Français - Bureau international des droits des enfants

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Français - Bureau international des droits des enfants
Stratégie d’action en matière de protection des droits
des enfants victimes de la traite au Québec
Volet I
RAPPORT DE RECHERCHE
VERSION FINALE
Rédigé par :
Mélanie M. Gagnon, Ph.D.
Chercheure consultante
Me Catherine Gauvreau
Chargée de programme
Sous la direction de :
Me Jean-François Noël
Directeur général
Février 2007
Diffusion
Bureau international des droits des enfants
1185, rue Saint-Mathieu, Montréal (Québec) H3H 2P7
(514) 932-7656
Pour toute information supplémentaire relative à ce document, vous pouvez communiquer avec :
Me Catherine Gauvreau (514) 932-7656, poste 223; courriel : [email protected]
www.ibcr.org
ISBN 0-9738554-3-6 (ISBN 978-0-9738554-3-2)
Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2007
Dépôt légal – Bibliothèque du Canada, 2007
Note
Dans ce document, le générique masculin est utilisé sans discrimination, dans le seul but d’alléger le texte.
De plus, il permet de renforcer l’anonymat des informateurs et informatrices à la source des données.
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Remerciements
Le Bureau international des droits des enfants tient à remercier sincèrement le Comité consultatif
multidisciplinaire qui est composé des personnes suivantes : mesdames Maryse Plamondon et Joëlle
Safadi du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada; Lyne Landry, Ann Joly et
Guylène Le Clair de l’Agence des services frontaliers du Canada; Annie Lafleur et Bethany Or de
Citoyenneté et Immigration Canada; Aicha El Haili du ministère de l’Immigration et des Communautés
Culturelles; Annie-Ève Girard du ministère de la Santé et des Services sociaux; Linda Veillette du ministère
de la Sécurité publique; Linda Brosseau de la Gendarmerie Royale du Canada; Christiane Mimar de la
Sûreté du Québec; Michelle Côté du Service de Police de la Ville de Montréal; Nadia Gerspacher du
Centre international pour la prévention de la criminalité; Sherry Lewis et Erin Wolski de l’Association des
femmes autochtones du Canada; Shelagh Roxburgh à titre personnel; ainsi que messieurs Jean-Marc
Potvin et Raymond Labelle des Centres jeunesse de Montréal-Institut universitaire, Luc Demers de
l’Association des centres jeunesse du Québec; Robert Ratelle du ministère de l’Immigration et des
Communautés culturelles; Jacques Dumais du ministère de la Santé et des Services sociaux; Jean-Martin
Gauthier du ministère de la Sécurité publique; Richard Saint-Denis du Centre international pour la
prévention de la criminalité; Robert Naylor du Programme régional d’accueil et d’intégration des
demandeurs d’asile; Sœur Deborah Isaacs de Separated Children’s Intervention & Orientation Network;
Sergent Sylvain Bessette de la Sûreté du Québec; maîtres Martine Bérubé, Ana-Marina Ionescu et Jean
Turmel du ministère de la Justice du Québec.
Nous tenons à remercier plus particulièrement madame Clara Chapdelaine Feliciati qui a été chargée de
programme de janvier à septembre 2005 ainsi que madame Julie Vinet-Thibault pour la réalisation des
entrevues et la codification des résultats de celles-ci.
Nous voulons remercier madame Louise Gagné pour son investissement inestimable (collaboration à la
planification, à la rédaction et à la révision du rapport et liens avec la communauté) ainsi que monsieur Luc
Ouimet, directeur administratif du Bureau international des droits des enfants (collaboration à la
planification et rédaction des états financiers provisoires).
Nous sommes grandement reconnaissants envers les personnes qui ont effectué un stage au sein de notre
équipe de travail : mesdames Fadwa Benmbarek (transcription de verbatims, recherche sur les bonnes
pratiques et analyse documentaire), Lisanne Blanchette (analyse juridique), Macrine Catteloin (révision du
rapport), Sarah Clarke (entrevues, liens avec la communauté autochtone, transcription de verbatims et
analyse documentaire), Diana Draganova (rédaction du sommaire), Marie-Noëlle L’Espérance (recherche
sur les bonnes pratiques et contacts pour entrevues), Mounira Moustapha (vérification des citations et
révision du rapport), Maja Muftíc (transcription de verbatims, analyse documentaire et recherche sur les
bonnes pratiques), Florence Pham (analyse documentaire, vérification des citations et traduction),
Dorothée Philippon (recherche sur les bonnes pratiques), Océane Plockyn (transcription de verbatims),
Ombeline Soulier Dugénie (transcription de verbatims), Jocelyn Tatebe (recherche sur les bonnes
pratiques, vérification des citations et révision du rapport), Lisa Weich (analyse juridique, recherche sur les
bonnes pratiques et transcription des verbatims) ainsi que monsieur Assanga Pathmasiri (recherche sur les
bonnes pratiques et contacts pour entrevues).
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Nous tenons à souligner la précieuse contribution des bénévoles : mesdames Marleah Blom (révision du
rapport), Christina Cabral (traduction), Sylvie Fortin (recherche), Thérèse Gauvreau (révision du rapport),
Aidan Jeffery (révision du rapport), Dominique La Rochelle (révision du rapport), Maïté Parr (traduction),
Nadja Pollaert (révision du rapport) et Tania Wihl (révision du rapport) ainsi que maître Marcel Gauvreau
(transcription de verbatim et révision du rapport).
Nous sommes également reconnaissants à mesdames Julie Blanc et Catherine Vinet-Gasse pour la
transcription de verbatims, à madame Suzanne Taillon (C.A.C. International) pour la mise en page et à
monsieur Jean Beaudoin (C.A.C. International) pour la révision finale de ce rapport.
Un merci particulier à toutes les personnes qui ont accepté d’être rencontrées dans le cadre des entrevues,
sans qui cette étude n’aurait pu être réalisée.
Nous voulons souligner le travail de traduction de ce document en anglais réalisé par madame Marlene
Menzies et de monsieur Patrick Bolland (Tradscium) ainsi que de monsieur François Riguet (TTPSP).
Enfin, nous tenons à remercier sincèrement le ministère de la Sécurité publique et Protection civile du
Canada (section Québec) dans le cadre de la Stratégie nationale pour la prévention du crime pour l’appui
financier ayant permis la réalisation de ce projet de recherche.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Table des matières
REMERCIEMENTS .................................................................................................................................................... I
TABLE DES MATIÈRES........................................................................................................................................ III
LISTE DES TABLEAUX......................................................................................................................................... IV
INTRODUCTION........................................................................................................................................................V
PARTIE I : RECENSION DES ÉCRITS ..................................................................................................................1
1
LA TRAITE D’ENFANTS : PORTRAIT DE LA SITUATION ......................................................................3
1.1
1.2
1.3
1.4
2
LES FACTEURS DE RISQUE.........................................................................................................................9
2.1
2.2
2.3
2.4
2.5
2.6
2.7
3
DIFFICULTÉS PSYCHOSOCIALES ...................................................................................................... 13
PROBLÈMES DE SANTÉ PHYSIQUE ................................................................................................... 14
D’AUTRES CONSÉQUENCES ............................................................................................................ 14
LA RÉPONSE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ...................................................................17
4.1
4.2
4.3
5
LA PAUVRETÉ .................................................................................................................................. 9
LA MONDIALISATION ......................................................................................................................... 9
L’ISOLEMENT SOCIAL ..................................................................................................................... 10
LES CONFLITS ARMÉS .................................................................................................................... 11
LES NOUVELLES TECHNOLOGIES..................................................................................................... 11
LES POLITIQUES D’IMMIGRATION RESTRICTIVES ............................................................................... 11
LES AUTRES FACTEURS DE RISQUE ................................................................................................. 11
LES CONSÉQUENCES DE LA TRAITE .....................................................................................................13
3.1
3.2
3.3
4
LA VUE D’ENSEMBLE ........................................................................................................................ 3
LES TRAFIQUANTS ........................................................................................................................... 5
LES MODES DE RECRUTEMENT DES TRAFIQUANTS ............................................................................. 6
LES MOTIFS D’EXPLOITATION ............................................................................................................ 7
LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX .............................................................................................. 17
LA DISTINCTION ENTRE TRAITE ET TRAFIC ........................................................................................ 20
LES INSTRUMENTS RÉGIONAUX ....................................................................................................... 21
LA RÉPONSE DU CANADA .........................................................................................................................23
5.1
5.2
5.3
EN MATIÈRE D’IMMIGRATION ........................................................................................................... 23
EN MATIÈRE CRIMINELLE ................................................................................................................ 24
LA LÉGISLATION QUÉBÉCOISE ......................................................................................................... 26
PARTIE II : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DES ENTREVUES EFFECTUÉES DANS LE CADRE
DE LA RECHERCHE-ACTION ..............................................................................................................................29
6
LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE ................................................................................................................31
6.1
6.2
6.3
6.4
6.5
LES OBJECTIFS DE L’ÉTUDE ............................................................................................................ 31
LA PROCÉDURE DÉONTOLOGIQUE ................................................................................................... 31
LA DESCRIPTION DE L’ÉCHANTILLON................................................................................................ 31
LE DÉROULEMENT DES ENTREVUES ................................................................................................ 34
LA MÉTHODE D’ANALYSE DES DONNÉES .......................................................................................... 34
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
7
LE CONTENU DES ENTREVUES MENÉES AUPRÈS DES ACTEURS CONCERNÉS ....................37
7.1
L’ÉTAT DES CONNAISSANCES DU PHÉNOMÈNE ................................................................................. 37
7.1.1 La conscience de son existence ............................................................................................. 37
7.1.2 La définition de la traite ........................................................................................................... 37
7.1.3 La nature et l’étendue du phénomène de la traite des personnes.......................................... 38
7.2
LES ENFANTS VICTIMES DE LA TRAITE ............................................................................................. 39
7.2.1 Le profil des victimes............................................................................................................... 39
7.2.2 Les modes de recrutement et les types d’exploitation ............................................................ 42
7.2.3 L’identification des victimes..................................................................................................... 44
7.2.4 Les besoins spécifiques des victimes mineures ..................................................................... 45
7.3
LES SERVICES EXISTANTS .............................................................................................................. 46
7.3.1 Les bonnes pratiques.............................................................................................................. 46
7.3.2 La collaboration avec les autres organismes.......................................................................... 48
7.4
LES BESOINS ET PISTES D’ACTION ................................................................................................... 48
7.4.1 La prévention........................................................................................................................... 48
7.4.2 La protection............................................................................................................................ 49
7.4.3 La poursuite............................................................................................................................. 51
PARTIE III : BILAN ET PERSPECTIVES D’AVENIR.........................................................................................53
8
BILAN ET PERSPECTIVES D’AVENIR ......................................................................................................55
CONCLUSION ..........................................................................................................................................................59
BIBLIOGRAPHIE .....................................................................................................................................................61
Liste des tableaux
Tableau 1 : Mandat organisationnel ou institutionnel ......................................................................... 32
Tableau 2 : Données sociodémographiques ....................................................................................... 33
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Introduction
Le Bureau international des droits des enfants est heureux de présenter les résultats de la première étape
du projet Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec.
Cette étude, qui s’inscrit dans le cadre d’une recherche-action, vise à améliorer l’efficacité des pratiques
d’intervention en apportant sa contribution au niveau du développement du savoir professionnel. Il s’agit
d’une démarche menée par une équipe multidisciplinaire qui intègre à la fois une stratégie de recherche et
une d’action.
Ce rapport de recherche est la première publication de notre stratégie globale, laquelle comporte trois
objectifs généraux : assurer une meilleure protection des droits des enfants victimes de la traite, prévenir la
traite d’enfants et contribuer à la réduction de la criminalité en favorisant une meilleure compréhension de
la problématique de la traite d’enfants.
Notre recherche a d’abord porté sur un bilan synthèse des connaissances concernant des enfants victimes
de la traite ainsi que sur les étapes de prévention, de protection, de réinsertion et de poursuite. Ensuite, les
acteurs concernés par la traite d’enfants au Québec se sont exprimés sur leurs pratiques et expériences
réalisées aux niveaux local, régional et provincial ainsi que sur leurs préoccupations et besoins relatifs à ce
sujet. Depuis janvier 2006, tous les efforts ont été mis pour bien cerner ces deux thématiques. Des
recommandations seront formulées au printemps 2007 de façon à anticiper la seconde étape qui
consistera à développer et mettre en œuvre un plan d’action en vue de répondre aux besoins identifiés au
cours de la première partie de notre recherche-action.
Cette étude sur la traite d’enfants au Québec constitue une première puisqu’aucune recherche équivalente
n’a jusqu’ici dressé un portrait de la situation au Québec et identifié les besoins des enfants victimes de la
traite. De plus, un comité multidisciplinaire d’experts a été constitué afin d’orienter l’équipe de recherche
dans ses interventions et d’évaluer périodiquement le travail réalisé. Les membres de ce comité constituent
un lien avec les milieux concernés par la traite d’enfants au Québec et procurent un soutien tangible en
s’assurant de la pertinence des informations recueillies et en orientant les étapes subséquentes du projet.
Dans le cadre de cette étude, l’équipe de recherche a adopté la définition stipulée dans le Protocole de
Palerme. Ainsi la traite des personnes désigne :
« le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la
menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par
enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par
l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une
personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au
minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle,
le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la
servitude ou le prélèvement d’organes. » 1
1
Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir
la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution
55/25, entrée en vigueur le 9 septembre 2003, alinéa a) de l’article 3 (communément appelé « Protocole de Palerme »).
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
De plus, tel que souligné dans la Convention relative aux droits de l’enfant 2 , le terme « enfant » signifie
toute personne âgée de moins de 18 ans. Dans certains cas, nous utilisons les termes : jeune, adolescent
ou mineur qui réfèrent toujours au même groupe d’âge, sans exception.
Tout au long du rapport, on distingue, lorsque possible, la traite interne de la traite externe. La première
réfère au phénomène des déplacements des enfants à l’intérieur du Québec ou encore vers des lieux
situés au Canada, alors que la seconde réfère au fait que, pour arriver au Québec, l’enfant ait dû franchir la
frontière canadienne.
Le présent rapport comporte trois parties : (1) la recension de la littérature portant sur la problématique de
la traite d’enfants dans le monde avec un accent mis sur la réalité québécoise et canadienne; (2) la
présentation des résultats obtenus suite aux entrevues réalisées auprès des acteurs concernés; et (3) la
discussion faisant état de l’analyse des résultats en lien avec la recension des écrits.
2
Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par la résolution 44/25 de l’Assemblée générale le 20 novembre 1989. Le
gouvernement du Canada a ratifié cette Convention le 12 décembre 1991, soit quinze mois après son entrée en vigueur, le 2 septembre
1990. À ce jour, seuls la Somalie et les États-Unis d’Amérique n’ont pas ratifié cette Convention.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
PARTIE I : RECENSION DES ÉCRITS
Cette première partie du rapport présente l’analyse de la documentation portant sur la
problématique de la traite d’enfants dans le monde et expose les réalités québécoise et
canadienne. Plus spécifiquement, cette partie dresse le portrait de la situation de la traite d’enfants
et aborde les facteurs de risque, les conséquences, la définition ainsi que la réponse de la
communauté internationale, celle du Canada et du Québec.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
1 La traite d’enfants : portrait de la situation
1.1 La vue d’ensemble
La traite d’enfants n’est pas un phénomène nouveau, mais ce problème a pris une ampleur inquiétante3 au cours
de la dernière décennie. Il existe, à l’heure actuelle, peu de données fiables sur le nombre exact d’enfants
victimes de la traite dans le monde, ni même sur la traite des personnes. Ceci s’explique principalement
par la nature clandestine de la traite, par la difficulté à identifier les enfants qui sont victimes ainsi que par
l’absence de volonté politique de certains gouvernements4 . Néanmoins, certaines approximations ont été
avancées. Ainsi, le Département d’État américain estime qu’il existe entre 600 000 et 800 000 victimes de la traite
par année5 alors que les Nations Unies évaluent à environ 4 millions, le nombre de personnes victimes par
année6 . De plus, l’UNICEF estime que de 1 à 1,2 million d’enfants sont victimes de la traite chaque année 7 .
En revanche, la majorité des auteurs sont d’avis que plus de la moitié des victimes de la traite le sont à des fins
d’exploitation sexuelle8 .
La vaste majorité des pays n’est pas épargnée par ce fléau et chacun constitue un État d’origine, de transit ou
encore de destination pour la traite; la plupart du temps il s’agit d’une combinaison des trois 9 . La traite des
personnes se fait généralement à partir des pays du Sud vers les pays du Nord, mais également entre les pays du
Sud10 ou encore, à l’intérieur même d’un pays. Les principaux pays d’origine se trouvent en Asie du Sud et du
Sud-Est. Depuis la chute de l’Union soviétique, les pays de l’ex-URSS, de l’Europe de l’Est et de l’Europe centrale
sont devenus le deuxième groupe en ordre d’importance des pays d’origine. Le troisième groupe en importance
est constitué des pays d’Amérique latine et des Caraïbes et le dernier groupe, des pays de l’Afrique11 .
Dans un récent rapport des Nations Unies intitulé Trafficking in Persons : Global Patterns 12 , le Canada y
est considéré comme un pays de destination. Il existe peu de recherches permettant de fournir des
données quantitatives sur les enfants victimes de la traite au Canada. En plus, la majorité de ces études ne
différencient pas les femmes des jeunes filles. La plupart des cas identifiés l’ont été en ColombieBritannique, en Ontario et au Québec.
En 2004, un rapport du gouvernement américain indique que le Canada est surtout un pays de destination
et de transit pour la traite sexuelle de femmes provenant de Chine, de Thaïlande, du Cambodge, des
Philippines, de l’Amérique latine et de l’Europe de l’Est. Dans une moindre mesure, des individus sont
3
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6
7
8
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12
Patricia BIBES, The Status of Human Trafficking in Latin America, p.1 Disponible sur le site:
http://www.american.edu/traccc/resources/publications/bibes01.doc.
Rapport de l’Office internationale des migrations (avril 2000), New IOM Figures on the Global Scale of Trafficking, «Trafficking in Migrants
Quarterlery Bulletin », no.23.
U.S. Department of State, Office to Monitor and Combat Trafficking in Persons, Trafficking in persons Report, juin 2004. Disponible sur le
site : http://www.state.gov/g/tip/rls/tiprpt/2004/34021.htm.
Richard POULIN, La mondialisation des industries du sexe. Prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, 2004, p.68.
Chris BEYRER, Global Child Trafficking, « The Lancent », vol. 364, décembre 2004.
Ibid, p.69; U.S Department of State, loc.cit. note 5.
Linda SMITH et Mohamed MATTAR, Creating International Consensus on Combating Trafficking in Persons: U.S. Policy, the Role of the
UN, and Global Responses and Challenges, «The Fletcher Forum of World Affairs », vol. 28, hiver 2004, p.158.
Janie CHUANG, Redirecting the Debate over Trafficking in Women : Definitions, Paradigms, and Contexts, « Harvard Human Rights
Journal », vol.11, 1998, p.68.
Richard POULIN, op.cit. note 6, p.76.
Rapport de l’ONUDC, avril 2006, Trafficking in Persons : Global Patterns.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
victimes de la traite au Canada pour le travail forcé alors que des citoyens canadiens sont soumis à la
traite à l’intérieur du pays pour le commerce du sexe 13 .
Dans une récente étude, on rapporte que la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) estime à 800 par
année le nombre de personnes soumises à la traite au Canada. La GRC évalue également que de 1 500 à
2 200 personnes passent en transit au Canada pour se rendre aux États-Unis 14 . Toujours selon cette
même étude, les personnes victimes de la traite au Canada sont d’origines diverses, mais la majorité
provient de l’Asie et de l’ex-URSS. Selon un rapport préliminaire sur la traite d’enfants au Canada publié en
2004, la provenance des victimes de la traite varie selon qu’il est question de l’Est ou de l’Ouest du
Canada. Ainsi, à Montréal et à Toronto, les victimes proviennent en majorité de l’Europe de l’Est, des
Caraïbes et de l’Afrique alors qu’à Vancouver, elles sont originaires principalement de l’Asie du Sud-Est et
de l’Amérique latine 15 .
En ce qui concerne plus particulièrement la traite d’enfants au Canada, la Coalition Against Trafficking in
Women affirme qu’une centaine d’enfants honduriens, en majorité des garçons, ont été amenés à
Vancouver afin d’être exploités comme revendeurs de drogue sur le marché local 16 . On rapporte
également le cas de jeunes filles venues du Honduras pour fins d’exploitation dans les réseaux de
prostitution à Vancouver 17 .
