Questions de discipline à l`école …et ailleurs éditions « érès »
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Questions de discipline à l`école …et ailleurs éditions « érès »
« J’ai lu pour vous » Questions de discipline à l’école …et ailleurs Eirick PRAIRAT professeur de sciences de l'Éducation université de Nancy 2 Éditions « érès » Cet ouvrage se présente comme une analyse et une orientation de travail en ce qui concerne les questions de discipline à l’école et autour de l’école. Dans une première partie Eirick Prairat décrit les phénomènes d’indiscipline, avance des explications et propose une modélisation pour penser et organiser la discipline. Dans une deuxième partie, en s’appuyant sur la modélisation proposée, il décline une série de propositions concrètes. Dans une troisième partie enfin, il aborde la question de l’éthique dans l’acte d’éduquer. I – Comprendre l’indiscipline I.1 Des constats et inquiétudes L’auteur pose comme préalable le risque qu’il y a à faire continuellement l’amalgame entre indiscipline et violence. Si la première relève des policiers et des juges, la seconde est l’affaire des enseignants et éducateurs. Cela l’amène à poser les définitions et délimiter trois problématiques :: - celle de la violence illustrée par la définition donnée par Robert Ballion (1999) « il y a violence symbolique, physique, matérielle, lorsqu’il y a injure, menace, intimidation, atteinte physique à autrui, dégradation, ou destruction volontaire de biens. » - celle de l’indiscipline qu’on ne peut diluer dans une problématique de violence - celle du mal- être des enseignants .qui ne renvoie pas uniquement à la violence ou l’indiscipline mais à une pluralité de phénomènes ; Eirick Prairat présente la nouvelle donne scolaire autour de 5 constats : Des discours contradictoires : Une forte demande de « discipline » exprimée par certains parents (et qui induit souvent leur choix d’établissement), mais aussi par les professionnels pour lesquels la discipline est un problème majeur notamment pour les jeunes enseignants, s’oppose à certains discours qui tiennent comme presque incongru de parler de discipline dans un processus d’éducation moderne. Or il n’y a pas d’école sans discipline. qu’il faut définir dans son actualité et sa visée, c'est-à-dire dans sa dimension instrumentale, qui permet, autorise, qui tend à faire entrer chaque élève dans une culture de la responsabilité et donc la saisir dans ce qu’elle a de positif. La disparition d’exigible prédéfini Il n’y a plus de consensus sur les attitudes et normes comportementales. Il y a plutôt de l’exigence à coconstruire mais à sans cesse renégocier. La nature anomique des actes d’indiscipline Les actes d’indisciplines ont changé de nature. De chahuts traditionnels un peu ritualisés et qui, paradoxalement témoignent d’une adhésion à la règle, on est passé à des désordres diffus et peu ritualisés avec désacralisation de la règle. On parle aussi de chahut endémique qui vise à empêcher toute communication dans la classe et caractérisé par : - des perturbations polymorphes (bavardage, déplacements, bruits divers, interpellations bruyantes, désintérêt ouvertement montré….) - l’absence d’agressivité à l’encontre du professeur (les réactions brusques voire violentes sont secondes…) - le désordre est permanent - il n’y a pas de cible définie a priori C. Gastard, IEN maternelle 22 1/5 décembre 2010 L’indiscipline serait donc plus de l’ordre d’un climat, d’une ambiance, que le résultat de transgressions clairement identifiables. Des formes et des effets divers Trois grandes catégories semblent se dessiner : - celui caractérisé par le souci de se dégager de l’emprise scolaire, donc une fonction d’évitement et de retrait - celui qui équivaut à une fonction d’obstruction : empêcher le cours de se dérouler, atteindre la fonction ou le statut du professeur - celui qui reflète une contestation des règles du jeu et des modalités de travail. Dans ce dernier cas on ne conteste pas pour contester mais pour dénoncer un contrat implicite. La victimisation et le sentiment de culpabilité des enseignants. Ce dernier constat insiste sur le fait que l’indiscipline fait souffrir les enseignants. Elle est douloureuse car vécue comme un danger identitaire, vécue parfois confusément comme le résultat d’une incompétence