Santé mentale - Centre Franco Basaglia

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Santé mentale - Centre Franco Basaglia
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Fonds Reine Fabiola pour la Santé Mentale
géré par la
COLOPHON
Au plus près des gens
Une mosaïque d’idées et d’expériences autour de la santé mentale
Fonds Reine Fabiola pour la Santé Mentale
Cette publication est également disponible en néerlandais sous le titre:
‘Dicht bij de mensen. Een mozaïek van ideeën en initiatieven omtrent geestelijke gezondheid’
Une publication de la Fondation Roi Baudouin
rue Brederode 21, B – 1000 Bruxelles
AUTEURS
Contributions libres
TRADUCTIONS
Patrick De Rynck, Mariëlle Goffard
C O O R D I N A T I O N D E L’ É D I T I O N
Frieda Lampaert, Karin Rondia, Kristien Van den Wouwer
CONCEPT COUVERTURE
Cécile Bertrand
IMPRESSION
New Goff n.v.
Cette publication peut être téléchargée gratuitement sur notre site www.kbs-frb.be
Renseignements par e-mail [email protected] ou tél. 070-233 728
ISBN: 2-87212-473-X
Dépôt légal: D/2005/2848/21
Octobre 2005
PRÉFACE
Rares sont ceux qui, de près ou de loin, n’ont jamais à se préoccuper de questions de santé mentale. Le stress au travail, la qualité du logement, les relations professeurs-élèves au sein des écoles, l’aide aux victimes, l’accueil des sans-papiers, le deuil d’un être aimé… Toutes ces situations,
et tant d’autres encore, ont un lien bien plus serré qu’on ne le pense avec le champ de la santé
mentale.
La santé mentale n’est pas une tour d’ivoire habitée par de doctes spécialistes ; c’est dans la
réalité de tous les jours qu’elle se donne à vivre, par tous et chacun, à tous les âges de la vie et
dans toutes les strates de la société. Qu’on l’appelle bonheur, émotion, amour, folie, tristesse,
solidarité, révolte, désespoir… elle est une évidence quotidienne pour chacun d’entre nous.
Le titre de ce livre, ‘Au plus près des gens’, illustre bien cette ubiquité, qui est d’ailleurs relativement neuve, et liée à l’évolution des conditions de vie dans notre monde occidental. Le
message du Fonds Reine Fabiola pour la Santé Mentale est qu’on ne peut construire une société
harmonieuse et respectueuse des individus sans prendre en compte ces multiples facettes. La
santé mentale est intimement tissée dans l’étoffe sociale.
Ce livre est structuré de manière à examiner successivement les principaux ‘secteurs’ de la
société: l’individu, la famille, le monde du travail, le logement, l’enseignement, la culture et la
justice. Chaque chapitre s’ouvre par un article général introductif, et se décline ensuite en une
série d’exemples concrets, de témoignages, d’expériences à partager ou à reproduire.
C’est donc une véritable ‘Mosaïque d’idées et d’expériences’, au sens propre du terme, une
image faite de tous petits morceaux qui prend sens quand on la regarde dans son ensemble. Elle
contient 82 articles ; c’est beaucoup, mais c’est encore si peu pour faire le tour de la question!
C’est une mosaïque d’idées novatrices. Chaque auteur a été invité à s’exprimer librement, et à
assumer la responsabilité de ce qu’il /elle avance. Le Fonds n’a exercé aucune censure et n’a pas
cherché à dégager de consensus. Vous trouverez donc dans ces pages des opinions contradictoires et … des styles d’écriture très variés.
C’est une mosaïque d’initiatives, d’expériences et de vécus de ceux et celles qui, quel que soit
leur champ d’action, cherchent des solutions aux questions de santé mentale que leur pose la vie
de leurs semblables. Précisons que les projets qui ont été sollicités ne l’ont pas été parce qu’ils
étaient les ‘meilleurs’, les plus prestigieux, …ou les mieux subsidiés. Le Fonds a surtout voulu
mettre en avant les projets qui n’ont pas souvent l’occasion de faire parler d’eux, et dont l’originalité mérite pourtant d’être mieux connue. Pour autant, ces initiatives ont souvent des équivalents ailleurs dans le pays, et il est tout à fait possible de les repérer via les adresses et les liens
que nous vous proposons en fin d’ouvrage.
C’est enfin une mosaïque de cultures, car ce livre rassemble des contributions de sensibilités
culturelles, d’écoles, de courants fort différents. Les différences entre le nord et le sud de notre
pays n’y sont d’ailleurs pas les moindres. Mais nous faisons le pari qu’on peut en jouer comme
d’une richesse, plutôt que de les opposer.
3
C’est un livre qui veut stimuler les échanges: c’est pourquoi nous avons veillé à fournir un
maximum de coordonnées à la fin de chaque article, pour tous ceux qui voudraient en savoir
plus, enrichir leurs pratiques, élaborer des collaborations.
C’est un livre qui veut lancer des pistes, des réflexions, des remises en question, des évolutions
et même, pourquoi pas, des révolutions…
Nous tenons à remercier chaleureusement tous les auteurs, ainsi que la Fondation Julie Renson qui a mis sa connaissance approfondie du secteur de la santé mentale et des institutions de
notre pays au service de l’exactitude des traductions. Nous soulignons également le travail fructueux de tous les membres du Comité d’avis et du Comité de gestion du Fonds, qui se sont impliqués avec enthousiasme dans l’élaboration de ce projet.
Merci d’avance aux lecteurs, qui le feront connaître à d’autres.
Ann d’Alcantara
Présidente du Fonds
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Qu’est-ce que le Fonds Reine Fabiola?
Le Fonds Reine Fabiola pour la Santé Mentale a été créé en 2004 au sein de la Fondation
Roi Baudouin et poursuit les activités de l’ancienne Fondation Reine Fabiola. Il a pour
objectif général de mener des actions dans le domaine de la santé mentale et de stimuler
les échanges d’idées et de bonnes pratiques entre les organisations et associations actives
dans le secteur.
Le Comité de gestion du Fonds définit la stratégie et opérationnalise les objectifs.
Le Comité d’avis du Fonds représente les secteurs de la société qui sont concernés par la
santé mentale et prépare des recommandations générales au sujet d’évolutions souhaitables et de problématiques qui touchent à la santé mentale.
Ses cinq objectifs spécifiques sont:
– de mettre en évidence l’importance de la santé mentale dans la société
– d’impliquer les usagers et leurs familles dans l’élaboration et l’organisation des soins de
santé mentale
– de soutenir le travail des professionnels dans les différentes formes que peuvent prendre les soins de santé mentale
– d’inciter les secteurs et acteurs concernés à participer activement à l’optimalisation de la
santé mentale
– de soutenir la réflexion quant à la problématique de la santé mentale.
Le Fonds a choisi de débuter ses activités en composant un ouvrage axé sur le vécu, l’expérience et l’échange d’initiatives qui, en tenant compte de la complexité de la société contemporaine, associent santé mentale, lien social et solidarité.
Cet ouvrage intitulé “Au plus près des gens. Une mosaïque d’idées et d’expériences” se
veut outil de réflexion, de sensibilisation et d’action. Il a été conçu comme un dossier interactif entre les lecteurs-utilisateurs. Beaucoup d’entre eux ont contribué à sa rédaction et,
ce faisant, donné le ton du programme et des activités futures du Fonds.
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TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
9
AU PLUS PRES DES GENS
Chapitre 1:
Augmenter l’accessibilité des soins de santé mentale
25
Chapitre 2:
Davantage d’implication du patient dans ses soins
41
Chapitre 3:
Davantage d’implication de la famille dans la prise en charge
61
Chapitre 4:
L’enfance, une tranche d’âge de plus en plus concernée
77
Chapitre 5:
Les personnes âgées aussi ont des problèmes de santé mentale
99
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
Chapitre 6.1:
Le travail, source de stress
121
Chapitre 6.2:
Donner aux personnes fragilisées des possibilités de (ré)insertion dans la société
139
LE LOGEMENT
Chapitre 7:
Comment vivre de manière autonome quand on est en situation
de fragilité mentale ?
163
L’ E N S E I G N E M E N T
Chapitre 8:
Prendre en compte les problèmes de santé mentale dans le monde de l’école
181
C U LT U R E & S O C I E T E
Chapitre 9.1:
Expression artistique et santé mentale
201
Chapitre 9.2:
La santé mentale dans une société multiculturelle
219
7
AU PLUS PRÈS DES GENS
Chapitre 9.3:
Sensibiliser les médias à une couverture respectueuse des questions
de santé mentale
243
LA JUSTICE ET LE DROIT
Chapitre 10.1:
Défense sociale et emprisonnement
261
Chapitre 10.2:
La santé mentale du citoyen face à la justice
283
:: Quelques liens utiles
311
:: Résumé
315
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1
Introduction
:: Quelle image le public a-t-il de la santé mentale?
Paul Arteel, Vlaamse Vereniging voor Geestelijke Gezondheid
Christiane Bontemps, Institut Wallon pour la Santé Mentale
:: Dialoguer avec le grand public
Eric Messens, Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale
:: Santé Mentale et citoyenneté,
Jean-Louis Genard, ULB, et Marc De Hert, KUL
Quelle image le public a-t-il
de la santé mentale?
ENTRETIEN AVEC CHRISTIANE BONTEMPS, DIRECTRICE DE L’INSTITUT WALLON POUR
LA SANTÉ MENTALE, ET PAUL ARTEEL, DIRECTEUR DE LA VLAAMSE VERENIGING VOOR
GEESTELIJKE GEZONDHEID
TEXTE:
Karin Rondia
Pardon Madame, Monsieur, qu’est-ce que cela évoque pour vous, la santé mentale? La
première réaction est un sursaut, un retrait. Tabou. Pas pour moi. Suis pas fou. Oui, mais alors,
pourquoi tous ces psys à la télévision? Pourquoi cet engouement pour les magazines qui parlent
de psychologie sur papier glacé? Cette recherche effrénée du ‘développement personnel’, au
point parfois d’en perdre le sens commun?
Ne parle-t-on pas de la même chose? Des deux faces d’une même médaille?
La réponse pourrait sembler surprenante dans tout autre pays que le nôtre: non au nord,
oui au sud…Vous avez dit surréaliste? C’est pourtant un malentendu, un petit jeu sur les mots,
qui plonge dans l’ambiguïté tout le secteur de la santé mentale de Knokke-Heist à Arlon et de
Kortrijk à Fourons… Mais - soit dit en passant - qui reflète aussi un contexte culturel bien plus
global, européen, mondial. La fissure qui traverse notre petit pays cristallise un choc des cultures
qui le dépasse. Au nord, on est ‘anglo-saxon’, au sud, on est ‘latin’. C’est tout dire.
Comme l’explique Paul Arteel, directeur de la Vlaamse Vereniging voor Geestelijke Gezondheid, en Flandre, on a délibérément choisi de faire une distinction entre ce qui relève de la santé
et ce qui relève du bien-être. L’approche de la santé mentale est une approche biomédicale, psychologique et sociale, dans laquelle les trois composantes se complètent, dans la tradition anglosaxonne du ‘Community Mental Health Movement’. Quand on parle de santé mentale, on parle
donc surtout de maladies, d’hôpital psychiatrique et d’autres formes de prise en charge (résidentielles ou ambulatoires), des nombreuses formes possibles de traitement, de revalidation. La psychoéducation et l’empowerment des patients et familles sont aussi des éléments fondamentaux
de la psychiatrie sociale flamande. Ce qui n’empêche pas de mener aussi des actions préventives,
mais dans le cadre de la politique du bien-être, qui dépend parfois d’un autre ministère.
La voie choisie par les francophones, selon Christiane Bontemps, directrice de l’Institut Wallon
pour la Santé Mentale, est plutôt de travailler dans une optique de ‘promotion de la santé mentale’, c’est-à-dire de se préoccuper de la manière dont chacun, qu’il ait ou pas des problèmes
psychiques, puisse se sentir mieux dans sa peau, et développer les compétences qui lui permettront de faire face aux difficultés de la vie. Une telle approche encourage en même temps une
tolérance à la différence, une compréhension plus grande envers ceux qui sont vraiment du côté
de la maladie parce que leurs compétences propres ont été dépassées.
10
INTRODUCTION
Ce qui, pour les uns, relève de l’amalgame, correspond donc, pour les autres, à une prise de
position volontairement holistique. Question de point de vue. Mais non sans conséquences. On
l’a vu lors de la mise en chantier de la vaste campagne ‘2001 Année de la santé mentale’, qui a
mobilisé l’ensemble du pays, sans que l’on n’arrive jamais à se mettre d’accord sur ce dont on
parlait….et qui fut pourtant une belle réussite! Portés par un slogan limpide - La santé mentale,
j’en parle! / Geestelijke Gezondheid, spreek erover - les objectifs communs de déstigmatisation
en santé mentale ont été poursuivis au nord comme au sud, chacun gardant son cœur de cible et
sa ligne de conduite, en respectant la différence de l’autre. On le sait, nous excellons dans l’art
du compromis.
Tout ceci pour expliquer que, quand on en vient à parler de l’image que le public a de la santé
mentale, on ne peut le faire de manière univoque. Il y a dans notre pays plusieurs ‘publics’, et
plusieurs ‘santés mentales’, mais néanmoins un même souci de continuer le travail de déstigmatisation. Gardons donc la nuance à l’esprit pour ce qui suit.
Pour Paul Arteel, l’image que le grand public a de la santé mentale est tout simplement
inexistante; il attribue cela à trois raisons. Premièrement: la peur. Il n’existe dans le public aucune conception de ce qu’est la maladie mentale, et l’idée de perdre la maîtrise de son cerveau, de
sa pensée, crée une angoisse terrible. Les gens ont peur de tout qui se comporte étrangement,
différemment. C’est une peur qui existait déjà au Moyen Age, quand on mettait les fous dans
des bateaux qu’on envoyait en mer, ou dans des asiles pour ne plus jamais les voir. Cette peur est
encore là, sous-jacente. Elle entraîne un déni.
Deuxièmement: l’inconnu. Si vous demandez à n’importe qui ‘que vous arriverait-il si vous
vous cassiez la jambe?’, il pourra très bien décrire ce qui va se passer: tel hôpital, tel docteur, si
cela va faire mal ou pas, si cela va durer longtemps ou pas, etc. Tout le monde sait cela. Mais si
on demande ‘et si la semaine prochaine vous faites une dépression?’, personne ne pourra dire ce
qui se passera! Verra-t-on un psychologue, ou un psychiatre? Où le trouvera-t-on? Que donnerat-il comme traitement? Cela sera-t-il douloureux? Il n’existe aucun savoir populaire sur ce qui se
passe dans le monde de la santé mentale.
Pourquoi? C’est la troisième cause: parce qu’il n’y a aucun contact avec les gens malades. On
lance de grandes campagnes d’information sur la maladie mentale, mais le contact personnel
avec les personnes atteintes reste difficile. Or cela me semble essentiel. C’est pour cela que nous
organisons le concours Hoe Anders Is Anders1 pour créer des contacts entre les jeunes et les malades mentaux.
Voilà donc, à mon avis, les trois axes à privilégier: combattre l’angoisse, donner de l’information et organiser des contacts. C’est de cette manière que le grand public pourra se forger une
opinion sur ce qu’est la santé mentale.
Paul Arteel mène infatigablement des actions en ce sens ; par exemple, il a récemment obtenu
la publication d’un supplément de 15 pages dans le Standaard 2. J’en suis très heureux, évidemment, mais j’aurais préféré que ce soit dans ‘Métro’, pour que tout le monde le lise. De même, on
parle de santé mentale dans les émissions de télévision sérieuses, pour intellectuels, mais jamais
dans les émissions grand public et les talk-shows populaires. Il faudrait que des gens connus viennent témoigner ouvertement de leurs difficultés. Cela aurait un impact extraordinaire! Voyez
ce qui s’est passé en Norvège: le premier ministre a fait une dépression, il a été hospitalisé trois
mois, et tout le monde a été au courant. Et quand il est revenu, il a repris sa place tout à fait
naturellement et tout le monde a trouvé cela normal. Nous n’en sommes vraiment pas là chez
nous!
Pour Christiane Bontemps, l’impression est, au contraire, que la presse se préoccupe abon-
11
AU PLUS PRÈS DES GENS
damment de tout ce qui touche à la santé mentale. Dans toutes les émissions grand public, dans
toute la presse magazine, presse féminine, etc., on aborde les questions de bien-être, d’équilibre
psychique, de développement mental, etc. On invite de plus en plus souvent des psys, qui apportent leur expertise. Je trouve que l’on fait une vulgarisation très importante de ces questions, et
que c’est très positif. Mais le problème, à mon sens, c’est que l’on ne va jamais jusqu’au bout du
propos, que l’on ne dit jamais que parfois, on tombe du côté de la maladie, qui n’est finalement
qu’un pas plus loin dans la difficulté d’être. Le tabou, je le vois donc plutôt du côté de l’échec
de ce ‘droit au bonheur’ omniprésent. Il y a une cassure entre le souci d’être bien, et l’idée que
l’échec existe, que cela peut nous arriver. Cet échec, la maladie mentale, c’est pour les autres.
C’est du domaine de la psychiatrie, et là je suis d’accord avec Paul, ce mot-là fait peur, et les gens
ne veulent pas se sentir concernés.
L’Institut Wallon est en train de mener une recherche sur l’accessibilité des soins en santé mentale, et il en ressort clairement que l’image de la santé mentale dans le grand public constitue
un frein à cette accessibilité, davantage encore que le coût des soins, même si celui-ci est aussi
un réel problème pour beaucoup. Même si, côté bien-être, l’idée de voir un psychologue pour
discuter de ses problèmes commence à faire son chemin, l’éventualité de devoir recourir à un psy
spécialisé, à un psychiatre, reste un obstacle apparemment insurmontable pour la majorité des
gens.
Il est donc bien là, ce point douloureux, signe de fracture sous-jacente: le moment où la santé
bascule dans la maladie, le moment où le psychologue passe la main au psychiatre, le point à
partir duquel on n’est plus ‘normal’ mais bien ‘malade mental’.
Paul Arteel cite l’expérience récente de l’association britannique ‘Mind’ qui a voulu mener, en
2004, une campagne de ‘mental health promotion’. Tout le monde était évidemment d’accord
de faire des actions en faveur de la promotion de la santé mentale, ‘pour les gens normaux qui
ne se sentaient pas bien dans leur peau’, mais quand il a été question de constituer un comité
organisateur pour coordonner l’action, il y a eu une levée de boucliers à l’idée d’y admettre des
représentants d’une association de schizophrènes! Stop là! Pas de mélange! Pour Paul Arteel,
c’est une preuve supplémentaire que cet amalgame entre santé mentale et bien-être, loin d’être
déstigmatisant, risque au contraire de recréer des frontières.
Mais il ajoute aussitôt: Je suis évidemment convaincu qu’il faut aussi entreprendre des actions
pour tous les ‘gens normaux qui ont des petits problèmes’ car ces problèmes, notamment d’angoisses, de manque de communication, etc., dont ils souffrent réellement, sont en passe de devenir de vrais problèmes de société.
Parallèlement à la ligne de fracture santé/maladie, en court une seconde, plus subtile: celle
de la distinction psycho/neuro. Car une autre manière d’échapper à la stigmatisation inhérente
à la maladie mentale, est d’en faire une maladie… neurologique, strictement médicale, et donc
éminemment honorable. Christiane Bontemps et Paul Arteel déplorent d’une même voix que des
associations de patients regroupant des personnes touchées par la maladie d’Alzheimer, l’anorexie mentale, ou le syndrome de Gilles de la Tourette, refusent de participer aux actions menées
dans le champ de la santé mentale parce que ‘ils ne sont pas fous, eux’. Comme si la folie était le
commun dénominateur de la santé mentale, là où c’est précisément la souffrance dans ce qu’elle
a de plus humain qui devrait en tenir lieu.
L’évolution actuelle vers la psychiatrie biologique, qui explore les causes génétiques et neurodéveloppementales des affections psychiatriques, ainsi que la généralisation de l’evidence based
medecine3, avec ses exigences d’objectivation des symptômes et de classification des maladies, ne
sont probablement pas étrangères à ces volontés de désolidarisation.
12
INTRODUCTION
Christiane Bontemps y voit néanmoins une avancée qui pourrait être positive: Je pense que cela
permettrait de changer l’image de la santé mentale dans le grand public, aider à la déculpabilisation, et donc amener davantage d’ouverture. Les nouvelles hypothèses, par exemple sur l’autisme, pourraient faire évoluer le regard que l’on porte sur la maladie. Le danger serait toutefois
de chercher à tout prix des explications universelles et des réponses magiques alors qu’on sait
que l’être humain est fait de multiples dimensions: psychiques, médicales, sociales, relationnelles,
environnementales … et que l’on ne peut réduire sa santé mentale à l’une d’entre elles.
Paul Arteel est plus réservé: En Flandre, on parle de plus en plus des nouveaux scanners, des
nouveaux gènes que l’on a découverts pour la schizophrénie….mais le risque est réel que les
gens brûlent les étapes, tirent des conclusions hâtives et se précipitent sur des solutions techniques qui laissent de côté tout l’aspect humain d’un accompagnement. Or les généticiens
eux-mêmes disent que cela ira lentement, et que les gènes ne déterminent pas tout. Mais le
public est-il prêt à entendre ces nuances?
Précisément, l’avenir, comment le voient-ils? Globalement, tous deux sont assez perplexes
quant à l’évolution à moyen terme de la santé mentale dans l’imaginaire du grand public. Je
ne suis pas très optimiste parce que la tendance de la société est de plus en plus à la maîtrise de
l’environnement, à ne rien vouloir laisser au hasard. Et la maladie mentale, même si les progrès
de la science en éclaircissent une part de mystère, restera toujours une part d’inconnu et d’incompréhensible en nous. Et donc il y aura toujours cette cassure avec la société, qui a de plus en
plus besoin de certitudes, dit Christiane Bontemps.
Pour Paul Arteel, l’une de nos actions est de faire accepter l’autre comme il est. C’est difficile.
De plus en plus. Par exemple, chez nous, il est très difficile de s’intégrer dans le circuit du travail.
Il est aussi difficile de lutter contre la stigmatisation. Pourtant, je connais beaucoup de gens qui
ont eu des épisodes psychotiques et qui se sont tout à fait réintégrés. Mais personne ne le sait!
Et à cause du tabou actuel, ces gens ne peuvent témoigner ni de leur problème, ni de leur guérison et de leur réinsertion. J’en connais un qui est directeur de banque. Vous pensez bien qu’il ne
peut pas dire en public qu’il a eu des problèmes de santé mentale! C’est un paradoxe: on aurait
besoin que des gens comme eux témoignent pour dédramatiser la maladie, mais on n’oserait pas
les encourager à le faire, de peur que cela ne se retourne contre eux!
Pourtant, je ne suis pas trop pessimiste. Regardez ce qui s’est passé avec le cancer. Il y a 25 ans,
personne n’osait en parler, et maintenant le tabou a sauté. Je pense qu’une telle évolution est
envisageable pour la santé mentale. Mais on n’en est pas encore là…
RÉFÉRENCES
1. Hoe Anders is Anders / A la rencontre de l’Autre: voir article sur ce projet dans le chapitre « Prendre en compte les
problèmes de santé mentale dans le monde de l’école »
2. Supplément « Te Gek » dans De Standaard du 12/4/2005, www.standaard.be/tegek
3. L’Evidence Based Medicine (EBM) est la tendance (relativement récente) à baser toutes les pratiques de médecine
sur des preuves d’efficacité établies par des études scientifiques internationales.
13
AU PLUS PRÈS DES GENS
C O N TA C T S :
Institut Wallon de Santé Mentale, rue Muzet 32, 5000 Namur
Tél: 081 23 50 15 - Fax: 081 23 50 16
E-mail: [email protected]
www.iwsm.be
Vlaamse Vereniging voor Geestelijke Gezondheid, Tenderstraat 14, 9000 Gent
Tel. 09 221 44 34 - Fax 09 221 77 25
E-mail: [email protected]
www.vvgg.be
14
Dialoguer avec le grand public
ERIC MESSENS
DIRECTEUR DE LA LIGUE BRUXELLOISE FRANCOPHONE POUR LA SANTÉ MENTALE
En 2001, trois Ligues et deux Fondations ont mené en Belgique une campagne de sensibilisation en santé mentale destinée au grand public. Au travers d’événements nationaux et régionaux, la campagne visait à établir un dialogue au sein de la société civile, espérant ainsi transformer certaines des idées toutes faites sur les questions difficiles, souvent évitées, qui touchent à la
vie psychique.
Les mutations sociales des deux dernières décennies ont fait de la santé mentale une des
préoccupations d’actualité. Le monde de l’entreprise, les enseignants, les gouvernants s’émeuvent ou s’inquiètent de l’impact des troubles psychiques sur le lieu du travail, à l’école, dans la
vie de la cité. L’OMS s’alarme de l’incidence de la dépression, de la schizophrénie, de l’alcoolo-dépendance dans le monde. Norman Sartorius, président de la World Psychiatric Association, invite
à lutter contre la discrimination dont souffrent les malades psychiatriques.
La campagne publique proposée en Belgique avait pour slogan ‘La santé mentale, j’en parle’.
Nous sommes tous bien d’accord, en parler, c’est mieux que le contraire! Encore faut-il savoir de
quoi parler et comment le faire?
Déjà, dire ce qu’est la santé mentale n’est pas une mince
affaire. En mots simples comme en mots compliqués, la définition nous échappe constamment.
Pas étonnant qu’interrogés à l’improviste, la plupart répondent: « La santé mentale…, c’est
quand on n’est pas fou! ». Comme si la santé n’était là que pour nous épargner la maladie.
On ne trouvera pas d’explication qui convienne pour tout le monde. Chacun sait que l’expérience humaine est subjective. Ainsi, les lois d’un pays sont les mêmes pour tous ses habitants,
la culture est celle de tout un peuple, un même événement implique tous les membres d’une
communauté, et pourtant chacun développera une histoire personnelle autour de ces éléments
contextuels. Les faits sont pour tous, l’interprétation est pour chacun.
Dotée d’une pensée et pourvu du langage, l’individu humain a la faculté d’apprécier la qualité de son existence selon des critères tout à fait singuliers. Ce qui convient à l’un est étonnamment ce qui perturbe l’autre. Chaque homme, chaque femme se distingue par les choix qui lui
sont nécessaires pour vivre, quand bien même certains nous paraissent étranges, voire douloureux.
15
AU PLUS PRÈS DES GENS
Equilibre, bien-être, plénitude,…autant de termes qui traduisent imparfaitement ce qu’est la
santé mentale, sans doute parce qu’elle est avant tout plus que cela,…un processus, peut-être?
Le sujet humain n’est jamais achevé, c’est même ce qui le caractérise. Il se pense toujours pour
demain, pour du meilleur, pour tenir le coup. Ainsi motivé, il s’appuie sur des ressources réelles
ou imaginaires, variables, parfois efficaces, parfois symptomatiques. Ses inventions sont uniques,
destinées à son économie particulière. Comme tel, le terme de créativité semble encore le mieux
convenir pour approcher la notion, insaisissable, de santé mentale.
De ce qui précède, on déduira aisément quel devrait être le premier message d’une campagne
de sensibilisation vers le grand public: la santé mentale n’est pas une donnée comparable, encore
moins mesurable, elle est seulement spécifique à chaque personne. Cette spécificité tord le nez à
toutes les bonnes intentions, générales ou généreuses, d’une campagne qui ne serait qu’altruiste
et mue par les bons sentiments. Ce n’est pas que les bons sentiments soient gênants. Qui oserait
soutenir qu’un peu plus d’humanité et de tolérance à l’égard des malades mentaux ne soit propice à réduire l’exclusion dont ils font les frais. Cependant, le risque est de limiter le message
d’une campagne à cette seule philanthropie qui consisterait à vouloir, pour le bien de l’autre
souffrant, qu’il soit considéré comme tout un chacun. Une telle entreprise n’aboutirait qu’à la
banalisation de notre regard sur ce qui fait la différence entre les parcours de vie des humains.
C’est très exactement là que les professionnels de la santé mentale ont rendez-vous pour faire
savoir et transmettre ce qu’ils apprennent de leur pratique quotidienne, en écoutant les récits de
leurs patients. Parions que leurs témoignages, écrits ou parlés, s’ils sont rendus avec le souci de
bien dire les choses, puissent modifier quelques-uns des préjugés et certitudes qui prospèrent sur
les sujets sensibles, quand ils ne sont pas embarrassants, de la santé et de la maladie mentales.
Deux idées essentielles, au moins, peuvent passer.
La santé mentale n’est pas seulement l’affaire de spécialistes. Chaque personne est compétente
pour elle-même et pour ses proches, ce que la scientificité et l’hermétisme de la spécialisation
auraient tendance à faire oublier. Les ressources personnelles, celles de l’entourage ou des collectifs auxquels on appartient, sont précieuses. Les liens transgénérationnels, les appartenances
communautaires sont potentiellement les lieux naturels où sont détenus des savoirs constructifs
ou des aptitudes soulageantes au bénéfice des membres d’une famille, d’un voisinage, d’un
groupe social. Il est important de rappeler leur utilité et leur place première dans toutes formes
d’aide et de soins.
Ensuite, une campagne d’une année est insuffisante si elle ne se prolonge pas par un projet
de communication durable. Le dialogue, comme chacun sait, se construit pas à pas. A ce prix, on
peut espérer promouvoir une autre image de la santé et de la maladie mentales, ni angélique, ni
rébarbative, simplement plus juste.
Le psychisme de toute personne est hautement spécifique, tant dans les trouvailles qui comblent
ses désirs que dans ses pires tourments. Les tourments…, justement, parlons-en! Bien entendu,
on ne résout rien en proposant aux uns, ceux qui les vivent, de se raisonner et aux autres de se
montrer accueillants. C’est de tout sauf d’assimilation qu’il s’agit.
Les troubles psychiques sont trop souvent présentés comme des déficits, du fait de leur marque handicapante ou douloureuse. C’est dommage et injuste car ils sont plus que cela! Il faut
aussi les considérer comme les réponses et les positions d’un homme ou d’une femme, lorsqu’ils
16
INTRODUCTION
sont débordés par leur condition d’être au monde, dépassés par les exigences que supposent la
vie au milieu des autres. Ces réponses sont parfois désespérées, cocasses, énigmatiques ou folles,
mais elles ont toujours un sens. Aussi difficile que ce soit, c’est à cette découverte que le dialogue
entre professionnels et grand public doit s’attacher en priorité.
C O N TA C T S :
Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale
Tél: 02 511 55 43
E-mail: lbfsm@skynet .be
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Santé mentale et citoyenneté
UN ENTRETIEN AVEC LE DR MARC DE HERT, PSYCHIATRE, PHD, UNIVERSITAIR CENTRUM
ST-JOZEF KORTENBERG, KUL, ET LE PROF. JEAN-LOUIS GENARD, PHILOSOPHE ET
SOCIOLOGUE, ULB.
TEXTE:
Karin Rondia
La notion de santé mentale infiltre aujourd’hui tous les champs de ce qui constitue la société.
En témoigne le présent recueil, qui se veut une mosaïque d’idées nouvelles en la matière, et qui
est structuré selon des chapitres (travail, enseignement, culture, logement, justice) où il n’était
jamais question de santé mentale auparavant.
L’appartenance à la société - la citoyenneté - est donc forcément influencée par cette évolution.
Pour tenter de caractériser cette nouvelle relation entre citoyenneté et santé mentale, nous
avons provoqué la rencontre de deux personnalités bien différentes: le Dr Marc De Hert, psychiatre à l’Hôpital universitaire St-Jozef, à Kortenberg, qui est bien connu pour son travail de
pionnier de la resocialisation des personnes psychotiques, et le Prof.Jean-Louis Genard, sociologue et philosophe de l’ULB, qui a cosigné une vaste étude sur, précisément, les mutations de la
citoyenneté dans le champ de la santé mentale1. L’un est flamand, l’autre francophone ; l’un est
clinicien, l’autre est théoricien ; l’un est acteur de terrain, l’autre est observateur, et l’on pourrait
ainsi multiplier les complémentarités … ou les divergences.
Voici donc un double regard sur notre belge manière d’envisager la santé mentale, un aperçu
forcément parcellaire, qui n’a d’autre ambition que de planter le décor pour la lecture de ce qui
suit.
Q: Tout d’abord, comment délimiter la santé mentale dans une interview qui porte justement
sur l’extension de ses champs? Le mot n’est-il pas galvaudé?
Le terme santé mentale recouvre effectivement un domaine extrêmement vaste, et il faut
bien s’entendre sur la manière dont on la définit. Parle-t-on de la définition de l’OMS, ‘l’absence
de maladie’, ce qui ne veut rien dire? La définit-on à partir de symptômes et de plaintes, ou bien
de la sévérité de ces symptômes, ou bien de la demande de soins? On peut être dépressif et ne
pas désirer de traitement, ou bien être dépressif et simplement souhaiter en guérir, ou encore
être dépressif et souhaiter en trouver la raison.
Si vous considérez l’ensemble des problèmes de santé mentale, il y a énormément de personnes qui ont des problèmes psychiques sans nécessairement avoir de demande de soins, et donc
ces personnes n’entrent pas dans le système de soins.
Mais par ailleurs, on médicalise aujourd’hui des problèmes qui ne sont pas médicaux, et on
MDH:
18
INTRODUCTION
considère que chaque demande doit recevoir une réponse, de préférence immédiate. Or il y a
des gens qui ont des questions existentielles irrésolues, qu’on ne devrait pas médicaliser, il y a des
situations sociales et économiques problématiques, qu’on ne peut pas résoudre médicalement
non plus, (même si elles peuvent nécessiter des soutiens ponctuels) ; et enfin il y a des ‘vraies
maladies’ qu’il faut traiter.
La responsabilité de cet état de choses n’incombe pas seulement aux médecins ; les gens euxmêmes ne supportent pas de ne pas être ‘bien’. S’ils ne vont pas ‘bien’ aujourd’hui, cela doit être
résolu demain car il faut retourner au travail… Tout comme pour l’idéal d’apparence physique, il
s’est répandu une sorte d’idéal de stabilité mentale, qui ne correspond à aucune réalité.
Or le fait d’être bien, ou pas bien, c’est un continuum,… et c’est à l’extrémité de ce continuum
que se trouvent les maladies mentales majeures. On sait aujourd’hui que ce continuum existe
même pour des symptômes considérés comme psychotiques, comme les hallucinations. Dans une
population normale, il y a jusque 20% des gens qui entendent de temps en temps des voix. Alors,
à partir de quand est-on malade?
Dans des travaux publiés dans les années 70, Robert Castel attirait déjà l’attention sur le
développement aux Etats-Unis de ce qu’il appelait des ‘thérapies pour normaux’! Cette tendance
s’est étendue au point qu’on peut dire aujourd’hui qu’il n’y a plus d’opposition dure entre le
normal et le pathologique. Cette logique de continuum fait que tout le monde en vient à être
dans l’entre deux. Tout le monde est susceptible de basculer de l’autre côté. La consommation
de médicaments psychotropes est énorme, parce que certains de ces médicaments en viennent à
être utilisés comme des facteurs de régulation de souffrances, de ‘mal-êtres’… qui n’auraient pas
été médicalisés auparavant.
De même, les ‘malades mentaux’ - pour autant que ce terme ait encore une signification - ne
sont plus soit dans l’asile, soit dans la vie normale ; ils séjournent un moment dans des institutions, ils consultent en ambulatoire, ils rentrent chez eux.
Cette évolution ne peut se comprendre en se limitant au seul champ de la santé mentale. Il y
va en réalité d’une transformation profonde des identités. Jadis, les gens avaient des identités
relativement stables tout au long de l’existence ; ils avaient des statuts, des rôles auxquels ils
s’identifiaient: mariés, salariés, catholiques, etc. A cela se substitue aujourd’hui une conception
plutôt ‘constructiviste’ de la vie: les gens doivent se construire eux-mêmes, s’adapter, être flexibles. On divorce, on perd son boulot, on déménage plus souvent… donc se construire une identité est devenu une tâche autrement plus compliquée qu’il y a trente ans!
Et comme il y a moins de normes qu’auparavant, on n’est plus tellement dans une logique de
culpabilité de ne pas satisfaire pas à ces normes ; par contre, on est dans une logique de responsabilité face à l’échec. Comme le dit si bien Ehrenberg 2, il y a une surcharge de responsabilité qui
s’exerce sur les individus, dans une société qui n’est pas avare d’obstacles. Et les gens n’arrivent
plus à assumer cette responsabilité. C’est ce qu’il dit être l’une des raisons de ‘la fatigue d’être
soi’, de l’accumulation de symptômes de type dépressif que l’on constate aujourd’hui.
JLG:
Le paradoxe, pour en revenir au risque de médicalisation excessive, c’est que si l’on pense
en termes de prévention, il est quand même très utile que des intervenants compétents soient
capables de détecter très vite quand ‘ce n’est plus normal’. Par exemple, de distinguer quand une
adolescente qui fait excessivement attention à sa ligne vire à l’anorexie mentale, ou quand un
ado ‘original’ devient délirant. Il faudrait donc que les professionnels aient la possibilité d’intervenir le plus tôt possible, mais sans le faire trop tôt ni de manière intempestive. C’est un équilibre très difficile à trouver.
Je n’ai pas de solution à proposer, mais je pense que l’école pourrait jouer un rôle. C’est très
bien d’enseigner la physique et les maths, mais je pense que l’école devrait aussi servir à développer d’autres aptitudes. Apprendre à déchiffrer le monde, à distinguer les différentes formes de
MDH:
19
AU PLUS PRÈS DES GENS
réalité, etc, sont des notions plus philosophiques qu’il serait important d’inculquer aux jeunes, et
qui pourraient avoir un impact considérable en termes de prévention à long terme.
Q: Jean-Louis Genard, vous avez participé à une étude qui retrace l’évolution des politiques de
soins de santé mentale dans notre pays. Pouvez-vous nous expliquer brièvement la situation
actuelle à la lumière de ces mutations?
L’omniprésence actuelle de la santé mentale correspond au modèle d’Etat que nous avons
appelé l’Etat-réseaux, qui est récent.
Si l’on remonte au 19è siècle, il y avait les gens normaux d’un côté et les ‘fous’ de l’autre,
comme il y avait de manière plus générale, des citoyens ‘capables’ (qui avaient le droit de vote)
et des gens ‘incapables’. Au niveau de ce que nous appelons maintenant la santé mentale, l’institution centrale était l’asile ; la logique était de type sécuritaire: il fallait protéger les gens contre
eux-mêmes, et protéger la société. C’était la logique de l’Etat libéral ou de l’Etat gendarme.
Durant le 20è siècle, suite à de nombreuses luttes sociales, l’Etat va progressivement admettre
qu’il est de sa responsabilité d’assurer aux citoyens l’accès à un certain nombre de biens ou de
services nécessaires à la dignité humaine. Un deuxième modèle vient alors se juxtaposer au précédent, c’est celui de l’Etat-providence, où le citoyen a des droits, parmi lesquels celui à la santé.
Le malade mental a donc droit à accéder à des soins, voire même à la guérison. C’est ainsi qu’en
Belgique, au milieu du 20e siècle, le domaine de la santé mentale passe du Ministère de la Justice
(conformément à la logique de l’Etat libéral) vers celui de la Santé (conformément à la logique
de l’accès propre à l’Etat-providence)
JLG:
Cela coïncide avec l’apparition des premiers médicaments psychotropes. On découvre alors
qu’il y a effectivement des gens qui peuvent guérir, et sortir de l’hôpital psychiatrique. Et à ce
moment, il y a aussitôt eu une tendance à considérer que ne pas guérir était un échec.
MDH:
Cette époque de l’Etat-providence correspond à des sociétés fortement différenciées: la
santé, ce n’est pas la justice, ce n’est pas la politique sociale, etc. Tout est bien compartimenté, et
il y a dans chaque sous-système une institution centrale: l’école, l’hôpital, l’hôpital psychiatrique,
etc.
Ce modèle régresse à son tour dans la seconde moitié du 20è siècle, et à la forte différenciation succède un période de dédifférenciation: on sait aujourd’hui que les questions de santé
mentale sont aussi des questions de politique sociale, de justice, etc. Et donc les politiques publiques transgressent les frontières des sous-systèmes. D’où l’idée d’Etat-réseaux, qui se caractérise
par la montée d’un nouveau modèle, un modèle de soutien, d’accompagnement du soin, dans
lequel le regard psycho-médical va devenir progressivement dominant. Par exemple, face à un
enfant qui a des problèmes scolaires, on va avoir tendance à psychologiser son problème, et le
psy, ou l’assistant social, et non plus l’instituteur, vont devenir les intervenants.
Et alors qu’au modèle d’Etat gendarme du 19è siècle correspondaient les droits/libertés et
une politique sécuritaire/asilaire, et qu’au modèle d’Etat-providence correspondent des droits/
créances et les grandes institutions, apparaît une troisième strate liée à des droits /autonomie.
Les gens ont désormais le droit (mais aussi de plus en plus, et c’est là une forte ambiguïté, l’obligation), s’ils sont en difficulté, de recevoir un soutien qui est supposé leur permettre de devenir,
ou de redevenir, autonomes,… mais avec une injonction à la responsabilité. Donc les dispositifs
changent: de la logique de ‘guichets’ de l’Etat-providence (dont on a souvent dit qu’elle déresponsabilisait les gens), on passe à une logique où il faut donner du sien.
L’Etat-réseaux, plutôt que d’offrir l’accès à des biens (éducation, santé…) comme le faisait
l’Etat-providence classique, entend donc travailler davantage les subjectivités. Dans de nombreux
domaines, on voit d’ailleurs se développer ces politiques d’accompagnement dont les acteurs
JLG:
20
INTRODUCTION
principaux sont des psychologues, des assistants sociaux… et dont la finalité revendiquée est
de restituer aux acteurs vulnérables, en souffrance, en décrochage, désaffiliés… des capacités,
de l’autonomie, de les rendre à nouveau responsables d’eux-mêmes, capables de se prendre en
charge eux-mêmes. C’est toute une nouvelle sémantique de l’autonomie, de la responsabilité qui
s’immisce dans les politiques sociales en général.
L’un des dangers est que cette sémantique de la responsabilité influence les logiques de
la santé mentale elle-même, c’est-à-dire que tout ce qui va de pair avec cette responsabilité,
comme la capacité de faire des projets, d’être autonome, etc, devienne un modèle et exerce
une pression sur les individus. Il y a une sorte d’injonction à devenir autonome. Le travail se fait
par ‘contrats’. On ne peut plus rester attaché à une institution parce que ce serait considéré
comme un échec pour cette institution, donc on limite la durée de séjour à 6 mois ou à un an. Le
problème, c’est qu’il y a des gens qui ne peuvent pas assumer cela. Il y a un risque que certains
centres, qui pratiquent cette logique du contrat, n’acceptent plus les gens qui vont échouer par
rapport à cela, comme les grands toxicomanes par exemple.
C’est un phénomène bien connu dans la littérature psychosociale ; cela s’appelle le
‘creaming’: on n’accepte que les patients qui vont réussir. C’est un problème très important.
Mais d’un autre côté, je crois qu’on peut s’estimer heureux en Belgique. Moi qui ai visité énormément d’hôpitaux psychiatriques à l’étranger, je trouve que les malades mentaux sont mieux
traités ici qu’ailleurs. … On a effectivement fermé un certain nombre de lits, mais, cela s’est fait
prudemment, lentement, et parallèlement à la création d’autres structures. Grâce à cela, nous
n’avons pas les mêmes problèmes qu’en Angleterre, en Italie ou aux USA, où 30% des gens qui
sont dans la rue sont des psychotiques non traités.
MDH:
Cette réorganisation ne s’est pas faite de manière homogène dans tout le pays. Il me
semble que le poids des structures institutionnelles est plus lourd au nord qu’au sud du pays, et
que cela se marque principalement dans la diversification des structures. Les structures nouvelles
qui se sont développées à la fin du monopole exclusif de l’hôpital sont restées fort attachées
aux hôpitaux psychiatriques au nord du pays, où le poids de Caritas est très fort, alors qu’elles
sont devenues plus indépendantes au sud, et surtout à Bruxelles. L’INAMI, notamment, a permis
un travail expérimental sous forme de conventions spécifiques pour les projets qui sortaient du
cadre des financements habituels. Et donc il y a eu de véritables zones d’expérimentation et de
créativité, surtout dans la partie francophone du pays.
En conséquence de cela, il me semble que la philosophie des soins s’est aussi différenciée, avec
une prédominance du regard médical/psychiatrique et des référents comportementalistes au
nord, et un plus grand détachement par rapport aux logiques médicales au sud. D’une certaine
façon, dans le même esprit somme toute où la logique managériale s’est d’abord imposée au
nord du pays sous l’influence anglo-saxonne, au niveau de la philosophie des soins, on y perçoit
une plus grande sensibilité à des stratégies visant prioritairement à restituer des performances
comportementales, là où, au sud du pays, on serait plus attentif à maintenir l’idée que le symptôme est le révélateur ou l’horizon d’une signification existentielle. De tout cela résulte une
logique de filières plus marquée au nord, et une logique davantage de réseaux en Wallonie et à
Bruxelles.
JLG:
Il est vrai que les conventions INAMI ont surtout été développées à Bruxelles, et aussi
en Wallonie, alors que la densité relative des hôpitaux est restée plus élevée en Flandre. Mais
je tiens aussi à dire que ces projets dits ‘pilotes’, qui existent maintenant depuis 10-15 ans, soignent les mêmes types de problèmes que les hôpitaux psychiatriques en Flandre, avec un prix par
patient et par jour qui est le double du prix d’un lit d’hôpital! Ce qui nous fait grincer des dents,
en Flandre….
MDH:
21
AU PLUS PRÈS DES GENS
Notre pays est parcouru par diverses fractures. L’une est celle de la langue, ce fossé nord/sud
qui va de pair avec ce que vous venez de décrire, ce regard plus médical et anglo-saxon chez
nous, et plus psychanalytique chez vous. Mais il y en a d’autres, qui ne suivent pas la même
répartition. Ainsi, la pillarisation entre catholiques et laïcs influence aussi fortement les soins.
Et il y a également une nette distinction entre ce qui est intra- et extra-muros, sans compter les
pratiques des psychiatres et psychologues indépendants.
Cette dispersion pose, à mon sens, un énorme problème au niveau de la continuité des soins,
surtout pour les soins de longue durée. Car pour assurer une continuité des soins, on a besoin de
circuits de soins. Le challenge est donc d’arriver à faire travailler tout ce monde ensemble, mais
cela doit se faire avec une certaine coordination, avec une sorte de structure qui chapeaute le
tout et qui vérifie que cela fonctionne bien. Si on y arrive, alors il y aura une vraie richesse de
soins!
J’ajouterais aussi que la pratique de ‘l’Evidence Based Medecine’, c’est-à-dire les traitements
basés sur des preuves d’efficacité et sur des publications scientifiques, est beaucoup plus répandue en Flandre que dans la partie francophone du pays.
Q: Peut-on dire qu’avec la reconversion de la psychiatrie, ou avec l’avènement de l’Etat-réseaux,
on a renoncé à traiter les gens pour plutôt les accompagner et les resocialiser?
Pour ma part, j’estime que quand on est face à un trouble débutant, on doit le traiter le
plus précocement et le plus vigoureusement possible, car les possibilités de guérir les gens sont
réelles. Mais si le trouble commence à se chronifier, ce sont les modèles de réhabilitation psychosociale qui doivent prendre le pas.
Ce qui a changé, c’est la notion de maladie chronique. Dans le temps, quand on était ‘chronique’, c’était terminé, il n’y avait plus rien à faire. Maintenant on a trouvé le moyen de travailler
avec ces gens. On considère qu’ils ont des déficits à long terme, et que l’on va les aider à ‘vivre
avec’, le mieux possible, et dans un lieu qui leur donne sens. Mais cela ne veut pas dire qu’on va
les entraîner à devenir performants, car le but n’est pas là.
De toutes façons, même si ces personnes sont capables de travailler, elles ne trouvent pas de
travail car il n’y a même pas de travail pour les gens dits ‘normaux’. Si on parvenait à donner à
tous ceux qui ont des problèmes psychiatriques sévères une activité qui a du sens pour eux, ce
serait déjà beaucoup. C’est bien plus important que d’être rentable.
Je dis souvent, en guise de boutade qu’il est assez facile d’ouvrir les portes d’un hôpital psychiatrique, et de le vider, mais qu’il est très difficile d’ouvrir les portes de la société pour accueillir
tous les gens qui sortent de ces hôpitaux. La société n’est pas prête! Donc c’est bien beau de leur
dire ‘vous devez prendre de l’autonomie, on va vous y aider’, ils ne sont pas bien accueillis!
J’ajouterais que ce n’est pas par hasard non plus si la loi sur les droits du patient est arrivée
à ce moment-ci. Elle instaure le droit aux soins, mais aussi le droit de participer à ce soin, de
demander ou de refuser des éléments de ce soin 3.
MDH:
En effet, cela correspond à une montée en force de la société civile, à une multiplication
des mouvements sociaux qui ne sont plus uniquement liés à des revendications ouvriéristes.
Il y a de plus en plus de groupes qui se réclament de caractéristiques très spécifiques, comme
par exemple des groupements de personnes souffrant de même pathologies ou présentant des
symptômes communs.
JLG:
Il y a de plus en plus d’associations de patients. C’est très intéressant de discuter avec eux
et de prendre en compte leur point de vue. Je suis moi-même membre, en tant que psychiatre,
de certaines d’entre elles comme Uylenspiegel. Le simple fait qu’elles existent est déjà significatif
en soi: les patients ont besoin de lieux où ils peuvent se rencontrer, échanger, se soutenir mutuelMDH:
22
INTRODUCTION
lement. Sur le plan politique, je pense qu’ils ne sont pas encore assez militants ; ils pourraient
l’être encore bien plus, à l’image de ce qui se fait en Amérique, où, à tort ou à raison, ils ont des
revendications beaucoup plus musclées qu’ici.
Je ne sais pas comment cela se passe du côté néerlandophone, mais cette question du droit
des patients pose souvent problème aux praticiens francophones. Par exemple, j’ai été sollicité
par des comités d’éthique qui se demandaient si un patient en centre de santé mentale devait
avoir accès à son dossier, et qui craignaient que cela n’entrave la relation de soin, ne génère par
exemple des processus d’identification au symptôme, ou des lectures erronées de ce qui pour le
praticien n’est qu’un instrument de travail. Dans une logique psychanalytique, revendiquer un
symptôme, cela ne va pas de soi. Qu’est-ce que cela implique de s’identifier soi-même comme
schizophrène?
Autant les soignants sont d’accord sur le fait que la reconnaissance ou le respect du patient
sont indispensables, autant ils s’interrogent sur les modalités d’inscription de cette reconnaissance. Si la relation thérapeutique devient de type juridique, on change la donne, ce n’est plus la
même relation. Je pense que la présence de référents philosophiques et psychanalytiques du côté
francophone induit des convictions fortes quant à la spécificité de la relation thérapeutique, une
spécificité qui ne peut la rapporter simplement à une relation de service, à une relation contractuelle ou juridique. Bref, il y a peut-être une illusion à croire qu’une pleine reconnaissance est
assurée par la contractualisation de la relation.
JLG:
Je ne peux pas comprendre cette volonté de secret, et pourtant j’ai moi aussi une formation de psychanalyste. Au niveau des droits humains les plus élémentaires, pourquoi un patient atteint d’un trouble psychiatrique n’aurait-il pas le droit de connaître son diagnostic? En
Wallonie, une personne psychotique est considérée comme incapable - j’exagère sans doute - de
donner son consentement, d’avoir accès à son dossier, etc. En Flandre, il nous semble tout à fait
normal de discuter avec lui du choix de ses médicaments, par exemple. Et le patient a aussi tout à
fait le droit de refuser un traitement, et de rester psychotique, pour autant que cela ne présente
pas de danger, pour lui ou pour les autres. C’est d’ailleurs un grand dilemme pour le clinicien que
je suis, car puisque je considère que cette personne est compétente et libre de ses choix, je dois
respecter sa décision.
Je pense qu’une des grandes questions qui restent encore non résolues en psychatrie, et
qui n’est réglée ni par la loi sur la protection des malades mentaux, ni par celle sur les droits
du patient, c’est la question de savoir qui est ‘compétent’ et qui ne l’est pas. A partir de quand
devient-on incapable? Nous en avons déjà parlé tout à l’heure, et il me semble que cela reste un
grand point d’interrogation.
MDH:
Q: Ce qui nous amène tout naturellement à poser la question des relations de la santé mentale
avec la justice, relations qui font l’objet du dernier chapitre de ce livre…
Je crois que la justice évolue de manière superposable à ce que nous décrivions dans le
champ de la santé mentale: vers une diversification des dispositifs. Il n’y a plus seulement la
prison ; il y a la médiation, l’éducation, les peines alternatives, et il y a la thérapie. Cela participe
à cette logique de réseaux, de dépassement de frontières entre champs. Et donc il y a actuellement une propension de la justice à faire appel à des acteurs de la santé mentale pour toute une
série de choses très diverses: traiter des condamnés, mais aussi établir si un demandeur d’asile est
en état d’être renvoyé chez lui,…
Le secteur est assez réticent à cela parce que, en tout cas dans les logiques liées à la psychanalyse, il faut qu’il existe une demande de la part du patient. Et donc travailler sous contrainte
est paradoxal. Cela dit, cette position est en train d’évoluer. Je constate en quelques années un
JLG:
23
AU PLUS PRÈS DES GENS
passage de la position défensive à une position d’ouverture, une entrée en négociation avec
l’autre champ.
Pour moi, ce n’est pas tellement le travail sous contrainte qui pose problème ; une bonne
partie de mes patients sont d’ailleurs sous contrainte. Le principal problème, à mes yeux, avec la
justice, ce sont les conditions déplorables dans lesquelles les malades mentaux sont emprisonnés
en Flandre. En Wallonie, il y a quand même quelques unités que l’on appelle défense sociale,
mais en Flandre, les possibilités de prise en charge sont extrêmement limitées ; les malades sont
mis en prison et n’y sont pas traités adéquatement. C’est dramatique.
Je pense aussi que les demandes de la justice envers la psychiatrie sont souvent irréalistes. On
nous demande de ‘traiter’ des problèmes pour lesquels il n’existe pas de traitement, comme les
personnalités antisociales (psychopathes), que je considère comme non traitables. Donc, ces demandes sont insolubles.
MDH:
RÉFÉRENCES
1. Santé mentale et citoyenneté. Les mutations d’un champ de l’action publique. Jean De Munck, Jean-Louis Genard,
Olgierd Kuty, Didier Vrancken, Didier Delgoffe, Jean-Yves Donnay, Martin Moucheron, Claude Macquet ; Academia Press 2003.
2. La fatigue d’être soi. Dépression et société ; Alain Ehrenberg ; Odile Jacob 1998.
3. A mon corps defendant, notice explicative sur la loi relative aux droits des patients, M De Hert, G Magiels, E Thys;
Houtekiet, 2003, ISBN 90 5240 770 3
24
Chapitre
Augmenter l’accessibilité des soins
de santé mentale
:: Introduction: Augmenter l’accessibilité des soins de santé mentale:
de nombreux défis à relever!
Michèle Vanden Eynde, le Gué, Bruxelles
:: Les services d’aide par téléphone: Tele-Onthaal, Kinder- en Jongerentelefoon, Zelfmoordlijn
Pieter van Waeyenberghe, Tele-Onthaal
Grieke Forceville, Centrum voor Zelfmoordpreventie
Ilse Carlier, Kinder-en Jongerentelefoon
:: L’intervention à domicile
Pierre Delvaux, clinique psychiatrique des Frères Alexiens, Henri-Chapelle
:: SMES (Santé Mentale et Exclusion Sociale): une porte d’entrée aux soins de santé mentale
pour les sans abri
Jenny Krabbe, Reza Kazemzadeh et Stefanie Brunet, Cellule SMES-Bruxelles
1
Augmenter l’accessibilité des soins de santé
mentale: de nombreux défis à relever!
MICHÈLE VAN DEN EYNDE
DIRECTRICE DE L’ASBL ‘LE GUÉ’, CENTRE THÉRAPEUTIQUE ET CULTUREL
Vaste sujet que celui de l’accessibilité des soins dans le champ de la santé mentale, tellement
vaste qu’il impose de faire des choix sur la manière de le traiter et laisse donc une grande liberté
quant à la manière de l’approcher. Le texte qui suit n’a pas la prétention d’être un document
traitant le sujet dans son entièreté, mais vise à resituer les difficultés d’accessibilité des soins en
tant qu’héritage des évolutions successives du champ de la santé mentale, pour en retirer les
éléments permettant de remédier aux dysfonctionnements existants.
Réseaux et circuits de soin
Historiquement, la manière de concevoir les soins est passée d’une approche psychiatrique
essentiellement médicale à une approche pluridisciplinaire de soins de santé mentale dont les
offres variées s’intègrent dans le tissu social. Les nouvelles structures qui se sont développées
ont obtenu au fil du temps des moyens financiers de diverses instances publiques, créant ainsi
des cadres de fonctionnement spécifiques sans qu’une politique commune ne coordonne leurs
actions ; nous y reviendrons plus loin.
Aujourd’hui, la recherche de rationalisation s’impose aux politiques de santé publique qui
tentent dès lors d’instaurer une organisation globale des offres de soins permettant une gestion
plus facile du secteur. Cette restructuration s’élabore depuis quelques années, sur base d’un concept qui fait consensus au niveau politique, celui de la réorganisation des soins de santé mentale
en ‘Réseaux et circuits de soins’ autour du patient pour des groupes-cibles déterminés (enfants/
adolescents, adultes, personnes âgées). Cette conceptualisation théorique se traduit sur le terrain
par une progressive mise en oeuvre pratique, dans une optique de concertation avec tous les
partenaires: pouvoirs politiques, professionnels de la santé mentale et leurs pratiques cliniques,
usagers et familles.
Il faut remarquer que les usagers et leur entourage soulignent avec pertinence, depuis déjà
très longtemps, certains dysfonctionnements du secteur, notamment en ce qui concerne l’accès
aux soins: la concentration de services dans certaines régions ou villes au détriment d’autres, les
exigences des conditions d’admission, les horaires d’ouverture principalement pendant les heures
de bureaux, les coûts financiers et les budgets très limités liés aux revenus de remplacement, les
listes d’attente,…
26
CHAPITRE 1
Sur un plan plus large, nous savons que, dans nos sociétés, l’objectif principal des politiques de
soins de santé est de tendre vers une prestation de soins efficiente, c’est-à-dire des soins offrant
un bon rapport entre le coût social et les effets sur la santé. Les prestations doivent en outre être
équitables, c’est-à-dire accessibles en fonction des besoins des personnes et non de leurs revenus.
La réorganisation des soins en ‘Réseaux et circuits’ se fonde sur ce même principe mais s’inscrit
aussi dans la conjoncture économique actuellement difficile. De surcroît, le secteur général des
soins de santé doit faire face à une augmentation très sensible et continue de son budget ; les
média en font largement l’écho.
La réorganisation des soins de santé mentale a donc pour objectif politique de faire mieux et
plus avec les moyens dont le secteur dispose, et non d’améliorer le système en ajoutant de nouvelles offres. De nouveaux moyens ne sont libérés aujourd’hui que pour organiser cette réforme:
plates-formes de concertation et projets pilotes de services de soins intégrés.
Ce contexte n’est pas sans conséquences sur le terrain parce qu’il a des impacts négatifs sur
la qualité des services. Les professionnels ont, à maintes reprises, attiré l’attention des pouvoirs
politiques sur le fait que les tâches supplémentaires imposées aux professionnels pour organiser
ces réformes ne sont pas reconnues financièrement. Ce temps de travail est donc directement
déduit de celui à consacrer aux usagers, ce qui va à l’encontre de la garantie d’une qualité optimale. Par ailleurs, ce climat d’incertitude quant à l’avenir professionnel des travailleurs n’est pas
le plus favorable pour qu’ils puissent aborder la nouvelle conception politique avec sérénité.
L’héritage du passé
Historiquement, nous sommes incontestablement les héritiers des évolutions des logiques de
l’Etat et du savoir thérapeutique. L’éclairage qu’en donnent J.-L. Genard et J.-Y. Donnay 1 permet la mise en évidence de l’impact de ces évolutions sur les problèmes actuels d’accessibilité
aux soins. Les auteurs scindent l’histoire des politiques publiques en matière de santé mentale
en trois grands mouvements qui s’intriquent et se succèdent: l’Etat libéral, l’Etat providence,
l’Etat réseaux. Ces évolutions doivent se comprendre dans la continuité d’un mouvement où les
concepts nouveaux se mêlent et se superposent aux idées ou organisations précédentes, générant inévitablement de nombreux paradoxes de fonctionnement. Or, ce sont principalement ces
paradoxes qui constituent les dysfonctionnements actuels relevés tant par les usagers que par les
professionnels ou les pouvoirs politiques; en voici quelques exemples.
De l’Etat libéral sécuritaire subsistent encore aujourd’hui des pratiques basées sur l’enfermement, ainsi que des préjugés concernant l’incapacité citoyenne du fou, principalement dans le
cas des personnes internées dans le cadre de mesures de défense sociale.
Du mouvement suivant, l’Etat providence, nous avons hérité d’une multiplicité de ministères spécialisés, qui rendent difficile l’émergence d’une politique commune des soins de santé
mentale, un phénomène encore aggravé en Belgique par des répartitions de compétences aux
niveaux fédéral, régional et communautaire. Ce développement a produit des modes de subventionnement de types de services mais n’a pas visé à articuler les offres les unes avec les autres ;
nous en subissons, aujourd’hui encore, les conséquences. Les différents cadres de fonctionnements des services rendent la continuité des soins très souvent problématique.
De plus, malgré l’émergence d’offres variées, les interventions de l’Etat sont restées fondées
sur l’hôpital, lieu central de l’organisation des soins. L’inscription de la folie dans ce cadre de
27
AU PLUS PRÈS DES GENS
l’hôpital et dans celui de la santé générale a amené à attribuer aux maladies mentales les mêmes critères qu’aux maladies somatiques: critères de temps (aigus et chroniques), vocabulaire et
conception des traitements aboutissant à la médicalisation de la maladie mentale, alors que le
développement des offres non hospitalières s’inscrivait, quant à lui, non pas dans le champ de la
maladie, mais dans celui de la santé mentale.
Autonomisation et responsabilisation
Parallèlement, les concepts d’autonomisation et de responsabilisation de l’individu sont
devenus les valeurs de la société. Les notions de norme sociale et d’interdit ont été remises en
cause. La notion de liberté de l’individu a introduit une réflexion éthique concernant le respect
et le droit des personnes, le patient/l’usager devenant le sujet acteur de sa prise en charge.
Aujourd’hui, l’usager doit avoir une demande, garantie de son libre arbitre, et doit élaborer
un projet visant la réinsertion sociale. L’engagement mutuel usager-professionnel se concrétise
régulièrement sous la forme d’un contrat.
Remarquons que cette évolution ne se constate pas uniquement dans le champ de la santé
mentale, le monde du travail a connu le même phénomène. Très récemment, ce sont les chômeurs qui ont du faire la preuve de leur engagement à mettre en place un projet de réinsertion.
Cette tendance se retrouve même au niveau politique, qui vise de plus en plus à subsidier des
projets plutôt qu’à financer des institutions, avec le risque majeur d’une vulnérabilisation des
structures puisqu’elles n’ont pour temps d’existence que la durée du projet.
Ce phénomène autour de l’exigence du projet de réinsertion de l’usager (ou du chômeur)
comporte quelques questionnements éthiques. En associant la notion de projet avec celle de
responsabilité, on court le risque, par glissement, d’induire que c’est de l’engagement de l’usager
dans son projet, de sa volonté, que dépend entièrement sa réinsertion sociale. Les professionnels
se doivent de rester attentifs à ce risque de dérive car il est malheureusement régulièrement
ressenti par les usagers/patients.
En outre, cette individualisation du problème d’inscription, d’inclusion sociale, risque d’occulter les problèmes globaux nés de la complexification croissante de nos sociétés, structurées en
réseaux, et d’en faire porter la responsabilité aux plus vulnérables, c’est-à-dire à ceux qui ne peuvent s’y orienter ni s’y insérer.
Le point de vue des usagers
Les grandes lignes du développement général de l’histoire de la psychiatrie et des soins de
santé mentale étant posées, nous pouvons aborder la question spécifique de l’accès aux soins en
y associant le point de vue des usagers 2.
Dans nos pays, l’accès aux soins comporte une incontournable dimension financière et administrative, nécessitant une couverture sociale et, par voie de conséquence, une inscription sociale
(papiers d’identité, domicile, revenus…). Malgré le souci de nos sociétés de promouvoir un système de soins au bénéfice de tous, la réalité du terrain montre les limites de cette conception. En
effet, le système de soins n’est pas, aujourd’hui, accessible à tous dans son ensemble, notamment
aux personnes ‘sans papiers’ ou en rupture sociale.
28
CHAPITRE 1
Soulignons aussi que, malgré la couverture sociale, des frais non négligeables restent à charge
du patient (médicaments, tickets modérateur, psychothérapies,…) et constituent, surtout lorsque
le recours aux soins est de longue durée, une des parts principales du budget, après le logement.
De plus, certaines structures comme les Maisons de Soins Psychiatriques sont, en raison de leurs
coûts financiers, totalement inaccessibles pour certains patients. En effet, ces structures ont été
organisées sur base d’un mode de financement ne tenant pas compte des frais d’hébergement
(hôtellerie) qui incombent, de ce fait, au patient. Les professionnels et les usagers attirent régulièrement l’attention des instances politiques à ce sujet.
Mais d’autres problèmes matériels ou géographiques conditionnent également l’accès aux
lieux de soins ; les usagers en font régulièrement état. Ils soulignent par exemple, les difficultés
d’accès liées à la répartition géographique inégale des structures. Dans certaines régions c’est
l’éloignement des structures de soins qui est problématique car il impose aux usagers des trajets
fastidieux que leur état psychique ne leur permet pas toujours d’effectuer. Par contre, dans les
villes où les lieux de soins sont nombreux et plus facilement atteignables, ce sont les prix exorbitants des logements qui constituent l’obstacle majeur.
Un autre problème régulièrement soulevé, tant par les usagers que par les professionnels, est
celui des listes d’attente. Dans les hôpitaux, celles-ci obligent trop souvent à recourir à une hospitalisation forcée puisqu’il est en effet plus facile, aujourd’hui, d’être hospitalisé contre son gré
qu’à sa demande.
Dans les structures intermédiaires (centres de jour et/ou de nuit), particulièrement adéquates
pour faire la transition entre une hospitalisation et un séjour à domicile, différer l’entrée d’un
patient de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, a des conséquences négatives importantes
pour le patient puisque cela implique de prolonger son hospitalisation au-delà du séjour nécessaire, ou de l’obliger à rentrer chez lui sans le soutien transitoire qu’il demande.
Complexité et adéquation de l’offre
En ce qui concerne le système de soins en lui-même, les usagers remettent en question certains de ses aspects, notamment en ce qui concerne la difficulté à trouver de l’aide en dehors
des heures de bureaux. Le système de soins pourtant très diversifié se résume malheureusement,
après 17 heures et le week-end, aux seules urgences psychiatriques des hôpitaux. Or, ces services sont régulièrement engorgés et leur offre de soins n’est pas toujours la plus appropriée à la
situation. En effet, ce que les usagers demandent dans ces moments difficiles, c’est davantage
une écoute et un accueil que de prescriptions de médicaments ou l’hospitalisation. Outre l’élargissement des horaires d’ouverture des structures ambulatoires, les usagers souhaitent la mise en
place de services d’aide à leur domicile, ce qui permettrait non seulement de résoudre une partie
du problème mais aussi de compléter avantageusement les modes d’interventions habituels.
Par ailleurs, la variété d’offres actuelle est certes considérée par tous comme plus adéquate
que l’institution monopolistique du début de l’histoire de la psychiatrie, mais elle comporte
cependant certains inconvénients. En effet, le développement des services en réseaux non coordonnés impose aux professionnels comme aux usagers de développer d’incroyables compétences
pour s’y retrouver. Un usager disait un jour avec beaucoup d’humour: ‘pour devenir psy, vous
faites cinq ans de psycho, nous c’est cinq ans de psychose qu’il nous faut pour connaître les différentes structures de soins!’.
29
AU PLUS PRÈS DES GENS
Comme nous l’avons vu plus haut, les nouvelles offres de soins ont été soutenues par différentes instances politiques, qui ont imposé chacune un mode de financement et un cadre de fonctionnement précis mais pas toujours en lien les uns avec les autres. Cette situation produit non
seulement des difficultés de lisibilité de l’offre dans son ensemble, mais risque aussi d’exclure des
usagers qui ne correspondraient pas aux exigences pré-définies. Aux conditions d’admission administratives générales, il faut ajouter celles issues du projet thérapeutique de chaque structure,
élaborées par les professionnels. Les restrictions d’accès qui découlent de ces deux facteurs sont
souvent critiquées par les usagers.
Enfin, pour compléter ce survol des conditions nécessaires d’accès aux soins, il est utile d’aborder la question de leur accessibilité effective. En effet, il ne suffit pas de pouvoir ‘arriver’ dans la
structure, il faut en plus qu’elle donne la possibilité d’en retirer un bénéfice effectif, c’est-à-dire
que la proposition de soin soit ‘en prise sur la réalité culturelle, sociale et économique des individus qui sont censés en bénéficier’. En effet, ‘(…) l’accès doit être envisagé dans un continuum qui
va de la perception des problèmes, de leur traduction dans la formulation d’une demande, de
l’acheminement de cette demande vers des lieux susceptibles de la prendre en charge, du cheminement de celle-ci à travers ces lieux, c’est-à-dire du déchiffrage de la demande par le système de
soins et de la perception par les demandeurs de la signification et des conséquences de ce déchiffrage. Autrement dit, la question de l’accès passée au crible de cette analyse à la fois sociale et
culturelle prend une dimension qui dépasse de loin la question de l’accessibilité financière même
si celle-ci est loin d’être négligeable.’3
La Note de politique en Santé mentale
Pour conclure, en termes de perspectives, on peut se réjouir que la Note de politique de Santé
mentale du ministre Rudy Demotte (mai 2005) intègre des pistes de réponses aux problèmes soulignés ci-dessus. Elle donne, par exemple, une place prioritaire à l’accessibilité des soins, à l’organisation de l’offre, à la concertation autour du patient (et avec lui), ainsi qu’à la coordination des
circuits de soins. De plus, elle porte une attention particulière à l’interaction de la pauvreté et de
la santé mentale ainsi qu’à l’accès des soins aux personnes allochtones.
Fondamentalement, la note s’articule autour du fait que ‘les personnes qui ont des problèmes
de santé mentale doivent pouvoir être reconnues et traitées’ et d’autre part, qu’il faut concevoir
la nouvelle organisation des soins en tenant compte des changements sociaux, économiques
et culturels de ces dernières années pour adapter les méthodes de soins et de traitements à ces
nouveaux défis et circonstances.
La mise en œuvre concrète de la réorganisation des soins devrait nous montrer d’ici peu, si la
formule des ‘Réseaux et circuits’ est suffisante et adéquate pour relever ces défis et optimaliser le
système de soins de santé mentale dans son ensemble.
30
CHAPITRE 1
RÉFÉRENCES:
1. « Action publique en matière de santé mentale » de Jean-Louis Genard et Jean-Yves Donnay in La Revue Nouvelle
de février 2002.
2. Le point de vue des usagers – sources: « Les collectifs de réflexion d’usagers du Gué » et « Rapport d’activité 20032004 » de Pasifou ASBL.
3. « Les défis éthiques de l’accès aux soins pour nos systèmes de santé » par Jean-Philippe Cobbaut – Centre d’Ethique Médicale de l’Université Catholique de Lille.
C O N TA C T S :
Le Gué’, Chaussée de Roodebeek, 300 à 1200 Bruxelles
Tél.: 02.770.53.97
31
Les services d’aide par téléphone:
Tele-Onthaal, Kinder- en Jongerentelefoon,
Zelfmoordlijn
PIETER VAN WAEYENBERGE, FEDERATIE VAN TELE-ONTHAALDIENSTEN.
GRIEKE FORCEVILLE, DIRECTRICE DU CENTRUM TER PREVENTIE VAN ZELFMOORD VZW
ILSE CARLIER, COORDINATRICE DU KINDER-EN JONGERENTELEFOON.
Les services d’aide par téléphone existent en Belgique depuis plusieurs décennies. Trois des
plus importants services en Flandre font l’objet de cet article: Tele-Onthaal, Zelfmoordlijn et
Kinder- en Jongerentelefoon. Ils ont été reconnus comme services d’urgence dans l’Arrêté royal
du 7 novembre 2002 1. Leur principal objectif est d’offrir une écoute et une aide aux personnes
qui font appel à eux, mais ils remplissent aussi des fonctions importantes de relais et d’indicateur
de tendances sociétales.
Le Kinder- en Jongerentelefoon, la Zelfmoordlijn et Tele-Onthaal offrent essentiellement une
aide téléphonique. Ces services fonctionnement tous trois de manière anonyme. Aisément accessibles, ils peuvent offrir une aide immédiate à toute personne en état de détresse psychique qui
compose leur numéro d’appel. Les répondants bénévoles veillent à écouter les récits, les émotions et les vécus avec beaucoup d’ouverture. Ils servent pour ainsi dire de miroir à l’appelant. En
parlant avec lui, ils l’aident à mieux cerner sa situation et à mobiliser ses propres ressources pour
trouver lui-même des solutions à son problème. La proximité et le soutien que les appelants trouvent dans ces conversations téléphoniques sont pour eux très importants:
“Donner de son temps à notre époque, c’est ce qu’on peut donner de plus précieux”
(Anneleen, bénévole de la Zelfmoordlijn) 2
La Zelfmoordlijn, Tele-Onthaal et le Kinder- en Jongerentelefoon jouent un rôle important
dans l’accueil de personnes en situation de crise. En effet, ils sont joignables à des moments où
les services d’aide réguliers ne le sont pas. En collaboration avec l’appelant, ils essayent de surmonter le moment de crise.
Les services d’aide téléphonique remplissent également une fonction de relais. Par exemple,
plus de la moitié des appelants de la Zelfmoordlijn disent n’avoir jamais fait appel à un soignant
professionnel. Un service d’aide par téléphone peut dès lors constituer une solution pour des
personnes qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas contacter les services de soins de santé mentale
réguliers, ou qui veulent compléter leurs services. Les services d’aide par téléphone peuvent donc
guider l’appelant vers l’aide professionnelle qui lui convient, mais ils ont également une fonction
de sensibilisation, en améliorant la représentation que les appelants se font de l’offre du secteur
social et des soins de santé.
32
CHAPITRE 1
Enfin, ces lignes téléphoniques ont aussi une fonction d’indicateur. Elles informent les pouvoirs publics et la société des tendances sociétales qu’elles détectent à travers tous les appels
qu’elles reçoivent.
“Ne pas seulement offrir une oreille attentive mais savoir aussi qu’on peut faire quelque
chose de la multitude d’appels que nous recevons, que nous pouvons signaler aux autorités et à
la société où en sont les enfants et les jeunes, c’est important pour moi en tant que bénévole du
KJT”
(Anne, bénévole du KJT)
Les trois lignes téléphoniques fonctionnent, sur le modèle du Samaritans (Grande-Bretagne),
avec des bénévoles. Ces bénévoles n’ont pas besoin de diplôme préalable, mais reçoivent une
formation spécifique au sein même de l’organisation. Le choix de travailler avec des bénévoles
n’est pas une ‘solution de facilité’. Cela demande un investissement important, tant de la part
du candidat-bénévole que des collaborateurs qui les forment et les encadrent. Travailler avec des
bénévoles donne une plus-value qui fait pencher la balance coût/efficacité dans la bonne direction. Les entretiens téléphoniques se font en effet de personne à personne, sans préjugés et sans
‘étiquetage’. L’écoute par téléphone offre une aide qui se situe à mi-chemin entre l’aide professionnelle et le soutien traditionnel de l’entourage. Le contact avec des bénévoles réellement
impliqués renforce la sensation de solidarité et contribue à rendre à l’appelant la confiance en
ses propres possibilités, à se découvrir de nouvelles chances et à renforcer son image de soi.
“Ainsi va la vie: on donne quelque chose à quelqu’un, mais on reçoit beaucoup plus en retour.”
(Evelien, bénévole à Tele-Onthaal)
Chaque service d’aide téléphonique a un fonctionnement et des objectifs spécifiques en fonction du groupe-cible auquel il s’adresse.
Tele-Onthaal (°1965, www.tele-onthaal.be), le plus important service d’aide par téléphone
pour problèmes psychosociaux, reçoit en moyenne 120.000 appels par an. Toute personne en
difficulté peut compter sur une écoute discrète 24 h sur 24, 7 jours sur 7. Les contacts sont entièrement anonymes. Quelque 550 bénévoles accueillent les appelants, et sont formés et encadrés
à cet effet par des professionnels. En fonction du moment de la journée, 10 à 15 lignes sont en
service en Flandre au numéro 106.
Pour ce qui est de la prévention du suicide, le caractère général de cette aide téléphonique
permet de discerner rapidement le sujet généralement tabou des tendances suicidaires et de
l’aborder avec l’appelant. Parler des difficultés que l’on éprouve permet d’éviter qu’une accumulation de problèmes ne conduise à un isolement toujours plus grand et à des idées ou un
comportement suicidaires. En outre, le fait de sentir que les pensées suicidaires sont entendues
et acceptées par les écoutants amène les personnes qui en font l’expérience à oser en parler
ouvertement. Une étude récente, menée par l’Arteveldehogeschool (Gand), montre que chaque année, le thème du suicide prédomine dans 7.200 conversations. Une sélection sévère ainsi
qu’une formation spécifique permet aux bénévoles de Tele-Onthaal de faire preuve des compétences adéquates en la matière, et de pouvoir les développer toujours davantage.
La Zelfmoordlijn (°1979, www.zelfmoordpreventie.be ) offre l’aide la plus spécialisée et la plus
accessible à toute personne ayant des idées suicidaires et à son entourage. Quatre appelants sur
cinq déclarent avoir des idées suicidaires et quatre sur dix laissent sous-entendre qu’ils ont déjà
commis une ou plusieurs tentatives de suicide. La prévalence particulièrement élevée et le degré
élevé de suicidalité font que les bénévoles ne cessent d’optimaliser les compétences qu’ils ont
33
AU PLUS PRÈS DES GENS
acquises durant leur formation. Outre l’accueil de crise de personnes ayant des idées suicidaires,
ce service d’aide téléphonique accueille également les membres de leur entourage. Ceux-ci reçoivent un soutien et des directives sur la manière de se comporter avec des personnes présentant
des tendances suicidaires. La Zelfmoordlijn est une initiative du Centrum ter Preventie van Zelfmoord, l’équivalent flamand du Centre de Prévention du Suicide, qui, en tant que centre de référence et d’information, met ses compétences en matière de suicide et de prévention du suicide à
la disposition de la Zelfmoordlijn. Une cinquantaine de bénévoles, situés à Bruxelles, répondent
aux appels. En 2004, la Zelfmoordlijn a reçu 8.336 appels (20% de plus qu’en 2003).
Le Kinder-en Jongerentelefoon (KJT, °1981, www.kjt.org ) veut donner aux enfants l’occasion
de développer leur autonomie, et veut contribuer à une société qui le permette et qui en tienne
compte. Le KJT, basé sur la Convention des Droits de l’Enfant, poursuit un objectif double. Primo,
il veut offrir une aide téléphonique à tous les enfants et adolescents. Secundo, il veut signaler
à la société l’émergence de tendances nouvelles décelées chez les appelants. Répartis entre les
différentes provinces flamandes, 130 bénévoles répondent chaque jour au téléphone, entre 16 et
22 heures. En 2004, le téléphone a sonné 139.045 fois.
Tele-Onthaal, la Zelfmoordlijn et le Kinder- en Jongerentelefoon sont gratuits. Depuis peu, ils
sont également consultables en ligne.
NOTES
1. En ce qui concerne le Kinder-en-Jongerentelefoon, seul le numéro de téléphone de l’équivalent wallon a été
reconnu comme service d’urgence dans l’AR.
2. Les noms des bénévoles sont fictifs.
C O N TA C T S :
En langue française:
Télé-Accueil: 107 www.tele-accueil.be
Centre de Prévention du Suicide: 0800/32 123 www.preventionsuicide.be
Ecoute Enfants: 103
Ecoute Jeunes: 078/15 44 22
En langue néerlandaise:
Tele-Onthaal: 106 www.tele-onthaal.be
de Zelfmoordlijn: 02/649 95 55 www.zelfmoordpreventie.be
Kinder- en jongerentelefoon: 0800/15 111 (de 16-22h, sauf dimanches) www.kjt.org
En langue allemande:
Telefonhilfe 108
34
L’intervention à domicile
PIERRE DELVAUX
COORDINATEUR PSYCHOLOGUE, CLINIQUE PSYCHIATRIQUE DES FRÈRES ALEXIENS, HENRICHAPELLE.
Pourquoi les personnes souffrant de maladies mentales ne pourraient-elles pas bénéficier,
comme les personnes souffrant de maladies physiques, d’un accompagnement chez elles?
Réfléchissant à cette question et cherchant à ne pas faire durer inutilement des hospitalisations en psychiatrie qui risquent de mettre à l’écart, et qui sont coûteuses pour les personnes et
la collectivité, le centre Aide & Soins à Domicile et le Service de Santé Mentale de Verviers, ainsi
que la Clinique psychiatrique de Henri-Chapelle, ont pris l’initiative de se rencontrer pour échanger leurs pratiques, leurs logiques et leurs compétences.
‘La Trame’ est née de cette concertation. Elle est une offre de soins psychiatriques, créée dans
la région verviétoise, dont la modalité, la caractéristique principale est qu’elle est proposée à
des adultes à leur domicile ; elle a été reconnue comme projet pilote lors de l’appel lancé par le
Ministère fédéral de la santé en novembre 2001. C’est une petite équipe par la taille (2 assistants
sociaux et une psychologue) épaulée par des travailleurs délégués des trois institutions à la base
du projet. Elle réalise une fonction à la charnière de l’hospitalier, de l’ambulatoire et du suivi à
domicile pour améliorer l’offre de soins.
Quel est l’objectif? Il est assez clair, à défaut d’être unique: soutenir, accompagner, aider, prévenir d’éventuelles décompensations de la maladie, en étant proche de la personne à aider et de
son environnement, et en restant en liaison avec les autres partenaires de soins, du secteur médical aux réseaux socioprofessionnels.
L’expérience nous avait montré que, par manque de concertation et de communication, les
différents travailleurs de ces institutions ne percevaient pas nécessairement les objectifs thérapeutiques poursuivis par chacun des autres ce qui entraînait discontinuité et manque de cohérence dans l’aide apportée.
Nous nous sommes rendus compte aussi, que les personnes qui faisaient appel à nos services
avaient parfois tendance à les ‘mal-utiliser’ dans la mesure où c’est une population fragilisée sur
le plan mental, sur le plan social, sur le plan relationnel.
Pour pouvoir rejoindre ces personnes en difficulté, il faut prendre en compte le cadre de vie
habituel parce qu’elles ont perdu, du fait même de leur maladie, la maîtrise de leur existence et
n’arrivent plus à utiliser le réseau de soins mis en place. Une conséquence en est l’usage inap-
35
AU PLUS PRÈS DES GENS
proprié et excessif de l’hospitalisation, souvent en urgence, parfois par le recours à la loi de
protection de la personne, alors qu’on pourrait sinon éviter, du moins gérer différemment ces
situations avec plus d’humanité.
A qui est destinée cette aide?
Principalement aux personnes atteintes par une maladie mentale sévère, complexe et de longue durée, qui se sont vues progressivement désinsérées , voire délaissées, et qui ne parviennent
plus, malgré des moments de stabilisation, à se débrouiller seules dans la vie de tous les jours. La
perspective d’invalidation est réelle et les hospitalisations sont inévitables sans une relation de
soin, soucieuse de continuité et de coordination.
L’équipe de ‘La Trame’ recherche toutes les collaborations fonctionnelles utiles, et tente
constamment de rendre plus adéquat le recours aux différentes possibilités de soins existantes,
et là où l’aide n’existe pas, elle l’apporte. C’est ainsi que nous relions au médecin traitant, nous
abordons la question de la prise du traitement, ou nous parlons du sentiment de solitude, nous
évoquons la maladie ou nous organisons un entretien avec tel autre intervenant susceptible de
stabiliser la situation sociale ou sanitaire, etc., dans une rencontre qui amène le plus souvent
confiance et respect mutuels. L’entourage, lorsqu’il existe, est sollicité.
Pour pouvoir réaliser concrètement cette aide, nous avons privilégié le travail en ‘trios’: le
médecin, les institutions partenaires et les intervenants évoquent ensemble les situations, analysent les demandes, proposent des solutions à mettre en œuvre, etc. Ces rencontres permettent
aux intervenants, seuls sur le terrain, de prendre un peu de recul et de penser au mieux le soin à
apporter à chaque personne, en fonction de ses possibilités, de ses contraintes.
Par cette manière de faire, nous voudrions que les hospitalisations s’inscrivent dans un parcours de soins intégré, sans véhiculer trop de sentiment d’échec ou de rupture ; nous cherchons,
à l’inverse, à donner quelques moyens pour une réintégration sociale, ou même professionnelle,
là où c’est possible.
Un exemple pour illustrer cela:
Mr X sort de l’hôpital.
– L’intervention de ‘La Trame’ est demandée et installée afin de garder un relais vers le médecin. Début de la prise en charge. Mr X va bien. Les visites sont l’occasion de discussions banales, mais régulières. C’est l’accompagnement.
– Mr X parle de ses difficultés financières, de sa relation conflictuelle avec son propriétaire. On
recherche les aides possibles, les services appropriés. L’accompagnement prend une tournure
plus concrète et devient orientation vers le réseau, pas spécifiquement en santé mentale.
– La confiance s’installe. Mr X évoque des souffrances plus personnelles: le rejet de son fils, sa
fille éloignée,… L’accompagnement devient soutien et un suivi chez un psychologue est proposé, en accord avec le médecin traitant
– La solitude lui pèse ; il voudrait sortir plus. Des tentatives de réinsertion sociale sont élaborées:
participation à un groupe de rencontres, activation plus variée.
– Par moments, Mr X va vraiment moins bien. La collaboration avec le médecin reprend de
façon plus serrée: une consultation est décidée. Le médecin modifie le traitement, le psycho-
36
CHAPITRE 1
logue évoque la difficulté aussi avec l’intervenant, qui augmente la fréquence de ses visites
depuis un moment…
– A l’occasion d’un problème plus important avec son propriétaire, Mr X ne soutient plus le
stress ; il vit un sentiment d’injustice subie, il perd le contrôle de lui-même ; l’accompagnement devient gestion de la crise. Les spécialistes sont informés et proposent des solutions qui
sont mises en place par l’intervenant de ‘la Trame’
– Mr X va mieux. Une hospitalisation n’a pas été nécessaire cette fois… La confiance en lui se
renforce.
Après trois ans d’existence, nous voyons déjà des effets chez les personnes bénéficiaires: elles
trouvent à leurs côtés, chez elles, une aide professionnelle, qui réfléchit et oriente, fait réfléchir
et soutient, dans des moments où, sans elle, la solitude et le manque de clairvoyance amenaient
anxiété, incapacités et rechutes dans un processus maladif.
La souplesse du fonctionnement actuel de l’équipe permet l’accessibilité de la personne ressource ; le service d’aide psychiatrique à domicile peut agir comme un réceptacle des plaintes,
comme une caisse de résonance des difficultés et va les répercuter au bon endroit: la compétence
de ‘la Trame’ consiste en sa capacité à créer des liens durables entre elle et le patient, entre le
patient et les autres acteurs de son soin, et entre elle et les autres acteurs de soins.
C O N TA C T S :
La Trame 087 59 34 85
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SMES: une porte d’entrée aux soins de
santé mentale pour les sans abri
JENNY KRABBE (PSYCHIATRE), REZA KAZEMZADEH (PSYCHOLOGUE) ET STEFANIE BRUNET
(ASSISTANTE SOCIALE)
Que traiter en priorité? Les problèmes sociaux ou les problèmes psychiques? La désintégration
sociale est-elle source de problèmes psychiques, ou est-ce plutôt l’inverse? Comment et avec qui
tenter de trouver une réponse qui ne sera jamais satisfaisante? En partant de questions comme
celles-ci, il nous a semblé utile et nécessaire de concevoir une nouvelle manière de travailler, à
l’intersection entre la santé mentale et l’exclusion sociale.
SMES: bref historique
L’idée d’harmoniser davantage l’aide psychologique, médicale et sociale, qui constitue la
philosophie de base de SMES (Santé Mentale et Exclusion Sociale), a pris forme entre 1987 et
1991 en Italie. Les premiers groupes d’intervision SMES ont été créés à Rome en 1992. Leur
objectif était de stimuler la collaboration structurelle entre le secteur des soins de santé mentale
et le secteur actif dans la lutte contre l’exclusion sociale.
Les groupes mis en place à Rome se composaient de psychiatres, de psychologues et d’assistants sociaux qui se sont mis ensemble autour d’une table pour discuter de cas de personnes
confrontées à la fois à l’exclusion sociale et aux problèmes psychiatriques, en partant du constat
que les problèmes psychiatriques et sociaux étaient traités séparément, voire pas traités du tout,
et que les deux secteurs se rejetaient la balle.
Quelques dates:
– 1998: naissance de SMES-I, qui regroupait les différents groupes d’intervision à Rome;
– 2000: naissance de SMES-B à Bruxelles;
– 2001: création de SMES-E (Europe), qui coordonne tous les groupes collaborant de cette manière. SMES-E a organisé plusieurs séminaires et réseaux européens;
– 2002: organisation du 7e séminaire européen de SMES à Lisbonne ‘Echanger pour changer’,
avec pour thèmes principaux: l’outreach (l’approche active de groupes mal/peu desservis),
l’empowerment (le développement des possibilités des gens, autrement dit de leur autonomie), et le networking (la collaboration des différents secteurs en réseaux).
38
CHAPITRE 1
SMES-B: groupes d’intervision
Les groupes SMES bruxellois, créés en 2000, sont nés du constat qu’il n’existait aucune structure permettant d’accueillir les sans abri souffrant de troubles psychiques. La psychiatrie les envoyait dans des maisons d’accueil, qualifiant leurs problèmes de ‘sociaux’ et vice versa.
Cinq groupes d’intervision ont ainsi été créés, quatre francophones et un néerlandophone.
Ces groupes (fermés) comptent de dix à douze participants, qui s’engagent pour un an. Chaque
groupe se réunit dix fois par an, et les membres paient une cotisation. SMES a engagé deux animateurs pour chaque groupe: l’un issu du secteur des soins de santé mentale, l’autre du secteur
des sans abri. Tous les centres de santé mentale, les hôpitaux psychiatriques d’une part, toutes les
associations actives dans le domaine de l’aide aux sans abri d’autre part, ont été invités à se faire
membres.
Après trois ans d’activité, l’expérience nous montre que le secteur social est beaucoup plus
demandeur que le secteur médical et que ce même secteur social considère souvent le secteur
des soins de santé mentale comme le ‘grand expert’ qui résoudra tous les problèmes. Les deux
côtés formulent de nombreuses demandes pour travailler sur certains thèmes spécifiques.
SMES-B: ‘Cellule d’appui médico-psychologique d’intersection entre la
santé mentale et l’exclusion sociale’
Cette cellule a été créée le 15 janvier 2002 pour servir de projet modèle au sein de SMESBruxelles. Subsidiée par la CoCoF (Commission de la Communauté française), elle veut, à l’instar
des groupes d’intervision, jeter un pont entre les soins de santé mentale et le secteur social. Il
s’agit d’une cellule d’intervention médico-psychologique mobile, née du souci de permettre et
de faciliter l’accès aux soins de santé mentale pour les sans abri.
Avec cette cellule, l’association SMES veut aller activement à la rencontre des gens. Son action
est temporaire, l’objectif ultime étant que les deux secteurs se rencontrent spontanément et que
le secteur des soins de santé mentale travaille davantage en ‘outreach’, autrement dit cherche
à atteindre des franges de population non desservies, sans intervention de la cellule SMES. La
cellule est à la disposition des organisations actives dans l’aide aux sans abri et assure chaque
jour une permanence téléphonique de 9 à 17 heures. Elle travaille en premier lieu avec les associations qui faisaient déjà partie de SMES, dont Hoeksteen et CASU (centres d’accueil de nuit),
Albatros, Ariane, La Source et Home du Pré (maisons d’accueil), Diogenes et Adzon (équipes de
rue), La Gerbe et Rivage-den Zaet (associations en Milieu Ouvert), le service des urgences de l’hôpital Saint-Pierre et Médecins sans frontières.
La cellule se compose d’un psychiatre, d’un psychologue et d’un assistant social. On ne reçoit
en principe pas de patients sur place: c’est la cellule qui va à la rencontre des gens. Le public
cible, ce sont les sans abri, dans les maisons d’accueil ou en rue, qui sont confrontés à des problèmes psychologiques et sociaux menant à l’exclusion. La cellule veut leur donner accès aux
soins de santé mentale, propose une intervention multidisciplinaire de crise, pose le diagnostic et
instaure un traitement, si nécessaire, et tant que cela s’avère nécessaire. L’aide peut être apportée en français, en néerlandais, en anglais, en iranien, et prévoit l’intervention d’interprètes.
Lorsqu’une organisation signale une situation problématique, l’équipe SMES la rencontre.
39
AU PLUS PRÈS DES GENS
Ensemble, ils se mettent autour de la table et discutent des modalités de leur collaboration et
de la mise sur pied d’un projet. S’il s’avère nécessaire que la personne concernée soit vue par le
SMES, elle est rencontrée dans son propre environnement. La cellule examine alors la demande
de la personne et essaye d’établir une relation de confiance. Le SMES tente de répondre autant
à la demande de la personne, qui ne correspond pas toujours à celle de l’organisation, qu’à la
demande de cette dernière.
