Les personnes déplacées à l`intérieur de leur propre pays tentent de

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Les personnes déplacées à l`intérieur de leur propre pays tentent de
28 novembre 2012
CÔTE DʼIVOIRE
Les personnes déplacées à l’intérieur de leur
propre pays tentent de refaire leur vie sur
fond de paix fragile
La Côte d’Ivoire a été le théâtre du plus
important déplacement interne de population observé dans le monde en 2011,
suite à un violent conflit pour la prise
de pouvoir né de la contestation des
résultats des élections présidentielles.
Les graves violations des droits fondamentaux commises par les partisans
des deux camps et les affrontements les
opposant ont provoqué le déplacement
d’un million de personnes à l’intérieur
Environ 150 000 personnes ont été déplacées dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire au
du territoire. Deux ans après, la plupart
plus fort de la crise post-électorale. La Mission catholique de Duékoué (ci-dessus) a
abrité près de 28 000 hommes, femmes et enfants dans des abris de fortune surpeude ces personnes déplacées à l’intérieur plés. © IDMC/E.J. Rushing, octobre 2012
de leur propre pays (PDI) ont regagné
leur foyer pour tenter d’y refaire leur vie. Cependant, des dizaines de milliers d’entre elles
n’ont toujours pas trouvé de solutions durables à leur déplacement.
Faute de processus de suivi global, il est impossible de déterminer le nombre de PDI
ayant pu remédier durablement à leur situation, qu’il s’agisse des personnes déplacées
pendant la crise post-électorale ou lors du conflit précédent. L’insécurité et les besoins
humanitaires sont particulièrement prononcés à l’ouest et au sud-ouest du pays. L’accès
à la terre reste l’un des principaux obstacles au retour des personnes déplacées dans ces
régions, où les litiges fonciers récurrents perpétuent les déplacements et alimentent les
tensions ethniques. D’autres difficultés majeures se dressent devant les PDI qui tentent
de retrouver une vie normale : insécurité alimentaire, accès limité aux services de santé,
d’éducation et de logement ainsi que violences sexuelles fondées sur le genre.
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Zones de déplacement interne lors de la crise post-électorale,
2010-2011
Capitale, capitale économique Attaques armées en 2012:
Capitale régionale
Attaque contre le camp de Nahibly (20 juillet)
MALI
Villes, villages
Attaque par des groupes armés
Frontière internationale
Attaques contre les forces de police et militaires
Frontière régionale
Principales zones de déplacement
0
90 km
Novembre 2012
BURKINA FASO
DENGUÉLÉ
SAVANES
Odienné
Korhogo
GUINEA
Touba
BAFING
ZANZAN
VALLÉE DU
BANDAMA
WORODOUGOU
Bondoukou
Séguéla
Bouaké
DIX-HUIT
MONTAGNES
Man
HAUT
SASSANDRA
N’ZI COMOÉ
MARAHOUÉ
Daloa
Duékoué
MOYEN
COMOÉ
LACS
Bouaflé
Yamoussoukro
Dimbokro
Guiglo
MOYEN CAVALLY
Abengourou
Toulépleu
GHANA
FROMAGER
Gagnoa
Tai
Agboville
Divo
Tiéolé-Oula
Sioblo-Oula
LIBERIA
AGNÉBY
SUD BANDAMA
Nigré
LAGUNES
BAS SASSANDRA
San-Pedro
Grand-Lahou
Abidjan
Dabou
SUD
COMOÉ
Aboisso
Bonoua
Noé
Les frontières, noms et désignations présentés sur cette carte
n'impliquent pas une reconnaissance ou acceptation officielle
de la part d'IDMC. Pour les besoins de la présente vue d'ensemble,
cette carte ne contient pas les nouvelles appellations régionales
entérinées lors d'une réorganisation administrative fin 2011,
disponibles sur : http://bit.ly/UOeKvM
Sources: IDMC, OCHA, NRC, Protection and CCCM Clusters, UNHCR
Source: IDMC
D’autres cartes sont disponibles à l’adresse www.internal-displacement.org/maps
Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
Contexte
Plus de dix ans d’agitation politique et d’escalade
des tensions et des violences interethniques ont
écorné la réputation de stabilité que s’était forgée
la Côte d’Ivoire par le passé et plongé le pays dans
un état de crise durable. Deux vagues de conflit
armé et de violence, la première déclenchée en
2002 et la seconde au lendemain des élections
présidentielles de 2010, ont provoqué des mouvements de population massifs, chacune à l’origine
du déplacement de près d’un million de personnes.
La terre comme source de conflit1
L’Ouest de la Côte d’Ivoire, région la plus fertile
du pays, peut compter sur des activités agroindustrielles rentables axées sur l’exportation,
dont la production de cacao, de bois d’œuvre et
de café. Dans le but de doper les exportations, les
autorités nationales ont encouragé, à partir des
années 1960, les flux migratoires en provenance
d’autres régions ivoiriennes et de pays voisins. La
terre était allouée par des chefs coutumiers à ceux
que l’on appelle en Côte d’Ivoire des allochtones
(fermiers originaires d’autres régions du pays)
ou allogènes (étrangers). Les crises politiques et
économiques qui ont sévi à la fin des années 1980
ont poussé un nombre croissant d’autochtones
(Ivoiriens vivant sur la terre de leurs ancêtres) à
chercher à récupérer leur terre et à contester les
droits acquis par les nouveaux venus.
La multiplication et la récurrence des litiges
fonciers dans l’Ouest ivoirien sont considérées par
de nombreux observateurs comme sources de
déplacements de populations et de dissensions,
tant avant que pendant le conflit de 2002-2007 et
durant la récente crise post-électorale. Ces événements n’ont fait qu’exacerber les tensions existant
entre autochtones, allochtones et allogènes :
1 Pour de plus amples informations sur les conflits fonciers
dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, se référer à IDMC, A qui
sont ces terres ? Conflits fonciers et déplacement des
populations dans l’Ouest forestier de la Côte d’Ivoire,
octobre 2009.
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la terre abandonnée dans leur fuite par les personnes déplacées ayant souvent été occupée,
louée ou vendue frauduleusement par d’autres
en leur absence. De nouveaux conflits et déplacements de populations ont vu le jour suite à
l’établissement de PDI dans des zones forestières
protégées où les peuplements humains sont
interdits.
