Évolutions sociales et Loi de bioéthique

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Évolutions sociales et Loi de bioéthique
Évolutions sociales et
Loi de bioéthique
Docteur Anne Cambon-Thomsen
Médecin, directrice de recherche CNRS,
Unité mixte de recherche 1027 INSERM/Université Toulouse III Paul Sabatier,
Épidémiologie et analyses en santé publique,
à la Faculté de médecine, Toulouse.
Ex-membre du Comité Consultatif National d’Éthique
pour les sciences de la vie et de la santé (2002-2005)
Ex-membre du Groupe européen d’éthique
des sciences et nouvelles technologies (2005-2010)
Je ne suis pas devenue chercheuse par hasard : si j’ai « fait médecine », c’était déjà avec l’intention de
devenir chercheuse. Mais comment en arriver à m’intéresser à la bioéthique ?
Un parcours vers la bioéthique.
Très vite dans mes recherches, j’ai choisi le domaine de l’immunogénétique, c'est-à-dire la génétique
de la réponse immunitaire, qui a des applications dans le domaine des transplantations, celui de la génétique des populations et celui de la génétique des maladies complexes. Cela m’a amenée à travailler,
dans des pays variés, avec des populations de cultures différentes, sur la génétique de maladies dans
lesquelles des gènes du système immunitaire jouent un rôle : par exemple le diabète de type I, qui est
traité par l'insuline, ou des maladies comme la sclérose en plaques. Et en fait, dans tous ces domaineslà, je me suis trouvée confrontée à des questions de bioéthique. Pendant 13 ans, j'ai été directrice de
laboratoire de recherche (Inserm puis CNRS) situé à l’hôpital Purpan à Toulouse, et un directeur de
laboratoire a parmi ses responsabilités non seulement de définir avec ses collègues sur quels sujets on
travaille dans le laboratoire, mais aussi de nombreuses autres fonctions, notamment administratives ;
il doit s’assurer qu’on y respecte un certain nombre de principes et de bonnes pratiques en rapport
avec l’éthique de la recherche, la bioéthique, ainsi que les cadres juridiques correspondants. La limitation du nombre d’années des fonctions de direction de laboratoire est maintenant une règle établie et
implique de choisir ce que l’on fera « après ». Fin 1997, quand j'ai quitté mes fonctions de direction, je
m'étais vraiment posé la question de ce sur quoi j'avais envie de travailler ensuite ; j'ai fait le choix de
m'intéresser non tant à la structure et au fonctionnement des gènes, domaine qui se développait de
façon exponentielle, mais plutôt à ce que l’on allait faire de ce type de connaissance et des technologies correspondantes. Ce genre de questions de recherche est aux confins de la relation des sciences
avec la société, et ne peut pas se traiter en restant exclusivement dans son domaine avec ses collègues
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médecins et biologistes ; cela nécessite de l’interdisciplinarité avec les sciences humaines et sociales
et les thématiques de bioéthique sont au cœur de ce type de recherche. L’interdisciplinarité et les
questionnements en bioéthique sont caractéristiques de l’équipe que j’ai créée depuis 1998, dans une
Unité de recherche au sein du service d'épidémiologie et de santé publique de la faculté de médecine
(à côté du muséum de Toulouse). Cette équipe s’intéresse aux enjeux du développement des technologies, notamment dans le domaine génétique, à la fois pour le système de santé et pour la société.
Cette équipe de recherche d’une vingtaine de personnes comporte des médecins, pharmaciens, qui
travaillent dans le domaine de la santé, aussi bien que des juristes, sociologues, philosophes… qui
pour nombre d’entre eux sont également actifs au sein d’une plateforme « génétique et société » qui
est ancrée dans un dialogue centré sur la bioéthique entre le monde de la recherche et, disons, des
profanes, des non spécialistes… C'est ce parcours qui m'a amenée à être là ce soir et à vous parler
d’« évolutions sociales et loi de bioéthique ».
Les développements de la bioéthique
Il y a effectivement des évolutions, des positionnements qui changent dans la société, et on a en
France une loi dite de bioéthique, ce n'est pas le cas partout. Je vais donc commencer par vous raconter rapidement, à travers quelques grandes étapes, comment cette bioéthique s’est introduite dans
les institutions en France.
La bioéthique, dont nous ne reprendrons pas ici les définitions variées1, a vraiment pris racine et
s'est installée officiellement dans les pratiques de recherches après la seconde guerre mondiale, et
cela s’est passé à travers des événements au niveau international et de grandes déclarations. Effectivement, parmi les atrocités nazies, des êtres humains avaient été utilisés pour des pratiques de
recherches, sans être au courant des protocoles, comme s'ils étaient des cobayes. Et lors du procès de
Nuremberg en 1947, ont été définis, dans ce qu’on appelle le Code de Nuremberg, un certain nombre
de principes et de pratiques en rapport avec le respect de la dignité des personnes, notamment le
consentement : on ne peut pas faire d'expériences sur quelqu'un sans qu’il soit volontaire et qu'il ait
été informé – notamment sur le plan des recherches médicales. Un peu plus tard, la « Déclaration
d’Helsinki », par l'association médicale mondiale (1964) a précisé ces principes et a en particulier
officialisé les comités d'éthique de la recherche, qui examinent, indépendamment des chercheurs qui
proposent la recherche, les protocoles de recherches du point de vue de l'éthique pour protéger les
personnes. Il y a un peu partout dans le monde maintenant des comités d'éthique de la recherche,
(qui s'appellent en France des comités de protection des personnes), des principes comme le respect
de la dignité de la personne, le respect du consentement, la protection de la vie privée, la protection
de l'intégrité physique des personnes, leur information (car pour consentir, il faut être informé).
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En France, une loi entrée en vigueur fin 1988, loi de protection des personnes qui se prêtent aux
recherches biomédicales, prévoit précisément le consentement, la protection des participants à ces
recherches, les conditions de la conduite de telles recherches, notamment l’obligation d’une assurance
spécifique prise par l’organisme promoteur de la recherche, une habilitation des lieux où elle se pratique. Cette loi a aussi prévu qu’un comité indépendant examine chaque protocole. Plusieurs de ces
comités existent pour couvrir le territoire. Cette loi a été modifiée et remaniée depuis, allant vers un
champ d’application plus vaste : toute recherche impliquant des personnes, dans la loi du 6 mars 2012.
En 1983 en France a été créé le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et
de la santé (CCNE). Ce comité comprend une quarantaine de membres, tous nommés et non élus,
mais un membre de l’Assemblée nationale et un membre du Sénat y siègent. Ce CCNE a été créé par
décret après la naissance du premier « bébé éprouvette », suite au développement de l’aide médicale
1 Voir par exemple plusieurs articles dans l’ouvrage électronique " L’éthique : du questionnement à la discipline",
sous la direction de Le Marec, Joëlle et Kapitz Christiane, Lyon : ENS LSh/Laboratoire "Communication, Culture et
Société - Actes de la Journée d’étude à l’ENS LSh, 26 octobre 2005", http://c2so.ens-lsh.fr/ et http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/presentation-generale/la-bioethique-en-quelques-mots.html
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à la procréation. Le président François Mitterrand a considéré que les sciences biologiques se développaient rapidement, et que les pratiques qui en découlaient interrogeant la société, et pouvant
remettre en question des éléments fondamentaux, il fallait qu'il y ait une réflexion à ce sujet et une instance particulière et indépendante pour la mener et donner des avis, notamment au gouvernement,
aux ministères et globalement aux institutions. C'est la première fois au monde que se mettait en place
un comité national de ce type. Il ne peut pas être saisi par un citoyen individuellement ; il y a un mécanisme de saisine, celle-ci pouvant se faire par exemple par un ministère, une institution scientifique,
une association. Le comité peut aussi se saisir lui-même de toute question qui lui paraît requérir une
réflexion et un éclairage du Comité compte tenu du développement des sciences biologiques et de
la santé. Les fonctions, composition et organisation du CCNE font maintenant partie de la Loi relative
à la bioéthique, dont nous allons reparler. Il y a maintenant dans de nombreux pays des Comités ou
Conseils nationaux d’éthique ou des instances équivalentes.
Faut-il une loi concernant la bioéthique ou pas ? On en a discuté pendant longtemps, il y avait les « proloi » et les gens qui n'étaient pas pour un processus législatif concernant la bioéthique. Finalement on
a eu une loi de bioéthique en 1994, assez régulièrement revalidée depuis. Je vais donc vous parler de
ce que recouvre cette loi et de son processus de révision, je vais balayer tous les domaines concernés
par la loi, et montrer quelles évolutions sont actuellement en cours ou parfois bloquées.
En 1994, il y a eu trois lois dites de bioéthique :
- l’une relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de
la santé, (une évolution de la loi « Informatique et liberté » de 1978 qui avait institué la CNIL (Commission nationale informatique et liberté).
- une autre relative au respect du corps humain,
- et une loi relative aux dons et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance
médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.
Il est aussi écrit dans cette loi qu'elle peut être révisée. Comme on avait bien conscience que les
sciences de la vie et de la santé avançaient vite, et qu'il n'était pas crédible de prévoir tous les domaines de la recherche ou toutes les applications possibles, alors, si on voulait que cette loi entre dans
les détails, on savait qu'il faudrait la revoir régulièrement, et le texte même de la loi prévoit qu'elle
devra être revue tous les cinq ans.
On était en 1994, donc la loi devait être révisée en 1999, mais elle n’a été revue simplement qu’en
août 2004 à cause des élections. Puis il y a eu une nouvelle révision le 7 juillet 2011 (dont les décrets
d'application ne sont pas encore signés bien entendu).
La révision de la loi de bioéthique de 2011
Les grands principes de la loi relative à la bioéthique se basent sur le respect du corps humain, l'inviolabilité de la personne, la non-commercialisation du corps humain, le consentement, et le respect de
la vie privée, et n’ont pas requis vraiment de discussion sur le fond ; ils sont réitérés comme dans la
loi de 2004. Mais c'est dans leur traduction en pratique que, dans certains domaines, il y a eu des aspects qui ont été discutés, parfois âprement. Les chapitres actuels de la loi, correspondant aux divers
domaines traités, sont :
• Examen des caractéristiques génétiques à des fins médicales
• Organes et cellules
• Diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire et échographie obstétricale et fœtale
• IVG pratiquée pour motif médical
• Anonymat du don de gamètes
• Assistance médicale à la procréation
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• Recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires
• Neurosciences et imagerie médicale
• Application et évaluation de la loi Bioéthique
Examinons d’abord le processus de révision, qui s'est déroulé à partir de juin 2008 jusqu’à juillet 2011,
date où la loi a été votée, puis le contenu de la loi, de façon non exhaustive.