Les enfants victimes de la traite sont généralement déplacés vers d’autres grandes villes du Canada, telles
que Toronto et Vancouver, ou encore aux États-Unis, soit à New York, Seattle, Las Vegas ou Hawaii. L’âge
moyen des enfants recrutés dans les réseaux de prostitution juvénile est de 14 à 16 ans 18 , tandis que
d’autres affirment que la moyenne se situe plutôt à 13 ans 19 .
Selon une récente étude québécoise 20 , l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales
représente un phénomène caché qui se passe principalement dans des chambres d’hôtels ou des
appartements. La plupart des victimes ont moins de 14 ans et sont impliquées dans l’industrie de la
pornographie juvénile. Selon cette même étude 21 , il y a plus de filles que de garçons signalées comme
victimes. L’auteure note toutefois que peu d’informations spécifiques existent sur le phénomène de la
prostitution chez les garçons.
Depuis la désintégration du Bloc de l’Est, le Canada est devenu une destination recherchée par des filles
en provenance de la Hongrie, la Russie, la Roumanie, la Lituanie, la Moldavie, l’Ukraine, la Biélorussie, la
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21
U.S. State Department - Office to Monitor and Combat Trafficking in Persons, Country Narratives: Western Hemisphere, Trafficking in
Persons Report, 14 juin 2004. Disponible sur le site : http://www.state.gov/g/tip/rls/tiprpt/2004/.
J. OXMAN-MARTINEZ; M. LACROIX et J. HANLEY, Les victimes de la traite des personnes : points de vue du secteur communautaire
canadien, août 2005.
Bureau international des droits des enfants, La traite d’enfants au Canada : évaluation préliminaire, rapport réalisé pour le compte du
ministère de la Justice du Canada, mars 2004.
Factbook on Global Sexual Exploitation, Canada. Disponible sur le site : http://www.uri.edu/artsci/wms/hughes/canada.htm.
Ibid.
Renata AEBI, The Trafficking in Children for the Purpose of Prostitution: British Columbia, Canada, préparé pour le National Judicial
Institute, International Instruments and Domestic Law Conference, Montréal, 9 au 12 novembre 2001. Disponible sur le site :
http://www.harbour.sfu.ca/freda/articles/traf1.htm#N_19_.
Mark HECHT, From Stockholm to Yokohama: Commercial Sexual Exploitation of Children in Canada and Beyond, présenté au Forum
provincial de la Colombie-Britannique sur l’exploitation sexuelle des enfants et des jeunes. New Westminster, Colombie-Britannique,
Canada, 16 novembre 2001.
Michelle CÔTÉ, Portrait de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales - L’initiative du Service de Police de la Ville de
Montréal, rapport corporatif, mars 2004.
Ibid.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Pologne et de l’ancienne Tchécoslovaquie. Les images du Canada diffusées par les médias à l’étranger
laissent croire que la vie y est meilleure et que l’on peut y vivre librement et sans souci financier 22 . Cela
contribue à la vulnérabilité des jeunes femmes et des filles qui désirent immigrer au Canada 23 .
À l’heure actuelle, on dispose de peu d’information relative à la traite d’enfants au sein des communautés
autochtones du Canada. À titre informatif, les jeunes de ces communautés représentent
approximativement 8% des enfants canadiens 24 . Selon une étude réalisée en 2004, 30% à 40% des
victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales en Alberta et en Colombie-Britannique proviennent
des communautés autochtones 25 . Dans le cadre d’une étude portant sur le secteur communautaire
canadien 26 , des intervenants de Winnipeg mentionnent que la plupart des victimes de la traite rencontrées
sont des femmes autochtones. Les auteurs constatent que les victimes proviennent souvent des réserves
situées au nord de la Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec. Certains auteurs indiquent que la
majorité de ces jeunes sont des filles et que leur moyenne d’âge est de 15 ans; des victimes aussi jeunes
que 11 ans ont été signalées. 27
1.2 Les trafiquants
Différents types d’organisations criminelles très bien structurées seraient impliquées dans toutes les étapes
du processus 28 . Considérant qu’il existe peu de preuves tangibles à cet effet, Sanghera souligne que c’est
presqu’impossible de prétendre que le crime organisé est entièrement ou presqu’en totalité responsable de
la traite 29 . Cet auteur affirme également que des études préliminaires effectuées en Asie du Sud ont révélé
que les trafiquants sont d’abord des exploitants de courte durée, fonctionnant généralement sur une base
individuelle et dans le cadre de relations personnelles ou familiales 30 .
De plus, on rapporte que certains acteurs du secteur privé sont également impliqués dans la traite
d’enfants. Ceux-ci proviennent principalement des industries du transport, du tourisme et du
divertissement 31 . Certains chercheurs notent également que les gouvernements et leurs représentants
sont parfois complices des opérations menées par les trafiquants 32 , ce qui pourrait expliquer en partie le
22
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32
L. McDONALD, Les travailleuses migrantes du sexe originaires d’Europe de l’Est et de l’ancienne Union soviétique : le dossier canadien,
Ottawa, Condition féminine Canada, 2000.
Rapport de l’OIM, 2003, Monica ALEXANDRU et Sebastian LAZAROIU, Who Is the Next Victim? Vulnerability of Young Romanian
Women to Trafficking in Human Beings, Bucarest; INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS LAW INSTITUTE, In Modern Bondage: Sex
Trafficking in the Americas. Central America and the Carribean, Chicago, De Paul University College of Law, 2005.
Cindy BLACKSTOCK, First Nations Child and Family Services: Restoring Peace and Harmony in First Nations Communities, « Child
Welfare: Connecting Research, Policy and Practice », Kathleen Kufeldt et Brad McKenzie (Éds), Wilfrid Laurier University Press,
Waterloo, 2003.
Roz PROBER, Mark HECHT et Nancy EMBRY, L’exploitation sexuelle des enfants au Canada, Beyond Borders, 2004. Disponible sur le
site : http://www.beyondborders.org/Publications/Fact%20Sheet%20-%20CSEC%20in%20Canada3.pdf.
J. OXMAN-MARTINEZ; M. LACROIX et J. HANLEY, loc.cit. note 14.
Les auteurs RUTMAN, DURIE, LUNDQUIST et JACKSON sont cités dans Cindy BLACKSTOCK, loc. cit. note 24, pp. 186-187.
Maggy LEE, Human Trade and the Criminalization of Irregular Migration, International Journal of the Sociology of Law, col. 33, 2005.
Jyoti SANGHERA, Unpacking the Trafficking Discourse, « Trafficking and Prostitution Reconsidered: New Perspectives on Migration, Sex
Work, and Human Rights », Kamala Kempadoo et Jyoti Sanghera (Éds.), Bandana Pattanaik Paradigm Publishers: Boulder, CO, 2005,
p.15.
Ibid, p. 16.
INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS INSTITUTE, op. cit. note 23.
James O. FINCKENAUER et Jennifer SCHROCK, Human Trafficking: A Growing Criminal Market in the U.S, Trafficking in Women and
Children: Current Issues and Developments, Anna M. Troubnikoff. Nova Science Publishers Inc., New York, 2003, p. 34.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
manque de confiance des victimes à l’égard des autorités et leur réticence à dénoncer et à coopérer dans
des enquêtes 33 .
1.3 Les modes de recrutement des trafiquants
En ce qui a trait à la traite transfrontalière, certains suggèrent que, dans les pays en développement, les
trafiquants dupent leurs victimes en faisant miroiter des promesses attirantes comme des emplois bien
rémunérés ou des propositions de mariage. Dans plusieurs cas, il a été constaté que des membres de la
famille de la victime jouent un rôle important dans le recrutement en conspirant avec le trafiquant en
échange d’un paiement 34 . Le mensonge, la manipulation et le chantage sont fréquemment utilisés lors du
recrutement. L’enfant est considéré comme un objet ayant une valeur marchande. Les parents dont le rôle
est de protéger leurs enfants, se font à l’occasion leurrer par les promesses de trafiquants 35 .
Des trafiquants utilisent également des industries légales, par exemple des agences de voyage, de
mariage ou de mannequins, comme façades pour attirer des jeunes filles 36 . À titre d’exemple, le mariage
par correspondance crée des liens de dépendance susceptibles de conduire à l’exploitation de la personne
venue de l’étranger. En effet, l’isolement causé par l’absence d’un réseau social, la dépendance
économique, les contraintes culturelles et la peur d’être rapatriée sont des facteurs qui militent au maintien
d’une relation, même abusive. Dans les pires situations, ces femmes et jeunes filles peuvent devenir
victimes de la traite; on leur confisque leur passeport et on les force à se prostituer 37 .
Également, les aides familiales migrantes sont perçues comme des victimes potentielles de la traite.
L’obligation de résider chez leur employeur et les conditions entourant l’exercice de leur métier les rendent
vulnérables face à des employeurs. On rapporte également que des agences de placement et des
conseillers en immigration offrent un visa de travail temporaire, particulièrement aux Philippines, pour
recruter des personnes qui seront exploitées éventuellement au Canada 38 . Dans certains cas, les agences
peuvent décider de ne pas renouveler le visa temporaire, maintenant ainsi la travailleuse dans la
clandestinité. Des menaces de détention et de renvoi possibles peuvent être également proférées afin de
maintenir le contrôle sur la victime 39 . Lorsque l’immigration n’est pas encadrée et assortie de conditions
relatives au permis de travail, on assiste à la prolifération de réseaux d’immigration clandestins lucratifs qui
sont utilisés par les trafiquants 40 .
Concernant le recrutement au Québec, il est souvent l’acte d’un gang de rue et repose sur l’établissement
d’un rapport personnel et d’une dépendance de la victime à l’égard du trafiquant. Le recrutement se fait par
33
34
35
36
37
38
39
40
Donna M. HUGHES, The Role of ‘Marriage Agencies’ in the Sexual Exploitation and Trafficking of Women from the Former Soviet Union,
« Revue internationale de victimologie », 11, 2004, pp. 49-71.
ASIAN DEVELOPMENT BANK, Combating Trafficking of Women and Children in South Asia: Regional Synthesis Paper for Bangladesh,
India and Nepal, avril 2003; FAFO, Travel to Uncertainty: A Study on Child Relocation in Burkina Faso, Ghana and Mali, Kari Hauge
Riisoen, Anne Hatloy, Lise Bjerken. Fafo: Research Program on Trafficking and Child Labour, 2004.
Mike DOTTRIDGE, Kids as Commodities? Child Trafficking and What to do about it, Lausanne : Terre des Hommes, 2004; Elzbieta
GOZDZIAK, Micah N. BUMP, Julianne DUNCAN, Margaret MacDONNELL et Mindy B. LOISELLE, The trafficked child, « Revue Migration
forcée », 25 mai 2006, p. 14; Rapport de l’OIM, Monica ALEXANDRU et Sebastian LAZAROI, loc. cit., note 23.
Rapport de l’OIM, Ibid.
L. LANGEVIN et M. BELLEAU, Le trafic des femmes au Canada : analyse critique du cadre juridique de l’embauche d’aides familiales
immigrantes résidantes et de la pratique des promises par correspondance, Ottawa, Condition féminine Canada, 2000.
J. OXMAN-MARTINEZ, M. LACROIX et J. HANLEY, loc. cit. note 14.
Ibid.
Nancy CÉLESTIN, Trafic des aides familiales, Association des aides familiales du Québec, 2006.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
une fille ou un garçon qui tente de tisser des liens personnels avec la jeune fille, en l’approchant dans des
lieux publics, notamment à l’école, dans les stations de métro, dans les parcs ou dans les centres
commerciaux. En obtenant des renseignements utiles, le recruteur lui proposera par la suite une activité
qui semble répondre à ses besoins préalablement exprimés. Au cours des semaines qui suivent, le
recruteur va continuer à manipuler la jeune fille en l’isolant de son entourage, en devenant la personne de
confiance. La jeune fille croit souvent qu’elle vit une relation amoureuse avec le jeune homme qui l’a
recrutée. Dans une tentative de briser la victime et de la forcer à se prostituer, les trafiquants utilisent de la
violence physique, psychologique et sexuelle. Par la suite, les trafiquants conservent le contrôle sur leur
victime en la séquestrant, en lui fournissant de la drogue, en la menaçant psychologiquement ou en
utilisant des armes 41 .
Ceci dit, il peut arriver que ce soient les jeunes filles elles-mêmes qui approchent un membre du gang de rue.
Dans d’autres situations, des jeunes filles peuvent être impliquées dans le processus de recrutement dans le
but de cesser de se prostituer et d’occuper une position hiérarchique plus élevée au sein du gang 42 .
Au cours du processus de recrutement, on rapporte que plusieurs filles reçoivent des cadeaux et autres
biens matériels, lesquels engendrent une dette que la victime doit rembourser. Ce prétexte est d’ailleurs
souvent utilisé comme appât pour l’amener à se prostituer. Des conflits concernant l’obtention de gains
affectifs et matériels peuvent également s’installer entre les différents membres du gang 43 .
1.4 Les motifs d’exploitation
Bien que les enfants puissent être victimes de la traite pour plusieurs motifs, les deux types d’exploitation
les plus courantes sont l’exploitation sexuelle et le travail forcé. Même si tel n’est pas le motif pour lequel
l’enfant a été trafiqué, celui-ci est particulièrement vulnérable à l’exploitation sexuelle 44 .
Les enfants sont exploités de diverses façons selon leur âge, leur sexe et leur lieu de résidence.
L’exploitation sexuelle affecte principalement les adolescentes. En effet, les agences de mariage recrutent
exclusivement des adolescentes et des jeunes femmes. Par ailleurs, les garçons et les filles sont utilisés
pour effectuer des travaux forcés notamment dans les champs, usines ou résidences privées. Des enfants
âgés de moins de 14 ans sont contraints à accomplir des travaux dangereux et certains sont même enrôlés
en tant que soldats. Enfin, de jeunes enfants sont utilisés pour mendier alors que les plus vieux sont forcés
à participer à des cambriolages, des fraudes ou à d’autres types de vols 45 .
La littérature identifie une multitude de facteurs de risque qui rendent les enfants vulnérables à la traite. On
constate que les trafiquants prennent généralement avantage de situations où plusieurs facteurs sont réunis.
41
42
43
44
45
Michelle CÖTÉ, loc. cit. note 20, p. 26.
Ibid, p. 19.
Ibid, p. 18; NATIVE URBAN YOUTH ASSOCIATION Full Circle, Vancouver, 2002.
Jyoti SANGHERA, loc. cit. note 29, p.7.
Mike DOTTRIDGE, loc. cit. note 35.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
2 Les facteurs de risque
Les filles sont beaucoup plus vulnérables que les garçons face à la traite d’enfants. Ceci s’explique par le
fait que, dans plusieurs pays, les filles sont moins valorisées que les garçons et sont perçues comme des
objets sexuels ou encore contraintes aux travaux domestiques. De plus, dans ces pays, les filles ont moins
d’opportunités de poursuivre leur scolarité puisqu’elles ne devraient quitter le domicile de leurs parents
qu’une fois mariées 46 .
2.1 La pauvreté
La pauvreté, souvent liée à l’inégalité économique mondiale, est citée dans la presque totalité des
ouvrages comme étant le principal facteur de vulnérabilité à la traite des personnes. La pauvreté et
l’absence de perspective encourageante affectent plus particulièrement les femmes, ce qui les pousse à
migrer 47 . Dans certains cas, la pauvreté des trafiquants est aussi un facteur à considérer. N’ayant pas ou
peu d’options, certains individus peuvent être tentés de participer à ce marché lucratif. De plus, la pauvreté
incite également les parents à chercher de meilleures conditions de vie pour leurs enfants, les
conditionnant ainsi à la manipulation, la tromperie et l’exploitation 48 .
La pauvreté et l’analphabétisme touchent plus particulièrement les filles; ce qui les rend plus vulnérables à
la traite. Dans ce contexte, les jeunes filles sont souvent perçues comme un fardeau économique par leur
famille. Dans certains pays, des parents démunis acceptent de vendre leurs filles à des trafiquants pour
une modique somme d’argent 49 . Par ailleurs, une étude portant sur la traite des garçons au Népal et en
Inde souligne que l’analphabétisme représente une caractéristique omniprésente chez les victimes de la
traite 50 .
2.2 La mondialisation
On fait grand cas des impacts de la mondialisation sur les populations. Ces impacts incluent, notamment,
la disparition d’emplois traditionnels et, par conséquent, des sources de revenu familial. Les enfants vivant
dans la pauvreté représentent alors une cible de choix pour ceux qui recherchent une main d’œuvre docile
et à bon marché 51 . La mondialisation représente un facteur important dans le cadre de la traite des
46
47
48
49
50
51
Ibid, p. 38; INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS INSTITUTE, op. cit. note 23.
J. OXMAN-MARTINEZ, M. LACROIX et J. HANLEY, loc. cit. note 14; U.S. State Department et Global SchoolNet, Poverty – The
Motivating Factor behind Child Trafficking, « Doors to diplomacy 2006 ». Disponible sur le site:
http://www.fightpoverty.mmbrico.com/consequences/trafficking.html. Kelly E. HYLAND, Protecting Human Victims of Trafficking: An
American Framework, 16 Berkley Women’s L. J., 2001 pp. 29-35.
Mike DOTTRIDGE, Trafficking in Children in West and Central Africa, « Gender, Trafficking, and Slavery», Rachel Masika (Éd.), OXFAM,
Oxford, Grande-Bretagne, 2002, p. 38.
Francis T. MIO, Trafficking in Women and Children: The U.S. and International Response, «Trafficking in Women and Children: Current
Issues and Developments », Anna M. Troubnikoff (Éd.), Nova Science Publishers Inc., New York, 2003.
Programme international de l’OIT sur l’élimination du travail des enfants, Cross Border Trafficking of Boys, Centre de réhabilitation des
femmes Gaushala, Katmandu, 2002.
Chris BEYRER, loc. cit. note 7; Rapport de l’OIM, Monica ALEXANDRU et Sebastian LAZAROIU, loc. cit. note 23.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
personnes, dans la mesure où elle favorise la mobilité des personnes, la pauvreté, le chômage, le statut
précaire des jeunes, l’analphabétisme et l’expansion du crime organisé international 52 .
D’autres prétendent que la mondialisation, de concert avec la commercialisation du sexe et la législation
sur la prostitution, contribuent à la traite d’enfants. On rapporte, par exemple, que les travailleurs
saisonniers et les camionneurs sur les routes du Canada et des États-Unis sont, en partie, responsables
de l’augmentation de la demande 53 .
Dans une réponse adressée aux Nations Unies concernant la traite des personnes, des représentants du
Costa Rica ont rapporté que la mondialisation a joué un rôle important dans la prolifération de la traite
transfrontalière de personnes. La mondialisation encouragerait la traite des personnes et le trafic des
armes et de la drogue, favorisant le crime international 54 .
2.3 L’isolement social
L’isolement social représente un autre facteur qui facilite le recrutement des victimes de la traite. Il est en
effet plus facile pour les trafiquants de recruter des jeunes qui vivent des difficultés familiales, qui ont des
antécédents d’agressions sexuelles ou qui présentent des troubles de santé mentale. Il en va de même
des jeunes filles, des enfants ayant une faible scolarité ou aux prises avec des problèmes de
consommation de drogues et d’alcool 55 .
Les jeunes filles ayant subi des agressions physiques, psychologiques ou sexuelles sont plus à risque
d’être victimisées de nouveau en tombant sous l’emprise des trafiquants. Celles-ci peuvent, en effet,
percevoir dans les offres de ces derniers un moyen de quitter leur milieu hostile. Le manque de
communication et de liens affectifs avec les membres de la famille crée une situation où les enfants se
sentent isolés et donc vulnérables, puisqu’ils sont à la recherche d’affection 56 .
Plusieurs enfants victimes de la traite proviennent de familles dysfonctionnelles caractérisées par un climat
de violence et un manque de supervision, donc incapables de protéger adéquatement leurs enfants 57 . La
présence de carences affectives sévères, d’un milieu familial conflictuel, d’abus de drogues, de violence et
d’agressions sexuelles sont autant de facteurs qui contribuent à rendre un enfant plus à risque de devenir
victime de la traite 58 . Il en va de même des jeunes en fugue ou qui ont une faible estime de soi. Selon une
étude du National Incidence Studies of Missing, Abducted, Runaway and Throwaway Children in the United
States, on estime à 1,6 million le nombre d’enfants se retrouvant dans la rue aux États-Unis en 2002. De
ce nombre, environ 40 000 étaient recrutés par des trafiquants dans le but de les exploiter sexuellement 59 .
52
53
54
55
56
57
58
59
Rapport d’UNICEF 2003 et études préparatoires au Congrès ESEC de Stockholm et de Yokohama, cités dans Michelle CÔTÉ, loc. cit.
note 20, p. 43.
INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS INSTITUTE, op. cit. note 23.
Ibid.
Programme international de l’OIT sur l’élimination du travail des enfants, loc. cit. note 50.
Rapport d’OIM 2003, Monica ALEXANDRU et Sebastian LAZAROIU, loc. cit. note 23.
INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS INSTITUTE, op. cit. note 23.
IVES, 2001 et CAPLAN cités dans Michelle CÖTÉ, loc. cit. note 20, pp. 41-42.
Chris SWECKER, Protecting the Trafficker’s Despair, Vital Speeches of the Despair, Vol. 71(19), 2005.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
2.4 Les conflits armés
En situation de conflits armés, la vulnérabilité des enfants est encore plus grande. Ils sont recrutés pour
devenir des enfants soldats ou sont agressés sexuellement. Beyrer note que dans les zones de conflits,
notamment en Birmanie, Ouganda, Libéria, Sierra Léone et Côte d’Ivoire, les enfants sont particulièrement
vulnérables au recrutement par des groupes paramilitaires qui opèrent largement comme des organisations
indépendantes de l’État 60 . Des soldats de troupes internationales et des expatriés jouent un rôle significatif
en devenant des clients 61 .
La présence de conflits armés rend souvent les structures gouvernementales inefficaces ou inopérantes.
De plus, le niveau de pauvreté est généralement accentué par la mort d’un parent ou d’un tuteur, ce qui
rend les enfants plus vulnérables à la traite. En Irak, par exemple, le plus récent conflit a entraîné une
résurgence de la traite d’enfants. L’absence d’un gouvernement stable a favorisé la multiplication des
trafiquants et paralysé les fonctionnaires et autres intervenants chargés de venir en aide aux enfants 62 .
2.5 Les nouvelles technologies
L’avancée des nouvelles technologies contribue elle aussi à l’expansion du phénomène de la traite 63 .
Plusieurs utilisent des réseaux informels pour se trouver des emplois. Les jeunes consultent de plus en
plus les offres affichées sur l’Internet plutôt que de passer par des agences. Enfin, tant les parents que les
enfants éprouvent un faux sentiment de sécurité ou de confiance à l’égard d’offres provenant d’une
connaissance ou qui sont affichées sur l’Internet 64 .
2.6 Les politiques d’immigration restrictives
Face à la migration croissante et aux menaces terroristes, la plupart des gouvernements ont restreint leurs
politiques d’immigration. Or, les contrôles migratoires plus strictes ont pour effet de rendre plus difficile pour
des enfants de demander l’asile, favorisant du même coup le travail des trafiquants qui promettent d’entrer
facilement dans un autre pays 65 .
2.7 Les autres facteurs de risque
Parmi les autres facteurs de risque mentionnés dans la littérature, on note notamment l’érotisation des
enfants dans les médias, l’inadéquation des législations et le manque d’implication des services de
police 66 . Par ailleurs, la situation géographique qu’occupe un pays peut expliquer en partie le nombre élevé
60
61
62
63
64
65
66
Chris BEYRER, loc. cit. note 7.
Rapport de l’OIM 2001, Victimes de traite dans les Balkans : une étude de traite des femmes et d’enfants pour l’exploitation sexuelle de la
région des Balkans, République slovaque.
Brian BENNETT, Epidemic of kidnappings in Iraq, « Time Magazine », 2006.
INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS INSTITUTE, op. cit. note 23.
Rapport de l’OIM 2001, loc. cit. note 61.
Suzanne WILLIAMS et Rachel MASIKA, Editorial Gender, Trafficking and Slavery, Rachel Masika (Éd.), Oxfam, Oxford, GrandeBretagne, 2002.
Rapport de l’UNICEF de 2003 et études préparatoires au Congrès ESEC de Stockholm et de Yokohama cités dans Michelle CÔTÉ, loc.
cit. note 20.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
d’enfants victimes de la traite. À titre d’exemple, la situation géographique des Balkans favorise les
transactions entre les trafiquants et leurs clients 67 . En Afrique, la pandémie du sida a produit plus de 14
millions d’orphelins. Plusieurs enfants se retrouvent sans tuteur adéquat ou encore doivent s’occuper de
jeunes orphelins, ce qui les rend plus vulnérables. 68 De surcroît, les enfants qui n’obtiennent pas de
papiers d’identité à la naissance n’ont pas accès à des services de base au cours de leur vie. La
discrimination les maintient en marge de la société, ce qui augmente leur vulnérabilité au recrutement des
trafiquants 69 .
Enfin, la situation actuelle des enfants autochtones est intimement liée aux expériences et traumatismes
vécus par les générations précédentes 70 . À cet effet, le rapport de Save the Children Canada souligne que
la stigmatisation liée à l’identité culturelle autochtone a engendré chez les jeunes des perturbations dans
leur relation avec la terre, leur langue et leurs traditions, ce qui constitue une perte collective de leur
estime. Une meilleure compréhension de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales impliquant des
enfants autochtones doit référer au contexte historique qui continue à affecter leur environnement
d’aujourd’hui 71 .
Ce même rapport identifie les facteurs de risque suivants qui doivent être pris en compte pour prévenir
l’exploitation sexuelle à des fins commerciales chez les jeunes autochtones : une faible estime de soi; des
antécédents d’agression physique, sexuelle et psychologique; des antécédents de fugues de la maison ou
d’un centre d’accueil afin de trouver un refuge sécuritaire; peu d’opportunités d’emploi; avoir été sans-abri
temporairement ou l’être de manière permanente; une culture et une famille fragmentées par la
colonisation; un manque de modèles et d’attention de la part des aînés pouvant les guider lors de moments
difficiles; une représentation disproportionnée dans le système judiciaire; et finalement, les médias qui
dépeignent les jeunes autochtones comme étant un groupe aigri et problématique ou encore comme des
victimes sans défense, objets de pitié nécessitant une attention gouvernementale spéciale en raison des
risques de suicide 72 .
67
68
69
70
71
72
Rapport de l’OIM 2001, loc. cit. note 61.
Kempe Ronald HOPE, Child Survival, Poverty, and Labor, « Africa, Journal of Children and Poverty », Vol. 11 (1), 2005; Chris BEYRER,
loc. cit. note 7.
Chris BEYRER, ibid.
Cindy BLACKSTOCK, Sarah CLARKE, James CULLEN, Jeffrey D’HONDT et Jocelyn FORMSMA, Keeping the Promise : The
Convention on the Rights of the Child and the Lived Experience of First Nations Children and Youth, First Nations Child and Family
Caring Society, Ottawa, 2004, p. 17.
Cherry KINGSLEY et Melanie MARK, Sacred Lives: Canadian Aboriginal Children and Youth Speak out about Sexual Exploitation, Save
the Children Canada, Ottawa, 2000.
Ibid.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
3 Les conséquences de la traite
Les enfants victimes de la traite subissent une multitude de conséquences. La littérature en a énuméré
quelques-unes qui illustrent les difficultés auxquelles les victimes sont confrontées.
3.1 Difficultés psychosociales
L’enfant victime de la traite est confronté à plusieurs phénomènes psychosociaux. Privé de sa famille et de
son système de soutien, il vit un sentiment de perte et des difficultés d’adaptation à sa nouvelle société. En
outre, la situation particulière vécue par les jeunes victimes de la traite pour fin d’exploitation sexuelle
contribue au contexte traumatique vécu par ces enfants et peut engendrer des troubles de santé
mentale 73 . Ces enfants souffrent de dépression, d’anxiété, de pensées suicidaires et présentent une faible
estime de soi 74 . Le trouble de stress post-traumatique ainsi que des problèmes alimentaires et de sommeil
sont des manifestations fréquentes chez les victimes 75 . Plusieurs victimes ayant déjà subi des agressions
sexuelles, la détresse psychologique s’en trouve amplifiée 76 .
Par ailleurs, dans le but de conserver leur emprise sur une victime, les trafiquants exercent des contraintes
psychologiques, telles que des menaces à l’égard des membres de sa famille 77 ou encore des menaces de
dénoncer la victime comme étant active dans l’industrie du sexe, ce qui pourrait être honteux 78 . Ce
sentiment de honte, jumelé à un sentiment de culpabilité, a pour conséquence que l’enfant victime n’ose
pas demander de l’aide. En fait, il ne se perçoit pas nécessairement en tant que victime. Vivant dans la
crainte des autorités et dans certains cas, ne parlant pas la langue du pays, il se retrouve donc isolé. Par
conséquent, il ignore ses droits et ne connaît pas les services disponibles.
Certaines victimes n’osent pas dénoncer leur situation, par crainte de représailles d’être marginalisées
dans leur famille et leur communauté 79 . Pour les victimes qui réussissent à sortir de l’emprise des
trafiquants, des conséquences psychologiques persistent. Souvent, elles devront faire face au processus
judiciaire, aux mesures de protection parfois même sous la contrainte, à la peur des représailles et aux
menaces de la part des trafiquants. Aussi, elles vivent un sentiment intense de solitude causé par la perte
des liens sociaux 80 .
73
74
75
76
77
78
79
80
M.J. FRIEDMAN, A.J. MARSELLA, E.T. GERITTY et R.M. SCURFIELD, Ethno Cultural Aspects of Posttraumatic Stress Disorders:
Issues, Research, and Clinical Applications, American Psychological Association, Washington DC, pp. 11-32.
Rapport de l’OMS du 6 septembre 2006, Child Sexual Abuse and Violence. Disponible sur le site :
http:www.searo.who.int/LinkFiles/Disability,_Injury_Prevention_&_Rehabilitation_child.pdf.
Rapport du Ministère de l’Industrie, Emploi et Communications, Prostitution and Trafficking in Human Beings, Division pour l’égalité du
genre, Stockholm, 18 avril 2005. Disponible sur le site : http://www.sweden.gov.se/sb/d/574/a/42896;jsessionid=apOpbjgOnP_4. Maja
MUFTĺC, Human Trafficking: Victims of Modern Slavery and the Psychological and Social Suffering, Montréal, 2006.
INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS LAW INSTITUTE, op. cit. note 23.
J. OXMAN-MARTINEZ, M. LACROIX et J. HANLEY, loc. cit. note 14.
Maja MUFTĺC, loc. cit. note 75.
Salvation Army USA. Disponible sur le site :http://www.salvationarmyusa.org/usn%5Cwww_usn.nsf/vwsublinks/323F7FB8E28FE18B85256F6600598FB3? openDocument#Intro.
Michelle CÔTÉ, loc. cit. note 20, p. 40.
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3.2 Problèmes de santé physique
Outre le traumatisme provoqué par le contexte d’exploitation, la jeune victime se voit souvent confrontée à
des lésions physiques telles des ecchymoses, brûlures, lacérations et fractures, la contagion par le VIH et
autres infections transmises sexuellement 81 . Les jeunes filles peuvent également vivre des grossesses
précoces 82 . La violence peut mener à l’infertilité ainsi qu’au recours à des avortements dangereux ou à des
infanticides. De plus, certains enfants subissent des dommages permanents, soit à leur ossature ou encore
à leurs parties génitales 83 . L’enfant victime d’exploitation sexuelle est plus vulnérable aux infections graves
en raison de ses tissus corporels plus facilement endommagés et du fait qu’il ne peut pas souvent négocier
des relations sexuelles protégées. La jeune fille peut aussi souffrir de complications gynécologiques,
notamment des saignements vaginaux, des douleurs pelviennes chroniques et des infections urinaires
étendues 84 . Par ailleurs, les jeunes victimes d’exploitation sexuelle peuvent également avoir des
problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie; souvent initiés par leurs trafiquants 85 . On a également constaté
que la majorité des jeunes autochtones qui sont impliqués dans l’industrie du sexe sont aux prises avec un
problème de poly toxicomanie 86 . Ils n’utilisent pas de condoms car leurs clients exigent des relations
sexuelles non protégées, ce qui contribue à un haut taux de contamination par le VIH/Sida et par des
infections transmises sexuellement 87 .
3.3 D’autres conséquences
Les conséquences sont également de nature économique, politique et juridique. La traite d’enfants piège
souvent la victime dans une relation de servitude pour dette. Si on l’a amené de l’étranger, l’enfant doit
rembourser de 5 000$ à 10 000$ américains, en plus du coût du billet d’avion et des frais administratifs
encourus lors des démarches d’immigration. Tant que cette dette n’a pas été remboursée, ce qui peut
exiger plus de vingt ans, la victime se verra imposer des conditions intolérables : longues heures de travail,
coupure de salaire, manque de sécurité et d’accès à des services de santé, etc. 88 .
81
82
83
84
85
86
87
88
B. SINCLAIR, Aboriginal Street Youth and Sex Trade Workers, Study for the Joint National Committee on Aboriginal AIDS Education and
Prevention, Edmonton, Alberta Indian Health Care Commission, 1993.
Rapport de l’OIM 2004, G. SCHININA, Psychological Support to Groups of Human Trafficking in Transit Situation, Genève.
Rapport du Ministère de l’industrie, Emploi et Communications, loc. cit. note 75.
Rapport de l’OMS, loc. cit. note 74.
Roz PROBER, Mark HECHT et Nancy EMBRY, loc. cit. note 25.
Cherry KINGSLEY et Melanie MARK, loc. cit. note 71.
B. SINCLAIR, loc. cit. note 81.
J. OXMAN-MARTINEZ, M. LACROIX et J. HANLEY, loc. cit. note 14.
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L’étude de Oxman-Martinez, Lacroix et Hanley rapporte qu’à Vancouver et à Toronto les victimes de la
traite sont généralement détenues après avoir été repérées par des agents de police ou d’immigration.
Dans plusieurs cas, les victimes ont été rapatriées contre leur gré dans leur pays d’origine 89 . En ce qui
concerne les victimes de la traite interne, les autorités peuvent difficilement les contraindre à retourner
chez elles. Puisqu’il s’agit d’une personne mineure, les autorités sont tenues de ramener l’enfant chez ses
parents ou de désigner une personne qui exercera l’autorité parentale dans les cas où le milieu familial est
jugé inadéquat 90 .
89
90
Ibid.
Ibid.
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4 La réponse de la communauté internationale
Face à cette problématique, les États ont réagi de multiples façons à travers les années en adoptant
diverses politiques et mesures visant à lutter contre la traite d’enfants.
4.1 Les instruments internationaux
La première convention internationale sur le phénomène de la traite de personnes remonte à 1926 et fut
adoptée sous l’égide de la défunte Société des Nations. Intitulée Convention relative à l’esclavage, elle
avait pour but d’inciter les États parties à prévenir et abolir l’esclavage 91 . Bien qu’il ne soit pas partie à la
Convention relative à l’esclavage, le Canada a par contre ratifié la Convention supplémentaire relative à
l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et des pratiques analogues 92 de 1956.
Cette dernière invite les États parties à intensifier leurs efforts en vue d’abolir complètement l’esclavage, y
compris en prenant des mesures pour obtenir l’abandon de « toute institution ou pratique en vertu de
laquelle un enfant ou un adolescent de moins de dix-huit ans est remis, soit par ses parents ou par l'un
d'eux, soit par son tuteur, à un tiers, contre paiement ou non, en vue de l'exploitation de la personne, ou du
travail dudit enfant ou adolescent » 93 . Cette convention incite également les États parties à interdire la
traite d’esclaves transfrontalière 94 .
Tant la Déclaration universelle des droits de l’Homme 95 de 1948 que le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques 96 de 1966 condamnent la traite d’esclaves sous toutes ses formes, alors que le Pacte
international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels 97 rappelle que les enfants et adolescents
doivent être protégés contre l’exploitation économique et sociale.
En ratifiant la Convention relative aux droits de l’enfant, 98 le Canada s’est engagé à protéger l’enfant 99
contre toute forme d’exploitation, y compris l’exploitation économique 100 et toutes les formes d'exploitation
sexuelle et de violence sexuelle 101 . De plus, il s’est engagé à prendre « toutes les mesures appropriées sur
91
92
93
94
95
96
97
98
99
100
101
Convention relative à l’esclavage, Société des Nations, 60 L.N.T.S. 253, signée le 26 septembre 1926 et entrée en vigueur le 9 mars
1927. L’article premier définit l’esclavage comme suit : « tout acte de capture, d'acquisition ou de cession d'un individu en vue de le
réduire en esclavage; tout acte d'acquisition d'un esclave en vue de le vendre ou de l'échanger; tout acte de cession par vente ou
échange d'un esclave acquis en vue d'être vendu ou échangé, ainsi que, en général, tout acte de commerce ou de transport d'esclaves ».
Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et des pratiques analogues,
signée le 7 septembre 1956 et entrée en vigueur le 30 avril 1957.
Ibid, alinéa d) de l’article 1.
Ibid, article 3.
Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée par la résolution 217(A) (III) de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 10
décembre 1948, article 4.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par la résolution 2200 A (XXI) de l’Assemblée générale des Nations Unies
le 16 décembre 1966 et entrée en vigueur le 23 mars 1976, paragraphe 1 de l’article 8.
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par la résolution 2200 A (XXI) de l’Assemblée générale
des Nations Unies le 16 décembre 1966, 21 U.N.GAOR Supp. (No 16) à 49, UN Doc. A/6316, 993 U.N.T.S., 3 et entrée en vigueur le 3
janvier 1976, paragraphe 3 de l’article 10.
Convention relative aux droits de l’enfant, loc. cit. note 2.
En fait, il est d’abord important de statuer sur ce qu’est un « enfant » car la définition peut varier selon les cultures. Selon l’article 1 de la
Convention relative aux droits de l’enfant, « un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est
atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». En ce qui concerne la traite de personnes, l’article 3 du Protocole de
Palerme stipule que « le terme ‘enfant’ désigne toute personne âgée de moins de 18 ans ».
Ibid, article 32.
Ibid, article 34.
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17
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants à
quelques fins que ce soit et sous quelque forme que ce soit » 102 .
Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la
prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants 103 , également ratifié par le
Canada 104 , définit la vente d’enfants comme étant : « tout acte ou toute transaction en vertu desquels un
enfant est remis par toute personne ou de tout groupe de personnes à une autre personne ou un autre
groupe contre rémunération ou tout autre avantage » 105 . Plus important encore, en vertu de l’article 3 du
protocole :
« Chaque État partie veille à ce que, au minimum, les actes et activités suivants soient pleinement
couverts par son droit pénal, que ces infractions soient commises au plan interne ou transnational,
par un individu ou de façon organisée :
a) Dans le cadre de la vente d'enfants telle que définie à l'article 2 :
i) Le fait d'offrir, de remettre, ou d'accepter un enfant, quel que soit le moyen utilisé, aux
fins :
a. d'exploitation sexuelle de l'enfant;
b. de transfert d'organe de l'enfant à titre onéreux;
c. de soumettre l'enfant au travail forcé; …
b) Le fait d'offrir, d'obtenir, de procurer ou de fournir un enfant à des fins de prostitution, telle
que définie à l'article 2 … »
De plus, en adhérant à ce protocole, les États s’engagent à collaborer en matière d’extradition 106 ,
d’entraide juridique mutuelle 107 et d’assistance pour les victimes 108 .
Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes en particulier des femmes et des enfants 109 ,
communément appelé « Protocole de Palerme », est le plus récent instrument international dans le
domaine. Ce dernier, auquel le Canada est partie 110 , définit la traite des personnes comme :
« le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la
menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par
enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par
l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une
personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au
minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle,
102
103
104
105
106
107
108
109
110
Ibid, article 35.
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la
pornographie mettant en scène des enfants, A/RES/54/263, adopté le 25 mai 2000 et entré en vigueur le 18 janvier 2002.
Le Canada a ratifié ce protocole facultatif le 14 septembre 2005.
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la
pornographie mettant en scène des enfants, supra note 109, alinéa a) de l’article 2.
Ibid., articles 5 et 6.
Ibid., article 6.
Ibid, articles 8 et 9.
Protocole de Palerme, loc. cit. note 1.
Le Canada a ratifié le Protocole de Palerme le 13 mai 2002.
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18
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la
servitude ou le prélèvement d’organes. » 111
Les États parties s’engagent d’ailleurs à criminaliser ces actes lorsqu’ils sont de nature transnationale et
qu’un groupe criminel organisé y est impliqué 112 .
De toute évidence, lorsqu’on a recours à l’un des moyens de contrainte mentionnés précédemment (force,
menaces, tromperie, etc.), le consentement de la victime ne peut pas être invoqué 113 . Qui plus est, dans le
cas des victimes âgées de moins de dix-huit ans, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’une contrainte ait
été exercée pour être en présence d’un cas de traite 114 .