Une décennie de luttes intestines
Au cours de la dernière décennie, un grand nombre d’Ivoiriens ont fuit leurs foyers et leurs terres
suite au conflit armé qui a éclaté en 2002 après
des années de tensions intercommunautaires
latentes et la sensation des habitants du Nord
d’être marginalisés par le gouvernement du Sud.
La discrimination ethnique s’est institutionnalisée
à la fin des années 1990 avec l’introduction du
concept d’ « ivoirité » établissant une distinction
entre Ivoiriens de souche et Ivoiriens naturalisés
ou nés d’un parent étranger.
En septembre 2002, le coup d’Etat manqué de
soldats dissidents s’est mué en rébellion à large
échelle. Les rebelles du Nord réunis sous la bannière du Mouvement Patriotique pour la Côte
d’Ivoire (MPCI) ont pris le contrôle d’une bonne
partie du centre et du nord du pays, tandis que
les forces pro-gouvernementales gardaient la
main sur le Sud. Ce premier conflit s’est soldé par
la mort de milliers de soldats et de civils des deux
camps et par le déplacement de centaines de milliers de personnes, beaucoup cherchant refuge à
Abidjan, capitale économique et principale ville
du pays.
Plusieurs accords de paix et négociations de
cessez-le-feu ont avorté en 2003 et 2004. Enfin, en
mars 2007, l’accord de Ouagadougou a été signé
sous l’égide du président du Burkina Faso, mettant
officiellement fin aux hostilités et débouchant sur
la formation d’un gouvernement d’unité nationale destiné à guider le pays vers des élections et
à sortir de la crise.
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
Les élections présidentielles ivoiriennes ont été
reportées à de maintes reprises. Initialement
programmées pour octobre 2005, au terme du
mandat du président Laurent Gbagbo, elles ne se
sont tenues qu’à la fin de 2010. Alassane Ouattara
a été donné vainqueur par la Commission électorale indépendante, remportant 54,1% des suffrages au second tour du 28 novembre. Malgré
l’issue du scrutin et la reconnaissance internationale de la victoire de Ouattara par l’Union africaine, la Communauté économique des États
d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Union européenne et les
Etats-Unis, le président sortant Laurent Gbagbo
s’est accroché au pouvoir. La lutte pour le pouvoir
qui s’en est suivie entre les partisans de Gbagbo
et de Ouattara a débouché sur un violent conflit,
provoquant la plus importante crise de déplacement interne observée dans le monde en 2011.
Causes et types de déplacement
Durant la crise post-électorale de 2010-2011,
la situation en matière de droits humains s’est
rapidement détériorée en Côte d’Ivoire et les
deux camps ont commis des violations des
droits humains, au nombre desquelles exécutions sommaires, viols, enlèvements et pillages
(Centre d’actualités, UN, 10 mars 2011). Profitant
de la confusion générale, certains civils se sont
également rendus coupables d’atteintes aux
droits de l’Homme (FIDH, 2 avril 2011). Au total,
plus de 3000 personnes ont été tuées durant la
crise (UNHCR), dont des centaines au seul mois
de mars 2011, exécutées à Duékoué, à l’ouest du
pays (BBC, avril 2011; Centre d’actualités, UN, 24
juillet 2012).
Un million de déplacés dans leur propre pays au plus
fort de la crise
Au plus fort de la crise, près d’un million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du territoire
ivoirien par les violences et l’insécurité en découlant, dont plus de 700 000 à Abidjan et
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150 000 à l’ouest du pays (UNHCR, site consulté
en novembre 2012). Les 35 camps répartis dans le
pays ont hébergé jusqu’à 70 000 PDI. Abidjan (notamment les quartiers d’Abobo et de Yopougon)
et l’ouest du pays (en particulier les régions des
Dix-Huit Montagnes, du Moyen-Cavally et du
Bas-Sassandra) ont été les zones les plus touchées
par le conflit et par les déplacements de populations. Ces régions ont en effet été prises pour
cibles par les deux camps, chacun y voyant un
repère abritant ses adversaires. Bien des personnes déplacées n’ont pas eu à aller très loin, trouvant refuge dans des familles d’accueil ou dans
des camps relativement proches de chez elles. A
l’ouest du pays, un nombre inconnu de personnes
sont allées se cacher dans les forêts, où elles sont
restées des semaines durant dans des conditions
précaires.
L’impasse post-électorale a officiellement pris
fin en avril 2011 avec l’arrestation de Laurent
Gbagbo. Les violences ont néanmoins perduré
pendant plusieurs semaines, semant la terreur dans certaines localités et provoquant de
nouveaux déplacements. Ainsi, entre le 5 et le
9 avril 2011, les exactions perpétrées par plusieurs groupes armés dans cinq villages du
Bas-Sassandra ont causé la mort de plus de 200
personnes et le déplacement d’au moins 1000
autres (Amnesty International, 28 juillet 2011).
En septembre 2011, cinq mois après la fin du
conflit, la Côte d’Ivoire comptait encore 247 000
PDI selon les estimations, ;en mars 2011, il y avait
entre 700 000 et un million en mars 2011 (OCHA,
30 septembre 2011).
Retour de la plupart des personnes déplacées, hésitantes
L’amélioration des conditions de sécurité tout au
long de 2011 a permis le retour de nombreuses
personnes déplacées. On estime que 84% d’entre
elles avaient regagné leur foyer en juillet 2012.
(OCHA, site consulté en novembre 2012).