Pour cette récente révision, de nombreuses personnes et institutions ou instances ont travaillé ou
été consultées dès 2008, avant la discussion parlementaire de la révision de la loi. Divers rapports
ont été faits qui seront cités ultérieurement, et il y a eu aussi des états-généraux de la bioéthique de
2008 à 2010, qui ont été soit des consultations de citoyens dans différents domaines un peu partout
en France, soit des colloques publics, soit des initiatives autonomes de groupes, instances professionnelles, associations, soit des remontées individuelles de questions et opinions ou avis. Cela se
faisait via un site web dédié organisé par l’Agence de la biomédecine (http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/). C’est la première fois qu’en France un tel déploiement de modalités variées de consultation du public était réalisé par rapport à la bioéthique. Pour les consultations de panels de citoyens,
des gens (choisis selon une méthodologie très formalisée), étaient réunis, en assez petit nombre, en
plusieurs réunions, d’abord avec des spécialistes du domaine concerné, des experts, pour être informés des questions en jeu ; puis ils se réunissaient seuls et arrivaient à des propositions. Leur rapport
était ensuite publié et discuté, notamment lors d’un colloque final. Toute autre contribution pouvait
être transmise via le site web. Quelques thèmes ont été traités particulièrement : la recherche sur
l'embryon et les cellules embryonnaires, les tests génétiques et le diagnostic prénatal, l’aide médicale
à la procréation avec notamment le problème de la « grossesse pour autrui » (les mères porteuses),
ainsi que l’anonymat du donneur en cas de fécondation in vitro avec sperme d’un donneur, la transplantation et le don d’organes ou de cellules. Bien d’autres aspects ont été considérés également. La
plateforme « génétique et société » dont je suis responsable à Toulouse a fait sur 3 ans (2008, 2009,
2010), 3 ateliers ouverts sur divers aspects des tests génétiques et de leur utilisation et leur synthèse
a été envoyée dans le cadre de ces états généraux.
Les divers rapports d’instances et institutions ont été rendus publics : Rapport du Sénat, du Conseil
d’État, de l'OPECS (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), de
l’Agence de la biomédecine, (instance créée à l’occasion de loi de bioéthique précédente et qui a déjà
un rôle dans ces domaines touchant à la bioéthique et à la biomédecine), de la Mission parlementaire
en charge de préparer cette révision, avis du CCNE) notamment. Ces rapports portaient selon les cas,
sur l'application de la loi existante, les problèmes qu'elle posait, les nouvelles questions auxquelles
elle ne répondait pas, et les propositions de diverses institutions. Les contributions des états généraux de la bioéthique ont été compilées et synthétisées dans un rapport également et étaient toutes
publiquement accessibles.2
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Comme cette documentation était volumineuse, notre plateforme « Génétique et société » a également fait un travail de veille éthique et juridique et réalisé une comparaison des propositions dans ces
différents rapports (disponibles sur notre site : http://societal.genotoul.fr/). Notre travail a été d’analyser tous ces rapports.
Du point de vue du contenu de la loi, j'ai choisi quelques domaines, pour lesquels je vous dirai ce
que recouvre la loi et les questions qui se posent, et dans la discussion on pourra parler des autres
domaines qui pourraient vous intéresser (mais que je ne connais pas forcément bien).
L'utilisation des éléments et des produits du corps humain à des fins scientifiques
Elle est gérée depuis très longtemps en France à travers divers textes de loi et ça m'intéresse particulièrement parce que je suis chercheuse. Une des évolutions de la biologie aujourd'hui nécessite de
garder des éléments du corps humain ou de les prélever pour faire de la recherche : depuis cinquante
2 Voir http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/bioethique/index.shtml
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ans déjà, effectivement, on travaille sur les cellules humaines, le sang, des éléments du corps humain.
Mais aujourd'hui, les technologies se sont miniaturisées, c’est-à-dire que, avec très peu de matériau
biologique, on peut faire beaucoup de choses. Et les techniques de conservation se sont bien améliorées : on peut garder congelés des éléments du corps humain pendant très longtemps, (jusqu’à
cinquante ans au moins, et on sait qu’on peut travailler sur des éléments beaucoup plus anciens),
et les technologies récentes de la génétique font qu'on peut générer beaucoup de données sur les
personnes, aujourd'hui, à partir de quelques cellules seulement (comme faire la séquence entière du
génome d'une personne, c’est-à-dire connaître l'ensemble des caractéristiques génétiques, l'ensemble
des séquences de l’ADN qui porte l’information génétique et qui est contenu dans les chromosomes,
dans les noyaux des cellules). Sachant qu'un certain nombre de maladies sont sous la dépendance de
facteurs génétiques, c'est dire qu'on peut recueillir ainsi beaucoup d'informations sur les personnes,
et qu’il faut donc regarder de près comment on les protège et qui y a accès. Vous voyez là que l'évolution des techniques et l'évolution de la biologie créent de nouvelles questions : il y a cinquante ans
on avait besoin de beaucoup de matériel biologique pour faire finalement assez peu de chose vu l'état
de la science à cette époque-là, et les éléments biologiques s’épuisaient assez vite faute de savoir les
conserver ou parce que chaque test en utilisait beaucoup. Et on ne posait donc pas la question de ce
qu'on allait en faire dans 25 ans. Aujourd'hui vous voyez les problèmes que ça peut poser pour avoir le
consentement d'une personne, par exemple pour utiliser pour des recherches le petit bout qui reste
à l'hôpital après une intervention chirurgicale : car il y a des recherches qu'on peut faire demain matin
et définir précisément, et il y a des recherches qu'on peut faire dans cinq ans et qu'on est incapables
de définir précisément aujourd'hui.
Alors, comment à la fois informer pour qu'un consentement soit valide, et en même temps dire qu’on
ne peut pas informer sur ce qu'on ne sait pas ? Pourtant, ne pas refaire des recherches dans cinq ans
avec les mêmes échantillons, ce serait une perte pour la recherche et pour ses applications.
Et donc, on voit que le principe du consentement bien informé, précis, conduit à un dilemme : soit
on le maintient tel que, et il faut retrouver les gens au bout de cinq ans ou plus, (quelquefois, c'est
compliqué, quand on travaille sur 100 000 échantillons, s'il faut retrouver 100 000 personnes, ça demande un travail énorme pour leur demander si elles sont d'accord pour les prochaines recherches),
soit on élargit le consentement, et l’information donnée est très imprécise. Aujourd’hui, proposer
un consentement à faire de la recherche sur un échantillon biologique pour une longue période sans
plus de précisions, aucune instance éthique ne l'accepte. Il faut donner plus de précision, rechercher le compromis entre le consentement précis qui bloque un peu les choses et un consentement
plus large, mais pas totalement ouvert et trouver des mesures qui protègent tout de même les personnes et respectent leur autonomie. Dans la loi de 2004, on a instauré, pour l’utilisation future des
échantillons, une sorte de consentement par défaut, la procédure de non-opposition : au lieu d'aller
rechercher les gens pour leur redemander leur consentement, la loi leur donnait la possibilité, après
qu’ils aient été informés par écrit personnellement sur une nouvelle recherche envisagée, de s’y opposer (par écrit, téléphone, internet…). Et si les gens ne se manifestaient pas, à ce moment le comité
d'éthique qui examine le protocole de recherche pouvait consider cette non-opposition comme un
accord implicite : c’est moins exigeant (au sens du travail que cela demande) que le consentement
exprès réitéré (positif) où, si la personne ne répond pas, on n'a pas son consentement. Cela a été
mis en place en 2004.
Mais on avait fait alors une restriction pour les études sur les caractéristiques génétiques des personnes, où on continue à exiger un consentement positif. Or dans les recherches en biologie aujourd'hui, il y a de plus en plus d'études de l'ADN, ou d'études qui ont trait à la génétique : jusqu’à 70 %
des nouvelles recherches qu'on peut faire ont un élément de génétique, et donc le consentement
par non-opposition ne réglait pas le problème de beaucoup de recherches. On s’est alors demandé
s’il était vraiment justifié que, quand il s'agissait de génétique, on fasse une exception par rapport à
des études biochimiques ou d'autres choses. Il y a eu beaucoup de discussions dans les milieux de la
recherche, et finalement il y avait tellement d'opinions différentes, (et notamment de divisions ou de
non-agrément entre l'Assemblée nationale et le Sénat), que, dans la nouvelle loi de bioéthique, tout ce
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qui concerne la recherche a été évacué et fera l'objet d'une loi à part3. Donc, il y aura de nouveau de
la discussion à ce sujet, et les choses n'ont pas bougé dans la révision 2011 sur ce point. Par exemple,
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques voulait clarifier et unifier
les différents régimes en disant ce n'est pas logique de faire différemment suivant les différents domaines de la biologie. Il allait même assez loin en disant qu'il y avait déjà eu un consentement, et que
s’il fallait maintenir l'obligation d'information pour utilisation nouvelle, ce choix permettait de considérer qu'il y avait une présomption de consentement, et que si la personne ne disait pas le contraire,
on pouvait considérer qu'elle avait consenti. Il pensait aussi que, lors du premier consentement, on
pouvait peut-être poser des questions subsidiaires sur des recherches futures, même si on ne sait pas
trop les définir, dans l'idée que la personne participant à la recherche puisse au moins savoir qu’il
se fera d’autres recherches et se positionner sur cela. D'autres propositions suggéraient de garder
le régime actuel (le Conseil d’État par exemple proposait cela). Et finalement, ça n'a pas été pris en
compte dans la nouvelle loi : tout ce qui concerne la recherche sur des éléments du corps humain
(hors les cellules embryonnaires), est mis de côté et on le traitera plus tard. C’est un exemple lors
d’une révision de la loi, du changement de champ couvert : l’aspect recherche sur échantillons d’origine humaine passe du cadre juridique du champ bioéthique à un cadre juridique autre, ici le champ
de la recherche impliquant la personne.
Autre exemple, le débat mené en 2007 sur l’utilisation de tests génétiques dans le cadre des décisions
à prendre sur l'immigration et le regroupement familial. Il y avait eu un véritable tollé, un avis du Comité consultatif national d'éthique qui était très négatif par rapport à cette possibilité-là, la première
mouture de la loi avait été amendée, et finalement, on a voté une loi, qui existe et qui intègre cette
possibilité, et qui devait faire l’objet d’un décret d’application. Mais le ministre en charge de l'immigration a déclaré que le décret ne serait jamais promulgué ; donc cette loi restera lettre morte. Donc
ensuite on n’en a pas discuté dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, car cette légalité
nouvelle n'existe pas en pratique.
Médecine et génétique.
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Il y a un immense chapitre qui est consacré à la médecine associée à la génétique. Vous savez qu'il y
a des maladies qui sont héréditaires, et qu'il y a également beaucoup de maladies qui ont un versant
génétique, (parmi d'autres choses : l'environnement, la nutrition, les infections qu'on a rencontrées
dans sa vie, qui jouent un rôle dans le déclenchement d'une maladie). Un certain nombre de ces
maladies sont assez souvent rares et graves, chez les enfants et mais aussi se déclarant à l'âge adulte,
parfois avancé. Et pour ces maladies, qui sont complètement sous la dépendance de modifications
génétiques, ('une variation de plusieurs gènes), dans un certain nombre de cas on sait faire quelque
chose, au moins de la surveillance, ou du diagnostic prénatal pour rechercher si l’apparition d'une
maladie génétique grave et invalidante, notamment pour l'enfant, est à redouter. Dans ce cadre-là,
comme on a hérité, chacun de nous, de la moitié des gènes de notre père et de la moitié des gènes
de notre mère, et s’il y a une maladie génétique dans la famille, il peut être très important pour les
frères et sœurs d’être au courant pour mettre en place une surveillance médicale : par exemple, il y a
certains cancers du colon pour lesquels, si on intervient tôt, il y a de bonnes chances de guérison. Et
ces cancers sont parfois d’origine génétique : il est donc important, si un tel cancer se déclare chez
un membre de la fratrie, de mettre les autres membres sous surveillance, voire de tester leur génome
pour voir s’il présente le même « défaut génétique » et en prescrire des recommandations. Mais en
même temps, le secret médical existe, c’est même un élément majeur de l’éthique médicale. Et on
ne peut contraindre personne à aller parler à ses frères et sœurs en disant : « Moi, j'ai ça, il peut-être
intéressant pour toi de te rapprocher d'un médecin et de voir ce qu'il y a à faire ». Si cette personne dit
qu’elle ne veut pas que sa famille soit au courant, qu'est-ce qu'il faut faire ? Et là, c'est typiquement une
question d'éthique : le respect du secret médical est quand même absolument majeur, et en même
3 Cette loi est parue en mars 2012 et étend la mesure de la non-opposition aussi à la recherche génétique mais
avec des restrictions difficiles à interpréter… qui motivent des groupes de travail pour harmoniser les points de vue.
