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Transcription

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Un Israélien à
Téhéran
Par Gidéon Kouts
La turbulente saga
de Tel Aviv
Les 10 jours
du Consistoire
Shoah : le travail
de l'historien
La guerre
des juifs
N°292 - JUILLET/AOUT 2009 - 3€
M 01907 - 292 - F: 3,00 E
Dossier : les juifs du Maroc
3:HIKLTA=\UXUUU:?k@c@j@c@k;
N°292 - JUILLET/AOUT 2009
AU SOMMAIRE D’
HUMEUR
5- Interrogations par V.M
EN COUVERTURE
6- Parlez-moi d'humour ! Un entretien avec Michel Boujenah
INTERNATIONAL
8- Journaliste israélien à Téhéran Un entretien avec Gidéon Kouts
6
5
8
DOSSIER
12- Le Maroc, “ses Juifs” et Israël par Pierre Vermeren
14- A l'ombre du chêne, le sacré par Nadia Benjelloun
16- Marrakech le départ par Daniel Sibony
ISRAËL
18- La turbulente saga de Tel Aviv par Ami Bouganim
LA VIE DU CONSISTOIRE - 23
12
18
CHRONIQUE
28- La guerre des juifs par Guy Konopnicki
23
REPÈRES - 30
LES MOTS
31- Des chiens et des hommes Une chronique d'Annie Lelièvre
MÉMOIRE
32- La Shoah, le travail de l'historien par Georges Bensoussan
HISTOIRE
34- Salomon, Rebecca…et autres Bayonnais par Anne Oukhemanou
24
OPINIONS
36- L'optimisme relatif de Mario Vargas Llosa par Albert Bensoussan
32
LES LIVRES
37- par Odette Lang
EN BREF - 38
CINÉMA
40- Une Chasse à l'homme d'anthologie signée Michael Mann par Elie Korchia
COURRIER/CARNET - 41
40
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VERBATIM - 42
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Les manuscrits non retenus
INFORMATION
JUIVE Juin 2008 3
ne
sont pas renvoyés.
HUMEUR
Interrogations
Un technicien de Radio France
me dit :
OOO
- Vous devez être content qu'un
sioniste ait été nommé directeur de
France Inter ?
- Si vous considérez Philippe Val
comme sioniste c'est que vous ne
lisez que les communiqués de la CGT.
Et cela prouve en tout cas que vous
n'avez jamais rien lu de ce qu'il écrit
en vérité. Alors je vais vous résumer
les idées qu'il a pris soin de
développer dans son dernier livre
"Reviens Voltaire. Ils sont devenus
fous " ( Editions Grasset). Il considère
- et à vous entendre, il n'a pas tort que l'insulte " crypto-sionistes " a
remplacé
dans
la
langue
révolutionnaire, le mot " fasciste ". Il
dit que là où il n'est pas d'accord c'est
quand on fait d'Israël dans son entier
une colonie. Lisez ceci, vous qui ne
lisez jamais rien et qui vous contentez
d'écouter Daniel Mermet : " Pour moi,
faire d'Israël la nouvelle cause des
anticolonialistes marque la frontière
au-delà de laquelle on sort de
l'opposition à la politique israélienne
pour entrer dans autre chose ".
“Les juifs ont appris à
respirer sous l'eau.
C'est leur méthode de
survie depuis quatre
mille ans. Mais le
souffle devient court.”
Mais au fond, c'est aux intellectuels
et aux théologiens musulmans
français qu'il revient d'ouvrir le débat
et de le trancher. Ils doivent répondre
à la question de savoir si la burqa est
une prison et une humiliation de la
femme ou non. Notons cependant ce
qu'écrit à ce propos le journal Emarat
Al-Youm de Dubai ( la traduction est
de Courrier International du 2 juillet)
: " Les messages de colère sur
Internet raillent la culture du pays de
Voltaire, sa démocratie, son histoire,
et les brillants acquis de sa
civilisation. Certains se plaisent à
surfer sur la vague de l'extrémisme et
appellent à boycotter les produits
français. On est en pleine confusion
des esprits ! Voilà ce qui nous sépare,
nous, peuples en retard sur l'Histoire,
du monde civilisé ". Et le journal de
conclure : " Il serait plus utile d'ouvrir
nos yeux sur nos propres problèmes
et de nous montrer capables de
pratiquer l'autocritique avant de nous
indigner de ce qui se passe à
l'extérieur de nos frontières ".
On ne saurait mieux dire !
Philippe Val dit aussi - c'est écrit en
toutes lettres dans son livre (page
231) - que " le monde intellectuel
français est lourdement atteint par ce
penchant étrange à la compréhension
et à la compassion vis-à-vis
d'extrémistes dont ils justifient les
crimes par un tour de passepasse politique qui fait d'Israël
l'unique cause du malheur du
Moyen-Orient"
Il dit enfin - et voici qui vous
concerne - que " l'antisionisme est bel
et bien le faux nez de l'antisémitisme".
Cela étant, pour vous dire le fond
de ma pensée, je suis content que,
pour une fois, ce soit vous qui ne
soyez pas content !
4 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
OOO Je suis curieux de savoir ce
qu'Emmanuel Lévinas aurait dit de
la burqa, à supposer qu'il s'y soit intéressé. Pour le philosophe du face à
face et du visage de l'autre quel sens
pourrait avoir la fuite d'identité et le
regard caché que représente ce vêtement ? Panim el panim ( face à face)
est une expression utilisée par la
Bible pour parler de la rencontre
entre Dieu et Moïse. L'hébreu
moderne l'emploie, lui, pour signifier
la sincérité mais aussi le courage. "Je
dis vrai et cela peut se noter sur mon
visage, pour peu que vous vous donniez la peine de le regarder ".
George Steiner
OOO Il faut toujours prêter attentivement l'oreille à ce que dit, dans ses
livres et dans ses différentes interventions dans la presse, un homme
comme George Steiner. Outre le fait
que c'est un polyglotte, un intellectuel de haut vol et un passeur de
HUMEUR
savoirs, il est un de ceux qui a réfléchi avec régularité et sans complaisance aux différentes évolutions du
destin juif. Dans l'entretien qu'il vient
d'accorder à l'excellente revue " Philosophie Magazine ", il explique quelles sont les " trois sources " de sa
mélancolie : " Elle vient de l'incertitude persistante sur les questions fondamentales qui me taraudent. De la
faillite de ne pas être un grand créateur. De l'ignorance où je suis de ce
qui restera d'une vie de travail. A quoi
s'ajoute l'aggravation de la crise dans
le destin du peuple juif. Les juifs ont
appris à respirer sous l'eau. C'est leur
méthode de survie depuis quatre
mille ans. Mais le souffle devient
court ".
“Pour vous dire le fond
de ma pensée, je suis
content que, pour une
fois, ce soit vous qui ne
soyez pas content !”
A méditer par ceux qui, dans le
monde juif, ne cessent aujourd'hui de
s'auto-féliciter et de se congratuler.
Oui, le souffle devient court…
OOO Qui dira pourquoi des rabbins
appartenant à la formation politique
israélienne Chas ont été - plus que
d'autres ? - tentés de tirer profit des
postes ministériels qui leur ont été
confiés. On connaît l'aventure désastreuse qui fut naguère celle du rabbin Arié Derhy qui dirigeait cette formation sous l'autorité du rabbin Ovadia Yossef et qui fut condamné à la
prison. Or, voici qu'un de ses collègues appartenant au même courant
religieux que lui, le rabbin Benizri,
ancien ministre, vient lui aussi d'être
condamné par les tribunaux du pays
à de la prison ferme. Déplorable
exemple donné ainsi à toute la société
du pays et singulièrement aux
jeunes ! On dira certes qu'il n'est pas
une seule formation politique qui n'ait
eu dans ses rangs des " brebis galeuses " et que la corruption a touché
depuis des années tous les partis.
Mais c'est justement parce que la corruption a pris naguère de grandes
proportions dans le pays qu'on était
en droit d'attendre d'une formation
religieuse, orthodoxe de surcroît, se
revendiquant d'une des plus hautes
autorités en matière de Torah, qu'elle
se singularise en gardant les mains
propres.
Et voici qu'on annonce que le
rabbin Arié Derhy, après avoir payé
sa dette à la justice, songe à revenir
sur la scène politique. Connaissant la
vive intelligence de l'homme et son
savoir faire, il y a lieu de penser
(d'espérer pour les uns, de craindre
pour les autres) qu'il accèdera très
vite aux premiers rôles. Et qu'ayant
tiré les leçons du passé, il ait à cœur
de donner enfin à ses concitoyens
une autre image des milieux
religieux.
OOO On veut évoquer ici, un an
après sa mort, le souvenir d'Adam
Baroukh, l'un des hommes les plus
exceptionnels qui aient, durant des
années, animé la vie intellectuelle
d'Israël. Il a, de l'avis de tous, représenté, à son niveau le plus réussi, le
mélange de la tradition et de la
modernité. Il était l'héritier d'une des
grandes dynasties hassidiques. Il
avait naturellement fait des études
rabbiniques et connaissait la plupart
des grands exégètes et commentateurs bibliques et halakhiques qu'il
citait de mémoire.
Il avait abandonné le monde
rabbinique qui était tout naturellement le sien pour devenir
journaliste. Critique, essayiste, poète
et chroniqueur, il avait la particularité
de mêler dans ses écrits le vieux et le
neuf, le Maharal de Prague et
Dostoïevski, le hassidisme et la
peinture moderne, le Talmud et la
pop
music.
Ses
chroniques
hebdomadaires dans le Maariv du
vendredi
étaient
des
bijoux
d'intelligence, de culture, de science
et de modération. Le lecteur se
promenait avec délice de la culture
de l'aggada à celle des grands
philosophes contemporains, de
l'actualité à l'histoire. Adam Baroukh
ne manquait jamais de rappeler telle
parole halakhique formulée par son
grand père. Il constituait un
merveilleux passeur entre le passé
et le présent. Et il n'était pas rare qu'il
soit reçu par les grands maîtres du
moment qui, tous, reconnaissaient en
lui un homme de Torah et un Sage.
Sans lui, le journal Maariv me
semble désormais aussi vide que les
chroniques de ceux que l'on appelle
en Israël " les nouveaux historiens ".
Philippe Val
Yéhi zikhro baroukh…
V.M
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 5
EN COUVERTURE
“Parlez-moi
d'humour…”
OOO I.J : A quel âge avez-vous senti que
vous aviez le don de faire rire ?
Michel Boujenah : Quatorze ans. Je
ne me suis d'ailleurs jamais posé la
question de savoir s'il s'agissait du don
de faire rire ou pas.
La première fois que je me suis rendu
compte qu'un auditoire pouvait
m'écouter, ce n'était pas parce que je
cherchais à faire rire. C'était le jour où
j'ai raconté aux élèves de ma classe le
livre d'André Schwartz-Bart "Le dernier
des Justes". Je ne suis pas un humoriste
dans l'acception classique du terme.
Comment j'en suis venu à l'humour ?
Qui le sait ? J'ai d'abord fait du théâtre
sérieux. Au moment des pauses, il
arrivait qu'on me demande, pour
détendre l'atmosphère de raconter une
histoire . Cela arrivait également le
shabbat à la maison ou devant les
copines de mon père.
La première fois que je me suis
hasardé à raconter des histoires drôles
c'était au cours des surprises parties :
on arrêtait la musique et on me disait
"raconte-nous une histoire drôle ".
UN ENTRETIEN AVEC MICHEL BOUJENAH
monde et à la vie. Et du coup ce que,
dans mon adolescence j'avais vécu
comme une faiblesse est devenu une
force pour moi.. J'avais au fond de moi
refoulé mon accent et mon identité. Je
me suis mis à revendiquer l'un et
l'autre.
I.J : Avez-vous aujourd'hui une définition
de l'humour ?
M.B. : Non. Si chacun de nous peut
rire de soi, on peut rire de tout.
I.J : Diriez-vous de votre humour qu'il est
juif ?
M.B. : Quelqu'un demandait s'il
existe un cinéma juif aux Etats-Unis.
Et quelqu'un lui a répondu : existe-t-il
un cinéma non-juif aux Etats-Unis ? Ce
que je peux dire c'est que je suis un juif
qui a de l'humour. Mais il se trouve que
je connais des juifs qui n'ont pas un
gramme d'humour.
On fait rire avec son roman familial
et son roman social. On tourne en
dérision les rapports amoureux, ceux
de la mère avec les enfants, ceux de
l'exil, ceux que l'on a avec l'argent.
Un jour j'ai voulu évoquer la
I.J : L'accent tunisien est-il naturel ou bien
est-il travaillé ?
M.B. : Il est naturel. J'en ai d'ailleurs
souffert au début. C'était humiliant.
J'étais perçu comme " un animal
folklorique ". Plus tard, je me suis battu
pour
trouver
une
dimension
d'honorabilité. Je voulais qu'on me
respecte puis j'ai découvert qu'être
humoriste c'était tout à fait respectable.
Pour moi, les sociologues, les
philosophes et autres penseurs qui
n'ont pas d'humour peuvent disparaître
: ils ne me manqueront pas. Pour moi,
ce sont des gens qui souffrent puisqu'ils
n'ont pas le bonheur de la dérision, de
la distance et du recul.
Plus tard, j'ai appris que l'humour est
une formidable attitude par rapport au
6 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
Michel Boujenah
dépression que peuvent avoir les
milliardaires. Quelqu'un m'a répondu
: tu ne peux pas savoir comme j'ai envie
d'avoir une dépression. On en connaît
des gens que la richesse a rendus fous.
I.J : Qu'est-ce qu'il y a de commun
par exemple entre vous, Gad Elmaleh et
Popeck ?
M.B. : Rien ! Si ce n'est qu'ils sont
juifs. Gad et moi ne travaillons pas de
la même manière. Il est d'ailleurs arrivé
dans le métier bien après moi.
Vraisemblablement, il m'a vu et cela l'a
conforté dans ce qu'il voulait faire luimême.
I.J : Vous cherchez les uns et les autres
vos sources d'inspiration dans vos
origines ?
M.B. : Il est évident que Gad Elmaleh
et moi nous sommes dans le monde
d'aujourd'hui. Nous parlons l'un et
l'autre de notre vie en France. Popeck,
lui, est dans un monde d'hier, celui du
folklore.
I.J : Comment naît un sketch chez
Boujenah ? Quel en est le point de départ ?
M.B. : Il y a d'abord un problème :je
n'écris pas des sketchs. J'écris des
spectacles. Quand me vient une idée,
j'essaye de la creuser. L'autre jour,
j'entends à la radio un entretien avec
un grand homme de sciences JeanDidier Vincent. Dans cet entretien
consacré à la neurobiologie, il parle de
l'influence des hormones et il dit que
les hommes ont besoin d'avoir
beaucoup de femmes. En rentrant chez
moi, je lis les livres de ce savant, je
découvre qu'il a fait des expériences
avec les rats. Je commence à me
demander quelle est la réaction de sa
femme qui lui dit : pourquoi moi qui
suis avec toi depuis tant d'années et
après tout ce que tu m'as fait, je suis
encore là. Et pourquoi je t'aime encore.
I.J : Est-ce que les Tunisiens musulmans
EN COUVERTURE
se reconnaissent dans tes spectacles comme
les Marocains musulmans se reconnaissent
dans ceux de Gad Elmaleh ?
M.B. : Je n'en sais rien à vrai dire. J'ai
évidemment quelques échos et je sais
qu'ils aiment mes spectacles. Je n'ai
jamais renié la Tunisie. Et les Tunisiens
se rendent ainsi compte à quel point
les juifs de Tunisie aiment leur pays
d'origine.
I.J : Comment avez-vous réagi en voyant
que tel ex-humoriste est devenu antisémite
et négationniste ?
M.B. : Le pauvre ! Pour moi, il a
perdu la raison. Je trouve de plus que
la publicité que l'on fait autour de lui
est tout à fait démesurée. Il est évident
que cela l'a encouragé dans sa
paranoïa.
Partir de l'attitude qui fut la sienne
quand il voulut se présenter contre un
candidat Front national à Dreux et finir
par solliciter Le Pen comme parrain
d'un de ses enfants, cela témoigne d'un
véritable déséquilibre mental.
I.J : Comment s'exprime aujourd'hui le
judaïsme dans votre vie quotidienne, si c'est
le cas ?
M.B. : Je ne suis pas pratiquant. Je
respecte les fêtes juives et je suis très
proche de ma communauté.
Le judaïsme c'est pour d'abord un
mode de vie français, une attitude en
face des autres et du monde.
Mon père fut communiste. Il y a cru
dans sa jeunesse, bien avant la
deuxième guerre mondiale. Il
considérait le communisme comme la
réponse au malheur des hommes. Au
lendemain des événements de
Budapest il a détruit sa carte. Son
communisme était un idéal humaniste.
Lui et ses compagnons croyaient
vraiment que le communisme allait
apporter le bonheur aux humains.
J'ai un jour accompagné mon père en
Israël. Nous avons visité un kibboutz
socialiste comme il y en avait en Israël
à l'époque. Il était bouleversé et il m'a
dit : voilà, c'est cela que nous voulions
faire.
Un jour,mon père, l'historien Paul
Sebag et Georges Valensi qui a fini par
devenir kabbaliste ( ils étaient tous trois
camarades de jeunesse ) sont venus
voir mon spectacle " Albert ".A la fin du
spectacle, ils m'ont dit : " Pourquoi
travailles-tu sur un peuple qui n'a
presque pas d'histoire ? ". Cela m'avait
révolté. Je leur ai dit : êtes-vous
amnésiques à ce point ? De la Kahéna
au combat que vous avez mené pour la
Tunisie, la communauté juive est très
impliquée. Et vous voudriez la réduire
aujourd'hui à peu de choses ?
Ils étaient étonnés de voir un jeune
homme arrivé en France à l'âge de dix
ans revendiquer un passé et une
histoire qu'eux-mêmes avaient peu ou
prou rejetés.
Humour,
quand tu nous tiens…
" Le sens de l'humour c'est une clef
des champs, un instrument d'autodéfense, une manière de voir, une
façon de penser,, une forme de selfcontrôle, une liberté qu'on prend avec
le monde extérieur, et c'est aussi une
machine à détecter les ridicules et les
absurdités et un protège- cœur… "
Henri Jeanson
"L'essence de l'humour est la
sensibilité "
Samuel Taylor Coleridge
"Humour : pudeur, jeu d'esprit. C'est
la propreté morale et quotidienne de
l'esprit "
Jules Renard
"Je ne plaisante jamais avec l'humour"
Frigyes Karinthy
"Sans l'humour, on mourrait de
prétention, d'orgueil, de sécheresse.
Le rire c'est notre garantie de survie "
Raymond Devos
"L'humoriste ne se moque pas, il se
sent concerné "
Jean-Jacques Sempé
Le jour où la Torah…
Voici l'histoire racontée à un quotidien de Tel Aviv par un juif harédi ( ultra-orthodoxe) à la veille de la dernière fête de
Chavouoth :
" Les rabbins décident que le peuple d'Israël en a un peu assez de la Torah et veulent la restituer au Maître de l'univers.
Dieu leur demande : Où voulez-vous faire cela ? On convient du mont Sinaï. On décide aussi du jour et de l'heure auxquels
une délégation de rabbins restituera à Dieu la Torah qu'il avait donnée. Au jour convenu, les rabbins arrivent au rendezvous avec entre leurs mains toute la littérature
biblique. Dieu prend alors les cinq livres de Moïse,
les Mishnayot et la Guémara et se retire. Les
rabbins lui disent alors : Pourquoi ne prenez-vous
pas également les livres des rigueurs de la halakha
produits par les dernières générations ?
Et Dieu leur répond :
Parce que cela, ce n'est pas moi qui vous l'ai
donné !
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 7
INTERNATIONAL
UN ENTRETIEN AVEC GIDEON KOUTS
Journaliste israélien
à Téhéran
Notre confrère et ami Gideon Kouts est un journaliste en poste et qui collabore
à la radio et à la télévision en Israël. A la veille de l'élection présidentielle
Gideon Kouts
en Iran, il a réussi à obtenir un visa pour Téhéran où il a réalisé un certain
nombre de reportages.
De retour à Paris, il a reçu Informaton Juive qui l'a interrogé sur les conditions dans lesquelles il a pu
se rendre en Iran et les analyses qu'il a rapportées.
OOO I.J : Comment avez-vous pu obtenir
un visa pour Téhéran alors que la plupart
des journalistes français n'y sont pas parvenus ? Les autorités iraniennes savaientelles que vous étiez correspondant israélien ?
Gideon Kouts : Elles le savaient
parfaitement, puisque j'étais déjà venu
faire un reportage en Iran pour la
télévision israélienne il y a quelques
années. En ce qui concerne les autres
journalistes français qui n'ont pas pu
se rendre en Iran, correspondants de
grands organes de presse nationaux, il
s'agit très certainement de règlements
de comptes. Il suffit de constater qu'il
y a certains journaux qui avaient carte
blanche quand d'autres étaient
immédiatement refusés. Les autorités
ont aussi accepté la venue sur le terrain
du journal chrétien La Vie, peut-être
pour montrer qu'en Iran ces
communautés religieuses se portent
bien et que la liberté leur est assurée,
contrairement aux membres de la
communauté Baha'i qui sont, eux,
persécutés.
I.J : Une fois sur place, comment avezvous travaillé ?
G.K. : Il s'agissait là de ma deuxième
visite en Iran. La première fois, c'était
il y a quatre ans, juste après l'élection
d'Ahmadinejad en tant que président.
Il faut savoir cependant que pour
exercer dans les conditions qui étaient
celles des dernières élections, un visa
n'était pas suffisant. Il fallait passer par
le ministère de l'Intérieur, celui de la
Culture pour obtenir les papiers servant
8 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
de sauf-conduit, dont une carte
d'accréditation et plusieurs attestations.
Mais c'est seulement après que les
choses se sont dégradées et sont
devenues plus compliquées. Des
élections libres ne sont de toute façon
pas possibles dans un pays qui ne l'est
pas. Alors les restrictions ont commencé
à tomber. L'Iran étant un pays à
plusieurs instances parallèles, celle qui
a le pouvoir dans la rue, ce ne sont pas
les ministères mais la police.
J'ai assisté à une conférence de
presse d'Ahmadinejad, après son
élection. Cela s'est passé dans un
secteur de la ville complètement bloqué
par l'armée, c'est le secteur
communauté importante, de quelques
500 membres, avec beaucoup de jeunes.