On rencontre grosso modo trois sortes de demandes:
– des problèmes physiques évidents pour lesquels la personne refuse des soins (ce qui est souvent le signe de problèmes psychiques sous-jacents);
– des problèmes psychiques évidents qui rendent tout plan social impossible;
– l’épuisement de l’équipe d’aide aux sans abri, qui ne sait plus à quel saint se vouer.
Dans une phase suivante, SMES établit des contacts avec d’autres organisations, telles que les
services de santé mentale ou les hôpitaux. En principe, SMES ne prend pas en charge les soins au
patient, mais aide à le réorienter et apporte un soutien aux équipes de terrain. C’est l’instance
qui a signalé le cas qui en reste responsable.
Les principales caractéristiques de la cellule SMES sont donc:
– la mobilité: SMES va à la rencontre de l’instance qui a signalé le cas et de la personne qui nécessite des soins;
– le travail à long terme: la personne/institution est soutenue et on essaie de créer un réseau
permanent;
– le respect tant pour la vision de la personne elle-même que pour celle de l’instance active
dans l’aide aux sans abri;
– nous ne nous chargeons ni du travail du secteur social, ni des soins de santé mentale, mais
nous les aidons à se rejoindre et à collaborer. Nous essayons quant à nous de nous retirer (de
devenir superflus) le plus rapidement possible.
En résumé, la cellule SMES fait office de porte d’entrée aux soins de santé mentale pour les
personnes sans abri et socialement exclues.
C O N TA C T S :
SMES, Rempart des Moines 78, 1000 Bruxelles
Tél: 02 502.69.49
Fax: 02 502.10.75
E-mail : [email protected]
http://users.skynet.be/smeseu
40
Chapitre
Davantage d’implication du patient
dans ses soins
:: Introduction: Rôle et importance des groupes de self help et des associations d’usagers
Didier de Vleesschouwer, Conseil des Usagers des Drogues Licites et Illicites
:: De l’aide dans ta tête
Niki Vervaeke
:: L’importance des groupes d’entraide dans le cas des troubles maniaco-dépressifs
Jan Michiels, Vlaamse Vereniging voor Manisch (en Chronisch) Depressieven vzw
:: Des mots pour un monde de silence. Le groupe de parole Incest en Sexueel Geweld
(Inceste et Violence sexuelle)
Lut De Rudder
:: Les groupes d’usagers de drogues comme acteurs et producteurs de santé mentale.
Didier de Vleeschouwer, Conseil des Usagers des Drogues Licites et Illicites
:: Psytoyens, une concertation d’usagers en santé mentale
François Wyngaerden, Psytoyens
12
A propos de l’émergence des associations
d’usagers et des groupes de self-help
DIDIER DE VLEESCHOUWER
SOCIOLOGUE
Les usagers des services d’aide et de soins, les patients, sont au centre des politiques de
soins. Le lecteur conviendra avec moi qu’il s’agit-là d’une déclaration d’intention qui fonde
l’actuelle politique d’assistance et de soins. Les associations d’usagers et de proches constituent
aujourd’hui des partenaires indissociables de ce type de politique qualitative. Elles donnent la
possibilité aux usagers d’être acteurs des politiques d’aide et de soins qui les concernent (et non
plus seulement de les subir). Elles s’inscrivent dans le droit fil de la nouvelle législation sur le
droit des patients et participent de la dynamique de l’Etat-réseau - si bien décrite par le philosophe et sociologue, Jean-Louis Genard1 - ‘dont la finalité revendiquée est de restituer aux acteurs
vulnérables des capacités, de l’autonomie, de les rendre à nouveau responsables d’eux-mêmes,
capables de se prendre en charge eux-mêmes’. La multiplication des associations d’usagers est
un indicateur significatif de la montée en puissance de la société civile à travers tous les champs
institutionnels.
L’inscription d’une citoyenneté affirmée dans la sphère du médico-psycho-social par l’intermédiaire des associations d’usagers, les compétences développées par certains groupes de self-help
dans le champ du thérapeutique, l’expertise affichée d’un grand nombre d’entre eux qui vient
chatouiller le savoir des professionnels, la superbe efficience d’une prévention par les pairs qui
redynamise le champ de la promotion de la santé, sont autant de révélateurs de cette nouvelle
tendance. Quelles en sont les limites, les risques? A quels obstacles se trouvent-ils confrontés?
D’abord, l’existence de ces groupes doit faire face à une certaine perplexité venant du monde
des professionnels. Ceux-ci oscillent entre une condescendance bienveillante et une redoutable
résistance, particulièrement dans le domaine de la santé mentale. Du côté de la bienveillance,
ces groupes ont été accueillis et parfois soutenus par les professionnels de la santé qui ont
généralement été (et qui restent) leurs premiers interlocuteurs. En fonction des groupes et des
professionnels en présence, des relations partenariales enrichissantes se sont liées. En la matière,
la Flandre a sans conteste une longueur d’avance sur la Wallonie et sur Bruxelles. Du côté de la
résistance, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la peur ou de la résistance au changement
par rapport à l’intégration de ces groupes qui chassent sur les terres bien gardées des professionnels de la santé. Cette résistance est motivée tantôt par les accents revendicateurs affichés par
certains groupes qui font courir le risque d’une judiciarisation des rapports, tantôt par la volonté
de certains groupes de s’identifier à leur(s) symptôme(s), tantôt par le ‘mal-être’ des patients qui
les empêcherait de s’exprimer ou de se faire entendre correctement (les thérapeutes ont pris une
42
CHAPITRE 2
certaine habitude de s’exprimer à la place des patients), tantôt par d’autres arguments encore.
Il s’agit-là d’une peur qu’il faudrait apprendre à dépasser. Hors du champ de la relation thérapeutique, la parole du patient et de ses représentants apporte une réelle valeur ajoutée à la
perspective d’une qualité des soins qui met en son centre le patient.
Ensuite, il existe des difficultés intrinsèques liées aux groupes eux-mêmes et à leur émergence
récente. L’émotivité, la représentation (qui sont les portes-parole?), le bénévolat/salariat, sont
des points sensibles qui représentent souvent des défis à surmonter pour les jeunes associations,
et qui peuvent les fragiliser. L’atomisation des groupes constitue aussi une pierre d’achoppement.
Faut-il à chaque pathologie, à chaque problématique, un groupe constitué de patients, d’usagers ou de clients? Encore qu’ici, il y a lieu de distinguer les fonctions d’auto-soutien (self help)
et les fonctions de défense des intérêts, même si certains groupes assument ces deux fonctions.
Cette atomisation ne facilite pas le financement par les pouvoirs publics qui – sans une politique
volontariste en la matière (‘au plus près des gens’) définissant un cadre structurel de financement
- ne se risquent pas à ouvrir la boîte de Pandore. Les groupes de soutien en ont pourtant souvent
bien besoin pour communiquer, organiser leur représentation, bref pour se professionnaliser.
Pour ce qui concerne la défense des intérêts, le rôle des fédérations (constituées ou à constituer) par secteur2 me paraît être une piste à privilégier pour éviter l’essaimage, à condition
qu’elles parviennent réellement à fédérer, à représenter, à obtenir un consensus, à organiser
la représentativité. De plus, les fédérations peuvent devenir des aiguillons efficaces voire incontournables pour négocier avec les autorités compétentes un cadre et des pistes de financement. Il existe actuellement trois asbl qui fédèrent les associations d’usagers de santé mentale:
Uylenspiegel en Flandre, Pasifou à Bruxelles et Psytoyens en Wallonie. A ce propos, je renvoie le
lecteur à l’excellent article dans les pages qui suivent de François Wyngaerden, coordinateur de
Psytoyens.
Pour ce qui concerne le rôle de soutien par les pairs, la constitution de groupes est une manière de répondre positivement à des besoins spécifiques exprimés par les patients. Ce sont autant
de groupes de parole, d’entraide, de soutien, de psycho-éducation qui offrent le plus souvent à
un niveau local un espace pour s’exprimer, pour briser tabou et solitude, pour accepter solidairement sa maladie ; bref des groupes qui assurent une fonction essentielle pour leurs membres. Le
foisonnement des initiatives a donc une bonne raison d’être.
Mais doit-on craindre qu’il faille un jour séparer le bon grain de l’ivraie à l’instar de ce qui se
passe pour la psychothérapie, et que doive se créer une association pour les victimes des groupes
de self-help à l’instar de la récente association pour les victimes des psychothérapeutes auto-proclamés3 (l’AVPA4)? Nous n’en sommes certainement pas encore là, mais il ne serait pas superflu
de maintenir une certaine vigilance contre les volontés de toute puissance ou d’éventuel autre
sectarisme5! Là aussi, les fédérations pourraient jouer un rôle en proposant une charte éthique.
Enfin, on pourrait se demander si les groupes d’usagers ne font pas courir des risques aux
patients déclarés fragiles en les inscrivant dans ce qui constitue l’Etat-réseau, c’est à dire dans
une logique de responsabilité citoyenne, d’autonomie individuelle, d’activation? Certes, l’avenir
n’est plus aussi sécurisant et l’investissement individuel va de pair avec le risque de ne pas être à
la hauteur, ou celui d’un retour de flamme; mais j’ai envie de souligner l’énorme solidarité que
permettent ces groupes, une solidarité moins paternaliste mais aussi moins culpabilisante que
celle qui jusqu’ici avait prévalu sous l’égide de l’Etat-providence!
Dans les pages qui suivent, le lecteur découvrira avec intérêt quelques articles et témoignages
43
AU PLUS PRÈS DES GENS
montrant davantage l’implication des associations de patients dans les soins de santé mentale.
Lut De Rudder, criminologue, présente le groupe de parole ‘Incest en Sexuel Geweld’ qui offre
un sérieux soutien aux personnes victimes d’inceste et de violences sexuelles. Jan Michiels nous
apporte un éclairage sur l’asbl Vlaamse Vereniging voor Manisch Depressieven qu’il préside et
qui est un groupe d’entraide accueillant les personnes atteintes d’un trouble maniaco-dépressif
(ou bipolaire). J’ai, pour ma part, le plaisir de vous dévoiler le Conseil des Usagers de Drogues
Licites et Illicites. François Wyngaerden présente Psytoyens. La cerise sur le gâteau est le poème
de Niki Vervaeke, ‘Hulp in je hoofd’. Bonne lecture!
NOTES:
1. Dans le présent ouvrage, « Santé mentale et citoyenneté, interview croisée du Professeur Jean-Louis Genard philosophe et sociologue, ULB et du Docteur Marc De Hert, psychiatre, KUL ». Voir aussi ‘Santé mentale et citoyenneté.
Les mutations d’un champ de l’action publique’ ouvrage collectif de Jean De Munck, Jean-Louis Genard, Olgierd
Kuty, Didier Vrancken, Didier Delgoffe, Jean-Yves Donnay, Martin Moucheron, Claude Macquet, Academia Press
2003
2. santé mentale, assuétudes, soins somatiques, …
3. In « Patients sous influence », article publié dans le Journal du Médecin du 5 août 2005
4. A.V.P.A. n° de téléphone: 080/86 32 26
5. L’époque de l’association « Le Patriarche » n’est pas si lointaine!
C O N TA C T S :
C.U.D.L.I. asbl, rue Félix Vande Sande 18, 1081 Bruxelles
Tél: 0496 902 908
E-mail: [email protected]
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De l’aide dans ta tête
NIKI VERVAEKE
Les soins de santé mentale
De l’aide dans ta tête
Pour toi-même
Pour ton monde
Et pour celui des autres
Cette main tendue, il faut souvent un peu la chercher
Les pilules
Les entretiens
L’ambiance
Et quelque part, tu marches en marge du monde des gens normaux
Dans ton univers parallèle d’auto-découverte
La sécurité de savoir
Que tu es toi
N’est pas toujours
Aussi rassurante
La petite tête dans ta tête
Règle trop
Trop peu
Bref
Le fil est trop long, trop court
Trop épais, trop fin
Prends-en un nouveau
Ou retisse l’autre à ta manière
Nous sommes tous ensemble un peu fous
Nous devrions tous aller en thérapie
Peut-être pourrions-nous tout simplement
nous apprendre les uns les autres
à parler
45
L’importance des groupes d’entraide dans
le cas des troubles maniaco-dépressifs
JAN MICHIELS
PRÉSIDENT DE L’ASBL VLAAMSE VERENIGING VOOR MANISCH (EN CHRONISCH)
DEPRESSIEVEN
Notre groupe d’entraide accueille des personnes atteintes d’un trouble maniaco-dépressif ou,
selon des termes plus fréquemment utilisés aujourd’hui, un trouble bipolaire. Les personnes souffrant de dépressions chroniques fréquentes et/ou de longue durée peuvent également s’adresser
à nous, tout comme leurs parents et leurs proches.
Défense des intérêts, communication et élimination des tabous
Quels sont les objectifs de notre groupe d’entraide? Ils sont variés. Nous défendons les intérêts de nos ‘patients’, tant sur le plan personnel, familial que social. Nous favorisons aussi la
communication entre les patients et leurs familles. Nous constatons en effet trop souvent que le
manque de communication aggrave la situation et enferme le patient dans l’isolement. Parallèlement, nous nous efforçons de briser le tabou qui règne encore et toujours autour de la maladie. Nous voulons sensibiliser le public à cette problématique et l’informer correctement.
Informer
Informer est une fin en soi. Nous souhaitons que le patient et les membres de son entourage
puissent apprendre un maximum de choses sur la maladie et sur les évolutions scientifiques en la
matière. La diffusion d’informations implique que nous rassemblions nous-mêmes des renseignements, non seulement sur la maladie elle-même, mais aussi sur des problèmes qui y sont liés: la
prévention du suicide, les directives en matière de traitements pour les patients et leurs proches,
les traitements médicamenteux (en informant par exemple sur la prise de poids occasionnée par
les différents médicaments).
Nous recourons, au sein de nos groupes d’entraide, à différentes méthodes de diffusion: des
groupes de parole thématiques, des discussions à propos de livres, des projections vidéo suivies
de débat. Deux ou trois fois par an, nous invitons un thérapeute professionnel, psychiatre, psychologue, infirmier, juriste, etc., à venir faire un exposé. Enfin, nous publions une revue trimestrielle, Ups & downs, pour laquelle nous devons chaque année chercher de nouveaux moyens.
46
CHAPITRE 2
L’enseignement
A l’intention spécifique des enseignants, nous espérons disposer bientôt de cinq experts de
terrain qui pourront se consacrer à l’information des élèves des écoles secondaires. Cette initiative est mise en œuvre en collaboration avec la Vlaamse Vereniging voor Geestelijke Gezondheidszorg, dans le cadre du projet ‘Hoe Anders is Anders’ (HAIA). Soucieux de décharger ces
experts des aspects administratifs, nous avons sollicité, auprès des autorités, un soutien financier
pour engager un collaborateur administratif. Le gouvernement flamand semble réagir favorablement à ce dossier. En tant qu’association flamande, nous essayons par ailleurs d’arriver à une
‘confédération’ avec Bruxelles et la Wallonie.
Il nous est apparu depuis peu que nous ne pouvions limiter la diffusion d’information à l’enseignement secondaire, mais que nous devions aussi informer les hautes écoles, les universités,
les hôpitaux et autres organisations intéressées par la problématique.
Collaborer
Pour une association aux moyens limités comme la nôtre, il est difficile d’élaborer des projets
concrets. Nous essayons donc de pallier cette difficulté en collaborant avec d’autres structures,
comme en témoigne le projet pilote mis sur pied en Flandre du Sud-Est, en partenariat avec la
Ligue Belge de la Dépression, les CGG (centres de santé mentale), les Mutualités chrétiennes et
leur secteur de soins à domicile, Logo’s, Similes, notre association (VVMD) et les unités psychiatriques locales (SPHG: Services Psychiatriques en Hôpital général). Cette collaboration nous a
permis d’élargir notre public pour les soirées thématiques (environ 200 personnes à chaque fois),
de pouvoir compter sur davantage d’orateurs, et de diminuer les frais. Ensemble, nous avons
déjà organisé quatre soirées thématiques. Nous envisageons maintenant d’étendre ce projet aux
autres provinces. Nous souhaitons également élargir nos activités, avec l’aide de spécialistes compétents.
Prévention du suicide
D’après le docteur Pascal Sienaert 1, co-auteur du livre Manisch-depressief (avec Els D., qui a
vécu la maladie), le taux de suicide parmi les maniaco-dépressifs est d’environ 12 à 15%. D’autres
études en la matière citent des chiffres similaires. On constate par ailleurs une grande différence
entre les personnes souffrant de trouble bipolaire I et celles présentant un trouble bipolaire II. Le
pourcentage de suicides est nettement plus élevé dans le second groupe que dans le premier. Les
crises profondes que vivent les patients atteints du trouble bipolaire II leur font parfois perdre le
goût de vivre.
Il est possible d’apprendre à vivre avec cette maladie grâce à la psycho-éducation. Les contacts
avec des compagnons d’infortune peuvent aussi apporter beaucoup de réconfort dans des situations parfois ‘désespérées’. Nous attachons beaucoup d’importance à cet aspect. En tant qu’association, nous voulons dès lors faire de gros efforts pour endiguer le taux annuel approximatif de
250 suicides en Flandre – uniquement chez des personnes souffrant d’un trouble bipolaire.
47
AU PLUS PRÈS DES GENS
Qu’est-ce que nous ne faisons pas?
En tant que groupe d’entraide, nous n’offrons pas d’accompagnement d’urgence: cela est et
reste le domaine des médecins et des thérapeutes. Nous ne prenons pas non plus position quant
aux médicaments prescrits à titre individuel, ce qui ne nous empêche pas d’informer sur des formes nouvelles et meilleures (moins nocives) de médication.
RÉFÉRENCE:
1. Pascal Sienaert et Els D., Manisch-depressief. Een gids voor patiënt, familie, hulpverlener en geïnteresseerde,
Lannoo, 2003.
C O N TA C T S :
Jan Michiels: Tél: 053.77.50.97 (de 18 à 22 h)
GSM: 0474.60.87.24
E-mail: [email protected]
Siège administratif: Tenderstraat 14, 9300 GENT
www.vvmd.be
48
Des mots pour un monde de silence
Le groupe de parole Incest en Sexueel
Geweld (Inceste et Violence sexuelle)
LUT DE RUDDER
ANCIENNE COLLABORATRICE ISG, CRIMINOLOGUE
Comment tout a commencé
Lorsque je suis allée la chercher, elle avait l’air tellement défaite, abattue et perdue que je l’ai
invitée à boire un café. Cela l’a amenée à me raconter son histoire: sa situation, les abus, l’exploitation. Cette jeune femme était confrontée au monde de l’inceste. Nous nous sommes parlé
presque quotidiennement. Je ne pouvais que l’encourager à oser dire ‘non’ à cette situation familiale. Je lui expliquais que l’abus ne fait pas partie du cours normal des choses entre un père et
sa fille, que c’est aux parents à assumer la responsabilité de la famille et pas à leur fille.
Elle a téléphoné quelques mois plus tard: elle avait fugué. C’est en cherchant des informations
et un soutien approprié que le groupe de parole ISG (inceste et violence sexuelle) a petit à petit
vu le jour. C’était la période où l’inceste faisait pour la première fois son entrée dans le domaine
public, sous l’influence du féminisme aux Pays-Bas. En Flandre, deux jeunes femmes avaient eu le
courage de témoigner à la radio. Une émission télévisée avait également été consacrée à cette
problématique. Pour le reste, il y avait ci et là quelques tentatives destinées à briser le tabou.
Sous l’effet d’une prise de conscience de plus en plus aiguë parmi les femmes de ce qu’elles
avaient subi durant leur enfance et leur jeunesse, la problématique de l’inceste a enfin éclaté au
grand jour en Flandre.
ISG a délibérément choisi de ne pas adopter de cadre juridique (asbl par ex .) mais d’être un
mouvement consacrant toute son énergie aux gens. Au début, nous nous réunissions un soir par
mois, puis les contacts se sont intensifiés et rapidement, nous avons rédigé ensemble une revue
où les personnes concernées pouvaient s’exprimer. Toute personne concernée par le problème
de l’inceste était la bienvenue (sauf les auteurs): victime, partenaire, thérapeute… Notre objectif
était de permettre à chacun de raconter son histoire.
Un peu de réconfort
Au début, le groupe de parole ne comptait que des femmes… de toutes les régions de Flandre
et de toutes les couches sociales. Nous nous réunissions pour raconter notre histoire, sans autres
prétentions, en tâtonnant: que puis-je dire, qu’ai-je le droit de dire? C’était l’époque où on ren-
49
AU PLUS PRÈS DES GENS
voyait les enfants chez eux lorsqu’ils se risquaient à raconter ce que leur père, voisin… faisait
avec eux: dire de telles choses à propos de si braves gens, comment osaient-ils!
Dans le groupe de parole, les femmes partageaient leurs joies et leurs peines, comme elles
l’auraient fait entre voisines ; avec des mots simples de tous les jours, elles fouillaient le monde
intérieur de la honte, de la culpabilité, de l’impuissance, de la peur, des cauchemars. Des domaines qui ne demandaient ni études préalables ni vocabulaire spécial. On apprenait certes de
nouveaux mots! Quand une femme racontait qu’elle devait jouer le rôle de maman pour ses
frères et sœurs, on parlait de ‘parentification’. C’est ainsi qu’on a aussi parlé de ‘défénestration’.
On sentait immédiatement que ces concepts faisaient partie d’un autre monde. Ici, on racontait
simplement qu’avant d’entamer ses devoirs, on devait d’abord mettre une lessive en marche et
s’occuper de son petit frère… ou que quelqu’un qui vous était cher avait sauté par la fenêtre et
n’avait pas survécu à la chute.
Une fois le groupe lancé, des hommes y ont pris part aussi: partenaires, victimes. Des hommes qui
laissaient s’exprimer leur sensibilité féminine, qui se sentaient chez eux, qui pouvaient simplement être eux-mêmes.
Un espace où s’exprimer
Un tel groupe de parole donne la possibilité de découvrir son monde intérieur. Chacun a sa
propre histoire, qui est unique. Avant tout, il faut être prêt à écouter et respecter la spécificité de
l’autre. Chacun peut raconter son histoire avec ses mots, avec sa sensibilité, à son rythme. Les histoires se répètent mais sous des angles différents à chaque fois. En écoutant, on donne à l’autre
la possibilité de se libérer de ce qu’il/elle a vécu. Ce faisant, on clarifie ses propres expériences:
on se reconnaît dans ce que dit l’autre ou on se rend compte que chez soi, le cheminement a été
différent. Ensemble, on cherche ce qui s’est vraiment passé. Petit à petit, on ose parler de choses
qu’on croyait ne pouvoir révéler à personne. A l’extérieur, on ne peut pas dire qu’on a peur de
son propre père, qu’on déteste sa mère. De tels propos suscitent immédiatement le dégoût – les
parents sont toujours des héros intouchables – de sorte qu’on se sent coupable de vivre cela.
Dans le groupe, nombreux sont ceux qui sont confrontés à ces mêmes sentiments négatifs. Le
fait de pouvoir l’exprimer sans jugement est rassurant. Cela permet de sortir de l’isolement, du
‘personne ne me comprend’. Les mots ne seront ni interprétés ni intégrés dans l’une ou l’autre
théorie.
Dans un tel groupe, on apprend et on ose petit à petit mettre des mots sur la complexité du
monde de l’inceste. Et sur ce qui se passe au-delà d’une telle expérience: peut-on encore faire
confiance à quelqu’un? Les questions de faute et d’impuissance vous assaillent. L’incompréhension de personnes extérieures pleines de bonnes intentions mais qui ne font que renforcer votre
solitude avec des phrases comme: ‘il y a si longtemps maintenant, laisse le passé où il est et redémarre’, comme si on pouvait effacer le passé d’un geste de la main. Ou encore: ‘ce qu’il te faut,
c’est une bonne relation sexuelle’…
(Apprendre à) s’exprimer
Certains se permettent pour la première fois de confier leur vécu à des étrangers. Parfois ils
osent à peine prononcer leur nom de manière audible, que déjà leur histoire les submerge et
jaillit en un flot ininterrompu de paroles. Ils en sont eux-mêmes surpris, ils se sentent confus.
Lorsqu’ils ont le courage d’à nouveau prendre part au groupe, ils se calment, apprennent à maî-
50
CHAPITRE 2
triser les mots, de sorte que chaque rencontre contribue à intégrer ce qui s’est passé. Ce flot de
paroles peut pourtant avoir un effet négatif: on peut être submergé par son passé et revivre une
crise. Dans tous les cas, il est conseillé d’avoir un entretien préliminaire avec les futurs participants. Cet entretien peut être mené par les accompagnateurs mais aussi par des participants du
groupe. Il peut être utile de prévoir un accueil lors des premières rencontres: amis, thérapeute,
assistant pastoral...
Langage empirique
Les mots ‘père’, ‘mère’, mais aussi ‘inceste’, ‘abus sexuel’, ‘maltraitance’, font partie du vocabulaire de chacun. Seulement, on a l’habitude d’utiliser les deux premiers pour parler de choses
qui par définition sont ‘bonnes’ et les autres pour évoquer quelque chose ‘qui n’arrive qu’aux
autres’. Du fait de les avoir vécues en tant que victime, ces mots changent de valeur. Ils traduisent une réalité qui vous blesse au plus profond de votre être. En groupe, dire que votre père
vous a violée, que votre mère vous a laissée tomber parce qu’elle ne voulait rien entendre, ne
rien voir… ce n’est pas seulement parler un nouveau langage avec des mots connus, c’est aussi
une manière de permettre à cette réalité impossible de faire son chemin en vous. Les autres
confirment par leur présence et leur histoire que ces mots terribles désignent une réalité qui
vous touche de plein fouet. Dans un premier temps, on a tendance à se dire qu’on assiste à un
mauvais film, mais petit à petit on se rend compte que ce n’est pas du cinéma mais bien une
réalité dans laquelle on est impliqué. Lorsqu’au début d’une séance, chaque nouveau venu dans
le groupe de parole est prié de se présenter et de dire pourquoi il/elle participe au groupe, c’est
pour ceux qui en font partie depuis des années la preuve que l’inceste, l’abus sexuel, sont une
réalité.
Quand on subit l’inceste, le monde intérieur se modifie. Tout est mis en question. Un enfant
abusé ne sait pas ce que cela signifie d’être enfant, il ne sait pas que la dépendance a du bon,
que la confiance est quelque chose de normal et que se sentir bien devrait être une évidence. Si
pour la plupart des enfants la vie porte en elle la promesse du paradis, elle est devenue un enfer
pour les victimes d’inceste. Le monde de la victime continue à tourner autour de l’expérience
destructrice vécue quand elle était enfant. On se sent entouré par un monde hostile. On hésite
à prendre à cœur le monde de tous les jours, on est enfermé dans l’impuissance, le manque, la
culpabilité, la révolte… On survit à force de volonté. Comment oser se consacrer à ses propres
enfants quand pleure en soi un enfant détruit? A l’arrière-plan de votre conscience, cet enfant
reste présent et pose ses exigences. Un groupe de parole offre la possibilité – structurée dans le
temps – de mettre des mots sur son vécu le plus profond.
Briser un tabou et éclaircir des concepts
Lors d’une rencontre de ce type, chacun a l’occasion de se découvrir et de s’exprimer, sans
référence à aucun code moral. Il ne s’agit pas de savoir si quelqu’un a bien ou mal agi. Autour de
la table se trouvent des gens profondément meurtris. En donnant à chacun l’espace et le temps
de s’exprimer, on développe un langage qui permet de parler de l’inceste et de l’abus sexuel
même en dehors de l’intimité du groupe de parole. On apprend à utiliser des mots qui précisent
de quoi il s’agit et on ose les utiliser après les avoir prononcés une première fois dans le groupe.
Le tabou autour de l’inceste diminue, on peut déjà en parler. Le fait que davantage de personnes
concernées prennent conscience de l’impact de l’inceste et de l’abus sexuel dans une vie donne
aussi davantage de ‘réalité’ au vécu. Il n’est plus nécessaire de dissimuler ce monde. En l’ex-
51
AU PLUS PRÈS DES GENS
trayant du gouffre de l’oubli, on peut l’utiliser comme une force pour faire face à ce que l’avenir
a à offrir.
Faire son deuil
Tout qui veut intégrer ses expériences d’inceste et de violence sexuelle se trouve devant un
long processus de deuil. Faire le deuil de ses années d’enfance et d’adolescence abusée est une
expérience très complexe. C’est dire adieu à l’enfant qu’on n’a jamais pu être, et dire adieu à
l’enfant qu’on a été obligé d’être. Dire adieu à l’espoir d’un père aimant, et dire adieu au père
qui a détruit l’enfance. Dire adieu à la confiance accordée aux gens qu’on aimait, dire adieu à
l’évidence que la vie est belle. Echapper à l’épouvante de ses anciennes expériences, c’est être
prêt à faire le deuil de soi-même, conscient d’avoir été victime de quelqu’un à qui on faisait confiance. En tant qu’enfant, vous aviez droit à une autre vie, mais votre entourage vous en a privé.
Entamer ce deuil, c’est briser d’emblée l’être-victime et prendre la barre de sa propre existence.
Ces dernières années, le processus de deuil a suscité l’attention des services d’aide. On a décrit
les différentes phases qui font partie d’un processus de deuil normal. Un groupe de parole comme le nôtre rassemble des gens qui traversent peut-être des phases différentes de ce processus.
Tout qui écoute, entend chaque fois un aspect de ce deuil, auquel peut se rattacher sa propre
expérience. Cela permet d’aller un peu plus loin dans son propre deuil. Jusqu’à ce que petit à
petit, à côté du monde de tristesse puisse éclore un autre monde. Le monde de l’inceste et de la
violence sexuelle est tellement perturbant qu’il met en cause les convictions et les valeurs les plus
profondes et les plus évidentes. Et finalement, on s’autorise à revivre et à être heureux.
Ses propres expériences comme point de départ, l’aide à l’arrière-plan
Un groupe de parole n’est pas une thérapie: être choqué par ce qui s’est passé antérieurement est un phénomène normal. Quand on a été confronté à un tel monde, on cherche le réconfort, la guérison. Lorsque des gens se réunissent et s’expriment avec sincérité, ils se soutiennent
l’un l’autre. Ils s’épaulent mutuellement pour supporter la douleur, l’impuissance, le manque. De
voir que chacun le fait à sa manière apporte un sentiment de réconfort: c’est bon d’avancer comme je le fais, je ne dois pas avoir honte de ma peur, de ma tristesse, même si tout cela s’est passé
il y a bien des années. Les animateurs sont là en premier lieu comme des êtres humains, leur rôle
consiste à structurer le groupe: annoncer le début et la fin, veiller à ce que chacun ait le loisir de
parler. La force du groupe est l’énergie des participants.
Le point de départ du groupe de parole, c’est l’expérience de chacun. Ainsi peuvent être abordées des expériences que l’on n’ose pas dévoiler de peur d’être qualifié de ‘fou’. Oser dire qu’on
a été exploité dans une sorte de réseau est jusqu’à présent une entreprise risquée et probablement aussi incroyable que de dire que votre mère ou votre grand-mère vous a abusé sexuellement. Pour les victimes, ‘pouvoir le dire’ est une expérience très réconfortante. Dans le groupe,
leur expérience n’est pas confrontée à la science et aux preuves, on ne cherche pas d’explication
psychique. Le fait qu’une telle expérience puisse être dite renforce la confiance en soi et donne
le courage de continuer.
52
CHAPITRE 2
Paroles de consolation
Etre abusé en tant qu’enfant peut arriver à tout le monde. Ce qui explique que dans un
groupe de parole se retrouvent toutes les couches de population. La manière dont chacun fait
son chemin dépend de son cadre de vie: opinions religieuses, vécu éthique, bagage culturel. Ces
différentes conceptions se côtoient dans le groupe et chacun a quelque chose à apporter. On
apprend les uns des autres. Il est stimulant de réfléchir à son vécu à partir d’approches différentes de celles auxquelles on est habitué. On apprend à regarder de ses propres yeux, ce qui était
interdit à l’enfant qu’on était: on ne savait même pas que l’inceste était interdit, on n’avait qu’à
s’en prendre à soi-même si on ne trouvait pas cela amusant et qu’on avait l’impression d’être une
mauvaise fille.
Il ne faut pas grand chose pour organiser un groupe de parole. Un local avec une table, des
chaises et des boissons pour la convivialité. Participer au groupe de parole, c’est s’abandonner
par les mots. D’abord en hésitant, en demandant à soi-même et aux autres l’autorisation de
s’exprimer en paroles. Jusqu’à ce que les mots s’imposent dans toute leur force et désignent une
réalité de manque, de douleur, d’impuissance… Utiliser des mots, c’est se consoler d’un monde
intérieur trop fragile et d’une enfance détruite.
C O N TA C T S :
[email protected]
53
Le Conseil des Usagers de Drogues Licites
et Illicites (C.U.D.L.I.)
DIDIER DE VLEESCHOUWER
SOCIOLOGUE
Face à son mal-être, à sa maladie1, chacun a la capacité de développer des stratégies personnelles qui ont des vertus plus ou moins cathartiques. Ainsi, la santé mentale ne se réduit pas à
l’offre de soins en santé mentale. Les organisations d’usagers et les associations de patients participent à l’édifice de la santé et peuvent contribuer au mieux-être individuel.
Chaque organisation d’usagers a sa propre identité et les objectifs peuvent varier. Dans le
domaine des assuétudes, deux grandes tendances co-existent.
La première a pour porte drapeau les Alcooliques Anonymes et ses différentes déclinaisons:
Alcooliques Anonymes, Narcotiques Anonymes, Al-Anon, Nar-Anon. Présents en Belgique depuis
1953, les AA se décrivent comme ‘une association d’hommes et de femmes qui partagent entre
eux leur expérience, leur force et leur espoir dans le but de résoudre leur problème commun et
d’aider d’autres alcooliques à se rétablir’. Le désir d’arrêter de boire (ou de se droguer), bref de
devenir abstinent est la seule condition pour devenir membre. Ce désir constitue la raison d’être
des AA. La visée est thérapeutique et non-professionnelle. Les AA sont reconnus par les professionnels.
La deuxième tendance est née avec l’avènement de la harm reduction début des années 90
suite à l’épidémie de sida. Cette politique de santé publique, dite ‘pragmatique’, propose de
réduire les risques liés à l’usage des drogues ; c’est donc un modèle qui n’est plus basé sur l’abstinence mais qui s’adresse aux consommateurs de drogues encore actifs. Cette politique a pour
intérêt d’intégrer dans la prévention, l’aide et l’assistance les usagers non-abstinents y compris
les consommateurs récréatifs, soit l’essentiel de la population concernée. Dans la foulée, des
groupes d’usagers se sont constitués un peu partout en Europe pour défendre leur dignité, et
leurs droits de citoyens et de patients. En Belgique, des associations comme Citoyens Comme Les
Autres, De Bond voor Emancipatorisch van Drugbeleid 2 et plus récemment comme le Conseil des
Usagers des Drogues Licites et Illicites (CUDLI) sont représentatives de cette tendance. Le sida a
permis aux usagers de se mobiliser et aux politiques d’aide et des soins de s’ouvrir, l’abstinence
ne constituant plus le seul critère conditionnant l’offre de soins (et donc la demande).
Pour être membre du CUDLI, il faut adhérer à la charte de l’association. La plupart des membres sont des consommateurs de drogues (mais ce n’est pas une condition). Certains le sont à
titre récréatifs, d’autres connaissent ou ont connu des problèmes de dépendance et/ou d’exclu-
54
CHAPITRE 2
sion sociale. Ils ne consomment pas tous les mêmes produits. Cette diversité constitue la richesse
du groupe et représente in fine l’hétérogénéité propre à l’usage des drogues. Cela permet également un échange de savoirs entre pairs visant les bonnes pratiques et l’atténuation du mésusage.
Le CUDLI revendique la place d’expertise pour les usagers dans les politiques des drogues,
particulièrement en matière de santé. Il demande aux autorités la mise en place d’une politique
partenariale et positive de promotion de la santé et de réduction des risques en lieu et place de
la guerre aux drogués qui les traite en ennemis, les enferme, les stigmatise ou les méprise. Il met
en avant la ‘prévention des abus et des risques’ à la place de la ‘lutte contre la toxicomanie’ (qui
sous-entend la lutte contre les toxicomanes). Il postule que la stigmatisation et la criminalisation
des usagers - qui induisent clandestinité forcée, marginalisation et exclusion sociale - sont des
facteurs d’aggravation de l’usage problématique des drogues, notamment parce qu’elles renforcent l’usage compulsif et abusif et qu’elles ne facilitent pas l’émergence de la demande d’aide,
sauf par la contrainte (au prix alors d’un plus grand risque d’échec du traitement).
Bien moins que des visions contradictoires qui s’affrontent, les AA et le CUDLI représentent
une diversité intéressante. A l’instar des modules de soins et de thérapies, le pire serait d’avoir
un modèle unique proposé par les associations d’usagers. Certes, il y a divergence sur les orientations de départ (l’abstinence d’une part, la responsabilisation citoyenne avec gestion de l’usage
d’autre part) ou sur certains moyens mis en œuvre (agir sur l’individu en postulant qu’il est malade ou agir sur la société en postulant qu’elle produit une part essentielle du mal-être). Mais les
points communs méritent qu’on s’y attarde. De part et d’autre, les usagers sont acteurs vis-à-vis
de leur problématique, ils sont pleinement agissant (et non passifs), ils préservent leur dignité
et ce faisant pour une bonne part leur estime de soi. Ils partagent comme valeur la modération
et l’autonomie individuelle. Le soutien et la reconnaissance par les pairs, la restauration de liens
sociaux, la création de nouvelles filiations, sont susceptibles de re-mobiliser l’individu vers un
mieux-être. Même si les effets thérapeutiques ne sont pas recherchés (cfr. le CUDLI), ils peuvent
être une conséquence de l’investissement personnel, effets bénéfiques de surcroît.
Les usagers ne sont-ils pas des experts au même titre que les soignants? En l’affirmant,
le CUDLI ne positionne pas les usagers au-dessus mais à côté des soignants. Il paraît évident
aujourd’hui qu’en matière de prévention du sida et des hépatites, l’expertise des usagers de
drogues s’est avérée fort utile. Elle a permis de mieux identifier les comportements à risque, les
résistances et les stratégies de prévention qui marchent. Elle les a associés à la prévention et au
traitement. Les précurseurs du CUDLI3 ont soutenu le ‘modèle belge’ de consensus pour les traitements de substitution. Ils ont contribué à l’apaisement en dédiabolisant l’héroïnomane. Ils ont
réclamé une plus grande implication des médecins généralistes et des pharmaciens qui permet
une meilleure accessibilité des traitements à moindre coût budgétaire. Ils ont défendu l’élargissement de l’offre de soins plus adaptée aux besoins.
Il devrait en être de même dans le domaine des soins de santé mentale. On voit poindre du
côté des politiques et des professionnels une volonté de reconnaître des associations de patients,
voire timidement de les considérer comme partenaires. Mais les pratiques, de par leur inertie,
sont encore résistantes. Trop souvent, les soignants restent les seuls portes-paroles des usagerspatients qui eux-mêmes ont pris l’habitude d’une certaine passivité et ne s’engouffrent pas immédiatement dans les portes qui s’entrouvrent. La loi relative aux droits du patient (août 2003)
devrait donner des moyens pour davantage d’implication du patient-citoyen dans ses soins.
Placer le patient au centre de la pratique des soins de santé mentale nécessite de lui laisser
une place en qualité d’observateur privilégié de ses pratiques et donc celle d’un expert écouté
55
AU PLUS PRÈS DES GENS
sur l’objectif à atteindre: la qualité des soins. Des bénéfices secondaires sont à attendre du côté
de l’autonomisation du patient, de son activation, de son insertion, soit en quelque sorte du côté
des attentes implicites de la réforme de la psychiatrie qui vise un renforcement de l’extrahospitalier et une réintégration des malades mentaux dans la société. Encore faudra-t-il écouter ce que
les patients et leurs associations ont à nous dire sur ce modèle moins paternaliste et plus responsabilisant mais qui n’est pas sans risque.
NOTES:
1. Le fait que l’alcoolisme, la toxicomanie ou d’autres dépendances constituent des maladies mentales est contesté
par les professionnels de la santé et par les associations d’usagers. Consommer une drogue, boire un verre, peut
se faire de manière récréative pour un grand nombre d’individus. Si une dépendance aux drogues n’est pas en
propre une maladie mentale, elle est néanmoins répertorié par le DSM-IV, manuel de diagnostics psychiatriques,
comme un trouble qui nécessite aide et soins appropriés. Lorsque cette dépendance n’est plus supportée par
l’individu, elle provoque mal-être et souffrance. Pour être complet, signalons que certaines personnes souffrent à
la fois d’une maladie mentale et d’assuétudes nécessitant une prise en charge spécifique. La santé mentale est au
cœur de ces problématiques.
2. Les asbl Citoyens Comme Les Autres et De Bond voor Emancipatorisch van Drugbeleid ont été actives pendant les
années 90. Je limiterai donc mon analyse au CUDLI représentatif aujourd’hui de cette tendance
3. Les associations ‘Citoyens Comme Les Autres’ et ‘DE Bond voor Emancipatorisch van Drugbeleid’
C O N TA C T S :
Olivier Hofman, C.U.D.L.I.asbl, 18, rue Félix Vande Sande, 1081 Bruxelles
Tel: 0496 902 908 (il n’y a pas de permanence organisée mais des réunions et activités diverses)
E-mail: [email protected]
56
Psytoyens, une concertation d’usagers en
santé mentale
FRANÇOIS WYNGAERDEN
COORDINATEUR PSYTOYENS.
Depuis plusieurs années se développent en Belgique des associations d’usagers et ex-usagers
de services en santé mentale. Leurs objectifs, leurs organisations et leurs moyens sont très
diversifiés. Certains organisent des activités de loisirs ou collaborent avec des professionnels à
l’organisation quotidienne d’une structure communautaire. D’autres fonctionnent sur le mode
du groupe d’entraide centré sur une pathologie, échangent autour des difficultés quotidiennes
ou développent des actions pour faire reconnaître les problèmes qu’ils vivent. Un mouvement
s’amorce ; de plus en plus de personnes ayant été confrontées à la maladie mentale s’associent
dans une perspective d’entraide et de participation.
Fédérer des associations d’usagers
Au-delà des différences, le vécu quotidien rassemble les membres de ces associations. Vivre
avec un problème difficile à faire comprendre à l’entourage, au travail ou à l’administration,
concerne toutes les pathologies mentales. Les services de soins, l’aide sociale, les médicaments,
ainsi que la construction et la pérennisation d’activités fondées sur un groupe de bénévoles, sont
également des réalités communes.
C’est autour des ces enjeux que s’est construit Psytoyens, début 2003. En se dotant d’une
plate-forme de rencontre pour se soutenir et échanger des expériences de fonctionnement, les
associations membres étaient animées d’une double volonté:
– réfléchir ensemble au rôle et à la place des associations et favoriser l’émergence de nouvelles
initiatives
– faire entendre la vision spécifique que peuvent avoir sur les services les personnes qui les utilisent.
Dans cette perspective, l’asbl Psytoyens s’est définie comme une « concertation des usagers de
services en santé mentale ». Mais la santé mentale est un champ large, en extension permanente,
qui recouvre des réalités et des situations de vie très différentes. Le terme ‘ usagers’ également.
Précisons que nous l’entendons dans le sens de ‘personnes utilisatrices de services’ qui, à ce titre,
ont un point de vue et un savoir particulier à faire valoir. Pour nous, ce terme induit la légitimité
d’une prise de parole à propos des services dont on fait usage, et renvoie à une image plus active
de la personne.
57
AU PLUS PRÈS DES GENS
Le mot ‘usager’ a également l’avantage de dépasser le cadre de la maladie et de la médecine:
les personnes souffrant de troubles mentaux ont recours à de nombreux dispositifs d’aide et
d’accompagnement en rapport avec le logement, le travail, les revenus et la gestion financière,
la culture, les loisirs, etc. Nous souhaitons aborder la problématique de la santé mentale de manière globale, centrée sur les situations de vie, et non sur la maladie.
Une optique de participation
A partir de cela, les objectifs de Psytoyens se sont structurés autour de l’idée de participation,
que nous considérons comme la clef d’une véritable citoyenneté. Le développement de collaborations égalitaires avec les professionnels est à cet égard central. Il s’agit de promouvoir des initiatives construites ensemble, usagers et professionnels, avec une attention à l’autonomie et aux
projets de chacun.
Toutefois, assumer une collaboration égalitaire implique un choix important au niveau de la
structuration de l’association: même si des associations mixtes – usagers/professionnels – sont
membres de Psytoyens, seuls des usagers sont membres du conseil d’administration et décident
des orientations.
Pratiquement, nous avons voulu mettre l’accent sur trois niveaux de participation: personnel,
associatif et politique.
– Au niveau personnel, la participation renvoie aux moyens dont les usagers disposent pour agir
effectivement sur leur parcours de soins et sur leur santé. L’information semble à cet égard un
élément incontournable, autant sur les services de soins et l’aide sociale, que sur les troubles
et les traitements.
– Au niveau associatif, la participation implique la possibilité pour les usagers de s’impliquer
dans des activités collectives. Psytoyens souhaite ainsi promouvoir toute initiative visant soit
l’entraide entre usagers, soit la participation active à la vie d’une structure de soins, en collaboration avec des professionnels.
– Au niveau politique enfin, la participation se traduit par la reconnaissance des usagers comme
un groupe pouvant prendre part aux débats de société et peser sur les décisions politiques.
4 axes de travail
Au quotidien, Psytoyens développe plusieurs axes de travail.
– Tout d’abord, offrir un espace de rencontre et d’échange entre associations. Les réunions
mensuelles, rassemblant des représentants de ces associations, sont le cadre de débat et de
construction de points de vue communs. Psytoyens permet également de faire circuler l’information et de multiplier les occasions de rencontres entre usagers en Wallonie, en Belgique et
en Europe.
– Autour de certaines thématiques, jugées centrales par les usagers, Psytoyens met également
en place des concertations plus larges, auprès d’autres usagers que ceux qui s’investissent dans
les associations. Ainsi, dans notre travail actuel autour de l’administration provisoire de biens,
nous organisons des groupes de discussions au sein de diverses structures de soins. Ceci nous
permet d’avoir accès à l’expérience de personnes qui vivent une période plus difficile ou qui se
déplacent peu.
58
CHAPITRE 2
– Le Journal de Psytoyens, distribué dans les structures de soins en Wallonie, a pour but d’être
le reflet des activités des associations, des initiatives nouvelles en terme de participation des
usagers et également d’offrir une information accessible à tous.
– Enfin, la participation à divers groupes de travail, conseils d’avis et lieux de concertation permet à des usagers, représentants de Psytoyens, de participer à des débats autour de thématiques qui les concernent.
Conclusion
Toute jeune association, portée par les expériences particulières et souvent novatrices de ses
membres, mais fragilisée aussi par un fonctionnement essentiellement basé sur le bénévolat,
Psytoyens souhaite développer de véritables partenariats, tant avec les professionnels de la santé
qu’avec d’autres secteurs, afin de faire connaître et reconnaître le vécu des usagers et leur point
de vue sur le système de santé.
C O N TA C T S :
Psytoyens asbl, Rue Muzet 32, 5000 Namur
Tél: 081/23.50.91 & 0498/11.46.24
E-mail: [email protected]
59
Chapitre
Davantage d’implication de la famille
dans la prise en charge
:: Introduction: Impliquer (davantage) les familles dans la prise en charge de personnes présentant des troubles psychiques
Mieke Craeymeersch, Federatie Vlaamse Simileskringen
:: L’expérience Trialogue
Marie-Madeleine Georges, Marie-Aude Mauroit, Olivier Santerre, Trialogue, Charleroi
:: ‘Ouders voor Ouders’, un projet par et pour des parents de patients présentant des troubles
du comportement alimentaire
Walter Vandereycken & Ine Louwies, P.C. Kliniek Broeders Alexianen, Tienen
:: Familles en crise: plaidoyer pour plus d’implication
Dirk De Wachter, UC Sint-Jozef, Kortenberg
:: Un de vos proches s’est suicidé? L’action du Werkgroep Verder, Nabestaanden na Zelfdoding
Nico De Fauw, Werkgroep Verder
13
Impliquer (davantage) les familles dans
la prise en charge de personnes présentant
des troubles psychiques
MIEKE CRAEYMEERSCH
DIRECTEUR DE SIMILES VLAANDEREN VZW
Un nouveau défi
Les soins de santé mentale ont connu une immense évolution au cours de ces dernières décennies: ils se sont professionnalisés, des médicaments efficaces pour traiter certains symptômes
psychiatriques ont été mis au point, l’offre de soins s’est diversifiée grâce à la création de formules résidentielles telles que les habitations protégées et les maisons de soins psychiatriques.Tout
cela est remarquable en bien des points.
Mais de nouveaux défis nous attendent. Il est temps de passer à l’étape suivante de l’évolution: davantage de soins au sein de la société, ‘au plus près des gens ‘. Les soins psychiatriques
doivent se rapprocher de la personne en détresse psychique. Les familles dont un membre présente des troubles psychiques espèrent que la qualité des soins de santé mentale va continuer à
progresser ces prochaines années, le rêve ultime étant naturellement le rétablissement complet
des personnes souffrant de problèmes psychiques et psychiatriques. Mais elles espèrent aussi que
les services de soins se rapprocheront davantage des familles, plutôt que d’obliger les personnes
à se déplacer vers les soins, ce qui, dans de nombreux cas, est loin d’être évident: souvent, la personne qui a un trouble psychiatrique ne se rend pas compte qu’elle a un problème et qu’elle doit
se faire soigner. Les familles espèrent que la proximité des services au sein de la société pourra
remédier à ce problème.
Changements spectaculaires
L’évolution spectaculaire de cette dernière décennie a eu un impact considérable sur les
familles concernées par une problématique psychique. Il y a cinquante ans et plus, la famille
confiait le malade à un hôpital de l’époque, qui était en réalité un ‘asile’. L’hôpital se chargeait
de tous les soins, et le parent hospitalisé y restait des années, voire des dizaines d’années, et n’en
sortait parfois même jamais.
Grâce à l’évolution des soins de santé mentale, un tel scénario est impensable aujourd’hui.
Bon nombre de personnes consultent régulièrement un médecin ou un thérapeute, en ambulatoire, ou séjournent quelques jours ou quelques semaines à l’hôpital, ou encore fréquentent un
hôpital de jour et rentrent chez elles le soir… Il reste cependant une petite catégorie de malades
62
CHAPITRE 3
psychiques qui, vu la gravité et la permanence de leurs problèmes, auront besoin toute leur vie
d’une prise en charge résidentielle. Mais même parmi eux, nombreux sont ceux qui réussissent,
avec le soutien nécessaire, à se maintenir d’une façon ou d’une autre insérés dans la société.
La prise en charge confiée à la famille
Très logiquement, ces nouvelles formes de soins représentent un bouleversement énorme
pour la famille: la personne atteinte de troubles psychiques n’est plus hospitalisée, ou alors seulement temporairement, et vit généralement dans sa famille. Les avantages sont énormes: il n’y a
plus de rupture entre la famille et le malade, celui-ci peut continuer à tenir son rôle au sein de la
famille, reprendre rapidement des études ou un travail…
La prise en charge des personnes présentant des troubles psychiques a donc, en grande partie,
‘glissé’ de l’hôpital vers la famille. Cette famille est dès lors confrontée à un défi de taille: prendre soin d’une personne souffrant de problèmes psychiques tout en continuant à fonctionner
«normalement». C’est ici que le bât blesse: les familles sont censées fournir des soins appropriés,
mais le soutien qu’elles reçoivent est beaucoup trop limité. La famille est encore trop souvent
laissée à elle-même face au problème. Il faut que cela change.
La famille veut être impliquée dans la prise en charge
Il faudrait mettre en place des services de santé mentale qui puissent fournir des soins en
étroite collaboration avec le patient et sa famille. Ces mêmes services devraient également soutenir la famille ou les aidants non institutionnels dans les soins qu’ils prodiguent.
Les familles concernées par une personne présentant des troubles psychiques désirent être impliquées dans la prise en charge de cette dernière. Impliquer la famille est non seulement important pour ses membres, qui se sentent ainsi moins délaissés, mais aussi pour le patient, car il est
primordial que la famille comprenne son problème psychique, de manière à éviter d’éventuelles
tensions et ruptures. Pour l’intervenant professionnel, il importe que le processus thérapeutique
mis en place puisse être soutenu par la famille afin d’en augmenter les chances de succès.
La communication entre le prestataire de soins, le patient et la famille:
un must
Bien que personne ne nie les avantages d’une bonne collaboration entre le soignant, le patient et la famille, les prestataires de soins qui optent pour cette formule restent encore trop
rares. Jusqu’à présent, l’implication de la famille dans les soins se fait encore difficilement. Les
soins de santé mentale, souvent axés sur la médication, ne la prévoient pas: le colloque singulier
ou la relation médecin-patient est sacrée. Cette relation de confiance entre le thérapeute et le
patient est évidemment cruciale mais il existe de nombreuses manières d’ouvrir cette relation
dans la sérénité et le respect, et d’évoluer ainsi d’un dialogue patient-médecin à un trialogue
médecin-patient-famille. Le secret professionnel et la récente loi sur les droits des patients semblent entraver davantage la réalisation d’un tel trialogue. L’association Similes aimerait organiser
un débat serein sur ce sujet avec toutes les parties concernées afin d’arriver à des conventions
satisfaisantes en matière de communication entre intervenants, patients et famille.
63
AU PLUS PRÈS DES GENS
L’information et la formation aident les gens à rester debout
La famille veut des réponses à ses questions: que se passe-t-il? Que pouvons-nous faire? Comment s’y prendre? Que vaut-il mieux ne pas faire? Comment aborder tel ou tel problème?… Elle
a besoin d’informations claires et scientifiquement correctes sur la maladie, les symptômes, les
traitements. Ces informations sont importantes car elles permettent aux familles de réaliser qu’il
s’agit bien d’une maladie, qu’elles n’en sont pas responsables, que les soins sont nécessaires,
qu’elles ne sont pas les seules à vivre une telle situation, que les possibilités sont innombrables…
Cela les aide à retrouver une certaine maîtrise de la situation.
Les informations permettent également aux familles de mettre des mots sur ce qui se passe
pour mieux comprendre, pour mettre de l’ordre dans leurs idées et pour en parler avec d’autres.
À notre époque, tout le monde, jeunes et vieux, pauvres et riches, autochtones et allochtones,
devrait avoir accès à des informations exactes et compréhensibles sur les troubles psychiatriques.
J’estime qu’il est du devoir des familles de s’informer. Les prestataires de soins peuvent les y aider
mais d’autres instances sociales, telles que les associations socioculturelles, les écoles, le milieu
professionnel, les médias… peuvent également fournir des informations.
Des soins abordables, accessibles et adaptés
Des soins de bonne qualité doivent répondre à certaines conditions:
– ils doivent être abordables: si par exemple un des partenaires tombe malade, si les revenus
sont de ce fait diminués et s’il faut en outre payer des soins, la famille doit encore avoir les
moyens de fonctionner en tant que telle. La spirale ‘maladie/pauvreté’ joue indéniablement
aussi en cas de problèmes de santé mentale, et il doit y être mis fin.
– ils doivent être taillés sur mesure: pouvoirs publics et prestataires de soins doivent faire preuve de créativité, imaginer de nouvelles formes de soins et favoriser une grande flexibilité dans
les systèmes de soins existants.
– ils doivent être organisés en suffisance: par exemple, il existe actuellement trop peu de soins à
l’intention spécifique des enfants et des jeunes atteints de problèmes psychiques.
– les différents types de soins doivent s’harmoniser: par exemple, le vieillissement de la population a des répercussions sur les structures de soins de santé mentale, dans le sens où des malades âgés qui séjournent dans des maison de soins psychiatriques sont souvent priés de laisser
la place à des malades stabilisés plus jeunes. Or, il n’est pas toujours possible d’envoyer ces
personnes dans une maison de repos et de soins existante. Il faut donc chercher une solution
adaptée à de tels besoins.
Une attention portée à tous les domaines de la vie
En cas de problèmes de santé psychique graves ou de longue durée, les soins doivent inclure
davantage que le traitement médical et/ou thérapeutique des symptômes. Une personne ne se
limite pas à sa maladie. Les soins de santé mentale doivent davantage tenir compte des autres
domaines de la vie du patient et des besoins qui y sont liés. Logement, travail, études, relations,
loisirs… sont autant d’aspects importants dans la vie de chacun. Le problème psychique touche la
personne dans sa santé mais se répercute aussi sur son fonctionnement dans la famille, au travail,
à l’école, pendant ses loisirs. Il est important que les soins de santé mentale en tiennent compte
et tentent d’apporter une aide à ces différents niveaux. L’attention portée à diverses formes d’activation, aux rôles que joue une personne au sein de la famille (si elle a des enfants par exemple),
64
CHAPITRE 3
est indispensable pour la personne mais aussi pour l’entourage, qui considère cela comme un
véritable soutien.
Urgent: une aide à domicile en cas de crise
Bon nombre de familles expriment un besoin urgent précis: une aide à domicile au moment
où la personne qui a des problèmes psychiques est en crise. Bien souvent, les familles ne savent
pas ce qu’elles doivent ou peuvent faire dans une telle situation ; elles appellent à l’aide, mais,
mis à part le médecin traitant, personne ne vient à leur domicile pour les aider ou prendre les
mesures qui s’imposent. Le médecin traitant se sent d’ailleurs souvent tout aussi impuissant face
à une crise psychiatrique. Se rendre aux urgences n’est généralement pas possible: la personne
en crise accepte difficilement de monter en voiture. La famille n’a alors d’autre solution que
d’appeler la police qui débarque, calme la situation, et s’en retourne aussitôt, laissant la famille
seule, isolée et désemparée. Des services professionnels d’aide psychiatrique urgente à domicile
– sorte de service 100 psychiatrique – sont absolument nécessaires. Quelques initiatives ont été
créées dans notre pays, mais elles sont loin d’être suffisantes.
Au diable les stigmates et les tabous!
Une des principales ombres au tableau est le tabou tenace qui entoure les problèmes psychiques et psychiatriques. Il existe encore de nombreux préjugés à l’égard des personnes souffrant
de problèmes psychiques et de leur famille. Ces préjugés entretiennent des mécanismes d’exclusion sociale, empêchent les gens d’appeler à l’aide à temps, font que les familles se sentent à tort
coupables et honteuses, favorisent l’incompréhension… De véritables soins au sein de la société
ne seront possibles que si l’on s’attaque à cette stigmatisation et à ce tabou. Il y a du pain sur la
planche donc… pour la société.
En résumé: on ne peut amener les soins aux personnes ayant des problèmes psychiques ‘au
plus près des gens’ que si on y implique la famille chez qui vit cette personne, si on la forme,
l’informe, la soutient, la soulage, la renforce… Les soins de santé mentale doivent se rapprocher
des familles et tenir compte des besoins de toutes les personnes impliquées. La Belgique compte
déjà une série d’initiatives prometteuses allant dans ce sens.
C O N TA C T S :
Mieke Craeymeersch, Federatie van Vlaamse Simileskringen vzw.
Groeneweg 151, 3001 Heverlee
Tél: 016. 23.23.82
E-mail: [email protected]
Fédération des Associations Similes francophones asbl
rue Malibran 39, 1050 Bruxelles
Tél-Fax: 02. 644 44 04
Pour plus d’informations: www.similes.be
65
L’expérience Trialogue
MARIE-MADELEINE GEORGES, PSYCHOLOGUE
MARIE-AUDE MAUROIT, ASSISTANTE SOCIALE
OLIVIER SANTERRE, PSYCHOLOGUE
En 1998, diverses structures travaillant avec des personnes présentant des troubles psychotiques et partageant le même modèle théorique ont décidé de se réunir en association de fait
nommée initialement le ‘Réseau’, puis ‘Vincent, Anna, Théo et les autres…’ pour améliorer la
coordination et l’offre des soins qu’elles proposent. En 1999, ‘Vincent, Théo, Anna et les autres
…’ a mis en place un programme multifamilial à l’intention des proches, nommé Profamille. Une
nécessité de professionnalisation de l’organisation ainsi que de l’extension du programme s’est
alors fait sentir.
En effet, la mise en œuvre du module Profamille demandait aux organisateurs un investissement préalable important lié à l’écoute des situations des participants. De plus, suite à ce module, de nombreuses familles formulaient des demandes de suivi plus approfondi et individuel
auxquelles aucune structure existante ne pouvait répondre.
Trialogue est alors né,en novembre 2001, appuyé par la Fondation Roi Baudouin grâce aux
fonds Johnson & Johnson, et par la Région Wallonne dans le cadre d’un appel à projet du
Cabinet des Affaires Sociales. Trialogue devait en principe fonctionner une année grâce aux subsides de la Région Wallonne. Ces subsides ont été renouvelés pour une année complémentaire.
En raison du caractère incertain de la prolongation du projet d’année en année, l’équipe a constaté une tendance des services envoyeurs à ne pas solliciter un service dont la continuité n’était
pas assurée, et l’abandon de certaines familles dont les suivis étaient en cours.
En 2004, Trialogue a été reconnu comme mission spécifique subsidiée pour une période de
minimum 3 ans, par le Ministère des Affaires Sociales et de la Santé de la Région wallonne.
L’objectif de Trialogue est d’améliorer les relations entre les personnes présentant des symptômes psychotiques chroniques, leurs proches et les professionnels.
Les différents moyens dont dispose Trialogue sont:
– des interventions psychosociales monofamiliales auprès de proches d’une personne présentant
des symptômes psychotiques chroniques. Le but de ces interventions est un renforcement des
habiletés et la meilleure qualité de vie possible.
66
CHAPITRE 3
– le module Profamille, qui est un module en 9 séances proposé à un groupe multifamilial de
proches de personnes souffrant de schizophrénie. Le but de ce module est d’offrir information
et soutien afin de conscientiser les proches.
– des interventions visant à la formation, l’information, le soutien, la supervision des intervenants de formations différentes afin d’améliorer leurs relations et la qualité de leur action
avec les patients et leurs proches.
Le modèle vulnérabilité-stress est la référence théorique utilisée. Il explique la maladie par un
ensemble groupé de facteurs (vulnérabilité neuro-biologique et vulnérabilité au stress). D’une
part, la famille se sent déculpabilisée, d’autre part, elle comprend et peut mieux gérer l’évolution de la maladie.
Expérience de terrain
Les problématiques abordées sont, entre autres, le déficit d’autonomie, la violence au sein
de la famille, la gestion des émotions (honte, culpabilité…), la gestion de l’angoisse, la gestion
du quotidien, les habiletés de communication et l’application de règles parentales, la non compliance aux traitements, la recherche d’emploi, la conscience morbide, la prise de toxiques, les
problèmes liés à l’hygiène, la gestion de conflits, l’orientation, les comportements déviants, les
comportements suicidaires, le jeu pathologique, les problèmes liés à la culture d’origine,…
Lorsque la demande se présente, l’équipe peut accompagner les familles dans l’accomplissement de démarches plus administratives (administration de biens, Juge de Paix, mutuelle,…).
L’équipe peut également être un lien entre la famille et le psychiatre traitant et/ou l’équipe
soignante. Les informations circulent ainsi de façon plus adéquate ce qui rassure les proches. Les
familles se sentent ainsi déculpabilisées et comprises. Elles sont rassurées et soutenues au quotidien, et reçoivent une réponse pratique à leurs questions. Trialogue est aussi un lieu de décharge
du stress accumulé.
Nous constatons, suite à nos interventions (Profamille et suivis mono-familiaux), une meilleure
connaissance théorique de la maladie. Ceci permet à la famille de mieux scinder ce qui est dû à la
maladie et ce qui découle de la personnalité du patient présentant les symptômes psychotiques.
Ceci permet également de mieux détecter les signaux d’alarme de rechute et ainsi de pouvoir
agir au plus tôt (prévenir le psychiatre, augmenter le traitement, hospitalisation,…).
Madame J., ex-participante au module Profamille, témoigne: ‘C’était pour moi l’occasion de
partager avec d’autres personnes mes difficultés, mes souffrances, et d’avoir du soutien. Je me
sentais moins seule avec mon problème, et surtout moins coupable. Grâce aux informations
reçues, je comprends mieux la maladie de mon fils, et je réagis mieux à ses comportements
bizarres.’
Au niveau de la formation des intervenants de terrain, nous constatons également une amélioration nette des connaissances globales sur la maladie. Ceci entraîne une démystification de
celle-ci. Ces intervenants se montrent en général très satisfaits de notre intervention suite à
l’interactivité proposée, aux jeux de rôle, au partage des expériences,…
Trialogue fait partie du Centre de Santé Mentale du CPAS de Charleroi (Club Théo Van Gogh).
Le service est subsidié par le Ministère des Affaires Sociales et de la Santé de la Région Wallonne.
67
AU PLUS PRÈS DES GENS
C O N TA C T:
Trialogue:
Tél.: 071/92 55 70
E-mail: [email protected]
68
‘Ouders voor Ouders’ un projet par et pour
des parents de patients présentant des
troubles du comportement alimentaire
WALTER VANDEREYCKEN & INE LOUWIES
Des parents d’enfants présentant un trouble du comportement alimentaire (anorexie, boulimie ou problématique apparentée) avaient un jour exprimé, via la Vereniging Anorexia Nervosa en Boulimia Nervosa (VANBN), le besoin de trouver un soutien auprès d’autres parents
vivant ou ayant vécu une expérience similaire. Ce souhait a été à l’origine du projet ‘uders voor
Ouders’dont l’objectif est de former des parents à devenir des experts de terrain’capables de
soutenir d’autres parents vivant des situations similaires.
Sur les seize parents candidats au départ, neuf ont suivi toute la formation. Ils avaient tous
une fille souffrant d’un trouble du comportement alimentaire. La formation, répartie sur treize
mois, comprenait deux volets. Des cours théoriques consacrés aux troubles alimentaires, à des
méthodes pédagogiques, à l’accompagnement de groupes et à des techniques d’entretien ont
d’abord été donnés. Ensuite, les participants se sont mis concrètement au travail. Ils ont tous été
répertoriés via les canaux de la VANBN comme personnes-ressources pouvant être contactées par
téléphone. Plusieurs de ces ‘experts’ ont alors encadré des groupes de parole, tandis que d’autres
ont donné des conférences dans des écoles.
Ces activités ont été régulièrement soutenues par des réunions de supervision; les participants
pouvaient également s’adresser au coordinateur du projet par téléphone. Ils ont été invités à
compléter un questionnaire à trois moments différents du projet, questionnaire destiné à évaluer leurs connaissances en matière de troubles alimentaires et à les rectifier si nécessaire. Les
résultats de ces questionnaires ont également servi à optimaliser le contenu des cours. Une évaluation intermédiaire a permis aux participants d’échanger leurs expériences et leurs attentes. Le
coordinateur a également procédé à une évaluation permanente des objectifs d’apprentissage,
dont il a rendu compte dans les réunions de groupe.
L’objectif du projet peut être considéré comme atteint: des parents ont été formés et peuvent
désormais transmettre leur savoir à d’autres. Dans le prolongement du projet, on espère pouvoir
suivre ces experts de terrain et rectifier certains aspects en cas de nécessité. On envisage également de former de nouveaux parents volontaires pour renforcer leur capacité à s’entraider.
Ce projet inédit pourrait avoir une fonction d’exemple dans l’approche d’autres problématiques. Il témoigne également de la possibilité d’interaction entre entraide et aide professionnelle.
Pour ces raisons, il vaudrait la peine de faire connaître la méthode dans des cercles plus larges.
69
AU PLUS PRÈS DES GENS
Entre-temps, une organisation sœur francophone projette de mettre une même initiative sur
pied en Wallonie.
BIBLIOGRAPHIE:
–
L. Depestele & W. Vandereycken, Moeders met een eetstoornis: gevolgen voor hun kinderen. Psychopraxis,
2004, 6, 122-126.
–
C. Noorduin & W. Vandereycken, Anorexia nervosa: patiënt en ouders samen aan tafel in de kliniek. Kind en
Adolescent Praktijk, 2003, 1(4): 4-7.
–
W. Vandereycken & G. Noordenbos, Handboek Eetstoornissen. Utrecht: De Tijdstroom, 2002.
On trouve également des conseils pour les parents concernés sur les sites internet
–
néerlandophones: www.eetstoornis.be et www.alexianentienen.be/terberken
–
francophones: www.anorexie-boulimie.com
C O N TA C T S :
VANBN est une organisation flamande d’entraide pour les parents et l’entourage des patients présentant des
troubles du comportement alimentaire.
Adresse: Schoevaersstraat 24, 1910 Kampenhout
E-mail: [email protected]
www.anbn.be
70
Familles en crise: plaidoyer pour plus
d’implication
DIRK DE WACHTER, PSYCHIATRE, PSYCHOTHÉRAPEUTE, CHEF DE SERVICE DE L’UNITÉ
THÉRAPIE FAMILIALE ET SYSTÉMIQUE UC SINT-JOZEF, KORTENBERG, FORMATEUR EN
THÉRAPIE FAMILIALE AU CENTRE DE COMMUNICATION DE LA KULEUVEN
Les crises psychiatriques aiguës ne se limitent pour ainsi dire jamais au seul patient. Par un
mécanisme circulaire d’action et de réaction, l’entourage direct est impliqué dans un processus
similaire de détresse aiguë. Nous décrivons dans cet article quelques réactions typiques des familles et des proches lors d’une crise grave.
Sept phénomènes de crise
1. Les réactions secondaires: ce n’est pas le patient, mais le partenaire, le parent ou l’enfant
qui vient trouver l’intervenant avec une demande d’aide pressante. La crise est pour ainsi dire
mise au jour par un autre membre de la famille. Cette situation montre l’importance d’une vision
plus large de la maladie en général et de la crise en particulier: la maladie derrière le symptôme
et le malade derrière la maladie.
2. Le problème des limites: lorsque des familles en crise sont soumises à une forte pression, les
relations peuvent prendre deux directions. Soit on va vers des conflits, une prise de distance et
des ruptures irréversibles, soit on adopte une attitude surprotectrice, hyper-anxieuse et fusionnelle. Dans les deux cas, l’équilibre entre autonomie et dépendance est profondément perturbé.
3. La somatisation des sentiments: certains membres de la famille ont tendance à refouler
leurs propres sentiments, à les taire, à se montrer ‘forts’ pour épargner les autres. L’accumulation
de culpabilité, de colère et de tristesse se traduira souvent par des plaintes (somatiques) physiques. Un contexte empreint de confiance, où les différents acteurs concernés peuvent exprimer
leur vécu, permet d’éviter ces réactions. Ce type d’accueil s’avère beaucoup plus difficile s’il est
instauré tardivement car le processus de somatisation peut s’enliser rapidement et aggraver l’enfermement ou l’isolement des personnes concernées.
4. La méfiance envers le monde extérieur (et les services d’aide en particulier): les familles
en crise ont tendance à se replier sur elles-mêmes et à adopter une attitude méfiante, hostile
et même accusatrice à l’égard de l’entourage plus large. L’intervenant doit tenir compte de ce
mécanisme et tâcher d’y réagir avec calme et patience; au besoin, il devra faire lui-même une
démarche active vers l’entourage. L’affichette que l’on trouve dans les salles d’attente (‘N’hésitez
pas à téléphoner’) est largement insuffisante pour impliquer l’entourage.
71
AU PLUS PRÈS DES GENS
5. Les sentiments ambivalents à l’égard du patient sont loin d’être exceptionnels. La présence
simultanée de compassion et d’incrimination, de surprotection et de rejet, est parfois très troublante. Informés de l’éventualité de brusques revirements et de réactions contradictoires chez les
différents membres de la famille, les intervenants s’efforceront de les comprendre sans les juger
et de protéger la famille de décisions émotionnelles trop impulsives.
6. Les inversions de rôles: lors de crises, les rôles familiaux normaux peuvent se modifier sensiblement. On voit des enfants assumer des fonctions parentales et des adultes adopter des positions de dépendance. Ce mécanisme normal peut contribuer à la survie de la famille pendant
la crise. Mais s’il se maintient à long terme, il peut générer des problèmes fondamentaux et des
troubles du développement psychique chez les enfants (enfants EPPP) 1, ou perpétuer le comportement morbide chez les parents. Il est important de reconnaître la flexibilité des familles, de
stimuler leurs mécanismes de survie et d’en discuter avec elles.
7. Un profond besoin d’accueil et de soutien: tous les membres de la famille, surtout ceux qui
ne l’expriment pas, ont aussi besoin d’un accueil (d’urgence). Le fait d’être entendu, de pouvoir
raconter sa version, d’exprimer son point de vue... est considéré comme très important et influence même la volonté des familles à collaborer dans les phases ultérieures. C’est bien souvent
à cet aspect que la qualité d’un service d’aide est évaluée. Le négliger peut entraîner parmi les
membres de la famille eux-mêmes des réactions agressives, l’abus de médicaments, l’isolement
social.
Conclusion: établir les bases de la confiance
Les situations de crise ne sont pas seulement sources de douleur et de destruction. Elles
peuvent aussi mobiliser au sein des familles des forces inconnues et inutilisées jusqu’alors. Les
intervenants doivent savoir les reconnaître et les stimuler. L’implication active des membres de la
famille lors d’une crise est une occasion unique d’établir les bases d’une confiance qu’il faudra
maintenir longtemps à travers les processus complexes de la thérapie et de la guérison. C’est un
acte médical aussi indispensable que la prise de tension chez un patient cardiaque ou la pose
d’une minerve chez une personne atteinte d’un traumatisme de la nuque. Et il n’y a aucune contre-indication...
NOTE:
1. EPPP: Enfants de Parents qui ont une Problématique Psychiatrique ; voir aussi l’article de Inge Meisters dans le
chapitre ‘L’enfance, une tranche d’âge de plus en plus concernée’
C O N TA C T S :
UC Sint-Jozef, Leuvensesteenweg 517, 3070 Kortenberg
E-mail: [email protected]
72
Un de vos proches s’est suicidé?
Werkgroep Verder, Nabestaanden na
Zelfdoding
NICO DE FAUW
LIC. PSYCHOLOGUE, PRÉSIDENT DU WERKGROEP VERDER
La mission du Werkgroep Verder (ce qui signifie plus loin, ensuite) embrasse tout ce qui touche aux problèmes vécus par les personnes dont un proche s’est suicidé ; le groupe coordonne,
organise et soutient des initiatives développées par et pour ces personnes en Flandre. Les objectifs du groupe visent à sensibiliser à cette problématique, à’améliorer l’accueil de l’entourage
après un suicide, et à briser le tabou qui, dans notre société, entoure encore le deuil après un
suicide.
Pour réaliser ces objectifs, nous entreprenons des activités à l’intention de ces personnes, mais
aussi des services d’aide et autres associations qui sont en contact avec elles, ainsi que des actions
visant à sensibiliser le grand public au thème du deuil après le suicide d’un proche.
Par exemple, nous essayons d’arriver à ce que la famille et le cercle plus large des amis, - et
donc aussi la société dans son ensemble -, se sentent davantage concernés par l’accueil et le soutien des personnes qui ont vécu un suicide dans leur entourage proche. Il importe que ces personnes soient suffisamment soutenues dans leur entourage direct et puissent parler de leur vécu.
Les proches d’une personne décédée par suicide forment en effet un groupe à risque, qui peut
s’isoler, vivre un processus de deuil complexe, développer des problèmes psychosociaux et même
commettre à leur tour un suicide.
Nous voulons également démontrer que les proches d’une personne suicidée veulent et peuvent remplir un rôle actif dans la réflexion et le processus décisionnel politique en matière de
prévention du suicide.
Le groupe de travail Verder, Nabestaanden na Zelfdoding a été créé au début de l’année
2000. Il a mis en place un partenariat d’experts de terrain (les proches) et d’aidants de différents secteurs: collaborateurs de Project Zelfmoordpreventie (CGG), Similes, Trefpunt Zelfhulp,
Tele-Onthaal, Centrum ter Preventie Van Zelfmoord (CPZ), Slachtofferhulp (CAW), Eenheid voor
Zelfmoordonderzoek Universiteit Gent, ainsi que de spécialistes de terrain qui accompagnent
des groupes de parole et d’entraide pour les proches d’un suicidé. Le groupe entretient aussi
des contacts intensifs avec des organisations internationales, et est membre de l’International
Network for Suicide Survivors et de l’International Association for Suicide Prevention1.
Suite à la Vlaamse Gezondheidsconferentie over zelfdoding en depressie (2002) 2, Verder a
73
AU PLUS PRÈS DES GENS
obtenu un financement des pouvoirs publics flamands, à savoir le ministère du Bien-être, de la
Santé publique et de la Famille de la ministre Inge Vervotte. Ce subside couvre la coordination
du groupe et le soutien des groupes de parole et d’entraide pour les proches d’un suicidé en
Flandre. Il a permis d’engager un président-coordinateur et un collaborateur. Pour de nombreuses activités, nous faisons également appel à des proches-bénévoles (pour la gestion des
données, du site internet,…). Nous avons également pu compter sur le soutien financier d’autres
partenaires, Cera-Foundation, Stichting Porticus, Provincie Vlaams-Brabant, Loterie Nationale,…
pour réaliser divers projets.
Un bref aperçu de nos réalisations:
Nous fournissons une aide logistique et méthodologique aux groupes de parole et d’entraide ; des moments de formation et de supervision sont organisés à l’intention des animateurs de
ces groupes. Nous avons également rédigé et diffusé la brochure ‘De WegWijzer’ (20.000 ex.) qui
dresse l’inventaire de tous les groupes de parole et d’entraide pour les proches après un suicide.
Cette brochure a été positivement accueillie comme stratégie de prévention lors de la Conférence sur la dépression et le suicide (décembre 2002). Nous avons pu apporter pendant trois ans
une aide financière limitée à ces groupes d’entraide.
Grâce à ce soutien, le nombre de groupes est passé, depuis 2000, de 3 à 15. Des groupes spécifiques ont été créés à l’intention des adolescents et des jeunes adultes. Nous travaillons actuellement à une brochure concernant le démarrage et l’accompagnement de groupes d’entraide.
A côté de cela, nous avons mis en place dans chaque province des partenariats régionaux
entre les différents services qui assurent l’accueil des proches (par ex. entre les Centra voor
Geestelijke Gezondheidszorg et les groupes d’entraide et de parole). Ce partenariat permet de
garantir la continuité des groupes d’entraide et d’orienter les proches plus aisément vers des
thérapeutes professionnels.
En collaboration avec des proches, nous avons réalisé et diffusé un dépliant: la Charte des dix
droits des proches après un suicide, un fil conducteur destiné aux thérapeutes et à l’entourage
confrontés à de telles situations. Le dépliant comporte un talon-réponse que l’on peut renvoyer
si l’on souhaite être tenu au courant des activités du groupe de travail Verder.
Depuis 2002, nous organisons chaque année une journée de conférence et de rencontre pour
les personnes qui ont vécu le suicide d’un proche, qui rassemble environ 250 à 300 participants.
L’an passé, nous avons pour la première fois organisé un programme complémentaire spécifique
à l’intention des enseignants (‘comment aborder le suicide à l’école?’). Cette journée se compose
d’une séance plénière le matin (avec entre autres un témoignage, un exposé de la ministre,…) et
l’après-midi, la possibilité de contacts avec des personnes ayant vécu le même drame, divers ateliers, des exposés, et une promenade. Pendant toute la journée, un espace de recueillement, un
espace de parole et une cafétéria sont ouverts aux participants. En 2005 (le 19 novembre), nous
proposerons également pour la première fois des activités pour les enfants à partir de 6 ans, en
collaboration avec la section ‘enfants’ de Slachtofferhulp (Aide aux victimes).
La campagne d’affiches ‘Iemand verloren door Zelfdoding’ est une des manières d’atteindre
des proches que l’on ne peut pas contacter via les instances d’aide régulières. L’affiche a été distribuée à 10.000 exemplaires chez tous les médecins et pharmaciens flamands: elle mentionne le
groupe Verder et le site internet.
74
CHAPITRE 3
Nous avons poursuivi le même but avec la création de la pièce de théâtre éducative ‘Uit het
Leven – Over Leven en Zelfdoding’ (plus de 2.500 personnes ont déjà vu la pièce) et la réalisation
d’un spot radio qu’on a pu entendre en mars 2005 sur Radio 2 et Donna et qui a suscité énormément de réactions positives, de même qu’un pic dans le nombre de visiteurs de notre site. Le spot
radio 3 est l’œuvre du groupe Verder, en collaboration avec des proches (entre autres l’acteur Pol
Goossen), la maison de production La Vita e Media, et le soutien du ministre du Bien-être, de la
Santé publique et de la Famille.
Notre site internet (www.zelfdoding.be / www.werkgroepverder.be ) constitue par ailleurs
un instrument essentiel, non seulement pour annoncer nos actions et diffuser des informations,
mais aussi parce que des proches peuvent entrer mutuellement en contact via le site. Cela peut
se faire anonymement et via e-mail, ce qui pour beaucoup de gens en favorise l’accessibilité.
Nous tenons également à encourager les médias à couvrir de manière positive et respectueuse
les questions relatives au suicide et à la douleur des proches d’un suicidé. Nous avons mis au
point des directives à cet effet et disposons d’un ‘listing de presse’ avec des personnes disposées
à témoigner.
En novembre 2004, durant notre Dag van de Nabestaanden (Journée des Proches), nous avons
décerné pour la première fois notre Prix des médias, qui récompense une communication réfléchie et constructive sur le thème du suicide et du deuil des proches. La première lauréate était
Veerle Beel, journaliste du Standaard, qui a été sélectionnée pour son interview, en mars 2004,
de Sara Van Boxstael à propos du suicide de son frère.
Enfin, le groupe de travail Verder tente également de renforcer les compétences des intermédiaires, autrement dit de donner des conférences et des formations sur le thème du suicide et du
deuil des proches après un suicide. Nous accordons aussi de l’attention aux thérapeutes qui ont
perdu un client/patient par suicide, nous nous intéressons aux problèmes financiers et juridiques
(entre autres après des suicides impliquant un train) et nous sommes partenaires de l’asbl Kom
op Voor Geluk vzw, au sein de laquelle nous oeuvrons notamment à une participation accrue de
la famille dans les soins aux patients 4.
NOTES:
1. www.iasp.info
2. www.gezondheidsconferentie.be
3. le spot radio peut être écouté sur le site internet de Werkgroep Verder: www.werkgroepverder.be
4. www.komopvoorgeluk.be
C O N TA C T S :
Werkgroep Verder p/a CGG PassAnt vzw
Beertsestraat 21 - 1500 Halle
Tél: 02 361 21 28 - Fax: 02 361 77 17
E-mail: [email protected]
www.werkgroepverder.be
75
Chapitre
L’enfance, une tranche d’âge de plus en plus
concernée
:: Introduction: Un besoin croissant en soins de santé mentale pour les enfants
Frank De Fever, VUB
:: Les lieux de rencontre jeunes enfants – parents
Cathy Caulier, Le Gazouillis, St Gilles
:: Soutien et accompagnement d’enfants de parents ayant des problèmes psychiatriques et/ou
de dépendance
Inge Meisters, projet KOPP-telefoon Limburg
:: Fa-Mi-Liens, une expérience de travail en réseau autour des familles marquées par les difficultés psychiatriques d’un parent.
Béatrice Stockebrand, Centre de Guidance Provincial de Namur.
Caroline de Beauffort, Magali Ramlot, Poupée Borreman, Hôpital Psychiatrique du Beau
Vallon, Saint-Servais.
Anne Charue, Aide et soins à Domicile, Namur
:: Les Goélands à Spy, une pédopsychiatrie au sein d’un hôpital dans le village
Francis Turine, les Goélands, Spy
:: Le travail de deuil
Claire Vanden Abeele, vzw De Verbinding
14
Un besoin croissant en soins de santé
mentale pour les enfants
PROF. DR. FRANK DE FEVER
ORTHOPSYCHOLOGIE, VUB
Depuis sa création en 1997, l’Opvoedingstelefoon (www.opvoedingstelefoon.be) répond chaque
année à des centaines de questions portant la plupart du temps sur les problèmes comportementaux des enfants et sur la façon d’y réagir. Des questions sur l’hyperactivité, les accès de colère, les
refus d’obéir, les comportements récalcitrants et agressifs, les comportements socialement inadaptés
ou indésirables.
En règle générale, les parents/éducateurs ont les meilleures intentions du monde: ils veulent
voir leurs enfants s’épanouir en adultes sains et heureux. Ils les protègent des catastrophes et des
dangers. Presque tous les magazines proposent des rubriques sur la manière d’éduquer les ‘enfants
à problèmes’, ou y consacrent régulièrement des articles. Les livres sur l’éducation et les difficultés
qu’elle pose figurent régulièrement parmi les meilleures ventes. Les enfants sont au centre de toutes les préoccupations.
Ceux qui les éduquent doutent pourtant de leurs compétences. L’incertitude éducative fait partie
intégrante de la parentalité contemporaine. Doivent-ils punir ou récompenser davantage? Doiventils être plus exigeants ou plus indulgents? Doivent-ils mettre plus de limites, ou le contraire? Et
comment s’y prendre pour mettre des limites? Parfois, les éducateurs ne voient plus de solution ni
de perspective. L’éducation est dans une impasse et devient problématique. Tant les éducateurs que
l’enfant en souffrent.
Situation pédagogique problématique (SPP)
Eduquer n’est pas simple. Il s’agit de mettre en place un équilibre entre ce que demande l’enfant (la demande éducative) et ce que l’éducateur offre (l’offre éducative). Le problème, c’est que
l’enfant ne pose pas la question littéralement. Le nouveau-né ne lève pas le doigt en demandant:
‘Maman, j’ai soif. Donne-moi du lait.’ Il se met à pleurer et la mère n’a qu’à le comprendre. L’enfant
de six ans qui se montre agressif ne dit pas: ‘Papa, je pense que j’ai une dépression et c’est pour cela
que je suis si méchant. Aide-moi à vaincre cette dépression.’ Papa doit voir lui-même que le comportement agressif de son fils est l’expression d’une dépression et y adapter son offre. Heureusement,
les parents/éducateurs réussissent généralement à comprendre la demande éducative de manière
adéquate et à y adapter leur offre de façon équilibrée. S’ils n’y parviennent pas, une situation pédagogique problématique (SPP) peut survenir.
78
CHAPITRE 4
Une telle situation peut découler de différents facteurs. Lorsque l’enfant a un trouble psychique,
souvent le parent/éducateur ne voit pas d’issue. Il ne comprend pas ce qui se passe, pourquoi l’enfant se comporte de manière si anxieuse, étrange, difficile ou dérangeante, et il ne sait pas comment réagir au mieux. Après des essais et erreurs, il constate que le problème ne fait qu’empirer.
Finalement, il doit faire appel à des professionnels qui peuvent vérifier si l’enfant est souffrant, dire
ce qui ne va pas (diagnostic) et discuter avec l’éducateur des meilleurs moyens d’adapter son offre.
On estime qu’environ 10% des enfants présentent un trouble psychique entre la naissance et
l’âge de dix-huit ans, les garçons trois à quatre fois plus que les filles. Ces dernières décennies, ce
nombre a augmenté pour les deux sexes. Les troubles les plus fréquents sont les troubles anxieux (3
à 6% des enfants et des jeunes), les troubles déficitaires de l’attention (3-5%), les troubles de l’humeur, dont la dépression et les troubles bipolaires (3-6%), et les troubles du comportement, dont
les troubles oppositionnels et les comportements antisociaux (2-9%). Parmi les troubles psychiques
moins fréquents, il y a entre autres: l’autisme, les tics, les troubles du comportement alimentaire,
les troubles de la propreté, les troubles de l’attachement, les troubles liés à des substances (médicaments, alcool ou autres drogues), les troubles psychotiques tels que la schizophrénie, les troubles
somatoformes, les troubles sexuels, les troubles du sommeil, les troubles de l’adaptation.
Il ressort de nombreuses études scientifiques que l’avenir des enfants qui présentent un trouble
psychique n’est pas rose si ce trouble n’est pas identifié et traité en temps utile, et si l’offre pédagogique n’y est pas adaptée de manière adéquate. Les enfants qui présentent un trouble et qui ne
sont pas aidés peuvent devenir des adultes criminels, alcooliques ou toxicomanes, ou suicidaires.
Ainsi, par exemple, plus de 80 à 90% des enfants dépressifs qui ne reçoivent pas une éducation appropriée et qui ne sont pas soignés souffrent à l’âge adulte d’un trouble psychique grave.15 à 20%
d’entre eux se suicident. Plus de 30% des enfants présentant un trouble du comportement sont
condamnés pour violence à l’âge adulte.
Une situation pédagogique problématique peut également survenir en raison de problèmes chez
les éducateurs. Si ceux-ci ne comprennent pas ou comprennent mal la demande éducative, apparaît
une discordance entre l’offre et la demande. L’enfant ne peut alors s’épanouir et développe un
comportement problématique. Si un parent donne beaucoup d’amour et de chaleur à un enfant
autiste, qui semble vivre sous une cloche de verre et qui se ferme au monde extérieur, celui-ci se
retirera encore davantage. En effet, ce parent a mal compris la demande éducative. Cet enfant a
besoin, pour pouvoir se développer, d’une relation (d’objet) impersonnelle et non d’amour et de
chaleur. Un climat chaleureux effraye cet enfant.
Il se peut que l’éducateur ne soit pas à même de comprendre la demande éducative. C’est le cas
lorsqu’il est atteint lui-même d’un trouble psychique comme la schizophrénie. Ou alors il comprend
correctement la demande, mais n’est pas en mesure d’apporter l’offre adéquate. Un parent qui
souffre lui-même de dépression comprend peut-être la demande de son enfant dépressif, mais n’est
généralement pas capable de lui donner l’amour et la chaleur qu’il réclame. De même, un enseignant qui affronte de graves problèmes de couple ou d’ordre financier n’est peut-être pas à même
d’offrir suffisamment de structure à un enfant atteint d’un trouble déficitaire de l’attention (hyperactivité).
Il est possible aussi que l’éducateur ne soit pas disposé à comprendre la demande. Pensez au parent qui abuse (sexuellement) de son enfant ou qui le maltraite afin de satisfaire son propre besoin
de pouvoir sur un autre être. Les envies et les désirs de l’enfant lui sont indifférents.
Dans tous ces cas, on est en présence d’une situation pédagogique problématique. Les personnes
79
AU PLUS PRÈS DES GENS
concernées (parents/éducateurs et/ou enfant) ne voient plus d’issue, le développement de l’enfant
est compromis et on a besoin de l’accompagnement de professionnels. Ceux-ci peuvent détecter le
trouble de l’enfant et aider à préciser l’approche. Ils peuvent aider le parent / éducateur à comprendre correctement la demande. Ils peuvent le former à offrir l’éducation adéquate. Ils peuvent traiter
le parent qui souffre lui-même d’un trouble ou qui abuse de son enfant ou le maltraite, ou ils peuvent (faire) prendre une mesure qui protège l’enfant. En d’autres termes, le parent et/ou l’enfant
ont besoin de soins de santé mentale.
Soins de santé mentale
Dans l’ensemble des soins de santé, l’aide aux enfants est relativement récente (seconde moitié
du siècle dernier) comparée à d’autres secteurs comme l’aide aux handicapés, l’aide à la jeunesse
et l’enseignement. Contrairement à ces autres secteurs, les dispositifs de soins de santé mentale ne
s’adressent pas exclusivement aux enfants. Tant les enfants, les adolescents, les adultes que les personnes âgées y sont accueillis. L’objectif est d’améliorer la santé mentale de ceux qui y font appel.
Il y a trois sortes de dispositifs, à savoir les Centres de Santé Mentale (CSM), les services pédopsychiatriques (services K), et les Centres de Revalidation Fonctionnelle (CRF).
Les Centres de Santé mentale existent sous leur forme actuelle depuis 1975. Il s’agit essentiellement de dispositifs de deuxième ligne. Ils se situent entre les services de première ligne davantage
orientés sur la prévention (comme les Centres d’Aide aux Personnes, les services de consultation de
Kind & Gezin - équivalent flamand de l’ONE) et les structures résidentielles de la troisième ligne
(comme les services pédopsychiatriques, les structures de l’Aide à la Jeunesse). Ils offrent des soins
ambulatoires multidisciplinaires à des personnes présentant des problèmes de santé mentale graves
ou chroniques. Ils offrent aussi prévention et aide en cas de maltraitance d’enfants, accompagnement aux toxicomanes, accompagnement et traitement des délinquants sexuels et prévention du
suicide. Les équipes sont composées de psychiatres, de psychologues cliniques et d’assistants sociaux.
On y trouve très peu d’orthopédagogues.
Les études montrent que l’on y traite surtout les enfants présentant des troubles tels que troubles déficitaires de l’attention, troubles anxieux, troubles du comportement, troubles du comportement alimentaire, tics, troubles de l’apprentissage et de la communication.
Les CSM sont confrontés à de longues listes d’attente et ce sont surtout les clients socialement
défavorisés qui en font les frais. Pour eux, les CSM sont difficilement accessibles.
Les Services pédopsychiatriques (Services K) ont une triple mission, à savoir l’accueil de crise,
l’observation et le traitement de jeunes patients. Ils peuvent fournir des soins de nuit et/ou de
jour. Les enfants sont accueillis dans de petites unités (groupes de vie) de six à dix personnes. Les
services K fonctionnent de manière pluridisciplinaire. Ils sont dirigés par un médecin spécialiste en
neuropsychiatrie (avec spécialisation en pédopsychiatrie). L’équipe comporte aussi des psychologues
cliniciens, des orthopédagogues, des travailleurs sociaux et du personnel soignant (éducateurs, infirmiers, ergothérapeutes). Lorsque l’enfant est admis, il suit une période d’observation d’environ six
semaines, avec une exploration diagnostique élaborée de l’enfant et de son entourage. Cette période se clôture par la rédaction d’un plan d’action. Débute alors la phase de traitement. La plupart
des services K offrent un éventail de stratégies thérapeutiques, entre autres des approches orthopédagogiques, des thérapies comportementales et cognitives, des thérapies psychodynamiques,
80
CHAPITRE 4
des traitements médicamenteux, des thérapies familiales. La problématique est généralement très
sérieuse. Ici aussi, les listes d’attente sont très longues, d’au moins six mois.
