Le Grand-Sud est loin de rivaliser avec les autres

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Le Grand-Sud est loin de rivaliser avec les autres
«Le Grand-Sud est loin de rivaliser avec les autres destinations»
Mourad Kezzar. Consultant, membre de l’Association française des experts du tourisme
Quand on parle de tourisme en Algérie, on parle surtout du Grand-Sud. Cette destination
concurrence-t-elle la Tunisie ou le Maroc ou même Dubaï, en période de fin d’année ?
Si l’on parle de concurrence, c’est bien par rapport à un marché ou à un secteur d’activité avec
comme élément d’analyse l’entreprise identifiée, ici, par l’agence de voyages ou l’hôtel. Le
Grand-Sud dans l’offre touristique c’est, certainement, Tamanrasset et Djanet et en l’absence
d’études de référence dans le domaine, on est appelé, à mon sens, à recourir aussi bien aux
outils théoriques qu’empiriques pour apporter les réponses nécessaires. L’objectif est d’être le
moins subjectif possible. En attendant les statistiques qui seront livrées en janvier pour vérifier
si le Grand-Sud algérien a damé le pion à Istanbul, Marrakech ou même Dubaï, on peut déjà
voir, à travers une modeste étude empirique, s’il les concurrence, si j’ose dire en amont, soit
dans l’offre proposée aux touristes potentiels
En effet, dans le cadre d’une «enquête-flash» réalisée ce week-end, j’ai analysé l’offre de fin
d’année proposée par les agences de voyages algériennes à la lecture des annonces
publicitaires passées dans les colonnes des deux premiers tirages algériens en langue
française, soit El Watan et Liberté. J’ai choisi les journées du mercredi et jeudi 19 - 20
décembre parce qu’elles sont des dates charnières aussi bien pour les fournisseurs que pour
les clients des destinations et ce pour au moins trois raisons. Premièrement, c’est la veille du
dernier week-end avant les départs pour les vacances de fin d’année, soit le dernier espace
temps où les membres d’une famille ou d’un groupe d’amis peuvent décider, en concert, des
départs.
Deuxièmement, la réceptivité du message, ces deux jours, devrait être exceptionnelle, car ils
coïncident avec la venue du président français en Algérie, un événement médiatique majeur
pouvant booster la vente des quotidiens et que les annonceurs ont certainement exploité.
Troisièmement, on est à la veille des départs en vacances scolaires (derniers jours de scolarité
pour tous les paliers et cycles) et, psychologiquement, c’est ce jeudi au soir qu’on s’est mis à
chercher les offres dans la presse du jour. Ainsi, à la lecture des offres proposées sur le
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«Le Grand-Sud est loin de rivaliser avec les autres destinations»
marché, le Grand-Sud semble ne présenter aucune concurrence pour les destinations
étrangères citées.
Sur 10 insertions publiées, aucune ne proposait Tam ou Djanet. Par contre, les oasis et le
nord du pays sont présents à travers 2 des 10 insertions. Pour plus de fiabilité, ce constat doit
être corrigé en ajoutant les insertions passées par l’ONAT, l’opérateur public, entre le 10 et 15
décembre sur les colonnes des deux quotidiens. Donc, les chiffres corrigés par la donne ONAT
nous donnent les
éléments d’analyse suivants : Sur 11 annonceurs, 3 seulement offrent la destination nationale
avec un seul proposant le Grand-Sud et deux proposant les oasis et le Nord algérien. Donc, la
part potentielle du Grand Sud se situe à moins de 10% du marché à l’offre. Ce taux est
révélateur de l’inexistence d’une quelconque menace à court terme surtout qu’Istanbul et la
Tunisie sont proposées par 5 des 11 annonceurs, Marrakech par 4 des 11 annonceurs et
Dubaï par 3 des 11 annonceurs. Biskra, le circuit de la Saoura, Ghardaïa, Oran, Béjaïa et Tlemcen sont mieux loties que Tam et
Djanet. Mieux, Bouteflika et Hollande ont boosté Tlemcen. Bénéficiant de la visite présidentielle
de jeudi dans cette ville, la capitale des Zianides a été très demandée, beaucoup plus que le
Grand-Sud, par les clients potentiels qui ont appelé les conseillers - voyages desdits
annonceurs.
-Comment cela va se traduire en termes de parts de marché ?
Prfois certains signes peuvent être trompeurs. Si je me réfère à la matrice Boston Consulting
Group (outil permettant de justifier le positionnement d’une entreprise sur un secteur d’activité
donné), le fait que c’est un organisme public qui détient une position dominante sur le produit
Grand- Sud, est révélateur d’un malaise. L’ONAT est assujettie à une mission, celle de
développer le tourisme domestique ainsi que le réceptif et c’est bien. Sauf que la mission
passe, désormais, avant l’objectif commercial.