J'ai parlé avec les gens et j'ai compris
qu'une bonne partie avait voté
Moussavi, car le discours d'Ahmadinejad déplaît, et pas seulement sur les
thèmes d'Israël ou de la Shoah. Cela
étant, les personnes plus âgées de la
communauté
ont
voté
pour
Ahmadinejad car lors de son dernier
mandat, il a triplé le montant des
retraites. De ce point de vue, il était
apprécié par la vieille génération. Pour
illustrer un peu le climat de ces
élections, je peux vous citer un exemple.
Une des personnes que j'ai
interviewées, qui a voulu voter
Moussavi, n'a finalement pas pu le faire
J'ai entendu beaucoup de témoignages de
sympathie envers l'Etat d'Israël. Les gens en ont
assez des discours et des attitudes extrémistes.
gouvernemental où travaille et habite
le Guide suprême, et donc où demeure
aussi le président. Il y a quelques cités
de ce type dans Téhéran, complètement
fermées, et où le pouvoir vit en
autocratie. Cela a pour effet de créer
deux mondes parfaitement dissociés.
I.J : Avez-vous eu l'occasion de côtoyer la
communauté juive à Téhéran ?
G.K. : Oui, bien que de manière
moins approfondie qu'à ma dernière
visite. Le jour des élections, j'ai pu
assister à une partie de l'office du
Chabat à Ohel Yossef, la grande
synagogue de Téhéran. C'est une
car les queues étaient trop longues dans
le bureau de vote près de la synagogue.
A l'arrivée, il n'y avait plus de bulletins
de vote. Il faut savoir qu'en Iran il ne
s'agit pas de bulletins sur lesquels les
noms des candidats sont déjà inscrits.
Il s'agit d'un seul papier sur lequel il faut
écrire soi-même le nom du candidat.
De surcroît, le vote n'est pas secret
puisqu'il n'y a aucun isoloir. Dans ce
bureau de vote, il y avait là des
musulmans, des juifs, des zoroastriens.
Tout le monde était persuadé de la
victoire de Moussavi. Ce qui explique
bien sûr le grand désenchantement à
l'annonce des résultats.
INTERNATIONAL
I.J : Qu'attendait-on de Moussavi ?
G.K. : J'ai parlé à des conseillers de
Moussavi, qui d'ailleurs m'ont dit ce
que l'opinion pensait : qu'il s'agissait
finalement d'un religieux qui en
remplacerait un autre, qu'ils se valaient
en quelque sorte. Mais je ne pense pas
que ce soit vrai. D'abord parce que tous
ceux qui ont voté Moussavi
souhaitaient avant tout qu'Ahmadinejad
ne passe pas. L'électorat de Moussavi
était constitué de religieux et de laïcs,
des classes moyennes et populaires, de
riches et de pauvres. C'était en fait un
mythe de penser qu'il y avait des
l'Etat d'Israël. Les gens en ont assez des
discours et des attitudes extrémistes. Il
y a une grande opposition à ce que
l'argent des Iraniens vienne financer
des organisations terroristes comme le
Hamas. J'ai rencontré aussi de la honte
envers le comportement de leur
président.
Les résultats ont étonné tout le
monde. Dès le matin, on ne pouvait
plus contacter le quartier général de
Moussavi car il était fermé par la police.
C'est à partir de ce moment que la
contestation a commencé. Des
portable, les lignes étaient souvent
coupées.
I.J : Comment analysez-vous le climat
révolutionnaire qui souffle sur l'Iran ?
G.K. : A mon avis, c'est un processus
qui commence. En 2005, les gens
n'étaient pas encore persuadés qu'il
fallait vraiment changer. Aujourd'hui,
on a moins peur de parler. Même une
partie du pouvoir religieux n'accepte
plus ce qui se passe. J'ai assisté à une
conférence du fils du Shah, Reza
Pahlavi, à Paris. Il dit déjà qu'il y aura
trois étapes : celle de la répression, qui
Manifestation à Téhéran
ruptures d'opinions entre les différentes
couches de la société. L'interprète qui
m'accompagnait était très religieuse, et
elle a voté Moussavi, convaincue qu'il
fallait séparer la religion de l'Etat. Les
conseillers du candidat ont insisté sur
le fait que le nouveau pouvoir devait se
montrer beaucoup plus compréhensif,
notamment sur le problème du
nucléaire, ce qu'attendent Israël et
l'Occident. Alors qu'en 2005, lorsque
Ahmadinejad est arrivé au pouvoir, la
majorité des Iraniens considérait la
question du nucléaire comme un point
d'honneur national, aujourd'hui, ils
veulent retourner aux pourparlers,
entamés par l'ancien président
Khatami. Et puis j'ai entendu beaucoup
de témoignages de sympathie envers
10 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
activistes hurlaient que c'était la fin de
la démocratie. Et puis il y avait les chars
de police, conduits par des unités
spéciales assez effrayantes. Lorsqu'ils
sont passés, j'ai pu me réfugier chez
un horloger. Ils ont aussi des milices,
dans le meilleur style fasciste, recrutés
par le pouvoir, provenant des bas-fonds
pour la plupart. Matraques, couteaux,
barres de fer, armes à feu sont leurs
moyens dissuasifs. Au début, les
manifestations étaient sporadiques,
puis elles sont devenues massives.
I.J : Par quel moyen avez-vous pu envoyer
vos reportages à Jérusalem ?
G.K. : J'ai dû attendre de rentrer en
Israël pour les transmettre. Même si on
pouvait communiquer par téléphone
vient de se terminer, celle d'une lutte
menée par une opposition farouche encouragée par l'économie qui va
sombrer pour cause de rupture avec le
monde occidental-, enfin celle d'une
prise du pouvoir par l'armée, les
Gardiens de la Révolution devant par
la suite le transférer au peuple.
Il ne faut pas oublier qu'une partie
des Gardiens a refusé dernièrement de
tirer sur les manifestants. Et puis on
ne peut pas éternellement brimer un
peuple comme celui d'Iran avec
l'histoire, le patrimoine et l'éducation
qu'on lui connaît.
Propos recueillis
par Léa Philpott
MDA France :
Ces jeunes sont notre avenir
L
a " Caravane de la Vie " a sillonné en
juillet, pour la deuxième année
consécutive les routes de France et
traversé le pays pour présenter les
activités du Maguen David Adom en
Israël et former nos enfants aux gestes
qui sauvent. La première édition de cette aventure
humaine et pédagogique avait rencontré un tel
succès l'été dernier, que le président du MDA
France, le Docteur Lazare Kaplan a décidé lancer
une nouvelle édition de cet extraordinaire voyage
en faisant venir une des des 750 ambulances de
l'organsime.
L'équipe des ambulanciers, a spécialement concu
une formation de 5h,
adaptée aux jeunes de
11 à 17 ans. L'objectif
étant de leur apprendre à connaître les
gestes qui sauvent,
savoir comment répondre à des appels aux
secours, soigner des
plaies et même faire
une réanimation cardiaque. Ils sont formés
à réagir correctement
et rapidement. Il faut
savoir qu'en pratiquant
ces gestes dans les
premières minutes
d'un accident, on
augmente de 30% la
possibilité de sauver
les blessés.
Un autre programme
a été organisé par
l'association cet été et
visait les animateurs
ou directeurs de mouvement de jeunesse
juifs en France. Le
but : s'assurer que les
personnes à responsabilité de ces organisations sachent réagir
en cas d'accidents.
Sous le nom de
"Jeunes
Ambassadeurs du MDA' , la
formation s'est déroulée les 28/30 juin à
Paris. Après ces trois
jours de cours, les
participants sont devenus les ambassadeurs du MDA
France.
DOSSIER
Le Maroc, “ses juifs”
et Israël
PAR PIERRE VERMEREN
Pierre Vermeren est maître de conférences en histoire du Maghreb contemporain à l'université Paris I Panthéon
Sorbonne. Il est également l'auteur d'un certain nombre d'ouvrages consacrés au Maroc. Il vient de publier "
Le Maroc de Mohammed VI. La transition inachevée " ( Editions de La Découverte).
Nous en reprenons ici - avec l'autorisation de l'éditeur que nous remercions - de très larges extraits, ceux
consacrés aux Juifs du Maroc.
L
es relations que le
Maroc entretient avec le
judaïsme et avec Israël
constituent une singularité dans le monde
musulman. La présence
de populations juives en Afrique du
Nord est très ancienne. Attestée dans
l'antique Volubilis, la communauté
juive a grossi au fil des siècles (un
Marocain sur quarante au milieu du
XXe siècle) et a pris pied dans tout le
pays. Il y a eu des villages de paysans
juifs dans le bled jusque dans les
années 1950. Cette proximité tient
aussi à la relation forte et ancienne
entretenue par le sultan avec les Juifs
de Fès (jadis capitale du pays), dont
il assurait la protection (accueil des
Juifs expulsés d'Espagne à partir de
1492, ou refus d'appliquer la
législation sur le statut des Juifs en
1941) en échange de multiples
services
(commerce,
finances,
production d'alcool, etc.) Cette relation
particulière s'est affichée pendant des
siècles sur le drapeau chérifien, frappé
d'une étoile de David, remplacée à
l'initiative de Lyautey par une étoile
à cinq branches au début du
protectorat (1) . En 2008, le roi du
Maroc est le seul chef d'État " arabe "
dont un conseiller (A. Azoulay) ou un
ambassadeur itinérant (S. Berdugo)
sont de confession juive.
Le Maroc garde une relation
particulière à cette histoire depuis
1948. Même si la quasi-totalité des
Juifs ont émigré durant la seconde
partie du siècle (2), une petite
communauté demeure (2 500
12 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
personnes en 2008), encadrée par de
multiples institutions. C'est une
exception dans le monde arabe,
d'autant que 5 000 Juifs " marocains",
en majorité des Israéliens, se rendent
annuellement en pèlerinage sur les
tombeaux des grandes figures du
judaïsme local au Maroc. En outre,
les " Marocains " constituent la
deuxième communauté nationale en
Israël après les " Russes " : ils
représentent plus de 700 000
personnes que le palais regarde
comme " ses Juifs ". En dépit du
soutien passionnel des Marocains à
la cause palestinienne, l'État n'a
jamais rompu le dialogue ni certaines
coopérations avec les autorités
israéliennes. Le bureau de liaison
israélien, ouvert à Rabat après les
accords d'Oslo, a été fermé en octobre
2000 à cause de la seconde Intifada.
Mais, en 2003, Mohammed VI a reçu
le ministre des Affaires étrangères
israélien.
Le Maroc officiel est conscient de
l'énorme perte liée à l'exil rapide de
cette population industrieuse, bien
qu'en majorité très pauvre. Sur près
d'un million de Juifs originaires du
Maroc, 70 % sont installés en Israël,
les autres s'établissant en France, au
Canada ou aux États-Unis. Le palais
a " rappelé " auprès de lui plusieurs
hommes d'affaires parisiens, et la
population est fière de la réussite des
Juifs marocains à l'étranger (que ce
Le roi Hassan II recevant Shimon Pérès
DOSSIER
soit unministre israélien ou un artiste
français, comme Gad Elmaleh). Le
principal problème tient à la confusion
qui s'est installée dans les esprits,
depuis 1967, entre " Juifs ", " sionistes
" et " Israéliens ".
Cette confusion, entretenue à
dessein par certains courants religieux
ou politiques notoirement antisémites,
a créé un profond malaise, et a
accéléré le départ des jeunes Juifs,
une fois leur baccalauréat en poche.
La responsabilité des manuels
scolaires est ici très forte, mais
personne n'ose revenir en arrière.
Plusieurs groupes ont tenté
d'inverser cet état de fait, attisé par les
conflits israélo-arabes et les chaînes
satellitaires du Moyen-Orient. Une
poignée
d'intellectuels
juifs
antisionistes restés au Maroc et issus
du marxisme - A. Serfaty, E. Amrane
El Maleh, Sion Assidon, Simon Lévy
- a été particulièrement active. A.
Serfaty a soutenu la " transition " une
fois rentré d'exil ; E. Amrane El Maleh
incarne l'engagement anticolonial des
Juifs marocains ; S. Assidon milite
Un congrès des communautés juives du Maroc
mémoire commune. C'est le cas des
historiens Mohammed Kenbib,
Mohammed Hatmi (3) , Jamaa Baïda,
mais aussi des spécialistes de la
langue
hébraïque
dans
les
départements d'arabe, ou de certains
journalistes. Le dossier de Tel Quel de
63 % des Marocains interrogés se déclarent
plus proches d'un musulman afghan
que d'un Juif marocain (12 %)
dans le collectif Palestine et S. Lévy a
créé à Casablanca le Musée du
judaïsme marocain, un précédent en
terre arabe.
Un autre groupe s'active auprès du
roi. Ces hommes, nés au Maroc mais
passés par Paris, assurent l'interface
entre le palais, les milieux d'affaires
étrangers et les alliés occidentaux
(France, États-Unis, Israël). (…)
Derrière ces personnalités, le palais
et le roi oeuvrent au maintien de
relations directes avec les "Marocains"
d'Israël,même si le contexte s'est durci
sous Mohammed VI (seconde
Intifada, guerres en Irak, au Liban et
à Gaza). En outre, des intellectuels
marocains
entretiennent
cette
novembre 2008, " Le Juif en nous, au
coeur de l'identité marocaine ", rédigé
par le professeur Ruth Grosrichard,
est le signe fort de la volonté
d'entretenir la flamme d'un judaïsme
tendant à disparaître.
L'enquête
sur
les
valeurs
religieuses menée en 2007 montre
en effet les limites de ce travail
d'influence : 63 % des Marocains
interrogés se déclarent plus proches
d'un musulman afghan que d'un Juif
marocain (12 %) (4).
La disparition effective des Juifs
de nombreux quartiers et villes a
cédé la place à un antisémitisme
largement
alimenté
par
les
sentiments anti-israéliens.
Seule la réappropriation par la
jeunesse de la part oubliée de cette
identité nationale pourrait en
endiguer le flot, à la condition que
l'État ait la volonté de l'intégrer dans
les programmes et manuels scolaires,
ce qui est encore loin d'être le cas.
P.V
(Copyright Editions La découverte)
-(1) Dossier et articles de Ruth
GROSRICHARD, " Le Juif en nous,
au coeur de l'identité marocaine " Tel
Quel, nº 348, 22 novembre 2008.
(2) Yigal BINNUN, " La négociation
de l'évacuation en masse des Juifs du
Maroc ", in Shmuel TRIGANO (sous
la dir. de), La Fin du judaïsme en terre
d'islam, Denoël, Paris, 2009.
(3) Mohammed KENBIB, Juifs et
Musulmans au Maroc, 1859-1948.
Contribution à l'histoire des relations
intercommunautaires en terre d'islam,
Université Mohammed V, Rabat, 1994
; Mohammed HATMI, " Les Juifs du
Maroc : histoire, identité et exode ",
Le Journal hebdomadaire,du 5 au 11
mai 2001.
(4) " L'islam au quotidien ", loc.
cit.Une société à la recherche d'ellemême sur fond de volontarisme
économique.
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 13
DOSSIER
À l'ombre du chêne,
le sacré
PAR NADIA BENJELLOUN*
Le festival des musiques sacrées est régulièrement suivi de ce que les
organisateurs appellent " les rencontres de Fès ". Ce festival est devenu au fil
des ans une des manifestations culturelles les plus prestigieuses. Des savants
venus des quatre coins du monde y prennent part . " Croyants et non croyants,
peuvent s'accorder sur ce qui sacralise la vie et la personne et retient de tuer,
haïr ou soumettre " ainsi que l'écrit sa directrice Mme Nadia Benjelloun.
Ces rencontres ont, depuis des années, pris l'heureuse initiative d'inviter
parmi les intellectuels, des personnalités représentatives du judaïsme. C'est
ainsi que le grand rabbin René-Samuél Sirat a pris part aux débats de ce
festival où il a été accueilli avec enthousiasme et amitié.
Cette année, les rencontres de Fès étaient consacrées au thème " La vie entre
sacré et profane. La force des choses et la main de Dieu ". Parmi les écrivains
invités cette année par Mme Benjelloun à prendre la parole il y avait Mme
Blandine Barret-Kriegel, MM. Alexancre Adler, Naïm Kattan et Victor Malka.
Par ailleurs le département Spiritualités que dirige aux éditions Albin Michel
notre ami Jean Mouttapa, a pris l'initiative de fonder une collection "
Rencontres " dans laquelle les principales contributions de ces débats seront publiées.
Il nous a paru intéressant de donner ici le texte de l'introduction que donne à cette collection Mme Nadia
Benjelloun. Il intéresse tous les hommes de bonne volonté, à quelque croyance qu'ils appartiennent.
Signalons par ailleurs que l'Académie française vient de décerner à Mme Benjelloun la Grande Médaille
de la francophonie. Le prix lui sera remis sous la coupole en novembre prochain.
L
e Festival des musiques
sacrées du monde et ses
Rencontres animent Fès,
chaque année, d'un
souffle particulier qui allie
bonheur des retrouvailles
et plaisir de la découverte.
philosophie, la poésie, la médecine, les
mathématiques et ont laissé leur
empreinte. Ici, comme dans tout le
monde arabo-andalou, la conscience
de soi s'est assortie de l'ouverture aux
autres, et la foi en l'Islam de l'essor des
sciences et des arts.
L'esprit des lieux y est pour
beaucoup. Le pas des ânes, l'odeur du
pain qui cuit, le murmure des fontaines,
les cris des enfants, la beauté des
zelliges, l'enchantement des jardins, les
tuiles vertes des toits, le chant du
muezzin y évoquent une tradition
millénaire, qui mêle la pensée et la foi,
les sciences et les arts, la méditation et
l'étude, l'inspiration du sacré et
l'exercice de la raison, l'attachement
aux traditions et l'ouverture au progrès,
la valeur du patrimoine et l'espoir en
l'avenir.
Ici sont passés, Ibn 'Arabî, Ibn Rushd,
connu en Occident sous le nom
d'Averroès, Maimonide et bien d'autres,
qui ont illustré la théologie, la
C'est dans cette tradition que les
Rencontres de Fès s'inscrivent, et que
les textes que ce livre contient ont
d'abord été dits, et débattus.
14 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
C'est face aux jardins du musée Batha
qu'elles se tiennent, sous les branches
et les feuilles de son chêne pluricentenaire, à l'abri du bruit et de la
fureur du monde. Il devient, peu à peu,
leur emblème. Il est vieux, mais vivant.
D'année en année, ses racines le
nourrissent, son feuillage renaît, et il
nous offre son ombre, et son
murmure.C'est la musique qui a
commencé à y réunir, à la fin du
printemps, des gens de pays, origines,
opinions et confessions diverses, ayant
en commun d'être curieux de ce qui
vient de loin. Le sacré ne va pas sans
interprètes, du croyant qui psalmodie
sa prière au bord d'une route aux
exégètes des livres saints, en passant
par calligraphes, poètes, sculpteurs ou
architectes, qui expriment leur
spiritualité par leurs œuvres. Le sacré
inspire aussi les chanteurs, musiciens
et danseurs, dans un langage qui
s'adresse au divin mais parle à tous.
Le Festival des musiques sacrées du
monde a ouvert la voie à celui des
Rencontres. Elles ouvrent à leur tour
les esprits à des échanges sur le sacré
dans son acception la plus large, dont
les textes qui suivent témoignent.
L'ambiance y porte au dialogue des
croyances et des idées, et à préférer les
questions aux réponses. Philosophes,
psycha-nalystes, historiens de l'art,
artistes, écrivains, qu'ils viennent d'une
rive ou l'autre de la Méditerrannée, ou
de l'Atlantique, ils viennent ici penser,
chercher, ensemble.
DOSSIER
" Doutez de ceux qui croient, croyez
en ceux qui doutent " disait Gide aux
jeunes gens. Sous le chêne de Fès, l'on
ne vient pas pour rendre la justice
comme le faisait Saint-Louis. Le
Festival et les rencontres sont ouverts
à ceux qui croient au ciel et à ceux qui
n'y croient pas, pour peu qu'ils ne
doutent pas de ce que celui qui trouve
doit à celui qui cherche, et qu'il est vain
d'opposer l'Esprit à l'esprit.
Le
progrès
des
sciences,
l'accumulation des connaissances, le
développement des techniques,
l'accroissement des échanges occupent
énormément les esprits, et portent des
inquiétudes, des interrogations, des
doutes, des tensions.
Elles pèsent sur l'humanité tout
entière : ses dernières tribus sont
désormais entrées dans l'Histoire,
comme le remarquait, avec une note
de tristesse, Lévy Strauss, parvenu à
cent ans. La diffusion du savoir, la
réduction de la pauvreté, la sauvegarde
de la planète, la préservation de la paix,
n'en sont pas moins nécessaires.
Le respect de la personne aussi, dans
son intégrité physique et dans sa
dimension morale. Elle n'a pas moins
d'importance et le sacré, l'irréel,
l'intemporel, le surnaturel en font
partie. Qui ne voit l'ampleur des
sentiments qu'ils soulèvent ? Mais ces
sentiments sont ambivalents, et
peuvent élever jusqu'aux plus hautes
créations ou abaisser jusqu'à la plus
aveugle vindicte, suivant l'usage qui
en est fait.
L'examen des traces des premiers
âges et celui des images que nous
procurent les télescopes et les
calculateurs ont au moins deux choses
en commun. La première est que l'une
et l'autre changent idée que nous
avons du temps et de l'espace, et
accroissent l'étendue de ce qui reste à
découvrir : chaque réponse est une
question. La seconde est que c'est à
nous, aux nôtres, à nos enfants, et aux
enfants à naître que du bout du monde,
du fond des âges, des confins de
l'Univers, dans d'improbables et
étranges alphabets, ces signes
s'adressent, qu'ils viennent de
contemporains ou de trépassés,
d'érudits ou de gens simples, de voisins
ou d'étrangers, de croyants ou
d'incroyants.
Si puissante et précieuse que soit la
lumière que le savoir répand sur les
choses, il ne fait que confirmer l'infinité
de ce qui demeure inconnu, et en
regard de celle-ci, la brièveté de la vie
tation. Il y a deux cents ans, au hasard
de la conquête de l'Égypte par l'empire
français sur l'empire ottoman, le moyen
de déchiffrer les hiéroglyphes d'un
empire disparu était mis au jour.
C'est la musique qui a commencé à y réunir, à la
fin du printemps, des gens de pays, origines,
opinions et confessions diverses, ayant en commun
d'être curieux de ce qui vient de loin.
qui chemine flanquée de son point
final, et suivie de ce que chacun décide
de croire.
Le propos des Rencontres auxquelles
ce livre fait écho n'est pas d'inviter à la
conversion, mais à la quête. Dans son
ode à Jean Moulin, Malraux évoque le
" peuple né de l'ombre et disparu avec
elle, nos frères dans l'ordre de la nuit
".Plus encore qu'à la mort, c'est à la nuit
qu'il s'agit d'arracher quelque chose.