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
Néanmoins, traumatisés et sceptiques quant au
processus de paix, de nombreux déplacés ont
hésité à prendre le chemin du retour. En octobre
2011, environ 22% des PDI interrogées dans la région du Moyen Cavally ont déclaré ne pas vouloir
rentrer chez elles pour plusieurs raisons :
destruction de leur maison, insécurité, peur de
représailles, traumatisme subi dans leur région
d’origine, désir de ne plus revivre les expériences
douloureuses, conflits fonciers, pénurie alimentaire et accès limité aux services et aux moyens
de subsistance (CARE, DRC, Oxfam, 11 octobre
2011). Fin 2011 et début 2012, de nombreuses
personnes déplacées interrogées pour le compte
du Groupe sectoriel Protection à Abidjan et dans
les régions de l’Ouest et du Bas Sassandra ont
également motivé leur réticence à rentrer par
des raisons allant de l’insécurité au traumatisme
vécu en passant par le manque de moyens. Dans
l’Ouest, 49% des déplacés ont déclaré ne pas
vouloir regagner leur foyer, la plupart étant originaires d’Abidjan et de Duékoué, où les violences
extrêmes durant le conflit se sont soldées par un
lourd bilan humain et matériel.
Un autre motif fréquemment invoqué pour
expliquer la réticence des personnes déplacées
à rentrer chez elles est le niveau acceptable
d’intégration dans les communautés d’accueil
et l’acceptation par ces dernières de la présence
des PDI, situation observée dans les trois régions
évaluées par le Groupe sectoriel Protection
(Groupe sectoriel Protection, 27 décembre 2011,
janvier 2012, 12 janvier 2012).
Début 2012, la plupart des camps de personnes
déplacées avaient été progressivement fermés,
leurs occupants continuant à regagner leurs foyers ou trouvant à s’établir ailleurs; tous les camps
restants à Abidjan ou dans ses alentours étaient
fermés à la fin du mois de mars. La Mission catholique de Duékoué, à l’Ouest du pays, l’un des
premiers camps à être établi et ayant hébergé
jusqu’à 28 000 PDI au plus fort du conflit, a fermé
ses portes en juillet 2012 (OCHA, 17 juillet 2012).
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Certains de ses occupants ont été transférés à
Nahibly, le dernier camp de personnes déplacées
internes du pays, quelques semaines avant qu’une
attaque ne les jette une nouvelle fois sur les
routes et ne provoque la fermeture prématurée
du camp (voir ci-dessous).
Reprise des déplacements en 2012
Malgré ces vagues de retours massifs, un climat
général de peur et de méfiance intercommunautaire perdure, notamment à l’Ouest du
pays. Dans cette région, des milliers de personnes ont de nouveau été contraintes de fuir au
cours d’attaques transfrontalières menées par
des groupes armés, supposément composés de
mercenaires ivoiriens et libériens loyaux à Gbagbo
ou d’anciens soldats ivoiriens mécontents, qui
visaient des civils appartenant à des groupes ethniques majoritairement pro-Ouattara (HRW, 6 juin
2012; IRIN, 29 juin 2012).
Entre la fin de la crise post-électorale et le mois
de juin 2012, ces attaques ont coûté la vie à 64
personnes au moins et fait des milliers de déplacés (IRIN, 29 June 2012). Le 25 avril, suite à
une attaque armée contre Sakré, au sud-ouest du
pays, 6320 personnes ont dû fuir leur village, se
réfugiant pour la plupart à Taï, 27 kilomètres plus
loin. 13 000 autres personnes ont été déplacées
à la mi-juin suite aux violents incidents qui se
sont produits dans des villages situés entre Taï et
Nigré, le long de la frontière avec le Liberia. Au
19 juin, plus de 7700 déplacés étaient dénombrés à Para, tandis que 2730 personnes vivaient dans des familles d’accueil et que d’autres
s’étaient établies sur des terrains publics à Taï
(OCHA, 19 juin 2012). La plupart de ces PDI ont
regagné leur lieu d’origine peu de temps après
leur déplacement.
On rapporte également des cas de déplacements
préventifs de court terme, les gens fuyant les violences avant qu’elles n’aient lieu de crainte d’une
attaque. A la mi-août, deux postes de contrôle ont
été attaqués près de Toulépleu à l’Ouest, donnant
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
lieu à des confrontations entre les assaillants et
les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
Ces événements isolés ont provoqué le déplacement de la moitié de la population de la zone de
Toulépleu vers des villages situés le long de la
frontière ivoiro-libérienne ou des forêts voisines.
Ces personnes ont pris le chemin du retour une
fois le calme revenu (OCHA, 24 août 2012).
Attaque armée du camp de PDI de Nahibly en juillet
2012
Des personnes déjà déplacées étaient au nombre des populations forcées de fuir les violences
ravageant l’Ouest de la Côte d’Ivoire en 2012. Le
20 juillet, un groupe de près de mille hommes
armés a pris d’assaut le dernier camp de personnes déplacées internes du pays, Nahibly, près de
Duékoué, faisant au moins sept morts, des douzaines de blessés et forçant la totalité des occupants
du camp, soit quelque 5000 personnes, à fuir
une nouvelle fois vers des destinations plus sûres
(NRC, 24 juillet 2012). La plupart d’entre elles ont
trouvé temporairement refuge dans des familles
d’accueil, auprès de la Mission catholique de
Duékoué, de la mairie ou dans la brousse environnante (IRIN, 1er août 2012). Au moment de la
rédaction du présent rapport, la majorité des PDI
contraintes de quitter le camp de Nahibly avaient
réussi à rentrer chez elles, bien que de façon
improvisée et dans des conditions précaires. Un
nombre inconnu d’entre elles n’avaient nulle part
où aller et étaient toujours hébergées par des
membres de leurs familles ou des amis.
Les auteurs de l’attaque de Nahibly n’ont pas été
placés en détention (Centre d’actualités, UN, 24
juillet 2012; AFP, 12 octobre 2012). Le 11 octobre,
six corps ont été découverts dans un charnier près
de Duékoué, probablement ceux de déplacés tués
au cours de l’assaut (Xinhua, 17 octobre 2012).
De nouvelles recherches ont débuté en novembre dans les environs de Duékoué, susceptibles
de receler les cadavres d’autres victimes (RFI, 5
novembre 2012).
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Manque de précision des chiffres actuels en
l’absence de suivi à l’échelle nationale
Au mois de novembre 2012, le nombre de personnes encore déplacées en Côte d’Ivoire était
estimé entre 40 000 et 80 000 (correspondance
par courrier électronique avec le Groupe sectoriel Protection, novembre 2012). Selon la revue à
mi-parcours de l’Appel de fonds consolidé (CAP)
2012 des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire,
74% d’entre elles se trouvaient à l’Ouest (CAP, 17
juillet 2012). On compte encore des centaines
de personnes vivant dans des zones urbaines
comme Abidjan et Bouaké se considérant comme
déplacées dans leur propre pays. Beaucoup sont
arrivées dans ces communautés avant la crise
post-électorale et la précarité de leurs conditions
de séjour les expose au risque d’expulsion.
