Client, ayant droit économique, bénéficiaire e ectif : La CDB 2015

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Client, ayant droit économique, bénéficiaire e ectif : La CDB 2015
SZW/ RSDA 2/ 2014
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Client, ayant droit économique, bénéficiaire effectif :
La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment
et conformité fiscale ?
Par Natacha A. Polli
Can the Due Diligence Agreement in its 2015 version
(CDB 15) aim to answer through unique rules to the
requirements of the prevention of money laundering
but also of tax transparency and of specific tax
agreements and double taxation treaties? In reading
such provisions, one will identify various concepts
ranking from client to controlling person, through
beneficial owner, account holder, beneficiary, etc.
that might qualify either as beneficial owner in the
meaning of the money laundering prevention and/or
as beneficiary in a tax perspective.
The concept of beneficial owner as used in Swiss
laws and regulations since the seventies has already
been influenced in the past by international standards and laws notably when such provisions refer to
the CDB while maintaining their own (and sometimes diverging) definitions in specific cases. It might
now be subject to a further evolution based on the
implementation of revised FATF Recommendations
according to the Message adopted by the Federal
Council end of 2013.
However, while these various concepts are not
incompatible, they are part of legal texts – in increasing number – that do not pursue the same
goals, which are enacted, implemented and enforced
by different authorities and whose evolution does
not follow the same schedule. As a consequence, it is
probable that the CDB 15 should remain the selfregulating source for the implementation of the
anti-money laundering due diligence only. This
means in particular that the financial intermediaries will have to implement these various legal and
regulatory requirements in parallel, while the legislator, the regulators and the industry should still
seek to do this in as much a consolidated way as
possible.
Table des matières
I. Introduction
I. Introduction
II. L’ayant droit économique dans la lutte
anti-blanchiment
1. 1977–1990 : CDB
2. Dès 1990 : CDB et CPS
3. Dès 1998 : LBA
4. Synthèse de la situation légale et réglementaire
actuelle
5. Conclusion intermédiaire
III. L’ayant droit économique :
une notion « sous influence » …
1. … Fiscale …
1.1 Qualified Intermediary agreement (2001)
1.2 FATCA-Accord entre la Suisse et les EtatsUnis d’Amérique sur leur coopération
visant à faciliter la mise en œuvre du FATCA
1.3 Protocole portant modification de l’accord
entre la Confédération suisse et le RoyaumeUni de Grande-Bretagne et d’Irlande
du Nord concernant la coopération en matière
de fiscalité
2. … Internationale …
IV. L’ayant droit économique dans la LBA
et la CDB révisées
1. Projet de LBA
2. Projet de CDB 15
V. Quelques réflexions
VI. Conclusion
Ce texte, largement basé sur une présentation
faite lors de la Journée de Droit Bancaire et Financier 2013 le 29 octobre 2013, tient compte de l’annonce faite le 23 novembre 2013 de la suspension du
projet d’extension des obligations de diligences visant à empêcher l’acceptation de valeurs patrimoniales non fiscalisées,1 ainsi que de l’approbation par
le Conseil fédéral le 13 décembre 2013 du Message
concernant la mise en œuvre des recommandations
du Groupe d’action financière (GAFI), révisées en
2012.2
Les développements ci-dessous commentent les
principaux textes légaux et réglementaires en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et plus
particulièrement la Convention de diligence des
banques3 mais s’attacheront également à intégrer une
réflexion quant à la mise en œuvre de ces normes
dans la perspective des praticiens, à savoir notam-
1
2
3
L’ensemble des documents relatifs à la suspension de cet
avant-projet ont été publiés le 23 novembre 2013 et sont
disponibles sur le site <www.admin.news.ch>.
L’ensemble des documents relatifs à ce projet ont été publiés le 13 décembre 2013 et sont disponibles sur les sites
<www.admin.news.ch> et <www.sif.admin.ch>. Cf aussi
FF 2014 585.
Convention relative à l’obligation de diligence des banques
(ci-après : CDB).
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Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
ment des compliance officers auprès des intermédiaires financiers.4
Un éclairage prospectif sera également donné
pour tenir compte d’une part du Message du Conseil
fédéral concernant la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), révisées en 2012, qui propose de modifier la Loi sur le
blanchiment d’argent5 et d’autre part des travaux en
cours au sein du groupe de travail de l’Association
Suisse des Banquiers pour la révision de la CDB.6
II. L’ayant droit économique
dans la lutte anti-blanchiment
1. 1977–1990 : CDB
La CDB 77, se référant alors à la lutte contre la
criminalité économique, exige pour la première fois
que « Les Banques s’engagent à n’ouvrir des comptes
et des dépôts de titres, à n’effectuer des placements
fiduciaires et à ne louer des safes que lorsqu’elles ont
4
5
6
Pour les besoins du présent article, « Intermédiaire financier » s’entend essentiellement comme intermédiaire financier au sens de l’art. 2 al. 2 LBA dès lors notamment
que la CDB leur est applicable (cf. Circ.-FINMA 08/10
« Normes d’autorégulation reconnues comme standards
minimaux »). Ce d’autant plus que les normes fiscales
créent des obligations prioritairement, voire exclusivement pour ceux-ci. Cependant, la notion d’ayant droit économique étant utilisée par l’ensemble des intermédiaires
financiers et celle-ci devant à l’avenir être définie dans la
LBA pour l’ensemble des intermédiaires financiers, les
développements valent aussi dans une certaine mesure
pour les intermédiaires financiers au sens de l’art. 2 al. 3
LBA.
Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment
d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur
financier du 10 octobre 1997 (Loi sur le blanchiment
d’argent ; ci-après : LBA) ; RS 955.0.