Les civilisations ont moins à craindre
de leur choc que de leur enrégimen-
Puissions-nous demeurer assez
civilisés pour nous pencher avec
émotion et respect sur ce qui s'offre à
nous et qui vient des autres, plutôt que
d'en faire des autodafés, et puissent ceux
qui pensent avoir trouvé la pierre de
Rosette qui éclaircit le mystère de la vie
ne point la jeter au visage de ceux qui
la cherchent.
-* Directrice internationale du Festival
des musiques sacrées du monde de Fès
et directrice des Rencontres de Fès.
ODASEJ
L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E
est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919
Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x
devient un adulte qui a de meilleures chances
de construire son avenir et celui
de la communauté
L’ODASEJ a pour mission
d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou
en difficulté sur le territoire national
Leur avenir
est entre vos
Transmettez
mains
votre nom à un programme
de solidarité…
Perpétuez la mémoire de vos parents …
… Faites un legs ou une donation à l’ODASEJ
Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire
un legs ou une donation en faveur de l’ODASEJ
en exonération des droits de succession ou de mutation
Pour un rendez-vous confidentiel
Appelez Tony SULTAN
Tél. : 01 42 17 07 57 • Fax : 01 42 17 07 67
ODASEJ ESPACE RACHI, 39, RUE BROCA, 75005 PARIS
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 15
DOSSIER
Marrakech,
le départ
P
our moi, le Maroc - et
surtout Marrakech où je
suis né -, c’est d’abord le
départ, au double sens du
terme: un point de départ et
aussi un lieu où ce que
j’appréciais le plus c’était l’idée d’en
partir. Ce qui assume pleinement le
premier sens de départ, c’est-à-dire
d’origine. Mon origine (un de ses
aspects) c’est le Maroc; et une origine,
c’est d’abord un point de départ vers
autre chose. Cela n’implique pas de la
rejeter ou de la trahir; mais plutôt de la
traduire, de l’interpréter, de la
métamorphoser, d’en faire quelque
chose d’autre. Ceux qui restent collés à
PAR DANIEL SIBONY*
un peu à l’identique: même les quartiers
modernes, les nouvelles avenues de
Marrakech semblent des répliques aux
précédentes. Il plane sur la Médina une
sorte de temps immobile, trop distrait
pour attendre quoi que ce soit, mais dont
j’aime respirer la langueur infinie car
elle me mène tout droit vers l’autre
attente radicale qui fut la mienne, celle
du départ.
Pour moi (qui ai quitté la ville à
13 ans), cela ne signifiait pas: partir vers
un pays où je me sente enfin chez moi.
Je n’ai pas un pays dont je puisse dire
c’est chez moi et cela me plaît. C’est clair
qu’à Marrakech je ne me sentais pas
A Marrakech, les fins de samedi, plongés dans l'ombre
en attendant la première étoile, nous exhalions la
nostalgie de Jérusalem, avec d'étranges psaumes où
l'on remercie Dieu d'apprendre à nos mains la lutte et
à nos doigts la guerre; à nous qui ne sommes que
buée, ombres fugaces, etc. Joli verset, d'ailleurs: force
et faiblesse mêlées, violence et douceur...
leur origine seraient comme des
voyageurs prenant place dans un beau
bateau qui ne part pas, qui reste à quai
dans une partance virtuelle et toujours
différée, parce qu’après tout “on est très
bien” dans ce bateau-là (d’où, peut-être,
l’expression: être mené en bateau?...)
Donc, j’assume pleinement mon
origine marocaine: j’en suis parti. Et
quand il m’arrive de retourner à
Marrakech, où je n’ai plus aucune
attache, je savoure le plaisir d’y avoir
vécu et celui d’avoir émigré. La joie du
départ imminent - que j’éprouvais
autrefois - étant de loin la plus forte. On
peut vraiment aimer un lieu parce qu’on
y sent le désir d’y prendre le large.
C’était mon cas.
Certes, le pays a beaucoup changé, il
s’est comme dupliqué, démultiplié mais
16 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
chez moi, j’étais en exil, mais un exil où
je suis né, un exil qui vous est donné offert - à la naissance, qui ne renvoie pas
à un pays où l’on était autrefois (avant
la naissance?) et d’où l’on serait parti.
Le seul “pays” où j’étais avant ma
naissance et où j’ai séjourné par la suite,
(et je continue de temps à autre,) c’est
le Texte, surtout biblique. Mais est-ce
vraiment un pays? Du reste, dans ce
Texte aussi, j’étais en exil, car on ne peut
pas dire que le peuple hébreu qui s’y
trouve décrit ait été longtemps chez lui
en paix, dans cette fameuse Terre
promise. Il y a vécu la paix de temps en
temps; aujourd’hui, on peut dire qu’il y
vivra souvent la paix; quel progrès...
Mais la paix définitive est un fantasme
- intéressant - que certains veulent à tout
prix passer à l’acte (bonne chance! Nous
ne serons pas trop ironiques quand nous
verrons qu’ils y échouent).
En tout cas, lorsque à quinze ans j’ai
fait un bref séjour en Israël, en 57, j’y
ai senti un autre exil, très fort: une autre
impression de n’être pas chez soi, car
un groupe de gens, du reste fort
sympathiques, avait pris le pouvoir et
pris les choses en mains pour faire
marcher le pays au pas, de façon utile,
efficace, constructive. Et j’ai senti que
là je ne pourrai pas vivre là, d’ailleurs
je n’y ai pas vécu, parce que l’exil que
j’y ressentais ne comportait pas, comme
mon exil marocain, l’espoir de partir; au
contraire, la Terre promise se donnant
comme un but, une fois qu’on y est, où
voulez-vous qu’on parte? Bon, avec le
temps, des Israéliens se sont mis à
partir un peu partout pour tenter
fortune, notamment en Amérique; ce
sont des yordim, des descendeurs plutôt
que des descendants, parfois des
cascadeurs du business qui réussissent
“pas mal”. Il se peut d’ailleurs que ce
pays d’Israël soit à l’échelle de Jacob
(nommé Israël), à savoir qu’il serait fait
pour qu’on y monte et qu’on en
descende comme les messagers de ce
rêve, qu’on y soit des olim et des yordim
en permanence.
Et pour en revenir au Maroc, il m’a
donc transmis un exil qui n’était pas
l’exil standard; et une nostalgie qui
n’est pas non plus la nostalgie ordinaire
- où on aimerait revivre de bons
moments dont on pleure qu’ils soient
passés sans retour. Les tenants de la
nostalgie banale, où le passé semble la
jouissance suprême, d’autant plus vive
qu’il est perdu, oublient que cette perte,
celle du temps, le passé lui aussi l’avait
connue; et grâce à cet oubli, les esprits
paresseux croient que le passé était
plein sinon parfait, qu’il contenait la
vraie valeur. J’en ai connu, qui
l’exhalent, cette nostalgie: “Ah! les fêtes,
le Mellah, la chaleur humaine, les bons
plats...” En fait, le désir desséché
remonte vers ses sources, vers
l’enfance, vers l’autrefois, vers l’époque
vibrante où il était gonflé à bloc, prêt à
partir comme un trait. Il file vers ses
racines pour se nourrir; vers la vie au
DOSSIER
Maroc, ya hssra, lumineuse et
léthargique, précaire et installée, fragile
et millénaire. Mais là, déjà, se trouvait
la blessure première, secrète, indicible,
délicieuse à lécher, invivable.
La vraie nostalgie
Curieux manège, la nostalgie: on
veut retrouver par le souvenir une
jouissance perdue; et comme on n’y
arrive pas, on jouit douloureusement
de la perte elle-même. Mais par la
bande, on revient vers ce passé où le
désir était tonique, intense. La nostalgie
est une remontée du désir épuisé, vers
les lieux d’autrefois où il espère se
relancer; là où il était vivant, aux
aguets, impatient de bondir comme un
félin. Elle vise le passé, puisque au
présent où elle s’anime, le désir est
dégonflé, privé de racines. Elle tente
de le relancer; elle est un de ses
ressorts, incassable et illusoire: elle
nous agite sous les yeux l’objet perdu,
elle l’agite comme un chiffon rouge
devant la bête que nous sommes, et ça
nous relance derrière le manque
d’autres objets…
que dans leur vie dite banale, il y a déjà
de l’altérité, en pagaille, mais qu’ils ne
la perçoivent pas); je ne m’extasie pas
sur les hlqa de la place Djama’ el Fna
car déjà enfant je trouvais que le
parleur mettait trop la pression, que
quand ses mots d’esprit n’avaient pas
de succès il rappelait la foule à l’ordre
au nom d’Allah (lequel impose toujours
le consensus dans ces régions). Mais
le son lointain de zouaïa sur la Place
s’était ouvert, révélant qu’après le
départ des Français, on ne pouvait plus
rester là-bas des “protégés”, des
dhimmis.
Et le roman se déroule sur un weekend, plus un jour, le lundi car un
terrible accident s’est produit, que je
ne vais pas vous révéler pour vous en
laisser la surprise. Mais j’ai mis sur la
couverture la photo de ma rue natale
L’amour est sans doute la vraie
nostalgie. Et j’aime cet amour initial,
cette origine qui demande à se répéter
mais pas à l’identique.
A Marrakech, les fins de samedi,
plongés dans l’ombre en attendant la
première étoile, nous exhalions la
nostalgie de Jérusalem, avec d’étranges
psaumes où l’on remercie Dieu
d’apprendre à nos mains la lutte et à
nos doigts la guerre; à nous qui ne
sommes que buée, ombres fugaces, etc.
Joli verset, d’ailleurs: force et faiblesse
mêlées, violence et douceur...
Cela dit, il y a des nostalgies qui se
veulent efficaces, opérationnelles, qui
semblent vouloir que ça recommence.
Pourtant, ce qui rend suspect ce
fantasme, c’est que ses promoteurs
l’étayent sur une certitude d’allure
“scientifique”: “il n’y a jamais eu au
Maroc de vrai problème entre juifs et
arabes”. Puisqu’ils le disent, pourquoi
ne pas les croire sur parole ?
Et donc, quand il m’arrive de revenir
au Maroc, je suis rétif aux clichés, et
bien qu’aimant les touristes (pourquoi
mépriser ces braves gens qui viennent
faire un tour et se nourrir d’un peu
d’altérité qui leur permet de découvrir
Vieille synagogue dans le Mellah
parvient à mes oreilles comme la sirène
d’un bateau immobile qui n’en finit pas
de s’enfoncer mais qui flottera toujours:
on y vendra toujours de l’incantation
pour s’enivrer.
Bref, un vendredi récent je me suis
trouvé à Marrakech pour le week-end
en vue de finir un de mes livres,
L’ÉNIGME ANTISÉMITE je crois; et comme
j’ai vu que la ville m’échappait, que je
ne m’y retrouvais plus aussi bien
qu’autrefois, j’ai décidé d’écrire
quelques traces qui me lient à elle. La
forme qui s’est imposée fut celle d’un
roman, où le narrateur, qui fait des
romans policiers est là pour en terminer
un: Meurtre à Marrakech. Mon
inconscient a dû transposer les choses
traduisant le fait que la communauté
juive de cette ville, qui compta presque
trente mille âmes (dix fois plus dans
tout le Maroc) a été d’une certaine
façon effacée en douceur, éradiquée
sans violence (sans trop de violence)
juste parce que l’espoir d’aller ailleurs
Derb Djama’; regardez-là, la première
porte à droite est celle de la petite
mosquée, la deuxième porte à droite
c’était ma maison. De la mosquée me
parvenait assez de texte coranique pour
qu’un jour, coincé par une bande près
de la Koutoubia qui me traitait de
lihoudi et voulait, à ce titre, me casser
la figure, j’ai pu victorieusement passer
pour un musulman en récitant par
coeur des versets de leur Livre.
On verra aussi dans ce roman
comment un petit garçon de 11-13 ans
peut être à la fois très malin et très naïf,
mélange fort typique de notre vie làbas, qui tournait sur elle-même, assurée
d’être au centre du monde, tout en
acceptant parfois des signes évidents
du contraire.
-*Psychanalyste, écrivain. Vient de
publier MARRAKECH, le départ chez Odile
Jacob.
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 17
ISRAËL
La ville fête son centenaire:
La turbulente saga
de Tel Aviv
PAR AMI BOUGANIM
Elle s'étale sur pratiquement 14 kilomètres de long. Elle est sillonnée d'autoroutes. Elle
est aujourd'hui une mégalopole dont le modèle semble être Los Angeles. Elle est l'opposé
de Jérusalem : elle est obsédée par la laïcité au point que les milieux orthodoxes ne
sont pas loin de la considérer comme une nouvelle Babylone.
Cette ville, aujourd'hui capitale économique et culturelle d'Israël, fête ses cent ans.
Comment a commencé cette histoire ? Que représente-t-elle aujourd'hui pour les
Israéliens ? Notre collaborateur Ami Bouganim, écrivain et philosophe, vous sert de
guide dans cette turbulents saga.
I
l était une fois un peuple
dispersé parmi les nations, il
était partout en exil. Quand
ses membres se sentaient
moisir sous un ciel vermoulu
ou transir sur une terre gelée,
ils ranimaient le rêve d’un retour
surnaturel à une terre promise qui se
dérobait tant aux prières qu’elle en
était devenue mythique. Dans leur
interminable nostalgie s’étendaient
les décors lustrés et contrastés d’une
cité immémoriale. Ils n’arrêtaient pas
de prononcer le nom de Jérusalem du
lever au coucher, de jour en jour,
d’année en année, de génération en
génération. Jérusalem gisait parmi les
décombres de leur mémoire et seul
l’embrasement de leur imagination
pouvait la relever. Jérusalem couvrait
la terre d’Israël et la terre d’Israël se
réduisait à Jérusalem. Peut-être
Hébron où gisaient les Pères et les
Mères ; peut-être Tibériade où s’était
enlisé le Sanhédrin. Sinon on restait
résolument tourné vers Jérusalem,
peut-être parce qu’on sentait qu’elle
ne se relèvera de ses ruines qu’en
accueillant le modèle céleste que le
Saint, béni soit-Il, construisait de dires
et de douleurs et cimentait de prières
et de larmes.
Or Jérusalem se montrait rétive.
Elle ne se prêterait pas à sa
restauration humaine, elle ne
réclamait rien moins qu’une
résurrection divine. Elle interdisait de
provoquer les nations pour précipiter
sa réhabilitation juive. Elle dissuadait
les avances et on l’habitait plus
18 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
volontiers mort que vivant. Elle se
montrait irascible, intransigeante,
close. On ne pouvait bouger sans
défrayer la chronique céleste ;
supporter la densité divine ; endurer
les querelles interreligieuses ;
répondre aux attentes. On ne s’était
pas arraché au ghetto de misère pour
un ghetto sacré. On ne savait pas
comment ressusciter ses morts,
comment l’arracher à ses légendes,
comment tirer son modèle céleste vers
le bas et l’arrimer à la réalité terrestre.
On avait d’autres perspectives sur le
ciel et la terre et caressait d’autres
rêves pour eux. On ne voulait pas
bâtir la cité de Dieu, mais une cité
idéale, celle que Herzl dans son
roman utopique, Altneuland [Pays
ancien, pays nouveau], situe à Haïfa.
Le titre de la première version
hébraïque était « Tel-Aviv », tiré du
verset d’Ezéchiel (3, 15) : « Et j’allai
vers les exilés à Tel-Aviv [Tertre-duPrintemps ?], vers ceux qui demeurent
près du fleuve Kébar… » On dut se
résoudre à contourner Jérusalem et
ce n’est pas par hasard que l’on
commença par construire des
bourgades, des kibboutzim et
moshavim et… Tel-Aviv. Jaffa était
tellement plus ouverte. A la mer, aux
pèlerins, aux millénaristes… aux
sionistes. Elle n’était pas sainte, on
pouvait tout se permettre. On ne se
heurtait pas à un mur, on n’était pas
tenu au deuil d’un Dieu, on ne vivait
pas à l’ombre de mosquées, on ne
croulait pas sous l’amoncellement des
vestiges et l’entassement des
religions.
Tel-Aviv est une ville que l’on dit
surgie de dunes sinon du sable. On
cultive volontiers ce mythe et si cette
année on marque son centenaire, c’est
pour mieux le consolider. En 1909, les
familles juives réunies pour le tirage
au sort destiné à allouer les lopins qui
devaient accueillir les premières
maisons étaient les plus huppées de
Jaffa, où la promiscuité et l’insalubrité
devenaient de plus en plus invivables,
et de Néveh Tsédek, premier quartier
construit par des Juifs maghrébins
hors du périmètre de Jaffa sur le
modèle d’un village provençal. Ils
souhaitaient se donner un quartier
résidentiel.
Surgie de l’exil
Sans plus. En Europe on avait la
nostalgie de l’Orient, on Orient, on se
mit à avoir la nostalgie de l’Europe.
Sans plus. La grande chance de TelAviv n’était ni ses brouetteurs ni ses
maçons, ni ses bourgeois ni ses
poètes. C’était la jeunesse venue des
quatre coins de l’exil pour partager
les premiers bancs hébraïques du
lycée Herzlya construit parallèlement
aux premières maisons. Ils étaient
porteurs d’une renaissance. Des rêves,
des esprits, des terres. Ils n’étaient
plus liés. Ni par les lanières de cuir
de leurs pères ni par les lettres de
leurs textes sacrés. Ils allaient
essaimer partout. Aux quatre coins des
terres d’Exil et aux quatre coins de la
terre d’Israël. Ce premier lycée
hébraïque a été la véritable pierre de
fondation de Tel-Aviv et d’Israël. Un
ISRAËL
Une vue générale de la ville
demi-siècle plus tard, on démantelait
le lycée pour construire à sa place une
première tour. Les autres devaient
suivre, grattant un ciel de plus en plus
plombé. Le succès de ces tours ne
laisse de me sidérer. On s’est d’abord
enraciné dans la terre des kibboutzim
et des moshavim. Puis on a collé à la
terre dans des pavillons et des villas.
Maintenant on se perche à je ne sais
quelles hauteurs pour connaître le
vertige d’être de la contrée sans être
de sa cohue. Des banquiers, des
industriels, des marchands d’armes,
des artistes. Une manière de
s’arracher à la terre et à ses plates et
irritantes réalités…
Dans les années vingt, Tel-Aviv
accueillait des boutiquiers et des
artistes ; dans les années trente, des
émigrés, allemands, autrichiens et
tchèques surtout, avertis des dangers
qui pointaient en Europe ; dans les
années cinquante et soixante, les
exilés de retour, bulgares et marocains
surtout ; dans les années quatre-vingtdix les réfugiés russes. Entre-temps,
la ville s’était donnée des théâtres,
parmi les plus talentueux au monde ;
des ballets, parmi les plus gracieux
au monde ; une université, parmi les
plus prestigieuses au monde ; des
restaurants, parmi les plus variés et
délicieux au monde ; des boîtes, parmi
les plus tonitruantes et abracadabrantes au monde. Tel-Aviv avait
détruit des quartiers et rénové
d’autres. Elle a même remplacé sa
vieille gare routière, où je persistais à
croire que le Messie était mêlé aux
clochards et aux miséreux, pour une
gare conçue sous forme d’un abri, où
le Messie, je le sais, est absent.
Désormais elle ne croirait pas plus au
Messie qu’à ses hommes politiques.
Se présenterait-il d’aventure à ce
grand dancing que serait le port de
Tel-Aviv ou au parc Ha-Yarkon qu’on
l’inviterait sans ménagement à se
rendre à Jérusalem.
On n’aime autant Tel-Aviv que
parce que c’est une ville d’exilés. De
l’extérieur et de l’intérieur, ceux du
passé et ceux de l’avenir, réunis pour
une sarabande de « vingt-quatre
heures par jour ». C’est la ville qui
accueille les autres villes – Jérusalem,
Béer-Shéva, Haïfa – et qui s’ouvre aux
autres villes – New York, Londres,
Paris. C’est un centre d’aiguillage des
rêves, des talents… des possibilités.
C’est une ville de refuge. Pour les
célibataires endurcis en quête d’un
traitement et les divorcés en quête
d’une deuxième chance ; pour les
misanthropes et les noceurs. C’est une
ville située à tous les croisements. Des
civilisations. Des langues. De l’histoire
juive. Du réseau des routes et des
rails. Une salle d’attente de l’aéroport
de Lod d’où l’on s’envole pour «
l’ailleurs » et atterrit à « la maison ».
C’est la ville alternative par excellence
au point de se vouloir une alternative
à… soi. En quête permanente de
nouvelles couleurs, de nouveaux
trends, de nouvelles créations. Toutes
les tentatives, toutes les audaces, tous
les excès. De toutes les rencontres
dont la ville est le théâtre sortent
souvent de beaux brins d’humanité et
de belles bribes poétiques. La
sarabande ne marque pas de pause et
ne laisse pas de répit. On doit danser
; s’assourdir ; s’éclater. Car nul ne sait
de quoi demain sera fait…
Un renouveau philistin
C’est plus que New York, Londres
ou Paris et c’est ce « plus » qui donne
à la ville son excitation. Cette
hyperactivité vient de loin. De la
volonté de réussir dans un monde
précaire et elle n’est pas sans donner
une tournure banaustique – de
banausia dans Hérodote et qu’Aristote
assimile
au
mauvais
goût
qu’encourage une certaine pratique
de la démocratie – à toute cette
agitation. Peut-être le lot du Philistin
– à tous les sens du terme – guettant
le nouvel Israélien qui trouve son
paradoxal « sans-chez-soi » à Tel-Aviv.
On sue, on se plaint, on se résigne
aux sueurs. On se laisse volontiers
tenter. Par le laisser-aller. Le négligé.
L’intimité. Les parias d’Arendt
achèvent de devenir des parvenus et
se comportent comme tels. Dans le
commerce ; la culture ; la recherche.
Le Juif s’est dépouillé de sa carapace
d’exil, s’est longtemps contenté des
bleus de travail et des sandales des
pionniers et aujourd’hui il se met en
smoking pour ses soirées ... On ne se
contente pas de la reconnaissance
toute locale de son talent, on doit
encore briller dans le grand monde.
Dans le meilleur des cas, ce nouveau
philistin n’est peut-être qu’un pont
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 19
ISRAËL
vers un sur-Hébreu ; dans le pire
qu’une girouette prise de tournis.
D’un côté, on aurait de beaux
personnages comme Ronit Elkabetz
partisane d’une mystique de
l’interprétation
théâtrale
et
cinématographique et Dory Manor
qui persiste à tourner en Baudelaire
septembre-octobre. Ni Rosh ha-Shana
ni Kippour ! L’octroi des prix Nobel !
