Quels patients nécessitent un traitement pharmacologique?
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Quels patients nécessitent un traitement pharmacologique?
La dyslipidémie : Quels patients nécessitent un traitement pharmacologique? Marie-Jeanne Bertrand, M.D., M. Sc., FRCPC, résidente en cardiologie adulte à l’Institut de cardiologie de Montréal, Université de Montréal. Jean C. Grégoire M.D., FRCPC, est cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal, Université de Montréal. Article tiré de la conférence Les recommandations 2012 sur les lipides : nouveautés et applications cliniques donnée le 8 novembre 2012 dans le cadre des 21es journées annuelles du Département de médecine de l’Université de Montréal. Scénarios cliniques pertinents 1. Monsieur Plante, âgé de 52 ans, présente des antécédents d’hypertension artérielle traitée. Il est non-fumeur et n’a pas d’antécédents personnels ou familiaux de maladie cardiaque athérosclérotique (MCAS). Son profil lipidique indique des taux de cholestérol total à 8,70 mmol/L, cholestérol à lipoprotéines de basse densité (C-LDL) à 6,96 mmol/L, triglycérides à 1,2 g/L et C-HDL (cholestérol à lipoprotéines de haute densité) à 1,22 mmol/L. 2. Madame Gagnon, âgée de 56 ans, est sédentaire depuis quelques années. Elle a des antécédents de tabagisme actif (25 paquets/année) et d’obésité (indice de masse corporelle [IMC] de 30 kg/m2). Son bilan lipidique indique des taux de cholestérol total à 4,89 mmol/L, C-LDL à 3,10 mmol/L, triglycérides à 1,2 g/L et C-HDL à 1,3 mmol/L. 3. Monsieur Lavoie, âgé de 63 ans, est hypertendu de longue date et a eu un syndrome coronarien aigu récent ayant nécessité une intervention coronaire percutanée. Son bilan lipidique indique des taux de cholestérol total à 4,35 mmol/L, C-LDL à 2,65 mmol/L, triglycérides à 1,3 g/L et C-HDL à 0,88 mmol/L. Quelles sont les approches thérapeutiques à adopter pour chacun de ces patients en vertu des recommandations canadiennes actuelles? U Qui doit-on dépister? ne mise à jour des recommandations de la Société canadienne de cardiologie pour le diagnostic et le traitement de la dyslipidémie en prévention des maladies cardiovasculaires (MCV) chez l’adulte a récemment été publiée dans le Canadian Journal of Cardiology1. Les populations ciblées pour le dépistage demeurent les mêmes qu’en 2009, soit les hommes âgés de 40 ans ou plus et les femmes de 50 ans ou ménopausées, tout individu ayant des facteurs de risque modifiables pour la MCAS (hypertension, diabète, obésité, tabagisme) et ceux avec des comorbidités à hauts risques, incluant nouvellement l’insuffisance rénale chronique (Tableau 1). Clinicien plus • octobre 2013 39 Dyslipidémie Tableau 1 Facteurs de risque majeurs nécessitant un dépistage du risque de MCV indépendamment de l’âge1 • Tabagisme actif • Maladies inflammatoires • Diabète • Infection au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) • Hypertension artérielle • Maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) • Histoire familiale précoce de MCAS Maladie vasculaire athérosclérotique ou anévrisme de l’aorte abdominale • Histoire familiale de dyslipidémie • Manifestations cliniques de dyslipidémie • Dysfonction érectile • Insuffisance rénale chronique • Obésité (IMC > 27) Comment établir le niveau de risque de MCV? Tous les 3 à 5 ans, chez les hommes âgés entre 40 et 75 ans et les femmes âgées entre 50 et 75 ans, il est recommandé de calculer initialement le risque de MCAS sur 10 ans en utilisant le score de risque L cardiovasculaire, est également suggéré dans les recommandations actuelles. Il consiste en l’âge du patient moins la différence entre son espérance de vie restante (selon son risque d’accident vasculaire cérébral [AVC] et coronarien) et la moyenne d’espérance de vie canadienne selon l’âge et le sexe. L’utilisation de ce calcul auprès des patients est recommandée dans le but d’encourager la modification des habitudes de vie et/ou l’observance thérapeutique5 (calcul disponible sur le site http://cvage.ca/index.fr.html mais aussi au http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0828 