Par Circulaire n° 7802 du 13 décembre 2013, l’Association suisse des banquiers a informé que : « Dans le cadre
de la révision actuelle de la CDB, le groupe de travail
CDB a préparé un projet de texte CDB révisé. La conclusion de ces travaux dépend toutefois de la proposition de
loi ‹Mise en œuvre des recommandations du groupe d’action financière (GAFI) révisées en 2012› étant donné que
la proposition entraîne quelques innovations pour la CDB
nécessitant discussion et clarification. Afin d’éclaircir les
nouveaux points à prendre en compte dans la CDB, il
convient d’attendre le message concernant la proposition
de loi ainsi que la discussion parlementaire. Ensuite seulement, il sera possible d’élaborer une version définitive
de la CDB révisée et de la soumettre à la FINMA pour
approbation. »
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vérifié, avec le soin approprié aux circonstances,
l’identité du véritable ayant droit des fonds à bonifier ou à placer ou du véritable locataire du safe. »7
C’est ensuite la CDB 87 qui introduit la présomption que le cocontractant est l’ayant droit économique sous réserve des règles en matière de sociétés
de domicile.8 A propos de ces dernières, il est en
outre précisé que «[u]ne société est dominée par la
personne ou le groupe de personnes qui possède directement ou indirectement plus de la moitié du capital social ou des voix ou qui exerce sur elle, d’une
autre manière reconnaissable, une influence déterminante. Lorsqu’une société est sous contrôle d’une
société de domicile, la Banque doit établir l’identité
des personnes qui exercent une influence prépondérante sur la société de domicile en exigeant du cocontractant qu’il remplisse le Formulaire A. »9
2. Dès 1990 : CDB et CPS
La CDB 92 introduit pour les sociétés de domicile, au côté de la notion de domination, celle de
simple participation.10
L’art. 305ter du Code pénal suisse, entré en vigueur le 1er août 1990, dispose que « [c]elui qui, dans
l’exercice de sa profession, aura accepté, gardé en
dépôt ou aidé à placer ou à transférer des valeurs
patrimoniales appartenant à un tiers et qui aura
omis de vérifier l’identité de l’ayant droit économique avec la vigilance que requièrent les circonstances, sera puni d’une peine privative de liberté
d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire. »11
Le Message relatif à ce nouvel article12 ne définit
pas l’ayant droit économique mais apporte les précisions suivantes :
« Se rend punissable au sens de l’article 305ter du
projet celui qui, lors d’opérations qu’il effectue à
titre professionnel sur des valeurs patrimoniales,
7
8
9
10
11
12
CDB 77 entrée en vigueur le 1er juillet 1977, art. 3.
CDB 87 entrée en vigueur le 1er juillet 1987, art. 3 cum
cm. 18 ss.
CDB 87, II. Rapports de dépendance (cm. 27 et 28).
CDB 92 entrée en vigueur le 1er juillet 1992, II. Rapports
de dépendance ou de participation, art. 4 cum cm. 32 ss.
Code pénal suisse (RS 311.0 ; CPS), art. 305ter (aujourd’hui
305ter al. 1).
Message concernant la modification du code pénal suisse
(Législation sur le blanchissage d’argent et le défaut de
vigilance en matière d’opérations financières) du 12 juin
1989 (FF 1989 II 961, 989).
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Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
omet de vérifier l’identité de l’ayant droit économique, autrement dit de son véritable client.
(…) Le texte de la norme ne laisse planer aucun
doute sur le fait que la vérification ne doit pas porter
uniquement sur l’identité du cocontractant direct,
mais également sur celle de l’‹ ayant droit économique ›, c’est-à-dire celle du client effectif, dans la
mesure où il ne s’agit pas d’une seule et même personne. Les termes d’‹ ayant droit économique › et de
‹ cocontractant effectif › n’appartiennent ni l’un ni
l’autre au droit civil. Ils doivent au contraire permettre de découvrir, au-delà des simples pouvoirs de
dispositions apparents et formels, la réelle appartenance économique des fonds. »
3. Dès 1998 : LBA
La LBA consacre de fait, dès le 1er avril 1998, la
présomption que le cocontractant est l’ayant droit
économique et énumère les cas dans lesquels il est
nécessaire de procéder à l’identification de ce dernier.
Toujours sans définition expresse de l’ayant droit
économique, le Message relatif à la LBA précise :
« La vérification de l›identité du cocontractant au
sens de l’article 3 doit permettre à l’intermédiaire
financier de juger si les fonds présentés lors d’une
transaction sont d’origine légale ou criminelle. Même
si les indices d’une origine criminelle des fonds n’apparaissent qu’après la vérification, celle-ci donne la
possibilité de remonter au client de l’intermédiaire
financier. Mais cette identité n’a qu’une importance
mineure si le cocontractant n’a pas de droits économiques sur les valeurs patrimoniales qui font l’objet
de la transaction. Dans ce cas, toute l’attention doit
se porter sur l’ayant droit économique. » 13
4. Synthèse de la situation légale
et réglementaire actuelle
Selon la LBA et la CDB dans leur version actuelle, complétées en particulier par la Communication FINMA 18 (2010) de la FINMA concernant
le traitement des assurances-vie avec gestion de
compte/dépôt séparée, les personnes physiques ou
13
Message relatif à la loi fédérale concernant la lutte contre
le blanchissage d’argent dans le secteur financier (Loi sur
le blanchissage d’argent, LBA) du 17 juin 1996 (RO
96.05 ; FF 1996 III 1057, 1080).