En principe ce serait dans toutes les
disciplines qu’on devait avoir un prix
au moins ! Car c’est une ville qui se
croit au cœur du dernier cri. Un des
brouillons de l’Etat des Juifs tel que
Herzl l’avait voulu. Les généraux dans
malgré leurs liens de parenté et
l’intimité quasi-familiale qui règne
entre eux. Ils ne savent pas parler, ils
ne savent pas s’habiller. La vieille
noblesse allemande, polonaise et
marocaine est morte et une nouvelle
n’est pas près de se manifester. C’est
pourtant la capitale clandestine d’un
La vie quotidienne
dans les rues de Tel-Aviv ; de l’autre,
des enfants gâtés comme Assi Dayan
qui ressent un besoin pressant de
défrayer la chronique tous les six mois
et un psychopathe comme Doudou
Topaz qui refuse de descendre de la
scène. Derrière ces noms et d’autres
se cachent les petits récits de
grandeur et de bassesse qui
convergent dans la turbulente saga
de Tel-Aviv…
C’est une ville qui ne cesse de se
chercher, de se perdre et de se trouver,
ça n’en est pas moins une cité qui
bouge, voire une ville qui crâne. On
crâne à tort et à travers. Pour toutes
sortes de raisons réelles ou
potentielles. Avec style et sans style ;
avec bon goût et mauvais goût. On est
les meilleurs en tout ; on est invité
partout ; on perce partout. On est
traduit en toutes les langues. Il ne
passe pas un jour sans qu’on ne se
découvre un nouveau génie ou ne
reçoive un prix ou une décoration. TelAviv crânerait tant qu’on peut
légitimement la considérer comme la
patrie du crânisme, ni plus ni moins
brouillon et respectable que le
dadaïsme et le surréalisme. C’est ce
qui explique que la période la plus
tendue dans le calendrier mondain de
Tel-Aviv est encore les mois de
20 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
leur base, les rabbins dans leurs
synagogues et une co-existence entre
les nationalités et les cultures. Sans
contraintes ; sans illusions. Tel-Aviv
est encore le site d’ancrage le plus
solide et vibrant de l’israélisme. On
ne redoute pas la bombe iranienne ;
on résiste à l’exaltation messianiste.
Etat qui n’a pas achevé de se donner
des frontières. Une caisse de
résonance. Du monde entier, à
l’exception peut-être d’Israël et de ses
problèmes. Voire la start-up du monde
à venir ! Du moins se prend-elle pour
telle. Gardez-vous surtout de la
démentir. Elle ne pourra jamais se
C'est une ville qui se croit au cœur du dernier cri.
Un des brouillons de l'Etat des Juifs
tel que Herzl l'avait voulu.
Une capitale clandestine
résoudre à n’être qu’une vaste
banlieue de Jaffa-sur-Mer. Du moins
parmi les quelques dizaines de
milliers
d’abonnés
de
la
philharmonique, de Habima et de…
Sdérot Rothschild !
Les générations de l’exil sont en
train de s’éteindre ; les nouvelles ne
sentent pas encore chez elles à TelAviv. On est de passage ; on est en
transit. Les chercheurs et les artistes
attendent toujours l’invitation d’une
université ou d’une galerie étrangères.
C’est normal ; c’est trop petit ; le
public est trop restreint. La population
de Tel-Aviv n’est qu’un vaste
rassemblement d’émigrés qui ne se
reconnaissent pas les uns les autres
Ces dernières années, la troisième
génération invoque volontiers le
sentiment d’ « être à la maison » pour
éluder les questions les plus
troublantes : « On se sent à la
maison, chez soi, dans sa langue,
dans sa colère, dans la vibration
sensationnelle des attentats et des
scandales et dans la pulsion
particulière de la vie qu’on ne trouve
nulle part ailleurs. » Pourtant, la
création, dans la plupart des
Tel-Aviv attend son Ecclésiaste. Dans
cette ambiance particulière où
l’indolence se mêle avec le
divertissement.
ISRAËL
domaines, nuance ce sentiment.
Plutôt que de sentir chez soi dans
cette ville, les nouvelles générations
se préparent à l’exil, dont la durée
varierait de deux mois à… deux mille
ans. Le meilleur de la création
constitue une grande, trouble et
sourde protestation. Contre on ne sait
quoi et pour on ne sait quoi. Dans la
poésie, auprès des meilleurs poètes
; dans le cinéma, avec les meilleurs
cinéastes, dont la plus grande
originalité consiste encore à se
risquer dans les coulisses de l’Etat
hébreu ; au théâtre, où l’on évite le
répertoire hébraïque pour ne pas
provoquer de nouveaux scandales et
s’aliéner des abonnés qui ne
souhaitent pas qu’on les poursuive
dans les salles avec des démêlés
platement domestiques entre Juifs et
Arabes, Ashkénazes et Séfarades,
religieux et laïcs. La littérature, plus
redondante qu’on ne la présente,
piétine entre l’encensement d’on ne
sait quoi et la dénonciation d’on ne
sait quoi. Elle est l’œuvre d’une
classe littéraire qui ne sait où elle en
est et doit son prestige mondial à ses
traducteurs qui constituent encore
ses meilleurs bonimenteurs. Depuis
le début des années quatre-vingt dix,
la musique pop et rock se situe, à
quelques exceptions près, en
dissidence avec une musique
patriotique qui chantait et pleurait,
priait et conjurait. Elle pousse
volontiers ses cris à l’hystérie.
Une banlieue de Jaffa
Malgré les déclarations d’amour, de
patriotisme et de domesticité, on ne se
sent pas – encore ? déjà ? – chez soi. Ni
dans les quartiers résidentiels et blancs
du nord ni dans les quartiers pauvres
et noires du sud. Tel-Aviv est toujours
une ville de nulle part. Des rues qui ne
savant pas où mener ; des gens qui ne
savent vers où se tourner. Une disparité
plus grande que partout ailleurs.
L’aliénation par rapport aux décors ne
s’atténue pas avec les années et les
générations qui passent. Les nouvelles
architectures seraient même en train
de gommer le manuscrit biblique. Le
large de l’ailleurs exerce de plus en
plus de charmes et on leur succombe
souvent pour oublier les tensions et
diluer l’insoutenable intensité du
«chez soi»…
Maintenant qu’elle est centenaire,
Tel-Aviv peut se permettre de se
mesurer aux trous qu’on tend à
occulter dans son histoire. Nul ne
souhaite savoir que la ville s’étend sur
des terres et des villages arabes
rachetés ou détruits. Nul ne veut
reconnaître qu’elle n’a été, n’est et ne
sera qu’une extension de Jaffa. Les
pionniers – européens – de Tel-Aviv
ont construit leurs maisons de sable
à la manière de châteaux de sable,
contrairement aux bâtisseurs levantins
d’autres le vieux centre plus
hétéroclite
qu’éclectique
ou
international ; d’autres encore le
nouveau Tel-Aviv qu’on souhaite plus
haut que partout ailleurs autour de la
Méditerranée. Dans tous les cas, on
ne peut s’empêcher de se demander
comment une ville aussi discordante,
enchevêtrement de quartiers se
chevauchant, grise et déteinte, peut
décemment se prétendre blanche
alors qu’elle est sale, se croire
mondiale alors qu’elle est provinciale,
-Tel-Aviv est encore le site d'ancrage le plus
solide et vibrant de l'israélisme.
- Les paysages bibliques ne se conservent plus
que dans les villages arabes de la Galilée.
- Je ne comprends pas l'engouement quasigénéral pour ce satané métro. Nul ne semble
soupçonner que les métros dans les métropoles
ne sont qu'autant de galeries vers lesquelles sont
rabattus les humains convertis en rats.
de Neveh Tsédek et yéménites de
Kérem ha-Témanim qui s’inscrivaient
dans une expansion – juive – de Jaffa.
Parallèlement à l’occultation de celleci comme berceau, la Méditerranée a
été oubliée. Pendant longtemps, elle
a fait figure de Grande Demeurée. Elle
attendrait du reste sa revanche et on
en est à souhaiter, à Dieu ne plaise,
un petit ras de marée qui rappellerait
sa présence muette. Plus de peur que
de mal bien sûr.
Cette occultation du berceau
condamne
Tel-Aviv
à
n’être
précisément qu’une ville de passage
pour ailleurs, que ce soit New York ou
Paris, une ville que son engouement
pour les tendances condamne à n’être
qu’un brouillon urbain. On ne cesse
au
demeurant
de
corriger
l’architecture et le récit qui la porte et
qu’elle exhibe. Certains souhaitent, il
est vrai, privilégier Jaffa, à laquelle
on consent à reconnaître des droits;
se déclarer cosmopolite alors qu’elle
est nationale, s’imaginer éternelle –
Ir Olam – alors qu’elle est éphémère.
Dans le heurt des civilisations, c’est
la plus enracinée, dans les décors
autant que dans les esprits, qui
l’emporte. Même au bout de mille
ans. La civilisation juive – s’il en est
une – ne s’est pas enracinée dans les
décors. Les vestiges archéologiques
les plus impressionnants sont
hérodiens ou croisés. Or Hérode était
un collaborateur des Romains,
passablement hellénisé, et les Croisés
étaient porteurs d’une rature du
judaïsme. Dans la ville de David, on
ne distingue pas entre les couches
cananéennes et les couches
davidiques. Sur le mont du Temple
trônent des mosquées. Tout le reste,
de Gamla à Massada, propose des
lieux de résistance, de clandestinité
et de désastre. La civilisation juive est
d’abord et avant tout textuelle et
comme telle est elle de partout et de
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 21
ISRAËL
nulle part. Ses monuments, consacrés
à la Shoah, aux soldats morts sur le
champ d’honneur, aux communautés
disparues, conservent un cachet
extérieur.
De
même
pour
l’architecture – des maisons de la
culture soviétiques aux tours newyorkaises en passant par le Bauhaus
austro-allemand – qui reste, presque
toute, importée. Je ne connais pas de
style
israélien-méditerranéen,
israélien-levantin ou israélienoriental. Ces mots résonneraient mal
dans une ambiance où l’Orient est
assimilé à l’incurie, le Levant à la
veulerie et la Méditerranée à la
puanteur. On est du reste en train de
ravaler Jaffa en détruisant des
bâtisses historiques, en couvrant les
terrasses de tuiles rouges et en
remplaçant les persiennes par des
rideaux garantissant de glauques
intimités contre l’intrusion de la
lumière. Les paysages bibliques ne
se conservent plus que dans les
villages arabes de la Galilée. Le
désert se couvre de bases militaires,
de bourgades de tôles des Bédouins
et de localités juives qui menacent
22 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
en permanence de se débander. Trois
générations plus tard, on ne serait
nulle part chez soi. Ce n’est peut-être
pas une parenthèse croisée, ça n’en
présente pas moins cette volatilité
juive diasporique. A Bnei Berak où
les bâtiments décrépissent, du moins
extérieurement ; à Méa Shéarim où
c’est l’empressement sacré du plus
merveilleux des ghettos. Les
superpositions des civilisations, nous
avertissait Braudel, ne tiennent pas.
La civilisation originelle finit
toujours par ressurgir : « Les
superpositions qui durent des siècles
ont des allures d’épisodes1. » Je ne
saurais dire quelle est la civilisation
locale. A parcourir l’histoire juive et
à mesurer les périodes, par trop
courtes, de souveraineté nationale
juive, je redoute les mauvaises
pensées qui m’assaillent concernant
leur pouvoir d’endurance. Dans ce
contexte, Tel-Aviv devra se résoudre
à marquer une pause et à se donner
le cœur qui lui manque. Avec
goût ; avec délicatesse. Avec du
doigté politique et dans le respect
de… la mer.
Aujourd’hui, Tel-Aviv rêve d’un
métro, elle attend son métro, elle se
prépare à son métro. Je ne comprends
pas l’engouement quasi-général pour
ce satané métro. Nul ne semble
soupçonner que les métros dans les
métropoles ne sont qu’autant de
galeries vers lesquelles sont rabattus
les humains convertis en rats. Mais
autant l’on mène des recherches sur
les rats dans les labyrinthes, autant
on ignore les séquelles de ces
couloirs, de ces quais et de ces
wagons sur les humains. Ca
débouchera peut-être Tel-Aviv, ça
réduira peut-être la pollution, mais à
quel prix ! Quelle perte ! Quelle
déchéance ! Je sais bien que nous ne
sommes ni à l’âge de pierre ni à celui
du déluge, mais de là à instaurer l’âge
du métro. A Paris, dans son métro, une
main anonyme demandait un jour : «
Qui est-ce qui est tout pâle, qui a très
chaud et qui vit à vingt mètres sous
terre ? »
A.B
-1
F. Braudel, La Méditerranée,
Flammarion, 1985, p.169.
LA VIE DU CONSISTOIRE
ACIP et Consistoire Central :
deux assemblées générales
dans un climat serein et constructif
AG du Consistoire
de Paris : 28 juin 2009
L
'assemblée générale du
Consistoire de Paris s'est
déroulée le 28 juin dernier
en présence du Président
du Consistoire Central et
de Paris Joël Mergui, du
Grand Rabbin de Paris David Messas et
de nombreux administrateurs de l'ACIP.
Il s'agissait là de la dernière Assemblée
générale de la mandature actuelle, et a
donc permis de dresser un bilan des
actions réalisées et des projets lancés ces
derniers mois et les années précédentes.
Dans son allocution, le Président
Mergui a rendu hommage aux
permanents de l'institution et aux
administrateurs qui travaillent au
quotidien au service de la
Communauté, et en particulier à ceux
et celles d'entre eux dont le mandat
arrive à échéance en novembre
prochain. Le Président a par la suite
rappelé que le contexte qui a entouré
la vie de la communauté dans un passé
récent (signes de regain d'actes
antisémites et crise économique), a
rendu à la fois délicate la gestion de la
première institution juive de France et
d'Europe, mais également nécessaire
une mobilisation sans faille dans l'action
menée dans les différents domaines qui
font la vie de l'institution. D'où "
l'importance capitale des synergies
recherchées entre le Consistoire de
Paris, le Consistoire Central de France
et les Consistoires régionaux, et qui ont
été accentuées ces dernier mois au
service de l'institution consistoriale dans
son ensemble ".
Dans l'exposé de son Rapport moral,
et après avoir passé en revue les
moments de peine et de joie ayant
émaillé l'année écoulée, le Secrétairerapporteur de l'ACIP Me Elie Korchia est
longuement revenu sur les grandes
actions menées par l'Institution ces
participants présents dans la salle de
poser librement de nombreuses
questions concrètes et constructives, dans
un climat positif, relatives aux divers
domaines d'activité de l'institution. Tant
le Président, les administrateurs et le
grand rabbin de Paris ont apporté les
éléments de réponse attendus. Une fois
ce débat achevé, il a été procédé au vote
Le président Joël Mergui et le grand rabbin de Paris David Messas
entourés des administrateurs de l'ACIP
derniers mois : des 10 jours du
Consistoire, aux projets en faveur du
patrimoine, en passant par les relations
avec les pouvoirs publics, les actions en
faveur d'Israël, de la jeunesse, des
Talmudei Torah, et de la culture.
Le Trésorier de l'ACIP Joseph Haddad
a par la suite présenté le rapport
financier, en insistant sur l'impact de la
crise financière actuelle sur les recettes
de l'institution et sur le fait que grâce à
une maitrise des coûts, et malgré un
déficit global en terme de résultat net,
l'excédent opérationnel de l'ACIP ait pu
être maintenu au cours de l'exercice (cf.
les tableaux des comptes 2008 dans notre
précédent numéro).
S'en est suivie une longue séance de
questions-réponses qui a permis aux
des comptes 2008 qui ont été adoptés à
l'unanimité.
Après les mots de conclusion
prononcés par le Grand Rabbin de Paris
David Messas, qui s'est félicité de la très
bonne entente existant avec le
Président, les administrateurs et
l'ensemble des Présidents de
communautés et des rabbins, et qui a
rappelé l'importance des dossiers sur
lesquels travaille le grand rabbinat de
Paris, le Président Mergui a achevé la
réunion, en rappelant que le climat
apaisé qui règne actuellement au sein
de l'institution consistoriale, que ce soit
au Consistoire Central ou au Consistoire
de Paris, constitue l'un des résultats les
plus importants et porteurs d'avenir de
la mandature qui s'achève.
AG du Consistoire Central : 21 juin 2009
Un an exactement après l’élection du grand rabbin de France Gilles Bernheim et du Président du Consistoire Central Joël
Mergui, l’assemblée générale du Consistoire Central s’est tenue dimanche 21 juin à l'Ecole Rabbinique de France dans un
climat très positif, en présence du grand rabbin de Paris David Messas, du grand rabbin du Consistoire Central René-Samuel
Sirat, du Directeur de l’Ecole Rabbinique de France le grand rabbin Michel Gougenheim, du grand rabbin du Consistoire
de Paris Alain Goldman, de l’ensemble du Bureau du Consistoire Central, des Présidents des Consistoires régionaux et de
nombreux dirigeants des communautés juives venus de toute la France.
Le Président du Consistoire Joël Mergui a abordé les principales actions entreprises au cours de l'année écoulée : installation
du nouveau grand rabbin de France, soutien apporté aux petites communautés en difficulté à travers tout le pays, jeunesse,
information et communication, contacts pris à tous les niveaux des pouvoirs publics pour défendre les projets essentiels du
judaïsme français, priorité donnée à l’essor de l'Ecole Rabbinique de France, et défense du patrimoine juif. Les difficultés
financières de l'institution en cette période de crise économique ont été mises en avant avec un effort de solidarité tout
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 23
LA VIE DU CONSISTOIRE
particulier demandé à l'ensemble des communautés juives pour soutenir l’institution centrale du judaïsme français.
Le rapport moral, présenté par le secrétaire-rapporteur Luc Pincaut, ainsi que le rapport financier présenté par le trésorier
David Amar, ont été adoptés à l’unanimité moins une abstention.
Le Grand Rabbin Gilles Bernheim a ouvert son discours en bénissant l’assistance. Il a ensuite rendu un vibrant hommage à
son prédécesseur le Grand Rabbin Joseph Haïm Sitruk, pour l’ensemble des actions qu’il a menées à la tête du rabbinat
français. Le Grand Rabbin de France a rendu un hommage appuyé au Grand Rabbin Emmanuel Chouchena pour son action
en tant que directeur de l’Ecole Rabbinique de France. Dans son allocution, le Grand Rabbin de France a repris les grandes
lignes de son action, entamée depuis le 1er janvier dernier, en collaboration avec le Président Joël Mergui. Le Grand Rabbin
de France a en outre annoncé les membres de son cabinet, composé notemment du chef de cabinet Eliya Bernheim, du Grand
Rabbin Bruno Fiszon, du Grand Rabbin Haïm Korsia, le Rabbin Betzalel Levy, et du Rabbin Moché Lewin.
Le Grand Rabbin de France a également annoncé qu'après de premières responsabilités d'ores et déjà accordées dans les
domaines de la Cacherout, de l'éducation, des Affaires de société et de l’Enseignement supérieur, et de la Communication
et des médias, de nouvelles responsabilités seront attribuées au sein de son cabinet après les fêtes de Tichri sur les pôles
d’actions suivants : Transmission de la mémoire ; Solidarité et Relations avec nos aînés ; Handicap ; Hôpitaux ; Développement
des communautés régionales et de l’Outre-mer ; Prisons ; Programme et cérémonies de Bat Mitsva ; Relations avec Israël et
le rabbinat israélien ; Conversions ; Jeunesse et Vie Associative ; Concession des cimetières et rituel mortuaire.
Le Grand Rabbin de France a évoqué ensuite ses visites au sein de nombreuses communautés de France et son investissement
dans la redynamisation de l’Ecole Rabbinique de France. L’Assemblée Générale s’est achevée par la lecture par le Président
Mergui d’un communiqué du Consistoire Central et du Crif, sur la volonté forte et commune des deux institutions de travailler
de concert et d’unir leurs efforts au service du judaïsme français dans son ensemble.
“Les 10 jours du Consistoire” :
Le grand rendez-vous de la rentrée
P
application des nouveaux outils et
manuels pédagogiques et des nouveaux
programmes qui ont été élaborés au cours
des derniers mois. Avec un programme
attrayant et des formations adaptées, le
Consistoire souhaite voir le nombre
d'enfants inscrits au Talmud Torah
augmenter encore.
our la troisième année
consécutive, le Consis-toire
organise, à l'ini-tiative du
Président Joël Mergui, ses
"10 jours" qui se dérouleront
cette année du 5 au 15
septembre à Paris et dans les principales
villes de province. Cette opération de
sensibilisation sur la mission et les
enjeux de l'institution a été lancée en
2007 et est devenue un rendez-vous
incontournable
de
la
rentrée
consistoriale.
L'objectif principal demeure la
présentation la plus large possible de
l'action que mène le Consistoire au
quotidien au service de la vie juive, une
action trop souvent mal connue. Lancée
initialement à Paris il y a deux ans, cette
opération a été étendue l'an dernier à
l'ensemble de la France, ce qui sera
évidemment encore le cas pour le cru
2009.
Parmi ces chantiers et projets sur lesquels
le Consistoire entend mettre l'accent
depuis quelques années, on trouve avant
tout la jeunesse et la transmission. Centre
Fleg, Chabbats Jeunes, Tikvatenou, Team
Roquette, la Hazac, le Haftara Club…
autant de chantiers majeurs lancés et
développés au cours des dernières
années et qui seront mis à l'honneur à
24 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
Le Consistoire a déjà fait beaucoup
d'efforts au cours des derniers mois pour
impliquer le maximum de jeunes dans la
vie de nos communautés afin qu'ils en
deviennent les acteurs principaux. Ces
dix jours seront une fois de plus centrés
autour de notre jeunesse.
Mais au-delà de la jeunesse, les thèmes
traditionnels de l'action consistoriale
seront à nouveau mis à l'honneur au
cours de ces 10 jours, avec en particulier
le patrimoine (notamment après le
récent lancement de la Fondation pour
la Patrimoine Juif de France), la culture
(avec la journée européenne de la
culture et du patrimoine juifs en France
le 6 septembre et une exposition de
peinture), la cacherout (journée de
découverte des produits cacher), le
mariage
(avec
la
désormais
traditionnelle soirée des mariés), le Beth
Din (avec une journée de rencontre et
de dialogue autour de tous les domaines
de compétence du Beth Din), la
Mémoire (avec la cérémonie des
déportés le 13 septembre), etc …
Dans cette dynamique, le Talmud Torah
est un point central, avec la rentrée
nationale qui aura lieu le 6 septembre, et
qui sera l'occasion de présenter la
formation des maîtres, la mise en
A noter que cette année sera également
organisée une journée " portes ouvertes
" qui permettra à tous de venir découvrir
et dialoguer avec les services du
Consistoire.
l'occasion d'une journée consacrée à la "
jeunesse du Consistoire en mouvement".