Faute de mécanisme de suivi à l’échelle nationale,
il est difficile d’obtenir des estimations globales
du nombre de personnes encore déplacées. Le fait
que la grande majorité des PDI ont été hébergées
dans des familles d’accueil n’a fait que limiter
encore davantage la précision de ces évaluations.
Il est par conséquent difficile d’évaluer de façon
rigoureuse le nombre de personnes ayant trouvé
des solutions durables pour remédier à leur
déplacement (retour, intégration locale ou établissement ailleurs dans le pays). Si la plupart des
personnes déplacées par le conflit de 2002-2007
sont censées avoir regagné leur foyer, le nombre
de personnes toujours déplacées au début de la
crise post-électorale reste inconnu.
Durant ce conflit, des estimations concernant les
PDI ayant trouvé refuge dans des camps ont été
fournies par le Groupe sectoriel de Coordination
et de gestion des camps (CCGC); de leur côté, le
Groupe sectoriel Protection et le HCR continuent
à procéder à des évaluations globales du nombre
de personnes déplacées internes. Fin 2011, début
2012, le Groupe sectoriel Protection a réalisé des
exercices exhaustifs de profilage des PDI dans
les trois régions de la Côte d’Ivoire abritant la
majorité des personnes déplacées (Abidjan, Bas
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
Sassandra et Ouest), opérations non renouvelées
à l’échelle nationale depuis.
Les inondations, cause supplémentaire de déplacements
Abidjan est une zone sujette aux inondations,
lesquelles ont à plusieurs reprises occasionné des
déplacements de populations. En juin 2010, des
milliers de personnes vivant dans des plaines inondables autour de la ville auraient été expulsées,
les autorités ivoiriennes désirant mettre en œuvre
un plan d’urgence avant le début de la saison
des pluies : les raids menés par le gouvernement
ont conduit à des évacuations souvent brutales,
sans compensation adéquate (IRIN, 18 juin 2010).
En juin 2011, quelque 28 000 Ivoiriens ont été affectés par des inondations et près de
10 000 personnes ont été déplacées ou menacées
de l’être (AP, 21 juin 2011).
Les obstacles aux solutions
durables
En 2011, les personnes déplacées internes ont dû
faire face à de sérieux obstacles pour regagner
leurs terres d’origine, s’intégrer localement ou
se réinstaller dans une autre région du pays. Si
la plupart des Ivoiriens déplacés durant la crise
post-électorale ont pu rentrer chez eux grâce à la
nette amélioration des conditions de sécurité en
2011-2012, la pérennité de leur retour est fragile,
beaucoup restant aux prises avec des difficultés
inhérentes à leur déplacement passé.
Persistance des tensions intercommunautaires et des
violences armées
La Côte d’Ivoire reste un pays lourdement armé,
le nombre d’anciens combattants conservant des
armes légères étant estimé par certains analystes
à 100 000 (IPS, 22 septembre 2012). Les personnes
déplacées et retournées considèrent le désarmement et la réinsertion de ces ex-soldats comme
des conditions indispensables à leur retour (IRIN,
3 août 2012). Les tensions intercommunautaires
restent élevées, notamment à l’Ouest du pays,
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et dégénèrent parfois en violents affrontements
semant la mort et provoquant des déplacements
de populations.
Courant 2011, les tensions intercommunautaires
ont déclenché différents accès de violence qui ont
entravé le retour ou l’établissement des personnes déplacées. A l’Ouest du pays, les partisans de
Gbagbo ont rapporté avoir craint d’être victimes
de représailles de la part des sympathisants du
président Ouattara. En juin 2011, la mobilisation
des Dozos (confrérie de chasseurs traditionnels
réputés pour leurs prétendus pouvoirs mystiques
et considérés comme pro-Ouattara) était encore
plus forte qu’au cours des quatre premiers mois
de l’année, au plus fort de la crise. La simple vue
de ces miliciens, basés à des postes de contrôle ou
circulant à moto, à vélo ou à pied, suffisait à terrifier la population locale, selon des témoignages
(Amnesty International, 28 juillet 2011). D’autres
ont rapporté que des hommes armés empêchaient
les gens d’accéder à leurs maisons et à leurs terres
ou les intimidaient en recourant à l’extorsion ou
en leur faisant écouter les enregistrements audio
d’attaques antérieures contre des membres de leur
groupe ethnique (IRIN, 13 octobre 2011).
Des rumeurs et messages contradictoires ont
également renforcé le sentiment d’insécurité des
PDI, provoquant de nouveaux déplacements et
dissuadant les personnes de rentrer. Ainsi, des
milices pro-Gbagbo auraient dit aux déplacés
qu’aucune paix n’était possible et qu’ils trouveraient la mort s’ils choisissaient de revenir. A la fin
de 2011, des personnes déplacées ont indiqué
que, malgré le manque d’informations fiables de
la part des autorités gouvernementales concernant les conditions de sécurité dans leurs régions
d’origine, les représentants ivoiriens leur conseillaient fortement de rentrer chez elles pour participer au processus de réconciliation (CARE, DRC,
Oxfam, 11 octobre 2011).
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
Les violences sexuelles et fondées sur le genre insuffisamment dénoncées et combattues
Les violences sexuelles et fondées sur le genre
peuvent entièrement empêcher les femmes de
trouver des solutions durables pour remédier à
leur déplacement. Des centaines, voire probablement des milliers, de femmes et de jeunes filles
ivoiriennes ont été victimes de graves violences
sexuelles et fondées sur le genre depuis 2002.
Pendant et après les récentes violences postélectorales, les femmes ont été prises pour cibles
par les deux parties au conflit, souvent sur la base
de leur appartenance ethnique, subissant des
agressions, coups ou viols (Amnesty International,
31 novembre 2011). Les femmes et jeunes filles
déplacées ne disposant d’aucun document
d’identité étaient plus exposées au risque de mauvais traitements aux postes de contrôle.