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
temps ne pas révéler le problème à la famille, ça veut dire faire perdre des chances aux autres apparentés, et on n'est pas loin de la non-assistance à personne en danger. La loi de 2004 en bioéthique
a traité cette question, (et dans tous les pays, les sociétés de génétique ont réfléchi à cette question
aussi, bien sûr). La position française est de respecter le secret médical, car si on commence à faire des
entorses à ce principe, les gens n'iront peut-être plus consulter parce qu'ils ne seront pas sûrs que le
secret soit gardé, et ça compromet leurs chances au niveau de leur santé, et puis, où s'arrêteraient ces
exceptions ? Donc, on sauvegarde le secret médical, mais en même temps on est quand même un peu
mal à l'aise, car il faut faire quelque chose pour les familles. Alors, en 2004, on a créé ce qu'on appelle
une procédure d'information de la parentèle : il faut informer d’abord les personnes qui sont atteintes
de « malformation génétique » des conséquences pour elles et pour la famille (il faut même que ce
soit cosigné par le patient et le médecin pour démontrer qu'on a bien informé). Et si la personne ne
veut pas le révéler à sa famille, elle doit quand même donner les coordonnées des membres de sa
famille, et le médecin concerné transmettra cette information à une agence nationale, l'agence de la
biomédecine, (en charge de ces questions de transplantations, diagnostic prénatal, test génétique,
recherche sur les cellules embryonnaires en particulier). Cette agence transmettra alors l'information
à toutes ces personnes, mais de telle façon qu'elles ne puissent pas savoir d'où ça vient (au sens de :
chez quel membre de la famille cette information génétique a-t-elle été identifiée). On leur dira, via
l’agence nationale : il y a eu une découverte d’une information médicale potentiellement intéressante
dans votre famille, il serait bien que vous consultiez un médecin ; on leur en dira suffisamment pour
qu'ils aillent consulter, mais pas suffisamment pour qu'ils puissent identifier de qui ça vient.
Sur le papier, c'est très joli, dans un texte de loi, c'est magnifique, on arrive à trouver une solution
à un problème impossible. Dans la pratique, c'est extrêmement difficile, l'agence de la biomédecine
n'a jamais réellement pu faire fonctionner cette chose-là. Et lors de la révision de la loi, on a constaté
que le problème existe toujours : la chaîne patient-médecin prescripteur-agence de biomédecine qui
informerait un autre médecin qui, lui, informerait les membres de la famille, c'est une procédure
lourde qui ne fonctionne pas. Mais dans la plupart des cas, les personnes concernées comprennent
l'importance pour leur famille, puis en parlent, ou acceptent que leur médecin en parle. Alors, tout
le monde était d'accord, dans les différents rapports qu'on a analysés, pour simplifier la procédure,
et le médecin lui-même peut dorénavant, dans la loi révisée, transmettre l'information au médecin
d'autres membres de la famille, sans passer par l’agence nationale, cette boucle qui ne fonctionne
pas. D’autre part, on a discuté de l’article qui, dans la loi de 2004, prévoit que les patients qui refusent de transmettre l'information à d'autres membres de leur famille, ne peuvent pas faire l’objet de
poursuites par les membres de leur famille. Et on a rétabli la responsabilité du patient : s’il ne veut
pas informer directement, il peut passer par la boucle à travers les médecins, mais s’il ne veut pas du
tout donner d'informations pour qu'on puisse informer sa famille, il est responsable, c’est-à-dire que
si les membres de la famille trouvent qu'ils ont perdu une chance, ils peuvent se retourner contre la
personne. Alors, il y a l'information, l'information par les médecins, il y a toute une série de textes qui
disent : il faut informer au maximum, expliquer les conséquences, pour eux et pour d'autres, il y a une
espèce de nécessité de faire quelque chose. Vous pouvez très bien dire : je ne veux pas que l'on sache
que ces informations viennent de moi, vous pouvez également dire : je ne veux pas qu'on révèle mon
diagnostic à d'autres, mais il faut donner les informations suffisantes pour que, via les médecins, les
membres de la famille puissent être informés. Donc ici c’est un exemple de ce que la révision peut
amener : analyse de procédure existante, et modification à deux niveaux : 1) la procédure pratique et
2) la définition de responsabilité nouvelle du patient qui refuserait de faciliter l’accès de sa parentèle
à une information médicale.
La procréation pour autrui
Dans la loi de 2004, ce qu'on appelle en langage courant « les mères porteuses », c'était interdit. Dans
un couple où la femme ne peut pas avoir de grossesse elle-même, mais peut produire des ovules
fécondables (in vitro) par son compagnon, on peut imaginer d’implanter l’œuf fécondé dans l’utérus
d’une autre femme, qui va donc porter l'enfant pour le couple (d’où le nom de mère porteuse), et
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çà, la loi de 2004 l’interdit. Il y a eu énormément de débats depuis : est-ce qu'il faut maintenir l'interdiction telle qu'elle est, ou est-ce qu'il y a des cas médicaux où çà pourrait être fait ; en outre, comme
c'est permis dans les autres pays, on a les cas en France où les personnes ne pouvant pas le faire en
France sont allées à l'étranger et reviennent avec un enfant dont ils ne sont pas officiellement les
parents, puisque la mère est celle qui accouche : une femme qui n'a pas donné naissance à un enfant
ne peut donc pas en être la mère sauf adoption. Et il y a toute une procédure pour l'adoption, qui ne
correspond pas à la nature des mères porteuses. Il y a eu des discussions intenses, mais rien n’a bougé
ici dans la révision de la loi. Mais c'est intéressant qu'on en ait parlé, d’un point de vue démocratique
et de débat public.
L'assistance médicale à la procréation
En ce qui concerne l'accès à l'assistance médicale à la procréation, il fallait, en 2004, pour pouvoir faire
appel à cette aide médicale, qu'il y ait une demande d’un couple en vue de remédier à une infertilité
médicale (qu’un membre du couple soit non fertile et que ce soit démontré médicalement). Il fallait
aussi que ce soit un couple homme-femme, en âge de procréer, marié ou en mesure d'apporter la
preuve qu'ils vivaient déjà ensemble depuis au moins deux ans. Une partie du débat de révision s'est
orientée sur l'ouverture de l'assistance à la procréation à ce qu'on appelle l’infertilité sociale, c’est-àdire les couples homosexuels : pourquoi deux femmes qui vivent ensemble ne pourraient-elles pas
avoir accès à l'assistance médicale à la procréation de façon à pouvoir avoir un enfant. Donc le débat,
très important, s’est axé autour des conditions pour avoir accès à l'assistance médicale à la procréation, avec pour résultat des débats un petit changement dans la loi actuelle : on ne demande plus de
pouvoir démontrer qu'il y a au moins deux ans de vie ensemble, mais il s’agit toujours des couples
homme-femme en âge de procréer. Il est même précisé que les gens qui sont pacsés peuvent avoir
accès à l'assistance médicale à la procréation, mais ça n'a pas été ouvert aux couples homosexuels.
Mais là aussi, les débats ont permis des analyses intéressantes de ce que ça remet en cause, et quels
sont les principes qui sont en jeu dans l’évolution sociale concernée par la loi de bioéthique. Il faudra
prendre en compte tout un mouvement sur l'acceptation de l'homosexualité comme étant un élément normal dans une société, et pas une déviance par rapport à une sexualité dite normale. Mais en
ce qui concerne l'assistance médicale dans la loi d'aujourd'hui, on en est resté au statu quo : elle est
toujours réservée à l'infertilité médicale.
Le statut de l'embryon et la recherche sur les cellules embryonnaires
50
C’était un élément phare de cette loi : la première loi de bioéthique de 1994 disait que la recherche
sur l'embryon était interdite. Après débat, on s'est dit que, tout au moins, ce ne serait jamais permis sans conditions. Dans un certain nombre de pays, la recherche sur l'embryon, à certains stades,
concernant certains types de recherche, et moyennant des autorisations et des contrôles, est permise.
Pourquoi y a-t-il une espèce de poussée vers des recherches dans ce domaine-là ? C'est parce que,
dans l'évolution des connaissances en biologie et en thérapie cellulaire, on sait maintenant que les
cellules embryonnaires, par définition, sont capables de reproduire in vitro, par des processus de différentiation, toutes les cellules de l'organisme, et qu’avec le développement des capacités de thérapie
cellulaire, en injectant des cellules, on peut soigner des tissus cardiaques par exemple et finalement
réparer un certain nombre de tissus qui ne fonctionnent plus ou qui ont des dysfonctionnements importants. Donc, si on ne fait pas de recherche sur les cellules embryonnaires, on ne va pas développer
les thérapies issues de ces cellules. Le problème est de définir la nature et le statut de l’embryon. Un
embryon c'est la fusion de deux gamètes : mais est-ce que c'est déjà une personne, est-ce que c'est
seulement une personne potentielle, comme le disait depuis longtemps le comité consultatif national
d'éthique, est-ce que c'est un simple amas de cellules ? Ce qui rend les choses un peu compliquées,
c'est que la loi ne connaît que deux catégories, les personnes et les non-personnes. Les animaux font
parties des non-personnes, car ils n’ont pas de conscience d’être. Alors un embryon, est-ce que c'est
une personne ? Les droits qui s'attachent à la personne, concernant de nombreux aspects dans notre
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
droit, et on voit bien que ça ne va pas s'appliquer à quelqu'un qui n'est pas né. Si c'est une non-personne, il y a un certain nombre de choses qui sont possibles, notamment de la recherche : on fait de
la recherche sur les animaux, bien encadrée, mais on la fait, on fait de la recherche sur des cellules
qui ne sont pas des personnes, comme les cellules du sang. On avait eu tous ces débats pour la loi
de 2004, qui avait fait évoluer la loi de 1994 en maintenant une interdiction de toute recherche sur
l'embryon, mais avec des exceptions. Il existe des embryons, produits dans le cadre de l'assistance à la
procréation, et qui n'ont plus de perspective d’utilisation pour le projet parental quand les parents ont
eu leur(s) enfant(s) (c'est une situation assez fréquente, et les embryons restent congelés). Alors les
géniteurs de cet embryon peuvent choisir de faire don de leur(s) embryon(s) à un autre couple, (une
adoption d'embryon en quelque sorte), un autre couple averti et qui pourra, (sans passer par toutes
les étapes de l'assistance médicale à la procréation, c'est quand même assez lourd), « bénéficier » d'un
embryon dans le cadre d'un projet parental, alors que celui-ci n'existe plus chez les géniteurs initiaux ;
ou alors, l'embryon sera détruit : ce que dit la loi, c'est qu'après cinq ans, on s'arrête de les conserver,
(autrement dit, on les détruit ; mais la loi n'ose pas dire qu'on peut détruire un embryon : si on s'arrête
de le congeler dans le container, l'embryon va se détruire, mais le but est de s’arrêter de le conserver,
pas de le « tuer »). Ou bien ce couple peut accepter que l'embryon peut être puisse être utilisé dans
le cadre de recherche. Mais il faut alors du côté du chercheur, remplir des conditions strictes : qu'il y
ait un projet de recherche ayant des perspectives thérapeutiques majeures, et puis un certain nombre
de critères qui sont examinés, protocole par protocole, par l'agence de biomédecine qui donne ou
refuse l'autorisation.