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morales qui doivent être identifiées comme ayant
droit économique ou ce qui en tient lieu pour les
valeurs patrimoniales sans ayant droit économique
déterminé14 et les constructions révocables15 peuvent
prendre des formes très variées telles que (liste non
exhaustive) :
– la personne physique cocontractante de l’intermédiaire financier ;
– la société opérationnelle cocontractante de l’intermédiaire financier ;
– la personne physique ou la société opérationnelle
à l’origine de la création d’une société de domicile et ayant doté celle-ci ;
– le settlor d’un trust qui s’est valablement dessaisi
d’une partie de son patrimoine, mais aussi les bénéficiaires désignés d’un trust, voire le protecteur
s’il peut révoquer le trust ;
– le fondateur d’une fondation ainsi que les bénéficiaires désignés ;
– en cas d’insurance wrapper, le preneur d’assurance-vie, ainsi que le payeur de prime si celui-ci
est différent, indifféremment de savoir qui est le
bénéficiaire de la police.
A la lecture de cette liste, on constate que l’on
identifie ainsi des personnes aux statuts sensiblement différents, à savoir celles qui :
– sont à l’origine des valeurs patrimoniales déposées (ayant droit économique d’une société de
domicile, settlor d’un trust, payeur de prime
d’une assurance-vie) ;
– pourraient avoir des expectatives sur tout ou partie des valeurs patrimoniales (bénéficiaires de
trusts, preneur d’assurance-vie dont les primes
seraient payées par un tiers) ;
– pourraient exercer une influence sur la structuration ou l’attribution de telles valeurs patrimoniales sans en être ni à l’origine ni les bénéficiaires (protecteur d’un trust).
Certaines de ces personnes ignorent parfois
même qu’elles ont des expectatives sur de telles valeurs patrimoniales et sont enregistrées en tant que
tel par les intermédiaires financiers (bénéficiaires
d’un trust p. ex.).
14
15
CDB 08, cm. 43.
CBD 08, cm. 44.
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Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
5. Conclusion intermédiaire
L’ayant droit économique n’a pas de définition
générale depuis 1977 en droit suisse, mais est le résultat du développement d’une pratique formalisée
petit à petit par la CDB (texte d’autoréglementation d’application obligatoire pour les intermédiaires
financiers au sens de l’art. 2 al. 2 LBA) ayant largement inspiré la LBA puis les textes fixant les obligations des autres intermédiaires financiers en formalisant la diligence à déployer pour identifier les
ayants droit économiques (ou leur équivalent) dans
les diverses configurations juridiques qui peuvent se
présenter.
Bien que la Suisse ait toujours veillé à prendre
en compte les normes et standards internationaux, la
notion d’ayant droit économique a été développée
dans un cadre excluant en principe la prise en compte
de notions fiscales, dès lors que les infractions fiscales, à quelques exceptions près, ne sont jusqu’à ce
jour pas des infractions préalables au blanchiment.
Ceci a pour conséquence que l’ayant droit économique tel qu’il existe actuellement dans le droit
suisse ne correspond pas à celle de bénéficiaire effectif selon le droit européen par exemple ni à celle de
bénéficiaire effectif fiscal, même si – de fait – il est
probable que l’on arrive souvent au même résultat.
Si on élargit l’horizon des normes examinées, on
peut cependant constater que, en pratique, les intermédiaires financiers (en particulier les banques) ont
déjà dû intégrer certaines obligations d’identification
différenciées, dépassant ou modifiant celles applicables aux ayants droit économiques selon la LBA et
la CDB, afin de remplir notamment des obligations
découlant de textes à caractère fiscal.
III. L’ayant droit économique :
une notion « sous influence » …
1. … Fiscale …
1.1 Qualified Intermediary agreement (2001)
Dès la signature des Qualified Intermediary
Agreements au début des années 2000, les banques
ont pu constater que la notion d’ayant droit économique pouvait ne pas correspondre pleinement à
celle de personne concernée ou bénéficiaire effectif
fiscal qui auraient entraîné des obligations pour les
banques.
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La situation pouvait par exemple être la suivante :
– La banque devait clairement identifier les ayants
droit économiques au sens des normes anti-blanchiment (et pouvait avoir identifié à cette occasion une US person) ;
– Alors même que, sur la base de définitions issues
du droit états-unien, certaines structures pouvaient être considérées comme non transparentes ; référence est faite ici aux notions de Nonflow-through corporations, Per se corporations,
ainsi que celle de Complex trust par exemple.
Ceci, alors même que le Qualified Intermediary
Agreement renvoyait à la CDB pour fixer le niveau
de diligence exigé des banques en matière d’identification.
La conséquence pratique de cette situation est
qu’il a été nécessaire, même si le processus d’identification appliqué était largement semblable pour déterminer l’ayant droit économique au sens des
normes anti-blanchiment et le sujet fiscal à identifier
en application du Qualified Intermediary Agreement,
de développer des processus de récolte, de documentation et d’enregistrement de données différenciés
pour permettre aux intermédiaires financiers de
remplir l’ensemble de leurs obligations.
1.2 FATCA-Accord entre la Suisse et les EtatsUnis d’Amérique sur leur coopération visant
à faciliter la mise en œuvre du FATCA16
Cet accord soulève une question de terminologie
puisqu’on ne parle pas d’ayant droit économique,
mais de Titulaire de compte. A la lecture de la définition de cette notion, on arrive à la conclusion
qu’elle est très largement en ligne avec celle d’ayant
droit économique au sens des normes anti-blanchiment.17 On peut identifier un cas par exemple où le
Titulaire de compte au sens de l’Accord FATCA va
potentiellement plus loin : dans le domaine des assurances-vie, doivent également être considérées comme
Titulaire de compte, des personnes qui ne sont ni le
preneur d’assurance ni le payeur de prime lorsque
16
17
Ci-après : Accord FATCA (FF 2013 2849).