Toujours en vertu du Protocole de Palerme, les États parties s’engagent à fournir assistance et protection
aux victimes, à mettre en œuvre des mesures visant leur rétablissement physique, psychologique et
social 115 et à envisager l’adoption de mesures permettant aux victimes de demeurer sur leur territoire de
façon temporaire ou permanente 116 . Les États sont aussi invités à coopérer entre eux et avec la société
civile afin de prévenir la traite de personnes, traduire les trafiquants en justice et faire respecter les droits
des victimes. 117
Pour définir la traite de personnes, certains universitaires réfèrent plutôt à des situations où un migrant
clandestin ou une victime de travail forcé est enlevé sous la coercition en échange d’un gain financier
important 118 . D’autres auteurs 119 affirment que le transport et la réinstallation sont des conditions
essentielles pour établir qu’il y a traite de personnes; celle-ci n’impliquerait pas nécessairement un gain
financier selon eux.
Par ailleurs, les Nations Unies et la majorité des gouvernements considèrent la traite de personnes comme
un acte criminel. Cette conception a toutefois été critiquée dans la littérature. À cet effet, Kempadoo
considère que le fait de criminaliser la traite mène les gouvernements à mettre en œuvre des politiques
d’immigration plus strictes qui font obstacle à des trajets migratoires, ignorant ainsi une des causes sousjacentes de la traite 120 . « Le fait que la traite a lieu souvent lors du processus migratoire, devrait nous
inciter à examiner les causes pour lesquelles les personnes décident de quitter et pourquoi elles
deviennent vulnérables à la traite. » 121
Aussi, plusieurs ont examiné l’étroite connexion entre l’esclavage et la traite. En fait, O’Connell Davidson et
le Département américain de la Justice définissent la traite comme étant une forme moderne
111
112
113
114
115
116
117
118
119
120
121
Ibid, alinéa a) de l’article 3.
Ibid, article 4.
Ibid, alinéa b) de l’article 1.
Ibid, alinéas c) et d) de l’article 1; Jyoti SANGHERA, loc. cit. note 29, p.19; Kamala KEMPADOO, Introduction: From Moral Panic to
Global Justice. Changing Perspective on Trafficking, «Trafficking and Prostitution Reconsidered : New Perspectives on Migration », Sex
Work, and Human Rights, Kamala Kempadoo, Jyoti Sanghera et Bandana Pattanaik (Éds.), Paradigm Publishers : Boulder, CO, 2005.
Protocole de Palerme, supra note 113, paragraphe 3 de l’article 6.
Ibid, paragraphe 1 de l’article 7.
Ibid, paragraphe 3 de l’article 6, paragraphe 3 de l’article 9 et paragraphe 2 de l’article 10.
Maggy LEE, loc. cit. note 28.
Mikhail KLEIMENOV et Stanislav SHAMKOV, Criminal Transportation of Persons: Trends and Recommendations, « Human Traffic and
Transnational Crime: Eurasian and America Perspective», Sally Stoecker et Louise Shelley Rowman (Éds), Littlefield Publishers Inc.,
Lanham, MD, 2005, p. 30.
Kamala KEMPADOO, loc. cit. note 116.
ASIAN DEVELOPMENT BANK, loc. cit. note 34.
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19
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
d’esclavage 122 . Manzo précise, pour sa part, que la traite et l’esclavage sont des notions distinctes,
quoique reliées 123 . L’esclavage est une forme d’exploitation, alors que la traite est un moyen visant à
atteindre l’exploitation.
Enfin, la majorité des définitions retrouvées dans la littérature et dans les politiques gouvernementales
partagent trois éléments communs, soit le mouvement d’une personne, l’utilisation de la tromperie ou de
la coercition et la présence d’une situation d’exploitation 124 . Toute personne qui participerait à l’une ou
l’autre de ces étapes commettrait une infraction relative à la traite de personnes 125 .
4.2 La distinction entre traite et trafic
Les phénomènes de la traite et du trafic humain partagent des traits communs, tels que le déplacement
des individus et la vulnérabilité des personnes touchées.
L’expression «trafic illicite de migrants» est utilisée dans le contexte du Protocole contre le trafic illicite de
migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée 126 . Elle désigne alors «le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou
indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie
d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État» 127 .
Cependant, la littérature est claire à l’effet qu’il s’agit de deux phénomènes distincts. Selon Finckenauer et
Schrock, la traite diffère du trafic en ce qu’elle implique un élément additionnel de coercition et
d’exploitation et implique des profits à long terme et non à court terme comme c’est le cas pour le trafic 128 .
À ce sujet, le rapport de 2006 de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime 129 souligne trois
distinctions importantes : (1) les migrants qui sont victimes de trafic, malgré le fait que leur trajet se passe
dans des conditions dangereuses et dégradantes, ont eu l’opportunité de consentir. Les victimes de la
traite pour leur part, n’ont jamais pu consentir à leur situation ou encore leur consentement n’est plus
valable compte tenu de la manipulation, la tromperie ou la coercition exercée par les trafiquants. (2) Le
trafic se termine avec l’arrivée des migrants à leur destination, alors que la traite des personnes implique
une exploitation continue des victimes, visant à générer de façon illicite un gain pour les trafiquants. D’un
point de vue concret, les victimes de la traite sont généralement plus sévèrement affectées; elles sont
traumatisées par leurs expériences et elles ont un plus grand besoin de protection contre la re
victimisation. (3) Le trafic est toujours transfrontalier, alors que la traite peut avoir lieu peu importe si les
victimes sont emmenées à l’étranger ou déplacées d’un endroit à l’autre au sein d’un même pays.
122
123
124
125
126
127
128
129
Julia O’CONNELL DAVIDSON, Children in the Global Sex Trade, Polity Press Ltd., Cambridge, Royaume-Uni, 2005; Francis T. MIKO,
loc. cit. note 49, p. 39.
Kate MANZO, loc. cit. note 93, p. 393.
Jyoti SANGHERA, loc. cit. note 29, p.11; Maggy LEE, loc. cit. note 28.
International Scientific and Professional Advisory Council of the United Nations Crime Prevention and Criminal Justice Programme
(ISPAC), Trafficking : Networks and Logistics of Transnational Crime and International Terrorism, Courmayeur Mont-Blanc, Italie, 6 au 8
décembre 2002, Dimitri Vlassis (Éd.), p. 166.
Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée, A/RES/55/25 25, 2000.
Ibid, alinéa a) de l’article 3.
James O. FINCKENAUER et Jennifer SCHROCK, loc. cit. note 32, p. 32.
Rapport de l’ONUDC, avril 2006, loc. cit. note 12, p. 51.
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20
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
4.3 Les instruments régionaux
La Convention interaméricaine sur le trafic international des mineurs 130 définit le ‘trafic international des
mineurs’ (moins de dix-huit ans) 131 , comme «l’enlèvement, le déplacement ou la retenue, ou la tentative
d’enlèvement, de déplacement ou de retenue d’un mineur, à des fins ou par des moyens illicites». On
entend par ‘fins illicites’ «entre autres, la prostitution, l’exploitation sexuelle, la servitude ou toute autre fin
illicite, que ce soit dans l’État de la résidence habituelle du mineur ou dans l’État partie où se trouve le
mineur» 132 . Enfin, les moyens illicites sont décrits comme étant « notamment, l’enlèvement, le
consentement obtenu frauduleusement ou par coercition, la remise ou la réception de paiements ou
d’avantages illicites visant à obtenir le consentement des parents, personnes ou institutions à la charge du
mineur, ou tout autre moyen qualifié d’illicite, soit dans l’État de résidence habituelle du mineur, soit dans
l’État partie où se trouve celui-ci » 133 .
La Convention interaméricaine, que le Canada n’a pas encore signée en février 2007, indique comment les
États parties doivent assister les mineurs à retourner chez eux 134 et invite les États à poursuivre les
trafiquants 135 afin de récupérer des fonds pour payer les coûts reliés à l’identification et au rapatriement
des victimes 136 .
Par ailleurs, à titre de membre du Conseil permanent de l’Organisation des États américains, le Canada
participe depuis 2003 à l’étude de plusieurs projets de résolutions, visant à lutter contre la traite des
personnes. Le 29 juin 2004, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a adopté une politique de
tolérance zéro à l’encontre de la traite de personnes par les membres de ses forces ou de son personnel
civil 137 .
130
131
132
133
134
135
136
137
Convention interaméricaine sur le trafic international des mineurs, DF Mexico, adopté le 18 mars 1994 à la cinquième conférence
interaméricaine spécialisée sur le droit international privé, alinéa a) de l’article 2 (Traduction non officielle).
Ibid, alinéa a) de l’article 2.
Ibid, alinéa c) de l’article 2.
Ibid, alinéa d) de l’article 2.
Ibid, articles 11 à 22.
Ibid, articles 7 à 10.
Ibid, article 21.
Disponible sur le site : http://www.nato.int/issues/trafficking/index.html.
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21
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Enfin, la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains 138 adoptée en
2005 s’applique autant aux situations de traite interne et externe. À l’instar du Protocole de Palerme 139 ,
cette convention aborde les aspects touchant la prévention de la traite, la protection des victimes et la
poursuite des trafiquants. De plus, afin de s’assurer de la mise en œuvre des dispositions, on prévoit la
mise en place d’un mécanisme de suivi indépendant 140 .
138
139
140
Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE N° 197), adoptée par le Comité des Ministres le 3
mai 2005 et ouverte à la signature à Varsovie le 16 mai 2005, à l'occasion du 3e Sommet des Chefs d'État et de Gouvernement du
Conseil de l’Europe.
Protocole de Palerme, loc. cit. note 1.
Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE N° 197), supra note 147, paragraphe 2 de l’article 1.
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22
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
5 La réponse du Canada
Le Canada s’est senti interpellé par l’expansion du phénomène de la traite des personnes dans le monde.
À cet égard, il s’est donné des moyens d’agir pour contrer la traite des personnes.
5.1
En matière d’immigration
La Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés 141 condamne l’entrée au pays en utilisant des moyens
illégaux. Tout d’abord, en vertu de l’article 117 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, celui
ou celle qui organise l’entrée illégale au Canada d’une personne ou incite, aide ou encourage une telle
personne à entrer au Canada, commet une infraction et est passible d’une amende d’un million de dollars
et de l’emprisonnement à perpétuité. Il est ici question de «trafic» d’immigrants illégaux.
L’article 118 de la même Loi vise plus particulièrement les cas où celui qui organise (recrute, transporte,
accueille ou héberge) l’entrée au Canada d’une personne fait usage de la fraude, tromperie, enlèvement ou
menace ou usage de la force ou de toute autre forme de coercition. Il est donc davantage question ici de
«traite» de personnes, à l’exception près que l’exploitation de la victime n’est pas un élément de l’infraction,
mais simplement un facteur aggravant qui sera pris en considération lors de la détermination de la
sentence. De plus, la capacité de donner son consentement est un élément majeur qui distingue l’infraction
de la traite de personnes de celle du trafic d’êtres humains.
Notons que toute personne impliquée dans la criminalité organisée, y compris la traite de personnes, n’est
pas admissible à entrer au Canada 142 .
Jusqu’à présent, une seule personne a été accusée en vertu de l’article 118 de la Loi. En 2005, vingt-et-un
chefs d’accusation, dont celui d’avoir organisé l’entrée de deux femmes chinoises au Canada dans le but
de les forcer à se prostituer dans des salons de massage, furent émis contre cette personne. En février
2007, aucune décision n’a encore été rendue dans le dossier 143 .
En ce qui concerne les victimes, de nouvelles Directives provisoires de Citoyenneté et Immigration Canada
sur la traite de personnes ont été émises en mai 2006 144 . Celles-ci ont pour objectif d’aider les agents
d’immigration à déterminer si un permis de séjour temporaire d’une durée limitée doit être délivré aux
victimes de la traite. La Gendarmerie Royale du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada
peuvent être toutes deux impliquées dans le processus d’évaluation des dossiers. Au cours des
démarches, l’agent d’immigration devrait diriger la victime de traite vers son ambassade, ainsi que vers des
organismes gouvernementaux et non gouvernementaux et l’aider, le cas échéant, à obtenir de l’aide au
Canada. Pour assister au processus d’identification des enfants victimes de traite, les directives
141
142
143
144
Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutés ou en danger, 2001, ch. 27
(Communément appelée « Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés »).
Ibid, alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 37.
Affaire Wai Chi Michael Ng (procès ayant débuté le 28 mars 2006 à Vancouver, Colombie-Britannique).
Directives provisoires de Citoyenneté et immigration Canada sur la traite de personnes, mai 2006.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
provisoires 145 réfèrent au chapitre 21 du Guide ENF intitulé Interception des enfants disparus, enlevés et
exploités 146 .
La décision relative à l’émission du permis de séjour temporaire de courte durée doit être prise par l’agent
d’Immigration dans un délai de 48 heures. À l’expiration de ce délai, l’Agence des services frontaliers du
Canada pourra remettre la personne en liberté. La victime pourra alors bénéficier d’une période de
réflexion de 120 jours, période durant laquelle elle aura accès au Programme fédéral de santé
intérimaire 147 . La victime peut aussi demander une prolongation de séjour à l’agent d’immigration. Cette
demande pourra être accordée à certaines conditions prévues dans les directives.
En conclusion, si les victimes de traite ont accès aux recours prévus dans la Loi sur l’Immigration et la
protection des réfugiés 148 , un agent d’immigration a également la discrétion d’accorder un permis qui peut
mener à l’attribution de la résidence permanente.
5.2 En matière criminelle
Ce n’est que tout récemment que le Code criminel 149 a été modifié pour interdire explicitement la traite des
personnes au Canada ainsi que le fait d’en tirer un avantage économique. Le 25 novembre 2005, le projet
de loi C-49 a reçu la sanction royale, créant ainsi de nouvelles infractions relatives à trois aspects de la
traite de personnes 150 . Par cet amendement, le Canada respecte certaines des obligations internationales
qu’il a prises en ratifiant le Protocole de Palerme 151 , plus précisément en criminalisant la traite de
personnes et en permettant aux victimes de demeurer sur son territoire à titre temporaire ou permanent.
Tout d’abord, en vertu du premier paragraphe de l’article 279.01 du Code, «quiconque recrute, transporte,
transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle, une direction ou une
influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation» 152
commet une infraction criminelle, à savoir la traite des personnes. La peine maximale imposée pour une
telle infraction est l’emprisonnement à perpétuité (dans les cas où l’accusé a enlevé la personne, s’est livré
à des voies de fait graves ou à une agression sexuelle grave sur la victime ou a causé sa mort lors de la
perpétration de l’infraction) ou l’emprisonnement maximal de quatorze ans (dans tous les autres cas). Le
second paragraphe de cet article précise que la victime ne peut consentir aux actes à l’origine de
l’accusation. 153 D’ailleurs, comme on l’a fait remarquer lors des débats parlementaires entourant le projet
de loi C-49, personne ne peut consentir à être exploité.
L’article 279.02 du Code 154 ajoute que «quiconque bénéficie d’un avantage matériel, notamment
pécuniaire», qu’il sait provenir de la traite des personnes commet un acte criminel passible d’un
145
146
147
148
149
150
151
152
153
154
Ibid.
ENF-21 : Interception des enfants disparus et enlevés, Citoyenneté et Immigration Canada, 2004. Disponible sur le site :
http://www.cic.gc.ca/manuals-guides.
Manuel d’information disponible sur le site : http://www.fasadmin.com/images/pdf/IFH_manuel_d'information_sur_le_FSI.PDF.
Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, supra note 145.
Code criminel, L.R., 1985, ch. C-46.
Projet de loi C-49 (2005, ch. 43, art. 3) modifiant le Code criminel, L.R., 1985, ch. C-46, articles 279.01, 279.02 et 279.03.
Protocole de Palerme, loc. cit. note 1.
C.cr., supra note 153, paragraphe 1 de l’article 279.01.
Ibid, paragraphe 2 de l’article 279.01.
C.cr., supra note 153, article 279.02.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
emprisonnement maximal de dix ans. De plus, en vertu de l’article 279.03 du Code 155 , celui ou celle qui, en
vue de faciliter ou de participer à la traite des personnes, cache, enlève, retient ou détruit tout document de
voyage, d’identité ou de statut d’immigrant d’une personne, commet un acte criminel et est passible d’un
emprisonnement maximal de cinq ans.
L’exploitation 156 et la contrainte sont des éléments constitutifs de l’infraction de la traite des personnes et
doivent donc être prouvées. En ce qui concerne la contrainte, l’accusé pourra tenter de démontrer que la
victime a consenti. À cet égard, force est de constater que contrairement aux prescriptions du Protocole de
Palerme, le législateur canadien n’a pas fait de distinction selon que la victime est un adulte ou un enfant.
Par ailleurs, le consentement initial d’une personne, par exemple l’accord donné à un trafiquant pour
entreprendre un trajet migratoire, n’équivaut pas automatiquement à un consentement à être exploité.
À ce jour, aucune accusation n’a encore été portée en vertu des nouvelles dispositions du Code criminel en
matière de la traite des personnes. Néanmoins, d’autres modifications législatives récentes pourraient
influencer de telles poursuites, le cas échéant.
Le projet de loi C-2 157 a en effet engendré d’importantes modifications au Code criminel et à la Loi sur la
preuve au Canada 158 , dans le but de protéger les enfants et d’autres personnes vulnérables contre
l’exploitation sexuelle, la violence, la maltraitance et la négligence.
Le législateur a notamment élargi la portée de certaines infractions (liées à l’exploitation sexuelle des
enfants), limité la possibilité d’employer certains moyens de défense prévus par la loi (en matière de
pornographie juvénile) et accru les sanctions applicables. Le législateur a introduit plusieurs changements
destinés à faciliter le témoignage d’adolescents et à accroître la capacité des tribunaux à tenir compte des
besoins des enfants et d’autres témoins vulnérables dans le cadre de diverses poursuites judiciaires, y
compris en matière de la traite des personnes. Les modifications législatives permettent notamment un
plus large accès à des dispositifs comme des écrans et des systèmes de télévision en circuit fermé lors de
témoignages devant les tribunaux.
Ces récentes modifications en faveur des enfants victimes et témoins vont de pair avec l’adoption par les
Nations Unies des Lignes directrices en matière de justice dans les affaires impliquant des enfants victimes
et témoins d’actes criminels 159 , lesquelles furent élaborées à l’origine par le Bureau international des droits
des enfants.
La majorité de ces changements ont été bien accueillis par les parlementaires canadiens. Cependant, lors
des débats, certains se sont questionnés sur les conséquences d’une ordonnance de non-publication
quant à la confiance du public dans le système judiciaire. Le législateur a répondu que le public
155
156
157
158
159
Ibid, article 279.03.
L’article 279.04 du C.cr. offre la définition suivante de l’exploitation : « Pour l’application des articles 279.01 à 279.03, une personne en
exploite une autre si : a) elle l’amène à fournir ou offrir de fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable
de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une
personne qu’elle connaît; b) elle l’amène, par la tromperie ou la menace ou l’usage de la force ou de toute autre forme de contrainte, à se
faire prélever un organe ou des tissus. »
Projet de loi C-2, Parlement du Canada, 38e Législature, 1ère session, Sanction royale le 20 juillet 2005, L.C. 2005, ch. 32.
Loi sur la preuve au Canada, R.S. 1985, ch. C-5.
Conseil Économique et Social des Nations Unies, résolution 2005/20 du 22 juillet 2005. Présentée à l’origine par le Canada et coparrainée par plus de cinquante pays, cette résolution adopte les Lignes directrices en matière de justice pour les affaires impliquant des
enfants victimes et témoins d’actes criminels et invite les États membres à s’en inspirer pour l’élaboration des lois, procédures, politiques
et pratiques.
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25
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
n’accorderait pas sa confiance à un système incapable de poursuivre des trafiquants, faute de personnes
qui acceptent de témoigner.
Le président du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes 160 qui a reconnu en
commission parlementaire que les ordonnances de non-publication ont comme objectif de protéger la
personne mineure, a émis une certaine réserve quant à l’utilisation de celles-ci. Certaines victimes se
sentent brimées dans leur processus de réintégration, puisqu’elles ne peuvent pas s’exprimer pleinement à
l’égard de leur vécu.
Enfin, en matière de détermination de la peine, le fait que l’infraction perpétrée constitue un mauvais
traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans 161 représente un facteur aggravant. De
plus, dans de tels cas, le juge devra accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de
dissuasion 162 .
5.3 La législation québécoise
Au Québec, il n’y a pas de législation spécifique à la traite des personnes. Néanmoins, le fait que la
responsabilité de l’administration de la justice et de la prestation des services de santé et services sociaux
appartienne aux provinces, certaines dispositions législatives québécoises peuvent s’appliquer à la
situation vécue par les enfants victimes de la traite. C’est le cas notamment de la Charte québécoise des
droits et libertés de la personne 163 , du Code civil du Québec 164 et de la Loi sur la protection de la
jeunesse 165 .