Les Centres de Revalidation Fonctionnelle (CRF) comportent des centres ORL (pour la revalidation
de l’ouïe et de la parole) et des centres PSY (pour la revalidation d’enfants qui ont un handicap
mental ou psychique). Leur objectif est de diagnostiquer et de traiter les troubles et leurs conséquences sur le fonctionnement global de la personne, et d’accompagner l’entourage de manière à
ce que celui-ci puisse répondre de manière optimale aux besoins de l’enfant concerné. Les parents/
éducateurs peuvent s’adresser directement à ces centres. Le plus souvent, cependant, ils se retrouvent dans un CRF après avoir été réorientés à partir de la première ou de la deuxième ligne (pédiatre, centre PMS, Centre pour troubles du développement, etc.)
Les CRF sont des structures ambulatoires, hautement spécialisées, qui fonctionnent de manière
multidisciplinaire. Les équipes comportent en général des médecins, des psychologues ou des orthopédagogues, des travailleurs sociaux, des kinésithérapeutes, des logopèdes et des ergothérapeutes.
Par la revalidation, on veut arriver à ce que les enfants qui présentent un trouble puissent rester le
plus longtemps possible dans leur environnement naturel (la famille, l’école ordinaire). C’est pourquoi ces centres collaborent étroitement avec d’autres dispositifs du secteur de la santé, du bienêtre et de l’enseignement (services d’accompagnement à domicile, PMS, CSM, etc.). Ils sont eux aussi
confrontés à de longues listes d’attente.
A la recherche de nouvelles causes
Ces dernières décennies, les situations éducatives problématiques et les enfants présentant des
troubles psychiques semblent se multiplier. Plusieurs raisons sont invoquées. La société stressante
en est une. Une société où la vitesse joue un rôle de plus en plus important. Les camionneurs sont
au volant des heures durant pour pouvoir livrer les marchandises ‘just in time’. Dans les entreprises,
les travailleurs sont engagés dans une véritable course contre la montre. Les employés de moins en
moins nombreux doivent supporter une charge de travail de plus en plus importante. Les ordinateurs évoluent tellement vite qu’il est pour ainsi dire impossible de suivre le mouvement. Tout cela
pèse lourdement sur les familles. Les parents sont stressés, et ce stress se répercute sur les enfants.
Les enfants aussi doivent prester toujours davantage à l’école. Il faut à tout prix prester, produire, rivaliser et monter en grade. La prospérité semble plus importante que le bien-être. Certains parents
souhaitent que l’on donne déjà des devoirs à l’école maternelle! Les chercheurs appellent cela le
virage à droite de l’enseignement. Dans ces conditions, les enfants n’ont plus qu’à essayer de maintenir la tête hors de l’eau. Certains ne peuvent supporter le stress et la pression de la performance,
et adoptent dès lors un comportement problématique.
Une deuxième raison résiderait dans le fait que les parents actuels sont plus ambivalents et hypocrites que leurs prédécesseurs. Ils sont plus ambigus dans leur attitude vis-à-vis des enfants. D’une
part, ils semblent très préoccupés par leurs enfants (Ellen Key a appelé le vingtième siècle, le siècle
de l’enfant) mais d’autre part, les jeunes adultes d’aujourd’hui semblent de plus en plus réticents à
éduquer des enfants; on observe chez eux une nette tendance à postposer une éventuelle grossesse.
On conçoit moins d’enfants, et ceux-ci sont souvent confiés aux soins de tiers. Le besoin d’épanouissement personnel est souvent invoqué comme motif pour ne pas désirer d’enfants ou ne pas vouloir
les élever soi-même. Cette attitude ambivalente, hypocrite et ambiguë vis-à-vis des enfants serait,
d’après certains chercheurs, la cause du nombre croissant de problèmes comportementaux.
Une troisième raison possible est que l’individu doit quasiment tout assumer seul. Avant, l’hom-
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AU PLUS PRÈS DES GENS
me vivait dans un contexte familial. Dans un village, tous les villageois se connaissaient et s’entraidaient. Il y avait un fort sentiment d’appartenance collective. Aujourd’hui, c’est devenu chacun
pour soi. Le réseau social a largement disparu. La famille vit de plus en plus isolée. Avant, le village
élevait l’enfant ; aujourd’hui cette tâche repose souvent sur un seul parent. L’homme vit dans un
environnement hostile, où l’un semble parfois un loup pour l’autre. Il suffit de prendre le volant
pour s’en rendre compte. L’agressivité fait rage dans le trafic. La peur et le sentiment d’insécurité
augmentent. D’après certains auteurs, nous vivons dans une société impossible, une société dépressogène. Il n’est donc pas étonnant que les situations pédagogiques problématiques et les troubles
psychiques chez les enfants augmentent.
Traiter ou éduquer
Plus vite on détecte, diagnostique et traite les problèmes, plus les chances de succès sont grandes. De nombreuses études montrent que l’aide est d’autant plus efficace que la personne est
jeune. Le pronostic est plus favorable chez les enfants que chez les adultes. Cela entraîne aussi des
économies. Economies financières et économies d’années de vie. L’économiste de la santé Lieven
Annemans a calculé que l’application du programme d’assistance Fast Track chez les enfants présentant un risque de comportement problématique entraînerait dans notre pays une économie de
220.830 euros par an. Il y aurait également dix tentatives de suicide en moins et l’on gagnerait 55
années de vie par an.
Malheureusement, rares sont les programmes d’aide pour enfants qui résistent à la critique
scientifique. Ils donnent très rarement un résultat mesurable dans des études bien contrôlées. Pour
les enfants qui présentent une dépression, par exemple, nous n’avons trouvé pour les programmes
d’aide existants aucune étude d’impact qui réponde à des critères probants. En d’autres termes, il y
a un grand besoin d’études scientifiques solides, fiables.
Lorsqu’il s’agit de venir en aide aux enfants, on songe souvent en premier lieu à un traitement.
L’enfant doit être traité. La question est de savoir si le traitement est bien le bon mot clé pour
cette population. Il vaudrait mieux utiliser l’éducation comme notion de base. La qualité de l’aide
professionnelle devrait être évaluée en fonction du savoir ‘comment éduquer’. L’éducation est essentielle pour l’homme. L’enfant ne peut s’épanouir sans une éducation qui réponde à sa demande
éducative. Le traitement a sa place, mais n’est certainement pas primordial. Les études démontrent
d’ailleurs de manière convaincante que l’impact de l’aide est clairement meilleur si l’on veille à ce
que les éducateurs adaptent l’offre aux besoins spécifiques de l’enfant. Les enfants qui sont traités,
mais pour qui on n’accorde pas d’attention à l’aspect éducatif, rechutent généralement. Pas moins
de 80% des enfants traités pour une dépression récidivent dans ce cas. Les dispositifs des soins de
santé mentale devraient certainement y être plus attentifs, et donc traiter moins et se concentrer
davantage sur l’éducation.
L’éducation se fait le mieux dans l’environnement naturel de l’enfant, c’est-à-dire dans la famille
et à l’école. Dans bien des services actuels, on se borne à donner de vagues conseils sur la manière
dont l’éducation doit se faire. C’est en général insuffisant. Le spécialiste doit simuler la situation pédagogique, et en discuter ensuite avec les parents/éducateurs. Leur faire reproduire la même chose,
en les coachant. Proposer des adaptations en fonction de leurs possibilités. Discuter à nouveau, ajuster etc. jusqu’à ce que les parents/éducateurs puissent continuer seuls. L’assistance pédagogique à
domicile et à l’école, l’entraînement à la maison, la prise en charge de l’enfant dans sa famille sont,
en d’autres termes, bien plus nécessaires que le traitement dans un cabinet de thérapeute.
82
CHAPITRE 4
Encore quelques pierres d’achoppement
A la fin du siècle dernier, plusieurs pierres d’achoppement ont été mises en lumière. L’aide aux
enfants et aux jeunes s’avère être un écheveau opaque dans lequel il est très difficile de s’y retrouver. Les parents d’un enfant qui a un léger handicap mental et des problèmes de comportement
doivent-ils s’adresser aux services pour handicapés, à l’aide spéciale à la jeunesse ou aux soins de
santé mentale? Dans les établissements communautaires fermés, on n’est pas outillé pour traiter
les problèmes psychiatriques, et les services psychiatriques ne sont pas équipés pour traiter la délinquance. A qui peuvent faire appel les parents d’un enfant délinquant qui présente aussi une problématique psychiatrique?
Les listes d’attente sont trop longues, raison pour laquelle une aide rapide et efficace doit souvent être reportée, ce qui entraîne une escalade des problèmes.
En raison d’une réglementation stricte et d’une division rigide en divers secteurs, l’aide est insuffisamment adaptée aux besoins individuels du client.
En 2000, on a dès lors entrepris de développer une Aide Intégrale à la Jeunesse permettant d’apporter de l’aide sur base des besoins spécifiques de manière globale, cohérente et transparente.
Les cloisons entre aide aux personnes, Kind & Gezin (équivalent flamand de l’ONE), soins de santé
mentale, aide spéciale à la jeunesse, soins aux handicapés et enseignement doivent disparaître. Une
collaboration intense doit voir le jour. L’aide intégrale à la jeunesse se trouve encore en phase de
développement. Sa réalisation concrète ne dépend pas seulement de réglementations et de mesures
organisationnelles. Elle implique aussi un changement de mentalité chez les professionnels. Ils doivent être disposés à travailler en fonction de la demande, à collaborer avec d’autres secteurs, à supprimer les clivages, à offrir de l’aide sur mesure, à laisser les clients participer au processus politique.
En résumé, des situations pédagogiques problématiques et des problèmes psychiques chez les enfants semblent se produire de plus en plus souvent; le besoin de soins de santé mentale accessibles
ne fait donc que croître pour ce groupe cible. Ces soins doivent être élaborés d’urgence de manière
à rencontrer adéquatement la demande, en premier lieu en raccourcissant les listes d’attente.
BIBLIOGRAPHIE
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Colton, M., Hellinckx, W., Ghesquière, P. & Williams, M. (1995) The Art and Science of Child Care. Aldershot: Arena.
De Fever, F., Hellinckx, W. en Grietens, H. (2001) Handboek jeugdhulpverlening. Een orthopedagogisch perspectief.
Leuven: Acco.
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Hellinckx, W. (1998) Pedagogische thuishulp in problematische opvoedingssituaties. Leuven: Garant.
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Kauffman, J.M. ((2005) Characteristics of Emotional and Behavioral Disorders of Children and Youth. New Jersey:
Merrill Prentice Hall.
–
Van Hecke. M. (red.) (2003) Preventie van depressie en zelfmoord. Verslagboek Gezondheidsconferentie. Brussel:
Ministerie van de Vlaamse Gemeenschap.
C O N TA C T S :
Prof. Frank De Fever, Vrije Universiteit Brussel, Vakgroep Orthopsychologie, 1050 Brussel
Tél: 02 629 26 28
E-mail: [email protected]
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Les lieux de rencontre jeunes enfants –
parents
CATHY CAULIER
LE GAZOUILLIS, ST GILLES
Quatre lieux de rencontre enfants – parents, reconnus par la Commission Communautaire
Française, existent dans la région bruxelloise: la Maison ouverte, le Gazouillis, les P’tits pas, la
Marelle. D’autres lieux se sont ouverts depuis une dizaine d’années dans d’autres régions en
Belgique.
Ces lieux s’adressent aux enfants de la naissance au jour anniversaire de leurs 4 ans, accompagnés d’un adulte qui leur est proche. Ce sont des lieux de loisirs, de détente et d’échanges, où
pères, mères, grands-parents, gardiennes peuvent passer un moment, quelques heures, autant
de fois qu’ils le souhaitent, avec ces enfants qui les accompagnent et parfois les préoccupent. Les
femmes enceintes et leur compagnon sont aussi les bienvenus.
L’objectif de ces lieux jeunes enfants-parents est de favoriser la socialisation précoce, en
permettant à l’enfant de faire ses premières expériences de rencontre avec d’autres enfants,
d’autres adultes, grâce à la présence sécurisante d’un de ses parents. Ils s’inscrivent dans un objectif de prévention. Ils se sont créés sur base:
– d’une réflexion venant de la pratique de travailleurs de services de santé mentale, qui rencontrent dans leurs consultations des enfants, adolescents, et adultes dans une souffrance telle
qu’elle s’est traduite en symptôme et a demandé un temps de travail thérapeutique. Pour un
certain nombre de ces consultants, ces difficultés auraient peut-être pu être évitées, et la relation enfants-parents modifiée, si elles avaient pu être prises en compte au moment où elles se
nouaient, dans les premières années de la vie.
– d’une réflexion à partir d’écrits de Françoise Dolto, psychanalyste française, et de son expérience ainsi que celle de son équipe, à la Maison Verte à Paris.
Ces réflexions insistent sur l’importance à accorder à la relation précoce enfants-parents: il
s’agit pour l’enfant d’un temps de construction physique et psychique, et comme pour ses parents, d’un temps d’apprentissage de la séparation. Dès sa naissance, l’enfant s’inscrit dans une
histoire familiale; sa famille et lui vont tisser des liens fondamentaux. Parallèlement, l’enfant
crée sa place dans le monde qu’il découvre: il rencontre des personnes nouvelles qui le sollicitent;
il prend des risques qu’il devra confronter à ses possibilités. Il apprend à se séparer des ses parents: processus incontournable pour son devenir.
On ne se construit pas tout seul mais dans le lien à l’autre, aux autres. Pour se construire,
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CHAPITRE 4
chacun a besoin de témoins qui le reconnaissent. Notre identité se forge au carrefour de nos
différentes appartenances. De nombreuses familles sont aujourd’hui isolées, en rupture d’appartenance. Dans certains cas, la famille élargie est absente, certains parents n’ont pas d’inscription professionnelle, peu d’amis. Nous rencontrons de plus en plus de familles qui sont venues
à Bruxelles parce que le père a rejoint une société en Belgique, pour une durée déterminée ou
non. Certaines mères qui fréquentent les lieux de rencontre enfants-parents, expriment le bouleversement lié à cette situation: rupture avec leur pays d’origine, leur famille et amis, leur travail
et aussi la solitude dans un pays qu’elles ne connaissent pas.
Certaines mères se retrouvent ainsi dans des tête-à-tête avec leur bébé, tête-à-tête qui peuvent devenir lourds et source de difficultés. Par ailleurs, les jeunes parents sont parfois très
angoissés par l’arrivée d’un bébé, s’inquiètent d’être considérés comme incompétents. Les lieux
de rencontre enfants-parents offrent à l’enfant et au parent, la possibilité de créer des liens.
Cette ouverture aux autres est une ressource pour grandir ; elle se fait pour l’enfant, dans la
sécurité de la présence du parent.
Les lieux de rencontre s’adressent à tout un chacun qui, dans ses particularités et ses différences, désire franchir le seuil de cette maison, pour le temps de détente ou de rencontre qu’il souhaite, aussi souvent qu’il le souhaite, sans rendez-vous et sans trace administrative. A son arrivée,
l’enfant est inscrit par son prénom sur un tableau ; la maison, ses accueillants et ses participants
lui sont présentés.
Les locaux sont aménagés en fonction des désirs d’exploration, de l’audace motrice propre
à chaque âge. Des coins tranquilles permettent aux nourrissons d’y faire leurs découvertes, aux
grands d’y trouver refuge, et aux parents de se détendre. L’enfant y reste en présence d’un proche auquel les accueillants font référence. L’enfant est toujours assuré que la personne qui l’accompagne ne quittera pas le lieu sans lui.
Le plus souvent, les parents poussent la porte pour la première fois grâce au bouche à oreille
de la famille, des amis, des voisins. Les envoyeurs sont aussi les travailleurs de l’ONE, de services
sociaux, de santé mentale, des médecins, des pédiatres, tous ceux qui connaissent et accompagnent des petits enfants et des nourrissons, et soutiennent la parole des enfants comme leurs
ressources. Chaque lieu de rencontre a son équipe d’accueillants professionnels, attentifs à l’expérience de la parole. Ils sont présents à deux, différents chaque jour de la semaine. Selon leurs
différences, leurs disponibilités, ils tentent d’être présents à chacun, dans un esprit d’accueil qui a
ses particularités.
C’est dans ce qui va se vivre là, dans les relations entre enfants, entre adultes et enfants que
peuvent s’ébaucher d’autres manières de se connaître, que se découvrent des façons nouvelles
d’être entre parents et enfants, que s’élaborent pour chacun des solutions aux questions soulevées.
Les accueillants ne sont pas là pour répondre selon un savoir ou des normes, pour apporter
des conseils ou une aide pédagogique. Ils sont là pour parler avec l’enfant et ses parents de ce
qui est en jeu dans les questions qui les occupent. Ils s’adressent à ce bébé ou à cet enfant, pour
que ce qui le concerne ait un sens pour lui: dans le dire de ses parents, dans le comportement
d’un autre enfant à son égard, dans l’interpellation d’un adulte qui vient rappeler les règles de
la maison et le respect de l’autre. Les accueillants sont là pour « faire en sorte que l’enfant ait la
société à la bonne », comme le disait Françoise Dolto, inspiratrice de ces lieux.
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AU PLUS PRÈS DES GENS
En permettant que la parole circule et en organisant ainsi ces lieux, ce qui importe c’est que l’enfant se repère dans sa similitude et sa différence, comme ayant ses besoins, ses désirs propres, sa
marque singulière, comme pouvant faire, à son rythme, le chemin vers l’autonomie.
NOTE:
Ce texte est largement inspiré de la plaquette éditée par la Cocof et intitulée ‘Des lieux de rencontre enfants
– parents’. Celle-ci détaille le projet de chacune des 4 maisons bruxelloises.
C O N TA C T S :
- La Maison Ouverte: Av. G. Henri, 251 bis, 1200 Bruxelles, Tél.: 02.770 52 60
- Le Gazouillis: Place Morichar, 22, 1060 Bruxelles, Tél.: 02.344 32 93
- Les P’tits Pas: Venelle aux Jeux, 23, 1150 Bruxelles, Tél.: 02.779 97 27
- La Marelle: rue F. Mus, 47, 1080 Bruxelles, Tél.: 02.424 25 05
Fondation Dolto: www.fondationfdolto.be
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CHAPITRE 4
KOPP-telefoon Limburg: Soutien et
accompagnement d’enfants de parents
ayant des problèmes psychiatriques et/ou
de dépendance.
INGE MEISTERS,
PSYCHOLOGUE POUR ENFANTS, RESPONSABLE DU PROJET KOPP-TELEFOON LIMBURG
KOPP-telefoon1 Limburg est né d’un besoin détecté par les deux partenaires du projet, Similes
Limburg et le Psychiatrisch Centrum Ziekeren à Saint-Trond. Similes, l’association pour patients,
familles et amis de personnes souffrant de troubles psychiatriques, s’efforce depuis plusieurs
années déjà de mettre au point une approche préventive permettant d’accueillir et de soutenir
les « Enfants de Parents ayant des Problèmes Psychiatriques » (désignés par le sigle EPPP). Similes
a déjà organisé des groupes de parole pour des EPPP adultes. Cette expérience a montré que
les EPPP éprouvent un énorme besoin d’être accueillis et soutenus, et ce dès leur plus jeune âge.
Beaucoup de ces enfants ont ainsi accumulé des questions restées sans réponse, car ils ne savaient pas à qui s’adresser pour se confier. Diverses études scientifiques ont par ailleurs démontré
qu’à plus long terme, ces enfants particulièrement vulnérables courent un risque accru de développer eux-mêmes des problèmes psychiques, ce qui n’a fait qu’accroître la préoccupation de
Similes: il fallait entreprendre quelque chose pour ces jeunes EPPP.
Cette même préoccupation a grandi au sein du Psychiatrisch Centrum Ziekeren, ce qui explique que rapidement, les chemins de ces deux partenaires se sont croisés. Lors du 25ème anniversaire de la section Similes Ziekeren à Saint-Trond, Similes Limburg et le Psychiatrisch Centrum
Ziekeren ont exprimé le souhait de démarrer un projet axé sur les jeunes EPPP. C’est ainsi qu’un
partenariat a vu le jour, avec pour objectif de mettre en place une offre répondant à la demande
de ce groupe cible: le projet « KOPP-telefoon Limburg » était né.
Comme il s’agissait d’un projet pilote, nous avons dû démarrer avec des moyens restreints. Un
important soutien financier nous a été apporté par le Fonds Jan Thoelen, un fonds créé par des
dons lors de la mise à la retraite de l’ex-directeur du Psychiatrisch Centrum Ziekeren, Monsieur
Jan Thoelen. Ce dernier souhaitait offrir l’argent ainsi collecté à un projet novateur en matière
de soins de santé. Nous pouvons aussi compter régulièrement sur des donateurs favorables à
notre initiative. Récemment, nous avons pu bénéficier d’un subside provincial unique. Nous continuons cependant à chercher des moyens supplémentaires pour assurer l’avenir du projet.
Initiative
L’initiative a pour but d’accueillir, de soutenir et d’accompagner à court terme des EPPP
(jeunes et moins jeunes). Autrement dit, elle comporte trois volets. Le volet « accueil » a pour
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AU PLUS PRÈS DES GENS
objectif de recevoir les premières questions et de donner la possibilité aux enfants de raconter
leur histoire, simplement, sans engagement. Cette fonction d’accueil s’étend également à toute
personne concernée, parents, enseignants, aidants,… tout qui a des questions ou souhaite des
informations concernant la problématique des EPPP.
Notre groupe-cible peut nous atteindre de diverses manières. Nous disposons d’une permanence téléphonique, joignable 11 heures par semaine. Il est également possible de nous joindre
par e-mail, par courrier et même via SMS.
En deuxième lieu, nous proposons aux EEPP un accompagnement de courte durée qui a pour
but d’accueillir et de soutenir ces enfants et leurs parents. Par le biais de quatre à cinq entretiens,
nous donnons aux enfants l’occasion d’exprimer ce qu’ils vivent et nous cherchons avec eux une
réponse à leurs questions. Il est primordial à ce stade d’informer les enfants sur la maladie de
leur parent: nous avons en effet constaté un besoin pressant d’informations de leur part.
Un troisième volet du projet consiste à accompagner les EPPP dans de petits groupes d’enfants du même âge. Nous avons organisé deux groupes, l’un pour les 6-12 ans, l’autre pour les
adolescents de 12-18 ans, encadrés chacun par une psychologue pour enfants. L’objectif de ces
groupes de parole est de mettre les enfants en contact entre eux, de manière à ce qu’ils puissent
échanger leurs expériences, leurs informations et se soutenir mutuellement. Le contact avec des
compagnes ou compagnons d’infortune joue un rôle essentiel durant ces rencontres, qui sont
organisées de manière ludique, avec des jeux, des bricolages et autres activités récréatives.
A côté de ces groupes pour enfants, nous avons également mis sur pied un groupe de parents.
Lorsque des parents ont des problèmes psychiques, cela a des répercussions sur leur mode d’éducation, quel que soit l’âge de l’enfant. L’objectif ici est donc de renforcer les aptitudes éducatives
des parents et de les informer de l’impact que leur situation peut avoir sur leurs enfants.
Résultats et expériences
Le projet KOPP-telefoon Limburg n’en est encore qu’à ses débuts puisqu’il a démarré le 22
décembre 2003. L’année passée, nous avons pourtant constaté à plusieurs reprises que ce type de
projets répondait à un besoin pressant. Ces enfants passent souvent inaperçus dans le paysage de
l’aide sociale: le patient occupe évidemment le devant de la scène et il n’est pas si évident de lui
demander comment vont ses enfants. Nous essayons par notre projet de donner davantage de
visibilité aux enfants, de signaler que ces enfants ont aussi besoin d’accueil et de soutien.
Nous constatons fréquemment qu’il n’est pas facile pour ces familles, même si elles connaissent le chemin de notre service, d’en franchir la porte. En effet, elles vivent souvent dans des
systèmes très fermés, et il leur est très difficile d’aller vers l’extérieur. Pour les enfants, le seuil
d’accessibilité du service est d’autant plus élevé qu’ils ont souvent besoin de l’autorisation des
parents pour venir chez nous. Nous essayons de réduire ces obstacles en nous rendant aisément
accessibles. Beaucoup d’enfants établissent le premier contact par SMS. Nous donnons toujours
aux enfants et aux familles la possibilité de rester anonymes. Nous remarquons que le fait de
savoir qu’ils ne doivent pas se faire connaître d’emblée facilite souvent les choses. Ils peuvent
ainsi se faire une première idée de ce que nous avons à offrir avant de décider de se lancer dans
la démarche proposée.
Nous nous positionnons à un niveau préventif, ce qui veut dire que nous nous adressons
88
CHAPITRE 4
surtout aux familles où les enfants n’ont pas encore développé de problèmes graves. Il importe
d’accueillir ces enfants le plus tôt possible, avant que des problèmes ne surgissent. Le fait de
savoir qu’il s’agit d’un projet préventif a un effet rassurant pour de nombreux parents qui craignent que leurs enfants ne suivent la même trajectoire qu’eux.
NOTE:
1. KOPP est l’abréviation de ‘Kinderen van Ouders met een Psychiatrische Problematiek’
C O N TA C T S :
KOPP-telefoon Limburg, c/o Halmaalweg 2, 3800 Sint-Truiden
Tél.: 0472/28.99.39
E-mail: [email protected]
89
Fa-Mi-Liens, une expérience de travail en
réseau autour des familles marquées par les
difficultés psychiatriques d’un parent.
BÉATRICE STOCKEBRAND, PSYCHIATRE AU CENTRE DE GUIDANCE PROVINCIAL DE NAMUR.
CAROLINE DE BEAUFFORT, PSYCHIATRE, MAGALI RAMLOT, POUPÉE BORREMAN,
PSYCHOLOGUES À L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE DU BEAU VALLON, SAINT-SERVAIS.
ANNE CHARUE, RESPONSABLE DU SECTEUR AIDES FAMILIALES, AIDE ET SOINS À
DOMICILE, NAMUR.
L’expérience ‘Fa-Mi-Liens’ a démarré en novembre 98, quand l’équipe de Regina Pacis (service
de psychiatrie de court séjour pour femmes, à l’hôpital du Beau-Vallon) demande la collaboration du Centre de Guidance Provincial de Namur (service de santé mentale généraliste pour enfants, adultes et familles) suite à un double constat: la répétition transgénérationnelle des hospitalisations (certaines patientes hospitalisées ont eu une mère et une grand mère hospitalisées)
et l’absence d’accueil adéquat des enfants des patientes lors des visites, qui se passent mal. Des
réflexions sur la place de l’enfant dans ce moment particulier qu’est l’hospitalisation de la mère,
et sur des relais possibles lors de la sortie de l’hôpital commencent alors dans les deux équipes,
qui répondent ensemble à un appel à projet de la Fondation Roi Baudouin ‘Attention Patients’.
C’est le début d’une toute nouvelle collaboration entre les deux structures.
Les premiers subsides obtenus permettent d’une part d’aménager dans le service Regina Pacis
un lieu d’accueil pour les enfants et les familles, le ‘Fa-Mi-Liens’, où les enfants peuvent se sentir
à l’aise et où la mère peut avoir une autre place que celle de malade, et d’autre part d’instaurer
des supervisions mensuelles de la nouvelle équipe ‘Fa-Mi-Liens’ par un pédopsychiatre extérieur.
Cette supervision encadre l’élaboration de l’expérience naissante et aide à préciser la spécificité
des rôles de chaque intervenant dans l’abord de l’enfant et de la maladie psychiatrique. L’originalité de départ consistait dans la présence hebdomadaire d’un membre du centre de guidance
et de l’équipe de Regina Pacis dans le lieu d’accueil, à la disposition des familles, lors des visites,
avec une attention particulière à l’enfant, un peu comme dans les Maisons Vertes de Dolto.
Un groupe de paroles, ‘les dires du Fa-Mi-Liens’ a également été mis en place pour les patientes hospitalisées, autour de leurs questions sur la famille ; par exemple: ‘j’ai été rejetée par
mes parents pendant toute mon enfance, ils étaient alcooliques. Je me suis jurée que quand
j’aurais des enfants, je ne ferais pas pareil, or, moi aussi je me sens déprimée et n’arrive plus à
m’occuper d’eux comme je voudrais. Que faire?’ ; ‘Je suis agressive avec mon fils qui me rappelle
tellement mon frère qui a été violent avec moi, je n’arrive pas à le voir autrement et il me rend la
vie impossible, je n’en dors plus’. Le groupe permet à chacune de s’exprimer dans sa souffrance,
d’être acceptée dans ses difficultés et d’être encouragée à prendre conscience de ses compétences et de ses limites.
En 2002, le projet s’enrichit de la présence de deux nouveaux partenaires de première ligne,
à savoir les Services d’aides familiales: Aide et Soins à Domicile (ASD) et Centrale de Soins à
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CHAPITRE 4
Domicile (CSD, qui a quitté le projet en 2003). L’expérience devient alors ‘les réseaux Fa-MiLiens’ ; il s’agit de penser ensemble le travail dans les familles fragilisées par la maladie psychiatrique d’un parent. Deux exemples illustrent cette pratique:
– quand une maman est hospitalisée et qu’une aide concrète par une aide familiale est indiquée à sa sortie, celle-ci se prépare au cours de l’hospitalisation avec la patiente, son entourage proche, l’équipe hospitalière et les aides familiales: il s’agit de prendre en compte
les difficultés personnelles de la maman dans sa vie quotidienne mais aussi dans son rôle de
mère, ce qui implique une attention aux enfants, à leurs besoins, aux personnes ressources
dans l’entourage. Au cours de ces réunions, les intervenants et la famille s’efforcent de dégager ensemble les facteurs d’équilibre de la famille et les signaux d’alerte d’un effondrement
psychique d’un parent ou d’un enfant.
– quand les aides familiales remarquent au fil des jours qu’un enfant ‘s’éteint’ et que leur intervention n’est pas suffisante pour aider son papa qui l élève seul et qui lui aussi se renferme de
plus en plus, elles feront appel plus facilement au centre de guidance pour une collaboration.
Depuis 2004, deux nouveaux partenaires ont rejoint le projet: la Clinique du Parc de l’hôpital
du Beau-Vallon et le service Philia, service de soins psychiatriques à domicile.
Actuellement, l’expérience repose, à l’hôpital, sur l’utilisation libre par les familles du lieu
Fa-Mi-Liens, accessible pendant les visites sans la présence obligée du personnel soignant, sur le
groupe de paroles ‘les dires du Fa-Mi-Liens’, et sur la présence d’une psychologue pour les familles. Toutes les structures partenaires, ambulatoires et hospitalières, participent à des réunions
trimestrielles du comité d’accompagnement et aux supervisions cliniques mensuelles (où chaque
équipe présente une situation à tour de rôle ; la grande majorité de celles-ci sont d’ailleurs des
situations communes aux différents services). Une ouverture aux structures qui s’occupent des
enfants concernés dans la présentation (par exemple maisons de l’aide à la jeunesse) est faite
depuis peu, lors de ces supervisions.
‘Fa-Mi-Liens’ a donc démarré sur un questionnement clinique: ‘comment éviter la répétition
transgénérationnelle des troubles psychiatriques?’ et a débouché sur de nouvelles pratiques en
réseau. Le concept sous-jacent à cette notion de réseau est celui du lien: le Fa-Mi-Liens se définit essentiellement dans cette fonction d’attention particulière au lien fragilisé entre un parent
malade et ses enfants et aussi au lien entre intervenants, famille, enfant, parent, grands-parents,
hospitalisation, vie hors de l’hôpital, … Les différents intervenants sont activés par les familles et
celles-ci sont dans un rapport coopératif avec les intervenants: il s’agit pour les intervenants et
les familles de mettre leurs savoirs spécifiques en action face à une difficulté.
Après 6 ans d’existence, malgré des hauts et des bas liés notamment à l’irrégularité des subsides, nous constatons la construction d’une culture commune autour du groupe cible. Vu le jeune
âge de l’expérience, les effets préventifs sur la santé mentale des enfants n’ont pas encore pu
être évalués. Nous espérons pouvoir vérifier un jour que l’attention précoce des professionnels
quels qu’ils soient aux enfants de parents souffrant de troubles psychiatriques et une aide particulière adaptée à chaque situation singulière permettent de réduire la transmission transgénérationnelle de ces troubles psychiatriques.
91
AU PLUS PRÈS DES GENS
C O N TA C T S :
Centre de guidance Provincial, rue Château des Balances 3 bis, 5000 Namur
Tel: 081 71 15 50
Hôpital du Beau Vallon, rue de Bricgniot 205, 5002 Saint-Servais
Tel: 081 72 11 11
Aide et Soins à Domicile, rue Bruno 16, 5000 Namur
Tel: 081 25 74 57
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Les Goélands à Spy, une pédopsychiatrie
au sein d’un hôpital dans le village
FRANCIS TURINE
DIRECTEUR
‘Mais qu’est donc devenu Luis qui venait le dimanche servir la messe?’ C’est ainsi qu’un jour le
curé du village aborda un membre du personnel et qu’il apprit, plusieurs mois après son départ,
que Luis souffrait de psychose et qu’il pouvait être aux prises avec des crises d’angoisse et les
manifester de manière extrêmement violente, lui qui était aussi capable, lors de ses sorties autorisées le dimanche matin, de se montrer socialisé et d’aller ‘servir la messe’.
Une telle perspective de socialisation participe au projet institutionnel ; c’est ainsi qu’il n’est
pas exceptionnel de voir un éducateur aller, avec l’un ou l’autre patient, chez un voisin pour
cueillir les pommes, cerises ou prunes, d’aller chez le commerçant du coin pour acheter des boissons ou autres friandises, d’accompagner un patient chez le coiffeur. Chaque année, certains participent au marché du village en proposant aux passants plants de légumes et de fleurs, poussins,
canards et poules qu’ils ont élevés dans le cadre de certaines activités. Certains acheteurs sont
même devenus des clients fidèles car la qualité de la marchandise est reconnue. Les bénéfices de
cet atelier sont tantôt attribués à chacun des patients participants, tantôt destinés à un projet de
groupe (excursion, …).
Dans le village, pas un campus
L’institution dispose de trois propriétés distinctes au sein du village: une unité pour 12 enfants
(de 2 à 12 ans), voisine du centre administratif et d’activités de jour, et une unité pour 14 adolescents (de 11 à 18 ans), distante de quelques centaines de mètres.
Si un service K comme les Goélands a choisi de se disperser au sein d’un village, c’est bien pour
ne pas proposer un lieu clos pour enfants et adolescents malades mentaux ou gravement perturbés tels certains autistes. Le but était et reste d’utiliser les infrastructures villageoises existantes
pour un travail de socialisation, ou tout au moins une action visant à ne pas faire une rupture
radicale d’avec la vie en société.
Le souci reste de proposer d’abord un lieu ‘d’asile’, un lieu de refuge à ces enfants se sentant
menacés par le monde extérieur, persécutés parce qu’ils sont en grande difficulté avec la dimension symbolique, avec le langage ; ensuite, l’asile se complète d’une proposition d’ouverture vers
93
AU PLUS PRÈS DES GENS
le monde extérieur dont ils ne seront jamais tout à fait séparés. Cet accompagnement vers le
monde extérieur se réalise au cas par cas.
La vie quotidienne à réinventer chaque jour
Avec les patients, les enfants autistes notamment, l’accent est mis sur tous les moments de
la vie quotidienne et sur l’ambiance qui les accompagne: une ambiance sereine, calme, où les
choses peuvent être dites, nommées, parlées avec le soutien de repères spatio-temporels structurés et les plus répétitifs possibles. Néanmoins, ces repères peuvent varier selon l’intervenant
présent. Comme le dit Jean OURY, ‘la vie quotidienne est à réinventer chaque jour’.
Quel que soit l’accompagnement prévu, quelles que soient la simplicité et l’évidence apparente, il s’agit, dans ce passage de l’asile au social, d’un travail qui demande d’une part que l’institution soit réfléchie sans cesse pour être la plus lisible et la plus utilisable possible et, d’autre part,
que le personnel prenne des risques et fasse preuve d’audace car il s’agit de miser sur le patient
lui-même, sur ses capacités de grandir, d’évoluer, de se construire psychiquement.
Quels que soient les troubles psychiques, qu’ils soient de cause organique ou non, quel que
soit le ‘handicap’ d’une personne, il s’agit de miser sur la dimension subjective de chacun, de
permettre à chaque enfant de construire quelque chose de particulier avec ce qu’il est et avec ses
capacités.
Du fait de son implantation dispersée dans le tissu villageois, l’institution, dans une perspective de psychothérapie institutionnelle et en référence à la psychanalyse, se présente également
comme non ‘toute’ c’est-à-dire qu’elle fonde son travail avec des espaces vides, des espaces
qu’elle ne cherche ni à combler ni à maîtriser, des espaces qui laissent place pour une dialectique,
des espaces dont chacun peut se saisir pour y élaborer quelque trait de subjectivité. C’est ainsi,
par exemple, que la scolarité, à chaque fois qu’elle peut être proposée ou remise en place, est
maintenue dans le champ social, à l’extérieur de l’hôpital.
Avec les Goélands, on a affaire à un petit hôpital dans le village ; une telle conception est en
rupture radicale avec ce à quoi on est habitué ordinairement: soit l’habituel et grand hôpitalvillage dans une propriété isolée que sont encore couramment les établissements psychiatriques
pour adultes, soit les services de psychiatrie intégrés dans des hôpitaux généraux.
Hospitalisations brèves ou en alternance
Depuis janvier 2004 et à l’occasion de l’ouverture de nouveaux locaux pour l’unité pour
enfants, il a été décidé de réserver quatre lits sur les douze pour ce qui est qualifié de ‘courts
séjours’. Cette initiative est le fruit d’un travail de concertation au sein du groupe infanto-juvénile de la plate-forme namuroise de concertation en santé mentale.
Il ne s’agit pas de vouloir traiter en quelques semaines ou quelques mois ce que d’autres ou
nous faisons en plusieurs années. Il peut s’agir des mêmes patients mais pas au même moment
de leur existence. Il ne s’agit pas de faire taire, en quelques semaines, la crise relationnelle avec
ses manifestations parfois vives, par une simple contention chimique.
Il s’agit davantage d’être là, comme lieu d’accueil, pour des enfants et adolescents en risque
94
CHAPITRE 4
de rupture avec leurs milieux de vie familiale et sociale, dans le but que cette ‘accueil actif’ ne
soit pas qu’une simple parenthèse, que le lien avec la famille et/ou l’institution soit préservé, et
interrogé. L’objectif est de permettre au patient de mieux comprendre son rapport aux autres
ainsi que de relancer la dynamique familiale et sociale, là où cette même dynamique s’était grippée jusqu’au risque de se briser.
La forme de cette période d’accueil, complétée éventuellement par une aide médicamenteuse, peut varier selon les situations: hospitalisation de plusieurs semaines, hospitalisation de
semaine avec week-end en famille ou en institution, hospitalisation de deux ou trois jours par
semaine,… la durée totale varie de trois mois à six ou huit mois.
C O N TA C T S :
Centre de psychiatrie infantile ‘Les Goélands’, rue Haute 46 – 5190 Spy
Tél: 071 78 79 04
E-mail: [email protected]
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Le travail de deuil, vzw De Verbinding
CLAIRE VANDEN ABBEELE
Bonjour enfant bien-aimé qui m’est confié
Qui seras-tu, à qui appartiendras-tu?
Bonjour miracle de la vie
Comment traces-tu ta route
Lorsque la nuit tombe
Et que ton âme fragile se contracte,
Prisonnière d’un trop grand chagrin
Qui te prend au dépourvu?
Les enfants ont une force intérieure plus grande que notre foi en eux
Il n’y a pas de mot pour décrire le poids du chagrin et de la perte. Quand on n’a jamais vécu
de grande peine, on ne peut mesurer ce que représente le fait d’être confronté à la maladie, au
handicap, au manque d’amour, à la séparation et à la mort. Il n’est pas possible de mettre des
mots sur le désarroi, de le mesurer, de l’effacer d’un geste. Cela n’a pas grand-chose à voir avec
le fait de se sentir malheureux. Il s’agit d’une détresse indicible, d’une solitude intraduisible, d’un
abattement incommensurable, de la quête lancinante du sens de l’existence. C’est la perte d’un
point de repère qui ne s’évacue pas d’un battement de mains, une douleur intense qui entraîne
un profond désarroi. Cette détresse n’est pas pour autant une maladie qui doit être médicalisée. Une peine d’une telle intensité doit cependant être reconnue et soignée. Elle doit avoir le
droit d’exister. Toute perte demande un temps de deuil, aussi long que nécessaire à un individu
pour arriver à accepter et à intégrer la perte subie. Toute détresse, même la plus douloureuse,
a besoin d’avoir sa place dans la mosaïque de l’existence. Lorsqu’on est accablé, on a besoin de
gens qui vous accompagnent, main dans la main, d’âmes simples qui osent confirmer qu’il y aura
toujours ‘un avant et un après’, de compagnons de route qui restent à vos côtés même lorsque la
vie fait mal. Il n’en va pas autrement pour les enfants.
Les enfants et les jeunes qui ont le privilège d’être acceptés dans leur mode de vie parfois
singulier, dans leur comportement étrange, dans une attitude qui témoigne de leur accablement,
ont la possibilité de faire leurs premiers pas sur une voie qui les invite à gérer ce qui perturbe
leur vie. La reconnaissance de ce qui est arrivé demande du temps. C’est un processus qui consiste à intégrer l’irréversible au quotidien. On n’aide pas les jeunes en collant une étiquette sur
96
CHAPITRE 4
leur vulnérabilité. Ils n’ont pas l’esprit ‘dérangé’. Leur existence est simplement perturbée par le
grand chagrin qui traverse leur jeune vie.
Nous n’aidons pas les enfants en posant un diagnostic qui a pour seul but de nous apaiser
nous-mêmes. Nous ne les aidons pas en les sortant au plus vite de l’abîme de leur chagrin. Nous
ne les aidons pas en projetant sur eux notre anxiété face à leur comportement. Au contraire,
elle ne fera qu’accroître le poids à supporter par le jeune fragilisé, la personne endeuillée. Cela
n’a rien de consolant, ni pour les petits ni pour les grands, de s’entendre dire comment faire son
deuil, combien de temps il peut durer, ce qui n’est pas un ‘bon’ deuil. Comme si un enfant en
détresse n’avait pas une charge suffisante à porter. Comme si cela ne suffisait pas qu’il se sente
‘différent’, à cause de la maladie ou de la perte. Comme si le deuil était une maladie qui devait
être traitée. Comme si l’attention, la sollicitude et le temps ne devaient pas constituer des priorités dans l’étrange processus du deuil. On dirait parfois que les adultes ne considèrent pas les
enfants comme des êtres à part entière, qu’ils ne les prennent pas au sérieux, qu’ils n’osent pas
croire qu’ils portent en eux une force vitale plus grande que notre foi en eux. Ne réduisons pas
les jeunes au silence. Accompagnons-les sur le chemin qu’ILS prennent. Soyons à leurs côtés et
accompagnons-les dans leurs hésitations à tracer leur propre chemin.
En adoptant une attitude sincère et réceptive pour aborder des enfants, on crée un environnement qui leur permet de se sentir en sécurité et en confiance. Permettre aux enfants de rentrer en eux-mêmes, comme ils sont et avec ce qu’ils ont à surmonter… voilà ce qui peut les aider.
Notre propre peur face au chagrin constitue souvent un obstacle qui empêche d’instaurer un
climat où la relation peut croître, où les sentiments peuvent être ce qu’ils sont: ni bons ni mauvais.
L’asbl De Verbinding
Offrir un climat de sécurité, créer un endroit où des enfants de 0 à 110 ans se savent accueillis
et soutenus… tel est l’objectif de l’asbl De Verbinding.
Voilà plus de vingt ans que mon histoire croise celle de nombreux êtres marqués par la vie.
C’est une histoire pleine de récits, émaillée de reconnaissance, une histoire intime qui témoigne,
en mots et en images, de douleur lancinante et de vitalité retrouvée. Le chagrin a besoin de
s’extérioriser, ce n’est pas une nouveauté. L’amour et la souffrance ont de tout temps, et dans
toutes les cultures, cherché à s’exprimer. Se savoir en relation et apprendre à se dire, pouvoir
extérioriser le plus profond de soi-même en toute liberté… c’est ce que propose De Verbinding.
Lors des journées de rencontre et des séances individuelles, les êtres en souffrance peuvent
‘donner forme’ à leur douleur et à leur mal-être, ce qui les préserve de l’enfermement, du repli
sur soi pour le reste de leur vie. Ce qui s’extériorise en profondeur et en créativité lors de ces
séances témoigne de tout un monde caché, d’un monde intérieur en quête d’une issue. L’œuvre
qui se fait jour, c’est la vérité, la vérité de l’individu qui la crée. Les journées de rencontre de
l’asbl De Verbinding sont empreintes de chagrin et d’espoir, d’obscurité et de lumière, d’amour.
On y voit s’exprimer une vie intérieure qui ne peut se traduire en mots.
L’asbl De Verbinding s’efforce de créer un espace où jeune et moins jeune peut être ce
qu’il/elle est en toute liberté, avec toute sa douleur. Il est enrichissant pour des jeunes de pouvoir
être témoin d’un papa ou d’une maman qui porte encore en lui/elle sa créativité d’enfant. Les
enfants voient de leurs propres yeux qu’en chaque homme vit un enfant qui ne meurt pas du
chagrin de la vie, et cela donne espoir et confiance. S’occuper d’une façon créative et ludique,
97
AU PLUS PRÈS DES GENS
ensemble et séparément, permet d’apprendre à se connaître de manière unique et inconnue et
de s’épanouir. Au fil de toutes ces années, je ne peux qu’exprimer ma gratitude face au rayonnement émanant de personnes qui s’accompagnent avec douceur et respect, au-delà des limites
et des frontières de cette existence, et qui touchent ainsi à des moments d’éternité, d’un autre
temps, d’une autre dimension de l’existence. A leur propre étonnement, elles pénètrent dans
leur propre espace, jusque-là insoupçonné, et touchées au plus profond, elles retournent chez
elles, avec dans leur cœur la force retrouvée d’affronter la vie comme un défi et de se voir soimême comme une œuvre d’art, un être humain.
Peut-être le témoignage qui suit pourra-t-il mieux traduire ce qui se passe lors de tels moments de communication.
‘Le plus important lors de ces rencontres, c’est qu’en tant qu’être humain, on fait une double
rencontre: avec soi-même et avec l’autre, avec l’autre chagrin qui fait partie de votre propre chagrin. En tant que père et en tant qu’homme, cela a été pour moi une grande épreuve mais aussi
un grand soulagement de partager mes peines, mon chagrin, mes blessures avec un groupe de
mères, ‘co-disciples’, mariées ou non, cela n’avait alors aucune importance. J’ai pourtant été très
frappé par un des mes côtés féminins ; en tant qu’homme, on peut aussi avoir du chagrin et on
peut même le montrer à ceux qui veulent vraiment le partager avec vous. Cela m’a aussi touché
de voir combien il est important que les enfants participent à tout ce processus et s’expriment
par le biais de la peinture ou du travail de l’argile. Plus tôt la peine et le chagrin peuvent être
travaillés, moins nous courons le risque de nous enliser et de nous aigrir ultérieurement.’ (Marc)
De Verbinding est une association qui s’occupe des enfants et des jeunes confrontés à une
perte: deuil, maladie, handicap, divorce… Elle les invite, de manière créative et curative, à explorer ce qui vit en eux de regrets, de chagrin, de bons souvenirs…
C O N TA C T:
Claire vanden Abbeele
tél. & fax: 052 22 37 79
www.clairevandenabbeele.be
98
Chapitre
Les personnes âgées aussi ont
des problèmes de santé mentale
:: Introduction: Les personnes âgées aussi ont des problèmes de santé mentale
Philippe Meire ,UCL
:: Projet de Prévention de la dépression chez les personnes âgées
Jeanine Ferket, CGGZ Brussel
:: Avec nos aînés (ANA)
Daniel Recloux, ANA, Namur
:: Une clinique de jour psychothérapeutique pour personnes âgées confrontées
à un deuil difficile
Luc Van de Ven, Universitaire Ziekenhuizen Leuven
:: Plaidoyer pour une prise en charge de la personne atteinte de démence sénile
et son entourage
Marie-Christine Adriaensen, Expertisecentrum Dementie brOes, Brussel
:: Les Ateliers du Souvenir
Cathérine Goor, Résidence New Philip, Forest
15
Les personnes âgées ont aussi des
problèmes de santé mentale
PROF. PHILIPPE MEIRE
PSYCHIATRE-PSYCHOTHÉRAPEUTE, UCL. RESPONSABLE DE LA ‘MISSION SPÉCIFIQUE
PERSONNES ÂGÉES’ (RÉGION WALLONNE).
Le titre de ce chapitre, proposé par les éditeurs de ce recueil, me paraît un défi stimulant
parce qu’il est à la fois évident, provocant et risqué…
Evident car on ne voit pas en quoi l’âge ferait disparaître la souffrance psychique. Nous
verrons, d’ailleurs, que ces problèmes peuvent être plus fréquents en raison des changements
biologiques ou sociaux liés à la vieillesse. En outre, certains troubles comme les états démentiels
paraissent presque spécifiques à cet âge de la vie et affectent profondément la vie psychique et
relationnelle.
Provocant car il est vrai que les problèmes de santé mentale chez les personnes âgées sont
souvent négligés ou oubliés. Dans la répartition des moyens, de plus en plus discutée, l’attention
se focalise sur les pathologies somatiques plus évidentes ou plus compréhensibles et sur les différentes formes d’aide sociale, au point que la présence de ‘psys’ au sens large n’est toujours pas
requise ni dans les services de gériatrie, ni dans les maisons de repos (et de soins!). En matière de
soins à domicile, la dimension de santé mentale qui est, de loin, la plus grande source de souffrances, est systématiquement mise au second plan.
Risqué car il est aussi trop fréquent d’associer systématiquement les termes ‘personnes âgées’
et ‘problèmes’, phénomènes et stéréotypes qui peuvent entraîner, en retour, le rejet, l’anxiété et
la négligence. Certes, il n’existe pas de vie sans problème ni souffrance mais ce n’est pas l’apanage exclusif de la vieillesse et surtout, il faudrait éviter de ne voir que cette dimension dans
l’avance en âge. En outre, le terme générique de ‘personnes âgées’ recouvre des réalités bien
différentes.
Avant d’évoquer différents exemples d’accompagnement, de soins ou d’actions psychosociales
avec ces personnes, nous devrons distinguer entre l’évolution de la vie psychique, le devenir des
problèmes similaires aux âges antérieurs (devenir, apparition) et enfin l’apparition de nouveaux
troubles plus spécifiques au grand âge.
100
CHAPITRE 5
Derrière les apparences, la vie psychique
L’erreur la plus fréquente en parlant de la vie psychique ou de la personnalité des personnes
âgées est de se focaliser sur le terme ‘âgé’. Tout d’abord, les besoins et les demandes de l’être
humain restent fondamentalement présents à tout âge: entre autres, sécurité, confiance, autonomie, relation et intimité, transmission, sens et cohérence, sans oublier, bien évidemment, le
désir d’aimer et d’être aimé!
Les stades correspondants décrits par des psychologues du développement, comme Erik Erikson indiquent d’ailleurs plus des polarités ou des insistances propres à certains âges que de réelles étapes qui se succéderaient dans un ordre immuable. En chaque personne âgée, il y a encore
un enfant qui demeure, avide de sécurité, de confiance, d’imagination et de créativité tout
comme en chaque enfant s’annonce déjà un aîné en quête d’intimité, de don et de sens.
La différence liée à l’âge peut être davantage reliée au regard porté sur l’aîné et celui qu’il
porte à son tour sur lui-même et ceux de sa génération. Si les grands traits de personnalité sont
acquis relativement tôt et sont d’ailleurs très différents d’une personne à l’autre, cela n’exclut
ni les tempêtes de la vie psychique avec ses moments de crise et de doutes, ni les périodes plus
sereines dites de latence ou de maturation. L’âge peut être une nouvelle chance de reprendre
son destin en main et de le ‘réassumer’ autrement. De nombreux écrivains, psychologues ou
philosophes écrivant sur leur propre vieillissement ont régulièrement insisté sur le kaléidoscope
d’émotions et de cognitions qu’ils vivaient simultanément mêlant, de façon apparemment contradictoire, sagesse, désirs et révoltes…
Bien d’autres facteurs tels la trajectoire existentielle, le bilan de vie, les supports affectifs et
moraux, la condition sociale ou l’état de santé, s’avèrent finalement bien plus déterminants pour
la vie psychique que le fait d’être ‘âgé’.
En outre, le terme ‘âgé’ est très vague et relatif: il peut recouvrir des âges chronologiques
bien différents. Sur le marché de l’emploi, on parle de travailleurs âgés à 50 ans (parfois avant).
La plupart des personnes quittent leur emploi avant 65 ans mais ces préretraités et retraités ne
se considèrent pas, dans leur grande majorité, comme des personnes âgées. La retraite avait été
fixée à 65 ans au moment de la création du système parce que cet âge correspondait, à ce moment, à l’espérance de vie moyenne à la naissance. La limite de 65 ans est donc devenue assez arbitraire sur le plan biologique et n’est plus un indicateur fiable pour parler de personnes âgées.
Des divisions successives entre young old, old et very old ou entre 3ème et 4ème âge ne sont guère
plus satisfaisantes car il n’y a pas une limite chronologique nette qui permettrait de départager
ces différents âges.
En outre, les différentes fonctions de l’organisme et du psychisme vieillissent à des rythmes
très différents. Même au niveau des processus cognitifs tels que la mémoire, on distingue des variations importantes non seulement entre les individus mais aussi suivant les différents sous-types
(p.ex., mémoire de travail, mémoire épisodique, mémoire sémantique, mémoire autobiographique…).
La différence la plus intéressante peut être faite entre les extrêmes du vieillissement pathologique, marqué par la prégnance des maladies physique et/ou psychique, et celui du ‘vieillisse-
101
AU PLUS PRÈS DES GENS
ment réussi’ caractérisé par une adaptation particulièrement optimale à l’âge, en sachant que le
vieillissement ‘moyen’ ou habituel se situera le plus souvent entre ces deux pôles…
Rappelons-le encore une fois: la vieillesse n’est pas une maladie et il est vexatoire pour les personnes âgées de les considérer sur ce mode ‘déficitaire’ même s’il faut toujours ajouter simultanément qu’il s’agit d’une période de vulnérabilité accrue et que la prévention y a tout son sens.
Toute action dans le domaine de la santé mentale devra toujours considérer ces différences importantes et, par exemple, ne pas projeter l’ombre de la démence ou de la dépendance
sur l’ensemble des personnes âgées alors que ces phénomènes restent minoritaires, même s’ils
augmentent avec le grand âge: même à 80 ans, la grande majorité des personnes ne sont ni
démentes, ni dépendantes, ce qui n’exclut naturellement pas quelques difficultés mnésiques ou
certaines aides ponctuelles et spécifiques, et surtout d’avoir des interlocuteurs qui les considèrent
comme des partenaires et non comme des objets de soins…
Il faut cependant reconnaître que c’est dans le domaine de la sphère mentale et relationnelle
que le plus de difficultés sont rencontrées allant du sentiment de solitude, d’abandon ou de
perte d’estime jusqu’à des syndromes psychopathologiques plus caractérisés.
Difficultés communes ou proches de celles des âges antérieurs
Il est évident qu’un certain nombre de difficultés ou de troubles mentaux ne disparaissent pas
spontanément avec l’âge, même si certaines évolutions positives ne doivent pas être négligées.
La plupart du temps, s’il n’y pas eu de véritable travail thérapeutique ou si celui-ci a été trop
superficiel, les troubles mentaux et les troubles de personnalité ont tendance à se chronifier et à
se compliquer avec l’âge.
Le fait d’avoir une population qui vit de plus en plus longtemps devrait d’ailleurs justifier
d’aborder les difficultés psychiques de manière plus intense dans les âges antérieurs. Les troubles
dépressifs ont tendance à se répéter et à se chronifier, tout comme les troubles névrotiques et
anxieux qui se compliquent souvent de difficultés professionnelles, affectives ou d’autres troubles (alcool, dépression,…). Certains états ont tendance à devenir moins spectaculaires avec l’âge
(troubles schizophréniques, certains troubles psychopathiques,..) mais de nombreuses difficultés
ont tendance avec l’âge à déboucher sur un tronc commun ‘anxio-dépressif’ qui doit être pris en
compte, sous peine de favoriser des attitudes croissantes de repli, de démission et un vieillissement accéléré. Le défaitisme thérapeutique, l’abandon des réseaux relationnels et le ‘glissement’
dans la passivité doivent être prévenus tant que faire se peut.
On considère, en général, que ce n’est pas l’âge comme tel qui est dépressogène ; les personnes âgées qui vivent dans de bonnes conditions physiques, sociales et affectives auraient
d’ailleurs une incidence plus faible d’états dépressifs (moins d’un cas sur 100 en un an) que des
adultes plus jeunes. Mais en cas de problèmes créant une grande dépendance, de difficultés financières ou de pertes affectives, la proportion monte de façon importante, au point qu’on considère, en général, qu’environ 15% des plus de 65 ans souffrent de troubles significatifs, et que
plus encore ont des plaintes ou des comportements d’appel. Ces troubles prennent des formes
particulières (douleurs, troubles somatiques, hostilité, difficultés cognitives, négligence…) qui les
rendent plus difficiles à reconnaître.
102
CHAPITRE 5
En fonction des pathologies et des ruptures affectives, on considère que le taux d’état dépressif en maison de repos et de soins (M.R.S ou ‘nursing home’) avoisine les 50%. Une présence
psychologique ne serait donc vraiment pas inutile pour soutenir les résidants et les soignants de
ces institutions: il apparaît un peu dérisoire et absurde de se contenter de l’actuelle prescription
de psychotropes chez ces personnes fragiles.
Il faut d’ailleurs noter que bien des délires chez les personnes âgées se déclenchent dans un
contexte dépressif et ne sont pas des équivalents de psychose tardive. Ces délires ont souvent
une fonction ‘antidépressive’ et réagissent d’ailleurs mieux à une prise en charge pluridisciplinaire qu’à la prescription d’antipsychotiques.
La négligence, voire le rejet de ces situations, constitue un gros problème. En matière de gériatrie, le contre-transfert et/ou la démission des soignants (entourage ou professionnels) sont un
des pièges les plus fréquents, et justifient les séances de formation, d’intervision et de soutien.
Malgré certaines initiatives, évoquées entre autres dans cet ouvrage, un immense travail reste à
faire.
Pathologies apparaissant le plus souvent dans le grand âge:
confusion et démences
Bien qu’il existe des états confusionnels et démentiels qui apparaissent plus précocement, il
faut reconnaître que la fragilité psycho-organique s’accroît de manière quasi exponentielle avec
l’âge. Les états de confusion aiguë (delirium) et les états de perte progressive et irréversible des
fonctions supérieures (états démentiels) sont des défis majeurs dans une société où l’on vit de
plus en plus vieux. Près de 35% des personnes âgées hospitalisées passeraient par un état confusionnel, le plus souvent réversible. Plus de 5% des personnes de plus de 65 ans développent
un état démentiel progressif modéré à sévère, et probablement le double si on inclut les formes
légères. Une grande partie de ces états sont liés à une maladie de type Alzheimer mais d’autres
causes sont également présentes. Ce n’est pas le lieu ici de faire le diagnostic différentiel, mais
une prise en charge progressive, qui va du diagnostic à l’accompagnement pour le patient, à la
prise en charge des problèmes associés, au soutien aux familles et aux différentes formes d’entretien de la qualité de vie des patients sont indispensables dans ces pathologies qui évoluent
souvent durant de longues années.
Beaucoup d’espoirs sont mis dans les progrès des neurosciences mais il faut bien reconnaître
que les chercheurs eux-mêmes affirment que ces états sont liés à des formes de pathologie dont
le traitement éventuel est particulièrement difficile à envisager à l’heure actuelle, et que nombre
d’espoirs thérapeutiques évoqués par les médias se sont révélés plus que problématiques. Même
si de nombreux efforts sont entrepris dans ce domaine, l’essentiel des aides résidera encore et
toujours dans la mise en valeur des capacités restantes, l’attention relationnelle et affective aux
personnes atteintes et le support aux familles (information, aides de jour ou de nuit, lieux de
rencontres,…). Il est donc essentiel que des exemples de prises en charge et de soutien se multiplient car les expériences telles que celles évoquées dans les pages qui suivent sont encore beaucoup trop peu nombreuses.
103
AU PLUS PRÈS DES GENS
Enfin, au-delà de choix éthiques extrêmes qu’il est impossible de discuter ici mais qui sont déjà
lancés dans la société, il nous semble que de toute façon, la solidarité entre humains devra toujours nous guider dans l’accompagnement et l’écoute ainsi que dans la mise en place de cadres
respectueux des personnes, entre les écueils de l’abandon ou du rejet et ceux d’un acharnement
médical intempestif.
C O N TA C T S :
Centre de Guidance, Grand Place 43, 1348 Louvain-la-Neuve
Tél: 010 47 44 08
E-mail: [email protected]
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Projet de Prévention de la dépression chez
les personnes âgées
JEANINE FERKET
CGGZ BRUSSEL, DEELWERKING BRUSSEL-OOST
La plupart des personnes âgées vivent une retraite heureuse. Elles sont en bonne santé, ont
des occupations intéressantes et peuvent encore apporter beaucoup à d’autres personnes. Le
préjugé selon lequel la vieillesse se caractériserait par l’infirmité, la morosité et l’isolement explique entre autres la reconnaissance tardive et/ou le non traitement des dépressions chez les personnes âgées. Si toutes ces caractéristiques négatives étaient uniquement inhérentes à l’âge, on
ne pourrait pas dire qu’il existe des personnes âgées dépressives.
Pourtant, il en existe bel et bien. Les vieilles personnes sont même particulièrement sensibles
à la dépression. Au fur et à mesure que nous vieillissons, nous sommes davantage confrontés à
la perte: nous perdons nos contacts professionnels, nous voyons notre jeunesse s’évanouir dans
notre miroir, les enfants quittent la maison, les amis et les proches décèdent les uns après les
autres, et ainsi de suite. Une personne âgée expérimente ainsi de nombreuses pertes, petites et
grandes. Certaines ne donnent pas lieu à de violentes émotions: choisir de garder ses cheveux
gris ou décider de les faire teindre est une décision qui se prend le plus souvent sans drame. Une
perte provoque d’intenses émotions lorsqu’elle est vécue comme définitive, lorsqu’il n’y a pas de
retour en arrière possible. Les séquelles peuvent alors être profondes et persistantes, et mener à
la dépression. Il est très important de détecter la dépression car, non soignée, elle risque de conduire au suicide, à une solitude écrasante ou à la dépendance (à l’alcool, aux somnifères et aux
calmants).
Je voudrais illustrer notre action de prévention par deux projets: l’un dans lequel nous avons
déjà une certaine expérience, et l’autre plus récent. Nous voulons en effet continuer à chercher
différentes manières de prévenir la dépression chez les personnes âgées.
Notre programme de groupe ‘Verder na Verlies’ (Vivre après la perte) soutient des personnes
âgées qui ont perdu leur partenaire et qui sont seules depuis un certain temps. Une personne en
deuil vit des émotions qui sont reconnues par l’entourage: tristesse, colère, culpabilité... On lui
offre consolation et soutien, on reste à ses côtés…. Mais après la période de deuil, les choses se
compliquent. L’entourage attend que le survivant reprenne sa vie normale plus ou moins comme
avant. Or certaines personnes âgées ont vraiment de la peine à s’adapter à leur nouvelle situation. Le chagrin intense du début s’est certes atténué mais tellement de choses ont changé: elles
doivent déjeuner seules, s’endormir seules dans un grand lit, rentrer dans une maison vide, tout
assumer seules… Plus question d’évoquer le passé avec leur compagnon, plus question d’être
105
AU PLUS PRÈS DES GENS
malade en sachant qu’il y aura toujours quelqu’un pour venir en aide. On n’est plus touché par
rien, on ne partage plus soucis ou fierté à propos des enfants… Environ un cinquième des personnes âgées disposeraient d’insuffisamment de ressort et de faculté d’adaptation pour bien
assumer ces pertes.
Le programme de groupe ‘Verder na verlies’ crée un espace de parole où les personnes âgées
ont l’occasion d’exprimer leurs émotions, leurs souhaits et leurs difficultés. Il y a échange, ce qui
leur permet de se savoir soutenues par d’autres vivant la même situation qu’elles, et de se stimuler mutuellement. Un cours organisé en parallèle aborde systématiquement certains thèmes:
l’acceptation de la perte subie, la vie en solitaire, l’impact des images et des idées toutes faites
sur les personnes âgées, les souhaits et objectifs personnels, l’intimité et la sexualité, etc. Les
personnes âgées qui ont participé aux rencontres disent être devenues plus fortes, elles ont davantage de prise sur leur vie et disposent de stimulants pour élargir leur réseau social. Bref, grâce
au programme de groupe, nous renforçons les facteurs préventifs de la dépression, à savoir la
confiance en soi et les aptitudes sociales.
A côté du cours ‘Verder na verlies’, nous organisons aussi la variante ‘En wat nu?’ (et maintenant, que faire?), faite de rencontres pour personnes âgées confrontées à des pertes plus diverses: certaines souffrent de la perte de leurs petits-enfants suite à un divorce, d’autres perdent un
enfant, d’autres encore acceptent difficilement de vieillir, etc.
Dans la mesure du possible, nous faisons intervenir un collaborateur du centre pour préparer
le cours et l’encadrer avec nous, de telle sorte que les collaborateurs fréquemment confrontés à
des personnes âgées par leur profession apprennent à détecter les signaux de la dépression et à
réagir face à des difficultés psychiques.
Nous sommes également en train de concevoir un spot télévisé de sensibilisation par le biais
duquel nous cherchons à stimuler les compétences des intermédiaires. Le médecin de famille, entre autres, est un intermédiaire important: c’est parfois la seule personne qui rend encore visite
aux personnes âgées isolées. Or, il n’est pas facile de sensibiliser les médecins à un projet de prévention: ils n’ont guère de temps et la problématique, très complexe, n’est pas de ‘leur domaine’,
de sorte qu’ils éludent le problème, ce qui est compréhensible. Les personnes âgées de leur côté
n’ont pas envie de sortir de chez elles, ne prennent pas de plaisir à participer à des activités et
passent des heures devant la télévision. Notre projet ‘Beeld en klank. Een gezicht, een stem’
(Image et son. Un visage, une voix) veut remédier à cela. La subvention que nous recevons de la
Commission de la Communauté flamande ne suffit toutefois pas à financer cette activité. Notre
projet a été sélectionné par la Fondation Roi Baudouin dans le cadre du programme ‘Rompre
l’isolement social du quatrième âge’, ce qui nous a valu un financement unique supplémentaire.
Le spot télévisé, axé sur l’importance des relations de confiance, s’adresse aux personnes
âgées. Il sera diffusé pendant une semaine sur la chaîne régionale. A la fin du spot, nous encourageons les personnes âgées qui n’ont pas de réseau social à en parler à leur médecin de famille.
Nous les encourageons ainsi à utiliser ou à élargir leurs contacts existants et à développer un
réseau social.
Ce spot télévisé est également l’occasion d’instaurer un dialogue avec les médecins bruxellois,
d’attirer leur attention sur la problématique de la dépression, de mettre ce thème à l’agenda
des recyclages, de braquer les projecteurs sur cette problématique durant une courte période de
temps, de permettre aux médecins de faire connaissance avec les centres de service spécialisés…
Les premiers contacts sont positifs et le spot semble déjà avoir un impact sur la prévention de la
106
CHAPITRE 5
dépression, bien qu’il ne soit pas encore produit ; les diverses activités qui l’accompagnent ont
déjà donné l’un ou l’autre résultat. Ainsi par exemple, nous avons fixé une soirée de recyclage
pour les médecins bruxellois qui se sont engagés à consacrer une attention particulière à la problématique de la dépression chez les personnes âgées pendant un mois. Nous apprécions beaucoup les efforts de ce groupe professionnel déjà surchargé. Ces efforts sont nécessaires.
C O N TA C T S :
CGGZ Brussel, deelwerking Brussel-Oost
Roger Vandendriesschelaan 11, 1150 Brussel
tél. 02. 771 92 03
E-mail: [email protected]
107
Avec Nos Aînés (ANA)
DANIEL RECLOUX
COORDINATEUR ANA À NAMUR
Une chute, l’hôpital, la maison de repos … Nombre de personnes âgées vivent ce ‘placement’,
ce transfert d’une vie à une autre, sans avoir été consultées, préparées.
Et si une situation urgente ou, mieux, la prévention était l’occasion de réunir ceux qui se
sentent concernés par le bien-être de la personne âgée? Si celle-ci restait maître du ‘jeu’, en
étant mieux informée, mieux encadrée aussi? Telle est la philosophie de départ d’Avec Nos Aînés
(ANA).
Le service ANA a été mis en place voici 4 ans et est financé par la Région wallonne et la Province de Namur. Il travaille sur deux axes: l’intervention en situation de crise en partenariat avec
l’ensemble des ressources de la région, et la formation, sensibilisation en santé mentale des intervenants de terrain.
Le travail de réseau
Le travail avec la personne âgée a ceci de spécifique qu’il rencontre d’emblée une situation
dans sa complexité. Il s’agit de percevoir la personne âgée dans sa globalité, en tenant compte
de son vécu, son histoire, son environnement familial et/ou professionnel. Cela suppose automatiquement la nécessité de partenariats, de coordinations, de concertations, bref un travail de
réseau qui implique la personne âgée, les intervenants de 1ère ligne et les familles. Une des missions d’ANA, c’est donc d’encourager toutes les personnes, les services, les ressources qui, de près
ou de loin, peuvent contribuer à maintenir ou à favoriser le bien-être de la personne âgée à se
réunir autour de la table et à réfléchir ensemble aux solutions les plus adaptées.
Un partenariat privilégié s’est donc tout naturellement développé entre ANA et les différents
Services de Santé Mentale (SSM) de la Province de Namur. ANA se conçoit d’ailleurs comme un
‘vecteur’ entre les différents SSM, soit afin d’encourager le travail avec les personnes âgées, soit
afin de participer à des initiatives mises en place par ces derniers; la finalité étant de construire
autour de chaque SSM un réseau gérontologique de proximité.
Une autre spécificité d’ANA est de rencontrer la personne âgée sur son lieu de résidence: que
cette personne âgée vive à son domicile ou soit hébergée en institution, ou hospitalisée.
108
CHAPITRE 5
ANA se veut donc tout à la fois au service de la personne âgée et de sa famille, et au service
des professionnels à qui elle assure soutien et formation.
Les formations
Les formations nous permettent d’établir des contacts avec les intervenants de 1ère ligne, de
les écouter, de comprendre les situations qu’ils rencontrent au quotidien afin de leur permettre
d’en appréhender la complexité en leur donnant les outils nécessaires. Ces formations ont pour
thèmes: la dépression, les maladies mentales, la démence de type Alzheimer, la maltraitance des
personnes âgées, l’agressivité, etc. Elles sont périodiquement co-animées avec un psychologue
d’un SSM et peuvent se dérouler dans les locaux d’un Service Provincial de Santé Mentale.
La promotion d’une reconnaissance plus grande et plus affinée de la santé mentale comme
bien-être général et global ainsi que sa dédramatisation auprès du grand public - pour qui le
terme santé mentale fait peur et évoque encore la folie - en constituent le fil conducteur.
L’intervention spécifique en situation de crise
La crise est souvent liée chez la personne âgée et son entourage à la nécessité de réaménager
son lieu de vie vu sa dépendance physique et/ou psychique croissante, et est souvent concomitante à une situation d’urgence. Sans minimiser l’importance de répondre à cette urgence, il
ne faudrait pas non plus occulter la crise. L’occasion de changement est inhérente à la crise ; si
elle est source de souffrance, la crise est aussi source de créativité. Malheureusement dans la
pratique, les contacts entre les différents professionnels ne portent souvent que sur la mise en
pratique immédiate de mesures. La famille est elle-même mise en situation de prendre des décisions dans l’urgence au risque de nombreuses maladresses, et surtout, la personne âgée risque
de n’être plus que l’objet de ces mesures et de n’avoir plus aucun pouvoir de décision sur sa vie.
Lorsqu’il est sollicité par ce type de problématique, le service ANA propose une concertation.
Nous nous inspirons de la pratique de la concertation de Jean-Marie Lemaire1 qui a entre
autres pour référence l’approche contextuelle de Boszormenyi-Nagy. Celle–ci, centrée sur la
notion d’éthique relationnelle, nous semble tout à fait appropriée à réfléchir les situations que
nous rencontrons. Le processus de concertation se construit avec l’usager, et restaure celui-ci
comme sujet acteur. C’est bien cet aspect qui nous semble important. Il s’agit pour nous de
proposer un espace-temps pour accueillir cette crise, où la possibilité est donnée aux différents
acteurs d’exprimer leurs désirs, observations, appréhensions, sentiments et représentations concernant la situation et ses éventuels aménagements. Il s’agit là aussi d’un travail de prévention
et de promotion de la Santé Mentale tant pour la famille et l’environnement au sens large que
pour la personne âgée.
Un autre axe que ANA essaie de développer depuis peu et qui somme toute est le corollaire
des 2 axes cités plus haut, c’est de se positionner à l’articulation entre le domicile, l’hôpital et la
Maison de Repos.
Pour certaines personnes âgées relativement isolées ou dépourvues de famille, l’entrée en
maison de repos, après une hospitalisation, est inéluctable. La possibilité de maintien à domicile
s’avère impossible voire dangereuse malgré les multiples structures de soins et d’aides à domicile.
109
AU PLUS PRÈS DES GENS
Très souvent, compte tenu de la carence de possibilités d’hébergement, l’admission en maison
de repos a lieu quand une place se libère, c’est-à-dire quand quelqu’un vient de mourir. L’urgence s’impose tant pour le personnel soignant qui n’a pas encore fait le deuil du défunt avec
qui des contacts cordiaux s’étaient peut-être noués, que pour la personne âgée qui passe d’un
endroit à un autre, parfois contre sa volonté, comme si sa vie s’arrêtait et recommençait ailleurs.
Notre objectif est d’être le chaînon manquant, le lien entre les deux vies, d’accompagner la
personne âgée dans ce difficile ‘transfert’. A cette fin, ANA , lorsqu’il est contacté, réunit tous
ceux qui sont concernés par la décision: la personne âgée, l’hôpital et les responsables de la
maison de repos. Pendant la période d’adaptation de la personne âgée à son nouveau domicile,
période généralement douloureuse, ANA lui dispensera un suivi psychologique, si tel est son
souhait, et se montrera particulièrement attentif et intéressé par les observations du personnel
soignant avec lequel un travail peut se mettre en place.
RÉFÉRENCE:
Jean Marie Lemaire in Magda Heireman - 1989 - «Du côté de chez soi; la thérapie contextuelle d’Yvan N-B» Paris - ESF
C O N TA C T S :
Avec Nos Aînés (ANA), rue Martine Bourtonbourt 2, 5000 Namur
Tél: 081.72.95.82 ou 081.72.95.87
E-mail: [email protected]
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Une clinique de jour psychothérapeutique
pour personnes âgées confrontées à un
deuil difficile
LUC VAN DE VEN
GÉRONTOPSYCHOLOGUE CLINIQUE UNIVERSITAIRE ZIEKENHUIZEN LEUVEN
Un des défis des soins de santé mentale pour personnes âgées est le traitement d’individus et
de familles qui, suite au décès d’un être cher, vivent un deuil s’accompagnant de complications. Il
est établi que la psychothérapie constitue pour ces personnes le traitement préférentiel. En pratique cependant, on constate que de nombreux patients ne reçoivent pas le traitement qu’ils méritent ; certains se voient uniquement administrer des psychotropes, pour d’autres le seuil d’accessibilité à la psychothérapie est trop élevé, et d’autres encore s’enferment dans un isolement complet. A cela s’ajoute le fait que de nombreux psychothérapeutes nourrissent encore aujourd’hui
le préjugé qu’un traitement psychothérapeutique n’est pas efficace chez les personnes âgées.
Quatre principes
C’est pour combler cette lacune qu’une clinique de jour psychothérapeutique pour personnes
âgées a été créée en 1997, dans le cadre du département de gérontopsychiatrie des Cliniques
Universitaires de la K.U.Leuven. Quatre principes ont été formulés au départ de cette initiative:
1. Le groupe-cible est constitué de personnes âgées ayant des problèmes psychiques (deuil
difficile, dépression), dans lesquels n’interviennent pas de troubles psycho-organiques. Les conditions de participation à ce programme sont les suivantes: il importe qu’il y ait au départ une prise
de conscience du problème, une demande d’aide, une motivation et une coopération minimales
(chez la personne âgée et/ou sa famille). Le patient doit en outre disposer d’aptitudes verbales,
émotionnelles et sociales minimales. Lors de l’entretien préliminaire, les membres de l’équipe ne
sont pas toujours en mesure de percevoir clairement si le patient satisfait ou non à ces conditions
de base; de plus, certains candidats hésitent à se lancer dans le programme. Raisons pour lesquelles chaque candidat passe d’abord par une période d’essai d’une semaine.
2. Un objectif important est d’éviter une hospitalisation à plein temps ou d’en limiter la durée.
Pour certains patients, une situation de crise rend l’hospitalisation nécessaire, mais une fois la
crise maîtrisée, le patient rentre chez lui et le traitement se poursuit à la clinique de jour.
3. Le traitement a une durée limitée: la plupart des personnes âgées participent au programme pendant cinq à six mois. En cas de nécessité, un suivi est organisé après coup, au cours duquel
les patients ont la possibilité de participer à un ‘groupe de suivi’ une fois par semaine ou par
quinzaine, animé par un accompagnant professionnel.
111
AU PLUS PRÈS DES GENS
4.Le traitement est à la fois psychothérapeutique (cf. ci-après) et multidisciplinaire. L’équipe
se compose, en plus des psychothérapeutes, d’un infirmier psychiatrique, d’un ergothérapeute,
d’un kinésithérapeute et d’un psychiatre. La clinique de jour offre non seulement une structure
mais aussi une sécurité; cet aspect est pris en charge par des collaborateurs qui de prime abord
ne remplissent pas une fonction psychothérapeutique mais qui accueillent, soutiennent et accompagnent le patient individuel et le groupe pendant la journée.
De nombreux patients âgés découvrent dans le cadre de l’ergothérapie et de la kinésithérapie
qu’ils sont plus aptes qu’ils ne le pensaient au départ. On tente également de les mettre en contact avec la vie culturelle et associative locale. Enfin, nous signalons les rencontres éducatives, sur
la santé par exemple, et la formation en aptitudes sociales.
Trois thérapies
Le programme de deuil se compose d’une psychothérapie individuelle, d’une psychothérapie
de groupe et d’une thérapie familiale. Comme évoqué précédemment, ce programme de deuil
est soutenu par l’ensemble des activités thérapeutiques de la clinique de jour; à côté de cela, la
relaxation, dans le cadre de la kinésithérapie, joue un rôle spécifique de soutien à la psychothérapie.
1. La pratique de la thérapie individuelle pour les personnes âgées confrontées à un deuil
s’appuie sur des techniques développées à partir de diverses orientations thérapeutiques: le pouvoir empathique de la client-centered-therapy, la compréhension des conflits intra-psychiques à
partir du schéma psychanalytique, les techniques de confrontation de la thérapie comportementale, la restructuration cognitive de la thérapie cognitive et l’approche contextuelle de la systémique. On peut donc parler sans conteste d’une forme éclectique de psychothérapie.
2. L’importance de la thérapie de groupe dans le traitement d’un deuil compliqué chez les
personnes âgées est de plus en plus prise en compte ces dernières années. Plusieurs arguments
plaident en faveur du travail en groupe. Le fait d’être confronté à une problématique collective
apporte un soutien mutuel et élargit l’horizon personnel: on découvre qu’on n’est pas le seul à
souffrir de la perte d’un être cher. Le travail en groupe a dès lors un effet normalisateur. La participation à un groupe offre en outre un cadre social qui apporte un complément au réseau social
existant, souvent réduit.
Un groupe donne aussi aux participants l’occasion de jouer eux-mêmes le rôle d’aidant. Pouvoir soutenir et conseiller d’autres personnes à partir de sa propre expérience exerce un impact
positif sur l’image de soi, ce qui est précieux pour des personnes âgées. Tous ces arguments soulignent l’importance du contact avec des compagnons d’infortune: l’expérience nous apprend que
l’effet thérapeutique de cet élément peut être considérable pour des personnes âgées en deuil.
3. Enfin, la thérapie familiale ne se limite pas à impliquer les membres de la famille lors du
traitement du patient ‘désigné’, maillon ‘faible’ du système. L’enjeu consiste plutôt à collaborer
avec la famille pour arriver à adopter une autre manière de gérer le poids de la perte. C’est la
famille dans son ensemble qui devient notre patient. C’est pourquoi il est important dans un
premier temps de se faire une idée de la manière dont chaque membre de la famille vit la perte,
et dont la communication à ce sujet se vit au sein de la famille: les sentiments peuvent-ils s’exprimer? Comment les membres de la famille se protègent-ils mutuellement? La reconstruction de
l’histoire familiale prend une place importante dans ce processus. On essaye de situer la perte, de
lui donner une place dans cette histoire.
112
CHAPITRE 5
BIBLIOGRAPHIE:
Luc Van de Ven (2004). Ouder worden. Het leven als antwoord ; Leuven: Davidsfonds.
C O N TA C T S :
Luc van de ven, Raadpleging Psychiatrie, Kapucijnenvoer 33, 3000 Leuven
E-mail: [email protected]
113
Expertisecentrum Dementie brOes:
Plaidoyer pour une prise en charge de la
personne atteinte de démence sénile et son
entourage
MARIE-CHRISTINE ADRIAENSEN
COORDINATRICE EXPERTISECENTRUM DEMENTIE BROES
Je viens souvent m’asseoir ici, un vieux journal dans les mains, quand je veux réfléchir à quelque chose. Mais le problème, c’est qu’on peut difficilement réfléchir à quelque chose dont on ne
se souvient pas. (Bernlev, Hersenschimmen, Querido, Amsterdam)
La démence est un processus de déchéance psychique, une maladie d’origine organique dont
les causes exactes sont inconnues. Les symptômes de la démence se manifestent petit à petit
pour s’aggraver ensuite progressivement: oublis gênants, troubles graduels de la mémoire, fonctionnement cérébral entravé, perte totale de mémoire.
Le ‘centre d’informations’ de la personne atteinte de démence sénile est perturbé, ce qui entrave son fonctionnement normal. On pourrait comparer cela à un ordinateur dont le système
d’exploitation est endommagé. L’ordinateur n’est plus en mesure d’interpréter correctement les
informations du disque dur (l’historique) et commence à réagir de manière étrange car il a perdu
sa ‘mémoire’.
Notre mémoire est ‘le disque dur’ sur lequel sont sauvegardées toutes les données du passé.
Cette ‘histoire’ influence nos faits et gestes et détermine pour une bonne part notre avenir: nous
réfléchissons et agissons pour ainsi dire constamment sur la base de ce que nous avons appris,
étudié, vécu, réalisé et expérimenté. Les souvenirs ont un impact sur notre comportement car
notre personnalité s’appuie en grande partie sur le passé: éducation, enseignements, interprétation, évaluation et déduction.
La démence détruit le passé, efface lentement mais sûrement toutes les anciennes données de
la mémoire et compromet de ce fait aussi l’avenir car elle entrave du même coup toute réflexion
et action consciente. La personne démente est désorientée. Elle confond présent et passé, hier et
aujourd’hui. Demain et après-demain n’existent plus.
‘Je me tracasse à son sujet. En apparence, rien n’a changé. Mais c’est justement cela qui est
tellement effrayant. Parfois il raconte des choses que je n’ai pas vécues. Comme si à ses yeux,
j’étais quelqu’un d’autre. Et puis d’un coup, il a oublié tout un pan de son propre passé. Je me
sens tellement impuissante car je ne sais pas comment l’aider. Et c’est venu tellement subitement. Il est devenu comme cela pratiquement du jour au lendemain’. (Bernlev, Hersenschimmen,
Querido, Amsterdam)
114
CHAPITRE 5
Nous ne savons rien du calvaire que vit une personne atteinte de démence sénile. Nous
‘voyons’ la déchéance progresser mais ne savons pas ce que la personne âgée ressent ou vit, nous
ne pouvons que deviner ses pensées et ses émotions. C’est pour cette raison que la démence
apparaît si cruelle aussi aux membres de la famille et aux aidants. Ils se sentent désespérément
impuissants car ils se rendent compte qu’il n’existe pas de remède permettant de lutter contre la
déchéance de leur proche.
La famille qui s’occupe d’une personne démente ne fait pas uniquement face à des problèmes
émotionnels. Le soignant rencontre aussi des obstacles pratiques: comment gérer la situation,
comment aménager la maison, qui va exercer une surveillance si je dois partir, où demander de
l’aide pour les soins que je ne peux plus assumer moi-même, qui peut me soutenir lorsque cela
devient trop difficile? La situation financière peut aussi devenir source de préoccupations. Il n’est
pas rare de voir les revenus diminuer suite aux dépenses occasionnées par l’aide supplémentaire
requise. Mais il y a surtout les aspects psychiques et émotionnels. Les comportements de personnes atteintes de démence sénile irritent, requièrent une vigilance constante, la communication
avec elles est fatigante, la gestion de ses propres émotions est épuisante. La personne démente,
sa famille et les services médico-sociaux ont terriblement besoin d’aide.
L’Expertisecentrum Dementie brOes, qui bénéficie d’un soutien financier de la Communauté
flamande, est une plate-forme bruxelloise regroupant connaissances et expériences en matière
de démence. Son objectif est d’apporter de l’aide aux Bruxellois confrontés aux conséquences de
la démence. Le centre donne des informations et de l’aide sur mesure, notamment des indications pour les soins de base et des conseils en matière d’accompagnement psychosocial.
Dans la pratique, brOes est là avant tout pour écouter les préoccupations de la personne âgée
au début de la maladie, de la famille ou des services sociaux, et pour répertorier les besoins. A
l’aide de ces informations, le centre peut proposer le soutien approprié: indiquer où faire appel
à une aide ménagère, un garde-malade, une infirmière, où s’adresser pour de petits travaux, où
trouver l’équipement adéquat. Il peut renvoyer vers un centre de diagnostic et expliquer les possibilités de garde dans les centres de jour. BrOes donne également des informations sur les éventuelles interventions financières publiques, les associations, les groupes de parole rassemblant
des personnes confrontées au même problème ou sur la littérature consacrée à la démence.
Les travailleurs sociaux ont parfois peur des comportements changeants, bizarres, de la personne démente. Une tâche importante de brOes consiste à expliquer l’évolution probable de
la démence, car une bonne compréhension des symptômes aide le soignant à gérer son inquiétude. Et si en raison de certaines circonstances, il est impossible de continuer à s’occuper de la
personne démente, la famille ou le service social peut s’adresser à brOes qui les aidera à chercher
une institution appropriée.
Outre les services pratiques aux personnes démentes et à leur famille, le centre propose également des formations à l’intention des soignants et des travailleurs sociaux. Des exposés et des
conférences peuvent également être organisés à la demande de toute instance intéressée.
Sortir d’ici… ne sais pas de quel côté va le monde… il doit bien y avoir une direction?… tout
espace a quand même une entrée et une sortie. (Bernlev, Hersenschimmen, Querido, Amsterdam)
L’Expertisecentrum brOes poursuit un autre objectif important. Soucieux de rassembler tout
le savoir-faire existant dans la Région de Bruxelles-Capitale en matière de démence, il élabore un
115
AU PLUS PRÈS DES GENS
réseau (Dementie-Netwerk-Brussel) et cherche à collaborer intensément avec tous les hôpitaux,
centres résidentiels et de soins, services de soins à domicile, médecins, travailleurs sociaux et
toute personne confrontée à cette problématique.
La Région de Bruxelles-Capitale est un melting-pot de nationalités, de cultures et de langues.
Cette diversité, bien que passionnante, complique la communication lorsqu’il s’agit de toucher
et d’aider rapidement des gens en crise. Il faut pour cela bénéficier de moyens supplémentaires,
malheureusement pas toujours disponibles, pour les patients et les soignants.
Il importe que les pouvoirs publics se rendent compte que la démence ne disparaîtra pas et
qu’au contraire, le vieillissement de la population ne fera qu’accentuer le problème. La démence
sénile est une maladie impitoyable qui ne fait aucune distinction de race ni de langue, qui touche riches et pauvres et ne tient compte ni des convictions philosophiques ni des tendances politiques.
C O N TA C T S :
Expertisecentrum Dementie BrOes
Roger Vandendriesschelaan 11, 1150 Brussel
Tél: 02 7780170
E-mail: [email protected]
La Flandre compte neuf centres ‘Démence’.
Pour plus d’informations: www.dementie.be
116
Les ateliers du souvenir
CATHÉRINE GOOR
DIRECTRICE DE LA RÉSIDENCE NEW PHILIP ET SON ÉQUIPE
Depuis quelques années déjà, notre Résidence s’intéresse au travail du souvenir et met en
place pour ses résidents des ateliers de réminiscence, animés par des membres du personnel.
Ce travail qui se déroule de façon régulière, permet d’explorer différents thèmes de la vie de
chacun: les métiers, les voyages, les sorties, la fête, les hommes, la féminité, les fiançailles et le
mariage…
Personne n’est obligé de se raconter, bien sûr, mais bien souvent, un souvenir en entraîne un
autre, et tout doucement, la communication s’installe. Les émotions circulent et sont accueillies
au moment où elles arrivent, dans un groupe où nous nous sentons plutôt comme des amis, des
personnes à rencontrer et à découvrir dans ce qu’elles possèdent de riche et d’émouvant.
Outre le plaisir que ce travail procure, il donne aussi l’occasion aux résidents dont la mémoire
s’effiloche, de reconstruire et de revivre des moments intenses du passé, et de reprendre ainsi
contact avec eux-mêmes.
Il existe une littérature mondiale de plus en plus importante à propos d’expériences pratiques
et de recherches empiriques portant sur la manière de se servir du passé pour valoriser le présent, d’exploiter ce que les personnes conservent encore (la mémoire des faits anciens) au lieu
d’insister sur ce qu’elles ont perdu (la mémoire immédiate), et ainsi de préserver la communication avec les personnes démentes, afin de maintenir un certain niveau de relations sociales.
Pour tout le monde
La réminiscence est un acte spontané. En famille, entre amis, nous éprouvons du bonheur à
nous rappeler les bons souvenirs, avec humour, avec tendresse, parfois aussi en accueillant les
pleurs qui font irruption à l’évocation de souvenirs douloureux. Les liens se resserrent, cela nous
fortifie. Il s’agit bien de cela: passer un bon moment ensemble. Parfois les souvenirs sont tellement éloignés, qu’ils n’arrivent pas à la conscience. Alors devant tel objet, telle photo, tel événement, telle odeur, telle sensation, il arrive qu’ils réapparaissent, et ainsi l’être, avec son histoire,
apparaît sous un autre jour, il est reconnu dans son identité propre. Car quel que soit le présent,
même si je deviens confus, désorienté, je suis toujours une personne qui vit, qui peut être heu-
117
AU PLUS PRÈS DES GENS
reuse en partageant quelques bribes de son histoire avec d’autres, qui m’accueillent telle que je
suis aujourd’hui dans ma réalité.
Un lieu à part
‘La Maison du Souvenir’, est un appartement situé en dehors de la résidence, mais non loin de
celle-ci, où nous pouvons accueillir, dans un cadre convivial et sans être dérangé, un groupe de
six à huit personnes. La décoration intérieure, qui rappelle les années cinquante, contribue à installer les personnes dans une atmosphère propice à la réminiscence. Chaque rencontre se déroule
selon un rituel qui amène petit à petit la personne à se souvenir. Nous avons nos petites habitudes, comme le goûter de quatorze heures et le souper, pour retrouver les émotions, les joies de la
table. Cela présuppose deux choses. Primo, de faire les courses durant le trajet aller, ou la veille.
Nous gardons ainsi le contact avec le monde extérieur et la réalité quotidienne. Secundo: préparer, parfois, les plats nous-mêmes. Nous retrouvons ainsi les gestes acquis, nous redécouvrons les
odeurs, le toucher, le goût,… Nous recevons des félicitations, des encouragements, nous prenons
des initiatives, nous avons aussi… des fous rires.
Bref, la réminiscence à la Maison du Souvenir est un moment intense de convivialité, d’amitié,
d’autonomie retrouvée et d’humour, où ce sont les forces, les valeurs, qui sont mises en évidence,
et non pas les défaillances. En effet, on oublie trop souvent aujourd’hui qu’une personne qui
souffre de démence est un être humain, avec une personnalité spécifique,… et une maladie. En
traitant une personne démente comme un être humain à part entière qui, en dépit de sa maladie, possède encore un sens de la dignité personnelle et un niveau de capacités physiques et intellectuelles, il est parfois possible de ralentir le développement de la maladie et, pour un certain
moment, d’augmenter la qualité de vie. Il est donc important de permettre au résidant de vivre
le mieux possible des expériences de vie positives dans une interaction positive avec la famille et
les amis proches.
L’atelier du souvenir sur le thème ‘les Hommes d’antan’
Lors d’un atelier de réminiscence, où il n’y avait que des femmes, nous avons imaginé donner
la parole à chaque résidente qui le souhaitait pour écrire une histoire. Une histoire qui nous
permettrait de nous souvenir de cet après midi un peu fou, où nous nous sommes laissées aller
à donner la parole aux petits diables cachés au fond de chacune d’entre nous, avec ce sentiment
réconfortant d’être séduisantes, attirantes, bref d’être reconnues dans notre féminité toute entière. Le résultat de ce travail d’imagination collective témoigne d’une étonnante vivacité de la
part de personnes qui semblent parfois éteintes par la maladie. On oublie trop souvent que derrière ces malades il y a des hommes et des femmes qui ont simplement du mal à exprimer leurs
émotions et leurs désirs.
‘Il était une fois un très bel homme aux cheveux blonds et aux yeux bleus, qui attendait patiemment au coin de la rue une compagnie. Parce qu’il n’est pas bon qu’un homme soit seul ; il
deviendrait alors une proie pour les femmes au tempérament chaud.
Quelle après-midi pourrait-il bien passer?
