La France profite mal de la mondialisation

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La France profite mal de la mondialisation
4REPÈRES ET TENDANCES
4CONJONCTURES
4DOSSIER
4LIVRES ET IDÉES
PEUT-ON SE PASSER D’INDUSTRIE ?
PATRICK A. MESSERLIN
*
La France profite mal
de la mondialisation
Nos performances en matière de commerce extérieur
sont surestimées : pour les échanges hors Union européenne, la France n’occupe qu’un rang médiocre. Elle
mise moins que ses partenaires sur la mondialisation
pour stimuler sa croissance : en fait, elle continue de s’abriter de la concurrence internationale derrière les protections offertes par l’Union européenne et la
fragmentation du Marché unique. Protections coûteuses
et finalement peu efficaces, dont le résultat le plus clair
est d’assurer des rentes de situation à certains lobbies
(dont l’agriculture offre l’exemple le plus visible). Pour
Patrick Messerlin, il ne s’agit pas de s’adapter à la mondialisation en concoctant des « politiques industrielles »,
mais d’en tirer parti en s’ouvrant davantage aux échanges internationaux, et en favorisant la concurrence par
des réformes – celle des marchés des biens et services
devant précéder celle du marché du travail.
* Professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris, directeur du Groupe d’économie mondiale (GEM) de l’IEP.
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4e trimestre 2004
première vue, la France semble très
À engagée dans le commerce interna-
tional. N’est-elle pas un des plus grands
exportateurs du monde, le cinquième
pour les biens, le quatrième pour les services ? Pourtant, si notre pays faisait du
commerce international un levier essentiel de sa croissance et de son développement, il devrait souhaiter un franc
succès aux négociations en cours à
l’Organisation mondiale du commerce
(OMC). Or, il est l’un de ceux qui manifestent le plus de réticences vis-à-vis du
Doha Round. Comment expliquer cette
apparente incohérence ? Et, au-delà, comment faire de l’intégration de la France à
l’économie mondiale une source de
croissance économique plus rapide ?
Cette incohérence tient d’abord au fait
que les performances commerciales de
la France sont plus apparentes que réelles. Le chiffre de nos ventes à l’étranger
additionne en effet les exportations vers
la Communauté européenne (intra-CE)
et celles vers le monde hors-CE. Une
telle façon de faire fausse la situation
réelle pour au moins deux raisons.
D’abord, elle néglige le fait que le
commerce intra-CE obéit aux règles
décidées à Bruxelles entre états memb-
LA FRANCE PROFITE MAL DE LA MONDIALISATION
Tableau 1. Un pays en « retrait »
France
allemagne
(% pib)
Importations extra-CE
1990
2001
Exportations extra-CE
1990
2001
Importations intra-CE
1990
2001
Exportations intra-CE
1990
2001
espagne
grandebretagne
italie
ce
(index = 100 pour la France)
7,1
8,4
128
131
89
111
137
125
87
108
118
129
6,0
8,1
158
154
52
70
133
102
95
125
125
131
12,0
13,0
113
111
89
144
108
89
84
89
122
123
11,3
14,1
150
116
68
106
96
74
85
82
128
120
La part des exportations et importations dans le PIB est donnée en pourcentage pour la France, en indice (par rapport à la France) pour les autres
états membres.
Source : économie européenne, Annexe statistique, 2002.
res, et non aux accords négociés avec
les pays du monde entier. Le système
juridique européen a désormais suffisamment de consistance pour traiter le
commerce intra-CE comme un commerce « intérieur » : inclurait-on les
exportations d’une région française vers
le reste de la France pour apprécier son
intégration au monde ? En procédant
ainsi, on passe sous silence le fait que les
pressions concurrentielles provenant
d’économies similaires sont moins fortes que celles provenant d’économies
dissemblables. En clair, le commerce
« intérieur » est un vecteur moins puissant de changements que le commerce
international, ce qui a été démontré il y
a longtemps par les économistes, à propos de la Communauté.