De plus, en 2001, des ministères du gouvernement québécois 166 ont conclu une Entente multisectorielle
relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins
160
161
162
163
164
165
166
M. Steve Sullivan.
C.cr., supra note 153, sous alinéa (ii 1) de l’alinéa a) de l’article 718.2.
Ibid, article 718.01.
Charte québécoise des droits et libertés de la personne, LRQ, ch. C-12.
Code civil du Québec, C.c.Q. 1980.
Loi sur la protection de la jeunesse, LRQ, ch. P-34.1. Des dispositions spécifiques aux communautés autochtones sont prévues à même
la loi, allant de la prise en compte des caractéristiques des communautés autochtones dans le cadre des interventions, jusqu’à la
conclusion d’ententes en vue de l’établissement d’un régime particulier de protection de la jeunesse. Voir notamment les articles 2.4(5)c),
33, 37.5 de la Loi.
Ministère de la Santé et des Services sociaux, Ministre de la Justice, Ministère de la Sécurité publique, Ministère de l’Éducation et
Ministère de la Famille et l’Enfance.
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26
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
menaçant leur santé physique 167 . L’objectif principal de cette entente est de soutenir une concertation plus
efficace entre les représentants des ministères, des établissements et les organisations intéressées à
assurer une meilleure protection aux enfants victimes d’agression.
167
Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins
menaçant leur santé physique, gouvernement du Québec, 2001. Disponible à la section documentation du site web :
www.msss.gouv.qc.ca.
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27
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
PARTIE II : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
DES ENTREVUES EFFECTUÉES DANS LE
CADRE DE LA RECHERCHE-ACTION
Cette seconde partie du rapport expose le cadre méthodologique de l’étude et présente l’analyse
des résultats recueillis au cours des entrevues réalisées auprès des acteurs concernés par la traite
d’enfants. Une discussion des principaux résultats, en termes de bilan et perspectives d’avenir,
suivra en troisième partie de ce rapport de recherche.
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29
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
6 Le cadre méthodologique
La présente section du rapport rappelle les objectifs de l’étude et expose la procédure déontologique, la
description de l’échantillon, le déroulement des entrevues ainsi que la méthode d’analyse des données.
6.1 Les objectifs de l’étude
Rappelons que ce projet de recherche a trois objectifs généraux, soit d’assurer la protection des droits des
enfants victimes de la traite, de prévenir la traite d’enfants et de contribuer à la réduction de la criminalité
en favorisant une meilleure compréhension de la problématique de la traite. Pour atteindre ces objectifs,
nous visons spécifiquement par notre recension des écrits (partie I) et nos entrevues (partie II): (1) à
accroître les connaissances en matière des droits des enfants victimes de la traite ainsi que sur les aspects
de prévention, de protection et de réinsertion; (2) à permettre aux acteurs concernés de s’exprimer sur la
question de la traite d’enfants et, plus particulièrement, sur les connaissances et initiatives de pratiques
émergentes et d’expériences réalisées aux niveaux local, régional et provincial ainsi que sur leurs
préoccupations et besoins pour lutter contre la traite d’enfants.
6.2 La procédure déontologique
En début de rencontre, un formulaire de consentement et de confidentialité a été expliqué aux participants
puis signé et remis à l’intervieweur. Par la suite, les propos évoqués dans les entrevues ont été enregistrés
sur une bande audio pour fins d’analyse. La confidentialité et l’anonymat des réponses ont été préservés
dans le rapport. Enfin, les transcriptions et les enregistrements seront détruits après cinq ans,
conformément à la convention de consentement entre les parties impliquées dans l’étude.
6.3 La description de l’échantillon
Cette partie empirique de notre recherche-action a été réalisée dans huit régions du Québec, à savoir
Centre du Québec, Estrie, Laurentides, Montérégie, Montréal et ses environs, Outaouais, Québec et
Saguenay. Les organisations ayant une expérience directe ou indirecte auprès des victimes de la traite ont
été sollicitées. Toutefois, en raison de la reconnaissance relativement récente du phénomène de la traite
au Québec ainsi que du nombre restreint d’organisations ayant le mandat d’intervenir directement dans ce
dossier, un procédé par sondage «boule de neige» a été utilisé pour recruter les participants. Les
personnes rencontrées ont donc été recrutées par le biais des membres du comité consultatif ainsi que par
un repérage sur Internet pour cibler diverses organisations. Une fois le contact établi avec les
organisations, des références étaient fournies concernant d’autres groupes potentiellement intéressés à
participer à la recherche.
L’étude a permis de réaliser cinquante entrevues, soit 31 entrevues individuelles et 19 entrevues de
groupes. Au total, 89 personnes ont participé aux entrevues. Les organisations et experts ont été choisis
afin d’obtenir une représentation des divers milieux concernés par le phénomène de la traite d’enfants. Le
présent tableau indique les mandats des diverses organisations recrutées dans chacune des régions.
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31
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Tableau 1 : Mandat organisationnel ou institutionnel
Mandat
Montréal
Centre
du
Québec
Québec
Saguenay
Estrie
Montérégie
Outaouais
Laurentides
Total
Activités traite
Aide familiale
Adoption
Agression sexuelle
Communautés autochtones
Défense des droits
Femmes en difficulté
Gangs de rue
Jeunes en difficulté
Immigrants et réfugiés
Protection des enfants
Soins de santé
Soutien aux familles
Traite
Travailleurs du sexe
Victimes de crimes
1
1
1
1
-3
1
1
4
6
2
3
3
1
1
4
33
1
-------1
-------2
-----1
---1
-----1
3
--------1
------1
2
------1
---------1
---2
----1
-------3
----2
---1
-----1
-4
--------1
1
------2
2
1
1
3
2
4
2
1
9
8
2
3
3
1
2
6
50
Total
Bien que toutes les organisations rencontrées aient un intérêt particulier pour le phénomène des enfants
victimes de la traite au Québec ou encore au Canada, une seule d’entre elles possède un mandat
spécifique concernant la traite des personnes. Par ailleurs, deux organisations ont des activités en lien
direct avec le phénomène de la traite. La majorité des personnes rencontrées travaille au sein
d’organisations dont le mandat principal a pour intérêt les jeunes en difficulté (fugues, toxicomanie, gangs
de rue), les immigrants et réfugiés et les victimes de crimes. D’autres organisations ont pour mandat la
défense des droits, l’agression sexuelle, la protection des enfants, le soutien aux familles, les soins de
santé, les femmes en difficulté, les travailleurs du sexe et les communautés autochtones.
Le tableau II présente les données sociodémographiques des 89 personnes rencontrées en entrevue, soit
le genre, le type de milieux de travail, le type de postes occupés, le nombre d’années en poste ainsi que le
nombre d’années d’expérience dans leur domaine.
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32
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Tableau 2 : Données sociodémographiques
Nombre
(N = 89)
Pourcentage
%
Genre
Féminin
Masculin
55
34
61,8
38,2
Type de milieux de travail
Milieu communautaire
Milieu gouvernemental et paragouvernemental
Services de police
Centres jeunesse
Milieu hospitalier
36
35
12
4
2
40,4
39,3
13,5
4,5
2,2
Type de postes
Coordonnateur / conseiller
Directeur / adjoint
Intervenant
Policier
Agents de recherche
Autres
33
22
13
9
6
6
37,1
24,7
14,6
10,1
6,7
6,7
Nombre d’années d’expérience
Moins de 5 ans
5 à 9 ans
10 à 14 ans
15 ans et plus
Ne sait pas
7
4
6
29
43
7,9
4,5
6,7
32,6
48,3
Nombre d’années en poste
Moins de 5 ans
5 à 9 ans
10 à 14 ans
15 ans et plus
Ne sait pas
44
18
6
9
12
49,4
20,2
6,7
10,1
13,5
Variables
L’échantillon total est composé de 89 personnes, soit 55 femmes (61,8%) et 34 hommes (38,2%). Plus
d’un tiers des participants proviennent de milieux communautaires (40,4%) et un autre tiers de milieux
gouvernementaux et paragouvernementaux (39,3%). Les autres œuvrent au sein de services de police
(13,5%), de la protection de la jeunesse (4,5%) ou encore de milieux hospitaliers (2,2%). Dans le cadre de
leur travail, plus d’un tiers (37,1%) des participants occupent un poste de coordonnateur ou de conseiller,
24,7% occupent un poste de direction ou d’adjoint à la direction, 14,6% sont des intervenants, 10,1% sont
policiers, 6,7% sont des agents de recherche et 6,7% possèdent un autre titre. Bien que 32,6% des
participants aient plus de 15 ans d’expérience de travail dans leur milieu, près de la moitié (49,4%)
n’occupe leur poste actuel que depuis 4 ans ou moins. À cet égard, certains participants ont mentionné que
le poste qu’ils occupent a récemment été créé afin de répondre au phénomène de la traite ou de sujets
connexes (agression sexuelle, gang de rue, enfants séparés, etc.).
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33
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
6.4 Le déroulement des entrevues
Les données ont été recueillies à l’aide d’un protocole d’entrevue semi-structurée, rédigé dans le contexte
de la présente étude. La durée approximative de chaque entrevue était de deux heures. Selon leur
préférence, les personnes interrogées avaient la possibilité de réaliser l’entrevue en français ou en anglais.
En raison des mandats très diversifiés de chaque organisation rencontrée, le guide d’entrevue a été utilisé
avec souplesse. En ce sens, toutes les questions n’étaient pas pertinentes au travail effectué par chaque
organisation. Enfin, des entrevues individuelles et de groupes ont été réalisées selon le contexte et la
demande des milieux participants.
L’intervieweur ne connaissait pas ou très peu les participants, ce qui favorisait les échanges et ne
restreignait pas la discussion. De plus, il voyait à stimuler les échanges et à susciter un maximum d’idées,
tout en maintenant la discussion sur les thèmes centraux. Sa familiarité avec la problématique lui
permettait souplesse, attention et flexibilité dans l’animation des entrevues. Afin d’optimiser l’efficacité, un
protocole d’entrevue comprenait les thèmes et les questions préétablis. La forme d’animation semistructurée était orientée de façon à permettre aux participants de parler de leurs propres expériences et
d’exprimer leurs opinions sur les thèmes correspondant aux objectifs de l’étude. Enfin, les entrevues ont
été effectuées jusqu’à l’atteinte de saturation des données recueillies.
6.5 La méthode d’analyse des données
Aux fins statistiques, des analyses univariées (mesure de tendance centrale, de dispersion et de
distribution) ont été réalisées sur l’ensemble des variables descriptives afin de rendre compte du profil de
l’échantillon. Par ailleurs, les données résultantes des entrevues ont été analysées de façon systématique
à partir d’une méthode qualitative basée sur la condensation et la présentation de données. L’analyse de
contenu a été réalisée en sept étapes afin d’optimiser la fidélité et la validité des données : 1) transcription
des verbatims; 2) lecture répétée du matériel; 3) identification d’une structure thématique et division du
matériel en thèmes; 4) précision des thèmes, sous-thèmes, indicateurs et formation d’un index; 5) révision
des thèmes afin d’en arriver à un consensus; 6) codage du matériel; 7) présentation des résultats et
interprétation des données. Le logiciel N'Vivo a permis la codification du matériel en fonction des thèmes.
De plus, une analyse horizontale a été réalisée 168 ; en ce sens, chaque entrevue a été interprétée 169
comme un cas pour les fins de l’analyse car il représente une totalité plutôt qu’un ensemble de réponses
individuelles. En ce qui concerne la validation, un accord inter-juge concernant les codes et les thèmes a
permis d’assurer la concordance qualitative des interprétations 170 . Aussi, la fiabilité a été établie grâce aux
enregistrements, aux transcriptions des comptes rendus in extenso et à la vérification tout au long du
168
169
170
M.Q. PATTON, Qualitative Research and Evaluation Methods (third edition), Thousand Oaks, CA : Sage Publications, 1997.
J.M. MORSE, Emerging from data: The cognitive processes of analysis in qualitative inquiry, 1994, cité dans J.M. Inc. (Éd.), Critical
issues in qualitative research methods, pp. 23-45, Thousand Oaks, CA: Sage Publications.
Ibid
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34
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
processus d’analyse. Enfin, la corroboration a été assurée à l’aide des citations rapportées dans la
présentation des résultats qui viennent appuyer les thèmes qui émergent de la recherche 171 .
171
Y.S, LINCOLN, Emerging criteria for quality in qualitative and interpretive research, «Qualitative Inquiry», 1, pp. 275-289.
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35
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
7 Le contenu des entrevues menées auprès des acteurs
concernés
Dans la présente section, les réponses des personnes rencontrées sont réparties en quatre grandes
catégories: 1) l’état des connaissances du phénomène; 2) les victimes de la traite d’enfants; 3) les services
existants au Québec et, finalement 4) les besoins et les recommandations.
7.1 L’état des connaissances du phénomène
La présente section aborde la connaissance du phénomène de la traite, soit la conscience de son
existence et sa définition, ainsi que la nature et l’étendue du phénomène.
7.1.1
La conscience de son existence
Les répondants ont été questionnés quant à leur niveau de conscience de l’existence du phénomène de la
traite et, tout particulièrement chez les enfants, au Québec et au Canada.
Lors des entrevues, la grande majorité des participants affirment être conscients du phénomène de la traite
des personnes. Toutefois, plusieurs mentionnent que le phénomène de la traite chez les enfants leur est
plutôt méconnu. Alors que certains soulèvent l’absence d’information sur la problématique de la traite,
d’autres mentionnent la difficulté d’en cerner l’ampleur et de bien connaître la réalité entourant ce
phénomène. À cet effet, un participant affirme :
« C’est pas connu, au niveau de la police. C’est connu plus ou moins. C’est pas travaillé
surtout. C’est pas enquêté, il y a une méconnaissance, il y a un laisser-aller. C’est parce qu’il
n’y a pas de formation, pas de ressources. C’est pas connu, je vous parle juste au niveau des
procureurs qui sont ceux qui portent les accusations… »
7.1.2
La définition de la traite
Les personnes rencontrées ont été invitées à définir la traite des mineurs afin de vérifier leur
compréhension du phénomène et d’établir un cadre d’analyse commun.
Très peu d’entre elles ont systématiquement fait référence aux définitions stipulées dans les législations
internationales et nationales. La diversité des définitions fournies par les participants permet de constater
l’absence d’un consensus sur la définition à privilégier afin de décrire le phénomène de la traite des
mineurs. En effet, les définitions proposées dépendent en grande partie des besoins particuliers ou des
positions politiques des organisations dont elles émanent. La multitude des expressions utilisées pour
parler du phénomène de la traite peut porter à confusion; en effet, les termes traite, trafic, proxénétisme,
exploitation, abus et esclavage sont utilisés par les répondants. Or, bien que les termes et les définitions
divergent d’une personne à l’autre, certains points communs ressortent, notamment les notions de
déplacement, de transport, d’hébergement, d’exploitation, de non consentement ainsi que l’aspect financier
Bureau international des droits des enfants (IBCR)
37
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
qui est rattaché au phénomène (i.e. dette pour les victimes et gains pour les trafiquants). Les définitions
données mettent l’accent d’abord et avant tout sur l’inégalité des rapports et sur l’exploitation de l’enfant
«victime».
Plusieurs personnes font une distinction très nette entre «traite de personnes» et «trafic humain», précisant
que ce sont deux phénomènes distincts et que la traite des personnes comprend nécessairement une
exploitation de la victime. Ainsi, elles reconnaissent que le trafic humain implique une entrée illégale au
pays alors que la traite existe même si l’entrée au Canada est faite légalement. De plus, elles précisent
qu’à l’inverse des personnes trafiquées, les personnes impliquées dans la traite restent, une fois à
destination, sous l’emprise du trafiquant ou d’une tierce partie. En réalité, certains mentionnent qu’il est
souvent difficile de faire une différence claire entre traite et trafic, dans la mesure où les mêmes routes
migratoires sont utilisées.
De surcroît, les répondants associent avant tout la traite à l’exploitation sexuelle. Toutefois, un certain
nombre d’entre eux, surtout les intervenants travaillant auprès des immigrants et des réfugiés,
reconnaissent que l’exploitation se manifeste sous différentes formes : soit le travail domestique, le
mariage forcé, le travail forcé, la servitude et d’autres formes d’esclavage moderne (par exemple : certains
emplois dans des restaurants et des entreprises agricoles).
Enfin, un certain nombre de répondants distinguent la traite interne (nationale) de la traite externe
(transfrontalière). La première, plus présente au Québec selon eux, serait davantage reliée au phénomène
des gangs de rue et à la prostitution alors que la seconde représenterait un phénomène plus restreint qui
ferait appel à des groupes plus organisés. Deux des personnes rencontrées s’expriment à ce sujet :
« … on les recrute, on les développe, après ça on les transporte, on les fait travailler, on
les exploite sexuellement et ça correspond pour moi à de la traite au niveau interne.»
«C’est une contrainte directe sur la personne de faire des choses; elle vient au pays sous
de faux prétextes, on lui fait croire que c’est pour du travail. Je vous donne l‘exemple qu’on
a eu aux crimes majeurs. C’était une agence de mannequins, ils lui avaient promis qu’elle
viendrait faire des photos au Canada etc. Finalement ça n’était pas des photos. Elle a
terminé dans un club de danseuses. Il fallait qu’elle danse pour survivre, pour avoir de
l’argent et puis manger. Elle ne parlait pas la langue, ni français, ni anglais. Cause
problématique sûr pour moi c’en est. C’est sûr, forcer des jeunes filles à faire des actes de
prostitution avec un "pimp" ou une gang pour moi c’est de la traite.»
Après avoir fourni leur définition, les répondants ont été informés de celle stipulée dans le Protocole de
Palerme 172 . Cette définition a servi de cadre de référence pour la suite de l’entrevue.
7.1.3
La nature et l’étendue du phénomène de la traite des personnes
Lorsque questionnés sur la nature et l’étendue du phénomène, la majorité des participants affirme que la
traite d’enfants est un phénomène dont l’ampleur est méconnue et largement sous estimée. Toutefois, à
l’instar de la littérature, les répondants perçoivent que le phénomène de la traite d’enfants est en
expansion. À ce sujet, deux participants s’expriment :
172
Protocole de Palerme, loc. cit. note 1.
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38
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
«C’est un phénomène qui va se répandre encore. Ça explose d’année en année.»
«C’est un crime en émergence, notamment avec la mondialisation et la facilité de
transport»
D’après les résultats de cette étude, il n’existe aucun registre commun ni de données statistiques officielles
ou fiables sur la traite d’enfants au Québec, voire même au Canada. De plus, la multitude de services en
matière de protection des enfants entrave la cueillette de données communes fiables, non seulement en
raison des différentes autorisations requises pour chaque organisation, mais aussi puisque chacune
recueille des données de manières différentes et possède des réglementations propres. Les propos de ce
participant résument bien la situation :
Il n’y a même pas d’estimation du nombre de prostituées au Canada, encore moins du
nombre de prostitués mineurs au Canada donc faut pas s’attendre à ce qu’il y ait des
estimations du nombre de femmes ou d’enfants victimes de traite. La GRC a parlé de 800
personnes par année, il y a des organisations qui parlent de 15 000 personnes. Ça va de
800 à 16 000. C’est très difficile d’avoir une estimation.»
Plusieurs personnes rencontrées sont en mesure d’affirmer que le phénomène de la traite est surtout
répandu dans les grandes villes du Québec et que Montréal serait un lieu d’origine, de transit et de
destination. De plus, quelques participants ont identifié des liens entre Montréal et les villes de Québec,
Saguenay, Sherbrooke, Kingston Niagara Falls, Ottawa, Toronto, Vancouver, Halifax et New York, de
même qu’avec les régions de l’Alberta et du Nouveau-Brunswick. Toutefois, en raison de la difficulté de
retracer ces personnes victimes de la traite, les autorités connaissent peu la nature des déplacements, la
durée, les conditions particulières, etc.
Concernant la traite transfrontalière, les enfants impliqués seraient originaires des pays de l’Asie du SudEst et de l’Europe de l’Est et, à un degré moindre, de l’Amérique latine, des Caraïbes et de l’Afrique. Les
propos des répondants font ressortir le caractère clandestin et complexe de la traite externe :
«Ce qui rend la nature du phénomène aussi compliquée c’est que contrairement aux
stupéfiants, le stupéfiant, il y’a vraiment une vente, quelque chose qui est reçu et puis ca
s’arrête là. Parce que le stupéfiant ne peut pas être vendu plusieurs fois comme un enfant
ou dans la traite, la personne va être vendue à plusieurs reprises, à plusieurs personnes
en même temps ou parallèlement ou en série et on complexifie.»