282X12015103 [Supplemental Figure S1 - Cardiovascular Age]). es patients à risque intermédiaire de MCV sont ceux dont le SRFm se situe entre 10 % et 19 %. de Framingham2 (SRF) ou le score de risque de Framingham3 modifié (SRFm), qui représente le pourcentage du risque doublé en présence d’histoire familiale prématurée de MCAS (parents du 1er degré âgés de moins de 55 ans [hommes] et âgés de moins de 65 ans [femmes]). Le calcul de l’âge cardiovasculaire4, nouvelle modalité d’estimation du risque 40 Clinicien plus • octobre 2013 Les différents niveaux de risque (Tableau 2) A. Risque faible Les patients à faible risque sont ceux dont le SRFm est inférieur à 10 %. Il est recommandé d’instaurer un traitement pharmacologique, en plus des mesures intensives non pharmacologiques, si le taux de C-LDL est ≥ 5 mmol/L ou s’il y a évidence de dyslipidémie génétique et de viser une baisse ≥ 50 % du taux de base du C-LDL. En ce qui a trait aux patients dont le SRFm se situe entre 5 % et 9 %, il est nouvellement recommandé de dépister annuellement ces derniers afin de mieux cibler ceux à risque d’hyperlipidémie, d’instaurer une prise en charge intensive des facteurs de risque et de débuter un traitement médical si les critères mentionnés ci-haut sont présents. B. Risque intermédiaire Les patients à risque intermédiaire de MCV sont ceux dont le SRFm se situe entre 10 % et 19 %. Il est recommandé d’instaurer un traitement pharmacologique en prévention primaire lorsque le taux de C-LDL est ≥ 3,5 mmol/L, et ce, malgré la modification des habitudes de vie, et de viser un taux de C-LDL ≤ 2,0 mmol/L ou une baisse de ≥ 50 % du taux de base du C-LDL. Chez les patients dont le taux de C-LDL est < 3,5 mmol/L, il est recommandé de mesurer l’apo B ou de calculer le non-C-HDL. Ainsi, lorsque le taux d’apo B est ≥ 1,2 g/L ou que le non-CHDL est ≥ 4,3 mmol/L, il est suggéré d’initier un traitement pharmacologique. Les cibles visées lors du traitement sont les mêmes que lorsque les niveaux de C-LDL sont ≥ 3,5 mmol/L. Les cibles alternatives sont un taux d’apo B ≤ 0,8 g/L ou un non-C-HDL ≤ 2,6 mmol/L. Le biomarqueur d’inflammation de la protéine C réactive (hsCRP) dont le Dyslipidémie Tableau 2 Valeurs cibles de traitement selon le niveau de risque de MCAS estimé par le SRF Niveau de risque Initier un traitement si : Cible primaire de C-LDL Cibles alternatives Élevé SRF ≥ 20 % Traiter tous les patients ≤ 2 mmol/L ou ≥ 50 % des taux C-LDL • Apo B ≤ 0,8 g/L • Non-C-HDL ≤ 2,6 mmol/L Intermédiaire SRF 10-19 % • C-LDL ≥ 3,5 mmol/L • C-LDL < 3,5 mmol/L, si apo B ≥ 1,2 g/L ou non-C-HDL ≥ 4,3 mmol/L ≤ 2 mmol/L ou ≥ 50 % des taux C-LDL • Apo B ≤ 0,8 g/L • Non-C-HDL ≤ 2,6 mmol/L Faible SRF < 10 % • C-LDL ≥ 5 mmol/L • Hypercholestérolémie familiale ≥ 50 % du C-LDL Légende : SRF = score de risque de Framingham (Framingham risk score) dosage était préalablement recommandé chez des patients à risque intermédiaire avec un C-LDL < 3,5 mmol/L n’est plus considéré dans la mise à jour des lignes directrices canadiennes. C. Risque élevé Les patients à haut risque de MCAS sont ceux ayant une maladie athérosclérotique connue (infarctus du myocarde ancien, revascularisation par pontages ou intervention coronarienne percutanée, maladie vasculaire périphérique, antécédents d’AVC ou d’accident ischémique transitoire [AIT]), un anévrisme de l’aorte abdominale ou un SRFm ≥ 20 %. Il en va de même pour les patients avec un diabète de type 1 ou 2 diagnostiqués depuis plus de 15 ans et âgés de plus de 30 ans, les diabétiques âgés de plus de 40 ans ainsi que ceux avec des complications microvasculaires. Les patients avec une maladie rénale à risque élevé (taux de filtration glomérulaire ≤ 45 mL/min ou rapport albumine/créatinine ≥ 300 mg/jour) ou une hypertension artérielle à risque élevé sont dans cette catégorie également. Les taux de C-LDL visés sont ≤ 2,0 mmol/L ou une baisse de ≥ 50 % du taux de base du C-LDL. L’intolérance aux statines... quoi faire? En pratique, les myalgies rapportées par les patients prenant des statines sont la principale raison de l’arrêt du traitement. Toutefois, la survenue de douleurs