Lire la nouvelle - Crous de Grenoble

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Lire la nouvelle - Crous de Grenoble
Le Valet de Colère de la Vallée des Cœurs
Ce Zéphyr qui souffle, chaud et doux, ce vent d'automne qui caresse ses cheveux dans le
Vercors, il cherche des choses aussi agréables mais en vérité il n'en trouve que très peu. Il aime à
l'imaginer venir des confins de l'Afrique pour traverser l'Algérie, la Méditerranée et la Provence
jusqu'à finalement envelopper son crâne et son cou, le vent ou cette femme ? Laquelle de femme ?
-"Etrange nous sommes en Juin. Ah putain qu'il est bon ce vent mais qu'est ce qu'il me retourne les
souvenirs, faut pas touiller le passé comme ça."
Claude regardait ce Vercors, magnifique, vert, gris, teinté d'un peu d'orangé et de brun, sous un
temps comme il les aime, avec un soleil qui perce de gros nuages gris et rapides, transportés par le
vent et qui laissent entrevoir le ciel bleu, le genre de ciel qui donne l'étrange impression que la voûte
est plus basse.
Il regarde ces rayons de soleil percer les nuages, créant des puits de lumière qui mettent en valeur
certains lieux tout en gardant dans une obscurité presque orageuse certains pans du massif, comme
si la Citadelle du Vercors était bénie à certains endroits et maudite à d'autres. Il regarde aussi ce
rocher quelques centaines de mètres plus loin où un loup superbe plonge son regard vers la forêt
avant de repartir pareil à une ombre, comme ces spectres médiévaux que seuls Roland et Bayard ne
craignaient pas. Tout cela dans le silence du vent.
Il reste là, à regarder.
"Respire moins fort tu veux, tu gâches le paysage."
-"Je t'emmerde", lui répondit son ami.
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-"C'est bon Michel on peut y aller, j'ai vu ce que je voulais voir."
-"Et qu'est ce que tu as vu ?"
-"Le vent et le loup."
-"Quel loup ?"
-"Ba je ne sais pas moi, un loup, pourquoi tu ne me demandes pas quel vent aussi ? Bien voila c'est
pareil."
Le duo se mit en marche, Claude et Michel sautaient de rocher en rocher, retenant parfois leur béret
d'une main, s'agrippant à une branche de l'autre. Ils discutaient des nouvelles récentes, et de
l'annonce importante de Gabriel, le chef de la bande. Arrivés à un pin marqué d'une entaille faite à la
baïonnette, ils quittèrent le chemin, louvoyèrent dans les broussailles et les fougères pendant une
dizaine de minutes, jusqu'à atteindre un trou dans la verdure, au pied d'une falaise, comme une
cache de contrebandier, mais ce n'était pas la loi qui les forçait à se cacher mais la loi du vainqueur.
Là était leur camp, un peu plus loin dans une grotte leur Sainte Barbe.
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Le camp était loin du calme du réveil, il commençait déjà à grouiller pour ce jour particulier.
Les hommes se rangeaient devant un rocher. Un homme sorti de derrière un arbre, monta sur le
rocher. Gabriel, mieux connu sous son nom de code "Lupa", était un homme d'assez bonne taille,
athlétique et aux cheveux blonds et bouclés, comme un mouton. Il était respecté, mieux, admiré par
ses hommes.
Le silence se fit et il commença à parler, fort pour se faire entendre de tous, mais pas assez pour que
sa voix ne dépasse ce coin de montagne qui abrite des nationalistes, des communistes, des
aventuriers et des jeunes qui s'ennuyaient avant la guerre.
-"Messieurs, j'ai la joie et l'honneur de vous annoncer que cette nuit, les Alliés sont arrivés sur le sol
de notre France chérie- une joie, un soulagement s'abattit sur l'assemblée . Attention Messieurs, rien
n'est fait tant qu'il reste à faire, mais je crois pouvoir désormais vous promettre la Victoire que vous
avez tant méritée, nous allons bientôt terrasser cette hydre infâme qui nous asservit depuis 4
années. Alors en avant et préparez vous, la Victoire nous appelle et nous allons la saisir."