7.2 Les enfants victimes de la traite
Les personnes consultées ont été invitées à dresser un profil des enfants victimes de la traite, rencontrées
dans le cadre de leur travail. Les répondants étaient aussi questionnés sur les modes de recrutement et les
types d’exploitation ainsi que sur l’identification des victimes et les besoins spécifiques des mineurs.
7.2.1
Le profil des victimes
Un grand nombre de personnes interrogées ont mentionné qu’il est fort probable qu’elles rencontrent une
victime de la traite dans le cadre de leurs fonctions. De par leur mandat, les services de police, les centres
jeunesse ainsi que certains organismes communautaires (tels que ceux œuvrant dans le domaine de
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39
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
l’agression sexuelle, l’aide aux immigrants et aux réfugiés ainsi que ceux travaillant au sein des
communautés autochtones) se sentent plus fortement interpelés par la problématique de la traite d’enfants.
Toutes les personnes consultées, à l’exception d’un répondant, ont rapporté au moins un cas de traite de
personnes rencontré soit directement ou indirectement, c’est-à-dire par le biais d’un dossier physique.
Alors que certaines personnes mentionnent n’avoir rencontré qu’une seule victime, d’autres affirment être
intervenus auprès d’une centaine. Puisqu’il n’y a pas d’enregistrement officiel de ces cas, il est difficile d’en
estimer le nombre.
Dans l’ensemble des descriptions fournies, la majorité des victimes de la traite sont des jeunes filles âgées
de 14 à 17 ans; celles provenant des communautés autochtones seraient surreprésentées selon les
régions. Il existe aussi des garçons, mais leur implication est beaucoup plus difficile à cerner, en raison
notamment du tabou entourant l’homosexualité. De plus, les fugues, les gangs de rue et la prostitution
seraient étroitement liés au phénomène de la traite des mineurs. Comme l’a indiqué une des personnes
rencontrées :
« Nous, notre réalité majeure c’est des jeunes filles qui sont fugueuses, ou qui ont des
dysfonctionnalités au niveau de la famille ou qui sont placées en Centre Jeunesse en
protection qui, suite à une fugue, vont se retrouver ; c’est vraiment une généralité, vont se
retrouver en contact avec des membres de gangs de rue qui vont les recruter et les
envoyer faire de la prostitution pour eux, soit dans la rue, soit dans les clubs de danseuses
de Montréal ou de la région de Montréal ou dans les agences d’escorte.»
En outre, lorsque questionnés sur les facteurs de vulnérabilité, plusieurs répondants affirment que les
victimes de la traite interne proviennent majoritairement d’environnements défavorisés aux plans
économique et social ainsi que d’une structure familiale caractérisée par d’importants conflits, la
désorganisation et un encadrement éducatif dysfonctionnel. En effet, les carences affectives, le manque
d’attention, la présence de violence physique, sexuelle et psychologique ainsi que divers problèmes
familiaux sont rapportés comme faisant partie de la vie de ces jeunes. Les propos suivants résument l’idée
générale discutée au cours des entrevues :
«…c’est des jeunes filles qui ont une faible estime de soi, qui ont été abusées ou qui ont
une famille dysfonctionnelle, qui ont besoin d’attention ou qui ont besoin de réconfort. Et
les exploiteurs vont là-dedans pour les recruter.»
«Toutes des filles qui viennent de milieux défavorisées, beaucoup de carences parentales,
plus au niveau d’une dépendance affective. Des jeunes filles qui ont manqué énormément
d’amour, d’attention de leurs parents ou de leur milieu et puis qui vont s’accrocher à
n’importe qui.»
Bien que chaque cas soit unique, cet extrait démontre bien l’état de vulnérabilité de certaines jeunes filles
victimes de la traite interne:
«Le type classique, c’est la jeune adolescente de 11-13 ans qui subit un viol de groupe et
qui nous est amenée parce qu’on est un des centres pour les victimes d’agression
sexuelle, qui nous est amenée à ce moment-là et puis qui vient d’habitude d’un milieu
plutôt défavorisé. Et puis qui, quelques mois plus tard revient parce qu’elle est en amour
avec un prince charmant et elle ne voit pas qu’il y a un lien avec le "gang rape". Et petit à
petit, ça l’amène dans la prostitution et elle ne se rend même pas compte qu’il devient son
"pimp". Il l’introduit dans la drogue plus tard et puis là, ça dépend si les autorités vont
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
intervenir ou pas. Mais ils sont capables de créer un lien tellement fort que même si la fille
que je vois généralement sous la protection de la jeunesse, les filles vont s’enfuir et
retourner chez ce prince charmant et s’engouffrent de plus en plus. Et ils ont tellement peu
d’estime de soi, elles pensent après 2-3 ans que c’est la seule chose qu’elles puissent
faire et ça devient de plus en plus violent. Ils vont revenir avec des signes d’être battus. Et
puis très clairement la drogue devient de plus en plus importante. Et la prochaine fois
qu’elle va s’enfuir et retourner dans ce milieu-là. Elle risque d’être battue et d’aller dans un
réseau d’une autre ville- Ottawa, Toronto ou ailleurs- est très grand. Parfois on les repère
dans d’autres villes du Canada et elles vont revenir. Et parfois, on les perd à ce momentlà.»
Dans le cas de la traite transfrontalière des mineurs, la pauvreté et les disparités économiques vécues par
les victimes ont été citées par les participants comme étant les principales sources de leur vulnérabilité. En
effet, la pauvreté affecte davantage les femmes et les jeunes filles qui, dans leur pays d’origine, cherchent
des moyens de subvenir aux besoins de leur famille. Les propos qui suivent représentent une description
de cas de traite externe:
«… c’est des filles qui sont venues majoritairement des Caraïbes qui se sont faites amener
par des parents, des amis, de la famille, qui les ont fait passer la frontière canadienne
facilement. En étant mineures mais aussi parce qu’ils font partie du Commonwealth, donc
ils n’ont pas eu besoin d’un visa, seulement une autorisation qu’ils ont eu dans leur pays.
Et ils les ont fait venir au Canada pour travailler pendant des années en étant mineurs. Et
qui ont été séquestrées, violentées ou autres abus et qui ne pouvaient pas ni dialoguer ni
communiquer ni rien du tout jusqu’à l’âge adulte. Après ils sont venus nous voir, même en
étant mineurs pour dire voilà je suis domestique, je n’ai pas de droit, j’ai pas de
documents, j’ai pas de papiers, qu’est ce que je fais ?»
Par ailleurs, quelques personnes rencontrées mentionnent que «si on regarde juste les profils types, on va
échapper certaines des situations». Même lorsque les parents sont présents, il arrive que des enfants se
retrouvent tout de même dans une situation de traite. D’autres individus interrogés précisent que certains
mineurs «acceptent» d’être exploités en raison de leur besoin ou désir d’affection, d’argent ou de migrer :
«Les filles connaissent les histoires des autres jeunes filles. Et celles qui ont des réseaux
les moins supportant, ça devient encore plus facile d’être des proies. Et puis, il y a des
filles qui volontairement veulent faire partie de ces gangs là parce que pour eux, on leur
montre le côté "glamour". Tout le côté où elles vont avoir le sentiment d’appartenance.
Elles se font dire ces jeunes filles-là qu’elles sont belles, qu’elles sont fines, qu’on les
aime. Parce qu’elles ne se le font pas dire souvent et dans ces réseaux elles se le font
dire.»
Plusieurs personnes rencontrées abordent la notion de re victimisation, en précisant que plusieurs jeunes
filles qui se retrouvent dans un contexte de traite ont souvent subi de multiples formes de violence. Ces
antécédents les fragilisent et elles sont plus à risque d’être à nouveau victimes. Un participant s’exprime à
ce sujet :
«La vulnérabilité l’est pour plusieurs raisons, à part le fait qu’elle n’a pas son réseau, à part le fait
qu’elle a déjà été introduite à de la violence sexuelle. Donc, abus antécédents, à ce moment-là
être recrutée devient plus facile. Elles voient déjà l’effet économique et par rapport à l’estime de
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
soi. Elle se fait embarquer parfois pour ces raisons-là ou parce que parfois elle rentre dans la
consommation elle-même. Les problèmes de consommation font que il y a une dépendance qui
s’établit et il faut se procurer de la drogue. Nous, on a eu la situation d’une fille qui éventuellement
sur une de ces fugues-là, a été retrouvée à Toronto, décédée dans une chambre d’hôtel suite à
une consommation abusive. Mais où il y a eu des abus sexuels, il y a eu quelque chose de sexuel
ainsi que la drogue qui arrivait et elle est décédée. Puis elle était plus dans le réseau. Pendant
qu’elle était en fugue, elle est décédée. Elle avait été en fugue plusieurs fois avant. Mais quand
elle s’était ramassée dans des réseaux et quand c’était devenu trop chaud ou trop menaçant pour
elle, elle nous appelait et on allait la chercher dans la rue. Mais cette fois-ci, on n’a pas pu aller la
récupérer. Donc c’est comme un cycle…»
En somme, ces multiples facteurs expliquent la vulnérabilité des enfants qui deviennent des proies faciles
pour les trafiquants. Il est clair qu’il n’y a pas de profil unique, mais bien une diversité de facteurs
concomitants qui démontrent bien la complexité du phénomène de la traite des mineurs.
7.2.2
Les modes de recrutement et les types d’exploitation
Les personnes rencontrées ont indiqué que les modes de recrutement dans le cas de la traite interne, bien
que très diversifiés, s’appuient sur l’établissement d’une relation amicale ou amoureuse et d’une
dépendance de la victime envers le trafiquant. L’extrait d’entrevue suivant résume assez bien l’ensemble
des propos rapportés par les participants:
«Le cas typique, je dirai, c’est vraiment le cas de la fille, c’est l’histoire moyenne, comme
le tronc commun. La fille qui rencontre un gars ; elle tombe en amour avec. Ils font des
projets d’avenir et là où le gars manifeste un besoin d’argent quelconque, une dette à
payer. Il se fait courir une amende, il se fait courir après par la police, "whatever". Tous les
scénarios sont bons pour justifier un besoin d’argent. J’ai vu des cas où c’était le désir
d’avoir un enfant. Donc le gars jouait là-dessus. Le désir d’avoir un appartement ensemble
comme amoureux. La fameuse dette, la perte d’emploi, donc il y a différents scénarios.
C’est souvent là que l’idée d’aller vendre ses services sexuels va apparaître. J’ai les 2
scénarios. Donc y’a des situations où c’est le gars qui va dire, "moi je connais une façon
de faire de l’argent, facile pas trop compliqué", et puis là il va proposer un certain nombre
d’activités que la jeune fille pourrait faire. Généralement les premières c’est la danse nue
donc elle va rapidement être mise en contact avec les établissements de danse nue ; ou la
fille elle-même va proposer au garçon d’aller travailler parce que elle est en contact avec
d’autres filles qui ont dit ya une façon, je connais quelqu’un…etc. Alors généralement, au
début la fille va le faire vraiment par un ou l’autre des scénarios. Elle va le faire par amour
pour le conjoint. Moi j’appelle ça syndrome mère Térésa. Elle va l’aimer tellement fort, elle
va tout faire pour qu’il soit bien, et puis à un moment donné, il ne m’obligera plus à faire
des affaires…Et souvent, parallèlement à ça, ce qu’on voit beaucoup, c’est à l’intérieur
même du gang, la jeune fille va être vendue. Des fois réellement vendue en termes
d’argent. Parfois juste prêtée aux autres gars du gang. Donc le chum va dire, par exemple
à la jeune fille, c’est la fête de mon meilleur ami, sa blonde vient de le laisser, ce serait le
fun que tu prennes soin de lui.»
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
De plus, selon les répondants, le recrutement pour fins de la traite interne, prendrait diverses formes et se
ferait à divers endroits, notamment dans les centres d’accueil, les métros, les centres commerciaux et les
écoles. Internet serait également un moyen pour recruter des mineurs. De façon générale, pour s’assurer
de l’obéissance de leurs victimes, les trafiquants font appel à la force, la peur et la tromperie. Ainsi, la
violence physique et psychologique ainsi que les agressions sexuelles sont employées pour compromettre
la dignité et l’intégrité ainsi que l’indépendance physique et psychologique des victimes. La force est aussi
utilisée pour décourager toute forme de rébellion. La peur prend souvent la forme de menaces contre la
victime elle-même ou encore contre des membres de sa famille. La victime est également séduite par des
leurres ou par l’espoir d’une vie meilleure.
Par ailleurs, la plupart des répondants disposent de peu de renseignements concernant les modes de
recrutement impliqués dans la traite transfrontalière. Au même titre que la traite interne, diverses formes de
violence et de tromperie seraient utilisées par les trafiquants pour maintenir le contrôle sur leurs victimes.
En plus d’être leurrés par de fausses informations quant à l’accueil, aux conditions de travail et aux
systèmes d’immigration et de justice dans le pays de destination, les immigrants clandestins sont souvent
soumis au chantage, du fait de leur statut illégal.
Les cas de traite interne et externe rapportés concernent quasi exclusivement l’exploitation sexuelle. Les
jeunes filles travailleraient dans le commerce du sexe comme danseuses nues, prostituées sur la rue, dans
les motels ou dans les salons de massage. Il est difficile d’obtenir des témoignages explicites permettant
de dresser un portrait plus précis. Par ailleurs, quelques participants ont signalé que certaines victimes de
la traite seraient des employées domestiques.
L’analyse des entrevues ne permet pas d’affirmer que tous les cas de traite d’enfants, interne et externe,
soient le fait de réseaux criminels organisés. Bien que le crime organisé joue sans contredit un rôle clé
dans le phénomène de la traite, les services de police et les intervenants communautaires consultés
mettent en garde du danger de supposer que seul le crime organisé soit au cœur du phénomène,
particulièrement s’il s’agit de la traite interne. Leurs expériences démontrent qu’il n’est pas rare que de
petits groupes criminels, voire même des individus participent à la traite des mineurs:
« Les gangs de rue ne sont pas faits de façon pyramidale comme les autres organisations
criminelles, comme la mafia ou les motards, c’est plus de façon circulaire. Ils ont un noyau
central avec trois ou quatre personnes. Et beaucoup plus influents autour, il y a les
membres plus actifs, puis après ça tu as les relations qui sont plus éloignées. Dans les
relations ça va jusqu’au secondaire, c’est le petit frère du membre qui lui est toujours avec
des petites filles, qui va les rabattre aux soirées hip-hop, qui va les rabattre au centre
d’achat. Il y a toujours un recrutement qui se fait. Ils n’iront pas vous chercher directement.
Donc ce n’est pas un recrutement facile à identifier. Le petit gars de 12-13 ans, il va les
repérer les filles plus à risque, plus faciles, les filles qui trippent sur les Noirs. Donc il va
les rabattre et les autres qui sont plus hauts, passent pour de "Kings" avec plus d’argent,
plus de bijoux, avec des attitudes de chef. Ils se donnent des attitudes comme les
rappeurs qu’on voit à la télévision, donc pour éblouir les filles. Puis là, 12-13-14 (ans), ils
vont l’entraîner tranquillement. »
Bien que plusieurs rapportent un mode de recrutement typique des jeunes filles et l’obligation qui leur est
faite de se prostituer, les répondants rappellent l’importance de tenir compte de cas individuels qui ne
correspondent pas à ce stéréotype. Le degré de violence ou de tromperie diffère d’un cas à l’autre ainsi
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
que les conditions dans lesquelles les victimes se retrouvent. De plus, étant donné que ces trafiquants ne
travaillent pas pour des réseaux organisés, leurs méthodes sont susceptibles de varier et donc de
s’adapter rapidement à de nouvelles circonstances, notamment, les politiques plus répressives aux
frontières, le changement de législation en matière de demande d’asile ou le durcissement de la politique
d’immigration dans le cas de traite externe.
7.2.3
L’identification des victimes
La majorité des répondants ont mentionné la difficulté d’identifier les enfants victimes de la traite. Ceci
s’explique, selon eux, par la rareté et l’éparpillement des connaissances sur le phénomène de la traite,
l’insuffisance de ressources disponibles, l’absence d’une définition commune utilisée, les perceptions
divergentes de la victime ainsi que le peu de témoins, de plaintes et de poursuites rassemblés.
Très souvent, les mineurs sont signalés aux autorités en raison d’une exploitation sexuelle ou encore sous
d’autres motifs connexes dont la fugue, les troubles de comportement ou l’absentéisme scolaire. Ils sont
rarement identifiés comme victimes de la traite. En outre, chaque cas nécessite un signalement, soit de la
part de la victime ou d’une tierce personne, ce qui rend le processus d’identification encore plus laborieux :
«Le problème c’est que les filles sont rarement, à ma connaissance, signalées. Le motif de
signalement qui est la porte d’entrée au Centre Jeunesse, le motif de signalement est
rarement leur activité liée à l’exploitation sexuelle en contexte de gang. C’est souvent des
problématiques concomitantes : elle ne va pas à l’école, elle fugue, elle consomme, soit le
motif de signalement est là. Ça va arriver des fois dans le signalement, le signalant va
dire, pis en plus, elle fréquente des gars de gang. On pense qu’elle est à risque mais
quand ils rentrent, on sait rarement qu’on a accès à cette information-là, c’est souvent
pendant la prise en charge où là la jeune fille va soit elle-même dévoiler ce qu’elle peut
vivre, soit que les intervenants vont être alertés par certains comportements, certaines
attitudes, certaines fréquentations. C’est donc souvent en cours de route qu’on va
apprendre, qu’on va être en mesure d’identifier la problématique…»
Compte tenu d’une inefficacité actuelle à identifier les victimes, le phénomène est peu documenté. Le
dépistage et l’intervention sont ainsi mal structurés:
«Les cas ne sont pas recensés, donc on ne sait pas. On peut pas avoir aucune idée du
phénomène. Il n’y a pas de statistiques. Il y a trop de sensibilisation à faire. Nous autres
on en est au stade de la sensibilisation, les gens ne savent même pas c’est quoi. Quand tu
ne sais pas c’est quoi, tu ne peux pas dire que c’en est ou que c’en n’est pas.»
De plus, certains répondants précisent que lorsqu’un enfant est intercepté, notamment aux frontières,
l’exploitation n’a peut-être pas encore débuté. Donc, même si l’enfant a été amené au pays à des fins
d’exploitation, il est difficile d’obtenir des preuves à cet effet. Plusieurs participants soulèvent les deux
questions suivantes : Comment définir la notion d’exploitation? Comment faire la preuve que l’enfant est
destiné à un contexte d’exploitation?
Plusieurs personnes rencontrées croient que le problème lié aux règles d’accès à l’information peut nuire
et même faire obstacle à l’identification d’un enfant victime de la traite, en raison des multiples intervenants
qui lui viennent en aide. Un participant s’exprime à ce sujet :
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
«Tout l’accès à l’information, on n’a pas le droit de dire qui est qui. On essaie d’aider mais
on est tous cloisonnés dans nos petits compartiments et puis on peut pas dire "eh va
aider, là ça va pas bien…" On peut pas dire parce qu’on ne peut pas donner les noms. Ça
nous cloisonne tous dans nos sections. On parle de partenariat, c’est bien beau le
partenariat, on va s’entraider et tout ça, mais si on n’a pas le droit de rien dire, ça nous
aidera pas. On peut pas avancer. Et puis c’est sûr qu’on se parle mais en codes. Et puis
par contre t’as des organismes qui disent : "On ne peut pas faire ça car ça va contre la
Charte des droits et libertés". Ça fait que là on est pris dans une impasse. Qu’est-ce qu’on
fait? On veut aider des jeunes mais on veut pas trop l’aider car il faut pas brimer ses
droits. C’est là qu’on arrive quand on parle de partenariat. Le partenariat c‘est le fun, c’est
beau le partenariat mais il faut se dire les vrais choses. Et souvent les vraies choses ne
sont pas dites.»
7.2.4
Les besoins spécifiques des victimes mineures
L’ensemble des personnes rencontrées exprime la présence de difficultés spécifiques aux enfants victimes
de la traite, interne et externe, tant au plan physique que psychologique qui façonnent leurs besoins en
matière de santé. Ainsi, on note : a) de la violence physique et sexuelle, de la séquestration ainsi que de la
torture; b) des traumatismes (notamment, la dissociation et le trouble de stress post-traumatique), la perte
de leur intégrité, un état de détresse, un manque d’estime de soi et de confiance en autrui, la peur,
l’isolement, la disparition des repères familiaux et sociaux, l’incapacité de contrôle sur sa vie ainsi qu’une
multitude de troubles psychiatriques et, c) des problèmes de consommation d’alcool et de drogues,
diverses infections transmises sexuellement, une mauvaise alimentation et des avortements. L’amalgame
de ces problèmes présents chez chacun des enfants victimes de la traite accentue sa vulnérabilité et sa
fragilité :
«…ensuite elle est exploitée par le groupe, vie sexuelle débridée et avec tous les risques
qui amènent à ça : devenir narcomane, alcoolique, lâche l’école, dangers de maladies
vénériennes, (…), tu vas te rendre où, dans des stupéfiants jusqu’à l’héroïne, SIDA, etc.