LA VIE DU CONSISTOIRE
Une autre nouveauté résidera dans la
journée sur le thème du partenariat et
de la solidarité, permettant aux grandes
communautés de venir en aide aux plus
petites dans un esprit de solidarité et
d'entre-aide communautaire qui est au
cœur même de la mission du
consistoire partout en France et qui
constitue une priorité majeure de
l'action consistoriale menée au cours
des derniers mois dans de nombreux
domaines et de nombreuses régions de
France.
C'est également au cours de ces 10
jours que sera organisée la cérémonie
permettant aux pouvoirs publics de
présenter les vœux de la République à
la communauté juive, comme c'était le
cas les années précédentes avec le
ministre de l'Intérieur. Une façon de
réaffirmer avec force les liens sans faille
qui unissent les juifs de France et la
République. A cet égard, un événement
majeur destiné à réfléchir sur les liens
entre les juifs et la société sera organisé
au cours des dix jours.
Enfin, la solidarité sera également au
rendez-vous à travers notamment une
opération destinée à mettre en avant le
" Kavod du à nos ainés " et une
mobilisation à cet égard dans les
communautés juives de France.
Et plus généralement, comme l'an
dernier, ces 10 jours se déclineront dans
toute la France, puisqu'à coté de Paris,
ce sont plusieurs communautés en
province qui organiseront dans une
dynamique globale des événements
majeurs visant à mieux faire connaitre
le consistoire dans tous ses domaines
de compétence.
Au total, les 10 jours du Consistoire
constituent
une
période
de
mobilisation, d'adhésion et de
préparation pour l'année qui s'ouvre.
En quelque sorte, une action
emblématique forte pour rappeler que
la mission du consistoire au quotidien
est d'abord tournée vers l'action
constructive menée tout azimut sur le
terrain au service du plus grand
nombre et dans tous les domaines de
la vie juive.
Renseignements et programme :
01.40.82.26.33
01.49.70.88.07
www.consistoire.org
www.consistoiredefrance.fr
Ce qu'ils en disent ...
“Le Consistoire est une
institution qui régit la
vie juive en France
depuis deux siècles.
Grâce aux dix jours du
Consistoire, l’ensemble
de la Communauté
juive de France va
pouvoir apprécier à sa juste mesure le
formidable travail réalisé par nos rabbins,
présidents et membres actifs des
synagogues et qui font que notre
Judaïsme en France est l’un des plus
riches et des plus dynamiques au
monde. Le Consistoire propose durant
ces dix jours de très nombreuses
manifestations, de grande qualité, qui
permettront à la Communauté juive de
France d’en ressortir encore plus forte,
plus unie et toujours au cœur de notre
noble institution consistoriale.”
Gilles Bernheim,
grand rabbin de France
“Le chiffre 10 est
éloquent
pour la
tradition juive puis-qu’il
évoque autant les 10
paroles de la Création,
les 10 paro-les de la
Révélation et les 10
jours de la téchouva.
Ainsi le chiffre 10 nous relie autant à
notre Créateur qu’à notre responsabilité humaine. C'est à travers cette
symbolique que le Consistoire organise
ce grand évènement des "10 jours de
l'ACIP" afin de présenter à l'ensemble
de la Communauté, ses réalisations et
ses projets. Mais surtout pour que
chaque membre de notre belle
communauté prenne conscience du
rôle central que joue le Consistoire pour
perpétuer nos valeurs, nos traditions
au sein du peuple juif, pour nous
aujourd’hui et pour nos enfants
demain.”
David Messas,
grand rabbin de Paris
“Comme cela a déjà été le cas les années
précédentes, nous
devons continuer de
sensibiliser à la fois
l’ensemble de la
communauté juive et
au-delà
sur
la
centralité
et
l’importance de nos
actions menées au
quotien sur le terrain au service de
chacun des fidèles de nos communautés
afin de solliciter l’aide et le soutien du
plus grand nombre et de créer ainsi une
dynamique au service de la
communauté dans son ensemble. Le
Consistoire est et restera la pierre
centrale de la vie juive en France. C’est
notre responsabilité de continuer à
solidifier l’édifice pour le transmettre à
nos enfants. Si ces dix jours peuvent y
contribuer, l’objectif aura été rempli”.
Joël Mergui,
Président du Consistoire Central
et de Paris.
JOURNÉE EUROPÉENNE DE LA CULTURE
ET DU PATRIMOINE JUIFS EN FRANCE
par Michèle Rotman*
R
assembler et sensibiliser les européens au patrimoine
historique et culturel juif, faciliter l'accès de tous à la
culture, souligner la nécessité de préserver ce
patrimoine de la destruction et de l'oubli, développer un
tourisme européen autour de ce patrimoine, tels sont les axes
des Journées Européennes de la Culture et du Patrimoine
Juifs.
Michèle Rotman
Le Consistoire de Paris est membre fondateur du JECPJ-France et tout au long
des années, tout en en égrenant les différents thèmes, l'ACIP a porté très haut
cette manifestation.
L'année dernière, par exemple, le thème en était la musique et c'est avec un
concert de hazanout de toute beauté que la synagogue des Tournelles fêta
l'évènement, synagogue remplie à craquer avec un public juif mais aussi nonjuif, qui scandait à l'unisson quelques airs populaires de musique Klezmer et
judéo-andalouses choisis justement pour montrer l'étendue des musiques juives.
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 25
LA VIE DU CONSISTOIRE
Cette année, dimanche 6 septembre 2009, sera le 10ème anniversaire de
cette manifestation qui favorise la mise en valeur d'un héritage riche et
vivant. Cet évènement a sa place au sein de la République comme au sein
de l'Europe.
Cette possibilité était facilitée par
deux circulaires ministérielles des 28
novembre 1975 et 14 février 1991, et
confirmée par la circulaire du 19 février
2008.
Le thème en est " Fêtes et Traditions ". S'il y a un thème qui s'applique
vraiment au patrimoine culturel et cultuel des Consistoires, c'est bien celuici et le programme va être très riche, très étendu avec, en point d'orgue,
un concert à la grande synagogue de la Victoire de 18 H à 19 heures. " Le
mariage " sera illustré à 16 heures par le Grand Rabbin de Paris David
MESSAS, suivis d'une grande conférence sur " le Chabbath " du Président
Joël MERGUI.
Une avancée importante a été
réalisée par la loi de 19 décembre 2008.
Dans la tradition juive, les diverses étapes du " temps juif " sont scandés
par les fêtes. Indépendamment des aspects métaphysiques et religieux, le
public pourra en découvrir les facettes culturelles et historiques et la
dimension éthique et humaniste. Quant aux traditions, qui assurent la
transmission de génération en génération, du culte, des coutumes, des arts,
elles font partie de l'héritage culturel de la composante juive de la société
environnante qu'elle a d'ailleurs souvent influencée.
Trente pays européens ont retenu la date du dimanche 6 septembre 2009,
avec un étalement possible sur les jours immédiats qui précédent ou qui
suivent cette date officielle.
C'est assez émouvant de constater qu'en France, mais aussi en Bulgarie,
en Grèce ou au Royaume-Uni, en même temps, des milliers de sites juifs
ouvriront leurs portes au grand public.
Cette journée est une véritable réussite qui prend davantage d'ampleur
chaque année et qui sera le coup d'envoi des " Dix Jours du Consistoire ".
-*Vice-Présidente du Consistoire de Paris, Résponsable de la journée
européenne de la culture et du patrimoine juifs
Respecter nos défunts
par Jack-Yves Bohbot*
P
arler du dossier funéraire reste particuliè-rement
délicat car il touche au plus intime, très sou-vent au
plus sou-vent de nos expé-riences person-nelles. Ces
der-nières années, se pose de manière aigüe le problème
du devenir des restes mortuaires en fin de concession.
Nous avons connu une rapide montée en puissance de Jacques-Yves bohbot
cas de concessions temporaires non renouvelées au bout
de quinze ou trente ans, ou de concessions perpétuelles en état d'abandon.
Les raisons de ces abandons sont nombreuses : dislocation des liens familiaux,
départ de France, extinction des familles après la Shoah ou tout simplement "
oubli " de renouveler la concession.
La découverte d'une tombe exhumée créé pour chaque famille la douleur que
chacun que peut imaginer.
La communauté a du faire à ces situations en trouvant des réponses dans
l'urgence mais elle a aussi constamment demandé aux collectivités de créer " autant
que faire se peut " des ossuaires réservés aux restes des défunts de même confession.
26 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
La législation organise désormais la
pratique de la crémation administrative, mais la restreint en cas
d'opposition "présumée" du défunt
Dans un souci de tolérance vis-à-vis
des musulmans et des juifs, dont les
religions s'opposent à la crémation,. Le
rapporteur de la proposition de loi à
l'Assemblée nationale, Philippe
Gosselin, qui m'avait auditionné et à
qui j'avais rappelé l'interdiction
formelle de l'incinération pour notre
religion, a indiqué en séance " qu'on
peut également concevoir que
l'inhumation d'une personne dans un
carré confessionnel juif ou musulman
ou encore la présence de symboles de
l'une de ces religions sur sa pierre
tombale atteste tacitement de
l'opposition du défunt à la crémation".
D'autre part, la loi a institué que le
maire " affecte à perpétuité, dans le
cimetière, un ossuaire aménagé où les
restes exhumés sont aussitôt
réinhumés. ". Ce qui constitue une
belle avancée pour notre communauté.
Une première concrétisation a pu
être réalisée ces dernières semaines
pour le département de Val-de-Marne
grâce au Président du Consistoire de
Paris, Joël Mergui. Un ossuaire est mis
à la disposition du Consistoire au
cimétière de Valenton : il est destiné
au transfert des restes mortuaires dont
les concessions arrivent à échéance
dans les cimetières de Créteil, SaintMaur, Nogent, Charenton, SaintMaurice, Bonneuil, Maisons-Alfort et
Joinville.
Pour Paris, les discussions ont été
engagées avec la Ville et un projet
d'ossuaire est envisagé au cimetière
parisien de Thiais.
Le respect de nos défunts reste au
cœur des préoccupations du Consistoire.
--*Président de la Commission
Hevra Kadicha du Consistoire de
Paris, Vice-Président du Consistoire
Central
LA VIE DU CONSISTOIRE
Inauguration d'une maison
de retraite à Montpellier
O
rganisée par la Communauté juive de Montpellier, la pose de la
première pierre d'une maison de retraites a couronné plusieurs
années d'efforts menées sous l'impulsion du Président de la
communauté, M. Joseph Bensoussan. A Montpellier qui s'honore de la
présence du plus ancien Mikve d'Europe, on compte deux synagogues,
une école, deux mikvaot et bientôt une maison de retraite! " Une
communauté exemplaire " dira le Président du Consistoire Central et de
Paris Joël Mergui venu témoigner sa reconnaissance à la mobilisation
communautaire, mais aussi à M. Georges Frèche, Président de la Région
et Maire de Montpellier. " Ce matin après la visite de l'école, je me suis
dit que dans soixante ans ces enfants seraient en âge d'aller dans cette
maison de retraite. 60 ans qui nous ramène à l'histoire des 60 ans passés,
à l'immédiat après-guerre et à la Création de l'Etat d'Israël. Poser la
première pierre d'une maison de retraite c'est vouloir affirmer la confiance
dans les valeurs de la République et en des hommes qui, comme Georges
Frèche, se lèvent et se lèveront pour soutenir et défendre le peuple juif
et Israël".
Mêlant souvenirs personnels et racontant l'histoire de son père durant la
guerre, M. Frèche dit d'une voix emplie d'émotion: " Le peuple juif a été,
est et sera toujours seul pour affronter l'hostilité, l'adversité. Je serai fier
qu'au dernier jour de ma vie, on puisse dire de moi: il fut un compagnon
de route du peuple juif, ce sera ma plus grande fierté ".
Bénédiction
des Olim à la Roquette
La désormais traditionnelle
cérémonie de Bénédiction des
Olim, organisée depuis quatre
ans par le Consistoire, s'est
déroulée le 16 juillet à la Le grand rabbin de France et le Président du Consistoire
entourés du grand rabbin de Paris, de l'Ambassadeur
synagogue de la Roquette ornée
d'Israël,
du directeur de l'Agence juive, du Président de
de drapeaux Bleu et Blanc et où
l'AMI et du directeur du KKL pour la Bénédiction aux Olim
les jeunes de la Team Roquette ont
très activement préparé cette manifestation. Il y avait foule et l’émotion partagée
était palpable tant dans l’assistance que du côté des orateurs appelés un à un à
la tribune pour bénir, encourager, féliciter et souhaiter bonne chance aux nouveaux
immigrants. La cérémonie a eu lieu en présence du grand rabbin de France Gilles
Bernheim qui a parlé de l'exigence de ce choix et qui conseilla aux partants,
d’aller à la rencontre des rabbins français qui ont eux- même fait leur Alya, du
grand rabbin de Paris David Messas qui a rappelé qu'Israël est un miracle
quotidien, du Dayan Kohen, de Daniel Shek, Ambassadeur d'Israël en France,
de Gil Taieb Président de l’AMI, de David Roche, Directeur de l'Agence Juive et
du Président de la synagogue Serge Benhaïm. Le Président Joël Mergui salua
les Olims comme autant d’enfants qui nous quittent et fit le voeux que « pour
chaque juif qui part un autre juif vienne prendre sa place au sein d’une de nos
synagogues ». Et de lancer un message fort aux représentants officiels d’Israël
pour que lors de leurs passages à Paris, ils rendent visite à nos synagogues en
hommage au travail fait par les synagogues de France pour Israël. Daniel Shek
a remercié la Communauté juive de France de l'intensité de son attachement à
Israël et souhaité que les Français en Israël restent français afin d'apporter leurs
différences à Israël. En clôture, le Président Mergui, avec le Grand Rabbin
Bernheim et le grand rabbin Messas, remirent à Daniel Shek et David Roche un
parchemin sur lequel sont inscrits les noms des 700 heureux Olims qui partiront
cet été alors que l’assemblée émue et debout entonnait la Hatikva.
C'est parti pour les
jeunes de la 'Hazac
L
es jeunes de la 'Hazac se sont
réunis le 28 juin pour une
journée de formation au
Consistoire afin d'être mieux
préparés pour leur premier Chabbat
en province. Constitués en petits
groupes de quatre à six jeunes, la
'Hazac est une belle opération de
solidarité et de générosité. Sous
l'impulsion du Président du
Consistoire Joël Mergui et
coordonné par Menahem Engelberg,
le groupe a pu bénéficier des conseils
en 'Hazanout, prise de parole et
contacts avec des auditoires aux
attentes diverses. La réunion de
travail a été ouverte par le grand
rabbin de France, le grand rabbin de
Paris et le Président du Consistoire.
A l'occasion de ce premier Chabbat
exceptionnel en province le 4 juillet,
étaient concernées les villes de
Lunéville, Béziers, Gap, Le Havre, le
Mans et Rennes qui ont toutes
accueilli les jeunes de la 'Hazac qui
ont fait l'unanimité. Des garçons
qualifiés partout de " sérieux,
chaleureux,
très
motivés,
enthousiastes, de belles voix". Malgré
la date estivale, les Communautés
ont fait honneur à la 'Hazac. Partout
les fidèles sont venus plus nombreux
que d'habitude. M. Abitbol, Président
de la Communauté de Béziers
souligne " l'importance pour les
jeunes isolés dans leurs régions, qui
voudraient pratiquer mais souvent
sont arrêtés par un sentiment de
gêne, de voir des jeunes aussi
impliqués. Ils découvrent un aspect
très tonique du judaïsme souvent
absent de nos communautés isolées
et vieillissantes. Cette identification
possible ne peut qu'être très
positive. Cette initiative est
essentielle. Ses retombées seront
déterminantes pour l'avenir, peutêtre n'en prenons-nous pas encore
toute la mesure". A noter également
que dans ce domaine de
l'implication des jeunes dans les
communautés de province, le tour
de France de la Team Roquette s'est
poursuivi à Troyes le 11 juillet où
ils étaient plus de soixante venus
de toute la France pour célébrer un
Chabbat exceptionnel.
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 27
LA CHRONIQUE
La guerre
des juifs
A
u cœur de l'institution
culturelle née des
utopies de la Libération, un metteur en
scène israélien fait
résonner le récit de la
destruction du royaume de Judée. Voici
donc Flavius Josèphe, interprété par
Amos Gitaï, dans Cour d'Honneur du
Palais des Papes, de ces papes, un
temps chassés de Rome, et qui en
Avignon, autorisèrent les rois de France
à chasser et à spolier les juifs… pour
leur donner asile en leurs États. Le récit
de Flavius Joseph s'installe en un haut
lieu de l'histoire des juifs de France,
dans le Comtat Venaissin, où des
communautés ont vécu un millénaire,
pratiquement sans interruption.
peuple juif. Une guerre d'hégémonie
oppose la première puissance
diasporique, c'est-à-dire le judaïsme
américain, à la majorité politique élue
par les Israéliens. Vu de France, le
judaïsme américain paraît bien étrange.
Ici, les institutions juives tiennent pour
un principe le respect des choix
politiques de l'État d'Israël. Toutes les
tendances politiques israéliennes
traversent la communauté juive de
France, de la Paix maintenant à la
droite religieuse, mais confrontés au
dénigrement systématique de la
politique d'Israël, à l'outrance de la
propagande, les juifs français
privilégient la solidarité sur la critique.
Il est même arrivé qu'un ambassadeur
d'Israël s'étonne de l'activité d'une
Il est assez difficile de concevoir une politique quand
on vit à la portée des tirs de roquettes.
La singularité de Flavius Josèphe,
c'est d'avoir inscrit le plus petit peuple
de l'empire romain au centre d'une
histoire qui prenait alors les dimensions
du monde connu. Hier comme
aujourd'hui, la Judée n'était qu'un petit
pays, dont la conquête militaire était
bien peu de choses en regard de celles
de la Gaule, de l'Égypte ou de l'Afrique
du Nord. Nous connaissons les autres
conquêtes romaines par des historiens
latins. La guerre des Gaules nous est
racontée par César lui-même. Celle des
juifs demeure par le récit d'un juif, et,
bien évidemment, par l'influence d'un
autre, Jésus, dont les disciples eurent
finalement raison du paganisme
romain. Dans une vision moderne,
Flavius Josèphe serait considéré
comme un traître, au service de
l'occupant. Or les récits de ce traître ont
contribué à la renaissance d'Israël,
faisant de Massada un symbole,
légitimant le retour à Sion par le récit
de sa seconde chute.
T
andis que l'on joue la Guerre des
Juifs en Avignon, une autre
guerre se dessine à l'intérieur du
28 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
seconde ambassade. Les juifs
américains sont, eux, totalement
décomplexés. Nous devons, nous,
répondre en permanence à des
critiques " de gauche ", qui tiennent
Israël pour le bras armé de
l'impérialisme américain. Aux EtatsUnis, les juifs sont au cœur de ce que
l'on appelle la gauche, ils votent
démocrates à une large majorité. Bien
des synagogues peuvent jalouser la
Maison-Blanche, où l'on peut à tout
moment réunir un minian, avec les
conseillers de Barak Obama. C'est
également vrai au Sénat, depuis la
poussée démocrate. Convaincus que
l'État d'Israël ne peut se passer d'eux,
ce qui n'est pas tout à fait inexact, les
juifs américains gouverneraient
volontiers à la place de Benjamin
Netannyahou.
Sur le fond, je ne doute pas de la
supériorité intellectuelle des juifs de la
présidence américaine, qui ont, sans
nul doute, des vues stratégiques et
politiques plus élaborées que celles
d'Avigdor Lieberman. Qu'on le veuille
ou non, la ligne politique défendue par
le président des États-Unis est la seule
qui puisse garantir la pérennité et la
sécurité d'Israël. Obama s'inscrit dans
la lignée de Carter et de Clinton. Mais
Carter ne se substituait pas à Begin et
Clinton ne négociait pas à la place de
Rabin et Peres.
Le Premier ministre d'Israël et, plus
encore, son ministre des Affaires
étrangères se trouvent en porte-à-faux
avec la diplomatie américaine et, de ce
fait, en conflit ouvert avec le lobby juif
américain. Si bien que le président de
la République française se met à
conseiller,
fort
judicieusement,
Netannyahou, en l'invitant à remplacer
Lieberman par Tsipi Livni… Il est vrai
que Netannyahou devra tôt au tard
songer à l'ouverture, avec un atout que
Nicolas Sarkozy n'a pas encore, qui est
la quasi-disparition de la gauche
socialiste.
Mais,
décidément,
Jérusalem, ce n'est ni Paris, ni
Washington.
L
e système politique israélien est,
certes, catastrophique. On ne
décide pas de la paix et de la
guerre à la proportionnelle. Même si
Israël a toujours vécu une certaine
proportion de guerre et de paix, on ne
peut éternellement revenir sur ses
engagements internationaux, parce que
deux ou trois députés indispensables
aux majorités de la Knesseth
conditionnent leurs votes à l'octroi de
crédits pour la construction de douze
logements dans les territoires. En Israël,
des décisions de portée considérables
sont prises, pour une poignée de voix.
Les partis religieux n'étaient pas encore
très puissants quand un gouvernement
a ordonné le respect du shabbath à la
compagnie El-Al. Au moment où
l'aéroport Ben Gourion se développait
jusqu'au gigantisme, Israël handicapait
sa propre compagnie. On comprend le
principe, bien sûr. Mais on sait, aussi,
qu'aujourd'hui, il y a beaucoup plus de
juifs qui travaillent le shabbath sur
l'aéroport Ben Gourion qu'à l'époque
où El-Al assurait ses vols sept jours sur
sept. Toutes les compagnies du monde
profitent de ce jour de grandes
DE GUY KONOPNICKI
migrations ! Cette affaire n'est qu'une
anecdote, mais c'est ainsi que se
prennent les décisions d'Israël.
C'est facile. Pourquoi a-t-il pris cette
importance ? Pendant vingt ans, le
combat pour la libération des juifs
Si les conditions de la paix sont réunies, Israël ne
demandera pas à ses partenaires de lui présenter des
représentants purs et sans taches.
Quelques voix complètent une majorité.
L'avenir d'Israël peut dépendre d'un
groupe de pression disposant de
quelques députés.
