Une photographie relationnelle comme fait social

Transcription

Une photographie relationnelle comme fait social
Ecole
Nationale
Supérieure
Louis‐Lumière
Mémoire
de
fin
d'études
et
de
recherche
appliquée
Ivan
Mathie
Une
photographie
relationnelle
comme
fait
social
total
Proposition
documentaire
et
artistique
sous
la
direction
de
Christian
Caujolle
Membres
du
Jury:
Claire
Bras,
professeur
d’Arts
plastiques
appliqués
à
la
photographie
à
l'
E.N.S.L.L
Christian
Caujolle,
professeur
de
création
photographique
contemporaine
à
l'
E.N.S.L.L
Françoise
Denoyelle,
Professeur
des
universités,
Historienne
de
la
photographie,
professeur
d'histoire
de
la
photographie
à
l'
E.N.S.L.L
Pascal
Martin,
Maître
de
conférences,
Docteur
en
Sciences
de
l'information
et
de
la
communication,
professeur
d'optique
à
l'
E.N.S.L.L
Section
photographie
Mai
2009
Ecole
Nationale
Supérieure
Louis‐Lumière
Mémoire
de
fin
d'études
et
de
recherche
appliquée
Ivan
Mathie
Une
photographie
relationnelle
comme
fait
social
total
Proposition
documentaire
et
artistique
sous
la
direction
de
Christian
Caujolle
Membres
du
Jury:
Claire
Bras,
professeur
d’Arts
plastiques
appliqués
à
la
photographie
à
l'
E.N.S.L.L
Christian
Caujolle,
professeur
de
création
photographique
contemporaine
à
l'
E.N.S.L.L
Françoise
Denoyelle,
Professeur
des
universités,
Historienne
de
la
photographie,
professeur
d'histoire
de
la
photographie
à
l'
E.N.S.L.L
Pascal
Martin,
Maître
de
conférences,
Docteur
en
Sciences
de
l'information
et
de
la
communication,
professeur
d'optique
à
l'
E.N.S.L.L
Section
photographie
Mai
2009
Remerciements
Je
tiens
à
remercier
Christian
Caujolle,
Bernard
Tison,
William
Gaye,
Julia
Drouhin,
Claire‐Lise
Havet,
Arthur
Bramao,
Loïc
Molon,
Nicolas
Friess,
Christophe
Caudroy
pour
les
réflexions
et
références
que
nous
avons
partagées,
Florent
Fajole
pour
l’ensemble
de
nos
discussions
et
de
ses
conseils
bibliographiques
qui
se
sont
avérés
judicieux.
Je
remercie
également
Anaïs
Masson,
Marion
Poussier
(Photographe),
Isabel
De
Bary
(Directrice
du
collectif
Ne
Pas
Plier),
Gilles
Saussier
(Artiste
‐
photographe),
Olivier
Pasquier
(Photographe,
Membre
de
l'association
"Le
bar
Floréal.
Photographie")
de
m’avoir
accordé
la
possibilité
de
dialoguer
avec
eux
et
de
mieux
comprendre
leur
pratiques.
Jeanine
Tison,
David
Awada,
Florent
Fajole
ont
bien
voulu
relire
une
ultime
version
avant
impression,
je
les
en
remercie
également.
Julie
Touron
pour
la
correction
et
la
reformulation,
ce
mémoire
n’aurait
pas
la
forme
qu’il
a
pris,
qu’elle
en
soit
remerciée.
Je
remercie
enfin
Anastassia
Deltcheva‐Mathie
pour
son
soutien
quotidien
tout
au
long
de
ce
mémoire.
Je
remercie
également
Antoine
Decourcelle,
Cécile
Poletti,
Violaine
Husson,
Virginie
Semedo,
Julie
Moulin
de
la
Cimade,
tous
les
bénévoles
pour
leur
disponibilité
et
leur
aide
précieuse
dans
la
réalisation
de
la
partie
pratique,
ainsi
que
toutes
les
personnes
qui
m’ont
permis
de
les
photographier.
Résumé
De
nouvelles
pratiques
photographiques
documentaires
interrogent
le
statut
du
sujet
et
du
public
dans
le
processus
de
création
des
images.
Les
œuvres
de
Gilles
Saussier
et
de
Marc
Pataut
ainsi
que
les
projets
développés
par
Yto
Barrada,
Anaïs
Masson
et
Maxence
Rifflet
et
les
actions
sociales
du
collectif
Ne
pas
plier
s’inscrivent
dans
cette
voie.
Ce
mémoire
analyse
les
procédures
et
les
protocoles
mis
en
œuvre
par
ces
artistes
et
ces
collectifs
;
et
met
en
lumière
le
désœuvrement
qui
les
caractérisent
à
l’aulne
de
pratiques
et
de
réflexions
issus
du
champ
sociologique
et
de
l’esthétique
contemporaine.
4
Abstract
New
documentary
photographic
practices
question
the
statute
of
the
subject
and
the
public
in
the
process
of
creating
images.
The
works
of
Gilles
Saussier
and
Marc
Pataut
but
also
the
projects
developed
by
Yto
Barrada,
Anaïs
Masson
and
Maxence
Riflet
and
the
social
actions
of
the
collective
Ne
pas
plier
fall
all
under
this
way.
This
dissertation
analyzes
the
procedures
and
the
protocols
implemented
by
these
artists
and
collectives.
It
tends
to
bring
to
view
the
désoeuvrement
which
characterizes
them,
in
the
light
of
practices
and
reflections
resulting
from
the
sociological
field
and
the
contemporary
aesthetics.
5
Sommaire
Remerciements…………………………………………………………………………………………….….…….3
Résumé.……………………………………………………………………………………………………...………….4
Abstract.…………………………………………………………………………………………...……………………5
Sommaire.………………………………………………………………………………………..…………………….6
Introduction.……………………………………………………………………………...…………………………..8
1
Construire
un
lien
social
avec
la
photographie
:
La
production
d'une
information
partagée ......................................................................................................................................................... 10
1.1
Une
photographie
relationnelle .......................................................................................... 12
1.1.1
Coprésence........................................................................................................................... 17
1.1.2
Collaboration....................................................................................................................... 27
1.1.3
Participation........................................................................................................................ 29
1.2
Une
temporalité
et
spatialité
particulière
: .................................................................... 32
1.2.1
Donner
le
temps ................................................................................................................ 32
1.2.2
Une
spatialité
particulière............................................................................................. 43
1.3
Le
choix
de
l'inter
‐
subjectivité........................................................................................... 48
1.3.1
L’écoute
:
moyen
d’une
relation
entre
le
sujet
et
le
photographe................ 48
1.3.2
Positionnement
des
protagonistes............................................................................ 54
2
Circulation
et
circularité
du
médium
photographique
dans
l’espace
public ........... 58
2.1
Circulation
et
multiplication ................................................................................................. 60
2.2
Circulation
et
circularité......................................................................................................... 65
2.3
Diffusion ........................................................................................................................................ 67
2.4
Le
contexte
dans
l’exposition ............................................................................................... 73
2.5
L'espace
public............................................................................................................................ 77
2.5.1
De
l'institution
muséale
à
l'espace
public .............................................................. 81
2.5.2
Le
déplacement
de
l'artiste
et
de
l’œuvre .............................................................. 83
6
Partie
pratique.……………………………………………………………………………………………………97
Bibliographie.…………………………………………………………………………………………………….105
Tables
des
matières…………………………………………………………………………………..………..111
Annexe………………………………………………………………………………………………………….…...113
7
Introduction
Le
concept
de
fait
social
total,
développé
par
Marcel
Mauss
dans
l’entre‐deux‐guerres,
peut
éclairer
un
certain
type
de
pratiques
de
la
photographie
documentaire
actuelle.
En
effet,
la
notion
de
lien
social,
émanant
directement
de
l’analyse
structurelle
du
don
dans
les
sociétés
archaïques
qui
permit
au
sociologue
français
de
déduire
sa
célèbre
théorie,
s’inscrit
désormais
au
cœur
de
nouveaux
protocoles
de
travail
mis
en
œuvre
par
des
photographes
tels
que
Gilles
Saussier
ou
Marc
Pataut.
Dans
leur
approche
de
l’acte
photographique,
l’interaction
avec
les
sujets,
l’observation
participante,
la
relation
transactionnelle
–notamment
par
l’intermédiaire
du
don
(et
de
l’échange
non‐marchand),
sont
des
stratégies
qui
ont
pour
but
d’activer
le
rapport
de
la
création
d’images
à
un
milieu
social,
vice
versa
;
et
de
placer
les
images
ainsi
créées
au
centre
de
mécanismes
sociaux.
La
photographie
n’accompagne
pas
seulement
le
fait
social,
dans
certains
cas
elle
le
suscite,
le
provoque
et,
nous
le
verrons,
le
construit.
Nous
montrerons
ainsi
comment,
par
la
médiation
d’une
ou
de
plusieurs
images,
le
travail
photographique
crée
des
situations
dans
lesquelles
le
statut
du
sujet
évolue
de
la
simple
présence
à
celui
de
participant,
voire
de
créateur.
Plusieurs
questions
se
posent
alors.
Comment
partager
une
même
temporalité,
une
même
spatialité
dans
le
processus
de
création
des
images?
Comment,
le
cas
échéant,
travailler
et
œuvrer
ensemble
?
Sur
quelle
base
établir
cette
collaboration
?
Comment
participer
à
ce
qui
semble
étendre
le
rapport
de
l’autorité
à
l’œuvre
?
Comment
se
manifeste
alors
dans
l’histoire
de
l’art,
des
pratiques
artistiques
puisque
la
photographie
n’est
pas
la
seule
concernée
par
ce
mouvement,
la
transformation
du
sujet
mais
également
du
public
en
acteur
d’un
processus
dont
il
est
en
principe
exclu
?
Une
telle
remise
en
cause
de
la
dichotomie
entre
acteur
et
spectateur,
photographe
et
public,
si
elle
est
avérée,
a‐t‐elle
des
conséquences
sur
le
statut
de
l’œuvre
elle‐
même
;
et
si
tel
est
le
cas
quelles
en
sont
les
caractéristiques
?
Dans
ce
mémoire,
nous
entendons
aborder
chacune
de
ces
questions
et
proposer
quelques
amorces
de
réponses.
8
Dans
la
première
partie,
nous
décrirons
tout
d’abord
les
moyens
par
lesquels
Gilles
Saussier
et
Marc
Pataut
constituent
le
don
inaugural
qui,
selon
Marcel
Mauss,
serait
la
forme
originaire
du
lien
social.
Nous
explorerons
ainsi
la
nature
des
relations
que
les
photographes
instaurent
avec
leurs
sujets
pour
délimiter
le
cadre
et
les
enjeux
de
leurs
projets
respectifs.
Nous
distinguerons
en
particulier
trois
modes
d’implication
du
sujet
:
la
coprésence,
la
collaboration
et
la
participation,
dont
nous
dégagerons
ensuite
l’empreinte
sociale
par
l’analyse
du
temps
et
de
l’espace
de
travail.
Dans
ce
cadre
microsociologique
où
se
trouvent
malgré
tout
concentrés
l’ensemble
des
rapports
que
les
sujets
entretiennent
avec
les
institutions,
les
photographes
que
nous
étudierons
privilégient
une
approche
intersubjective
entre
individus
ou
à
l’intérieur
de
groupes
restreints
qui
leur
permet
de
saisir
les
enjeux
sociaux
autour
de
questions
ou
de
thèmes
précis.
Cette
enquête
préalable
qui
fait
du
photographe
un
observateur
participant
constitue
l’une
des
étapes
de
l’acte
photographique.
Dans
la
seconde
partie,
nous
aborderons
les
conséquences
de
la
mise
en
acte
photographique
sur
le
plan
de
la
circulation
et
de
la
circularité
du
médium
créateur
mis
à
la
disposition
du
public.
Pour
ce
faire,
nous
analyserons
la
place
de
la
multiplication
et
de
la
diffusion
des
images
créées
dans
les
modes
de
la
circulation
et
de
la
circularité.
Nous
montrerons
en
effet
qu’il
convient,
dans
le
cadre
de
l’esthétique
relationnelle
chère
à
Nicolas
Bourriaud,
de
dissocier
et
de
définir
ces
deux
termes.
Enfin,
nous
nous
intéresserons
à
l’art
contextuel,
tel
que
l’envisage
Paul
Ardenne,
que
nous
situerons
de
l’institution
muséale
à
l’espace
public,
à
travers
le
déplacement
de
l’artiste
et
de
l’œuvre.
Nous
aurons
alors
dégagé
différents
mécanismes
du
désœuvrement
des
images
dans
l’art
actuel,
au
sein
duquel
nous
plaçons
la
photographie
au
même
titre
que
les
autres
formes
de
création.
9
1 Construire
un
lien
social
avec
la
photographie
:
La
production
d'une
information
partagée
Le
fameux
moment
où
la
société
prend
est
aussi
celui
où
«
les
hommes
prennent
conscience
sentimentale
d’eux‐mêmes
et
de
leur
situation
vis
a
vis
d’autrui
».
Le
point
de
vue
du
fait
social
total
a
non
seulement
l’avantage
d’élever
l’appréhension
de
la
société
à
son
plus
haut
degré
de
généralité,
mais
aussi
de
la
réorienter
vers
le
concret
de
son
fonctionnement,
c’est
à
dire
vers
les
hommes
et
groupes
d’hommes
ancrés
dans
une
histoire
et
vivant
leur
comportement
social
dans
leur
organisme
et
leur
psychai
».
CHATEAU
Dominique,
L'art
comme
fait
social
total,
Paris,
L'Harmattan,
coll.
L’art
en
bref,
1998,
p.
89
Alors
que
notre
société
ne
cesse
de
se
déliter
dans
son
corps
social,
la
photographie
comme
d’autres
arts
semble
être
un
moyen
de
contribuer
à
créer,
maintenir
ou
réactiver
les
liens
sociaux
entre
les
différents
groupes
qui
la
composent.
Le
lien
social
définit
l’ensemble
des
relations
sociales
entre
individus,
dont
la
société1
a
besoin
pour
exister
en
tant
que
telle.
L’art
est
de
plus
en
plus
utilisé
pour
maintenir
un
lien
entre
la
société
et
des
populations
en
voie
de
marginalisation.
Les
centres
culturels
deviennent
des
lieux
de
discussion
et
d’ateliers
participatifs.
L’espace
Khiasma2
mobilise
en
période
de
crise
(avril
2009)
un
atelier
participatif
autour
de
la
notion
de
richesse
et
propose
de
la
définir
collectivement.
Le
résultat
de
ces
ateliers
est
retranscrit
par
des
artistes
en
résidence
et
amendé3
par
les
participants
pour
être
ensuite
diffusé
dans
le
support
gratuit
Le
mag
du
démocrate4.
Ce
support
imprimé
est
1
«
La
notion
de
société,
étymologiquement
comprise,
sous‐tend
celle
d’association.
La
société,
ce
sont
les
socii,
les
associés
»
in
ARDENNE
Paul,
Un
art
contextuel.
Création
artistique
en
milieu
urbain,
en
situation,
d’intervention,
de
participation,
Paris,
Flammarion,
coll.
Champs,
2002,
p.
32
2
«
Basée
aux
Lilas,
l'association
Khiasma
rassemble
depuis
2001
des
professionnels
du
domaine
culturel
(éditeurs,
plasticiens,
vidéastes,
médiateurs
culturels,
graphistes...)
et
du
champ
socio‐éducatif
(enseignants,
chercheurs,
étudiants,
psychologues...)
autour
du
portage
de
projets
à
l'interface
entre
champ
social
et
pratiques
artistiques.
Les
projets
de
Khiasma
ont
pour
but
le
partage
de
connaissance
et
de
savoir‐faire
par
le
biais
d'une
mise
en
action
du
public
».
http://www.khiasma.net/qui‐somme‐
Nous.php.
Consulté
le
16/03/2009
3
Un
aller
retour
des
textes
est
réalisé
à
l’aide
d’internet
pour
permettre
au
public
impliqué
de
valider
le
texte
écrit
collectivement.
4
http://khiasma93.blogspot.com/2009/03/mag‐du‐democrate‐n3.html.
Consulté
le
16/04/2009
10
une
forme
de
création
d’espace
non
formaté
et
ouvert,
invitant
à
la
réflexion
et
au
partage
culturel.
La
spécificité
des
pratiques
documentaires
que
nous
allons
analyser
réside
dans
la
place
particulière
occupée
par
le
sujet.
Le
sujet
selon
Alain
Touraine5
est
compris
dans
sa
capacité
à
être
acteur
de
ses
actes.
Il
cherche
à
repousser
les
déterminants
sociaux
pour
créer
un
espace
possible
de
son
action.
L’action
sur
la
société
contribue
à
la
construire
et
à
la
modifier
par
la
négociation
d’une
part
et
le
conflit
d’autre
part.
Pour
certains
photographes
contemporains,
la
relation
et
la
participation
du
sujet
sont
un
préalable
nécessaire
à
la
production
d’images.
Le
photographe
aspire
à
une
présence
au
monde
de
son
sujet.
L’espace
et
le
temps
permettent
de
tisser
des
liens
avec
le
sujet
et,
par
la
discussion
ou
d’autres
moyens
de
médiation,
d’aboutir
à
une
forme
relationnelle
prenant
en
compte
son
existence
et
ses
expériences.
5
BILTJETINA
Charles,
«
Entretien
avec
Alain
Touraine
»,
vidéo
réalisée
à
la
Fondation
Maison
des
Sciences
de
l'Homme,
Paris,
le
29/11/2002.
URL
:
http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?id=69&ress=351&video=81690&format=68#83
4
Consulté
le
16/04/09.
11
1.1 Une
photographie
relationnelle
«
La
forme
de
l’œuvre
contemporaine
s’étend
au
delà
de
sa
forme
matérielle
:
elle
est
un
élément
reliant,
un
principe
d’agglutination
dynamique
».
BOURRIAUD
Nicolas,
Esthétique
relationnelle,
Dijon,
Les
Presses
du
réel,
coll.
Documents
sur
l’art,
2001,
p.
21
Comme
son
nom
l’indique,
la
forme
relationnelle
définit
l’œuvre
comme
un
processus
médiateur
entre
individus.
Son
espace
privilégié
est
le
quotidien.
Elle
suppose
une
temporalité
faisant
œuvre.
L’esthétique
relationnelle,
selon
l’expression
de
Nicolas
Bourriaud
se
développe
à
partir
des
années
dix
neuf
cent
cinquante,
à
une
époque
où
la
production
d’art
est
en
mouvement
et
où
les
artistes
se
défont
de
l’œuvre
statique
comme
référent
;
critiquant
le
statut
de
l’objet
et
interrogeant
la
territorialité
des
lieux
de
création
et
de
présentation
de
l’Art.
L’acceptation
tardive
de
la
photographie
dans
le
monde
de
l’art
a
vu
récemment
des
œuvres
de
grand
format
entrer
dans
le
champ
de
l’art
contemporain.
Ces
créations
relevant
essentiellement
de
l’objet
et
de
sa
rareté
auratique6
(Walter
Benjamin)
cherchent
en
premier
lieu
à
appartenir
pleinement
au
marché
de
l’art
et
n’ont,
en
règle
générale,
aucune
intention
relationnelle.
L’enjeu
de
l’esthétique
relationnelle
est
de
créer
des
formes
reliantes
entre
individus.
Ces
formes
d’appropriation
de
l’espace
et
du
temps
ont
pour
but
de
réduire
la
fragmentation
sociale.
Elles
fondent
leur
intérêt
dans
la
mise
en
relation
de
propositions
avec
la
réalité
et
les
évolutions
sociétales
et
contribuent
à
la
création
d’espaces
de
rencontre.
Les
propositions
relationnelles
redéfinissent
la
présence
du
public
sous
l’impulsion
de
rapports
intersubjectifs
et/ou
de
travaux
collectifs
(happenings,
manifestations,
ateliers
publics).
Tel
est
le
cas
du
collectif
Ne
pas
Plier
dont
nous
détaillerons
les
modes
d’intervention
et
de
médiation
socioculturelles
au
sein
desquels
la
photographie
occupe
une
place.
6
BENJAMIN
Walter,
L'Œuvre
d'art
à
l'époque
de
sa
reproductibilité
technique,
Paris,
Allia,
2007
[2003],
78
p.
12
Il
ne
s’agit
plus
d’être
un
simple
regardeur,
mais
d’élaborer
un
sens,
une
forme
commune
dans
l’interaction.
Lorsque
Marc
Pataut
participe
à
ces
manifestations,
ses
portraits
de
chômeurs
anonymes
sont
brandis
par
d’autres
chômeurs
:
ces
images
ne
documentent
pas
une
contestation,
elles
contribuent
à
en
donner
la
forme.
Fig.
1
PATAUT
Marc,
Images
en
vie,
1994,
in
La
recherche
photographique,
n°19,
Automne
1995,
«
Politique
/
Critique
»,
Paris,
Maison
Européenne
de
la
Photographie,
Paris
audiovisuel,
Université
Paris
8,
p.
32
«
Les
œuvres
ne
se
donnent
plus
pour
but
de
former
des
réalités
imaginaires
ou
utopiques,
mais
de
constituer
des
modes
d’existence
ou
des
modèles
d’action
à
l’intérieur
du
réel
existant,
quelle
que
soit
l’échelle
choisie
par
l’artiste7
».
7
BOURRIAUD
Nicolas,
Esthétique
relationnelle,
Dijon,
Les
Presses
du
réel,
Coll.
Documents
sur
l’Art,
2001,
p.
13
13
Les
acteurs
de
l’esthétique
relationnelle
encouragent
la
création
d’un
espace‐temps
partagé.
Ils
créent
hors
du
champ
marchand
un
interstice
social8,
qui
a
pour
conséquence
de
revigorer
l’espace
public
comme
lieu
d’activité
citoyenne.
Ces
possibilités
d’échange
quittent
la
scène
économique,
recouvrent
fondamentalement
un
sens
politique
et
définissent
une
conception
contemporaine
de
l’économie
sociale.
Dans
ce
contexte,
l’exemple
de
Marc
Pataut
le
montre
bien,
la
photographie
a
pour
but
d’agréger
une
communauté
virtuelle
à
la
manifestation
d’un
espace
social
réel
qu’elle
contribue
ainsi
à
élargir.
Elle
matérialise
le
rapprochement
entre
des
citoyens
que
la
distance
géographique
sépare.
L’un
des
slogans
de
ces
manifestations
pourrait
être
:
«
j’ai
tant
d’amis,
j’ai
la
France
entière
»
pour
reprendre
les
paroles
du
chant
«
Le
partisan
»,
magnifiquement
interprété
par
Léonard
Cohen.
Plus
généralement,
la
relation
préalable
à
la
diffusion
de
la
production
de
l’image
est
constitutive
de
la
photographie
documentaire.
Chaque
phénomène
étudié
ne
nécessite
pas
cependant
la
même
approche.
Les
photographes
choisissent
des
moyens
différents
selon
la
place
qu’ils
souhaitent
offrir
au
sujet.
Les
pratiques
de
coprésence,
de
collaboration
et
de
participation
dotent
le
sujet
de
trois
statuts
différents,
parfois
complémentaires,
selon
la
place
qu’il
occupe
dans
le
dispositif
de
création
visuelle.
Le
sujet
accepte
le
photographe
dans
son
environnement,
partage
des
expériences
avec
celui‐ci,
l’informe
de
son
vécu.
Il
est
conscient
du
travail
du
photographe
et
y
contribue
par
l’échange
d’informations,
d’images,
d’objets…
Le
collaborateur
établit
en
concertation
avec
le
photographe
les
enjeux
du
travail
et
les
thématiques
à
activer.
Il
apporte
son
histoire,
la
pratique
de
son
environnement,
ses
connaissances
et
mobilise
son
réseau
relationnel
dans
le
cadre
du
projet.
Le
collaborateur
participe
pleinement
à
la
production
du
contenu
des
images.
A
l’instar
du
collaborateur,
le
participant
dévoile
au
photographe
une
part
de
son
vécu
;
mais
il
s’en
distingue
par
l’apprentissage
des
techniques
photographiques.
Il
partage
avec
lui
une
expérience
pratique
et
une
relative
quotidienneté.
Il
conceptualise
son
rapport
à
l’image
et
ce
qu’il
veut
exprimer.
A
la
différence
du
collaborateur
qui
n’est
impliqué
interstice
fut
utilisé
par
Karl
Marx
pour
qualifier
des
communautés
d’échanges
échappant
au
cadre
de
l’économie
capitaliste,
car
soustraites
à
la
loi
du
profit
:
troc,
ventes
à
perte,
productions
autarciques,
etc.
»
in
BOURRIAUD
Nicolas,
op.
cit.,
p.
16
8
«
Ce
terme
d’
14
que
dans
le
choix
du
contenu
de
l’image,
le
participant
produit
son
propre
travail
photographique
en
association
avec
le
photographe.
Le
mode
opératoire
du
photographe
est
lié
directement
aux
individus
auxquels
il
s’intéresse.
Le
travail
avec
une
population
fragmentée
d’individus
ne
permet
pas
d’utiliser
les
mêmes
procédures,
ni
de
produire
les
mêmes
formes
qu’avec
une
communauté
d’intérêt,
de
vie
ou
socioculturelle.
Certaines
études
ne
peuvent
exister
que
dans
une
relation
interindividuelle.
D’autres
existent
dans
une
relation
partagée
avec
toute
la
communauté.
L’enjeu
de
ces
modes
photographiques
est
de
trouver
les
dispositifs
adaptés
pour
produire
des
formes
qui
puissent
relier
entre
eux
les
membres
d’une
communauté
ou
permettre
le
passage
du
sujet
agent
au
sujet
acteur9.
La
création
du
dispositif
passe
par
une
écoute
et
un
échange
d’informations
préalable
à
toute
production
d’image.
La
relation
s’inscrit
dans
une
temporalité,
que
l’on
nommera
privilégiée,
et
dans
un
espace
géographique
variable.
La
disponibilité
du
photographe
doit
être
totale
pour
percevoir
les
relations
intersubjectives
du
sujet
et
les
mécanismes
sociaux
dans
lesquels
il
inscrit
son
action.
Par
là,
nous
signifions
bien
cette
différence
d’approche
que
des
écoles
sociologiques
contradictoires
mettent
en
œuvre
lorsqu’elles
s’attachent
à
analyser
les
comportements
humains.