Limite ce qui peut arriver, c’est que tu deviennes vulnérable à tout.»
«Une très faible estime de lui-même, probablement il va développer une toxicomanie. Il va
se mettre à consommer des stupéfiants, peut-être pour oublier ce qu’il fait. Ça va être
quelqu’un qui va hypothéquer au niveau de la santé mentale, des problèmes à fonctionner
dans la société, ça fait des individus blessés à vie. C’est sûr, elles ne s’en sortent pas. On
en voit des jeunes filles qui ont été victimes il y a dix ans et qui sont devenues des
femmes, ça fait des gens fragiles, des gens qui ne sont pas sûrs d’eux, qui ont de la
difficulté à avoir de l’assurance, à progresser dans la vie, à foncer.»
Les difficultés identifiées par les répondants soulèvent la nécessité de fournir aux victimes de la traite, des
soins de santé ainsi que des services de santé mentale, de désintoxication et de réhabilitation, de
réintégration adaptés à leurs besoins spécifiques.
De plus, dans certains pays d’origine, la présence de facteurs tels que la corruption et la quasi-absence ou
l’inefficacité du système de justice et du filet social, favorisent les pratiques liées à la traite d’enfants. Ces
facteurs ont une influence directe sur la perception que les jeunes ont des autorités et doivent être pris en
considération lors des interventions :
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
«Dans les jeunes immigrants, les jeunes ont peur de la police. Des fois les jeunes viennent
de pays où il y a de la corruption policière. Donc, il peut pas arrêter un policier et
demander de l’aide parce que j’ai peur d’aller en prison, moi je suis la mauvaise (…)»
Le stade de développement de l’enfant doit également être pris en considération puisque selon l’âge de la
victime, différents enjeux se posent. Ainsi, ces enfants sont privés de leur famille et de leur communauté et
ils doivent en plus adopter des responsabilités d’adulte, ce qui amplifie leur niveau de détresse. Certaines
caractéristiques propres aux jeunes influencent le cours des interventions:
«Le jeune pris là-dedans et qui voudrait s’en sortir, ce dans quoi il est pris, ne sait pas
comment s’en sortir, je ne suis pas sûre que les ressources… Je suis pas sûre qu’en
dehors de dire à une jeune "tu peux appeler le 911", je suis pas sûre qu’on lui dit que ce
soit à l’école ou dans la famille, je ne suis pas sûre qu’il sache très bien où s’adresser s’il
devait se retrouver dans une situation précaire. Donc dans ce contexte là, le jeune qui est
happé par ce mouvement-là et qui tout d’un coup veut s’en sortir, bien je ne suis pas sûre
que ce soit tous les jeunes qui connaissent la "Maison Dauphine" ou qu’ils connaissent un
endroit où aller frapper. Ça fait en sorte que le cercle devienne infernal. Ils ne connaissent
pas vraiment les ressources et je pense que les jeunes… L’adolescence est propice au
secret et puis propice… La méfiance face à l’adulte. Alors c’est sûr que ça je trouve que
c’est un facteur aggravant de leur situation. Ils ne nous font pas confiance, que ce soit leur
professeur, leurs parents. Nous peut être un peu plus, l’avocat parce qu’ils ont l’impression
que l’on prend leur part. Mais de là à dire que les quelques fois où je les rencontre, ils ont
une telle confiance en moi qu’ils vont se confier "j’ai fait de la prostitution…". Je pense que
cette méfiance naturelle de l’adolescent face à l’adulte rend compliqué aussi nos
interventions.»
L’évaluation des enfants victimes doit nécessairement prendre en considération la diversité des
expériences de chacun afin de répondre le plus efficacement possible à leurs besoins et adopter
les interventions appropriées.
7.3 Les services existants
Les personnes rencontrées ont été invitées à décrire des bonnes pratiques présentes au sein de leur
organisation ainsi que le type de collaboration partagé avec les autres organisations. Les répondants ont
aussi abordé différents niveaux de services et identifié certaines lacunes et obstacles inhérents à ces
services.
7.3.1
Les bonnes pratiques
Les organisations interviennent auprès des personnes immigrantes et réfugiées, des enfants victimes de
différents types de crime, des gangs de rue et des jeunes en difficulté. C’est dans le cadre de leur mandat
respectif qu’ils dressent les besoins les plus urgents des enfants victimes de la traite.
Dans un premier temps, il ressort que, dans leurs procédures, les organisations portent une attention
particulière à la distinction entre les adultes et les enfants.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
« Déjà au premier abord comme intervention, quand on a affaire à une mineure, c’est sûr
qu’on fait une intervention complètement différente que ce soit l’approche psychologique,
psychique, sociale différente. C’est sûr qu’on n’intervient pas de la même façon. Et aussi
les facteurs où les partenaires qui vont intervenir, ne seront pas les mêmes pour les
adultes.»
L’ensemble des répondants reconnaît que les mineurs victimes de la traite devraient bénéficier de tout un
éventail de services comprenant : hébergement sécuritaire, alimentation et vêtements, soins médicaux et
psychologiques, suivi intensif et possibilité de scolarisation. Toutefois, aucune personne rencontrée n’a fait
état d’outils spécifiques s’adressant aux enfants victimes de la traite.
Selon les répondants, il appert que la clandestinité et l’isolement, deux facteurs inhérents à la traite des
mineurs, entravent sérieusement l’apport de toute aide aux victimes. D’une part, les victimes ne peuvent
divulguer leur situation sans risque et, d’autre part, elles sont empêchées de recevoir tout service, incluant
les soins les plus élémentaires.
De plus, les personnes rencontrées ont soulevé le fait que les enfants vivent de la coercition tant au plan
physique que psychologique, un moyen de contrôle utilisé par les trafiquants qui entrave le recours aux
services. Ainsi, quel que soit le type de traite, la faible estime de soi, la peur et la violence sont des
obstacles majeurs à l’obtention de services. Dans le cas de la traite externe, s’ajoutent l’arrestation des
mineurs immigrants et la crainte de la déportation.
Par ailleurs, bien que non spécifiques aux victimes de la traite des mineurs, certaines personnes font
mention d’interventions auxquelles elles ont recours au sein de leur organisation qui, selon eux, pourraient
servir de modèle. À cet égard, certaines considérations ont fait consensus parmi les répondants,
notamment les interventions mettant l’accent sur l’autonomisation («empowerment») des jeunes : la
participation à des activités sportives et culturelles, le recours à un groupe de pairs, les groupes de soutien
téléphonique ou les équipes d’intervenants terrain. Enfin, les répondants soulignent l’importance de la
prévention qui vise spécifiquement les parents par le biais de sessions d’information sur le phénomène de
la traite et de sujets connexes ainsi que l’aide aux familles en vue de la réintégration de leurs enfants.
Enfin, plusieurs s’entendent pour affirmer que malgré la présence de caractéristiques communes chez les
victimes, les services doivent être personnalisés afin de répondre aux besoins spécifiques de chacune
d’entres elles.
«Même s’il y a des tendances générales, chaque cas est spécifique à l’individu qui le vit.
Et ils ne priorisent pas leurs besoin de base. Et il est crucial que nous satisfaisions ce
besoin tel qu’ils le définissent. Il se pourrait que ce ne soit pas ce que nous pensons être
le plus important pour eux. Mais ce n’est pas le but à long terme. Il s’agit plutôt de faire
comprendre aux gens qu’ils peuvent apporter un changement à leur vie, qu’ils peuvent
avoir du pouvoir dans leur vie et définir ce qu’ils veulent pour la première fois tandis que
tout pouvoir leur avait été usurpé.» (Traduction libre)
Bureau international des droits des enfants (IBCR)
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
7.3.2
La collaboration avec les autres organismes
L’ensemble des personnes rencontrées s’entend sur l’importance d’une bonne collaboration avec les
autres organisations afin de lutter contre le phénomène de la traite d’enfants. Un participant mentionne :
«C’est quotidien, notre quotidien dépend de cela, une bonne collaboration, un bon échange d’information.»
Les entrevues réalisées ont permis d’identifier la majorité des organisations qui sont appelées à
intervenir, directement ou indirectement, auprès des enfants victimes de la traite. La diversité de
ces organisations rend compte de la complexité des collaborations à développer et à maintenir.
Alors que certains sous-groupes travaillent ensemble de façon régulière, notamment la Direction de
la protection de la jeunesse, le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs
d’asile (PRAIDA), les services de police et les milieux hospitaliers, certains organismes (dont les
organismes des milieux autochtones) trouvent plus difficile d’établir et de maintenir une
collaboration soutenue. Plusieurs apprécient qu’un réseau regroupe les organisations plutôt que
de compter sur un partenariat individuel.
7.4 Les besoins et pistes d’action
Lors des entrevues, les participants ont été invités à préciser les besoins dans le domaine de la traite
d’enfants et à formuler des pistes d’action en matière de prévention, de protection et de poursuite.
7.4.1
La prévention
Plusieurs participants ont suggéré comme outil de prévention une campagne médiatique de sensibilisation
sur le phénomène de la traite d’enfants s’adressant au grand public.
Dans le même ordre d’idée, selon les propos recueillis, les agents d’immigration, les intervenants
communautaires et de la santé ainsi que les policiers devraient recevoir une formation plus spécifique en
matière de traite d’enfants qui porte notamment sur la problématique, l’évaluation de la situation et des
besoins des victimes ainsi que l’intervention auprès des victimes. Cette formation devrait également
aborder les grands enjeux en lien avec le phénomène, soit la défense des droits, l’égalité des genres,
l’accès à l’éducation et au travail, les préjugés et la discrimination envers les immigrants, etc. Certains
répondants proposent la tenue de forums de discussion sur la question de la traite afin de mobiliser
différents partenaires.
En ce qui concerne plus spécifiquement les jeunes, les répondants mentionnent que des ateliers de
prévention devraient faire partie du curriculum académique afin de non seulement sensibiliser les enfants
au phénomène de la traite des mineurs, mais de les informer adéquatement sur le sujet (profil de la
victime, mode de recrutement, conditions de travail, etc.). À cet effet, certains participants soulignent
comme outil de prévention développé au Québec, la pièce de théâtre «Le Prince serpent» du Théâtre
Parminou ou encore la bande dessinée «Le silence de Cendrillon» qui s’adressent directement aux jeunes.
La grande majorité des personnes rencontrées mentionne l’importance d’utiliser des outils déjà existants
qui abordent des phénomènes connexes (gang de rue, agression sexuelle, prostitution, etc.) et donc, de ne
Bureau international des droits des enfants (IBCR)
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
pas développer de nouveaux programmes. Les propos de ce participant résument l’ensemble des
discours :
«Moi je ne pense pas qu’il faut créer des programmes spécifiques mais je pense qu’il faut
utiliser ce qu’on a, l’adapter, de développer des programmes, en fait d’utiliser les
programmes existants déjà et de les rendre sensibles à ce profil-là. Mais je pense qu’on a
déjà des outils forts intéressants qui nous permettent de travailler cette problématique-là.
Et au Centre Jeunesse je pense qu’on est, somme toute, assez bien équipés pour le faire.
Maintenant, je dirai qu’une fois évidemment qu’on l’a fait, je pense que le problème est
probablement à l’entrée : Comment mieux améliorer notre dépistage, notre sensibilité? Ça
je pense qu’il faut réfléchir.»
Par ailleurs, un certain nombre de répondants discutent de l’importance de développer un outil de
dépistage permettant une évaluation et une prise en charge rapide et efficace des enfants à risque de se
retrouver dans un contexte de traite.
Le développement de liens avec la communauté internationale est ressorti dans les entrevues comme
étant un aspect important dans le cadre de la lutte contre la traite transfrontalière. Les relations avec
différentes organisations internationales permettraient de prendre en considération leurs expériences,
notamment dans l’élaboration et la mise en œuvre de bonnes pratiques, tenant compte des particularités
des différentes cultures.
7.4.2
La protection
Il est important de rappeler que non seulement aucune personne rencontrée n’a fait état de mesures de
protection développées spécifiquement pour les victimes de la traite, mais que plusieurs organisations ne
sont pas outillées pour intervenir auprès des mineurs. Les participants soulèvent la nécessité d’une
formation liée à la dynamique spécifique de la traite des personnes, incluant la traite d’enfants.
Toutefois, il ressort des entrevues une série de besoins devant être identifiés afin d’intervenir efficacement.
En ce qui concerne plus spécifiquement la traite externe, il est important d’avoir accès à des interprètes
puisque la barrière linguistique affecte non seulement la capacité des victimes de se prévaloir des services
d’aide, mais rend difficile l’intervention adéquate. Ensuite, on doit compter sur l’accès à un hébergement
sécuritaire et des services médicaux et psychosociaux adaptés aux besoins spécifiques des jeunes
victimes. À ce sujet, les répondants perçoivent les services d’hébergement comme étroitement liés aux
services de protection. Lorsqu’ils rencontrent une victime de la traite, elle est en situation de crise et un
hébergement sécuritaire immédiat est essentiel pour la protéger du trafiquant ou du réseau dans lequel elle
a vécu précédemment.
Par ailleurs, alors que certains répondants déplorent simplement l’absence de services, d’autres font plutôt
état de l’importance d’agir avec célérité auprès des victimes, facteur inhérent à la qualité des
Bureau international des droits des enfants (IBCR)
49
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
services de protection offerts:
«Mais c’est ça la grosse difficulté. C’est que t’as pas les ressources pour répondre alors
que t’as des jeunes pour qui tu dois répondre dans l’immédiat.»
«Car c’est très difficile. Moi je pense, il faudrait arriver à intervenir plus tôt et se rendre
compte plus tôt que c’est ça qui se passe. Pour moi, ce n’est pas un hasard quand une
fille vit un "gang rape". Puis c’est toujours dans les mêmes coins de la ville et puis ce n’est
pas un hasard. Nous comme hôpital, on peut rien faire juridiquement, on n’a aucun
pouvoir. Donc le seul pouvoir qui existe, c’est la protection de la jeunesse et puis moi j’ai
l’impression que eux autres ils se rendent pas compte. Une fille qui vit un viol de groupe
n’est pas retenue à la protection de la jeunesse, je vous le garantis. Nous, comme réseau
de santé, on peut absolument rien faire, on n’a aucun pouvoir juridique. Donc moi je pense
que la protection de la jeunesse devrait intervenir beaucoup plus musclée à ce momentlà.»
Un certain nombre de répondants ont fait mention que le système actuel pose trop souvent l’étiquette de
«délinquante» à la jeune fille prise dans un contexte de traite, ce qui pose problème au plan de sa
protection. Dans le même ordre d’idées, ils reprochent la méconnaissance du problème et la mauvaise
utilisation des ressources existantes. Les propos de ce participant résument bien cette préoccupation :
«Toujours à cause de la tension entre protection et délinquance. Aussi dans les Centres
Jeunesse, c’est pas facile de faire la différence entre protection et délinquance. Les
intervenants favorisent le volet délinquant. La protection, les jeunes qui ont besoin de
l’aide, ils favorisent de les judiciariser. Avec des discussions dans des universités, il est
préféré de les judiciariser. Tu sais, on parle ressources entre autres au niveau des
mineurs; qu’il y a un manque de ressources, ce n’est pas parce qu’il manque de
ressources dans les Centres Jeunesse. Tous les CLSC ont des équipes jeunesse, y’a
aussi des centres spécialisés qui se sont développés, y’a toutes les écoles où il y a des
intervenants sociaux, sanitaires qui sont liés avec les CLSC maintenant. Dans tous les
milieux, il y a des ressources. C’est plus au niveau de l’organisation et sur quoi on met la
priorité. Oui et la compréhension aussi de ce que les jeunes vivent en réalité. Pis en
même temps, c’est juste une réflexion comme ça : la traite, qu’est-ce qui emmène un
jeune à être exploité. Il y a pas juste peut être une conséquence ou un symptôme, y’a
autre chose. Donc aller voir plus à la source. Probablement ce qui est fait souvent, c’est
qu’au sein des ressources, les gens sont rencontrés pour d’autres problématiques qu’ils
vivent. Et le travail est fait au niveau de la pauvreté ou des gangs… Moi l’expérience que
j’ai en termes de jeunes mineurs reliés à la prostitution, c’est que ce n’est pas le manque
d’intervenants qui a dans leur vie. Y’a tout ce qu’il faut, mais ce qu’ils en comprennent,
c’est que ces gens ne les écouteraient pas.»
En outre, l’absence de continuité entre le système pour les jeunes et celui des adultes empêche le suivi
des jeunes pris en charge par le système de protection et compromet la protection des victimes de la traite:
«Dans la mesure qu’on est capable d’identifier que ce jeune-là a été victime de traite et
puis qu’on a des mesures à prendre. La loi qui est capable de nous permettre de prendre
des mesures adéquates. Mais des ressources pour la clientèle qui nous quitte, c’est la
limite dans nos ressources quand même. Et on a trouvé que c’est très payant d’offrir du
Bureau international des droits des enfants (IBCR)
50
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
support aux jeunes qui quittent notre réseau, mais on n’a pas les ressources suffisantes
pour offrir le support nécessaire.»
Qui plus est, les personnes rencontrées ont soulevé le besoin urgent que les organisations travaillent en
concertation dans le but d’accroître la protection des victimes de la traite. À ce sujet, un participant
s’exprime :
«Tant qu’on va travailler chacun de notre côté, on n’arrivera à rien. Un tel organisme règle
un petit problème, l’autre règlera son problème. On n’arrivera à rien, jamais. On va tout le
temps passer à côté.»
En ce qui concerne les cas de traite transfrontalière, les répondants ont mentionné la nécessité d’avoir
recours à une forme de statut légal (visa temporaire, statut de résident) pour les enfants victimes de la
traite afin de favoriser leur protection et permettre des interventions adaptées à leur situation 173 .
Enfin, il ressort des entrevues que le manque flagrant de ressources (financières, humaines et matérielles)
est un des principaux obstacles à l’élaboration et à la prestation de services. Il y a absence de financement
pour le développement de services, pour l’embauche de personnel compétent ou pour des programmes de
perfectionnement (formation continue pour les intervenants). Cet extrait d’entrevue déplore un manque de
volonté politique:
« Au bout de la ligne il faut qu’on sache où elle s’en va, faut qu’elle ait un suivi, mais ça se
fait pas nécessairement dans la majorité des cas. Il faut une volonté sociale et
gouvernementale de régler ce problème-là et puis tant qu’on l’aura pas, on va toujours
effleurer, mettre un diachylon. On va en mettre à une place et couper à l’autre. Ça nous
prend une vraie politique, une vraie volonté sociale de dire "on règle l’exploitation sexuelle
des jeunes filles." »
7.4.3
La poursuite
Il ressort des entrevues une méconnaissance marquée des différentes lois, tant au niveau provincial,
qu’aux niveaux national et international. En effet, les répondants affirment non seulement qu’ils
connaissent peu les lois applicables dans le cas de la traite d’enfants, mais aussi que cette lacune est
également présente chez les agents d’immigration, les enquêteurs et les procureurs; ce qui cause
préjudice aux victimes.
Outre la méconnaissance de la législation, les répondants font état du problème lié à l’application de cette
dernière. Bien qu’il existe de nouvelles dispositions dans les lois canadiennes favorisant la poursuite des
trafiquants, ces moyens doivent être connus, bien interprétés et appliqués. Un répondant fait aussi le lien
avec la Convention relative aux droits de l’enfant:
«Nous devons appliquer les lois que nous avons maintenant. Nous devons cesser
d'adopter cette approche légère, et vous connaissez les devoirs qui nous incombent
relativement au droit international, par exemple, nous devons appliquer la Convention des
173
Il est à noter que les entrevues ont été réalisées avant l’émission, en mai 2006, de Directives provisoires de Citoyenneté et
Immigration Canada, permettant aux agents d’immigration d’accorder un permis de séjour temporaire aux personnes victimes
de la traite.