Actuellement, les violences sexuelles restent
fréquentes à Abidjan et sont en augmentation
dans les régions occidentales, qui ont connu de
forts taux de déplacements internes durant la
crise post-électorale (Sous-groupe sectoriel SGBV,
juin 2012). A Duékoué, trois fois plus de cas de
violences sexuelles ont été signalés au cours du
deuxième trimestre 2012 par rapport au premier
(OCHA, 24 août 2012).
Limitation de l’accès à la terre et aux moyens de
subsistance
Les difficultés d’accès à la terre et à d’autres sources de revenus rencontrées tant par les déplacés
que par les retournés les empêchent de retrouver
des moyens de subsistance durables. Ces populations restent ainsi fortement dépendantes de
l’aide pour assurer leur survie. En octobre 2011,
une étude conjointe a révélé que 58% des retournés et 82% des déplacés interrogés avaient
perdu la totalité de leurs sources de revenu. Pour
beaucoup, le choix du retour a été motivé non pas
tant par l’amélioration des conditions de sécurité
que par le manque d’accès à la terre, à la nourriture et aux activités rémunératrices dans les
zones de déplacements (CARE, DRC, Oxfam, 11
28 novembre 2012
octobre 2011). En décembre 2011 et janvier 2012,
72,5%, 68% et 61,25% des personnes déplacées
interrogées respectivement à l’Ouest, à Abidjan
et dans la région du Bas-Sassandra ont rapporté
avoir perdu leurs moyens de subsistance durant
la crise. Elles sont dans l’impossibilité de reprendre leurs activités, ne disposent que d’un revenu
irrégulier pour vivre et n’ont pas d’autre choix que
de rester en famille d’accueil (Groupe sectoriel
Protection, 27 décembre 2011, janvier 2012, 12
janvier 2012).
L’une des nouveautés observées au lendemain
des violences post-électorales qui ont secoué le
pays est la présence d’hommes armés, souvent
des Dozos, empêchant les déplacés de retour chez
eux d’accéder à leurs terres ou leur imposant des
taxes arbitraires en échange. Si, dans certains cas,
les retournés ont pu accéder de nouveau à leurs
terres, l’occupation des plantations, principalement par des communautés de migrants, a rendu
les retours massifs plus complexes (DRC, FAO,
NRC, 2012).
Insécurité alimentaire et malnutrition
Parmi les personnes déplacées et retournées
interrogées fin 2011, 83% et 77% respectivement ont mentionné l’alimentation comme une
priorité absolue et ont déclaré ne pas avoir assez
à manger (CARE, DRC, Oxfam, 11 octobre 2011).
L’insécurité alimentaire sévissant en Côte d’Ivoire
a été aggravée par les restrictions sur l’accès à la
terre et par des années de conflits et de déplacements. Une évaluation menée en septembre 2011
prévoyait une diminution de 38,5% de la récolte
2011-2012 dans les régions directement touchées
par le conflit, sous l’effet des déplacements de
populations, des litiges fonciers et du manque de
facteurs de production agricoles, de main d’œuvre
notamment (DRC, FAO, NRC, 2012). Beaucoup de
réserves de graines et de greniers ont été pillés ou
brûlés durant le conflit.
En mai 2012, l’UNICEF a estimé que dans les
régions du pays visées par l’Appel de fonds
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
consolidé (CAP), environ 7700 enfants souffraient
de malnutrition aigüe grave, 55 000 de malnutrition aigüe modérée, 33 600 femmes enceintes et
allaitantes de malnutrition et que 64 150 personnes vivaient avec le sida (OCHA, 17 juillet 2012).
L’insécurité alimentaire est particulièrement
élevée dans les régions de l’Ouest touchées par
les déplacements, où l’essentiel des ressources
disponibles est consacré aux dépenses alimentaires (DRC, FAO, NRC, 2012).
Difficultés d’accès à des logements adéquats
La difficulté d’accès à des logements adéquats
constitue un autre obstacle de taille au retour
durable des personnes déplacées en Côte d’Ivoire,
notamment à l’Ouest. Pendant la crise, bon
nombre d’habitations ont été détruites, endommagées ou arbitrairement occupées. Les camps
de déplacés fermant peu à peu leurs portes, leurs
occupants se sont empressés de trouver un autre
refuge (AFP, 30 septembre 2011). Beaucoup ont
vu leurs maisons détruites ou endommagées
durant les combats et craignent toujours d’être
confrontés à l’insécurité et à des représailles dans
leurs régions d’origine. La moitié des personnes
déplacées ayant exprimé leur intention de ne pas
rentrer chez elles ont mentionné la destruction
de leur maison comme principal motif à l’origine
de leur décision (CARE, DRC, Oxfam, 11 octobre
2011).
Selon le Groupe sectoriel Abris, 23 000 habitations
ont été soit détruites soit endommagées dans
l’Ouest de la Côte d’Ivoire durant la crise postélectorale, dont 90% faites de terre crue. Au 1er
août 2012, 55% des villageois avaient eux-mêmes
reconstruit leurs maisons en briques de terre,
mais 12 000 restaient endommagées ou détruites,
dont plus de 7100 appartenant à des ménages
considérés comme fragiles (Groupe sectoriel Abris
et NFI, 1er août 2012). Les tensions ethniques liées
à la terre ont également empêché les personnes
déplacées de prendre le chemin du retour et de
reconstruire leur logement. Les déplacés allochtones et allogènes peuvent avoir du mal à rebâtir
28 novembre 2012
leur maison lorsque la propriété de la terre est
contestée par des autochtones et vice versa.
Perte ou destruction des documents d’identité
En Côte d’Ivoire comme partout ailleurs, les documents d’identité sont nécessaires pour accéder
à toutes sortes de services, bénéficier des programmes de protection sociale et mener une vie
normale en général. Cependant, dans leur fuite
précipitée, environ 80% des personnes déplacées
ont perdu des documents d’état civil aussi essentiels que leurs cartes d’identité, certificats de
naissance, cartes d’électeur et titres de propriété
foncière (CARE, DRC, Oxfam, 11 octobre 2011).