Si
le
photographe
œuvre
au‐delà
des
débats
qui
animent
les
sciences
humaines
et
sociales
tout
en
tirant
profit
de
leurs
recherches,
il
situera
chez
un
sujet
ce
qui,
dans
une
situation
donnée,
relève
de
la
position
d’agent
et
dégage
néanmoins
sa
marge
de
manœuvre
en
tant
qu’acteur.
Le
photographe,
qui
ouvre
sa
pratique
à
pareil
positionnement
est
d’abord
un
observateur.
Il
cherche
à
voir
comment
vivent
les
individus
qui
ne
sont
encore
pour
lui
que
des
sujets
;
des
sujets
qu’il
voit
agir
et
mener
des
actions
:
des
sujets
qui
prennent
place
et
position.
Dans
ce
processus,
le
photographe
doit
lui
aussi
prendre
place,
accepter
un
certain
nombre
de
règles
du
jeu,
pour
ensuite
faire
de
sa
pratique
une
action
engageant
une
collectivité
d’individus.
Il
doit
faire
en
sorte
que
l’image
produite
dans
le
cadre
d’un
tel
processus
existe,
qu’elle
ait
du
sens
sur
le
plan
social,
présente
et
respecte
un
certain
ordre
des
9
«
A
l’objectivisme
impliqué
par
la
description
d’un
système
et
de
ses
structures
sous‐jacentes
[auquel
est
associé
le
concept
d’agent],
s’oppose
l’idée
générique
de
l’interactionnisme
symbolique
:
l’acteur
construit
la
situation.
Elle
n’est
pas
réductible
à
ses
composantes
objectives,
mais
résulte
du
réseau
de
significations
que
les
acteurs
impliqués
se
prêtent
les
uns
aux
autres
et
élaborent
aux
contacts
les
uns
des
autres»,
in
BERTHELOT
Jean‐Michel,
Sociologie.
Epistémologie
d'une
discipline
:
textes
fondamentaux,
De
Boeck
Université,
Bruxelles,
2000,
p.
34
15
choses
et
témoigne
de
choix
individuels
:
une
image
qui
dise
à
la
fois
la
norme
et
ce
qui
s’en
dégage.
Comme
dans
l’exemple
des
portraits
de
Marc
Pataut
auquel
nous
avons
fait
référence,
le
partage
et
la
diffusion
de
ces
images
sont
à
la
fois
adressés
au
public
qui
est
le
sujet
de
ses
images
mais
également
à
un
public
plus
large
appelant
des
mises
en
formes
spatiales
et
relationnelles
inhabituelles.
Il
ne
s’agit
pas
pour
l’artiste
de
subjuguer
le
spectateur
par
un
formalisme
plastique,
mais
de
l’amener
à
réfléchir
sur
l’information
délivrée
et
à
se
positionner
en
tant
qu’individu
conscient.
16
1.1.1 Coprésence
La
relation
du
photographe
avec
son
sujet
peut
être
un
acte
de
coprésence.
Le
photographe,
par
sa
présence
et
de
multiples
rencontres,
produit
des
images
qui
documentent
le
quotidien
et
les
spécificités
d’un
groupe
ou
d’une
communauté.
La
relation
avec
le
sujet
est
présente
dans
le
travail
;
mais
elle
n’implique
pas
l’échange
ou
la
collaboration
dans
le
cadre
d’un
atelier.
Pour
ses
premiers
travaux
hors
du
photojournalisme,
Gilles
Saussier
s’installe
au
Bangladesh
afin
de
vivre
au
plus
près
de
la
société
dans
laquelle
il
souhaite
opérer.
Le
temps
permet
l’analyse
des
relations,
d’évaluer
la
manière
qu’un
individu
a
de
se
mouvoir
et
de
se
comporter
pour
réussir
à
produire
des
images
photographiques
qui
puissent
faire
sens
dans
cette
société.
Gilles
Saussier
investit
pleinement
les
lieux
sur
lesquels
porte
son
regard.
Il
rencontre
les
personnes
et
apprend
à
les
connaître
tout
en
s’imprégnant
de
leur
culture.
Il
apprend
à
vivre
parmi
une
population
donnée
;
et
tel
un
sociologue
il
est
à
même
de
saisir
quelle
est
sa
place
en
tant
qu’observateur
participant
et
la
manière
dont
les
sujets
développent
leur
personnalité.
Ces
dernières
années,
il
a
répondu
à
des
commandes
de
plusieurs
villes
françaises
:
«
entre
mon
premier
séjour
à
Cherbourg
et
les
suivants,
j’avais
fait
la
connaissance
à
Nantes
du
sociologue
Jean‐Yves
Petiteau
–
connu
pour
son
travail
sur
les
«
itinéraires10
»
‐
et
à
Cherbourg
de
Lahcen
Engoubi,
un
jeune
adolescent
du
Sud
marocain
fraîchement
installé
dans
le
quartier
des
Provinces,
à
la
suite
d’un
regroupement
familial.
Je
m’étais
intéressé
à
la
façon
dont
lui
et
ses
amis
participant
au
même
cours
d’alphabétisation
s’étaient
appropriés
la
ville.
Quels
étaient
leurs
parcours
urbains
?
Comment
voyaient‐ils
la
place
du
Théâtre,
les
monuments
et
les
collections
du
musée
Emmanuel
Liais
?
Ces
itinéraires
des
quartiers
Est
vers
le
centre
ville
interrogeaient
la
nature
des
lieux.
La
place
du
Théâtre
devenait
«
le
lieu
pour
connaître
des
gens
»,
la
statue
de
Napoléon
«
le
monsieur
sur
le
cheval
»,
le
jardin
du
musée
Liais
«
l’endroit
des
arbres
qui
vivent
longtemps
».
Le
palmier
jubaca
spectabilis
qui,
ayant
résisté
au
gel
après
les
destructions
des
serres
en
1944,
vit
aujourd’hui
en
plein
air,
prenait
une
dimension
10
Concernant
la
notion
d’itinéraire,
cf
note
n°3
de
Gilles
SAUSSIER,
«
L’hospitalité
du
miroir
»,
in
Images
d’un
renouvellement
urbain.
Artistes
accueillis
en
résidence
à
Cherbourg,
Cherbourg,
Le
point
du
jour,
2008,
p.
106
17
nouvelle
;
tout
comme
un
petit
escalier
de
pierre
de
peu
de
relief
dans
lequel
Lahcen
aimait
voir
un
fragment
préservé
de
sa
maison
natale.
A
Nantes,
j’avais
déjà
eu
l’intuition
de
ces
dédoublements
d’espace.
Je
m’étais
rendu
compte
que
de
très
nombreux
locataires
de
cités
HLM
étaient
paradoxalement
propriétaires
de
résidences
secondaires.
L’espace
vécu
se
doublait
souvent
d’un
espace
projeté,
la
maison
du
«
bled
»
qu’on
bâtissait
à
distance.
Le
Sud
marocain
pouvait
être
lu
comme
un
arrière‐pays
nantais
ou
cherbourgeois.
Un
avenir
hypothétique
là‐bas
empêchait
de
vivre
pleinement
ici.
Mais
selon
des
modalités
conscientes
et
inconscientes,
ces
espaces
communiquaient.
Il
y
avait
de
l’écho,
des
résonnances.
J’imaginais
pouvoir
accompagner
Lahcen
lors
de
son
trajet
de
retour
au
bled,
confronter
la
typologie
des
lieux
ici
et
là‐bas,
mais
le
temps
de
cette
recherche
ne
coïncidait
plus
avec
celui
de
la
commande11
».
Cette
immersion
a
pour
conséquence
de
produire
une
information
qui
s’oppose
catégoriquement
à
la
chosification
de
l’imagerie
journalistique
classique.
La
personne
photographiée
n’est
pas
un
objet
au
sens
de
chose,
de
matière
iconique,
comme
elle
peut
l’être
parfois
dans
le
photojournalisme.
L’espace
informationnel
dans
lequel
le
photojournaliste
a
une
place
centrale
se
doit
d’être
détaillé
pour
comprendre
en
quoi
les
pratiques
photographiques
que
nous
étudions
s’en
distinguent.
L’image
du
photographe
parcourant
le
monde,
naviguant
de
crise
humanitaire
en
guerre,
s’est
imposée
tout
au
long
du
vingtième
siècle.
Les
mythes
du
reporter
héroïque
issu
de
la
guerre
du
Vietnam
et
des
conflits
des
années
dix
neuf
cent
soixante
dix
et
du
début
des
années
dix
neuf
cent
quatre
vingt
tendent
à
se
dissoudre
bien
que
l’image
du
photojournaliste
aujourd’hui
y
soit
encore
fortement
attachée.
Cependant
ce
créateur
travaille
plutôt
à
la
fabrication
de
son
mythe
personnel
qu’à
la
production
d’images
permettant
de
comprendre
la
complexité
des
situations
qu’il
illustre.
En
effet,
la
tradition
iconique
issue
de
la
peinture
et
des
grandes
images
de
presse
reste
la
norme
et
ralentit
le
développement
de
nouvelles
écritures.
Gilles
Saussier
s’exprime
avec
une
certaine
virulence
dans
le
numéro
71
de
la
revue
11
Ibid.,
pp.
100‐101
18
Communication
à
propos
de
la
répétition
stylistique
des
images
produites
par
les
photojournalistes,
notamment
durant
la
guerre
du
Golfe
en
Irak
(guerre
qu’il
a
couverte)
:
«
en
réalisant
un
concentré
saisissant
de
deux
images
célèbres,
prises
en
mille
neuf
cents
soixante
cinq
pendant
une
opération
militaire
héliporté
depuis
la
base
américaine
de
Da
Nang
par
Larry
Burrows,
David
Turnley
avait
su
éviter
à
la
profession
la
débâcle
iconographique
qui
aurait
été
de
ne
pas
trouver,
dans
la
guerre
du
Golfe,
une
seule
image
de
la
guerre
du
Vietnam.
Grâce
à
lui
un
fait
tout
à
fait
marginal
avait
été
transformé
en
une
image
symbole,
résumant
et
masquant
un
conflit
qui
a
surtout
couté
la
vie
à
des
milliers
de
pauvres
bougres
irakiens,
parfois
enterrés
vivant
dans
leur
tranchée
par
des
engins
de
terrassement.
Incidemment,
j’ai
découvert
que
la
perpétuation
de
nos
critères
iconographiques
pouvait
conduire
tout
droit
au
révisionnisme
et
à
la
falsification
de
l’histoire
12
».
Dès
son
fondement,
la
coopérative
Magnum,
par
son
positionnement,
a
impulsé
la
fin
de
l’asservissement
du
photojournaliste
au
rythme
imposé
par
l’actualité.
Elle
a
introduit
le
travail
de
reportage
au
long
cours
sur
une
thématique
choisie,
cette
démarche
est
devenu
une
gageure
du
photojournalisme.
L’agence
Viva
se
positionne
dans
les
années
dix
neuf
cent
soixante
dix
hors
du
spectaculaire
et
dans
la
proximité
en
produisant
un
long
travail
sur
la
thématique
de
la
famille
en
France.
Le
photojournaliste
devient
alors
reporter
de
fond.
La
durée
des
reportages
dans
lesquels
il
s’implique
s’allonge
sensiblement.
Pour
autant,
le
temps
investi,
parfois
sur
de
longues
périodes,
n’est
pas
mobilisé
pour
analyser
le
fonctionnement
des
sociétés
et
les
rapports
que
les
individus
entretiennent
entre
eux.
Le
temps
que
le
photojournaliste
passe
sur
le
lieu
de
son
reportage
crée
en
lui
l’illusion
de
paraître
inaperçu.
Ainsi,
croit‐il
mieux
photographier
la
vie
telle
qu’elle
est
vraiment.
Une
certaine
presse
et
certaines
agences
ont
contribué
dans
les
années
dix
neuf
cent
quatre
vingt
à
façonner
une
image
de
plus
en
plus
standardisée.
La
célébration
de
ces
photojournalistes
par
la
presse
a
limité
en
France
le
développement
de
la
photographie
documentaire.
En
effet,
le
reportage
humaniste
tel
que
le
pratique
les
membres
de
l’agence
Magnum
a
fortement
marqué
de
son
empreinte
le
vingtième
12
SAUSSIER
Gilles,
«
Situation
du
reportage.
Actualité
d’une
alternative
documentaire
»,
in
Communications,
n°71,
«
Le
parti
pris
du
document
»,
2001,
Paris,
Le
Seuil,
pp.
308‐309
19
siècle,
et
la
tradition
iconographique
de
la
presse.
Ces
images
se
caractérisent
par
leur
esthétisme
et
leur
aspect
spectaculaire.
En
contrepoint
de
cette
uniformisation,
d’autres
agences
telles
que
Viva
et
Vu
ont
développé
un
regard
photographique
qui
acquit
une
véritable
légitimation
dans
une
presse
exigeante.
A
titre
d’exemple,
citons
la
relation
étroite
entre
l’agence
Vu
et
le
quotidien
Libération.
Le
plasticité
des
images
séduit
mais
elle
masque
une
autre
réalité
plus
normative
:
celle
du
commerce
de
l’information…
Les
photojournalistes
semblent
vouloir
s’inscrire
dans
l’histoire
par
les
images
qu’ils
créent
mais
n’ont
éventuellement
que
de
la
compassion
pour
les
personnes
qu’ils
photographient.
D’après
Gilles
Saussier
:
«
pour
la
plupart
des
reporters,
la
présence
sur
le
terrain
va
de
soi,
au
nom
du
droit
à
l’information,
des
risques
qu’ils
prennent
ou
du
droit
qu’ils
s’arrogent
d’aller
au
bout
d’eux‐mêmes
et
de
leurs
dérives.
Rares
sont
ceux
qui,
comme
Don
Mc
Cullin,
concèdent
que
le
reportage
peut
être
avant
tout
un
mode
de
vie,
une
manière
de
trouver
dans
l’actualité
un
dérivatif
à
une
instabilité
personnelle
».
L’altérité
reste
une
matière
comme
une
autre,
rarement
écoutée.
Le
sujet
est
donc
un
objet
pour
le
photographe,
une
forme
chosifiée
dont
il
tire
une
image
pour
illustrer
des
articles
de
journaux
et
de
magazines.
L’image
journalistique
ne
s’intéresse
aux
sujets
photographiés
que
pour
donner
la
parole
au
texte
qui
la
vassalise.
Et
lorsqu’elle
acquiert
son
indépendance,
elle
ne
peut
aspirer
qu’à
une
relative
plasticité
de
valeurs
supposées
universelles.
Elles
ne
peuvent
choquer,
appeler
en
nous
une
construction,
une
pensée,
que
pour
mieux
révéler
leur
irréalité
car
notre
capacité
à
entendre
ces
images
se
limite
à
les
détourner
de
leur
véritable
réalité.
Se
référant
à
Henri
Cartier‐Bresson,
Gilles
Saussier
estime
que
«
le
bon
endroit
au
bon
moment
n’est
bon
que
pour
le
photographe
élu
et
ne
peut
être
envisagé
comme
le
lieu
d’un
partage
mais
plutôt
d’une
césure
avec
le
monde
extérieur13
».
L’image
journalistique
se
refuse
à
toute
expansion
de
l’image
à
son
contexte.
Elle
est
la
marque
d’une
profonde
fragmentation
non
seulement
parce
qu’elle
est
esseulée
mais
aussi
parce
qu’elle
renvoie
le
ou
les
sujets
dans
l’image
à
leur
solitude
:
ce
qu’ils
ne
disent
généralement
pas
lorsqu’ils
se
donnent
au
regard
de
l’opérateur.
L’imagerie
journalistique
illustre
donc
une
narration
événementielle
qui
permet
difficilement
de
les
comprendre
parce
qu’elle
13
SAUSSIER
Gilles,
«
L’hospitalité
du
miroir
»,
op.
cit.,
p.
103
20
est
impropre
à
rendre
compte
de
leur
complexité.
Pour
rendre
compte,
il
faut
tout
d’abord
sortir
l’image
de
sa
tentation
objective
;
il
faut
cesser
de
convertir
le
sujet
en
objet
d’un
réel
qui,
par
ce
glissement,
est
transformé
en
matière
iconique.
Il
faut
à
l’inverse
étirer
le
rapport
de
la
photographie
à
l’espace
et
au
temps
pour
donner
à
voir
tout
ce
qui
regarde
dans
une
photographie,
tous
ceux
qui
regardent
dans
une
image,
les
sujets
et
l’opérateur,
et
qui
constituent
la
véritable
complexité
de
son
rapport
au
réel.
En
2008,
à
l’occasion
de
l’ouverture
du
centre
d’art
Le
point
du
Jour14,
Gilles
Saussier
concrétisa
sa
proposition
répondant
à
la
commande
de
la
ville
de
Cherbourg
et
fit
circuler
dans
cette
ville
une
chambre
miroir
:
«
un
habitacle
de
deux
mètres
de
haut
par
trois
mètres
de
large,
dont
un
côté
seulement
présentait
une
surface
en
film
miroir
sans
tain.
Nous
l’installâmes
d’abord
à
proximité
du
canal
de
retenue,
puis
en
centre‐ville,
enfin
le
dernier
jour
sur
le
marché
des
Provinces
où
je
trouvais
Lahcen.
J’avais
imaginé
faire
l’essentiel
des
prises
de
vue
depuis
l’intérieur,
à
travers
la
paroi
sans
tain,
mais
il
m’apparut
très
vite
–
et
ce
fut
un
soulagement
–
que
la
chambre
miroir
était
plus
intéressante
à
utiliser
pour
photographier
de
l’extérieur.
Poussée
dans
les
rues
du
centre‐ville,
elle
recomposait
en
effet,
et
le
paysage
urbain
et
les
perspectives.
A
la
manière
d’un
studio
ambulant,
elle
permettait
surtout
à
tout
passant
de
poser
devant
le
miroir.
Pour
moi,
cette
ouverture
du
portrait
à
quiconque
apparaissait
dans
l’espace
public,
n’était
pas
sans
susciter
de
fortes
réminiscences
:
dans
Shakhari
bazar,
j’étais
parfois
parvenu
à
faire
du
portrait
une
réponse
14
«
En
novembre
2008,
une
nouvelle
institution
culturelle
est
née
à
Cherbourg
(…)
"
Le
Point
du
jour
"
offre
de
nombreuses
particularités.
La
première
est
d'être
exclusivement
tourné
vers
la
photographie
et
de
mener
à
part
égale
une
activité
d'édition
et
d'exposition.
La
deuxième
est
d'obéir
à
une
direction
collégiale
de
trois
personnes
‐
Béatrice
Didier,
David
Barriet
et
David
Benassayag,
qui
œuvrent
ensemble
depuis
plus
de
dix
ans.
La
troisième
est
de
s'inscrire
dans
un
bâtiment
radical,
revêtu
d'une
couverture
métallique
qui
reflète
les
couleurs
changeantes
du
ciel,
conçu
par
l'architecte
Eric
Lapierre.
La
dernière,
et
non
la
moindre,
est
d'être
entièrement
financée
par
les
collectivités,
locales
et
régionales,
à
un
moment
où
le
contexte
économique
est
particulièrement
rude.
La
ville
de
Cherbourg,
lancée
dans
une
opération
de
renouvellement
urbain,
a
donc
pris
le
parti
de
miser
sur
la
photographie,
pour
revitaliser
non
seulement
un
quartier
mais
aussi
un
tissu
culturel,
des
liens
entre
les
gens,
l'attachement
à
un
territoire.
Il
ne
s'agit
pas
de
n'importe
quelle
photographie
puisque
"
Le
Point
du
jour
"
privilégie
une
photo
du
réel,
en
prise
directe
sur
le
monde,
tout
en
refusant
de
se
limiter
au
seul
photoreportage.
Le
lieu
accueille
toutes
formes
de
pratiques
:
narrative,
intimiste,
documentaire,
hybride
parfois
quand
elles
mixent
photo
et
vidéo,
photo
et
installation.
»
URL
:
http://sites.radiofrance.fr/chaines/franceculture/programmes/index.php?time=1241992800.
Consulté
le
11/05/09
21
inconditionnelle
à
la
rencontre
d’autrui
et
un
pur
geste
d’hospitalité15.
Avec
cette
différence
que
les
personnes
photographiées
ne
fixaient
plus
mon
objectif,
mais
composaient
avec
leur
propre
image
dans
le
miroir.
Moments
de
face
à
face,
et
d’inscription
de
soi
dans
le
miroir
de
la
ville
en
mouvement,
que
je
regarde
comme
les
véritables
négatifs
de
ces
photographies16
».
15
Concernant
le
concept
d’hospitalité,
cf.
note
n°9
Gilles
SAUSSIER,
«
L’hospitalité
du
miroir
»,
op.
cit.,
p.
106
16
Ibid.,
pp.
105‐106
22
Fig.
2
SAUSSIER
Gilles,
rue
Carnot,
Cherbourg‐Octeville,
2008,
in
Images
d’un
renouvellement
urbain.
Artistes
accueillis
en
résidence
à
Cherbourg,
Cherbourg,
Le
point
du
jour,
2008,
p.
101
23
Fig.
3
SAUSSIER
Gilles,
place
centrale,
Cherbourg‐Octeville,
2008,
ibid,
p.
104
24
Ailleurs,
«
la
forme
artistique
du
documentaire
(…)
tel
que
Gilles
Saussier
la
pratique
est
une
forme
nouvelle
que
l’on
invente
dans
la
confrontation
avec
le
sujet17
».
Dans
le
travail
Shakhari
Bazar18,
Gilles
Saussier
organise
une
exposition
des
photographies
qu’il
a
réalisées,
les
donne
aux
personnes
après
les
avoir
photographiées
avec
leur
propre
portrait.
Il
établit
un
registre
avec
les
adresses
des
propriétaires
des
images.
L’exposition
est
ici
le
point
de
départ
du
travail
:
il
rend
ensuite
visite
sur
plusieurs
années
à
ces
personnes
et
à
ses
images.
«
La
photographie
devient
une
tentative
de
se
faire
une
histoire
commune
avec
les
autres,
avec
les
gens
dont
on
ne
fait
pas
l’histoire19
».
Dans
la
coprésence,
quelques
soient
les
modalités
choisies
par
Gilles
Saussier,
son
travail
s’apparente
à
la
conception
classique
de
l’autorité
photographique
:
le
photographe
reste
le
maitre
d’œuvre
de
son
dispositif
et
des
images
produites.
Par
contre,
en
aval
du
processus,
«
l’auteur
met
[les
images]
en
espace
dans
le
champ
des
pratiques
sociales20».
Les
photographies
disséminées
dans
la
rue
acquièrent
une
valeur
d’usage.
Elles
sont
intégrées
à
l’imagerie
familiale
et
collective.
Elles
deviennent
le
modèle
à
un
autre
type
d’image
:
des
portraits
peints
d’un
ou
plusieurs
membres
de
la
famille.
Ces
images
sont
doublement
mises
en
abyme,
littéralement
dans
l’image
elle‐même
et
matière
à
reproduire
pour
le
peintre
portraitiste
local
:
«
La
confrontation
avec
autrui
peut
être
entendue
au‐delà
de
la
simple
temporalité
de
17
SAUSSIER
Gilles,
«
Situation
du
reportage,
actualité
d’une
alternative
documentaire
»,
op.cit.,
p.
319
Shakhari
bazar,
dernière
poche
de
diversité
culturelle
et
religieuse
de
Dhaka,
capitale
du
Bangladesh.
Elle
se
composait
de
portraits
d'habitants,
restes
inutiles
d'un
reportage
mené
en
1995/96.
Le
dernier
jour,
les
photographies
furent
distribuées
aux
habitants,
chacun
emportant
son
portrait.
En
2001
et
2004,
Saussier
documente
la
dissémination
de
ses
images
dans
les
boutiques
et
les
intérieurs.
À
cette
occasion,
il
distribue
également
des
portraits
réalisés
lors
de
l'exposition
de
1997,
qui
représentent
des
habitants
tenant
à
la
main
leur
portrait
de
1995/96.
Ces
couches
d'images
superposées
forment
le
fil
conducteur
d'un
processus
d'une
dizaine
d'années
‐
Saussier
étant
revenu
une
dernière
fois
en
2006
‐
qui
paraît
épouser
le
rythme
de
cette
rue‐méandre.
À
travers
des
textes
au
fil
de
l'ouvrage,
Saussier
évoque
le
présent
et
l'histoire
de
Shakhari
bazar,
l'évolution
et
les
modalités
de
son
propre
travail.
»
URL
:
http://www.lepointdujour.eu/fr/studio_shakhari_bazar.
Consulté
le
8/04/09
18
«
Ce
projet
débute
en
1997
par
une
exposition
sous
chapiteau
dans
19
PILVEN
Marguerite,
«
Gilles
Saussier.
Envers
des
villes,
endroit
des
corps
»,
URL
:
http://www.paris‐
art.com/photo/critiques/d_critique/Gilles‐Saussier‐Envers‐des‐villes‐endroit‐des‐corps‐2360.html.
Consulté
le
25
février
2009
20
SAUSSIER
Gilles,
CHEREL
Emmanuelle,
«
La
place
de
l’auteur
et
du
spectateur
dans
la
photographie
documentaire
»,
in
Document
3,
2006,
«
Le
statut
de
l’auteur
dans
l’image
documentaire
:
signature
du
neutre
»,
Paris,
Edition
du
Jeu
de
Paume,
p.
17
25
la
prise
de
vue,
jusqu’à
la
réception
du
travail
photographique
(publication,
exposition…
)
et
sa
mise
en
abyme21
».
Abordons
à
présent
les
pratiques
collaboratives
et
participatives
qui
se
distinguent
de
la
co‐présence
adoptée
par
Gilles
Saussier.
21
Ibid.,
p.
20
26
1.1.2 Collaboration
Pour
situer
le
mode
de
la
collaboration
dans
le
style
documentaire,
nous
nous
baserons
sur
la
commande
passée
par
l’association
Peuple
et
Culture
Corrèze
au
photographe
Marc
Pataut.
Cette
association
fait
appel
à
des
artistes
visuels
pour
recréer
du
lien
social
et
inciter
au
dialogue
citoyen.
Marc
Pataut
invite
l’ensemble
des
personnes
qui
le
souhaitent,
à
travers
différentes
réunions,
à
exprimer
leur
rapport
intime
au
territoire
ainsi
que
la
manière
dont
ils
envisagent
cet
espace
de
vie
et
de
partage.