C’est alors qu’une femme aux yeux de braise apparut, superbement vêtue d’une robe beige
qui dessinait les courbes de ses hanches voluptueuses.
Il la salue et lui dit « tu viens chérie ». Elle lui tombe dans les bras et lui caresse le visage pour
sentir sa bonne odeur. Il lui demande comment elle s’appelle.
118
CHAPITRE 5
Marguerite, lui dit-elle. C’est alors qu’il commence à l’effeuiller. Intimidé, le soir tombe. On
entend au loin la chanson « Parlez-moi d’amour…je vous aime »
Ils se mettent à danser au rythme de la musique…’
BIBLIOGRAPHIE:
-
Bruce, E. & Gibson, F.(1998). Remembering yesterday, caring today: Evaluations Report. Conference Papers. London: Age Exchange.
-
Gibson, F.(2004). The Past in the Present: using reminiscence in health and social care. Baltimore: Health Professions Press
-
Killick, J.(1997) You are words. London: Journal of Dementia Care.
-
Schweitzer, P.(Ed.).(1998). Reminiscence in dementia care. London: Age Exchange.
C O N TA C T:
Résidence New Philip, avenue de Monte Carlo 178, 1190 Forest
Tél: 02. 346 53 53
119
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
Hoofdstuk
Le travail, source de stress
:: Introduction: Notre emploi, source de stress?
Dirk Antonissen et Sigert Vandenberghe, Instituut voor Stress en Werk (ISW)
:: Consultant en gestion du stress: un nouveau métier?
Marc Drèze, Centre pour la Formation et l’Intervention Psychosociologiques (CFIP)
:: La gestion du stress au travail: l’exemple d’un hôpital psychiatrique
Marc Vermeire, Hôpital psychiatrique Sint-Camillus, Sint-Denijs-Westrem
:: Travailler avec plaisir, …plus longtemps
Léon Vliegen, Borealis
:: Pour une gestion humaine des problèmes d’alcool au travail
Michèle Bauwens, Santé et Entreprise asbl
6.1
1
Notre emploi, source de stress?
DIRK ANTONISSEN, CEO INSTITUUT VOOR STRESS EN WERK (ISW)
SIGERT VANDENBERGHE, PSYCHOLOGUE ISW
En guise d’introduction
Il n’y a pas que dans les débats entre employeurs et travailleurs que le stress au travail est
devenu un sujet brûlant; la littérature sur le stress accorde également beaucoup d’attention au
phénomène. On parle parfois du ‘stress au travail’ comme s’il s’agissait d’une sorte de stress spécifique, comme s’il y avait une différence logique et observable entre le stress au travail et le stress
‘ordinaire’. Or, ce sont les mêmes mécanismes qui jouent un rôle dans le stress au travail et dans
le stress tout court. Les plaintes ne sont pas différentes pour le stress au travail. Mais l’existence
même de l’expression ‘stress au travail’ prouve bien à quel point le travail est considéré comme un
bouc émissaire. Si le stress au travail n’est pas une forme spécifique de stress, il a bel et bien une
cause spécifique: le travail.
Il est évident que notre environnement de travail exerce une grande influence sur notre
bien-être au quotidien. Il suffit d’un peu de bon sens pour se rendre compte de l’impact de notre travail sur notre vie. Les personnes qui travaillent à temps plein passent environ la moitié de
leur temps disponible (temps total - temps de sommeil) au travail. Notre emploi détermine nos
occupations quotidiennes, nos revenus, et donc aussi pour une large part notre niveau de vie; nos
contacts sociaux se situent essentiellement dans la sphère du travail… La place qu’occupe notre
emploi dans notre vie explique dès lors qu’une situation professionnelle désagréable et insatisfaisante puisse être un important facteur de stress.
Si on part des prémisses que le stress (chronique) n’est pas bon pour la santé et que le travail
est souvent source de stress (chronique), on en déduit logiquement que le travail est souvent
mauvais pour la santé. Ce raisonnement logique, pour lequel point n’est besoin d’être psychologue, devrait inciter les employeurs à chercher et à construire un environnement de travail peu
stressant pour leurs employés. Car si l’on poursuit le raisonnement, on en arrive rapidement à la
conclusion qu’une situation de travail malsaine conduit à des travailleurs en mauvaise santé, avec
toutes les conséquences qui en découlent: absentéisme, incapacité de travail, départs,…
L’importance d’investir dans un environnement de travail sain s’exprime aussi en chiffres.
D’après des données de l’Institut National de Statistiques, plus de 30% des travailleurs belges sont
d’avis que le travail a un effet négatif sur leur santé en raison du stress qui y est lié. En Belgique,
pas moins de cinq millions de jours d’absence par an, sur un total de 3,5 millions de travailleurs,
122
CHAPITRE 6.1
sont dus au stress au travail (Belstress I (2003)). Un environnement professionnel stressant est donc
défavorable, non seulement pour les travailleurs, mais tout autant pour les employeurs et, ne
l’oublions pas, pour l’ensemble de la société.
Au bon sens et à ces chiffres vient s’ajouter la législation. Les décideurs politiques ne sont pas
non plus restés aveugles aux avantages qu’il y a à investir dans le bien-être au travail. C’est ainsi
que la Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs oblige les employeurs à prendre
des mesures minimales pour prévenir et/ou remédier au stress au travail.
Ces arguments convaincants ne laissent plus les employeurs indifférents. La plupart ont compris
qu’investir dans le bien-être sur le lieu de travail est indispensable et ne présente que des avantages. Alors que c’était impensable par le passé, les employeurs qui prennent des initiatives en
matière de stress sont considérés aujourd’hui comme des gestionnaires compétents.
L’ISW veut attirer l’attention sur le fait que le débat sur le stress professionnel dans les organisations et les entreprises doit s’inscrire dans une politique relative au bien-être et à la performance. Une telle politique se doit de garantir tant les intérêts des travailleurs que ceux des employeurs, sans nécessairement les opposer.
Un peu d’histoire
Les employeurs qui ne veulent pas reconnaître l’intérêt d’une politique anti-stress effective invoquent souvent l’argument selon lequel ce n’est pas l’emploi qui est cause de stress, mais bien les
caractéristiques individuelles des travailleurs stressés. Or, bien que les caractéristiques personnelles
jouent certainement un rôle dans ce débat, il n’en est pas moins vrai que certains facteurs dans les
conditions de travail augmentent la probabilité de stress et ont une influence néfaste sur la santé.
Cette discussion remonte aux origines de l’étude scientifique du stress au travail, après la
deuxième guerre mondiale. Dans le contexte de la guerre froide, les premières études portant
sur le stress au travail ont été menées par l’armée américaine, avec pour objectifs sous-jacents
le recrutement de travailleurs résistants au stress et la maximalisation de la productivité chez les
soldats. Même si ces intentions n’étaient pas mauvaises en soi, il s’est immédiatement avéré que
l’accent était mis surtout sur les caractéristiques personnelles, subjectives, des travailleurs, plutôt
que sur les caractéristiques du travail. On considérait donc que le stress n’avait aucun rapport
avec la nature du travail, mais bien avec celle de l’individu. On reconnaît là l’idée derrière laquelle
certains employeurs se retranchent volontiers: ‘Ce n’est pas le travail qui doit changer mais bien le
travailleur stressé.’
C’est à cette même époque qu’ont débuté les études scandinaves sur le stress au travail, dans
un tout autre contexte politique. La question principale n’était alors pas tant de savoir comment
on pouvait augmenter la productivité des gens, mais bien comment on pouvait optimaliser les
conditions de travail en vue d’une plus grande satisfaction professionnelle des travailleurs. Dans
cette optique, on a recherché les facteurs objectifs qui font qu’un emploi est stressant ou non.
C’est dans cette tradition de recherche que Karasek (un architecte américain, remarquez bien!)
a développé le modèle qui est devenu une référence en matière de stress au travail. D’après le
modèle de Karasek, trois facteurs importants déterminent si un emploi est stressant ou non:
– La charge de travail peut être définie comme le degré de ‘pénibilité’ du travail. Il ne s’agit pas
tant de savoir à quel point le travail est physiquement pénible, mais dans quelle mesure il est
123
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
mentalement pénible. Quelles exigences (psychologiques) le travail pose-t-il au travailleur? Exigences quantitatives (quantité de travail, rythme de travail,…), mais aussi qualitatives (variation
des tâches, responsabilités, difficulté,…).
– Le contrôle sur le travail effectué concerne l’autonomie décisionnelle dont dispose le travailleur. Dans quelle mesure le travailleur a-t-il la possibilité de décider lui-même de la manière
dont il effectue son travail? Des horaires flexibles, la liberté d’aménager lui-même son lieu de
travail, un pouvoir décisionnel concernant le rythme de travail… augmentent l’autonomie.
– Le soutien social comprend le soutien des collègues et de dirigeants expérimentés sur le lieu de
travail.
Le modèle de Karasek dit simplement qu’un travail s’accompagnant d’une charge importante,
de peu d’autonomie et de peu de soutien social, est stressant. Le rapport entre les trois facteurs est traditionnellement représenté sous forme d’une balance avec d’un côté la charge de
travail et de l’autre l’autonomie. Si les deux s’équilibrent, l’emploi n’est pas stressant; s’il y a
déséquilibre, l’emploi est bel et bien stressant. Le soutien social fonctionne comme un amortisseur pouvant absorber les effets négatifs d’une charge de travail trop lourde.
Il est à noter toutefois que le déséquilibre peut aller dans les deux sens. D’après le modèle de
Karasek, une charge de travail trop légère peut également être stressante. La charge de travail
doit correspondre aux compétences et aux capacités du travailleur. Celui qui peut assumer beaucoup de travail et/ou un travail difficile doit recevoir beaucoup de travail et/ou un travail difficile.
Ceci explique pourquoi il peut être stressant pour de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur d’accepter un emploi inférieur à leur niveau de formation.
D’après le modèle de Karasek, la solution au problème du stress au travail se situe entièrement
dans l’environnement professionnel. Veillez à procurer une charge de travail optimale, suffisamment d’autonomie et de soutien social, et le problème est résolu; les travailleurs n’éprouveront
plus de stress. Comme s’il existait une mesure objective optimale en matière de charge de travail,
d’autonomie et de soutien social. Le modèle ne peut toutefois expliquer pourquoi un emploi
identique est stressant pour un travailleur et ne l’est pas pour un autre. Sauf à considérer que la
charge de travail, l’autonomie et le soutien social sont des facteurs subjectifs. Ce qui constitue
une stimulation optimale pour un travailleur constitue pour l’autre une surcharge ou une charge
insuffisante. Là où l’un est satisfait du contrôle et du soutien social, l’autre peut en ressentir le
manque total.
Tant l’approche subjectivante, où le stress au travail vient entièrement de l’individu, que l’approche objectivante de Karasek, où le stress au travail découle entièrement de la situation professionnelle, sont donc insuffisantes. Le stress au travail concerne toujours une personne donnée
(travailleur) dans une situation (professionnelle) déterminée, autrement dit l’interaction entre
la personne et son environnement. Il n’empêche que les trois facteurs que Karasek considérait
comme cruciaux, à savoir la charge de travail, l’autonomie et le soutien social, font toujours office
de piliers essentiels dans le débat sur le stress au travail, mais sans leur connotation objective.
T E N D A N C E S A C T U E L L E S D A N S L E D É B AT R E L AT I F A U S T R E S S A U T R AVA I L
Nuançons les facteurs de Karasek
Si le modèle de Karasek reste de nos jours le modèle le plus influent en matière de stress au
travail, il est trop simple pour appréhender entièrement un problème aussi complexe. Ses piliers
124
CHAPITRE 6.1
restent toutefois incontestés. Les nouvelles théories ne font que le peaufiner ou le compléter.
Entre autres nuances, il y a la tendance décrite plus haut à considérer les facteurs du modèle de
Karasek comme subjectifs. Ainsi, on s’est rendu compte que la charge de travail en soi ne pouvait
être considérée comme seule ‘coupable’. Les employeurs seront heureux d’apprendre qu’objectivement, il n’y a pas de charge de travail trop élevée. Pour savoir si la charge de travail est trop
élevée ou non, il faut toujours l’évaluer par rapport aux facteurs psychosociaux (degré d’autonomie et de soutien social) dans lesquels fonctionne la personne qui doit supporter la charge. En
d’autres termes, une charge de travail élevée ne rend pas les gens malades. Une charge de travail
importante ne mène à des réactions de stress que lorsqu’elle est combinée à d’autres facteurs:
trop peu d’autonomie, mauvaise ambiance de travail, peu de contacts sociaux, etc.
Bien-être: le débat est ouvert
Une deuxième tendance actuelle consiste à situer les études portant sur le stress au travail dans
le cadre plus large du bien-être au travail en général. Le stress au travail est un facteur qui a une
influence négative sur notre bien-être au travail. Le bien-être peut alors être compris dans le sens
moderne de ‘Quality of Life’, et comme il s’agit ici spécifiquement du bien-être au travail, nous
parlons de ‘Quality of Working Life’ (QWL). Les études consacrées à notre QWL abordent, outre le
stress, d’autres éléments tels que la santé physique et la maladie, la sécurité, le niveau de vie, les
comportements transgressifs sur le lieu du travail (harcèlement, violence, comportement sexuel
indésirable)… Bien sûr, tous ces aspects sont intimement liés. Ainsi, des interventions au niveau
de la sécurité (le port du casque sur un chantier de construction, par ex.) sont importantes afin de
prévenir un stress aigu (un accident mortel sur un chantier de construction, par ex.). C’est pourquoi il est préférable d’étudier tous ces éléments dans un cadre commun, sous la dénomination
de ‘bien-être au travail’.
A la recherche de l’équilibre: ‘work-life’ balance
La notion de ‘work-life balance’ est aussi très à la mode de nos jours. Un équilibre sain entre
vie privée (life) et travail (qui étrangement ne fait pas partie de la ‘life’) est jugé nécessaire à une
qualité de vie optimale. On ne peut cependant pas refaire la même erreur que pour les notions de
charge de travail, de contrôle et de soutien social du modèle de Karasek. Il n’existe pas de normes
objectives permettant de déterminer ce qu’est un équilibre sain entre travail et vie privée. C’est
aussi une donnée subjective. Nous pouvons seulement dire qu’un équilibre sain entre travail et vie
privée favorise le bien-être, mais ce que cela signifie pour un individu concret est beaucoup moins
facile à déterminer. Il y a des personnes pour qui la balance entre travail et vie privée penchera
très fortement en direction du travail, sans qu’elles en éprouvent du stress et/ou s’en sentent mal.
Pour favoriser un équilibre sain entre travail et vie privée, certaines entreprises ont proposé
des services de repassage de linge ou d’accueil d’enfants. De telles initiatives témoignent de
beaucoup de bonne volonté mais des enquêtes ont démontré que l’impact de telles initiatives est
généralement limité. Ce qui aide davantage les travailleurs, c’est la liberté de pouvoir régler leur
travail en fonction d’arrangements dans la sphère privée (la garde des enfants par ex). Outre un
horaire flexible, la possibilité (limitée) de travail à domicile est un exemple d’initiatives pouvant
favoriser un sain équilibre entre travail et vie privée.
L’importance des conditions de travail s’exprime aussi dans l’importance grandissante des
125
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
valeurs qu’incarne l’entreprise où l’on travaille et de la manière dont on peut s’y identifier en tant
que personne.
Les entreprises sont aussi de plus en plus mises au défi de trouver une solution équilibrée pour
des caractéristiques spécifiques à certaines catégories d’âge des collaborateurs. En ce moment,
c’est surtout la politique adoptée à l’égard des travailleurs plus âgés qui est au centre des préoccupations. Ici aussi, l’on peut songer à des mesures se situant au point de rencontre entre travail
et vie privée, comme la diminution progressive, plutôt que brusque, de la carrière.
Une autre constatation notable concernant la relation travail/vie privée est que notre entourage privé a moins d’impact sur notre bien-être que notre environnement professionnel. Plus
étonnant encore, une vie privée satisfaisante ne peut compenser les problèmes au travail, mais
l’inverse est vrai. L’explication avancée à ce sujet est encore plus controversée. Notre environnement professionnel aurait un plus grand impact sur notre bien-être parce que le lien affectif avec
le travail est plus important que le lien économique. Sur notre lieu de travail, les contacts sociaux
(lien affectif) constituent la principale motivation, notre rémunération (motivation économique)
venant en deuxième place. Dans notre relation avec notre partenaire, en revanche, les intérêts
économiques sont la motivation principale. Le lien affectif n’occupe que la deuxième place. Ce qui
explique qu’une situation de travail insatisfaisante a un plus grand impact sur notre sentiment de
bien-être qu’une relation de couple insatisfaisante.
Récupération
Outre le fait qu’il n’existe objectivement pas de trop lourde charge de travail, les employeurs
seront heureux d’apprendre que les gens sont capables d’assumer beaucoup de stress! De courtes périodes de stress intense ne posent pas problème, à condition que l’on puisse s’en remettre. Le stress ne devient un problème que si nous ne pouvons plus récupérer après une période
stressante. Le stress devient alors un problème chronique car les périodes stressantes se suivent et
nous ne pouvons plus nous rétablir. En cas de stress chronique, notre mécanisme de récupération
est perturbé. On s’endort difficilement, on rumine. Certains ont besoin d’un bon verre d’alcool
avant de se coucher. Si on arrive à s’endormir, on ne dort pas sans interruption, ou alors pas profondément, ou l’on se réveille tôt. Et quand on doit se lever le matin, on rechigne à partir au
travail (pas de ‘fitness for work’). Ce processus indique que le mécanisme de récupération est perturbé. Si on a en revanche la possibilité de récupérer d’une période stressante, on s’en sort même
plus fort qu’avant. Les psychologues parlent dans ce cas de résistance psychologique. On est en
quelque sorte entraîné à résister au stress, par la confrontation au stress suivie de récupération.
Une dernière tendance: stress au niveau de l’organisation
Les idées de Karasek et les chiffres d’absentéisme (avec le coût qui y est lié) ont fait que le
stress n’est plus tant considéré comme un problème du travailleur individuel mais plutôt comme
un problème de l’organisation.
Le stress se situe alors à trois niveaux. Au niveau supérieur, le niveau de l’organisation, le stress
se remarque aux statistiques relatives à l’absentéisme et aux départs. Un aspect fort bien connu
des responsables des ressources humaines. On en dresse de belles statistiques. D’autres signes de
stress à ce niveau sont: la consommation d’alcool, le tabagisme, les accidents de travail, l’agitation
sociale… Rares sont toutefois les statistiques relatives à ces aspects.
126
CHAPITRE 6.1
Le niveau suivant de stress dans une organisation est celui de l’équipe. Avant que le stress n’atteigne le niveau de l’organisation, il est déjà décelable au niveau de l’équipe: ambiance tendue,
conflits, harcèlements, équipes moins performantes… Si l’on veut éviter que le stress n’atteigne le
niveau de l’organisation, il faut déjà essayer d’intervenir au niveau de l’équipe. Ceci suppose naturellement que l’on prête également attention aux signaux de stress au niveau de l’équipe.
On peut agir encore plus rapidement. Car avant que le stress n’atteigne le niveau de l’équipe, il
est déjà présent chez le travailleur individuel. Etre attentif aux signaux de stress au niveau individuel (signaux corporels, comportementaux et affectifs) permet d’intervenir vite.
Enfin: vers un modèle contemporain du stress
Les tendances abordées en matière de stress au travail montrent clairement que les anciens
modèles, comme celui de Karasek, ne donnent plus satisfaction. La complexité de la problématique du stress est trop grande pour qu’on puisse la saisir dans un modèle simple, aussi intéressant
soit-il, comme celui de Karasek. L’ISW a essayé de développer un modèle qui tient compte des
évolutions contemporaines dans le domaine du stress tout en respectant l’héritage précieux de
modèles précédents [vous trouverez plus d’informations sur le modèle ISW sur www.ISW.be].
Le modèle ISW est un modèle de stress au travail nuancé, car il permet de situer les plaintes
et les points critiques au sein de l’interaction entre l’individu et son environnement. La question
de savoir si le stress est la conséquence des caractéristiques de l’environnement de travail ou bien
du travailleur perd de sa pertinence. Ainsi, les plaintes relatives au stress peuvent résulter d’un
déséquilibre entre environnement professionnel et privé, ou d’un conflit entre une caractéristique
de la personnalité, telle que l’ambition, et les possibilités de carrière au sein de l’organisation. Et
c’est sur cette interaction complexe entre la personne et le travail que porte le débat sur le stress
au travail. Ce serait trahir la vérité que de considérer notre boulot comme le seul et grand coupable de notre stress. Il n’en reste pas moins qu’un travail sain est nécessaire à notre bien-être.
BIBLIOGRAPHIE:
–
Gaillard, A. W. K. (2003). Stress, productiviteit en gezondheid. Tweede editie. Uitgeverij Nieuwezijds, Amsterdam
C O N TA C T:
Dirk Antonissen
Tél: 016/20.85.96
E-mail: [email protected]
www.isw.be
L’ISW (Instituut voor stress en werk), spin-off de la KULeuven et de l’UCL, est spécialisée dans le conseil et l’accompagnement d’entreprises et d’organisations en matière de stress, de bien-être et de performance.
127
Consultant en gestion du stress:
un nouveau métier?
MARC DRÈZE
PSYCHOLOGUE, CONSULTANT ET FORMATEUR AU CFIP
Le mot ‘stress’ fait aujourd’hui partie du langage courant, au point d’être souvent galvaudé.
En fait, lorsque nous nous disons stressés, nous parlons la plupart du temps de nos émotions. ‘Je
suis stressé’ signifie ‘Je suis nerveux, angoissé, irritable …’ Le sous-titre donné par Graziani et
Swendsen1 à leur petit ouvrage récent intitulé ‘Le stress’ est significatif: ‘Emotions et stratégies
d’adaptation’ (c’est nous qui soulignons). Les spécialistes le constatent: l’anxiété constitue le
symptôme cardinal du stress.
Dans ses manifestations les plus graves, le stress affecte la santé physique bien sûr, mais aussi
la santé mentale. Il résulte d’un déséquilibre dans les relations de l’individu avec son environnement. Les sollicitations de celui-ci peuvent se révéler trop importantes vis-à-vis des capacités de la
personne à y répondre, on parle alors de sur-stress. Le surmenage en est un exemple fréquent ;
la multiplication et la complexification des missions dévolues aujourd’hui à de nombreux professionnels alimentent la ‘pression’ au sein des entreprises.
Dans d’autres situations, les troubles sont générés par un déficit en stimulations à l’égard des
besoins de la personne, qui se trouve dès lors en sous-stress. Un bon exemple psychopathologique de sous-stress nous a été donné par Spitz dans ce qu’il a appelé l’hospitalisme2. Il s’agit de
désordres psychosomatiques graves observés chez de jeunes enfants manquant de stimulations
affectives au cours d’une longue hospitalisation. On pense aussi à l’état de désoeuvrement entraîné par le chômage endémique et son lot de conséquences: marginalisation, problèmes de
santé… La psychiatrie sociale n’est-elle pas mobilisée, depuis une vingtaine d’années, par la prise
en compte de situations inhérentes aux conditions de vie d’une population en proie à l’exclusion?
Comme tout phénomène complexe, l’origine du stress se situe à l’intersection d’une diversité
de sources: les causes tiennent à la fois aux conditions de travail et à des caractéristiques personnelles. Il existe aussi une catégorie de causes plus globales, sur lesquelles les individus n’ont,
d’une certaine façon, pas de prise directe ; il s’agit des évolutions sociétales à caractère socio-économique, sociologique, technologique et éthique.
Fondé en 1970, le CFIP - Centre pour la Formation et l’Intervention Psychosociologiques3, s’est
toujours attaché à l’appréhension des problématiques psycho-sociales contemporaines, et à la recherche de réponses adaptées à celles-ci. C’est pourquoi les intervenants associés à cet organisme
128
CHAPITRE 6.1
portent une attention particulière au stress, à la hauteur des demandes qui lui sont adressées.
La question est d’autant plus investie qu’elle s’inscrit volontiers au cœur d’une double exigence
chère au Cfip: l’efficience de l’organisation et le bien-être des personnes.
La ‘consultance en gestion du stress’ deviendrait-elle un nouveau métier? En tout état de
cause, la question présente l’intérêt d’autoriser l’identification de deux axes d’intervention:
(a) Les mesures organisationnelles qui peuvent être prises pour réduire le stress des travailleurs influencent les conditions de travail: elles relèvent d’une logique managériale. Les
méthodes préconisées par les consultants sont ajustées aux spécificités des organisations, qu’il
s’agisse d’entreprises, d’administrations publiques ou de structures apparentées au secteur nonmarchand. Il s’agit par exemple des dispositions qui permettent de rassurer les travailleurs quant
à ce qu’on attend d’eux et quant aux critères selon lesquels leurs prestations seront évaluées, ou
qui permettent de leur donner les moyens de réaliser ce qu’on leur demande, de leur garantir
l’équité vis-à-vis de leurs collègues.
En somme, les changements organisationnels recommandés pour réduire le stress consistent à
créer un espace de sécurisation, dans un monde où l’arbitraire, l’injustice et l’imprévisibilité colorent les outils de gestion et les relations inter-humaines. Dans une certaine mesure, ces changements peuvent être préparés et accompagnés4: le consultant peut être sollicité pour faciliter ces
processus.
(b) L’engouement des personnes de tous horizons pour les formations à la gestion du stress en
dit long sur leur besoin de trouver des réponses à ce ‘mal du siècle’. Ces formations ne doivent
pas être confondues avec les démarches médicales ou psychothérapeutiques requises dans des
situations particulières. De même, elles ne dispensent pas les responsables de mettre en oeuvre
les mesures évoquées supra pour optimiser la gestion des organisations. Elles ont surtout une
visée pédagogique.
Ces formations se déroulent généralement sur deux à trois journées. Elles sont destinées à
des groupes composés d’environ douze personnes, issues d’organisations différentes ou non.
Souvent, les responsables demandent la mise en place de sessions pour répondre à des besoins
identifiés au sein du personnel. La formation se tient alors in situ (entreprises, hôpitaux, établissements scolaires, administrations, etc …).
On y apprend que les individus disposent de deux types de stratégies pour gérer spontanément le stress: les stratégies centrées sur la modification de la situation génératrice de tensions,
et celles qui s’apparentent plutôt à la gestion des émotions, c’est-à-dire à la gestion de ce qui se
trouve perturbé ‘à l’intérieur’ de la personne consécutivement à un déséquilibre plus ou moins
traumatique.
La formation est loin de présenter une vision mono-méthodiste des solutions à adopter, vision
qui relève fréquemment d’une vulgarisation simplificatrice à connotation hygiéniste. Elle invite
plutôt les personnes à considérer le caractère multi-dimensionnel de la problématique et, partant, la diversité des stratégies qui permettent d’y faire face, notamment sur le plan préventif. La
gestion du ‘stess post-traumatique’ y est également abordée.
La prise en compte de la dimension psychologique dans la gestion du stress revient à tenter
d’aider les personnes à élargir leur ‘marge de manœuvre’, mentale et comportementale, dans les
129
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
situations qu’elles vivent comme une impasse ou comme une ornière. A cet égard, la gestion du
stress constitue en somme une gestion de soi.
RÉFÉRENCES:
1. Nathan, 2004
2. Spitz René A., « La première année de la vie de l’enfant », PUF, Paris, 1953
3. Le CFIP est reconnu comme Organisme d’Education Permanente par le Ministère de la Communauté Française
4. C. Bareil et A. Savoie, « Comprendre et mieux gérer les individus en situation de changement organisationnel », in
Revue Internationale de Gestion, Volume 24, n°3, p. 86-94
C O N TA C T S :
CFIP, Avenue Gribaumont 153, 1200 Bruxelles
Tél: 02 770 50 48.
www.cfip.be
130
La gestion du stress au travail:
l’exemple d’un hôpital psychiatrique
MARC VERMEIRE
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE SINT-CAMILLUS,
SINT-DENIJS-WESTREM
En 2004, le Psychiatrisch Ziekenhuis Sint-Camillus occupait la 13ème place dans la catégorie Meilleur Employeur de Belgique, laissant derrière lui des entreprises telles que Proximus,
McKinsey, Delhaize, Adecco. Une belle performance… qui ne résulte certainement pas de salaires
plus élevés! Comment y sommes-nous parvenus? Il faut savoir que les résultats de ce classement
sont obtenus à 80% par une étude menée auprès des collaborateurs et à 20% seulement par un
audit des gestionnaires du personnel. Nous pouvons donc affirmer à juste titre que les collaborateurs du PZ Sint-Camillus sont satisfaits de leurs conditions de travail et de l’organisation dans
laquelle ils travaillent.
Et la gestion du stress dans tout cela? En réalité, au sein de la direction, nous nous occupons
peu du stress proprement dit. Nous mettons plutôt l’accent sur la satisfaction, la motivation et la
compétence de nos collaborateurs. Le fait d’être satisfait de ses conditions de travail ne revient-il
pas à faire son boulot avec un niveau optimal de stress, autrement dit ni trop ni trop peu?
Mais comment y arriver? Contre toute attente, la réponse à cette question ne se résume pas
à quelques actions ciblées, mais résulte d’un style de gestion, d’une certaine culture d’entreprise
qui fait que les gens se sentent bien dans leur travail. Des collaborateurs satisfaits, c’est le fruit
d’une gestion du personnel, au sens le plus large, qui comprend entre autres le style de leadership, la gestion du changement, la culture de l’organisation. C’est ce que nous allons essayer
de vous décrire.
Défis ou menaces: tout est dans la manière de voir les choses
Quand on pense gestion du stress, on songe d’emblée à identifier les différents facteurs de
stress contre lesquels il importe de protéger ses collaborateurs. Les facteurs de stress sont considérés comme des menaces à éviter à tout prix. Ce n’est pas notre point de vue. En éliminant tout
ce qui pourrait perturber le personnel, on protége certes les collaborateurs du surmenage mais
on leur enlève aussi la possibilité de puiser de l’énergie dans leur travail.
Nous partons du principe que les gens reçoivent de l’énergie en atteignant des résultats. Cette
énergie, on la ressent parce qu’on est fier de son travail, parce qu’on est reconnu par autrui,
131
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
parce qu’on a davantage confiance en soi. On apprend et on évolue dans son travail. Les collaborateurs acquièrent plus d’endurance et peuvent dès lors supporter une charge plus importante.
Nous ne voyons donc pas les facteurs de stress comme des menaces, mais nous cherchons des
moyens d’impliquer les gens dans leur travail de manière à ce qu’ils y trouvent du plaisir, qu’ils
soient fiers des résultats obtenus et de l’organisation dont ils font partie. Nous créons des défis
appropriés.
La stratégie mise en œuvre
– Les changements sont pour les collaborateurs le facteur de stress numéro un. Nous tâchons
dès lors d’imposer le moins possible de changements d’en haut mais de donner aux équipes un
maximum d’autonomie, dans des limites définies. Nous utilisons à cet effet un système de plan
de gestion par unité (afdelingsbeleidsplan). Nous créons ainsi un niveau de changement sur lequel les collaborateurs peuvent influer.
– En cas de problèmes et de tensions, nous communiquons de manière intensive. Les informations importantes sont transmises directement par la direction aux collaborateurs concernés. La
direction est disposée au dialogue et prête à apporter des adaptations. Elle s’efforce également
de communiquer un maximum d’informations par le biais de la revue du personnel et via des
rencontres informatives pour les collaborateurs.
– Etant donné l’importance de travailler en équipées soudées, nous essayons de maintenir le
plus possible leur stabilité. Les équipes en difficulté reçoivent de l’aide, si nécessaire d’experts
externes.
– Nous cherchons constamment des manières diverses et inattendues de mettre les gens en
valeur. Un mot de reconnaissance donne des ailes aux collaborateurs. Nous essayons de ne pas
nous contenter d’une tape sur l’épaule et de compliments mais accordons de l’importance aux
cadeaux: un bouquet de fleurs (pas seulement lors d’un anniversaire ou d’un jubilé), des tickets
de cinéma, un verre ou un repas au restaurant, une corbeille de fruits, etc. Chaque année, le
‘Kamiel’ est décerné au collaborateur le plus méritoire.
– Au PZ Sint-Camillus, nous disposons d’un système de feedback de 77 indicateurs qui nous
informent de l’état de santé de l’hôpital. Ces indicateurs ont trait aux domaines les plus divers:
financier, personnel, médico-thérapeutique, organisationnel, satisfaction des patients,… La majorité de ces indicateurs sont répartis par service. Les thérapeutes reçoivent un feedback individuel sur leurs thérapies. Les collaborateurs se rendent ainsi mieux compte des résultats de leurs
efforts.
– Les problèmes sont résolus rapidement. Nous essayons d’éviter que les collaborateurs vivent
des frustrations parce qu’ils ne disposent pas du matériel nécessaire, parce que certains systèmes informatiques ne fonctionnent pas, parce que la direction ne répond pas à une question,…
Nous ne sommes pas avares en équipement informatique et autre. Les services administratifs, les
services logistiques et la direction sont là pour soutenir les équipes multidisciplinaires autour du
patient.
– Nous mettons tout en œuvre pour que les collaborateurs se sentent en sécurité sur le lieu
de travail. Le risque de suicide, d’agression, d’incendie constituent des menaces réelles qui peu-
132
CHAPITRE 6.1
vent donner un sentiment d’insécurité au travail, surtout lorsqu’on travaille seul le week-end et
la nuit. Divers systèmes ont été élaborés pour y remédier, systèmes d’alerte, d’entraide, d’accueil
lors d’incidents, formations sur la manière de gérer une agression, un risque de suicide, etc. Le
sentiment d’insécurité est mesuré chaque année chez les collaborateurs.
– Nous donnons aux collaborateurs la possibilité de trouver un équilibre entre travail et vie
privée. Nous satisfaisons (presque) toutes les demandes de diminution de temps de travail, même
dans un contexte de manque de personnel. Durant les mois d’été, nous engageons de nombreux
jobistes pour pouvoir satisfaire les demandes de vacances des collaborateurs. Le mercredi aprèsmidi, le congé le plus demandé, il n’y a pas de thérapies. Les patients aussi apprécient d’avoir
une après-midi de congé pendant la semaine. De nombreux collaborateurs ont des horaires flexibles. Et ce qui est appréciable, c’est que le soir, ils peuvent emporter chez eux le menu du jour
pour toute leur famille. Quelques minutes au micro-ondes et le repas du soir est prêt!
– Nous donnons aux gens des raisons d’être fiers de leur hôpital. Une 13ème place dans la catégorie Meilleur Employeur en est un exemple. Nos collaborateurs ont l’occasion de voir que nous
sommes des pionniers dans de nombreux domaines dans notre secteur: programmes de traitement spécifiques pour des groupes cibles difficiles, informatisation, Balanced Scorecards, etc.
Suivi du bien-être des collaborateurs.
Deux méthodes nous aident à vérifier où en est le bien-être des collaborateurs.
1) Absentéisme: Le pourcentage d’absentéisme nous indique dans quelle mesure les gens ont
tendance à rester chez eux quand ils se sentent moins bien et – peut-être plus important encore
– combien de temps ils restent chez eux dans pareils cas. Les gens qui aiment leur (lieu de) travail
viennent quand même travailler, même s’ils sont dans un moins bon jour. Ils essaient aussi de revenir le plus vite possible, ne serait-ce que pour éviter la surcharge des collègues. Nous avons pu
constater qu’en 1998, année de multiples changements dans l’hôpital (réorganisation, introduction d’ordinateurs dans les services, …), l’absentéisme s’élevait à 6,6%. Il est redescendu à 2,5%
en 2004, le chiffre le plus bas.
2) Satisfaction du personnel: Une bonne enquête de satisfaction auprès du personnel nous
informe du degré de satisfaction des collaborateurs et nous indique s’ils se sentent bien au travail ou s’ils sont stressés. Nous pouvons même nous faire une idée nuancée des facettes du travail
à propos desquelles on est satisfait ou pas. Cette enquête est effectuée tous les deux ans depuis
1999. Le score moyen lors du premier sondage s’élevait à 65 sur 100 en 1999. Lors de la dernière
évaluation, en 2005, nous avons obtenu un score de 73 sur 100.
C O N TA C T S :
Psychiatrisch Ziekenhuis Sint-Camillus VZW,
Beukenlaan 20, 9051 Sint-Denijs-Westrem
T 09 222 58 94
E [email protected]
133
Travailler avec plaisir, …plus longtemps
LÉON VLIEGEN
HUMAN RESOURCES MANAGER BELGIQUE, BOREALIS
Dans une entreprise (comme la nôtre), on essaye de combiner performances, motivation et
bien-être des travailleurs. Ce faisant, nous tentons aussi de tenir compte de manière proactive
de ce qui se passe dans notre environnement et dans la société. Dans cette optique, nous partons du principe que, du fait de la dénatalité et du vieillissement de la société, nous devons nous
efforcer, au niveau de l’entreprise aussi, de créer un environnement de travail qui incite les travailleurs à (vouloir) travailler plus longtemps.
Dans notre entreprise, nous avons entamé un processus de dialogue avec les syndicats et les
collaborateurs sur le thème de la gestion du personnel en fonction de l’âge, en vue de réfléchir
ensemble à la meilleure manière de traiter cette question. Nous y travaillons avec le Limburgs
Universitair Centrum. Nous avons entrepris cela car nous pensons que c’est dans l’intérêt tant de
l’entreprise et des collaborateurs que de la société. En nous préoccupant de cette question suffisamment tôt, nous souhaitons y être mieux préparés. Nous choisissons délibérément d’impliquer
les syndicats et les collaborateurs parce que nous pensons qu’ensemble nous pourrons imaginer
davantage de solutions, qui seront non seulement meilleures mais aussi mieux acceptées par tout
le monde.
Une gestion du personnel en fonction de l’âge vise le maintien, le développement et l’utilisation des capacités, des connaissances et de l’expérience, à court et à long terme, de tous les
collaborateurs individuels, dans toutes les catégories d’âge. Pour cela, il faut tenir compte de
l’évolution des possibilités et des besoins.
Nous avons déterminé avec les collaborateurs quels étaient les éléments positifs et négatifs
quant au fait de travailler plus longtemps. Parmi les éléments négatifs, on pouvait trouver:
– une pression sociale de l’entourage, pour arrêter
– le fait de se sentir insuffisamment apprécié
– la charge et les exigences de travail
– la différence financière minime entre travailler et ne pas travailler
– le travail physiquement lourd et/ou le travail continu
et parmi les éléments positifs:
– une attention à la situation, aux attentes et à l’évolution personnelle
– une différence suffisamment grande entre pension et salaire
134
CHAPITRE 6.1
– un règlement de travail (personnalisé) flexible
– davantage de considération pour l’expérience
Sur base de cela, nous allons continuer, toujours en concertation, à discuter de quelques thèmes et à envisager des possibilités de solutions.
– Davantage de flexibilité dans les règlements de travail et les possibilités de prolongation de
carrière. Cela devrait permettre aux collaborateurs de continuer à effectuer des tâches qui, en
raison de la nature du travail (par ex. chariot élévateur) ou du règlement de travail (par ex.
travail continu), constituent une trop lourde charge pour des travailleurs plus âgés ou dont la
capacité de travail est temporairement diminuée.
– Parrainage et transfert de connaissances: le coaching des jeunes collaborateurs par des collègues plus anciens, et un transfert des connaissances et de l’expérience contribuent à mieux
utiliser les connaissances et l’expérience présentes dans l’entreprise, et à améliorer la productivité générale.
– Investir de plus en plus dans des activités de formation, de développement et d’apprentissage
pour les collaborateurs tout au long de la carrière permet de mieux garantir leur employabilité et leur productivité à terme.
– Economiser du temps: épargner les jours de congé pour la fin de la carrière est une autre possibilité.
– Des boulots adaptés: réserver certaines tâches de préférence aux employés plus âgés.
– Adapter les lieux de travail: des adaptations techniques, ergonomiques et autres peuvent
contribuer à alléger des travaux physiquement lourds.
Ce sont là des idées qui permettraient de rendre ou de maintenir la charge de travail supportable, et de maintenir ou d’augmenter la productivité et l’utilité.
Ces différentes pistes, et d’autres éventuellement, peuvent nous aider à maintenir un bon
équilibre entre coûts, productivité et bien-être de travailleurs (plus âgés).
Nous sommes convaincus que ce dialogue avec les collaborateurs et les syndicats nous mènera
à la mise au point de solutions ‘à la carte’ permettant d’être productifs plus longtemps et de
travailler avec plaisir. Cela ne peut que bénéficier au bien-être général. Lors de conversations en
interne, nous constatons souvent que beaucoup de gens aiment travailler et qu’ils apprécient
que nous cherchions des possibilités leur permettant de travailler plus longtemps d’une manière
adaptée.
NOTE:
En 2002, la société Borealis, productrice de polymères, a été proclamée ‘entreprise à visage humain’ ; en 2003, elle a
fait partie des ‘25 Meilleurs Employeurs de Belgique’, et Leon Vliegen a été élu HR Manager de l’année.
C O N TA C T S :
Borealis Polymers NV, Campus Mechelen, Industriezone Noord,
Schaliënhoevedreef 20c, 2800 Mechelen
Tél: 015.47 97 11
www.borealisgroup.com
135
Pour une gestion humaine des problèmes
d’alcool au travail
MICHÈLE BAUWENS
PSYCHOLOGUE ET THÉRAPEUTE FAMILIALE, DIRECTEUR DE L’ASBL SANTÉ ET ENTREPRISE
L’alcoolisme ne connaît pas de frontières sociales ou économiques. En moyenne, on estime à
près de 10% le taux de personnes ayant des problèmes d’alcool parmi le personnel des entreprises belges, et ceci quel que soit le secteur d’activité, la catégorie professionnelle ou le niveau
hiérarchique.
Ignorer ces problèmes, fermer les yeux, laisser la situation se dégrader au fil du temps est
pourtant, de la part des entreprises, l’attitude la plus courante, attitude qui ne fait qu’aggraver
la situation. Car, ’protégé’ par la conspiration du silence, après des années de lente dégradation,
le consommateur abusif voit le plus souvent sa carrière se briser: tôt ou tard, il finit par être rejeté, exclu, licencié. Cette exclusion, qui augmente encore sa détresse réelle et accentue l’image
négative qu’il a de lui-même, compromet gravement ses chances de guérison.
Par son impact non négligeable sur l’absentéisme, les accidents de travail, la productivité
et l’image de marque, l’alcool au travail coûte cher aux entreprises. Se sentant dépourvues de
méthodes et d’outils pour prévenir l’émergence de ce type de problèmes, pour le gérer adéquatement et pour aider les travailleurs qui en souffrent, un grand nombre d’entre elles oscillent
pourtant encore entre la ‘ politique de l’autruche ’ et les mesures purement répressives.
C’est pour offrir au monde du travail une alternative constructive à la pratique américaine
des tests de dépistage (qui débouche sur l’exclusion), pour garantir une éthique de travail et une
gestion humaine de ces problèmes, qu’a été créée, en 1994, l’asbl Santé et Entreprise.
Son projet: proposer des programmes d’accompagnement et de soins aux consommateurs à
problèmes, et le maintien de leur insertion professionnelle, mais également une intervention en
amont par des mesures collectives de promotion de la santé et du bien-être des travailleurs. Car
derrière l’alcoolisme se profile aussi le mal-être des travailleurs qui, au nom de la sacro-sainte
productivité, sont parfois soumis à des conditions de travail de plus en plus dures. Ils constituent
une population fragilisée par le climat de stress, d’insécurité généré par la crise de l’emploi et la
préoccupation constante d’une plus grande compétitivité,…
Après des débuts difficiles (on s’attaquait à un sujet tabou!), le projet s’est largement développé et, à l’heure actuelle, les demandes d’intervention se succèdent. Elles émanent surtout
d’entreprises de plus de 200 travailleurs, appartenant le plus souvent au secteur public (admi-
136
CHAPITRE 6.1
nistrations communales, ministères, organisations parastatales,…). Parallèlement, l’équipe est
passée d’une à cinq personnes (en majorité des psychologues) et aux fonds propres générés par
les entreprises se sont ajoutés, depuis 1996, des subsides de la CoCof qui a agréé l’asbl comme
‘Service actif en toxicomanie’.
Les ‘programmes de prévention et de gestion des problèmes d’alcool et autres drogues’, proposés par Santé et Entreprise se développent dans la durée et sur le long terme. Ce temps est le
garant de la réussite du projet, mais il peut aussi être perçu comme une lenteur pouvant engendrer la démotivation, car en opposition avec la culture de performance généralement présente
dans les entreprises, surtout dans le secteur privé.
C’est aussi un projet qui suscite parfois bien des résistances: la volonté d’améliorer les choses
se heurte parfois à l’immobilisme et à la lourdeur du système. Parfois aussi, c’est le contexte qui
est défavorable parce que l’entreprise a d’autres priorités. Mais il y a surtout les craintes suscitées
par un projet dont l’approche est essentiellement systémique. Car il ne s’agit pas de se limiter à
faire soigner les alcooliques (qui ne sont que les ‘patients désignés’), mais plutôt d’envisager les
responsabilités de chacun dans la problématique, de s’interroger sur le fonctionnement du ‘ système entreprise ’ tout entier.
Pour faire face aux difficultés rencontrées, l’asbl a choisi de travailler dans la concertation,
la transparence et selon une méthodologie rigoureuse. Les problèmes sont abordés de manière
participative en se basant sur le dialogue entre les partenaires sociaux. Ceux-ci - concertés dans le
cadre d’un groupe de pilotage - et l’ensemble du personnel - consulté via une enquête d’opinion
- vont aider les consultants à concevoir une politique en matière d’alcool/drogues qui soit adaptée à la réalité propre de leur milieu de travail.
Cette politique repose nécessairement sur quatre grands piliers:
1. une réglementation interne claire et réaliste concernant l’accessibilité de l’alcool dans
l’entreprise ;
2. des procédures d’intervention globales et concertées, qui indiqueront aux différents intervenants la conduite à suivre lorsqu’ils sont confrontés à des situations problématiques: ivresse au
travail, dysfonctionnements liés à un abus chronique, mais aussi réintégration du travailleur
qui s’est absenté pour une démarche curative ;
3. la mise en place d’une structure d’aide interne dont le rôle est de conscientiser, motiver,
soutenir les usagers à problèmes et faciliter leur accès aux institutions de soins, ceci tout en
préservant la discrétion et la liberté de chacun et en refusant par là-même de participer à
l’injonction de soin ;
4. des actions concrètes de formation des personnes-clés et de sensibilisation générale du
personnel:
• Pour les membres de la ligne hiérarchique, qui se sentent très démunis lorsqu’ils doivent
intervenir en cas de problèmes d’alcool, une formation est proposée qui leur fournira, entre autres, des outils de communication, des techniques d’entretien et d’intervention.
• Pour les travailleurs médico-sociaux qui constituent la structure d’aide interne, sont proposés des modules spécifiques visant à les aider à acquérir une bonne qualité relationnelle
avec les usagers à problèmes, à leur apporter des techniques de motivation et à leur faire
connaître le réseau des différents dispositifs d’aide externe.
• D’autres personnes-clés qui sont amenées à jouer un rôle dans la mise en place de la
politique sont parfois formées: délégués syndicaux, agents de sécurité, personnes de
confiance,…
• Enfin, diverses actions de sensibilisation sont menées auprès de l’ensemble du personnel,
137
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
qui proposent une démarche de santé dans laquelle chacun peut être acteur, qui fournissent des repères pour que chacun puisse opter pour une consommation responsable, et qui
suscitent une réflexion sur l’attitude la plus constructive à adopter en tant que collègue
vis-à-vis d’un consommateur à problèmes.
Car la solidarité bien comprise, la solidarité constructive, ce n’est pas la complaisance, le camouflage ou le silence, mais responsabiliser l’autre de façon bienveillante pour l’aider à changer.
C O N TA C T S :
asbl Santé et Entreprise
tél et fax: 02/215.61.45
E-mail: [email protected]
www.sante-enteprise.be
138
Chapitre
Donner aux personnes fragilisées des
possibilités de (ré)insertion dans la société
:: Introduction: La longue route vers la réinsertion. A propos de l’intégration dans la société
de personnes présentant des troubles psychiatriques chroniques graves
Guido Lissens, Psychiatrisch Centrum St Hieronymus, Sint-Niklaas
:: Article 23, un Dispositif Local d’Insertion par le Travail pour des personnes psychiatrisées
Jean-Michel Stassen, Article 23 asbl, Liège
:: Le projet pilote d’activation ‘Groot – Leuven’ et ses projets d’extension
André Bouwen
:: Projet ‘taal-oma’ et ‘-opa’: une ‘Mamy-langue’ pour chaque ‘Friend’
Katrien Van De Weghe, Sint-Egidiusgemeenschap, Antwerpen
:: Les Trois Pommiers: une expérience originale d’hébergement ‘intergénérationnel
et inter-problèmes ‘
Catherine Verdickt, Les Trois Pommiers, Etterbeek
:: Les fermes thérapeutiques
Hilde Weckhuysen, Steunpunt Groene Zorg vzw
6.2
1
La longue route vers la réinsertion.
A propos de l’intégration dans la société
de personnes présentant des troubles
psychiatriques graves et de longue durée
GUIDO LISSENS
DIRECTEUR ADJOINT PATIËNTENZORG, PSYCHIATRISCH CENTRUM ST HIERONYMUS,
SINT-NIKLAAS
Les personnes qui souffrent de problèmes psychiatriques chroniques graves ont du mal à se
maintenir dans la société. Elles ont besoin d’une aide spécifique qui soutienne leurs propres tentatives de réinsertion. Nous souhaitons montrer à travers ce texte comment ce soutien se concrétise petit à petit dans le secteur des soins de santé mentale. Nous nous concentrerons ici sur deux
formes de soins ‘au sein de la société’, à savoir la réhabilitation professionnelle et les activités de
réinsertion dans les centres de rencontres.
Au-delà des symptômes
Héloïse est une princesse. Tout porte à le croire, même la façon dont elle prononce son nom.
Mais les infirmiers de l’hôpital psychiatrique ne la croient pas. D’après eux et d’après le docteur,
Héloïse souffre de délires qui résultent de sa maladie, la schizophrénie. Ce genre de diagnostic
permet aux soignants de nommer les choses mais ne nous aide pas à comprendre Héloïse. Les
soignants y parviennent difficilement et disent qu’Héloïse ferait mieux de revenir à la réalité.
Héloïse n’est pas d’accord et dit que le personnel ne veut pas l’écouter ni la comprendre.
Il est facile d’affirmer qu’Héloïse a perdu le contact avec la réalité. Mais en nous penchant
sur son histoire, nous pourrions peut-être voir son délire sous un autre jour. Héloïse est née en
Belgique, mais ses parents viennent du Congo. Le quartier dans lequel elle a grandi était souvent le théâtre d’affrontements racistes. Héloïse s’est toujours sentie une étrangère et rêvait du
Congo, sa véritable patrie. À l’âge de dix ans, elle a visité ce lointain pays avec ses parents, mais
là aussi, elle s’est sentie étrangère. Plus tard dans sa vie, toutes sortes d’événements lui ont confirmé qu’elle était ‘persona non grata’. Les parents de son ami l’ont rejetée. Suite à des sévices
graves infligés par son partenaire, elle s’est retrouvée avec son bébé dans un centre d’accueil,
puis, après de nombreux détours, dans un hôpital psychiatrique. Depuis qu’elle est là-bas, elle est
très passive, ne participe pas aux travaux ménagers et ne va presque jamais aux séances de thérapie. Les autres patients la soupçonnent de vol. Bref, Héloïse s’est rendue très impopulaire auprès
des patients et du personnel.
Si nous voulons comprendre Héloïse, il ne suffit pas de la voir comme une ‘patiente schizophrène délirante résistant à la thérapie’. Le fait qu’elle s’imagine être une princesse prend un
tout autre sens lorsque nous écoutons son histoire. Lorsqu’on a tout perdu, même son enfant,
140
CHAPITRE 6.2
que l’on a eu toute sa vie le sentiment de ne pas être à sa place et que l’on a été si souvent humiliée et rejetée, s’imaginer qu’on est une princesse, c’est un moyen de retrouver ‘dignité’ et
‘respect’. Pour aider Héloïse, il fallait en tenir compte: lui rendre sa dignité et rétablir le respect
qu’elle a d’elle-même était au moins tout aussi important que lutter contre ses symptômes.
Favoriser la réinsertion: une nouvelle vision de l’aide
La vision des professionnels de la santé mentale sur la vie des patients psychiatriques a fort
évolué ces quinze dernières années. On est aujourd’hui de plus en plus convaincu qu’enfermer
ces patients dans des hôpitaux psychiatriques pour de longues périodes n’est pas la meilleure
solution, et que le séjour en milieu hospitalier fait parfois plus de mal que de bien, car il rend les
gens passifs et dépendants. Pour aider des personnes comme Héloïse au sein même de la société,
il fallait une nouvelle manière d’aborder les soins psychiatriques. Cette nouvelle conception de
l’évolution des troubles psychiatriques donne davantage de place à l’intervention du patient luimême. La ‘réinsertion’ est son concept-clé.
La réinsertion est un concept-clé
Depuis une quinzaine d’années, le concept de ‘réhabilitation psychiatrique’ a fortement évolué dans les soins de santé mentale en Belgique. Les intervenants se sont davantage intéressés
aux buts personnels que les patients avaient dans la vie. Héloïse rêvait de devenir puéricultrice,
et rien que le fait d’en parler donnait déjà du relief à sa vie. La réhabilitation tient compte de ces
objectifs. C’est ce concept qui a notamment abouti à la création des habitations protégées et à la
notion de réhabilitation professionnelle.
L’attention portée aux visées personnelles des patients a complètement modifié la réflexion
sur la manière dont les patients psychiatriques pouvaient gérer leurs problèmes et leur maladie.
On préfère aujourd’hui utiliser le terme de ‘réinsertion’, sur le modèle du ‘recovery’ américain: ce
terme désigne le processus unique et personnel par lequel les patients essayent de reprendre le
fil de la vie normale et de donner un sens à leur existence. Alors que la ‘réhabilitation’ concerne
le travail concret dans différents domaines de la vie, la ‘réinsertion’ vise plutôt l’acceptation des
problèmes psychiatriques, l’adoption de nouveaux rôles sociaux et le développement d’une nouvelle identité: non plus en tant que patient mais en tant que citoyen dans la société. L’accent est
donc mis sur ce que les ‘patients’ peuvent entreprendre personnellement pour donner une autre
direction à leur vie et redevenir des ‘citoyens’. Mais ce processus n’est pas évident. Nombreuses
sont les personnes pour qui cela pose d’énormes difficultés pendant ou après un traitement psychiatrique.
Il en va de même pour Héloïse: elle est déprimée et quitte rarement le service. Sa famille a
coupé tout contact avec elle. Héloïse ne s’entend qu’avec une seule infirmière ; elles discutent
pendant des heures, après quoi Héloïse accepte parfois de venir donner un coup de main en
cuisine.
Lorsque les symptômes disparaissent, tous les problèmes sont résolus…
…pensent encore toujours de nombreux soignants. Et ils sont confortés dans cette conviction par les progrès enregistrés par l’industrie pharmaceutique dans le traitement des maladies
141
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
psychiatriques. Mais cette industrie n’a pas encore réussi à mettre au point une pilule qui vous
permette de vous refaire des amis et de retrouver un travail, ou de découvrir que votre vie a encore un sens, même quand vous êtes schizophrène. C’est pourtant cela que les patients attendent
des thérapeutes. Notre système de soins de santé mentale, si bien organisé, est donc confronté à
un problème: d’un côté nous avons des structures qui s’occupent surtout de prodiguer des ‘traitements’ et d’un autre côté, nous avons des patients qui demandent une aide plus concrète lors
de leur processus de réinsertion… Et le problème est encore plus flagrant lorsque nous regardons
la façon dont nous avons financé ce système: comme les soins sont presque entièrement axés sur
le ‘traitement’, la majorité des fonds vont aux hôpitaux psychiatriques et à leurs nombreux services spécialisés, et il reste très peu de moyens pour l’encadrement et le soutien à domicile...
Mais revenons à Héloïse. Elle nie sa maladie et est surtout accablée par les pertes qu’elle a
endurées tout au long de sa vie. ‘Qu’est-ce que la vie représente encore pour moi?’, se demande-t-elle, ‘je remplis juste de l’espace’ - et elle pense parfois à y mettre fin. Certains soignants
estiment qu’il faut d’abord vaincre ce rejet de la maladie, avant de pouvoir envisager d’autres
progrès. Mais l’accompagnatrice d’Héloïse se demande s’il ne conviendrait pas de faire l’inverse:
examiner d’abord les possibilités de réinsertion avec Héloïse, avant d’envisager l’acceptation
de la maladie. Elle part du principe que ce que nous faisons a de l’importance pour le regard
que nous portons sur nous-mêmes et sur nos relations avec les autres. En ergothérapie, Héloïse
a découvert son talent pour la cuisine. Avec l’ergothérapeute, elle s’est tournée vers la cuisine
africaine. C’est ici que la réinsertion d’Héloïse débute vraiment…
Des pistes pour reconstruire
La Belgique compte près de 30.000 personnes qui présentent des troubles psychiatriques chroniques graves. Les demandes que ces personnes adressent aux services d’aide ne correspondent
pas toujours à l’offre que ceux-ci peuvent leur proposer. Ce problème d’harmonisation des soins
par rapport aux besoins existe en Belgique, mais aussi partout dans le monde. De plus en plus
de scientifiques et de politiciens en prennent progressivement conscience. Ils découvrent qu’on
a besoin de ‘soins de santé mentale axés sur la réinsertion’, et qu’un traitement psychiatrique,
aussi efficace soit-il, ne donnera de bons résultats que s’il est appliqué conjointement à une
bonne réhabilitation.
Plusieurs questions se posent à ce stade: à quoi ressemblent ces ‘soins de santé mentale axés
sur la réinsertion’? De quoi se composent-ils? Sur quoi faut-il mettre l’accent? En quoi diffèrentils des soins traditionnels? Un début de réponse pourrait être que, dans le cadre de soins de
santé mentale axés sur la réinsertion, les soignants et les patients unissent leurs forces dans deux
domaines: découvrir et construire une nouvelle façon de vivre, et faire à nouveau partie de la
société. Ce qui n’est possible que grâce à une bonne collaboration.
Apprendre et construire une nouvelle façon de vivre:
Les intervenants aident la personne à reconstruire sa confiance en elle. Le patient est informé sur
sa maladie et comprend mieux ce qui lui est arrivé. Ils réfléchissent ensemble à l’avenir en fonction des souhaits et des possibilités du patient. Ils fixent des points de repère qui permettront de
reprendre le contrôle de la vie et du trouble psychiatrique. Dans le cas d’Héloïse, cela se fait de
façon indirecte, par le biais d’activités quotidiennes banales: à partir de la cuisine africaine, elle
développe un sentiment d’estime de soi. Pour d’autres, cela peut se faire plus directement par
une psycho-éducation, individuelle ou en groupe.
142
CHAPITRE 6.2
Faire partie de la société…
…est le souhait de la plupart des personnes qui présentent des troubles psychiatriques. Ne plus
subir le stigmate qui entoure ces affections et qui les condamne à une existence marginale. Mais
de nouveau, jouer un rôle significatif au sein de la société n’est, pour bon nombre d’entre eux,
pas évident du tout. La société n’attend pas ces personnes à bras ouverts. Il y a déjà tellement
d’autres problèmes d’intégration: les handicapés, les demandeurs d’asile, les allochtones… toutes
ces personnes exclues doivent aussi trouver leur place dans la société. Les pourvoyeurs de soins
de santé mentale ont donc du pain sur la planche s’ils veulent que leurs patients obtiennent un
logement convenable, trouvent à nouveau du travail ou reprennent leurs études. Sans oublier le
plus difficile: les aider à trouver un bon médecin sensible aux problèmes spécifiques des patients
psychiatriques, à reformer un cercle d’amis et de connaissances,… Et même, pourquoi pas, à
trouver un véritable travail qui leur permette véritablement à trouver leur place dans la société…
Héloïse commence tout en bas de l’échelle: grâce à l’intervention de son accompagnatrice, elle
débute comme bénévole dans un centre de formation interculturelle pour des écoliers de l’enseignement primaire et secondaire.
Tout ceci n’est possible qu’à la condition que s’établisse une bonne relation de coopération
entre l’intervenant et le patient. Le succès du processus de réinsertion dépend également de la
collaboration d’autres personnes: patients, famille, amis, collègues. Toutes ces personnes doivent pouvoir croire dans les possibilités du patient et oser espérer sa réinsertion. Elles doivent
dégager du temps pour écouter le patient et pour voir ce qu’il a déjà entrepris pour maîtriser ses
problèmes, mais elles doivent également accepter que l’avenir soit incertain et peut-être même
difficile. Et surtout: elles doivent prendre au sérieux les désirs et les préférences des patients et
ne pas les pousser dans une direction prédéterminée. Héloïse trouve un grand soutien auprès des
membres du centre interculturel. Ils l’invitent chez eux, lui offrent de petits présents, vont faire
les courses avec elle…
Se réinsérer et faire partie de la société grâce au travail
Les politiciens ont encore tendance à prendre leurs désirs pour des réalités. Quand ils brandissent l’expression ‘politique d’inclusion sociale’, ils s’imaginent une société prenant automatiquement à cœur l’intégration des personnes défavorisées. La réalité est tout autre. Seules 7% des
personnes présentant des troubles psychiatriques chroniques graves ont un vrai travail dans la
société. C’est encore moins que les handicapés physiques, dont la moitié est active en Belgique.
Une étude a pourtant montré que 50 à 70% des patients psychiatriques voudraient retrouver du
travail.
Pourquoi le travail est-il si important pour ces personnes? Parce que le travail est avant tout
la preuve de leur réinsertion individuelle et sociale. Marlieke De Jong, spécialiste hollandaise de
renom, l’exprime en ces termes: ‘Le travail remplit un rôle concret, relativement simple mais qui
apporte beaucoup. Le travail, c’est le contraire de l’hospitalisation, de la passivité.’ Selon elle, le
travail a également l’avantage de structurer le temps, d’élargir l’horizon social, de permettre de
collaborer à un but collectif, de donner une identité et un statut et de forcer à être actif.
Le secteur belge des soins de santé mentale débat actuellement de la pertinence de la réhabilitation professionnelle et de la façon de proposer cette option. Certains n’y croient pas (encore)
du tout et proposent des activités de rencontre et de loisirs, souvent dans le cadre d’une hospitalisation de jour. Ils pensent que la réhabilitation professionnelle n’est faisable que pour quelques
143
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
‘happy few’ et de préférence au sein de structures adaptées. D’autres croient que seul un accompagnement d’insertion socioprofessionnelle vers un travail rémunéré n’a de sens, comme le montrent certains exemples étrangers.
Mais ce débat a peu de sens si l’on considère les personnes qui ont des difficultés psychiques
comme des individus pris dans un processus personnel de réinsertion, comme des personnes qui
évoluent et qui grandissent tout en traversant de temps à autre des périodes difficiles. En réalité, un patient aura besoin d’une offre de travail différente selon la phase de réinsertion dans
laquelle il se trouve. Et l’essentiel est que cette offre soit réellement disponible. Au début du
processus de réinsertion, la personne a besoin de beaucoup d’énergie pour garder le contrôle de
la maladie et se faire à l’idée qu’elle est malade. Au cours de ces premières phases, le travail est
un moyen de lui donner une sécurité et une structure, de découvrir ses propres possibilités et de
trouver l’énergie de s’impliquer dans le processus de réinsertion. Un encadrement soutenant est
alors ce qu’il y a de plus indiqué: un choix parmi différentes activités, dans un environnement de
travail protégé et peu stressant, comme par exemple un centre d’activités de jour.
Au fil du processus de réinsertion, les patients désirent petit à petit retourner à une vie normale au sein de la société, et trouver un emploi peut alors devenir un but en soi. Au cours de
cette phase, il sera plus utile de leur proposer des activités davantage axées sur un développement personnel, comme un parcours de réinsertion professionnelle individuelle. Ce type d’encadrement permet aux patients de mieux prendre conscience de leurs possibilités et de leurs limites
professionnelles. Un passage vers le monde du travail devient alors possible.
Actuellement, Héloïse désire continuer à travailler comme bénévole dans le centre interculturel. Elle va d’abord avoir besoin de toute son énergie pour réapprendre à vivre seule. Elle a également besoin de l’environnement familier du centre. Un travail rémunéré n’est pas envisageable
actuellement. Héloïse est toujours convaincue qu’elle est de sang noble mais elle n’émet plus
de revendications à ce sujet. Elle est prête à prendre ses médicaments quand il le faut et prend
mieux soin de sa personne. Elle parle parfois de son enfant, elle voudrait le revoir…
‘Nous ne sommes pas seuls’ ou la réinsertion et l’inclusion sociale
via les ‘clubhouses’
Il y a en Belgique quelques-uns de ces centres de rencontres ou ‘clubhouses’ pour patients psychiatriques. Les usagers s’appellent ‘membres’, ‘clients’ ou encore ‘bénévoles’. Le premier clubhouse a été fondé aux États-Unis en 1933 et portait le nom de WANA-house: ‘We are not alone’
(‘Nous ne sommes pas seuls’). Ce type de structure se caractérise par le fait que les clients ou
membres déterminent en grande partie eux-mêmes le fonctionnement du centre. Chaque membre doit aussi endosser une part de responsabilité dans le fonctionnement du centre. Les centres
de rencontres ou clubhouses appliquent une approche particulière qui s’inspire directement de
l’idée de réinsertion et qui, espérons-le, gagnera du terrain dans les soins de santé mentale chez
nous.
Qu’est-ce qui rend le fonctionnement de ces clubhouses si particulier? Et comment font les
organisateurs pour éviter qu’elles ne deviennent de petits ghettos au sein de la société? En
Flandre, le personnel des soins de santé mentale est extrêmement qualifié pour traiter et encadrer les processus de réinsertion. Généralement, cette aide se traduit par des contacts individuels
avec les personnes, ou via des entretiens avec le partenaire et la famille. Les clubhouses optent
144
CHAPITRE 6.2
pour une autre méthode. L’attention se porte sur ce que les clients entreprennent pour retrouver
leur place dans la société et pour reprendre leur vie en main. Pour construire une nouvelle identité en tant que citoyen de la société et non plus uniquement comme patient des soins de santé
mentale.
‘Reprendre sa vie en main’, telle est la mission que de nombreux membres ou clients se donnent. L’offre d’activités est donc très variée car elle correspond aux stratégies les plus diverses
imaginées par les personnes elles-mêmes pour leur réinsertion. Le personnel se concentre sur le
fond et mène tous les projets à bien: soirées dansantes, travaux informatiques, travail bénévole,
organisation d’une soirée bowling… L’idée sous-jacente est toujours le processus de réinsertion
et la participation à part entière à la société. Participer à l’organisation d’une soirée dansante
donne aux gens un sentiment de valeur qui les aide à se sentir plus forts pour entreprendre des
démarches au sein de la société. La transition vers la société se fait ainsi petit à petit, étape par
étape, et pour certains, elle ne réussira peut-être jamais. Mais peut-on leur en vouloir de préférer
temporairement la protection du foyer familier à l’insécurité et à l’hostilité de la société?
Conclusion
Pour Héloïse, la fréquentation du centre de rencontres a été très brève. Elle préfère en effet
ne pas avoir de contacts avec d’autres patients psychiatriques et les relations qu’elle a nouées à
son travail lui suffisent. Elle veut mener sa propre vie et découvre petit à petit comment y arriver: calmement, à son propre rythme et sans stress émotionnel. Quand elle se sent seule, elle va
voir son accompagnatrice à l’hôpital psychiatrique. Mais si cette dernière est absente, elle arrive
quand même à se débrouiller.
L’histoire d’Héloïse nous montre clairement que les soins de santé mentale, la réhabilitation et
l’inclusion sociale axés sur la réinsertion doivent être organisés ‘sur mesure’. Le patient en détermine lui-même le rythme; ses attentes et ses souhaits en sont le point de départ. Nous devons
confier ces soins à des intervenants bien formés et imprégnés de ces principes.
(merci à Marjolein Deceulaer)
C O N TA C T S :
Psychiatrisch Ziekenhuis en Revalidatiecentrum St. Hieronymus,
Dalstraat 84, 9100 Sint-Niklaas
Tél: 03. 776.00.41
E-mail: [email protected]
www.hieronymus.be
145
Article 23, un Dispositif Local d’Insertion
par le Travail pour des personnes
psychiatrisées
JEAN-MICHEL STASSEN
DIRECTEUR D’ARTICLE 23 ASBL
‘Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables
et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. ’ Article 23 de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme
Contrairement à tous les attendus de la psychiatrie ou des référents principaux de la santé
mentale, les personnes dites malades mentales répondent très bien aux sollicitations et démontrent continuellement une capacité productive en complète contradiction avec le discours dominant, stigmatisant, excluant qui est porté sur eux par la psychiatrie justement.
Il s’agit là d’une démonstration théorico-pratique très claire et très simple du rôle de reproduction des valeurs dominantes, de contrôle social toujours joué par l’institution psychiatrique,
quelle que soit son nom!
A Liège, un projet de psychiatrie démocratique se développe depuis 20 ans. Une psychiatrie communautaire, collective et territoriale, que Franco Rotelli (directeur des services de Santé mentale
de Trieste - Italie) décline en 8 principes stratégiques.
1. La perspective essentielle est de déplacer le cadre d’intervention de l’hôpital vers la
communauté.
2. Le déplacement de l’intérêt centré sur la maladie seulement vers la personne elle-même et ses
handicaps sociaux.
3. Le déplacement d’une action individuelle vers une action collective fondée sur la lutte des
personnes pour la reconnaissance de leurs droits.
4. La dimension territoriale de l’action collective à l’égard d’une population qui vit dans un
territoire donné.
5. La dimension pratique et humanitaire de l’action.
6. La recherche active de la mise en place d’un système de droits adapté pour défendre les droits
des usagers.
7. L’activation des politiques sociales destinées aux personnes.
8. La recherche d’ententes significatives avec les diverses institutions.
En 1984, le SIAJEF (Service Intégré d’Aide et de Soins psychiatriques dans le Milieu de Vie) se met
en place. Service de première ligne, à caractère public, en lien avec les besoins de la population
de référence, et impliquant un devoir envers celle-ci.
Couvrant aujourd’hui un district socio-sanitaire de 35.000 habitants, le SIAJEF suit actuellement
plus de 200 usagers différents par an.
146
CHAPITRE 6.2
La réflexion globale qui a présidé à sa création et à son développement a débouché sur la
création de projets complémentaires, tels que des services de deuxième ligne:
– ARTICLE 23, Dispositif Local d’Insertion par le Travail, composé de cinq ateliers de production
réelle fonctionnant comme autant d’entreprises d’économie sociale ;
– REVERS - Dispositif Local d’insertion par la Culture qui propose une grande diversité d’actions ;
– LIPROLO - logement protégé ;
ainsi que sur des projets modifiants de façon importante la qualité de l’environnement:
– des logements sociaux rénovés par Article 23 ;
– des espaces Communautaires d’accueil diversifiés, ‘dépsychiatrisés’, intégrés dans la
Communauté ;
et sur des partenariats de développement multiples, notamment avec la troisième ligne, les
services d’urgence hospitaliers, et l’ensemble des intervenants de la santé mentale au niveau
local.
Insertion par le travail
En s’insérant dans le processus de production des ateliers, les usagers sont immergés dans un
monde structuré et dynamique. Ce qui entraîne inévitablement une (re)structuration de leur
fonctionnement, un retour à une vie active, une réappropriation de bien être. Ceci grâce à une
prise de distance par rapport à la maladie, à la participation à un projet collectif, extérieur et
antérieur à la personne concernée.
Cela permet également de découvrir des points de repères, des valeurs de fonctionnement
dans la société, une vision et une connaissance des droits et des devoirs liés au travail, aux rapports aux autres. La structure d’Article 23 permet aux usagers d’effectuer ces parcours à leurs
rythmes, de baisser le niveau d’entrée afin d’offrir le droit à tous de s’intégrer dans un processus
de production réelle.
Le dispositif est composé de 5 ateliers de production réelle tournés vers la fourniture de biens
et de services de qualité pour la population dans laquelle ils s’inscrivent:
– un Atelier Horeca (Le Cheval Bleu) comprenant deux restaurants, dont un est lieu d’accueil
ouvert à la population en difficulté. Ce lieu est également devenu un lieu Culturel à part
entière. Cet atelier a également développé un secteur Traiteur largement reconnu et apprécié
pour la qualité de son service, qui fonctionne, comme tant de chantiers extérieurs, en situation professionnelle réelle.
– un Atelier ‘ les Métiers du Bâtiment ’ travaillant pour des particuliers mais également impliqué
dans la création de logements d’insertion pour personnes sans abri sur le territoire de référence, et la création de locaux pour les différents projets s‘y développant.
– SCB, Atelier de Secrétariat-Graphisme-Multimédia.
– Col-Revers, atelier de Confection Assistée par Ordinateur.
– un Atelier de Conduite de Projets Sociaux et Culturels géré par REVERS - Dispositif Local
d’Insertion par la Culture.
Il s’agit de réelles entreprises ; l’encadrement des stagiaires est donc assuré par des professionnels des métiers concernés, travaillant dans un esprit de compagnonnage.
Article 23, c’est 49 places de stages, 94 stagiaires par année, 15 travailleurs et un partenariat
de développement au niveau local très large (Cfr. www.Article23.be ).
147
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
Suivi psychosocial en parallèle
Une des conditions d’accès aux ateliers est de bénéficier d’un suivi psychosocial dans le milieu
de vie. Ce suivi est assuré par un service de santé mentale (ou assimilé par convention). Ce suivi
externe, global et de long terme permet de s’écarter de la maladie et de centrer le stage sur
l’aspect ‘ travail ’, sur les bienfaits de la mise au travail, sur ‘ comment apprendre à se remettre
au travail ’. De plus, lorsqu’une issue socioprofessionnelle est trouvée, la poursuite de ce suivi
psychosocial limitera les décrochages trop rapides, continuera à soutenir pour un temps suffisant
la démarche d’insertion professionnelle.
Parcours
L’usager bénéficie du temps nécessaire pour progresser à son rythme, il a le droit à l’erreur,
le droit de redémarrer sur de nouvelles bases, de redéfinir ses objectifs, de recommencer un
nouveau contrat, … Lorsque son niveau le permet, il accède à un Atelier Collectif de recherche
de stages en entreprise et d’emploi: ‘Perspectives’. L’aspect collectif favorise la solidarité entre les
stagiaires engagés dans une même démarche.
Dernière phase du processus, le stage en entreprise est obligatoire pour les stagiaires ayant
accédé à l’Atelier ‘Perspectives’. La recherche des stages en entreprises est réalisée de manière
collective, interactive. Les stagiaires en stage en entreprise reviennent pour les réunions
‘Perspectives’. Ces présences permettent de motiver les autres stagiaires, de les rassurer, de les
pousser à faire le pas.
L’évaluation de ces démarches, l’analyse des réussites mais également des échecs est travaillée
en groupe. Se servir de cette dynamique pour qu’au fil des mois on prépare le stagiaire à s’autonomiser dans ses recherches futures. Ici aussi l’échec est permis. Les stagiaires qu’on accompagne vers l’extérieur ont le droit de se lancer, de se planter, de recommencer, d’apprendre à se
relancer.
Et ça marche!
Démonstration de la capacité des usagers de la psychiatrie à être acteurs
Comme nous le disions en guise d’introduction, les usagers de la psychiatrie sont tout à
fait capables d’être acteurs de leur environnement. La mise en application de l’article 23 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme leur permet:
– une participation au bien commun
– la (ré)activation de leurs compétences
– l’acquisition de savoirs
– l’augmentation de leurs revenus et de leur contractualité sociale
Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur la liste d’attente des ateliers qui se développent depuis plus de deux ans, à partir du simple fait que les partenaires psychosociaux sont décidés à interpeller leurs usagers, à leur proposer d’utiliser les ressources existantes, même si elles
sont spécifiques et donc insatisfaisantes, partielles, transitoires.
Nous sommes en droit de nous demander quels sont les fondements tangibles des
148
CHAPITRE 6.2
qualifications habituellement produites par la psychiatrie sur ses usagers: irresponsables, dangereux, incapables,…! Pensons-y!
C O N TA C T S :
SIAJEF – Service Intégré d’Aide et de Soins dans le Milieu de Vie.
E-mail: [email protected]
www.siajef.be
Revers –Dispositif Local d’Insertion par la Culture U.P.I. n°1 Liège
E-mail: [email protected]
www.revers.be
Article 23 asbl - Dispositif Local d’Insertion par le Travail U.P.I. n°1 Liège
E-mail: [email protected]
www.article23.be
149
Le projet pilote d’activation
‘Groot–Leuven’ et ses projets d’extension
ANDRÉ BOUWEN
COORDINATEUR ACTIVITÉS THÉRAPEUTIQUES ET RÉHABILITATION PROFESSIONNELLE
Le contexte
Quatre initiatives d’habitations protégées de la région de Leuven, les asbl Hulster, Walden,
Fides et Pastya, ont décidé fin 2001 d’unir leurs forces en vue d’introduire un projet ensemble,
pour la région où elles sont actives, dans le cadre des projets pilotes fédéraux d’activation. Ce
projet a été approuvé. Grâce à la participation de plusieurs structures de soins de santé mentale
dans les conseils d’administration respectifs de ces initiatives d’habitations protégées, les acteurs
des services de santé mentale de la région sont largement représentés et impliqués dans la mise
en œuvre, le développement et l’organisation de ce projet pilote.
Un des objectifs de l’initiative était de regrouper toutes les ‘actions d’activation’ de la région
en un projet pilote d’activation: tous les accompagnateurs actifs dans l’une ou l’autre forme
d’accompagnement participent au projet, et ce afin d’éviter un gaspillage inefficace des moyens.
Cette approche intégrée améliore du même coup l’accessibilité et clarifie la fonction frontdesk
(guichet unique) vis-à-vis du groupe cible et des nouveaux clients potentiels. Le projet fait aussi
office de catalyseur et d’exemple en matière de collaboration dans des domaines apparentés.
Ainsi, à côté du projet pilote, trois projets ‘spin-off’ ont été lancés, à savoir un projet de jobcoaching pour des travailleurs bénévoles présentant une fragilité psychique élevée, un projet de
jobcoaching en économie sociale (tous deux subsidiés par la province), et ‘e-Start’ (subsidié par
l’Europe).
Méthode utilisée
La méthode utilisée dans le projet pilote s’appuie en grande partie sur les compétences développées dans le projet ECHO qui, depuis 1995, propose un parcours d’insertion au groupe cible
dans la région. Cette méthode se focalise sur la réhabilitation. On crée une culture qui incite à
faire des choix, qui propose des défis et qui soutient les gens qui veulent progresser. Ce faisant,
on cherche à tout moment, pour chaque participant, le dosage idéal entre soutien d’une part et
stimulation de l’évolution d’autre part.
L’accompagnement individuel et le processus d’évaluation fonctionnelle constituent le fil
150
CHAPITRE 6.2
rouge de ce projet. Le participant est sans cesse encouragé à prendre sa vie en mains, à formuler
des objectifs et à faire des choix. L’accompagnateur soutient et oriente ce processus dans une
relation caractérisée par le partenariat et l’échange d’égal à égal.
Au sein du projet, on élabore un programme à la mesure du client, en partant de ses besoins
et en tenant compte de son niveau de fonctionnement de manière à évoluer, par petites étapes,
vers l’objectif qu’il s’est fixé lui-même. Le client apprend ainsi à faire des choix, à prendre sa vie
en mains et dans la mesure du possible à assumer à nouveau des responsabilités.
Quelques données chiffrées
Le tableau ci-dessous indique le nombre de clients accompagnés et le nombre de parcours
(achevés ou en cours) mis en œuvre pour ces participants. (21.12.2002 – 20.12.2004).
PROJETS
activation
Echo
province
total
PARCOURS ACHEVÉS
PARCOURS EN COURS
TOTAL
PARTICIP.
PARCOURS
PARTICIP.
PARCOURS
PARTICIP.
PARCOURS
178
148
22
348
301
192
30
523
22
15
28
65
42
27
36
105
200
163
50
413
343
219
66
628
– Le groupe, constitué en majorité d’hommes (57%) comprend essentiellement des personnes
envoyées par le secteur des soins de santé mentale (80%). Quant aux réorientations par des
structures ne faisant pas partie des soins de santé mentale, le service ATB (parcours d’insertion) vient en tête avec 62%.
– La catégorie d’âge des 30 à 39 ans est la plus représentée (30%), suivie par celle des 20 à 30
ans.
– Le niveau de formation des clients est assez élevé: 10% ont un diplôme universitaire et 17%
ont un diplôme d’enseignement supérieur. Le groupe doté uniquement d’un diplôme de l’enseignement fondamental (3%) ou de l’enseignement secondaire professionnel (18%) est plus
faiblement représenté dans le projet que dans la population moyenne d’un hôpital psychiatrique moyen. Le niveau d’instruction est relativement plus élevé chez les hommes que chez les
femmes.
– Le revenu du groupe cible est pour la moitié d’entre eux une indemnité d’invalidité, parfois
complétée par une autre source de revenus. 31 clients ont une allocation de chômage comme
source de revenu.
– Pour ce qui concerne le diagnostic, les hommes psychotiques forment le groupe principal
(56%). Les problèmes d’assuétudes sont plus fréquents chez les hommes (18%) que chez les
femmes (8%). Dans la catégorie des troubles de la personnalité, le nombre de femmes (20%)
est supérieur à celui des hommes (5%). Le fait d’être marié ou de vivre avec un partenaire
semble générer peu de différences dans les groupes étudiés.
– L’arrêt du parcours d’insertion survient dans 39% des cas à cause d’une rechute ou d’une maladie, ou à l’initiative du participant.
– Un groupe étonnamment important de psychotiques (47%) reprend une activité lorsqu’ils
quittent le projet. Il est frappant de constater que les personnes présentant des troubles de la
personnalité mènent difficilement à bien un parcours vers le bénévolat.
– Les clients peuvent entreprendre successivement différents parcours avec un objectif différent:
60% atteignent leur objectif après un premier trajet.
151
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
Conclusion
Un parcours de réinsertion, partant des besoins du client, en concertation et en collaboration
constante avec le réseau d’accompagnement, permet au client de trouver des occupations intéressantes et qui ont du sens pour lui (et cela autant que possible dans un contexte régulier).
Les résultats de notre projet d’activation montrent clairement que la manière de travailler et
la méthode spécifique au parcours d’insertion sont efficaces. Cette méthode, basée sur le principe de l’empowerment, incite le participant à prendre sa vie en mains et stimule son autonomie ;
elle ne peut porter ses fruits qu’à condition de respecter le réseau social du client.
Il importe également, et c’est un facteur de succès complémentaire, que le projet s’inscrive
plus largement dans un vaste ensemble de réseaux constitués d’une part de partenaires actifs
dans les services d’aide, et d’autre part, de représentants des secteurs réguliers de l’emploi et
de la formation. Il ressort tant du vécu des clients que des expériences des thérapeutes et des
accompagnateurs que cette méthode constitue un véritable levier permettant au client d’évoluer
du statut de ‘patient’ à celui de personne active réinsérée dans la société.
Grâce au partage et à l’échange des connaissances et des expériences, grâce aussi au fait que
les différents services se sont efforcés de dépasser leurs différences de culture, le projet a grandi
et a contribué à une meilleure collaboration entre les structures. Un tel partenariat est considéré
comme la préfiguration d’une gestion régionale en matière d’offre et de services de soins de santé mentale. On voit se développer un dialogue ouvert qui fournit aux partenaires des occasions
de se former et de partager leurs compétences au-delà des frontières des différentes structures.
C O N TA C T S :
Krijkelberg 1, 3360 Bierbeek
Tél: 016 45 27 52
Fax: 016 45 27 45
E-mail: [email protected]
152
Une ‘Mamy-langue’ pour chaque ‘Friend’
KATRIEN VAN DE WEGHE
COORDINATRICE SENIORS SANT’EGIDIO
Vingt ans d’activités au service des personnes âgées dans différents quartiers défavorisés
d’Anvers, c’est une expérience non négligeable. Entrer dans le monde des personnes âgées, apprendre ce que cela représente de se débrouiller avec une petite pension ou une allocation du
CPAS, mieux comprendre, surtout, ce que veut dire vieillir: le déclin physique, l’affaiblissement
des facultés mentales, l’état de dépendance, la disparition de contacts sociaux, la solitude…. Notre société s’est forgée une image négative de la vieillesse et la transmet via toute une série de
canaux, dans les médias, dans la publicité, au niveau politique. La vieillesse apparaît comme une
période peu enviable. Quand on dispose de moyens financiers importants, ce n’est pas si grave:
de nombreux problèmes peuvent être résolus par des moyens techniques ou par une aide rémunérée à domicile. Mais quand on est vieux et pauvre, les choses ne sont pas si simples…
C’est cette catégorie de personnes âgées que la communauté Sant’Egidio accompagne depuis
des années. Ce sont des personnes qui vivent dans des vieilles maisons délabrées ou de minuscules appartements sans confort, dans des quartiers hébergeant des populations aux multiples problèmes: étrangers, familles déchirées, jeunes délinquants. Diminuées physiquement, ces vieilles
personnes ne sortent plus, ou quand elles s’y résolvent, ne reconnaissent plus leur quartier et ont
peur en rue. Certaines d’entre elles ont perdu tout contact avec leur famille et vivent dans l’isolement. Entretenir une vie sociale coûte de l’argent, et elles n’en ont pas. Certaines doivent faire
appel à une aide-senior pour les moindres activités quotidiennes, car elles ne sont plus capables
de se débrouiller seules. Souvent, l’aide-senior reste le seul lien avec le monde extérieur. Devonsnous accepter la mentalité ambiante et nous résoudre à ce que les personnes âgées constituent
un groupe de citoyens qui ne signifient plus rien dans la société, qui ne comptent plus?
Pour les bénévoles de Sant’Egidio, la réponse est non! Ils ont choisi de se lier d’amitié avec des
personnes âgées, convaincus que chaque être humain compte et peut apporter quelque chose
à autrui, aussi vieux et faible soit-il. Par leurs visites hebdomadaires, ils apportent de la joie à
des gens qui n’avaient plus d’espoir. Leur amour des anciens stimule leur créativité et les aide à
trouver des solutions aux problèmes. Ils apportent de l’aide à domicile là où c’est nécessaire mais
ils réfléchissent surtout à des moyens de rendre à la personne âgée le goût de vivre: ils organisent des petites fêtes dans le quartier, invitent d’autres bénévoles à visiter les personnes âgées
ou à les accompagner pour leurs courses, partent en vacances ensemble… Les vieilles personnes
retrouvent ainsi non seulement un sens à leur vie, mais deviennent aussi des témoins vivants que
la vieillesse peut être une période heureuse.
153
L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
Le projet Taaloma’s en Opa’s
C’est dans ce contexte qu’est né le projet des ‘taaloma’s en -opa’s’, ‘mamy et papy- langue’.
Sant’Egidio organise des activités pour personnes âgées, mais s’occupe également des enfants et
des jeunes, les ‘Friends’, dans ces mêmes quartiers défavorisés. Une partie de ces jeunes sont des
réfugiés ou des migrants qui éprouvent des difficultés à parler le néerlandais et accumulent les
problèmes à l’école. A la maison, ils parlent leur langue maternelle et à l’extérieur cherchent des
amis appartenant de préférence à la même culture que la leur. En dehors de l’école, ils ont donc
peu d’occasions de parler le néerlandais. Or, dans leur quartier vivent des personnes qui parlent
le néerlandais, qui disposent de beaucoup de temps, qui sont presque toujours chez elles, qui
souffrent de la solitude et aspirent à une petite visite: ce sont les personnes âgées. Sant’Egidio a
pris l’initiative de réunir ces deux groupes, les personnes âgées belges et les jeunes étrangers. Et
cela a fait mouche, semblerait-il.
La plupart des jeunes qui sont entrés dans le projet ont peu de contacts avec leurs grandsparents qui vivent dans leur pays d’origine. Ces contacts leur manquent et ils sont enthousiastes
à l’idée de rencontrer de nouveaux grands-parents. Qui plus est, ils sont fiers de la responsabilité
qui leur incombe. On dit souvent des jeunes qu’il n’y a rien à en tirer, qu’ils ne font rien à l’école,
qu’ils ont des problèmes à la maison, qu’ils traînent dans le quartier… Nous, nous demandons à
ces jeunes de prendre soin d’une personne âgée seule. Cette responsabilité contribue à leur donner une image de soi plus positive. Les vieilles personnes sont elles aussi ravies: elles pensaient
qu’elles ne servaient plus à rien, et voilà qu’on leur donne une mission. Cela donne du sens à
leur vie. La relation, fonctionnelle au départ, se transforme rapidement en un lien solide. C’est là
que réside la force du projet des ‘mamy-langue’: entre les deux partenaires naît une amitié qui
transforme leur vie.
Le projet a cours dans cinq quartiers défavorisés d’Anvers. Actuellement, une trentaine de
jeunes rendent une visite hebdomadaire à autant de personnes âgées. Le projet comporte également un deuxième volet: chaque mois, les Friends, une quinzaine par quartier, organisent des
fêtes pour les anciens. Quand c’est possible, la fête se déroule dans une maison de repos, ce qui
permet non seulement des rencontres avec les jeunes du quartier mais aussi entre personnes
âgées du home et habitants du quartier. Ici aussi naissent de nouvelles amitiés, qui trouvent leur
prolongement dans des visites à domicile ou à la maison de repos. Le projet touche actuellement
un total de 60 jeunes et quelque 250 vieilles personnes. Il est encadré dans chaque quartier par
deux ou trois accompagnateurs adultes.
L’objectif principal du projet est de réunir des personnes d’âges et de cultures différentes, et
d’améliorer ainsi le cadre de vie des personnes concernées. Au début, cela ne s’est pas passé sans
problèmes. La méfiance des personnes âgées à l’égard des jeunes étrangers de leur quartier est
parfois grande. Certaines d’entre elles ont essuyé des commentaires peu amènes de la part des
voisins: ‘Vous n’allez quand même pas laisser entrer un étranger chez vous… ‘. Mais ces mêmes
personnes, à force de voir un jeune sonner régulièrement chez leur voisin ou leur voisine, changent rapidement d’attitude et demandent à ce qu’on leur rende visite aussi. Les relations personnelles qui se développent dans le contexte du projet modifient petit à petit le climat du quartier.
L’initiative doit sa réussite, entre autres, à l’accompagnement intensif des jeunes comme des
personnes âgées. Cet encadrement est assuré par des bénévoles ayant l’expérience de ce groupecible. L’énergie qu’ils y investissent est largement récompensée par les résultats positifs du projet.
Dans une société caractérisée par le vieillissement de la population, des jeunes apprennent à
fréquenter des vieilles personnes. Celles-ci retrouvent goût à la vie car l’amitié avec un jeune leur
154
CHAPITRE 6.2
donne du courage, elles se sentent utiles et le jeune d’une autre culture fait entrer chez elles un
nouveau monde. L’amitié qui naît ainsi est vécue tant par les jeunes allochtones que par les vieux
autochtones comme un grand enrichissement.
En ville, la société multiculturelle est à la fois un défi et la seule perspective d’avenir réaliste.
Notre société ne peut négliger l’importance des liens entre les différentes générations. La diversité est une richesse, que le projet des mamys veut convertir en réalité. L’amitié au-delà des limites
de culture et d’âge est un outil contribuant à rétablir le réseau social précaire des quartiers dans
lesquels le projet est implanté.
C O N TA C T S :
Sint-Egidiusgemeenschap, Kammenstraat 51, 2000 Antwerpen
E-mail: [email protected]
155
Les Trois Pommiers
Une expérience originale d’hébergement
‘intergénérationnel et inter-problèmes’
CATHERINE VERDICKT
ADMINISTRATEUR-DÉLÉGUÉ
‘Un habitat groupé, intergénérationnel, familial, ré-intégratif et protégé, une résidence
multi-services et multi-âges’, telle est la définition des Trois Pommiers donnée par la Fondation
Roi Baudouin en 1998, dans un rapport portant sur l’éventail des lieux de vie pour les personnes
vieillissantes.
L’ASBL Les Trois Pommiers, fondée en 1982 par Odette Verdickt, est le résultat de 30 ans d ‘expérience acquise sur le terrain avec des personnes présentant de graves problèmes d’intégration
socio-économique. L’idée de base de cette formule d’habitation originale était de répondre à un
appel de la jeunesse, permettant à des mères et leurs enfants, en situation de précarité sociale et
économique, d’évoluer dans un milieu de vie naturel et convivial, enrichi par des liens avec des
personnes de tous âges.
Les Trois Pommiers ont voulu démontrer que l’âge, quel qu’il soit, n’est pas un ghetto mais
bien au contraire, si l’on maintient le contact entre les générations, qu’il devient une richesse,
un don en soi, une ouverture parce que chaque âge apporte à l’autre quelque chose qui lui est
propre.
Dès le début de l’expérience, à côté des mamans, des enfants et des personnes âgées, des personnes adultes présentant un handicap mental ou physique et des personnes ayant des troubles
de santé mentale ont souhaité être accueillies aux Trois Pommiers où la structure mise en place
allie le respect de l’autonomie de chacun (chaque personne est hébergée dans un flat individuel)
à une vie communautaire et familiale sans étiquette, tout en bénéficiant d’une présence professionnelle continue garantissant l’encadrement nécessaire sans ‘surprotéger’!
Ces personnes en difficulté psychosociale ayant atteint l’âge adulte peuvent souffrir de se
sentir prises en charge, soit d’être considérées comme ‘à part’. Aux Trois Pommiers, rien de semblable… Tous les habitants participent au milieu ambiant, un lieu souple, naturel et gai où on ne
remarque plus les différences. L’expérience démontre que ce qui peut motiver et dynamiser ces
personnes fragilisées, connaissant des difficultés psycho-médico-sociales ou même psychiatriques,
c’est de se sentir digne, compris, non-étiqueté et utile, en évitant des normes trop serrées qui
cloisonnent et enferment.