« Si un compte est détenu au profit ou pour le compte d’un
tiers par une personne autre qu’un établissement financier, en qualité de représentant, administrateur, personne
désignée, signataire, conseiller en placements ou intermédiaire, ce tiers est réputé titulaire du compte au sens du
présent accord. » (Accord FATCA, art. 2 al. 1 ch. 24).
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Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
celui-ci est différent (correspondant aux exigences
de la Communication FINMA 18 [2010]), bien qu’il
soit probable que les cas décrits renvoient la plupart
du temps au preneur d’assurance lui-même.18
Il y a ensuite un décalage entre la notion d’ayant
droit économique au sens de la LBA et de la CDB
d’une part et de l’Accord FATCA d’autre part en matière de sociétés opérationnelles. Ne sont actuellement pas considérés comme ayant droit économique
au sens du droit suisse les actionnaires de sociétés
opérationnelles, alors que la présence d’une personne américaine dans l’actionnariat d’une telle société a des conséquences en vertu de FATCA. Il n’est
pas certain que la modification en cours du droit
suisse résolve pleinement ce décalage si les seuils déterminant la qualité d’actionnaire qualifié ne sont
pas alignés.
1.3 Protocole portant modification de l’accord
entre la Confédération suisse et le RoyaumeUni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
concernant la coopération en matière
de fiscalité19
Ce texte se réfère expressément aux obligations
de diligence suisses et la définition de la personne
concernée est très largement en ligne avec celle
d’ayant droit économique. A une exception près cependant, dès lors que « une société de domicile telle
que définie précédemment est exceptionnellement
considérée comme le bénéficiaire effectif si la preuve
est apportée qu’elle est elle-même effectivement imposée en vertu des règles générales en matière d’impôts directs selon le droit du lieu de sa constitution
ou de sa direction effective, ou qu’elle est considérée,
selon le droit du Royaume-Uni, comme non transparente en matière de revenus. »20 Cette exception est
logique et bienvenue, mais montre que l’ayant droit
18
19
20
« S’il s’agit d’un contrat d’assurance susceptible de rachat
ou d’un contrat de rente, est réputée titulaire la personne
ayant droit à sa valeur de rachat ou habilitée à désigner le
bénéficiaire du contrat. Si personne ne possède ces droits,
sont réputées titulaires du compte les personnes qui sont
désignées dans le contrat en tant que propriétaires ou qui,
selon les dispositions du contrat, ont un droit inaliénable
aux paiements découlant du contrat. A l’expiration d’un
contrat d’assurance susceptible de rachat ou d’un contrat
de rente, est réputée titulaire du compte toute personne
ayant droit à des paiements en vertu du contrat. » (ibidem).
Ci-après : Accord Suisse-Royaume-Uni (FF 2012 4765).
Accord Suisse–Royaume-Uni, Art. 2 al. 1 let. h.
179
économique tel que défini en application des normes
anti-blanchiment ne correspond pas systématiquement au bénéficiaire effectif fiscal.
2. … Internationale …
La Suisse est membre du Groupement d’Action
financière sur le Blanchiment de Capitaux21 et met en
œuvre les Recommandations émises par celui-ci.
Elle veille également à être euro-compatible. Néanmoins, une différence importante a persisté jusqu’à
ce jour à propos des sociétés opérationnelles pour
lesquelles la notion d’ayant droit économique selon
la LBA et la CDB ne correspond pas à celle du GAFI.
L’alignement de ces définitions constitue l’une des
modifications importantes de la LBA figurant dans
le projet publié le 13 décembre 2013 (cf. infra).
Les Recommandations GAFI 2012 (qui ne font
que développer un principe figurant déjà dans leur
version antérieure) définissent le bénéficiaire effectif
comme étant strictement une personne physique et
développent par ailleurs le mode d’identification des
personnes physiques qui contrôlent les personnes
morales, sans distinction entre sociétés opérationnelles et sociétés de domicile, en prévoyant une démarche en cascade, de l’actionnaire détenant une
participation de 25% ou plus au dirigeant d’une société opérationnelle en passant par les personnes
physiques qui contrôleraient la société d’une autre
façon.22
Les règles contenues dans la Directive 2005/60/
CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du
système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (3ème Directive
anti-blanchiment) sont semblables à celles du GAFI
et la proposition de 4ème Directive ne connaît pas de
modification à ce propos.23
Ces textes sont déterminants pour la proposition
de modification en cours de la LBA et la révision de
la CDB.
21
22
23
Ci-après : GAFI.
Cf. Recommandation GAFI 10 et plus particulièrement sa
note interprétative, ainsi que le Glossaire.
Proposition de Directive du parlement européen et du
conseil relative à la prévention de l’utilisation du système
financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (2013/0025), publié sur <eur-lex.
europa.eu>.
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Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
IV.
L’ayant droit économique
dans la LBA et la CDB révisées
1. Projet de LBA
Le 13 décembre 2013, le Conseil fédéral a adopté
et transmis au Parlement le Message relatif à la nouvelle loi sur la mise en œuvre des recommandations
révisées du Groupe d’action financière (GAFI).
Parmi les nombreuses modifications importantes
liées à la mise en œuvre des Recommandations
GAFI 2012, celles qui nous intéressent sont :
– Introduction d’une définition de l’ayant droit économique dans la LBA,24
– Principe selon lequel une société opérationnelle
ne peut plus être considérée comme étant son
propre ayant droit économique et fixation des
règles en matière d’identification des ayants droit
économiques de telles sociétés.