Dans
le
même
temps,
il
invite
son
commanditaire
à
réfléchir
avec
lui
sur
les
enjeux
socio‐économiques
et
politiques
de
ce
territoire
«
dans
un
mouvement
qui
cherche
à
réactualiser
les
ambitions
de
l’éducation
fondée
dans
le
cas
de
Peuple
et
Culture
sur
le
postulat
de
la
culture
comme
force
politique
autonome.
Qu’est
ce
que
cela
veut
dire
?
Que
les
pratiques
artistiques
soient
non
seulement
mises
à
la
portée
de
leurs
publics,
mais
qu’elles
soient
appropriées
par
eux,
afin
que
la
transformation
matérielle
et
symbolique
du
réel
que
tout
art
implique,
devienne
un
apprentissage
actif
de
la
transformation
de
l’existence22».
Une
collaboration
s’établit
alors
et
regroupe
ainsi
les
différents
collaborateurs.
L’enjeu
est
de
rendre
visible
le
territoire
corrézien
et
d’interroger
son
fonctionnement.
La
première
année
du
travail
de
Marc
Pataut
à
Tulle
est
organisée
en
plusieurs
périodes
durant
lesquelles
il
rencontre
les
habitants.
Il
recueille
des
témoignages,
accumule
une
matière,
qui
lui
permettra
ensuite,
une
fois
celle‐ci
comprise,
de
créer
des
images.
La
compréhension
de
l’information
qui
lui
est
donnée
par
les
habitants
nécessite
une
année
complète.
Le
photographe,
«
comme
toujours,
propose
un
dialogue,
une
expérience23
»,
investit
à
la
fois
le
commanditaire
et
le
public
par
des
réunions
qui
permettent
d’identifier
des
22
HOLMES
Brian,
«
Le
Pays
de
la
politique
et
de
la
poésie,
aux
sources
de
la
Parole
dans
le
pays
de
Tulle
».
URL
:
http://www.cerclegramsci.org/archives/holmes.htm.
Consulté
le
17/02/2009
23
GUERRIN
Michel,
«
Marc
Pataut,
photographe
de
l'urgence
sociale
»,
in
Paris
Le
Monde,
23
Août
1998,
27
thématiques.
Le
travail
artistique
devient
un
acte,
son
expérience
est
un
processus
ouvert.
Le
photographe
prend
connaissance
des
personnalités
qui
émergent
de
chacune
des
réunions,
il
dialogue
et
débat
avec
eux.
En
cela
commence
son
travail.
Marc
Pataut
situe
son
action
dans
le
cadre
du
débat
public
et
assimile
la
possibilité
du
conflit
comme
moteur
du
développement
de
son
projet.
Ces
réunions
permettent
de
dégager
les
axes
sur
lesquels
portera
sa
résidence.
28
1.1.3 Participation
Problématiser,
telle
est
l’approche
du
photographe
qui
cherche
à
convertir
son
sujet
en
acteur.
Le
sujet
n’est
plus
seulement
associé
au
processus
réflexif
qui
aboutit
à
la
création
d’images,
il
en
devient
l’un
des
opérateurs.
Cette
pratique
permet
ainsi
à
une
population
choisie
de
s’exprimer
à
travers
la
photographie.
Elle
est
généralement
l’initiative
d’un
ou
plusieurs
photographes,
ces
projets
sont
parfois
soutenus
par
des
Organisations
Non
Gouvernementales
et
existent
dans
le
cadre
de
projets
socio‐
éducatifs.
La
participation
en
photographie24
donne
les
moyens
au
sujet
d’accéder
à
une
pratique
qui
lui
permet
de
prendre
une
distance
critique
par
rapport
à
son
quotidien.
Les
pratiques
existantes
limitent
parfois
le
rôle
des
participants
à
la
prise
de
vue.
Dans
le
projet
d’atelier
de
photographie
participative
que
Yto
Barrada,
Anaïs
Masson
et
Maxence
Rifflet25
ont
mené
entre
Marseille
et
Tanger,
il
s’agit
bien
de
travailler
avec
le
participant
à
la
prise
de
vue,
mais
aussi
au
choix
et
à
l’organisation
des
images.
Un
tel
travail
favorise
la
prise
de
conscience
des
sujets
à
l’égard
de
la
prise
de
vue,
laissant
apparaître
ce
qui
dans
le
regard
de
l’autre
fait
sens
et
ce
qui
en
retour
passerait
inaperçu
aux
yeux
du
photographe.
La
photographie
a
ainsi
pour
conséquence
la
constitution
d’un
corpus
d’images
qui
de
prime
abord
peut
étonner
par
son
hétérogénéité,
son
caractère
fragmentaire,
propre
à
générer
une
lecture
ambivalente
de
l’objet
photographique.
Toutefois
une
telle
hétérogénéité,
une
fois
dépassée
cette
première
impression,
révèle
l’atomisation
qui
caractérise
aujourd’hui
notre
époque.
Le
principe
égalitariste
qui
préside
à
l’initiative
participative
met
en
relief
l’individualité
des
regards,
en
De
la
collaboration
en
photographie,
mémoire
de
fin
d’études
sous
la
direction
de
M.
Michel
Guerrin
et
de
M.
Bernard
Lemelle,
Noisy‐le‐Grand,
Ecole
Nationale
Supérieure
Louis‐Lumière,
Section
photographie,
2005,
117
p.
24
Pour
une
analyse
de
la
photographie
participative
:
EID‐SABBAGH
Yasmine,
25
Ce
projet
met
en
place
un
échange
d’images
entre
deux
ateliers
de
photographie
participative
réalisés
entre
de
jeunes
adolescents,
en
situation
irrégulières
à
Marseille
et
des
adolescents
des
rues
à
Tanger,
prêts
à
tenter
la
traversée
la
Méditerranée
pour
rejoindre
la
terre
promise
française.
Le
livre
duquel
nous
tirerons
ces
informations
s’intitule
Fais
un
fils
et
jettes‐le
à
la
mer.
Dorénavant,
nous
utiliserons
ce
titre
pour
signifier
les
expériences
de
cet
atelier.
29
somme
la
liberté
de
jugement
du
sujet
:
la
possibilité
d’être
acteur
sur
le
plan
sociologique.
L’acte
photographique
agit
ainsi
à
deux
niveaux.
Il
permet
de
construire
le
regard
des
sujets
;
et
les
images
qui
en
résultent
leur
renvoient
leur
propre
regard.
L’acte
est
devenu
dialectique
:
le
regard
produit
est
réactivé
par
le
créateur
d’une
image
dont
il
reste
le
sujet.
Le
regard
se
trouve
à
son
tour
déplacé.
Il
provoque
la
réaction
de
celui
qui
le
produit
et
qui
pourrait
à
nouveau
agir
sur
cette
première
image.
L’image
pourrait
être
ainsi
prolongée
par
de
multiples
vagues
d’analyse
et
de
modification.
A
l’instar
du
mode
de
la
collaboration,
le
photographe
apporte
sa
connaissance
du
médium,
propose
des
pistes
de
travail,
et
questionne
un
certain
nombre
de
choix
dans
la
création
des
images.
L’image
pourrait
en
fin
de
compte
être
modifiée
dans
sa
construction
ou
dans
sa
composition
et
prendre
parallèlement
une
valeur
d’usage
comme
nous
l’indiquions
précédemment
dans
le
cas
de
Shakhari
Bazar
de
Gilles
Saussier.
Et
ceci
jusqu’à
l’épuisement
de
la
capacité
du
sujet
de
mobiliser
son
propre
regard
(et
éventuellement
celui
d’autres
personnes
pouvant
s’agréger
tout
au
long
du
processus).
En
effet,
dans
le
cadre
d’ateliers
participatifs,
l’image
est
commentée,
débattue,
elle
sert
d’appui
à
la
création
d’autres
images
qui
parfois
satisferont
ou
non
davantage
les
sujets.
Ce
prolongement
de
l’image,
réactivé
successivement,
peut
à
l’extrême
aboutir
à
un
désœuvrement,
à
sa
propre
consumation.
Le
mode
collectif
pourrait
alors
être
le
mieux
approprié
pour
donner
une
identité
à
l’image.
La
collectivité,
en
tant
que
terme,
dit
en
effet
beaucoup
mieux
cette
impossibilité
d’indiquer
comment
le
regard
se
construit
dès
lors
qu’il
est
produit
à
long
terme
et
à
plusieurs
;
et
que
cette
multitude
peut
également
assimiler
l’apport
des
gestes
anonymes.
Si
l’image
dialectisée
est
réactivée
au
delà
de
son
périmètre
d’autorité
initiale,
si
elle
devient
en
quelque
sorte
photo
trouvée26,
si
elle
est
récupérée,
Photo
trouvée,
Paris,
Phaïdon,
2006,
320
p.
26
FRIZOT
Michel,
DE
VEIGY
Cédric,
30
recyclée,
détournée,
mise
à
profit,
bref
si
elle
prend
de
multiples
valeurs
d’usages,
si
elles
est
mise
en
abyme,
se
demander
quel
est
l’auteur
est
il
tout
simplement
envisageable
?
En
effet,
alors
que
le
protocole
de
création
de
Gilles
Saussier
définit
le
mode
de
la
coprésence,
par
un
glissement
que
le
photographe
ne
pouvait
prévoir,
l’image
récupérée
par
les
sujets
échappe
à
son
autorité.
Elle
devient
le
modèle
d’autres
images,
des
portraits
que
d’autres
peignent
:
une
chaine
documentaire
se
met
en
place.
L’image
n’a
plus
une
valeur
photojournalistique,
mais
un
sens
pour
la
population
elle‐même,
elle
contribue
à
entretenir
et
à
regénérer
l’imagerie
collective.
En
cela,
le
travail
de
Gilles
Saussier
dans
Shakhari
Bazar
est
au
départ
un
travail
conscient
de
coprésence
et
devient
à
posteriori
la
marque
d’une
participation
réussie.
Même
si
nous
définissons
les
notions
de
coprésence,
collaboration
et
participation
théoriquement,
dans
la
pratique
celles‐ci
sont
poreuses.
L’intégration
des
images
à
l’usage
local
peut
renverser
ces
méthodes
pour
entrer
dans
la
mémoire
collective
car
la
valeur
d’usage
des
images
dépasse
le
cadre
formel
des
méthodes
adoptées
par
le
photographe.
L’acte
photographique
allie
désormais
l’individu
et
le
collectif,
l’acte
et
l’agissement,
la
liberté
et
l’égalité,
il
acquiert
une
valeur
d’usage
et
s’inscrit
dans
le
champ
du
politique,
dans
l’espace
et
le
temps.
31
1.2 Une
temporalité
et
spatialité
particulières
:
Les
formes
que
nous
étudions
pratiquent
«
un
découpage
des
temps
et
des
espaces,
du
visible
et
de
l'invisible,
de
la
parole
et
du
bruit
qui
définit
à
la
fois
le
lieu
et
l'enjeu
de
la
politique
comme
forme
d'expérience.
La
politique
porte
sur
ce
qu'on
voit
et
sur
ce
qu'on
peut
en
dire,
sur
qui
a
la
compétence
pour
voir
et
la
qualité
pour
dire,
sur
les
propriétés
des
espaces
et
les
possibles
du
temps27.
»
1.2.1 Donner
le
temps
«
Le
temps
est
le
support
nécessaire
de
tous
nos
échanges
(…)
»
LARCEBEAU
Jacques,
«
Echange
et
lien
social.
Le
temps,
dimension
fondamentale
des
relations
interpersonnelles
»,
in
La
revue
du
M.A.U.S.S.,
n°8,
deuxième
semestre
1996,
p.
197
Le
temps
est
fondamental
dans
toute
relation
humaine,
un
pré‐requis
à
tout
travail
documentaire.
Les
photographes
que
nous
étudions,
Marc
Pataut,
Gilles
Saussier,
Yto
Barrada,
Anaïs
Masson
et
Maxence
Rifflet,
se
positionnent
tous
dans
une
temporalité
privilégiée.
Les
échanges
engagés
entre
les
différents
producteurs
d’images
nécessitent
eux‐mêmes
une
véritable
durée
partagée.
Leurs
travaux
se
déploient
dans
une
temporalité
longue
(trois
ans
au
minimum28)
:
les
photographes
se
rapprochent
de
la
temporalité
du
chercheur
et
en
particulier
des
méthodes
sociologiques
pour
produire
un
véritable
travail
photographique
médiateur.
Le
partage
du
sensible.
Esthétique
politique,
Paris,
La
fabrique,
2000,
p.
13
27
RANCIERE
Jacques,
Studio
Shakhari
Bazar
de
Gilles
Saussier
s’est
réalisé
de
1997
à
2006.
A
Tulle,
Marc
Pataut
travaille
de
1998
à
2001.
L’atelier
participatif
Fais
un
fils
et
jette‐le
à
la
mer
de
Yto
Barrada,
Anaïs
Masson
et
Maxence
Rifflet
s’est
développé
de
2001
à
2003.
28
Le
projet
32
La
construction
de
la
relation
se
décline
en
trois
niveaux
différents
pour
le
photographe.
‐
la
construction
d’une
relation
avec
le
sujet,
c’est
à
dire
avec
l’individu
ou
le
groupe
d’individus
avec
lequel
il
travaille.
‐
Le
photographe
s’entoure
d’une
équipe
avec
laquelle
il
travaille.
Ces
relations
ne
sont
pas
liées
directement
à
la
matière
artistique.
C’est
le
cas
du
collectif
Ne
Pas
Plier
et
de
Marc
Pataut.
Elle
ne
relève
donc
pas
de
la
relation
au
sujet
et
se
situent
au
niveau
professionnel.
‐
Dans
d’autres
cas,
le
photographe
noue
des
relations
avec
d’autres
professionnels
et
des
personnes
issues
de
la
société
civile.
Gilles
Saussier
convie
par
exemple
le
sociologue
Jean‐Yves
Petiteau
à
réfléchir
au
développement
de
quelques
uns
de
ses
projets29
ou
encore
l’historienne
Emmanuelle
Chérel
à
compléter
son
approche
théorique30.
Traditionnellement
caractérisé
par
son
indépendance
et
l’expression
d’une
forte
individualité,
voire
d’un
individualisme
certain,
le
travail
du
photographe
se
déploie
à
travers
un
réseau
relationnel
dense,
dont
il
est
à
la
fois
acteur
et
agent.
Acteur,
il
définit
l’amorce
d’un
projet
et
continue
à
l’encadrer.
Agent,
il
accepte
en
retour
que
les
images
produites
excèdent
le
périmètre
de
son
intervention.
29
SAUSSIER
Gilles
«
L’hospitalité
du
miroir
»,
in
op.
cit
.,
p.
100
30
CHEREL
Emmanuelle,
SAUSSIER
Gilles,
«
Retourner
l’actualité,
une
lecture
du
Tableau
de
chasse
»,
in
MOREL
Gaëlle,
Photojournalisme
et
Art
Contemporain.
Les
derniers
tableaux,
Paris,
Editions
des
archives
contemporaines,
2008,
pp.
25‐44
33
Gilles
Saussier
collabore
régulièrement
avec
des
graphistes
et
des
scénographes.
La
mise
en
page
et
en
exposition
de
Living
in
the
fringe,
par
l’extrême
proximité
entre
texte
et
image,
prolongeant
en
cela
le
dispositif
journalistique,
pose
le
témoignage
comme
élément
indissociable
de
l’image.
Les
images
sont
composées
essentiellement
de
portraits
resserrés
des
personnes.
Cependant
il
s’éloigne
du
photojournalisme
par
la
nature
de
son
regard
et
le
contenu
des
textes31.
Son
choix
est
de
maitriser
sa
production
et
la
construction
de
celle‐ci.
Pour
ce
faire,
il
s’entoure
de
professionnels
selon
les
média
qu’il
utilise.
31
Comme
le
précise
Gilles
Saussier
:
«
tous
mes
portraits
ont
été
précédés
d’entretiens
menés
selon
un
même
questionnaire
très
rudimentaire
:
quel
est
votre
nom
?
Quel
est
votre
âge
?
Avez‐vous
une
famille
?
Depuis
combien
de
temps
habitez
vous
ici
?
Possédez‐vous
de
la
terre
?
Etes‐vous
allé
à
l’école
?
Avez‐vous
jamais
été
confronté
à
la
menace
de
l’eau
?
Les
portraits
retenus
dans
le
livre
satisfont
à
des
critères
de
qualité
d’image
mais
aussi
de
témoignage.
L’un
ne
va
pas
sans
l’autre.
La
surface
sensible
n’est
jamais
pour
moi
à
l’intérieur
(dans
l’appareil
photo,
dans
la
machine,
dans
la
tête
du
photographe)
mais
à
l’extérieur,
dans
l’espace
commun
construit
par
la
collecte
d’informations
et
de
témoignages.
Parce
qu’elle
ne
fournit
pas
seulement
de
l’information
visuelle
mais
propose,
davantage
une
vision
informée,
la
photographie
documentaire
est
tout
autant
un
travail
de
prise
que
de
déprise
des
images.»,
in
SAUSSIER
Gilles,
«
Situation
du
reportage.
Actualité
d’une
alternative
documentaire
»,
op.
cit.,
p.
318
34
Fig.
4
SAUSSIER
Gilles,
Living
in
the
fringe
,
Paris,
Association
figura,
1998,
couverture
et
p.
45
De
son
coté,
Marc
Pataut32
travaille
régulièrement
avec
le
graphiste
Gérard
Paris‐Clavel
avec
lequel
il
a
créé
le
collectif
de
création
graphique
et
visuel
Ne
pas
plier.
Ce
collectif
se
construit
dans
un
partage
du
sensible33
et
de
la
réflexion
pour
mieux
créer
ensemble.
Le
collectif
Ne
Pas
Plier
regroupe
également
Isabel
De
Bary
(Directrice34)
et
de
nombreuses
autres
personnes
:
sociologues,
philosophes,
responsables
et
membres
d’associations,
et
toute
autre
personne
issue
de
la
société
civile35.
Les
multiples
réseaux
Ne
pas
plier
en
1990
avec
Gérard
Paris
Clavel
et
Vincent
Perrottet.
Il
a
quitté
ce
collectif
en
1994.
Son
désir
de
travailler
plus
près
du
monde
de
l’art
l’a
éloigné
des
enjeux
purement
politiques
du
collectif.
Ne
pas
plier
est
une
association
d’éducation
populaire.
32
Marc
Pataut
a
fondé
33
RANCIERE
Jacques,
Le
partage
du
sensible.
Esthétique
et
politique,
Paris,
La
Fabrique,
2000,
74
p.
34
Isabel
de
Bary
assume
les
différentes
fonctions
de
responsable
associatif,
coordinatrice,
organisatrice
d’évènements
publics,
etc.,
cf.
entretien
de
l’auteur
avec
Isabel
de
Bary
réalisé
le
5
mai
2009
dans
les
locaux
de
Ne
pas
plier
à
Ivry
sur
Seine
94.
35
Les
membres
du
conseil
d'administration
sont
:
Raoul
Sangla
(réalisateur),
Bruno
Lavaux
(expert
comptable),
Thierry
Sarfis
(graphiste),
Françis
Lacloche
(consultant
et
scénographe),
Gilles
Paté
(artiste
plasticien,
vidéaste),
Jérôme
Bourdieu
(économiste),
Franck
Poupeau
(sociologue),
Gérard
Paris‐Clavel
35
relationnels
liés
à
leurs
activités
artistiques
et
politiques
ont
contribué
à
former
divers
cercles
de
publics,
de
collaborateurs
(intervenant
sur
des
durées
variables)
et
d’associations
d’éducation
populaire36,
dont
l’Association
Pour
l’Emploi,
l’Information
et
la
Solidarité
des
chômeurs
et
travailleurs
précaires
(APEIS37).
Le
collectif
est
également
entouré
de
théoriciens
et
critiques
d’art
comme
Brian
Holmes38.
Le
public
est
multiple.
Il
est
composé
d’acteurs
des
différentes
propositions
du
collectif.
Les
liens
créés
dans
le
cadre
de
ces
pratiques
longues
se
déploient
dans
le
temps
et
débouchent
sur
des
amitiés
durables.
(graphiste
social),
Gérald
Goarnisson
(employé
territorial
à
l'OPH
d'ivry),
Isabel
de
Bary
(permanente
de
l'association
et
directrice).
Trois
cents
personnes
composent
le
réseau
actif
de
Ne
Pas
Plier.
Ne
pas
plier
mène
des
projets
en
2008‐2009
avec
plusieurs
associations
d’éducation
populaire
:
Travail
et
culture
à
Roubaix;
Peuple
et
culture
à
Tulle
et
l'Association
Messine
Interfédérale
Solidaire
Metz‐Nord
Patrotte
(AMIS)
de
Metz.
Des
travaux
sont
menés
avec
des
associations
d’éducation
politique
comme
Solidaire.
36
37
«
L’association
APEIS
a
été
créée
en
1987
pour
lutter
contre
le
non‐respect
des
droits
des
chômeurs
et
en
particulier
la
non
attribution
par
les
ASSEDIC
des
aides
matérielles
du
fonds
social
auxquelles
les
chômeurs
pouvaient
prétendre.
La
succession
des
batailles
que
nous
avons
menées
depuis
15
ans
a
permis
de
développer
un
mouvement
des
chômeurs
aujourd’hui
reconnu
et
permettant,
enfin,
que
les
chômeurs
prennent
la
parole,
expriment
leur
ras‐le‐bol,
témoignent
du
parcours
du
combattant
que
représente
cette
situation
de
misère
et
d’exclusion.
Notre
association
joue
un
rôle
de
révélateur,
de
poil
à
gratter
social,
de
contre‐pouvoir,
d’empêcheur
de
ronronner
même
si
cela
dérange,
surtout
si
cela
dérange.
Ce
que
nous
portons,
ce
que
nous
révélons
n’est
pas
à
la
marge.
Quand
nous
luttons
pour
que
chacune
et
chacun
aient
un
rôle,
une
place
dans
cette
société,
ce
n’est
pas
pour
demander
un
quelconque
statut
de
pauvre
ou
de
chômeur,
mais
pour
exiger
l’égalité
d’accès
aux
droits
et
aux
chances
pour
tous.
»
De
très
nombreuses
actions
ont
été
menées
par
Ne
Pas
Plier
et
l’APEIS
dans
le
cadre
de
manifestations.
Ils
utilisent
très
fréquemment
des
banderoles,
des
supports
autocollants,
des
slogans
imprimés
sur
papier
cartonné
format
carte
postale.
Ils
utilisent
parfois
des
photographies,
comme
pour
le
dispositif
«
image
en
vie
»
depuis
1992.
Ne
pas
plier
réalise
en
collaboration
avec
l’APEIS
le
journal
Existence.
Le
réseau
de
Ne
Pas
Plier
est
mis
à
contribution
pour
participer
à
la
rédaction
à
travers
des
images
et
des
textes.
Association
Pour
l’Emploi,
l’Information
et
la
Solidarité
des
chômeurs
et
travailleurs
précaires,
URL
:
http://www.apeis.org//
Consulté
le
17/04/2009.
38
Brian
Holmes
est
critique
d’art,
essayiste
et
traducteur.
Il
s’intéresse
aux
croisements
entre
art,
économie
politique
et
mouvements
sociaux.
Il
fut
membre
du
groupe
d’art
graphique
Ne
pas
plier
de
1999
à
2001,
URL
:
http://multitudes.samizdat.net/_Holmes‐Brian_
Consulté
le
1/03/09.
URL
:
http://brianholmes.wordpress.com/
Consulté
le
1/03/09
36
Fig.
5
Page
extraite
du
journal
Existence.
Acte
du
premier
festival
Ne
pas
plier,
Paris,
2001,
n.p.
37
La
définition
de
l’éducation
populaire
permet
de
mieux
comprendre
les
enjeux
qui
animent
la
démarche
de
Ne
pas
plier.
L’éducation
populaire
est
«
une
action
culturelle
de
résistance
aux
lieux
communs
et
à
toutes
les
oppressions.
Elle
part
des
vécus
et
des
expériences
de
chacun
et
développe
collectivement,
par
des
démarches
critiques
et
créatives
choisies,
l’émancipation
de
tous
les
hommes39».
Le
collectif
Ne
Pas
Plier
existe
depuis
1990.
Cette
longévité
a
permis
à
l’association
de
constituer
un
réseau
dense
de
collaborateurs
au
fur
et
à
mesure
des
expositions
et
des
actions
menées
dans
l’espace
public.
Les
différents
réseaux
de
publics,
de
collaborateurs
et
d’associations
coexistent,
reliés
par
les
différents
membres
qui
font
partie
de
plusieurs
cercles
de
relation.
Gérard
Paris‐Clavel
exprime
certaines
exigences
éthiques
et
utopiques
du
collectif
:
«
la
nécessité
de
la
proximité,
l’urgence
de
prendre
le
temps40
».
Il
explique
ainsi
sa
relation
au
temps
et
aux
personnes
avec
lesquels
il
travaille
:
«
Finalement,
tout
en
étant
parmi
les
gens,
je
n’avais
eu
que
peu
d’occasions
de
travailler
en
direct
avec
eux.
Je
travaillais
par
l’intermédiaire
de
leurs
représentants
syndicaux
ou
politiques.
Je
me
suis
retrouvé
dans
mes
origines,
mon
histoire
familiale,
avec
les
miens.
J’ai
fait
un
virage
militant,
plutôt
que
de
continuer
le
parcours
institutionnel.
Je
me
suis
mis
en
situation
de
producteur
et
cela
ne
m’a
pas
limité.
J’avais
déjà
une
certaine
méthode
que
j’ai
apportée
sur
le
terrain
de
la
vie
quotidienne,
là
où
il
n’y
a
pas
de
commande.
Dès
qu’on
a
des
relations
avec
des
personnes,
on
a
très
vite
des
contacts
et
les
vrais
sujets
émergent
;
c’est
l’occasion
de
travailler
pour
des
gens
et
des
causes
encore
inconnus,
plutôt
que
de
reproduire
un
discours.
Je
suis
heureux
que
l’utilisation
de
matériel
que
nous
produisons
puisse
ouvrir
l’appétit
à
d’autres,
que
cela
m’échappe.
Hélas,
je
vois
s’accumuler
des
projets
qui
ne
sortiront
jamais
de
mon
atelier.
Je
n’ai
de
moyens
que
sur
le
concept,
et
la
qualité
plastique
de
l’expression
de
sujets
sociaux
39
«
Education
:
indique
un
choix
du
développement
de
la
personnalité
dans
toutes
ses
composantes,
éduquer
serait
permettre
tous
les
épanouissements.