I
l y a un lobby juif aux Etats-Unis.
En Israël, il y a des centaines de
groupes, dépositaires de la véritable
Tora, gardiens du sionisme authentique,
représentants d'une communauté
particulière de l'ancienne diaspora,
habitants d'une parcelle de terre dont
Menahem Begin
l'évacuation serait forcément une
trahison, puisqu'elle se trouve dans les
textes anciens. Le lobby juif américain
peut se prévaloir d'une certaine
cohérence. En Israël, il y autant de
vérités juives que d'organisations et de
groupements.
Pour autant, il serait un peu trop
simple d'imaginer qu'un bon
remaniement ministériel suffirait à
ouvrir la voie de la paix. Si la paix
dépendait des juifs et d'eux seul, Israël
n'aurait jamais connu la guerre. L'état
indépendant de Palestine aurait été
créé en 1947, conformément aux
résolutions de l'ONU. Il se trouve que
les choses ne sont pas passées ainsi.
Les Israéliens sont méfiants, inquiets.
Le morcellement de la vie politique
n'est que le reflet de leurs inquiétudes.
On peut crier haro sur Lieberman, cet
irresponsable d'où vient tout le mal !
d'URSS a été au centre de
préoccupations d'Israël et des grandes
communautés de diaspora. Ils sont
finalement venus en Israël, ces frères
tant attendus, ceux dont nous
brandissions les portraits dans les
manifestations. Ils arrivent, avec
derrière eux des siècles de persécutions
et soixante-dix ans d'acculturation
forcée. Ils apportent le meilleur et le
pire, ils ne sont pas tous médecins ou
violonistes, mais en Israël, les escrocs
Yitzhak Rabin
et les proxénètes ne sont pas forcément
russes. Ils votent mal, ces Russes ! Ils
ne sont pas les seuls. Il est assez
difficile de concevoir une politique
quand on vit à la portée des tirs de
roquettes.
L
a paix dépendrait donc d'une
meilleure composition du gouvernement d'Israël ? C'est possible.
Il ne semble pas, cependant, que
l'Autorité palestinienne de Ramallah et
le gouvernement Hamas de Gaza
soient composés d'esthètes et de
philosophes. Faut-il s'entendre avec les
corrompus contre les fanatiques ? Le
peuple palestinien a droit à la justice
et à la liberté. On ne saurait dire que
ses dirigeants, ceux du Fatah comme
ceux du Hamas, incarnent ces hautes
valeurs politiques. C'est l'affaire des
Palestiniens. Si les conditions de la paix
sont réunies, Israël ne demandera pas
à ses partenaires de lui présenter des
représentants purs et sans taches. Cette
catégorie, fort rare en politique s'avère
introuvable dans un environnement
régional plus familier des assassinats
et des coups d'état que de la
démocratie.
L
es dirigeants d'Israël, quant à
eux, sont ce qu'ils sont. Je ne puis
cacher que j'en ai préféré
d'autres. En tout état de cause, ceux
dont le nom a été attaché à un geste de
paix n'y était pas prédisposés. Begin
passait pour un mystique de la
politique de force avant de céder le
Sinaï à l'Égypte. Rabin n'a jamais
incarné l'aile pacifiste du sionisme
socialiste, il avait la réputation de ne
croire qu'à la force militaire. Il avait
rarement prononcé le mot " palestinien
Ariel Sharon
" avant de rencontrer Arafat. Il était
difficile d'imaginer Sharon ordonnant
l'évacuation des implantations de Gaza.
Il se peut que Benjamin Netannyahou
nous surprenne un jour. Lui ou un
autre. En attendant, tout recommence
toujours. Arafat n'a pas été sanctifié
par les médias occidentaux quand il
acceptait la paix, mais quand il a
soutenu le terrorisme pour mieux
masquer l'enlisement et la corruption
d'une Autorité palestinienne qui
ruinait les espoirs de paix en
détournant l'aide internationale. Et
tout le monde parle aujourd'hui,
comme si de blanches colombes
attendaient à Ramallah et à Gaza,
l'avènement d'un gouvernement
israélien enfin présentable. Comme
si l'on ne savait pas, qu'en fait, les
juifs n'ont jamais de chefs très
présentables !
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 29
REPÈRES
Jo Amar notre ami
Jo Amar, l'exceptionnel hazzane (chantre) qui vient de nous quitter était mon ami.
Il était devenu célèbre en Israël dans les années 70 avec des chansons comme
"Barcelona ". On le considérait comme " un chanteur oriental " ce qui, à l'époque
mais également aujourd'hui, signifiait marginal, de seconde zone. Il n'en avait cure
parce qu'il aimait Israël de toutes ses forces. C'était, de plus, un homme de foi et de
bonne compagnie. Il tenait à rester fidèle aux enseignements de ses pères et
singulièrement des rabbins de sa communauté d'origine : le Maroc. Il adorait raconter,
entre autres, les histoires drôles de son enfance.
Il faisait partie, avec le rabbin David Bouzaglo et Salomon Amzallag dit Samy ElMaghribi, tous deux disparus, des plus grands chantres synagogaux que le judaïsme
marocain ait produits. Jo Amar avait un temps créé une école de formation de
hazzanim en Israël. Je garde personnellement des quelques cérémonies de kippour
où j'ai servi bien modestement à ses côtés d'inoubliables souvenirs.
Il y a deux ans, il avait eu un accident vasculaire qui l'avait frappé de paralysie. Il
s'est éteint à Los Angeles auprès de ses enfants. Il avait 79 ans. Yéhi zikhro baroukh.
Que bénie soit sa mémoire ! V.M
Jo Amar
Le pays des miracles
Le patrimoine de la communauté juive
A la veille de la visite qu'il a faite en France
et au cours de laquelle il a été reçu par le
président Sarkozy, le Premier ministre
Benyamin Netanyahou a déclaré au
magazine Paris Match :
" En soixante et un ans d'existence, Israël a
réussi des miracles. Nos puces électroniques
permettent aux ordinateurs du monde entier
de fonctionner, nos systèmes d'irrigation
sont installés dans de nombreux pays arides,
nos scientifiques forment des médecins qui
soignent des gens partout sur la planète.
Pas mal pour un pays qui n'a pas eu un seul
jour de répit ! Dans le contexte actuel de
crise mondiale, nous pouvons nous targuer
d'une économie robuste et développée. Je
le dis avec d'autant plus de fierté que j'y ai
œuvré lors de mon premier mandat de
Premier ministre, et ensuite lorsque j'ai été
ministre des finances ".
Notre confrère " La Croix " a consacré le 16 juin dernier une page à la
mobilisation de la communauté juive pour son patrimoine. Le journal
rappelle que le patrimoine juif en France est " composé à la fois de
monuments (synagogues, cimetières, mikvaot ou bains rituels ), de
structures urbaines, d'objets cultuels, mais aussi de musiques, d'archives,
etc - a été redécouvert au début des années 1980, à la faveur notemment
des Journées du Patrimoine…Une journée, devenue depuis européenne,
de la culture et du patrimoine juif a même été instituée le premier
dimanche de septembre ".
Le journal catholique rappelle par ailleurs la place considérable que le
Président du Consistoire central, M. Joël Mergui, accorde au devenir
de ce patrimoine. La Croix rappelle à cet égard l'initiative récemment
prise par le Consistoire (à savoir la création de la Fondation pour le
patrimoine juif de France), destinée à récolter des dons des contribuables
imposés à l'impôt de solidarité sur la fortune et ainsi financer certains
projets des communautés juives ". Le journal cite enfin une déclaration
du président du Consistoire central : " Les premiers donateurs se disent
prêts à soutenir des projets de rénovation ou de construction, mais ils
sont également motivés par tout ce qui concerne la jeunesse…Une fois
qu'on a repeint les bancs de la synagogue, on n'a rien fait, s'il n'y a pas
aussi des fidèles qui étudient et un rabbin qui transmette ".
Juifs au Yémen
Le Figaro du 27 mai dernier a consacré, sous la signature de Georges Malbrunot, un article
à la petite communauté juive qui lutte pour sa survie au Yémen. Notre confrère raconte que,
depuis qu'elles ont " été attaquées dans leur village d'Al Salem, au nord du pays, douze
familles juives sont obligées de vivre recluses dans un " complexe touristique " gardé par la
sécurité publique. Notre confrère ajoute : " Les 57 juifs de Sanaa, religieux en majorité, vivent
littéralement sous perfusion : tous les mois la présidence de la République verse l'équivalent
de 18 euros à chacun d'eux, et offre un peu de nourriture aux familles ".
Malbrunot rappelle qu'il s'agit là des descendants de l'une des plus vieilles communautés
juives du monde : " Dans le sillage des caravanes du roi Salomon, les premiers
Juifss'installèrent au Yémen neuf siècles avant Jésus Christ, bien avant la présence
musulmane. Mais la communauté juive lutte désormais pour sa survie.Ils ne sont plus que
350, répartis entre Sanaa, Kharef et Raïda. Ils étaient plus de 60.000 au début du siècle dernier.
La plupart ont émigré après la création d'Israël en 1948, lorsque l'opération " Magic Carpet
" vida la vieux quartier juif de Sanaa de ses habitants "
30 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
Juif du Yemen
LES MOTS
Des chiens
et des hommes
P
our parler des patrons de
Caterpillar qui n'ont pas
tenu les promesses qu'ils
avaient
faites
aux
employés, Olivier Besancenot s'écrie : "C'est
des chiens !".
Une métaphore mal connotée. Elle
désigne en effet dans la langue vulgaire,
les êtres méprisables, les méchants, les
minables, les "radins", ou les juifs.
Ainsi tel le "cochon" lorsqu'il s'applique
à l'homme, le "chien" symbolise la
bassesse. Il dénonce la luxure. On peut
même dire que sur ce plan, la
"chiennerie"
l'emporte
sur
la
"cochonnerie"…
Dans la bouche de Besancenot, l'injure
exprime la répulsion. Et cela d'autant
plus que le terme simule, par sa brièveté
monosyllabique et sa sonorité
chuintante, comme une expectoration
du langage.
On peut se demander pourquoi le
nom d'un animal si intelligent et si
proche des hommes inspire un tel
mépris. Il n'y a pas de cause. Si ce n'est
l'inversion qui charge l'innocent pour
que le méchant se libère. C'est l'éternelle
histoire du "bouc émissaire" dont le chien
fait les frais lui aussi : maltraité, attaché,
affamé de tout temps, il est le symbole
même de l'asservissement et comme tel,
son nom est maudit !
Effarante inversion…On ne lui
pardonne pas le mépris qu'on lui porte.
On salit son image pour mieux le
dénigrer. Et pour que s'accomplisse cette
projection perverse, son nom est érigé
en objet de dégoût. Dès lors le "sens" et
le "son" ne font qu'un et le mot se
transforme en agression réelle. Comme
si la langue "passait à l'acte"…
L'emploi métaphorique fait l'unanimité. Voici les féministes qui, sous
prétexte de revanche contre l'insulte
masculine, choisissent pour nom les
"chiennes de garde" ! Voici Houria
Boutelgia, porte-parole des "Indigènes
de la République", qui, pour dénoncer
lui sert d'alibi. Aussi violente
qu'absurde, elle affecte à la fois et les
êtres et les mots. Et même quand elle
s'exprime avec des mots choisis, ce
qui est pire que tout, elle ne peut
C'est ainsi que la formule : “traiter un homme comme
un chien” fut prise au pied de la lettre par la France
de Vichy lorsque sur les pancartes des jardins publics
elle inscrivit : " Interdit aux juifs et aux chiens " !
l'arrogance des soi-disant "Français de
souche", les appelle : les "souchiens"…Ici
le calembour récupère sans remords la
structure des "sous-hommes"…
Mais pire que le "jeu de mots" et
pour comble de cynisme, parfois la
métaphore devient réalité. C'est ainsi
que la formule : "traiter un homme
comme un chien" fut prise au pied de
la lettre par la France de Vichy lorsque
sur les pancartes des jardins publics
elle inscrivit : "Interdit aux
juifs et aux chiens" !
contenir la pulsion sous-jacente qui
perturbe le sens et qui parfois le tue.
Ainsi depuis que Le Pen a déclaré
qu'Auschwitz n'était qu'un "point de
détail" de l'Histoire, impossible
désormais d'utiliser ce mot. Il est
perdu pour le langage.
L'expression innommable est souillée pour toujours.
Annie Lelièvre
C'est dire que l'amalgame
traîne un passé sinistre. De
quoi demeurer vigilant devant
cette métaphore car le premier
effort qu'exige le langage, c'est
de peser ses mots.
Cependant Besancenot
revendique le droit de parler
comme il veut. Et quand on
l'interpelle sur les connotations qu'implique son
"dérapage", il répond : "Ce
qualificatif, je l'assu-me !".
Assumer quoi ? Si ce n'est
le "commun", le "vulgaire",
"l'ordinaire"… et la haine
implicite dont le mot est
chargé.
En effet toute injure
transgresse l'indignation qui
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 31
MÉMOIRE
La Shoah :
le travail de l'historien
UN ENTRETIEN AVEC GEORGES BENSOUSSAN
Historien et rédacteur en chef de la " Revue d'histoire de la Shoah ", Georges Bensoussan
dirige - avec Jean-Marc Dreyfus, Edouard Husson et Joël Kotek - un Dictionnaire de
la Shoah que publient les éditions Larousse (28 euros). Plus de 70 auteurs dont des
spécialistes allemands, américains, anglais et israéliens ont apporté leur contribution
à ce travail. Ce dictionnaire " dresse un bilan précis, analysant les processus de décision,
les méthodes, le parcours des principaux bourreaux , mais aussi rendant vie aux victimes,
à travers l'évocation de l'effervescence de la vie juive avant guerre "
Entretien avec Georges Bensoussan, un des auteurs de ce livre.
OOO I.J : Pourquoi un dictionnaire de la
Shoah ?
Georges
Bensoussan
:
Vu
l'abondance de bibliographie, il était
nécessaire de fournir un outil compact
capable de répondre de façon
synthétique aux principales questions
liées à la Shoah. L'ampleur de la
recherche aujourd'hui, et de la
documentation disponible (plus de
2200 livres sur le seul camp
d'Auschwitz) fait qu'il est devenu
impossible, même à un chercheur
spécialisé, de maitriser l'ensemble de
ce savoir. A fortiori pour le grand public.
C'est pourquoi nous avons fait appel
chaque fois que possible au spécialiste
de la question. C'est ce qui explique
possible, était devenu une nécessité
pour un public assailli non par le doute,
mais par ce poison de l'esprit qu'est la
relativisation dans le contexte de guerre
des mémoires qui est aujourd'hui le
nôtre, et qui est entretenu, on le sait,
dans une atmosphère de jalousie
sociale et de ressentiment.
I.J : Vous écrivez dans l'introduction que
" la mémoire n'est pas seulement source de
mythes mais aussi d'histoire". Que voulezvous dire ?
G.B. : La mémoire est probablement
le plus sûr ennemi intime de l'histoire.
Certes. Mais pas seulement. Par les
regards différents portés sur une
époque, elle nous dit en creux ce
Si toutes les souffrances se valent, tous les crimes
ne sont pourtant pas de même nature
et tous les massacres, heureusement,
ne sont pas des génocides.
que 74 auteurs (pour plus de 420
entrées) aient contribué à ce
dictionnaire, une équipe nombreuse si
on la compare aux autres dictionnaires
de ce genre. C'est ce qui explique aussi
la dimension internationale du projet,
nombre de contributions ayant été
traduites de l'anglais et de l'allemand
pour l'essentiel, mais aussi de l'italien,
de l'hébreu, du polonais par exemple.
qu'était
l'univers
mental
des
contemporains. Recoupées et soumises
à la critique, les mémoires, toutes les
mémoires, dessinent avec leurs zones
d'ombre un paysage historique au plus
près possible de ce qui fut. Sans
prétendre jamais le restituer totalement.
Car sur ce plan là, il y a longtemps que
nous avons rompu avec tout
positivisme.
D'autres raisons ont aussi joué.
Rendre disponibles des connaissances
de pointe, de façon la plus synthétique
I.J : Comment les différents auteurs de ce
dictionnaire expliquent-ils ce que vous
appelez " l'impuissance de la tradition
32 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
académique la plus avancée du monde face
à la plus absolue des barbaries " ?
G.B. : La raison demeure forcément
limitée face à l'emprise de l'irrationnel.
Mais la force de la raison,
paradoxalement, est de démonter les
mécanismes de l'irrationnel et, ce
faisant, de les rendre inopérants. C'est
à la raison de rendre compte de la folie,
pas l'inverse. Sur ce plan, la tradition
académique, qui cloisonne les savoirs
et n'interroge pas assez les liens les
moins évidents qui soient (" L'historien
est celui qui s'étonne de ce qui va de
soi " écrivait jadis Paul Veyne) entre un
domaine et l'autre, s'enferme dans le
classicisme et le positivisme en se
contentant souvent de moraliser sur la
" tolérance " et de s'indigner au nom du
fameux " plus jamais ça ! ", cette rituelle
formule de l'impuissance. Alors, oui, en
effet, cette tradition là n'a pas grandchose à nous apporter. Nous avons
besoin d'un savoir qui bouscule les
évidences, et c'est rarement du coté des
institutions que rôde cette liberté de
l'esprit.
I.J : Diriez-vous que le négationnisme a
tendance à se développer aujourd'hui en
Europe ?
G.B. : L'illusion est de croire qu'on
pourra s'en débarrasser définitivement.
Le négationnisme est partie prenante
de la Shoah. Chacun sait que les
premiers négationnistes furent les nazis
eux-mêmes au moment où ils
perpétraient le crime (" opération 1005
" dès l'été 1942). Il faut apprendre à
répondre à cette perversion idéologique
MÉMOIRE
(comment être antisémite après
Auschwitz ? ) et à ce désordre clinique
(la négation du réel). Mais ce n'est pas
en faisant une leçon d'histoire à des
esprits qu'on suppose égarés (ce qu'ils
ne sont pas en règle générale), ni en
leur montrant l'immensité des preuves
comme s'ils ne les connaissaient pas.
C'est en démontant les rouages de leur
raisonnement et en mettant à nu leurs
intentions. Il s'agit toujours de décrypter
la logique de l'oppresseur, de
démasquer les rouages du mensonge
et de la domination. Alors, le roi est nu.
A mes yeux, le danger immédiat, c'est
le comparatisme niveleur. Certes pas le
comparatisme en soi qui demeure la
règle d'or de tout travail intellectuel,
mais celui qui conclut à l'équivalence
au nom de l'égalité mémorielle. Si
toutes les souffrances se valent, tous les
crimes ne sont pourtant pas de même
nature et tous les massacres,
heureusement, ne sont pas des
génocides. Le nivellement banalisant
a partie liée avec l'ignorance
historique colossale de nos
contemporains prisonniers de
l'instant. C'est sur cette ignorance
d'ailleurs que prospère l'imposture,
répandue dans de nombreux milieux
souvent "bien pensants" par ailleurs,
sur les racines du conflit judéo-arabe.
Mais le relativisme a aussi partie
liée à la mauvaise foi idéologique.
Quels qu'en soient les chemins, il
conduit à ne voir ni la rupture
anthropologique d'Auschwitz, ni le
terreau du rejet qui a rendu possible
la mise à mort de tout un peuple
après un siècle d'émancipation, et
sur le continent le plus développé du
monde. Ce sont là quelques uns des
paradoxes qu'il faut interroger sans
tomber dans le piège de la
concurrence mémorielle.
I.J : Un des chapitres de ce dictionnaire
est intitulé " comment comprendre la Shoah
" ? Les grands auteurs insistent pourtant sur
le fait que la Shoah est du domaine de
l'impensable.
G.B. : Je crois qu'il faut se défier du
terme impensable. Si l'on veut dire
inconcevable, alors, oui, il s'agit d'une
horreur inconcevable. Qui relève de
l'inconcevable et de l'in-conçu : on
comprend par là même pourquoi les
contemporains eurent tant de mal à
transformer l'information en connais-
lumière, en même temps, la présence
d'une rationalité même au cœur des
conduites les plus monstrueuses. Ce
La disparition des témoins nous obligera à passer
d'un registre à l'autre, de la mémoire et de ses
avatars, au discours historien.
sance. S'il s'agit de comprendre, c'est
au comment que nous nous adressons,
pas au pourquoi. Mais en vérité,
chaque historien de la Shoah le sait,
plus nous cernons le comment et plus
nous approchons du trou noir (et
obligatoirement pensable en même
temps) du pourquoi.
Même face à cette catastrophe, il faut
refuser la notion d'impensable dès lors
que ce qui nous caractérise est qu'avant
d'être des êtres pensants et pas
seulement des êtres vivants. Parce que
nous tentons d'appréhender, par la
pensée, ce qui dépasse l'horizon borné
de nos vies, nous échappons, au moins
un moment, à nos limites étroites. C'est
en ce sens que Hannah Arendt disait
d'Eichmann qu'il ne pensait pas. Non
qu'il fût inconscient de ses actes, il
savait en idéologue et en bureaucrate
qu'il était ce qu'il faisait. Mais il ne
pensait pas sa vie au sens d'une mise
à distance de soi-même. La pensée
qui met à nu les rouages de la
domination et de l'horreur met en
n'est pas notre rationalité, certes, mais
c'est une rationalité quand même.
L'extrême violence aussi est un langage
à décrypter.
Enfin, et même si cela va sans dire,
cela va encore mieux en le disant,
chercher à comprendre ne signifie ni
absoudre, ni légitimer, ni édulcorer et
moins encore excuser.
I.J : La mémoire des survivants va bientôt
disparaître. Qu'est-ce que cela implique pour
les jeunes générations ?
G.B. : Est-ce à dire que
l'enseignement n'est plus possible ?
Loin s'en faut. Par défaut, cela
signifierait d'ailleurs qu'aucun
enseignement de l'histoire n'est
possible. C'est aujourd'hui qu'on
enseigne (du moins on s'y essaie….)
le génocide des Arméniens. Pas il y
a cinquante ans alors que des
témoins de cette tragédie étaient
encore vivants.
Nous disposons de milliers
d'heures
de
témoignages
enregistrées (bande son, vidéo), et
les livres de témoignage sont
nombreux. La disparition des
témoins nous obligera à passer d'un
registre à l'autre, de la mémoire et
de ses avatars, au discours historien.
Lequel n'est pas forcément un
discours froid. Un cours d'histoire
structuré et marqué par l'empathie
peut véhiculer autant d'émotion que
bien des témoignages. L'approche sera
différente, c'est tout.
Mais cet
enseignement lui-même ne sera pas
en danger. Enseigne t-on moins la
Grande Guerre depuis qu'il n'y a plus
un seul ancien combattant en France ?
