champ de recherches, en poursuivant comme le Mat notre voyage.
Pour aller vite, je vous proposerai quelques réflexions, en m’en tenant aux quatre sens et aux quatre plans.
1 – Ne vous arrêtez pas aux apparences, à la lettre, cherchez toujours l’esprit, poursuivez votre marche.
2 – Ici et ailleurs ne soyez pas des courtisans, n’ayez pas peur de sortir des formes convenues et des bonnes manières,
lâchez vous ! et soyez des agitateurs d’idées.
3 – Si comme Érasme vous apprenez à séparer le subtil de l’épais, à séparer la vraie folie de la “connerie” ordinaire,
vous pourrez en toutes circonstances préférer votre propre folie à la “ connerie” des autres.
Plus sérieusement, au quatrième sens anagogique, l’Étude des Tarots peut nous amener à élever notre réflexion.
Pierre Hadot cité par Michel Onfray (Le Monde daté du 16 et 17 mai 2010) a pu dire «de nos jours il y a des professeurs de philosophie, mais pas de philosophes».
Et je voudrais en cette fin d’année, vous parler d’Héraclite et de Jung :
Il ne faut pas confondre en l’homme la pensée et la raison, la deuxième n’est que l’instrument de la première, ce à
quoi ne pensent pas toujours les professeurs de philosophie. Héraclite a bien dit «bien que le logos soit commun
à tous, la plupart des hommes font comme s’ils disposaient d’une pensée particulière». Jung dans son ouvrage réédité chez Buchet Chastel, Réponse à Job, nous rappelle que nous pouvons dans une perspective physique sensorielle
parvenir à des données immédiates de la conscience mais qu’il existe plus profondément un autre plan de représentation qu’il qualifie de faits psychiques. Il énonce aussi «je vais plus loin et je considère aussi les récits des Saintes
Écritures comme des manifestations de l’âme, au risque de me voir taxer des psychologisme».
Ces manifestations seront qualifiées de psychiques ou de spirituelles selon le plan vers lequel nous choisirons d’opérer un plan physique ou métaphysique.
Jung vous le savez s’est consacré à l’étude de ces entias, ces entités ces images qui constituent des archétypes et
encore plus des «archétypes numineux».
Ces archétypes de notre inconscient collectif déterminent dit-il des complexes de représentations qui ont un air
de parenté avec les thèmes mythologiques et poursuit-il, je le cite : « de telles représentations ne sont ni trouvées,
ni inventées, mais jaillissent toutes faites, par exemple dans le rêves, à travers lesquels elles deviennent objets de la
perception intérieure ». Ces archétypes numineux sacrés qui jaillissent dans l’égrégore de l’humanité nous permettent de rappeler également le préfixe commun à archétype et à Arcane.
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Arché qui signifie vous le savez à la fois le commencement et le principe. De même, la tradition primordiale pour
les uns peut désigner la tradition première, première dans l’ordre des temps, la plus ancienne. Primordiale peut
aussi évoquer la tradition première au sens d’essentielle de plus profonde qui jaillit en nous.
Ainsi, nos Tarots, nos arcanes majeurs, nous font voyager à l’intérieur de nous-mêmes sans que nous sachions ce
qu’ils sont, d’où ils viennent, ce qu’ils représentent vraiment. Ils émeuvent, éveillent, induisent et symbolisent non
point tout ce que nous voulons y faire entrer ou y voir mais au contraire tout ce qui est déjà en nous et que leur essence de supports magiques d’une opération mystérieuse fait émerger en chacun d’entre nous.
Ainsi, les Tarots des imagiers ne sont pas des simples « dessins animés » mais des images vivantes, des symboles de
la science sacrée.
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Conclusions de l’Orateur
« Le monde contient plus de merveilles et de secrets que nous ne pourrons jamais imaginer ». Émanant de William
Shakespeare, cette remarque ne peut que nous laisser songeurs, surtout cette nuit, surtout cet été …
Ce monde qui s’offre à nous entre l’instant de notre naissance et celui de notre mort, n’est-il pas l’Éternel Féminin,
nous recevant en son sein, bonheur et douleur, ivresse et terreur, et toujours mystérieux, insaisissable …
Ainsi, chaque moment de notre vie devrait être vénéré comme unique, éternel, extatique.
Cette part féminine reconnue, il faut virilement désormais la reconquérir ; et le chevalier s’en va réveiller la Belle,
libérer la Promise …
Quitter ses attaches, affronter les ronces et les dragons, qui pourrait être assez fou pour tenter l’aventure ?
Ce sont ceux, et vous les reconnaîtrez, ceux qui, un jour, ont eu l’audace insensée de frapper à la porte du Temple.
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Les Frères de Regius ont produit un travail remarquable, un travail puissamment initiatique dont chacun de ceux qui ont assisté aux tenues a pu saisir la
valeur, a pu recevoir sa part d’énergie et de lumière, auquel chacun des visiteurs
a apporté sa contribution. À chacun va la reconnaissance de tous car chacun
est conscient que dans cette démarche l’essentiel réside dans le for intérieur
de l’être, dans l’intimité indicible du vivant, dans les échanges, nombreux, généreux, volontaires, qui ont poursuivi la lecture de ces travaux. Cela n’est pas
transmissible autrement qu’en le partageant in situ par le cœur et par l’esprit.
Loin de toute ambition d’érudition, nous avons cherché à creuser nos sillons,
à conquérir quelques arpents de liberté, à nous affranchir de ce qui nous
contraint, nous conditionne, nous étouffe, ou nous aveugle.
Nous nous sommes interrogés, nous avons parfois perdu pied, nous nous
sommes entr’aidés, nous avons gratté derrière les apparences, nous avons parfois découvert et mis à nu quelque vérité, nous nous sommes mesurés à nos
forces, et à nos faiblesses, et nous en sommes devenus un petit peu meilleur,
chacun, ensemble.
La figure du Mat a hanté nos travaux, se révélant petit à petit à nos yeux d’observateurs curieux au fil des arcanes. L’Initié ayant expérimenté et conquis les
vingt-et-un états de l’homme dans le monde, il lui reste à conquérir l’immortalité, à gagner le Ciel, à devenir ce qu’il est. Ou du moins à le tenter, et à affronter des puissances peut-être plus redoutables encore.
C’est ce qui nous attend. C’est ce que nous désirons.
Ce recueil est une simple pierre sur un long chemin, un simple témoignage
de travail et de fraternité.
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