musculaires lors de la prise d’hypolipémiants peut être reliée à d’autres problèmes médicaux, ce qui rend la tâche difficile pour les cliniciens d’établir avec certitude un lien de causalité entre la survenue de symptômes et la prise de médication. Certaines stratégies proposées afin de diminuer les symptômes sont de modifier le type de statines, de réduire la dose, de combiner des hypolipémiants aux mécanismes d’actions différents ou d’encourager la prise aux deux jours plutôt que quotidiennement. Lorsqu’une statine est nouvellement prescrite, le dosage des taux sériques des transaminases hépatiques, de la créatinine et de la créatinine kinase (CK) sont recommandés et s’avèrent utiles dans le suivi des patients développant des effets secondaires potentiels. Il n’y a toutefois aucune indication de doser périodiquement ces paramètres biochimiques lorsque les patients sont asymptomatiques. E n pratique, les myalgies rapportées par les patients prenant des statines sont la principale raison de l’arrêt du traitement. Clinicien plus • octobre 2013 41 Dyslipidémie Les méthodes non pharmacologiques : prévenir la maladie MCV Les recommandations actuelles concernant les méthodes non pharmacologiques pour prévenir la MCV chez tous les patients sont de : • Adopter une saine alimentation, ce qui permet d’améliorer de façon significative le profil lipidique, diminue le risque de MCV et est au cœur de la prise en charge de l’obésité. Les diètes recommandées sont la diète méditerranéenne, Portfolio ou DASH (Dietary Approach to Stop Hypertension), éviter la consommation de gras trans, limiter les gras à < 30 % des apports énergétiques quotidiens, augmenter l’apport en fibres à > 30 g par jour et de limiter la prise de cholestérol à 200 mg par jour chez les individus avec dyslipidémie et à risque de MCAS; • Limiter la consommation d’alcool à 1-2 verres/jour (30 g/j); • Encourager l’activité physique à intensité modérée, par blocs de 10 minutes ou plus, pour un minimum de 150 minutes par semaine; • Promouvoir la cessation tabagique au moyen de mesures incisives et pharmacologiques. Cp Références : 1. Anderson TJ, Grégoire J, et coll. 2012 update of the Canadian Cardiovascular Society Guidelines for the diagnosis and treatment of dyslipidemia for the prevention of cardiovascular disease in the adult. Can J Cardiol 2013; 29(2):151-167. 2. D’Agostino RB Sr, Vasan RS, et colll. General cardiovascular risk profile for use in primary care : the Framingham Heart Study. Circulation 2008; 117(6):743-53. 3. Lloyd-Jones DM, Nam BH, et coll. Parental cardiovascular disease as a risk factor for cardiovascular disease in middle-aged adults : a prospective study of patients and offspring. JAMA 2004; 291(18):2204-11. 4. Grover SA, Lowensteyn I, et coll. Do doctors accurately assess coronary risk in their patients? Preliminary results of the coronary health assessment study. BMJ 1995; 310(6985):975-8. 5. Grover SA, Lowensteyn I, et coll. Discussion coronary risk with patients to improve blood pressure treatment : secondary results rom the CHECK-UP study. J Gen Intern Med 2009; 24(1):33-9. A dopter une saine alimentation, ce qui permet d’améliorer de façon significative le profil lipidique, diminue le risque de MCV et est au cœur de la prise en charge de l’obésité. Retour sur les cas cliniques 1. Compte tenu du faible risque cardiovasculaire sur 10 ans de Monsieur Plante (SRF à 8 %), mais que son C-LDL soit supérieur à 5 mmol/L, il est suggéré d’instaurer un traitement pharmacologique en plus des modifications des habitudes de vie. 2. Madame Gagnon a un risque cardiovasculaire intermédiaire avec un C-LDL < 3,5 mmol/L. Par conséquent, le dosage de l’apo B ou le calcul du taux de non-C-HDL s’avèrent essentiels afin d’évaluer si cette patiente requiert un traitement hypolipémiant. 3. De par ses antécédents cardiovasculaires, Monsieur Lavoie est considéré à haut risque cardiovasculaire. Il est impératif d’instaurer un traitement pharmacologique visant à diminuer ses taux de C-LDL à moins de 2 mmol/L ou d’atteindre une baisse ≥ 50 % des taux de base de C-LDL. 42 Clinicien plus • octobre 2013