La définition proposée est partielle puisque, alors
que l’art. 4 du Projet de LBA fixe les cas dans lesquels une déclaration écrite doit être requise pour
identifier l’ayant droit économique (mentionnant notamment le cas des sociétés cotées et des sociétés de
domicile),25 l’art. 2a al. 3 du Projet de LBA ne mentionne expressément que la situation des sociétés
opérationnelles, sans aucune référence par exemple
au cas de fiducie entre personnes physiques. Cela
24
25
Projet de LBA, Art. 2a al. 3 :
« Sont réputées ayants droit économiques d’une personne
morale exerçant une activité opérationnelle les personnes
physiques qui, en dernier lieu, contrôlent la personne morale, du fait qu’elles détiennent directement ou indirectement, seules ou de concert avec un tiers, une participation
d’au moins 25% du capital ou des voix ou qu’elles la
contrôlent d’une autre manière. Si ces personnes ne
peuvent pas être identifiées, il y a lieu d’identifier le
membre le plus haut placé de l’organe de direction. »
Projet de LBA, Art. 4 al. 1 et 2 :
« 1L’intermédiaire financier doit identifier l’ayant droit
économique avec la diligence requise par les circonstances.
Si le cocontractant est une société cotée en bourse ou une
filiale détenue majoritairement par une telle société, l’intermédiaire financier peut renoncer à ladite identification.
2
L’intermédiaire financier doit requérir du cocontractant
une déclaration écrite indiquant qui est l’ayant droit économique, si :
a. le cocontractant n’est pas l’ayant droit économique ou
qu’il y ait un doute à ce sujet ;
b. le cocontractant est une société de domicile ou une personne morale exerçant une activité opérationnelle ;
c. une opération de caisse d’une somme importante au
sens de l’art. 3, al. 2 est effectuée. »
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laisse potentiellement une place non négligeable
pour l’autorégulation telle que développée dans la
CDB, permettant d’adopter des règles pragmatiques
pour les intermédiaires financiers.
A l’issue du processus de consultation intervenu
sur la base de l’avant-projet qui avait été publié le
27 février 2013,26 les résultats de la consultation publiés le 4 septembre 201327 montrent un certain scepticisme, voire une critique plus marquée à propos de
cette nouvelle exigence concernant l’identification
des ayants droit économiques. Ceci, non pas en regard du but poursuivi (assurer une plus grande transparence), mais au vu des conséquences légales et
pratiques que sa mise en œuvre pourrait entraîner.
Parmi les critiques, on peut mentionner :
– Pourquoi nier qu’une société opérationnelle soit
son propre ayant droit économique, alors même
que la responsabilité de cette société peut être engagée civilement et pénalement ?
– Il en va de même en matière fiscale, dès lors que
la société opérationnelle est un sujet fiscal indépendant de ses actionnaires.
– Comment expliquer qu’un employé (le directeur
général) ou un organe (le président du conseil
d’administration) puisse être assimilé à un actionnaire, un ayant droit économique ? Le Message du Conseil fédéral du 13 décembre 2013
précise cependant bien qu’il ne s’agit que « d’une
mesure alternative à l’identification de l’ayant
droit économique, cette personne n’étant pas en
principe elle-même l’ayant droit économique. »
Il n’est pas certain que cette nouvelle définition
permette de clarifier la relation entre ayant droit
économique et bénéficiaire effectif fiscal. En effet, il
est probable que les ayants droit économiques de
sociétés opérationnelles (les actionnaires qualifiés) ne
soient jamais les bénéficiaires effectifs fiscaux des valeurs patrimoniales déposées, puisque leurs droits ne
devraient naître que dès l’instant où ils recevraient un
dividende de ladite société. La transparence, y com-
26
27
Mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action
financière, révisées en 2012, Avant-projet et Rapport explicatif destiné à la consultation publiés le 27 février 2013,
disponibles sur <www.news.admin.ch>.
Mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action
financière, révisées en 2012 – Rapport sur les résultats de
la procédure de consultation (du 27 février au 1er juillet
2013), publié le 4 septembre 2013, disponible sur <www.
news.admin.ch>.
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Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
pris fiscale, qui est appliquée aux sociétés de domicile
paraît difficilement applicable telle quelle aux sociétés
opérationnelles de ce point de vue. Cette règle ne permet même pas de répondre aux exigences de type
FATCA par exemple, vu les seuils différents appliqués.
2. Projet de CDB 15
Les travaux de révision pour la rédaction de la
CDB 15, débutés en 2011 pour anticiper l’effet de
l’Accord FATCA et des Accords d’imposition à la
source qui s’annonçaient ainsi que celui lié aux Recommandations GAFI révisées en 2012, sont toujours en cours.28
Parmi les différentes pistes explorées, on peut
mentionner la proposition d’introduire une nouvelle
obligation de diligence, celle de l’identification des
Anteilseigner (actionnaire de société anonyme, associé de société de personnes), complémentaire à la
vérification de l’identité du cocontractant et à l’identification de l’ayant droit économique. Celle-ci pourrait à choix être considérée comme une troisième
obligation ou un approfondissement de la vérification de l’identité du cocontractant lorsque celui-ci est
une société opérationnelle, voire un complément à
l’identification de l’ayant droit économique.
En adéquation avec les Recommandations GAFI
ainsi qu’avec le texte du projet de modification de la
LBA qui y est lié, cet Anteilseigner serait identifié en
cascade (actionnaire ou partenaire détenant 25% ou
plus ; à défaut, toute personne contrôlant la société
opérationnelle d’une autre façon ; à titre subsidiaire,
un dirigeant).
Cette obligation ne concernerait que les sociétés
opérationnelles non cotées dès lors que les règles applicables aux sociétés de domicile continueraient
d’exiger l’identification de tout ayant droit économique, indépendamment de la nature juridique du
lien de cette personne avec la société et de l’importance de sa participation.