Populaire
:
affirme
la
volonté
de
s’adresser
à
toutes
les
couches
de
la
population,
avec
une
attention
toute
particulière
pour
celles
qui
sont
en
situation
de
non
possession
des
avoirs,
savoirs
ou
pouvoirs
légitimés.
»
Définition
proposée
par
l’Atelier
Peuple
et
Culture,
janvier
2003,
URL
:
http://www.peuple‐et‐culture.be/articles.php?lng=fr&pg=83
Consulté
le
16/04/09.
Pour
une
définition
plus
complète
de
l’éducation
populaire,
se
reporter
à
l’annexe.
Ne
pas
plier,
Amsterdam,
Stedelijk
Museum,
1995,
n.p.
40
FUCHS
Rudi.
38
généreux,
pas
sur
la
réalisation
technique
et
la
diffusion.
Ces
contraintes
m’obligent
à
inventer
de
nouveaux
vocabulaires
de
formes.
Avec
Ne
pas
plier,
c’est
la
gratuité
qui
me
rapporte
le
plus,
en
me
qualifiant
davantage.
Ces
richesses‐là
me
nourrissent,
même
si
elles
ne
me
font
pas
gagner
suffisamment
ma
vie.
Cela
me
permet
ensuite
d’avoir
des
attitudes
d’égalité
et
d’assurance,
une
avance,
par
rapport
à
un
éventuel
sujet
de
commande.
J’ai
ainsi
une
meilleure
compréhension
de
sa
finalité,
des
hommes,
des
femmes
à
qui
on
s’adresse.
Je
n’ai
plus
peur
d’aborder
les
questions
fondamentales
sur
les
solidarités,
les
amitiés,
les
tendresses,
les
conséquences
de
l’engagement
sur
le
mode
de
vie,
sur
les
droits
de
l’Homme.
Cela
me
fait
parfois
apparaître
moraliste
à
d’autres,
parce
que
je
leur
parle
d’une
pratique
que
leur
choix
de
vie
ne
leur
permet
pas
d’affronter.
Il
est
vrai
que
cela
suppose
des
modifications,
de
la
résistance
face
aux
choses.
Ce
travail
de
proximité
comme
avec
les
missions
de
banlieues,
avec
un
petit
groupe
de
toxicomanes,
un
groupe
de
femmes
arabes
qui
s’organisent,
même
si
cela
n’aboutit
pas
a
une
«
production
»,
m’enrichit
vraiment,
ne
serait‐ce
que
par
la
mémoire
de
leurs
corps41.
»
(…)
«
Ne
pas
plier
est
aussi
construit
sur
des
amitiés.
Je
consacre
beaucoup
de
temps
à
des
discussions,
à
manger,
à
boire,
à
déconner,
je
m’y
réalise
aussi.
Je
fréquente
des
gens
qui
sont
ordinaires
comme
moi,
ordinaires
y
compris
dans
l’échec.
Comme
dit
le
philosophe
Paul
Ricœur,
l’utopie
se
construit
sur
la
mémoire
des
choses
que
l’on
a
pas
encore
réalisées.
La
qualité
de
ces
rencontres
donne
envie
de
s’atteler
au
combat
de
la
misère
visible,
de
résister
à
la
misère
tout
court.
De
construire
avec
eux,
et
des
parts
d’utopie
se
concrétisent.
»
(…)
«
Nos
images
doivent
inciter
au
mouvement
et
à
la
relation,
donner
le
goût
de
la
critique42.»
Les
actions
de
Ne
pas
plier
s’inscrivent
dans
la
durée
et
auprès
de
personnes
précarisées.
Leur
volonté
est
de
travailler
de
proche
en
proche.
Ils
créent
un
maillage
à
travers
les
relations
qu’ils
entretiennent
et
par
la
pratique
artistique
fédèrent
des
actions
politiques
pour
«
qu’aux
signes
de
la
misère
(…)
ne
s’ajoutent
pas
la
misère
des
signes43
».
41
Ibid.
42
Ibid.
43
Ibid.
39
Les
pratiques
de
coprésence,
de
collaboration
et
de
participation
créent
une
information
partagée.
Le
terme
d’information
y
est
employé
puisque
la
recherche
de
la
relation
particulière
au
sujet
a
bien
pour
but
la
création
d’une
information
différente.
La
différence
de
cette
information
provient
du
rapport
privilégié
au
sujet
et
de
la
forme
inventée.
Cette
notion
est
donc
à
différencier
de
l’actualité.
Ces
relations
existent
dans
une
temporalité
particulière
qui
n’est
pas
celle
de
l’information
médiatique,
qui
elle
implique
une
réactivité.
Différencions
ainsi
la
réactivité
médiatique
de
la
réactivation
telle
que
nous
l’avons
entrevue
dans
le
processus
de
désœuvrement
:
le
désœuvrement
comme
l’une
des
conséquences
de
la
photographie
participative.
Selon
Jean‐François
Chevrier,
«
il
faut
accepter
le
fait
que
le
présent,
loin
de
l’illusoire
uniformité
médiatique,
condense
au
moins
deux
rythmes
hétérogènes
:
les
conjonctions
et
les
formations
collectives
de
proche
en
proche,
d’une
part
;
les
courts‐circuits
spatio‐
temporels
et
culturels
produits
par
la
mondialisation
et
les
réseaux
informatiques
d’autre
part44
»
;
qui
présente
la
caractéristique
d’élargir
plus
encore
le
rapport
d’une
image
et
d’une
information
au
temps
et
à
l’espace.
Pour
Jean
Larcebeau45,
la
capacité
de
chaque
être
humain
de
créer‐donner
du
temps
est
fondamentale
:
il
s’agit
de
permettre
à
la
temporalité
de
la
relation
d’exister.
Le
public
de
l’atelier
Fais
un
fils
et
jette‐le
à
la
mer
fait
partie
des
catégories
de
personnes
qui
étant
donnée
leur
situation
administrative
et
légale
ont
particulièrement
de
difficulté
à
créer‐
donner
du
temps.
Le
projet
donne
l’opportunité
à
des
adolescents
au
Maroc
et
à
des
migrants
illégaux,
originaires
d’Afrique
du
Nord
(Maroc,
Tunisie,
Algérie)
en
France
de
pratiquer
la
photographie
et
de
montrer
leur
quotidien
et
la
ville
dans
laquelle
ils
vivent.
Ce
projet
se
développe
de
février
deux
mille
un
à
juin
deux
mille
trois,
soutenu
par
deux
associations
s’occupant
d’enfants
des
rues
dans
la
cité
marocaine
et
de
jeunes
migrants
dans
la
cité
phocéenne.
L’usage
que
les
jeunes
migrants
faisaient
de
la
photographie
consistait,
avant
ce
projet,
à
réaliser
leur
portrait
ou
celui
de
leurs
amis
devant
des
biens
de
Communications,
n°71,
2001,
«
Le
parti
pris
du
document.
Littérature,
photographie,
cinéma
et
architecture
au
vingtième
siècle
»,
Paris,
Le
Seuil,
op.
cit.,
p.
10
44
CHEVRIER
Jean‐François,
ROUSSIN
Philippe.
«
Présentation
»,
in
45
LARCEBEAU
Jean,
op.
cit.,
p.
197
40
consommation
(voitures,
motos,
publicités,
vitrines
de
magasins)
;
autant
de
signes
extérieurs
d’une
richesse
espérée
qui
perpétuent
le
mythe
de
la
réussite
et
de
l’eldorado
européen.
Le
travail
d’Yto
Barrada,
d’Anaïs
Masson
et
de
Maxence
Rifflet
relève
de
la
nécessité
pour
les
photographes
d’éprouver,
de
valoriser
les
formes
de
photographies
amateur
et
de
travailler
avec
de
jeunes
auteurs
en
situation
de
précarité
ou
d’exclusion.
La
volonté
des
photographes
n’était
pas
d’apporter
une
forme
délibérée
de
travail,
mais
plutôt
d’être
à
l’écoute
pour
permettre
à
cette
médiation
photographique
d’exister
et
de
s’adapter
aux
propositions
émises
par
les
jeunes.
Le
photographe
se
met
en
retrait
dans
la
production
des
images
de
l’atelier.
Son
rôle
est
celui
d’un
pédagogue
qui
oriente
dans
l’apprentissage
pratique
et
critique
d’un
médium
;
les
membres
de
l’atelier
apprenant
ainsi
à
se
servir
du
matériel,
à
analyser
leurs
images
et
à
leur
donner
sens
et
perspective,
deviennent
des
opérateurs.
Les
images
produites
par
les
jeunes
migrants
de
Marseille46
démontent
la
représentation
mythique
d’une
Europe
de
l’abondance
et
de
la
richesse.
L’échange
des
images
des
jeunes
participants
à
la
fin
du
projet
(par
l’intermédiaire
des
photographes)
met
en
évidence
la
discordance
des
discours
entre
l’espoir
de
partir
vers
un
ailleurs
confortable
et
la
réalité
de
la
situation
vécue
sur
leur
lieu
de
destination.
Par
l’échange
d’images
entre
individus
des
deux
villes
qui
partagent
le
même
statut
sociologique
par
de
là
les
frontières
maritimes,
la
remise
en
question
du
bien
fondé
du
départ
pénètre
peu
à
peu
les
esprits.
prend,
nous
allons
détailler
le
fonctionnement
de
cet
atelier.
Les
conditions
de
vie
des
participants
rendent
l’approche
et
la
rencontre
improbable
:
l’alliance
du
désœuvrement,
de
l’attente,
de
la
méfiance,
de
la
consommation
de
psychotropes
et
de
l’absence
de
lieu
de
travail
est
à
Marseille
au
début
de
ce
projet
un
énorme
handicap.
Les
premiers
jours
d’ateliers
se
déroulent
à
travers
des
pratiques
de
photographie
collective,
en
groupe
dans
la
ville.
(Un
compact
argentique
chacun,
chargé
de
film
noir
et
blanc
ou
couleur
selon
les
envies
de
chacun).
Certains
souhaitaient
montrer
les
aspects
négatifs
de
la
condition
de
clandestin
avec
l’idée
de
présenter
ces
images
au
Maroc.
Le
pouvoir
de
l’image
est
dans
ce
cas
violent,
il
confronte
chacun
à
la
complexité
de
sa
situation…
Les
premières
prises
de
vue
ne
permettent
pas
une
véritable
appropriation
de
l’appareil
photographique
par
ces
jeunes,
la
proposition
des
photographes
étant
trop
éloignée
dans
un
premier
temps
de
leur
manière
d’utiliser
la
photographie.
Un
collectif
d’artiste
doté
d’un
laboratoire
noir
et
blanc,
La
compagnie,
accueille
finalement
l’activité
photographique
de
ce
projet
expérimental.
cf.
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
Fais
un
fils
et
jette‐le
à
la
mer.
Marseille/Tanger,
Paris,
Sujet/Objet,
2003,
pp.
9‐16
46
Pour
bien
comprendre
la
manière
dont
la
relation
41
La
proximité
entre
participants
de
l’atelier
permet
de
qualifier
différemment
l’information
émise.
La
pertinence
du
protocole
est
renforcée
par
la
curiosité
et
l’excitation
suscitée
par
la
découverte
de
ce
nouveau
médium.
Ces
multiples
allers
retours
entre
la
France
et
le
Maroc
ont
donc
permis
d’échanger
des
points
de
vues
sur
des
images
produites
de
chaque
coté
de
la
Méditerranée
:
des
discussions
et
des
débats
ont
ainsi
eu
autant
d’importance
dans
la
production
photographique
que
l’apprentissage
des
techniques.
Là
encore,
c’est
la
temporalité
de
l’acte
photographique
qui
s’élargit
et
qui
permet
un
retour
des
opérateurs
sur
leurs
images.
42
1.2.2 Une
spatialité
particulière
1.2.2.1 La
nécessité
du
lieu
de
travail
Le
lieu
de
travail
s’entend
comme
espace,
mais
aussi
comme
territoire
de
l’enquête
menée
par
le
photographe.
La
définition
de
ce
lieu
limite
son
champ
d’action
et
situe
le
sujet
au
cœur
de
ses
relations
sociales.
Le
projet
de
Gilles
Saussier
au
Bangladesh
s’astreint
à
une
rue
appelée
Shakhari
Bazar,
située
dans
la
vieille
ville
de
Dhaka.
Il
établit
sa
relation
par
de
multiples
passages
réguliers,
par
l’organisation
d’une
exposition
(lors
de
son
premier
retour
deux
ans
après
les
prises
de
vue)
à
la
fin
de
laquelle
il
offre
leurs
propres
images
aux
personnes
représentées.
Cette
image
est
un
portrait
de
la
personne
concernée.
Il
donne
ensuite
des
images
dans
la
rue,
à
ceux
qu’il
avait
photographiés.
Le
don
établit
un
contact
avec
la
population.
A
Tanger,
l’atelier
photographique
est
intégré
à
la
maison
communautaire
de
l’association
Darna.
Cette
association
prend
en
charge
les
enfants
des
rues,
les
logent
selon
ses
possibilités
et
regroupe
différentes
activités
d’alphabétisation
et
d’apprentissage
professionnel.
Ces
lieux
connus
par
les
pensionnaires
existaient
déjà
dans
le
quotidien
des
adolescents
et
étaient
employés
pour
diverses
formations.
A
Tanger,
la
photographie
est
peu
accessible
pour
ce
public,
elle
suscite
un
large
enthousiasme.
Deux
anciens
enfants
des
rues
formés
par
l’association
se
joignent
au
«
groupe
photo
»
et
en
organisent
l’activité
en
l’absence
des
photographes.
La
réussite
considérable
du
projet
en
terre
Marocaine
s’explique
par
l’existence
d’une
structure
d’accueil
stable,
organisée,
accessible
et
accueillante.
La
mise
à
disposition
d’un
lieu
a
ainsi
favorisé
l’appropriation
de
l’outil
photographique.
A
l’inverse
à
Marseille,
les
difficultés
de
tous
ordres
rencontrées
par
l’association
française
n’ont
pas
permis
de
constituer
un
groupe
stable.
Seuls
de
rares
jeunes
ont
pu
suivre
les
différentes
étapes
de
l’atelier.
Cela
traduit
les
difficultés
de
financement
et
d’organisation
dont
sont
victimes
les
associations
françaises
d’aide
à
l’accueil
des
étrangers
et
de
médiation
socioculturelle.
43
Ces
procédures
de
relation
partagée
entre
participants
et
photographes
se
présentent
sous
la
forme
de
sessions
de
travail
d’une
semaine
à
quinze
jours
sur
une
durée
d’un
an47.
Le
travail
en
atelier
permet
de
donner
un
rythme
régulier
et
constitue
un
point
de
convergence.
47
Neuf
ateliers
sont
concentrés
sur
une
période
d’un
an,
les
photographes
finalisent
le
livre
en
juin
2003.
44
1.2.2.2 L’image,
objet
de
discussion
et
de
médiation
:
Dans
le
cadre
de
l’atelier
de
Tanger,
un
travail
de
prise
de
vue
collective
est
réalisé.
Il
fait
ensuite
l’objet
d’une
tentative
d’interprétation
et
de
lecture
de
ces
images
;
mais
ces
tentatives
s’épuisent
rapidement.
La
boulimie
d’images
produites
par
les
adolescents
dépasse
l’analyse
de
celle‐ci.
Comme
dans
le
cadre
de
la
formation
professionnelle
qu’ils
suivaient
dans
ce
lieu
d’insertion,
les
jeunes
praticiens
attendaient
de
connaître
l’exemple
de
la
bonne
photo
à
produire
pour
pouvoir
débattre.
Il
est
complexe
de
faire
comprendre
à
ces
adolescents
que
la
démarche
entreprise
par
Yto
Barrada,
Anaïs
Masson
et
Maxence
Rifflet
consiste
précisément
à
mettre
en
valeur
le
travail
d’expérimentation.
Fig.
6
A
propos
des
images
de
Yassine
Hassani
(ci‐contre)
prises
neuf
mois
plutôt,
Darna,
Tanger,
Décembre
2001,
in
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
Fais
un
fils
et
jette‐le
à
la
mer.
Marseille/Tanger,
Paris,
Sujet/Objet,
2003,
pp.
66‐67
Au
fur
et
à
mesure,
des
cahiers
sont
accrochés
aux
murs
avec
les
images
des
participants,
qui
peuvent
ainsi
les
consulter,
les
commenter,
les
faire
dialoguer
entre
elles
par
le
biais
de
photocopies
manipulables.
45
Fig.
7
Karim.K,
porte
d’Aix,
Marseille,
mars
2001
;
Rushdi
B.,
Marseille,
mars
2001,
ibid.,
pp.
108‐109
Fig.
8
Omar
Youssoufi
(photographies
et
montages),
Tanger,
juin
2001,
ibid.,
pp.
52‐53
46
Le
travail
en
atelier
crée
une
dynamique
de
groupe,
dont
les
membres
apprennent
à
débattre,
à
respecter
les
différences
et
les
opinions
contraires.
Ce
type
d’atelier
rend
directement
le
participant
acteur
du
projet
:
il
donne
les
moyens
à
la
subjectivité
de
chacun
de
s’exprimer
et
de
se
structurer.
Plusieurs
lieux
de
l’atelier
doivent
être
distingués
pour
mieux
souligner
les
instants
durant
lesquels
se
consolide
le
groupe
des
participants.
Le
laboratoire
noir
et
blanc
est
un
lieu,
où
l’intimité
procurée
par
la
faible
luminosité
libère
la
parole
de
la
timidité,
où
s’affirme
à
la
fois
la
confidence
et
la
confiance.
Le
territoire
évoqué
par
«
les
projections
de
diapositives,
en
particulier
celles
du
travail
de
Yto
[Barrada]
(…)
a
suscité
une
discussion
vive
et
longue
sur
le
Maroc,
la
politique
et
la
différence
entre
le
Maroc
et
l’Algérie48
».
Ces
projections
d’images
réalisées
par
les
photographes
initiateurs
du
projet
fédèrent
;
c’est
le
moment
où
l’atelier
cesse
d’être
un
simple
agrégat
et
constitue
véritablement
un
groupe.
Elles
convertissent
la
confiance
acquise
et
permettent
d’initier
la
discussion
publique.
La
manière
dont
se
déroule
l’atelier
met
ainsi
en
relief
l’importance
d’instants
privilégiés.
L’instant
décisif,
expression
chère
à
Henri
Cartier‐Bresson,
détournée
de
son
propos
initial,
ne
signifie
ici
rien
d’autre
que
l’analyse
des
phases
du
projet
par
lesquelles
les
participants
se
socialisent.
48
Ibid.,
p.
17
47
1.3 Le
choix
de
l'inter
‐
subjectivité
1.3.1 L’écoute
:
moyen
d’une
relation
entre
le
sujet
et
le
photographe
Ainsi,
le
choix
de
l’intersubjectivité
s’est
imposé
dans
les
projets
que
nous
étudions.
Cela
implique
du
photographe
de
revêtir
l’habit
de
l’observateur
participant,
selon
l’expression
employée
en
sciences
sociales.
Le
photographe
noue
des
relations
privilégiées
avec
les
sujets
qu’il
souhaite
associer
à
son
projet.
Tel
est
le
cas
de
Gilles
Saussier
à
Cherbourg
et
à
Dhaka,
tel
est
également
celui
‐
nous
venons
de
le
voir
‐
de
Yto
Barrada,
Anaïs
Masson
et
Maxence
Rifflet,
des
deux
cotés
de
la
Méditerranée,
et
de
Marc
Pataut
dans
la
plupart
de
ses
projets.
Marc
Pataut,
dans
son
projet
à
Tulle,
décide
d’associer
ses
commanditaires
à
la
résidence.
Il
cherche
à
comprendre
la
raison
pour
laquelle
l’association
Peuple
et
Culture
Corrèze
l’a
invité
;
mais
il
ne
limite
pas
son
geste
à
une
simple
prise
d’information
et
leur
propose
de
participer
aux
ateliers
qu’il
crée,
les
plaçant
en
quelque
sorte
face
à
leur
responsabilité
civile.
Il
s’agit
en
effet
dès
le
départ
de
mettre
la
photographie
entre
parenthèses
pour
examiner
les
conditions
dans
lesquelles
elle
pourra
voir
le
jour.
Marc
Pataut
réalise
des
enregistrements
sonores
et
vidéos
qu’il
utilise
comme
matériaux.
«
L’écoute
photographique49
»
qu’il
pratique,
consiste
«
à
faire
des
portraits,
des
paysages,
selon
les
indications
des
témoignages
(…)
jusqu’
à
former
un
réseau
riche
et
ouvert
d’images,
et
surtout
de
paroles50
».
Cette
écoute
a
pris
la
forme
d’un
premier
retour
auprès
des
sujets
et
des
habitants
du
pays
corrézien
dans
le
cadre
des
ateliers
suivants.
Des
tracts
témoignages
ont
ensuite
été
distribués,
des
expositions
ont
été
transportées
à
pied
de
hameaux
en
hameaux
;
chaque
étape
de
monstration
étant
l’occasion
d‘une
nouvelle
discussion
et
d’une
réflexion.
Cette
commande
s’est
49
SOULIE
Christophe,
«
Les
formes
de
l’engagement.
Pratiques
artistiques
et
luttes
sociales
»,
compte
rendu
de
la
conférence
du
Cercle
Gramsci,
11juin
1999,
Ecole
nationale
des
Arts
Décoratifs
de
Limoges.
URL
:
http://www.cerclegramsci.org/archives/holmes.htm
Consulté
le
17/03/2009
50
HOLMES
Brian,
«
Le
Pays
de
la
politique
et
de
la
poésie,
aux
sources
de
la
Parole
dans
le
pays
de
Tulle
»,
op.
cit.,
n.p.
48
déroulée
sur
une
période
de
deux
ans,
dont
la
première,
consacrée
à
l’écoute
des
personnes
étudiées,
sujets
de
ce
travail
:
les
Tullois.
La
collaboration
entraîne
ici,
par
l’entremise
de
l’association
Peuple
et
Culture
Corrèze,
un
glissement
de
la
pratique
artistique
qui
devient
«
…une
invitation
à
concevoir
[celle‐ci]
en
termes
d’expérimentation
partagée,
où
l’artiste
occupe
le
rôle
de
catalyseur
et
de
relais
d’expressions
diverses,
émanant
de
publics
spécifiques.
La
technique
d’une
éducation
populaire
renouvelée
par
cette
pratique
artistique
ne
serait
pas
alors
un
enseignement
dispensé
d’en
haut,
ni
une
animation
visant
à
plaire
et
à
distraire,
mais
une
incitation
à
la
parole,
capable
de
produire
à
la
fois
une
connaissance
de
la
situation
humaine
du
territoire
et
une
activation
des
forces
intellectuelles,
affectives,
imaginaires,
qui
peuvent
la
transformer51.»
Il
s
‘agit
bien
dans
le
cadre
de
rapports
subjectifs
de
connaître
la
nature
des
liens
qui
unissent
les
participants
de
l’atelier
à
leur
environnement
et
les
relations
entre
personnes
qui
peuvent
en
résulter.
Ainsi,
les
images
parviendront
dans
le
meilleur
des
cas
à
dire
cela
:
le
rapport
que
le
sujet
entretient
avec
le
lieu
où
il
vit
et
les
rapports
sociaux
qui
s’y
nouent
(et
qui
transcendent
nécessairement
les
limites
du
groupe
restreint
de
l’atelier).
La
pratique
documentaire
façonne
des
outils
par
l’échange
oral.
L’interprétation
de
l’artiste
les
fixe
sous
forme
d’images,
celles‐ci
sont
utilisées
graphiquement
et
diffusées
sous
forme
de
photographies,
textes,
tracts
témoignages
et
d’affiches,
que
l’atelier
théâtre
de
Peuple
et
Culture
Corrèze
réutilise
pour
reformuler
la
parole
des
habitants
de
Tulle.
Le
rassemblement
du
public
prend
de
multiples
formes
:
des
ateliers,
des
déplacements,
des
monstrations
éphémères
et
des
réunions.
Une
représentation
théâtrale
finale
«
rejoue
[cette]
parole
quotidienne
afin
de
l’incarner
autrement,
de
produire
ce
décalage
léger
qui
ouvre
un
regard
nouveau
sur
la
réalité
».
Gilles
Saussier,
de
son
coté,
collecte
et
situe
la
parole,
l’écoute
et
le
témoignage
comme
des
préalables
à
la
prise
de
vue.
Ses
projets
trouvent
cependant
leur
sens
par
une
analyse
précise,
documentée
d’une
situation,
sur
une
durée
qui
s’étend
pendant
51
Ibid.
49
neuf
ans52
à
travers
de
multiples
séjours.
La
place
du
sujet
est
centrale
dans
son
travail
tandis
que
chez
Marc
Pataut
la
collaboration
ne
se
situe
pas
au
même
niveau.
«
Je
crois
dans
un
œil
de
l’écoute.
A
l’inverse
de
l’anthropologie
visuelle
qui
soumet
aux
informateurs
des
documents
visuels
pour
générer
des
témoignages
et
mieux
les
recouper,
la
photographie
documentaire
recueille
et
recoupe
des
informations
et
des
témoignages
pour
fabriquer
des
documents
visuels.
Ce
va‐et‐vient
de
la
parole
et
de
l’image
est
très
important
et
marque
une
différence
avec
le
reportage,
qui
se
passe
volontiers
de
la
parole
des
gens
photographiés,
voire
de
leur
identité53
».
Les
indices
issus
des
conversations
permettent
de
produire
une
matière
documentaire,
tout
en
réévaluant
constamment
la
forme
de
celle‐ci.
Le
photographe
observateur
écoute
et
prend
des
notes,
il
part
des
faits
pour
déterminer
le
contenu
et
la
forme
de
ses
images.
Le
travail
devient
acte
photographique
parce
que
le
photographe
s’offre
lui‐même
au
regard
de
ses
sujets.
Il
se
place
dans
les
conditions
qui
aboutissent
à
ce
que
dans
l’image
cohabite
à
la
fois
son
regard
et
celui
de
ses
sujets.
Ce
double
regard
constitue
la
synthèse
de
ce
qui
aura
été
dit,
vu,
écouté,
vécu,
transmis,
échangé
dans
la
relation
préalable.
Cette
image
dira
ainsi,
en
tout
cas
tel
est
l’espoir
du
photographe,
ce
que
les
sujets
l’autorise
pleinement
à
regarder.
Ce
qui
est
en
jeu
ce
n’est
plus
seulement
ce
que
le
sujet
voit
et
que
le
photographe
regarde,
c’est
ce
que
le
photographe
regarde
dans
le
regard
de
son
sujet.