En second lieu, les performances de notre
commerce extérieur citées plus haut
sont trompeuses. Les exportations ne
sont pas les flux les plus appropriés pour
saisir l’influence du commerce international sur la croissance d’une nation. Les
importations leur sont préférables. Ce
sont elles qui donnent à un pays les
moyens de croissance qu’il n’a pas parce
qu’il ne sait pas, ou ne peut pas, produire
les biens en question. Ce sont elles qui
transmettent les pressions concurrentielles auxquelles les producteurs du pays
doivent réagir pour améliorer leurs
performances, en abandonnant des productions, en baissant les coûts, en améliorant la qualité des produits, ou en
combinant toutes ces stratégies.
une moinDre ouverture
au « granD Large »
U
n indicateur simple de l’intensité
de l’intégration commerciale de la
France à l’économie mondiale est la part
des importations françaises extra-CE
dans le PIB français (Produit intérieur
brut). Ce chiffre donne l’idée la plus
juste de l’ampleur et de la rapidité avec
laquelle les pressions concurrentielles
peuvent opérer en France. Le tableau 1
donne cette part pour cinq grands états
membres de la CE (en pourcentage du
PIB pour la France, en indice pour les
autres états membres afin de faciliter la
comparaison avec la France). Si elle a
augmenté entre 1990 et 2001 pour la
France, elle a crû beaucoup moins vite
que pour les autres états membres, à la
seule exception de l’Allemagne. Mais la
stabilité de la part des importations
extra-CE allemandes est à la fois le reflet
du succès de notre grand voisin avant
1990 et des problèmes qu’il connaît
depuis lors.
Être moins directement exposé aux
pressions concurrentielles extra-euro-
péennes a un coût pour l’économie française. Et ce coût apparaît entre 1990 et
2001, à travers des performances en
matière d’exportations extra-CE inférieures à celles de l’Espagne et de l’Italie.
Durant la même période, l’Allemagne
stagne à un niveau élevé (ce qui est
cohérent avec la stagnation de ses
importations extra-CE), tandis que la
Grande-Bretagne recule pour avoir
choisi, au cours des années 1990, de se
centrer sur la production de services,
dont la part dans son PIB est plus élevée
que dans celui des autres grands états
membres.
En bref, tout se passe comme si les
« bruits » de la concurrence avec le
reste du monde arrivaient assourdis en
France, après avoir été filtrés par les autres grandes économies européennes. Au
passage, ce résultat permet d’expliquer
l’attitude négative de la France vis-à-vis
du Doha Round : le commerce international tire moins la croissance française
qu’on veut bien le dire. Il permet aussi
de comprendre la baisse sensible de l’influence française à l’OMC, qui s’explique
par le poids réel de notre pays : sur la
base de ses seuls échanges extra-CE, la
France est le 8e importateur mondial
(entre la Corée et Singapour) et le 11e
exportateur mondial (entre Singapour
et la Russie)...
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Tableau 2. La France en retard dans les réformes
ce
grandeFrance
italie
allemagne espagne
indicateur
bretagne
[b]
[a]
(index = 100 pour la France)
Marché des biens
1978
1993
1998
Marché des services [c]
1998
Marché du travail
1990
1998
Notes :
états-unis japon
6,0
5,7
3,9
87
84
62
78
74
56
72
61
26
97
102
110
88
85
73
67
44
36
87
96
74
3,7
70
95
38
108
81
46
73
2,7
3,1
133
90
137
103
19
16
156
106
107
80
7
6
96
84
[a] Le tableau indique l’indicateur de « pression réglementaire » pour la France (allant de 0 pour une réglementation très favorable au jeu
de la concurrence à 6 pour une réglementation très défavorable). Les indicateurs pour les autres pays sont donnés en indice par rapport
à la France.
[b] Moyenne des indicateurs des états membres pondérée par leurs PIB aux prix courants.
[c] L’indicateur par pays est la moyenne simple des indicateurs de 7 secteurs de services.
Source : Nicoletti et al. OCDE, 2000 et 2001.
Tout ce qui précède ignore les services
et les investissements internationaux.