Cette solution pragmatique ne confond pas
Anteilseigner et ayant droit économique, mais les ap28
Les projets intermédiaires de ce texte ne peuvent être publiés avant leur validation. Les pistes évoquées dans le
présent article ne sont qu’une présentation personnelle de
l’auteur de quelques exemples parmi l’ensemble des possibilités qui ont été envisagées par le Groupe de travail de
l’Association Suisse des Banquiers en charge de la révision de la CDB.
181
préhende de façon complémentaire pour anticiper
l’ensemble des conséquences pratiques d’une telle
extension d’une part et permettre de tenir compte
des standards internationaux d’autre part. Il n’est pas
certain qu’une telle solution soit pleinement en ligne
avec le projet de LBA révisée qui inclut clairement
les actionnaires de sociétés opérationnelles dans la
définition d’ayant droit économique.
Dans tous les cas, de nombreux points resteraient
à affiner, pour déterminer comment traiter la question
de l’actionnariat direct ou indirect, les cascades de
sociétés holding et opérationnelles dans des groupes
industriels et commerciaux, etc.
Au vu de ce qui précède, ne faudrait-il pas retenir
le « meilleur des mondes » aussi bien pour la gestion
du risque que pour la capacité des intermédiaires financiers à mettre en œuvre les obligations de diligence qui leur sont applicables ? Cela impliquerait de
garder la notion actuelle d’ayant droit économique
qui, dans tous les cas, fait primer la réalité des faits
économiques sans considération des liens juridiques,
et d’y ajouter l’identification des actionnaires (qualifiés au sens de la LBA) voire des dirigeants pour les
sociétés opérationnelles. Cela permettrait ainsi à la
Suisse d’être en ligne avec les standards internationaux concernant les « bénéficiaires effectifs » tout en
maintenant un haut niveau d’exigence concernant
l’identification des « ayant droit économique ». Compte
tenu de l’évolution du cadre juridique, notamment
fiscal, les intermédiaires financiers devront de toute
façon mettre en oeuvre divers processus parallèles
concernant l’identification des actionnaires de personnes morales (cf. FATCA notamment qui prévoit un seuil différent de celui du GAFI et de l’Union
Européenne, seuil qui pourrait être modifié).
V. Quelques réflexions
La raison d’être de l’identification de l’ayant droit
économique dans la législation anti-blanchiment
prend sa source dans la nécessité pour les intermédiaires financiers d’être aptes à remplir leurs obligations de Know Your Client, de Know Your client’s
Transactions, de communication en cas de soupçon
fondé de blanchiment ou de lien avec une organisation criminelle, mais aussi de répondre aux demandes d’Autorités.
La définition de l’ayant droit économique détermine non seulement le cercle des personnes et entités
182
Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
que les intermédiaires financiers doivent identifier
de façon formelle et dont les données doivent être
recueillies, enregistrées et documentées, mais aussi
celui des personnes devant faire l’objet de contrôles
(dans des bases de données officielles et privées),
l’ensemble de ces données devant être maintenues à
jour. Cela entraîne des obligations formelles dont la
violation peut entraîner des sanctions non négligeables, que cela soit en vertu de la CDB29 ou plus généralement dans le cadre de la surveillance exercée par
la FINMA et les organismes d’autorégulation. L’élargissement du cercle des personnes pouvant être
considérées comme ayant droit économique ou équivalent n’est ainsi neutre ni en matière de ressources
ni en termes de risques. A ce titre, il est indispensable que la définition de l’ayant droit économique
soit clairement délimitée pour que les intermédiaires
financiers puissent aborder avec confort les audits
diligentés pour s’assurer du respect de la CDB et éviter de se faire sanctionner. Il serait difficilement acceptable que la Commission de surveillance CDB
puisse sanctionner sur la base des règles CDB d’identification de l’ayant droit économique une banque qui
aurait commis une erreur dans l’identification d’un
bénéficiaire effectif fiscal en vertu d’autres normes,
étrangères ou bilatérales. Ce d’autant plus, que la
Commission de surveillance CDB risque déjà de
se saisir de tels cas en vertu de l’art. 8 CDB dans
l’hypothèse où des reporting et autres attestations
auraient été émis pour des Autorités.
La même nécessité de délimiter clairement la définition de l’ayant droit économique existe en matière
d’application de l’art. 305ter CPS (Défaut de vigilance
en matière d’opérations financières et droit de communication).
L’application de normes anti-blanchiment présuppose l’existence d’une infraction préalable. Or, si
les faits constitutifs des infractions préalables telles
que l’escroquerie, la corruption, le trafic de drogues
et ou d’armes, sont relativement semblables d’une juridiction à l’autre, il en va parfois différemment pour
les normes fiscales et les infractions fiscales préalables. Cela concerne en particulier la détermination
des participants à l’infraction (auteur, complice, etc.).
Aligner pleinement l’identification de l’ayant droit
économique au sens des normes anti-blanchiment sur
la définition de tous les bénéficiaires effectifs fiscaux
29
CBD 08, art. 10 ss.
SZW/ RSDA 2/ 2014
potentiels semble difficilement praticable. Prenons
quelques exemples :
– Il est incontesté que, en application de la CDB (et
en ligne avec des normes telles que celles édictées par le GAFI), tout ayant droit économique
d’une société de domicile doit être dûment identifié par un intermédiaire financier. D’un point de
vue fiscal, dans certains cas, ladite société de domicile peut elle-même être un contribuable. Cela
signifie que, dans un tel cas, le bénéficiaire effectif fiscal des valeurs patrimoniales déposées devrait être la société de domicile et non les ayants
droit économiques identifiés.