Les Trois Pommiers rassemblent ainsi dans un même immeuble une centaine de personnes de
156
CHAPITRE 6.2
tous âges avec des problématiques variées. Chacun peut s’isoler s’il le souhaite mais aussi rencontrer, partager… En somme, une complémentarité! Et quelle complémentarité étonnante dans les
détails journaliers! Les contacts ne sont en aucun cas forcés. Les résultats attendus ne peuvent
être immédiats mais ces contacts, par une proximité discrète, établissent peu à peu et modestement une relation, un vécu composé de petits détails journaliers si importants qui font la trame
de la vie quotidienne.
Petit à petit, des liens se créent qui souvent remplacent les liens familiaux. Les âges se mélangent ; des vases communicants s’installent entre les générations. A priori, rien ne devait rassembler ces personnes d’horizons et de parcours si différents. Et, pourtant, accueillies aux Trois
Pommiers, elles apprennent à se connaître, à s’entraider, à se soutenir et s’encourager dans leur
peine d’être ‘malade mental’, de ‘vieillir’, ‘d’être abandonnée’ par un mari… Il y a certes des
difficultés mais l’échange reste un processus d’éducation permanente pour tous.
Plusieurs aspects de la réintégration des personnes accueillies au sein de l’A.S.B.L. ont déjà
fait l’objet de certaines études (surtout sur le vieillissement et l’enfance en difficulté). On développera ici plus spécifiquement l’analyse de la réinsertion des personnes en difficulté psychomédico-sociale, accueillies aux Trois Pommiers, dans le cadre de l’agrément en tant qu’Initiative
d’Habitations Protégées (I.H.P. ‘Les Quatre Saisons’).
Ces personnes ont souvent connu un passé difficile avec de nombreuses hospitalisations en
unité psychiatrique. L’objectif de l’IHP est d’amener la personne à réaliser son projet de vie
en vue d’une réintégration la plus complète possible dans la société. Mais pour certaines, cet
accueil, dans un milieu intergénérationnel, est un cadre de vie idéal pour favoriser une stabilisation de leur maladie et où la qualité de vie est optimale au vu de leur fragilité médicale.
Cette vie que l’on pourrait qualifier de vie semi-communautaire permet de favoriser les
contacts sociaux et d’éviter ainsi la solitude. Rendre service à une personne âgée, se confier à
d’autres lors des moments de détresse, jouer avec un enfant, partager une conversation permettent de favoriser l’épanouissement et le bien-être, de retrouver des liens affectifs réels, de combler parfois certaines carences familiales… La confiance s’installe lorsqu’elles côtoient d’autres
personnes dans les couloirs, le salon, lors des activités, des repas Se créent de nouveaux contacts
qui les maintiennent dans une certaine réalité de la vie en société, avec toute sa diversité et ses
richesses.
Outre le suivi médicamenteux et psychologique indispensable pour ces patients, un environnement naturel et non étiqueté est extrêmement bénéfique à leur état. Vivre avec des personnes
‘normales’ les stabilisent et atténuent les périodes d’agressivité ou de découragement. Ils s’aperçoivent que les autres ont aussi leurs difficultés, comme une personne âgée qui n’ose plus marcher ou une maman énervée par les cris de son enfant: ils pourront alors lui venir en aide en lui
proposant de l’aider à marcher ou en fredonnant une chanson à l’enfant difficile… Leur journée
en sera égayée d’avoir été utile et ils en auront ‘oublié’, le temps d’un moment, leur maladie. Ils
sont plus agiles que les aînés et ont plus de temps que les mamans débordées… Leur personnalité est riche de qualités ‘en plus’ par rapport à la population si variée de la maison!
On pourrait conclure en résumant que cette expérience originale ‘d’hébergement intergénérationnel et inter-problèmes’ parvient à combiner avec succès les aspects suivants:
– une lutte contre l’exclusion, la ségrégation et le refus des étiquettes, des ghettos et de la stigmatisation de populations à problèmes classées et soignées dans des milieux cloisonnés.
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L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
– une équipe de travail pluridisciplinaire dont les compétences entrent en complémentarité,
dans le seul but d’aider les personnes hébergées à trouver les voies de la réinsertion sociale.
– une aide modulée selon les besoins individuels et non en fonction des nécessités institutionnelles.
– la mise en œuvre des moyens nécessaires à une intégration réussie qui favorise l’autonomie et
la reconnaissance des personnes hébergées comme sujets et acteurs responsables de leur devenir et non objets d’un traitement.
– un cadre de vie chaleureux et respectueux des besoins de chacun, où se côtoient et s’entraident des personnes de tous les âges, où se nouent des relations spontanées, naturelles et informelles entre différentes générations.
C O N TA C T S :
Les Trois Pommiers, avenue des Casernes 41, 1040 Bruxelles (Etterbeek)
E-mail: [email protected]
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Les fermes thérapeutiques
HILDE WECKHUYSEN, COORDINATRICE STEUNPUNT GROENE ZORG VZW
SIMONNE LUYCKX, PARTICIPANT – FERMES THÉRAPEUTIQUES SWIJSSENHOF
Témoignage de Simone, usagère dans une ferme thérapeutique
Tout a commencé en avril 2004. Cela faisait déjà quelques années que je ne pouvais plus assumer mon travail d’éducatrice. J’avais tout essayé: d’autres groupes cibles, des temps de travail
différents et même de nouvelles études. A la maison, je m’occupais du ménage mais c’était de
plus en plus difficile. J’avais déjà connu des difficultés psychiques. Et là aussi, j’avais déjà essayé
beaucoup de choses: hospitalisations, centres de jour, aide ambulatoire. Cela m’a toujours aidée
à me remettre sur les rails. Mais cette fois, il en allait autrement. Je voulais quelque chose de
nouveau. J’ai commencé à rêver de vie au grand air, d’animaux, de contact social, de calme,… ne
pourrais-je pas combiner tout cela?
Pleine de bonne volonté, je me suis lancée sur Internet à la recherche d’une ‘ferme thérapeutique’. Une notion dont mon mari, actif dans le secteur social, avait entendu parler. Rapidement,
j’ai trouvé aux Pays-Bas toute une liste de fermes, réparties en fonction de leur localisation, de la
population cible, de l’offre et des places libres. J’ai trouvé une ferme dans un petit village, non
loin d’une gare. Nous avons pris rendez-vous, nous sommes allés la visiter: c’était bien. Seul le
prix, combiné aux frais de voyage, était trop élevé. Au niveau du contenu aussi, j’avais quelques
remarques à faire: peu de structure, beaucoup de participants et un objectif à mes yeux démesuré. Mais le premier pas avait été franchi!
Mes recherches m’ont ensuite conduite au service ‘Steunpunt Groene Zorg vzw’. En quelques
jours, j’ai cherché, trouvé et pris contact. Els et sa famille étaient prêtes à m’accueillir. La mutualité a donné son autorisation. Je pouvais commencer à la ferme thérapeutique.
Un jour à la ferme…
A six heures, le réveil sonne. Le trajet en train est long. Mais cela en vaut la peine. C’est une
nouvelle chance que l’on me donne là-bas à Hasselt. Un nouveau départ que j’ai pris il y a maintenant presque un an.
10h30: à mon arrivée, je passe un peu de temps avec Els devant une tasse de café. Nous planifions la journée et le travail commence. Cela varie selon les saisons, avec juste ce qu’il faut de
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L E T R AVA I L E T S O N R O L E S O C I A L
structure et juste ce qu’il faut de variété. Le choix est énorme: s’occuper des lapins, nourrir les
vaches, travailler dans le potager, planter des fleurs, cueillir des fruits, faire des travaux de nettoyage, etc.
A midi, c’est l’heure du repas chaud, pris en compagnie de la famille et des autres participants. Il y a au maximum 2 autres ‘usagers’, ce qui permet de conserver une ambiance familiale.
A 13h00, le travail reprend. Le ‘travail’ au sens large du terme… car les jours où l’on n’est pas en
forme, on peut se contenter de s’occuper du chat! A 15h00, c’est la pause et nous buvons une
tasse ensemble en parlant de la journée ou en bavardant tout simplement. A 15h30, je reprends
le bus, je rentre chez moi à 19h00. Et cela 2 jours par semaine.
Que représente pour moi la ferme thérapeutique? D’abord, c’est la chaleur du foyer d’Els. J’ai
vraiment l’impression d’en faire partie. On prend le temps de bavarder, la ferme est un espace de
liberté et je suis toujours la bienvenue. Je suis vraiment bien accueillie.
Le choix d’activités pour remplir la journée est vaste. La journée est structurée, ce qui est très
important, mais jamais ennuyeuse. Je trouve aussi à la ferme une paix intérieure que je ressens
difficilement ailleurs. Le travail physique y contribue aussi.
Deux jours, c’est juste assez et la durée de la journée de travail me convient aussi. Le temps du
trajet en train, je le passe en écoutant de la musique ou en lisant le journal; cela me permet de
côtoyer d’autres personnes. Le contact avec la nature a lui aussi un effet curatif. Une ferme thérapeutique peut s’adresser à différentes sortes de personnes: personnes handicapées mentales,
handicapées physiques, personnes âgées séniles, jeunes en difficulté...Ou des gens comme moi,
qui ont parfois du mal à assumer le quotidien et regagnent leur liberté à la ferme...
Qu’est-ce qu’une ferme thérapeutique?
Il existe trois sortes de fermes thérapeutiques en Flandre:
– Modèle 1: des demandeurs de soins sont accueillis via une structure de soins dans une exploitation agricole ou horticole active. Le demandeur de soins est intégré dans la mesure du possible
dans le travail quotidien de l’exploitation. Celle-ci propose des activités sur mesure. Un suivi est
assuré par la structure de soins qui participe au frais, dans la plupart des cas, à raison de 5 à 10
euros par jour. Dans des cas exceptionnels, la structure de soins verse un salaire à l’exploitation
agricole ou horticole.
– Modèle 2: des exploitations agricoles ou horticoles actives mettent leur infrastructure à la
disposition d’un service de soins. Des animateurs du service s’occupent de l’accompagnement
spécifique des demandeurs de soins.
– Modèle 3: la ferme thérapeutique fait partie de l’institution de soins. Il s’agit alors d’une
ferme institutionnelle. En Flandre, ce sont souvent des ateliers protégés, des centres de jours ou
d’autres services au sein des structures de soins.
Les formes possibles de soins dans une ferme thérapeutique:
– Offre d’équipements: l’exploitation agricole ou horticole n’est pas activement impliquée dans
l’accompagnement ou l’aide, mais met son infrastructure à disposition.
– Accueil de jour: le client vient à la ferme pour profiter de la nature, du calme et de l’espace. Il
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CHAPITRE 6.2
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ne vient pas tellement pour travailler mais pour acquérir des expériences et stimuler ses aptitudes sensorielles.
Activités (thérapeutiques) de jour: à la ferme, les clients accomplissent des activités qui contribuent à leur bien-être. Il n’y a pas d’exigence en matière de rythme de travail ou de qualité de
production.
Activités de jour: les clients sont initiés aux travaux de la ferme; ici, des exigences sont posées
en matière de prestation de travail. Les activités n’ont pas de plus-value économique pour la
ferme. En tout cas au moment de l’entrée, il n’y a pas de perspective d’orientation vers un
emploi protégé rémunéré.
Parcours d’insertion au travail: dans l’exploitation agricole ou horticole, les clients bénéficient
d’une formation sur mesure, et apprennent ainsi à travailler de manière autonome. Dès le
début du parcours, ils doivent avoir la perspective de pouvoir passer à un emploi régulier.
Soins: la ferme thérapeutique fait l’objet d’adaptations de manière à pouvoir fournir des
soins. Les clients peuvent bénéficier d’un soutien pour manger, aller à la toilette, etc. A côté
des soins, il y a suffisamment d’espace pour des activités de jour.
Habitat: dans plusieurs cas, des clients habitent et travaillent dans une ferme. Ici on tient
davantage compte du contenu de la vie quotidienne et de tous les aspects qui y sont liés.
Logement: les clients peuvent venir loger le week-end ou en vacances. Pendant la journée, ils
profitent de l’environnement, se font soigner ou participent aux activités à la ferme.
C O N TA C T S :
Hilde Weckhuysen, Steunpunt Groene Zorg vzw, Remylaan 4b, 3018 Wijgmaal
Tél: 016/24 49 22
E-mail: [email protected]
www.groenezorg.be
161
Chapitre
Comment vivre de manière autonome quand
on est en situation de fragilité mentale?
:: Introduction: Favoriser l’autonomie de personnes en situation de fragilité
Marcel Plessers, Bewust Beschut Wonen vzw
:: Comment vivre de manière autonome quand on est en situation de fragilité mentale?
Anne Herscovici, CPAS Ixelles
:: Les ‘buddies’, un soutien bénévole et sympathique!
Bea De Rouck, Lise Anne Van De Gucht , Ans Hillebrant, Metawonen, Gent
:: Les habitations protégées, des lieux de vie dans le champ de la santé mentale
Patrick Vandergraesen, Association Carolorégienne de gestion des Habitations Protégées, et
Jean Pierre Evlard, Club Psychosocial Théo Van Gogh, Charleroi
:: La rue, lieu de vie
Aloyse van der Stegen, La Fontaine, Bruxelles
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Favoriser l’autonomie de personnes en
situation de fragilité
MARCEL PLESSERS,
DIRECTEUR BEWUST BESCHUT WONEN VZW
Favoriser l’autonomie de personnes en situation de vulnérabilité, c’est mettre tout en œuvre
pour permettre à ces personnes de mener leur vie de la manière la plus autonome possible. En
psychiatrie, les thérapeutes emploient volontiers le terme ‘empowerment’: cela veut dire que
nous aidons ces personnes et leur entourage à prendre leur vie en mains, à accéder à la forme la
plus élevée possible d’autonomie.
La question de l’autonomie est une question extrêmement complexe. Pouvoir exercer librement ses choix est un idéal qui a pris une grande importance dans notre société. Et pourtant, on
voit dans les statistiques que le nombre d’hospitalisations forcées ne cesse d’augmenter. On sait
aussi que les services de l’Aide à la jeunesse déploient beaucoup d’efforts pour inclure les enfants
et les jeunes dans la recherche de solutions aux problèmes qui les concernent mais que, dans la
pratique, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Et qu’à côté de cela, nombre de parents et de
professionnels continuent à prendre la parole au nom de personnes moins capables de s’exprimer, comme les personnes atteintes d’un handicap mental.
Il est de notoriété publique que pour les décideurs politiques, et pour tout le secteur de l’aide
aux personnes, la promotion de l’autonomie des personnes en situation de fragilité constitue
une priorité. Le droit à disposer de soi-même semble incontestable dans le secteur des soins de
santé. Les termes ‘libre choix’ et ‘soins adaptés à la demande’ apparaissent partout, à bon ou à
mauvais escient. On lit dans le tristement célèbre ‘deuxième avis du groupe de travail sur la psychiatrie’, publié il y a déjà huit ans, comme huitième caractéristique de la maladie mentale ‘que
les patients ont des besoins de traitement variables dans le temps et qu’ils doivent pouvoir faire
appel sans difficulté, au sein de l’ensemble des services de soins de santé mentale, aux soins qui
répondent à ce moment-là à leurs besoins et à leurs possibilités de traitement’. L’offre de soins
doit donc partir d’une analyse ciblée de la demande d’aide et des besoins du client, et non pas
de l’offre elle-même, comme c’est encore souvent le cas aujourd’hui. Espérons donc que cela
devienne un des objectifs prioritaires dans l’élaboration des circuits et des réseaux de soins…
Collaborations et création de réseaux devraient permettre aux différents services de réfléchir
à des formes de soins qui n’existent pas encore. On pourrait ainsi voir apparaître des formes ‘intermédiaires’, qui se situeraient entre les mailles du secteur traditionnel, de manière à ce que le
stéréotype de parcours du ‘résidentiel’ vers le ‘semi-résidentiel’ puis - si tout va bien - vers ‘l’ambulatoire’ se déroule sans trop d’à-coups. Les spécificités de la problématique sous-jacente, ou
164
CHAPITRE 7
du groupe cible, devraient toujours servir de point de départ. Chaque groupe cible a en effet ses
besoins et ses demandes spécifiques. Pour percer ces besoins à jour, la participation des clients est
indispensable mais ce n’est pas un but en soi. C’est uniquement un moyen, le seul il est vrai, pour
développer des soins réellement axés sur la demande.
Ces éventuelles formes ‘intermédiaires’ de soins devraient laisser la priorité à une autonomisation croissante des clients, avec pour but ultime la resocialisation de la personne, avec tout ce
que cela implique. Au départ, on doit avoir la possibilité de revenir vers le service d’aide en cas
de problème, pour ensuite, petit à petit, pas à pas, reconstruire sa vie en sachant que l’on aura
toujours la possibilité d’être accueilli si cela ne va pas. Le respect de l’autonomie du client est ici
crucial, puisque directement lié au souci de sa dignité.
Comment favoriser l’autonomie de personnes en situation
de vulnérabilité?
– En leur donnant le plus de responsabilités possibles dans de nombreux domaines tels que le
logement, le travail, la formation, les loisirs, le traitement et l’accompagnement.
– En les laissant pleinement prendre part à la vie sociale en tant que:
• travailleur rémunéré ou bénévole
• étudiant ou participant à une formation
• membre d’une association (récréative, sportive, de loisirs)
• citoyen qui ‘habite’ le plus normalement possible dans la cité
– En encourageant la famille et les proches à participer à tout ce qui peut avoir un impact sur le
bien-être de ces personnes.
De quoi avons-nous besoin pour accroître l’autonomie?
1. Les personnes en situation de vulnérabilité ont droit à un revenu à part entière, et non pas
à toutes sortes de mesures d’exception et de cartes de réduction.
Il est préférable que chacun puisse payer lui-même loyer, électricité, chauffage, transport, téléphone… plutôt que de recevoir des réductions et toutes sortes d’avantages spéciaux. Sans compter qu’on peut se demander si toutes ces mesures bénéficient réellement à ceux qui en besoin
(pensez à l’effet Mattheus- ‘celui qui a le plus recevra encore plus’), et ce que cela coûte réellement de maintenir ces systèmes.
Un revenu décent, pour un isolé, s’élève à minimum 800 euros par mois. C’est d’ailleurs le
montant octroyé à un travailleur régulier invalide et isolé. Par ailleurs, les CPAS mettent tout en
œuvre pour que chacun soit en ordre de sécurité sociale en tant que travailleur régulier. Dès lors,
pourquoi subsiste-t-il toujours des personnes faisant partie de la catégorie ‘employé irrégulier
invalide’, entre autres parce qu’elles ne trouvent pas (plus) d’instance pour régler cela? De même
les indemnités pour moins-valides qui ne perçoivent pas le revenu d’intégration équivalent au
minimum légal des moyens d’existence, sans suivi individuel ni possibilité d’emploi via l’art. 60§7.
N’est-il d’ailleurs pas injuste que des personnes ayant le moins de chance d’intégration, qui sont
souvent entièrement prises en charge dans une institution, reçoivent le montant le plus élevé
d’indemnité d’intégration, alors que les personnes qui ont encore une vraie chance d’intégration
n’obtiennent rien ou presque?
165
LE LOGEMENT
2. Il est primordial que le plus grand nombre possible de personnes en situation de vulnérabilité puissent avoir accès à un travail rémunéré.
Il est prouvé qu’un travail rémunéré peut considérablement améliorer le bien-être et l’état de
santé. Si les frais investis dans une coûteuse aide de longue durée pouvaient être en partie consacrés à l’emploi, cela apporterait non seulement une amélioration énorme pour la plupart des
personnes en situation de vulnérabilité, mais cela reviendrait beaucoup moins cher à la société
dans de nombreux cas.
Les emplois protégés peuvent jouer un rôle important s’ils peuvent donner lieu à un travail intéressant, qui a du sens. Ainsi nous avons pu créer de l’emploi dans notre habitation protégée
via l’ouverture d’une ‘enclave’ d’un atelier protégé. C’est très important pour les habitants qui
peuvent ainsi travailler au sein de leur propre projet et retrouver confiance en eux. On constate
également qu’après un certain temps, ils peuvent travailler dans l’atelier protégé ou dans une
entreprise ordinaire.
3. A côté du travail rémunéré, différentes formes d’activités de jour, de travail thérapeutique,
de parcours d’insertion, de bénévolat, de rencontre, de formation… sont nécessaires.
Nous savons d’expérience qu’il reste toujours un certain nombre de personnes dont la problématique est grave et de longue durée, qui ne peuvent pas (encore) travailler. Pour ce groupe, il est
très important de prévoir des formes alternatives d’activités occupationnelles. Certaines d’entre
elles bénéficient déjà d’un financement d’encadrement, tandis que d’autres ne reçoivent pratiquement aucune aide. L’hospitalisation de jour et la revalidation dans un centre psychiatrique
constituent certainement une solution valable pour un certain nombre de ces personnes. C’est
cependant largement insuffisant et souvent mal réparti géographiquement. Il est regrettable
que la ‘fonction de soins activation’, qui a permis de financer plusieurs projets pilotes à partir de
2001, ait été diminuée de moitié cette année, avant de disparaître complètement. Tout le monde
est convaincu que cette forme d’aide contribue dans une large mesure à l’autonomisation des
personnes fragilisées. Il est dès lors vraiment dommage que des projets pilotes doivent prendre
fin après seulement quatre ans alors qu’aucune réglementation n’est encore intervenue entre le
gouvernement fédéral et les autres niveaux de pouvoir.
4. Les personnes en situation de vulnérabilité sont rarement tentées de se faire membres
d’une association ou de se lancer dans une occupation récréative.
Trouver des solutions à ce problème constitue une mission essentielle pour tout thérapeute et il
restera toujours nécessaire de consacrer de l’attention aux besoins particuliers de cette population.
5. Le libre choix de l’habitat et des conditions de logement est également un droit des personnes en situation de fragilité.
Pour bon nombre de personnes qui ont séjourné longtemps dans un hôpital psychiatrique ou
une maison de soins psychiatriques, les conditions d’habitat sont tout sauf bonnes. Ils doivent
souvent dormir et vivre à plusieurs dans une chambre, sans la moindre intimité. Il est pourtant
clair que ces personnes ont droit à une chambre individuelle avec sanitaires privés. Il faut aussi
que de tels logements soient abordables pour tout le monde.
Dans les habitations protégées aussi, il faut pouvoir offrir davantage d’intimité. De moins en
moins d’habitants souhaitent vivre en groupe. Une forme de vie en groupe, où chaque habitant
a son propre salon, sa chambre à coucher et sa salle de bain, répond davantage à la demande
actuelle.
Une autre nouvelle forme d’habitat qui devrait être prise d’urgence en considération: les habitations d’agences immobilières sociales pour groupes cibles particuliers. Les services d’aide et les
166
CHAPITRE 7
agences immobilières auraient tout intérêt à réfléchir ensemble à ces questions. Pour les habitants, occuper une habitation sociale est souvent une solution idéale car leur loyer est adapté
aux revenus.
6. De nouvelles formes d’habitat pourraient considérablement favoriser l’autonomie des
personnes en situation de fragilité.
On peut penser ici à des habitations avec davantage d’accompagnement, des habitations avec ‘a
ward in a house’, des formes intermédiaires entre maison de soins psychiatriques et habitation
protégée, des formules d’autonomie à l’essai… Un nombre croissant de services plaident pour
que le traitement se poursuive en grande partie dans la société. La durée d’hospitalisation étant
plus courte, on constate une moindre stigmatisation et une plus grande satisfaction chez les
habitants.
Quelques pistes:
– Les habitations protégées deviennent petit à petit des lieux où le traitement se poursuit. Plusieurs patients pourraient séjourner beaucoup moins longtemps à l’hôpital s’il existait des formes
d’habitat adaptées, comme des logements à l’essai, davantage centrés sur la resocialisation. Les
problèmes sont naturellement plus aigus au début du séjour. A Saint-Trond, il existe déjà une
étroite collaboration entre les hôpitaux et les habitations protégées durant la période qui suit la
sortie d’un client. Accessibilité et collaboration lors de la transition sont indispensables pour optimaliser l’aide. Lorsque de telles formes d’habitat à l’essai existent, l’accent se porte évidemment
davantage sur le traitement de jour.
– Il y a également des habitants qui ont besoin de plus de surveillance et d’accompagnement
que ce que l’habitation protégée peut leur apporter. Il s’agit alors d’un accompagnement quotidien, avec une présence tous les matins ou tous les soirs, et pendant les week-ends. Il s’agit souvent d’habitants qui n’ont pas leur place dans une maison de soins psychiatriques parce qu’ils ne
nécessitent pas un encadrement 24h sur 24. Cette forme d’habitat protégé existe déjà à l’étranger et offre des perspectives chez nous aussi, à condition que l’habitation soit aussi normale que
possible et qu’il y ait une bonne collaboration.
– ‘A ward in a house’ est aussi une forme intermédiaire d’habitat protégé qui devrait être développée chez nous: un accompagnateur est présent dans l’habitation pour intervenir lors des moments de crise. Ces appartements-services fonctionnent bien pour une catégorie d’habitants qui
ne peuvent vivre en habitat protégé, lorsqu’ils sont convenablement encadrés. Pour le moment,
ce service est réservé aux personnes âgées, mais cette forme d’habitat est nécessaire et utile pour
tous les habitants.
– Il faut de toute manière davantage de places en habitat protégé pour résorber les listes d’attente. Il est quand même curieux que certains patients doivent attendre pendant des mois dans
un hôpital psychiatrique coûteux avant d’avoir accès à une formule bien meilleur marché comme
l’habitat protégé.
7. Les organisations d’usagers et de familles sont très importantes.
Il est très difficile pour un individu de faire valoir ses droits. Via des organisations, c’est plus facile
car elles peuvent influencer davantage les autorités. Au sein d’une organisation, un comité de
clients ou d’habitants peut contribuer à améliorer la qualité des services.
NB: L’aide à domicile pour les patients psychiatriques est subsidiée depuis 2001 via des projets
pilotes. Il a même été décidé dernièrement de reconnaître une douzaine de nouveaux projets.
167
LE LOGEMENT
Ces projets soutiennent d’une part l’aide régulière à domicile, mais sont d’autre part très importants comme forme d’aide pour des personnes présentant une problématique grave et de longue
durée. Pour les habitants d’habitations protégées qui souhaitent vivre de manière entièrement
autonome, ce type d’aide peut constituer un bon complément.
C O N TA C T S :
Bewust Beschut Wonen vzw,
Halmaalweg 19, 3800 Sint-Truiden
168
Comment vivre de manière autonome
quand on est en situation de fragilité
mentale?
ANNE HERSCOVICI
PRÉSIDENTE DU CPAS D’IXELLES
La mission légale du CPAS est d’assurer l’aide sociale devant permettre à toute personne de
vivre conformément à la dignité humaine. La loi fixe de manière relativement contraignante
les modalités de mise en œuvre de cette mission, avec comme principe fondamental que l’aide
sociale est une aide résiduaire. Le CPAS est donc, par définition, le dernier filet de protection
sociale pour des personnes totalement ou partiellement exclues des mécanismes de solidarité
sociale.
Les trajectoires et les situations des personnes qui frappent à la porte du CPAS sont hétérogènes et appellent des réponses très diverses. Mais force est de constater que, de manière
générale, les problématiques auxquelles sont confrontés les usagers sont de plus en plus lourdes et complexes. Elles ne se limitent pas au seul aspect financier et nécessitent des prises en
charge plus globales. Service de première ligne par excellence, l’action du CPAS est généraliste.
Les travailleurs sociaux n’y disposent ni de la formation, ni du temps nécessaires pour assurer
des accompagnements psychosociaux dans toutes leurs dimensions, d’où l’importance des réseaux de collaboration avec les professionnels des secteurs spécialisés (logement, éducation,
formation, emploi, santé, santé mentale, etc.).
Par ailleurs, beaucoup d’usagers du CPAS sont inscrits depuis leur enfance dans une dépendance aux institutions. Rompre le cercle de cette dépendance, notamment par des politiques
axées sur la prévention, et développer l’autonomie des personnes, supposent que ces dernières
bénéficient d’un certaine sécurité d’existence. En effet, si des ressources matérielles suffisantes
ne sont pas à elles seules source d’autonomie, elles en constituent à tout le moins une condition sine qua non. En la matière, la situation est de plus en plus préoccupante puisque l’on
constate une précarisation croissante qui ne touche pas uniquement les allocataires sociaux.
En effet, la précarité est aussi le vécu quotidien de beaucoup de travailleurs dont les revenus s’avèrent insuffisants (contrats de travail précaire, temps partiel, bas salaires, etc.) et qui
s’adressent au CPAS pour une aide sociale complémentaire.
La crise actuelle du logement est une des causes principales de la paupérisation et de la dégradation des conditions de vie. Hausse exponentielle du prix des loyers, pénurie de logements
pour grandes familles, état délabré voire insalubrité, insuffisance du parc immobilier public,
etc. En Région de Bruxelles-Capitale, les personnes à faibles ressources financières n’ont pratiquement plus accès à un logement décent adapté à leurs revenus. Dès lors, comment vivre
169
LE LOGEMENT
de manière autonome lorsque l’on consacre plus de la moitié de ses ressources à un logement
par ailleurs souvent source d’inconfort physique et psychologique? Comment ne pas être dépendant lorsque les moyens manquent pour subvenir aux besoins de base: manger, se loger, se
chauffer, se soigner? Quelle place reste-t-il pour les loisirs, la culture, la participation à la vie
collective, autant de dimensions de la vie essentielles à la construction de liens sociaux et par
là-même à l’autonomie?
En fait, la réalité quotidienne du travail social en CPAS amène à inverser, dans de nombreuses situations, la question de départ de cet article, et à la poser en ces termes: comment ne pas
être en situation de fragilité mentale lorsque les ressources, économiques et sociales, sont insuffisantes pour vivre de manière autonome?
Les travailleurs sociaux du CPAS mettent en exergue l’augmentation du nombre de personnes qui présentent des troubles psychologiques ou psychiatriques. Ces troubles sont parfois à
l’origine de comportements agressifs, voire violents, comportements souvent révélateurs d’une
souffrance individuelle et sociale, d’un état de tension permanent que vivent ces personnes
inscrites dans des processus d’exclusion particulièrement violents parce qu’extrêmes.
Pour certains usagers, le CPAS constitue parfois le dernier lien avec les institutions. Les travailleurs sociaux sont donc les principaux témoins et les ‘dépositaires’ d’angoisses et de frustrations. Face aux situations de détresse psychique qui ne sont pas sans conséquences sur leur
propre santé, ils se sentent peu outillés et souvent impuissants.
Les réponses apportées par le secteur de la santé mentale ne sont pas toujours satisfaisantes. Les structures d’hébergement alternatives à l’hôpital psychiatrique et les appartements
supervisés sont très insuffisants et les conditions d’accès y sont souvent trop sélectives. Or ce
type de structures offre un accompagnement psychosocial intensif qui peut stabiliser des personnes peu structurées et instables. Car souvent, en effet, lorsqu’elles trouvent un logement
individuel, ces personnes ne le gardent pas longtemps parce qu’elles n’arrivent pas à s’y sentir
chez elles, et leur trajectoire est souvent ponctuée de passages à la rue, de séjours en hôpital
psychiatrique ou en maison d’accueil.
Quant aux services ambulatoires de santé mentale, leurs règles de fonctionnement (heures
d’ouverture, système de rendez-vous à long terme, etc.) sont parfois peu adaptées à un public
particulièrement déstructuré.
Toutefois, si les pratiques du secteur de la santé mentale doivent être questionnés et les
dispositifs adaptés, les réponses aux problèmes de santé mentale des personnes socialement
exclues ne se situent pas dans ce seul champ. En effet, quelle peut être la portée véritable de
l’intervention de psychologues et/ou de psychiatres amenés à ‘ soigner ’ des personnes et des
familles dont la principale source de difficultés psychologiques réside dans le fait de vivre dans
un logement exigu ou délabré?
L’expérience quotidienne au sein du CPAS témoigne donc du lien entre fragilité mentale
et insécurité socio-économique, qui accentue d’une part, l’isolement social et d’autre part, la
dépendance aux institutions. Pour favoriser l’autonomie des personnes en situation de fragilité mentale, il convient d’agir sur les mécanismes d’exclusion sociale et de mettre en place des
politiques qui leur garantissent une sécurité d’existence nécessaire au bien-être et à l’autonomie. Sans politiques volontaristes en matière de logement, sans création d’emplois adaptés, les
170
CHAPITRE 7
discours sur l’autonomie resteront des discours, culpabilisants de surcroît pour les travailleurs
sociaux et de la santé, et pour tous les ‘laissés pour compte’.
C O N TA C T S :
CPAS d’Ixelles, chée de Boendael 92, 1050 Bruxelles
E-mail: [email protected]
171
Les ‘buddies’, un soutien bénévole et
sympathique!
BEA DE ROUCK, JOURNALISTE; AVEC
LISE ANNE VAN DE GUCHT ET ANS HILLEBRANT, COORDINATRICES, METAWONEN (GENT)
Vivre de manière autonome représente pour les uns un magnifique défi, et pour d’autres une
mission angoissante. Notamment pour les personnes qui ont des problèmes psychiques, et/ou
d’autres limitations. Par exemple, il n’est pas évident, au sortir d’une hospitalisation psychiatrique, de se retrouver du jour au lendemain plongé dans la société. Les amis qui se montraient
compatissants au début ont souvent déclaré forfait après un certain temps. La famille ne peut
pas tout assumer, et a peut-être aussi décroché en cours de route. Les aptitudes sociales sont réduites à peu de choses après une longue hospitalisation. Parfois, on en arrive à un tel isolement
qu’il n’y a plus que le chien ou le chat à qui parler, à l’exception parfois de l’assistante sociale.
Vivre seul signifie souvent vivre TOUT seul!
Les ‘Buddies’
C’est pour cette raison que l’asbl Metawonen a eu l’idée de faire appel, il y a une dizaine
d’années, à des ‘buddies’ (copains). Le buddy aide la personne fragilisée à refaire ses premiers
pas dans la société. Car si on n’y arrive pas tout seul, peut-être qu’à deux ce sera possible.
Metawonen s’adresse aux personnes qui vivent déjà de manière autonome ou qui ont l’intention de le faire dans un futur proche. Parfois, ces personnes ont séjourné un long moment dans
une structure résidentielle en raison de difficultés psychiatriques ou psychosociales. Pour elles,
quitter l’institution, c’est devoir renouer d’anciens contacts, reprendre d’anciennes activités, ou
bien se lancer dans de nouveaux projets. A ce moment, un contact amical par un bénévole enthousiaste, c’est un petit coup de pouce qui peut suffire à relancer la machine. Car si le buddy
n’est pas un thérapeute professionnel, il /elle peut être le chaînon manquant qui permettra de se
reconnecter à la société.
Un buddy, c’est un repère dans la vie du participant ; il offre sécurité et confiance. Le bénévole
n’est pas là pour entamer un accompagnement ou prendre la place d’un thérapeute, mais il a
une fonction de signal et peut contribuer à empêcher la rechute.
172
CHAPITRE 7
Que peut-on faire ensemble?
Le bénévole symbolise aussi un peu le monde à l’extérieur des services d’aide. N’étant pas
un thérapeute professionnel, il se trouve sur le même pied que le participant, ce qui permet un
véritable contact d’égal à égal. C’est important, car entre ces deux personnes, la vie quotidienne
ordinaire peut reprendre sa place. Vous pouvez demander à un buddy ce qu’il pense de votre
nouveau jeans, chose que vous ne pouvez quand même pas demander à votre psychiatre!
Participants et bénévoles peuvent imaginer toutes sortes de choses à faire ensemble. Parfois,
un brin de causette devant une tasse de café peut déjà suffire à sortir le participant de sa solitude. Les possibilités ne manquent pas: une balade en ville, une soirée au cinéma, une crêpe à
la pâtisserie voisine, un petit plongeon à la piscine, un verre au café, une visite de musée, une
après-midi dans le bois avec le chien ou une démarche au CPAS,… . Des activités que le participant envisage peut-être mais qu’il n’ose pas entreprendre seul. Il peut arriver d’ailleurs qu’il n’y
pense même pas, car il y a bien longtemps qu’il n’a plus pris la moindre initiative.
Les activités entreprises dépendent très fort des intérêts et des attentes des deux parties. Metawonen prend le temps d’accorder le duo au mieux. Il est en effet très important que le courant
passe entre le buddy et le participant pour pouvoir construire un véritable lien, et avoir envie de
faire des choses ensemble. Les participants peuvent exprimer des demandes par rapport à leur
buddy et vice versa: homme, femme, jeune, vieux, sage, sportif, amateur de musique, gourmand,
à l’écoute ou bavard. Le temps d’attente et de recherche du buddy qui conviendra peut donc
parfois être assez long. Qui plus est, la demande de buddies est actuellement plus grande que
l’offre.
Qui sont les buddies?
Le buddy, de son côté, s’engage bénévolement à se libérer régulièrement pour le participant,
aussi longtemps qu’il sera nécessaire. Pour garantir la régularité et la continuité, nous cherchons
des bénévoles compétents et motivés. Nous avons prévu pour cela une procédure de rencontre
et de sélection. Les bénévoles ne doivent pas être des professionnels, mais des gens qui ont du
temps et surtout l’envie de s’engager pendant une période assez longue pour des personnes
éprouvant des difficultés à se réinsérer dans la société. Un buddy doit donc dans un premier
temps disposer de temps libre, une ou deux fois par semaine. Actuellement, une cinquantaine de
bénévoles sont actifs dans l’asbl, mélange varié d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes,
d’étudiants, de femmes au foyer, de demandeurs d’emploi, de pensionnés. La dynamique est
donc assurée!
Le bénévole est quelqu’un de sensible aux difficultés psychiques des autres ; il doit pouvoir
établir facilement des contacts sociaux, être capable d’offrir une oreille attentive, faire preuve
d’un réel intérêt pour l’histoire de la personne et respecter l’intimité du participant. On attend
aussi des buddies qu’ils se trouvent eux-mêmes dans une phase de vie équilibrée. Ils doivent en
effet pouvoir offrir aux participants stabilité et continuité. Il importe également qu’ils soient
capables de se garder du temps pour eux-mêmes. Etre buddy, c’est un apprentissage permanent.
Bien comprendre l’effet de son propre comportement, de ses valeurs et de ses normes sur quelqu’un d’autre n’est pas un luxe superflu.
173
LE LOGEMENT
Formation permanente
Les bénévoles ont droit à un bon accompagnement. Etre buddy, c’est vivre de formidables expériences, mais aussi être confronté à des situations difficiles. Aucune formation préalable n’est
requise. Metawonen assure la formation permanente des buddies, tant individuellement qu’en
groupe. Les nouveaux bénévoles reçoivent une formation préliminaire. Au départ, un buddy doit
être au courant de ce qui peut se passer quand il s’occupe d’un participant ; Metawonen part du
principe que pour le reste, le bénévole apprendra petit à petit ‘sur le terrain’. Les buddies reçoivent aussi quelques informations en matière de vie privée, de secret professionnel et de respect
des informations entendues. On leur parle également de l’importance de mettre des limites et
de ne pas nourrir d’attentes irréalistes, afin d’éviter désillusions et burn-out. A côté de cela, l’asbl
organise chaque mois des soirées de formation et des réunions de supervision où l’échange des
expériences est primordial. Metawonen ne demande pas aux buddies de changer le comportement des participants mais cherche avec eux comment gérer ce comportement. Les bénévoles
sont solidement encadrés durant l’accompagnement de leur participant.
Les expériences positives des participants renforcent notre conviction que l’engagement de
bénévoles contribue à accroître la qualité de la vie. Il n’y a pas que les pilules et les psychothérapies ; les rencontres et les contacts sociaux sont tout aussi importants. Les usagers ne sont pas
les seuls à reconnaître la valeur de l’engagement des buddies. Ces dernières années, nous avons
remporté plusieurs prix. Ce qui veut dire que le dévouement de nos buddies est apprécié aussi
par un public plus large.
C O N TA C T S :
Metawonen, Elyzeese Velden 74, 9000 Gent
Tel. 09-225.62.09
E-mail: [email protected]
174
Les habitations protégées, des lieux de vie
dans le champ de la santé mentale
ASSOCIATION CAROLORÉGIENNE DE GESTION DES HABITATIONS PROTÉGÉES – ACGHP
PATRICK VANDERGRAESEN, RESPONSABLE COORDINATEUR,
JEAN PIERRE EVLARD, MEMBRE DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DE L’ASSOCIATION ET
COORDINATEUR DU CLUB PSYCHOSOCIAL THÉO VAN GOGH
Notre Initiative d’Habitations protégées (ACGHP) s’est dès le départ (1993) inscrite dans une
logique communautaire, favorisée en cela par la ‘souplesse’ de la loi définissant l’Habitation
Protégée comme étant un ‘lieu de vie dans le champ de la santé mentale’. Ce lieu de vie doit
permettre la mise en place d’un projet individuel, qu’il faut construire pas à pas, pour lequel il
faut trouver les ressources, les moyens, planifier les interventions, mais aussi et surtout permettre
à chacun de choisir de faire les expériences qui lui seront utiles pour l’acquisition des habiletés
instrumentales, relationnelles ou comportementales nécessaires à une autonomie la plus large
possible.
La personne est ainsi considérée d’un point de vue global ; il est tenu compte de sa santé,
de sa souffrance psychique, mais aussi de facteurs qui relèvent plus de son ‘fonctionnement’
personnel en interaction avec son environnement physique et humain. Pour ce faire nous nous
appuyons sur divers modèles, que nous aborderons dans le cadre de notre pratique, pour faire
face à l’un des défis rencontrés par les personnes en situation de fragilité mentale: trouver le
logement qui répondra à leurs attentes.
On peut d’emblée affirmer, nous semble-t-il, que le logement répond à de nombreux besoins
dont certains de base (tels que définis dans la pyramide de Maslow), parmi lesquels le besoin
d’identité et celui de sécurité. Le logement constitue également un ‘objet social ’ qui fait lien, qui
donne un statut, une reconnaissance d’existence, une valeur, … Enfin, l’accessibilité aux droits (et
plus particulièrement aux droits sociaux) est elle-même soumise à conditions dont la première est
celle de posséder un domicile… ce qui se concrétise par l’octroi d’une carte d’identité!
Nous pensons que le logement sert également d’outil de reconstruction, de développement
personnel et donc aussi de ‘gestion’ de la maladie, … la plupart des personnes ayant des problèmes de santé mentale vivant avec la peur de l’agression ou le sentiment de ‘l’hostilité’ de l’autre.
Ainsi le schizophrène ‘qui oscille entre le désir de communiquer et l’impossibilité de le faire’, a
besoin de soutien et d’apprentissages en vue d’établir une relation conviviale avec ses voisins,…
Mais il convient sans doute aussi d’être présent dans la continuité quand, dans le délire, ‘c’est le
voisin qui fait du bruit, qui insulte, qui envoie du gaz ou qui pénètre dans l’appartement’.
Encore faut-il pouvoir trouver les clés de ce sésame pour l’intégration! Là aussi nous constatons de multiples difficultés. Nous pensons ainsi d’abord, en Wallonie, à la disproportion crois-
175
LE LOGEMENT
sante qui s’installe entre le revenu moyen du citoyen et le prix des locations proposées. S’il était
communément admis que le logement ne devait idéalement pas dépasser une charge de 25 à
30% du budget du ménage, que penser aujourd’hui du bénéficiaire du revenu d’insertion sociale
(± 600 euros) qui doit y consacrer plus de 50%?
Nous pensons ensuite à l’insuffisance de l’offre (publique et privée) de logements, l’inadaptation de ceux-ci (tant par leur composition que par leur confort ou leur implantation dans des
quartiers dits ‘ sensibles ’, ou au dessus de commerces tels des cafés,…), ainsi qu’à la dégradation
du parc immobilier existant, voire son insalubrité. A titre d’exemple, au 1/04/05, 2209 dossiers
étaient ouverts, concernant 4474 logements qui ne répondaient pas aux critères minima de salubrité tels qu’établis par la Région wallonne1. Comme on peut s’en apercevoir, le pari n’est pas
gagné d’avance. C’est pourquoi, afin de répondre aux besoins des personnes fragilisées sur le
plan de la santé mentale, le législateur propose un hébergement en Habitation Protégée.
Notre action repose sur différents modèles propres à prendre en compte la personne dans sa
globalité (Modèle bio médico social, Plan de Services individualisés), visant l’amélioration de la
qualité de vie de tous en les assistant pour qu’ils puissent assumer leurs responsabilités dans leur
vie (réadaptation) et retrouver la dignité et le pouvoir d’agir dans l’estime de soi et la considération d’autrui (réhabilitation, valorisation des rôles sociaux).
Sur base d’un contrat, d’entrée de jeu limité à deux ans, basé sur une étude à la fois des compétences et des besoins de chaque résident, et en accord avec ce dernier, des interventions aux
formes diverses, intra ou extra muros (entretiens individuels, ateliers collectifs comme l’Ecole des
Consommateurs, ou actions communautaires) sont mises en place (Plan de Services Individualisés)
afin de favoriser l’acquisition des habiletés nécessaires au projet de vie de chacun.
Ainsi, dans le cadre d’une de ses maisons de type communautaire (18 places agréées), l’ACGHP
permet à la personne, avec l’aide de son ‘référent’, de (re)faire l’apprentissage de la gestion de
son temps et de son espace et d’en assumer progressivement lui-même la responsabilité.
Cet hébergement, ce ‘lieu de vie’ permet également de développer un sentiment d’appartenance assez proche de ce qui pourrait jeter à terme les bases de la construction d’un réseau personnel, autre défi majeur s’il en est (l’individu craignant la solitude et l’isolement), mais aussi des
compétences relationnelles en matière de voisinage.
Progressivement cependant, tout sera mis en œuvre pour assurer la transition vers le logement individuel (12 places agréées), synonyme de ‘normalité résidentielle’, d’intégration sociale
et donc d’image positive de soi. Il nous semble aussi important de souligner un autre aspect de
cette ‘normalisation résidentielle’ qui touche plus particulièrement à la gestion de la maladie:
si en ‘hébergement’ il y a une obligation de compliance au traitement et une durée de séjour
déterminée, les personnes en logement individuel ne sont pas subordonnées à ces contraintes.
Parmi les stratégies mises en œuvre, il convient de souligner une nouvelle fois l’importance du
travail en réseau 2 qui propose non seulement la prise en compte des difficultés de la personne,
mais aussi toutes les actions à mener sur son environnement.
Avec la personne, le référent et les différents partenaires du champ psychosocial étudient
le ‘marché ’, la situation du bien proposé et les ressources communautaires de proximité (commerces, loisirs, transports,…), la ‘respectabilité’ du propriétaire (afin d’éviter les marchands de
176
CHAPITRE 7
sommeil), le budget disponible, et éventuellement les différentes aides dont elle pourra bénéficier aux différents niveaux (Région, Province, Commune, etc.).
Ensemble, ils planifient pas à pas et assurent le suivi des différentes démarches à entreprendre donnant ainsi un maximum de chances au projet de la personne d’aboutir, et de trouver la
meilleure qualité de vie possible… car comme le déclarait Charles Fraser l’intégration sociale
ne doit-elle pas permettre à chacun, de ‘trouver un endroit à vivre, quelque chose à faire et
quelqu’un à aimer’?
NOTES:
1. information parue dans La Nouvelle Gazette
2. par ex. ‘Vincent, Théo, Anna et les autres …’, un réseau de professionnels mobilisés autour des ‘bonnes pratiques’
au service des ‘usagers’, travaux auxquels est associé Similes Charleroi
C O N TA C T:
ACGHP (Charleroi)
Tél.: 071/44.00.00 ou 071/36.68.99
E-mail:[email protected]
177
La rue, lieu de vie
ALOYSE VAN DER STEGEN
FONDATRICE DE LA FONTAINE
Ils marchent au hasard, sans but, devant eux, pour se réchauffer, se dégourdir les pieds et les idées.
Mais de quoi sera faite l’heure prochaine?
Sans doute de rien. Rien, à meubler d’attentes et d’illusions.
Ils sont d’ici ou venus d’ailleurs à la quête du mirage d’un avenir meilleur.
Au fil du temps, le bagage des premiers jours est devenu baluchon pour se réduire bien souvent en
un ... trésor de sacs plastiques.
Pourquoi? Personne ne le sait. Sauf eux, peut-être. Aventurez-vous à leur poser la question ; moi je
n’ai jamais osé.
Plus on perd ses repères, plus on ... amasse les sacs plastiques, vides, évidemment! Mais tellement
précieux.
La couleur de ceux-ci s’harmonise avec celle de leurs mains, de leur visage chiffonné, de leur manteau au ton macadam.
Ils poussent la porte de La Fontaine, reprennent leurs esprits, affrontent nos regards, esquissent un
sourire.
La douche va leur rafraîchir les idées, décaper leur dos, réjouir leurs veines, leur coeur.
Certains d’entre eux vont demander un Burberry (eh oui), d’autres espèrent un blouson de cuir,
clouté de préférence. D’autres encore, bien avisés, encore suffisamment dans notre réalité, viendront le jour de présence du coiffeur.
Avec un bonheur presque enfantin ils se laisseront refaçonner.
Bien souvent ils devront passer chez l’infirmière pour soigner ces plaies de la misère, de la violence,
de l’oubli de soi. Mais c’est presque toujours nous qui devrons leur montrer ce corps meurtri qui a
grand besoin de soins.
Ils ne se sentent plus, ils ont du, voulu, oublier leur enveloppe de chair.
Après s’être longuement, ostensiblement ou discrètement, réajustés dans un de ces merveilleux
miroirs,
après un bon petit café-causette,
si en plus, nous avons pu les reconnaître, les nommer,
si nous avons pris le temps de dialoguer,
ils reprennent le chemin de l’errance quelque peu allégés, je pense.
Cette sensation de bien-être, tellement nécessaire à tout homme, durera le temps qui leur sera
donné, celui de quelques instants pris à l’éternité.
178
CHAPITRE 7
Ils sont heureux de s’être arrêtés, d’avoir reçu les moyens de réveiller le visage de leur âme qui se
fuyait à lui-même.
Les plus valeureux, les plus chanceux aussi, repartiront dignes, présentables chez
l’assistante sociale ou ailleurs, à la quête d’un xème rendez-vous pour un gîte ou un employeur.
Pour tous les autres, la multitude,
les égarés du système ou de la tête,
l’étape suivante du jour sera: trouver l’assiette garnie, trouver le lieu où passer la nuit.
Demain aura ses même préoccupations basiques: le froid, l’estomac, la couche ;
et fera que, de demain en demain, l’Homme sera fatigué, n’osera, ne voudra plus s’interroger.
Fini le temps des incessantes justifications.
Il se distancie de la race humaine, se fait discret.
Il se construira un monde où il pourra survivre.
Gageons que ses meilleurs interlocuteurs deviendront le vent et le béton.
J’ai appris que toutes les formes de folies se trouvent dans la rue,
de la plus douce à la plus violente,
que les uns ont tué hier, que d’autres le feront demain.
J’ai appris que la rue accueille tout autant qu’elle engendre la folie.
J’ai appris que pour tous ceux qui avaient l’expérience d’un séjour en hôpital psychiatrique, le simple fait de leur suggérer d’y retourner pour se faire quelque peu soigner,
pouvait les faire disparaîtrent à jamais.
D’angoissants souvenirs leur giclent à la mémoire.
A la perche que nous leur tendons, ils y voient l’hameçon.
J’ai appris que si nous prenions le temps, si nous laissions là nos à priori, il y a souvent moyen, pour
un moment du moins, de créer une faille, de s’y faufiler pour dialoguer. Bonheur d’une rencontre
souvent riche en dérision et en maturité.
J’ai appris que vivant dans des conditions extrêmes, sans repère,
bien naïf
celui qui pense être à l’abri de la folie !
La Fontaine, Centre d’Accueil d’Hygiène pour Sans - Abri de l’Ordre de Malte de Belgique
S’adresse aux personnes en grande précarité.
L’objectif de la maison est de leur donner la possibilité, via l’accès à l’hygiène dans sa globalité, de
maintenir, ou d’essayer de retrouver leur dignité.
Dans la même matinée et selon les besoins de chacun, ils ont accès à:
la douche - la lessive - le vestiaire - le coiffeur - l’infirmière - la consigne.
Sachant que dans les périodes difficiles d’une vie, la présentation physique malgré son importance
est souvent délaissée, nous avons opté pour le principe de la gratuité.
C O N TA C T S :
La Fontaine, 13 rue des Fleuristes - 1000 Bruxelles et 3 rue Pouplin - 4000 Liège
179
Chapitre
Prendre en compte les problèmes de santé
mentale dans le monde de l’école
:: Introduction: La santé mentale à l’école
Ann d’Alcantara, Centre Thérapeutique pour Adolescents, UCL, Bruxelles
:: ‘A la rencontre de l’autre’/ ‘Hoe anders is anders’: Un projet de sensibilisation des jeunes
à la santé mentale
Catherine Gordier, Vlaamse Vereniging voor Geestelijke Gezondheid
Sylvie Maddison, Institut Wallon pour la Santé Mentale
Françoise Herrygers, Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale
:: Les jeux interdits de la prévention en Santé Mentale à l’adolescence
Denis Hirsch
:: La prévention drogues à l’Ecole… du Théâtre Forum
Jean-Pierre Jacques
:: L’Entreliens, pour raccompagner vers l’école des jeunes à l’arrêt.
François Destryker, L’Entreliens, Bruxelles
18
La santé mentale à l’école
DR ANN D’ALCANTARA,
CENTRE THÉRAPEUTIQUE POUR ADOLESCENTS, ST LUC, UCL
L’école, comment ça va?
Le XXième siècle fut pris entre un modèle d’école au passé dont la force perdure, et une nouvelle école qui s’invente au fil des innovations pédagogiques et des réformes imposées par circulaires ministérielles.
A l’aube du XXIième siècle, Charlemagne n’est plus que le fétiche pittoresque d’une école en
crise, et la querelle entre les Anciens et les Modernes est très largement épuisée. Le public s’est
habitué à une crise de l’école en écho au rythme indigeste des mutations économiques, sociales
et culturelles. La médiatisation de la cause scolaire a répandu une inquiétude qui s’est refermée
en boucle sur le devoir d’information et qui constitue aujourd’hui une dimension intrinsèque de
la crise.
Si le souci majeur, jusque là, avait été de construire des écoles et d’y convier tous les enfants,
garçons et filles, avec le projet d’alphabétiser la population, le XXième siècle s’est appliqué à
instaurer une obligation scolaire dont la durée n’a fait que s’allonger. Ce mouvement paradoxal
d’enfermement de la jeunesse qui accompagne l’extension de la scolarisation est décrit par M.
Foucault et Ph. Ariès dans les années ’70. A partir de ses objectifs de démocratisation, l’école
pour tous et pour longtemps allait affronter des problèmes de massification et des nécessités de
multi-diversification inattendus. Impossible de rester ‘univers clos’, l’école est aujourd’hui ouverte sur le monde, reliée au social en interface entre la sphère publique (la société) et la vie privée
(la famille).
L’obligation scolaire comporte une double logique: une contrainte de fréquentation doublée
d’une exigence de certification, donc une logique de l’inscription et de l’exclusion parallèllement
à une dynamique de la réussite et de l’échec, à base de compétition. En d’autres mots il ne suffit
pas ‘d’aller’ à l’école, il faut s’y engager dans un cursus rythmé par des temps d’apprentissage,
suivis par des temps d’évaluation qui précèdent des moments de bilan et d’orientation en fonction d’objectifs certifiés.
La complexité croissante de notre société nous soumet à ce que les sociologues appellent avec
Robert Ballion ‘l’ère du tout école’ c’est à dire une société qui transite toute entière par l ‘école
avant de s’installer dans le train des mises à jour du savoir par la formation continue.
182
CHAPITRE 8
Enfin, l’école est devenu le partenaire incontournable de la famille dans l’éducation des enfants dès le plus jeune âge. En effet l’évolution des mœurs et des modèles familiaux a ouvert
massivement aux femmes le monde du travail. En conséquence, les parents sont en droit
d’attendre une prise en charge personnalisée de leur ‘tout petit’. Au-delà de sa garde, cette prise
en charge doit garantir son développement et son épanouissement. Cela explique pourquoi la
convivialité, le ‘bien vivre’ entre les membres d’une communauté scolaire garantit autant que
le palmarès des élèves le succès d’une école maternelle ou primaire, et pourquoi des parents de
plus en plus nombreux orientent leur choix d’établissement en fonction des options psychopédagogiques de celui-ci. Certains sont prêts à concéder de longs trajets quotidiens pour bénéficier
d’une méthode progressiste ou de renom.
Loin des objectifs du modèle sélectif visant à retenir les candidats ‘aptes à l’instruction’, le système scolaire est actuellement sommé de réussir un gigantesque effort d’adaptation pour offrir
aux élèves ‘obligés’ un éventail approprié d’offres de formations et de pédagogies renouvelées.
Si la fréquentation de l’école reste pour l’élève une épreuve de socialisation quel que soit son
âge, la post-modernité exige une école en perpétuelle mutation, capable de troquer la crise de
l ‘école pour une ‘école de la crise’, en questionnement sur ses finalités, ses objectifs et le sens
du savoir à transmettre sur un mode socratique pragmatique et participatif. Face à cette mission
impossible que souhaiter d’autre que: ‘vive l’école!’
Dans ce contexte marchand, le défi de l’école de demain est de construire une école des
savoirs qui doit être aussi une école du sujet.
Que sont les Maîtres devenus….
Les enseignants méritent qu’on se penche sur leur sort, leur état et leur devenir.
De l’école en crise, les enseignants sont les portes-parole, les otages et les boucs émissaires. Ils
sont dépositaires des malentendus, fruits des contradictions du système.
Leur métier s’est vu transformer en profondeur, ils ont en effet essuyé, sans recevoir beaucoup
de secours, trois séismes d’envergure:
1. L’explosion des savoirs qui a rendu impossible qu’ils ‘maîtrisent’ le champ de leurs
compétences.
2. L’écroulement de leur statut social et la perte des honneurs et de l’autorité y afférents.
3. La radicale évolution des technologies de l’information qui a comme conséquence qu’ils sont
en passe de devenir des navigateurs plutôt que des transmetteurs, des branchés plutôt que
des ‘éveilleurs’, des aiguilleurs plutôt que des ‘allumeurs’ (de réverbère! Le Petit Prince
St Exupéry)
Ces révolutions se sont produites à l’horizon de la magistrale analyse des 4 discours par Lacan,
qui a définitivement désacralisé le ‘discours du maître’ et révélé l’imposture de la position de
l’expert. Pourtant, notre monde fait de plus en plus usage de la position d’expert, non par respect pour la science, mais comme alibi, entendez comme politique du parapluie qui si souvent
tente de séparer pouvoir et responsabilité au profit de la protection des décideurs.
Même si tous ne sont pas d’un égal dévouement, et si d’aucuns sont désabusés ou aigris, les
directions, corps professoraux et équipes éducatives qui portent l’école sur leurs épaules se sentent souvent isolés, incompris ou injustement accusés par l’opinion publique. Pour résister au
183
L’ E N S E I G N E M E N T
découragement, ils ont dû apprendre à ne pas s’identifier à la crise que traverse l’école secondaire et dont ils sont les témoins de première ligne. Cette crise est relayée avec une ambiguïté
suspecte par les médias, qui en exploitent les aspects spectaculaires sans rendre compte des
expériences constructives. Ils mettent continuellement l’accent sur la violence de quelques-uns
sans mentionner la pression au quotidien portée par un grand nombre, ni les difficultés liées au
contexte.
Les difficultés liées au nouveau métier d’enseignant sont souvent confondues avec celles
qui concernent l’école, sa mission, son sens, sa place dans la culture, et avec celles qui affectent
la jeunesse d’aujourd’hui. Si comme le dit Freud: ‘enseigner est un métier impossible’, l’école
actuelle, et principalement le secondaire, est confrontée à un absentéisme croissant de la part
des enseignants qui ‘craquent’. A tel point que le concept de ‘burn-out’ a conquis son statut de
maladie professionnelle dans l’enseignement. Syndrome hybride entre la dépression, l’épuisement, l’effondrement et le stress post-traumatique, il est reconnu comme guettant les sujets
fragiles (pas pour autant moins doués, souvent plus exposés!) engagés dans les métiers d’enseignement et de soins.
L’enfance, ou l’alliance entre la pédagogie et la psychologie
C’est donc par un mouvement naturel de synergie entre sciences de l’apprentissages, sciences
de l’éducation, théories du développement et psychologie de l’enfance que la santé mentale est
entrée par la grande porte dans le monde de l’école maternelle et primaire. Elle y assure une
présence - insuffisante - par le biais de l’enseignement et de la formation du personnel.
Par l’intermédiaire des équipes du PMS-IMS, (pénurie croissante au regard de l’énormité de la
tâche à accomplir) le psy assiste les équipes éducatives et enseignantes, ainsi que les familles ; il
offre un soutien logistique au travail d’orientation, et s’acquitte d’un travail important de relais
avec les centres spécialisés dans les situations de détresse ou à haut risque.
Dans le meilleurs des cas, nous trouvons à l’école maternelle et primaire des ‘maîtres’ recyclés,
créatifs, véritables professionnels de la petite enfance, reconnus tels et estimés par des parents
qui les investissent et forment avec eux une alliance éducative. En conséquence, le partenariat
entre les ‘psys’, qu’ils soient consultants de l’école ou de la famille, et les maîtres d’école bénéficie d’un a priori constructif, d’une dynamique préalable convergente. Il reste à établir une
collaboration en respectant strictement les règles de déontologie des professions respectives au
cas par cas (règles de secret professionnel, de respect des places et des limites du territoire de
chacun).
L’école maternelle et primaire est un champ d’intervention très largement exploité en matière
de prévention; je pense à la prévention en sécurité routière, aux efforts récents pour une prévention en sauvegarde de l’écologie et pour une alimentation saine. L’éducation à la citoyenneté et
l’apprentissage de la résolution sans violence des conflits en sont au stade expérimental et restent peu répandus faute de formation des adultes.
La prévention des abus sexuels a fait son apparition ces dernières années, suite aux événements de pedo-criminalité. Les campagnes sont de valeurs inégales. Souvent importées de
l’étranger sans adaptation à la mentalité locale, elles rassurent les adultes plus qu ‘elles ne protègent les enfants. Elles sont en soi une impasse éducative tant il est vrai que la méfiance générali-
184
CHAPITRE 8
sée inculquée aux enfants face à la figure masculine est contre-productive et affaiblit la place du
père dans le triangle père-mère-enfant.
La peur de la folie continue à faire de la santé mentale un parent pauvre en matière de
prévention à l’école. Quelques expériences ponctuelles existent à partir de la créativité locale,
d’initiatives privées ou de projets pilotes sans financement structurel. Elles sont accueillies avec
enthousiasme et récoltent souvent plus que les fruits escomptés.
L’adolescence: un temps social dont l’école est le théâtre
L’opération psychique de l’adolescence consiste à opérer ‘la mutation’ du lien infantile à
l’autre pour faire advenir le sujet adulte. Celui-ci devra être capable ‘d’habiter’ un corps ayant
grandi, marqué par les signes de la maturité sexuelle et apte à porter dans le lien social élargi la
responsabilité d’une parole propre.
Avant d’être une opération psychique, l’adolescence est une production de la culture. Elle en
est le révélateur souvent décapant car elle en interroge la cohérence et l’envers. La culture est
donc tour à tour un frein ou un accélérateur d’adolescence, facilitant à sa jeunesse ‘le passage’
vers une inscription sociale adulte, ou au contraire imposant à la jeune génération la violence
du lien de dépendance qui perdure. La souffrance qui en résulte sera déployée avec fracas dans
le lien intergénérationnel, dont la rue et l’école sont aujourd’hui, en tant que ‘lieux de socialisation’, les théâtres privilégiés. La culture contemporaine a donc fait de l’adolescence un ‘temps
social’ accompagné d’un véritable statut: le statut d’ado!
L’obligation scolaire d’une part, le consensus entre tous les adultes quant à l’importance de
l’instruction et de la nécessité absolue d’être diplômé d’autre part, font de l’école la scène rêvée
où déployer aujourd’hui les enjeux intergénérationnels de l’adolescence. L’obligation (scolaire)
constitue la limite soutenue par la loi qui donne à l’école un statut de contenant mettant tous les
jeunes sur le même pied.
Le consensus entre adultes confère à l’école son contenu par la validation sociale de l’instruction. Il permettra au jeune d’élaborer l’articulation de sa position subjective entre le privé et le
collectif.
En conséquence, il y a tout lieu de penser que l’école prend aujourd’hui sa place dans les
affrontements intergénérationnels précédement cristallisés autour de la sexualité, de la morale
traditionnelle et des pratiques religieuses, et maintenus sur la scène familiale.
Dans notre culture ambiante ‘adolescentrique’, où le look jeune fait modèle pour le social
tout entier, le monde des adultes perd ses attraits. Dès lors de nombreux ‘ado’s’ déploient des
comportements de résistance, voire de refus de la croissance. Ils cherchent à prolonger le rêve, à
fuir la réalité douloureuse associée à la représentation ‘métro-boulot-dodo’ qu’ils ont du monde
adulte, à postposer les responsabilités qu’il leur faudra assumer sans nouvelle récompense.
Santé mentale à l’école secondaire: urgences et polémiques
Envahie par l’adolescence, ‘l’école secondaire’ n’existe pas, tant elle est, à l’image de la culture
contemporaine, une mosaïque en perpétuelle mutation, éclatée entre la multitude des possibles.
En écho à la société, elle lutte et se dualise. Les filières d’enseignement les plus disqualifiées,
185
L’ E N S E I G N E M E N T
oscillant entre scandale et résilience, ont vu se développer de nouvelles compétences grâce à des
projets pilotes qui s’exportent ensuite dans les établissements de renommée.
Je pense au nouveau métier baptisé ‘médiateur scolaire’ dont le concept est né et a été expérimenté à l’institut de La Providence, à Anderlecht, dans les années ’80. Ce terme et cette pratique sont aujourd’hui acquis par le ministère de l’éducation, et exportés dans les pays environnants. Le médiateur est devenu un acteur précieux dont le monde scolaire secondaire ne pourrait
plus se passer.
Acteur de santé mentale sans être ‘psy’, certains jeunes parlent de lui en disant ‘mon médiateur’, comme d’autres parlent de ‘mon délégué’, comme autrefois ils auraient évoque ‘mon
juge’.
La question de la santé mentale à l’école secondaire sera donc particulièrement complexe
et chargée. Elle concernera tant les élèves, les adolescents, et par extension les familles, que les
enseignants, les adultes, et enfin l’institution ‘école’ elle-même: la santé institutionnelle.
Dans ce contexte le SSM (Service de Santé Mentale) se profile comme un partenaire où
s’adressent un grand nombre de demandes concernant l’école, sans que cela ne signe une remise
en question des équipes IMS-PMS. En effet, la place occupée par le PMS dans la structure lui
confère sa fonction spécifique, mais en même temps elle le prive de la position de tiers extérieur
propre au psy de SSM.
Les demandes classiques concernent toutes les consultations autour de l’absentéisme, les multiples formes d’échec, d’inadaptation, de grève, de panne, de décrochage ou de dégoût scolaire.
Toute une série de demandes nouvelles concernent les nouveaux désarrois de l’adolescence ;
elles appellent des interventions en urgence après des passages à l’acte violents, des événements
ingérables, ou insolites qui laissent la communauté scolaire en état de choc et les adultes forcés
de faire relais avec des interlocuteurs extérieurs. Dans un second temps, le calme revenu, ces
situations seront également à l’origine de nombreuses demandes de formation ou d’interventions dites ‘de prévention’. Il est essentiel que ces interventions éveillent un esprit critique rigoureux pour ne pas au passage ‘stériliser’ l’adolescence à l’œuvre sous prétexte d’une réduction des
dangers chère aux adultes adeptes du ‘risque zéro’.
Le rôle imparti à l’intervenant en santé mentale n’est pas de devenir le psy-expert de l’école,
ni de suppléer ou de se substituer à un quelconque professionnel du champ scolaire. Il ne sait pas
ce que devraient faire les éducateurs et les enseignants débordés. Le savoir théorique des pédagogues qui ‘ne sert à rien sur le terrain’, ainsi que ‘le non-savoir des psy’, agressent à juste titre
les enseignants. Rompus à l’adolescence qui fait rage dans les lycées ils sont exigeants, renvoient
les donneurs de leçons et trient les psys avec sévérité. L’école aujourd’hui force le SSM à repenser
ses pratiques jusqu’à oser de nouvelles réponses qu’il faudra moduler sur mesure au cas par cas.
C’est en vivant la réalité de l’école de l’intérieur qu’il est possible de sentir la complexité de se
qui s’y passe. Prendre le recul de la parole nécessite donc de s’extraire de cette réalité. Offrir aux
adultes un lieu où nommer les difficultés vécues pour n’avoir plus à les cacher, à faire semblant
ou à porter seul le poids de ses interrogations prend alors tout son sens.
Un lieu tiers et l’écoute de professionnels avertis permettent de répertorier les ressources
insoupçonnées ou de soulager les acteurs immergés. Le tiers est nécessaire pour différencier les
questions qui concernent l’école, son organisation, son sens et ses méthodes et qui sont de la
186
CHAPITRE 8
responsabilité citoyenne, des questions qui touchent à la fonction, à la place et à la personne de
l’adulte, enseignant ou collègue
Conclusion: Partenariat et Postmodernité
Tout se prête donc à ce que les enseignants soient, plus qu’auparavant, les dépositaires des
souffrances identitaires de leurs élèves, de leur excès d’excitation, de leur peur de la dépendance, de leur angoisse face au processus d’apprentissage et d’intériorisation.
Le groupe classe va, dès la première rencontre, tester et interpeller l’enseignant – cet adulte
qui est délégué par la société pour transmettre du savoir – dans ses capacité de contention, de
limite, d’autorité, de compétence, d’authenticité, mais encore d’écoute de leur confidences,
de décodage de leurs comportements, d’interprétation de leurs attentes et de leur souffrance
psychique.
Le professeur se trouve en situation - parfois traumatique pour lui - d’être touché et questionné dans sa personne autant que dans son statut de professeur, en temps direct et sans filet,
au travers des ‘agirs’ de ses élèves
Comment ne pas se défendre, se soustraire à de tels mouvements passionnels de la part de
ses élèves? Comment ne pas plonger, bien au-delà de sa mission d’enseignement, dans l’identification massive à la souffrance de l’élève en détresse, pour établir avec lui une relation de ‘réparateur’? Comment ajuster la distance? Comment répondre ‘présent’ en tant qu’adulte, en tant
qu’éducateur, en tant que citoyen et en tant qu’enseignant, en occupant pleinement sa place et
en restant chaque fois à sa place?
Comment médiatiser la rencontre annoncée entre prof et élèves, rencontre indispensable à la
transmission et dont le ratage génère la violence?
Pour mettre en œuvre ce qu’Alain Touraine appelle l’école du sujet, l’école convie la santé
mentale à un partenariat horizontal, fait d’échange de savoir et de respect des places différenciées pour intégrer la subjectivation nécessaire à la relation enseignante de l’école
contemporaine.
C O N TA C T S :
Ann d’Alcantara, Centre thérapeutique pour adolescents (CThA)
UCL St Luc, 10, av. Hippocrate, bte 20/02
Tél: 02.764.20.02
E-mail: [email protected]
187
A la rencontre de l’autre
Un projet de sensibilisation des jeunes à la
santé mentale
CATHÉRINE GORDIER, VLAAMSE VERENIGING VOOR GEESTELIJKE GEZONDHEID
SYLVIE MADDISON, INSTITUT WALLON POUR LA SANTÉ MENTALE
FRANÇOISE HERRYGERS, LIGUE BRUXELLOISE FRANCOPHONE POUR LA SANTÉ MENTALE
‘A la rencontre de l’autre’ (Hoe Anders is Anders en néerlandais) est un projet de sensibilisation à la santé mentale destiné aux jeunes de 15 à 18 ans. C’est une initiative qui ouvre résolument la porte d’un monde qu’ils jugent mystérieux, et qui leur tend des clés pour mieux le comprendre et en finir une fois pour toutes avec leurs préjugés.
La Vlaamse Vereniging voor Geestelijke Gezondheid (Association flamande de santé mentale)
a mis cette initative sur pied en 1991. Depuis lors, l’Institut Wallon pour la Santé Mentale et la
Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale lui ont emboîté le pas.
L’essentiel de la démarche repose sur l’organisation de rencontres entre des jeunes et des personnes en difficulté psychique, avec la complicité des services et institutions qui les accueillent,
autour d’un projet d’activité artistique, culturelle, sportive, ou simplement de contacts amicaux.
Cela permet aux jeunes de mieux cerner la réalité de personnes fragilisées par des problèmes
psychosociaux, et de poser un autre regard sur la santé mentale en général.
‘Hoe anders is anders? / A la rencontre de l’autre’ s’appuie sur les expériences vécues par les
jeunes eux-mêmes. C’est donc un projet qui s’adapte avec un égal bonheur aux différents enseignements, qu’il s’agisse du professionnel, du technique, de l’artistique, ou du général. Le thème
de la santé mentale peut trouver sa place dans de nombreuses matières du programme, et se
prête aussi très bien aux projets interdisciplinaires.
Un dossier pédagogique est proposé pour accompagner les jeunes dans leur projet. Il parle de
la santé mentale, de la souffrance psychique et des maladies mentales, et donne un aperçu des
services et institutions actifs dans le domaine ; il véhicule une image positive du concept de santé
mentale et informe des mesures préventives et des différents services d’aide existants.
Concrètement, le projet se déroule sur une année scolaire. Les associations organistarices
jouent le rôle d’intermédiaire pour le premier contact entre l’école et une institution ou un organisme partenaire, et facilitent la mise en commun d’idées pour construire un projet d’activités
communes aux jeunes et aux patients/usagers, activités qui sont choisies de manière à favoriser
les contacts personnels entre eux. Un adulte responsable (éducateur, professeur, animateur,…)
est nommé par groupe de jeunes et par institution. Ces deux personnes assurent le rôle de référents pour le projet.
188
CHAPITRE 8
Les rencontres se font au sein des institutions, dans l’école des jeunes ou bien dans des lieux
extérieurs (visite d’un musée, bowling,…). Les activités réalisées en commun sont variées: sport,
sorties culturelles, participation aux ateliers ou activités du service.
Le plus important est que les activités soient réellement communes aux deux groupes de
personnes. Il s’agit bien d’interagir, non de se regarder en chiens de faïence. L’expérience est
d’autant plus riche et intense que les personnes se mettent ensemble à construire ‘quelque
chose’ en commun, qui sera éventuellement montré en public à la fin du projet.
Pendant toute la durée du projet, les jeunes sont tenus de rédiger en commun un ‘Journal de
bord’ où ils décrivent le déroulement des rencontres, mais aussi leurs impressions personnelles, ce
qui les amène à s’interroger introspectivement sur leur vécu et sur leur implication dans le contact avec ‘l’autre’. Ce journal de bord peut évidemment être illustré et agrémenté de toutes les
manières, et la créativité y est souvent très marquée (photos, dessins, website, vidéos…). .
En fin d’année scolaire, une grande journée de clôture rassemble tous les projets de l’année,
et donne lieu à des représentations festives, sur une vraie scène, en présence de tous les groupes
participants et de personnalités issues du secteur. Cela va de la création graphique (une fresque!)
au reportage vidéo, en passant par une pièce de théâtre, un poème ou une prestation musicale,
l’important étant de rester centré sur l’expérience de la rencontre. Tous les journaux de bord
sont également exposés ce jour-là.
Les sujets choisis par les jeunes sont récurrents, et témoignent de réelles préoccupations: la
drogue, l’alcool, l’exclusion sociale,…qu’ils côtoient souvent au quotidien. D’autres choix vont
aussi vers des sujets entourés de mystère et de craintes: la psychose, le handicap, la psychopathie…
A côté de ces sujets ‘phares’, d’autres thématiques ont été abordées au fil du temps: la
grossesse chez les jeunes, l’univers carcéral, les effets de la guerre, les réfugiés, la maladie
d’Alzheimer,… Les publics rencontrés vont des services et institutions psychiatriques à des associations à visée plus sociale: foyers pour femmes en détresse, abris pour SDF… mais aussi des
classes d’enseignement spécial, des centres pour personnes handicapées, etc.
A Bruxelles, le projet a été décliné sous la forme d’un concours de vidéos (grâce à un partenariat avec le CFA - Centre de Formation d’Animateurs, pour l’accompagnement technique),
dont trois éditions se sont déroulées entre 1999 et 2002, avant d’évoluer vers une autre formule,
des ‘Carrefours AdosAdultes’, tablant sur l’importance des rapports entre générations et entre
pairs à travers ces rencontres, rapports de verticalité et d’horizontalité, d’où l’idée de ces ‘carrefours où choisir une direction pour Soi en passant par la Rencontre de l’Autre’.
Conclusion:
Offrir aux jeunes la possibilité de découvrir ou de mieux connaître la réalité de personnes
fragilisées par des problèmes de santé mentale était l’objectif premier du projet ‘Hoe Anders
is Anders / A la rencontre de l’autre’. A côté de cela, il s’agissait aussi de stimuler l’implication
de chacun (élèves, institutions, professeurs, éducateurs,…) autour de la réalisation d’un projet
commun de rencontre.
Au delà des compétences pédagogiques qu’a pu apporter la gestion du projet concret, ‘Hoe
Anders is Anders / A la rencontre de l’autre’ a permis à bon nombre de participants de partager
189
L’ E N S E I G N E M E N T
une véritable expérience de vie, une réflexion citoyenne responsable, et surtout d’en ressortir
grandis ‘humainement’.
Des effets bénéfiques en termes d’ouverture aux autres et au monde, de réduction des préjugés des uns et des autres mais aussi de développement d’initiatives ou de projets personnels, ont
apparus à la lecture des journaux de bord.
Nous avons aussi appris que certains élèves avaient décidé, suite à cette expérience, de s’orienter dans des études psychosociales. Le projet avait donc parfois été plus qu’un outil de sensibilisation, un ‘susciteur de vocation’…
C O N TA C T S :
Vlaamse Vereniging voor Geestelijke Gezondheid,
Tenderstraat 14, 9000 Gent
Tel. 09.221 44 34 - Fax 09.221 77 25
E-mail: [email protected]
www.vvgg.be
Institut Wallon pour la Santé Mentale,
32 rue Muzet, 5000 Namur,
Tél.: 081 23 50 15 - Fax: 081 23 50 16
E-mail: [email protected]
www.iwsm.be
Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale
tél: 02 511 55 43
E-mail: herrygers.lbfsm@skynet .be
190
Les jeux interdits de la prévention en
Santé Mentale à l’adolescence
DR DENIS HIRSCH
PSYCHIATRE D’ADOLESCENTS, PSYCHANALYSTE
Quelle place prenons-nous, en tant que thérapeute d’adolescents, au sein du réseau d’adultes
qui ont en charge des ados au sein de l’école? Pour en débattre, je témoignerai ici de quelques
idées à partir de mes expériences de plusieurs années de pratique en prévention du suicide des
adolescents au sein du monde scolaire.
L’expertise, c’est aussi le travail de lien
L’origine de mes travaux en prévention du suicide remonte à une étude qualitative des dispositifs de soins des adolescents suicidaires à destination du politique, puis à un projet de brochure
informative sur le suicide des ados à destination des enseignants, à partir d’un groupe de travail
avec des enseignants et des psychologues d’école (PMS).
Dans ces projets, j’étais en position de spécialiste de l’adolescence, en expert porteur des connaissances nécessaires à transmettre au public ciblé par un projet de prévention, en l’occurrence
le monde enseignant. S’adresser au monde politique en tant que spécialiste de l’adolescence
peut avoir du sens, mais face aux enseignants, cette position était beaucoup plus discutable, et je
ne m’y précipiterais sans doute plus maintenant comme je l’ai fait alors.
De fait, cette brochure explicative et bonne conseillère, riche en description des signes susceptibles d’alerter les profs sur un risque suicidaire chez leurs élèves, semble avoir eu bien peu
d’impact en termes préventifs. Pourtant, combien les enseignants étaient friands de telles informations claires et prédictives, tout en refusant, à juste titre, de devenir des psys de leurs élèves!
Globalement, seules les écoles où ce document fut discuté en groupe de professeurs ont noté un
impact sur l’écoute des ados en difficultés - un travail autour d’un objet commun, permettant à
chacun des enseignants présents de se reconnaître dans les difficultés de ses collègues. Seuls les
enseignants pouvant s’appuyer sur un lien de longue date avec un(e) psychologue d’école suffisamment disponible ont pu se référer utilement à la brochure!
Mais le plus évident des effets de prévention fut directement lié à la dynamique de notre
groupe de travail, plus qu’à sa réalisation: en effet, les liens tissés entre les inspecteurs, directeurs
d’écoles, psychologues d’écoles et les psys au sein de ce groupe de préparation de la brochure
semblent avoir considérablement amélioré la façon dont les ados en difficultés nous étaient
191
L’ E N S E I G N E M E N T
adressés en consultation par ces mêmes interlocuteurs scolaires! Comme si les liens établis entre
adultes avaient eu un impact sur le lien singulier entre ceux-ci et l’élève, sur la qualité de l’écoute
de ses difficultés, sur la solidité de ce lien, permettant d’introduire, alors et alors seulement, la
possibilité d’aller consulter un thérapeute en dehors de l’école - ce qui ne va jamais de soi pour
un ado et ses parents! Il apparaît donc que c’est un travail de lien entre praticiens de l’adolescence, bien plus que notre ‘expertise de psy’, qui a sans doute favorisé ce travail du lien entre les
enseignants et leurs élèves en difficultés.
Le lien entre adultes est au centre de la prévention chez les ados.
D’expert en connaissances sur le suicide à l’adolescence à transmettre aux enseignants, je me
suis peu à peu transformé, au gré des expériences avec des collègues (intervention dans une
école après un suicide d’élève, journées pédagogiques, débats avec des classes suite à une projection de film, travail de formation avec des psychologues d’écoles, des éducateurs, des médiateurs, etc), en clinicien de la prévention, dont l’objet serait la clinique du lien entre les adultes en
charge d’adolescents dans la société, et notamment à l’école.
Mon expertise en psychopathologie et en thérapie des adolescents ne pouvait en effet pas
se substituer à l’expertise des enseignants, quand bien même ceux-ci souhaitaient cette substitution! Inversement, les enseignants ne peuvent pas se transformer en psychothérapeutes ni en
sémiologues de l’adolescence. L’expertise du psy ne peut servir d’alibi pour faire l’impasse sur la
question du lien pédagogique, centrale pour la compréhension de la souffrance psychique des
ados à l’école.
Dès lors, sans nier l’intérêt des projets de prévention primaire, à destination des adolescents
– et pour autant que ces campagnes de prévention ne cherchent pas à transformer à leur tour les
ados en thérapeutes de leurs pairs – il nous semble que le cœur de la prévention en santé mentale à l’adolescence doit se centrer… sur le lien et sur le réseau des adultes qui en ont la charge.
Il faut ici bien sûr distinguer la prévention à destination des adultes professionnels de l’adolescence d’un côté, à destination des parents d’adolescents d’un autre (que nous n’abordons pas
ici). De même, il ne s’agit nullement de dénigrer l’intérêt d’informer plus objectivement les interlocuteurs scolaires sur la question de l’adolescence et de sa pathologie éventuelle. Mais alors,
cette transmission doit elle-même se faire dans une expérience de lien (par exemple en groupe)
dans des dispositifs de formation qui permettent aux interlocuteurs scolaires qui s’y engagent de
partager, figurer et élaborer les expériences professionnelles de chacun, toujours à partir de sa
position professionnelle, mais sans exclure éventuellement les résonances plus personnelles que
de tels échanges peuvent convoquer. Une telle implication ne va pas de soi, et bien sûr, ne peut
être exigée par les pouvoirs organisateurs des écoles.
Quant aux psys - praticiens de la prévention, ils ne peuvent en aucun cas se situer en experts
extérieurs à la question dont ils traitent.
La position difficile de l’enseignant
Le travail d’identification entre enseignant et psy, chacun restant dans sa place au sein d’un
réseau préventif, nous semble alors bien plus à l’œuvre que lorsque nous expliquons l’adolescence aux enseignants, eux qui les côtoient tous les jours et en ‘savent’ dès lors bien plus que nous
192
CHAPITRE 8
sur ce thème! Nous voilà bien loin de la position tranquille d’expert! En cela, nous partageons
vraiment les vécus difficiles dont nous témoignent les enseignants face aux élèves en détresse.
Cet effet ‘d’écho’ des vécus et des représentations douloureuses des ados - qui se diffuse dans
l’ensemble du réseau des adultes qui en ont la charge - est absolument essentiel à entendre par
les adultes qui font de la prévention.
Le professeur se trouve en effet en situation - parfois traumatique pour lui - d’être touché et
questionné dans sa personne autant que dans son statut de professeur, en temps direct et sans
filet, au travers des ‘agirs’ de ses élèves. L’enseignant ne peut s’y soustraire, ce qui peut le sidérer
et le laisser impuissant et en grande souffrance. Il n’est soumis, par là, à rien d’autre qu’aux vécus de passivation traumatique des ados face à la sexualisation de leurs pensées et de leur corps,
vécus que les ados projettent massivement – démultiplié par l’effet de groupe –sur l’enseignant,
l’agressant à son tour, comme eux-mêmes se sentent agressés et dépossédés de leur intimité et
de leur puissance infantile!
Ces identifications massives aux ados en difficultés ne peuvent être évitées par les adultes qui
en ont la charge. Mais seul un véritable travail du lien au sein du réseau des professionnels de
l’adolescence peut en éviter la charge traumatique, pour les psys comme pour les enseignants.
Au fond, il s’agit, pour les psys cliniciens de la prévention à l’école, d’offrir des interventions et
des supports (culturels, formatifs, pédagogiques) permettant de tisser des liens avec les adultes
du monde scolaire, et de redistribuer ainsi la charge affective et de responsabilité massive à
laquelle chacun d’eux est soumis, dans son lien privilégié, unique et solitaire avec les élèves.
C O N TA C T:
Dr Denis Hirsch, Psychiatre d’adolescents, psychanalyste
E-mail: [email protected]
193
La prévention drogues à l’Ecole…
du Théâtre Forum
DR JEAN-PIERRE JACQUES
PSYCHANALYSTE
Un jour, un échevin1 avisé conçut l’idée que les jouvenceaux et jouvencelles de son village
étaient en grand danger de se laisser envenimer par des herbes magiques, ce qui plongeait leurs
parents en vilain désarroi. À la surprise de tous, il convoqua autour de lui, non pas le prévôt
et ses gens d’armes, mais des ménestrels, des guérisseurs et des lettrés. Après avoir tenu conseil, ils décidèrent de convier le bon peuple, jeunes et vieux, dans la cour de l’école fondée par
Charlemagne et d’y donner un joyeux spectacle où chacun pourrait prendre part, afin d’écarter
la menace ou du moins d’y être mieux préparé…
Cet article évoque une expérience de Théâtre Forum2 réalisée en milieu scolaire, dans une
ambition préventive autour des questions de drogues à l’adolescence.
Nouveaux désarrois à l’adolescence
Une des expressions flagrantes des nouveaux désarrois à l’adolescence est l’extension majeure
des conduites d’abus de substances (alcool, cannabis, ecstasy), et d’une augmentation corollaire
de l’angoisse des adultes. Cette extension est largement documentée par des enquêtes épidémiologiques 3 qui ne sont plus à refaire. Ces phénomènes, avec quelques autres – le port du
voile, la violence anomique et la capture dans les mondes virtuels – sont les manifestations les
plus bruyantes des ados des années 2000. Ils suscitent angoisse et réactions défensives du monde
adulte interloqué, bousculé.
Dans le cas particulier du cannabis, les malentendus issus de la nouvelle loi, souvent interprétée abusivement comme une légalisation de l’usage du cannabis, contribueraient à cette extension ou à cette nouvelle visibilité d’un usage devenu massif, problématique à l’occasion, mais qui
ne semble pas susciter une demande d’aide.
Dans ce contexte confus, dans un mode de civilisation défavorable aux visées de la prévention
et qui encourage la satisfaction rapide et les ivresses, comment penser une intervention préventive qui ne fasse pas ‘ringard’?
194
CHAPITRE 8
Une expérience pilote de Théâtre Forum
Ces réflexions ont présidé à la conception d’un mode original de ‘prévention drogues’ en milieu
scolaire, associant les élèves de 4e secondaire, leurs parents et leurs enseignants autour d’une
soirée de Théâtre Forum.
Le scénario s’est inspiré de témoignages d’adolescents rencontrés dans leurs classes, en l’absence de leurs enseignants. Il en résulte une pièce de théâtre ’Fumée bleue... je vois rouge!’ 4:
Axel, un adolescent contemporain plausible, se passionne pour la paix et abuse de cannabis sans
poser d’autre problème. Il finira pourtant par être lâché par sa petite amie et ses parents et aspiré dans une escalade qui aurait pu être évitée. Délibérément pessimiste, l’histoire jouée par le
Collectif 1984, est ensuite rejouée, suivant le mode habituel du théâtre forum, sous la conduite
de spectateurs devenant scénaristes et comédiens improvisés. Un bref débat clôture, de façon
systématique, la représentation, qui se déroule au sein même de l’école, en présence du chef
d’établissement. L’accent y est mis, non sur les méfaits ou bienfaits des drogues, mais sur les conditions de dégradation ou de restauration du dialogue ados – adultes.
Prévenir l’usage de drogues ou débattre du dialogue difficile
entre adultes et ados?
Le scénario et les principes de régulation du débat sont articulés autour de quelques hypothèses
fortes:
1. La consommation de tabac, d’alcool et de cannabis par les adolescents en âge scolaire n’est
plus un phénomène marginal et secoue le monde scolaire et les familles. Cette allure ‘épidémique’ signe un échec des modes traditionnels de prévention, fondés sur le silence ou la dissuasion musclée.
2. La consommation s’envenime lorsqu’il existe un déficit de dialogue ou de tendresse. La réaction des adultes à l’annonce du recours à ces substances (‘drogues’) peut avoir un impact considérable sur l’abandon, le contrôle de la consommation ou la perte de contrôle sur celle-ci,
sur une demande d’aide, etc.
3. La méconnaissance des adultes 5 est importante sur les effets des drogues, sur le contexte de
leur usage par les ados et la sous-culture qui accompagne cet usage, sur la répartition entre
consommation expérimentale, festive, régulière ou problématique.
4. La préservation du dialogue entre les adultes et les ados, malgré la découverte d’une consommation de ces substances, est un facteur clé de protection de l’adolescent contre une perte de
contrôle de sa consommation6.
5. La prévention des dépendances ne peut se fonder sur un événement, si impressionnant soit-il.
Elle passe par l’acquisition et l’entretien au quotidien de compétences de dialogue, et de respect des places réciproques.
La prévention des dépendances ne peut pas être pensée comme une vaccination. Le recours
à l’autorité (à la répression, dans les faits) ou à l’argument d’autorité (dans les discussions) peut
provoquer une surenchère de consommation, dans une logique de défi ou d’incompréhension.
Les affirmations scientifiques, toxicologiques, psychologiques ou sociologiques, par exemple sur
l’innocuité ou la nocivité du cannabis, qui font d’ailleurs l’objet de discussions7, ne sont d’aucun
secours pour favoriser le dialogue, même au contraire.
195
L’ E N S E I G N E M E N T
Dans le Théâtre Forum, il s’agit de susciter une prévention construite par les sujets ‘cibles’ de
cette prévention, grâce à leur participation massive et créative lors des re-jeux et du débat.
NOTES:
1. M. GUY DE HALLEUX, ÉCHEVIN DE LE JEUNESSE À UCCLE.
2. « Dépendances: nous avons des choses à nous dire », Brochure du Projet Pilote 2003-2004, Commune d’Uccle,
1994.
3. Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies: « Rapport annuel 2004: l’état du phénomène de la drogue dans l’Union européenne et en Norvège ».
4. écrite par Max Lebras et le Collectif 1984.
5. Drogues: la méconnaissance publique , J. De Munck, J.-P. Jacques & A.-Fr. Raedemaeker, in La Revue Nouvelle, n°12, Tome CIII, janv. -févr. 1996.
6. Voir Luc Descamp & Cécile Hayez, Génération Cannabis, à paraître.
7. J.-P. Jacques, S. Zombek, Chr. Guillain et P. Duez: Cannabis: Les scientifiques sont d’accord plus qu’ils ne l’admettent, Jacques J.-P., en coll. avec, in La Revue Médicale de Bruxelles, Vol. 25, n°2, avril 2004, pp. 87-92.
C O N TA C T S :
Max Lebras, coordinateur de la Pièce: [email protected]
Service de la Jeunesse d’Uccle: [email protected] ou 02 348 68 76.
Dr Jean-Pierre Jacques, Psychanalyste: [email protected]
196
Entreliens, pour raccompagner vers l’école
des jeunes à l’arrêt.
FRANÇOIS DESTRYKER,
PSYCHOPÉDAGOGUE
Le décrochage scolaire auquel nous sommes confrontés à l’Entreliens n’est plus le fait de
jeunes issus des classes populaires, comme c’était le cas il y a quelques années, mais touche des
jeunes fréquentant tous les types d’écoles. Le décrochage s’est généralisé. Cela nous amène à
dire que ces jeunes en décrochage reflètent autre chose qu’une simple difficulté scolaire. Ils mettent en exergue la crise sociale et économique, que l’on peut comprendre aussi comme une crise
de la fonction paternelle. Ils interrogent leur rapport au savoir1. Et manifestement, certains en
souffrent.
Ces jeunes éprouvent en effet des difficultés à affronter les changements adolescents. Pour
ces jeunes, dans le contexte actuel de la postmodernité, l’école est souvent le dernier lieu où ils
peuvent déposer leur problématique,… en s’absentant! Cet arrêt scolaire ponctue, pour l’adolescent fragilisé, la difficulté à affronter son questionnement identitaire, l’absence de réponses à la
quête fondamentale d’un savoir lui permettant d’assumer son ouverture au monde.
Quelles solutions pour résorber cette situation?
L’expérience montre que nos écoles (du réseau libre ou de l’enseignement officiel) ne sont
malheureusement pas préparées à prendre en compte la problématique de tels jeunes. Ils ne
font pas la ‘une’ des journaux, sauf ceux qui en arrivent au suicide, ou ceux qui sont malheureusement les victimes d’actes de violence. Mais souvent, ces jeunes sont l’objet d’une discrimination
par rapport à la possibilité de réinscription dans un cursus normal: l’étiquette ‘psychiatrique’ fait
manifestement encore peur.