La destruction et le pillage des bureaux d’état
civil dans certaines régions du pays continuent
d’entraver l’obtention de nouveaux documents
d’identité (NRC, octobre 2011; CARE, DRC, Oxfam,
11 octobre 2011).
Le manque de documents d’identité représente
un obstacle majeur à la mise en œuvre de solutions durables aux déplacements. Ainsi, entre 40
et 53% des déplacés internes interrogés à Abidjan,
au Bas Sassandra et à l’Ouest du pays n’ont pas pu
participer aux élections, faute de carte d’électeur
(Groupe sectoriel Protection, 27 décembre 2011,
janvier 2012, 12 janvier 2012). Ces groupes sont
également exposés à des risques menaçant leur
protection, tels qu’entraves à la libre circulation,
harcèlement et violences sexuelles de la part de
groupes armés (Groupe sectoriel Protection, 27
décembre 2011).
Un accès irrégulier à l’éducation
Au cours de la dernière décennie, les services éducatifs en Côte d’Ivoire ont subi des interruptions
durant les périodes de conflit. Lors de la dernière
crise, plus de 200 écoles ont été endommagées
sur l’ensemble du territoire, sans compter les
nombreux établissements pillés ou occupés par
des forces armées (OCHA, 17 juillet 2012). Certains
déplacés internes ont indiqué que les services
d’enseignement étaient en général plus accessibles dans les zones d’accueil que dans les régions
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
d’origine (Groupe sectoriel Protection, janvier
2012), sauf à Abidjan, où la situation inverse a été
observée (Groupe sectoriel Protection, 27 décembre 2011).
Les dommages subis par les établissements scolaires, la perte d’espace et de matériel en résultant
et le déplacement de nombreux enseignants ont
reporté la réouverture des écoles en de nombreux
endroits (CARE, DRC, Oxfam, 11 octobre 2011). En
2012, l’insécurité persistant dans certaines régions
de l’Ouest a freiné la reprise du chemin de l’école,
certains parents craignant d’envoyer leurs enfants
en classe, en particulier leurs filles, de peur de
les exposer à des abus sexuels; environ 140 000
enfants scolarisés avant le conflit ne fréquentaient
toujours pas l’école en juillet (OCHA, 17 juillet 2012).
Durant la crise, un grand nombre d’enfants
déplacés ont perdu leurs certificats de naissance
et livrets scolaires. Entre trois et quatre millions
d’enfants sont dépourvus d’actes de naissance.
Dans la seule région de Man, plus de 5000 enfants ne disposaient d’aucun document d’identité
au mois de juillet 2012. Le manque de moyens
financiers pour payer les coûts connexes, tels que
les frais d’inscription aux examens, ne fait que
limiter davantage la capacité des enfants déplacés
à fréquenter l’école et à se présenter aux épreuves
scolaires (Groupe sectoriel Education, juillet 2012).
Besoins continus en matière de soins de santé et de
soutien psychologique
Durant la crise post-électorale, l’accès aux services
de santé a été gravement perturbé dans les régions de l’Ouest touchées par les déplacements :
selon l’Organisation mondiale de la santé, au plus
fort de la crise en avril 2011, la moitié des dispensaires présentaient des dysfonctionnements et
moins de 30% du personnel de santé était présent
sur place. Les hôpitaux de Duékoué, Guiglo et
Toulépleu ont été pillés et endommagés durant
le conflit. La plupart des établissements sanitaires
ont réouvert leurs portes mais la prestation de
soins de santé reste peu satisfaisante en raison
28 novembre 2012
du manque de personnel et de moyens matériels.
Les personnes déplacées ou retournées doivent
généralement se rendre en ville pour bénéficier
de soins. Au début du mois de juin 2012, l’hôpital
de Duékoué était le seul établissement pleinement fonctionnel en mesure de pratiquer des
opérations dans la région du Tonkpi. D’autres
établissements manquent encore de personnel,
de médicaments ou de matériel (Groupe sectoriel
Santé, juin 2012).
La majorité des personnes déplacées a subi un
traumatisme psychologique. La plupart ont dû
fuir leur maison dans la peur et la précipitation et
ont vécu dans des conditions précaires. Beaucoup
ont été victimes de traitements inhumains et/ou
été témoins d’atrocités, y compris commises contre des membres de leur propre famille. Certains
déplacés avaient connu le conflit de 2002-2007
et ne s’étaient pas remis de cette période de
violence. Bien que la crise soit officiellement
terminée, les personnes déplacées et retournées
doivent encore surmonter le traumatisme qu’elles
ont subi et faire face aux tensions intercommunautaires persistantes, dont beaucoup rappellent
douloureusement les épisodes de violence passés
(MSF, 7 décembre 2011). Les attaques de villages
et d’un camp de déplacés en 2012 ont davantage
aggravé le traumatisme et retardé le retour à la
normale. Pourtant, l’assistance psychosociale et
psychologique reste l’un des domaines humanitaires les plus négligés en Côte d’Ivoire.
Des services de distribution d’eau et d’électricité non
fonctionnels
En octobre 2011, de nombreuses PDI retournées
ont signalé que leurs villages, raccordés au réseau
national, étaient toujours privés d’électricité et
que les réseaux téléphoniques et radiophoniques
ne fonctionnaient nulle part, autant de facteurs
qui ont amplifié le climat général de peur et
d’insécurité (CARE, DRC, Oxfam, 11 octobre 2011).
A la mi-2012, l’accès à l’eau potable restait difficile dans la plupart des villages voyant revenir
leurs habitants déplacés. Selon une évaluation
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
réalisée début 2012 par le Groupe sectoriel Eau,
Hygiène et Assainissement (EHA) dans les villages
de Toulépleu, Kouibly et Zouan-Hounien, entre
63 et 78% des pompes à eau étaient hors service.
Les communautés se trouvent en général dans
l’incapacité d’en assurer la réparation en raison
du manque de vendeurs de pièces détachées.
Certains dispensaires et écoles ne disposent pas
de latrines et, dans la plupart des villages ruraux,
les toilettes familiales font également défaut. Cette
pénurie d’installations sanitaires accroît la vulnérabilité aux épidémies (OCHA, 17 juillet 2012).