– Selon le projet de LBA modifiée pour mettre en
oeuvre les Recommandations GAFI 2012, les intermédiaires financiers devraient à l’avenir identifier les actionnaires de sociétés opérationnelles
détenant une participation déterminante (dès 25%)
comme ayant droit économique. A défaut, de
telles actionnaires, d’autres personnes exerçant
une domination sur une telle société devraient
être identifiées comme ayant droit économique.
Là aussi, la société opérationnelle étant ellemême un contribuable, les ayants droit économiques d’une telle relation ne sauraient être identifiés comme bénéficiaires effectifs fiscaux des
valeurs patrimoniales déposées.
– Plus généralement, dans le traitement de sociétés
(opérationnelles) et structures (p. ex. trusts et
sociétés de domicile), comment concilier des
normes concernant les bénéficiaires effectifs fiscaux (voire les ayants droit économiques) qui :
– d’une part, seraient appliquées dès le premier
franc (selon la CDB) ou dès un pourcentage
significatif (voir les normes GAFI et de
l’Union européenne) ;
– d’autre part, appliqueraient des pourcentages
différents (cf. l’obligation d’identification au
titre d’ayant droit économique de sociétés
opérationnelles dès 25% selon le Projet de
LBA et le fait que doit être considéré comme
une US owned foreign entity une société détenue à 10% par une US person) ;
– enfin, prévoiraient des exceptions telles qu’on
a pu en connaître à l’introduction des normes
liées au Qualified Intermediary Agreement
où certaines sociétés de domiciles et trusts,
considéré comme per se corporations, non
flow through companies ou complex trusts,
SZW/ RSDA 2/ 2014
Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
ne nécessitaient pas d’identification des bénéficiaires effectifs fiscaux.
Ces définitions ne sont pas contradictoires ni incompatibles, elles font simplement partie de textes
juridiques qui ne poursuivent pas les mêmes buts,
qui sont édictés et mis en œuvre par des Autorités
différentes, dont l’évolution ne suit pas le même
calendrier.
Le niveau d’exigence de l’étendue, du détail et de
la forme des informations à récolter, enregistrer, documenter et maintenir à jour devrait également tenir
compte des situations différentes dans lesquelles les
intermédiaires financiers doivent mettre en œuvre
les obligations de diligence. C’est une chose d’enregistrer toute information reçue de façon à pouvoir la
retrouver en cas de demande d’une Autorité, c’en est
une autre de devoir récolter activement de telles informations et de devoir dans certains cas agir proactivement, notamment en cas de communication
au sens de l’art. 9 LBA. Compte tenu des exigences
grandissantes des Autorités (y compris en marge du
projet de mise en œuvre des Recommandations GAFI
2012), quelle attitude un intermédiaire financier devra-t-il adopter dans les cas suivant :
– Quid du compte de la société opérationnelle en
cas de décision de séquestre ou de blocage pénal
concernant l’actionnaire qualifié d’une société
opérationnelle enregistré comme ayant droit
économique ?
– Quid du compte de la société opérationnelle en
cas de décision de séquestre ou de blocage pénal
concernant une personne qui n’est pas enregistrée comme actionnaire qualifié mais uniquement comme US person détenant >10% ?
– Quid d’une éventuelle obligation de communiquer le compte d’une société opérationnelle en
cas d’information négative sur un actionnaire
qualifié de ladite société ou sur une US person
détenant >10% ?
– Quid d’une demande d’entraide fiscale contre une
personne physique ayant droit économique d’une
société de domicile qui est elle-même pleinement
fiscalisée en Suisse p. ex. ?
Tous ces cas ont, ou auront à l’avenir à n’en point
douter, une réponse juridique. Cependant, en gestion
du risque, cela montre la complexité pour l’intermédiaire financier de concilier la mise en œuvre des
obligations de diligence en matière de lutte contre le
blanchiment d’argent avec celles liées à la confor-
183
mité fiscale, notamment au vu de ses autres obligations telles que les communications au sens de l’art. 9
LBA et les réponses à apporter à des Autorités.
VI. Conclusion
Il serait rassurant pour le praticien, que cela soit
le compliance officer ou même le chargé de clientèle,
de pouvoir se référer à un texte unique pour répondre
de façon consolidée à la question complexe qui est
celle de déterminer qui est l’ayant droit économique
de valeurs patrimoniales au sens des normes anti-blanchiment, mais également qui en est le bénéficiaire effectif fiscal. Il serait aussi satisfaisant pour la
sécurité juridique d’éviter un édifice de notions non
concordantes et à l’équilibre difficile.
Force est cependant de constater que la CDB ne
peut être la réponse unique et exhaustive à l’ensemble des démarches d’identification au sens large
que les intermédiaires financiers doivent assurer.
Néanmoins, à titre provisoire dès lors que diverses
modifications législatives et réglementaires sont en
cours et que les obligations des intermédiaires financiers en matière fiscale devraient encore augmenter,
il paraît raisonnable de conclure que la CDB 15
pourra dans une certaine mesure concilier lutte
contre le blanchiment d’argent et conformité fiscale.
Il serait en revanche exagéré, voire erroné, de considérer que la seule CDB 15 permettra aux intermédiaires financiers de remplir de façon coordonnée
leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et celles liées à la conformité fiscale.
En matière de lutte contre le blanchiment d’argent,
la CDB se trouve quelque peu détrônée de la place
qu’elle occupait jusqu’à présent puisque c’est dans la
LBA que se trouvera désormais la définition de
l’ayant droit économique, définition qui n’avait jamais été intégrée dans la CDB. Cependant, il apparaît que ce sera en principe dans la CDB que les
intermédiaires financiers trouveront les règles de détail applicables à l’identification des ayants droit
économiques (ou à leurs équivalents).