Non, on l'enseigne même davantage.
Et, à certains égards, mieux. C'est le
travail historien qui fait la justesse du
regard sur une époque, pas le temps
écoulé ni l'abondance des témoignages.
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 33
HISTOIRE
“Salomon, Rebecca,
Numa, Chevalier
et autres Bayonnais”
UN ENTRETIEN AVEC ANNE OUKHEMANOU
Mme Anne Oukhemanou est docteur en histoire et documentaliste dans un collège. Elle s'intéresse depuis
plusieurs années à l'histoire des Juifs de Bayonne et de sa région et en particulier au XIXème siècle.
C'est à ce sujet qu'elle consacre un imposant volume " Salmomon, Rebecca, Numa, Chevalier et autres Bayonne
" aux éditions Atlantica ( 40 euros). Cet ouvrage offre aux lecteurs des notices biographiques mais également
une sorte d'histoire des Juifs de Bayonne et de la région. Entretien.
OOO I.J : Le point de départ de votre recherche sur les juifs de Bayonne notamment c'est
le décret du 20 juillet 1808.concernant les
juifs. Que dit ce décret ?
Anne Oukhemanou : Ce décret dit
décret de Bayonne, ville où il a été
signé par Napoléon Ier, concerne l'étatcivil des Juifs de l'Empire. Il a été pris
dans un souci de surveillance policière
et d'encadrement de la population juive.
Il impose en fait à tous de fixer de
manière définitive leurs noms et leurs
prénoms. Les registres étaient ouverts
dans les mairies des lieux de résidence
(Saint-Esprit
et
Bayonne)
:
l'enregistrement y était fait par famille,
le chef de famille déclarant, renseignait
sur son conjoint s'il était marié, sur ses
enfants et sur toute personne vivant à
son foyer.
I.J : Quel est l'arrière-plan historique de
votre recherche ? Quelle est, à l'époque, la
situation politique des juifs ? Combien sontils ?
A.O. : Il y a d'abord la volonté
napoléonienne d'infléchir les acquis liés
à l'Emancipation en y abordant les
questions de l'intégration et de
l'assimilation. Cette réforme, mise en
scène à travers la reconstitution du
Grand Sanhédrin en 1807, met un
terme définitif à l'organisation des
anciennes communautés, la Nation
Juive Portugaise et Espagnole à
Bayonne, au profit d'un système
centralisé et hiérarchisé, le système
consistorial, interface entre les pouvoirs
publics et l'ensemble des membres des
communautés juives.
Les représentants des différentes
communautés, nommés par les préfets,
34 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
malgré leurs réticences, adhérèrent au
projet de Napoléon Ier et se montrèrent
conciliants. Y-avait-il d'autres solutions
? Leur désir, surtout chez les Séfarades
du Sud-Ouest, d'appartenir à la nation
française était très fort.
I.J : Pourquoi avez-vous concentré vos
recherches sur le 19ème siècle et le début
du 20ème ?
A.O. : En fait c'est le résultat d'une
opportunité. J'ai eu la chance d'avoir à
ma disposition un fonds d'archives
parfaitement inédit et en particulier
celui concernant l'ensemble du 19ème
siècle jusqu'à la loi de séparation des
Eglises et de l'Etat en 1905. Mes
recherches ont abouti à un doctorat sur
la communauté juive de Bayonne vue
de l'intérieur en quelque sorte, sur son
mode de fonctionnement dans le cadre
du système consistorial, sur la politique
du Consistoire en matière d'éducation,
de culte et de bienfaisance. En plus, il
m'intéressait de comprendre les choix
des dirigeants d'une minorité dissidente
comme on disait au 19ème, dans un
contexte de recul des pratiques
religieuses et de montée de
l'antisémitisme pour assurer la
pérennité et la spécificité de la
communauté bayonnaise.
I.J : L'un des intérêts de votre travail est
que vous avez cherché à " reconstituer des
généalogies ". Cela n'a pas dû être facile.
A.O. : En effet " reconstituer des
généalogies " exige de recouper les
informations tirées de sources diverses,
état-civil
certes
mais
aussi
recensements, actes notariés, décisions
de justice, articles de presse et autres
documents administratifs, d'autant que
les registres des déclarations des noms
et prénoms des Juifs résidant à SaintEsprit ou à Bayonne manquent de
précisions : pas ou peu de mentions
d'âge, d'activités, pas de lieux de
naissance. Cela demande beaucoup de
patience et beaucoup de temps… !
I.J : Quels types de renseignements
trouve-t-on dans les registres que vous avez
consultés ? Sait-on par exemple les
problèmes qui se posaient à ces populations
juives à l'époque ?
A.O. : Les renseignements sont
multiples mais c'est leur traitement qui
est compliqué. Cependant certains
d'entre eux, les plaintes en justice en
particulier, permettent de mesurer les
relations quelquefois tendues entre juifs
et non juifs, la persistance de mesures
discrimi-natoires comme l'obligation de
prêter le serment more judaïco lors de
litiges commerciaux par exemple…
I.J : Qu'apprend-on sur la vie sociale des
juifs de Bayonne ?
A.O. : Le but de cet ouvrage n'était
pas de fournir une analyse complète
sur la vie sociale des Juifs de Bayonne
mais d'offrir aux descendants des
familles et à ceux qui s'intéressent à la
question une base de données. Mais
c'est une piste de recherches que
j'envisage pour plus tard... Cependant
il est évident que dans l'état actuel, la
fraction la plus aisée de la population
est surreprésentée dans les notices, j'en
suis désolée, car de nombreuses
personnes parmi les plus modestes
échappent à mes recherches. Certes la
vie d'un négociantou d'un banquier est
passionnante en particulier grâce aux
successions ou les inventaires après
HISTOIRE
décès mais celle d'une fileuse ou
d'un portefaix ne l'est-elle pas
moins ?
I.J : Vous avez tenté de
reconstituer des " tranches de vie ".
Qu'est-ce qui vous frappe dans la vie
de ces populations ?
A.O. : A l'exception de la
présence d'objets de culte
comme les lampes sabbatiques
ou les Hanoukkioth, elle
ressemble à celle de n'importe
quel individu vivant à Bayonne
au 19ème siècle d'après ce que
j'ai pu lire par ailleurs qu'il
s'agisse d'un négociant ou d'un
artisan.
I.J : J'observe dans les fiches que
vous présentez qu'il y a parmi ces
populations des négociants, des
cultivateurs, des marchands… Quels
autre métiers exercent-ils ?
A.O. : Marchands, négociants,
commis, employés de commerce
conservent une place centrale
au
sein
des
activités
professionnelles exercées par la
population juive, ce qui est assez
naturel dans une ville portuaire
et
commerçante
comme
Bayonne. Cependant, au cours du
19ème siècle, les activités commerciales
ont tendance à s'effriter au profit des
professions libérales (médecins,
huissier, avocat…) et surtout des
artisans. De plus, chez les artisans, on
assiste à une diversification des métiers
(fondeur en métaux, carrossier, sellier,
chapelier….). Est-ce le résultat de la fin
des corporations dont les Juifs étaient
exclus jusqu'à la Révolution ? Ou bien
celui de la politique régénératrice
menée par le Consistoire par
l'intermédiaire de l'école et avec le
soutien d'organisations ayant pour
tâche de prendre en charge les
apprentis ? Est-ce encore parce que
Bayonne devient un port d'intérêt
secondaire au 19ème siècle avec un
rétrécissement
des
activités
commerciales ? Sans doute est-ce la
combinaison de ces trois facteurs.
Cette augmentation du nombre
d'artisans est également visible chez les
femmes : le travail devient plus courant
même s'il s'exerce dans le cadre
familial.
I.J : On trouve dans le travail que vous
éditez des noms comme Lopes, Bernal ou
encore Brandon, Gomes ou Herrera, des
La synagogue de Bayonne
noms qui disent une origine espagnole ou
portugaise mais pas forcément juive.
A.O. : C'est vrai : ce sont des noms
attribués lors des conversions au
catholicisme en Espagne et au Portugal.
Rappelons à cette occasion, que lors de
leur arrivée dans le Sud-Ouest, les Juifs
sont désignés par le terme de "
marchands portugais " portant prénoms
et noms d'origine espagnole ou
portugaise. Progressivement, à la fin
du 17ème siècle, ils abandonnent leurs
prénoms profanes et s'attribuent alors
des prénoms hébraïques tout en
conservant les noms comme ceux que
vous citez. Ils quittent leurs habits de
marranes d'une certaine façon !
Toujours est-il qu'ils habitent Bordeaux,
Bayonne, Peyrehorade et ils sont
reconnus comme juifs par la population
non juive.
I.J : Vous avez travaillé entre autres sur
des archives du Consistoire israélite de
Bayonne, en dépôt aux Archives
communales. Qu'est-ce que ces archives
vous ont appris sur la vie religieuse de ces
communautés ?
A.O. : Lorsque j'ai travaillé sur les
Archives du Consistoire de Bayonne,
elles n'étaient pas encore en dépôt aux
Archives communales, elles étaient en
vrac dans deux malles dans un local de
la synagogue. Elles commençaient à
être très abîmées. Dans un souci de
conservation de ce patrimoine et en
accord avec le président du Consistoire
de l'époque, Bernard Abraham, j'ai "
bataillé " comme on dit à Bayonne pour
qu'elles soient déposées, traitées,
répertoriées par le service des Archives
de Bayonne.
En ce qui concerne la vie religieuse,
il faut distinguer les sources sur
lesquelles on est amené à travailler.
Quand il s'agit des archives
administratives, celles du Consistoire
en particulier, le tableau dressé est
toujours pessimiste : pas assez
d'assiduité aux offices, trop de fidèles
intéressés uniquement par les grandes
fêtes, manque de hazanim séfarades
mais quand on aborde d'autres sources,
on s'aperçoit que de nombreuses
prescriptions surtout alimentaires sont
respectées, que les mariages mixtes
sont rares, que les lampes sabbatiques
sont présentes dans la plupart des
maisons.
En somme les Juifs bayonnais du
19ème siècle sont des traditionalistes
sans être orthodoxes…
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 35
OPINIONS
L'optimisme relatif
de Mario Vargas Llosa
PAR ALBERT BENSOUSSAN
OOO Le grand écrivain hispanopéruvien a souvent peuplé ses pages
de personnages juifs, comme le Saúl
Zuratas, de L'homme qui parle, qui
prétend faire son alya, ou le Salomon
Toledano, de Tours et détours de la
vilaine fille, traducteur plurilingue où
l'on retrouve la trace patronymique
de la fameuse et médiévale école des
traducteurs de Tolède. Vargas Llosa,
qui a fait de nombreux séjours en
Israël est grand prix de Jérusalem.
Cet écrivain est aussi un homme de
terrain, et l'on se souvient de ses
reportages sur Gaza (après le
dégagement), en compagnie de son
gendre, d'origine juive, qui lui servait
d'interprète en hébreu. L'opinion d'un
ami d'Israël est donc intéressante
et précieuse. Que nous dit-il
aujourd'hui ?
Comme beaucoup d'observateurs, il
pense que l'élection d'Obama a fait
naître de grands espoirs au Moyen
Orient, et d'abord celui d'un
règlement global du conflit ; pour la
raison qu'il a la confiance d'Israël,
dont il est le plus sûr (et peut-être le
seul) allié et qu'en même temps il
jouit désormais d'une image positive
dans les milieux palestiniens. Pour
Vargas Llosa, Obama apparaît comme
un arbitre décisif, car, déclare-t-il, " il
est évident que, par la voie de la
violence, il n'y aura que des victimes
- plus de morts, plus de haine, plus
de souffrance " (El País, 31 mai 2009).
Qu'elle est lointaine, hélas !
l'objurgation d'Itshak Rabin : " No
more blood ! No more blood ! No
more blood! " Vargas Llosa sait voir
d'où vient le danger désormais :
d'Iran, et il en mesure la portée : "La
menace de l'apocalyptique Ahmani36 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
dejad d'exter-miner Israël ne peut être
considérée comme la simple bravade
d'un démagogue ", d'autant, prévientil, que ce pays vient d'expérimenter
avec succès un missile capable de
frapper Israël. Le nucléaire est bien
Mario Vargas Llosa
en cours, et personne ne semble en
mesure de le contrer, pense-t-il, du
fait aussi que les Etats-Unis
bien naturel dans un marchandage,
Netanyahou lui semble être en
mesure d'avancer efficacement sur les
cases et d'entamer des négociations
qui, pense le Péruvien créeraient
immé-diatement "un climat qui
Barack Obama
permettrait de désactiver la violence
des intégristes de Téhéran et de
permettre d'entrer dans la course les
“Il est évident que, par la voie de la violence, il n'y
aura que des victimes - plus de morts, plus de
haine, plus de souffrance”
retiennent la main d'Israël qui,
comme il l'a fait dans le passé avec le
succès que l'on sait, a su éliminer
d'autres
menaces
d'agression
nucléaire.
L'optimisme de Vargas Llosa tient
au fait que le gouvernement actuel
d'Israël va entrer dans le jeu de la
Maison Blanche et se placer sur
l'échiquier des négociations. Même
s'il met la barre très haut, ce qui est
secteurs plus ouverts et raisonnables
du régime". C'est ce qui, au
lendemain du discours du premier
ministre d'Israël, semble aujourd'hui
se dessiner. Acceptons-en l'augure et,
bannissant le victimarisme, toujours
mauvais conseiller, et les appels aux
armes, osons, nous aussi, abriter dans
nos cœurs cet optimisme prudent Vargas Llosa parle d' "optimisme
relatif" - et cette petite lumière
d'espoir.
LIVRES
La Torah pour les Nuls
Arthur Kurzweil
Adaptation française de Victor Malka
OOO Socle et joyau le plus sacré du
judaïsme, la Torah est à la fois objet de
vénération, d'études passionnées et de
guide de vie dans notre approche du
Créateur et de nos relations avec ses
créatures. L'édition que lui consacre la
célèbre collection est à retenir à plus
d'un égard : langage limpide et
structuré, explications claires et choix
judicieux des textes cités. L'ouvrage
comprend 5 parties plus une petite
annexe. Chacune de ces parties peut
se lire indépendamment des autres,
selon l'envie et/ou la recherche du
lecteur. Des icônes " balises " dans la marge de certains textes permettent
d'attirer l'attention sur des points précis ou particulièrement instructifs.
La première partie " L'essentiel de la Torah " est un bon raccourci de
base explicitant ce qu'est la Torah - écrite et orale - et ce qu'elle n'est
pas.
La seconde partie analyse les cinq livres de Moïse écrits au Sinaï dit la tradition - sous la dictée de Dieu en 1280 avant notre ère, avec
une petite parenthèse impartiale pour ceux qui ont un avis différent
sur l'(es)auteur(s) du texte sacré. La 3ème partie est consacrée aux
rapports de l'homme avec son environnement et la collectivité en général
selon la Torah, et la 4ème partie relate l'importance de ce joyau dans
le judaïsme : analyse de la " spirale " de la semaine vers le Shabbat et
de la " spirale " de l'année vers les fêtes qui la jalonnent, et pourquoi
ils débutent le soir, les us et coutumes des offices à la synagogue, la
sacralité du Sefer Torah et bien d'autres sujets. La 5ème partie, la "
Partie des Dix " se penche bien sûr sur les 10 commandements, et ses
deux versions aux légères différences, celle de l'Exode et celle du
Deutéronome.
N'hésitez surtout pas : l'ouvrage est " à mettre entre toutes les mains!"
(First Editions - 22,90€)
Dédoublements Bayonne Jérusalem
Victor Attas
OOO Ygal Chémèche alias Gilles Soleil est
envoyé par le Mossad au pays basque
français. But : infiltrer les groupes de l'ETA
soupçonnés de liens privilégiés avec l'OLP
et repérer leurs caches d'armes. Moyen : se
rapprocher et séduire une jeune femme,
Claire Esmerald, journaliste et sympathisante
de la " cause indépendantiste ". Jonglant avec
ses diverses personnalités, Ygal crée
parallèlement une relation avec le vieux
Moché, gardien de la synagogue de Bayonne
et apprend avec stupéfaction une chaîne de
liens : descendants d'une des tribus d'IsraëlSparte-Crète et ...pays basque. Claire, un
bébé abandonné à sa naissance rentre-t-elle
également dans cette chaîne? Séduire par
intérêt politique peut-il empêcher de séduire par passion? Venez le
découvrir dans ce livre.
(Editions David Reinharc - 18€)
Moi, Sàndor F.
Alain Fleischer
OOO Etre
l'autre à
jamais disparu tout
en
étant
soimême... Cet autre
si semblable à soimême peut-il être
prolongé, récrit,
senti et imaginé
au-delà de son
décès ? Sàndor F.
né en 1917 à
Budapest, mort en
avril 1944 dans un
wagon à bestiaux "
entre la Hongrie et la Pologne " en route vers
Auschwitz, peut-il revivre dans l'âme de son
neveu Sàndor F. fils de son frère Karoly, le
père du neveu, né à Paris en mars 1944 où
Karoly était réfugié? Autobiographie à double
registre fusionnant l'oncle et le neveu, elle
part d'une maison bourgeoise de la rue
Venezianer du quartier d'Ujpest de Budapest
où la famille est installée. Sàndor F., l'oncle,
est le cadet de deux frères, Karoly et Béla et
d'une grande soeur, Lenke, avec une attirance
précoce pour l'élément féminin et la
photographie, contrairement aux jeux
martiaux de ses frères. Trois amours plus celui
de sa soeur rempliront sa jeune vie, dont la
découverte émue de sa virilité avec la bienaimée servante Anett, à l'âge de 13 ans.
En 1944 la tragédie s'abat sur la Hongrie
jusque là épargnée et les déportations
s'accélèrent. Lenke à Londres et Karoly à Paris
seront seuls épargnés. Sàndor F. l'oncle est
cueilli au domicile parental. La colonne
vertébrale fracassée par un nazi, il agonise
dans le wagon à bestiaux et cherche à
remettre sa chevalière, son bien le plus
précieux, à un détenu pour le faire parvenir,
plus tard, à sa famille. Sàndor F., le neveu,
raconte, " se souvient, imagine ". Plus tard, à
l'âge de 13 ans, il retrouvera dans un vieux
cimetière de Budapest une plaque au nom de
son oncle ; plus tard encore, à l'âge de 20 ans,
on lui remettra sa chevalière. Extraordinaire
exercice de style et de pensée fusionnelle,
extraordinaire
récit
d'une
tragédie
inconcevable, puis de la vie qui peut, qui doit
continuer.
(Editions Fayard - Collection Alter-Ego 21,90€)
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 37
LIVRES
Ici à Jérusalem
Julien Boudisseau et Guillaume Nicolas-Brion
OOO Mai 2008. Les deux
auteurs, jeunes journalistes,
décident de partir une
semaine à Jérusalem effectuer
un reportage sur la vie "
ordinaire " des habitants de
cette ville " extraordinaire ".
Installés au couvent-hôtel
Ecce Homo dans le quartier
musulman, sac au dos et stylo
en mains, ils vont sillonner la
cité sainte, ses proches
environs, et raconter dans ces
petites " brèves " leurs
découvertes, leurs rencontres, leurs étonnements. Ce
qui les frappe avant tout, c'est cette lumière
exceptionnelle qui baigne tout, puis l'émotion devant
les lieux saints des trois religions monothéistes. Viennent
ensuite les odeurs, certaines envoûtantes, comme la
chaleur dégagée des pierres du Mur, ou celles des épices
du marché de Mahané-Yehouda. Partout, le spectacle
est unique, du ramassage des ordures aux incroyables
T-shirts colorés que les touristes s'arrachent. Dans la
vieille ville, le goût du pain d'un restaurant végétarien
est tout simplement " divin "! Observer les us et
coutumes des différents quartiers, découvrir le mur de
séparation et pénétrer en Cisjordanie, recevoir
l'hospitalité de Zeina, amie d'amis français, ce fut un
bien riche voyage.
(Editions Alphée - Jean-Paul Bertrand - 17,90€)
Un petit tour au Proche-Orient
Raphaël Krafft
OOO Journaliste à FranceInter, amoureux de la petite
reine, Raphaël Krafft part à
vélo au printemps 2008 en
vue d'un reportage au
Proche-Orient. Pédalant
allègrement, il va parcourir
l'Egypte, Israël, les territoires
palestiniens, la Jordanie, la
Syrie et le Liban, questionnant et photographiant ses
interlocuteurs. Le vélo
permet des rencontres de
proximité que l'automobile,
le train ou l'avion ignoreront à tout jamais. Rencontres
souvent peu banales, hospitalités généreuses, conversations
animées avec des êtres simples ou simplement hors normes
; certains sont des amis d'amis, d'autres des connaissances
de voyages précédents tel le cinéaste égyptien Yousri
Nasrallah, ou des relations nouvelles dont certaines
inoubliables comme l'Israélien Koushi au relais routier 101
dans le désert ou Nassim portier d'hôtel à Amman.
S'exprimer devant un micro : pour les uns un jeu, un
soulagement, une revendication, le souhait et l'espoir d'une
vie meilleure ailleurs, mais aussi pour d'autres l'aveu d'une
incompréhension, d'une peur devant l'avenir, d'un bourrage
de crâne familial, Cela donne au final un ouvrage
terriblement instructif de certaines mentalités, le tout
joliment illustré par de superbes photos couleur.
(Editions Radio France - 18€)
Odette Lang
Question au rabbin
V
oici
la
question
qu'une habitante de
Ramat Gan en Israël
a posée à un rabbin
dans les colonnes du
quotidien
Yedioth
Aharonot : "A Roch Hachana, j'ai
piqué une grande colère et depuis
lors, il ne se passe pas de jour sans
que je me mette en colère. Que
faire ?"
sagesse s'il est sage et son pouvoir
de prophétiser s'il est prophète".
Dans un autre traité (Chabbat 105)
on affirme : "Tout homme qui se met
en colère c'est comme s'il se livrait à
l'idolâtrie".
soient la conséquence de celle que
vous avez eue le jour de l'an juif. En
tout état de cause, il faut contrôler
vos colères. Selon Maïmonide encore
" la vie des coléreux n'est pas une
vie".
Voici en substance la réponse que
le rabbin Chmouël Chapira a faite à
cette lectrice :
"Maïmonide conseille d'ordinaire
de choisir la voie médiane, mais à
propos de la colère il écrit : "La colère
est un très grand défaut. Il est bon
que l'homme s'en éloigne totalement.
Qu'il apprenne à ne pas se mettre en
colère même pour des choses qui le
justifieraient.