C’est pourquoi, il y a déjà trois ans, le CThA, en partenariat avec l’Ecole à l’hôpital Escale, a
créé le service de suivi psychopédagogique L’Entreliens, pour prendre en charge l’accompagnement vers l’école de jeunes à l’arrêt.
En effet, notre expérience de plus de dix années de travail pédagogique au sein du CThA,
ainsi que l’expérience de l’Ecole à l’hôpital, montrent qu’il est inutile, avec ces jeunes, de vouloir les repositionner directement par rapport au travail scolaire classique et à la remédiation.
Ce qui importe, c’est de pouvoir interroger cet arrêt afin de favoriser à nouveau le retour de ce
que Philippe van Meerbeek appelle le désir de l’éveil. Ce désir de l’éveil, qui correspond à une
197
L’ E N S E I G N E M E N T
recherche fondamentale sur le devenir de l’homme, -devenir social, politique, philosophique de
l’homme, - implique entre autres un rapport au savoir, qui chez ces jeunes à l’arrêt, est momentanément inhibé. Ce rapport au savoir suppose une relation entre la recherche de connaissance de
soi, l’ouverture et l’intégration au monde, l’intégration des connaissances constituant le savoir
scientifique et culturel.
C’est le fondement du travail psychopédagogique entrepris par l’Entreliens que de favoriser,
par un travail d’expression et de prise de parole, l’émergence de ce questionnement qui ouvre
sur le désir de l’éveil. Pour cela nous prenons en compte le cheminement de la question identitaire, nous proposons un travail de resocialisation et d’accès au monde, mais aussi d’interpellation critique du cursus scolaire.
L’Entreliens et sa méthode de travail
Nous ne nous positionnons donc pas dans un travail de rattrapage scolaire, mais en fonction
d’une démarche permettant de renouer avec le questionnement fondamental, afin qu’un savoir
se construise, afin que le jeune puisse utiliser par après les connaissances véhiculées par l’école,
pour élaborer sa propre réponse. Ce travail consiste à interpeller le jeune, à l’inviter à entrer
dans une culture et à la questionner à son tour.
Comment? Par un travail de prise de parole pour lequel nous prévoyons trois temps qui jalonnent le parcours proposé: l’expression, l’élaboration de la question et la finalisation.
1. Un temps d’expression au sein d’ateliers de prise de parole où diverses techniques sont utilisées afin de permettre l’énonciation du jeune en tant que sujet potentiel. Ces ateliers prennent
en compte la parole du jeune et permettent les tentatives d’affirmation de la question identitaire du jeune. Ils contribuent au travail d’élaboration qui peut se faire de manière collective ou
individuelle, lors d’entretiens.
Ils permettent aussi, sur le plan pédagogique, l’interpellation des connaissances tant scientifiques que culturelles. L’expérience du CThA et de l’Entreliens nous montre que l’écriture est un
outil privilégié pour cette interpellation. En effet, par l’écriture l’adolescent dépose une partie
de son interrogation identitaire, de son désir d’adresse à l’autre et autorise ainsi l’apostrophe à
partir d’une parole qu’il apporte, qu’il énonce dans son propre texte.
2. Un temps d’élaboration: cette écriture prend en compte le passé, l’histoire, la souffrance du
jeune, et se focalise sur les questions de perspectives, d’avenir, qui pour les adolescents passe encore par l’école. Un travail de mise en perspective, de recherche de sens peut commencer, où, par
l’écriture, sont abordés les grands thèmes qui scandent la vie adolescente. Durant cette période,
nous invitons régulièrement le jeune à réfléchir sur les raisons de son arrêt, et à tenter d’élaborer
une réponse, qui pourrait se concrétiser par une mise en projet.
Nous mettons à leur disposition des outils informatiques et audiovisuels afin qu’ils puissent
élaborer, à leur tour, ce que nous nommons, à la suite de de la Garanderie2, la construction d’un
objet de connaissance.
A partir de ce travail, nous tentons d’interroger, avec le jeune, la recherche de savoirs, et la
manière dont ces savoirs sont présentés par l’école. Le jeune effectue ainsi une lecture critique
qui lui permet de relativiser sa recherche de sens.
Pendant la prise en charge, nous rencontrons souvent les parents pour faire le point sur la
situation et échanger autour des perspectives nouvelles. La famille peut constituer tout à la fois
198
CHAPITRE 8
un soutien et un frein. Nous sommes attentifs à susciter l’adhésion des parents, considérant qu’il
s’agit de partenaires privilégiés.
3. Un temps de finalisation: ce temps débouche sur une reprise de contacts avec le monde de
l’école. Un travail lié à l’orientation scolaire peut s’entreprendre, avec comme perspective un retour possible dans le circuit scolaire traditionnel. En fonction des pistes évoquées, nous pouvons
donner la possibilité aux jeunes de partir à la rencontre de la réalité sociale du monde du travail,
d’effectuer un stage court, avec notre supervision, ce qui leur permet de se rendre compte ‘sur le
terrain’ de ce que représente leur souhait de s’orienter dans tel ou tel secteur.
Un travail de suivi pédagogique peut être réalisé pour faciliter la réinsertion du jeune. Nous
informons sur toutes les possibilités qui existent pour reprendre des études quand on a ‘décroché’. Nous accompagnons les jeunes vers les lieux de formation et les écoles. Nous intervenons
également largement auprès des acteurs scolaires pour rendre le retour possible. Après le retour
à l’école, nous proposons un suivi, le temps nécessaire pour le jeune de reprendre le rythme et de
se trouver une méthode de travail.
RÉFÉRENCES:
1. van Meerbeeck, P, (1998). Que jeunesse se passe. Bruxelles. De Boeck.
2. de la Garanbderie, A, (2003). Comprendre les chemins de la connaissance (Une pédagogie du sens). Lyon. Chronique sociale.
L’Entreliens dépend du Centre Thérapeutique pour Adolescents et fonctionne dans le cadre de l’Ecole à l’Hôpital
Escale des Cliniques universitaires St Luc à Bruxelles.
C O N TA C T S :
L’Entreliens 12, Place du Campanile – 1200 Bruxelles.
Valérie Martin – François Destryker
Tél: 02.770.50.41
E-mail: [email protected]
199
Chapitre
Expression artistique et santé mentale
:: Introduction: Art et Santé Mentale, une approche socio-historique
Walther Araque
:: Art en Marge: une autre approche de la santé mentale
Carine Fol, Art en Marge, Bruxelles
:: Le Centre Césame, un trait d’union entre santé mentale et culture
Véronique Hoet, Centre Césame, la Louvière
:: La glorieuse incertitude de l’écriture
Michel Lambert
:: Projet ‘Te gek!?’ Un CD, un supplément de journal et un concert d’artistes sur le thème
de la santé mentale
Marc Hellinckx, projet ‘Te gek!?’ et Ann Hendrickx, PZ Sint-Annendael, Diest
:: Le musée Dr.Guislain, un regard sur la normalité
Patrick Allegaert et Annemie Cailliau, Musée Dr. Guislain, Gent
9.1
1
Art et Santé Mentale.
Une approche socio-historique
WALTHER ARAQUE
ARTISTE PEINTRE, HISTORIEN ET SOCIOLOGUE
Il est encore courant d’entendre parler de folie et d’art comme de concepts familiers, comme
si l’un et l’autre terme renvoyaient à la même réalité. Ainsi, des écarts de comportement sont
tolérés aux artistes au nom de leur folie créatrice, et la folie s’en trouve glorifiée. Si, historiquement, cela a pu être vrai, ce l’est moins aujourd’hui depuis que la folie en tant qu’entité
autonome n’est plus à l’ordre du jour. Effectivement, le concept de folie en tant que tel n’a plus
d’existence propre depuis la naissance de la psychiatrie à la fin du XVIIIème siècle. Cette naissance,
ainsi que celle de l’asile et le développement du ‘traitement moral’ inventé par Pinel et suivi par
Esquirol, ont fait de la folie, en l’amadouant, ce que l’on appelle aujourd’hui la maladie mentale,
et créé l’’aliéné’ comme personnage représentatif de cette nouvelle entité. Comme le dit
M. Foucault: ‘… le pouvoir psychiatrique a pour fonction de réaliser la folie dans une institution
dont la discipline a précisément pour fonction d’en effacer toutes les violences, toutes les crises,
à la limite tous les symptômes’ 1.
Folie et maladie mentale
Si l’on tente un parallèle entre les deux interprétations, on pourrait affirmer d’une part que
parler de fou et de folie aujourd’hui renvoie à un personnage malade et à une forme pathologique. Tandis que si nous nous en tenons aux expressions courantes, le fou serait tout qui,
volontairement ou involontairement, développerait un comportement ‘décalé’ par rapport au
milieu dans lequel il évolue. C’est bien dans ce dernier sens que certaines images de l’artiste ont
trouvé leur essor. On véhicule facilement, avec ce parallèle, une image glorifiée de la folie. Celleci devient alors ‘folie libératrice’, une forme de comportement qui permettrait d’échapper aux
contraintes sociales et de retrouver un mode de vie qui serait marqué par l’authenticité, voire
par l’originalité. Cette image du fou et de la folie n’est pas loin d’un des modes de représentation de la maladie décrit par Claudine Herzlich dans ‘Santé et maladie’: ‘Pour certaines personnes, dit-elle, la maladie est libération. Comme pour la maladie destructrice, tout commence par
l’inactivité. Mais le sujet la ressent, cette fois, comme l’allègement des charges qui pèsent sur lui’
2
.
Les images du ‘fou’ et de ‘l’artiste’ d’aujourd’hui ne peuvent donc être conçues qu’en les
maintenant à distance de la maladie mentale ou des comportements considérés comme pathologiques. La psychiatrie, au moyen de sa clinique, met l’accent sur ce qu’on appelle un diagnostic
202
CHAPITRE 9.1
différentiel, et permet ainsi de définir, non sans difficulté, ce que serait la maladie mentale et
donc, le pathologique. Si la psychiatrie ne peut pas être réduite à la maladie mentale, la définition de cette dernière est exclusivement de son ressort. D’une certaine façon, par rapport à la
maladie mentale, la psychiatrie occupe la place que E. Freidson a donnée à la médecine en général dans les années 1970: ‘La médecine occupe aujourd’hui une position comparable à celle des
religions d’Etat hier. Elle a le monopole officiellement reconnu de dire ce que sont la santé et la
maladie, et de les soigner’ 3.
Art et santé mentale
D’après ce qui vient d’être dit, établir une relation ‘harmonieuse’ entre art et folie, art et psychiatrie ou encore, entre art et santé mentale, n’est pas aisé. Celui, artiste ou thérapeute, qui se
sert d’outils artistiques dans le domaine de la santé mentale se trouve confronté au choix entre
trois possibilités. Soit il reste au niveau de l’imaginaire populaire, alimentant ainsi une image de
la créativité et parfois de la liberté assez ‘romantiques’ ; soit il se déplace sur le terrain des spécialistes où les ‘fous’ ont perdu, depuis longtemps déjà, tout droit de cité, et il veut y apporter un
élément de plus pour la compréhension de la souffrance psychique ; soit enfin il ouvre, en relançant cette question, le chemin des réflexions sur ce que pourrait être la réhabilitation psychosociale des usagers des services de santé mentale.
C’est dans ce cadre de complexité que cet article voudrait introduire les réflexions des professionnels pour lesquels le quotidien est composé de cette alliance, parfois heureuse mais toujours
ambiguë, des pratiques artistiques en santé mentale.
Je tenterai alors de développer trois questions qui me semblent fondamentales. Dans un
premier temps, j’aborderai quelques éléments historiques de l’intérêt porté à l’art des fous ; un
deuxième temps sera dédié aux considérations à propos de l’utilisation des pratiques artistiques
en tant que forme thérapeutique, et pour finir, je parlerai de la place de ces mêmes pratiques
dans la réhabilitation psychosociale des personnes.
I. Des écrits des fous aux écrivains fous
L’intérêt porté aux productions, sinon artistiques, du moins plastiques, des malades mentaux
a été dominé jusque dans les années 1920, par un discours purement médical. La fin du XIXème
siècle voit la naissance de théories diverses expliquant l’utilité - pour la compréhension de la folie
– des écrits d’abord, puis des peintures des aliénés enfermés dans les asiles. En 1861, le Dr Trélat
introduit la notion de ‘folie lucide’, qui sous-entend que des formes de lucidité ou de normalité
peuvent cacher des formes sournoises de folie, décelables uniquement à travers les écrits des malades, seul moyen, selon lui, d’atteindre le fond même de la folie. Peu de temps après, en 1864,
c’est encore un psychiatre, le Dr Marcé qui propose de se pencher sérieusement et de manière
scientifique sur les écrits des malades, en s’intéressant tout particulièrement à leurs éléments
formels (équilibre, rythme, figures de langage), dans lesquels on pourrait facilement découvrir
le dérèglement psychique de l’auteur. Naît alors ‘l’analyse psychopathologique’ des œuvres
d’aliénés. L’on prétend alors que leurs écrits sont le reflet exact de leur état morbide et que, par
conséquent, celui-ci correspondrait aux catégories pathologiques préalablement déterminées par
la psychiatrie. Les patients sont littéralement poussés à l’écriture dans l’objectif de pouvoir mieux
comprendre leur pathologie. En outre, à la même époque sont inventées des structures théoriques afin d’apparenter des formes de folie à des écrits. Vingt ans plus tard en 1888, cette image
203
C U LT U R E E T S O C I E T E
de l’écrit ‘piège à folie’ est encore d’actualité. Le Dr Simon le confirme dans son texte ‘Les écrits
et les dessins d’aliénés’.
Ce rapport entre écrit et folie conduira, à l’orée du XXème siècle, à des considérations s’étendant au-delà des murs de l’asile. Les avant-gardes littéraires n’étaient, en 1897 pour un psychiatre de prisons - le Dr Laurent - que la manifestation extérieure du ‘détraquement cérébral’ et
de ‘l’infériorité mentale’ de certains individus. Dans ce cadre, la question du génie ne manque
pas de se poser. C’est ainsi que, la même année, grâce à la théorie de la dégénérescence, les Drs
Lombrosso et Nordeau, prétendent pouvoir découvrir chez des hommes de génie des formes
pathologiques qui caractériseraient leur œuvre. Notamment, pour le Dr Nordeau, les artistes ne
sont pas seulement des dégénérés mais des ‘ennemis de la pire espèce’ desquels la psychiatrie
devra sauver la société. En 1905, les mêmes théories permettent au Dr Rogues de Fursac d’affirmer, face à la défense que l’on pouvait faire de la poésie des aliénés, que ‘ tous les psychopathes
ne sont pas enfermés’.
L’art chez les fous
Ce discours sur les productions des aliénés vit un tournant avec la publication du Dr Marcel
Réjà de ‘L’art chez les fous’ et avec l’apparition des ‘Demoiselles d’Avignon’ (1907). Il ne s’agit
plus de comprendre un ordre (désordre) pathologique à travers l’œuvre, mais de pouvoir atteindre à travers l’art - celui des fous comme celui des enfants ou des peuplades primitives - l’essence
même du grand art. Ainsi, des artistes voulant se ‘libérer de leurs traditions’, se sont lancés à
la recherche de formes nouvelles d’art qui leur était étranger. Par exemple, Delacroix part en
Orient chercher sauvagerie et raffinement, Gauguin tombe amoureux des îles Marquises, Picasso
s’intéresse aux productions tribales, Kandinsky comme Stravinsky s’intéressent à l’art populaire
russe, Klee aux dessins d’enfants, Hugo à l’art médiumnique ou spirite. Du côté de la psychiatrie, l’intérêt porté aux productions artistiques évolue aussi, et des personnages comme Walter
Morgenthaler et Hans Prinzhorn se penchent sur les travaux picturaux des aliénés.
En 1908, Morgenthaler commence une des plus grandes collections d’art d’asile à l’hôpital
psychiatrique de la Waldrau. Il s’intéresse particulièrement à l’œuvre d’Adolf Wölfli, non pas
pour ses traits pathologiques, mais pour ses aspects formels, cherchant à en déterminer le style
artistique. Dans son texte ‘Un aliéné artiste’ paru en 1921, un an avant la parution de celui de
Prinzhorn, Morgenthaler annonce le caractère novateur de sa démarche, qui est de faire accéder les travaux d’asile au rang de créations artistiques. De la même manière, le texte de Hans
Prinzhorn, qui paraît en 1922, ‘Expressions de la folie, peintures, dessins, sculptures d’asile’,
donne le ton à cette nouvelle ouverture vers l’art de fous.
II. La volonté de mettre à nu
On peut se poser pertinemment des questions concernant les suites données à cet intérêt pour
l’art des fous. C’est avec les années 1950 qu’un deuxième tournant marque son histoire en territoire européen, avec l’apparition d’une réflexion et d’une pratique entendues comme ‘art thérapeutique’.
Avec la première exposition internationale d’art psychopathologique, marquée par la présence majoritaire d’œuvres de schizophrènes, puis par la création de deux associations, l’une en
1959, la Société internationale de psychopathologie de l’expression, et l’autre en 1964, la Société
française de psychopathologie de l’expression, l’art thérapie s’officialise en France. Déjà, dès la
204
CHAPITRE 9.1
fin des années 1930, le concept avait été introduit aux Etats-Unis par Margaret Naumburg, puis
matérialisé dans un texte concernant des thérapies adressées aux adolescents datant de 1946, et
dans un autre de 1950 concernant les adultes. En Angleterre, c’est Adrian Hill qui revendique la
paternité du terme ‘Art-therapy’ dans son livre ‘L’art contre la maladie’. Ce développement est
renforcé par l’essor de la psychanalyse, et les travaux des personnalités telles que Mélanie Klein,
Donald Winnicot, ou les étayages sur la graphomotricité d’Anne Denner. Mais aussi, dans et avec
ces travaux, l’importance donnée aux termes et concepts tels que ‘parole’, ‘expression’ et ‘médiation’, qui donneront le gros du matériel théorique à l’art-thérapie.
Dès le départ, l’intention d’Adrian Hill est d’institutionnaliser l’art thérapie, et dès lors il travaille à cet objectif entre 1950 et 1960. En France, c’est Claude Wiart qui s’est battu pour introduire l’art-thérapie dans la clinique, pour la recherche et pour la formation des art-thérapeutes.
Malgré ces efforts, les chiffres auxquels nous avons aujourd’hui accès montrent clairement que
ce travail d’art-thérapeute est, dans la grande majorité des cas, attribué au personnel soignant
(infirmières, aides-soignantes, etc.), qu’il soit ou non formé à cet effet. Une étude de 1991 montre que l’animation des ateliers d’art-thérapie est assumée dans 80% des cas par des infirmiers,
et dans 20% des cas par des artistes. En France, c’est dans des hôpitaux psychiatriques qu’ont
lieu les premiers ateliers d’art thérapie, d’abord dans un but occupationnel, qui est vite remplacé
par une dimension thérapeutique, mais toujours en laissant de côté la dimension artistique. L’art
thérapie s’installe donc dans un cadre psychiatrique institutionnel.
Cette genèse ne tiendra donc pas compte des particularités de ‘l’expression plastique’ en tant
que telle, mais partira à la recherche des bienfaits dus à l’expression de soi. Dans ce cas, toute
expression, y compris l’expression verbale, sera expression de soi plus qu’expression de ‘quelque
chose’ qui traverserait l’individu à son insu. A la base d’une telle démarche, on trouve l’idée de
l’art médicament. Marc Muret va jusqu’à sous-titrer son ouvrage sur les arts thérapies avec la
phrase ‘Le plus vieux médicament du monde et pour certains, le meilleur’. C’est dans la capacité
consciente ou non de l’individu à produire un discours sur lui-même que les thérapies s’enracinent, et c’est alors dans la capacité des pratiques artistiques à faire émerger un tel discours
qu’elles deviennent thérapeutiques.
Dans la relation entre l’art et le groupe social, ‘normal’ ou ‘pathologique’, s’il y a un effet thérapeutique il n’a lieu qu’à l’intérieur de cette relation. Les pratiques artistiques ne sont d’aucune
manière thérapeutiques en soi, elles ne le deviennent que par la récupération qui en est faite
par celui qui se sert d’elles dans le but de soigner. La thérapie, de son côté, reste une modalité
clinique, quelle que soit la forme qu’elle prend ; elle est destinée à soigner, elle utilise de moyens
propres à guérir ou à soulager des malades. Sa particularité est donc d’être médicale, psychologique, psychiatrique.
Dans ce cadre, la confrontation de l’individu, - que son mode de fonctionnement soit pathologique ou pas -, à la feuille blanche, à la couleur, au graphisme, à la représentation par les images
d’un monde réel ou imaginaire, est porteuse d’angoisse. Elle met en branle divers mécanismes
de défense, de dévoilement, voire d’abandon. Il semble clair que tout discours posé sur un tel
moment, ne peut être qu’interprétatif, psychologisant, et à la limite psychopathologisant. Ce
discours qui cherche à découvrir, à comprendre, sous des grilles de lecture diverses, n’est - dans le
meilleur des cas - qu’une intrusion. Le rapport ainsi établi entre le sujet armé de moyens plastiques et le monde est un rapport intime dans lequel ‘l’œuvre d’art’ n’a de résurgence que grâce à
l’intervention d’un tiers social et culturel, c’est-à-dire à la récupération par le groupe du produit
résultant dudit rapport. De ce point de vue, la notion d’art ne peut pas être limitée à la recher-
205
C U LT U R E E T S O C I E T E
che d’un idéal esthétique ni à la démarche solitaire, puisqu’il se construit avec et en vue d’un
autre, ce tiers socioculturel.
III. Fou ou artiste, avant tout citoyen
La maladie mentale, ou toute autre forme de souffrance psychique, rend difficiles les relations
d’un grand nombre des personnes avec le monde. Ces difficultés sont encore décuplées lorsque
la personne ainsi mise à l’épreuve voit sa place sociale changer, se dégrader ou, pis encore, disparaître. La présence d’un tiers socioculturel en milieu de soins, qu’il s’agisse d’un artiste ou des
pratiques artistiques elles-mêmes, ne manque pas de faire appel au droit que ces personnes ont
à garder une place digne au sein de leur groupe social. On parle alors de réhabilitation psychosociale, ou encore de réinsertion. En termes juridiques, réhabiliter une personne, c’est la rétablir
dans une situation juridique antérieure, en relevant des déchéances et des incapacités. Mais une
personne ainsi rétablie en droit, doit l’être encore en dignité, il s’agit alors pour elle de récupérer
l’estime et la considération perdues. Donner le sens de cette restitution à l’intervention socioculturelle et à l’utilisation des pratiques artistiques dans le domaine de la santé mentale, permet
d’approcher par un autre chemin que ceux de la folie créatrice ou de la mise à nu thérapeutique,
la relation entre l’art et santé mentale. Ce chemin est celui d’un espace ouvert où il s’agit pour
ces personnes de retrouver, au moyen des pratiques socioculturelles, une place sociale et juridique perdue au préalable, et de ‘réintégrer’ dans la dignité la communauté à laquelle elles appartenaient.
Le fait d’être réhabilité de manière juridique implique pour la personne la restitution dans
une situation de droit, et le maintien d’un espace dans lequel elle se constitue en tant que
sujet du conflit et de la confrontation. Elle est alors considérée comme partie prenante dans les
négociations qui permettent de construire l’espace social. Elle peut critiquer et être critiquée, se
justifier et faire appel à des formes diverses de la justification, établir des accords. Elle peut juger
et être jugée, maintenant ainsi son droit à une parole qui ferait sens pour elle et pour les autres
à son égard, non pas uniquement dans la définition de son être malade, mais aussi dans sa définition en tant que participant actif dans les processus de soins et de vie sociale auxquels elle est
référée.
Considérée par ce biais comme acteur social, la personne en souffrance est ainsi accompagnée
dans le développement ou l’entretien des compétences lui permettant de prendre place au sein
de négociations. Le niveau de ces compétences n’étant pas le même dans chacun des mondes
sociaux (travail, famille, échanges sociaux) auxquels elle est confrontée - ‘ un niveau de pouvoir
contractuel différent pour chacun d’entre eux’ dirait Saraceno4 - la personne n’est donc pas soumise au ‘prix de l’excellence’. Dans ce cadre de valorisation et de reconnaissance, le fait de pouvoir accorder à autrui, ou de recevoir d’autrui estime et considération, part du fait de pouvoir
reconnaître en autrui la capacité à recevoir estime et considération, comme celle de pouvoir les
refuser. C’est dans ce type d’espace que la différence, celle du génie ou celle du fou, constitue
la condition sine qua non de leur être social. Leur capacité à établir des relations, à établir des
échanges avec l’autre, à négocier leur place dans le groupe.
Conclusion
Ainsi vue, la question de l’art et la santé mentale ne se pose qu’après-coup, et non pas dans
le processus de production de l’œuvre comme on a tendance à le croire. Il n’y a d’art que dans
206
CHAPITRE 9.1
le regard posé par un autre sur le produit des pratiques dites artistiques. Il n’y a donc d’art que
dans la fonction sociale de l’objet produit. Les pratiques artistiques ont ainsi un rôle certain
dans la construction sociale, et dans la participation des individus à celle-ci. A la différence de
certaines croyances ‘art-thérapeutiques’, les résultats de ces pratiques ne sont pas des livres
ouverts dans lesquels on pourrait lire les défaillances de la psyché, mais l’espace à travers lequel
des hommes et des femmes maintiennent ou retrouvent leur place au sein d’un groupe. Joseph
Beuys, dans les années 1970, élabore une notion qui, non contente de mettre en évidence l’artiste comme ‘acteur social’, étend des notions telles que: créativité, expression, et création aux
domaines politiques et d’action sociale 5. La politique est ici entendue comme construction de la
‘polis’ dans le sens fort du terme. Sens dans lequel la place de chaque acteur se constitue dans
la reconnaissance de sa différence. Non pas pour que celle-ci soit acceptée, mais pour qu’elle
soit entendue. La relation de l’art et la santé mentale est alors habitée d’une fonction: créer un
espace dans lequel l’autre se fait entendre dans ce qui le rend tel. Un espace produisant du sens
dans la rencontre des professionnels et des usagers, des experts et des profanes, un espace politiquement ‘hybride’ avant tout. La place de cet espace dans la réhabilitation psychosociale est la
création d’une ouverture qui permettrait le passage du ‘clos thérapeutique’ vers la cité, et participerait à ce que cette dernière devienne un lieu de vie et de santé.
BIBLIOGRAPHIE:
1. Foucault (M), « Le pouvoir psychiatrique », Paris, Hautes-Etudes, Gallimard-Seuil, 2003.
2. Herzlich (C), « Santé et Maladie », analyse d’une représentation sociale, Paris, EHESS, 1996.
3. Freidson (E), « La profession médicale », Paris, Payot, 1984.
4. Saraceno (B) et Bertolote (J). « Organismes internationaux et politique de santé mentale » in Encyclopédie médicochirurgicale » section « Psychiatrie » avril-mai-juin, 2001
5. Stachelhaus (H), « Joseph Beuys. Une biographie », New York, Paris, Londres, Abbeville, 1994.
et aussi:
–
Dubois (AM), Miquelarena (M) et Pommeret (N). « Art-thérapies ». Encycl Méd Chir (Editions scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-820-B-60, 2001, 6p
–
Gros (F), « Création et folie », Une histoire du Jugement psychiatrique, Paris, PUF, 1997.
–
Pitta (A), « Reabilitaçao psicossocial no Brasil », Sao Paulo, Hucitec, 1996.
C O N TA C T S :
Walther Araque
Artiste peintre, Historien et Sociologue
Tél: 0033 6 16 62 50 48
E-mail: [email protected]
207
Art en Marge: une autre approche de la
santé mentale
CARINE FOL
DIRECTRICE ARTISTIQUE D’ART EN MARGE
‘…pas plus qu’il ne suffit d’être malade pour être artiste, il ne suffit d’être bien portant,
et pas davantage il ne suffit d’être artiste pour être malade.’
Henri Maldiney, Art et existence, 1985
Dans le domaine de l’art le terme de ‘santé mentale’ semble obsolète dans la mesure où la
nature même de certaines expressions artistiques tend à mettre en doute la notion de normalité
et de pathologie, et que l’acte créatif en lui-même transcende ces clivages.
Coup d’œil vers le passé
Le regard que nous portons actuellement sur les créations issues du milieu asilaire (maladie
et handicap mental) remonte au début du vingtième siècle et de la révolution artistique qui
l’accompagne. Les artistes d’avant-garde de l’époque s’inspirent du primitivisme, du folklore, des
dessins d’enfants, de l’art spirite et asilaire. Ces productions jusque là négligées sont désormais
considérées comme de véritables œuvres d’art.
Le rôle de certains médecins psychiatres, impressionnés par les créations fortes de leurs patients, doit également être souligné. Ces aliénistes ont posé un regard alliant l’esthétique et la
thérapeutique. L’oeuvre n’est plus seulement symptôme de maladie et de différence, elle revêt à
leurs yeux une valeur expressive intrinsèque.
Un des pionniers en la matière est le Docteur Hans Prinzhorn, psychiatre et historien de l’art.
Dans son ouvrage ‘Expressions de la folie’ (1922), il aborde les créations de certains patients
– regroupées dans la collection de l’hôpital de Heidelberg en Allemagne - à partir de leur complexité formelle et thématique. Son ouvrage a d’ailleurs eu un impact révolutionnaire dans les
milieux littéraires et artistiques. Cette découverte a amené beaucoup d’artistes à témoigner
de l’intensité et de l’authenticité de ces œuvres issues des tréfonds de l’âme.
En 1945 l’artiste Jean Dubuffet a inventé la notion ‘Art Brut’ qui regroupe des œuvres d’êtres
marginaux, patients d’hôpitaux psychiatriques, détenus, personnes âgées, médiums, … dont la
vie a été marquée par une fracture existentielle.
Sa formule désormais célèbre ‘il n’y a pas d’art des fous’, a fortement marqué l’évolution du
208
CHAPITRE 9.1
regard porté sur ces œuvres. Depuis l’ouverture de son impressionnante Collection de l’Art Brut,
en 1976 à Lausanne, l’engouement ne cesse de s’intensifier.
Le travail d’Art en Marge
Depuis la création de l’asbl Art en Marge à Bruxelles en 1984, nous avons mené des investigations auprès d’auteurs isolés mais également dans les ateliers créatifs pour personnes handicapées et malades mentales. Ces ateliers voient le jour au sein des institutions dans le courant des
années 70. La majorité d’entre eux n’a pas de visées thérapeutiques.
A l’inverse de l’Art Brut, qui définit des œuvres issues de l’isolement et de la solitude, nos
recherches ont permis de découvrir des œuvres issues d’un environnement où la création est
encouragée. Le responsable d’atelier, souvent lui-même artiste, est un véritable catalyseur qui
réussit à faire éclore des vocations et de réels talents artistiques.
Depuis 1986, Art en Marge recherche et diffuse - par le biais d’expositions dans notre lieu
situé à Bruxelles mais également en extra muros, de publications, de rencontres et de la constitution d’une collection qui compte à ce jour plus de 1.500 œuvres - des œuvres d’artistes qui élargissent notre horizon culturel et qui ébranle nos certitudes. Ce travail s’inscrit dans une politique
culturelle et répond à une approche qui allie le respect et le discernement pour l’œuvre et son
auteur.
A cette fin nous défendons de réelles personnalités artistiques, auteurs de visions singulières
de la réalité qui les entoure ainsi que de leur réalité. Les œuvres que nous présentons et défendons offrent des alternatives saisissantes à nos évidences culturelles, elles n’en sont pas moins
rares et précieuses.
Lors de nos pérégrinations nous partons toujours de l’œuvre afin de ne pas assimiler l’accueil
des œuvres d’auteurs handicapés et malades mentaux à la promotion humanitaire et paternaliste. Nous combattons toutes formes de ghettoïsation.
L’importance d’une œuvre réside dans l’émotion qu’elle transmet ; qu’elle soit issue de la
normalité ou de la pathologie devient dès lors accessoire. Ce qui nous interpelle c’est sa force
expressive, et dans certains cas, sa transcendance.
A l’inverse de l’art professionnel, surtout à l’ère de l’art conceptuel et post-moderniste, nous
sommes souvent confrontés au manque de discours à propos de l’œuvre. Ces créateurs, qui ne
se disent pas toujours artistes, n’expriment pas de discours commun à propos de leur œuvre.
Ils vivent l’acte créatif de l’intérieur et ne se détachent pas du résultat pour y jeter un regard
extérieur. L’artiste et l’œuvre sont en symbiose. Pour certains auteurs, le processus de création est
plus important que le résultat, et la création est vitale.
Depuis 20 ans le regard des spectateurs a évolué et l’engouement est grandissant. Les expositions se succèdent dans le milieu de l’art outsider, mais également dans le circuit officiel. Nous
nous en réjouissons. Cette évolution comporte cependant un danger, car toutes les œuvres réalisées en atelier ne peuvent être qualifiées d’art, et le risque d’envisager toutes les productions
artistiques des personnes handicapées mentales comme de l’art répond à une sollicitude humanitaire encore trop ancrée. Il faut donc rester vigilant dans les choix, seul le critère de valeur artistique doit être pris en compte dans le cadre de notre travail.
209
C U LT U R E E T S O C I E T E
Notre rôle est donc très différent de celui des personnes qui travaillent dans le secteur de la
santé mentale et qui jouent un rôle fondamental dans la recherche de l’épanouissement de la
personne. Un épanouissement qui peut dans certains cas passer par une démarche artistique.
De la création à l’exposition beaucoup de questions surgissent, sur les thèmes de l’esthétique
et de l’éthique. Le pouvoir que nous exerçons sur ces œuvres est indéniable, nous les sortons
d’un contexte particulier pour les offrir au regard du public. Cet acte est toujours posé dans un
grand souci de respect, en totale concertation avec l’artiste et son entourage.
Les réactions du public sont édifiantes, elles confirment l’impact immédiat de ces œuvres qui
nous renvoient à des questions fondamentales sur l’être, l’identité, la genèse de l’art et de la
création et du lien entre l’art et l’existence.
C’est le propre de l’art de transcender les limites et de faire tomber les barrières.
Le propre de ‘l’art en marge’ est d’aborder la santé mentale à partir d’une autre perspective qui
aboli la notion de différence grâce à la création.
C O N TA C T S :
Art en Marge, rue Haute 312 à 1000 Bruxelles
Tél/fax: 02/511 04 11
E-mail: [email protected]
www.artenmarge.be
210
Le Centre Césame
Un trait d’union entre santé mentale et
culture
VÉRONIQUE HOET
ARTISTE PEINTRE, ANIMATRICE DU CENTRE CÉSAME
Le centre Césame a ouvert ses portes en 1999 à l’initiative de la Plate-Forme de Concertation
de la région du Centre pour la santé mentale (aujourd’hui fusionnée avec celle de Charleroi). Le
projet était de créer un centre d’expression créatrice pour les personnes transitant ou ayant transité dans une de leurs institutions, que ce soit un patient hospitalisé dans un centre psychiatrique
ou un consultant dans un centre ambulatoire de santé.
L’idée de départ était de faire de ce centre un lieu intermédiaire, une passerelle entre le monde institutionnel de la santé mentale et la réalité sociale et culturelle de la ville. L’intention de la
plate-forme était claire lorsqu’elle a décidé d’engager une artiste pour lancer ce projet et éviter
ainsi tout discours thérapeutique, toute démarche d’analyse. L’effet thérapeutique dans les activités n’est donc pas recherché en soi. Il n’y a pas de diagnostic, ni d’interprétation, mais des actes
posés, des empreintes sur le papier, des échanges, des idées et des paroles.
Le centre Césame est ouvert sur la ville, en dehors des règles, des repères et du confort d’une
institution. Il n’est pas soumis non plus aux regards et aux pratiques en vigueur en santé mentale. L’art, la création, ainsi que les ateliers qui les mettent en œuvre, permettent de redonner
confiance, de donner le goût de la recherche, de provoquer des étonnements et favoriser la
reconnaissance de soi et de l’autre. En cela, Césame ne diffère pas d’un autre atelier artistique
public.
Notre travail actuel
A l’époque de l’ouverture, Césame proposait exclusivement des activités de peinture et de
dessin. Aujourd’hui, l’atelier d’Arts Plastiques s’est prolongé dans d’autres champs d’expression:
atelier d’écriture, atelier ‘projets’, stages de théâtre d’ombre, de percussion,... Le développement
des ateliers s’appuie aussi sur les propositions et les demandes des usagers. Par exemple, un projet a été proposé par les participants, celui de lancer un journal. Une équipe de rédaction s’est
créée et le trimestriel est maintenant réalisé entièrement par les usagers de Césame: rédaction,
illustration, mise en page ainsi que diffusion.
Actuellement plus d’une trentaine de personnes fréquentent régulièrement les activités. Ils
sont informés par l’une ou l’autre des institutions de santé mentale mais c’est une démarche
211
C U LT U R E E T S O C I E T E
libre et personnelle qui les amène à pousser la porte de Césame. Souvent, c’est le désir d’expression, de rencontre ; c’est aussi la volonté d’une écoute de leurs difficultés quotidiennes autre
qu’à l’hôpital, autre qu’avec des professionnels de la santé mentale. L’absence de thérapeute
dans ce lieu permet de laisser à la personne la liberté de se définir autrement que comme patient
ou malade.
Dans une logique de passerelle, le centre Césame se prolonge hors du lieu ; l’atelier de peinture s’expose ainsi dans la cité. Des collaborations avec d’autres associations culturelles de la région
sont créées, favorisant la rencontre à travers un travail personnel et créateur. Les usagers de
l’atelier participent activement à la vie culturelle de leur région. Toutes ces initiatives amènent
des dépassements de soi, des partages de moments entre eux et avec d’autres, ce qui motive
certains à des démarches personnelles.
Le centre Césame se monte pas à pas, avec des aides bénévoles et des soutiens ponctuels, notamment de la Région Wallonne. A la jonction entre les ‘mondes’ de l’aide sociale, de la culture,
de la santé et de la santé mentale, le Centre recherche une autonomie financière de fonctionnement qui lui permettrait de garantir la continuité et le développement de ses activités. Car la
spécificité d’un tel lieu intermédiaire, c’est aussi d’être confronté à des tiroirs de financements
spécifiques.
C O N TA C T S :
Centre Césame, Place du Numéro Un 50, 7100 Haine-Saint-Paul
Tél: 064 84 97 64
A contacter aux heures d’atelier:
Le Mardi de 9hà 12h,de 14h à 18h
Le Jeudi de 15h à 18h
Le Vendredi de 9h30 à 12h30
212
La glorieuse incertitude de l’écriture
MICHEL LAMBERT
ECRIVAIN, ANIMATEUR D’ATELIERS D’ÉCRITURE
Voilà une dizaine d’années que j’anime des ateliers d’écriture en santé mentale. Actuellement,
ces ateliers ont lieu au club Antonin Artaud à Bruxelles, à la clinique Saint-Pierre d’Ottignies, à la
Fabrique Depré à Nivelles et à l’asbl Réflexions à Liège. Ces ateliers ne s’adressent pas à un public
spécifique, qui serait celui des patients de l’institution, mais à des hommes et des femmes qui
veulent s’initier à l’écriture. Malade ou bien portant, on est d’abord participant, écrivant, écrivain. Le but poursuivi est clairement défini dès le départ: littéraire et non thérapeutique. La littérature n’a jamais eu pour vocation de guérir qui que ce soit, mais de produire du beau, du juste,
du vrai. Si des effets thérapeutiques se manifestent, c’est par ricochet, de manière non délibérée.
Bref, dans ces ateliers, on apprend les différentes techniques d’écriture, afin que chacun puisse produire des textes qui correspondent le mieux au propos et à l’esthétique qu’il entend développer. Les méthodes mises en œuvre sont les mêmes que celles utilisées dans d’autres ateliers
d’écriture, en centre culturel, en prison, ou dans les écoles (propositions d’écriture, production de
l’œuvre, lecture et commentaires). En aucun cas, l’exigence n’est moindre.
Il est vrai cependant que l’exercice de l’écriture peut avoir un effet sur le bien-être des participants, que ce soit en santé mentale ou dans un contexte moins spécialisé. L’écriture contribue,
par la valorisation qu’elle implique, à rendre leur dignité à des participants qui ont pu être humiliés par la vie ou qui sont tenaillés par le doute. À rendre aussi, à ceux qui sont parfois démobilisés, qui vivent au jour le jour, le sens des échéances, de l’effort à fournir (un texte à produire
pour la semaine prochaine ou pour dans quinze jours), premier pas vers une réinsertion dans la
société. C’est aussi un moyen, pour tous ceux qui ont vu leur liberté aliénée, de retrouver celle-ci
en vivant d’autres vies par procuration et de découvrir, en l’exprimant, l’universalité de leurs problèmes. Enfin l’écriture permet de déplacer ses angoisses personnelles vers des angoisses d’ordre
technique, d’ordre formel, ce qui est source d’apaisement, de jeu.
En général, les participants à un atelier d’écriture en santé mentale possèdent cette grande
qualité d’être réceptifs aux remarques de l’animateur. Une critique même négative est souvent
perçue comme une marque d’intérêt pour le travail réalisé et, par conséquent, pour son auteur.
Cela tient peut-être à l’expérience de vie des participants, qui ont reçu plus de coups que de
caresses. Ou qui ont été délaissés, abandonnés. Quoi qu’il en soit, cette capacité à encaisser des
critiques leur permet de progresser assez vite.
213
C U LT U R E E T S O C I E T E
En revanche, une trop grande valorisation peut avoir un effet désastreux en cela qu’elle induit
une pression, des attentes angoissantes. Un participant que j’avais particulièrement encouragé
a quitté l’atelier sans un mot. Trois mois plus tard, il m’écrivait une lettre m’expliquant qu’après
avoir été un bon fils, un bon cadre, un bon mari, il n’avait plus le courage de devenir un bon
écrivain. Mais un autre aurait peut-être réagi différemment. C’est le risque de l’art, la glorieuse
incertitude de l’écriture.
NOTE
L’atelier du club Antonin Artaud est financé depuis 1995 par le service de la Promotion des Lettres du ministère de la
Culture de la Communauté française ; les autres, qui sont plus récents, par le ministère des Affaires sociales et de la
Santé de la Région wallonne.
C O N TA C T S :
Michel Lambert, 0496/035.832
E-mail: [email protected]
214
Projet ‘Te gek!?’
Un CD, un supplément de journal et un
concert d’artistes sur le thème de la santé
mentale
MARC HELLINCKX, COORDINATEUR DU PROJET ‘TE GEK!?’,
ANN HENDRICKX, DIRECTION PATIËNTENZORG, PZ SINT-ANNENDAEL DIEST
L’hôpital psychiatrique Sint-Annendael, qui fait partie de l’asbl Sint-Annendael Grauwzusters,
est une petite structure à caractère ouvert, située au centre de Diest.
Soucieux de proposer des soins psychiatriques modernes sur mesure, l’hôpital ambitionne également d’œuvrer à une image positive de la psychiatrie et des soins de santé mentale. En dépit du
fait qu’un adulte sur quatre est confronté dans sa vie à de sérieux troubles psychiques, les connaissances en la matière sont assez limitées et la santé mentale fait encore l’objet de nombreux
préjugés.
Par le biais, entre autres, d’expositions et de concerts organisés depuis une dizaine d’années
dans les murs de l’hôpital, Sint-Annendael essaie de faciliter l’accès à tout ce qui a trait à la psychiatrie. Le succès des concerts a suscité l’idée, en 2004, d’enregistrer un CD portant le titre ‘Te
gek!?’. Si les concerts avaient réussi à briser l’un ou l’autre tabou, pourquoi ne pas transformer
ce petit ruisseau en une grande rivière et sensibiliser par un CD un public encore plus large…?
Pour donner vie au projet, nous avons consacré beaucoup d’énergie à chercher de l’aide
financière et en avons trouvé auprès de Lilly, Cera, la Ville de Diest, CM, Porticus, l’Administratie Gezondheidszorg, l’Ancienne Belgique. Nous avons en outre convaincu la chaîne flamande
Radio 1 et le quotidien De Standaard de faire office de sponsors médiatiques. Avec l’aide de Guy
Brulez (ex-patron EMI), nous avons contacté de nombreux artistes disposés à créer une chanson
originale sur le thème de la santé mentale. Cela a donné lieu au CD ‘Te gek!?’ qui comporte 16
chansons, 14 titres originaux et 2 reprises, qui explorent les frontières mentales et les sentiments
universels.
Le CD, parrainé par la romancière Kristien Hemmerechts, comporte des titres de Jan De
Smet (De Nieuwe Snaar) & Jan De Wilde, Roland & Pieter-Jan De Smet, Kris de Bruyne & Mauro
Pawlowski, Guy Swinnen & Kathleen Vandenhoudt, Eva De Roovere & Gerry De Mol, Dirk Van
Esbroeck & Wigbert, Johan Verminnen, Guido Belcanto, Sioen, Zornik, Mintzkov Luna, Gert
Bettens (K’s choice), Lander, Essense, Patrick Riguelle & Paul Poelmans (Laatste showband), Marc
De Bel & De Kriegels.
Ce CD, qui n’a d’autre but que de sensibiliser les médias et le grand public au sujet tabou que
constituent la psychiatrie et les soins de santé mentale, a été présenté à la presse et au public le
25 novembre 2004 à l’AB à Bruxelles. Sa présentation a été accompagnée d’exposés de Kristien
215
C U LT U R E E T S O C I E T E
Hemmerechts et de la Ministre Inge Vervotte, entre autres. Le lendemain, tous les journaux parlaient du CD. Le 30 novembre 2004, Kristien Hemmerechts l’a présenté lors de l’émission de la
VRT ‘De laatste show’.
Le 12 avril 2005, le projet a trouvé son prolongement dans un dossier de 16 pages sur le
thème de la santé mentale, publié en supplément au journal De Standaard et distribué à
170.000 exemplaires dans toute la Flandre. Ce dossier a été préparé par des collaborateurs de
Sint-Annendael en collaboration avec la Vlaamse Vereniging Geestelijke Gezondheid, Similes,
Overlegplatform Geestelijke Gezondheidszorg Vlaams-Brabant, Caritas Verbond der Verzorgingsinstellingen VVI, Mutualiteit CM, la firme Lilly, Vlaamse Vereniging voor Manisch Depressieven et
les Vlaamse Expertisecentra Dementie.
Un concert donné en matinée et en soirée le 24 avril 2005 à l’AB à Bruxelles en présence de
presque tous les artistes du CD et de Kristien Hemmerechts, soutenu par l’équipe du ‘Laatste
show’ de la VRT et présenté par Jan De Smet, a constitué le point d’orgue en même temps que la
conclusion provisoire du projet. En effet, nous ne manquons pas d’idées et souhaitons mettre sur
pied d’autres activités destinées à donner suite à cette action de sensibilisation.
C O N TA C T S :
Marc Hellinckx, coordinateur du projet ‘Te gek!?’
E-mail: [email protected],
tél.: 013/38 05 11
Ann Hendrickx, Direction Patiëntenzorg,
E-mail: [email protected]
PZ Sint-Annendael Diest, Vestenstraat 1, 3290 Diest
216
Le musée Dr. Guislain,
un regard sur la normalité
PATRICK ALLEGAERT, CURATEUR MUSÉE DR. GUISLAIN
ANNEMIE CAILLIAU, COORDINATRICE MUSÉE DR. GUISLAIN
En septembre 1986 s’est ouvert à Gand, dans les greniers du centre psychiatrique Dr. Guislain,
un musée consacré à l’histoire de la psychiatrie. Le musée a démarré petitement: les moyens
financiers étaient restreints et qui plus est, il y a vingt ans, la reconnaissance de cet héritage (la
psychiatrie, son patrimoine, son histoire, mais aussi les récits des patients) était plutôt marginale.
Le musée n’a cessé de se développer depuis: des collaborations avec d’autres centres psychiatriques et des recherches minutieuses ont permis de rassembler une importante collection, qui a
fait l’objet en 1989 d’un premier catalogue accessible à tous. La surface réservée au musée a également pris de l’ampleur: des espaces se sont libérés (dortoirs, salles de réunion et autres pièces
du grenier) et ont été intégrées à l’espace muséal.
Le projet du Musée
Le Musée Dr. Guislain veut être davantage qu’une simple rétrospective de l’histoire de la
psychiatrie. Il entend attirer l’attention sur une problématique qui reste d’actualité: comment
considérait-on la normalité/l’anormalité dans le temps? L’anormalité faisait-elle l’objet de tabous
et d’exclusion? Certains problèmes du passé auraient-ils tendance à ressurgir dans notre société
contemporaine? Y a-t-il d’autres, nouveaux, problèmes? Comment traitons-nous nos malades
psychiques?
Soucieux d’examiner ces questions sous un angle culturel, le musée accueille depuis 1991 des
expositions temporaires qui abordent divers aspects de la psychiatrie. Ainsi, l’exposition intitulée
Vastenheiligen, Wondermeisjes en hongerkunstenaars, sur le thème de la faim, a permis de présenter, dans une perspective plus large, la problématique très actuelle de l’anorexie. L’exposition
Doodgezwegen (1995) a abordé le sujet des patients psychiatriques dans l’Allemagne nazie en
s’interrogeant sur la manière dont des systèmes politiques extrémistes considèrent la maladie et
la faiblesse. L’exposition Tweelingen/Jumeaux (2003) était quant à elle axée sur la problématique
‘hérédité’ versus ‘environnement’. En effet, les études sur les jumeaux univitellins nous aident
à mieux comprendre les causes des affections psychiques. Mais les jumeaux suscitent aussi une
véritable fascination culturelle ; le mystère de la gémellité occasionne à la fois joie et peur, avec
une ambivalence étonnante.
217
C U LT U R E E T S O C I E T E
Une évolution constante
Dans notre collection et notre gestion muséale, nous avons progressivement consacré davantage d’attention à des sujets relatifs à l’art et à la folie, en essayant de montrer comment des
artistes ont utilisé le thème de la folie dans leurs créations et comment ce thème les a inspirés,
mais à l’inverse aussi, comment des malades psychiques ont donné un sens à leur vie grâce à une
expression artistique, comme la sculpture, par exemple. Au travers de nos expositions et de nos
activités, nous voulons attirer l’attention sur un art fascinant; la qualité des œuvres de patients
atteints de troubles psychiatriques a d’ailleurs inspiré bon nombre de grands artistes (de Paul
Klee et Max Ernst à Arnulf Rainer).
Le Musée Dr. Guislain connaît aussi une évolution d’un autre ordre: les médias et le public
(45.000 visiteurs par an) s’y intéressent de plus en plus, et la Communauté flamande l’a reconnu
comme Musée d’intérêt public. Nous attachons également beaucoup d’importance, pour la mise
au point de nos expositions et autres activités, à la collaboration avec des artistes et des organisations culturelles (Kopergietery Gent, Beursschouwburg Brussel, Vooruit Gent), une manière
pour nous de sensibiliser le public de manière nuancée à la problématique de la santé/maladie
mentale. Ce qui constitue finalement notre priorité.
C O N TA C T S :
E-mail: [email protected]
www.museumdrguislain.be
218
Chapitre
La santé mentale dans une société
multiculturelle
:: Introduction: La multiculturalité et ses enjeux de santé mentale
JL Feys, Clinique Sanatia, St Josse
:: Vivre à Cureghem, un droit à la ville
La dépression chez les jeunes mères et leurs enfants en milieu immigré
Sarah Deutsch, Fanny Gashugi, Sharon Geczynski, Jean Loodts, Valérie Piron, Oumnya Salhy,
Michel Ansay, Institut de la Vie, ULB, Bruxelles
:: La médiation interculturelle dans les soins de santé mentale
Hans Verrept, SPF Santé publique
:: L’expérience de personnel soignant d’origine turque et maghrébine
Mohammed Emjahed, Soulef Zaiour, Clinique Sanatia, Saint Josse
:: Quels soins de santé mentale pour les personnes en situation illégale ou précaire?
Myriam van Vinckenrode, Medisch Orienteringspunt ‘Sans Papiers’, Gent
:: Mémoire collective, exil et appartenances
Nouné Kara Khanian, Clinique de l’Exil, Namur
:: Les ‘Enfants dotés d’une seconde peau’
La résilience, une clé pour l’accueil des mineurs en exil
Stefaan Plysier, asbl InDomo
9.2
1
La multiculturalité et ses enjeux de santé
mentale
DR.JEAN-LOUIS FEYS,
CLINIQUE SANATIA, ST JOSSE
Les pathologies psychiatriques des patients émigrés et de leur prise en charge ont fait l’objet
de nombreux articles et de multiples débats. L’intérêt de cette question est qu’elle remet en
cause ou plutôt réveille toutes une série de problèmes propres à la psychiatrie: quelle est la valeur de nos classifications nosographiques? Nos critères de classifications sont-ils universels et reposent-ils sur des bases ‘scientifiques’ ou n’ont-ils qu’une valeur tout a fait relative et spécifique
au contexte social et géographique dans lequel ils sont constitués? Qu’est ce qu’un traumatisme?
Jusqu’où notre psychisme a-t-il besoin de repères géographiques pour se construire et éviter de
souffrir de troubles mentaux? Qu’est-ce que l’identité? Nos modèles psychothérapeutiques sontils valables pour tous?
Psychiatrie et ethnopsychiatrie
A la question de l’universalité des classifications psychiatriques, tous les auteurs sont presque du même avis: à savoir que nos classifications occidentales ne sont pas du tout adaptées
aux problématiques psychiques des autres régions du monde. La question du diagnostic et des
classifications de troubles mentaux montre bien une des spécificités de la psychiatrie au sein de
la logique médicale. A travers l’histoire de la psychiatrie, on voit bien que des pathologies apparaissent et puis disparaissent, que l’expression des troubles mentaux évolue au fil du temps ou
diffère d’après le contexte social. Bref, ces diagnostics n’ont qu’une valeur relative dans laquelle
la norme et le degré de tolérance sociale sont des facteurs déterminants.
Néanmoins, il semble que la folie, et plus précisément la schizophrénie, qui est un type de
psychose avec une évolution plus déficitaire en ce qui concerne les capacités intellectuelles et
cognitives du patient, soit un trouble universel, même si l’expression des délires et des hallucinations est variable. De même, il semble qu’on retrouve dans toutes les cultures, des expressions
de ce que nous appellerions ‘dépression’ à savoir ce sentiment de tristesse, de perte de plaisir et
d’intérêt.
Immigration et choc des cultures
Sur ce sujet, on a effectivement déjà écrit une pléthore d’articles et d’essais. Il est certain
220
CHAPITRE 9.2
qu’être confronté à différents systèmes de valeurs et à différentes logiques de société constitue
une difficulté pour le sujet migrant. Il est étonnant aussi de remarquer que les communautés
de migrants ici en Europe s’accrochent d’avantage aux aspects traditionnels de leur culture et
n’évoluent souvent pas au rythme de leur pays d’origine. Les valeurs traditionnelles gardent
alors leur fonction de repères identitaires auxquels s’attachent souvent les migrants. Mais ce qu’il
est important de ne pas oublier, dit Bertrand Piret, psychiatre et responsable de la Consultation
Transculturelle de Psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, c’est que ‘ce fameux
conflit des valeurs culturelles ou de modèles culturels n’a pas de manifestation univoque et obligatoire au niveau de l’individu. Les difficultés liées à l’émigration vont s’exprimer selon l’histoire
personnelle de chacun et sur un modèle qui n’est pas prévisible. Il ne s’agit pas de nier ces difficultés ni les troubles qui en résultent puisqu’ils sont au centre de ce que nos patients vivent, mais
nous devons veiller dans ce domaine souvent douloureux à ne pas projeter nos propres constructions sur des situations à la fois complexe et singulières.’
Il est donc important que l’écoute du patient migrant ne soit pas parasitée par des idées
préconçues sur ce qui est la problématique des migrants. Même si certaines difficultés sont communes, chacun vit son statut d’émigré de manière individuelle, construit son identité de manière
unique et intègre son parcours de vie au sein de son psychisme. Le problème de l’identité est
qu’elle se constitue toujours par rapport à un autre qui devient étranger et différent. L’identité
semble avoir pour fonction essentielle de se positionner par rapport à autrui et de se revendiquer. Mais l’identité culturelle n’est qu’un élément de la construction psychique.
Il est donc nécessaire d’être prudent vis-à-vis des discours sociologiques et psychologiques qui
tiennent des propos généraux sur ‘l’émigration et les problèmes psychiques qui en découlent’.
Néanmoins, il semble aussi que les choses se jouent différemment pour les migrants de la
première génération et pour les générations suivantes. Pour la première génération, les travaux
psychiatriques classiques sur la pathologie de la transplantation distinguent une pathologie précoce dont les symptômes sont des réactions d’opposition, de l’hyperesthésie relationnelle et des
attaques d’angoisse. On considère généralement que ce sont des réactions de défense normales,
souvent de courte durée et plutôt de bon pronostic. Par contre, les troubles apparaissant plus
tardivement sont souvent l’expression d’un sentiment d’échec et sont des symptômes dépressifs
avec souvent des plaintes somatiques. Pour les émigrés des générations suivantes, ce qui domine
le discours et parfois le tableau clinique, ce sont ces conflits culturels qui s’expriment souvent
dans leurs formes intergénérationnelles.
Emigration et psychothérapie.
La plupart des modèles thérapeutiques actuels sont basés sur la parole. Pas tous puisqu’il
existe des thérapies basées sur le corps ou sur les dynamiques de groupes. La grande révolution
amenée par Freud est sans doute cette inversion de la parole entre le médecin/thérapeute et le
patient. On peut dire qu’avant Freud, c’est le savoir et la parole du médecin qui est l’élément qui
permet la thérapie. Avec la naissance de la psychanalyse, la parole du patient devient un élément
incontournable des soins psychiatriques ou psychothérapeutiques. Kraepelin, psychiatre allemand contemporain de Freud est l’un des plus illustres médecins de l’histoire de la psychiatrie,
et son apport au niveau de la nosographie est d’actualité. Mais Kraepelin estimait que c’était un
avantage de ne pas connaître la langue du patient. Cela permettait de mieux l’observer puisque
cette observation n’était pas distraite et perturbée par les paroles du malade. Il semble actuelle-
221
C U LT U R E E T S O C I E T E
ment impensable de prendre en charge un patient si l’on ne le comprend pas ou si personne ne
parle sa langue.
Mais compréhension de la langue ne veut pas nécessairement dire compréhension de la culture. Il ne nous semble pas indispensable qu’un patient soit pris en charge par quelqu’un de la
même culture. Nous partageons sur ce point l’avis de Bertrand Piret lorsqu’il dit que: ‘Recréer
le fantasme que la solution des problèmes est plus facile par le recours au même, au semblable
, qui ‘comprendra mieux’, nous semble mener tout droit à un type spécial de ségrégation qui
s’oppose à l’intégration.’ Certains patients d’ailleurs préfèrent être écoutés par un psychologue qui justement n’appartient pas à leur culture, afin sans doute que leur parole ne soit pas
d’emblée écoutée à travers un filtre culturel. Ceci est d’ailleurs aussi valable pour certains patients autochtones préférant l’écoute d’un ou une psychologue d’origine étrangère.
Deux courants opposés
Depuis plusieurs années, deux courants s’opposent quant à la prise en charge des difficultés
psychologiques des émigrés. Le représentant principal du premier courant est Tobie Nathan. Sa
position est bien connue: il faut penser la souffrance de ceux qui viennent nous consulter à partir
de leur propre langue mais aussi à partir de leurs propres modèles de guérison et des objets (religieux, thérapeutiques…) qui y participent, et non pas à partir de nos modèles thérapeutiques
occidentaux. Il fait reconnaître l’autre en tant qu’égal et non pas vouloir imposer nos modes de
pensées. Nathan insiste pour que les guérisseurs, chamans, pasteurs de groupe de prières… participent à la réflexion et à l’analyse des pathologies humaines: il veut investiguer leurs pratiques,
leurs théories, leurs pensées: ‘Je considère que les thérapies traditionnelles ne sont ni des leurres,
ni de la suggestion, ni des placebos. Pour moi, ces techniques sont réellement ce que leurs utilisateurs pensent qu’elles sont: des techniques d’investigations efficaces, et par conséquent dignes
d’investigations sérieuses.’ Le thérapeute doit donc être un ‘chercheur de laboratoire’ qui prend
en compte ces médecines traditionnelles, ces méthodes de soins inventées par les populations, et,
à partir de là, imagine un dispositif de soins spécifiques.
Les ‘exilés’ restent attachés à leurs ancêtres, à leurs divinités, à leurs coutumes, à leur langue
et il faut donc en tenir compte et redéfinir nos modalités de prise en charge. C’est ce que Tobie
Nathan et son équipe ont développé au centre Georges Devereux, à l’Université Paris-VIII. Ils proposent donc un dispositif original et, à l’époque, innovant: autour d’une famille, se réunissent le
‘référent institutionnel’ (l’intervenant psychosocial qui amène le patient et sa famille à la consultation) et une dizaine de professionnels (psychologues, médecins, anthropologues, linguistes,….)
dont au moins un parle la langue maternelle de la famille et connaît les habitudes thérapeutiques ayant cours dans l’environnement habituel de la famille. Dans cette séance d’ethnopsychiatrie se multiplient les statuts d’experts: expert clinique, expert de la langue, expert des coutumes
de la région du patient… Le patient voit se déployer devant lui une multitude d’interprétations
de son mal et, c’est à lui à développer tel ou tel aspect de ses difficultés en rebondissant sur l’une
ou l’autre des propositions. ‘Plus question d’attribuer au patient, dit Nathan, une nature par un
diagnostic puis ‘d’ interpréter’ son fonctionnement à partir d’une théorie. Il est de fait partenaire
obligé, indispensable alter ego d’une recherche entreprise en commun.’
Pour les opposants de Tobie Nathan, cette méthode stigmatise les immigrés, les enferme dans
leur culture et fait obstacle à leur ‘intégration’. Dans un article paru dans le Monde en 1996,
Fethi Benslama parle de ‘l’illusion ethnopsychiatrique’ et dénonce cette théorie qui ne fait des
patients que des exemplaires de leur communauté, et qui pense qu’il suffit de leur injecter de
222
CHAPITRE 9.2
l’identité ethnique pour obtenir leur guérison. Benslama pense que l’ethnopsychiatrie assujettit
les individus aux ethnicités. Il estime qu’il ne faut pas replonger l’exilé dans un bain de culture
d’origine mais l’aider à reconstruire l’histoire de son déplacement, de son exil, à reconnaître
ses significations de rupture. S’il s’agit de patients nés ici, l’interprétation culturaliste ethnopsychiatrique devient un forçage qui n’aide pas le patient à vivre ici et à vivre le trauma de l’exil
parental. ‘Notre éthique est de permettre au patient de rechercher les déterminants de sa souffrance dans les transformations de son histoire, et non par rapport de l’élément immuable de
son ethnie.’
Il s’agit donc d’éviter de renforcer les identités ethniques mais de soutenir le patient à une
reconnaissance de sa capacité de singularisation. Ce à quoi, Tobie Nathan répond qu’il est impossible d’enfermer un sujet dans sa culture et que son dispositif donne aux migrants un lieu où ils
peuvent émerger en tant que sujet, acteur de leur histoire mais en y amenant des éléments et
des objets auxquels ils sont attachés et qui leur sont propres.
La pratique à la clinique Sanatia.
La clinique Sanatia est située à St Josse, entre le quartier turc et les quartiers où réside une
importante population maghrébine. De par cette situation géographique, nous sommes donc
confrontés aux questions exposées ci-dessus. Tous ces articles et débats ont bien sûr alimenté
notre réflexion et notre pratique. Comme c’est le cas dans la plupart des cliniques psychiatriques,
beaucoup de nos patients souffrent de troubles psychotiques ou de graves troubles de l’humeur,
pathologies dont les causes restent actuellement imprécises. La plupart des auteurs parlent d’une
‘causalité multifactorielle’ (génétique, biologique, familiale, environnementale,….) ce qui est
peut-être exact mais qui est aussi une manière de dire que les causes sont inconnues.
Ce qui nous semble important, c’est que notre pratique ne soit pas orientée par une théorie
causale unique et que le patient ne soit ni enfermé dans un diagnostic psychiatrique ni dans un
discours ethnique. Nous avons la chance que l’équipe soignante soit multiculturelle et de compter plusieurs personnes d’origine maghrébine ou turque parmi le personnel. Cela permet au patient de ‘choisir’ à qui il s’adresse et de nous donner ou non des indications sur l’importance du
facteur culturel dans sa souffrance. De même, nous essayons toujours d’enter en contact avec les
familles et des les inviter lors de l’hospitalisation de leur proche.
Nous leur signifions que nous sommes ouverts à leurs croyances et à leurs interprétations mais
que nous sommes quand même attentifs à ce qu’il n’y ait pas de confusions dans les pratiques.
Nous acceptons par exemple que la famille vienne chercher le patient pour l’amener chez un
guérisseur ou un Imam mais nous refusons que ces soins ‘traditionnels’ soient réalisés au sein
même de la clinique. Nous voulons nous situer dans notre cadre et dans notre pratique de psychiatrie occidentale.
Notre écoute et nos soins seront donc interculturels car même si le patient décide de s’adresser à la psychologue et personnel soignant de sa culture, ceux-ci échangeront leurs réflexions au
sein des réunions. Nous essayons d’éviter qu’un savoir médical ou qu’un diagnostic psychiatrique
vienne stigmatiser ce qui peut être de l’ordre d’une blessure narcissique ou d’un désarroi identitaire, mais nous refusons aussi qu’un savoir préétabli sur la culture du patient ne vienne brouiller
notre écoute de sa souffrance.
La recherche d’identité du patient est un processus toujours en chantier. De même, pour les
223
C U LT U R E E T S O C I E T E
soignants, cet équilibre interculturel entre nos connaissances et la part d’inconnu que recèle
chaque patient, entre ce qui est semblable et ce qui est différent, entre le coutumier et l’imprévisible est, pour la pratique psychiatrique d’une manière plus générale, la garantie d’une certaine
éthique de travail.
C O N TA C T S :
Clinique Sanatia, rue du Moulin 27, 1210 St Josse.
Tél: 02 211 00 40
224
CHAPITRE 9.2
Vivre à Cureghem, un droit à la ville
La dépression chez les jeunes mères et leurs
enfants en milieu immigré, Etre là et agir
SARAH DEUTSCH, FANNY GASHUGI, SHARON GECZYNSKI, JEAN LOODTS, VALÉRIE PIRON,
OUMNYA SALHY, MICHEL ANSAY
INSTITUT DE LA VIE, ULB, BRUXELLES
Durant l’année 1995, l’Institut de la Vie (Madame C. Capel-Boute avec F. Gashugi) ouvrait à
Cureghem un lieu d’accueil d’enfants de 0 à 6 ans avec leur mère d’origine immigrée. Assez rapidement, nous avons identifié la peur de l’autre chez les enfants comme une source de violence
et un facteur d’exclusion sociale. Notre attention s’est également portée sur le bien-être des
mamans. Lors d’entretiens spontanés avec des animatrices, il nous est apparu que les femmes se
situaient mal - ‘étaient mal’ - dans la ville, dans leur environnement proche, dans leur famille, et
aussi par rapport à leur santé et à leur propre corps.
Le soutien de la Fondation Roi Baudouin en 2001 a permis de développer une rechercheaction, pilotée par un Comité d’accompagnement, qui visait à mieux comprendre le mal-être du
groupe de femmes, de manière à pouvoir les aider dans leurs difficultés d’insertion.
Démarche de la recherche-action
Nous avons choisi de ne pas développer l’approche médicale, tout en reconnaissant pourtant
que le mal-être des femmes vécu dans toutes ses formes, culturelle, sociétale, s’exprimait aussi
par des symptômes corporels. L’approche ethno-psychiatrique est présente en filigrane dans toutes les interviews. Par exemple, le groupe, la famille, la religion priment sur l’individu. On entend
s’exprimer la nostalgie d’un monde rêvé où il y a la famille restée au pays, la plage, le soleil, les
relations humaines chaleureuses.
Quant à l’approche de santé communautaire - le médical est rejoint par le social, la somatisation du mal-être social conduit à une médicalisation - elle s’est exprimée avec netteté: c’est une
difficulté ‘d’être avec ou dans’ l’école, les administrations, les services de santé, d’où la demande
maintes fois formulée de plus d’informations, de vie sociale, ou le problème récurrent des enfants «déclassés».
La recherche-action a consisté à:
1- Ecouter et consigner les plaintes sur le mal-être d’un groupe de dix femmes d’origine turque, au cours de séances régulières (trois matinées par semaine); ceci a été possible grâce au
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C U LT U R E E T S O C I E T E
climat de confiance qui s’est créé entre les femmes et les deux animatrices. Nous nous sommes
ensuite attachés à comprendre leur perception de ce mal-être / dépression et leur mode de gestion, par des entretiens individuels semi-directifs, enregistrés et analysés. Dans un contexte de
culture occidentale, les femmes exprimaient un mal-être en disant ‘je suis mal dans ‘. Mal dans
leur corps, avec de nombreux symptômes que l’on retrouvait aussi chez les enfants:’les enfants
font appel à la maladie’ dit une maman. Mal dans leur culture: ‘en moi se rencontrent deux
cultures et leur choc fait mal’. Mal dans leur société:’ je suis mal à l’aise dans une société qui se
refuse à moi’. Il est à remarquer que les jeunes expriment le même mal-être.
2- Elaborer un questionnaire pour connaître le parcours migratoire des femmes, leurs valeurs
et leurs préoccupations.
3- Suggérer des indicateurs de bien-être et/ou de mal-être pour suivre l’évolution du groupe
et de la situation ; faire des propositions, notamment pour améliorer la connaissance des services
communaux et humaniser l’accueil dans les administrations et les écoles, ou encore pour initier
une recherche-action sur ‘parcours scolaire/immigration’.
4- En application de la méthode participative, les résultats ont été discutés en groupe puis
complétés; les possibles actions ont été discutées.
5- Une réunion de restitution des résultats de la recherche-action et de présentation
de propositions pour le mieux-être des femmes immigrées s’est tenue dans les locaux de la
Mission Locale. Des responsables politiques et administratifs d’Anderlecht, la Coordinatrice FRB
des projets, des membres du Comité d’accompagnement de l’étude et diverses associations partenaires ont étés invités.
Les résultats de l’étude confirment en particulier le premier axiome du livre blanc de l’administration de la Communauté française:’les problèmes de santé sont aussi les symptômes du malaise social’. Toute action allant dans le sens d’une amélioration du bien-être social serait ainsi,
par voie de conséquence, bénéfique pour la santé. Mais ce bien-être social est aussi en partie
l’œuvre des personnes elles-mêmes et des groupes, qui puisent dans leurs propres ressources, à la
conquête de leur autonomie, de leurs modes d’expression, de leur parole.
Faire du lien, faire du lieu
La fonction de notre lieu d’accueil, c’est d’être là, d’accompagner des autonomies, de se mettre au service des dynamismes des acteurs. C’est aussi un lieu de parole, de la parole trouvée,
libérée, essayée, partagée. La parole est une manière d’être avec, d’être bien, de bien être, d’être
là ensemble… Mais nous explorerons aussi d’autres modes d’expression, comme la camera qui est
un mode d’écriture, et l’ordinateur qui est une ouverture sur le monde.
Notre lieu est un lieu qui crée du lien des femmes entre elles, du lien avec l’école (la question du
mal être chez les enfants fréquentant l’enseignement spécial), du lien avec les administrations (la
question des activités socioculturelles qu’elles voudraient créer elles-mêmes ou voir se créer dans
la commune). C’est un lieu où les femmes prennent leur place citoyenne, active, créatrice d’une
société appelée à se renouveler sans cesse, à se recomposer à partir d’apports nouveaux. Sur la
problématique ‘enfants’, très pertinente en termes de culture, s’est greffée la préoccupation ‘des
mères’ qui se sont ensuite exprimées en tant que ‘femmes’ et le feront en tant que citoyennes.
226
CHAPITRE 9.2
Au service de cette ambition, des partenaires et un travail de réseau
Notre expérience a un lieu, la commune d’Anderlecht. C’est une action en transversalité avec
tous les acteurs et opérateurs locaux. L’échevinat local de la Vie associative est un de ceux-ci par
le Programme Intégration et Cohabitation (PIC) et le Fonds d’Impulsion à la Politique des Immigrés (FIPI) et les initiatives communales en santé, participation, information, humanisation de
l’administration et environnement.
Si notre expérience a valeur d’expérience à partager, elle reste limitée tant par le nombre de
personnes participantes que par les activités possibles. Cependant dans la même ligne d’un développement communautaire et participatif, de nombreuses autres activités d’insertion (par la
caméra, par l’ordinateur, par les histoires de vie) sont à présent planifiées et réalisées, certaines
en partenariat avec d’autres associations (fêtes multiculturelles). En particulier, autour du thème
‘familles issues de l’immigration et école’ et avec l’appui de la FRB, des activités se développent
avec les femmes de notre lieu d’accueil et des enseignants et élèves de l’Institut de la Providence
à Anderlecht.
Le travail en réseau a ses contraintes. Il ne se décrète pas. C’est toujours un pari, une confiance. Parfois sa prégnance apparaît plus claire encore quand les femmes elles-mêmes disent vouloir
sortir de ce qui pourrait être un repliement sur la petite communauté ou le petit groupe (actuellement au 18 rue van Lint). Elles veulent rencontrer d’autres associations. Les murs deviennent
des frontières que l’on peut traverser. C’est alors une revendication du Sujet affirmant sa liberté
et son désir d’un ‘droit à la ville’ où nous pourrons ‘vivre ensemble, égaux et différents’.
C O N TA C T S :
Sarah Deutsch
Institut de la Vie, Sciences, sociétés, co-développement
(CP 196) Avenue F. Roosevelt 50, 1050 Bruxelles
Tél: 02 649 50 70
E-mail: [email protected]
227
La médiation interculturelle dans les soins
de santé mentale
HANS VERREPT
RESPONSABLE DE LA CELLULE MÉDIATION INTERCULTURELLE , SPF SANTÉ PUBLIQUE
Plusieurs indices tendent à montrer que les soins de santé mentale pour allochtones ne sont
pas suffisamment accessibles. Les étrangers seraient particulièrement sous-représentés dans les
soins de santé mentale ambulatoires. Aux Pays-Bas, on fait état d’un nombre restreint de contacts thérapeutiques et d’un décrochage élevé chez les clients allochtones. Il n’est pas rare que
le contact se limite à une seule rencontre. Les clients estiment en outre que les intervenants ne
prennent pas la pleine mesure de leurs problèmes et qu’ils proposent des solutions qui ne cadrent pas avec leur culture.
On trouve dans la littérature un grand nombre d’hypothèses tentant d’expliquer cela. On
évoque notamment l’existence d’une barrière linguistique, qui fait que le thérapeute ne peut
pas (suffisamment) utiliser le langage, qui est son principal instrument diagnostique et thérapeutique. Des facteurs sociaux et culturels joueraient également un rôle: méconnaissance des
possibilités d’offre de soins, utilisation de modèles explicatifs des problèmes psychiques qui sont
en contradiction avec les modèles utilisés dans les soins de santé mentale, recours à des thérapies
‘traditionnelles’, forte stigmatisation du client allochtone des soins de santé mentale au sein
de sa communauté. Certains auteurs attirent également l’attention sur le fait que, pour ce qui
concerne la santé mentale, les catégories diagnostiques et les méthodes thérapeutiques ont été
développées sans tenir compte de la diversité culturelle, et qu’elles répondent dès lors peu aux
besoins des clients allochtones. De même, les opinions et sentiments implicites des thérapeutes à
l’égard des allochtones interféreraient dans la relation d’aide.
Lors de contacts sur le terrain, nous sommes souvent confrontés à des thérapeutes qui partent
du principe qu’ils ne sont pas en mesure d’aider des patients allochtones, et qui préfèrent dès
lors les orienter vers des centres spécialisés. Etant donné que les patients allochtones se présentent souvent avec une combinaison de problèmes psychiques, relationnels, sociaux, financiers,
juridiques et physiques, les thérapeutes ont l’impression que la situation est désespérée et que
les chances de succès sont infimes.
Dans plusieurs pays, on essaye d’accroître l’accessibilité et la qualité des soins de santé mentale en faisant intervenir des médiateurs interculturels ou des interprètes. L’objectif est de lever
la barrière linguistique et culturelle et de favoriser l’éclosion d’une relation de confiance avec le
client. Il n’y a cependant pas de consensus concernant le rôle précis de ces médiateurs interculturels ou interprètes. Selon certains, ils doivent se contenter de traduire les messages d’une langue
228
CHAPITRE 9.2
source à une langue cible, sans rien négliger ou ajouter. Dans la littérature, cette approche est
qualifiée de ‘machine à traduire’. Ses détracteurs affirment qu’elle n’est pas applicable lorsqu’il
n’existe pas de termes et de concepts équivalents dans les langues traduites. Dans pareil cas,
l’interprète doit assumer un rôle plus actif. Il doit décrire les termes et les concepts pour lesquels
il n’existe pas d’équivalent et dans certains cas expliquer leur signification précise. Le professeur
Joseph Kaufert, éminent spécialiste dans ce domaine, a introduit dans ce contexte le terme de
‘courtage interculturel’. Le médiateur interculturel ou interprète explique la culture de l’hôpital
au patient et explique le monde du patient au soignant. Cela peut se faire dans le cadre d’une
séance d’interprétation mais aussi en dehors, durant une concertation avec le thérapeute par
exemple. Les partisans de ce rôle plus large de l’interprète – et dans ce cas, on utilisera souvent
le terme de médiateur interculturel – estiment qu’il doit attirer l’attention du thérapeute sur
les facteurs culturels pertinents pour l’interaction avec le client: la difficulté qu’il peut y avoir à
aborder certains thèmes de façon directe, par exemple, ou la tendance à répondre affirmativement à une question du thérapeute, par respect pour lui.
Plusieurs auteurs vont encore plus loin et voient l’interprète ou le médiateur interculturel
comme un co-thérapeute. Il participe au déroulement de l’entretien en posant aussi des questions et prend en charge une partie de la thérapie. Mudarikiri (dans Tribe & Raval, 2002) est partisan d’une approche où l’interprète, le psychothérapeute et le client ont tous trois l’occasion de
jouer un rôle actif et équivalent durant le contact thérapeutique. Dans ce cas, il considère l’interprète comme une catégorie spéciale de thérapeutes bilingues.
Lors de conférences scientifiques, il n’est pas rare d’assister à de vives confrontations entre
partisans de différentes approches d’interprétation et de médiation interculturelle dans les soins
de santé. Il est frappant de constater qu’il n’existe pour ainsi dire pas d’étude prouvant qu’une
approche serait plus efficace que l’autre. De telles discussions se limitent dès lors à un échange
d’opinions et de sentiments sans véritable base empirique.
Dans le domaine de l’interprétation médicale – il existe peu de littérature sur l’interprétation
dans le domaine spécifique des soins de santé mentale – prévaut l’opinion selon laquelle un interprète ne peut se contenter de traduire. De plus en plus de spécialistes (Bancroft, 2005) sont
d’avis qu’il a aussi un rôle de ‘courtier interculturel’ à jouer. Que l’interprète ne remplisse que le
rôle de machine à traduire est considéré comme irréaliste et même indésirable. Bot (2004) fait
remarquer que se limiter à pareil rôle peut donner une impression de froideur et créer une distance susceptible de compromettre l’entretien thérapeutique. Dans des textes consacrés à l’interprétation dans les soins de santé mentale, on insiste également sur l’importance des signifiants
liées à la personne de l’interprète, qui peuvent avoir un impact considérable sur le déroulement
de l’entretien et de la thérapie. Quelles sont les implications pour le travail thérapeutique et le
rôle du médiateur interculturel ou de l’interprète? C’est un thème qui ne fait pas l’unanimité.
Mudarikiri et Raval (tous deux dans Tribe & Raval, 2002) sont d’avis qu’il doit être intensivement
impliqué dans l’exploration des modèles explicatifs du client et qu’il a également un rôle à jouer
dans la recherche de solutions culturellement acceptables.
En Belgique, plusieurs initiatives ont vu le jour dans le but de rendre la médiation interculturelle et l’interprétation plus disponibles dans les soins de santé mentale. Il existe d’ailleurs pas
mal de confusion concernant les différences entre médiateurs interculturels et interprètes. Cela
est dû en grande partie au fait que la notion d‘interprétation est comprise différemment selon
les organisations. En Flandre, les interprètes sociaux – qui travaillent parfois aussi dans les soins
de santé mentale – se conforment étroitement au modèle de la machine à traduire. Du côté
229
C U LT U R E E T S O C I E T E
francophone, on remarque que des organisations comme le CIRE Interprétariat donne à l’interprète un rôle plus étendu, qui s’apparente fort à la médiation interculturelle.
La Cellule Médiation interculturelle du SPF Santé publique est responsable de l’accompagnement de la médiation interculturelle dans les hôpitaux. Une description détaillée de la tâche a
été élaborée dans ce cadre. Outre l’interprétation, les médiateurs interculturels sont supposés
remplir la fonction de ‘courtier interculturel’, apporter de l’aide concrète et un soutien émotionnel aux patients, et signaler les points critiques de l’aide aux patients allochtones individuels
et aux allochtones en tant que groupe. Idéalement, cela débouche sur une concertation où
le médiateur interculturel et le thérapeute cherchent ensemble des solutions (culturellement
adaptées). Enfin, ils défendent la dignité du patient lorsque celle-ci vient à être compromise.
Contrairement aux interprètes, les médiateurs interculturels voient les patients aussi en l’absence
de thérapeute, par exemple lors d’une visite en chambre. Les médiateurs interculturels sont, contrairement à la plupart des interprètes, des employés de l’hôpital, ce qui les rend aisément disponibles.
Que ce soit en matière de médiation interculturelle ou en matière d’interprétation dans les
soins de santé mentale, nous ne disposons pas encore de suffisamment d’expérience pour tirer
des conclusions et adopter une méthode ‘idéale’. A l’instar de Bot (2004), nous voulons dès lors
plaider pour que soignants, médiateurs interculturels et interprètes entament un dialogue sur la
professionnalisation ultérieure de leur collaboration commune. La Cellule Médiation interculturelle prendra dans un avenir proche des initiatives permettant de stimuler un tel échange dans
les hôpitaux psychiatriques où travaillent des médiateurs interculturels.
BIBLIOGRAPHIE
–
–
Bancroft M. The Interpreter’s World Tour. The California Endowment, 2005.
Bot H. Werken met tolken in de geestelijke gezondheidszorg, een nieuwe gespreksvorm. Tijdschrift Klinische
Psychologie 2004; 34 (3): 129-136.
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Tribe R en H.Raval (eds.). Working with interpreters in mental health.Hove (East Sussex): Brunner-Routledge, 2002:
XIII + 270.
–
Verrept H. Interculturele bemiddeling in de gezondheidszorg. Cultuur & Migratie 2000/2001, 18 (2): iv + 163.
–
De rol van cultuur bij het medisch tolken. Cultuur, Migratie en Gezondheid 2004; 1: 44-49.
Site internet de la Cellule Médiation Interculturelle:
http://www.health.fgov.be/vesalius/devnew/NL/prof/thema/intercult/index.htm (Néerlandais)
http://www.health.fgov.be/vesalius/devnew/FR/prof/thema/intercult/index.htm (Français)
C O N TA C T S :
Hans Verrept, Responsable de la Cellule Médiation interculturelle
SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement
Eurostation, place Victor Horta 40/10, 1060 Bruxelles
Tél: 02.524.86.07
E-mail: [email protected]
230
L’expérience de personnel soignant
d’origine turque et maghrébine
MOHAMMED EMJAHED, AIDE-SOIGNANT
SOULEF ZAIOUR, PSYCHOLOGUE
CLINIQUE SANATIA, SAINT JOSSE
Nous avions constaté lors de prises en charge de patients d’origine étrangère, particulièrement turque et maghrébine, une certaine difficulté dans l’interaction entre les patients, leurs
familles d’une part et le milieu psychiatrique et psychologique, d’autre part. Notons que 30 à
40 % des patients hospitalisés ou rencontrés à la consultation de notre clinique sont d’origine
turque et maghrébine.
Cette difficulté d’interaction nous est souvent parue liée à 4 facteurs essentiels que sont:
– La barrière de la langue.
– La représentation de la maladie mentale, encore très imprégnée par la tradition et la culture
d’origine.
– La notion de tabou qui touche à tout ce qui a trait à la maladie mentale et au domaine
psychiatrique dans ces deux communautés.
– La difficulté qu’expriment des soignants à faire accepter les règles et la prise en charge
institutionnelle (concernant les visites, traitements, sorties, etc.)
Les problèmes liés à ces quatre facteurs, loin d’être entièrement résolus, nous semblent néanmoins atténués, ces quelques dernières années, notamment grâce à la présence au sein de notre
clinique de personnel infirmier, aide soignant, psychologue et médiatrice culturelle, eux-mêmes
d’origine turque et maghrébine.
En effet, en ce qui concerne la langue, il est donné au patient hospitalisé ou consultant à la
clinique la possibilité de s’exprimer dans la langue turque, arabe ou berbère. Ceci nous a souvent
facilité la prise de contact avec les patients et leurs familles. Dans un domaine comme la psychiatrie, où la parole tient une place extrêmement importante, nous pensons bénéfique pour la prise
en charge que ces personnes expriment leurs souffrances et leurs inquiétudes dans la langue de
leur choix (aller-retour entre les deux langues).
Longtemps, des patients d’origine turque et maghrébine, et parfois leurs familles et entourage, ont exprimé leur difficulté à dire leur conception de la maladie mentale et la façon dont ils
tentent de la guérir. La sorcellerie, l’envoûtement, le mauvais œil, la consultation des guérisseurs
traditionnels, etc. restent des thèmes relativement difficiles à avouer à un soignant n’appartenant pas à la même origine, nous confient certains patients et leurs familles. Ceci par crainte
‘d’être considéré comme fou’, ‘de ne pas être pris au sérieux’ ou ‘de ne pas être compris’.
231
C U LT U R E E T S O C I E T E
L’importance du personnel soignant de la même origine que le patient consiste, dans ces cas,
à traduire et à transmettre le discours de ce dernier au reste de l’équipe, et à servir de ‘référent
culturel’ afin de mieux cerner la problématique et adapter la prise en charge si nécessaire (par
exemple la prise du traitement pendant le mois de Ramadhan, l’autorisation de sorties de l’hôpital lors de fêtes religieuses, etc.). Son rôle est également de faire saisir au patient l’importance de
sa parole, dans le processus thérapeutique, et dans l’établissement d’une relation de confiance
avec les soignants et avec l’institution.
La relation de confiance envers l’institution est rendue d’autant plus difficile qu’il existe au
sein des communautés turques et maghrébines la notion de tabou liée au domaine psychiatrique. La crainte d’être stigmatisé et étiqueté ‘fou’ est considérable. La présence de personnel et
de soignants de la même origine que les patients semble néanmoins réduire le clivage qui existe
entre les institutions psychiatriques et l’ensemble du domaine de la santé mentale d’une part,
et les communautés turque et maghrébine d’autre part. C’est d’ailleurs dans ce sens que notre
clinique, avec l’aide d’une infirmière d’origine turque et d’une médiatrice interculturelle-psychologue d’origine algérienne, a tenté l’expérience d’inviter de nombreuses associations culturelles
turques et de les faire participer à notre projet de groupe de parole et d’accueil pour familles et
entourage de personnes d’origine turque et maghrébine souffrant de problèmes psychiatriques.
Ces associations culturelles tentent de nous servir de relais avec les populations. Elles confirment la réticence de ces dernières à faire le pas vers les institutions psychiatriques et les aides
psychologiques. Ceci semble d’ailleurs expliquer la difficulté que nous rencontrons dans la constitution du groupe de parole au sein même de notre clinique, et ce malgré notre conviction et
celle des associations rencontrées, de l’utilité d’un lieu où ces familles partageraient non seulement la même langue et la même appartenance socioculturelle mais également la même souffrance liée aux problèmes psychiatriques et psychologiques d’un des leurs.
Le résultat d’une réflexion et d’un échange communs avec les associations culturelles nous
a conduit à penser la suite de notre projet de manière telle que ce soit nous qui allions vers ces
populations, avec l’aide de notre personnel de la même origine, et les informions de notre existence et des possibilités d’aide que nous offrons. C’est donc dans ce cadre que les associations
culturelles nous invitent dans leurs établissements à donner des conférences et des séances d’information sur des thèmes tels que les maladies psychosomatiques, la toxicomanie, etc. et nous
mettent par ce biais là en contact avec leur population.
Le rôle du personnel d’origine turque et maghrébine au sein de notre clinique est important
et sa position est délicate. Il doit pouvoir participer à une prise en charge multidisciplinaire du
patient en créant des relais avec les autres soignants, grâce aux avantages que lui confère sa connaissance de la langue et sa proximité culturelle avec le patient. Cependant, ces atouts ne sont
bénéfiques que si l’on reste attentif tout au long du parcours hospitalier du patient, à la bonne
distance ou la bonne proximité culturelle que le soignant doit pouvoir offrir. C’est dans des cas
de trop grande proximité, par exemple, qu’on voit le patient disqualifier l’institution et les autres
soignants.
Avec du personnel d’origine turque et maghrébine participant à part entière au projet thérapeutique de l’institution, peut-être verrait-on s’amoindrir, voire disparaître, ce sentiment d’inégalité dans les soins, parfois même de racisme, qu’évoquent certains patients et leurs familles
issues des deux communautés.
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CHAPITRE 9.2
C O N TA C T S :
Clinique Sanatia, rue du Moulin 27, 1210 St Josse.
Tél: 02 211 00 40
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Quels soins de santé mentale pour des
personnes en situation illégale ou précaire?
MYRIAM VAN VINCKENRODE
MEDISCH ORIENTERINGSPUNT ‘SANS PAPIERS’
La société a le devoir d’assumer ses responsabilités en matière de soins de santé envers ses
citoyens. Nous définissons la santé, à l’instar de l’OMS, en ces termes: ‘a state of complete physical, mental and social well-being’. Dans la pratique, la priorité est cependant souvent accordée à
l’aspect physique de cette description.
Les services de soins de santé mentale sont de plus en plus souvent sollicités par des allochtones, des demandeurs d’asile, des réfugiés, bref par un groupe-cible que l’on peut qualifier
d’‘ethniquement et culturellement différent’. Si le terme ‘ethnique’ fait référence à une identité
liée au sol et à l’origine, l’expression ‘culturellement différent’ indique que chaque personne a sa
propre culture, sa propre religion, un statut social ou un niveau de formation spécifique.
Ce groupe-cible de personnes ‘ethniquement et culturellement différentes’ comporte des
réfugiés et des demandeurs d’asile qui arrivent en Belgique sous les statuts les plus divers et y
séjournent parfois un certain temps. Il n’est pas évident pour eux de s’y retrouver dans l’offre de
soins qui leur est destinée. On constate pourtant qu’un grand nombre d’entre elles connaissent
de sérieux problèmes de santé mentale.
Il y a d’une part des problèmes psychiques et psychiatriques graves tels que nous en connaissons ici aussi, et d’autre part, des problèmes en rapport avec la situation dans le pays d’origine
(raison de la migration), ou encore liés à la fuite proprement dite, et à l’arrivée et au séjour dans
notre pays. Perte, renoncement, méconnaissance, peur, dépression,… peuvent être regroupés
sous le terme ‘traumatisme’. S’il n’y a pas toujours de lien exclusif entre la problématique des
réfugiés et certains traumatismes, ils vont cependant souvent de pair ; ceci nous amène sur le
terrain des soins de santé mentale.
De façon générale, il est clairement établi que:
– nous avons affaire à des personnes ‘ethniquement et culturellement différentes’ envers
lesquelles l’ensemble des services de soins de santé mentale doit prendre sa responsabilité ;
– nous avons affaire à un groupe problématique spécifique pour lequel il faut formuler et
organiser des réponses spécifiques ;
– cela ne peut se faire que dans le cadre de partenariats (services de soins en santé mentale et
plus largement tout le secteur des soins de santé et des affaires sociales).
234
CHAPITRE 9.2
Quelle aide?
L’aide aux personnes en séjour illégal ou précaire est complexe. Elle requiert des connaissances dans plusieurs domaines difficiles, qui ne sont pas abordés de manière spécifique dans les
formations. Les compétences qui se développent petit à petit dans le secteur ont été acquises par
l’expérience:
– les intervenants doivent savoir beaucoup, voire tout, sur le cadre juridique de la situation de
séjour de ces personnes, sur les procédures (de demande d’asile et autres) et sur les possibilités
d’appel ;
– la communication pendant les entretiens est loin d’être évidente: les deux parties parlent
généralement une autre langue que leur langue maternelle. Parfois l’aide d’un interprète est
nécessaire, ce qui ralentit et complique la communication ;
– la demande d’aide des réfugiés est généralement urgente, ce qui demande beaucoup de flexibilité au thérapeute, les limites étant davantage fixées dans ce cas par le demandeur que par
le thérapeute ;
– originaires d’autres cultures, les clients voient souvent les choses autrement que nous et donnent d’autres significations aux événements. Le thérapeute devra consentir un effort supplémentaire pour comprendre et aura plus de peine à construire la relation d’aide ;
– la procédure de demande d’asile est déjà un élément traumatisant en soi pour les réfugiés.
Les intervenants ont besoin de suffisamment de connaissances sur la question des traumatismes pour pouvoir apporter une aide adéquate ;
– l’aide aux personnes en séjour illégal ou précaire s’opère dans un environnement généralement peu accueillant aux réfugiés et aux étrangers, d’une part en raison du manque de
moyens au sein des organisations qui s’en occupent, d’autre part en raison du fait que les
réfugiés et les personnes en séjour illégal ressentent plutôt la société comme une menace. Les
intervenants ressentent souvent beaucoup d’impuissance face aux réfugiés.
A cela s’ajoute que la législation exclut en grande partie les demandeurs d’asile et les personnes en séjour illégal des services de soins de santé mentale. En Flandre, les Centra voor Geestelijke Gezondheid (Centres de Santé mentale) jouent dès lors un rôle crucial, car ils sont les plus
accessibles à ce groupe cible.