Entre 2004 et 2006, il y a eu un peu moins de 40 autorisations de recherche à partir de cellules embryonnaires en France, sous le régime de la loi de 2004. Pour la révision de cette loi, on a rappelé qu’il
est extrêmement difficile d'affirmer, avant le début de la recherche, que cette recherche a vraiment
des potentialités de progrès thérapeutiques majeurs. En tant que chercheur, je trouve cela un peu
présomptueux : on peut arguer que ça amène à des connaissances, mais on n'est pas très à l'aise ; ça
va presque au-delà de ce qu'un chercheur peut dire. Deuxièmement, est-ce que cette interdiction,
liée à des dérogations, ce n'est pas un peu hypocrite, est-ce qu'il ne vaut mieux pas dire : on autorise
sous conditions strictes ? Le débat s'est focalisé là-dessus : est-ce qu'on autorise la recherche sur l'embryon sous condition qu'il n'y ait plus de projet parental et que le couple soit d'accord ; ou bien est-ce
qu'on maintient l'interdiction, avec des dérogations. Le résultat de ces discussions, aujourd’hui dans
la loi 2011, c’est qu’on maintient l’interdiction des recherches sur l'embryon avec dérogations, mais
ce qui a bougé, c'est que la recherche doit seulement être susceptible d'amener des progrès médicaux. Et le progrès médical, ce n'est pas uniquement le progrès thérapeutique, c'est le progrès des
diagnostics, c'est des progrès pour comprendre le développement dans un certain nombre de cas :
ces progrès sont plus faciles à anticiper que les progrès thérapeutiques qu'on affirme avant d'avoir fait
la recherche.
Dans ces débats de 2010-2011, des lobbies scientifiques ou religieux, ou d'autres lobbies, ont cherché
à imposer leurs points de vue, et on a beaucoup discuté dans un débat très ouvert. Au niveau législatif, l'Assemblée nationale avait voté en première lecture une proposition de loi prévoyant le maintien
de l'interdiction avec dérogation et quelques modifications. Puis le Sénat a fait des propositions de
modifications importantes au mois d'avril 2011, et a proposé de dire « autorisation sous conditions ».
L’argumentation s’appuie sur le fait que les conditions, ce sont les mêmes, et maintenir officiellement
une interdiction, c'est hypocrite. Et ce nouveau texte serait une ouverture de la recherche dont on ne
veut pas bloquer le développement. Et quelle serait la position morale d'un pays qui afficherait l’interdiction des recherches sur l'embryon ou sur les cellules issues d'un embryon, lorsque des traitements
mis au point dans un pays où c'est permis arriveraient sur le marché : on ne va pas les appliquer en
France, on ne va pas donner aux personnes la possibilité d'avoir accès à ces thérapeutiques qui peuvent les sauver ? Évidemment non, on est obligé de proposer d'utiliser ces thérapeutiques, (et c'est
pour çà qu'il y avait déjà eu des dérogations). Je signale que le Sénat avait fait ces propositions avant le
changement de majorité qui vient d’intervenir, et que le nouveau Sénat y serait certainement encore
plus favorable. Je souligne aussi qu’en ce qui concerne la bioéthique, il y a des positions qui traversent les courants politiques : qu'on soit de droite ou qu'on soit de gauche, on retrouve les mêmes
PARCOURS 2011-2012
51
positionnements, très partagés. Mais finalement en deuxième lecture l’Assemblée Nationale a rétabli
l’interdiction avec dérogation. On est revenu à la situation initiale (sauf à remplacer des progrès thérapeutiques par progrès médicaux). On a en plus ajouté un article qui dit qu’aucun chercheur n’est
obligé d'accepter de faire des recherches sur des cellules embryonnaires s'il ne le veut pas : il y a toujours eu une liberté dans le choix des recherches, on n’est jamais obligé de faire une recherche plutôt
qu'une autre, mais maintenant, c'est dans un texte de loi ! Un autre changement est que l’autorisation
(par dérogation) n’est plus limitée à 5 ans, comme c’était dans la loi de 2004.
Les transplantations
En ce qui concerne la transplantation, une régulation existe depuis longtemps en France, et ce qui
a bougé dans ce domaine-là, c'est qu’on a inscrit dans la loi une obligation d'informer les donneurs
potentiels pour les transplantations sur la régulation existante, dont le fait qu'il y a un registre de refus
où l’on peut signaler si on ne veut pas que ses organes soient utilisés : si on ne sait pas que ce registre
existe, on a du mal à s'inscrire. Il y a donc une obligation de faire de l'information au nom de la société
en général ; des journées sur le don sont institutionnalisées par la loi, ainsi que l'obligation d'informer
les jeunes au niveau des lycées : c’est l’information sur les dons pour la transplantation.
Pendant très longtemps, les textes ne concernaient que les dons après la mort, (le cerveau est mort
mais les organes restent en bon état pendant un certain temps et peuvent être prélevés et conservés
dans les meilleures conditions pour servir à des transplantations), mais il y a aujourd’hui un développement des dons de donneurs vivants : cela concerne les reins (on peut se séparer d’un rein et vivre
normalement) et des lobes hépatiques ou pancréatiques (on peut amputer une partie du foie, il va
fonctionner tout de même). Au début, on ne pouvait donner que des parents aux enfants, en toute
connaissance. Lors de la loi précédente, ça s'était déjà un peu assoupli, on pouvait déjà donner entre
mari et femme, entre frères et sœurs. Et aujourd'hui on a inscrit dans la loi ce qu'on appelle les dons
croisés. Lors des transplantations, il peut y avoir des incompatibilités entre le donneur et le receveur
de la même famille, ce qui interdirait donc tout recours à cette technique ; alors supposons que dans
la famille A, le donneur A1 n’est pas compatible avec le receveur A2, et que dans la famille B, le donneur B1 n’est pas compatible avec le receveur B2, mais que (cela arrive), A1 et B2 sont compatibles, et
que en même temps B1 et A2 le soient alors la loi d'aujourd'hui autorise ces dons croisés : je voudrais
bien donner à mon frère, mais ce n'est pas possible parce que l'on n'est pas compatible, mais je donne
de mon vivant pour une autre personne qui ne m'est pas apparentée, mais avec qui je suis compatible,
s’il y a réciprocité. On voit que les indications des dons du vivant vont en en s'élargissant.
Les nouvelles sciences de l'imagerie médicale
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Il y a un domaine des sciences biomédicales qui a fait son entrée dans la loi de bioéthique, les nouvelles sciences de l'imagerie médicale : de plus en plus, on fait des IRM, des scanners, des tas de choses
un peu sophistiquées en imagerie médicale, et la loi de bioéthique fixe des limites et dit que çà ne
peut être fait que dans le cadre médical, pour l'intérêt de la personne, ou dans le cadre scientifique.
Il va y avoir de nouvelles pratiques qui vont être définies pour encadrer l'imagerie. Ici la révision a
amené à inclure un nouveau domaine dans le champ de la loi de bioéthique.
Les tests génétiques
C’est quelque chose qui s'est développé de façon assez déroutante depuis 2004, et la loi française
stipule que l'examen ou la recherche des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut se faire
que pour raison médicale ou pour la recherche scientifique. Le domaine judiciaire a sa propre régulation pour l’utilisation de la génétique.
Ce qui s'est beaucoup développé depuis quelques années, ce sont des propositions de tests par des
compagnies commercialisant des tests génétiques sur internet : il y a des sites connus, qui proposent
quelques tests d'intérêt médical pour des maladies monogéniques, (mais pas beaucoup), et surtout
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
des tests sur des maladies connues, le diabète, l’hypertension, des maladies qui dépendent d’un
certain nombre d'éléments où la génétique joue un petit rôle, mais où on est capable d'évaluer les
risques, sans faire du diagnostic. On n'est pas du tout dans le domaine du diagnostic, on est dans l'évaluation des facteurs de risques ; on ne peut pas l'appliquer à l'individu avec une certitude de survenue
de telles maladies, c'est statistique.
Il y a un autre type de génétique qui permet un peu de remonter dans l'histoire des hommes : on a
documenté par la génétique que les humains sont tous issus d'une même origine africaine, à partir
de laquelle ils se sont diversifiés en plusieurs branches (on ne parle plus de races !), et des tests génétiques permettent d'avoir des informations sur ces origines. C’est de la génétique récréative, mais
c’est interdit. Pourtant, puisque la possibilité existe, que ce sont des tests payants et volontaires, estce qu'on a le droit d'avoir cette information, ou bien est-ce qu’on maintient dans la loi que ces tests
ne peuvent se faire hors du cadre médical ou scientifique ? Si cette condition était maintenue, çà ne
réglerait tout de même pas le problème d'internet ; mais par contre, il y a un petit article dans le code
pénal, qui rappelle qu’en dehors du cadre médical ou scientifique, on n'a pas le droit de prendre un
cheveu sur son gamin ou son voisin pour aller faire des tests génétiques, c'est puni par des amendes.
Pourtant, avec le fait que le droit à l'information génétique sur soi-même n'existe pas, on peut théoriquement être puni par la loi pour avoir fait des tests génétiques sur soi-même. Une amende de l'ordre
de 3 750 € est prévue si on fait faire des tests génétiques sur soi-même en dehors du cadre médical
ou scientifique !
Enfin, les nouveaux textes sur l'application et la réévaluation de la loi de bioéthique disent qu’elle
doit être révisée tous les sept ans au lieu de cinq, avec des modalités pour la faire évoluer en cours de
route, si nécessaire ; et toutes ces dispositions doivent faire l'objet d'un débat public, comme les états
généraux de la bioéthique, qui deviennent quelque chose d’institutionnalisé dans la loi et dont l'organisation sera confiée, soit à l'agence de la biomédecine, soit au comité consultatif national d'éthique.
Ces quelques exemples permettent d’illustrer ce dont traite la loi de bioéthique, et sur quels arguments, domaines et genres de débats les changements se font ou ne se font pas. Le processus
préalable à la révision n’a jamais été aussi organisé et ouvert que pour la révision 2011, et on perçoit
que si la révision porte sur de nouveaux développements scientifiques, les évolutions sociales et les
comparaisons internationales y jouent un rôle grandissant. De même la notion de dialogue avec et
entre les citoyens, d’information et de consultation des publics prend une importance grandissante
dans le domaine de la bioéthique et les débats qui l’entourent. Dans cette soirée nous sommes un
exemple de telles activités.
