les clercs sorciers au chevet du roi charles vi
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les clercs sorciers au chevet du roi charles vi
n Christine LEMAIRE-DUTHOIT 1380-1422 LES CLERCS SORCIERS AU CHEVET DU ROI CHARLES VI En 1392, le roi tombe brusquement malade. Ses médecins assuraient que son état de santé était excellent. Pourtant, il se met à montrer des signes de démence et à se livrer à des extravagances indignes de la majesté royale. Certains affirment que ses crises sont l’effet des sortilèges… BEAUCOUP DE GENS pensaient que le roi a vait été victime, en 1392, de malédictions et de poisons, courants dans le royaume selon des contemporains comme le Religieux de Saint-Denis. Le chroniqueur Froissar t confirme : « Les aucuns disoient… que on a voit le ro y… empoisonné et ensorceré ». L’usage du poison est à la f ois un crime et un maléfice. Peu avant le fatal mois d’août 1392, Pierre de Craon accusait Louis d’Orléans d’accorder trop de faveurs à des sorciers, supersticiosis viris, qui composaient des sortilèges avec des os de mor ts. Deux ans aupar avant, un ermite, Jean Porchier, vagabond, assassin, voleur, s’était associé à un autre qui connaissait les herbes v enimeuses. Avec des complices, ils avaient voulu s’en prendre au roi, et à son frère Louis. Arrêté, Jean Porchier est jugé comme un « lar ron et murdrier et traîné et pendu » en 1390. SOIGNER LE ROI PAR TOUS LES MOYENS Les médecins se montrent impuissants à soigner ce mal mystérieux, sans doute une schiz ophrénie ou une psychose maniaco-dépressive. L’entourage du roi décide de le soigner « par tous les moyens licites et illicites ». Des sorciers sont donc convoqués au chevet du Roi. Ils sont douze, dont onze hommes. Le Religieux emploie les ter mes de « sortilegus, sortilegius, prestigiator, maleficus, nigromanticus, 1 42 HIM37_Assemblage_Interieur.indd 42 © BnF Les médecins au chevet du roi Charles VI. Paris, BnF, ms. fr. 2646. 3/03/11 12:42:20 DOSSIER 2 Le Bal des Ardents. Paris, BnF, ms. fr. 2646. invocator demonum ». Froissart parle d’un « ar iole », du latin jusque là aux astrologues, et qui neutr aliserait, du moins en hariolus, synonyme d’« incantator », enchanteur, sorcier. Jean grande partie, la maligne influence de la première […] Il débiCimar est condamné comme « sortilege, idolatre, nigroman- tait mille autres contes ridicules, et qui ne valent pas la peine cien, invoqueur d’ennemis ». Jean de Bar, « beau clerc », selon d’être rapportés ». L’état du roi empire . Arnaud Guillaume la chronique, est « nigromancien et invocateur de diables ». est exécuté en 1393. Le roi se remet, mais d’autres cr ises On pense d’abord à l’empoisonnement, mais l’enquête vont survenir. montre que le roi n’a quasiment pas mangé et bu ce jour-là. Jean Petit, chroniqueur du Duc de Bourgogne, essaie en 1408 de faire endosser la responsabilité à Louis d’Orléans, qui, après l’échec de ses « invocaPRÉTENDENT POUVOIR COMMANDER AUX DÉMONS tions et dyables, supersticions, charmes, exorations, sortilèges et maléfices », s’était rabattu sur « poisons, venins, intoxications ». En 1395, Louis d’Or léans a épousé DES INTERVENTIONS « POLITIQUES » ? Valentine Visconti, originaire de Lombardie , terre réputée En 1397-98, le roi va mal. Louis de Sancer re, maréchal de pour ses poisons et sor tilèges. Elle prend de l’ascendant sur France, va quérir d’autres sorciers, Pierre Tosant et Lancelot Martin, ermites apostats de Saint Augustin, qui affirment le roi et ses ennemis l’accusent de l’avoir ensorcelé. Pour expliquer la maladie du roi, on imagine alors qu’il a été qu’ils ont la science infuse et que la magie leur per met de commander aux éléments et aux démons. Ils sont bien ensorcelé, que sa maladie n’est pas due à des causes naturelles, « naturaliter », mais accidentelles, « accidentaliter », donc reçus et logés au château royal de Saint-Antoine. Ils essaient d’abord des remèdes naturels, puis conseillent de faire jeter à des maléfices extrinsèques. En 1393, c’est Arnaud Guillaume, originaire de Guyenne, qui en prison le barbier du roi et un concier ge de l’Hôtel d’Ordit posséder un livre , le Smagorad, dont il affirme que l’or i- léans. Le barbier aur ait été vu seul, la nuit, près du gibet de ginal a été donné par Dieu à Adam. Juvénal des Ursins parle Paris, et « on soupçonnait qu’il y prenait de quoi opérer d’Arnaud Guillaume comme « meschant homme, un trom- des sortilèges ou faire du poison ». Le Religieux écr it que peur, lequel à proprement parler estoit sorcier ». Cet homme « les seigneur s suivirent ce conseil. Quoiqu’il ne faille pas « fort peu instruit, portait toujours avec lui un livre qui,disait-il, ajouter foi à la sorceller ie, beaucoup de per sonnes espérèlui donnait visiblement, et du témoignage même des gens de rent qu’on pour rait par ces gens-là connaître la v érité au savoir, un pouvoir absolu sur les quatre éléments et sur tous sujet du maléfice dont on ne doutait point que le roi ne fût victime ». Mais finalement, les