Dans tous les cas, le champ d’application de la
CDB 15 ne devrait pas être modifié, à savoir des dispositions de mise en application de la prévention et
lutte contre le blanchiment d’argent. A ce titre, la notion d’ayant droit économique telle que développée
depuis plus de 35 ans devrait être maintenue, car elle
a montré son adéquation en lien avec le but pour-
184
Polli: La CDB 2015 peut-elle concilier lutte contre le blanchiment et conformité fiscale ?
suivi. L’extension des obligations de diligence à
l’identification des actionnaires des sociétés opérationnelles s’intègre dans ce but initial et plus encore
en matière de lutte contre le crime organisé.
En revanche, la CDB n’est probablement pas suffisante ni même pertinente pour déterminer de façon
exhaustive les règles applicables en matière de
conformité fiscale et notamment pour déterminer les
bénéficiaires effectifs fiscaux. Les buts de la lutte anti-blanchiment et de la conformité fiscale sont de natures différentes et les conséquences de leur mise en
œuvre peuvent diverger. Pour la première, il importe
d’identifier les ayants droit économiques des valeurs
patrimoniales confiées, pierre angulaire nécessaire à
la mise en œuvre des autres obligations de diligence
telles que celle liée à la clarification de l’origine des
fonds, pour pouvoir identifier dans quels cas exceptionnels un soupçon fondé de blanchiment d’argent
ou de lien avec la criminalité organisée apparaît.
Pour la seconde, il s’agit de disposer pour tous les
clients de l’ensemble des informations nécessaires à
la mise en œuvre d’obligations liées aux normes fiscales de façon générale (évaluation de la situation
fiscale du client) ou spécifique (mise en œuvre d’accords bilatéraux conclus par la Suisse tels que
FATCA ou les accords d’imposition à la source, voire
de contrats conclu par les banques elles-mêmes tels
que le Qualified Intermediary Agreement). C’est dans
les textes fiscaux eux-mêmes, étrangers ou bilatéraux, que se trouvent les règles définissant qui doit
être identifié comme bénéficiaire effectif en matière
de conformité fiscale. Cela s’applique même dans
des cas où une référence explicite à la CDB est faite,
comme pour le Qualified Intermediary Agreement.
Tous ces textes contiennent des règles qui ont pour
conséquence que l’ayant droit économique déterminé selon la CDB ne correspond pas toujours au
bénéficiaire effectif fiscal. En fonction des accords
conclus, la CDB pourrait cependant garder son statut
de texte de référence sur la manière de vérifier l’identité de telles personnes (nature des démarches à effectuer). Sous réserve que les textes fiscaux incluent
souvent des exigences particulières en matière de
documentation de l’obligation de diligence (Formulaires type émis par les Autorités) et de périodicité
fixe du renouvellement des démarches (mècánisme
inconnue de la CDB).
D’un point de vue pratique, cela signifie que les
intermédiaire financiers devraient avoir les moyens
de distinguer les personnes identifiées comme ayant
SZW/ RSDA 2/ 2014
droit économique (ou leur équivalent) au sens de la
LBA et de la CDB, des personnes identifiées comme
bénéficiaires effectifs fiscaux en vertu de la mise en
œuvre des normes fiscale. En effet, la récolte, l’enregistrement, la documentation et la mise à jour de ces
données pourront répondre à des exigences différentes et les codifications liées à l’une ou l’autre des
qualités avoir des conséquences différentes. Une personne pourra par exemple avoir été identifiée de façons différentes et être enregistrée auprès de l’intermédiaire financier comme ayant droit économique et
comme bénéficiaire effectif fiscal, alors qu’une autre
le sera comme personne américaine actionnaire à
hauteur de 10% d’une société opérationnelle ce qui
entraîne une soumission à FATCA de la société opérationnelle alors même que cette personne ne sera ni
ayant droit économique ni bénéficiaire effectif fiscal.
En théorie, les capacités informatiques sont infinies pour enregistrer toutes les nuances induites par
ces diverses obligations de diligence. En pratique cependant, il ne faut pas perdre de vue que toute démarche supplémentaire nécessite un processus complet d’évaluation, de mise en œuvre et de contrôle.
Les collaborateurs des intermédiaires financiers sont
en première ligne pour mettre en œuvre ces normes,
en plus de toutes celles qui concernent l’offre de services et produits aux clients, et tout ceci doit pouvoir
être modélisé de façon efficiente. Alors qu’il serait
beaucoup trop complexe de vouloir aligner pleinement ayant droit économique, bénéficiaire effectif
fiscal et toute autre notion connexe, il faudra aussi se
garder de multiplier les processus parallèle d’identification. Dans une certaine mesure, cela pourrait
relever de la quadrature du cercle.
Il reste enfin quelques points qui devraient faire
l’objet d’un examen attentif, sur le plan juridique
mais aussi d’un point de vue pratique pour les intermédiaires financiers, en fonction notamment des
modifications législatives en cours. Il s’agit en particulier de l’incidence du possible décalage entre la
définition d’ayant droit économique et celle du bénéficiaire effectif fiscal, mais aussi de l’obligation
d’identification des actionnaires qualifiés des sociétés opérationnelles. Ceci en lien avec l’art. 9 LBA,
l’art. 305ter al. 2 CPS, et l’obligation de répondre aux
requêtes d’Autorités. Cela deviendra d’autant plus
nécessaire lorsque la violation de normes fiscales
constituera une infraction préalable au blanchiment
d’argent, rapprochant encore plus le bénéficiaire effectif fiscal de l’ayant droit économique.

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