"Voici deux conseils : l e croyant écrit le Tanya - ne se met pas en
colère parce qu'il sait qu'il existe une
Providence. Il faut au contraire voir
ce qu'il y a de positif pour la vie dans
les choses qui peuvent mettre en
colère.
"Il est triste que vous vous mettiez
si souvent en colère. Nos sages ont
blâmé ce défaut. Ils ont dit dans le
traité Psahim du Talmud ( 66 a) " Tout
homme qui se met en colère perd sa
"Nos sages nous recommandent de
nous livrer à Roch Hachana à des
actes positifs et de nous éloigner de
tout ce qui est négatif. Malgré tout,
je ne suis pas sûr que vos colères
38 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
"Le second conseil est celui que
donne le Rav Kook qui propose aux
hommes de voir tout d'un œil de
compassion. Autrement dit, au lieu
de s'irriter contre tel ou tel, il faut
avoir pitié de lui".
EN BREF
OOO Amir Weitmann est analyste financier et représente une banque étrangère en Israël. Dans le
livre qu'il publie sur l'affaire Madoff ( Editions Plon), il raconte par lemenu ce que furent les secrets
de ce qu'ilappelle " la plus grande arnaque du siècle et la plus grande fraude de l'histoire de la finance.
Weitmann qui vit en Israël raconte notamment les torts que Madoff a portés à des institutions de la
communauté juive américaine.
Weitmann donne la parole à un certain nombre de victimes de l'homme d'affaires et notamment à
l'écrivain Elie Wiesel. Celui-ci ne trouve aucune excuse à celui qu'il qualifie de voleur, escroc et criminel:
" J'aimerais qu'il soit dans une cellule en solitaire avec un écran et sur cet écran, pour au moins cinq
ans de sa vie, tous les jours et toutes les nuits, il devrait y avoir des photos de ses victimes, l'une après
l'autre, toujours en train de dire : regarde, regarde ce que tu as fait à cette pauvre vieille dame, à cet
enfant.
Une autre victime raconte la diversité des organisations juives aux Etats-Unis : " J'ai été éduqué dans
une communauté juive orthodoxe où on met beaucoup l'accent sur l'entraide et la charité, mais ces valeurs dépassent largement
le cadre de la communauté orthodoxe qui représente moins de 10 % de la communauté juive. Elles sont partagées par l'ensemble
de la communauté juive des Etats-Unis. En fait la plupart des Juifs américains ont abandonné la pratique du judaïsme mais ils
s'accrochent à la charité comme ancre identitaire juive. Dans la bouche de la plupart d'entre eux, parler de " valeurs juives " revient
à parler de philanthropie ou d'Etat-providence. C'est probablement pour cela que les Juifs votent à 80 % pour les démocrates "
OOO " Le Conseiller " c'est le titre que Cyril Auffret a
donné au livre qu'il consacre à Jacques Attali ( Editions
du Toucan.17 E 90 ). Aufret qui est grand reporter à TF1
a cherché à reconstitué les différentes étapes du parcours
d'un surdoué. Un homme qui a obtenu en un temps record
quatre diplômes prestigieux :Polytechnique, les Mines,
Sciences Po et l'ENA. Depuis ses débuts en politique (il
est alors à 30 ans conseiller économique du candidat
Mitterrand) jusqu'à sa présidence - turbulente - de la
BERD, l'auteur passe en revue tout ce qui a joué un rôle
dans l'itinéraire de Jacques Attali.
Interrogé sur le fait de savoir s'il est un " technocrate
arriviste", Attali répond : " Technocrate, sûrement pas,
ambitieux, sans aucun doute. Ecrire c'est commettre un
acte d'orgueil. C'est assez mégalomaniaque de penser que
l'on a quelque chose à dire aux autres et que l'on va occuper leur temps. Je fais cet acte
d'orgueil et je le fais jusqu'au bout et d'autant plus facilement que j'ai une formidable
peur du temps qui vient. Arriviste, sûrement pas, c'est un mot abominable"
A la fin du livre, Attali dit être mégalomaniaque : " Au sens où j'ai des rêves très
importants pour le monde. Je pense qu'on a l'âge de ses projets "
OOO Voici un certain nombre de
titres annoncés pour la rentrée par des
éditeurs :
-" Les jeunes, l'école et la religion ",
sous la direction de Céline Béraud et
Jean-Paul Willaime (Editions Bayard).
-" Nouvelle histoire de lamusique
sacrée. Du chant synagogal à
Stockhausen " par Luis Garbini
(Editions Bayard)
- " Sepharade " par Eliette Abécassis
(Editions Albin Michel )
-" L'antisémitisme à gauche " par
Michel Dryfus (Editions La
découverte)
-" Le siècle juif "par Yuri Slezkine
(Editions La découverte).
OOO Professeur agrégée d'histoire, Paule Berger Marx a soutenu, en 2006, une thèse de doctorat
sous la direction de notre ami André Kaspi. C'est le texte de cette thèse consacrée aux " relations
entre les juifs et les catholiques dans la France de l'après-guerre " qui est publié ici. Retenons de la
préface qu'il donne à ce travail, ces quelques lignes d'André Kaspi : " Le christianisme et le judaïsme
ont compris que, d'une certaine manière, ils ont partie liée. Les chrétiens renoncent peu àpeu à la
politique de conversion. Ce n'est pas qu'ils doutent de leur vérité. Ils estiment pourtant qu'il est temps,
plus que temps, de passer de " l'enseignement du mépris " à "l'enseignement de l'estime ". Ils admettent
que les juifs sont 'leurs frères aînés'. Ils ne dissimulent plus que Jésus fut juif, qu'il respectait la loi
et prêchait d'abord pour les Juifs. Ils cessent de croire que les Juifs forment un peuple déicide, maudit
à jamais pour avoir ignoré le caractère messianique de Jésus et pour l'avoir livré à la justice des
Romains. En un mot, les Juifs ne sont plus des adversaires… "
André Kaspi ajoute enfin : " Juifs et chrétiens sont conscients qu'ils affrontent le même danger.
L'incroyance progresse. Comment y faire face ? La France est de plus en plus déchristianisée, la
minorité juive, de plus en plus déjudaïsée. C'est un mouvement de fond qui emporte notre pays et l'Europe tout entière. Les
querelles théologiques perdent de leur acuité ". ( Editions du Cerf. 32 euros)
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 39
CINEMA
Une Chasse à l'homme d'anthologie
signée Michael Mann
A
dulé par de nombreux
cinéphiles mais toujours
soucieux de s'adresser au
grand public, Michael
Mann s'attaque ici au
portrait d'un gangster de
légende et nous revient en force, dans la
lignée d'un Arthur Penn (Bonnie and
Clyde) ou d'un Brian de Palma (Les
incorruptibles), parvenant une nouvelle
fois à revisiter le film d'action au moyen
d'une mise en scène brillante et
inventive, tout en offrant à Johnny Depp
l'un de ses plus grands rôles.
Basé sur le livre éponyme de Bryan
Burrough, le film raconte ainsi la brève
mais intense carrière criminelle de John
Dillinger, célèbre braqueur de banques
de Chicago, de sa sortie de prison en mai
1933 à sa mort à 31 ans en juillet 1934,
c'est à dire au travers de la terrible et
haletante chasse à l'homme qui va
opposer le bandit à la gueule d'ange à
un agent fédéral acharné, Melvin Purvis
(Christian Bale, tout en retenue) qui a
pour consigne de le capturer " mort… ou
mort ".
Une sorte de Mesrine américain des
années 30 qui, après avoir été
emprisonné durant neuf ans pour vol, va
connaître un parcours fulgurant en
menant avec sa bande des attaques de
grande envergure à travers tout le
Midwest, et devenir la cible privilégiée
du Bureau of investigation, (qui se
transformera en 1935 en FBI) puisque
John Edgar Hoover le baptisera dès 1933
d'" ennemi public numéro un ".
Et le plus intéressant dans cette histoire
est qu'en dépit de la violence inhérente
à ses méfaits, Dillinger devint
immensément populaire en raison du fait
qu'il dévalisait avec ses acolytes, à bord
de leurs légendaires Ford V8, des
banques qui étaient alors l'objet de toutes
les critiques pour avoir été au cœur du
désastre économique de 1929.
Michael Mann, dont le père juif
ukrainien avait douloureusement connu
cette époque avant de devenir épicier à
Chicago, explique ainsi avec justesse que
" Dillinger a fait ce que tout le monde
rêvait de faire à l'époque, entre la fin de
la prohibition et la difficile sortie de crise
économique : s'attaquer au système en
place et plus précisément à des banques
qui, trois ans plus tôt, avaient fait faillite
40 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
PAR ELIE KORCHIA
en laissant les gens ruinés. Il a fasciné
l'Amérique parce qu'il voulait tout avoir
et tout de suite, narguant les autorités,
devenant le porte-parole des déshérités
et se transformant très rapidement en
héros populiste ".
A ce titre, il est sans doute dommage
que Mann n'ait fait que survoler les
tensions économiques et sociales de la
Grande dépression, qui auraient été à la
source du côté " Robin des bois " du
bandit car, malgré une reconstitution
historique minutieuse (qui a nécessité
plus de 100 décors différents) et une
durée de 2h 20, le film n'aborde pas avec
autant de profondeur qu'on l'aurait
souhaité toute la psyché de son
personnage principal.
Tout comme on peut regretter que la
narration et le découpage du scénario
soient trop linéaires, se résumant à une
simple évolution chronologique, au lieu
d'opter pour un récit plus déstructuré qui
aurait pu permettre d'atténuer le
classicisme de cette œuvre pourtant si
ambitieuse.
Mais il serait vraiment injuste de faire
la fine bouche tant ce nouveau long
métrage du créateur de "Deux flics à
Miami" est jalonné de scènes impressionnantes de force et de beauté, de
l'attaque nocturne de l'auberge où se
cache la bande de Dillinger en pleine
forêt à la magistrale séquence finale où
le gangster est abattu froidement par
Purvis, après avoir été pris au piège par
le FBI, à la sortie du cinéma où il venait
de voir Manhattan Melodrama, avec
Clark Gable dans le rôle de l'ennemi
public numéro un.
Cette sublime mise en abyme d'un
anti-héros qui, scotché à son fauteuil de
cinéma, redevient simple spectateur du
film de sa vie, fait en effet tout à coup
ressortir toute l'humanité du personnage
et donne à Johnny Depp l'une des plus
belles scènes de sa carrière.
Ainsi, après s'être consacré au thriller
en 1986 avec le trop méconnu Sixième
sens, qui adaptait très librement Dragon
rouge de Thomas Harris et préfigurait
déjà Le silence des agneaux, au film
d'aventures avec Le dernier des
Mohicans qui était interprété par le
grand Daniel Day Lewis(1992), au filmdossier avec Révélations et Al Pacino
dans le rôle titre (1999) ou encore au
biopic avec Ali, alias Will Smith (2001),
l'ancien scénariste à succès de la série
Starsky et Hutch dans les années 70
nous revient aujourd'hui avec une
nouvelle œuvre majeure en guise de
dixième opus.
Et si Miami Vice (2006) avait quelque
peu déçu, en comparaison avec
l'époustouflant Collatéral (2004) qui
faisait se croiser dans une nuit d'enfer, à
l'esthétique bleutée et au travail
numérique novateur, un sympathique
chauffeur de taxi et un impitoyable tueur
à gages( campés respectivement par un
excellent Jamie Foxx et un épatant Tom
Cruise), Michael Mann nous entraîne à
nouveau avec brio dans une esthétique
savamment travaillée, qui entremêle
subtilement la modernité de la haute
définition numérique à l'académisme du
film d'époque.
Si bien que même si le scénario de
Public Enemies n'égale pas celui de son
meilleur film à ce jour, à savoir le duel
au sommet de Pacino et De Niro dans
Heat (1992), celui qui a pu être
considéré comme le réalisateur le plus
perfectionniste depuis Stanley Kubrick
n'a décidément pas fini de nous étonner,
maniant comme personne, à 65 ans
révolus, les mouvements de caméras
portées et l'incroyable gamme de
contrastes utilisée par Dante Spinotti,
son inséparable chef opérateur.
COURRIER
Copernic
Notre ami le docteur Arthur Kriegel, nous
fait remarquer à propos de l'affaire Copernic
et de l'article publié dans nos colonnes le mois
dernier, nous rappelle ce que la regrettée
Annie Kriegel, son épouse, avait consacré à
cet acte si mal compris en son temps une
analyse profonde et étendue. Une analyse
que l'on peut retrouver dans le livre "réflexions
sur les questions juives " (page 533). Voici un
extrait de ce qu'écrivait Annie :
" La leçon de Copernic a porté :a la
communauté juive n'est plus disposée à se
laisser berner et manipuler au profit
d'exécrables calculs politiciens. Elle n'a pas
" marché " quand on a tenté - brièvement de relancer l'hypothèse de la culpabilité de
l'extrême droite : non qu'il ne puisse se
trouver parmi les terroristes des extrémistes
de droite, néonazis ou autres, mais dans tous
les cas, de droite ou de gauche, le
déguisement politique ou idéologique n'est
qu'un déguisement. Le fait est qu'il s'agit
d'un terrorisme dont toutes les ficelles sont
tirées de Beyrouth ou de Libye. Un
terrorisme lié non pas à un antisémitisme
d'origine européenne mais à l'antisémitisme
qui s'identifie aujourd'hui avec l'antisionisme"
Les relations franco-israéliennes
Donc, si j'ai bien compris, en recevant le
Premier ministre israélien, le président Sarkozy lui aurait dit de se débarrasser au plus
vite de M.Liebermann, son ministre des Affaires étrangères. C'est la deuxième chaîne de
la télévision israélienne qui a sorti l'affaire.
Jusque là on avait fait silence autour de cette
déclaration qui pose problème. On aurait
envie de dire à M.Sarkozy de quoi il se mêle.
On peut sans doute n'avoir pas beaucoup de
sympathie pour l'actuel chef de la diplomatie
israélienne et considérer en même temps que
c'est aux Israéliens et à eux seuls de choisir
les hommes qui doivent les représenter. De
même qu'aucun président israélien ne saurait se mêler de la composition du gouvernement français.
Le président Sarkozy aurait ajouté à
l'adresse de M.Netanyahou que M.Liebermann et Jean-Marie Le Pen ce serait blanc
bonnet et bonnet blanc.
Tout cela a permis en tout cas au ministre
israélien de déclarer qu'étant donné ce que
le président français a dit par le passé de
M.Obama, de Mme Merkel et de M.Zapatero, il ne se sentait pas lui-même en si mauvaise compagnie…
J'ai également noté dans les réactions israéliennes à cette affaire, la prise de position de
M.Yehouda Lancry, ancien ambassadeur d'Israël en France qui considère, lui, que jusqu'à
présent, le ministre Liebermann n'a pris
aucune position diplomatique contraire à celle
de son Premier ministre ; que Sharon luimême, avant de devenir un héros, a été plutôt persona non grata et qu'enfin l'honnêteté
impose de ne juger l'homme que selon ses
seuls actes.
Ce qui est sûr c'est que les relations israéliennes, à peine remises d'une longue période
de froideur, n'avaient pas besoin de cela.
Jacques Guez - Nice
Une blessure
Puis-je me permettre de soumettre à la
réflexion des membres de votre rédaction
cette formule de l'écrivain israélien Aharon
Appelfeld : " Une blessure écoute toujours
plus finement qu'une oreille " ?
Illisible - 92100 Boulogne
CARNET
Mariage
OOO Nous avons appris avec joie le mariage d'Emmanuel Guedj avec Mlle
Aurélia Piacitelli. La bénédiction nuptiale a été donnée au jeune couple
le dimanche 5 juillet en la synagogue de la rue des Abondances à Boulogne
Billancourt.
M. Emmanuel Guedj est le fils de notre ami,le regretté Edgard Guedj de
mémoire bénie, qui fut le fondateur du Département éducatif de la jeunesse
juive et du Centre communautaire juif de Paris.
Nous présentons aux deux familles nouvellement unies notre sincère mazal
tov et nos meilleurs vœux.
Nécrologie
OOO André Meyer
C'est avec une très grande tristesse que nous
avons appris la disparition, le 6 juillet dernier,
de M. André Meyer (Zal), père de Philippe Meyer,
administrateur du Consistoire de Paris et
directeur de la publication d'Information juive.
Il a été inhumé le 17 Tamouz, dans sa ville
natale de Saverne en Alsace, au milieu des siens.
Dans l'ouvrage qu'il avait publié il y a moins d'un
an (Quelqu'un sait-il où nous allons ? - Ed.
Thélès), et dans lequel il retraçait avec émotion son parcours d'enfant
juif caché en zone libre pendant la guerre, loin de sa famille, de ses
origines et des dangers qui le menaçait, André Meyer avait fait le cadeau
inestimable d'une page de mémoire vivante de ce judaïsme alsacien
auquel il était viscéralement attaché.
Avec sa disparition, c'est d'abord un vide immense que ceux qui l'ont
connu ressentent et continueront de ressentir longtemps encore, après
une vie passionnante et passionnée, toujours partagée avec les siens,
qu'il s'agisse du domaine de son activité professionnelle que de celui
du judaïsme.
Tout au long d'une vie passée en très grande partie en Alsace, de Saverne
à Mulhouse, en passant par Strasbourg et Colmar, André Meyer n'a eu
de cesse de vivre et de défendre un judaïsme ashkénaze alsacien qu'il
avait lui-même hérité de ses parents. Un judaïsme authentique et
intensément vécu, fait de traditions farouchement sauvegardées à travers
les âges et de valeurs juives profondément ancrées de droiture, d'humilité,
de respect, de solidarité et d'humour.
En symbole militant, avec d'autres de sa génération, de ce judaïsme
historiquement installé sur le territoire national et attaché à la République
et à la France, André Meyer n'a jamais cessé d'être fier de ses valeurs
et fidèle à ses racines, malgré les vicissitudes de l'histoire qu'il a traversées
comme tous les siens avec courage et honneur.
Dans les éloges qu'ils ont prononcés à sa mémoire à l'occasion des Chiva,
le grand rabbin de France Gilles Bernheim et le président du Consistoire
central Joël Mergui ont, l'un et l'autre, rappelé avec émotion les derniers
échanges personnels qu'ils avaient encore récemment eus avec André
Meyer et qui témoignaient jusqu'au bout de ses qualités humaines qui
ne l'avaient jamais quitté et de sa fierté des valeurs du judaïsme alsacien
qu'il n'avait jamais cessé de développer et de transmettre.
A son épouse Janine Meyer, qui l'aura assisté jusqu'aux derniers instants,
et à ses enfants, nous présentons nos plus sincères condoléances.
OOO Notre ami Jacques Attali a eu la douleur de perdre sa mère
Mme Fernande Attali, l'épouse de M. Simon Attali.
Nous lui présentons en cette douloureuse circonstance ainsi qu'a sa
sœur et à son frère nos très sincères condoléances.
OOO Nous avons la tristesse de vous annoncer le décès de
M. Isaac BITRAN, ancien Président de la Communauté Juive des Ulis
(91), à l’âge de 86 ans le 9 avril dernier, suite à une bousculade à
l’aéroport de Ben Gourion.
INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009 41
VERBATIM
ART SPIEGELMAN.
Pilier de la BD underground :
" New York est au centre de mon
esprit, mais je vis comme ces vieux
juifs reclus dans leur ghetto du
Lower East Side "
CLAUDE IMBERT.
Editorialiste du Point :
" L'Islam voit dans nos laïcités, dans
l'individualisme occidental et ses
licences le spectacle d'une altérité
radicale, d'une 'dégénérescence'
menaçante pour sa propre survie ".
JACQUES ATTALI.
Essayiste :
" Toutes les études établissent qu'une
part importante de la musique, de la
littérature et de la peinture
d'aujourd'hui ( et pas seulement l'art
des rues ) trouve sa source dans les
banlieues "
JEAN-PAUL JOUARY.
Ecrivain :
" Et si, pour ne pas réserver la
réflexion philosophique au lycée ou
aux rencontres où se pressent ceux
qui l'ont déjà aperçue, on instituait
une " journée de la philosophie ",
une journée pour réfléchir, débattre
et apprendre collectivement ? "
DOUNIA BOUZAR.
Anthropologue :
" Accepter le drap noir ne serait pas
un signe de respect de l'islam, ce
serait au contraire perpétuer les
stéréotypes datant de la période
coloniale "
42 INFORMATION JUIVE Juillet/Août 2009
PHILIPPE SOLLERS.
Ecrivain :
" Ne trouvez-vous pas que c'est un miracle
de se réveiller tous les matins ? Eveil,
réveil, ressuscitons donc tous les jours ! "
EPHRAÏM HALÉVY.
AVRAHAM B. YEHOSHUA.
Ancien chef du Mossad
(de 1998 à 2002) :
" Nous devons irradier la confiance,
pas l'inquiétude. Les dirigeants
israéliens d'aujourd'hui devraient
méditer cette vieille formule de
Franklin Roosevelt : Nous ne devons
avoir peur de rien, sauf de la peur "
Ecrivain israélien :
" Les Palestiniens deviendront peu à
peu majoritaires et l'option d'un Etat
unique signifie à terme la disparition
de l'Etat d'Israël ".
MICHEL SCHIFRES.
Billettiste au Figaro :
"Merveilleuse invention que le
politiquement correct. Son rejet
permet de clouer au pilori tous ceux
qui expriment un désaccord… "
ARIANE CHEMIN
ET MARIE-FRANCE ETCHEGOIN.
Journalistes :
" En Corse, la carte du crime est
devenue talmudique. Elle réclame
des heures d'exégèse "
JEAN-PAUL JOUARY.
Ecrivain :
" Et si, pour ne pas réserver la
réflexion philosophique au lycée ou
aux rencontres où se pressent ceux
qui l'ont déjà aperçue, on instituait
une " journée de la philosophie ",
une journée pour réfléchir, débattre
et apprendre collectivement ? "
COLETTE AVITAL.
Ancien membre de la Knesset :
" Prenez Sarkozy, il parle en ami
devant la Knesset et ses critiques ne
posent pas problème. Depuis, tous
les Israéliens aiment la France. Ils
ont besoin d'affection ".
ALEXANDRE ARCADY.
Cinéaste :
" Je suis reconnaissant à Yasmina
Khadra d'avoir choisi un cinéaste
algérien, français d'origine juive .
C'est le symbole d'une belle union ".
PHILIPPE VAL.
Directeur de France Inter :
" Je n'aime pas qu'on s'attaque
aux femmes, aux juifs, au corps
des gens "
JEAN DUTOURD.
Ecrivain (89 ans) :
" Celui qui m'appellerait 'senior', je
lui mettrais ma main dans la figure "