Si à cet instant ils avaient lancé un "hourra", tout le Dauphiné en aurait été ébranlé, ils regardaient le
ciel, se serraient la main, sifflaient et chantaient. Ce camp d'hommes de guerre au milieu de la forêt
n'était plus que joie et libération. Claude se demandait, en regardant les membres de la bande
s'embrasser, si le loup qu'il avait vu plus tôt ce matin ou même Éole avait jamais ressenti pareil
sentiment. Quel ennui et quel dommage de ne pas pouvoir connaitre de tels moments, de pareilles
émotions qui exaltent, transportent l'âme et allument un brasier dans les cœurs.
Le reste de la journée s'écoula tranquillement et si légèrement, bien évidemment tous passaient en
revu leur matériel, il était certain que l'action allait s'intensifier dans des temps proches, mais on
lisait, on discutait, on mangeait, on sifflait, on restait allongé sur le roc en regardant le ciel. La
discipline s'était relâchée, non par vice et par mégarde, mais parce qu'elle n'était plus nécessaire car
chacun savait naturellement ce qu'il devait faire, afin d'être prêt pour les mois à venir qui allaient
leur donner à nouveau des jours libres, comme avant, et comme aujourd'hui.
Claude resta l'après midi avec ses amis, Michel bien sûr, c'était un jeune garçon au corps bien
proportionné, à la chevelure brune et aux yeux verts émeraude, mais aussi Louis, un homme plein de
fougue qui aime se faire appeler "Le Hussard". Il est dit à son propos qu'un soir de 1942 à Grenoble,
enhardi et abruti (disons le) par l'ingurgitation d'une bouteille de liqueur des frères Chartreux ( la
quantité reste légendaire et sujette à débat au sein de la bande ...) il remplit brillamment une
périlleuse mission de renseignement, poursuivi après avoir accomplit son devoir, il a honoré le lit de
celle qui l'a caché, une jolie fille ( ... tout comme la beauté de cette jeune femme, car Louis semble
être de cette race rare et belle des hommes de guerre qui ont le talent du conteur et donc
l'honnêteté du beau menteur) vivant chez son oncle, la geste dit que ni le Tonton ni les Teutons n'y
virent quoi que ce soit, bref une épopée. En un mot, il a de l'orgueil, il se bat et agit efficacement. Il y
avait enfin Adan, un Kabyle d'Algérie qui avait réussi à rejoindre la Résistance après la débâcle, tout
le monde l'appelait "Scipion", parce qu'il était Africain et que ce nom est celui du général d'une
République victorieuse, alors forcément les autres pensaient que cela ne pouvait que leur porter
chance. Or donc le groupe discutait dans un coin calme du camp, ils débattaient de la future stratégie
à appliquer lorsque cent ou deux cents mille Alliés seront sur le sol Européen de la France :
-"Ce qu'on va leur mettre" disait Adan en souriant.
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-"Pour sûr, continua Michel, il vont revoir le Rhin et leur putain de ligne Siegfried."
Fatigué de parler de guerre et d'Allemands, Louis fit rebondir la conversation sur un terrain qu'il
affectionnait particulièrement, la gente féminine :
-" Et vous les gars, qu'allez vous faire quand le Rhin sera repassé et la paix faite, avec quelle fille allez
vous fêter la Victoire ?"
Adan répondit le premier : " Moi je ne sais pas encore mais je compte sur quelques jolies Algéroises
pour me faire oublier la guerre."
-"Bien ça alors Scipion tu n'aimes pas les Européennes ?" demanda Claude.
-"Si elles sont très belles, mais parfois je les trouve froides comme les Alpes, moi je suis amoureux de
l'Afrique, des yeux dorés et des lèvres sucrées" répondit Adan avec son sourire solaire et rayonnant.
-"Et toi Michel ?" demanda Louis.