Soutien aux thérapeutes
On observe que le secteur des soins de santé mentale s’ouvre progressivement à la problématique des personnes en séjour illégal ou précaire. Plusieurs initiatives ont été prises en vue de
soutenir et de promouvoir une aide efficace.
Ainsi, afin de répondre au besoin de connaissances en matière de procédures, de statuts,
etc., l’Oriëntatiepunt Gezondheidszorg Oost-Vlaanderen, en collaboration avec d’autres
points d’appui médicaux (Anvers, Bruxelles, Flandre occidentale), la Croix Rouge et le Vlaams
Minderhedencentrum (Centre flamand des minorités), élabore une brochure contenant des
informations claires sur les possibilités juridiques/financières/administratives au sein des soins de
santé pour ce groupe cible.
La langue et l’aspect verbal de la thérapie constituent une pierre d’achoppement importante.
Lorsque le client ne parle aucune des langues nationales, le thérapeute a pour ainsi dire perdu
son outil de travail. Il doit à la fois s’engager pleinement et adapter sa méthode pour pouvoir
235
C U LT U R E E T S O C I E T E
travailler. Il peut aussi faire appel à un interprète. Les interprètes n’ont cependant aucune formation thérapeutique et sont souvent ‘submergés’ par la problématique du client.
Le service d’interprètes de la Province de Flandre orientale a mis au point trois brochures
s’adressant respectivement aux interprètes, aux utilisateurs et aux clients. Leur contenu s’est
inspiré des pratiques de l’interprétariat social, dont la structure se base elle aussi sur l’entretien
concret. On y décrit plusieurs pièges de l’interprétariat social, on y donne des conseils concrets,
applicables entre autres dans un cadre thérapeutique.
Enfin, l’asbl Solentra a été créée au sein du service de pédiatrie de l’hôpital AZ-VUB, en avril
2005 ; elle offre un service d’assistance téléphonique pour les questions relatives à l’accompagnement psychosocial des réfugiés mineurs (en séjour illégal ou non) et de leurs familles. Deux
psychologues pour enfants y répondent aux questions portant sur l’interprétation de certains
signaux, sur les troubles comportementaux et sur la problématique affective de ces enfants.
BIBLIOGRAPHIE:
–
Visietekst – GGZ voor etnisch-cultureel anderen & in het bijzonder voor vluchtelingen; Jos Lievens. Goede praktijkvoorbeelden uit de hulpverlening aan vluchtelingen. Praktijkhandboek. Pp 13-20. FDGG, 2005.
–
–
Psychosociale hulpverlening voor vluchtelingen en mensen zonder papieren. Lieve Geukens. CAW De Mare.
Hoe en Waarom. Aanbevelingen voor sociale tolken / voor hulp- en/of dienstverleners / voor cliënten. Raïssa De
Keyzer. Provincie Oost-Vlaanderen, Dienst Welzijn en Gezondheid, 2005.
C O N TA C T S :
Oriëntatiepunt Gezondheidszorg Oost-Vlaanderen
Dok Noord 4 - gebouw 25, 9000 Gent
Tél: 09 267 66 46 (9-12 u)
Fax: 09 267 66 44
E-mail: [email protected]
www.orientatiepunt.be
236
Mémoire collective, exil et appartenances
NOUNÉ KARA KHANIAN,
PSYCHOLOGUE CLINICIENNE À LA CLINIQUE DE L’EXIL, NAMUR.
Les personnes que nous recevons en consultation à la Clinique de l’Exil ont fui des pays marqués par la guerre, la persécution, la dictature ou le génocide. La plupart d’entre elles ne veulent
pas parler des atrocités subies ou vues. Elles veulent oublier, tourner la page, reconstruire une
vie. Mais la caractéristique des souffrances psychotraumatiques est que le souvenir brut de l’événement revient de manière envahissante, par les sens, la douleur physique, la reviviscence, les
cauchemars, et parfois, l’hallucination. Ces personnes ne peuvent pas oublier. Leurs nuits sont
hantées.
Pourquoi il faut reconnaître les génocides
Selon Janine Altounian1, essayiste française, ‘Les survivants d’un génocide sont dans un état
d’errance où ils ne peuvent comprendre la douleur qu’ils portent en eux et qui ressemble à ces
angoisses autistiques où ne subsistent pas la moindre image, le moindre sentiment, le moindre
mot’.
Le génocide provoque une défaillance du processus de symbolisation, base de la construction
de tout sujet. La plupart des personnes forcées de quitter leur patrie ne viennent pas seulement
pour elles, mais viennent pour témoigner, au nom des parents restés au pays, au nom des morts,
au nom des ancêtres. En raison de l’absence de reconnaissance collective des dommages subis par
toute une génération, il y une souffrance collective. C’est pour cela que les Juifs, les Arméniens,
les Kurdes, les Rwandais, les Indiens des Andes réclament un devoir de mémoire au nom de leur
peuple que l’histoire n’a pas épargné, comme tant d’autres minorités dites ethniques ou religieuses à travers le monde, qui forment une diaspora. L’absence de reconnaissance est traumatique,
plus que l’événement lui-même.
Le trauma est le modèle d’une mémoire amnésique dont l’agir continue l’action perdue. Le
silence sur les souffrances du passé et sur celles des parents entraîne souvent des difficultés de
construction de l’identité dans la génération qui suit. La transmission est mise à mal, et cela se
traduit par des difficultés conjugales, de la violence, des passages à l’acte chez les adolescents de
migrants. Pour prévenir la répétition du cycle de la violence, un espace de reconnaissance doit
être possible. Pour ces communautés de la diaspora, se pose dès lors la question du recours au
recueil de témoignage ‘afin que l’on n’oublie pas’.
237
C U LT U R E E T S O C I E T E
Soigner le lien social
Dans l’aide aux personnes victimes de violence organisée, lorsque les lois fondamentales de
l’humanité ont été bafouées, l’aide psychologique s’accompagne nécessairement d’une reconstruction du lien de confiance dans l’autre. Car le point commun entre ces personnes est que,
pour toutes, au-delà des souffrances individuelles, c’est avant tout le lien social qui a été blessé.
C’est donc ce lien qu’il faut d’abord soigner.
Nous pensons que les situations de trauma et de deuil des réfugiés demandent une adaptation de nos modalités classiques d’intervention clinique: ne pas stigmatiser, ne pas séparer la
souffrance individuelle de la souffrance collective, ne pas toucher au trauma tant que la personne vit dans des conditions de survie, ne pas toucher au ‘deuil congelé’2 sans faire le lien avec
le reste de la communauté ou de la famille. ‘Les modèles occidentaux d’intervention psychologique sont inadéquats parce qu’ils considèrent la souffrance comme intérieure à la personne ; or le
traumatisme collectif est une réaction normale à une situation extrême qui leur est externe.’ Psychologiser’ c’est traiter la personne comme si elle réagissait anormalement. Et traiter individuellement c’est considérer qu’il s’agit d’une affaire personnelle, alors qu’il s’agit d’une souffrance
collective…’. (J-C.Metraux)3
Des méthodes thérapeutiques nouvelles se sont développées, individuelles et collectives, comme par exemple les groupes de parole de veuves du Rwanda. Comme René Kaës4, nous pensons
qu’un dispositif de groupe vient soutenir leur travail d’élaboration des expériences traumatiques.
Le groupe offre une médiation pour ce qui est non symbolisable ; il est ‘un espace d’accueil de ce
qui fut hors lieu, hors temps et hors lien’.
L’importance du travail de groupe
Les situations extrêmes ont des effets sur l’organisation psychique des individus, des effets sur
les familles, sur les liens parents-enfants, et particulièrement mères-enfants. C’est pourquoi nous
avons axé l’une de nos approches sur les mamans réfugiées avec leurs enfants (0-6 ans), en leur
proposant un lieu psychosocial et pluriculturel de rencontre qui constitue une enveloppe de soutien à la relation mère-enfant et un lieu de parole groupal.
Nous proposons aussi des groupes de parole, d’entraide et de témoignage basés sur l’approche biographique. A partir du témoignage de la propre histoire de chacun, nous tentons de comprendre ensemble comment se reconstruit l’identité en situation d’exil et comment il est possible
de surmonter l’épreuve de l’exil forcé. L’intervention psychosociale consiste à créer un espace
intermédiaire à la fois culturel et psychique: ‘A partir du groupe, l’espace thérapeutique est
conçu comme une fonction d’entre-deux, comme un sas, qui permet une relation où une souffrance liée à la rupture d’identité peut s’exprimer, peut être contenue, peut être transformée par
la pensée et, ainsi peut être rendue tolérable’. (Paul Jacques)5
Le dispositif de groupe basé sur la mise en commun des histoires singulières permet de reconstruire un sens alors qu’une démarche individuelle rend cette reconstruction plus difficile. Nous
partons de l’idée qu’une meilleure connaissance de la façon dont la société et l’histoire collective
nous influencent permet d’agir sur la société et sur notre devenir singulier, et d’avoir un effet
préventif pour les générations suivantes. Le travail en groupe sur chaque récit de vie singulier
produit une meilleure connaissance du lien entre processus sociaux et processus psychiques, à
l’aide d’hypothèses élaborées collectivement. Le dispositif de groupe centré sur le récit de vie
238
CHAPITRE 9.2
a pour but de tenter de se réapproprier l’histoire collective pour mieux se situer comme être
singulier, sans pour autant être en rupture avec ses origines ou sa communauté.
‘Seule la mémoire externe, à travers la justice, à travers le mémorial collectif, peut protéger
contre la répétition de l’horreur.’
INFO
L’équipe spécifique ‘Clinique de l’Exil’ de la Province de Namur a été créée en 2000. Il s’agit d’un service de consultation psychologique transculturelle. Ce projet prévoit:
–
la clinique transculturelle (en réseau), plus spécifiquement auprès des réfugiés et demandeurs d’asile victimes des
violences organisées,
–
des interventions de type psychosocial ou groupal visant la création ou le renforcement d’étayages au niveau du
lien social afin de faciliter la reconstruction psychique,
–
l’appui au réseau, via l’organisation de séminaires, la sensibilisation et le renforcement des synergies.
RÉFÉRENCES:
1. Altounian J, (2000) La survivance Traduire le trauma collectif, 2000, Dunod
2. Celui qui est en exil ne peut pas faire le deuil tant que sa communauté d’origine, sa famille restée au pays, n’est
pas en sécurité. C’est ce qu’on appelle le phénomène du ‘deuil congelé’.
3. Métraux J-C, 1997, Médécine et Hygiène, N 55 pp 622-626
4. Kaës R, (2000) Postface, Traduire les restes, écrire l’héritage, p 182
5. Jacques P, (2001), Trauma et Culture, in Cahiers de Psychologie Clinique, 2001 (vol 2), N° 17 Mens sana
C O N TA C T:
Clinique de l’Exil Namur, rue Château des Balances 3, 5000 Namur
Tél: 081 73 67 22
Fax 081 87 71 23
239
Les ‘Enfants dotés d’une seconde peau’
La résilience, une clé pour l’accueil des
mineurs en exil
STEFAAN PLYSIER,
PSYCHOLOGUE, ASBL INDOMO
Les débuts du projet ‘Enfants dotés d’une seconde peau’
En 2002, l’asbl InDomo (Institut pour le développement durable de l’homme et de l’organisation) a lancé le projet ‘Kinderen met een tweede huid’ (‘Enfants dotés d’une seconde peau’).
Nous avions été interpellés par des questions émanant d’intervenants du secteur de l’aide sociale
et de l’enseignement, qui étaient entrés en contact avec la population, nouvelle pour eux, des
mineurs en exil. Impressionnés de voir à quel point ces enfants portaient sur eux tout le poids de
leur court passé, ils étaient nombreux à se demander comment se comporter avec ce ‘nouveau
type d’enfants’. Que faire avec des enfants probablement encore sous le coup d’expériences vécues en temps de guerre? Comment réagir face à des enfants désorientés par notre mode de vie
occidental, inconnu pour eux? Comment s’y prendre avec un enfant habitué à utiliser la violence
pour atteindre son but? Il nous a semblé que le caractère réellement problématique de ces questions avait pour conséquence que l’on cherchait des réponses à l’intérieur d’un cadre de références ‘pathologiques’, ce qui focalisait l’attention uniquement sur leurs dysfonctionnements.
La Gestalt Theorie, sur laquelle se fonde l’action de l’asbl Indomo, nous a incités à réfléchir à
une approche plus large, à retourner le problème,… ce qui nous a menés à de nouvelles questions: qu’est-ce qu’un mineur en exil a à gagner et à perdre dans son nouveau milieu de vie?
Quelles possibilités et quelles limites le nouveau biotope offre-t-il pour la croissance de l’enfant?
Aider l’enfant dans la recherche d’une nouvelle identité est alors devenu le point central de
notre démarche. Un individu qui grandit au sein de sa famille et de sa culture, avec certaines
convictions, hérite d’un cadre de pensée à partir duquel il comprend le monde. A ce cadre de
pensée correspond une identité qui lui permet de comprendre ses propres faits et gestes. Mais
l’identité et la vision du monde d’un mineur en exil sont souvent sérieusement mises à mal.
De plus, cette vision du monde est souvent fortement remise en question par nos conceptions
occidentales.
Les mineurs en exil ne comprennent pas la langue de leur pays d’accueil, ne connaissent pas
les nouveaux usages et les nouvelles règles… Or, pour un enfant, être placé systématiquement
face ses lacunes et à ses incompétences génère rapidement un sentiment d’infériorité. Il commence alors à se demander ce qu’il fait là, et si tout cela a un sens. Alors que chacun sait que
240
CHAPITRE 9.2
l’accompagnement pédagogique d’enfants nécessite une solide base de confiance, les mineurs
en exil ont souvent l’impression qu’ils représentent une charge pour l’entourage.
Enfants résilients
L’expérience montre que certains enfants acceptent assez facilement l’exil. L’assimilation de ce
qui s’est passé avant ou pendant la fuite, de même que la confrontation à la nouvelle culture, se
déroulent étonnamment bien chez eux. Mais ce n’est pas le cas de tous les enfants qui arrivent
chez nous. Certains ne parviennent pas à sortir d’une sorte de torpeur qui risque de compromettre toute croissance émotionnelle ultérieure. D’autres vont retrouver des comportements
‘d’avant’ qui leur donnent un sentiment de sécurité mais qui préoccupent l’entourage.
Qu’est-ce qui fait que tel enfant éprouve tellement de difficultés alors que pour tel autre,
l’exil n’entraîne pas de problèmes importants? Dans un premier temps, on a pensé que d’éventuelles expériences traumatisantes dans le pays d’origine pouvaient expliquer ces différences.
L’étude approfondie du passé d’un certain nombre de ces enfants a cependant infirmé cette
hypothèse. Bien que dans plusieurs cas exceptionnels, le passé ‘guerrier’ a un impact incontestable sur le fonctionnement dans le pays d’accueil, il s’avère en général que le lien entre le bon
fonctionnement actuel et le passé dans le pays d’origine n’est pas si univoque. Il fallait donc
chercher la cause autre part.
Dans notre recherche sur les causes du fonctionnement adéquat ou non de mineurs en exil
dans leur nouvelle culture, notre attention a été attirée par le concept de résilience. La faculté
qu’a une personne de réagir dans une situation stressante est en grande partie déterminée par
la résilience dont cette personne dispose. Le degré de résilience serait universellement déterminé
par la conjonction d’une série de composantes telles que l’endurance, les aptitudes sociales, la
confiance en soi et l’humour. Plutôt que de nous focaliser uniquement sur le dysfonctionnement
et l’identité de l’enfant, nous avons donc analysé de plus près chacune de ces composantes chez
les mineurs en exil.
Le concept de résilience donne aux intervenants l’occasion de travailler en continu à l’accueil
de l’enfant même s’il ne présente pas à première vue de problèmes notables. L’intervenant n’a
donc pas besoin d’attendre que les premiers problèmes surgissent ou que la situation se dégrade
pour soutenir la croissance émotionnelle de l’enfant. En d’autres mots, on ne raisonne plus à
partir d’un cadre de références ‘pathologiques’ mais bien d’un cadre focalisé sur la promotion de
la santé. Cette méthode permet aussi de placer l’enfant dans une position saine et positive plutôt
que dans la position de ‘celui qui crée des problèmes’.
Travailler à un entourage résilient
Mais comment accroître la résilience d’un mineur en exil? Lors de supervisions avec des intervenants, nous avons réfléchi à des moyens de renforcer la résilience chez un mineur en exil. Il
nous est apparu que deux étapes étaient nécessaires dans ce processus.
– D’abord nous avons appris aux intervenants à ‘photographier’ la résilience actuelle de l’enfant. Ce n’est pas nécessairement facile à déterminer. Comment voir s’il se sent accepté sans
réserve dans son nouvel environnement? Peut-il relativiser sa situation actuelle ou la perçoit-il
plutôt comme sans issue? A-t-il l’impression qu’il peut apporter quelque chose à ses camarades ou se voit-il plutôt comme une charge pour eux?
241
C U LT U R E E T S O C I E T E
– Ce n’est qu’après avoir quelque peu éclairci ces questions, et d’autres encore, que nous avons
cherché, dans une deuxième étape, les moyens d’accroître la résilience présente chez ces
enfants. Pour cela, nous sommes une nouvelle fois partis des instruments dont disposent les
intervenants. Comment faire sentir à un enfant qu’il est inconditionnellement bienvenu?
Comment donner un sens à son exil? Comment lui faire comprendre qu’il représente quelque
chose pour ses camarades de classe?
Notre quête de moyens permettant de renforcer la résilience de mineurs en exil se poursuit.
En collaboration avec les intervenants qui travaillent avec des enfants en exil, nous nous efforçons sans cesse d’élaborer de nouvelles méthodes visant à accroître leur résilience. L’accompagnement de nos intervenants s’avère ainsi plus que jamais un programme préventif. Il s’étendra
d’ailleurs bientôt aux intervenants qui travaillent avec des adultes en exil. La résilience n’est en
effet pas une donnée statique mais quelque chose qui évolue tout au long de la vie.
Travailler à la résilience de chaque mineur en exil plutôt que se focaliser sur ses dysfonctionnements permet à chaque enfant de se défaire de l’étiquette d’enfant à problèmes. Cela donne
aussi aux intervenants la possibilité, à partir de leurs connaissances et de leurs aptitudes, de contribuer à l’accueil d’un enfant qui a quelque chose à offrir.
RÉFÉRENCE:
‘Kinderen met een tweede huid’ Stefaan Plysier, Garant, 2003
C O N TA C T S :
Stefaan Plysier, asbl InDomo
Tél: 02.219.94.41 et 0485.49.34.50
E-mail: [email protected]
www.indomo.be
242
Chapitre
Sensibiliser les médias à une couverture
respectueuse des questions de santé mentale
:: Introduction: Des médias libres mais responsables
Flip Voets, Raad voor de Journalistiek (Conseil du Journalisme)
:: Filmer des sujets en relation avec la santé mentale, une tâche délicate qui relève du défi
Dominique BURGE, RTBF
:: ‘Niet te vroeg’, le plan de communication de crise du Psychiatrisch Centrum Bethanië
Lutgart Van Dongen, Psychiatrisch Centrum Bethanië, Zoersel
:: Drôle d’histoire dans une école providentielle pour certains ... cauchemardesque pour
d’autres
Eliane de Rosen
:: Un Prix des Médias pour un reportage ‘responsable’ sur le sujet du suicide
Nico De Fauw , Karl Andriessen, Werkgroep Verder
9.3
1
Des médias libres mais responsables
FLIP VOETS
SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ET MÉDIATEUR DU RAAD VOOR DE JOURNALISTIEK
(CONSEIL DU JOURNALISME)
Les médias font-ils du tort à la santé mentale? Ou peuvent-ils au contraire contribuer au
bien-être de la population? Il n’est pas simple de répondre à ces questions. Les médias sont par
définition tellement ‘actuels’ que tout débat à propos de leur fonctionnement et de leurs conséquences risque toujours d’être dominé par le dernier scandale venu. Le débat risque alors de se
focaliser sur un incident précis et le fonctionnement plus fondamental des médias dans la société
passe alors à l’arrière-plan.
Ces derniers temps, on consacre indubitablement plus d’attention aux éventuelles conséquences nocives de certaines formes d’information ou de certains programmes télévisés controversés.
Songeons aux polémiques suscitées par des cas de non-respect de la vie privée par la presse, ou
par le lancement d’un nouveau ‘reality-show’. Les Pays-Bas, par exemple, ont réagi avec beaucoup d’émoi à la diffusion par une chaîne commerciale d’une série de reportages sur des quartiers à problèmes, reportages qui ont provoqué des bagarres dans les quartiers concernés.
Dans un environnement commercial, les médias stimulent en effet ce type de réactions, car
cela leur permet de capter encore davantage l’attention, autrement dit de faire grimper l’audimat ou d’augmenter les tirages. Et il est évident que l’on franchit à cet effet, de plus en plus
souvent, les frontières du bon goût. Mais cela ne veut pas dire que les médias en tant que tels
sont nocifs ; ce devrait en fait être le contraire.
Nous avons besoin d’information
Anthropologues et historiens ont montré que de tous temps et dans toutes les cultures, les
hommes ont partagé un même besoin d’information. Jadis, tribus et peuplades faisaient appel à
des éclaireurs qui étaient envoyés à l’autre bout de la colline, au-delà de la rivière ou à travers la
forêt. Ils étaient chargés de se faire une idée de ce qui s’y passait et d’en rendre compte le plus
exactement et le plus rapidement possible. Les hommes ont besoin de savoir ce qui se passe à
l’extérieur de leur champ visuel direct. Les informations que nous obtenons d’événements que
nous n’avons pas vécus nous donnent un sentiment de sécurité, de contrôle et de confiance. Sans
ces informations, nous ne pourrions tout simplement pas fonctionner.
Une des premières choses que nous faisons lorsque nous rencontrons des connaissances,
244
CHAPITRE 9.3
c’est échanger des nouvelles. Nous choisissons nos amis et jugeons les gens en fonction de leur
manière de réagir à l’information. Si nous ne recevons plus aucune information de l’extérieur,
nous ressentons un sentiment de malaise. Nous avons en effet besoin d’informations pour définir
notre position, pour être en mesure de distinguer l’ami de l’ennemi et pour organiser notre vie.
Démocratie, liberté d’expression et santé mentale
Dans la complexité de la société contemporaine, les informations dont nous avons tellement
besoin nous sont procurées en premier lieu par les médias. Ils jouent un rôle crucial, surtout dans
une démocratie, où chacun est supposé prendre part à la politique, au moins de manière représentative. Ce n’est que dans le libre échange d’idées qu’une démocratie peut fonctionner convenablement.
Pour pouvoir remplir leur rôle, les médias doivent être libres. La liberté d’expression, tout
comme la liberté de la presse qui en découle, constitue un des fondements de notre société. Elle
est ancrée non seulement dans notre Constitution, mais aussi dans la Convention européenne
des Droits de l’Homme. La Cour européenne des Droits de l’Homme a d’ailleurs abordé cette
liberté maintes fois dans sa jurisprudence et lui a donné une interprétation large. D’après la
Cour, la liberté n’a pas seulement trait aux ‘informations ou idées accueillies avec faveur ou
considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi à celles qui heurtent, choquent ou
inquiètent: ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est
pas de société démocratique’.
La liberté d’expression et la liberté de la presse doivent donc être pris dans le sens le plus
large possible. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elles sont illimitées. Tout comme les
autres libertés fondamentales, elles sont circonscrites par d’autres droits et intérêts de tiers. La
Convention européenne des Droits de l’Homme énumère d’ailleurs aussi les conditions auxquelles la liberté d’expression doit s’exercer. L’ingérence des autorités est possible – mais uniquement
possible – si elle est prévue par la loi, si elle est nécessaire dans une société démocratique et si
elle s’impose dans l’intérêt d’une valeur fondamentale telle que la protection de l’ordre public
ou la prévention de faits punissables. Ces conditions sont sévères, et la Cour européenne des
Droits de l’Homme a déjà rappelé plusieurs pays à l’ordre, dont la Belgique, parce qu’ils avaient
foulé aux pieds la liberté de la presse.
Même si, comme le disait Winston Churchill, la démocratie n’est pas la forme de société la
plus parfaite, elle est quand même la moins mauvaise. Peut-on en déduire que la démocratie est
ce qu’il y a de mieux pour la santé mentale? Il n’existe probablement pas de lien direct de cause
à effet entre démocratie et santé mentale. Après la chute du mur de Berlin, les pays de l’ancien
Bloc de l’Est se sont tous transformés rapidement en démocraties, qui fonctionnent plus ou
moins bien. Cette évolution s’est accompagnée pour beaucoup d’une augmentation de l’insécurité, du chômage, de l’alcoolisme et de la dépression. Dans nos pays occidentaux aussi, la presse
fait quotidiennement état du grand nombre de gens confrontés à des problèmes psychiques.
Mais dans une démocratie, au moins, ces phénomènes sont visibles. Ils sont décrits dans la
presse et peuvent donner lieu à des débats de société. Les décideurs politiques peuvent être interpellés à ce sujet et être amenés à prendre des mesures politiques. Auparavant, ce n’était pas
le cas en Europe de l’Est, ou en tout cas beaucoup moins. Souvenons-nous qu’après la chute de
Ceausescu en Roumanie, on a découvert des situations intolérables dans les orphelinats et les
245
C U LT U R E E T S O C I E T E
centres pour patients psychiquement perturbés, situations qui avaient été dissimulées pendant
des années.
Ces dernières années, l’attention à la situation juridique des victimes s’est considérablement
améliorée dans notre pays. Cela n’a été possible qu’à la suite de l’énorme médiatisation des problèmes impliquant les familles d’enfants disparus dans les années 90.
Des médias responsables
Une démocratie est donc le meilleur cadre qui soit pour pouvoir offrir de bons soins de santé
mentale. Et une presse libre est essentielle pour la démocratie, mais à une condition: elle doit
également prendre ses responsabilités vis-à-vis de la société. La liberté ne peut être illimitée, elle
doit s’exercer dans la pleine conscience du rôle social que joue la presse dans la société actuelle.
Elle doit dévoiler des faits, procurer des informations sur le contexte de ces faits et permettre aux
différentes opinions qui existent dans notre société de s’exprimer. Etant donné que l’ingérence
politique est en principe exclue chez nous, cette responsabilité repose dans une large mesure sur
les épaules de la presse elle-même. Ce n’est pas tant le droit, promulgué par les pouvoirs publics,
mais la déontologie, adoptée par les journalistes eux-mêmes, qui devra veiller à la qualité de
l’information.
Ces dernières années, l’intérêt pour la déontologie journalistique a considérablement augmenté, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monde de la presse. Jamais on n’a autant écrit et
publié à ce sujet. Cette évolution est sans conteste liée à des dérapages et à des maladresses journalistiques, mais aussi à une attitude de plus en plus critique du public. En Flandre, cet intérêt
accru a conduit en 2002 à la création d’un Conseil du Journalisme, où siègent des journalistes,
des représentants des éditeurs et sociétés de presse, et des membres externes. Le conseil traite
surtout des infractions à la déontologie. Mais il souhaite aussi, par le biais de ses jugements, devenir un forum permettant d’éclairer cette éthique professionnelle et de la développer.1
Les règles de bon journalisme existent évidemment depuis bien plus longtemps. En Belgique,
journalistes et rédactions reconnaissent deux textes fondamentaux. Le premier est la Déclaration
internationale des droits et devoirs du journaliste 2, ratifiée en 1971 lors d’un congrès à Munich,
le deuxième est le Code belge des principes journalistiques2, de 1982. A côté de cela, la plupart
des rédactions ont aussi leurs conventions déontologiques internes.
Tous les codes déontologiques partagent les mêmes grands principes, destinés à garantir une
information crédible. On y demande entre autres qu’un journaliste collecte ses informations sans
entraves, mais aussi de manière honnête, qu’il respecte ses sources et leur garantisse la confidentialité si nécessaire, qu’il diffuse des informations correctes et rectifie des informations erronées,
qu’il respecte la vie privée. Il s’agit évidemment de règles de base, qui sont détaillées dans des
conventions concrètes et qui servent de fil conducteur dans la pratique. Dans cette pratique,
il faudra souvent choisir entre l’importance fondamentale de la liberté de la presse dans une
démocratie d’une part, et d’autres intérêts d’autre part, comme l’intérêt de la santé mentale.
Quelques exemples d’initiatives en faveur de la déontologie
Depuis toujours, les médias s’intéressent beaucoup à ce qui ne va pas dans la société. Les bonnes nouvelles n’ont aucun intérêt pour eux ; c’est peut-être cynique mais c’est la vérité. La presse
246
CHAPITRE 9.3
remplit un rôle de chien de garde. La corruption et les situations intolérables doivent remonter
à la surface si l’on ne veut pas qu’elles continuent à se répandre et à détériorer davantage le
tissu social. Cela requiert de la presse une grande attention: on court en effet toujours le risque
que des gens et des organisations soient mis en cause à tort, ou que des informations sensationnelles donnent lieu à des problèmes inattendus. Les journalistes affectés aux affaires de justice
et de criminalité en sont bien conscients. Ces dernières années, tant chez nous qu’à l’étranger,
des personnes ont subi des ‘lynchages médiatiques’ alors qu’elles étaient innocentes. Se rend-on
suffisamment compte des dégâts que provoquent de telles informations, non seulement chez
les personnes directement concernées, mais aussi dans leur entourage? Et si, comme le montrent
de nombreuses études scientifiques, notre population est traversée par des sentiments de peur
et d’insécurité, c’est bien parce que l’abondante information diffusée à ce sujet laisse des traces
indélébiles.
Ce n’est évidemment pas une raison pour dissimuler les côtés obscurs de la société. Il importe
toutefois de rappeler les règles déontologiques d’application aux informations de ce type. Le
Conseil du journalisme a d’ailleurs pris quelques initiatives en la matière ces dernières années.
Peu après sa création, le conseil a été confronté à plusieurs questions et plaintes concernant
des informations relatives aux victimes de catastrophes, d’accidents et d’actes criminels. Conséquence de la concurrence croissante, journalistes et cameramen vont toujours plus loin dans leur
quête d’images ou de témoignages émotionnels lors d’événements choquants. C’est la raison
pour laquelle le Conseil a promulgué en 2003 une Directive sur les relations de la presse avec les
victimes. La directive recommande à la presse de faire preuve de réserve lors de la publication
des noms et coordonnées, lors de la diffusion de photos ou d’images de victimes. Dans sa quête
d’informations, la presse ne peut pas non plus exercer de pression inopportune sur les victimes
ou leur entourage. Enfin, elle est priée de couvrir les manifestations intimes, familiales ou funèbres avec respect, en tenant compte des souhaits des intéressés. Ces principes ont été rappelés
aux journalistes par le biais d’un dépliant, disponible aussi pour le grand public. De cette façon,
les victimes et leur entourage peuvent aussi apprendre à connaître leurs droits vis-à-vis de la
presse.
En 2004, le Conseil du journalisme s’est également impliqué dans une initiative de prévention
du suicide. La Belgique connaît un des taux de suicides les plus élevés en Europe occidentale.
Cette donnée ne peut pas laisser les médias insensibles. En collaboration avec l’association des
journalistes, et avec l’apport de quelques spécialistes, un dépliant a été diffusé parmi les journalistes avec des Recommandations relatives à l’information sur le suicide. On y attire l’attention
sur deux enjeux auxquels les médias sont confrontés. En premier lieu, on essayera, quelle que
soit l’importance du fait rapporté, de respecter la vie privée. Pas seulement la vie privée de la
personne suicidée, mais aussi celle de ses proches. En deuxième lieu, la presse tiendra compte
aussi du risque possible de ‘contagion’. On la prie de ne pas évoquer la méthode utilisée pour le
suicide, et de toujours resituer l’événement dans son contexte. Le dépliant a été traduit en français quelques mois plus tard par les services de la province de Liège.
Une troisième initiative a consisté en l’édition, en 2004 également, d’une brochure contenant
des Conseils pour les journalistes amenés à informer sur la maladie mentale: Tips voor journalisten in verband met de berichtgeving over psychisch ziek zijn. Cette publication est elle aussi
le fruit d’une collaboration entre l’association des journalistes et des représentants du secteur
concerné. La brochure contient surtout des informations concrètes et accessibles sur différents
troubles et maladies, dans le but d’éviter tout stéréotypage et stigmatisation dans l’information.
247
C U LT U R E E T S O C I E T E
Ces initiatives restent évidemment limitées, et le terrain de la maladie mentale est bien plus
vaste. Mais d’autres initiatives sont en cours. Elles prouvent que les journalistes sont bel et bien
conscients de leur responsabilité sociale. Une presse qui assume ses responsabilités sociales tient
compte des effets secondaires, parfois nocifs, de certaines informations, et essaie de les éviter.
Pour cela, il faut prendre connaissance de la déontologie journalistique et la respecter. Les journalistes travaillent de nos jours sous la pression du temps et la concurrence entre les médias fait
rage. Dans pareil climat, il est indispensable de le leur rappeler.
RÉFÉRENCES
1. Un conseil de déontologie journalistique est également en cours de constitution du côté francophone, mais cela
prend du temps….
2. Ces deux textes peuvent être téléchargés sur le site de l’Association des Journalistes Professionnels (AJP):
www.agjpb.be
C O N TA C T S :
Flip Voets, Secretaris-generaal Raad voor de Journalistiek
IPC, Résidence Palace, bloc C, 3217, rue de la Loi 155, 1040 Bruxelles
Tél: 02 230 27 17
E-mail: [email protected]
248
Filmer des sujets en relation avec
la santé mentale, une tâche délicate qui
relève du défi
DOMINIQUE BURGE,
JOURNALISTE RTBF
Depuis plus de 25 ans, je pratique le reportage/témoignage d’abord en presse écrite, ensuite
en radio, et actuellement en télévision. Ces changements de média sont liés aux opportunités
de la vie professionnelle, mais ce sont aussi de nouveaux défis journalistiques qui s’imposent
inconsciemment. Les sujets traités concernent le plus souvent la sphère médico-psycho-sociale.
Cette approche journalistique ne tient que par la qualité des personnes interviewées. Et la
difficulté du travail réside dans la recherche du ‘Témoin’ qui, par son histoire singulière, doit
être représentatif du sujet abordé (les parents ‘désenfantés’, les jeunes délinquants, les mamans
adolescentes...).
Depuis quelques années, la récolte de témoignages visuels est de plus en plus laborieuse, voire
décourageante. Pourtant la télé nous abreuve de ‘reality shows’. Des gens acceptent d’épancher leur vie intime et sexuelle sur le petit écran, et d’autres s’en abreuvent avec délectation ou
ironie. Mais quand nous voulons aborder une problématique médico-psycho-sociale, c’est le parcours du combattant pour convaincre les personnes concernées de s’exprimer devant la caméra.
Cela tient probablement à la manière dont nous recrutons les intervenants. Les animateurs
‘d’info divertissante’ lancent des appels à témoins et recueillent bien souvent des personnalités
de type exhibitionniste. Par contre, dans le reportage/témoignage, nous devons être sûrs que le
témoin choisi s’inscrit bien dans la problématique traitée (schizophrénie, troubles obsessionnels
compulsifs, troubles de l’attachement...). Nous travaillons donc en étroite collaboration avec
les thérapeutes, et dans un deuxième temps avec les groupes d’entraide. Cette rigueur ne nous
facilite pas la tâche. Le personnel soignant, et essentiellement la famille ‘psy’, se méfient, à
juste titre, des médias. Ils craignent que notre intervention ne mette en péril l’alliance qu’ils ont
tissée avec leurs patients, que nous ne détricotions le chemin parcouru par leurs malades, que
nous n’emmêlions les fils de leur histoire, difficilement dénoués. Ils les protègent, ne leur laissant
pas souvent l’occasion de s’exprimer eux-mêmes sur le bien fondé ou non de participer à une
séquence télévisée.
Lorsqu’ils transmettent à leurs patients notre demande de témoignage, les professionnels de
la santé font souvent passer leurs propres craintes et angoisses à travers leurs propos. Quand
nous expliquons notre démarche directement aux témoins potentiels, nous parvenons plus facilement à les convaincre, et surtout à les rassurer. Je repense à cet adolescent mutique qui séjour-
249
C U LT U R E E T S O C I E T E
nait dans un hôpital psychiatrique. Personne n’avait imaginé lui proposer de s’exprimer. J’étais
occupée à interviewer un de ses copains de chambre sur son parcours institutionnel, lorsqu’il est
venu s’installer devant la caméra et s’est mis à ‘vider son sac’. Après coup, il s’est refermé et a
suggéré à ses thérapeutes de regarder la cassette.
Passer à la télé peut parfois dénouer des histoires mais ce n’est pas anodin, cela laisse des traces. Après diffusion d’un sujet, je suis chaque fois tracassée, angoissée à l’idée d’avoir pu nuire
à ceux et celles qui ont courageusement et généreusement dévoilé un coin de leur vie. Pour
quelques témoins qui se manifestent et nous remercient du respect avec lequel nous avons travaillé, beaucoup d’autres ne se manifestent pas. Alors des questions restent encore en suspens
aujourd’hui. Cette séquence leur a-t-elle porté préjudice dans leur vie personnelle, professionnelle, relationnelle? Nous avons tout mis en oeuvre pour ne pas déformer leurs propos mais
peut-être avons-nous capté des mots, des gestes, des réactions qui les ont dépassés, dans lesquels
ils ne se reconnaissent pas? Nous recueillons des morceaux de vie à un moment précis, les gens
changent, évoluent et la télévision les fige dans une situation déjà dépassée.
A la demande d’organisateurs d’un colloque sur la santé mentale, j’ai un jour repris contact
avec des témoins pour évaluer l’impact de leur passage sur antenne. Je repense à cette dame qui
avait accepté d’intervenir devant un public de professionnels pour dire combien la publicité de
son histoire de dépression avait secoué, remué toute sa famille. Témoigner, c’est aussi pouvoir
gérer l’après-diffusion. D’où l’intérêt de collaborer avec des équipes thérapeutiques qui peuvent
retravailler, avec leurs patients, les émotions ravivées par la diffusion du témoignage.
Face à la résistance croissante des professionnels, devons-nous arrêter de filmer des sujets sur
la santé mentale? Dans les moments de découragement, je me dis ‘stop!‘, changeons de centre
d’intérêt. Et puis je pense au courrier suscité par ces émissions, à l’impact positif de ces témoignages sur les téléspectateurs. Chose curieuse, ces professionnels si réticents nous demandent bien
souvent copie des émissions pour les visionner avec leurs étudiants ou leurs nouveaux patients…
Parler des problèmes liés à la santé mentale sans s’appuyer sur des cas vécus n’a pas le même
impact dans le paysage audiovisuel actuel. Les gens ont besoin qu’on leur raconte des histoires
pour s’attacher ensuite à un contenu plus théorique.
Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut lever les tabous et pourtant, plus que jamais,
on nous propose des témoignages anonymes (visages masqués, de dos, voix transformée). Alors
je m’interroge: est-ce par souci du respect de la vie privée, du droit à l’image? Ou est-ce pour
protéger l’individu contre une société qui devient paradoxalement de moins en moins tolérante,
de plus en plus stigmatisante? Faisons-nous un pas en arrière dans l’acceptation de la différence
pour que les gens se sentent obligés de cacher les aspérités de leur vie?
Il m’arrive de visionner des documents sur la santé mentale réalisés dans les années septante
et de jalouser la liberté d’expression de mes collègues d’alors. Et pourtant aujourd’hui, un autre
défi s’impose à nous: médecine et éthique (les manipulations génétiques, les décisions de fin de
vie...). Mais faut-il aborder dans des reportages/témoignages télévisés ces sujets tabous, subtils,
nuancés?
Et quelle sera la collaboration des équipes médicales?
250
CHAPITRE 9.3
C O N TA C T S :
Dominique Burge, RTBF, Bd Reyers 1044 Bruxelles
E-mail: [email protected]
251
‘Niet te vroeg’,
le plan de communication de crise du
Psychiatrisch Centrum Bethanië
LUTGART VAN DONGEN,
MEMBRE DE LA DIRECTION ET COORDINATRICE QUALITÉ DU PSYCHIATRISCH CENTRUM
BETHANIË, ZOERSEL
Une crise est toujours possible dans un centre psychiatrique. Nous qualifions de crise tout ce qui
provoque de sérieux remous, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, par exemple un incident incontrôlable ou un problème existant qui s’ébruite dans les médias avant qu’on ait pu lui trouver une
solution.
La crise peut prendre diverses formes ; les points vulnérables ne manquent pas dans un centre
psychiatrique:
– un émoi causé par des patients trafiquants de stupéfiants, ou par un suicide ‘spectaculaire’,
– une grave agression envers un membre du personnel,
– une erreur médicale qui a d’importantes conséquences,
– une intoxication alimentaire,…
A cela s’ajoutent de nombreuses autres possibilités de crises, tout aussi susceptibles de survenir
dans d’autres secteurs professionnels, comme un incendie ou une pollution grave.
Réfléchir quand il en est encore temps
On ne peut jamais exclure l’éventualité d’une crise, mais l’élaboration d’un plan de communication de crise incite à réfléchir préventivement et à passer calmement en revue ce qu’il y a
lieu de faire en cas de ‘catastrophes’. Au Psychiatrisch Centrum Bethanië Zoersel, nous avons
rédigé un tel plan, en utilisant la même méthode que pour nos autres procédures: nous avons
défini l’objectif, les responsabilités et les compétences, et décrit la méthode dans un diagramme
de flux. Tout le monde peut consulter ce plan sur l’intranet. Des ‘fiches d’action’ comportant
des conseils utiles sont également à la disposition de l’équipe de communication de crise ; elles
rappellent comment procéder durant et après la crise.
La gestion professionnelle d’une crise comprend un volet ‘communication’ très important.
Cette communication concerne en premier lieu les victimes et leur famille, les collaborateurs
internes mais aussi les médias. Il est malheureusement déjà arrivé que la communication avec
la presse connaisse de sérieux ratés. Les ‘faits’ font alors la une des journaux et les journalistes
interprétent la réalité de telle manière que l’image de la psychiatrie en prend un sérieux coup.
Parfois des personnes directement concernées ne sont pas informées à temps et apprennent la
nouvelle dans les médias.
252
CHAPITRE 9.3
Dans la confusion qui suit immédiatement l’incident, le plan de communication de crise peut
contribuer à ce que la communication se déroule le plus professionnellement possible.
Grâce à la mise au point du plan de communication de crise, nous avons pu examiner les
points critiques suivants:
– Toutes les parties internes concernées ont-elles été informées de ce qui s’est produit? Quelqu’un a-t-il pris contact avec la famille? Les collaborateurs ont-ils été mis au courant?
– L’équipe de communication de crise est-elle en place et a-t-elle réuni toutes les informations
pertinentes auprès des experts et des personnes directement concernées?
– Les tâches ont-elles été réparties? Qui collecte les faits? Qui rédige des explications? Qui est le
mieux placé pour recevoir la presse écrite et parlée? Qui suit le compte-rendu de l’événement?
– Quel contenu donner au premier message?
– Quelles mesures ont été prises pour maîtriser la crise?
– A quelles questions gênantes des médias doit-on s’attendre?
Bref, le plan de communication de crise nous rend plus vigilants à d’éventuelles questions
pouvant se poser en cas de crise et permet d’éviter des réactions de panique.
En cas de crise, les médias exercent une forte pression sur les organisations, risquant ainsi de distraire la direction de sa véritable tâche, qui consiste à maîtriser et à résoudre la crise proprement
dite. L’équipe de communication de crise doit donc s’arranger pour fournir au plus vite quelques
explications succinctes, de manière à réduire le risque de rumeurs incontrôlées. Cette équipe
comprend toujours au moins un décideur, un responsable communication et relations publiques
ainsi que les parties étroitement concernées.
Que manque-t-il encore?
Jusqu’à présent, le plan de communication de crise n’a pas encore été testé dans la pratique.
Une simulation serait pourtant recommandée, vu la vitesse à laquelle la communication s’effectue. Le PC Bethanië compte 923 collaborateurs et l’expérience d’audits internes nous montre
qu’il n’est pas évident d’amener chacun à appliquer une nouvelle procédure. Il faut pour cela
s’entraîner et acquérir de l’expérience. Les membres de l’équipe de communication de crise
doivent en tout cas avoir la possibilité de tester la procédure en période calme.
Par ailleurs, nous savons que les journalistes doivent rassembler des informations en un minimum de temps, ce qui augmente le risque d’imprécision de leur côté. La presse, à l’affût du
moindre événement pouvant faire l’actualité, passe très vite à l’action. A ce moment-là, le centre
psychiatrique doit être en mesure de réagir adéquatement, rapidement et si possible de manière
proactive. Nous devons encore soumettre le plan de communication de crise à des journalistes.
Cette vérification peut nous apprendre quels points nous avons négligés.
Une culture de communication ouverte
Un tel plan n’arrive pas trop tôt. Dans notre secteur en général, mais également dans notre
établissement, nous constatons une intensification de notre communication externe avec toutes
sortes de partenaires. Nous cherchons même à établir des contacts avec les médias pour leur faire
part de divers événements. Ce ne serait pas faire preuve d’ouverture que de n’être joignable
qu’en cas de bonnes nouvelles!
253
C U LT U R E E T S O C I E T E
En cas de crise, la relation avec les médias reste aujourd’hui un peu ambiguë; en voici diverses
raisons:
– les hôpitaux psychiatriques, en collaboration avec la Vereniging voor Geestelijke Gezondheid,
s’efforcent depuis des années d’influencer favorablement l’image de la psychiatrie et de diffuser des informations correctes. Ces actions de sensibilisation visent à mettre en lumière tout ce
qui souligne la normalité. La psychiatrie est en effet un thème délicat et les préjugés tenaces
en la matière sont difficiles à éradiquer. En cas de crise, il y a beaucoup de chances que les médias, dans le choix d’images choquantes et de titres spectaculaires, se rabattent sur des images
stéréotypées et caricaturales, du moins, c’est ce que nous craignons. Notre réputation est donc
en jeu.
– communiquer, c’est aussi gérer l’émotion. Les reporters et les journalistes font des efforts
effrénés pour donner directement la parole aux patients. Particulièrement dans le contexte
d’un hôpital psychiatrique, le secret professionnel et la protection de la vie privée ne sont
pas des propos en l’air, mais des concepts professionnels essentiels. Des personnes en état de
vulnérabilité peuvent être disposées à dévoiler des histoires intimes qu’elles-mêmes ou leur
famille regretteront amèrement par après. Les hôpitaux ne peuvent pas non plus informer des
personnes extérieures de la présence de telle ou telle personne dans leur établissement.
Les journalistes comprennent généralement bien la préoccupation des directions d’hôpital,
mais il arrive quand même qu’ils essaient via toutes sortes de voies d’accéder à l’une ou l’autre
information. De notre côté, nous espérons que le code de déontologie journalistique préserve les
reporters du sensationnalisme et les incite à l’indispensable discrétion dans l’intérêt et le respect
des victimes et de l’opinion publique. Nous privilégions généralement une explication circonspecte et nuancée, ce qui est naturellement moins photogénique!
En établissant de bonnes relations avec les médias, nous recherchons une compréhension
mutuelle et espérons ainsi développer une communication saine nous permettant de gérer le
mieux possible une crise inattendue.
C O N TA C T S :
Lutgart Van Dongen
vzw Emmaüs, Psychiatrisch Centrum Bethanië
Andreas Vesaliuslaan 39, 2980 Zoersel
Tél: 03 380 30 11
E-mail: [email protected]
254
Drôle d’histoire dans une école
providentielle pour certains ...
cauchemardesque pour d’autres
ELIANE DE ROSEN
Un fait divers
Dans une classe, un attentat à la pudeur ... un jeune dans un état modifié de conscience se
déculotte devant une enseignante fraîchement arrivée. Très rapidement, des sanctions sévères
sont prises ; l’affaire est réglée au sein de l’école. Mais, décalage et amalgame, l’affaire surgit
dans la presse trois semaines plus tard, décontextualisée et déformée. Le plus vieux média du
monde entre en scène et s’emballe: la rumeur ... le déculottage se transforme en viol.
De l’école ...
Il s’agit d’une école particulièrement exposée à toutes sortes de fantasmes et de représentations
les plus folles, étant donné entre autres:
– le public accueilli, composé d’une proportion importante d’enfants de migrants de condition
modeste, aux origines ethniques diverses, une population socio-économico-culturellement
fragilisée, stigmatisée ; des jeunes au parcours scolaire chaotique, tissé d’échecs,
– l’implantation géographique dans un contexte urbain où les fractures sociales se donnent le
plus à voir,
– la place emblématique occupée dans l’offre scolaire par ce type d’établissement qui, en luttant contre les exclusions, était mis au défi de ne pas abdiquer l’obligation de scolariser tout
en mettant en question les modalités pour le faire.
Une école qui, dans sa volonté d’instituer du ‘grandir’, ne renonce pas à travailler et à se battre pour amener le politique à s’engager à donner des moyens substantiels et à créer des conditions structurelles nécessaires à ce travail.
Une école pétrie de contradictions avec des adultes, des jeunes qui souffrent d’être là, avec
d’autres heureux d’y être malgré des difficultés multiples, car du sens s’y crée. En filigrane: des
réussites et des échecs, de la reproduction et de l’inédit, du découragement et de l’enthousiasme, de la ruse aussi ...
255
C U LT U R E E T S O C I E T E
Les façons de faire des médias ...
– des coups de fil en privé pour glaner le plus d’informations possible ou des rendez-vous à
peine secrets avec des professeurs fragilisés ;
– une camionnette de la télévision stationnée à deux pas de l’école, qui filme à l’arraché des
étudiants hébétés qui tentent tant bien que mal de cacher leur visage ;
– des journalistes qui incitent des jeunes désoeuvrés du quartier à escalader les grilles de l’école
pour montrer comment ils s’y introduisent ;
– plantés dans la cour de récréation, une journaliste et son cameraman qui filme, au-delà du
respect du lieu, en se réclamant du bon droit et du sacro-saint devoir d’informer. Ils seront
finalement éconduits ;
– des photos d’enseignants qui paraissent à la Une sans accord préalable ;
– des articles de presse, des émissions de télévision qui dramatisent, déforment, amplifient les
faits ; des démentis discrets, des droits de réponse qui ne font pas le poids ;
– des photos d’archives pour illustrer notre actualité ;
– de trop rares articles engagés, nuancés, mais noyés dans cette mise au pilori ;
– une surenchère, un déchaînement d’autant plus terrible qu’inattendu.
Quelques considérations:
Quand faire de l’audience et accrocher l’attention blasée du public, coûte que coûte, devient
une fin en soi,
Quand on fait porter à l’école le fardeau de tous les maux et qu’elle est sommée d’apporter,
pêle-mêle des réponses à la ville, à l’emploi, aux désordres familiaux, à la santé, etc ,
Quand se protéger des abus d’une certaine presse qui dérape sans états d’âme devient urgent,
il importe de se rappeler que:
– la liberté de presse et son corollaire, le droit du public à l’information, restent indispensables
dans le contrôle de la démocratie. Mais l’exercice de cette liberté comporte des devoirs et des
responsabilités à l’égard, particulièrement, de la jeunesse qui a besoin pour se construire et
assumer demain la place qui est la sienne, d’un environnement sécurisant, d’un minimum de
protection ;
– des médias ne peuvent impunément stigmatiser toute une collectivité, bafouer la dignité, la
réputation d’individus qui obstinément refusent l’exclusion comme solution en matière d’éducation. Dans ce domaine, le travail des uns ne peut malmener le travail des autres sous peine
de sacrifier ces futurs adultes ;
– en tant qu’agents de socialisation, émetteurs d’opinions, porteurs de jugements, les médias
ont à s’interroger sur leur rôle de formateur et sur l’usage éthique du pouvoir qu’ils détiennent. Ils ne peuvent se soustraire à des règles de déontologie, d’où l’importance de l’existence
de mécanismes de régulation, d’évaluation.
Des effets ...
Une surmédiatisation qui submerge comme une vague déferlante les usagers, leur famille,
les acteurs scolaires. L’onde de choc, telle un rouleau compresseur, va détruire l’équilibre fragile
d’adultes et de jeunes, et va en vulnérabiliser d’autres. Certaines personnes découvriront à cette
occasion des ressources pour contrecarrer, résister, rebondir, se forger une identité sociale et
personnelle fière.
256
CHAPITRE 9.3
On n’expose pas, on ne met pas en lumière de manière harcelante des humains sans qu’il n’y
ait des dommages. Ainsi l’éveil d’un sentiment intense de honte qui tire vers le bas, de la honte
d’être inacceptable, pas à la hauteur aux yeux d’autrui.
Comment résister à la condamnation injuste d’une opinion publique profondément convaincue de la véracité de ce qu’elle a lu, entendu, vu? Comment résister à un quidam qui vous
interpelle dans une grande de surface en tenant des propos dégoulinants de pitié? Comment se
soustraire à la férocité ambiante, à la pression journalière des conversations dans les transports,
les lieux publics où on se scandalise, pourfend, diabolise? Comment désamorcer la réelle inquiétude de ses proches? Comment ne pas succomber à ce matraquage et souffrir du décalage entre
le vécu et l’image qu’on en donne?
On ne choisit pas d’être bouc émissaire, support de projections, porteur d’ombres, captif d’un
phénomène d’hystérisation. La frontière entre vie sociale, professionnelle et vie privée est abolie ; fantasmes et réalité s’entremêlent. L’intégrité corporelle, mentale est atteinte. Des symptômes de stress post traumatiques apparaissent: cauchemars, sidération, dépersonnalisation, somatisations multiples, perte de repères, dénégation, etc.
Il faudra recourir à des spécialistes pour tenter de mettre du sens, sortir du chaos.
Même si ce n’est pas tant le traumatisme en soi mais la façon de le vivre qui est déterminante
dans l’expérience, personne n’en sortira indemne, et les traces, aujourd’hui, restent encore
sensibles.
Un travail patient et profond, fondé sur l’apprentissage de règles communes et de lois, sur la
réinsertion scolaire, sur la reconstruction d’une image de soi fortement dévalorisée ... aura été
très fortement mis à mal.
Des pistes ...
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soutenir des médiations plutôt que de la médiatisation
développer le bon usage d’experts
former l’esprit critique des jeunes et donner des balises pour le décryptage des médias
créer des espaces de paroles permanents pour les jeunes
institutionnaliser des groupes d’analyse de pratiques pour les enseignants
conseiller à l’enseignant le développement d’un travail personnel
C O N TA C T S :
Eliane de Rosen
E-mail: [email protected]
257
Un Prix des Médias pour un reportage
‘responsable’ sur le sujet du suicide
NICO DE FAUW, LIC. EN PSYCHOLOGIE, PRÉSIDENT WERKGROEP VERDER
KARL ANDRIESSEN, ASSISTANT SOCIAL, RESPONSABLE P.R. WERKGROEP VERDER
Le Werkgroep Verder, Nabestaanden na zelfdoding1 milite en faveur d’une information sur
le suicide alliant responsabilité en matière de prévention et respect des proches d’une personne
suicidée. C’est à cet effet que le groupe Verder a créé un Prix des Médias.
Ce prix doit être resitué dans un contexte plus vaste de collaboration avec les médias. Depuis
plusieurs années, le groupe Verder dispose à l’intention de la presse d’une liste de plus de quarante personnes, proches d’un suicidé, qui s’engagent à rencontrer les journalistes qui en font la
demande. On peut s’inscrire sur cette liste via le site Internet du Werkgroep Verder. Les partenaires du Werkgroep Verder ont également convenu de canaliser toutes les questions des journalistes vers le bureau de l’association, qui fait ainsi office d’intermédiaire entre les proches et le journaliste concerné. Ceci d’une part, pour pouvoir rapidement répondre aux journalistes et d’autre
part, pour protéger les droits des proches. Il est aussi prévu, par exemple, que les proches et le
Werkgroep Verder puissent lire l’article ou voir le reportage avant sa publication ou sa diffusion.
Nous nous efforçons à chaque fois de mentionner les coordonnées des services d’aide concernés.
Une politique de prévention du suicide
Cette politique médiatique est extrêmement importante pour notre groupe. Les médias
audiovisuels peuvent en effet jouer un rôle considérable dans la prévention du suicide. Certaines
formes de communication sur le suicide ont un impact sur le seuil de passage à l’acte chez des
personnes suicidaires. C’est le cas de représentations sensationnelles, simplistes ou romancées.
On remarque que la diminution d’informations de ce genre entraîne une baisse du nombre de
suicides. A côté de cela, une information irrespectueuse ou sensationnelle peut constituer pour
beaucoup de proches une confrontation douloureuse, que l’on pourrait éviter.
Diverses organisations de premier plan, telles que l’Organisation mondiale de la Santé2, les
Samaritans3 et l’American Association of Suicidology4 ont rédigé des directives similaires. Elles
préconisent entre autres de ne pas présenter le suicide de manière simpliste ou sensationnelle,
de ne pas mentionner la méthode de suicide utilisée et de ne pas montrer de photos ou d’images
du lieu du suicide. Il est recommandé, en revanche, de signaler que le suicide résulte d’une accumulation de différents problèmes, qu’il est souvent lié à des difficultés psychiques et qu’il existe
des services d’aide spécialisés en la matière. Il convient d’indiquer les coordonnées de services
258
CHAPITRE 9.3
d’aide où une personne suicidaire peut s’adresser ou que des tiers peuvent contacter quand ils
ont connaissance des intentions suicidaires d’une personne. Il importe en outre de mentionner
des adresses à l’intention spécifique des proches.
La réduction du nombre de suicides constitue une priorité pour le gouvernement flamand. La
Ministre de la Santé veut mettre en œuvre un programme de ‘Prévention de la dépression et du
suicide’ visant à diminuer le taux de suicides de 8% d’ici à 2010, par rapport à l’année 2000. L’une
des stratégies préventives prévoit l’établissement d’un code de déontologie pour les médias. Une
brochure5 contenant des recommandations sur le thème du suicide et de la presse a été rédigée
par un groupe de travail composé de journalistes et autres experts.
Le Prix des Médias
Le Prix des Médias fait également partie de cette action. Son objectif est donc d’encourager
une information correcte, réfléchie et respectueuse dans les médias sur le thème du suicide et
des proches d’une personne suicidée. Cet encouragement peut motiver les journalistes à réfléchir
à leur rôle dans le domaine de la prévention du suicide et à tenir compte des recommandations
en matière d’information sur ce thème.
Avant de créer cette distinction, le Werkgroep Verder avait déjà mené une action visant à
confronter les journalistes et les rédactions aux informations irréfléchies parues dans leurs médias respectifs. Cette initiative s’était avérée infructueuse et risquait par ailleurs de perturber
notre relation avec les médias. Ce que nous voulions absolument éviter car nous avons besoin des
médias pour sensibiliser, annoncer nos activités et toucher des proches après un suicide.
Qui peut être nominé pour ce Prix des Médias? Tous les journalistes et professionnels des
médias qui ont attiré l’attention du public flamand sur le thème du suicide et des proches d’une
manière correcte et constructive, quel que soit le média. Les candidats peuvent être proposés par
tout citoyen, acteur du secteur de l’aide sociale, ou proche d’un suicidé, en prenant contact avec
le président du jury. Le jury se compose de proches, d’experts dans le domaine de la prévention
du suicide en Flandre et d’une délégation de journalistes.
Le jury prend en considération les critères de sélection évoqués dans la brochure sus-mentionnée. Il décide en fonction des éléments suivants:
– Il importe premièrement d’attirer l’attention sur la complexité des causes de suicide, le rôle
des problèmes psychiques, et sur les conséquences pour les proches. Le suicide ne doit pas
avoir été présenté de manière simpliste, sensationnelle ou romancée. Cela doit ressortir entre
autres de l’usage des mots et des images, de l’emplacement dans la page, des photos choisies,
etc.
– En deuxième lieu, l’intimité du suicidé et de ses proches doit avoir été respectée. Les proches
doivent avoir eu la possibilité de relire et de corriger éventuellement le texte ou le reportage
auquel ils ont contribué avant qu’il ne soit publié ou diffusé.
– L’ensemble doit ensuite être replacé dans un cadre plus large: donner la parole au représentant d’un service d’aide et donner les coordonnées de services où les personnes suicidaires et
les proches peuvent s’adresser.
– Et enfin, un accueil doit avoir été prévu pour les proches de personnes suicidaires qui ont été
interviewés.
Le 20 novembre 2004, à l’occasion de la 3e Journée des Proches6, le prix a été décerné pour
259
C U LT U R E E T S O C I E T E
la première fois. Parmi les différentes nominations, la journaliste Veerle Beel a été sélectionnée
pour son interview de Sara Van Boxtael et pour l’article qui a paru par la suite dans le journal
De Standaard du 13 mars 2004. Le prix sera décerné chaque année à l’occasion de la Journée des
Proches. Nous espérons de la sorte améliorer l’image véhiculée par le thème du suicide, susciter
de l’attention pour les proches d’un suicidé et agir dans le domaine de la prévention du suicide,
en collaboration avec les médias.
RÉFÉRENCES:
1. http://www.werkgroepverder.be
2. http://www.who.int/mental_health/media/en/426.pdf
3. http://www.samaritans.org/know/media_guide.shtm
4. http://www.afsp.org/education/recommendations/5/1.htm
5. http://www.wvc.vlaanderen.be/gezondheidsconferentie/zelfdoding_pers.pdf
6. voir article du même auteur dans le chapitre « Davantage d’implication de la famille dans la prise en charge »
C O N TA C T S :
Werkgroep Verder p/a CGG PassAnt vzw
Beertsestraat 21 - 1500 Halle
Tél: 02 361 21 28 - Fax: 02 361 77 17
E-mail: [email protected]
www.werkgroepverder.be
260
Chapitre
Défense sociale et emprisonnement
:: Introduction: Détenus, internés et autres ‘clients judiciaires’
Joris Casselman, K.U.Leuven
:: Mon parcours en défense sociale
Témoignage d’une personne internée
:: Un projet-pilote pour patients à moyen risque à l’UPC St.-Kamillus à Bierbeek
Rudy Verelst, UPC St. Kamillus - Bierbeek
:: Délinquance et psychiatrie juvénile.
Dirk Deboutte, ZiekenhuisNetwerk Antwerpen, Universiteit Antwerpen
:: Drogue(s), prison et santé mentale.
Josette Bogaert, Romain Bosmans, Catherine Poivre, C.A.P.- I.T.I., Bruxelles
:: Maintenir le lien
A. Adhami, S. El Fawaz, M. Vancappellen, A. Jodogne, V. Gonay, Asbl Relais Enfants-Parents
10.1
1
Détenus, internés et autres
‘clients judiciaires’
PROF. em. JORIS CASSELMAN, K.U.LEUVEN
PRÉSIDENT DE LA VLAAMSE VERENIGING VOOR GEESTELIJKE GEZONDHEID
Les détenus et les internés constituent des sous-groupes importants d’un groupe beaucoup
plus vaste de ‘clients judiciaires’ des services de santé mentale. Dans cet article, nous expliquerons tout d’abord ce que l’on entend par ‘clients judiciaires’ dans le secteur des soins de santé
mentale. Nous aborderons ensuite trois sous-groupes de clients judiciaires: les détenus ayant des
problèmes psychiques, les internés qui séjournent en prison et les mineurs placés dans un établissement fermé.
Les clients judiciaires dans les soins de santé mentale
Les clients judiciaires sont des clients présentant des problèmes psychiques qui sont ou ont
été en contact avec la justice (avec la police et/ou un tribunal et/ou une prison). De plus en plus
de clients judiciaires sont, sous certaines conditions, renvoyés aux services de santé mentale.
L’administration pénale adresse de nombreux suspects et criminels aux services de santé mentale en se basant sur des statuts judiciaires très différents (tels que la libération conditionnelle
après détention ou internement, la probation, la médiation pénale, l’injonction thérapeutique).
Un nombre croissant de victimes d’actes criminels y sont également renvoyées, sans oublier les
clients judiciaires envoyés par des instances non pénales telles que le juge de la jeunesse, les
Services d’Aide à la Jeunesse (pour les mineurs) et le juge de paix (en cas d’hospitalisation forcée
de patients psychiatriques). Ces clients judiciaires peuvent présenter toute la gamme des problèmes psychiques, légers, moyens ou sérieux (angoisses, dépressions, psychoses, problèmes d’alcool
ou de toxicomanie, problèmes sexuels, troubles de la personnalité et troubles comportementaux
chez les handicapés mentaux, etc.).
Il est urgent d’accorder de l’attention à ces clients judiciaires afin d’éviter qu’ils ne se retrouvent assis entre deux chaises. En effet, d’une part ils sont orientés, sous certaines conditions,
vers le secteur des soins de santé mentale par l’administration judiciaire, mais d’autre part, ce
même secteur adopte à l’égard de cette orientation une attitude récalcitrante étant donné son
caractère contraignant. Les thérapeutes sont généralement d’avis que seule une aide souhaitée
de plein gré peut porter ses fruits. De nombreux clients font toutefois appel à eux sous la pression d’un compagnon, d’un employeur ou d’un médecin. Il n’est pas rare en effet d’éprouver de
fortes résistances à admettre qu’on a des problèmes psychiques et à accepter la nécessité d’une
aide officielle. Le stigmate lié à des problèmes psychiques est et reste fort tenace. Y ajouter une
262
CHAPITRE 10.1
pression judiciaire est considéré par la plupart des thérapeutes comme le pas à ne pas franchir,
de sorte qu’une telle requête est pratiquement considérée comme une contre-indication quasi
absolue.
Lorsqu’ils reçoivent des clients judiciaires, les thérapeutes sont en outre non seulement confrontés à des clients souvent peu motivés mais aussi à d’autres problèmes. Par exemple, l’administration judiciaire et les services de santé mentale poursuivent des objectifs très différents ; le
secret professionnel pose régulièrement problème lors d’échanges d’informations ; les droits des
clients ne sont souvent pas suffisamment respectés.
Heureusement, un nombre croissant de thérapeutes acquièrent une expérience de ces prises
en charge particulières. Ils introduisent des stratégies de motivation avant de commencer un
traitement classique, par exemple ; ils respectent systématiquement le secret professionnel et les
droits des clients, et ils orientent leur intervention de manière à limiter les dégâts lorsqu’il n’est
pas possible de viser des objectifs thérapeutiques plus ambitieux.
Les détenus ayant des problèmes psychiques
Par détenus, nous entendons naturellement des condamnés adultes qui séjournent en prison
mais également des suspects adultes en détention préventive. Bon nombre de points abordés ici
s’appliquent aussi au séjour dans d’autres établissements fermés, pour les demandeurs d’asile
et les mineurs par exemple. Le milieu carcéral est et reste un environnement psychique malsain
pour les détenus et le personnel. Nous allons d’abord éclairer ce constat avant d’aborder quelques sous-groupes particulièrement vulnérables.
La détention, autrement dit la privation de liberté, dans des prisons surpeuplées, entraîne
chez la plupart des détenus davantage de dommages psychiques que ce que les services psychosociaux pénitentiaires ne peuvent gérer. Les détenus sont isolés de leur réseau relationnel, ils
deviennent passifs et dépendants car la prison prend en charge de nombreuses responsabilités
personnelles de la vie quotidienne. Le système de communication compliqué dans lequel fonctionnent les détenus (et le personnel) crée un équilibre précaire où les maillons les plus faibles
souffrent le plus. Il faut toutefois constater que certains détenus apprécient le fait d’avoir un
toit, de recevoir régulièrement à manger, d’avoir leur journée structurée et d’échapper à une
tension parfois insupportable hors de la prison. Certains délinquants professionnels poursuivent
même leurs activités illégales au sein de la prison et recrutent de futurs collaborateurs parmi
leurs codétenus. Mais la plupart des détenus sont soumis à un stress quasi constant à cause de
l’isolement, de la surpopulation, du manque d’occupations, de l’ennui, de l’absence de perspectives et d’une atmosphère de méfiance vis-à-vis du personnel. Les possibilités d’accueil psychosocial
sont extrêmement limitées dans l’enceinte de la prison. En outre, pour arriver à un encadrement
psychosocial de qualité, plusieurs conditions sont requises: il faut pouvoir établir une relation de
confiance solide, compter sur un réseau relationnel et solliciter au maximum la responsabilité
personnelle. Des conditions difficilement réalisables dans un environnement carcéral où l’ordre
et la sécurité sont prioritaires.
Les membres du personnel sont eux aussi soumis à un stress permanent qui pèse davantage
sur certains que sur d’autres. Il existe un groupe vulnérable d’agents, composé de ceux qui subissent des formes extrêmes de stress (menaces sérieuses, comportements violents, prises d’otages,
etc.). Le personnel peut garder des séquelles à long terme (parfois à vie) de certaines crises graves. L’absence pour cause de maladie, l’incapacité définitive de travail et même le comportement
263
LA JUSTICE ET LE DROIT
suicidaire sont beaucoup plus courants chez le personnel carcéral que chez des travailleurs de la
plupart des autres secteurs.
Parmi les résidants d’une prison, certains groupes vulnérables de détenus courent un très
grand risque de voir leur santé psychique se détériorer suite à leur incarcération. Nous pensons d’abord évidemment à ceux qui présentent déjà des problèmes psychiques graves lors de
leur arrivée en prison. Ce groupe est en nette augmentation. Les auteurs d’une étude publiée
en 2000 sur la prévalence de problèmes psychiques graves dans les prisons d’une série de pays
européens arrivent à la conclusion suivante. Près de 5% de la population carcérale présente un
trouble psychotique, près de 25% un trouble de l’humeur ou un état anxieux et plus de 40% un
problème lié à la consommation d’alcool et/ou d’autres drogues. Un nombre considérable de
détenus présente une combinaison de différents troubles (que l’on appelle comorbidité).
Tout le monde sait que le sous-groupe des suspects en détention préventive est particulièrement vulnérable aux problèmes psychiques comme l’indique entre autres le nombre de tentatives de suicide et de suicides effectifs ainsi que d’autres formes d’automutilation.
Le groupe le plus vulnérable en prison est évidemment le groupe des internés qui restent privés d’un renvoi vers un établissement de soins. Nous leur consacrons tout un paragraphe ci-après.
A côté des possibilités limitées d’accueil des SPS (services psychosociaux) au sein des prisons,
on peut parfois faire appel à un encadrement externe, comme à un Centre de Santé mentale.
Cela se limite toutefois à une thérapie de groupe sporadique pour les toxicomanes ou à un cours
écrit pour les auteurs de délits sexuels dans le but de les motiver à suivre un traitement ultérieur.
Si l’on n’augmente pas rapidement le soutien psychosocial des détenus, de gros problèmes
pourraient survenir dans un futur proche.
Les internés séjournant en prison
Conformément à la loi du 1er juillet 1964 sur l’internement, un interné est quelqu’un que le
juge déclare irresponsable pour un crime commis. Cette loi n’a toutefois jamais été entièrement
appliquée. Les autorités n’ont pas fondé, comme le préconise la loi, des établissements spécialisés
adéquats hors des prisons. Il en résulte qu’aujourd’hui, en Flandre, un interné sur trois séjourne
en prison. Nous constatons en outre que les prisons sont surpeuplées depuis pas mal de temps.
L’accueil dégradant de ce groupe d’internés qui séjournent en prison est depuis des années
fréquemment fustigé par tous les acteurs concernés.
Dans la partie francophone du pays, la situation est plus favorable car il y a moins d’internés
en prison. Le ministère de la Justice subventionne (avec la Région wallonne) deux hôpitaux (à
Tournai et à Mons) pour l’accueil des internés. De plus, l’établissement pénitentiaire de Paifve
a été entièrement aménagé pour accueillir des internés. Cela n’empêche évidemment pas que
les internés de la partie francophone du pays pourraient être encore mieux encadrés après une
réforme du système d’internement.
Dans cet article, nous nous concentrons principalement sur la situation en Flandre, et uniquement sur les internés qui séjournent en prison. Depuis la parution en 1999 du ‘Rapport final de la
Commission Internement en révision de la loi du 1er juillet 1964’, les autorités ont pris quelques
initiatives louables, mais clairement insuffisantes, et qui sont en outre mises en œuvre avec une
264
CHAPITRE 10.1
lenteur exaspérante. Deux voies ont été suivies. Premièrement, deux propositions de loi visant la
réforme du système d’internement ont été rédigées et attendent d’être débattues en commissions. Deuxièmement, les autorités n’ont heureusement pas attendu l’entrée en vigueur de cette
nouvelle loi pour développer une offre de soins spécifiques destinés aux internés. Les ministères
de la Santé publique et de la Justice (malheureusement chacun de leur côté) ont ainsi octroyé
des subventions supplémentaires à trois projets pilotes dans les hôpitaux psychiatriques flamands
de Rekem, Bierbeek et Zelzate. Il s’agit d’unités de psychiatrie médico-légale pour ce que l’on appelle le groupe des internés à moyen risque, dont fait partie la majorité des internés séjournant
encore en prison. Ce groupe à moyen risque comprend les internés susceptibles de suivre un traitement et une resocialisation moyennant un cadre adéquat (tant sur le plan de l’infrastructure
que sur celui de l’effectif en personnel). Ce groupe cible est estimé à quelque 300 à 350 internés.
Les unités psychiatriques légales actuelles disposent de seulement 118 lits.
Un autre sous-groupe d’internés, qui séjournent aussi en prison, est le groupe à haut risque,
que l’on estime à 150. Les questions de sécurité rendent actuellement impossible leur internement dans un hôpital psychiatrique ou dans l’un des projets pilotes destinés au groupe à moyen
risque. Le groupe à faible risque comprend des internés qui ne séjournent actuellement pas en
prison (à savoir deux tiers de tous les internés en Flandre). Ces internés devraient pouvoir être
accueillis au sein de structures régulières de soins de santé mentale, résidentielles ou ambulatoires, ce qui se heurte souvent à beaucoup de résistance.
Voici maintenant quelques réflexions critiques concernant la situation actuelle. Tout d’abord,
les projets pilotes actuels d’unités psychiatriques légales dans les hôpitaux psychiatriques doivent
être poursuivis et développés. Il importe également de disposer de plus de places afin de pouvoir prendre en charge de façon différenciée les diverses problématiques présentes (problèmes
psychotiques, handicapés mentaux, auteurs de délits sexuels, problèmes d’alcool et toxicomanie
ainsi que troubles de la personnalité).
Deuxièmement, pour le groupe à haut risque, les unités de psychiatrie légale doivent être plus
sécurisées qu’elles ne le sont actuellement. Ces internés ne doivent pas être abandonnés à leur
sort dans une prison normale ; ils nécessitent un accueil psychiatrique adéquat dans des unités
psychiatriques encore à créer, de préférence en dehors d’un établissement pénitencier, dans la
perspective de les faire passer dans le groupe ‘moyen’ après une période de traitement intensif.
Troisièmement, l’accueil des internés du groupe à faible risque exige également un suivi
attentif. Si certains hôpitaux psychiatriques reçoivent des moyens supplémentaires leur permettant de prévoir un traitement spécialisé pour les internés, d’autres hôpitaux psychiatriques de la
même région risquent de ne plus vouloir accepter d’internés du tout alors qu’ils y étaient disposés par le passé. On court donc le risque que des internés du groupe à faible risque disposent de
moins de places et/ou viennent occuper certaines des places à moyen risque nouvellement créées,
au détriment des clients de ce groupe.
Quatrièmement, nous continuons à plaider pour un véritable partenariat entre les différentes autorités compétentes (Justice, Santé publique, Affaires sociales et Bien-être) au sein duquel
chacun serait prêt à mettre à disposition une partie des moyens supplémentaires nécessaires. Une
note cadre telle que la note politique fédérale concernant la problématique de la drogue (et son
exécution) serait en fait très utile pour réorganiser l’accueil des clients judiciaires en général et
des internés en particulier.
Cinquièmement, il est important que le statut juridique des internés soit suffisamment
265
LA JUSTICE ET LE DROIT
garanti. On fait ici une distinction entre le statut juridique externe et le statut juridique interne.
Le statut juridique externe fait référence au statut juridique relatif à l’accès et à la fin définitive
du statut d’interné. Le statut juridique interne représente le statut juridique de l’interné au cours
du traitement sous le statut d’interné.
Les mineurs dans des établissements fermés
Enfin, nous abordons encore brièvement un problème d’actualité particulièrement complexe,
celui des mineurs séjournant dans des établissements fermés. Les autorités ont compris depuis
plusieurs années déjà qu’il fallait trouver d’urgence, en concertation avec les instances fédérales
et les instances communautaires compétentes, une alternative commune au manque de places
d’accueil résidentiel pour les jeunes ayant commis un délit très grave.
Alors que cette alternative aurait déjà dû être mise en œuvre avec les dispositions légales
nécessaires, on a soudainement découvert qu’un nombre considérable de jeunes n’avaient pas
leur place dans les établissements fermés existants. On a alors souhaité transférer ces jeunes,
surtout ceux ayant des problèmes psychiatriques et les toxicomanes, vers la psychiatrie juvénile
et l’aide aux toxicomanes. Mais d’une part, il n’y a plus de places disponibles pour eux, et d’autre
part, on ne s’est pas assez concentré par le passé sur ces deux secteurs spécialisés pour investir
suffisamment dans l’accueil de clients judiciaires mineurs. Ce n’est ni plus ni moins qu’un exemple classique de politique de crise à court terme. Ce qui a suivi ensuite, la célèbre ‘Everberg Story’
(crispations politiques à propos du centre fédéral fermé pour mineurs délinquants), ne peut
certainement pas être considéré comme une réussite.
Il est depuis longtemps nécessaire d’élaborer d’urgence une politique préventive à long terme
de meilleure qualité pour les jeunes à problèmes. Ce type de politique préventive ne doit pas
se concentrer uniquement sur (un groupe en somme assez limité) des jeunes extrêmement problématiques. Une politique de ce type doit prendre en compte les jeunes en tant que groupe
démographique important dans son ensemble. Si l’on continue à négliger la prévention et l’aide
aux jeunes, les autorités se retrouveront encore régulièrement confrontées à des situations de
crises explosives (éventuellement bien plus nombreuses). Le passage de la minorité à la majorité,
pour les jeunes en général et pour les jeunes à problèmes en particulier, présente d’importantes
lacunes dans la continuité pourtant tant recommandée des soins.
Conclusion
Les services de santé mentale sont confrontés à un nombre croissant de clients judiciaires,
adultes ou mineurs. Nous nous sommes principalement concentrés sur les détenus et les internés
qui séjournent encore en prison, ainsi que sur les mineurs qui séjournent dans des établissements
fermés. Une série d’autres clients judiciaires feront l’objet d’un autre article de cette publication.
Il est urgent d’accorder une plus grande attention à ces clients judiciaires afin qu’ils ne se
retrouvent pas assis entre deux chaises, à savoir d’une part l’administration judiciaire et d’autre
part les services de santé mentale. Ne pas multiplier les possibilités d’accueil appropriées revient
à accorder insuffisamment d’attention à une bombe à retardement dont le dispositif de mise à
feu est déjà en route.
266
CHAPITRE 10.1
RÉFÉRENCES
–
Blaauw, E., Roesch R., Kerkhof, A., Mental disorders in European prison systems. Arrangements for mentally disordered prisoners in the prison system of 13 European countries, International Journal of Law and Psychiatry, 2000
(23), 5-6, 649-663.
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Casselman, J., Cosyns, P., Goethals, J., Vandenbroucke, M., De Doncker, D., Dillen, C., Internering. Leuven, Apel-
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Casselman, J., Gevangenis als ongezond psychisch leefmilieu. In: Dupont, L., Hutsebaut, F. (eds.), Herstelrecht
doorn, Garant, 1997.
tussen toekomst en verleden. Liber Amicorum Tony Peters. Samenleving Criminaliteit & Strafrechtspleging nr. 22.
Leuven, Universitaire Pers Leuven, 2001, 99-114.
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Casselman, J., Hulpverlening onder druk. Gerechtscliënten in de geestelijke gezondheidszorg. Mechelen, Kluwer,
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Casselman, J., Recente ontwikkelingen in verband met de opvang van geïnterneerden in Vlaanderen. In: Van
2002.
Daele, D., Van Welzenis, I. (red.), Actuele thema’s uit het strafrecht en de criminologie. Samenleving, Criminaliteit
en Strafrechtspleging Nr. 26, Leuven, Universitaire Pers Leuven, 2004, 77-88.
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De Vuysere, S., Casselman, J., Vervaeke, G., De geïnterneerdenpopulatie van Vlaanderen: enkele cijfers, Panopti-
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De Vuysere, S., de interneringsmaatregel in 2004: VVGG Persontmoeting 01 april 2004, Panopticon, 2004 (25), 4,
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De forensisch-psychiatrische patiënt in Vlaanderen. Tussen twee stoelen: zorg en justitie.
con, 2003 (24), 6, 599-604.
60-62.
C O N TA C T S :
Prof. em. Joris Casselman, Koning Leopold III laan 14, 3001 Heverlee
E-mail: [email protected]
267
Mon parcours en Défense sociale
TÉMOIGNAGE
En guise de préambule, je voudrais dire que je suis interné depuis 1995, et que je dépends de la
Commission de Défense sociale de Bruxelles. Je n’ai pas de sang sur les mains, et je n’ai jamais
commis de délit grave (faux et usage de faux, fausses ordonnances).
En 1995, tout allait plus vite. La 4è section de l’annexe à Forest, où je me trouvais, était ‘portes ouvertes’, mais aujourd’hui la Commission sur les internés est très minutieuse, ce qui fait que
l’annexe psychiatrique de la prison est fortement surpeuplée. En effet, depuis les affaires de ces
dernières années, et notamment les enfants disparus, le tribunal interne de plus en plus de dossiers ‘mœurs’. Résultat: nous sommes internés à 3 par cellule, dans des cellules déjà trop petites
pour y être à deux.
Mon parcours
Interné en 1995, je suis resté peu de temps à l’annexe psychiatrique de Forest, et j’ai été envoyé à l’établissement de défense sociale de Tournai. Le lendemain de mon arrivée là-bas, je
pouvais travailler comme servant. Très vite j’ai été placé en pavillon de réinsertion. Passant tous
les six mois devant la commission, j’ai obtenu dès la première comparution de pouvoir sortir seul,
des sorties tous les jours à la deuxième, et à la troisième, une libération à l’essai.
Je suis resté libre pendant dix ans: j’ai travaillé dans des hôpitaux pendant 3 ans, à la poste
pendant 3 ans, et dans une école pendant un an et demi. Mais cela n’y changera rien. Avec tout
ce qui s’est passé, ce qu’on a pu lire dans les journaux, les récidives et tout ça, les commissions
ont eu peur des mauvaises surprises. Maintenant, pour le moindre non-respect des conditions,
on est réintégré. J’ai eu deux réintégrations en quelques mois, suivies d’une libération à l’essai à
mon domicile, mais pour la troisième réintégration (celle-ci), je devrai, avant de pouvoir retourner chez moi, être d’abord libéré dans un hôpital psychiatrique. Je suis donc en attente d’aller à
Titeca.
Ce que je pense de la commission de défense sociale
Personne ne pensera comme moi, mais pour moi la commission de défense sociale représente
268
CHAPITRE 10.1
une grande famille que je connais depuis 11 ans. Une formidable Assistante Sociale extérieure
qui s’appelle …. , avec l’aide d’une assistante sociale intérieure, a remis ma mutuelle en ordre en
trois jours! D’ailleurs, la dernière fois que je l’ai vu, le Président m’a dit d’un ton un peu désolé
mais sincère que tout le personnel s’occuperait de moi. Je lui dois beaucoup parce que la décision de la commission a été celle-ci: placement à Paifve, mais avec la possibilité d’entrer dans un
hôpital correspondant à ma pathologie, ou de faire la location d’un autre appartement, car mon
propriétaire et les autres locataires ne voulaient plus de moi à cause de mes trois réintégrations à
l’annexe. Ils ont pris peur de moi.
Mr le Président est comme un père, Madame la Procureur comme une mère, puisque je n’ai
plus de famille. Les directrices et les assistantes sociales sont comme des marraines.
Le paradoxe de la défense sociale, c’est qu’elle peut vous garder un jour comme à vie, et cela
est très bien pour ceux qui ont violé ou tué des enfants de moins de 12 ans, et même des adultes.
Un petit reproche à toutes les commissions
Malgré les affaires graves dont on a beaucoup parlé dans la presse, j’aimerais que Messieurs
et Mesdames les Procureurs du Roi acceptent de recevoir les internés dans leurs bureaux pour
voir que, si c’est un cas comme moi, il ne faut pas directement l’envoyer en prison parce qu’il a
seulement oublié d’aller voir son assistante sociale de probation.
Les avocats
A part Maître…., très peu d’avocats connaissent bien la défense sociale. Ils ne viennent pas
voir leurs clients puisqu’ils ont été jugés comme ‘fous’ au tribunal ; ils viennent seulement la
veille de leur passage devant la commission. Cela crée des pressions terribles.
En guise de conclusion
J’ai été chouchouté ici à l’annexe psychiatrique. J’y ai connu le paradis en 1995, mais tout ça
est bien fini! Histoire de comparer: nous étions un ou deux par cellule, avec les portes ouvertes
toute la journée et la possibilité discuter tous ensemble autour d’une table en cellule. Maintenant, on est à trois par cellule, ce n’est ni propre, ni convenable, et pour les trois, il n’y a rien à
faire. L’adjudant et les chefs me disent toujours qu’il n’y a rien à faire.
Il faut se faire à l’idée qu’il y a une longue attente avant de pouvoir aller en établissement
de défense sociale (Tournai ou Paifve), que l’on attend d’être stabilisés et que beaucoup pètent
régulièrement les plombs. Il y a des tensions et ce n’est pas facile ni pour moi, ni pour les autres,
ni pour les agents pénitentiaires. Il y a beaucoup d’insultes qui sont proférées à l’encontre du
personnel (…) et quand les autres me demandent comment je peux continuer à supporter cela
tout le temps, je leur réponds que moi je prends la pilule du bonheur, alias Prozac.
Remerciements à Mme Isabelle Etienne, Assistante sociale au Service de Réinsertion sociale de Bruxelles.
269
Un projet-pilote pour patients à moyen
risque à l’UPC St.-Kamillus à Bierbeek
DR. RUDY VERELST
CHEF DU SERVICE DE PSYCHIATRIE LÉGALE, UPC ST. KAMILLUS - BIERBEEK,
CONSULTANT PSYCHIATRIE LÉGALE, UZ-LEUVEN.
Les soins aux patients relevant de la psychiatrie légale ont longtemps présenté d’importantes lacunes. Concrètement, cela signifie que de nombreux patients psychiatriques qui avaient
commis un délit se retrouvaient internés dans des unités thérapeutiques inappropriées. Malgré
l’absence des financements nécessaires, plusieurs initiatives ont cependant vu le jour ces dernières années, dont des modules thérapeutiques spécifiquement élaborés pour ce groupe cible dans
plusieurs hôpitaux psychiatriques flamands. Ainsi, des programmes thérapeutiques résidentiels
pour délinquants sexuels ont été mis en place dans trois hôpitaux, et quelques autres, comme
l’UPC St.-Kamillus à Bierbeek et l’OPZ à Rekem, ont converti certains de leurs services en unités
thérapeutiques spécifiques pour patients relevant de la psychiatrie légale, du type patients à
‘faible risque’.
Trois nouveaux départements
Le 1 juillet 2002, l’UPC St.-Kamillus à Bierbeek a ouvert une unité fermée d’observation et de
traitement, l’unité de psychiatrie légale A (FPA: Forensische Psychiatrie A), dans le cadre d’une
convention avec le SPF Justice concernant des projets pilotes pour le traitement d’internés à
‘moyen risque’. Cette unité, qui compte 19 lits, est destinée à accueillir des internés présentant
une pathologie essentiellement psychotique. Les patients y sont accueillis sur base des critères
suivants: il s’agit d’internés masculins, libres à l’essai, qui présentent essentiellement une pathologie psychotique, qui ont une connaissance minimale du néerlandais, qui présentent éventuellement certaines pathologies associées (trouble de la personnalité, assuétude…) et qui ont un QI
suffisamment élevé pour leur permettre certains apprentissages. La nature et la gravité du délit
ne constituent pas de critères d’exclusion.
L’objectif du traitement est, dans un premier temps, d’arriver à poser un diagnostic clair et à
répertorier les différentes problématiques du patient. On essaye ensuite, via un programme thérapeutique éclectique, d’améliorer son fonctionnement sur le plan social, cognitif, émotionnel
et sociétal, en vue d’une réinsertion aussi optimale que possible dans la société. Par programme
thérapeutique éclectique, nous voulons dire que le traitement recourt aux principes de la thérapie comportementale, de la thérapie psychodynamique, et de la thérapie systémique.
Annexée à cette unité fermée d’observation et de traitement, une section ouverte de 15 lits
270
CHAPITRE 10.1
assure la poursuite du traitement. Celui-ci vise la réinsertion du patient dans la société, ou si cela
s’avère impossible, son orientation vers une forme adaptée de soins, qui lui permet de bénéficier
d’un maximum d’autonomie, tout en tenant compte de ses possibilités et limites individuelles, et
qui assure également un risque minimal de récidives. Cette phase du programme s’appuie essentiellement sur les principes de la thérapie par le milieu, de la sociothérapie et de la réhabilitation
psychiatrique; l’accent y est mis sur le développement des aptitudes nécessaires à la réinsertion
dans le domaine du logement, du travail et des loisirs, sur le maintien d’une stabilité psychique
et sur la stimulation de la compliance (fidélité à la thérapie), en particulier en ce qui concerne le
traitement médicamenteux.
Outre ces deux unités, créées dans le cadre de la convention avec le SPF Justice,
l’UPC St.-Kamillus a également ouvert, le 20 octobre 2002 une nouvelle unité de psychiatrie légale (FPB), de 8 lits cette fois, dans le cadre d’une convention avec le SPF Santé publique, Sécurité
de la Chaîne alimentaire et Environnement. Il s’agit d’un projet pilote portant sur l’Offre d’un
traitement clinique intensif aux patients internés en vue de leur resocialisation optimale. Jusqu’à
présent, cette unité s’adressait aussi aux internés psychotiques. Récemment, il a toutefois été
décidé de consacrer cette unité au traitement de patients présentant des troubles de la personnalité.
Quelques chiffres
En mai 2005, ces deux projets avaient accueilli un total de 129 internés. 56 d’entre eux sont
déjà sortis: 8 ont réintégré leur habitation personnelle, 3 ont trouvé une place dans une initiative d’Habitations Protégées,17 ont été envoyés dans un autre hôpital psychiatrique et 5 ont
été transférés vers une autre unité de psychiatrie (ordinaire) de notre hôpital. Enfin, 16 ont été
renvoyés vers un établissement de défense sociale, autrement dit en prison, et 7 se sont enfuis de
l’UPC St.-Kamillus.
La section ouverte (FPC) assure l’accompagnement des patients qui sont rentrés chez eux.
Grâce à cette forme de suivi, le passage des soins résidentiels aux soins ambulatoires pour ce
groupe cible peut être organisé en fonction des besoins individuels du patient.
En ce qui concerne le profil des patients hospitalisés, leur âge moyen est d’environ 37 ans. Les
délits commis, bien que cela ne constitue donc pas un critère d’exclusion, sont principalement le
vol et le cambriolage, les coups et blessures et l’incendie volontaire; viennent ensuite les délits
liés à la drogue. 6 % ont commis un meurtre ou un homicide. La durée moyenne de séjour s’élève actuellement à environ 420 jours. La plupart des patients ont déjà connu, avant leur hospitalisation dans une unité de psychiatrie légale de l’UPC St.-Kamillus à Bierbeek, une ou plusieurs
hospitalisations dans d’autres établissements psychiatriques.
D’autres défis sont encore à relever
Outre la mise au point du programme thérapeutique, qui prévoit aussi le coaching et l’accompagnement du personnel, le principal défi consiste à développer le circuit de soins en psychiatrie légale de telle sorte que ces patients puissent retrouver leur place dans la société, au sein
d’un environnement résidentiel adapté et avec le soutien thérapeutique et social nécessaire. En
ce qui concerne l’UPC St.-Kamillus à Bierbeek, cela signifie dans un premier temps la création
d’une unité thérapeutique légale de jour et la mise en place de partenariats fonctionnels avec
271
LA JUSTICE ET LE DROIT
d’autres structures de la région. Les unités de psychiatrie légale doivent servir de point d’ancrage
à l’élaboration d’une offre de soins de psychiatrie légale adaptée pour la région. Une autre mission importante consistera à vérifier scientifiquement la pertinence du programme thérapeutique proposé. L’évaluation des risques et la prévention des récidives constituent évidemment des
éléments importants à cet égard.
C O N TA C T S :
Dr R. Verelst, UPC St. Kamillus, Krijkelberg 1, 3360 Bierbeek
Tél: 016. 45.26.11
E-mail: [email protected]
272
Délinquance et psychiatrie juvénile.
DIRK DEBOUTTE
PROFESSEUR DE PSYCHIATRIE INFANTO-JUVÉNILE, UNIVERSITEIT ANTWERPEN,
ZIEKENHUISNETWERK ANTWERPEN
Diverses études réalisées dans les années nonante, en Belgique entre autres, ont montré que
la fréquence des troubles psychiatriques est sept fois plus élevée parmi les jeunes délinquants
que dans la population générale des mineurs d’âge (70% contre 10%). En outre, l’existence
d’une maladie psychiatrique s’avère un facteur important de persistance du comportement
délinquant.
D’autre part, il ressort d’études réalisées par l’unité de recherche de psychiatrie infanto-juvénile de l’université d’Anvers que souvent ni le jeune lui-même, ni sa famille, ne sont conscients de
l’existence d’un tel trouble, et que la question ne se pose pas non plus dans le cadre des procédures du tribunal de la jeunesse. En conséquence, il arrive fréquemment que des jeunes atteints de
troubles psychiatriques graves atterrissent dans des institutions fermées, où ils n’ont pas accès à
un traitement et à des soins adéquats.
Enfin, il s’est avéré qu’au sein de l’offre (très restreinte) de soins psychiatriques infanto-juvéniles,
il n’existait pas d’offre spécifique pour les jeunes délinquants présentant des troubles psychiatriques graves, ni en matière de diagnostic psychiatrique et d’avis à l’intention du juge de la jeunesse, ni en matière de traitement.