Une
façon
d’interroger
la
notion
du
portrait
même
si
dans
l’immédiat
il
serait
nécessaire
d’analyser
plus
en
profondeur
cette
manière
de
poser
son
regard
non
plus
sur
les
sujets
mais
sur
ce
que
regardent
les
sujets.
«
Ce
n’est
pas
tant
de
l’agilité
visuelle
ou
de
la
capacité
à
voir
qu’un
portrait
photographique
doit
rendre
compte,
que
de
la
capacité
à
écouter
et
à
comprendre
54
»,
ce
qui
revient
en
définitive
à
envisager
l’acte
photographique
52
De
1997
à
2006
53
SAUSSIER
Gilles,
«
Situation
du
reportage,
actualité
d’une
alternative
documentaire
»,
op.
cit.,
p.
318
54
Ibid.
50
notamment
à
travers
la
valeur
d’usage
qu’il
prend
comme
un
fait
social
total,
selon
le
sens
que
Marcel
Mauss
profère
à
ce
concept
opératoire55.
Nous
avons
écrit
que
la
pratique
photo
journalistique
et
documentaire,
sous
couvert
du
caractère
mécanique
du
système
photographique,
est
hantée
par
le
mythe
d’une
objectivité.
De
la
même
manière,
nombreux
sont
les
photographes
de
la
coopérative
Magnum
à
revendiquer
leur
investissement
dans
de
longs
reportages.
La
présence
du
photographe
permettrait
de
photographier
le
sujet
tel
qu’il
est
vraiment.
Les
pratiques
documentaires
qui
nous
intéressent
dans
le
cadre
de
ce
mémoire,
ne
soutiennent
pas
ce
discours.
Elles
se
fondent
volontiers
sur
la
subjectivité56
du
photographe
et
des
sujets.
Dans
le
projet
Fais
un
fils
et
jettes
le
à
la
mer,
l’usage
proposé
de
la
photographie
ne
correspond
à
rien
de
connu
par
les
jeunes
participants.
Celui‐ci
ne
relève
ni
du
reportage
ni
de
leur
pratique
personnelle.
Le
déracinement,
les
changements
culturels
et
les
difficultés
liées
au
langage
rendent
la
relation
complexe.
La
discussion
avec
des
adultes
est
associée
aux
interrogatoires
de
la
police
et
du
juge.
Par
exemple,
les
participants
de
l’atelier
à
Marseille
cachent
leurs
véritables
identités
aux
autorités
françaises
pour
bénéficier
de
la
protection
des
mineurs.
Cette
reformulation
se
fait
au
prix
de
la
négation
ou
de
la
transformation
de
leur
histoire
personnelle.
La
médiation
photographique
«
est
parfois
venue
rejouer
ce
phénomène
et
transformer
involontairement
une
invitation
au
récit
en
une
injonction
à
parler57
»
55
Le
Fait
social
total
indique
«
le
point
ou
se
noue
l’ensemble
des
rapports
qu’une
société
est
à
même
de
tisser
entre
les
individus
et
les
sous‐groupes
qui
la
composent
»,
in
KARSENTI
Bruno,
Marcel
Mauss.
Le
fait
social
total,
Paris,
Presses
Universitaires
de
France,
coll.
Philosophies,
1994,
p.
44.
Le
statut
attribué
à
la
chose
échangée
relève
du
symbole,
c’est
à
dire
«
d’une
entité
qui
ne
renvoie
pas
simplement
du
donateur
au
donataire,
mais
implique
une
pluralité
de
rapports
qui
recompose
à
l’état
ponctuel
la
totalité
de
la
structure
sociale.
Tout
en
matérialisant
une
relation
intersubjective
restreinte,
la
chose
donnée
rassemble
en
elle
une
signification
sociale
globale
qui
lui
confère
précisément
sa
force
et
impose
sa
circulation
»,
in
ibid.,
p.
85
56
«
Ce
qui
est
subjectif,
ce
qui
appartient
à
un
sujet
:
en
tant
qu'il
est
conscient
;
en
tant
qu'il
diffère
des
autres.
Sens
ordinaire
:
la
subjectivité
couvre
l'ensemble
des
particularités
psychologiques
n'appartenant
qu'à
un
sujet.
Plus
philosophiquement,
«
subjectivité
»
est
synonyme
de
vie
consciente,
telle
que
le
sujet
peut
la
saisir
en
lui,
et
où
il
cerne
sa
singularité
»
in
DUROZOI
Gérard,
ROUSSEL
André,
Dictionnaire
de
Philosophie,
Paris,
Nathan,
2005,
p.
368
57
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
op.
cit.,
p.
16
51
.
Fig.
9
Farid
R.,
Marseille,
mars
2001,
ibid.,
pp.
106‐107
Une
autre
fois,
«
(…)
de
mauvaises
reproductions
noir
et
blanc
des
autoportraits
de
Farid58
étaient
étalées,
parmi
d’autres
sur
une
tables
de
travail.
En
les
voyant,
Farid
est
devenu
une
petite
tornade.
Il
n
‘écoutait
plus
personne.
Il
parlait
de
police
et
passait
d’une
pièce
à
l’autre.
Il
est
parti
sans
que
personne
n’ait
pu
le
raisonner.
Les
pratiques
anthropométriques
de
la
police
l’obsédaient.
Nous
n’y
avions
pas
pensé59.
»
Dans
la
mesure
où
le
photographe
travaille
en
interaction
avec
le
sujet,
il
peut,
sans
en
avoir
l’intention,
réactiver
des
traumatismes
psychologiques.
C’est
la
part
impondérable
d’événements
ou
d’incidents
inhérente
aux
formes
documentaires
que
nous
étudions.
58
Farid
sur
cette
image
«
s’est
photographié
à
bout
de
bras,
devant
différents
décors.
il
a
déclenché
presque
chaque
fois
le
flash.
Sans
ciller,
il
s’envoyait
dans
les
yeux
cette
lumière
violente.
Sure
les
images,
sa
figure
est
toute
blanche,
on
voit
à
peine
ses
traits.De
façon
répétée,
il
s’est
brulé
le
visage.
Le
terme
employé
par
les
Marocains
pour
dire
immigrer
est
l
‘équivalent
arabe
de
brûler.
Son
corps
disparaît
devant
des
décors
qui,
eux,
demerent
visibles.»
in
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
op.cit,
p.16
59
Ibid.
52
La
relation
entre
sujet
et
photographe
est
donc
intersubjective60
et
engage
des
processus
de
réciprocité,
que
l’image
exprime
tout
en
conservant
le
caractère
polysémique
de
tout
portrait.
Le
photographe
œuvre
à
la
fois
avec
sa
subjectivité
et
avec
celle
des
sujets.
L’image
du
sujet
produite
par
le
photographe,
si
nous
avons
écrit
qu’elle
contient
ce
que
le
sujet
regarde
et
que
celui‐là
regarde
à
travers
lui,
pourra
contenir
également
la
nature
de
leur
intersubjectivité,
qui
n’est
pas
une
expression
neutre,
qui
n’est
pas
l’absence
d’expression
entre
le
photographe
et
les
sujets.
La
temporalité
et
l’espace
que
partagent
photographes
et
sujets
permet
à
celui‐là
d’ajuster
son
point
de
vue
et
à
celui‐ci
de
faire
ressentir
sa
position
et
sa
personnalité.
Cette
relation
voit
ainsi
émerger
des
formes
photographiques
qui,
par
leur
esthétique,
leur
contexte
et
la
scénographie
d’exposition,
éclairent
les
enjeux
sociétaux
présentés
au
sein
de
l’atelier
et
à
un
public
plus
large.
Lorsqu’il
travaille
avec
l’Association
Pour
l’Emploi,
l’Information
et
la
Solidarité
des
chômeurs
et
travailleurs
précaires,
Marc
Pataut
partage
un
certain
nombre
d'expériences.
Il
mène
à
titre
personnel
un
certain
nombre
d’actions
citoyennes
qui,
si
elles
ne
sont
pas
liées
directement
à
un
projet
particulier,
alimentent
une
prise
de
conscience
de
la
situation
socio‐économique
de
ses
concitoyens.
De
cet
investissement
peut
naître
le
sentiment
d’une
solidarité
qui
facilitera
ses
rapports
avec
une
population
fragilisée,
voire
marginalisée.
Il
faut
apprendre,
pense
Marc
Pataut,
à
repousser
le
plus
tard
possible
le
moment
de
la
prise
de
vue.
60«
[L’]
intersubjectivité
désigne
le
tissu
de
relation
existentielle
créé
par
la
communication
qui
s’opère
entre
les
consciences
individuelles
dans
un
climat
de
réciprocité
»,
in
DUROZOI
Gérard,
ROUSSEL
André,
op.
cit.,
p.
207
53
1.3.2 Positionnement
des
protagonistes
Le
photographe
entre
dans
la
vie
de
son
sujet.
La
position
qu’il
occupe
est
constitutive
de
la
forme
qu’il
produira.
Qu’il
s’agisse
de
Marc
Pataut,
avec
des
Sans
Domiciles
Fixes61,
ou
de
Gilles
Saussier
au
Bengladesh,
la
relation
semble
disproportionnée.
D’une
part
le
photographe
se
présente
avec
un
projet
‐
une
problématique,
aussi
minimal
soit‐il.
Les
sujets
quant
à
eux
vivent
souvent
dans
des
conditions
précaires
ou
difficiles
qui
ne
les
prédisposent
pas
à
comprendre
les
enjeux
posés
par
la
pratique
photographique.
D’autre
part,
les
différences
de
milieu,
de
culture,
de
langue
et
de
développement
économique
sont
des
facteurs
d’altérité
qui
marquent
la
distance
qui
ne
saurait
véritablement
être
comblée
entre
le
photographe
et
le
sujet.
C’est
la
raison
pour
laquelle
le
photographe
observe
les
faits
et
gestes
de
ses
futurs
sujets,
et
qu’il
en
adopte
un
certain
nombre
pour
faciliter
sa
communication,
c’est
à
dire
pour
saisir
ce
qui
fait
sens
à
travers
eux.
La
capacité
d’écoute
comme
nous
l’avons
vu
précédemment
est
associée
à
des
procédures
différentes
selon
les
praticiens.
Marc
Pataut
apprend
au
contact
de
son
sujet
pour
ensuite
créer
une
forme.
Il
fragmente
la
communauté
Emmaüs
par
des
séries
de
portraits
individualisés
que
la
scénographie
de
l’exposition
invite
par
la
suite
à
recomposer.
Ses
procédures
les
plus
récentes
ont
un
poids
politique
plus
affirmé
:
il
collabore
avec
son
sujet
pour
le
rendre
acteur
du
discours
qu’il
produit.
L’implication
devient
réciproque
dès
lors
que
le
photographe
participe
à
des
actions
avec
les
chômeurs
de
l’APEIS.
L’approche
de
Gilles
Saussier
diffère
de
celle
de
Marc
Pataut.
Cela
peut
s’expliquer
par
sa
formation
photojournalistique
ainsi
que
par
l’altérité
culturelle
à
laquelle
il
a
été
confronté
au
Bangladesh.
Il
tente
cependant
par
de
longs
séjours
d’affirmer
sa
Emmaüs
en
1993‐
1994.
Il
a
réalisé
des
portraits
de
plusieurs
personnes
de
cette
communauté.
Il
a
réalisé
des
images
allant
du
plein
pied
jusqu’à
l’extrême
gros
plan
du
visage
ou
des
mains
de
la
personne.
La
confrontation
dans
cette
prise
de
vue
n’est
pas
toujours
soutenue
et
toutes
les
séries
d’images
ne
permettent
pas
d’accéder
au
visage
rapproché
de
la
personne
:
cela
traduit
la
difficulté
de
créer
une
relation
avec
des
personnes
fragilisées
socialement
et
psychologiquement.
61
Marc
Pataut
a
travaillé
avec
des
sans
domiciles
fixes
hébergés
par
l’association
54
présence
et
de
trouver
des
formes
convaincantes
telles
que
des
dispositifs
spécifiques
d’exposition
ou
de
prise
de
vue.
Fig.
10
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
op.
cit.,
p.
35
55
Fig.
11
SAUSSIER
Gilles,
Living
in
the
fringe,
op.
cit.,
p.
62
56
L’exemple
de
Marc
Pataut
montre
assez
clairement
combien
il
est
illusoire
de
distinguer
les
moments
où
le
photographe
s’investit
en
tant
que
citoyen
et
ceux
où
il
réalise
ses
projets.
C’est
le
sens
de
l’acte
photographique
en
tant
que
fait
social
total
que
de
rendre
poreux
ce
qui
distingue
l’acte
créateur
et
l’implication
sociétale.
Cela
signifie
que
le
photographe
est
certes
engagé
mais
aussi
qu’il
engage
la
photographie
dans
l’ensemble
des
mécanismes
sociaux
où
l’image
produite
à
la
fois
documente,
s’expose
et
acquiert
une
valeur
d’usage.
Au‐delà
de
ses
institutions
habituelles
(la
presse,
l’édition,
la
galerie,
le
musée…),
cette
valeur
d’usage
impulse
une
multiplicité
de
mouvements
à
l’image,
c’est
ce
qui,
si
l’auteur
l’accepte,
le
dépossède
de
son
droit
à
faire
valoir
son
autorité.
57
2 Circulation
et
circularité
du
médium
photographique
dans
l’espace
public
«
Art
no
longer
wants
to
respond
to
the
excess
of
commodities
and
signs
but
to
a
lack
of
connections.
»
RANCIERE
Jacques,
«
Problems
and
Transformation
in
Critical
Art
»,
in
BISHOP
Claire,
Participation,
Londres,
Cambridge,
White
chapel,
MIT
Press,
2006,
p.
14
La
photographie
circule
dans
le
monde
à
travers
de
multiples
réseaux
et
à
des
niveaux
très
différents.
Ce
moyen
d’information,
qui
est
aussi
un
objet
de
mémoire,
contribue
à
construire
notre
monde
et
la
connaissance
que
nous
en
avons.
D’une
part,
la
circulation
des
images
photographiques
s’inscrit
dans
un
flux
informationnel
constant
auquel
toute
personne
est
confrontée.
Les
moyens
de
leur
diffusion
sont
multiples,
de
la
presse
illustrée
à
internet
en
passant
par
la
publicité.
La
consommation
et
la
rapidité
de
sa
circulation
se
sont
accrues
avec
internet
et
le
développement
des
réseaux
sociaux
qui
s’y
sont
constitués.
Le
flux
continu
d’information
auquel
nous
sommes
soumis
banalise
notre
rapport
sensible
et
signifiant
à
l’image
qui
perd
de
sa
réalité.
D’où
le
sentiment
que
toute
image
médiatisée
devient
une
image
virtuelle.
Dès
lors,
il
est
nécessaire
de
ralentir
ce
flux,
de
prendre
le
temps
de
comprendre,
de
contribuer
à
tisser
des
réseaux
à
taille
humaine
par
la
production
d’autres
images,
«
parce
que
dans
cette
société
qui
se
désagrège
sous
la
pression
des
rapports
marchands,
l’art
reste
une
manière
d’exprimer
une
solidarité
proprement
sociale.
Celle‐ci
s’oppose
à
l’atomisation
des
rapports
qu’instaure
la
marchandise,
la
professionnalisation
de
la
consommation62
».
D’autre
part,
l’usage
des
images
trouve
une
force
particulière
dans
le
quotidien,
dans
l’intimité
de
chacun
où
l’image
existe
comme
objet
de
mémoire.
Les
images
des
photographes
que
nous
avons
étudiées
évoluent
dans
un
rapport
de
proximité
avec
les
sujets,
les
collaborateurs
et
les
participants.
Cette
circulation
à
une
échelle
limitée
62
SOULIE
Christophe,
op.
cit.,
n.p.
58
permet
à
chacun
de
saisir
le
contexte
et
la
portée
des
images
produites.
Pour
que
ces
photographies
prennent
une
valeur
d’usage,
elles
doivent
«
flotter
»,
selon
l’expression
de
Gilles
Saussier63,
prendre
leur
autonomie,
échapper
à
l’autorité
du
photographe
et
ainsi
circuler
librement
pour
produire
d’autres
relations
entre
différents
publics.
Nous
pouvons
distinguer
l’image
muséale
de
l’image
transmise
qui
peut
acquérir
ou
non
une
valeur
d’usage.
L’image
muséale,
c’est
celle
que
l’on
préserve
non
seulement
de
la
destruction
mais
également
du
simple
regard.
Combien
d’images
en
effet
sont
ainsi
conservées
à
l’écart
de
toute
exposition
publique
et,
par
la
force
des
choses
de
toute
circulation.
Gilles
Saussier,
dans
l’entretien
qu’il
nous
a
accordé,
précise
sa
position
sur
ce
sujet
:
«
je
ne
crois
pas
à
une
mémoire
stable.
On
ne
se
baigne
pas
deux
fois
dans
le
même
fleuve.
Notre
perception
s’enrichit
de
nouvelles
expériences,
nous
ne
sommes
plus
les
mêmes.
A
Shakhari
Bazar,
l’image
est
détruite
par
le
temps,
mais
notre
vision
patrimoniale
d’occidentaux
n’existe
pas
pour
la
masse
du
peuple.
Je
n’ai
aucune
idée
de
l’image
qui
lui
passe
par
la
tête
et
vice
versa.
»
Plus
loin,
il
ajoute
:
«
pour
moi,
le
don
consiste
à
donner
quelque
chose
à
quelqu’un
dont
on
ne
sait
pas
forcément
à
quoi
ça
va
servir.
C’est
très
difficile
de
savoir
(…).
Une
image
pour
une
personne
peut
toujours
être
beaucoup
plus
importante
qu’une
image
vue
par
mille
personnes.
La
relation
interpersonnelle
a
une
force,
je
crois
à
la
transmission
plus
qu’à
la
communication64
».
63
Entretien
téléphonique
de
l’auteur
réalisé
le
15/04/09
avec
Gilles
Saussier.
64
Ibid.
59
2.1 Circulation
et
multiplication
Dans
les
projets
de
Marc
Pataut,
les
lieux
d’exposition
se
diversifient
et
peuvent
dans
le
cadre
d’un
même
projet
être
aussi
différents
qu’une
médiathèque
ou
qu’une
grange.
Ce
qui
implique
chez
lui
une
variabilité
des
formes,
des
formats,
et
des
supports
d’intervention
:
«
collages
d’affiches,
distributions
de
tracts
témoignages,
présentations
de
photographies
et
de
séquences
vidéo,
lectures
et
formes
théâtrales
»65.
Ces
matériaux
constituent
les
véritables
consumables
pour
les
sujets
de
l’atelier
mis
en
place
par
le
photographe
et
ses
commanditaires.
L’œuvre
ici
n’est
pas
réductible
aux
images
que
l’artiste
produit
in
fine
mais
est
constituée
de
l’ensemble
du
processus,
des
matériaux
recueillis
et
des
formes
élaborées
tout
au
long
de
la
résidence.
L’œuvre
a
ainsi,
comme
nous
l’avons
vu,
une
spatialité
qui
se
compose
de
tous
les
instants
médiateurs
mais
aussi
des
déplacements
que
son
déploiement
aura
suscités.
L’œuvre
est
un
fait
social
total
parce
qu’elle
mobilise
des
institutions
et
des
espaces
de
la
vie
quotidienne
et
qu’elle
relie
ses
déplacements
aux
activités
habituelles
ou
occasionnelles
des
sujets
et
plus
largement
du
public.
L’œuvre
devient
en
effet
un
fait
social
total
à
partir
du
moment
où
elle
agit
comme
élément
structurant
de
ses
activités,
quand
elle
occupe
une
place
et
que
celle‐ci
ne
se
limite
pas
à
un
simple
divertissement.
Marc
Pataut
marque
la
conscience
du
public
de
l’inscription
de
ses
propositions
dans
la
cité.
Nous
pouvons
parler
dans
ce
cas
de
dispositif
dans
la
mesure
où
ses
interventions
constituent
des
espaces‐temps
catharsistiques
reliés
entre
eux.
L’œuvre
ne
circule
pas
vraiment
car,
en
se
déplaçant,
elle
dessine
les
contours
d’une
cartographie
qui
en
limite
par
définition
l’extension.
C’est
peut‐être
la
marque
de
tout
œuvre
citoyenne
que
d’être
circonscrite
à
l’espace
qui
définit
et
légitime
son
action.
65
HOLMES
Brian,
op.
cit.,
n.p.
60
La
mise
en
exposition
de
Gilles
Saussier
se
traduit,
dans
la
documentation
de
différents
projets
(Shakhari
Bazar
et
l’appartement
témoin),
par
des
images
décrochées,
des
images
prêtes
à
quitter
l’exposition,
manipulables,
en
partance.
Fig.
12
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
op.
cit.,
pp.
18‐19
Fig.
13
SAUSSIER
Gilles,
«
L’appartement
témoin
»,
in
Image
d’un
renouvellement
urbain,
op.
cit.,
p.
100
61
Les
images
contrecollées
ou
encadrées
sont
posées
sur
le
sol
à
l’oblique.
Parfois
elles
sont
superposées.
Cette
disposition
qui
pourrait
passer
pour
un
dispositif,
voire
un
choix
scénographique
et
donc
esthétique,
a
ici
en
réalité
un
sens
tout
autre.
En
procédant
de
la
sorte,
le
photographe
renverse
toute
logique
hiérarchique
dans
la
présentation
des
images.
Elles
ne
sont
pas
l’objet
d’un
propos
artistique,
de
mise
en
forme,
qui
les
dépasse.
Ce
sont
définitivement
des
images
;
et
non
des
œuvres.
C’est
l’une
des
procédures
qui
leur
permet
de
basculer
dans
le
quotidien,
peut‐être
dans
un
rapport
impensé,
mais
dans
un
rapport
qui
facilite
leur
usage.
L’image
est
vécue.
Elle
est
présente
même
au
stade
de
l’inconscience,
de
l’absence
de
problématisation
par
le
sujet
qui
l’accueille
et
l’expose
dans
son
lieu
de
vie.
Au‐delà
des
deux
exemples
que
nous
venons
d’analyser,
il
existe
une
autre
dimension
encourageant
la
mobilité
de
l’œuvre.
Les
avant‐gardes
artistiques
ont,
depuis
plusieurs
décennies
utilisé
la
duplication
comme
procédé
de
fragmentation.
Tel
est
le
cas
du
premier
réseau
international
d’artistes
dont
les
œuvres
étaient
réalisées
collectivement
par
correspondance.
Il
s’agit
du
Mail
Art,
une
pratique
qui
forma
dans
les
années
dix
neuf
cent
soixante
et
soixante
dix,
l’archéologie
de
ce
qu’on
appelle
aujourd’hui
le
Net
Art66
;
c’est
à
dire
un
art
produit
par
la
mise
en
action
d’un
réseau
de
création.
Nous
pensons
ici
à
l’artiste
français
Eric
Watier
qui
réalise
des
blocs
dont
les
images
et
les
textes
sont
détachables
lorsqu’ils
sont
édités
et
téléchargeables
simultanément
sur
internet.
L’œuvre
n’existe
qu’à
l’état
de
multiple,
elle
est
dépourvue
de
forme
stable
qui
en
définirait
le
sens
une
fois
pour
toute.
Une
image
qui
est
un
document
trouvé,
qui
est
une
photo
trouvée67,
détournée
de
son
usage
premier,
souvent
anonyme,
est
ainsi
dotée
d’une
autonomie
par
rapport
à
l’ensemble
qui,
chez
l’artiste,
constitue
l’amorce
conceptuelle.
66
SAPER
Graig
J.,
Networked
Art,
Minneapolis
‐
London,
University
of
Minnesota
Press,
2001,
202
p.
67
FRIZOT
Michel,
DE
VEIGY
Cédric,
op.
cit
.
62
Dans
le
champ
de
la
photographie
contemporaine,
cette
fragmentation
et
la
multiplication
faisant
œuvre
sont
des
concepts
très
récents.
Le
travail
de
Gilles
Saussier,
par
la
mise
en
abyme
photographique
et
picturale,
relève
bien
de
ce
processus.
Dans
Shakari
Bazar,
il
crée
des
générations
d’images.
Dans
l’une
d’entre
elles,
on
peut
voir
«
un
premier
portrait
du
cuisinier
Dijendra
Chakraborty
en
1995,
dans
la
salle
de
restaurant
de
l’hôtel
Kalpana
(le
petit
«
carré
noir
»
au
centre
de
l’image)
;
un
second
portrait,
sous
le
chapiteau
de
l’exposition
Dijendra
Chakraborty,
en
1997
(le
«
rectangle
bleu
»
tenu
par
les
personnages)
;
un
troisième
portrait
montrant
Brindapan
Nag
et
son
fils
Dipok
Kumar
Nag
tenant,
en
2001,
le
second
portrait
de
Dijendra,
suite
au
décès
de
ce
dernier
;
une
toile
peinte
de
cette
photographie
réalisée
par
le
studio
Aacka
Publicity
en
2004
;
enfin,
la
photographie
de
cette
peinture.
La
surface
de
ce
livre
forme
une
sixième
couche
qui,
elle
aussi,
sera
remise
en
jeu
sous
une
forme
ou
une
autre68».
Fig.
13
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
op.
cit.,
p.
35
;
p.
151
La
mise
en
abyme
parcourt
donc
la
distance
qui
est
concentrée
dans
l’image
et
qui
donne
toute
l’étendue
du
sens,
c’est
à
dire
son
espace,
sa
limite.
Or,
d’image
en
image,
à
l’intérieur
d’une
seule
et
même
image,
la
mise
en
abyme
désœuvre
en
permanence.
Elle
efface
le
signe
de
ce
qui
a
été
la
cause
(la
première
image).
Plutôt
qu’un
album
de
famille
où
chaque
individu
aurait
son
portrait,
l’image
abymée
est
une
image
qui
68
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
op.
cit.,
p.
150
63
marque
la
circulation
possible
du
sens
entre
les
individus.
La
durée
est
relativement
courte
;
mais
elle
mesure
ce
que
l’on
peut
attendre
d’une
image,
qu’elle
fasse
sens
pour
les
individus
qui
s’y
reconnaissent.
«
Le
temps
s’y
dépose69
»
selon
une
formulation
de
Laurent
Busine
que
nous
détournons
de
son
propos
d’origine,
non
pour
se
réduire
à
l’instant
de
la
prise
de
vue
qui
s’avère
inapproprié
mais
pour
signifier
l’étendue
collective
qui
unit
les
membres
de
la
famille.