Mais, si on les prenait en compte,
les résultats seraient du même ordre,
bien qu’en la matière les statistiques de
qualité fassent encore cruellement
défaut. Ces résultats ne sont pourtant
pas directement comparables avec
ceux du tableau 1. En effet, services et
investissements internationaux n’ont
pas nécessairement la même capacité à
transmettre les pressions concurrentielles que les biens. Producteurs de services et investisseurs étrangers en France
peuvent s’accommoder de certaines
faiblesses de l’économie française,
sans que cela les empêche d’exploiter
leurs avantages. Ils peuvent, plus facilement que les producteurs de biens,
garder sous forme de rentes le fait de
ne pas pleinement libérer leurs capacités concurrentielles.
un espace européen
inachevé et surprotégé
L’
idée que les pressions concurrentielles venant du monde entier
(hors CEE) sont plus importantes que
celles venant des pays de l’Union
heurte deux convictions largement
répandues en France et en Europe : que
le Marché unique européen des biens
est maintenant réalisé, et qu’il n’est
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guère protégé de la concurrence internationale.
en matière de démantèlement des restrictions quantitatives dans l’habillement.
Ces deux convictions ne sont pas justifiées par les faits. Tout d’abord, le
Marché unique européen des biens
agricoles et industriels est loin d’être
achevé : un monde le sépare d’avec un
véritable « marché unique », comme il
en existe aux états-Unis. Des obstacles
demeurent entre états membres :
normes sanitaires et techniques sur les
produits comme sur les processus de
production, harmonisation battue en
brèche, « unions sacrées » contre les
nouveaux concurrents, menaces physiques des producteurs locaux non réprimées par les autorités nationales… Ces
obstacles équivalent à une taxe de 20
à 25 % sur les prix intra-CE1.
Ce chiffre de 11 à 12 % est une moyenne
pour l’ensemble des produits agricoles
et industriels. Or les biens qui ne sont
pas produits et ne bénéficient donc pas
de protection sont nombreux, même
dans une économie « mammouth »
comme celle de la Communauté. Le
niveau de protection globale des biens
effectivement produits en Europe est
donc nécessairement supérieur à cette
moyenne. Ainsi, en 2000, il a été supérieur à 20 % pour près d’un sixième de
la production industrielle de la CE, et a
même atteint entre 40 % et 300 % dans
les secteurs industriels et agricoles les
plus protégés.
Ce marché dit « unique » n’est pas seulement fragmenté, il est aussi protégé de
la concurrence internationale par un
niveau de protection « globale » encore
substantiel. Ainsi, en tenant compte des
seuls droits de douane et des barrières
non tarifaires, le niveau de protection
globale de l’économie européenne était
au moins de 11 à 12 % en 20002. Ce
niveau, qui n’a pas baissé depuis, sera
réduit d’un point environ au 1er janvier
2005 avec la fin de l’accord multifibre, si
l’Union respecte bien ses engagements
Cette forte variabilité est cruciale parce
que, comme le montre l’analyse économique, le coût de la protection augmente plus fortement que le niveau de
protection. Dès lors, la présence de larges secteurs agricoles et industriels
jouissant d’un niveau de protection globale élevé signifie l’existence de coûts
importants pour les consommateurs
1
2
De Serres, Hoeller, de la Maisonneuve, 2001.
Messerlin, 2001.
LA FRANCE PROFITE MAL DE LA MONDIALISATION
européens, dont une bonne part sont,
bien sûr, les entreprises elles-mêmes.
Ces coûts constituent un lourd boulet
qui ralentit la croissance française. On
pourrait penser que, pays « en retrait »,
la France serait moins concernée que les
autres états membres. C’est le contraire
qui est vrai. L’économie française cumule
le handicap de la protection globale
européenne et celui de la fragmentation
du Marché unique. Le premier limite les
effets de la concurrence mondiale sur
les autres économies de l’Union, le
second empêche de transmettre, d’une
économie européenne à l’autre, les pressions concurrentielles internationales.
Le coût prohibitiF
Des entraves
L
a conclusion logique de cette situation est que la France sera l’une des
principales gagnantes d’une libéralisation
européenne plus poussée, puisque celleci fera d’une pierre deux coups : réduire
la protection globale de la Communauté
et rendre le Marché unique plus parfait.