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Débat
Un participant - Quand le comité consultatif fait des propositions, de quelle manière sont-elles décidées, est-ce qu'il n'y a qu'une proposition de synthèse ou plusieurs alternatives ?
Anne Cambon-Thomsen - En fait, il n'y a pas forcément de processus vers l’unanimité au sein du comité, il peut y avoir des avis divergents inscrits dans les avis du comité. Cependant, dans la plupart des
cas, une forte majorité se dégage sur un certain nombre de propositions, mais ce n'est pas pour ça
que çà va être pris en compte ! Le législateur a d'autres considérations que les avis du comité national
d'éthique, bien sûr c'est pris en considération, mais pas forcément pour être suivi. Le comité consultatif n'a pas d'obligation de générer un consensus, mais une analyse d’une question et des recommandations. Il est constitué de 40 personnes : cinq sont nommées par le Président de la république, au titre
de la représentation des grandes familles philosophiques ou religieuses, (il y a en général un prêtre,
PARCOURS 2011-2012
un pasteur, un musulman, un rabbin, et un athée, pour représenter les différents courants) ; dix-neuf
personnes sont nommées au titre de leur intérêt et compétence pour la bioéthique sur propositions
de divers ministères et instances, comme le ministère de la famille, le ministère de la recherche, le
ministère des affaires sociales, l’Assemblée Nationale et le Sénat, et d’autres personnes sont nommées
par des institutions scientifiques et médicales. Le comité consultatif d'éthique n’est pas une instance
démocratique élue, mais nommée, et les personnes qui y siègent sont nommées à titre personnel et
pas pour représenter une institution. Mais le processus de nomination lui assure la diversité requise,
et son indépendance ; si le gouvernement change, le comité ne change pas : il est renouvelé tous les
quatre ans, partiellement et le nombre de mandats de chaque membre est limité. Il peut y avoir des
changements politiques pendant la durée d'un mandat du Comité. En ce sens, sur le plan légal, c'est
une autorité indépendante, qui est rattachée pour toute sa gestion au premier ministre. Il y a des pays,
par exemple les États-Unis, où le Président nomme lui-même un certain nombre de gens pour être
ses conseillers en bioéthique, donc, il n'y a pas les mêmes processus de nomination sur proposition
d’institutions diverses pour assurer la diversité.
Et il n'y a donc pas de nécessité de consensus, quoique souvent ce soit le cas.
Une participante - Je suis fille d'agriculteur, mon père faisait de l'élevage bovin, et mon enfance a été
baignée par des discussions sur la sélection qu'on pouvait faire, et les avancées de recherche qui
étaient faites par l'INRA : il était fortement question alors d'implantation de futurs embryons dans
la vache pour produire plusieurs veaux à la fois, par exemple. Aussi, j'ai été très étonnée, en 1995
et 1996, que lors des débats sur les lois de bioéthique, on ait eu l'impression que c'était un sauve-quipeut : au secours, la recherche va trop vite ! Attention, il y a des gens qui commencent à vouloir cloner,
il y a des gens qui commencent à vouloir mélanger les cellules humaines avec les cellules animales ;
et en plus avec la vitesse que prenait l'informatique, c'était le sauve-qui-peut : vite, il faut un aspect
éthique et moral et il faut cadrer la recherche. Il y a eu un peu la même chose avec l'atome, et c'est
très intéressant de voir que çà évolue, mais çà évolue avec difficulté, parce que nous n'avons pas beaucoup évoqué l'environnement, la proximité avec la loi sur l'avortement, la commercialisation qui peut
être faite de la recherche. Je vous remercie parce qu’on ne parle pas assez de toutes ces choses-là, et
pourtant, c'est complètement vital, et c'est très inquiétant.
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Anne Cambon-Thomsen - Juste un commentaire, il y a un article dans la loi actuelle qui dit qu'il est
interdit de faire une chimère entre une cellule humaine et une cellule animale : c'est interdit en
France. Alors, dans tout ce qui est dit par rapport à l'embryon, au diagnostic prénatal, et aux interruptions de grossesse pour raisons médicales, il y a un équilibre à garder entre remettre en cause
la loi de 1975 sur l'avortement et le fait de protéger l'embryon, de ne pas faire n'importe quoi,
ouvrir, sans condition, l'embryon à la recherche. Certains thèmes ont été plus développés que
d’autres mais, par exemple il existe une instance nationale spéciale pour les aspects éthiques de
la recherche sur l’animal qui est régulée par d’autres textes juridiques spécifiques, et pas par la loi
de bioéthique qui se concentre sur l’humain. L’INRA en commun avec d’autres institutions scientifiques pratiquant des recherches dans le domaine de l’environnement a un Comité d’éthique et
de déontologie, orienté sur les questions que vous évoquez. Le statut de ce comité est différent
de celui du CCNE, qui lui, n’est pas lié à une institution donnée. Les medias parlent plus rarement
des travaux de ces comités (l’Inserm et le CNRS ont aussi un comité d’éthique) et c’est peut-être
pour ça qu’au niveau de la population qui s’informe par la presse générale ou la télévision, il y a un
manque de connaissances et d’information.
Un participant - Quand on vous entend, on a l'impression que la première loi de bioéthique a été votée dans l'enthousiasme et que depuis, çà évolue très peu, puisqu'à chaque fois que vous avez parlé
d'une évolution, çà été vraiment quelque chose de marginal, on bute sur des termes. Alors, est-ce que
cette loi n’est pas une loi de conservatisme, et est-ce que, avec cette loi de bioéthique, la France ne se
met pas en retard par rapport à d'autres pays. Comment la France se compare-t-elle à ses voisins européens et plus généralement aux États-Unis ou aux pays émergents qui n'ont pas du tout les mêmes
soucis éthiques, apparemment, que nous.
Anne Cambon-Thomsen - Effectivement, la loi de bioéthique publiée en 1994 avait donné lieu à de forts
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
débats pour savoir s'il fallait légiférer, ou laisser des recommandations de bonne pratique, mais en général, on fait des lois en France préférentiellement à d’autres régulations, à l'opposé d'autres pays où
ce n'est pas le cas : les systèmes juridiques sont assez différents dans les pays anglo-saxons.
Et la raison pour laquelle les lois n'ont pas bougé depuis, c'est que les principes qui sont derrière la
première loi de bioéthique restent fermes : les principes généraux du droit, dignité de la personne,
respect du corps humain, etc. Or, si on garde les principes, on ne fait pas une révolution dans la loi ;
par contre, il y a eu beaucoup d'articles où l'on avait fait beaucoup de bruit, et où la montagne a accouché d'une souris : on avait eu l'impression qu’il y aurait des adaptations majeures, et finalement, elles
l’ont été à la marge seulement, avec un certain nombre de décisions qui sont tout à fait importantes
mais qui vues d'un peu plus loin ou quand on ne connaît pas précisément un domaine ou un autre,
paraissent anecdotiques ou de détail. Effectivement, la première loi a été votée après une réflexion
approfondie sur les fondements de cette loi, et ces fondements ne sont pas remis en cause dans les
discussions.
Alors, la France est effectivement assez restrictive dans son approche, un certain retard est pris dans
certains domaines et pas dans d'autres. Au niveau européen, c'est extrêmement varié. L’Espagne et
l'Angleterre sont plus permissifs en ce sens qu'ils permettent davantage de choses dans le domaine
de la recherche sur l'embryon, la Belgique et d'autres pays autorisent la gestation pour autrui : est-ce
que ce n'est pas négatif d'interdire un certain nombre de choses quand on sait qu'elles sont autorisées
dans d'autres pays tout proches ; d'un autre côté, est-ce que, parce que d'autre le font, il faut qu'on
se mette à le faire aussi de façon générale ; la discussion se fait là-dessus. Il y a des développements
qui vont moins vite en France qu'ailleurs, mais ce n'est pas complètement bloqué, et, suivant les
domaines, il y a des pays encore plus restrictifs que la France : l'Irlande, le Portugal, l'Italie, où la recherche sur l'embryon est interdite, par exemple. Il y a une variété au sein de l'Europe qui est assez
énorme.
Le groupe européen d'éthique (GEE) des sciences et des nouvelles technologies conseille la Commission Européenne en matière d’éthique de ces domaines. Il est constitué de quinze personnes. Il faut
savoir que la bioéthique ne fait pas partie des compétences des institutions de l'Union européenne,
cela reste jalousement de compétence nationale. Alors, pourquoi y a-t-il un groupe européen qui est
chargé de conseiller la commission ? C’est qu’il y a un certain nombre de développements, de régulations au niveau européen, dans le domaine de compétence de l'Union, qui ne peuvent pas faire fi
de la bioéthique.
Exemple : un programme-cadre de recherche est financé par l'Union européenne. Or, la situation
pour la recherche sur l'embryon est complètement hétérogène au niveau des États membres : faut-il
que l'argent de l'Union européenne serve à financer les recherches sur l'embryon, sachant que cet
argent vient de tous les pays, et que c'est permis par les uns et non par les autres ? Il y a eu un débat
énorme au niveau du parlement européen et finalement la position adoptée qui a été décidée pour le
programme-cadre actuel (le FP7), c'est qu'il n'y aurait pas utilisation des fonds du programme de recherche européen pour des recherches qui utiliseraient l'embryon directement, qui fabriqueraient les
lignées cellulaires, ce qui implique de détruire l’embryon, et, que, par contre, à partir du moment où
cette étape est franchie dans le cadre d'un pays où c'est possible (avec financement hors FP7), toute la
suite qui utilise ces cellules issues d'embryon est possible, moyennant tout un tas de conditions, d'examens éthiques au niveau européen et autres. On aboutit à une espèce de cote mal taillée. Il est bien
entendu que, quand la recherche sur l'embryon est régulée dans un pays, la première chose à vérifier,
c'est ce que le chercheur de ce pays a le droit de faire : il faut d'abord que les chercheurs respectent
la législation de leur pays, et que çà ne les empêche pas de participer à des recherches où les étapes
qui sont faites dans un autre pays sont acceptées. Et, dans tous les cas où il y a utilisation de cellules
embryonnaires, un certain nombre de conditions sont vérifiées au niveau européen.
Une participante - Madame, vous avez parlé tout à l'heure de cadrage par rapport à tout ce qui touchait l'imagerie médicale et le scanner. Est-ce que des sanctions sur la divulgation du dossier sont
envisagées ?
Anne Cambon-Thomsen - Au niveau de l'imagerie médicale, il y a des dérapages possibles. En fait, il y
PARCOURS 2011-2012
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a utilisation de l'imagerie de façon récréative (comme pour la génétique récréative non médicale ou
non scientifique ou pour aller explorer des tiers à leur encontre ; le même genre de choses existe en
imagerie, par exemple l’échographie dans les grossesses, hors suivi médical), donc, là, le principe, est
le même, c'est utilisation de l'imagerie médicale à des fins médicales ou scientifiques. Donc, çà balise
et limite la possibilité pour les assurances par exemple de prendre en compte les résultats d'imagerie,
comme c’est le cas pour la génétique. Les assurances ne peuvent pas prendre en compte les résultats
d'imagerie, même si le patient veut les utiliser à son profit, pour convaincre les assureurs. En France,
on ne peut donc pas se prévaloir de tests génétiques, dans un sens ou dans l'autre, par rapport à des
assurances ; et c'est la même chose sur le plan de l'imagerie. Il y a une phase qui se passe lors d'examens pendant la grossesse pour voir le développement du fœtus, avec des examens qui se font de
façon commerciale, il y a des tests lors d’examens médicaux et certaines personnes veulent avoir une
image par mois pour avoir la sélection des images illustrant le développement du bébé : cela reste
interdit.