Ce
n’est
pas
le
temps
de
l’image
qui
dicte
sa
temporalité,
son
étendue,
aux
sujets
mais
les
sujets
qui
à
l’inverse
imposent
leur
autorité
à
l’image.
L’image
abymée
est
donc,
au
même
titre
que
l’image
consumée,
une
œuvre
désœuvrée
qui
doit
être
appréhendée
dans
sa
forme
progressive
et
fragmentée.
Les
images
abymées
de
Gilles
Saussier
s’emboîtent
de
façon
fragmentaire.
Chaque
image
est
un
fragment
qui
nous
permet
de
progresser
dans
la
constitution
du
sens
de
cet
album
de
famille.
Chez
Marc
Pataut,
si
l’image
est
fragmentaire
et
progressive
par
la
valeur
d’usage
qui
en
est
faite,
elle
se
consume
également.
Les
sujets
s’approprient
des
images
multiples
qui
peuvent
être
utilisées,
transformées,
réappropriées,
recyclées
et
qui,
de
loin
en
loin,
largue
leurs
amarres.
Ainsi
chez
Gilles
Saussier,
si
l’image
progresse
dans
un
cadre,
de
manière
concentrique,
chez
Marc
Pataut
elle
progresse
à
l’extérieur,
de
manière
excentrique.
Il
semble
bien
que
chez
Gilles
Saussier,
plus
que
chez
Marc
Pataut,
l’image
soit
vouée
à
disparaître.
«
Réfléchir
(…)
sur
la
mise
en
abyme
de
l’image,
c’est
autant
réfléchir
sur
la
création
de
l’image
que
sur
la
manière
dont
elle
s’abîme
ou
se
détruit70
».
Ainsi,
ne
cache‐t‐il
pas
son
contentement
lorsqu’il
constate
que
les
portraits
accrochés
par
les
habitants
de
Shakhari
Bazar
s’effacent
à
travers
le
temps.
La
mise
en
abyme
procède
différemment
pour
aboutir
à
la
même
réalité.
La
multiplication
des
strates
déforme
tellement
la
première
image
que
celle‐ci
ne
sera
bientôt
plus
que
le
prétexte
au
simple
écoulement
du
temps
et
à
la
regénération
de
la
famille
(et
donc
du
sens).
69
BUSINE
Laurent,
s.t.,
in
Typologies
anciennes.
Bernd
et
Hilla
Becher,
Bruxelles,
La
lettre
volée,
2006,
n.p.
70
MILON
Alain,
«
Raphaël
et
Cézanne
:
le
passage
du
triangle
plein
au
triangle
vide
ou
la
mise
en
abyme
dans
l’image
picturale
»,
in
Les
cahiers
du
Centre
Interdisciplinaire
de
Recherche
sur
la
Communication
Audiovisuelle,
n°4,
1993,
«
Image
Abymée
»,
GERICO‐Université
de
Lille
3,
Centre
Interdisciplinaire
de
Recherche
sur
la
Communication
Audiovisuelle,
Lille,
p.
147
64
2.2 Circulation
et
circularité
La
circulation
se
différencie
de
la
circularité
par
le
fait
qu’elle
entretient
un
rapport
extensif
à
l’œuvre
et
à
ses
matériaux
:
elle
n’implique
pas
de
retour
sur
elle‐même,
mais
un
système
de
don
et
de
contre‐don
entre
de
multiples
acteurs
qui
la
déplace.
La
circulation
s’éloigne
toujours
un
peu
plus
du
point
de
départ
tandis
que
la
circularité
suppose
l’existence
d’un
territoire
et
donc
d’un
espace
qui
n’est
extensif
que
dans
ses
propres
limites.
Chez
Gilles
Saussier,
dans
Shakhari
Bazar,
l’utilisation
de
ses
images
par
les
portraitistes
locaux
est
certes
une
réutilisation,
mais
elle
n’échappe
pas
à
son
contexte
de
prise
de
vue.
Pour
mieux
signifier
encore
leur
appartenance
à
un
cercle,
à
une
circularité,
Gilles
Saussier
reçoit
en
retour
des
photographies
et
des
images
anciennes
offertes
par
ses
sujets.
Cela
marque
autant
la
volonté
de
construire
une
histoire
commune
que
de
partager
un
même
espace.
L’analyse
des
supports
de
diffusion
du
collectif
Ne
Pas
plier
peut
nous
être
utile
ici
pour
bien
mesurer
l’écart
entre
ces
deux
termes.
Si
les
portraits
de
Marc
Pataut
brandis
par
des
manifestants
sont
récupérés
par
le
collectif
à
la
fin
de
chaque
défilé,
il
en
va
tout
autrement
des
adhésifs
dont
chacun
peut
faire
l’usage
qu’il
souhaite.
Ces
supports
graphiques
créés
par
Gérard
Paris‐Clavel
sont
souvent
de
petites
tailles.
Cela
s’explique
par
le
fait
que
la
manifestation
est
le
lieu
d’expression
politique
le
plus
visible.
Ces
adhésifs
comme
les
portraits
de
Marc
Pataut
peuvent
ainsi
contribuer
à
créer
une
communauté
éphémère,
symbolique
et
imaginaire
;
mais
ceux‐là
se
distinguent
de
ceux‐ci
parce
qu’ils
restent
la
propriété
de
ceux
qui
les
arborent
ou
les
recyclent.
Ce
sont
donc
des
images
qui
prennent
leur
autonomie
et
échappent
à
la
circularité.
L’œuvre
qui
circule
pénètre
les
différentes
strates
d’une
société.
Le
philosophe
romantique
Allemand
Friedrich
Schlegel,
écrivait
dans
ses
textes
de
jeunesse
que
l’œuvre
d’art
n’existe
qu’à
travers
les
lectures
successives
que
nous
en
faisons,
à
la
manière
de
Friedrich
August
Wolf
qui
fut
le
premier
à
insister
sur
la
nécessité
d’une
historiographie
matérielle
des
œuvres
de
l’esprit.
Il
montra
en
particulier
que
l’œuvre
d’Homère,
loin
d’être
figée
dans
le
marbre
une
fois
pour
toutes,
est
le
fruit
d’un
long
travail
d’interprétation
et
de
lecture
produit
au
fil
du
65
temps71.
Des
études
contemporaines
tendent
à
valider
une
telle
herméneutique72.
Qu’en
sera‐t‐il
des
œuvres
photographiques
qui
s’inscrivent
dans
le
temps
et
dans
l’espace
et
qui
signifient
autant
par
la
documentation
que
les
auteurs
fournissent
que
par
les
usages
qu’en
font
d’autres
individus,
des
usages
qui
n’ont
rien
de
contemplatif
?
L’œuvre,
chez
Gilles
Saussier
comme
chez
Marc
Pataut,
ce
n’est
pas
ce
qu’elle
est,
c’est
ce
qu’elle
devient.
71
THOUARD
Denis,
«
Friedrich
Schlegel.
De
la
philologie
à
la
philosophie
(1795‐1800)
»
in
Symphilosophie.
F.
Schlegel
à
Iéna,
Librairie
philosophique
J.Vrin,
coll.
Bibliothèque
de
textes
philosophiques,
2002,
pp.
17‐66
Inscrire
et
effacer.
Culture
écrite
et
littérature
(XIe‐XVIIIe
siècle),
Paris,
Le
Seuil,
Gallimard,
coll.
Hautes
études,
2005,
210
p.
72En
particulier
chez
CHARTIER
Roger,
66
2.3 Diffusion
Différentes
procédures
permettent
de
fonder
autour
du
concept
de
rhizome
des
mises
en
relations
multiples
du
public
et
de
l’œuvre.
Le
concept
de
rhizome
tel
que
le
développent
Gilles
Deleuze
et
Félix
Guattari73,
symbolisant
la
structure
en
réseau,
rend
compte
des
modes
de
circulation
de
l’œuvre
et
de
ses
matériaux.
Le
réseau
existe
à
la
fois
sur
le
plan
de
la
circularité
et
de
la
circulation.
Comme
exemple
de
circularité,
prenons
celui
de
l’artiste
franco‐allemand
Jochen
Gerz
qui,
après
avoir
été
l’un
des
pionniers
de
l’art
participatif
dans
les
années
dix
neuf
cent
soixante,
développe
depuis
les
années
dix
neuf
cent
quatre
vingt
des
projets
très
localisés
où
la
participation
du
public
et
le
dialogue
au
sein
d’une
communauté
sont
au
centre
de
son
dispositif.
Pour
ce
faire,
il
recourt
à
des
annonces
dans
les
journaux
locaux
par
lesquels
il
invite
les
personnes
qui
le
souhaitent
à
venir
se
faire
photographier
(par
lui
ou
par
des
étudiants
en
photographie).
Chaque
modèle
reçoit
un
portrait
qui
n’est
pas
le
sien
;
chacun
détient
alors
une
part
d’une
collection
d’images
appartenant
à
un
réseau
local
d’individus.
L’artiste
propose
aux
modèles
d’exposer
chez
eux
l’image.
C’est
une
forme
d’externalisation
de
l’art
contemporain
en
dehors
du
musée.
73
DELEUZE
Gilles,
GUATTARI
Félix,
Mille
plateaux.
Capitalisme
et
schizophrénie
2,
Paris,
Editions
de
Minuit,
1980,
pp.
13‐37
67
Fig.
14
GERZ
Jochen,
The
Gift,
2000,
in
FRIELING
Rudolf,
The
Art
of
Participation:
1950
to
Now,
San
Francisco,
Londres,
San
Francisco
Museum
of
Modern
Art,
Thames
&
Hudson,
2008,
pp.
166‐167
68
La
presse
locale
permet
d’inviter
le
public
à
participer
et
devient
dans
le
cours
du
processus
de
l’œuvre
l’une
de
ses
extensions
sous
la
forme
du
multiple.
La
notion
de
don
se
matérialise
par
l’objet
physique
et
photographique,
mais
Jochen
Gerz
pense
plutôt
que
«
The
gift
implied
is
less
about
the
receipt
of
a
portrait,
since
it
depicts
a
stranger,
than
about
the
shared
experience
and
the
exchange
itself.
What
is
offered
is
what
is
received,
notes
Gerz,
who
says
that
the
project
represents
a
collective
Memory
and
a
self
portrait
of
a
region74
».
La
relation
crée
alors
à
la
fois
une
mémoire
collective
et
un
autoportrait
de
la
communauté
régionale.
Elle
s’engage
dans
la
voie
de
l’autonomisation
des
images
et
ouvre
la
voie
à
un
certain
désœuvrement
:
effectivement,
les
portraits
donnés
à
la
population
ne
sont
pas
signés.
Ils
ne
constituent
pas
véritablement
ce
que
l’on
a
coutume
de
désigner
sous
le
nom
d’œuvre
dans
le
domaine
de
l’art.
Fig.
15
GERZ
Jochen,
The
Gift,
2000,
in
FRIELING
Rudolf,
op.
cit.,
p.
168
74
BISHOP
Claire,
op.
cit.,
p.
207
69
La
multiplication
des
formes
d’intervention
et
l’emploi
du
multiple
comme
procédé
de
dissémination
s’inscrit
dans
une
logique
territoriale.
En
2001,
dans
la
Ruhr
(Allemagne),
quelques
uns
des
portraits
réalisés
sont
publiés
dans
la
presse
locale.
Le
don
contribue
à
créer
du
lien
social
tout
en
respectant
l’institution
muséale.
Ici
se
trouvent
associées
la
valeur
symbolique
et
la
valeur
marchande
que
distingue
Pierre
Bourdieu
;
et
que
Dominique
Château
relate
de
la
façon
suivante
:
«
l’économie
des
biens
symboliques
se
différencie
de
l’économie
ordinaire,
en
ce
qu’elle
est
une
économie
à
l’envers,
où
valeur
proprement
symbolique
et
valeur
marchande
restent
relativement
indépendantes,
et
qui
se
sépare
en
deux
productions,
une
production
culturelle
spécialement
destinée
au
marché
et
en
partie
en
réaction
contre
celle‐ci
(…)
[et]
une
production
d’œuvres
«
pures
»
et
destinées
à
l’appropriation
symbolique75
».
75
CHATEAU
Dominique,
op.
cit.,
p.
98
70
Fig.
16
GERZ
Jochen,
The
Gift,
2000,
in
FRIELING
Rudolf,
op.
cit.,
p.
169
71
72
2.4 Le
contexte
dans
l’exposition
D’autres
pratiques
contextuelles
se
positionnent
délibérément
en
dehors
de
toute
empreinte
muséale.
Dans
le
projet
Fais
un
fils
et
jettes
le
à
la
mer,
les
travaux
réalisés
peuvent
certes
être
envisagés
comme
des
œuvres
mais
à
la
condition
de
les
concevoir
comme
des
pratiques
amateur.
De
ce
fait,
la
dimension
symbolique
des
images
n’est
pas
tributaire
d’un
déploiement
imaginé
par
l’artiste.
Elle
relève
intégralement
de
la
lecture
du
milieu
urbain
faite
par
les
membres
de
l’atelier.
L’exposition
présente
à
la
fois
des
images
aux
murs,
les
albums
d’images
des
ateliers,
le
film
réalisé
à
Marseille,
le
témoignage
sonore
et
une
carte
de
Tanger
dessinée
à
l’aide
de
rubans
adhésifs
sur
le
sol
et
les
murs
du
lieu
d’exposition.
La
carte
de
Tanger
ainsi
réalisée
pallie
à
l’absence
sur
les
cartes
officielles
de
quartiers
construits
sans
autorisation.
Cette
carte
reconsidère
la
représentation
de
l’espace
par
une
lecture
physique
expérimentale.
La
communication
de
l’exposition
est
réalisée
par
les
membres
de
l’atelier
sous
la
forme
d’un
affichage
collectif
dans
les
rues
de
Tanger
et
d’annonces
faites
par
mégaphone
depuis
le
minibus
de
l’association
Darna
à
travers
toute
la
ville.
L’ensemble
des
membres
de
l’atelier
participe
à
la
promotion
de
l’exposition.
Les
traces
et
signes
proposés
dans
celle‐ci
soulèvent
une
série
de
questions
parmi
le
public
:
les
visites
se
transforment
en
débats.
73
Fig.
17
Maxence
Rifflet,
la
camionnette
de
Darna
passe
dans
la
ville
pour
annoncer
l’exposition
Photographier
un
morceau
de
pain,
Tanger,
avril
2002,
in
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
op.
cit.,
p.
43
74
«
Pendant
que
certains
parcouraient
la
ville,
les
autres
dessinaient
au
Scotch
une
carte
reconsidérée
de
Tanger
sur
les
murs
et
le
sol
de
la
galerie.
Elle
occupait
tout
l’espace
et
permettait
d’articuler
tous
les
autres
éléments
de
l’exposition.
Un
garçon
eut
l’idée
d’énumérer
et
d’inscrire
sur
la
carte
tous
les
petits
boulots
qu’ils
connaissaient
ou
qu’ils
avaient
fais
;
ils
les
écrivirent
finalement
sur
la
grande
vitrine,
qui
donnait
sur
la
rue.
L’atelier
menuiserie
de
Darna
avait
fabriqué
un
meuble
de
présentation
pour
les
petits
albums,
les
dossiers
de
presse
sur
l’immigration
clandestine,
et
la
documentation
sur
Jeunes
errants
et
sur
Darna.
(…)
Les
nombreux
messages
laissés
dans
le
livre
d’or
de
la
galerie
donnent
la
tonalité
des
réactions.
Ils
traduisent
un
intérêt
réel,
de
l’émotion
et
de
la
colère.
Ils
parlent
de
l’évolution
de
Tanger,
l’état
des
quartiers
périphériques,
les
enfants
des
rues,
l’immigration
clandestine.
Ces
réalités
sociales,
urbaines,
politiques,
que
les
Jeunes
de
Darna
et
de
Jeunes
Errants
n’ont
cessé
de
documenter
à
leur
manière,
correspondaient
à
des
préoccupations
partagées
par
la
population
locale.
Cette
résonnance
a
donné
toute
son
ampleur
à
l’évènement76.
»
76
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
op.
cit.,
p.
40
75
.
Fig.
18
Yto
Barrada,
Omar
Chaouri
trace
une
carte
de
la
ville
de
Tanger
au
sol,
Darna,
Tanger,
décembre
2001
;
Maxence
Rifflet,
vue
de
l’exposition
Photographier
un
morceau
de
pain,
galerie
Delacroix,
Tanger,
avril
2002,
in
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
op.
cit.,
p.
125
76
2.5 L'espace
public
L’espace
public,
selon
le
philosophe
Allemand
Jurgen
Habermas,
est
«
le
modèle
libéral
de
la
sphère
publique
»77
qui
répond
à
la
nécessité
pour
la
bourgeoisie
de
faire
la
publicité
de
son
ordre
sociétal
et
par
là
d’inféoder
les
valeurs
morales
qui
la
sous‐
tendent.
C’est
un
espace
de
médiation
qui
dans
certaines
sociétés
européennes
s’est
affirmé
comme
le
lien
essentiel
des
échanges
et
des
débats
qui
nourrissent
les
secteurs
actifs,
c’est
à
dire
productifs
et
industrieux
de
la
société
;
secteurs
qui
tout
au
long
du
dix
neuvième
siècle
se
limitent
principalement
aux
détenteurs
du
droit
censitaire.
La
pression
des
masses
laborieuses
qui
s’agglutine
aux
portes
des
grandes
villes
et
les
revendications
sociales
qui
résultent
de
la
prise
de
conscience
de
leur
poids
voire
de
leur
rôle
social,
transforme
peu
à
peu
le
rapport
de
la
grande
majorité
de
la
population
à
l’espace
public,
qui
se
développe
de
façon
magistrale
en
France
sous
le
règne
de
Louis‐Philippe,
pendant
la
très
courte
période
de
la
second
République
et
sous
le
Second
Empire.
La
pratique
de
l’espace
public
évolue
ainsi
et
deviendra
peu
à
peu
l’espace
médiateur
de
la
République
à
la
fin
du
dix
neuvième
siècle.
C’est
dans
ce
contexte
que
les
avant‐gardes
historiques
occupent
dans
l’entre
deux
guerres
la
voie
publique
et
que
ces
créations
ne
se
limitent
plus
aux
espaces
traditionnels
dévolus
à
l’art.
Dans
un
autre
pays,
l’Union
soviétique,
touché
par
une
révolution
profonde
des
structures
économiques,
politiques
et
sociales,
les
artistes
les
plus
radicaux
s’engagent
dans
une
refonte
intégrale
du
rapport
de
l’art
non
seulement
à
la
structure
et
aux
dimensions
de
l’artefact
mais
également
à
la
société.
Lorsqu’en
dix
neuf
cent
vingt
et
un
Alexander
Rodtchenko
«
aboutit
à
sa
série
de
Constructions
suspendues
(sous‐titré
Surface
reflétant
la
lumière
et
au
triptyque
Couleurs
pures
:
Rouge,
Jaune,
Bleu,
il
avait
mené
à
sa
conclusion
logique
cette
séparation
de
la
couleur
et
de
la
ligne
et
cette
intégration
de
la
forme
et
du
plan
que
les
cubistes
avaient
inaugurées
avec
tant
d’enthousiasme.
Non
sans
motif,
il
déclara
:
C’est
la
fin
de
la
peinture.
Ce
sont
les
couleurs
primaires.
Chaque
plan
est
un
plan
et
il
n’y
aura
plus
de
représentation
(…).
Cela
signifiait
déjà
aussi
davantage
pour
l’objet
qu’un
simple
L’espace
public.
Archéologie
de
la
publicité
comme
dimension
constitutive
de
la
société
bourgeoise,
Paris,
Payot,
coll.
Critique
de
la
politique,
1988,
324
p.
77
HABERMAS
Jürgen,
77
passage
de
la
virtualité
de
l’espace
pictural/sculptural
(…)
à
la
concrétude
de
l’espace
réel
».
La
mention
Surfaces
reflétant
la
lumière
indique
à
tout
le
moins
que
ces
artistes
étaient
disposés
à
travailler
matériaux
et
objets
dans
l’espace
réel
et
en
fonction
des
processus
sociaux
qui
s’y
produisent78
».
Fig.
19
Alexandre
Rodtchenko,
Construction
ovale
suspendue,
1920,
in
BUCHLOH
Benjamin,
«
Faktura
et
Factographie
»
in
Essai
Historique
1.
Art
Moderne,
Villeurbanne,
Art
édition,
coll.
Textes,
1992,
p.
74
Les
dictatures
des
années
dix
neuf
cent
trente,
la
stalinisation
de
la
société
soviétique
et
la
seconde
guerre
mondiale
marquent
le
coup
d’arrêt
brutal
de
ces
tentatives
de
transformer
le
rapport
de
la
création
artistique
au
temps
et
à
l’espace.
Il
faut
attendre
les
développements
de
plusieurs
mécanismes
synchroniques
mais
parfois
contradictoires
comme
l’intégration
du
mouvement
dans
les
créations
cinétiques
de
78
BUCHLOH
Benjamin,
«
Faktura
et
Factographie
»
in
Art
édition,
coll.
Textes,
1992,
pp.
74‐75
Essai
Historique
1.
Art
Moderne,
Villeurbanne,
78
l’art
abstrait,
l’expérimentation
transgénérique
encouragée
par
la
découverte
de
certaines
figures
tutélaires
telles
que
Kurt
Schwitters,
Marcel
Duchamp
ou
John
Cage,
et
l’exploration
psychogéographique
prônée
par
un
art
de
situation
(Guy
Debord)
pour
aboutir
à
une
regénération
du
processus
de
dématérialisation
dans
l’art
qui
se
traduit
à
partir
du
début
des
années
soixante
par
la
création
du
Happening
(Allan
Kaprow),
la
naissance
du
cinétisme
participatif
(Groupe
de
Recherche
d’Art
Visuel
animé
par
François
Morellet
et
Julio
Le
Parc),
la
réunion
des
nouveaux
réalistes
(Yves
Klein,
Jacques
Villeglé,
Jean
Tinguely,
etc),
le
développement
rapide
de
Fluxus
(George
Maciunas,
George
Brecht,
Name
June
Paik,
etc.),
l’art
corporel
de
Lygia
Clark
et
de
Hélio
Oiticica,
et
l’ensemble
des
formes
naissantes
de
l’art
action
qui,
à
la
fin
des
années
soixante,
se
manifestent
sous
la
forme
d’un
art
trans‐actionnel79.
Ainsi
au
cœur
du
réseau
d’art
expérimental
Parisien
de
cette
période
qui
associe
autant
des
poètes,
des
plasticiens
que
des
théoriciens
de
l’art,
Julien
Blaine,
animateur
des
revues
Approches
(avec
Jean‐François
Bory)
et
Robho
(avec
Jean
Clay),
publie
dans
le
dernier
numéro
de
celle‐ci
(1971)
un
manifeste
qui
résume
à
lui
seul
l’état
d’esprit
d’une
génération
:
«
La
poésie
hors
du
livre,
hors
du
spectacle,
hors
de
l’objet80».
Ce
que
Nicolas
Bourriaud
nomme
alors
l’esthétique
relationnelle
émerge
de
la
volonté
d’artistes
radicaux
de
dépasser
l’unicité
de
l’œuvre
et
parfois
même
sa
matérialité.
Ce
processus
s’accompagne
d’une
remise
en
cause
de
la
passivité
du
public.
Aussi
Guy
Debord
pourra
écrire
dès
le
milieu
des
années
cinquante,
en
explicitant
sa
pratique
filmique,
qu’il
s’agit
de
«
briser
l'identification
psychologique
du
spectateur
au
héros
pour
entraîner
ce
spectateur
à
l'activité,
en
provoquant
ses
capacités
de
bouleverser
sa
propre
vie.
La
situation
est
ainsi
faite
pour
être
vécue
par
ses
constructeurs81».
Au‐
delà
du
cas
spécifique
du
cinéma,
«
le
rôle
du
public,
sinon
passif
du
moins
seulement
79
POPPER
Frank,
Le
déclin
de
l'objet.
Art,
action,
participation
1,
Paris,
Ed.
du
Chêne,
1975,
144
p.
80
BLAINE
Julien,
MOINEAU
Jean‐Claude,
SCHIFRES
Alain,
«
La
poésie
hors
du
livre,
hors
du
spectacle,
hors
de
l’objet
»,
in
Robho,
n°5‐6,
avril
1971,
Paris,
p.
2
81
DEBORD
Guy,
«
L'Internationale
situationniste
1957‐1972
»,
in
325
Œuvres,
Paris,
Gallimard,
2006,
p.
79
figurant,
doit
y
diminuer
toujours,
tandis
qu'augmentera
la
part
de
ceux
qui
ne
peuvent
être
appelés
des
acteurs
mais,
dans
un
sens
nouveau
de
ce
terme,
des
viveurs82
».
Ainsi,
les
interventions
du
collectif
Ne
pas
plier
et
l’acte
photographique
tel
que
le
pratique
Marc
Pataut
s’inscrivent
dans
une
historicité
de
l’art
contemporain.
«
Abandonner
l’espace
du
musée
pour
la
scène
des
luttes
sociales,
refuser
les
règles,
valeurs
et
catégories
propres
au
marché
de
l’art,
abolir
l’orgueilleuse
solitude
de
l’artiste
par
un
travail
conçu
sur
le
mode
de
la
coproduction,
inverser
le
fétichisme
de
l’original
et
de
la
pièce
unique
en
proposant
des
«
images
dont
l’original
est
le
multiple
»,
adopter
le
principe
de
gratuité
en
allant
jusqu’à
donner
les
images
au
lieu
de
les
vendre,
telles
sont
les
grandes
directions
de
Ne
pas
plier.
Cette
attitude
militante
et
anti
fétichiste
repose
sur
la
conviction
que
l’intérêt,
l’efficacité
et
la
valeur
d’une
image
résident
autant
dans
le
processus
que
dans
ses
alentours,
dans
le
processus
dont
elle
est
l’aboutissement,
ou
dans
la
dynamique
qu’elle
peut
enclencher.
A
la
conception
fétichiste
de
l’image
objet
succède
celle
de
l’image
opérateur
social,
qui
pose
plus
de
questions
qu’elle
n’apporte
de
réponses.83
»
82
Ibid.
La
recherche
photographique,
Paris,
n°19,
Automne
1995,
Maison
Européenne
de
la
Photographie,
Paris
audiovisuel,
Université
Paris
8,
p.