Bien des Français ont du mal à accepter
cette conclusion, car ils perçoivent la
protection comme l’expression de
l’« intérêt public » : protection de l’emploi, des biens dits stratégiques, des différences culturelles, de la stabilité
sociale… À l’inverse, la libéralisation des
échanges serait le cheval de Troie des
« intérêts privés ». Mais cette façon de
voir est inexacte.Tout d’abord, la protection européenne est un instrument très
coûteux de sauvegarde du travail. On
estime qu’elle ne sauve que 3 % du nombre total des emplois en danger, et ce
pour un coût moyen astronomique
d’environ 220 000 euros, dix fois le
salaire européen moyen dans les secteurs en question.
Si l’emploi était l’objectif réel des décideurs politiques – et non un alibi –, d’autres politiques devraient être mises en
œuvre, notamment celles qui agissent
directement sur le marché du travail. De
même, la protection des petits agriculteurs passerait par des subventions au
revenu et non par une protection qui ne
profite qu’aux plus gros. Enfin, la culture
serait protégée par une politique de vrai
mécénat et non par des quotas de diffusion à la télévision ou par des subventions à des films clones de ceux que
produit Hollywood…
elle travaille pour le roi de Prusse, en
défendant les intérêts des états membres les plus protégés (dont elle ne fait
pas partie), tout en étant la seule blâmée par le monde entier.
Enfin et surtout, les instruments de protection mis en place par la Communauté permettent à certains acteurs
économiques de bénéficier de fortes
rentes. Celles-ci (au moins 25 milliards
d’euros pour l’ensemble de la CE, soit
plus que les recettes douanières !) reflètent l’ampleur de la « capture » des
pouvoirs publics par les bénéficiaires de
situations acquises, lesquels disposent
ainsi de moyens considérables pour
maintenir les niveaux actuels de protection et pour ralentir l’émergence de
marchés européens plus concurrentiels.
La protection, dont les coûts importants
sont payés par les consommateurs
européens, a finalement une réalité et
des conséquences très différentes de ce
qu’on imagine généralement.
assurer Le bon
Fonctionnement
Des marchés…
Q
ue faire ? Une politique industrielle, comme certains le soutiennent ? Mais jamais un gouvernement ne
pourra mobiliser des moyens équivalents, en ampleur, en nombre et en
gamme, aux barrières dont nous venons
de parler.
Une politique de la concurrence ? Il faut
savoir en reconnaître les limites. Un
« abus » de position dominante est difficile à cerner, une « mauvaise » concentration encore plus. Une position dominante
ou une concentration peuvent être
acceptables dans une économie largement ouverte, mais condamnables dans
une économie plus fermée. De toute
façon, les décisions des autorités de la
concurrence sont ponctuelles, sans
commune mesure avec la masse et l’ampleur des barrières existantes.
Enfin, le niveau de protection vis-à-vis
du reste du monde, décidé à Bruxelles,
est le même pour tous les états membres de la Communauté. Cela ne veut
pas dire que son impact soit identique
pour toutes les économies européenAucune politique n’a donc un champ
nes. Par exemple, si la France produit
aussi vaste que celle de la libéralisation
beaucoup du bien A et peu du bien
des échanges internationaux, et donc un
B, et l’Allemagne beaucoup de B et peu
impact potentiel aussi fort. Les Français
de A, des droits de douane communauavaient mis des espoirs
taires – identiques pour
démesurés dans la capala France et l’Allemagne
Pour les produits
cité de l’euro à créer de
mais différents sur ces
agricoles, la France
la concurrence. L’expédeux produits – auront
rience montre que
un impact protectionn’est pas la plus
cette capacité est quasi
niste différent sur les
protégée. Sa défense
nulle si les barrières
deux économies.
forcenée de la politique
restent en place. En fait,
l’euro a surtout révélé
On notera – sans trop
agricole commune
les pouvoirs existants
d’ironie – que pour les
la rend perdante sur
sur certains marchés et
produits agricoles la
le plan économique
les rentes qui leur sont
France n’est pas la plus
associées.
protégée. Dès lors,
comme sur le plan
sa défense forcenée de
politique. En somme,
Dans l’économie franla politique agricole
elle travaille pour
çaise, largement domicommune (elle-même
née par les services,
reflet de la capture des
le roi de Prusse.
toute
libéralisation
pouvoirs publics par
internationale passe par
certains lobbies) la rend
une politique interne facilitant la créaperdante sur le plan économique
tion, le bon fonctionnement et le dévecomme sur le plan politique. En somme,
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loppement des marchés ; ce qui nécessite des réformes juridiques et institutionnelles capables de réduire les coûts
élevés de la protection et d’éliminer les
rentes qui lui sont associées. Une politique de libéralisation passe aussi par de
bonnes incitations en faveur des agents
individuels, privés ou publics.