- "Hahaha moi c'est très simple les gars, la fille dont je ne vous ai même pas dit le nom, et bien cette
fille là est la plus jolie fille du monde et elle et moi avons décidé de nous épouser lorsque la guerre
cessera. Elle m'attend à l'abri des combats chez sa famille dans un petit village du Limousin. Les mecs
si après la guerre vous me cherchez, je serai dans l'Eglise de ce village en train de passer l'anneau d'or
à cet ange tombé du ciel, je vous inviterai au mariage si vous apprenez les bonnes manières d'ici là."
-"Le mariage, direct, t'as même pas pu profité d'autres filles avant j'en suis sûr" lança Louis d'un air
moqueur, "Et bien quoi Abélard, ton Héloïse t'a coupé les couilles ?"
Michel se leva de son tronc d'arbre et empoigna le col de Louis prêt à lui décocher une praline dans
le menton, en tout bien tout honneur, mais Claude le stoppa dans son mouvement.
-"Haw Haw Haw, tout doux le Valet de Cœur, t'es con te laisse pas avoir, et toi le Hussard ferme la un
peu tu veux ?" Tous les quatre rigolèrent, l'un trop heureux d'avoir évité le marron, l'autre content
d'avoir défendu son honneur sans avoir eu à frapper son ami, et enfin Adan et Claude parce qu'ils
auraient quand même bien aimé voir Louis rouler dans la poussière pour sa pique qui, ils doivent
l'admettre, les a bien fait marrer.
Après cet après midi heureux, le soir ils chantèrent et dansèrent, Adan, entonnait des chants de son
pays, alors les gars pour le remercier lui déclamèrent Les Africains :
"Nous étions au fond de l'Afrique
Gardiens jaloux de nos couleurs
Quand sous un soleil magnifique a retenti ce cri vainqueur
En avant, en avant, en avant."
En cette nuit du 6 au 7 Juin 1944, le vent, le soleil et l'espoir se levaient sur le Vercors, sur ses
hommes et sur ses loups.
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Pendant la nuit et toute la journée, la troupe était rassemblée autour de la radio, les ondes
Alliées comme les ondes Allemandes étaient hyperactives. Le groupe exaltait, enfin la Libération
arrivait, la Victoire déployait ses ailes et allait les éclairer, ils se préparaient pour sortir au grand jour,
l'armée des ombres de la République du Vercors voulait aussi sa part de Lumière.
Ce n'était pas le seul réseau à s'activer, ils le savaient. Dans le Limousin la Résistance annonce sur les
ondes l'assaut et la libération de Tulle, le 7 et le 8 Juin. Michel s'inquiète.
Le 10 Juin, la radio annonce la reprise de Tulle par la division SS Das Reich la veille, et les massacres
commis. La nouvelle les consterne, mais elle n'abat pas leur détermination, au contraire, un
sentiment de colère les envahit, ils se rappellent de tous leurs camarades morts fusillés ou sous la
torture, ils se rappellent de 1940 et de 1870, mais aussi de 1916, de 1806, de 1689 même, de
Verdun, d'Iéna et de Monsieur Turenne ravageant le Palatinat. La révolte avait sonné.
Le lendemain Claude va voir Michel, il le dérange alors qu'il est en train d'entretenir son arme.
Demain ils doivent attaquer un convoi Allemand qui monte à Villard-de-Lans d'après les informateurs
Grenoblois.
-"Dis moi Valet de Coeur, je me rappelle que ta douce est au Limousin, ça va ? L'annonce de Tulle ne
t'a pas trop secoué ?"
-"Ces bouchers vont payer Claude, tout se paie, même ton loup que tu as vu il y a quatre jours il va
payer pour les agneaux alors ces mecs qui se prétendent soldats..."
-"Les loups ne font pas ça par plaisir ou par haine Michel, j'allais dire, ne deviens pas loup, mais je
commence à croire avec cette guerre, comme avec la précédente qu'il y a pire qu'être un loup.