30
83
ROUILLE
André
«
Ne
Pas
Plier
»,
in
80
2.5.1 De
l'institution
muséale
à
l'espace
public
Il
me
semble
que
l’une
des
fonctions
principales
de
l’engagement
artistique
est
de
repousser
les
limites
de
ce
qui
peut
être
fait
et
de
montrer
aux
autres
que
l’art
ne
consiste
pas
seulement
en
la
fabrication
d’objets
à
placer
dans
des
galeries
;
qu’il
peut
exister,
avec
ce
qui
est
situé
en
dehors
de
la
galerie,
un
rapport
artistique
qu’il
est
précieux
d’explorer.
OPPENHEIM
Denis
(1969),
in
ARDENNE
Paul,
Un
art
contextuel.
Création
artistique
en
milieu
urbain,
en
situation,
d’intervention,
de
participation,
Paris,
Flammarion,
2002,
p.
36
Dans
le
musée,
la
présentation
de
l’oeuvre
fait
l’objet
d’une
ritualisation.
Notre
rapport
à
l’artefact
est
cultuel.
Son
caractère
unique,
irremplaçable,
est
mis
en
relief.
Le
musée
est
le
lieu
où
se
construit
l’aura
d’une
œuvre
que
le
scénographe
magnifie
par
son
travail.
Toutefois,
sous
l’impulsion
des
artistes
qui,
de
plus
en
plus
nombreux,
produisent
des
œuvres
qui
ne
peuvent
être
que
malaisément
présentées
de
façon
univoque,
les
institutions
muséales
ont
quelque
peu
modifié
leur
conception
de
l’œuvre
d’art
et
de
sa
diffusion.
Le
travail
du
Museu
d'Art
Contemporani
de
Barcelona
(MACBA)
est
assez
représentatif
de
cette
remise
en
question
du
statut
de
l’institution.
Il
mène
cette
tentative
radicale
à
travers
«
un
programme
de
présentations
et
d’ateliers
tournés
vers
la
rencontre
entre
artistes
et
mouvements
sociaux84
».
L’artiste
Jordi
Claramonte
a
travaillé
avec
une
dizaine
de
groupes
contestataires
sous
le
titre
«
De
l’action
directe
comme
l’un
des
beaux
arts85
».
Dans
le
cadre
de
ces
pratiques,
des
réseaux
alternatifs
d’information
ont
vu
le
jour
et
de
nombreuses
actions
ont
contribué
à
la
dynamique
de
contestation
lors
du
sommet
de
la
Banque
mondiale
à
Barcelone
de
Juin
2001.
Le
musée
finance
la
production
de
ces
ateliers
permettant
la
venue
d’artistes
et
de
conférenciers
pour
travailler
avec
des
groupes
constitués
ou
à
constituer.
Brian
Holmes
détaille
ce
programme
:
«
en
parallèle
aux
activités
Mouvements,
n°17,
Septembre
‐
Octobre
2001,
p.
58,
URL
:
http://contre‐conference.net/Musees_reflechissants
Consulté
le
03/03/09
84
HOLMES
Brian,
«
Musées
Réfléchissants.
L’art
au
miroir
de
l’économie
politique
»,
in
85
Ibid.
81
politiques
des
Agencias86,
l’exposition
«
Documentaries
Processes
»
cherche
à
révéler
à
des
publics
locaux
les
prolongements
contemporains
d’une
histoire
plus
longue
des
«
médias
alternatifs
».
Dans
leur
voisinage,
des
ateliers
sont
donnés
par
Marc
Pataut
et
Allan
Sekula
qui
approfondissent
la
transmission
de
cette
histoire.
Au‐delà
de
leur
organisation,
le
musée
contribue
à
renseigner,
à
documenter
l’histoire
de
l’art
contestataire
et
l’histoire
de
ses
procédures,
par
des
discussions
et
des
conférences,
avec
une
volonté
pédagogique.
La
transformation
de
l’espace
public
en
vaste
atelier
ouvert
commande
des
engagements
ponctuels,
politiques
ou
éthiques,
en
même
temps
qu’une
attention
permanente
à
l’actualité.
Actuellement
le
MACBA
ne
se
contente
donc
pas
seulement
d’interroger
les
formes
de
monstration,
il
finance
certains
projets
qui
ne
peuvent
être
réalisés,
hors
les
murs,
que
dans
le
champ
social.
Ces
travaux
lancent
des
pistes
de
réflexion
par
l’investissement
du
public
dans
les
problématiques
locales
avec
une
visée
politique
globale
qui
de
nos
jours
ne
s’oppose
plus
aussi
radicalement
que
par
le
passé
à
l’institution
en
tant
que
telle.
Le
projet
de
Jochen
Gerz
que
nous
avons
détaillé
auparavant
en
fournit
un
autre
exemple87.
86
C’est
ainsi
que
se
sont
baptisés
les
groupes
issus
de
cette
expérience.
Leur
champ
d’action
concerne
les
médias
alternatifs
et
les
moyens
d’interventions
contemporains
dans
la
rue.
87
Il
faut
noter
que
Jochen
Gerz
fut
l’un
des
principaux
instigateurs
de
l’art
participatif
et
de
la
critique
institutionnelle
à
la
fin
des
années
dix
neuf
cent
soixante.
Il
fut
avec
Jean‐François
Bory
(dont
on
a
souligné
le
rôle
de
codirecteur
de
la
revue
Approches)
l’un
des
deux
animateurs
de
la
revue
Agentzia
à
Paris.
82
2.5.2 Le
déplacement
de
l'artiste
et
de
l’œuvre
Le
déplacement
physique
de
l’artiste
questionne
la
notion
d’œuvre
hors
de
l’espace
protégé
du
musée
pour
la
confronter
à
l’espace
de
la
réalité.
Les
situationnistes
qui
ne
cherchaient
pas
nécessairement
à
produire
une
œuvre
ont
exploré
le
milieu
urbain
en
réponse
au
conditionnement
de
la
voirie.
Quel
drôle
de
destin
que
celui
de
ce
mot,
voirie,
qui
contracte
en
lui
même
le
verbe
inconditionnel
à
la
fois
du
jeu
et
de
la
conscience.
Aussi,
pratiquent‐ils
le
voir
permanent,
celui
qui
s’adapte
à
toutes
les
luminosités,
avec
une
prédilection
pour
la
variation
d’ambiances
passant
de
l’intensité
éblouissante
du
jour
aux
découvertes
du
clair‐obscur.
Guy
Debord
veut
que
les
stations
du
métropolitain
restent
ouvertes
la
nuit,
que
l’on
marche
sur
les
toits,
que
les
voies
qui
nous
transportent
habituellement
soient
véritablement
des
voies
de
communication,
qu’aucune
porte
ne
soit
condamnée,
qu’aucun
détour
comme
raccourci
ne
nous
soit
refusé.
Le
déplacement
est
un
art
combinatoire
qui
se
fonde
sur
notre
art
de
bâtir
et
notre
capacité
d’en
jouer.
La
répétition
de
telles
expériences
«
psychogéographiques
»
permet
d’explorer
les
variations
qui
se
révèleront
les
plus
intenses
dans
l’alternance
des
sensations
les
plus
surprenantes
et
les
plus
diverses.
La
dérive
qui
désigne
cette
pratique,
doit
surprendre,
elle
doit
renouveler
notre
connaissance
de
la
ville
au
cœur
des
réseaux
dont
elle
est
constituée.
L’œuvre,
si
elle
existe,
est
–
selon
l’expression
de
Thierry
Davila88
‐
«
ciné
plastique
»
:
elle
est
ce
«
devenir
marche
»
que
relate
pour
sa
part
Paul
Ardenne89
;
à
l’instar
de
l’image
abymée
dont
nous
avons
pu
dire
qu’elle
n’est
pas,
mais
qu’elle
devient.
Marcher,
Créer.
Déplacements,
flâneries,
dérives
dans
l'art
de
la
fin
du
XXe
siècle,
Paris,
Editions
du
Regard,
coll.
Arts
plastiques,
2007,
191
p.
88
DAVILA
Thierry,
89
ARDENNE
Paul,
op.
cit.,
p.
97
83
Fidèles
à
leur
critique
de
toute
représentation,
de
toute
théâtralité
‐
l’exploration
psychogéographique
de
l’espace
urbain
se
refuse
à
se
donner
en
spectacle,
les
situationnistes
rompent
avec
la
nécessité
de
faire
œuvre.
Ils
désœuvrent
la
prétention
artistique.
Leur
radicalité
tranche
avec
le
déplacement
de
l’artiste
tel
que
le
pratique
par
exemple
Francis
Alÿs,
dont
la
double
projection
vidéo
intitulé
re‐enactments
(2001)
le
présente
circulant
librement
à
pied
dans
les
rues
de
Lima
avec
une
arme
de
poing
à
la
main,
jusqu’à
ce
que
la
police
intervienne
et
par
sa
«
participation
»
mette
un
terme
à
l’action.
Fig.
20
ALYS
Francis,
Re‐enactements,
2001,
in
FRIELING
Rudolf,
op.
cit.,
p.159
84
Dans
un
autre
registre
et
pour
en
revenir
au
cadre
photographique
de
ce
mémoire,
la
phase
préalable
à
la
production
d’images
tant
chez
Gilles
Saussier
que
chez
Marc
Pataut
consiste
en
un
travail
exploratoire
qui
vise
à
déterminer
l’espace
de
pertinence.
Gilles
Saussier
marche,
rencontre
la
personne
qui
pourrait
devenir
son
sujet
et
comprend
en
l’écoutant,
en
l’observant,
que
sa
relation
à
l’espace
est
plus
complexe
qu’elle
ne
le
laisse
paraître
de
prime
abord.
Il
l’indique
lorsqu’il
écrit
que
le
signe
de
la
modestie
sociale
en
France
ne
s’oppose
pas
nécessairement
à
un
statut
plus
enviable
ailleurs
:
on
peut
loger
dans
un
Habitat
à
Loyer
Modéré
ici
et
devenir
propriétaire
d’une
demeure
dans
un
autre
pays.
Comment
rendre
compte
de
l’appartenance
à
un
double
espace
par
la
photographie
?
Le
photographe
se
déplace
et
fait
œuvre
à
travers
le
récit
qu’il
donne
de
cette
expérience,
alors
qu’il
abandonne
‐
peut‐être
momentanément
–
l’espoir
d’en
produire
la
moindre
image.
Tel
est
en
tout
cas
la
lecture
que
nous
proposons
du
récit
que
présente
Gilles
Saussier
de
sa
rencontre
avec
le
jeune
Lahcen
dans
le
catalogue
collectif
Images
d’un
renouvellement
urbains90.
Chez
Marc
Pataut,
l’œuvre
se
déplace,
elle
est
transportée,
montrée,
discutée,
évaluée,
non
en
des
termes
marchands
mais
sociopolitiques,
à
l
‘intérieur
du
territoire
que
ses
déplacements
contribuent
à
cartographier.
Nous
pensons
ici
aux
territoires
du
pays
Tullois
;
mais
également
à
ceux
de
la
mobilisation,
de
la
contestation
et
de
la
construction
sociales.
Ainsi
la
manifestation
apparait
comme
le
lieu
d’une
spatialité
élastique
où
le
positionnement
de
différents
portraits
faisant
œuvre
par
l’ensemble
qu’ils
forment
varie
à
travers
le
déplacement
des
personnes
qui
les
brandissent.
Sortir
du
défilé
avec
l’un
de
ces
portraits
ne
condamne
pas
nécessairement
l’œuvre
à
disparaître.
Cela
permet
au
contraire
d’investir
d’autres
significations
et
d’autres
rapports
à
l’image
comme
autant
d’extensions
possibles
de
l’œuvre,
entre
les
images
qui
réintègreront
le
défilé
et
celles
qui
s’en
échapperont.
Tant
que
l’image
joue
avec
le
périmètre
qui
permet
encore
de
l’identifier
à
un
ensemble,
elle
continue
d’œuvrer
à
travers
son
déplacement
;
cependant
dès
qu’elle
rompt
le
pacte
de
l’ensemble,
de
la
Gestalt,
dès
qu’elle
prend
la
poudre
d’escampette,
elle
peut
certes
continuer
à
œuvrer
en
solitaire
ou
nourrir
de
nouvelles
solidarités
esthétiques
mais
elle
peut
également
Images
d’un
renouvellement
urbain.
Artistes
accueillis
en
résidence
à
Cherbourg,
Cherbourg,
Le
point
du
jour,
2008,
pp.
99‐106
90
85
désœuvrer,
renoncer
à
sa
prétention
artistique,
ce
qui
ne
la
réduit
pas
pour
autant
au
silence.
86
«
The
poetics
of
open
work
tends
to
encourage
acts
of
conscious
freedom
on
the
part
of
the
performer
and
place
him
at
the
focal
point
of
a
network
of
limitless
interrelations91
»
Cela
renvoie
à
la
dimension
que
Jochen
Gerz
explore
dans
le
travail
que
nous
avons
déjà
cité,
entre
la
valeur
d’ensemble
de
l’œuvre
présentée
et
conservée
dans
l’institution
muséale
et
la
diffusion
fragmentaire
des
images
(dont
elle
est
constituée),
dans
les
foyers
de
quelques
habitants
d’une
même
ville
d’une
part
et
dans
les
pages
d’un
journal
de
la
presse
locale
d’autre
part.
Dans
les
protocoles
de
monstration
des
images,
Gilles
Saussier
a
régulièrement
recours
au
décrochage
comme
acte
signifiant
qu’il
photographie.
Ce
processus
constitue
la
première
étape
d’une
mise
en
abyme,
il
diffuse
ainsi
le
moment
où
se
superposent
les
images
ou
lorsque
la
disposition
horizontale
des
portraits
semble
indiquer
symboliquement
la
répartition
des
habitants
à
l’échelle
du
quartier.
La
superposition
et
la
répartition
des
images
décrochées
sont
les
signes
annonciateurs
de
la
mise
en
abyme,
une
métaphore
de
l’image
fragilisée
dans
son
statut
d’œuvre.
La
mise
en
abyme
est
en
effet
bien
ce
que
nous
en
avons
dégagé
auparavant
:
elle
est
un
déplacement
de
l’œuvre
comme
processus
de
disparition
progressive.
On
le
voit
parmi
ses
exemples,
le
déplacement
de
l’œuvre
peut
aboutir
à
sa
consumation,
à
sa
disparition
dans
l’image
(image
abymée),
voire
à
sa
destruction
physique
(moisissure,
humidité,
pourrissement).
Les
images
données
par
Gilles
Saussier
en
1997
après
plus
de
huit
ans,
exposées
dans
des
échoppes
au
regard
de
tous
et
objets
de
décoration
mais
aussi
de
mémoire
tendent
à
disparaître.
Il
explique
ainsi
la
séquence
de
la
page
105
à
109
de
son
livre
comme
suit
:
«
Uma
Shankar
Dhar,
53
Shakhari
bazar,
‐
qui
pose
avec
sa
dernière
née,
en
regard
d’une
poupée
blonde,
sur
la
photographie
de
studio
extraite
de
l’album
de
famille
‐
fut
le
premier
habitant
à
venir
décrocher
son
portrait
lors
de
l’exposition
sous
chapiteau
de
1997.
Son
gendre,
Shib
Charan
Dhar,
avec
lequel
il
pose
de
nouveau
devant
sa
boutique
en
2004,
fut
le
cinquième.
Le
premier
tirage
donné
‐
un
portrait
d’Uma
le
91
ECO
Umberto,
«
The
poetics
of
Open
work
»
1962,
in
BISHOP
Claire,
Participation,
Londres,
Cambridge,
White
chapel,
MIT
press,
2006,
p.
14
87
visage
couvert
d’une
fine
pellicule
de
poussière
bleue,
fait
lors
de
Holi
puja
(«
Fête
des
couleurs
»)
en
1995
‐
a
longtemps
décoré
sa
boutique
où
il
vend
de
l’encens,
des
livres
religieux
et
des
posters,
en
plus
des
traditionnels
bracelets
de
conques.
Lors
de
mes
dernières
visites
en
2005
et
2006,
le
tirage
avait
disparu,
victime
de
l’humidité
et
de
la
poussière,
comme
les
autres
images
données
en
1997
dont
la
plupart
sont
en
voie
d’effacement
».92
Fig.
21
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
in
op.
cit.,
p.
105
92
SAUSSIER
Gilles,
op.
cit.,
pp.
105‐109
88
Fig.
22
SAUSSIER
Gilles,
ibid.,
pp.
106‐107
89
Fig.
23
SAUSSIER
Gilles,
ibid.,
p.
108
90
Fig.
24
SAUSSIER
Gilles,
ibid.,
p.
109
La
situation
de
telles
images
n’est
pas
sans
faire
penser
à
la
destruction
de
certaines
œuvres
par
leur
créateur
au
terme
d’un
acte
somptuaire93,
souvent
de
crémation.
Cela
renvoie
directement
à
l’analyse
du
Potlatch
par
Marcel
Mauss
–
qui
est
à
l’origine
de
sa
théorie
du
fait
social
total
–
dont
Georges
Bataille
a
tiré
son
esthétique
de
la
dépense94,
qui
marquera
et
marque
encore
un
pan
non
négligeable
de
l’art
L'ordre
sauvage.
Violence,
dépense
et
sacré
dans
l'art
des
années
1950‐1960,
Paris,
Gallimard,
coll.
Art
et
artistes,
2004,
408
p.
93
BERTRAND‐DORLEAC
Laurence,
La
Part
maudite.
Précédé
de
la
Notion
de
dépense,
Paris,
Editions
de
Minuit,
coll.
94
BATAILLE
Georges,
Critique,
1967
[1949],
232
p.
91
contemporain
(en
particulier
les
artistes
du
Nouveau
réalisme).
Julien
Blaine,
que
nous
avons
cité,
a
lui
même
réalisé
en
1967
une
action
poétique
en
compagnie
de
Carmelo
Arden
Quin
(le
créateur
de
Arte
Madi)
qui
consista
dans
la
«
destruction
des
forces
cycliques
».
Fig.
25
BLAINE
Julien
(et
ARDEN
QUIN
Carmelo),
«
destruction
des
forces
cycliques
»
(1967),
in
Approches,
n°3,
1968,
Paris,
n.p.
Le
déplacement
de
l’œuvre
concerne
donc
plusieurs
aspects
de
son
statut.
Avec
la
mise
en
abyme,
l’œuvre
se
déplace
à
l’intérieur
d’une
autre
image.
Nous
avons
employé
précédemment
l’expression
d’album
de
famille
;
mais
on
peut
considérer
que
les
images
abimées
forment
également
des
collections
d’œuvres
:
le
livre
ferait
alors
office
de
lieu
d’exposition.
Dans
ce
registre,
les
Museum
Photographs
de
Thomas
Struth
relèvent
encore
d’une
autre
dimension,
celle
où
la
mise
en
abyme
réunit
au
sein
d’une
même
image
œuvre
et
public.
Le
déplacement
de
l’œuvre
dans
l’image
a
alors
pour
effet
d’abolir
la
distance
qui
sépare
la
présence
de
l’œuvre
de
celle
du
public.
«
Dans
les
salles
rouges
du
Louvres,
[Thomas]
Struth
a
saisi
un
petit
groupe
de
visiteurs
assemblés
devant
le
92
Radeau
de
la
Méduse
de
Géricault.
Dans
l’histoire
de
la
peinture
historique
monumentale,
ce
tableau
avait
marqué
un
tournant
puisque
ici
les
protagonistes
de
la
situation
n’étaient
plus
des
héros,
mais
un
groupe
d’homme
inconnus
partie
prenant
d’un
événement
contemporain
(le
naufrage
de
la
frégate
française
Méduse
lors
d’un
voyage
en
Afrique
en
1816)
élevé
au
rang
d’allégorie.
Comme
les
personnages
de
Géricault,
les
spectateurs
du
tableau
deviennent
dans
la
photographie
de
Struth
des
protagonistes
inconnus.
L’attention
avec
laquelle
ils
regardent
le
drame
du
naufrage
les
implique
dans
la
scène
représentée,
sentiment
encore
renforcé
par
le
sens
de
la
lecture
qu’impose
la
composition
de
l’image
de
Struth.
Le
spectateur
de
la
photographie
pénètre
facilement
dans
le
champ
visuel
par
l’intermédiaire
de
la
femme
positionnée
en
bas
à
gauche.
En
suivant
ce
groupe,
le
regard
est
mené
jusqu’
à
la
scène
peinte
qu’il
parcourt
de
manière
ascensionnelle
jusqu’au
drapeau
érigé
sur
le
radeau,
au
sommet
de
la
composition
triangulaire
de
la
peinture
et
fait
ainsi
saillir
la
structure
formelle
de
l’œuvre.
Ce
rapport
peut
donc
être
interprété
comme
une
véritable
mise
en
abyme,
comme
une
pièce
dans
la
pièce95».
Il
s’agit
bien
entendu
d’une
allégorie
du
déplacement
du
public
en
direction
de
l’œuvre
et
vice
versa.
La
mise
en
abyme
donne
l’illusion
de
la
fusion
structurelle
de
l’œuvre
et
du
public
comme
pour
mieux
en
signifier
toute
la
distance
car,
dans
les
faits,
le
public
reste
un
groupe
social
clairement
identifiable.
De
même,
dans
le
projet
que
Greger
Ulf
Nilson
et
Christian
Caujolle96
ont
mené
à
Stockholm,
les
œuvres
se
déplacent
sur
l’un
des
non‐lieux
habituels
de
l’activité
humaine,
mais
leur
présentation
n’implique
pas
une
remise
en
cause
de
la
notion
de
public.
Ici,
l‘objectif
est
tout
autre.
Le
déplacement
met
à
la
portée
du
plus
grand
Les
Museum
Photographs
de
Thomas
Struth.
Une
mise
en
abyme,
Paris,
Maison
des
Sciences
de
l’homme,
coll.
Passerelles,
série
française,
2005,
pp.
50‐52
95
SCHMICKL
Silke,
96
A
la
fin
des
années
dix
neuf
cent
quatre
vingt
dix,
le
journal
Métro,
avec
le
soutien
de
Christian
Caujolle
et
de
Greger
Ulf
Nilson,
a
collé
plus
de
400
reproductions
de
photographies
du
monde
entier
sur
les
panneaux
réservés
à
l’affichage
publicitaire
du
Métropolitain
de
Stockholm.
Cette
mise
en
exposition
des
images
était
accompagnée
d’une
édition
spéciale
du
journal
Métro
éditée
à
un
million
d’exemplaires.
Celui‐ci
référençait
le
lieu
où
chaque
reproduction
d’œuvre
pouvait
être
vue,
ainsi
que
des
informations
sur
l’auteur,
le
titre
de
l’image,
sa
date
de
création
et
le
contexte
dans
lequel
elle
a
été
produite.
Cette
mise
en
exposition
se
déclinait
sous
deux
formes
:
l’une
de
monstration,
l’autre
d’information
et
de
documentation.
L’affichage
ne
présentait
que
l’image
sans
le
nom
de
l’auteur,
le
journal‐catalogue
reproduisait
chaque
image
et
référençait
l’ensemble
des
informations
précitées.
93
nombre
des
œuvres
reconnues
ou
des
reproductions
de
celles‐ci
dans
l’espace
public.
Il
s’agit
tout
d’abord
de
renvoyer
les
images
au
lieu
qui
les
inspirent
;
c’est
à
dire
les
lieux
du
quotidien.
En
ce
sens,
l’initiative
relève
du
déplacement
de
l’œuvre
de
l’institution
muséale
à
la
sphère
du
domaine
public.
Il
s’agit
ensuite
sur
un
plan
plus
spécifiquement
sociologique
de
convertir
les
non‐lieux,
les
espaces
transitoires,
en
lieux
où
le
temps
peut
se
déposer.
Les
photographies
n’auront
aucun
effet
sur
le
rythme
de
circulation
des
rames
de
métro.
Par
contre,
on
peut
espérer
à
tout
le
moins
qu’elles
suscitent
un
rapport
disjoint
de
la
part
des
voyageurs.
Dans
ce
flux
incessant
de
passagers,
un
temps
dans
le
temps
est
possible
:
celui
du
regard
et
peut‐être
de
la
discussion.
A
travers
les
exemples
que
nous
avons
donnés
tout
au
long
du
mémoire
et
sur
lesquels
nous
sommes
revenus,
le
déplacement
de
l’œuvre
manifeste
différents
modes
d’existence
de
l’image
qui
néanmoins
peuvent
parfaitement
s’emboîter
;
les
plus
radicaux
étant
ceux
qui
positionnent
l’image
à
deux
extrémités
:
l’absence
de
production
d’images
–
les
situationnistes,
à
l’opposé
de
l’art
action
et
contextuel,
se
refusent
à
documenter
leurs
investigations
psychogéographiques
‐,
la
substitution
du
texte,
du
récit,
à
l’image
(Gilles
Saussier
relatant
son
expérience
avec
le
jeune
Lahcen)
et
les
renoncements
à
faire
valoir
tout
droit,
toute
autorité
sur
l’image
(Gilles
Saussier
encore,
sur
le
destin
des
portraits
effectués
à
Dahka)
et
Marc
Pataut
lorsqu’il
confie
ses
portraits
de
chômeurs
à
d’autres
personnes
dans
le
cadre
de
manifestations.
Le
temps
d’un
instant,
même
si
le
collectif
Ne
pas
plier
conserve
ses
images
à
la
fin
du
défilé,
ces
images
n’appartiennent
plus
à
personne.
Le
temps
d’un
instant,
l’image
semble
être
la
propriété
de
l’espace
public
:
elle
ne
porte
aucune
signature
ou
plutôt
porte
la
signature
du
réseau
de
citoyens
auxquels
elle
s’identifie
et
donne
la
parole
(même
si
il
s’agit
d’une
parole
imagée).
Nous
avons
déjà
indiqué
sur
ce
point
que
leur
effet
est
à
l’image
du
projet
républicain
:
construire
une
fraternité,
si
ce
n’est
nationale,
du
moins
géographique.
94
Conclusion
Tout
au
long
de
cette
étude,
nous
avons
mis
au
jour
un
certain
nombre
de
procédés
et
processus
par
lesquels
l’image
s’est
dématérialisée.
L’image
a
pris
corps
à
travers
deux
manières
principales
de
la
mettre
en
abyme
:
en
elle‐même
et
au‐delà
d’elle‐
même.