Pour l’aspect « données personnelles », données médicales, il existe une loi pour cette question qui
s’applique à tous les domaines, donc on n’a pas besoin d’une loi de plus pour cela. Cette loi est la
transposition en droit français d’une Directive européenne. Donc au sein de l’Union on au moins un
degré de protection harmonisé et les échanges entre pays de l’Union sont facilités à cause de ce haut
degré de protection.
Un participant - Vous avez parlé tout à l'heure de la composition du comité d'éthique dans lequel il y a
des familles religieuses. Or, nous sommes dans un pays où il y a 80 % de gens qui ne pratiquent plus
ou qui ne se recommandent d’aucune religion, ou qui se déclarent athées et qui ne sont représentés
que par un sur cinq, donc 20 % ; il y a quand même quelque chose qui est assez curieux. Est-ce que
ce poids des religions n’est pas trop important dans le comité, entraînant des a priori issus de la religion. Çà, c'est du côté français ; par contre, ce qui me surprend beaucoup, c'est qu'aux États-Unis, où
la religion est omniprésente (puisqu'on peut à peine se déclarer athée aux États-Unis), et qu’on voit
Sarah Palin et les fondamentalistes qui tiennent le haut du pavé, par contre, dans le domaine de la
recherche médicale, il y a une liberté beaucoup plus grande qu'en France. Il semblerait que le poids
religieux, plus protestant que catholique, se traduirait par le fait que les pays du nord de l’Europe sont
plus libéraux que les pays du sud.
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Anne Cambon-Thomsen - Je peux vous donner ma perception après mon passage au sein de ce Comité.
Il y a plusieurs façons de voir les choses : cinq personnes, c'est important, mais c'est sur 40 membres
et en général il y a un athée parmi ces cinq, l’athéisme étant considéré comme une philosophie importante ; ce sont les cinq personnes qui sont nommées par le Président de la république, Président
de tous les Français, parce qu'on n'a pas trouvé d'autre façon que de les faire nommer par le Président
de la république pour garantir l’indépendance que vous souhaitez. Elles ne sont pas nommées par
leur institution, mais par le Président et à titre personnel, dans une institution de la République, qui
est donc séparée de la religion. Elles sont là pour apporter l’information sur la vision des philosophies
ou religions auxquelles elles adhèrent, pas pour représenter leur institution, dans le cas de religion.
De plus, parmi les autres des 40 membres, il peut y avoir des athées ou des personnes adhérant à
une religion aussi évidemment ; mais je puis assurer que les différentes familles philosophiques ont
la possibilité de s’exprimer. Et les cinq ne représentent pas leur « église » ; chaque membre du comité
national est nommé à titre personnel ; donc, on peut très bien avoir un « religieux » qui s'associera,
après le débat qui a lieu dans le comité, à une position qui ne représente pas forcément la position de
l'Église, si c'est un catholique, par exemple. Par contre, le rapport dira quelle est la position officielle
de l'Église. Personnellement, ce que j'apprécie dans ce Comité, c'est la liberté de parole des gens, et
les débats ne sont pas publics (ni enregistrés, même s’il y a des comités d'éthique dans d'autres pays
où les séances sont publiques) : ces dispositions sont là pour permettre que les gens puissent s'exprimer et, éventuellement, changer d'avis dans la discussion. Il y a une grande liberté de parole, un grand
respect des gens les uns vis-à-vis des autres, il n'y a pas de prosélytisme pour essayer de convaincre, les
gens ne représentent pas des institutions : le chercheur du CNRS peut dire quelque chose de différent
de la position du CNRS sur un sujet, et c'est pareil au niveau des différentes familles philosophiques.
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
Par expérience, je peux vous assurer que c'est un lieu extrêmement riche d'échanges et de liberté de
paroles, et l’on y sent bien que la France est un État laïc. Et donc, comme le CCNE est une institution
d'un État laïc, l'avis qu’il donne est un avis laïc, même si, comme dans toute la société, il y a des gens
qui peuvent s'exprimer avec des fondements religieux. C’est moins vrai au niveau du Groupe européen d’éthique. Il y a beaucoup de pays en Europe où la religion est officielle : en Angleterre, c'est le
cas ; il y a des pays très traditionalistes, comme la Pologne qui est très marquée sur le plan religieux.
Je peux vous dire que çà se sent, même si au niveau des membres, personne ne représente son pays,
(il n'y a que 15 membres et on est 27 pays dans l'Union européenne) : il y a des scientifiques, des
philosophes, et même des prêtres, et lorsque certaines personnes s'expriment, on sent qu'elles sont
imprégnées d'une conviction religieuse profonde, même si elles n’ont pas été nommées à ce titre.
Au sein du comité français, officiellement, on a souhaité être sûr que les différents courants philosophiques ou religieux puissent s'exprimer. Effectivement, sur ce qu'on peut faire sur le corps, il y a des
positions religieuses tranchées et il faut les connaître. Mais s’il y a du lobbying religieux en France, ce
n’est sûrement pas au niveau du CCNE qu’il faut le chercher ! J'ai trouvé que c'était surprenant, au niveau européen, et j’ai compris ce que voulait dire être un pays laïc comme la France, par comparaison
avec la façon dont se comportaient des collègues d'autres pays européens où il n'y a pas cette laïcité
affirmée, la séparation Église-État, etc.
Il est vrai que le lobby catholique, par rapport à la recherche sur l'embryon, est très actif ; il y a des
groupes activistes, la fondation Jérôme Lejeune a des positions extrêmement marquées contre la
recherche sur l'embryon et certains diagnostics prénataux, contre l'avortement, etc. et ils jouent au
maximum pour essayer d'influencer. Ils agissent peu sur la CCNE directement, ils agissent beaucoup
plus au niveau des parlementaires. C'est vrai que çà peut choquer ; a priori, la religion, dans un État
laïc, n'est pas mandatée pour agir de cette manière. En réalité, l'État laïc leur a donné la possibilité de
s'exprimer, mais, dans mon expérience, c’est plutôt un avantage d’avoir de l’information exacte par
des personnes expertes mais qui agissent dans le cadre d’une institution laïque.
Le participant - Et aux États-Unis ? Sarah Palin est contre l'avortement mais ne s'est jamais exprimée
contre la recherche sur l’embryon.
Anne Cambon-Thomsen - Jusqu'à l'arrivée d'Obama, les crédits publics ne pouvaient pas financer la
recherche sur l'embryon, (pour des raisons bioéthiques et religieuses), mais comme il n'y a pas une
loi de bioéthique qui s'applique à tous, public et privé, comme en France, aux États-Unis l’État pouvait
seulement réguler ce qui impliquait de l’argent public, les industries privées pouvaient financer ce
type de recherches sans aucun frein. Obama est revenu là-dessus, a autorisé l’utilisation de crédits
publics pour la recherche sur l’embryon, mais a fixé des conditions qui s’appliquent à tous, public
comme privé. Il a ainsi levé ce tabou que l'argent de l'État ne pouvait pas servir à la recherche sur les
cellules d’embryons.
Un participant - Ce qui est important, ce n'est pas seulement ce qu'on est capable de savoir, mais ce
qu'on fait de ce savoir. Par exemple, chez nous, le fait de connaître le sexe d'un enfant au cours de
la grossesse, çà ne pose pas de problème. Mais dans les pays où il y a une politique d'enfant unique,
ou ceux où la « valeur » des femmes est dévaluée, çà pose le problème de l’avortement sélectif pour
la suppression de petites filles. Et je me pose la question au sujet de la politique actuelle du gouvernement par rapport au dépistage de la délinquance dans la petite enfance : qu'est-ce qui va nous
protéger le jour où on va décider de prescrire des tests ADN chez des enfants de trois ans ; vous voyez
où je veux en venir. ?
Anne Cambon-Thomsen - Ce que dit notre loi de bioéthique actuelle, et c'est assez constant depuis
notre première loi de bioéthique, c'est qu'on ne peut pratiquer de test génétique que dans le cadre
médical ou scientifique. Alors, est-ce médical de savoir si quelqu'un a des tendances à être un peu violent, délinquant ou non délinquant ? Est-ce qu'il peut y avoir des tests génétiques de la délinquance ?
Je ne le crois pas. Et même si on avait des informations de cet ordre-là, on n'a pas le droit de les utiliser. Notre loi est là pour éviter de telles dérives ; maintenant, c'est vrai qu'il y avait eu des dérapages
énormes du président Sarkozy dans le cadre de sa campagne, où des suspects risquaient d’être internés à vie, parce que, justement, il prévoyait des dépistages de comportement. Qu'il y ait des questions
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qui se posent pour comprendre les comportements humains, c'est vrai ; et on fait des recherches pour
comprendre comment çà marche : mais l'environnement et le contexte social sont beaucoup plus
importants, ce n'est pas par la génétique qu'on va pouvoir progresser beaucoup dans ce domaine. La
loi ne s'impose qu'au territoire français : elle est donc pensée en fonction d'un certain nombre de principes qui sont les principes généraux du droit ; on ne peut faire de tests génétiques chez les enfants
que pour leur bénéfice sur le plan médical, ceci pendant leur enfance, c’est-à-dire avant qu'ils puissent
consentir eux-mêmes. Il y a une obligation de consentement pour tout test génétique, consentement
écrit, préalable, avec des côtés contraignants sur le plan de la recherche.
On ne peut jamais imposer un test génétique à quelqu'un, sauf dérogation dans le cas de l'utilisation
de ces tests dans le cadre d’une enquête judiciaire, pour pouvoir identifier les coupables (ou disculper des innocents faussement soupçonnés !). Les gens peuvent toujours refuser un test ADN, mais
s'ils le refusent, il y a une sanction pénale ; donc, on leur accorde la liberté de refuser, à leurs frais, en
quelque sorte.
Sur le plan médical, on ne peut jamais se faire imposer un test génétique si on ne le souhaite pas ; de
même, on ne peut pas faire un test génétique sur un enfant à la demande des parents si ce n'est pas
pour un bénéfice médical pour lui pendant qu'il est mineur. On n'a pas le droit de faire un test de recherche en paternité, par exemple, car ce n’est pas l'intérêt médical de l'enfant. Et donc encore moins
pour voir s'il a des tendances à la délinquance, (à supposer qu'il existe de tels tests) : ce n'est pas pour
son bénéfice médical mais pour la société, donc ces tests sont exclus.
Un participant - Les dons d'organe, en France, sont gratuits, on ne peut pas monnayer un don d'organes, mais ce n'est pas le cas dans tous les pays, il y a beaucoup de pays où le donneur est rémunéré,
avec tous les risques que l’on peut imaginer : on entend parler assez souvent de trafic d'organes dans
les pays asiatiques en particulier (avec prélèvements forcés sous la contrainte). Alors est-ce qu'un
citoyen français qui irait se faire greffer un organe dans un pays qui pratique le don d'organe rémunéré, et qui donc est en infraction vis-à-vis de la loi française, risque quelque chose quand il revient
en France, de la même manière qu'un pédophile qui va s'amuser à Bangkok risque d'être condamné
quand il revient en France, même si c'est toléré en Thaïlande ?