ou d’une faute professionnelle. Cela traduit un manque de prise de conscience, sans doute lié à un manque dans la formation, de la manière « d’habiter sa classe ». I.2 - Des éléments d’explication Quelques clés peuvent aider à la compréhension de ce phénomène. Les effets de la massification :L’afflux important d’élèves dans le secondaire a entraîné un problème non seulement quantitatif mais aussi qualitatif dans la façon d’accueillir des élèves peu préparés à cette culture scolaire du secondaire. La promesse oubliée : C’est celle qui consistait à faire penser que l’obtention d’un diplôme allait de pair avec l’obtention rapide d’un emploi. La valeur instrumentale de l’école s’est affaiblie. L’absence de garantie actuelle jette un doute sur l’efficacité des savoirs qu’elle dispense. Les familles démissionnaires ou démissionnées : Dans certaines familles où s’additionnent les difficultés (économiques, sociales, relationnelles, de couple, etc.) les parents n’ont souvent d’autres solutions que la séduction ou le laisser faire. Ce sont moins des parents démissionnaires que des parents socialement disqualifiés, humiliés, qui génèrent sans le vouloir cette délinquance de socialisation. La violence symbolique du jugement scolaire : L’école fait aujourd’hui l’objet de surenchères. Il faut non seulement réussir mais réussir mieux que les autres. Le jugement scolaire tend à porter sur l’ensemble d’une destinée. L’indiscipline est une réponse de survie psychologique à la brutalité symbolique de la sentence scolaire. Le téléscopage axiologique : il y a un conflit de valeurs entre la société qui fait l’apologie de l’immédiateté, du zapping, de l’hédonisme, de l’utilitarisme et du profit, et l’école qui tente de défendre le sens de l’effort gratuit, du plaisir différé, d’une forme d’abnégation et du sens du partage et du collectif. Des énigmes symboliques et enjeux anthropologiques : qui font apparaître que l’indiscipline peut être générée car l’ennui et n’est donc pas étrangère à la question didactico-pédagogique Entre normalisation et normativité :confondues par les élèves qui ont du mal à dénouer ce qui relève de l’arbitraire culturel, de l’arbitraire social. La crise de la fonction symbolique : marquée par l’émiettement des repères, l’affaiblissement du sens de l’interdit, la perte des effets structurants de l’obligation, donc des éléments qui nous relie et nous articule. Responsabilité et niveaux de réponse : l’école ne peut compenser toutes les faillites sociales et déficits de projet politique et il convient de distinguer plusieurs niveaux de réponse. I.3 – Penser la discipline Dire qu’il y a des problèmes de discipline c’est aussi dire que le modèle traditionnel est en crise. L’auteur reprend donc l’historique de l’école traditionnelle inspirée des pères jésuites, et des frères Lassaliens avec qui la classe devient un espace ordonné et fonctionnel avec des activités ritualisées, une exigence de silence, des manières et des postures normées et imposées. C. Gastard, IEN maternelle 22 2/5 décembre 2010 Il tente ensuite une formalisation qui s’appuie sur le modèle traditionnel qui nous révèle la matrice de la discipline, sa forme idéale. mais s’en éloigne dans les contenus. La dialectique groupe/individu, les activités, la communication et les comportements en constituent les quatre pôles. On peut mettre ce modèle en regard de la pédagogie institutionnelle et ses « quatre L » : Limites, Lieux , Lois et Langage. Il balaye ensuite les différents types de doctrines et courants qui définissent des types de comportements, d’activités, d’articulation entre l’individuel et le collectif, de mode de communication En conclusion de ce chapitre il estime que renouveler la réflexion sur la discipline scolaire, c’est ajouter la logique des besoins et de la prise en charge des exigences fondamentales de l’élève : besoin de sécurité, d’appartenance, de reconnaissance et de pouvoir. II Agir en classe, agir à l’école II.1 La discipline en classe Cette deuxième partie présente quelques perspectives de travail qui s’appuient sur les réflexions décrites dans le chapitre précédent. Tout d’abord apparaît l’idée d’un contrat de vie, clair. Réfléchir sur les lois de la classe n’est pas du temps perdu mais une nécessité fonctionnelle. Diverses pistes sont proposées qui