Cette
condition
associée
chez
Gilles
Saussier
au
pourrissement,
équivalent
en
cela
à
certaines
pratiques
somptuaires
de
l’art
contemporain,
est
donc
apparue
comme
la
voie
amenant
à
toucher
l’image
photographique,
à
la
manipuler.
Nous
pourrions
dire
que
cette
image
est
salie.
Paradoxalement
ou
non,
l’empreinte
laissée
sur
l’image
qui
l’abîme
est
un
vecteur
puissant
de
sens.
C’est
dans
cette
optique,
de
renouveler
la
signification
du
travail
photographique,
et
par
là
l’image
elle‐même,
que
les
photographes
dont
nous
avons
analysé
le
travail
ont
recouru
à
plusieurs
méthodes
d’approches
qui,
de
la
coprésence
à
la
participation,
en
passant
par
la
collaboration,
partagent
une
même
nécessité
d’associer
le
sujet,
voire
le
public,
à
la
création
de
sa
propre
image
ou
d’une
image
partagée.
Dans
l’introduction,
nous
nous
demandions
si
le
fait
de
chercher
à
déplacer
la
limite
existante
entre
le
créateur
et
le
public
allait
aboutir
à
déplacer
l’œuvre
par
voie
de
conséquence.
Or,
en
déplaçant
l’œuvre
physiquement,
c’est
le
statut
de
l’œuvre
elle‐
même
qui
se
trouve
modifié.
Le
travail
photographique
persiste,
nous
pouvons
même
dire
qu’il
s’amplifie
puisqu’il
s’étend
dans
le
temps
et
l’espace
;
mais
c’est
l’image
elle‐
même
qui,
de
la
prétention
à
faire
œuvre,
se
trouve
intégrée
à
toute
une
imagerie
documentaire
qui
remet
en
cause
la
frontière
entre
la
valeur
artistique
et
la
valeur
d’usage.
A
ce
titre,
une
fois
de
plus,
le
travail
de
Gilles
Saussier
nous
a
apporté
un
élément
déterminant
avec
sa
pratique
de
la
mise
en
abîme.
Nous
avons
ainsi
opposé
l’album
de
famille
traditionnel
qui
compile
des
images
individuelles
comme
autant
de
portraits
ou
de
documents
figeant
le
temps
et
l’espace
à
un
autre
genre
d’album
de
famille
qui
se
concentre
tout
entier
dans
une
seule
image
où
la
mémoire
acquiert
une
temporalité.
La
mémoire
est
vivante
à
condition
qu’elle
continue
de
s’abîmer
et
de
s’abymer
dans
l’image.
Contre
l’image
éternelle,
celle
que
l’on
conserve
autant
dans
95
les
salles
spécialisées
d’un
musée
que
dans
l’album
de
famille
traditionnel,
Gilles
Saussier
‐
mais
cela
vaut
également
pour
Marc
Pataut
et
bien
d’autres
artistes
‐
propose
une
image
en
mouvement
:
une
image
qui
ne
peut
être
mobile
qu’en
disparaissant.
Tel
est
nous
semble‐t‐il
l’enseignement
majeur
de
ce
mémoire
:
l’image
procure
du
sens
parce
qu’elle
acquiert
une
valeur
d’usage
et
que
nous
ne
craignons
pas
de
la
voir
se
modifier,
exister
ne
serait‐ce
que
fragmentairement
au
sein
d’une
autre
image,
d’une
autre
temporalité,
d’une
autre
spatialité.
96
Partie
pratique
Les
récents
conflits
au
Moyen
Orient,
en
Europe
centrale,
en
Afrique
ainsi
que
les
différences
de
niveaux
de
vie
entre
pays,
contraignent
certaines
populations
à
l’exil.
L’importance
de
la
Déclaration
des
Droits
de
l’Homme
que
notre
pays
a
contribué
à
fonder
d’une
part
et
la
politique
de
protection
des
apatrides
et
des
réfugiés
politiques
qu’il
a
longtemps
menée
d’autre
part,
sont
quelques‐unes
des
raisons
qui
expliquent
la
volonté
de
nombreux
étrangers
de
trouver
en
France
une
terre
d’asile
et
un
pays
où
mener
une
nouvelle
vie.
L’ouverture
des
frontières
à
l’intérieur
de
l’Europe
a
dans
le
même
temps
contribué
à
renforcer
les
frontières
à
l’extérieur
de
ce
périmètre
géographique
;
la
politique
sécuritaire
européenne
rend
les
conditions
d’admissibilité
au
territoire
européen
de
plus
en
plus
complexes.
En
France,
la
création
récente
du
Ministère
de
l’Immigration,
de
l’Intégration,
de
l’Identité
nationale
et
du
Codéveloppement
témoigne
de
cette
volonté
de
limiter
l’accès
au
territoire
français.
La
durée
de
préparation
de
ce
mémoire
ne
me
permettait
pas
de
réaliser
un
travail
en
étroite
relation
avec
un
ou
plusieurs
sujets.
Cela
aura
nécessité
de
longs
mois
pour
parvenir
à
installer
un
climat
de
confiance
entre
lui
(eux)
et
moi.
J’ai
donc
choisi
plutôt
de
mettre
en
œuvre
un
dispositif
impliquant
de
multiples
rapports
à
une
imagerie
vouée
au
désœuvrement,
par
la
participation
et
la
diffusion
par
voie
de
presse.
L’enjeu
de
ma
partie
pratique
consiste
plutôt
à
vérifier
la
pertinence
d’un
certain
nombre
de
protocoles
que
j’envisage
de
développer
prochainement.
Pour
informer
sur
la
politique
d’immigration
que
mène
actuellement
le
gouvernement
français,
j’ai
photographié
cent
avis
d’expulsion
différents
qui
ont
tous
été
adressés
dans
les
derniers
mois.
Il
s’agit
donc
des
documents
administratifs
produits
par
la
Préfecture
de
police
signifiant
au
ressortissant
étranger
en
situation
irrégulière
l’obligation
de
quitter
le
territoire
français
(OQTF).
Ces
documents
sont
généralement
des
photocopies
que
j’ai
photographiées
à
la
CIMADE
car
je
ne
pouvais
envisager
d’obtenir
des
documents
originaux
sans
97
entretenir
de
véritables
relations
avec
les
personnes
concernées.
J’ai
également
passé
quelques
jours
à
la
permanence
d’urgence
auprès
des
bénévoles
et
des
salariés
qui
accompagnent
les
étrangers
dans
la
formulation
du
recours
juridique
contre
les
autorités
françaises.
Durant
cette
période,
j’ai
photographié
une
quinzaine
de
personnes
me
montrant
leurs
arrêtés
d’expulsion.
Une
procédure
différente
selon
les
situations
de
prise
de
vue
s’est
mise
en
place
:
‐
la
première
est
une
vue
plongeante
sur
un
document
posé
sur
table
qui
renvoie
à
la
position
de
lecteur,
mettant
ainsi
le
participant
de
l’action
ou
le
spectateur
de
celle‐ci
dans
une
position
de
lecteur
équivalente
à
celle
de
la
personne
à
laquelle
le
document
est
adressé.
‐
la
seconde
prise
de
vue
montre
le
même
document
frontalement.
Les
destinataires
du
courrier
le
tiennent
du
bout
des
doigts.
Nous
avons
ainsi
quelques
informations
liminaires
sur
ces
personnes
:
la
peau
de
leurs
mains
indique
une
couleur,
un
âge
approximatif,
leur
éventuelle
habitude
des
travaux
manuels,
etc..
Ces
prises
de
vue
présentent
une
humanité
fragmentée,
une
identité
que
l’on
ne
peut,
qu’ils
ne
peuvent,
que
je
ne
peux
dévoiler.
Ce
choix
pourra
étonner
;
mais
il
est
à
lire
et
analyser
à
la
lumière
du
travail
écrit
qui
précède
la
présentation
de
cette
partie
pratique.
Les
exemples
de
mises
en
abyme
ont
clairement
indiqué
que
nous
pouvions
les
pratiquer
de
diverses
manières
et
qu’elles
sont
parfaitement
complémentaires.
L’un
des
dispositifs
que
j’ai
souhaités
créer
consiste
à
reproduire
huit
(il
aurait
été
souhaitable
d’en
reproduire
autant
de
jours
ouvrables
qu’en
compte
une
année
civile
ou
à
tout
le
moins
une
douzaine,
symbolisant
ainsi
les
douze
mois
de
l’année)
de
ces
arrêtés
d’expulsion
en
pleine
page,
sans
aucune
légende,
d’un
journal
composé
au
format
du
quotidien
Libération.
Imprimé
à
plusieurs
centaines
d’exemplaires,
ce
journal
aurait
ainsi
invité
ses
lecteurs
à
poser
leurs
doigts
sur
ceux,
reproduits,
de
ces
étrangers
à
qui
l’Etat
français
impose
son
déni
de
citoyenneté.
Mise
en
abyme
inversée
en
un
sens
puisque
pour
toucher
ces
gens‐là,
pour
les
sortir
de
leur
clandestinité,
nous
en
sommes
réduits
à
figurer
leur
présence,
nous
en
sommes
réduits
à
relayer
de
toutes
pièces
le
récit,
le
texte
d’une
narration
photographique
qui
n’a
rien
de
fictif
:
nous
avons
donc
98
l’espoir
que
cette
partie
pratique
découvre
un
mode
narratif
qui
creuse
davantage
notre
abyme
intérieure
que
les
conditions
de
leur
propre
représentation.
‐
Le
second
protocole
d’intervention
consiste
dans
l’affichage
de
ces
portraits.
Car
ces
arrêtés
d’expulsion
sont
de
véritables
portraits.
Je
viens
d’écrire
qu’ils
figurent
l’absence
des
personnes
auxquelles
ils
sont
expédiés.
Des
portraits
figurés
par
le
texte
et
les
mains
qui
contiennent,
on
le
sait,
à
elles
seules
toute
une
vie,
toute
leur
empreinte
dans
notre
vie
quotidienne.
Les
portraits
seront,
ainsi
que
dans
le
journal,
anonymes.
Les
identités
des
personnes
et
du
photographe
y
sont
masquées.
L’affichage
sera
collectif
et
se
réalisera
dans
plusieurs
villes.
A
Paris,
Clermont‐Ferrand
et
Lyon.
Dans
chaque
ville,
nous
procéderons
de
la
même
manière.
Il
s’agira
d’un
collage
citoyen
invitant
le
passant
à
discuter
de
notre
projet,
de
la
situation
des
sans‐papiers
en
France
et,
le
cas
échéant,
à
partager
notre
initiative.
L’affichage
sera
complété
par
la
distribution
de
portraits
individuels
que
tout
un
chacun
pourra
abymer
à
son
tour.
‐
Cette
partie
pratique
sera
enfin
complétée
par
la
mise
en
service
d’un
blog
d’information
sur
ce
projet.
Nous
travaillons
enfin
à
ce
qu’un
quotidien
national
se
fasse
l’écho
de
l’imagerie
créée
à
l’occasion
de
ce
travail
et
documente
l’action
réalisée.
99
‐
100
101
102
103
104
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Sur
la
photographie
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BENJAMIN
Walter,
L'Œuvre
d'art
à
l'époque
de
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Livre
d’auteur
BARRADA
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MASSON
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RIFFLET
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Fais
un
fils
et
jette‐le
à
la
mer.
Marseille/Tanger,
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2003,
159
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105
NE
PAS
PLIER
Catalogue
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Rudi,
Ne
pas
plier,
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Autre
documentation
Acte
du
premier
festival
Ne
pas
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recherche CAUDROY
Christophe,
La
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d’actualité,
mémoire
de
fin
d’études
sous
la
direction
de
Mme
Françoise
Denoyelle,
Noisy‐le‐Grand,
109
Ecole
Nationale
Supérieure
Louis‐Lumière,
section
photographie,
2004,
131
p.
EID‐SABBAGH
Yasmine,
De
la
collaboration
en
photographie,
mémoire
de
fin
d’études
sous
la
direction
de
M.
Michel
Guerrin
et
de
M.
Bernard
Lemelle,
Noisy‐le‐
Grand,
Ecole
Nationale
Supérieure
Louis‐Lumière,
section
photographie,
2005,
2
tomes,
126
p.
&
103
p.
GAYE
William,
Procédures
Documentaires
:
Créer
du
sens
dès
la
capture
ou
lors
de
la
restitution
des
images
?,
sous
la
direction
de
Christian
Caujolle
et
de
Mat
Jacob,
Noisy‐
le‐Grand,
Ecole
Nationale
Supérieure
Louis‐Lumière,
section
photographie,
2008,
2
tomes,
126
p.
&
136
p.
110
Tables
des
Illustrations
Fig.
1
PATAUT
Marc,
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vie,
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La
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Automne
1995,
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Européenne
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Paris
audiovisuel,
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Paris
8,
p.
32 ............................................ 13
Fig.
2
SAUSSIER
Gilles,
rue
Carnot,
Cherbourg‐Octeville,
2008,
in
Images
d’un
renouvellement
urbain.
Artistes
accueillis
en
résidence
à
Cherbourg,
Cherbourg,
Le
point
du
jour,
2008,
p.
101..................................................................................................... 23
Fig.
3
SAUSSIER
Gilles,
place
centrale,
Cherbourg‐Octeville,
2008,
ibid,
p.
104............. 24
Fig.
4
SAUSSIER
Gilles,
Living
in
the
fringe
,
Paris,
Association
figura,
1998,
couverture
et
p.
45................................................................................................................................................... 35
Fig.
5
Page
extraite
du
journal
Existence.
Acte
du
premier
festival
Ne
pas
plier,
Paris,
2001,
n.p............................................................................................................................................... 37
Fig.
6
A
propos
des
images
de
Yassine
Hassani
(ci‐contre)
prises
neuf
mois
plutôt,
Darna,
Tanger,
Décembre
2001,
in
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
Fais
un
fils
et
jette‐le
à
la
mer.
Marseille/Tanger,
Paris,
Sujet/Objet,
2003,
pp.
66‐67 ................................................................................................................................. 45
Fig.
7
Karim.K,
porte
d’Aix,
Marseille,
mars
2001
;
Rushdi
B.,
Marseille,
mars
2001,
ibid.,
pp.
108‐109 ............................................................................................................................. 46
Fig.
10
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
op.
cit.,
p.
35 ............................................... 55
Fig.
11
SAUSSIER
Gilles,
Living
in
the
fringe,
op.
cit.,
p.
62 ...................................................... 56
Fig.
12
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
op.
cit.,
pp.
18‐19...................................... 61
Fig.
13
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
op.
cit.,
p.
35
;
p.
151 ............................... 63
Fig.
14
GERZ
Jochen,
The
Gift,
2000,
in
FRIELING
Rudolf,
The
Art
of
Participation:
1950
to
Now,
San
Francisco,
Londres,
San
Francisco
Museum
of
Modern
Art,
Thames
&
Hudson,
2008,
pp.
166‐167 ................................................................................... 68
Fig.
15
GERZ
Jochen,
The
Gift,
2000,
in
FRIELING
Rudolf,
op.
cit.,
p.
168.......................... 69
Fig.
16
GERZ
Jochen,
The
Gift,
2000,
in
FRIELING
Rudolf,
op.
cit.,
p.
169.......................... 71
Fig.
17
Maxence
Rifflet,
la
camionnette
de
Darna
passe
dans
la
ville
pour
annoncer
l’exposition
Photographier
un
morceau
de
pain,
Tanger,
avril
2002,
in
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
op.
cit.,
p.
43 ...................................................... 74
Fig.
18
Yto
Barrada,
Omar
Chaouri
trace
une
carte
de
la
ville
de
Tanger
au
sol,
Darna,
Tanger,
décembre
2001
;
Maxence
Rifflet,
vue
de
l’exposition
Photographier
un
morceau
de
pain,
galerie
Delacroix,
Tanger,
avril
2002,
in
BARRADA
Yto,
MASSON
Anaïs,
RIFFLET
Maxence,
op.
cit.,
p.
125............................................................. 76
Fig.
19
Alexandre
Rodtchenko,
Construction
ovale
suspendue,
1920,
in
BUCHLOH
111
Benjamin,
«
Faktura
et
Factographie
»
in
Essai
Historique
1.
Art
Moderne,
Villeurbanne,
Art
édition,
coll.
Textes,
1992,
p.
74............................................................ 78
Fig.
20
ALYS
Francis,
Re‐enactements,
2001,
in
FRIELING
Rudolf,
op.
cit.,
p.159......... 84
Fig.
21
SAUSSIER
Gilles,
Studio
Shakhari
Bazar,
in
op.
cit.,
p.
105 ...................................... 88
Fig.
22
SAUSSIER
Gilles,
ibid.,
pp.
106‐107..................................................................................... 89
Fig.
23
SAUSSIER
Gilles,
ibid.,
p.
108 ................................................................................................. 90
Fig.
24
SAUSSIER
Gilles,
ibid.,
p.
109 ................................................................................................. 91
112
Annexes
Une
définition
de
l'éducation
populaire
URL
:
http://www.peuple‐et‐culture.be/articles.php?lng=fr&pg=83
16/04/09
consulté
le
Qu’est‐ce
que
l’éducation
populaire
?
par
Jean‐Luc
Degée,
Vice‐président
de
Peuple
et
Culture
Wallonie
Bruxelles
C’est
une
action
culturelle
de
résistance
aux
lieux
communs
et
à
toutes
les
oppressions.
Elle
part
des
vécus
et
des
expériences
de
chacun,
et
développe
collectivement,
par
des
démarches
critiques
et
créatives
choisies,
l’émancipation
de
tous
les
hommes.
(Atelier
PEC,
janvier
2003).
Une
action
culturelle
:
il
s’agit
bien
d’un
intervention
transformatrice
qui
a
pour
objet
la
vie
quotidienne
;
la
culture
n’ayant
dans
ce
projet
pas
seulement
fonction
de
représentation
mais
aussi
de
changement
du
monde.
L’expression
renvoie
à
une
politique
consciente,
délibérée,
voire
coordonnée
des
pouvoirs
publics
et
des
mouvements
associatifs.
Elle
renvoie
particulièrement
à
l’histoire
du
mouvement
ouvrier
se
construisant
à
travers
la
pratique
de
l’action
directe
et
mesurant
les
conquis
obtenus
et
les
dynamiques
de
lutte
en
cours.
L’insistance
sur
l’action
permet
également
de
se
distancier
des
pratiques
qui,
se
limitant
à
de
la
diffusion
culturelle,
voire
à
de
l’occupationnel
culturel,
ne
font
que
reproduire
les
habitudes,
les
clivages
et
donc
le
conservatisme
des
sociétés.
Une
action
de
résistance
aux
lieux
communs
et
à
toutes
les
oppressions
:
l’éducation
populaire
est
fille
de
résistance
:
celle
de
la
rébellion
contre
les
inégalités
sociales,
les
dictatures
politiques,
les
injustices
économiques,
les
assujettissements
culturels
:
résistance
aux
lieux
communs,
dans
toute
l’histoire
de
la
lutte
des
classes,
lumières
de
la
classe
ouvrière
dans
la
noire
exploitation
capitaliste
du
19ème
siècle,
espoirs
d’un
jour
nouveau
quand
il
faisait
minuit
dans
le
20ème
siècle,
refus
de
la
pensée
unique
du
21ème
siècle,
qu’elle
s’exprime
comme
fin
des
idéologies
(TINA
ou
«
There
Is
No
Alternative
»
ou
comme
éloge
du
vide
(LOFT
ou
les
(d)ébats
du
banal
).
C’est,
pour
reprendre
la
belle
expression
l’Annellese
Graf
«
regarder
attentivement
là
où
les
autres
ferment
les
yeux,
c’est
rester
vigilant,
sensible,
garder
sa
conscience
aiguisée,
avoir
la
volonté
ferme
de
comprendre,
de
ne
pas
se
laisser
mener
».
Elle
part
des
vécus
et
des
expériences
de
chacun
:
il
s’agit
là
d’une
caractéristique
de
l’éducation
populaire
qui
se
distingue
fondamentalement
des
idéologies
d’accès
à
la
culture,
de
distribution
culturelle
ou
encore
d’enseignement
conçu
comme
transmission
de
savoirs.
C’est
au
contraire
l’affirmation
que
chaque
homme,
quel
que
soit
sa
situation
sociale
ou
son
parcours
scolaire,
est
riche
de
pratiques
et
de
savoirs
qu’il
est
intéressant
de
mettre
en
évidence.
Il
ne
s’agit
pas
de
nier
les
différences
culturelles
mais
bien
de
refuser
leur
hiérarchisation
;
il
est
en
effet
de
multiples
manières
pour
l’homme
de
«
tirer
de
lui‐même
ce
dont
il
est
capable
»
pour
reprendre
l’expression
de
Bénigno
Cacéres,
compagnon
charpentier
devenu
animateur
d’éducation
populaire,
dont
l’itinéraire
illustre
très
justement
que
si
certains
prennent
une
longueur
d’avance
par
les
connaissances
scolaires
ou
l’habitus
113
culturel,
d’autres
possèdent,
par
leur
parcours
et
leur
milieu,
une
«
avance
d’existence
»
s’appuyant
par
exemple
sur
la
connaissance
des
métiers
et
l’expérience
de
la
vie.
Elle
développe
collectivement
:
le
souci
de
développement
personnel
est
évidemment
légitime,
mais
l’éducation
populaire
s’inscrit
dans
un
projet
collectif
:
son
action
se
veut
démultiplicatrice,
rayonnante,
spiralée.
La
question
du
report
et
du
transfert
est
au
centre
de
dynamique
d’action,
qu’on
se
réfère
aux
expériences
d’enseignement
mutuel
au
début
du
mouvement
ouvrier
ou
aux
résiliations
plus
récentes
du
réseau
d’échange
des
savoirs.
Ce
que
j’apprends
n’est
pas
priorité
privée
commercialisable,
c’est
parcelle
d’expression
d’humanité
qui
ne
prend
son
sens
que
dans
le
partage
et
la
mise
en
relation
avec
d’autres
dans
un
projet
commun.
C’est
aussi
occasion
de
reconnaissance
de
soi,
comme
individu
et
membre
d’une
classe
sociale,
non
plus
défini
comme
creux
ou
manque
mais
comme
relief
et
ressource.
Par
des
démarches
créatives
et
critiques
:
l’éducation
populaire
vise
explicitement
à
faire
de
chaque
homme
un
acteur
de
sa
vie
dans
le
domaine
culturel.
Dès
son
origine,
elle
a
favorisé
le
recours
à
des
méthodes
actives
mettant
les
participants
en
position
de
producteurs
individuels
et
collectifs
de
pensée
et
de
communication
ainsi
qu’en
mettant
à
leur
disposition
des
moyens
concrets
de
réalisation
variés
:
journal,
chanson,
peinture,
théâtre,
film,
…
En
favorisant
l’exercice
de
citoyenneté
culturelle,
l’éducation
populaire
fait
évidemment
le
choix
de
«
la
résistance
de
l’esprit
»
aux
conformismes
et
aux
soumissions
:
elle
est,
dans
un
certain
nombre
de
fleuves
idéologiques
à
contre
courant
des
tendances
dominantes.
C’est
aussi
dans
ce
sens
qu
‘elle
se
distancie
d’une
animation
«
populiste
»
qui
se
contenterait
d’épouser
les
vagues
commerciales.
Par
des
démarches
choisies
:
à
la
différence
de
l’enseignement
obligatoire,
l’éducation
populaire
postule
un
acte
librement
posé
de
participation
du
public.
L’éducation
populaire
apparaît
donc
comme
une
action
culturelle
fondée
sur
l’engagement
citoyen.
Cela
permet
évidemment
de
la
distinguer
d’autres
pratiques
proches
mais
différentes,
notamment
la
filière
de
la
formation
professionnelle
ou
le
parcours
de
réinsertion
sociale
:
il
ne
peut
y
avoir
en
matière
d’éducation
populaire
ni
pression
ni
section,
refus
de
diplôme
ou
retrait
d’allocation.
Notons
que
sur
le
terrain
des
formations
syndicales,
cette
question
a
fait
débat
et
a
donné
lieu
à
des
pratiques
divergentes
:
la
C.S.C
optant
pour
l’évaluation
certificative
(notamment)
là
où
la
FGTB
s’y
refuse
en
insistant
sur
la
démarche
de
transfert
aux
pairs
des
formations,
théories
et
pratiques
acquises
pendant
la
formation.
La
démarche
dynamique
des
animateurs
de
bases,
impulsée
par
certaines
centrales,
s’inscrit
dans
ce
choix.
Du
point
de
vue
des
éducateurs
populaires,
la
participation
non
contrainte
du
public
implique
une
souplesse
organisationnelle
et
un
choix
pédagogique
qui
tiennent
compte
des
désirs
et
des
richesses
des
participants.
L’émancipation
de
tous
les
hommes
:
le
souhaitable
est
clairement
identifié
:
aider
à
sortir
des
aliénations
des
milieux
de
travail,
d’étude,
de
famille,
de
quartier,
de
loisir
tous
les
hommes
sans
exception.
Or
l’expérience
a
précisément
démontré
que
cette
démarche
n’allait
pas
de
soi
:
ce
sont
essentiellement
les
classes
moyennes
qui
ont
bénéficié
des
ouvertures
culturelles.
Au
fur
et
à
mesure
des
modifications
sociologiques,
le
flou
des
représentations
s’est
développé
en
se
traduisant
notamment
par
des
glissements
sémantiques
(éducation
ouvrière
?
populaire
?
permanente
?)
qui
ont
presque
fait
oublier
l’existence
de
clivages
sociaux.
De
114
nouvelles
grilles
de
lectures
de
l’espace
social
sont
apparues
(
les
«
forces
vives
»
?
les
«
précarisés
»
?
les
«
exclus
»
?
qui
ciblent
de
nouveaux
publics
de
façon
impressionniste.
Si
des
«
bonus
»
sont
prévus
pour
l’action
en
milieux
dits
défavorisés,
la
réflexion
sur
les
conditions
de
réalisation
d’une
éducation
populaire,
comme
condition
culturelle
d’épanouissement
de
l’humanité
entière,
doit
être
relancée.
Education
:
indique
un
choix
du
développement
de
la
personnalité
dans
toutes
ses
composantes,
éduquer
serait
permettre
tous
les
épanouissements.
Populaire
:
affirma
la
volonté
de
s’adresser
à
toutes
les
couches
de
la
population
,avec
une
attention
toute
particulière
pour
celles
qui
sont
en
situation
de
non
possession
des
avoirs,
savoirs
ou
pouvoirs
légitimés.
Date
de
création
:
22/03/2004
115


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