Ces réformes peuvent prendre la
forme de déréglementations (élimination des lois et des réglementations
et institutions inadaptées), mais aussi
de « reréglementations » : adoption de
nouvelles lois, réglementations et institutions nécessitées par le bon fonctionnement des nouveaux marchés.
La France peine à adopter cette approche, comme le montrent les indicateurs
de « pression réglementaire » (allant de 0
pour une réglementation très favorable
au jeu de la concurrence à 6 pour une
réglementation très défavorable) présentés dans le tableau 2. En ce qui concerne
les biens, notre pays a certes progressé,
en termes absolus, avec la baisse de cet
indicateur de 6,0 à 3,9. Mais, et c’est ce
qui compte dans l’optique internationale,
il a régressé en termes relatifs puisque
tous les autres grands pays industriels,
sauf l’Italie, ont mieux adapté leur cadre
juridique et institutionnel aux nouvelles
exigences des marchés. Cette obser vation vaut aussi pour les services.
Les Européens ont longtemps cru – et
beaucoup le croient encore – que le
Marché unique des services était achevé.
L’analyse3 montre pourtant qu’il n’en
est rien.
…et D’aborD ceux
Des biens et services
P
arler d’adaptation des règlements
amène immanquablement aux
nécessaires réformes du marché du travail en France4. La peur que ce genre de
changement inspire pousse souvent à se
bercer d’espoirs. Arguer, par exemple,
que le recours au travail temporaire en
France compense bien des rigidités est
discutable, et surtout passe sous silence
les coûts énormes associés au fonctionnement fragmenté du travail temporaire : du désinvestissement en matière
de qualifications à la perte de confiance
dans une société qui se proclame solidaire mais favorise ses classes les plus
âgées, ainsi que certains statuts et certaines professions.
On pourrait ajouter que le déclin relatif
de notre productivité du travail (10 % en
dix ans) est probablement sous-estimé
dans la mesure où les calculs tiennent
sans doute insuffisamment compte de la
qualité du travail fourni. Faire autant en
35 heures qu’en 39 pousse à douter
qu’on le fasse aussi bien.
Réformer le marché de l’emploi est politiquement ce qu’il y a de plus difficile à
faire dans tous les pays du monde. Il faut
deux à trois ans pour dépasser le cap des
coûts initiaux de la réforme et pour commencer à en engranger les bénéfices à
long terme. On peut donc penser qu’en
France, un président qui ne réforme pas
dès la première année de son mandat ne
le fera plus par la suite.
La France n’en est pas pour autant
condamnée à l’inaction et à l’attente : les
réformes à entreprendre sur les marchés
des biens et des services doivent précéder celles du marché du travail. Si elles les
suivent, la période au cours de laquelle le
marché de l’emploi est réformé, tandis
que ceux des biens et services ne le sont
pas, voit le travail devenu flexible se réallouer non pas vers les secteurs les plus
efficients ou prometteurs de l’économie,
mais vers les secteurs les plus protégés. En
fait, toute réforme des marchés des biens
et services est une réforme indirecte du
marché du travail, comme on le voit avec
les télécommunications, le secteur logistique-transport ou la distribution.
Il est donc urgent d’engager un sérieux
travail de réformes réglementaires.
Celui-ci exige une analyse des coûts et
des bénéfices de chaque mesure publique importante, existante ou proposée.
Ce type de travail est délicat. Nous
devrions nous inspirer de l’expérience
accumulée en ce domaine par certains
think-tanks indépendants, comme le Center for Regulatory Studies conjoint de la
Brookings Institution et de l’American
Enterprise Institute. Puis passer à la
phase active, celle de l’application des
mesures décidées. g
3
4
Messerlin, 2001.
Cotis, 2004.
bibliographie
J.-P. Cotis, « L’Europe a des réserves de croissance », Sociétal, n° 43, 1er trimestre, 2004.
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