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Anne Cambon-Thomsen - Évidemment, cette chose-là a été discutée. D'une part au niveau de l'organisation mondiale de la santé, il y a eu une déclaration qui cherche à sensibiliser les États sur la pénalisation
du trafic d'organes sur leur territoire. Mais par ailleurs, la déontologie médicale veut que, si quelqu'un
vient se faire soigner, on le soigne. Si la personne qui s'est fait transplanter ailleurs, dans des conditions
qui seraient hors la loi de bioéthique en France, (en achetant un rein, par exemple) rencontre des complications médicales post-opératoires après son retour en France, il y a hospitalisation sur le territoire
français, on la soigne, et le médecin ne va pas aller la dénoncer ! Par contre, il y a, au niveau international,
toute une surveillance qui se met en place sur les trafics d'organes, et il y a des déclarations officielles
de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) qui (ce ne peut pas être une loi) recommandent des
pratiques vis-à-vis du trafic d'organes, qui est un problème énorme : un problème médical aussi parce
que les prélèvements et les transplantations ne sont pas forcément bien réalisés. Mais il y a beaucoup
d'endroits dans le monde où la rémunération des dons d’organes est interdite, et il y a vraiment toute
une ligne de l'organisation mondiale de la santé pour s’occuper de cela. En gros, ce n’est pas le patient,
parfois prêt à tout et désespéré qui est poursuivi, mais bien plus les systèmes de trafic.
Un participant - Est ce que dans les pays émergents, (Chine ou Inde en particulier), il y a une évolution
sur le plan de la bioéthique ?
Anne Cambon-Thomsen - Il y a effectivement une évolution, mais elle est lente. Un certain nombre de
pratiques condamnables s'étaient mises en place, mais qui sont de plus en plus dénoncées. Il y a des
trafics d'organes, des prélèvements d'organes chez les prisonniers en Chine, il y a des prélèvements à
l'insu des personnes, des cliniques spécialisées dans ces transplantations douteuses, tout cela existe,
et c'est très difficile de le bloquer. Mais c'est vrai qu'au niveau des ministères de la santé d'un certain
nombre de pays, il y a des essais pour résoudre ces problèmes-là, même s’ils sont quand même souvent impuissants dans leur propre pays. Il y a certainement une évolution, mais on est loin d’avoir
réglé le problème.
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
Un participant - Concernant la procréation médicalement assistée pour des personnes du même sexe,
qui est un peu liée au mariage homosexuel, est-ce qu'il y a d'autres pays où c'est autorisé. Et, compte
tenu de l'évolution de la société sur ces problèmes-là, comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu d'avancée
majeure de ces textes. C'est un des domaines où l'on aurait pu s’attendre en 2011 à une évolution
notable ; est-ce qu'on peut espérer que dans la prochaine révision de la loi, il y aura quelque chose
qui sera fait dans ce domaine, parce que là, les justifications morales sont quand même plutôt dans le
côté rétrograde de la loi.
Anne Cambon-Thomsen - Effectivement, ça a été très discuté, et parmi les différents rapports qui ont
été réalisés par le Sénat et le Conseil d'État, il y avait vraiment des propositions dans ce sens-là ; mais
çà a été rejeté par l'Assemblée Nationale.
C’est aussi le cas pour l'anonymat des donneurs de gamètes : il y a beaucoup de pays où le principe de
droit à l'accès aux origines a finalement renversé les choses, de façon encadrée, et il y a eu une proposition (modérée) de loi française, qui était que, (à condition que le donneur de gamètes soit d'accord),
une fois majeur, l'enfant issu de la procréation avec assistance médicale aurait pu, sur sa demande,
connaître le géniteur. Là aussi, c'est l’Assemblée nationale actuelle qui en fait a retoqué ce projet et a
vraiment bloqué un certain nombre de propositions qui auraient pu exister : C'est le politique, et non
le comité consultatif national d'éthique, qui est responsable de l'état actuel de la loi. Et c'est pour çà
que je trouve intéressant de parler du travail du comité national, qui a proposé un certain nombre
de choses depuis très longtemps, dont la plupart n'ont jamais été prises en compte. Les avis sont très
argumentés, lire un avis du comité national est très intéressant : la diversité des personnes qui sont là
donne une profondeur d'analyse, (à l'opposé du café du commerce), et c'est intéressant de travailler
sur ces avis, quelles que soient les décisions finales. Dans la loi actuelle, le législateur a sabré dans un
certain nombre de propositions, et c'est pour çà que j'ai trouvé intéressant de faire cette analyse des
propositions : qu'a proposé le sénat, qu'a proposé l'agence de la biomédecine, qu'a proposé le comité
national, qu'a proposé le Conseil d'État, qu'a proposé l'office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques… ; et après tout cela, une commission parlementaire a aussi émis un
rapport, juste avant la rédaction du texte de loi. On ne peut donc pas dire qu'il n'y a pas eu de propositions, mais c'est l'Assemblée nationale qui a in fine fait que la loi est restée ce qu'elle est aujourd'hui.
Un participant - Est-ce qu'il y a des propositions du comité qui sont rendues publiques ?
Anne Cambon-Thomsen - Tout à fait : Si vous recherchez sur internet sur CCNE et éthique tous les avis
rendus depuis 1983 y sont, en version française et en version anglaise pour qu'il puisse y avoir une consultation internationale. Dès qu'ils sont publics il y a une conférence de presse ; ce qu'il y a de très frustrant,
c'est que les journalistes ne lisent souvent que la dernière page de l'avis, et les conclusions qu'ils en tirent
sont très caricaturales, par exemple : « Le comité consultatif autorise le bébé médicament ».
C'est pour çà qu'il est intéressant d'aller voir les contenus précis de ces avis sur les thèmes qui vous
intéressent, sachant que les avis du comité n’ont de valeur que consultative.
Un participant - Est-ce que le Comité d'éthique a une position sur le diagnostic génétique de paternité
pendant la grossesse, car j'ai entendu à la radio que c'était impossible de savoir çà ?
Anne Cambon-Thomsen - Je crois qu'il n'y a pas d'avis là-dessus, parce qu'il n'a pas analysé cette question. Mais je pense que, vu les avis sur la génétique qu'il a donnés dans d'autres contextes, ce serait un
avis négatif : il n'y a pas de fondement éthique à faire un test de paternité pendant la grossesse, étant
donné qu'on ne fait de tests génétiques que pour l'intérêt de la personne qu'on teste. Si on fait des
diagnostics prénatals, c'est pour rechercher si une maladie spécialement grave, que l’on peut craindre
au vu du dossier médical des parents, est avérée chez l'enfant à naître, pour envisager un éventuel
avortement pour raison médicale, ou mettre en place des conditions particulières pour le déroulement de la grossesse et de l’accouchement.
Mais la conséquence médicale pour l'enfant d’avoir un père biologique différent du père officiel est
inexistante sur ce seul critère, çà ne rentre pas dans le cadre de la loi. Le comité ne travaillerait peutêtre même pas sur la question, étant donné que c'est hors la loi en France, en tout cas pas en priorité.
Donc, il ne faut pas mettre cette question sur le tapis actuellement de façon isolée. C’est la mère qui
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décide en début de grossesse de poursuivre ou nom (dépénalisation de l’avortement) et ce sont plutôt les pères qui se posent des questions de paternité… La question des tests de paternité en France
est réglée ailleurs que dans la loi de bioéthique : çà ne peut se faire que dans le cadre judiciaire, dans
le cas d'un procès, ou sur habilitation d'un juge. Sur internet, c'est possible de faire ces tests, mais
on n'a pas le droit de s’en prévaloir après en France (c’est même condamnable, même s’il est difficile
d’appliquer cette condamnation !). Cependant les tests très précoces pendant la grossesse qui se
développent, s’ils sont libres d’accès, posent de réelles questions d’éthique. Les lois de bioéthique
étant nationales, cela pose la problématique générale des tests libres d’accès, dont la pratique pour
le moment a été interdite en France ; mais internet est international et donc il n’est jamais inutile de
continuer à réfléchir !
Dans ces affaires de recherche en paternité, il y a souvent des raisons et des enjeux financiers, et on
peut imaginer que la personne qui veut aller de façon sûre au procès peut faire au préalable des tests
sur internet : c'est assez facile, avec un petit écouvillon, de récupérer de la salive de l'enfant, du père,
etc. et d'envoyer çà à analyser. Officiellement, vous ne pouvez pas faire valoir çà, mais si vous êtes
sûrs de vous, vous pouvez toujours aller voir le juge pour aller au procès, s'il y a un enjeu important.
Mais dans ce cadre-là, s’il est avéré que vous avez fait un test préalable sur internet, il est probable
que le juge n'ordonnera jamais un test de paternité. Non seulement il vous punira, mais il refusera le
test. C’est la mère qui décide en début de grossesse de poursuivre ou non celle-ci (dépénalisation de
l’avortement) et ce sont plutôt les pères qui se posent des questions de paternité…
Mais vis-à-vis de quelqu'un qui va faire un test pour savoir si ses ancêtres sont d'Afrique, d'Asie, ou
d'ailleurs, on met une limite en France au droit d'accès à ces données biologiques et à l'information
sur soi, pour éviter certaines dérives, mais c’est quasiment impossible à réprimer : le faut-il d’ailleurs ?
La majorité des gens est d'accord pour que soit pénalisé le fait de faire un test génétique sur un tiers
non consentant : faire un test génétique d'un mari sur sa femme, d'un parent sur un enfant, etc. pose
un certain nombre de questions, et quiconque fait un test génétique sur un tiers hors prescription
médicale ou scientifique est pénalement répréhensible. Mais par contre faire un test sur soi suscite
une discussion. D’ici sept ans, il y aura probablement des évolutions, mais de toute façon, c'est le
législateur qui décidera.
Une participante - Est-ce qu’il peut y avoir des évolutions grâce à la jurisprudence des tribunaux ?
Anne Cambon-Thomsen - Oui, quand il y a des procès, il peut y avoir de l'évolution. Cependant, le plus
probable, c'est que si quelqu'un a fait des tests génétiques sur lui, il ne va rien se passer, donc, il n'y
aura pas de jurisprudence. Et ce n'est que dans le cas où il y aurait des plaintes déposées qu’il pourrait
y avoir procès et donc jurisprudence. Est-ce qu'il va y avoir des plaintes déposées vis-à-vis de ceux qui
auraient fait des tests génétiques hors du cadre médical ou scientifique sur eux-mêmes ? J'ai un peu de
mal à l'imaginer en France, aujourd'hui.
Un participant - Est-ce que la bioéthique sera un des arguments de la campagne électorale à venir ?
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Anne Cambon-Thomsen - C'est important que les candidats se positionnent par rapport à un certain
nombre d'éléments ; c'était déjà le cas lors de la campagne précédente sur certains aspects, comme
par exemple l'aide médicale à la procréation pour stérilité « sociale », donc pour les couples homosexuels. Je pense qu'il y aura des positionnements politiques là-dessus : le parti socialiste comme
l'Église se sont positionnés. Lors de la discussion sur la loi de bioéthique, il y a eu un texte issu du parti
socialiste qui s'est positionné sur un certain nombre de choses : ils étaient contre la gestation pour
autrui (mères porteuses), mais ils étaient pour l'accès de couples de femmes homosexuelles à l'aide
médicale à la procréation. Je pense que l'un des moyens efficaces pour faire progresser la bioéthique,
c'est de poser des questions aux politiques sur ces aspects-là ; ça sera peut-être moins important, pour
convaincre l'électeur, que des éléments économiques ou autres. On peut avoir des positions là-dessus
qui dépassent les clivages politiques. Et de toute façon il faut connaître ces positions.