Des enfants séparés et non accompagnés
Durant leur fuite ou au cours de leur déplacement, de nombreux enfants ont été séparés de
leur famille, se retrouvant en position d’extrême
vulnérabilité face aux mauvais traitements et à la
violence (OCHA, 5 janvier 2012). Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a identifié près
de 840 enfants séparés de leurs parents durant la
crise post-électorale (ICRC, 18 septembre 2012).
Le sous-groupe sectoriel pour la protection de
l’enfance a recensé 785 enfants séparés et non
accompagnés. Il est difficile d’identifier tous les
enfants concernés, dans la mesure où ils sont
dispersés dans plusieurs régions et vivent souvent
dans des familles d’accueil qui n’ont pas forcément connaissance des mécanismes de déclaration. Le sous-groupe a constaté le nombre réduit
d’agences œuvrant à la réunification des familles
séparées ainsi que leur manque d’expertise et de
financement (OCHA, 23 mai 2012).
Réponses aux déplacements
internes de populations
Compte tenu de l’amélioration des conditions de
sécurité à la mi-2011, les déplacés internes ont été
informés par le gouvernement qu’ils pouvaient
commencer à rentrer chez eux, certains y étant
fortement encouragés, à l’instar de ces populations vivant près d’Abidjan qui ont reçu de l’argent
afin de pouvoir louer une maison de retour en
28 novembre 2012
ville. En février 2012, le Secrétariat national à la
reconstruction et à la réinsertion (SNRR) a offert
quinze tonnes de vêtements, jouets et articles
divers à des personnes déplacées vivant dans les
camps de Bingerville, dans la banlieue d’Abidjan
(SNRR, 27 février 2012). Dans le reste du pays,
notamment à l’Ouest, les PDI se sont senties
abandonnées, déplorant l’absence de l’Etat et le
manque d’actions pour remédier à leur situation
(IRIN, 26 avril 2012).
Peu de programmes gouvernementaux ont
été spécifiquement mis en place en faveur des
personnes déplacées. Le Programme présidentiel
d’urgence (PPU), promulgué après l’investiture
du président Ouattara, a permis la réparation
d’environ 380 pompes à eau dans les villages accueillant les déplacés de retour durant le premier
semestre de 2012 (OCHA, 17 juillet 2012). En
dehors des fonds octroyés à l’agence CARE pour
la reconstruction de 1000 habitations, l’Etat ne
finance directement aucun autre projet de reconstruction de logements.
Suite à sa visite en Côte d’Ivoire en juillet 2012,
le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les
droits des personnes déplacées dans leur propre
pays a loué le travail mené par le gouvernement
ivoirien pour rétablir l’ordre public et garantir le
retour volontaire des populations déplacées. Il a
néanmoins noté que l’assistance fournie par l’Etat
pour encourager le départ des camps, faute d’être
accompagnée de mesures de soutien aux moyens
de subsistance, ne favorisait pas, dans l’ensemble,
la mise en place de solutions durables (OHCHR, 31
juillet 2012). Par ailleurs, rien n’indique l’existence
d’une aide de l’Etat au nombre considérable de
PDI vivant encore en famille d’accueil ou favorables à une intégration locale.
Une Commission pour le dialogue, la vérité et la
réconciliation a été mise sur pied en mai 2011,
mais des doutes subsistent quant à son degré
d’impartialité et d’efficacité (ICG, 1er août 2011). En
octobre 2011, de nombreux déplacés internes ont
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
signalé ne pas en avoir entendu parler ou ne pas
savoir comment la saisir (CARE, DRC, Oxfam, 11
octobre 2011). Plus récemment, cette commission
a indiqué qu’elle ne disposait toujours pas des
fonds nécessaires pour remplir son mandat.
Cadre juridique et coordination gouvernementale
La Côte d’Ivoire a signé la Convention de l’Union
africaine sur la protection des personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala)
en novembre 2009 mais ne l’avait toujours pas
ratifiée en novembre 2012. Elle n’en demeure pas
moins partie à différents traités internationaux
majeurs pour la protection des droits de l’Homme
(cf. OHCHR).
L’ébauche d’un cadre juridique national faisant
respecter les droits des personnes déplacées dans
leur propre pays, dont un projet de loi définissant
les mécanismes de compensation des victimes de
guerre (parmi lesquelles les PDI), a été rédigée il y
a plusieurs années mais n’a été ni signée, ni mise
en application depuis. Le Ministère de la solidarité
et des victimes de guerre, ancien agent de coordination des personnes déplacées, a été fermé dans
le cadre d’un remaniement ministériel en février
2010 (IDMC, 22 février 2010).
Le Ministère de l’emploi, des affaires sociales et
de la solidarité, chargé d’assurer la coordination
avec les organisations humanitaires, a créé, en
octobre 2011, un Comité national de coordination de l’action humanitaire (CNCAH), regroupant
plusieurs ministères, ONG et agences des Nations
Unies. Dans le cadre de cette coopération, les acteurs humanitaires ont mis au point une stratégie
sur le retour volontaire et durable des déplacés
internes, qui a été validée par le gouvernement en
novembre 2011. Une réunion destinée à évaluer
la situation des PDI s’est tenue en janvier 2012. Au
cours de cette rencontre, le Ministre de l’emploi,
des affaires sociales et de la solidarité a exprimé
le souhait du gouvernement de fermer les camps
de déplacés internes le plus tôt possible sans
désagrément pour les familles qui y vivent (AIP, 20
28 novembre 2012
janvier 2012). Aucun autre agent de coordination
n’a été désigné pour les PDI.
Réponse humanitaire à la crise post-électorale
Après des années d’accent mis sur les activités
de développement, l’approche de responsabilité
sectorielle a été réactivée en janvier 2011 avec
le lancement d’un plan d’action humanitaire
d’urgence (EHAP) pour la Côte d’Ivoire et les pays
voisins (Burkina Faso, Ghana, Guinée et Mali).