Dans des conditions normales, j’aurais aimé dire qu’il est vrai que ce produit est une activité
vedette (investissements de capacité, stratégie de consolidation, besoins financiers importants
et rentabilité élevée) comme le veut la théorie, mais ce n’est pas le cas, car pour le
commercialiser, l’ONAT ne peut pas espérer dégager une forte rentabilité dans
l’environnement économique actuel. Vous savez, si l’on se réfère à la théorie de Porter, le
produit Grand-Sud pour rafler d’importantes parts de marchés à la concurrence, il doit faire
valoir ses avantages, soit par le coût, soit par la différenciation. Jamais par les deux à la fois.
Les coûts de ce produit sont élevés et on ne peut pas obliger des agences de voyages même
publiques à travailler à pertes sur plusieurs années. Il nous reste alors à faire valoir l’avantage
par la différenciation et c’est le propre même de ce produit. Ici, le surcoût doit être adapté à la
création de la valeur de l’offre pour le client, comme l’explique bien Porter.
-Pour cela, il doit répondre aux facteurs de succès du secteur. C’est-à-dire ?
Si, l’on se base sur les fameux 5 FCS (facteurs clés de succès), on a les données suivantes :
En matière de production, le Grand-Sud est loin de rivaliser avec les autres destinations «Out
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Going» à cause de la gamme du produit, des capacités d’accueil disponibles et des coûts de
production…
En matière d’organisation, les agences du Grand-Sud, en particulier, et les agences de
voyages algériennes, en général, sont sous-gérées et souffrent d’un déficit managérial
nécessaire pour monter des produits économiquement viables et répondant aux attentes des
clients potentiels. N’oubliant pas que les destinations Out Going sont des produits clés en
mainque les ATV algériennes commercialisent presque sous emballage. Pour le facteur de
commercialisation, ni les prix ni les circuits de promotion et de commercialisation du produit
Grand-Sud ne peuvent lui assurer une bonne position concurrentielle. Pour le facteur
compétence, il est le seul FCS qui plaide pour la destination grand sud. Le savoir-faire des
agences réceptives locales est reconnu par les touristes eux-mêmes.
Enfin, pour la recherche de la qualité, avec les mutations socioéconomiques et les nouvelles
exigences basiques de la clientèle en matière d’hygiène et de sécurité, le produit Grand-Sud
doit subir des touches d’innovation pour ne pas perdre les moins de 10% de parts potentielles.
Rendre le Grand-Sud et les oasis concurrentiels c’est travailler dès maintenant à coller à ces 5
FCS et en faire les facteurs de succès de notre tourisme. C’est un grand chantier, mais c’est
faisable, car la volonté existe, les premiers efforts à travers l’ONAT relookée sont là, on a qu’à
se mettre au travail. -Les critères d’attractivité d’une quelconque destination touristique sont-ils les mêmes en cette
période des fêtes, en comparaison avec les autres périodes de l’année et l’Algérie les
remplit-elle ?
Difficile de se prononcer sur le sujet sans études sérieuses. L’attractivité est une donne
subjective. Mais globalement, les destinations, exception du Grand-Sud, sont hiérarchisées de
la même manière durant toute l’année. A ce stade, on peut distinguer les départs à l’extérieur
du pays des départs à l’intérieur du pays. Pour le premier cas, prenant les départs de fin
d’année pour Dubaï, on n’arrive pas à savoir s’il s’agit de départs à cause des fêtes du nouvel
an ou à cause des festivals du shopping. Pour Istanbul, Marrakech et la Tunisie, on a
l’impression que c’est beaucoup plus à cause des vacances d’hiver. Ce sont les départs à
l’intérieur du pays qui sont le plus motivés par les fêtes de fin d’année. Maintenant quelle est la
proportion des uns et des autres ? C’est la question à laquelle seules des études approfondies
peuvent répondre.
-Beaucoup d’Algériens choisissent de réveillonner à l’étranger chaque année. A-t-on une idée
sur la catégorie de population qui est concernée ?
Toujours ce déficit en études qui rend le marché intelligible. Si l’on se réfère à l’enquête-flash
que j’ai menée, j ai constaté que 99,99% de l’offre «médiatisée» du produit fin d’année émane
d’agences de voyages localisées dans l’Algérois et ce à l’inverse de l’offre omra, à titre
d’exemple. Cela peut s’expliquer par le fait que la clientèle potentielle de fin d’année se recrute
dans les grandes villes, Alger en premier. Ce qui est sûr, aussi, c’est que cette clientèle
potentielle de «réveillonistes» est à plus de 70 % francophone de par sa lecture de la presse.
Sous l'aimable autorisation de Safia Berkoukr
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«Le Grand-Sud est loin de rivaliser avec les autres destinations»
Source El Watan du 24 Décembre 2012
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