Une participante - L'euthanasie est-elle prise en compte dans la loi de bioéthique ?
Anne Cambon-Thomsen -Il y a un certain nombre de questions qui n'ont pas été discutées dans le cadre
de la loi de bioéthique.
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
Sur l'euthanasie, on a eu la loi Léonetti, qui spécifiait qu'il fallait mourir dans la dignité. Cette loi
n'admet pas l'euthanasie active. En Hollande, l'euthanasie est encadrée, mais peut être conduite légalement ; en France, ce n'est pas le cas, mais il y a une espèce de zone floue où ce qui est autorisé,
c'est d'éviter l'acharnement thérapeutique par exemple. Donc, si quelqu'un demande : « Aidez-moi à
mourir », c'est non. Par contre s'il dit : « Empêchez-moi de souffrir, même si la conséquence est que je
meure plus vite », çà c'est autorisé, c'est légal. Il y a un texte de loi spécifique hors loi de bioéthique
qui traite de cette question.
L’ambiguïté de cette loi de bioéthique, c’est qu’il y a une quantité d'autres aspects qui ont trait à la
bioéthique et qui ne sont pas dans cette loi de bioéthique, comme les aspects liés à la recherche sur
les personnes, qui vont finalement faire l'objet d'un texte à part qui va être revu. L’euthanasie en est un
autre. Les lois de bioéthique couvrent donc les domaines que je vous ai présentés rapidement, mais
la bioéthique ne se limite pas à çà, c'est clair.
Une participante - Les chercheurs ont-ils des demandes à adresser aux politiques ?
Anne Cambon-Thomsen - Les chercheurs ont des demandes, du fait qu'il y a un encadrement, non pas
pour brider la recherche, mais pour mettre en place les conditions requises par la loi. Il est bon que
ce soit la société (dans le cas présent, il s'agit du législateur) qui décide : les compétences et le champ
des responsabilités sont dans le domaine scientifique, mais, compte tenu des conséquences sur la
société, le relais doit être pris par le politique pour prendre des décisions, en faisant entrer d'autres
acteurs que les chercheurs dans la réflexion. Et en général il y a une adhésion de la communauté
scientifique à ces décisions prenant en compte les acteurs variés de la société. Mais, par exemple,
dans les recherches sur les cellules embryonnaires, d'une façon générale, compte tenu de la liberté
de la recherche, les chercheurs, dans leur majorité, auraient préféré qu'il y ait une autorisation avec
conditions, plutôt qu'une interdiction avec des dérogations : ils ont le sentiment que, quelque part, on
donne des autorisations bien que ce soit interdit, et ils trouvent çà hypocrite. Mais il y a de la variété
sur ce qu’ils souhaitent et on ne peut pas parler de « position des chercheurs ».
La demande des chercheurs porte sur les procédures ; ils sont d'accord sur les principes, (avec des
positionnements variés parmi les chercheurs, comme partout dans la société), mais quand les procédures qui s'imposent à la recherche sont lourdes et prennent du temps, là, çà retarde le travail des
chercheurs dont la demande est plutôt : « simplifiez-nous la vie. Ne mettez pas d'usine à gaz en place
pour qu'on doive passer devant une commission, puis devant une deuxième, puis une troisième, et
finalement, çà dure des mois, parce que, même si on obtient finalement la dérogation, on a perdu du
temps par rapport à l'étranger ». La communauté des chercheurs est assez variée dans sa composition,
mais les chercheurs en biologie sont plus en situation de « subir la loi » que les chercheurs en sociologie ou autre chose ; je crois que c'est plutôt le niveau pratique des implications de la bioéthique sur
la recherche qui les préoccupe.
Pour finir, je pense qu’il est encourageant de constater qu’on trouve de plus en plus d’enseignements
dans le domaine de la bioéthique, que chez les jeunes chercheurs ou les gens qui font des masters,
juste avant la thèse, les sujets portant sur la bioéthique sont de plus en plus nombreux, ce qui veut
dire que la bioéthique fait aussi partie de la recherche. C'est souvent considéré comme un frein, mais
pas comme quelque chose qu'il ne faut pas prendre en compte, parce que le chercheur se positionne
dans une société.
Saint-Gaudens, le 22 octobre 2011
PARCOURS 2011-2012
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Anne Cambon-Thomsen, médecin, spécialisée en immunogénétique humaine et titulaire
d’un diplôme interuniversitaire d’éthique de la santé, est directrice de recherche au CNRS depuis 1988. Elle travaille dans une unité mixte Inserm-Université Toulouse III Paul Sabatier, d’épidémiologie et analyses en santé publique, à Toulouse. Ses travaux de recherche portent sur la
diversité génétique humaine et ses enjeux en santé, notamment sur le complexe majeur d’histocompatibilité et ses applications médicales.
Après un post-doctorat au Danemark en 1981-1982, elle a dirigé au CHU Purpan à Toulouse
une unité Inserm puis un laboratoire CNRS de 1985 à 1997 sur des thématiques de recherche
en immunologie, immunopathologie, transplantation, génétique des populations et génétique
épidémiologique de maladies complexes. Elle dirige actuellement une équipe intitulée « Génomique, biothérapie et santé publique : approche interdisciplinaire » au sein de l’Unité mixte de
recherche Inserm/Université Toulouse III Paul Sabatier UMR 1027 d’épidémiologie et analyses
en santé publique. Ses travaux de recherche se sont élargis depuis 1998 aux aspects sociétaux
du développement des biotechnologies et elle est responsable de la plate-forme « Génétique et
société » du GIS Genotoul (Génopole de Toulouse Midi-Pyrénées). La dimension bioéthique est
transversale à l’ensemble de ses travaux actuels ; son équipe comprend une vingtaine de chercheurs et étudiants de disciplines très diverses : biologistes, médecins, généticiens, mais aussi
juristes, sociologues, économistes, philosophes…
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Résolument tournée vers l’international, Anne Cambon-Thomsen est responsable des axes
éthiques et sociétaux de plusieurs projets européens portant sur l’harmonisation des biobanques
en population, des outils bioinformatiques de traitement de données génétiques et cliniques,
la génomique en santé publique, les conséquences du développement des technologies à large
échelle, notamment le séquençage de l’ADN, pour le système de santé et la société ou encore
les aspects éthiques dans les sociétés de biotechnologie. Elle est membre du Groupe de travail
international « Éthique, gouvernance et participation du public » du consortium P3G (Public
Population Projects in genomics) et du Consortium international sur la génomique des cancers
ICGC). Elle a été membre de groupes de conseillers auprès de la Commission européenne (FP6)
et est impliquée dans différentes instances comme le Conseil scientifique de l’Inserm, le bureau
de la Génopole Toulouse Midi-Pyrénées, le Conseil de la Société française de génétique humaine
et de la Société européenne de génétique humaine. Elle fait partie du Conseil scientifique de
l’Inserm, du groupe d’experts de l’Institut de santé publique et préside le Conseil scientifique de
la cohorte ELFE (Étude longitudinale française depuis l’enfance). Elle est actuellement membre
du comité éditorial de « International Journal of Immunogenetics », « Biopreservation and Biobanking », « Genomics, Society and Policy ». Elle a supervisé différents projets concernant, entre
autre, la génomique appliquée aux greffes de cellules souches hématopoïétiques ; elle est responsable des axes éthiques et sociétaux de plusieurs projets européens sur la transplantation,
les biobanques, les biomarqueurs et la génomique à haut débit. Anne Cambon-Thomsen s’investit dans de nombreuses actions dans le cadre « science et société » et participe à diverses instances en éthique. Elle a été membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 2002
à 2005, et de 2005 à 2010 membre du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles
technologies auprès de la Commission européenne. Elle a présidé le Comité opérationnel pour
l’éthique dans les sciences de la vie (COPé) au CNRS. Elle est régulièrement consultée dans le
cadre des aspects ELSI (Ethical, legal, social issues) de projets européens et de projets sur les
biobanques. Chargée de cours dans les facultés de Médecine à l'Université Paul Sabatier, elle enseigne dans les domaines de la génétique épidémiologique, de la santé publique et de l'éthique
et a mis en place plusieurs enseignements dans le cadre de masters ou de l'école doctorale
« Biologie, santé, biotechnologies », notamment sur les aspects éthiques de la recherche ; elle
intervient régulièrement dans des écoles d’été ou des écoles européennes.
Anne Cambon-Thomsen - Évolutions sociales et Loi de bioéthique
Bibliographie
Anne Cambon-Thomsen a publié un ouvrage, 250 publications dans des journaux et environ une
centaine de chapitres de livres.
Ci-dessous 5 publications récentes en anglais et 6 en français dans le domaine de l’éthique.
Anglais
1. Cambon-Thomsen A, Rial-Sebbag E, Knoppers BM. Trends in ethical and legal frameworks
for the use of human biobanks. Eur Respir J. 2007. 30(2): 373-382
2. Kauffmann F., Cambon-Thomsen A. Tracing biological collections : between books and clinical trials. JAMA, 2008 ; 299(19): 2316-2318
3. Cambon-Thomsen A, Thorisson GA, Mabile L and the BRIF workshop group. The role of a
Bioresource Research Impact Factor as an incentive to share human bioresources. Nat Genet.
2011 Jun ; 43(6):503-4.
4. Rial-Sebbag E, Cambon-Thomsen A. Emergence of biobanks in the legal landscape : towards
a new model of governance. Journal of law and society Vol 39, Number 1, March 2012, 113-30
5. Kaye J, Meslin E M., Knoppers B M., Juengst E T., Deschênes M, Cambon-Thomsen, A, Chalmers D, De Vries J, Edwards K, Hoppe N, Kent A, Adebamowo C, Marshall P, Kato K.ELSI 2.0 for
Genomics and Society Science, 2012, 336, 673-674
Français
6. Kapitz C. Cambon-Thomsen A. Induction de tolérance en transplantation : quel débat
éthique ? in « Accès aux transplantations d’organes et de tissus en Europe, et droits aux soins
en Europe » Les Etudes Hospitalières. Collection « Séminaire d’actualité de droit médical », Bordeaux 2009, 173-186
7. Cambon-Thomsen A. L’information Génétique Dans La Société De L’information. Revue Politique Et Parlementaire, 2009, 1050 ; 111-121
8. Bertier G., Rial-Sebbag E, Cambon-Thomsen A. 2004-2009 : Révision de la loi de bioéthique
en France, quels enjeux, quels débats ? Assistance médicale à la procréation, gestation pour
autrui, transplantation. Médecine et Droit, 2010 (2010), 42-48
9. Chassang G., Rial-Sebbag E., Cambon-Thomsen A, Les fondements de l’éthique de la recherche
en droit communautaire. Journal international de bioéthique, 2011, v.22, n°1-2, 187-203
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en accès libre sur Internet : stratégies commerciales et enjeux éthiques et sociétaux. Médecine/
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