s’appuient sur trois principes : - les règles de vie de classe mêlent inévitablement le normatif et le fonctionnel - un règlement de classe n’est pas une liste de « tu dois » ou de « il faut » car toute socialisation s’inscrit dans un espace bipolaire. - C’est un chantier perpétuellement ré-interrogé, travaillé et retravaillé Un temps d’institutionnalisation est à instaurer. Le maître ne travaille pas dans une classe mais avec une classe. L’écriture peut être un moyen de mise à distance parce que le travail sur la discipline n’est pas un travail de dressage mais de responsabilisation. La question de la promotion de lieux multiples est importante. La qualité des lieux marque le respect des hôtes. C’est aussi la condition pour que la classe ne soit pas vécue que comme l’espace du seul professeur mais comme un ensemble de lieux partagés. Désigner des délégués de classe, des responsables de tâches c’est une mise en responsabilité mais aussi en solidarité. II.2 Des gestes professionnels La question de la conduite de la classe exige d’élucider son propre rapport au pouvoir, ses limites et sa tolérance en acte. A partir de la proposition de Philippe Perrenoud sur les droits de l’apprenant l’auteur pose la question de ce que l’on est en capacité d’accepter in situ car on n’enseigne pas seulement avec ce que l’on sait mais aussi avec ce que l’on est. L’expérience montre que l’usage excessif d’ordres et d’injonctions est souvent le signe d’une pratique de classe défaillante. Le principe de modération est donc de mise. L’usage de signes non verbaux sont aussi utiles notamment pour donner à ses élèves le sentiment qu’on est vraiment présent et pleinement conscient de tout ce qui se passe dans la classe. Mobiliser et réactiver l’attention des élèves est une part importante du travail du maître. Les gestes professionnels sont complexes et multiples. Il faut savoir mener plusieurs activités simultanément, être souple, savoir introduire un moment de pause, accueillir une proposition imprévue, savoir se rendre disponible, savoir donner le choix, éviter les consignes impossibles ou ambiguës, les prescriptions multiples, les commandements vagues, etc. Il faut aussi être en mesure d’ « habiter sa classe », c’est dire se mouvoir, occuper l’espace, se mettre en scène, poser sa voix…Théâtraliser (sans excès) est complémentaire à l’autorité. L’enseignant doit aussi apprendre à faire face et ne pas entrer dans la spirale du conflit ouvert. L’auteur s’inspire de Colvin qui propose une description de ce type de conflit et des règles de réponses simples du type : ne rien demander à un élève hors de lui, ne pas s’engager dans une série de questions et réponses amorcées par l’élève, ne pas forcer la main de celui-ci. C. Gastard, IEN maternelle 22 3/5 décembre 2010 II.3 Des conseils pédagogiques Ceux-ci s’articulent autour de quelques principes : - Utiliser des procédures pédagogiques positives et impliquantes qui s‘appuient sur des modalités comme la différenciation pédagogique et l’évaluation formative. - Structurer et rythmer le travail en évitant les temps morts, les flottements, en veillant à l’alternance de plages de travail intensif et de moments moins soutenus. - Passer de l’aide à la tâche à la remédiation selon divers principes : de hiérarchie, de variation, de segmentation, de modulation, de simplification, de guidance, de tolérance, d’aide, de structuration, d’explication, de présentation, de substitution. - Contractualiser certaines activités scolaires - Savoir positiver et encourager : la gratification a une grande importance dans la relation éducative II.4 La discipline à l’école Il est urgent de réinvestir l’espace de la cour,.non pas particulièrement sur sa configuration physique, même si cela a aussi de l’importance, mais dans la surveillance. L’indiscipline commence souvent là où on ne la soupçonne pas. Il est donc important que les maîtres réinvestissent la cour de récréation, non pour limiter la liberté d’action et de jeu des élèves mais pour éviter qu’elle devienne un lieu de régression. Ce devrait être l’objet d’un véritable travail d’équipe. Pour les plus grands la fonction d’élève délégué peut avoir une réalité dans l’espace de la cour avec des élèves relais. Réinvestir des rituels que la maternelle a su conserver et les adapter à l’âge des élèves (rituels d’accueil, de politesse, d’activités..) Introduire des conseils d’élèves dans une démarche participative. Et surtout travailler en équipe car on sait bien que les élèves jouent sur les différences de comportement et de permissivité des adultes. L’idée est bien d’harmoniser et non d’uniformiser. II.5 Les élèves difficiles Réhabiliter le parrainage ou le tutorat est une des formes d’accompagnement possible. Proposer des contrats en est une autre. Par contrat s’entend une procédure particulière et complémentaire aux règles de la classe, adapté à un élève en particulier. Ce contrat doit respecter des règles et comporter des éléments incontournables du type : nom de l’élève, celui de l’enseignant, le comportement inacceptable, ce vers quoi l’élève doit tendre, la sanction possible s’il n’y a pas d’amélioration, la date d’expiration de la période probatoire, la signature de l’élève et de l’enseignant. Peuvent s’y ajouter la signature du directeur et des parents. User de sanctions éducatives à des fins : - politique : c’est une stratégie de réactivation du pouvoir de l’adulte pour rappeler la centralité de la loi. - Ethique : elle vise à rendre le sujet responsable en lui imputant les conséquences de ses actes. - Psychologique : elle porte un coup d’arrêt pour signifier les limites. Informer et impliquer les parents pour monter que l’éducation est un travail et une responsabilité partagés. III Considérations éthiques Dans cette troisième partie Eirick Prairat rappelle le sens profond du rôle d’éducateur et d’enseignant. L’action d’éduquer est globale et plurielle. et vise à permettre à chacun d’accomplir sa tâche d’homme. Elle est donc normative et orientée, elle a une pluralité de formes, est le résultat d’un ensemble d’intervention. On peut admettre que la formation professionnelle vient dans la continuité de l’éducation. L’éducation vise à l’avènement d’un homme libre. Ce « devenir libre, selon l’auteur, correspond à l’émergence en chacun de nous d’un triple sujet : rationnel, ethico-politique et singulier, c’est à dire capable de penser par lui-même, d’agir dans le respect d’autrui, d’exercer la souveraineté qui est la sienne, au cœur des espaces sociaux où elle est investie, fort de sa singularité et de son originalité. C. Gastard, IEN maternelle 22 4/5 décembre 2010 Cette action éducative se fait selon des modalités diverses ayant recours à la persuasion, à la contrainte, à l’influence, l’accueil et l’effacement, déclinés dans le sens positifs de ces termes. L’auteur fait l’éloge du préjugé positif, du respect, de l’autorité et de l’hospitalité. Il n’y a en effet pas d’éducation sans un pari sur la réussite probable et possible de chaque élève. L’affirmation que « tout enfant est éducable » est le postulat éthique qui fonde le devoir infini d’éduquer. Ce principe d’éducabilité ne prend son sens que s’il est accompagné de la conviction de l’éducateur ou de l’enseignant de sa responsabilité éducative. Par l’effet Pygmalion l’enfant tend à se conformer à l’image que le maître lui renvoie. L’enseignant doit savoir examiner avec lucidité et objectivité ce qui relève du faire (exercices, réalisations, travaux…) tout en continuant à parier sur les ressources infinies de l’être. Eirick Prairat définit le respect comme contenant l’idée de limite, de frontière à ne pas dépasser , mais aussi de vertu morale et différencie ce qui relève de l’estime, qui est variable, et du respect qui s’adresse à la globalité de la personne. L’autorité n’est pas dissociable du respect. Elle repose sur la reconnaissance, en acte de raison. L’éducation appelle l’autorité, elle l’exige. Mais l’autorité n’est pas de l’ordre du don, c’est une attitude qui se travaille et se conquiert. Elle n’est ni une contrainte, ni une persuasion mais une influence reconnue. L’autorité de l’éducateur n’est pas celle de l’arbitre ni celle du leader mais est plus fondamentalement une autorité de référence, la référence étant un détour qui renvoie toujours à soi-même. En conclusion l’auteur postule que l’école se doit d’être « hospitalière » et savoir faire une place à chacun afin que personne ne se sente étranger en son sein. Faire une place personnelle c’est faire aussi une place institutionnelle à l’intérieur de l’espace commun. C. Gastard, IEN maternelle 22 5/5 décembre 2010