deux suspects sont remis les objets qu’ils renf erment. Il prétendait qu’à l’aide de ce livre il connaissait parfaitement toutes les planètes, et que, s’il en liberté. Cet échec n’empêche pas les deux sorcier s de y en avait une dont l’influence pût amener cette année une déclarer « que par une fa veur spéciale du ciel, ils avaient la grande mortalité, il en ferait paraître une contraire, inconnue science infuse, et pouvaient commander aux démons et Deux ermites augustins HISTOIRE ET IMAGES MÉDIÉVALES 37 HIM37_Assemblage_Interieur.indd 43 43 3/03/11 12:42:25 © BnF LES ERMITES La figure de l’ermite est ambivalente au Moyen Âge. Homme solitaire, marginal, il est tantôt saint, tantôt hérétique. Le pape Eugène IV, en lançant le 23 mars 1440 un violent réquisitoire contre son rival Amédée VIII de Savoie – devenu (anti)pape sous le nom de Félix V – l’accuse d’avoir succombé aux enchantements d’hommes scélérats, qu’il qualifie de « vaudois ». Le duc aurait vécu en ermite dans son château de Ripaille. À l’origine de la « Vauderie », cette affaire qui empoisonne la ville d’Arras en 1459-60, on rencontre la figure d’un ermite, Robert de Vaux, jugé à Langres, au nord de la Bourgogne. L’idée d’une persécution contre les « vaudois » aurait été inspirée à l’inquisiteur dominicain d’Arras, Pierre le Broussard, par un voyage à Langres, pour participer au chapitre général de l’ordre, et Robert de Vaux est natif de l’Artois. Un lien peut être évoqué avec la mort sur le bûcher d’un autre « ermite », Alphonse de Portugal, à Lille, le 26 mars 1459, condamné par l’inquisiteur de Tournai, Nicolas Cotin. Celui-ci aurait été à l’origine des arrestations de Douai, selon la plaidoirie de l’avocat royal le 5 juin 1461. aux éléments. Ils prétendaient connaître le mo yen de guérir toutes les maladies ; mais les apothicaires de P aris désapprouvaient et tournaient en ridicule leurs prescriptions… Ils répétaient sans cesse que la maladie du roi était produite , non par des causes naturelles, mais par des maléfices extérieurs. Ils se vantaient de pouv oir connaître les auteur s d’un si grand crime à l’aide de la magie et par l’inter médiaire du diable, qui est l’ennemi de la vérité ». Ils osent accuser le duc d’Orléans et sont jetés en prison. « Forcés d’avouer la vérité, ils déclarèrent enfin qu’ils avaient méchamment imaginé un si détestable mensonge, qu’ils étaient idolâtres, invocateurs de démons, apostats et sorcier s ». Les deux er mites sont dégradés et dépouillés de leur s ordres sacrés. Ils sont décapités et leurs membres sont coupés et suspendus au-dessus des principales portes de la ville. Deux autres sorciers sont consultés, Jean de Bar en Champagne, « beau clerc », protégé du duc de Bour gogne, et Jean Cimar, originaire d’Aragon et le seul sans doute à a voir étudié la médecine. Jean de Bar fait très habilement ses tour s de passe-passe pour faire apparaître le diable. Il possède plusieurs livres, dont un petit appelé « Seminafora », ou « Semmaphoras », qu’on attribuait à Salomon et qui était lié à la Kab bale juive. Il fait célébrer des messes où l’on in voque les diables et façonne des figurines pour désenvoûter le Roi. Jean de Bar est br ûlé en septembre ou octobre 1398. On r aconte que le duc d’Orléans, jaloux de v oir un si habile sorcier auprès de son oncle, est à l’origine de cette exécution. Le 9 décembre 1398, Jean Cimar a la tête coupée aux Halles de Paris et son corps est écartelé. En 1403, Philippe le Hardi recour t de nouv eau à des sorciers, Poncet (ou Poinson) du Solier et Jean Flandrin (ou Briquet), aidés du prêtre Yves Gilemme, de Perrin Hemery et du clerc Guillaume Floret, pour désensorceler le roi. Le duc de Bourgogne paie le cercle de fer de Poncet du Solier 1 500 fr ancs, somme énor me. Il en dépense ensuite 700 pour faire son procès. De tous les sorcier s qui tentèrent de guér ir le Roi, aucun ne survécut. La justice royale s’affirme fortement à l’époque. Les exécutions capitales sont des spectacles mis en scène pour inspirer la cr ainte. Les sorcier s n’y échappent pas. Par contre, les deux er mites et Jean Cimar sont suppliciés aussi comme traîtres. Les er mites avaient « outr agé la majesté royale » et Jean Cimar « gr iefvement avait attenté contre la royale majesté ». Ces hommes n’avaient tué ni empoisonné personne mais avaient eu « des paroles diffamab les contre l’honneur des plus prochains du sang ro yal ». La cruauté du châtiment montre l’impor tance de la cr ise politique née de la maladie du Roi. Jean Cimar fut décapité et écar telé « pour ce qu’il estoit sortilege, idolatre, nigromancien, invoqueur d’ennemis, de paroles diffamables contre l’honneur des plus prochains du sang royal ». Le Religieux de Saint-Denis confirme que le supplice des deux er mites « devait ser vir d’exemple aux autres traîtres et aux autres sorcier s ». La f olie royale, en mêlant sorcellerie et politique , rend plus sombre le destin des sorciers. 44 HIM37_Assemblage_Interieur.indd 44 3/03/11 12:42:35