Ces données, et le contexte toujours plus tendu en matière de délinquance juvénile, ont amené l’Universitair Centrum Kinder- en Jeugdpsychiatrie Antwerpen à considérer comme étant de
son devoir de développer une offre pour ces jeunes généralement étiquetés de difficiles et dangereux, alors qu’en réalité ils sont désespérés et sans perspectives, tout comme, d’ailleurs, leurs
parents avec qui leurs relations sont souvent difficiles.
Avec le soutien financier du CPAS d’Anvers, entre autres, le centre universitaire a mis au
point une offre comportant deux volets. Premièrement, un protocole d’évaluation psychiatrique
interdisciplinaire du développement et du fonctionnement de jeunes délinquants a été mis au
point, sur base des plus récentes tendances internationales en la matière. Ce protocole est conçu
à l’intention, entre autres, des juges de la jeunesse. Sont évalués dans ce cadre non seulement la
présence d’un trouble psychiatrique mais également le développement, le fonctionnement, les
problèmes et les possibilités sur le plan social, émotionnel et didactique. On consacre aussi beaucoup d’attention au comportement délinquant et aux facteurs qui jouent un rôle tant dans l’apparition de ce comportement que dans son caractère répétitif. D’autre part, on s’attache dans le
protocole à formuler, pour le juge de la jeunesse, des conseils concrets et réalisables en matière
273
LA JUSTICE ET LE DROIT
de mesures, d’accompagnement et de traitement. L’utilité de cette offre, ainsi que ses lacunes,
sont régulièrement évaluées avec les juges de la jeunesse anversois.
Deuxièmement, le centre a également mis au point deux programmes de traitement. L’un à
l’intention de jeunes faisant état de comportements antisociaux et agressifs, et l’autre à l’intention de jeunes qui ont dépassé les limites acceptables en matière de comportements sexuels. Des
études ont montré en effet que les jeunes délinquants sexuels se différencient à plusieurs égards
des délinquants ‘ordinaires’ et qu’ils nécessitent donc une autre approche.
Les deux programmes poursuivent les objectifs suivants:
– Traitement de l’affection existante;
– Traitement, aide, coaching et accompagnement visant de meilleures relations avec les parents,
la famille, les camarades ;
– Traitement et formation axés essentiellement sur le comportement délinquant, afin d’éviter la
récidive;
– Traitement et accompagnement contextuel visant la réinsertion dans la famille, l’école et le
groupe de jeunes du même âge.
Les deux programmes consistent en un traitement individuel par un thérapeute de référence,
combiné à divers modules de thérapie de groupe. Les parents y sont intensivement impliqués.
Une évaluation scientifique systématique de l’efficacité a en outre été intégrée dans les deux
programmes.
Le programme destiné aux jeunes délinquants sexuels ne prévoit pas d’hospitalisation. Il est
proposé sur base ambulatoire (si nécessaire avec des visites à la maison et à l’école). En revanche,
le programme mis au point pour les jeunes délinquants présentant des comportementaux antisociaux débute toujours par une hospitalisation de six mois dans une unité spécifique de huit
places au sein de la clinique psychiatrique infanto-juvénile. A partir du quatrième mois, après un
traitement et une formation intensive, dont font partie l’école et l’apprentissage, le travail vise
essentiellement la réinsertion. Il est exceptionnel de devoir prolonger la durée de l’hospitalisation. Après l’hospitalisation, le traitement individuel, associé à l’accompagnement contextuel, se
poursuit pour une période maximale de six mois. Pour la suite des soins et du traitement, le jeune concerné (et ses parents) sont, si nécessaire, renvoyés après concertation à d’autres soignants
(parfois au sein du circuit des soins pour adultes).
Depuis 2002, les programmes sont financés par le biais du projet fédéral intitulé ‘Offre d’un
traitement clinique intensif aux jeunes délinquants présentant des troubles psychiatriques’. Dans
le cadre du même projet fédéral, le Centre Titeca à Bruxelles et l’Openbaar Psychiatrisch ziekenhuis de Geel ont également élaboré une offre de soins pour les jeunes délinquants présentant
des troubles psychiatriques.
Le projet fédéral impose une condition, à savoir que l’hospitalisation doit découler d’un diagnostic pédopsychiatrique, à la demande d’un juge de la jeunesse. Cependant, tous les jeunes
qui présentent un comportement délinquant grave et un comportement antisocial n’aboutissent
pas chez le juge de la jeunesse. De nombreux parents et aidants cherchent aussi de l’aide. Afin
d’éviter l’effet pervers qui les oblige à s’adresser d’abord à la police et au juge de la jeunesse
avant de pouvoir bénéficier d’une aide, le centre a ouvert une nouvelle unité à la mi 2005, sur
ses propres deniers…
274
CHAPITRE 10.1
C O N TA C T S :
Dirk Deboutte, hoogleraar kinder- en jeugdpsychiatrie, Universiteit Antwerpen,
ZiekenhuisNetwerk Antwerpen
E-mail: [email protected]
275
Drogue(s), prison et santé mentale.
C.A.P.- I.T.I.
JOSETTE BOGAERT, INFIRMIÈRE SOCIALE,
ROMAIN BOSMANS, LICENCIÉ EN PSYCHOLOGIE, COORDINATEUR CAP-ITI,
CATHERINE POIVRE, LICENCIÉE EN PSYCHOLOGIE.
Début 80, le service de santé mentale Primavera, en collaboration avec la faculté de psychologie et de pédagogie de l’U.L.B., décide de mettre sur pied un travail de prévention et de consultations psychologiques dans les prisons de Saint-Gilles et Forest. Le projet s’appuie sur le constat
d’une rapide et prévisible inflation de la population toxicomane dans les prisons.
Informer
D’emblée, il est apparu que ces toxicomanes, une fois incarcérés, étaient très demandeurs de
soins mais que leurs connaissances en la matière étaient souvent incorrectes, vagues, imprécises,
si pas inexistantes. Tous, ou presque, connaissaient ou avaient entendu parler d’un compagnon
d’infortune qui s’était risqué à subir une cure dans un de ces centres ambulatoires ou ‘fermés’ et
s’en était mal sorti. Mais très peu pouvaient préciser ce qu’on y offrait, ce qu’on y faisait, ni parfois même où ces centres ‘nichaient’. Dans les meilleurs des cas, un magistrat ou un policier les
informait. Information souvent incomplète, mal perçue par l’intéressé qui y voyait, la plupart du
temps, une manière de prolonger le contrôle judiciaire.
Il semblait dès lors plus indiqué de distinguer ce travail informatif de la fonction judiciaire et
de le faire réaliser par un personnel, et dans un cadre, prêtant moins à l’ambiguïté. L’objectif
paraissait simple. Il l’est resté. Il s’agit de présenter à tous les toxicomanes entrant en prison une
liste des lieux thérapeutiques qui leur sont destinés, de décrire ces lieux selon des critères objectifs, pratiques. Cette présentation se fait au moyen d’une brochure aide-mémoire remise lors
d’un entretien individuel, au cours duquel on s’enquiert de la carrière toxicomaniaque et de la
situation juridique et thérapeutique de chacun afin de permettre une première orientation.
Entretiens psychologiques
Ce travail d’information ne peut cependant négliger la dimension particulière du vécu carcéral subi par les toxicomanes. Car, outre la privation de liberté propre à toute détention, elle se
double pour le toxicomane de la souffrance propre au manque. Manque du toxicomane auquel
répond, comme en écho, le manque de moyens de l’administration pénitentiaire. Il s’ensuit une
situation où, alors même que le toxicomane se trouve confronté plus qu’avant à lui-même, et
276
CHAPITRE 10.1
à sa souffrance, rien ne lui est présenté pour l’aider à examiner sa situation et lui permettre
d’entamer éventuellement une psychothérapie durant sa détention. Et si, durant le temps de
la détention préventive, une psychothérapie ne peut être sérieusement envisagée, qu’il lui soit
au moins proposé une écoute propice à déclencher l’envie d’entamer un travail ultérieur. C’est
pourquoi, lors de l’entretien d’information, l’assistante sociale mentionne aux détenus la possibilité de bénéficier, à leur demande, d’entretiens psychologiques. L’orientation donnée à ceux-ci
est généralement l’éclaircissement d’un projet de désintoxication psychologique, l’invitation à
une réflexion critique sur le mode de vie de l’intéressé, le soutien à ceux qui sont particulièrement anxieux ou dépressifs. Pour ce faire, un cadre de dialogue neutre est défini, c’est-à-dire que
nous n’intervenons en aucun cas dans les conditions de détention ou dans le déroulement du
processus judiciaire.
Aide sociale et psychologique
Actuellement, notre service offre une aide sociale et psychologique aux détenus et ex-détenus. D’autre part, nous proposons également une formation s’adressant aux intervenants en
prison. Pour cela, nous nous basons sur notre connaissance du milieu carcéral afin de donner des
pistes de réflexions aux nouveaux professionnels (assistants sociaux, psychologues, éducateurs,…)
ainsi qu’aux visiteurs bénévoles qui, de manière proche ou plus éloignée, sont confrontés à une
population ayant un vécu de la justice et en particulier de la prison.
L’aide sociale comprend l’information, l’accompagnement, l’aide à la réhabilitation (celle-ci
intervenant bien plus tard dans le parcours du justiciable). Au début, et du fait de la présence
d’une seule assistante sociale, l’information était faite à la chaîne: les détenus recevaient les
adresses de centres de cure et de postcure mais le travail social n’était pas envisageable. Au fil
des années, l’équipe sociale s’est étoffée et une prise en charge plus variée a pris place. Il est
flagrant que même si le problème de consommation est présent, voire incontournable, les effets
secondaires et délétères de la détention (perte de revenus, de logement, d’emploi, de contacts
avec les proches,…) prennent le pas sur celui-ci. L’assistant social se trouve face à quelqu’un en
détresse morale et physique. Les demandes tiennent de la restauration d’un lien avec l’extérieur,
du besoin de mobiliser un maximum les personnes rencontrées (que ce soit l’assistant social du
service psychosocial, l’assistant social externe, l’avocat, …) afin de retrouver au plus tôt la liberté.
Dans notre cas, étant totalement en dehors du domaine judiciaire, nous n’avons aucune influence sur celui-ci. Ce qui nous donne par moments un sentiment d’impuissance, mais garantit aussi
notre liberté d’action.
Actuellement, l’aide psychologique se fait de plus en plus sous la contrainte, que ce soit en
prison ou lors de la libération. Les personnes que nous rencontrons sont en souffrance. Elles vivent des ruptures de liens avec la société en général (travail, école, soins de santé,…) et avec les
personnes (conjoint, famille, amis,…). Les enjeux qui se jouent lors du parcours carcéral influencent fortement les préoccupations de la personne (la liberté, les conditions de détention,…).
L’aide psychologique consiste en un accompagnement de soutien. Elle vise la réinsertion voire
l’insertion et à tout le moins l’évitement du pire, la rupture totale.
Rien n’est jamais acquis
Les écueils rencontrés tiennent de la confrontation entre deux logiques apparemment opposées, celle du milieu sécuritaire de la prison et celle du secteur psychosocial, la seconde étant
277
LA JUSTICE ET LE DROIT
vécue comme intrusive, voire hautement idéaliste, par la première. Des empêchements d’ordre
organisationnel se sont présentés: difficulté d’obtenir des locaux à disposition, projets de travail
refoulés pour des raisons de sécurité (dans certains cas, ces projets fonctionnaient depuis des
années, sans poser de problèmes), dialogues de sourds,… La patience et l’opiniâtreté ont été de
mise. La communication doit se renouer sans cesse, malgré toutes les lourdeurs que cela représente.
La certitude que nous avons, après des années de travail en prison, est que rien n’y est définitif ni acquis. Il faut continuellement négocier et renégocier, même si un accord avait déjà
été trouvé. L’existence d’une fédération telle que la FIDEX (fédération regroupant les services
externes au milieu carcéral travaillant avec des détenus et des ex-détenus) permet d’avoir une
position plus forte, puisqu’il s’agit alors de celle de tout un secteur et des institutions qui le
composent, face aux instances judiciaires (prisons, ministère de la justice, maisons de justice, …).
Malgré cela, il est indispensable de rester vigilants et prêts à réagir à ce qui nous apparaît comme
inacceptable dans le traitement que l’Etat met en place pour les personnes, même si elles ont eu
des comportements menant à la détention. Une de nos missions est la réinsertion, mais elle reste
inaccessible sans intervention cohérente des pouvoirs publics.
INFO
C.A.P.- I.T.I. (Centre D’accueil Postpénitentiaire – Information aux Toxicomanes incarcérés) rencontre les détenu(e)s
et ex-détenu(e)s usager(e)s de produits (alcool, drogue et/ou médicaments). C.A.P-I.T.I. est financé par la région de
Bruxelles-Capitale depuis 1991. Ensuite, il a été agréé comme service actif en matière de toxicomanie. Il occupe actuellement 14 travailleurs dont 6 ACS (agents contractuels subventionnés).
C O N TA C T S :
CAP-ITI,
avenue Albert 29, 1190 Bruxelles.
Tél: 02 538 47 90
E-mail: [email protected]
278
Maintenir le lien
A. ADHAMI, DIRECTEUR CLINIQUE ASBL RELAIS ENFANTS-PARENTS
S. EL FAWAZ, CRIMINOLOGUE
M. VANCAPPELLEN, A. JODOGNE, PSYCHOLOGUES
V. GONAY, ASSISTANTE SOCIALE
L’ASBL Relais Enfants-Parents (REP) a pour objectif de conserver à la personne détenue des
liens familiaux avec ses enfants. Elle réalise ses objectifs au travers de 4 types d’actions:
– La visite de l’enfant auprès du parent détenu
– Les entretiens psychologiques familiaux et individuels du parent détenu et de la famille
– Les groupes de parole des détenus parents au sein de la prison
– La promotion des outils de prévention et de recherche concernant ce domaine
Notre ASBL fête ses 10 ans.
Son objectif premier est de maintenir la relation entre un enfant et son parent incarcéré. La
santé psychique d’un enfant dépend de son évolution au sein de son environnement. Quand un
drame frappe l’équilibre familial, tel qu’un passage à l’acte grave et répressible d’un ou (des)
parent(s) provoquant son incarcération, l’enfant vit alors un cataclysme teinté d’incompréhension, un véritable traumatisme. Il doit faire face à une situation nouvelle, non préparée, et surtout vécue dans la douleur de la perte liée à la séparation.
Souvent l’enfant est mis à l’écart de la vérité et de ce qui se passe pour son parent: ‘papa (ou
maman) est parti en voyage... ‘. La santé mentale de l’enfant va dépendre de la manière dont
il subit le secret ou la vérité, la séparation ou la rupture, l’intérêt de soutenir son parent ou de
l’abandonner à son imaginaire. Bref, sa santé va dépendre de la façon dont il va être accompagné sur ce chemin.
Santé mentale et prévention
La prévention commence par la préparation du terrain et des professionnels qui y oeuvrent.
Nos interventions depuis 10 ans au sein des prisons ont permis d’ouvrir les consciences au fait
que les détenus (pour certains) sont aussi des parents et qu’il faut les maintenir dans leur réalité
relationnelle. Nous pensons que ce travail aide à la transmission de réalités sculptées psychologiquement, qui valent mieux que les secrets et le déni. Le sourire rendu aux enfants, les larmes de
joie des parents lors des rencontres régulières que nous soutenons, nous encouragent dans notre
279
LA JUSTICE ET LE DROIT
approche, dont nous sommes persuadés qu’elle évite les maladies et souffrances liées aux mensonges et aux ruptures.
Nous remarquons une diminution de l’agressivité des détenus, mais aussi des enfants, suite à
la mise en place des visites enfants-parent(s) détenu(s).
Santé mentale et lien
Nous avons amélioré l’accueil des enfants au sein de la prison, en y amenant des jeux, du matériel de psychomotricité, du matériel de médiation, etc. Nous préparons l’espace de rencontre
enfant-parent détenu, soutenons la rencontre et favorisons la parole. Nous accueillons la famille
et proposons des entretiens pour mettre des mots sur la relation et le vécu émotionnel qui y sont
liés. Nous pensons que le lien familial, à l’instar du lien social, est un excellent baromètre de la
santé psychologique. Le parent est ainsi différencié de son acte ; il n’est plus réduit à son identité
criminelle ou autre mais réhabilité comme parent pour lui-même, et adopté à nouveau par son
enfant.
Santé mentale et avenir
Les enfants dont nous nous occupons sont les futurs hommes et femmes, citoyens et porteurs
de l’avenir de notre société. La santé mentale collective va dépendre de la manière dont les actes
transgressifs sont compris par la collectivité ; l’enjeu est donc essentiel. L’histoire psychique se
transmet à notre insu d’une génération à l’autre. Si cette génération-ci veille à transmettre des
mots, des liens, de l’apaisement, et de la protection, l’enfant - citoyen de demain - pourra grandir en posant un regard sain sur l’avenir.
Histoire de Monsieur B.
Monsieur B est incarcéré pour vol avec violence. Il a été condamné à une longue peine. C’est
la seconde fois qu’il est incarcéré. Monsieur B a une fiancée, depuis bientôt quatre ans, qu’il a
rencontré entre ses deux détentions et avec qui il n’a pu vivre que quatre mois. Elle était déjà
maman d’une petite fille âgée d’un an, non reconnue par son père biologique. Fortement soutenu par notre service, Monsieur B. a entamé huit mois de procédure pour reconnaître la petite,
que nous nommerons Mélina. Après plusieurs années, le couple a décidé d’avoir un autre enfant,
une petite fille âgée aujourd’hui de 6 mois, que nous prénommerons Chloé.
Malheureusement, Monsieur B. n’a pas eu le droit d’assister à la naissance de Chloé, ni même
de lui rendre visite à la maternité. ‘A ceux qui pensent que c’est un choix égoïste et inconscient
d’avoir un enfant quand un parent est incarcéré, je réponds que c’est un choix de couple, bien
réfléchi et qui a donné un plus à notre relation, une envie de changer mon style de vie et une
prise de conscience de mes responsabilités’. Après son incarcération, Monsieur B. espère pouvoir
vivre et enfin profiter de la famille reconstituée. Il dit avoir fort changé durant sa détention ‘ je
suis père de famille, je ne suis plus en révolution’.
Nous avons rencontré Monsieur B pour la première fois en novembre 2002. Il désirait renouer
le contact avec Mélina, et nous avons donc mis en place des visites et ce de façon très régulière.
Très vite, il nous dira que les visites REP sont indispensables afin de ‘ briser le lien trop fusionnel
entre l’enfant et sa mère’. Selon le couple, Mélina est heureuse et épanouie après une visite
280
CHAPITRE 10.1
avec son papa. Lors de nos entretiens, Monsieur nous dira se sentir également heureux et moins
agressif après la visite de sa fille. Il dit que son état d’esprit est différent et que le reste lui devient plus supportable. Depuis la naissance de la seconde, nous avons également mis en place des
visites individuelles que nous encadrons en présence de Madame.
Monsieur dira que le fait que l’intervenante parle avec eux les met en confiance. Il explique
que les visites accompagnées par REP sont plus familiales, plus intimes, qu’il sent sa famille réunie et que ce moment lui apporte beaucoup, alors que dans le contexte carcéral des visites traditionnelles, il se sent observé et a peur des interprétations des autres détenus et agents quant
à un geste d’affection à son enfant. Concernant les autres détenus, il pense qu’aux visites REP, il
y a moins de pression et de prise de tête entre eux:’On parle de nos enfants et on se vit comme
pères et non comme détenus’.
Il nous dira également trouver dans notre contact un lien plus humain, sans a priori par rapport au motif de l’incarcération. Il souligne que c’est un sentiment rare car le plus souvent, il se
sent assimilé à ses faits délictueux. Quant au groupe de parole auquel il participe, il nous dira
que cela le satisfait pleinement. Il raconte:’ j’ai fait un set de table pour Mélina, c’est le cadeau
qu’elle a préféré, elle en parle encore maintenant et il est au-dessus de son lit. C’est moi qui l’ai
fait’. Par contre, il pense que dans les cas de couple séparés, où la mère refuse d’amener l’enfant,
notre service devrait faire un travail plus important avec ces dernières afin de leur faire prendre
conscience que le maintien du lien est important. Il dira du Relais: ‘c’est la joie, le soleil!’
Témoignage de Madame S. Chef de quartier dans une prison pour femmes
Madame S. est chef de quartier depuis 1993 ; elle a accepté de nous faire part de l’expérience
acquise au contact du REP dont elle a pu mesurer au fil du temps la capacité à répondre aux attentes des mères détenues. Outre des conditions de travail souvent pénibles, Madame S. relate
les difficultés d’ordre psychologique et humain auxquelles elle doit faire face pour asseoir durablement son autorité, garante de la sécurité de chacun au sein de la prison.
Il arrive bien souvent que Madame S. doive répondre aux questions d’une mère ‘entrante’
dont les premières angoisses concernent l’attitude à adopter vis-à-vis de ses enfants: faut-il leur
dire toute la vérité? les rencontrer en prison ou au contraire les tenir éloignés de la prison? A
l’instar d’un service d’urgences, Madame S. est amenée à délivrer un premier conseil. Elle a souvent remarqué qu’une rupture brutale de contact était source de déséquilibre autant pour la
mère que pour son enfant, et que cela avait également bien souvent pour effet d’augmenter
l’agressivité de la mère détenue tant vis-à-vis des agents pénitenciaires que des autres détenues.
Madame S. se dit alors soulagée de pouvoir nous passer le flambeau car elle estime que nous
sommes une structure capable d’entendre et de soutenir les demandes des mères incarcérées
auprès des familles, des services d’aide et de protection de la jeunesse, des différentes institutions judiciaires concernées ainsi que des organismes de placement. Elle constate que les visites
que nous organisons deux fois par mois contribuent à améliorer la sociabilité des femmes qui en
bénéficient et à reconstruire leur identité de mère parfois détériorée à la suite de leur incarcération.
Selon elle, il est primordial que les mères puissent accueillir leurs enfants hors la présence
d’agents en uniforme. Elle estime que ‘si une salle de visite reste une salle de visite’, le cadre que
nous mettons en place rend le lieu plus chaleureux, plus adapté aux enfants et plus propice au
281
LA JUSTICE ET LE DROIT
développement de la relation entre l’enfant et son parent détenu. Les mères peuvent profiter de
certaines visites pour offrir à leur enfant un petit cadeau qu’elles ont pu réaliser elles-mêmes au
groupe de parole que nous leur proposons, et elles en sont fières. Madame S a pu remarquer que
les mamans sont particulièrement heureuses après une visite spéciale, telles que la fête de SaintNicolas ou la fête de Pâques, car nous leur offrons l’occasion de fêter ces évènements en famille.
Pour conclure, Madame S estime que les mères détenues ayant pu garder un lien privilégié avec
leur enfant adoptaient un comportement plus serein au cours de leur détention, ce qui facilite
sa fonction au quotidien. En ce qui concerne la place des enfants au sein du milieu carcéral, elle
estime que l’attention toute particulière que leur accorde le REP diminue sans nul doute le traumatisme lié à la confrontation avec la prison. Madame S. termine en soulignant notre respect des
multiples règles inhérentes à un établissement pénitencier, ce qui a toujours favorisé, selon ses
dires, une excellente collaboration mutuelle.
C O N TA C T S :
Relais Enfants Parents,
rue de Bordeaux 62a, 1060 Bruxelles
Tél: 02 534 88 13
E-mail: [email protected]
282
Chapitre
La santé mentale du citoyen face à la justice
:: Introduction: La santé mentale du citoyen face à la justice
Lucien Nouwinck, avocat général à la Cour d’Appel de Bruxelles
:: L’expérience de la contrainte, à ses propres dépens…
Rafaël Daem, UilenSpiegel vzw
:: Les hospitalisations forcées et les traitements sous contrainte requièrent une attention
particulière pour la personne présentant des problèmes psychiques et pour sa famille
Marianne De Boodt, Federatie van Vlaamse Simileskringen
:: Les Equipe SOS Parenfants, au carrefour entre le citoyen, la santé mentale,
la justice et les situations de maltraitance
Françoise Dorange et Marc Minet, Equipe SOS Parenfants - Namur
:: Travail sous mandat, un mariage à trois?
Nathalie Nottet, Centre d’Orientation Educative G.A.I.M.O. , Dinant
:: Les prestations d’intérêt général pour les mineurs d’âge
Michel Heinis, le Radian, Bruxelles
:: Le traitement ambulatoire des abuseurs sexuels
Stéphane Troch, Nathalie Mathieu, Nicole Foucart, Philippe Wattier, Corinne Donfut,
Laurence Checcin, SSM de Jolimont
10.2
1
La santé mentale du citoyen face
à la justice
LUCIEN NOUWYNCK
AVOCAT GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES
Pourquoi une réflexion sur le thème « la santé mentale du citoyen
face à la justice »?
Traditionnellement, la justice pénale avait pour mission d’identifier et de punir les coupables
dans un double objectif de rétablissement de l’ordre social et de dissuasion générale. Si la justice
pénale s’est intéressée à la santé mentale, c’est d’abord parce qu’elle s’appuie sur le postulat du
libre-arbitre. Dès lors, si l’accusé est, au moment des faits, dans un état grave de déséquilibre
mental le rendant incapable du contrôle de ses actes, la sanction pénale perd son fondement. La
relation justice – santé mentale fut donc initialement conçue comme une relation entre un décideur et un expert consulté sur des questions échappant à la science du juge.
Actuellement, il ne se conçoit plus que l’intervention de la justice pénale se limite à infliger
une peine, à mettre l’auteur à l’écart de la société pour un temps plus ou moins long. On se préoccupe à juste titre de l’avenir: l’évitement de la récidive est aujourd’hui un objectif central. En
outre, d’importants efforts ont été consentis pour l’accueil et l’assistance des victimes. De même,
dans le secteur de la protection de la jeunesse et dans certains domaines de la justice civile, la
prise en considération d’aspects psychosociaux est devenue omniprésente.
On attend de la justice qu’elle soit efficace en termes de (ré)insertion sociale, de prise en charge de problématiques sociales et personnelles ainsi que de sécurité. Confrontée à l’obligation
d’être efficace sur un terrain qui n’est a priori pas le sien, la justice en appelle à d’autres intervenants, en particulier au secteur psycho-médico-social, pour prendre d’une certaine manière
le relais dans le suivi des justiciables. D’où l’émergence d’une nouvelle forme de relation entre
justice et santé mentale. Une réflexion éthique s’impose dès lors sur la nature de cette relation et
ses implications pour les acteurs des deux secteurs.
Les risques de dérives d’une perspective sécuritaire.
La tendance à confier à la justice le soin de gérer des problèmes sociaux qui relèvent d’autres
sphères, pousse celle-ci à en appeler au secteur psychosocial. Le secteur de la santé mentale
risque ainsi de se trouver instrumentalisé pour prendre en charge les ‘personnes à risques’, les
284
CHAPITRE 10.2
populations étiquetées ‘à problèmes’ confrontées à diverses formes de désinsertion socio-économique, dans une optique de maintien de l’ordre.
Le développement du travail en réseau peut être enrichissant en ce qu’il stimule des lieux de
rencontre où acteurs judiciaires et psycho-médico-sociaux recherchent des modes d’intervention
cohérents dans le respect des objectifs, contraintes et logiques de travail de chacun, légitimes
dans leurs différences. Un risque de dérive apparaît là où, par manque de connaissance ou de reconnaissance réciproque, un acteur impose sa propre logique et veut utiliser l’autre à ses propres
fins, sans tenir compte d’une nécessaire distinction des rôles. L’obsession de la réduction des risques entraîne alors une irrésistible instrumentalisation des interventions de type psycho-médicosocial au service d’un objectif sécuritaire à court terme 1.
Cette dérive peut mener à une situation caricaturale plaçant la justice dans une position
centrale, les autres acteurs n’étant reconnus qu’au titre d’auxiliaires de justice. Au nom des
meilleures intentions – faire le bien des justiciables et protéger la société – la justice poserait le
diagnostic, le cas échéant en s’appuyant sur l’avis d’un expert, prescrirait le traitement, en utilisant l’intervenant de la santé comme exécutant de ses décisions, et évaluerait les résultats, fort
logiquement en fonction de ses objectifs, qui ne sont pas des objectifs de santé.
On peut d’ailleurs se demander si l’approche axée sur la neutralisation de personnes étiquetées dangereuses n’a pas une fonction latente de déni: par une focalisation sur des problèmes de
dangerosité d’individus ou de groupes, la société n’occulte-t-elle pas ses problèmes… de société?
Le respect des personnes concernées.
Dans le cadre d’une politique axée sur la neutralisation et le contrôle, la relation justice –
santé mentale se traduit par une collaboration qui est donc, dans les faits, soumise à une logique
sécuritaire. Or si, comme le dit Claude Balier 2, ‘ le thérapeute doit faire référence à la réalité, en
particulier à la loi’, ‘ il ne peut en être ni l’applicateur, ni l’ordonnateur sans risquer de créer des
confusions entre celui qui écoute et peut tout entendre et celui qui sanctionne’.
Il peut en être autrement si l’intervention de la justice laisse un espace aux autres logiques. ‘Il
est de l’intérêt de tous de passer d’une stratégie défensive, axée sur la dangerosité et sur l’exclusion, à une stratégie offensive, axée sur la réhabilitation du délinquant, sur tous les plans,
qui nous paraît offrir davantage de garanties quant au risque de récidive.’ Ainsi s’exprimait la
Commission nationale contre l’exploitation sexuelle des enfants dans son rapport du 23 octobre
1997.
La dérive que nous avons évoquée peut être évitée si quelques principes directeurs d’une
saine articulation des modes d’intervention sont sauvegardés. Le maître-mot en est le respect:
respect des personnes concernées, respect des rôles respectifs des acteurs des deux secteurs et de
leurs modes d’intervention, respect du secret professionnel.
Dans une démocratie, la justice doit reconnaître le justiciable comme citoyen à part entière.
Elle doit donc contribuer à la responsabilisation des personnes qui lui sont déférées, ce qui ne
saurait se réduire à les confronter aux conséquences de leurs actes, à les inviter à les assumer et
à réduire leur autonomie en vue de les neutraliser. Il n’y a pas de responsabilité citoyenne sans
liberté effective de poser des choix, sans promotion de l’autonomie des personnes. C’est donc
bien de respect du justiciable comme citoyen qu’il s’agit.
285
LA JUSTICE ET LE DROIT
Tendre à responsabiliser suppose un espace de liberté et de parole permettant à un justiciable
de donner un sens propre à sa relation à la réglementation sociale, au départ de l’intervention
judiciaire. Cela implique l’accès à une logique de sujet davantage responsable de son destin, ce
qui est de nature à modifier son rapport à la loi comme son rapport à l’autre et à la société.
Il convient de se garder de prendre des décisions pour le bien des personnes concernées en se
substituant à elles. Face à cette tentation, on ne saurait trop recommander le remède proposé
par M. Crozier et E. Friedberg 3: ‘Accepter de penser que c’est au niveau des capacités seulement
que l’action sur les hommes ou pour les hommes a un sens pratique permet d’éviter ce piège de
la morale éternelle: faire le bien des hommes sans leur demander leur avis.’
Il est en revanche légitime d’orienter une personne vers le secteur de l’aide ou des soins dans
un objectif de soutien à la mobilisation des ressources de cette personne, s’il s’agit de mettre
à la disposition de celle-ci des outils qui seront de nature à lui permettre de trouver des modes
d’adaptation qui ne la mettront plus en conflit avec la loi.
L’injonction thérapeutique: est-il possible de traiter sous la contrainte?
Un autre volet de notre réflexion concerne le respect dû aux professions psycho-médico-sociales. Quel sens y aurait-il, pour la justice, à orienter des personnes vers le secteur de la santé mentale si ses principes de base, telle que la liberté thérapeutique, voire la condition même de son
fonctionnement qu’est le secret professionnel, n’étaient pas respectés?
Ceci nous amène à évoquer le débat déjà ancien sur l’injonction thérapeutique. Entendue
comme une décision de justice imposant, voire prescrivant, un traitement à l’auteur d’une infraction, cette injonction se heurte à des principes fondamentaux, et présente des inconvénients
majeurs. Sur le plan des principes, on relèvera que la prescription d’un traitement est un acte
médical. La loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient consacre le principe déontologique
du consentement libre du patient à toute intervention ou, en cas d’impossibilité de consentir, de
ses représentants légaux. Même si le patient est un mineur d’âge, il doit, à tout le moins, être
associé à la décision en fonction de son âge et de sa maturité. Ce n’est que dans des situations
très exceptionnelles que le médecin peut intervenir d’initiative dans l’intérêt du patient.
Sur le plan pratique, s’il est possible d’imposer à une personne de fréquenter une consultation
et de produire des attestations de présence, il est en revanche impossible d’imposer une véritable
psychothérapie. Un tel traitement implique, en effet, un investissement personnel de la personne
concernée.
Dans une autre perspective, il peut s’envisager d’encourager une personne à s’engager dans
une démarche thérapeutique qui pourrait contribuer à améliorer son insertion sociale. Il se peut
qu’elle se réapproprie la démarche et qu’une véritable relation thérapeutique puisse se construire. Dans un tel cadre, la première tâche du thérapeute sera d’ailleurs de clarifier la nature de
la demande.
Un suivi thérapeutique peut donc être prévu comme condition accompagnant une autre mesure (libération conditionnelle, probation, maintien d’un jeune dans son milieu familial…). Mais
une telle condition n’a de sens que si elle s’inscrit dans un projet auquel l’intéressé est partie
prenante. On peut alors parler de démarche responsabilisante. Dans tous les cas, le traitement
doit être accepté et la liberté thérapeutique doit être respectée.
286
CHAPITRE 10.2
Imposer une intervention psychosociale risque aussi d’avoir des effets pervers sur la représentation qu’une personne peut en avoir. Si la justice impose un traitement à une personne qui
n’éprouve aucun malaise personnel, aucune aspiration au changement, elle induit chez cette
personne l’idée que l’intervenant psychosocial fait partie d’un dispositif institutionnel de contrôle social qui entreprend de lui imposer une certaine manière d’être. Au risque de créer une
méfiance à l’égard du secteur psycho-médico-social et de rendre plus difficile une démarche
personnelle au moment où la personne en éprouverait le besoin.
Le secret professionnel, un élément essentiel
Un autre thème central à toute réflexion sur l’articulation des interventions de la justice et du
secteur de la santé mentale est le secret professionnel, qui est souvent une source de tensions.
Du côté des acteurs judiciaires, le secret professionnel est parfois perçu comme un obstacle à
une bonne collaboration, voire comme une marque injustifiée de méfiance. C’est perdre de vue
que pour le professionnel de la santé mentale ou du travail social, la relation qu’il peut mettre
en place avec celui qui recourt à ses services est un outil de travail indispensable. Cette relation
ne peut se nouer que dans un cadre offrant un espace de liberté de parole garanti par le secret
professionnel.
Pour ceux qui y sont tenus, garder le secret est un devoir, dont la violation est sanctionnée
pénalement. L’objectif de cette obligation ne se limite pas à la protection des personnes directement concernées, mais tend également à protéger la confiance que le citoyen doit nécessairement avoir envers certaines professions. Cette valeur est considérée comme supérieure à la
répression des crimes et délits: il est admis qu’un criminel a le droit d’être soigné par un médecin
sans crainte d’être dénoncé par celui-ci. La Cour de cassation a affirmé que cette règle repose sur
la nécessité d’assurer une entière sécurité à ceux qui doivent se confier et de permettre à chacun
d’obtenir les soins qu’exige son état, quelle qu’en soit la cause 4.
C’est notamment en tant que condition nécessaire à l’exercice de certaines missions touchant
au droit à la santé, à la liberté de conscience et au respect de la vie privée que le secret professionnel est protégé par la loi. La loi et la jurisprudence admettent des exceptions, notamment s’il
est impossible de protéger un tiers contre un péril grave et imminent autrement qu’en révélant
certains secrets, mais il s’agit de cas très exceptionnels.
En ce qui concerne les personnes orientées vers le secteur de la santé mentale par la justice, le
respect du secret professionnel marque un signal important: le justiciable n’est pas réduit à l’état
de prédateur qui devrait être seulement surveillé et limité dans sa liberté pour l’empêcher de
commettre de nouveaux méfaits. Il est reconnu comme personne autonome capable d’évoluer et
de poser des choix. C’est là toute l’originalité et la richesse d’une prévention de la récidive fondée sur une composante d’aide, de soutien à la mobilisation des ressources, et pas uniquement
sur le contrôle.
Tout effritement du secret professionnel nuit au travail thérapeutique, et a pour conséquence
que des choses importantes ne se disent plus. Ce qui est contre-productif, même d’un point de
vue sécuritaire, puisqu’un travail de nature à induire un changement de comportement est ainsi
compromis.
287
LA JUSTICE ET LE DROIT
Le respect de la victime
Le respect du secret professionnel est tout aussi important pour une victime, qui doit pouvoir
trouver un lieu de parole en toute sécurité, où s’exprimer doit être possible sans crainte de conséquences non désirées de ses révélations.
Il faut créer un cadre favorable à l’exercice des droits de la victime et lui apporter une assistance lui permettant de poser ses choix dans de bonnes conditions, tout en s’abstenant de décider à sa place de ce qui serait bon ou mauvais pour elle. L’intervenant psychosocial contribuera
donc à lui permettre de se positionner, mais n’agira ni ne décidera à sa place. Par la survenance
de l’infraction, la victime a été mise en situation de devoir subir, a perdu la maîtrise de son sort,
ce qui est sans doute un des aspects les plus douloureux et traumatisants de l’expérience de victimisation. Exprimer son vécu et retrouver la maîtrise de sa propre vie est un élément primordial
de sa reconstruction.
L’article 61 du Code de déontologie médicale, tel que modifié le 16 novembre 2002, prescrit
que, face à des situations de mauvais traitements ou d’abus sexuels, si les capacités de discernement de la victime le permettent, le médecin l’incitera à prendre elle-même les initiatives
nécessaires. Si la discussion avec elle est impossible, le médecin traitant se concertera avec un
confrère à propos de la suite à apporter à la situation. Ce n’est que face à un péril grave et imminent et s’il ne dispose d’aucun autre moyen qu’il prendra l’initiative d’informer le procureur du
Roi. Même s’il s’agit d’un enfant, le médecin doit, si les capacités de discernement de l’enfant le
permettent, lui parler de ses intentions avant de prendre toute initiative.
La question est d’autant plus délicate dans le cas de la maltraitance d’enfants, qu’il se peut
que l’enfant soit amené chez un intervenant psycho-médico-social par ceux qui l’ont maltraité.
Il serait catastrophique que des parents n’osent pas faire appel à des professionnels pouvant
apporter une aide à leur enfant, de crainte d’être dénoncés.
En conclusion:
Des pratiques nouvelles se sont développées en réponse à des attentes nouvelles, amenant la
justice à en appeler à d’autres intervenants. De ce fait, le secteur de la santé mentale se trouve
lui aussi enrôlé dans la gestion de problèmes de société, au risque de se voir imposer une clientèle – qui n’est pas demanderesse –, une logique de fonctionnement, un glissement d’objectifs et
des critères d’efficacité définis en termes sécuritaires plutôt que de santé. Or, si la sécurité peut
être un résultat indirect des interventions psychosociales, elle n’est pas en soi leur objectif.
Grâce à une prise de conscience des enjeux sociaux et au prix d’une clarification de leurs positionnements professionnels respectifs, les acteurs judiciaires et les travailleurs psychosociaux
peuvent assumer leurs rôles avec leurs limites, se respecter mutuellement et partager un même
souci majeur: respecter les justiciables. Respect des droits de l’homme (référence de base de l’intervention judiciaire) et respect de la personne et de sa liberté (principe déontologique de base
du travail psychosocial) sont des démarches qui se rejoignent. De ce point de vue, justice et santé
mentale ne se retrouvent pas face à face, mais plutôt côte à côte.
Sans doute faut-il aussi s’interroger sur le rôle de la justice dans notre société. Pourquoi estelle aujourd’hui tellement sollicitée pour faire face à des problèmes sociaux, relationnels ou
personnels? Offre-t-elle toujours la voie la plus adéquate? Ne serait-il pas préférable que les
288
CHAPITRE 10.2
interventions sociales ou thérapeutiques se fassent autrement que par le truchement d’un dispositif pénal?
RÉFÉRENCES:
1. Y. CARTUYVELS, Judiciaire et thérapeutique: quelles articulations?, rapport pour la Fondation Roi Baudouin,
juin 2002, pp. 95 et suiv.
2. C. BALIER, Mémoire concernant la nécessité d’un suivi médical pour certaines pathologies après l’accomplissement
de la peine remis au Garde des Sceaux le 8 janvier 1997.
3. M. CROZIER et E. FRIEDBERG, L’acteur et le système, Paris, Seuil, Points Essais, 1981, p. 431.
4. Cass., 16 décembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1390.
C O N TA C T S :
[email protected]
289
L’expérience de la contrainte, à ses propres
dépens…
RAFAËL DAEM,
PRÉSIDENT UILENSPIEGEL VZW
L’hospitalisation forcée est pour certains un bien nécessaire, et pour d’autres un mal nécessaire. Pour ceux qui la subissent à leurs dépens, les conséquences ne sont pas négligeables.
Rendez-vous compte: vos proches demandent au juge de rendre un jugement à votre sujet alors
que vous n’avez commis aucun délit. En faisant cela, ils décident de la manière dont se déroulera
votre vie pendant une certaine période. Et pourquoi? Parce que votre entourage, par ignorance
ou par impuissance, ne peut ou ne veut pas réagir autrement à votre ‘manière d’être différente’,
à votre souffrance psychique.
Un de nos membres a dit un jour ‘c’est la société qui m’a rendu malade et m’a fait en arriver
là’. C’est vrai qu’il est facile d’imputer la responsabilité de ses maux à des causes extérieures à soimême. Mais il est tout aussi facile de rester aveugle à l’impact de certaines évolutions de la société sur les individus plus ‘originaux’ ou plus sensibles, qui souffrent psychiquement. C’est souvent,
le plus faible, le plus différent, le plus démuni qui est le perdant, en dépit de lois et d’arrêtés
d’exécution bien intentionnés. Il y a si peu d’éthique, si peu de temps et de moyens pour répondre aux besoins humains individuels et pour respecter le droit à être ‘différent’. Mais écoutons
plutôt Joris (pseudonyme), membre de l’asbl UilenSpiegel, qui témoigne de son hospitalisation
forcée:
L’histoire de Joris
Quelques années ont passé depuis mon hospitalisation forcée en 2001. J’ai réussi à me libérer
du problème auquel j’étais confronté (psychose, sans délires ni hallucinations) et à stabiliser ma
vie à nouveau.
Nous sommes au milieu de l’année 2001. Je suis chez moi, à la maison, lorsqu’une voiture s’arrête devant la porte. Un homme et une femme aux traits accentués sonnent: ‘Voulez-vous nous
suivre?’ ‘Pourquoi?’ ‘Nous vous demandons de nous suivre.’ ‘Mais où?’ ‘Nous vous demandons de
nous suivre.’ Je sens très nettement que quelque chose ne tourne pas rond mais je ne suis pas en
état d’utiliser mon sens critique. Depuis mon congé de maladie et un jugement signifiant mon
assignation à résidence chez mes parents, je n’ai plus aucune sécurité sociale ni matérielle. J’ai
donc mis ma veste, pris congé et rouge de honte, un sourire désespéré sur les lèvres, je suis monté dans la voiture. Direction… le bureau de police. Au fil de conversations avec l’un, puis avec
290
CHAPITRE 10.2
l’autre, j’apprends que je vais rencontrer un médecin judiciaire. Je demande si je peux téléphoner à mon médecin traitant (qui est aussi celui de mes parents). Oui, c’est possible. Mais je fais
chou blanc: il me répond ‘que l’hospitalisation forcée est la meilleure solution’. Je tente d’argumenter que sous contrainte, je ne progresserai pas dans ma quête de solution à mon problème,
mais en vain.
J’ai continué à tourner en rond dans le bureau, inquiet et honteux. Etant donné que l’équipe
allait se réunir, je devais continuer à attendre dans une petite cellule sombre. ‘Vous n’avez pas
le choix, il n’y a pas d’autre place’. ‘Je n’ai pourtant rien fait de mal?’ ‘Vous allez entrer dans
cette cellule de gré ou de force!’ Ai-je remarqué une certaine satisfaction chez cette policière?
La porte à barreaux s’est refermée. ‘Ne peut-on la laisser ouverte? Je manque d’air.’ ‘Tenez-vous
tranquille, ou nous la fermons complètement!’
‘Vous pouvez venir.’ Monter, entrer dans un local, attendre. Un homme vêtu de noir entre,
portant une mallette noire, l’air triste. ‘Je suis médecin, je viens vous écouter.’ Bien que le monde
des soins de santé mentale me soit inconnu, je devine que quelque chose est en train de se
mettre en place, qui fait penser à de très longs couloirs d’hôpitaux néogothiques. Cela sent la
psychiatrie. Pas d’explication: qui il est, quel est son métier/son rôle… sauf ‘on m’a téléphoné’,
‘racontez-moi un peu votre histoire’. Je dois raconter à un étranger ce qui m’habite au plus profond et au plus intime de moi-même… ‘Comprenez-vous ce qui m’est arrivé et où je me trouve?’
lui ai-je demandé après lui avoir tout raconté. ‘Oui, je comprends tout’, il a fermé son classeur,
s’en est allé sans me regarder, aussi vite qu’il était arrivé…
En institution…
Il y a eu de la sympathie, il y a eu du dévouement humain chez certains professionnels mais ils
conservaient pour eux leurs interrogations. Puis, on m’a emmené dans cette usine à pommes de
terre où les patients étaient occupés à trier les pommes de terre: pas d’explication, tout ressemblait à la routine scolaire imposée aux petits enfants, dans une atmosphère agréable créée de
toute pièce par des ‘adultes qui savent’. Nous, nous étions des ‘enfants sots’, des ‘fous’ qui pouvions jouer, nous sentir libres (ah, le son des clés qui ouvrent et ferment les portes). Nous devions
suivre l’enseignement maternel et prendre nos repas à intervalles réguliers (quelques co-détenus
avaient droit à une coupelle pleine de médicaments, ce qui me rappelait ma grand-mère). Et
puis ces pauses cigarette à un endroit précis, l’espace jeu, l’espace télé, la liste de courses pour
le monde extérieur… On grandit de manière organique dans un monde qu’on observe avec tristesse mais auquel on s’abandonne de manière orgastique, faute de mieux.
Petit à petit, en observant, en posant des questions à des ‘accompagnateurs’ et à des ‘patients’, au travers de ‘procédures’, et par les visites d’un de mes parents, j’ai appris que j’avais
été hospitalisé sous la contrainte. Que j’étais dans un hôpital, je l’avais compris. Mais pourquoi,
sur base de quel diagnostic, ça je ne l’ai pas su. Malheureux et en colère, je sentais que quelque
chose n’allait pas, que je n’avais pas de connaissances médicales suffisantes pour exprimer ce que
je vivais, mais aussi qu’on ne m’écoutait pas. Aujourd’hui, j’ai appris de manière ‘académique’,
avec horreur, que sur base d’un diagnostic de schizophrénie, j’aurais été mal soigné, avec toutes
les conséquences que cela suppose. On pouvait toujours téléphoner, bien sûr, mais les frais de
téléphone étaient facturés…
J’ai rencontré le psychiatre une fois; cet homme à la barbe peu soignée et au costume peu
seyant me faisait penser à un de ces philosophes postmodernes qui me donnaient mal au ventre.
291
LA JUSTICE ET LE DROIT
Le psychologue, deux fois: de nouveau tout raconter, sans aucun feedback. Puis la visite soudaine
d’un avocat pro-deo (d’où sortait-il?) qui pouvait demander qu’on lève mon hospitalisation forcée: quelqu’un/quelque chose que je pouvais ‘utiliser’ pour supprimer cette contrainte, pour me
redonner de la liberté alors que j’avais besoin d’aide médicale (mais d’aide que j’aurais choisie)…
Puis vint le jour de l’audience, à l’hôpital. Cinq parties: moi-même d’un côté de la table, et
de l’autre côté, le juge de paix, le procureur, le psychiatre et mes parents. Le juge de paix et
moi-même étions les seuls à rire. J’ai une nouvelle fois raconté mon histoire. ‘Il est clair que cet
homme est schizophrène’ a affirmé le procureur sans me regarder. Le médecin a approuvé, sans
me regarder non plus. Je ne me suis pas laissé faire, surtout en m’adressant au procureur. ‘S’il en
est ainsi, faites vos bagages et faites votre vie. Vous êtes prêt? Je ne vois pas de raison de vous
garder ici. Vous êtes libre’, m’a dit le juge en souriant…
Un long chemin
Une fois dehors, non loin du cabinet de mon médecin (avec qui j’avais pourtant construit
une véritable relation de confiance, mais que je n’ai jamais vu durant mon séjour à l’hôpital
psychiatrique), avec deux sacs de sport, ma carte d’identité et ma carte bancaire, officiellement
en congé de maladie, j’ai d’abord trouvé refuge chez un ancien co-patient. Ensuite a commencé
ma quête, éprouvante et longue, d’une ville à l’autre, avec des emplois du temps chaotiques. J’ai
essayé de rester en ordre sur le plan administratif, sans adresse fixe ni beaucoup d’intimité, de
rester ‘normal’, d’être actif, de continuer à chercher les contacts, de trouver quelqu’un qui puisse
m’aider (tristesse/peur/colère face à l’incompréhension), de gérer l’argent (qui me glissait entre
les doigts parce que je n’avais ni logement ni boulot), de m’aimer et de prendre soi de moi.
Une quête dont je garde aujourd’hui encore les cicatrices. Une quête durant laquelle j’ai finalement rencontré quelqu’un, en 2003, qui m’a invité à une association de patients. J’ai commencé à reprendre pied… Mon attitude critique, la richesse de ma vie, mon cœur, ma résistance physique, mes capacités intellectuelles, quelques amis (‘normaux’ et autres), un revenu financier, un
peu d’accueil dans mon entourage, l’humanité d’un juge de paix, des médecins et des spécialistes
de terrain n’appartenant pas au monde de la santé mentale, m’ont aidé à sortir d’une période de
confusion et des situations intolérables que j’avais vécues lors de mon passage par les ‘soins de
santé mentale’.
Une émancipation et une humanisation en profondeur des soins de santé mentale? Oui. De
toute urgence… de manière à ce que le patient, son entourage et les thérapeutes puissent se
regarder dans la glace.
C O N TA C T S
UilenSpiegel vzw, association d’usagers en santé mentale
Rue du jardinier 47, 1080 Brussel
Tél & Fax: 02 410 19 99.
Informations (en néerlandais) sur www.uilenspiegel.net
292
Les hospitalisations forcées et les traitements
sous contrainte requièrent une attention
particulière pour la personne présentant des
problèmes psychiques et sa famille
MARIANNE DE BOODT
JURISTE, FEDERATIE VAN VLAAMSE SIMILESKRINGEN (FÉDÉRATION DES ASSOCIATIONS
SIMILES FLAMANDES)
Il va de soi que le traitement sur base volontaire doit toujours être prioritaire, car il est de
l’intérêt du malade psychique que le traitement soit instauré de commun accord avec lui. Plus
grande sera la confiance mutuelle entre le thérapeute et le patient, plus satisfaisants seront
les résultats que l’on pourra attendre de ce traitement. C’est toute l’importance d’une alliance
thérapeutique solide. Cela implique aussi que le patient soit informé de manière complète et
correcte sur son état de santé, sur les possibilités de traitement et sur les risques en cas de nontraitement. Il peut ainsi décider du traitement qu’il souhaite. Ce droit à disposer de lui-même a
été explicitement repris dans la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
Des arguments en faveur de la contrainte
Et pourtant, après des années d’expérience en tant que juriste de Similes, l’association de
familles de personnes souffrant de maladies mentales, j’estime qu’une certaine contrainte dans
les soins de santé mentale ne doit pas être exclue, moyennant bien entendu certaines conditions
strictes. Il arrive en effet que des personnes qui ont de réels problèmes psychiques ne demandent
pas l’aide dont ils ont besoin et menacent ainsi leur santé. Les limites du droit à disposer de soimême sont extrêmement difficiles à cerner. Il importe en tout cas d’œuvrer dans le seul but de
dispenser des soins appropriés et attentionnés ; les autres motivations sont à proscrire. Si l’on ne
peut éviter la contrainte, elle doit être appliquée sous une forme minimale, avec le plus d’humanité possible, et l’entourage du patient doit lui aussi faire l’objet d’une attention suffisante.
L’art. 7 de la Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine contient plusieurs arguments intéressants en faveur du traitement sous contrainte. Ils pourraient constituer
une source d’inspiration pour la législation belge, qui reste actuellement incomplète. L’art. 7
stipule que le traitement forcé de patients n’ayant pas la capacité de consentir est autorisé à
certaines conditions:
– La première condition est que la personne souffre d’un trouble mental sévère.
– La deuxième est que l’intervention traite spécifiquement ce trouble mental. Si le malade refuse une intervention ne visant pas spécifiquement le traitement de son trouble mental, son
opposition doit être respectée.
– La troisième condition est que l’absence de traitement risque d’être gravement préjudiciable à
la santé de la personne.
293
LA JUSTICE ET LE DROIT
Que disent les réglementations?
Dans notre pays, nous pouvons actuellement nous appuyer sur deux réglementations:
– Le règlement des situations d’urgence de l’article 8 § 5 de la loi susmentionnée relative aux
droits du patient: dans une situation d’urgence, lorsqu’on n’a aucune certitude concernant
le consentement préalable du patient ou de son représentant, toute intervention nécessaire
du praticien doit être pratiquée sans délai dans l’intérêt du patient. On songe spontanément
aux personnes nécessitant une aide médicale urgente après un accident par exemple, ou aux
personnes dont l’état de conscience est diminué, mais on ne pense guère à celles touchées par
une grave souffrance psychique.
– La loi du 26 juin 1990 sur la protection de la personne du malade mental. Dans le cas où une
personne souffrant de problèmes psychiques met gravement en péril sa santé et sa sécurité,
ou constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui, des mesures de protection
peuvent être prises, à condition qu’aucun autre traitement approprié ne soit disponible. Le
juge de paix peut décider de la mise en observation dans une unité psychiatrique, dans un
hôpital psychiatrique ou général reconnu à cet effet, ou ordonner des soins en milieu familial.
Quelques réflexions
Je n’approfondirai pas davantage la procédure et les règles strictes de l’hospitalisation sous
contrainte. Je me limiterai à quelques remarques concernant l’application de cette loi dans la
pratique. En général, l’hospitalisation forcée est pour le patient et son entourage une expérience
choquante, qui laissera des traces longtemps. Des membres de la famille me racontent que bien
des années plus tard, ils se demandent toujours si cette hospitalisation n’aurait pas pu être évitée, tellement ils l’ont vécue douloureusement.
– L’hospitalisation du patient doit se faire avec délicatesse! C’est une personne malade, qui a
besoin d’être traitée. Trop souvent, on voit intervenir des policiers en uniforme, avec combi de
police et gyrophare. Il y a moyen d’éviter cela.
– Durant l’hospitalisation, le traitement sous contrainte doit être aussi limité que possible.
– Il importe d’accorder beaucoup d’attention aux droits de la défense sans pour autant perdre
de vue l’aspect médical. Les jeunes avocats ont parfois tendance à sous-évaluer la gravité de la
situation.
– Les frais de transport vers l’hôpital ou, en cas de transfert, entre deux hôpitaux, ne devraient
pas être imputés au patient mais supportés par la communauté.
– Le malade hospitalisé sous contrainte doit être traité dans le respect de ses opinions et de
ses convictions religieuses et philosophiques. Il doit recevoir un traitement qui bénéficie à sa
santé physique et mentale, à ses contacts sociaux et familiaux, ainsi qu’à son épanouissement
culturel.
Deux dernières remarques:
– Il est parfois difficile, voire impossible, d’obtenir un rapport médical parce que le malade
refuse le traitement. On peut dès lors introduire auprès du juge de paix une requête en désignation d’expert (sur la base de l’article 594, 1° du Code judiciaire).
– Les soins sous contrainte en milieu familial sont rares. Cela s’explique probablement par les
exigences que suppose une telle prise en charge. Lorsque le malade représente ‘une grave
294
CHAPITRE 10.2
menace’, il n’est pas (plus) possible pour les membres de la famille qui cohabitent avec lui de
prodiguer ces soins et d’exercer une surveillance eux-mêmes.
C O N TA C T S :
Similes,
Groeneweg 151, 3001 Heverlee
Tél: 016. 23.23.82
www.similes.be
295
Les Equipe SOS Parenfants, au carrefour
entre le citoyen, la santé mentale, la justice
et les situations de maltraitance
FRANÇOISE DORANGE, JURISTE, EQUIPE SOS PARENFANTS – NAMUR
MARC MINET, COORDINATEUR, EQUIPE SOS PARENFANTS – NAMUR
Il y a déjà 25 ans …
Les équipes SOS Enfants ont été mises en place par un décret de la Communauté Française
datant de 1985, à la suite d’une recherche action menée au début des années 1980. Cette recherche avait mis en lumière l’importance du phénomène de la maltraitance des enfants et le peu de
considération de la société à cet égard. Des équipes pluridisciplinaires ont alors été créées, avec
pour mission d’assurer la prévention individuelle et le traitement des situations de maltraitance.
Dans la pratique, il s’agit d’apporter aide et soutien à l’enfant victime de maltraitance, à sa famille, à ses proches ainsi qu’aux professionnels confrontés à de telles situations. En Communauté
française, il y a actuellement 14 équipes SOS Enfants, administrées par l’O.N.E. En Flandre, six
équipes fonctionnent (Vertrouwencentra Kindermishandeling), et dépendent de Kind en Gezin.
Ces équipes sont actuellement composées au minimum d’un pédiatre ou d’un généraliste,
d’un pédopsychiatre ou d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un assistant social, d’un juriste,
d’un secrétaire, d’un coordinateur. Elles se trouvent ainsi à la croisée de divers types d’interventions auprès des familles: tantôt une intervention sociale sera nécessaire, tantôt une aide psychologique ou médicale, parfois des conseils juridiques seront appropriés à la situation afin d’aider
l’enfant et sa famille.
L’aide et la justice
L’aide apportée par les équipes peut se situer hors recours à la justice. C’est d’ailleurs le cas de
la plupart des situations. Mais il se peut également qu’il y ait recours à la justice ou qu’existe une
collaboration avec la justice.
Un exemple: Vanessa (6 ans) révèle à son institutrice qu’elle est régulièrement victime d’attouchements sexuels de la part de son oncle. L’institutrice en parle aux parents de Vanessa et au directeur de l’école. Les parents sont atterrés. Ils croient leur fille mais ils ont de la peine à déposer
plainte en justice contre leur frère et beau frère par ailleurs si gentil... Le directeur d’école pour
sa part estime ne pas pouvoir rester inactif face à une situation qu’il considère comme relevant
de la justice. Les parents lui signifient cependant clairement qu’ils s’opposent à ce qu’il interpelle
le Parquet du Procureur du Roi.
296
CHAPITRE 10.2
Une équipe SOS Enfants peut être interpellée et accompagner la réflexion des parents ainsi que
les craintes du corps enseignant, tout en évaluant globalement la situation et en apportant l’aide
nécessaire. La pluridisciplinarité permet diverses approches telles que, entre autres:
– une rencontre avec un psychologue pour aider l’enfant à exprimer sa souffrance ;
– un contact avec un assistant social pour aider les parents à faire le point sur leurs relations
avec leur frère et beau-frère, et pour les aider à se mobiliser pour protéger leur enfant ;
– un entretien avec le juriste qui peut expliquer comment déposer une plainte en justice, les
conséquences prévisibles du dépôt de plainte ;
– une rencontre en partenariat psychologue-assistant social avec l’enfant et la famille élargie
pour réfléchir ensemble à ce qui s’est passé et aux mesures à prendre à l’avenir.
Dans cette hypothèse, l’intervention de l’équipe est préalable à toute intervention judiciaire. Elle
se limitera peut-être à quelques rencontres permettant aux parents de trouver eux-mêmes comment aider au mieux leur enfant, éventuellement sans recours à la justice. L’intervention pourra
aussi évoluer vers une aide thérapeutique à moyen ou à long terme.
Autres exemples, autres carrefours ‘aide-justice’:
Un directeur d’école informe le Procureur du Roi d’une situation de maltraitance. Le Procureur
du Roi, parallèlement aux poursuites pénales à l’égard de l’auteur des faits, oriente le dossier au
Service de l’Aide à la Jeunesse afin qu’il s’assure de la protection de l’enfant victime. Le Service
de l’Aide à la Jeunesse peut alors prendre contact avec une équipe SOS Enfants qui pourra, après
évaluation, apporter une aide spécifique à l’enfant, éventuellement même pendant l’enquête
pénale.
Cette intervention en parallèle de la justice et des équipes SOS Enfants n’a pas toujours existé:
la police et certains juges d’instruction considéraient en effet que durant l’enquête l’enfant ne
devait pas être ‘influencé’, fut-ce pour lui venir en aide. Les déclarations de l’enfant devaient
servir avant tout à étayer l’accusation, les preuves étant souvent ténues dans les affaires d’attouchements sexuels.
Autre exemple: dans le cadre d’une procédure pénale, en vertu du principe de respect des
droits de la défense, les auditions de l’enfant sont portées à la connaissance du prévenu afin qu’il
puisse se défendre des accusations portées contre lui. L’enfant victime se sent souvent fort mal
d’avoir à accuser un proche ; les nécessités de l’enquête peuvent lui causer une souffrance qui
s’ajoute à celle déjà ressentie en raison des faits dont il a été victime. L’aide apportée par l’équipe SOS Enfants peut dès lors se révéler tout à fait nécessaire à l’enfant pour sa reconstruction.
Dans le cadre de l’aide apportée à l’enfant et à sa famille, il arrive que des parents et des avocats nous demandent des rapports, des documents écrits qui seraient utilisés dans les procédures
et les conflits en cours. Nous n’établissons pas ces écrits car notre priorité est de protéger la dynamique d’aide mise en place, et nous pensons qu’il s’agit en permanence de bien distinguer la
fonction d’expert de la fonction d’aide et de soutien thérapeutique.
Conclusion
Ces quelques exemples illustrent brièvement à la fois la complexité des situations de maltraitance ainsi que le modèle d’intervention spécifique des équipes SOS Enfants. Ces équipes, par
297
LA JUSTICE ET LE DROIT
leur composition et par leurs interventions, se placent résolument au cœur de cette articulation
entre les personnes (victimes-auteurs), le monde judiciaire et l’aide juridico-médico-psychosociale.
A l’avenir, si les équipes SOS Enfants en reçoivent les moyens, ce dispositif particulier devra
être renforcé pour faire face aux demandes toujours plus nombreuses. Il s’agira d’améliorer encore les liens avec l’ensemble des professionnels pouvant être confrontés à des situations de maltraitance. Il s’agira également de participer aux actuels débats et politiques visant à mieux aider
les victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Par ailleurs, une attention toute particulière sera également apportée aux adolescents auteurs de comportements sexuels problématiques.
C O N TA C T S :
SOS Parenfants, rue Saint Nicolas 84 bte 6, à 5000 Namur
Tél .: 081 22 54 15
Fax: 081 23 06 89
E-mail: [email protected]
Renseignements sur les équipes SOS-Enfants: www.one.be ou www.kindengezin.be.
298
Travail sous mandat, un mariage à trois?
NATHALIE NOTTET
PSYCHOLOGUE-CRIMINOLOGUE, CENTRE D’ORIENTATION EDUCATIVE G.A.I.M.O. , DINANT
La question de la légitimité du travail sous mandat - et donc de nos interventions - est une
pierre d’angle sur laquelle les réponses multiples semblent ricocher en tout sens: mariage de
raison? Raison de ne pas être à la noce? Mariage de mauvais goût entre aide et contrainte?
Engagement pour le meilleur et le pire? Jusqu’où entretenir l’union famille/intervenants?
Jusqu’où aller dans le ‘pas trop loin’? Que serait un heureux mariage? Quels en sont les témoins,
les conditions, les effets?
Le mandat ouvre une porte d’entrée ; c’est par ce biais, cette demande, cette allégation1 que
nous ‘entrons’ dans une famille, par cette porte qui ouvrira ou pas sur d’autres pièces que ce hall
d’entrée au paillasson pas toujours ‘Welcome’. Mais voyons d’abord ce que ce mandat peut sousentendre.
Le mandat… un engagement légal
Les Centres d’Orientation Educative (C.O.E.) ont pour mission d’apporter au jeune, à ses parents ou ses familiers un accompagnement social, éducatif et psychologique dans le milieu sociofamilial, et ensuite de l’accompagnement pour une mise en autonomie. Les C.O.E. travaillent sur
mandat d’une instance (Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ), Service de Protection Judiciaire (SPJ),
Tribunal de la Jeunesse (TJ)) dans le cadre du décret du 4 mars 1991 de l’Aide à la jeunesse, ou de
la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse.
Voilà donc le cadre légal: un accompagnement social, éducatif et psychologique sous mandat.
Accompagner, c’est ‘être avec’, être une présence, faire avec ce qui se passe ou ne se passe pas
et ce, en lien avec le social, l’éducatif et le psychologique. Vastes terrains aux frontières floues
et sinueuses… Est-il attendu de l’intervenant en C.O.E. qu’il soit un travailleur social ou un clinicien de la relation? ou un éducateur? ou mieux encore, un peu de tout, histoire de rester fidèle
à notre savoir-faire en compromis à la belge? Le service doit-il viser à améliorer la situation par
un partenariat accru? à travailler le climat psychosocial de la famille? à se dessiner en un soutien
psychologique? ou en entraide sociale? ou en guidance éducative? ou …en contrôle?
Le contenu, ou plutôt le contenant de la demande, donc le mandat, est quant à lui un guide
qui nous aide à définir notre mission, car il précise les objectifs poursuivis, ses motifs et sa durée,
299
LA JUSTICE ET LE DROIT
et délimite de ce fait un peu le territoire et ses frontières (travail éducatif en l’absence de structure parentale claire, suivi individuel pour un jeune en décrochage scolaire,…).
Le mandat... une demande en mariage
Quand le service est interpellé pour une intervention par une instance légale, l’allégation
peut prendre différentes formes. L’externalisation2 de la problématique de départ que vit la famille métamorphose ses difficultés ou sa souffrance en mots d’urgence, de crise, de plainte, de
danger,... Cette demande est, en plus, ‘modelée’, ciblée presque sur mesure pour le service qui va
la recevoir.
Le service va devoir aller au-delà de cette version explicite, empreinte de la personnalité et
des valeurs de l’instance mandante, et déjà colorée par la personnalité et les valeurs du délégué
(travailleur social du SAJ, SPJ, TJ) lors de l’investigation. Parfois, la demande esquisse déjà le contenu, la méthodologie à prendre, un peu comme si le ‘oui’ tant attendu était soumis à dot!
Le mandat est aussi social, normatif et donc il sous-entend un certain contrôle. Le mandant
attend souvent de notre service un contrôle, par exemple de la scolarité, et ce parfois dans le
cadre d’un soutien psychologique individuel d’un mineur, ce qui ne facilite pas la guidance.
L’intervenant se doit donc de concilier des aspects parfois bien contradictoires, paradoxaux, que
l’on retrouve dans cet étrange mariage de l’aide et du contrôle. Dure réalité! Surtout pour les
familles qui ont parfois du mal à se retrouver dans cette demande d’intervention, dans ces mots
dénaturés, recadrés qui peuvent être loin de leurs problèmes du départ.
Le mandat... un mariage qui ne peut rester blanc
Une fois le contrat signé au SAJ, SPJ ou TJ, la vie à deux (famille/service) commence… Mariage
arrangé, obligations réciproques de devoir se rencontrer sans pouvoir ni se choisir, ni se refuser.
Difficile rencontre entre la demande du mandant que le service s’est (ré)appropriée, et la demande - ou parfois la non demande - de la famille qui peut vivre l’intervention comme intrusive
ou menaçante, dans les cas de dénonciation par exemple.
Pour le meilleur et pour le pire, paradoxe du ‘si la famille améliore son problème’, elle justifie
de ce fait la pertinence de la mesure prise. Ou, à l’inverse, d’une famille qui n’évolue pas, qui
n’apporte pas les changements attendus et qui de ce fait entraîne le maintien de la mesure, sa
reconduite, ‘des fois que la famille serait maintenant plus disposée, plus disponible ... ‘
Agent de changement ou de contrôle… Quels changements sont à opérer pour le bien-être
de la famille? Quels changements sont attendus par les instances mandantes? Qui faut-il privilégier dans les rapports que l’on doit rendre à l’autorité mandante: la famille ou le mandant?
Comment concilier le cadre judiciaire, le cadre éducatif ou thérapeutique avec des lois qui les
organisent si différentes? Compromis de vie de couple … les champs d’intervention sont difficilement balisables: quand fait-on de l’éducatif? Quelles différences entendre entre thérapie familiale et entretiens familiaux? Les nuances sont quelques fois infimes...
Enfin, sur quels critères évaluer une fin d’intervention, la réussite ou l’échec de cette union?
Sur la véracité de l’allégation, sur l’intervention menée par le service, sur les objectifs atteints ou
pas, sur la situation du jeune ou de sa famille de manière à aboutir à une redéfinition d’une nou-
300
CHAPITRE 10.2
velle réalité? Et le mandant, que va-t-il réellement évaluer: la compétence des familles et/ou du
service?
Tant de questions qui dévoilent les enjeux d’un mandat, d’un lien entre trois partenaires complexes: le couple famille/intervenants et le mandant. Des enjeux relationnels qui s’entremêlent
aux problématiques déjà difficiles des familles que nous rencontrons: maltraitance, négligence,
difficultés éducatives, situations familiales post-divorce, abus sexuels, absentéisme scolaire, délits,... problématiques que nous accompagnons en vue de solliciter un changement, de mettre un
travail plus thérapeutique en route pour réduire les risques de récidive, de mettre de l’ordre dans
le contentieux conjugal qui génère des perturbations graves de la fonction parentale, ...et ce, en
lien avec le contenu et le cadre du mandat!
Travailler sous mandat … un mariage complexe, donc! Un bien étrange ménage ou manège
(si les lettres sont dans le désordre)!
NOTES:
1. Allégation: mettre en avant quelque chose pour appuyer ses dires. Donner comme raison, prétexte, excuse.
2. Externalisation: consiste à confier la totalité d’une fonction ou d’un service à un prestataire externe spécialisé.
C O N TA C T S :
COE GAIMO
Tél: 082 22 60 30
301
Les prestations d’intérêt général pour
les mineurs d’âge
MICHEL HEINIS
DIRECTEUR DU RADIAN, S.P.E.P. À BRUXELLES
Les prestations d’intérêt général1 sont des mesures éducatives qui s’adressent à des adolescents ayant commis un ‘fait qualifié infraction’. Elles ont un lien préventif avec la santé mentale
si l’on conçoit que l’adolescence est une crise qui oblige le jeune à inventer du nouveau, avec un
passé qu’il doit s’approprier de façon personnelle
Sur ce chemin où il doit poser ses traces personnelles, pour pouvoir s’y appuyer, l’adolescent
peut faire de mauvaises rencontres et des faux pas. Il en viendra parfois à porter atteinte aux
autres ou à leurs biens. Le considérer alors comme capable de répondre de ce qu’il a commis
l’aide, sans se substituer à lui, à se sortir de cette mauvaise passe. Cela l’ouvre à son devenir de
sujet, en évitant de l’enfermer dans un symptôme, que d’ailleurs le plus souvent il ne vit pas
comme sien, ou dans un rejet de toute relation, jugée dangereuse ou peu crédible. La prévention
s’entend donc au sens ‘d’accueillir ce qui arrive’, afin d’y trouver ses propres marques pour avancer vers son avenir.
Le contexte légal et le contexte judiciaire
Des mineurs d’âge ayant commis un ‘fait qualifié infraction’ se voient, en réponse à ce fait,
imposer par leurs juges d’accomplir une ‘prestation éducative et philanthropique en rapport avec
(leur) âge et (leurs) ressources’. Dans la pratique, cette prestation prend la forme d’un service
non rémunéré que l’adolescent est tenu d’apporter à la collectivité pendant une durée déterminée (généralement entre 30 et 60 heures), d’où l’appellation ‘d’intérêt général’. Elle a, comme
toute autre mesure prévue par la loi2, une visée éducative, et est énoncée comme une condition
au maintien du jeune dans son milieu de vie.
La prestation confronte donc à sa responsabilité un adolescent ‘délinquant’, en déplaçant
cette responsabilité sur son engagement dans l’accomplissement d’un service. Malgré les apparences, il doit en effet choisir de faire cette prestation. La plupart des adolescents la comprennent bien sûr tout simplement comme une punition. Ce sont des ‘travaux forcés’ ou ‘obligés’,
pour lesquels ils ne seront pas payés en retour3. Y voir un acte réparateur4 ou même personnel
est souvent difficile pour eux.
302
CHAPITRE 10.2
La prestation dans le concret
L’adolescent va donc devoir travailler. Le premier rôle du Radian est alors de trouver le lieu où
cela se passera. Le jeune prestera dans un service communal, de C.P.A.S. ou dans une association,
toutes structures offrant des services aux personnes (handicapés, enfants, personnes âgées), des
équipements collectifs ou des activités culturelles (centres sportifs, parcs, foyers culturels, services
communaux divers, musées). Mis à part les maisons qui s’occupent d’enfants ou de personnes
handicapées, ces organismes n’ont pas de vocation éducative, mais en revanche ils témoignent
d’un intérêt et d’un accueil à la problématique délinquante, et ont envie de faire découvrir leur
activité et de transmettre leur savoir-faire. Ces services le font bénévolement et sans contact avec
l’instance judiciaire. Les courriers et le rapport final adressés au juge sont signés par le travailleur
du Radian qui sera chargé d’accompagner la prestation.
Le caractère éducatif de la prestation sera donné par la nature et la qualité de cet accompagnement, qui s’appuie, en amont sur le rappel de la loi fait par le juge, et en aval sur l’accueil du
service rendu par le jeune dans un organisme.
Le travailleur accueillera ce que l’adolescent ‘apporte’ ; il se demandera comment il imagine
ses relations avec autrui, et ce qui le motive, afin que le jeune puisse garder de sa prestation une
trace liée au souvenir de cette expérience. Le travailleur veillera aussi à soutenir ses parents dans
leur rôle de parents. Il réfléchit donc à l’inscription de la prestation dans le tissu social, en lien
avec la famille, afin que cette prestation puisse se dérouler dans le respect des structures, et se
révéler au bout du compte avoir été une expérience intéressante pour tous.
‘Ce sont des jeunes’
L’adolescent est dans une période où il se construit autrement que dans l’enfance. Au moment
où il se sent appelé à prendre une place singulière et plus autonome dans la société, il élabore de
nouveaux liens entre lui et les autres. Le chemin qu’il parcourra est fait de périls et de possibles
qu’il doit expérimenter. Les repères, qui incluent les limites, y restent nécessaires.
Des situations se révèlent, où ces repères ont manqué, et d’autres où ils sont mis à mal par
des positions trop figées de ses parents. Ces repères s’avèrent aussi parfois trop lâches, ou trop
défaillants, ou encore trop encombrants. Or l’adolescent a besoin de repères, dans un espace de
questionnement et d’expérimentation. Mais cet espace est parfois fortement mis en question.
Les parents se sentent alors débordés et ne savent plus que faire. La prestation, en déterminant
la responsabilité propre à l’adolescent, soutient le rappel des limites, en appelant à leur intériorisation et à une réflexion personnelle. Sans ces limites, l’espace vital et quotidien de chacun se
voit menacé.
‘J’ai fait une bêtise…’ et ‘Je ne suis pas que ça’
L’adolescent ‘délinquant’ est d’abord… un adolescent. Il interpelle par un ‘agir’ qui est une
violence aussi pour lui, comme pour son entourage. Le juge de la jeunesse est alors en situation
de lui rappeler les lois en vigueur dans le monde où il vit. Avec une prestation, il le confronte à
une limite concrète par la privation partielle de son temps de loisir, et aux efforts qu’elle exigera
de lui. Le juge lui ‘laisse une chance’, celle de ‘se mettre en ordre’ vis-à-vis de la société, en rachetant son comportement et en ‘payant sa dette’.
303
LA JUSTICE ET LE DROIT
Cela ne va pas sans implication subjective, de la part du jeune mais aussi des adultes. Il faut
qu’ils se sentent entendus dans ce qu’ils disent et ne disent pas. Une rencontre, que les jeunes
n’acceptent pas toujours, doit avoir lieu au cours de la prestation. Ils doivent se sentir pris au
sérieux. Cette rencontre, qui se fait autour de l’organisation de la prestation, cherche comment
construire du lien. La prestation devient l’occasion de faire une expérience dans le tissu relationnel de l’échange, qui lui rend de l’estime de soi, et qui est source de possibles identifications. Il se
découvre capable de faire certaines choses dont, par exemple et non des moindres, d’être apprécié. La prestation devient un moment de distanciation du délit, elle rend à nouveau des choses
possibles pour ces jeunes parfois ‘dégoûtés’, et les mobilise à nouveau.
En fin de parcours, il est précieux que le jeune entende ses parents acter ce dont la prestation
aura été l’occasion pour leur fils. Ses parents reprennent confiance de l’avoir vu capable de se
mobiliser pour sa prestation et capable de se faire apprécier par d’autres au cours de celle-ci.
‘J’espère qu’on ne se reverra plus, ou alors pas ici!’
La prestation cherche ainsi à donner l’occasion à un adolescent ‘délinquant’ de trouver une issue
constructive aux fortes tensions (qui sont aussi cause de son faux pas) qu’il vit intérieurement
sans pouvoir les interpréter et sans trouver, parfois, quoi en faire. Elle le fait en lui donnant justement l’occasion de participer à la réalisation d’un ‘objet’ ou d’un ‘service’ qui soient occasions
de lien et de partage. Une prestation qui n’aura pas été accomplie dans un pur agir ‘vite fait bien
fait’ restitue ipso facto les conditions pour penser ‘ce qui arrive’, ce dont l’adolescent témoigne
souvent en fin de parcours.
A ces conditions, s’engager dans ses actes et le faire dans sa parole inscrit l’adolescent dans le
pacte symbolique, celui qui est dans l’échange et qui permet le lien social. Mais, de la coupe aux
lèvres…
NOTES:
1. La ‘prestation d’intérêt général’ n’est pas une ‘peine de travail’. La peine de travail, ordonnée par un tribunal
correctionnel à l’égard d’un adulte, est une alternative pénale, dont la valeur est rétributive.
2. La loi du 8 avril 1965 sur la Protection de la jeunesse.
3. Or disposer et gagner de l’argent est une question fondamentale dans l’adolescence. Elle renvoie au changement
de place dans la société.
4. La victime n’étant pas concernée, plusieurs services proposent aussi la médiation comme réponse éducative à un
délit.
C O N TA C T S :
Le Radian: tél: 02 215 16 76
www.leradian.be
304
Le traitement ambulatoire des abuseurs
sexuels
SSM DE JOLIMONT
DR STÉPHANE TROCH, PSYCHIATRE ;
NATHALIE MATHIEU, NICOLE FOUCART, PHILIPPE WATTIER, PSYCHOLOGUES ;
CORINNE DONFUT, ASSISTANTE SOCIALE ET LICENCIÉE EN CRIMINOLOGIE ;
LAURENCE CHECCIN, STAGIAIRE PSYCHOLOGUE.
Notre travail avec les auteurs d’infractions à caractère sexuel (A.I.C.S.) s’inscrit dans le cadre de
la Loi du 4 mai 1999 concernant la prise en charge des A.I.C.S., dont les aspects thérapeutiques
ont été confiés par la Région Wallonne à des équipes de santé spécialisées. Parmi celles-ci, quatorze services de santé mentale (dont le nôtre) ont répondu favorablement au mandat proposé
par la Région ; deux institutions hospitalières l’ont également accepté. Nous envisageons cette
prise en charge comme un partenariat entre acteurs de terrain de la justice et de la santé. Ce partenariat est formalisé par une convention tripartite cosignée par l’auteur d’infraction, l’assistant
de justice et le thérapeute.
Notre équipe est constamment interpellée par l’articulation entre contrainte, récidive et secret professionnel dans la prise en charge thérapeutique. Nous n’aborderons ici que les aspects
relatifs au suivi à visée psychothérapeutique ; les autres dimensions de l’accompagnement (sociale, éducative par exemple), bien que pouvant avoir toute leur importance sur le plan thérapeutique, n’ont pu être synthétisées ici.
Travail de notre équipe
L’équipe se compose d’un psychiatre, de quatre psychologues, d’une assistante sociale licenciée en criminologie, et d’une secrétaire (tous à temps partiel). Nous avons décidé de ‘répartir’
les demandes sur les personnes engagées pour cette mission spécifique mais aussi sur tous les
thérapeutes de l’équipe généraliste: notre souci était de recevoir ces demandes dans un cadre
généraliste, parmi d’autres demandes, afin de ne pas en accentuer la ‘spécificité’ et d’éviter ainsi
toute stigmatisation. Parallèlement, nous avions le souci de garder une consultation hétérogène
pour les thérapeutes.
Au fil du temps, partant de nos repères cliniques habituels, nous nous sommes rendus compte
de l’importance de situer notre écoute et nos interventions de façon à permettre l’accueil et la
‘mise au travail’ de ce qui, dans le discours de la personne, renvoie à un niveau ‘archaïque’ de sa
construction psychique. Archaïque, c’est-à-dire relatif à ce temps de son histoire (dans les toutes
premières années de la vie pour la plupart des auteurs) où l’identité commence à se construire,
avec en corollaire, la faculté de reconnaissance de l’autre (l’altérité). Ce point précis (accès à
la subjectivité, reconnaissance de l’altérité) fait problème de façon récurrente chez les A.I.C.S.,
305
LA JUSTICE ET LE DROIT
comme d’ailleurs chez d’autres consultants n’ayant pas commis ce genre de délits. Ce qui signifie
bien qu’il n’est sûrement pas un facteur déterminant, à lui seul, de la trajectoire délictuelle.
Ce type de travail permet alors, sans doute, de susciter chez ces patients un sentiment de
reconnaissance ‘comme être souffrant’ et ouvre progressivement à une rencontre dans leur
singularité de personne. C’est l’amorce possible d’un travail subjectivant et humain. Ceci se fait
parfois au terme d’un cheminement qui peut prendre plusieurs années. Les moments de partage
en équipe sont parfois, à cet égard, une clé de voûte de la prise en charge thérapeutique.
A propos du symptôme / délit
Si la justice a pour mission de se pencher sur le délit (preuve, condamnation, récidive), le thérapeute, quant à lui, se penche sur ce que le délit traduit. Il a à charge d’explorer en quoi ces
actes se sont avérés inévitables, c’est-à-dire de quoi ils se révèlent être des symptômes. Si la justice se préoccupe d’abord de récidive, le thérapeute, lui, est alerté lorsqu’il sent à l’œuvre, chez
le patient, une compulsion de répétition.
A propos de la contrainte / demande
Beaucoup de ceux que nous avons rencontrés étaient ‘motivés’ à venir surtout parce qu’ils
savaient qu’en acceptant d’être suivis, ils sortiraient plus vite de prison. Mais qui d’entre nous ne
le serait pas? Il est vrai qu’initialement on sent assez peu une ‘demande’ chez ces personnes. De
plus, certains traits pathologiques relatifs aux actes commis sont la traduction du mode de fonctionnement psychique de ces personnes, qui les enferme dans des besoins qui s’imposent à eux et
auxquels ils sont aliénés. Cela explique que ces personnes ne ressentent en général pas le besoin
de consulter. C’est donc à ce niveau qu’il faut peut-être situer l’utilité de la contrainte de traitement émise par la justice, qui est alors de susciter une première rencontre entre le patient et le
thérapeute.
Quelquefois pourtant, la thérapie est réclamée par le patient ; il arrive alors que son discours
se focalise sur la question de l’identité de la victime: qui est victime, elle ou moi? Dans le cas
d’abus intrafamiliaux non suivis de séparation conjugale, la souffrance de la victime peut être
complètement évacuée par la famille, à moins que ce ne soit la victime elle-même qui se retrouve
écartée… Dans ces situations, une focalisation exclusive de l’intervention à visée thérapeutique
sur l’auteur nous semble avoir peu de sens. C’est donc ici le modèle (actuellement prévalent)
de prise en charge individuelle qui mériterait d’être repensé, et élargi à un travail sur le mode
de fonctionnement du couple, voire de la famille entière (même si seul le délinquant est sous
contrainte de traitement).
Favoriser l’émergence d’une demande individuelle, conjugale ou familiale (selon les cas de
figure) qui correspondrait réellement à un désir pourrait donc bien représenter l’aboutissement
du travail entrepris dans ce temps thérapeutique.
En guise de conclusion
A l’heure où il nous semblerait opportun que les partenaires des deux institutions concernées
par ces accords de coopération se réunissent pour aborder ensemble la question de ‘clivages’
306
CHAPITRE 10.2
internes qui se répercutent sur la cohérence globale des prises en charge, nous avons tenté de
faire sentir que, comme bien souvent dans le domaine de la ‘psychothérapie’, c’est la clinique qui
nous interroge et nous fait avancer vers une autre écoute et vers d’autres dispositifs thérapeutiques. Ce travail dit spécifique nous en ayant donné l’occasion, il eut été dommage de ne pas
tenter, fût-ce très approximativement, d’en rendre compte.
C O N TA C T S :
SSM Jolimont, rue Ferrer 196, 7100 Haine St Paul
Tél: 064 23 33 48
307
LIENS
Quelques liens utiles
Fondation Roi Baudouin: www.kbs-frb.be
Institut Wallon pour la Santé Mentale: www.iwsm.be
Vlaamse Vereniging Geestelijke Gezondheid: www.vvgg.be
Fondation Julie Renson Stichting: www.julierenson.be
Similes: www.similes.org
www.theseas.be
311
RÉSUMÉ
Ce livre est une mosaïque d’opinions, d’expériences et de témoignages autour de la santé
mentale en Belgique. Il explore les différents secteurs de la société: travail, logement, enseignement, culture et justice, où la santé mentale se décline en (nouveaux) besoins spécifiques. Il
lance des pistes novatrices et remet en question certaines idées reçues.
La démarche de ce livre correspond à la volonté du Fonds Reine Fabiola pour la Santé Mentale d’insuffler du renouveau dans ce domaine, d’enrichir les pratiques des uns et des autres, de
décloisonner les champs, de favoriser les échanges et de susciter les expériences.
Son titre: ’Au plus près des gens’ indique clairement la tendance actuelle des soins de santé
mentale à se rapprocher des publics concernés, et à s’adapter aux demandes de plus en plus
ciblées émanant de populations plus diversifiées que par le passé. Bref, la santé mentale envahit
le champ de la vie quotidienne, et cet ouvrage se veut un manifeste qui accompagne cette mutation.
Les premiers concernés, les patients eux-mêmes, sont devenus partie prenante dans leurs
soins ; ils s’organisent en groupes d’entraide et de self-help, et fondent des associations qui
pèsent dorénavant dans le balance des décisions politiques. Il en va de même pour les familles,
qui exigent davantage d’implication dans la prise en charge, davantage de respect et de soutien
pour cette implication, en contrepartie de la plus grande responsabilité qui leur échoit à présent
que les patients ne vivent plus, pour la plupart, en institutions.
Il se dégage une nette demande de soins pour des populations autrefois ‘muettes’, comme les
enfants et les personnes âgées. Les enfants, pour toutes sortes de raisons, développent de plus
en plus tôt des pathologies spécifiques, qui nécessitent des prises en charge adaptées. Ils peuvent aussi être pris dans la tourmente des troubles de leurs parents, et en concevoir à leur tour
des difficultés de vie qui doivent faire l’objet d’une prévention bien pensée, afin d’éviter que ne
s’enclenchent des spirales maléfiques. Quant aux personnes âgées, de plus en plus nombreuses,
et souvent laissées pour compte dans une société qui privilégie la rentabilité et la vitesse, il est
bon de rappeler que les problèmes de santé qui les frappent ne sont pas uniquement ‘somatiques’, et que vieillir ne devrait pas nécessairement être synonyme de tristesse, de dépression et
de démence. Là aussi, la prévention est possible, et nécessaire.
Le monde du travail est abordé sous deux angles: comme source de problèmes, et comme
solution à d’autres problèmes. Il est en effet source de problèmes quand il est lié à un trop grand
stress, et c’est une question qui fait l’objet d’un nombre croissant d’études, et de démarches
préventives au sein du monde de l’entreprise.
Mais le travail est aussi le sésame de l’intégration dans la société d’aujourd’hui. C’est donc
par diverses formes d’activités – rémunérées ou non – que passent presque toutes les initiatives de réinsertion et de réhabilitation de personnes marginalisées, ce qui stimule la créativité
de très nombreux professionnels de la santé mentale, et donne lieu à des partenariats inédits,
prometteurs, généreux.
De pair avec le travail, vient le logement, dont le prix engouffre souvent l’essentiel des revenus des plus démunis et les maintient dans le cycle infernal de l’exclusion. Mais le logement,
315
AU PLUS PRÈS DES GENS
c’est aussi le synonyme de l’autonomie, ce qui, pour certains, est un combat de tous les jours. Des
solutions s’ébauchent, qui combinent solidarité et respect.
La crise actuelle que traverse l’école se superpose, en partie du moins, au malaise des adolescents qu’elle accueille. Violence, décrochage, drogue deviennent les symptômes quotidiens de
ce mal-être, auquel doivent faire face des professeurs déboussolés, eux-mêmes aux prises avec la
crise d’identité de leur profession. Des initiatives inédites voient le jour, qui sont autant de leviers
pour mobiliser la formidable énergie et le potentiel d’enthousiasme de la jeunesse.
Le domaine de la culture et celui de la santé mentale ont de nombreuses intersections, dont
trois sont développées ici. L’expression artistique est-elle ‘thérapeutique’ pour les personnes en
souffrance psychique? Il ne fait en tout cas aucun doute qu’elle est un moyen privilégié pour
créer du lien et de l’émotion partagée.
Ensuite sont examinés les enjeux de la multiculturalité: comment conjuguer la richesse de nos
pratiques thérapeutiques avec le respect des cultures parfois très différentes de ceux qui nécessitent ces soins? Quand le déracinement se complique des traumatismes de la guerre et de l’exil,
comment panser les plaies et faire en sorte que les générations suivantes trouvent leur place
chez nous?
Un troisième aspect de la culture considéré ici est celui des relations avec la presse: comment
assurer une couverture respectueuse des questions de santé mentale dans notre société de
l’hypermédiatisation?
Le dernier chapitre met en lumière les nombreux écueils de la relation entre la santé mentale
et la justice, deux mondes qui sont régis par des impératifs divergents, difficilement conciliables.
L’enfermement, voire l’emprisonnement, des personnes aux prises avec des troubles mentaux,
ne se fait pas de manière satisfaisante ; des projets pilotes sont récemment apparus, dont on
espère une amélioration de la situation. Mais la situation des prisonniers ‘ordinaires’ laisse aussi
beaucoup à désirer sur le plan de la santé mentale.
Enfin, les relations du citoyen – victime ou coupable de délit – et de la justice, font l’objet du
dernier chapitre.
316
La Fondation Roi Baudouin
Contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population
La Fondation Roi Baudouin est une fondation d’utilité publique qui a vu le jour en 1976, l’année
des 25 ans de règne du Roi Baudouin. La Fondation est indépendante et pluraliste. Nous œuvrons pour améliorer les conditions de vie de la population.
Les dépenses annuelles totales de la Fondation sont de quelques 39 millions d’euros an. Ce budget nous permet de réaliser pas mal de choses au service de la société, mais nous ne pouvons pas
tout faire. C’est pourquoi nous choisissons de mettre l’accent sur certains thèmes prioritaires, que
nous adaptons aux besoins changeants de la société. Nos programmes centraux pour les années à
venir sont: Justice sociale, Société civile, Gouvernance, et Fonds & Philanthropie d’aujourd’hui.
Le programme ‘Justice sociale’ détecte de nouvelles formes d’inégalité sociale et soutient des
initiatives qui accroissent l’autonomie des personnes les plus vulnérables. Avec le programme ‘Société civile’, nous cherchons à stimuler l’engagement citoyen et à renforcer le mouvement associatif. ‘Gouvernance’ entend associer plus étroitement les citoyens aux décisions sur les modes de
production et de consommation des biens et des services ainsi qu’aux évolutions dans les sciences
médicales. Quant au programme ‘Fonds & Philanthropie d’aujourd’hui’, il vise à encourager des
formes modernes de générosité: la Fondation fournit des informations aux donateurs et leur
propose toute une gamme d’instruments de philanthropie.
A côté de ces quatre programmes centraux, la Fondation mène aussi plusieurs ‘Initiatives spécifiques et structurelles’. Nous menons un projet sur l’aménagement du quartier européen à
Bruxelles, soutenons Child Focus et avons conclu un partenariat structurel avec le European Policy Centre.
Précisons encore que tous nos programmes et projets accordent une attention particulière à la
diversité culturelle et à l’équilibre des relations hommes-femmes.
Pour atteindre notre objectif, nous combinons différentes méthodes de travail: nous soutenons
des projets de tiers, nous développons nos propres projets sur certains thèmes, nous organisons
des journées d’étude et des tables rondes réunissant des experts et des citoyens, nous mettons
sur pied des groupes de réflexion sur des enjeux actuels et futurs, nous rassemblons autour d’une
même table des personnes aux visions très diverses, nous synthétisons les informations ainsi obtenues dans des publications et des rapports (gratuits),…
En tant que fondation européenne en Belgique, la Fondation Roi Baudouin est active au niveau
local, régional, fédéral, européen et international. Nous tirons bien sûr parti de notre implantation à Bruxelles, capitale de l’Europe, de la Belgique et des deux grandes Communautés de notre
pays
Vous trouverez de plus amples informations sur nos projets et publications sur notre site internet: www.kbs-frb.be.
Renseignements pratiques par e-mail [email protected] ou tél. +32-70-233 728
Fondation Roi Baudouin, rue Brederode 21, B-1000 Bruxelles, +32-2-511 18 40, fax +32-2-511 52 21
Les dons à partir de 30 euros versés à notre compte 000-0000004-04 sont fiscalement déductibles.
www.kbs-frb.be
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