Pourtant il n'y a pas quatre ans j'était heureux d'être un homme."
-"Je sais, je ne deviendrai pas ce que je combats, ne t'inquiète pas ça va ça va. Je la sais en sécurité à
Oradour, c'est tout ce qui importe"
A ce moment, Claude devint pâle, incapable de dire quoi que ce soit, ses yeux commencèrent à se
mouiller : "Comment ? Qu'as tu dis ?"
-"Oui c'est là qu'elle est, à Oradour-sur-Glane, c'est pas loin de Tulle mais c'est trop petit pour
intéresser Allemands, Alliés ou résistants. Qu'est ce qu'il y a Claude, pourquoi fais tu cette tête."
Devant le silence inquiétant de Claude, incapable d'articuler un son, Michel insista : "Claude qu'est ce
qu'il se passe ? Claude ?" Son cœur bat, de plus en plus fort et vite, le Valet de Cœur bouscule Claude
et court jusqu'au poste de radio, il discute avec l'opérateur, Oradour-sur-Glane n'existe plus.
Michel partit dans les bois, en courant comme un damné, maudissant Ciel et Terre. Personne ne put
le retenir. Il ne revint qu'au déclin du jour, les yeux rougis et le teint pâle. Ses trois amis viennent le
voir mais ne lui disent rien, conscient de l'impuissance de leurs mots pour apaiser ses maux.
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Le lendemain, l'embuscade, Gabriel a maintenu Michel pour le commandement de la moitié
du groupe qui est dissimulée en contrebas de la route, l'autre moitié devant attaquer depuis la lisière
de la forêt qui surplombe la route. Gabriel n'a presque pas eu le choix, Michel lui a juré qu'il garderait
son contrôle et sa discipline au feu.
Les hommes sont cachés, ils observent et attendent, au bout de trois heures, un ronronnement de
moteur se fait entendre. Trois camion précédés d'une auto-blindée font leur apparition au virage.
Michel attend, il attend, encore, encore et encore.
Il entend le premier coup de feu, c'est le signal, la fusillade claque, alors Michel se dresse, de toute sa
taille, son visage resplendit, le soleil frappe ses cheveux, ses yeux sont sûrs et c'est alors qu'il poussa
un cri. Ce n'était pas un rugissement, c'était plus puissant qu'un fauve ou que le craquement des
vagues se fracassant sur la digue : "En Avant, faisons pleurer les dames de Berlin". C'était une
puissance tout humaine, ce n'était plus "Vive nous" mais "Mort à eux". Ses compagnons le suivirent,
les mitrailleuses, les fusils, la grenade et la surprise eurent raison du convoi. Deux Allemands, les
derniers, marchèrent vers les résistants, les mains en l'air, tout le groupe s'avança en les maintenant
en joue. Claude couru pour intervenir mais c'était trop tard, Michel tira :
CRACK, un.
CRACK, deux.
CRACK, trois.
CRACK, quatre coups.
Dans la poitrine et dans la tête des Allemands, le sang couvrait leur uniforme et leur chevelure
respectivement blonde et brune.
Alors devant le groupe resté sans voix devant cette exécution, Claude hurla :"Boucher pourquoi as tu
fais ça, ils se sont rendus, ils doivent avoir pas plus de vingt ans, tu n'avais pas le droit."
Alors Michel le regarda, il y avait dans ses yeux ni éclair ni bestialité, mais une colère, un désir une
grandeur effrayante, un gouffre, ses yeux étaient les mêmes que ceux d'Alexandre devant la cité de
Tyr en flammes et réduite à l'esclavage, et sur un ton de défi il lui lança: "Sais tu quel est le nom du
Valet de Cœur dans le jeu de carte ? C'est LaHire."
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Le groupe, rentra dans sa cache de contrebandier, il devait se préparer, car désormais, un
vent d'ire soufflait sur le Vercors, l'assaut allait être donné, les deux camps s'armaient de vigueur, de
haine et de courroux, c'était un vent de tempête, c'était l'Aquilon.
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