Au-delà de l’assistance fournie aux PDI hébergées
dans des camps, l’action humanitaire est axée
principalement sur le retour volontaire des
déplacés, qui reçoivent une aide pécuniaire,
alimentaire, à la reconstruction, à la réhabilitation
des routes et au transport, ainsi que des matelas,
des ustensiles de cuisine, des articles ménagers
divers et des facteurs de production agricoles. La
CEDEAO a donné plus de 1,3 tonne de vivres au
gouvernement ivoirien pour venir en aide aux
personnes déplacées (Panapress, 24 mai 2012).
L’Appel de fonds consolidé (CAP) 2012 pour la
Côte d’Ivoire, visant à réunir 173 millions de dollars, a été lancé. La requête de fonds a été réduite
à 160 millions lors de la revue à mi-parcours
effectuée en juillet 2012. Parmi les priorités du
CAP figurent la protection des civils, l’accès aux
services de base essentiels, l’aide nutritionnelle,
le rétablissement des moyens de subsistance, la
poursuite des retours volontaires et la réinsertion des personnes déplacées. Au 24 octobre,
seuls 57% de ces besoins avaient été couverts.
Le Groupe sectoriel Protection avait été financé à
38% et celui du Relèvement précoce n’avait reçu
aucun financement (FTS, 24 octobre 2012).
Les objectifs stratégiques du CAP révisé offrent
un cadre général permettant de répondre aux
besoins des personnes déplacées, visant à :
•
améliorer les conditions de vie et la protection
des populations les plus touchées, dont les
PDI, les familles et les communautés d’accueil
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Côte d’Ivoire: les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tentent de refaire leur vie sur fond de paix fragile
•
•
et autres personnes vulnérables, en leur assurant un accès aux services de base;
faciliter les retours volontaires dans des zones
sûres grâce à l’identification et à la promotion
de solutions durables;
réduire les risques et atténuer les effets de
nouvelles crises potentielles.
Les acteurs humanitaires ont fourni des informations sur les conditions de sécurité dans les
régions d’origine des personnes déplacées et
organisé des consultations sur place. Néanmoins,
seuls 21% des déplacés interrogés ont indiqué
avoir été informés par la communauté humanitaire, la grande majorité recourant à ses propres
réseaux. En 2011, beaucoup ont mentionné la
nécessité de disposer d’informations fiables en
matière de sécurité et de services élémentaires et
humanitaires disponibles pour pouvoir décider
de rentrer ou non en toute connaissance de cause
(CARE, DRC, Oxfam, 11 octobre 2011).
S’attaquer aux racines du conflit : renforcement des
moyens pour résoudre les litiges fonciers ?
L’intérêt croissant du gouvernement ivoirien pour
le règlement des litiges fonciers l’a conduit à
organiser deux séminaires intergouvernementaux
sur cette problématique en juin et en octobre
2012. Cependant, si la résolution des conflits fonciers est considérée comme essentielle à la cohésion sociale, la relation existant entre les litiges liés
à la terre et les déplacements de populations n’a
guère été reconnue officiellement. la propriété à l’intention des ministères et des
préfets. Les recommandations émises durant ces
ateliers de formation, qui ont mis en évidence la
nécessité d’adapter la loi foncière de 1998 aux
besoins spécifiques des personnes déplacées
internes, sont venues alimenter le deuxième séminaire intergouvernemental.
En attendant, la situation des PDI (et d’autres
personnes) qui vivent illégalement dans des
forêts protégées est périlleuse. Les menaces
d’expulsions forcées pourraient causer de nouveaux déplacements. Une logique humanitaire
et de développement, prenant en compte le
temps passé dans les forêts et l’existence de
plantations créées par les déplacés, semble être
privilégiée par les autorités présentes aux séminaires intergouvernementaux sur la terre, malgré
une rhétorique politique insistant sur la nécessité
d’expulser par la force les occupants des forêts de
l’Etat. Le gouvernement a mis en place un programme d’évacuation progressive des habitants
des forêts, échelonné sur plusieurs années.
Dans l’espoir de promouvoir la mise au point d’un
cadre d’intervention national en matière de différends fonciers, la communauté internationale a
participé au second séminaire intergouvernemental sur la terre après avoir coordonné ses positions
par l’intermédiaire du Forum foncier dirigé par
les Nations Unies, regroupant plusieurs agences
des NU ainsi que des ONG. Le Groupe sectoriel
Protection en Côte d’Ivoire a également apporté
sa pierre à l’édifice en organisant des formations
sur les questions du logement, de la terre et de
28 novembre 2012
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L’Observatoire des situations de déplacement interne
L’observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Centre ou IDMC)
a été créé en 1998 par le Conseil norvégien pour les réfugiés à la demande des Nations Unies et afin
d’élaborer une base de données mondiale sur le déplacement interne. Plus de dix ans après, il demeure la
principale source d’information et d’analyses sur les déplacements internes provoqués par les conflits et
la violence dans le monde.
L’objectif de l’IDMC est de soutenir une meilleure réponse nationale et internationale aux situations de
déplacement interne et le respect des droits des personnes déplacées internes (PDI) qui sont souvent
parmi les personnes les plus vulnérables. Il vise également à promouvoir des solutions durables pour les
personnes déplacées à travers le retour, l’intégration locale ou la réinstallation ailleurs dans le pays.
L’IDMC concentre son action sur les activités suivantes:
• Suivi et élaboration de rapports sur les déplacements internes provoqués par les conflits, la violence
généralisée et les violations des droits de l’homme;
• Recherche, analyse et plaidoyer pour les droits des personnes déplacées;
• Formation et renforcement des capacités sur la protection des personnes déplacées;
• Contribution au développement de standards et directives sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées.
Pour plus d’informations, consultez le site Internet de l’Observatoire des situations de déplacement interne et la base de données: www.internal-displacement.org
Contact:
Sebastián Albuja
Chef du département Afrique et Amériques
Tel: +41 22 799 07 08
Mobile: +41 78 806 83 08
Email: [email protected]
Elizabeth J. Rushing
Analyste Pays
Tel: +41 22 795 07 43
Email: [email protected]
Observatoire des situations de déplacement
interne (IDMC)
Conseil norvégien pour les réfugiés
Chemin de Balexert 7-9
1219 Genève, Suisse
Tél: +41 (0)22 799 0700
Fax: +41 (0)22 799 0701
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