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51
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Nations Unies. Nous devons également appliquer nos lois criminelles lorsqu'il y a lieu et en
faire une priorité. Et je pense personnellement que les crimes contre les enfants devraient
avoir des peines plus sévères que les crimes contre les adultes. » (Traduction libre)
Enfin, les personnes rencontrées discutent de l’absence d’arrimage entre les lois des différentes provinces
et territoires au Canada. Le problème existe dans les divers services concernés par la protection de la
jeunesse :
«Je crois que c’est tout l’arrimage au niveau des lois entre les différentes provinces qui ne
sont pas tout à fait les mêmes, l’application par rapport aux jeunes. Nous on travaille avec
les jeunes jusqu’à 18 ans ici. Dans certaines provinces, ce n’est pas jusqu’à 18 ans. C’est
peut-être là que je vois une lacune, mais encore là chacun applique.»
Une autre difficulté organisationnelle concernant les poursuites réside dans le fait que les différentes
autorités ne disposent pas d’un système de recensement et d’enregistrement uniforme. Les personnes
consultées demandent l’harmonisation des systèmes de collectes de données sur l’ensemble du territoire
canadien.
Par ailleurs, les témoignages recueillis font état du peu de moyens pour mener les enquêtes permettant de
retracer les réseaux de trafiquants. Il est difficile d’obtenir la collaboration des victimes lors de la poursuite
et de les convaincre de témoigner contre leurs trafiquants.
«Les lois sont pas adaptées. Elles le sont un peu plus depuis l’adoption du projet de loi
mais ils pourraient faire plus. Ils pourraient plus parce qu’il y a des proxénètes qui sont
extrêmement violents et pour lesquels on n’aura jamais de victimes, témoins prêts à
raconter leur histoire. Ce qu’il faudrait, c’est qu’on puisse traiter ces dossiers-là comme
des crimes sans plaignant. Un peu comme les stupéfiants, faire des filatures, des
observations, des écoutes électroniques…Et puis à partir des agents doubles, à partir de
ces techniques-là, pouvoir faire un portrait et démontrer parmi ces personnes à la Cour,
qu’elles soient condamnées et puis qu’elles arrêtent de faire des victimes. C’est cette
partie-là qui nous manque, qui nous donne des difficultés.»
De surcroît, il se dégage, dans les propos de plusieurs répondants, une impression générale que les
sentences pour les clients et les trafiquants sont trop clémentes, en ce qui concerne la traite d’enfants. En
effet, les personnes rencontrées mentionnent que des efforts devraient être déployés dans les poursuites,
d’une part contre les trafiquants et leurs complices en les condamnant à un nombre minimal d’années de
prison selon la gravité de l’infraction et, d’autre part, contre les clients qui devraient être pénalisés à payer
une amende ou à une peine de prison, selon la situation. Toutes ces personnes condamnées pour des
motifs reliés à la traite d’enfants devraient avoir un casier judiciaire pour être retracées éventuellement.
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52
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
PARTIE III : BILAN ET PERSPECTIVES
D’AVENIR
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53
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
8 Bilan et perspectives d’avenir
La présente partie expose notre analyse du phénomène de la traite d’enfants au Québec sur la base de
l’examen de la documentation (partie I) et des résultats recueillis au cours des entrevues (partie II).
1. L’analyse des résultats permet de souligner le manque flagrant de connaissances chez les personnes
rencontrées en ce qui concerne le phénomène de la traite des personnes et, tout particulièrement, la traite
d’enfants. De plus, les entrevues permettent d’illustrer clairement la confusion existante entre «traite des
personnes», «prostitution» et «exploitation sexuelle». Ces termes sont confondus alors qu’ils renvoient à
des réalités différentes, bien que connexes. Tel que mentionné au cours des entrevues, il serait primordial
de sensibiliser la population et les intervenants à l’aide d’une campagne d’information menée en
collaboration avec les médias et des organisations de défense des droits. Alors que certains répondants
mentionnent la méconnaissance de la population, d’autres perçoivent un besoin de formation chez les
professionnels amenés à intervenir, directement ou indirectement, auprès des enfants victimes de la traite
ou des jeunes à risque.
La traite de personnes est à la fois un problème national et international. Lorsque les répondants ont fourni
leur définition de la traite de personnes, plusieurs l’ont associée à l’entrée illégale au Canada. Cependant,
la littérature illustre que dans bien des cas, la traite est liée à des programmes légitimes d’immigration au
Canada 174 . Il est, par contre, intéressant de noter qu’à l’exception des intervenants qui travaillent en
immigration, les personnes consultées ont très peu de connaissances à l’égard de la traite externe. En
effet, la majorité des répondants ont plutôt été en mesure d’identifier des cas de traite interne. Celle-ci
représente une réalité bien présente au Québec et dans l’ensemble du Canada. Tel que décrit dans le
portrait de la situation, les communautés autochtones sont particulièrement touchées par cette
problématique.
2. Tant dans la littérature que dans les entrevues réalisées, l’absence d’une définition commune de la
«traite d’enfants» est ressentie comme un problème. Référer à une définition transmet un message quant à
la valeur accordée aux enfants, suggère des recours judiciaires et circonscrit des moyens de prévention et
d’intervention afin de lutter contre le phénomène. La plupart des personnes rencontrées utilisent des
segments de la définition du Protocole de Palerme 175 , soit le recrutement, le déplacement, la contrainte et
l’exploitation. Ainsi, la grande majorité des répondants exprime le besoin d’une définition uniforme, précise
et adaptée aux réalités du contexte québécois et canadien, pouvant être utilisée par l’ensemble des
organisations. Selon les répondants, l’utilisation d’une définition commune permettrait de mieux se
comprendre et faciliterait grandement l’identification des victimes. De plus, la plupart des répondants ont
mentionné qu’ils connaissent peu les lois relatives à la traite de personnes. Puisque la législation énonce
non seulement les définitions, les droits et recours possibles, mais aussi les paramètres dans lesquels les
intervenants peuvent agir, il apparaît essentiel d’inclure un segment sur les lois applicables dans une
éventuelle campagne de sensibilisation.
3. Il est difficile de connaître l’ampleur exacte de la traite des personnes au Québec, voire au Canada. Au
même titre que les organisations internationales, celles rencontrées dans le cadre de l’étude s’accordent à
reconnaître l’absence de statistiques fiables. En revanche, les personnes consultées constatent qu’il s’agit
174
175
L. LANGEVIN, M.-C. BELLEAU, loc. cit. note 37.
Protocole de Palerme, loc. cit. note 1.
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55
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
d’un phénomène en expansion et que des efforts sont nécessaires afin de mieux comprendre. Ainsi, un
des besoins exprimés par les personnes rencontrées réfère à la nécessité de recueillir des données
concernant les victimes de la traite d’enfants afin que les organisations non gouvernementales et
gouvernementales interviennent adéquatement, en tenant compte de la portée et de la gravité réelle du
problème.
4. Par ailleurs, le phénomène de la traite d’enfants est décrit comme un problème clandestin qui est difficile
à détecter et ce, même pour un professionnel formé et avisé. Bien que certains répondants mentionnent
avoir rencontré un ou des cas de traite de personnes dans le cadre de leur fonctions, il s’avère difficile de
déterminer s’il s’agit réellement d’une victime de traite. Les problèmes d’identification soulevés
précédemment sont accentués par la difficulté d’échanger l’information entre les professionnels.
5. La majorité des répondants affirment être en lien et, dans certains cas, travailler avec différents
organismes responsables d’intervenir sur le phénomène. Des répondants ont exprimé leur volonté de
recevoir un support pour créer et stimuler des partenariats pour lutter contre la traite d’enfants. Malgré une
collaboration apparente, l’échange de renseignements sur des dossiers spécifiques ne semble pas
s’effectuer. Afin d’assurer la protection des victimes et de minimiser la re victimisation de ces dernières, la
coopération entre les différents partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux est essentielle. En
fait, il est presque impossible d’intervenir de façon adéquate auprès d’une victime lorsque des parties
importantes de son histoire ne sont pas divulguées ou lorsque son identité n’est pas dévoilée aux
personnes qui sont mandatées pour lui venir en aide. De meilleurs moyens d’échange de
renseignements doivent être développés afin d’intervenir et d’effectuer un suivi auprès de la victime, tout
en respectant son droit à la confidentialité.
6. Plusieurs enfants impliqués dans la traite ne se perçoivent pas comme des victimes. Or, il est difficile
pour les victimes de la traite de s’identifier comme victimes puisque leur confiance à l’égard des autorités et
du réseau de services est compromise par un vécu d’exploitation et par une atmosphère d’insécurité
permanente. D’autant plus que les victimes de la traite ne sont pas identifiées comme telles par les
services. Selon les personnes rencontrées, les enfants peuvent avoir été signalés pour un problème
connexe qui peut s’avérer être une conséquence directe de la traite. D’où la nécessité de développer un
outil de dépistage afin de faciliter l’identification des victimes et de permettre aux intervenants d’agir sur la
problématique, soit l’exploitation d’un enfant. En tenant compte du contexte, un suivi plus continu serait
assuré à un enfant présentant des difficultés, telles qu’un environnement familial violent, la présence
d’abus préalables, la toxicomanie, la pauvreté, l’isolement, la précarité, le manque de confiance ainsi que
le désengagement des adultes vis-à-vis des enfants.
7. Tel que décrit dans la littérature, il ressort que les services offerts doivent répondre aux besoins
spécifiques de chaque enfant. Par exemple, le placement devrait se faire en fonction de ses besoins, de sa
culture, de sa langue et de sa religion ainsi que de sa situation particulière. Plusieurs intervenants œuvrant
auprès de jeunes de la rue, de jeunes autochtones ou de minorités ethnoculturelles maintiennent que des
approches individualisées aux situations particulières vécues par les victimes doivent être
développées.
Au chapitre de l’aide aux victimes, l’objectif est de leur garantir un rétablissement physique, psychologique
et social, tout en leur fournissant un hébergement sécuritaire, une assistance médicale et psychologique,
un suivi intensif, un soutien financier, des conseils juridiques, un emploi et des possibilités de scolarisation
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56
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
et de formation. Toutes les informations doivent être communiquées dans un langage que les enfants
comprennent.
8. Il y a lieu de questionner la capacité du réseau de la santé et des services sociaux de répondre aux
besoins spécifiques des jeunes victimes lorsqu'elles sont identifiées ou lorsqu'elles se présentent
spontanément pour demander de l’aide. Bien que le réseau de la santé et des services sociaux offre des
services de protection aux jeunes victimes de la traite, aucun outil n’a été jusqu’à présent développé pour
répondre aux besoins spécifiques de cette population vulnérable. Pour ce faire, la traite d’enfants doit
devenir une priorité des gouvernements et ceux-ci doivent se donner les moyens pour renforcer les
programmes.
9. Jusqu’à présent, les politiques et législations canadiennes se sont principalement attardées aux mesures
permettant d’identifier les criminels et d’engager des poursuites, de saisir leurs gains, de démanteler leurs
réseaux. Ces mesures sont certes importantes, mais ne pourraient se réaliser sans la collaboration des
victimes. Cette approche axée sur la répression et la criminalisation des trafiquants est loin d’être suffisante
et présente peu de solutions efficaces pour les personnes victimes de la traite.
De surcroît, la traite d’enfants est souvent liée à la criminalité organisée et doit être combattue au Canada
avec la même intensité que le trafic de drogues et le blanchiment de capitaux. L’expérience prouve que la
mise en œuvre d’instruments juridiques au niveau national vient renforcer les actions entreprises au niveau
international; les infractions prévues au Code criminel 176 permettent d’intenter des poursuites. En fait, le
Canada prend actuellement des mesures pour créer un cadre législatif plus complet et efficace pour lutter
contre la traite des personnes 177 . Il faut saluer la plus grande admissibilité des mesures visant à faciliter le
témoignage des enfants victimes, notamment ceux victimes de traite 178 .
Les victimes doivent pouvoir raconter leur expérience à leur rythme, sans subir de pression indue,
à des professionnels adéquatement formés. Dans le cadre de leur intervention, une attention particulière
doit être portée aux méthodes d’investigation, puisque celles-ci peuvent s’avérer traumatisantes pour les
victimes.
10. Les victimes ne doivent pas être punies pour des infractions découlant directement des circonstances
liées à la traite, notamment l'absence de documents d’identité et de statut légal, l’entrée illégale au pays, la
violation de la législation sur la prostitution, le travail ou la mendicité. Pour assurer une protection efficace,
ces enfants doivent être reconnus et traités comme des personnes ayant besoin d’aide. C’est là un premier
pas qui peut sembler évident, mais on les considère trop souvent responsables de leur sort. Pourtant, il
s’agit de mineurs vulnérables cherchant à survivre ou à améliorer leur situation, loin de leur famille, de leur
communauté au sein même de leur pays ou à l’étranger. Ils sont leurrés par les trafiquants, piégés par les
clients, abandonnés par un système juridique et social qui ne les protège pas car impuissant à les libérer.
Ainsi, on doit établir des procédures de dépistage des enfants susceptibles d'être utilisés dans les milieux à
risque. Une attention particulière doit être apportée aux individus appréhendés pour violation de la
législation en matière d'immigration, de prostitution, de mendicité ou de travail clandestin. On ne peut
s’attendre à ce que les victimes de la traite s'identifient elles-mêmes. Des méthodes d'investigation par
176
177
178
C.cr. loc. cit. note 157.
Ibid. articles 279.01, 279.02 et 279.03.
Projet de loi C-2, loc. cit. note 157.
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57
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
le biais d'entretiens dans des environnements sécuritaires et non menaçants, utilisées par des
conseillers formés, avec l’aide d’interprètes, permettent de déceler les indicateurs de la traite.
11. Bien que la plupart des répondants rencontrés n’aient pas un mandat spécifique en matière de
prévention de la traite d’enfants ou de la protection des victimes, ils répondent à certains de ces besoins.
Or, il est révélateur que la quasi-totalité des organisations consultées insistent sur la nécessité d’un
financement suffisant pour bien remplir leur mandat élargi.
À l’instar de la littérature, certains répondants abordent l’importance de trouver des stratégies et moyens
pour favoriser l’autonomisation («empowerment») des jeunes. En permettant à un enfant victime de la
traite d’exercer un certain pouvoir, c’est-à-dire en l’impliquant dans son processus de réintégration et en
l’accompagnant dans l’élaboration et la réalisation de son projet de vie, on augmente d’autant les chances
de succès dans sa vie immédiate et future.
12. En ce qui a trait plus spécifiquement à la traite externe, la régularisation du statut d’immigrant des
victimes et le respect de leurs droits fondamentaux sont également identifiés comme des besoins
pressants. À cet égard, il s’avère pertinent de rappeler qu’en mai 2006, Citoyenneté et Immigration Canada
a émis des directives permettant aux agents d’immigration d’accorder un permis de séjour temporaire aux
personnes ayant subi la traite 179 . Ces directives rappellent aux agents la situation de détresse dans
laquelle peuvent se retrouver les victimes de la traite et informent ces derniers quant aux précautions à
prendre lors des entrevues. Cette attention vise à assurer la coopération des victimes et à empêcher les
renvois forcés sans s’être assurés que ces personnes ne sont pas des victimes de la traite.
13. Enfin, on doit rappeler que les inégalités économiques, à l’échelle mondiale, entre les pays du Nord et
du Sud, ainsi que la colonisation des peuples autochtones favorisent le commerce national et international
des personnes. L’exploitation des enfants représente un phénomène inacceptable et met en lumière la
nécessité d’une volonté d’agir pour contrer ce fléau et l’urgence d’intervenir au niveau de la prévention,
de la protection et des poursuites.
179
Directives provisoires sur la traite des personnes, loc. cit. note 144.
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Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Conclusion
La traite d’enfants existe bel et bien au Québec. En effet, les enfants victimes de la traite interne sont
déplacés du territoire québécois vers d’autres villes du Québec, du Canada ou même ailleurs, alors que les
enfants victimes de la traite externe arrivent ou transitent par le Québec. Jusqu’à présent, peu de
renseignements sur l’ampleur réelle de la situation sont disponibles, mais la majorité des auteurs et
répondants s’entendent pour dire que la traite d’enfants est un phénomène en expansion.
Lors des entrevues, la majorité des personnes rencontrées ont exprimé le manque de connaissances en
lien avec cette problématique et qu’il était impératif de référer à une définition commune. De plus, dans le
cadre de cette étude, plusieurs facteurs de risque rendant les enfants vulnérables à la traite de personnes
ont été relevés. Il a été constaté que les différentes facettes de l’exploitation subie par les jeunes victimes
provoquent des conséquences désastreuses sur leur vie et dans leur entourage.
Le défi est de dépister les enfants à risque d’être recrutés par des trafiquants et d’identifier ceux victimes
de la traite. Ensuite, il y a une urgence d’agir pour répondre aux besoins de ces enfants et voir au respect
de leurs droits. Dans le cadre de la présente étude, il ressort que les services offerts doivent répondre aux
besoins spécifiques de chaque enfant.
Plusieurs répondants ont manifesté le désir de travailler en étroite collaboration avec les intervenants des
autres secteurs pour prévenir la traite d’enfants, protéger les victimes et poursuivre les trafiquants.
En créant de nouvelles infractions relatives à la traite de personnes et des mesures s’y rattachant, le
Canada dénonce ouvertement la traite de personnes et se donne des moyens d’agir pour lutter contre ce
fléau.
Fort des résultats de la présente étude, le Bureau international des droits des enfants émettra
prochainement une série de recommandations en matière de lutte contre la traite d’enfants au
Québec. Celles-ci serviront d’assise au plan d’action qui sera élaboré puis mis en place en étroite
collaboration avec ses partenaires au cours de l’année 2007.
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59
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Bibliographie
Instruments législatifs
Instruments internationaux
Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE N° 197), adoptée
par le Comité des Ministres le 3 mai 2005 et ouverte à la signature à Varsovie le 16 mai 2005, à l'occasion
du 3e Sommet des Chefs d'État et de Gouvernement du Conseil de l’Europe.
Convention interaméricaine sur le trafic international des mineurs, DF Mexico, adopté le 18 mars 1994 à la
5e Conférence interaméricaine spécialisée sur le droit international privé.
Convention relative à l’esclavage, Société des Nations, 60 L.N.T.S. 253, signée le 26 septembre 1926 et
entrée en vigueur le 9 mars 1927.
Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions
et des pratiques analogues, signée le 7 septembre 1956 et entrée en vigueur le 30 avril 1957.
Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par la résolution 44/25 de l’Assemblée générale des
Nations Unies, le 20 novembre 1989. Le gouvernement du Canada a ratifié cette Convention le 12
décembre 1991, soit quinze mois après son entrée en vigueur, le 2 septembre 1990.
Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée par la résolution 217(A) (III) de l’Assemblée
générale des Nations Unies, le 10 décembre 1948.
Lignes directrices en matière de justice pour les affaires impliquant des enfants victimes et témoins d’actes
criminels, adoptées le 22 juillet 2005 par la résolution 2005/20 du 22 juillet 2005.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par la résolution 2200 A (XXI) de
l’Assemblée générale des Nations Unies, le 16 décembre 1966 et entrée en vigueur le 23 mars 1976.
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par la résolution 2200 A
(XXI) de l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966, 21 U.N.GAOR Supp. (No 16) à 49,
UN Doc. A/6316, 993 U.N.T.S., 3 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.
Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,
adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 55/25, entrée en vigueur le 9
septembre 2003. (communément appelé « Protocole de Palerme »).
Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations
Unies contre la criminalité transnationale organisée, A/RES/55/25 25, 2000.
Bureau international des droits des enfants (IBCR)
61
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la
prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, A/RES/54/263, adopté le 25 mai
2000 et entré en vigueur le 18 janvier 2002.
Instruments nationaux
Charte québécoise des droits et libertés de la personne. L.R.Q., ch. C-12.
Code civil du Québec, C.c.Q.1980.
Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutés ou en
danger, 2001, ch. 27 (Communément appelée « Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés »).
Loi sur la preuve au Canada, R.S. 1985.
Loi sur la protection de la jeunesse, LRQ, ch. P-34.1, 1989.
Projet de loi C-2, Parlement du Canada, 38e Législature, 1ère session, Sanction royale le 20 juillet 2005,
L.C. 2005.
Projet de loi C-49 (2005, ch. 43, art. 3) modifiant le Code criminel, L.R., 1985, ch. C-46, articles 279.01,
279.02 et 279.03.
Directives, ententes et programmes
Directives provisoires de Citoyenneté et immigration Canada sur la traite de personnes, mai 2006.
Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou
d’une absence de soins menaçant leur santé physique, Gouvernement du Québec, 2001. Disponible à la
section documentation du site : www.msss.gouv.qc.ca
International Scientific and Professional Advisory Council of the United Nations Crime Prevention and
Criminal Justice Programme (ISPAC), Trafficking : Networks and Logistics of Transnational Crime and
International Terrorism, Courmayeur Mont-Blanc, Italie, 6 au 8 décembre 2002, Dimitri Vlassis (Éd.).
Politique concernant la traite de personnes de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, adoptée le 29
juin 2004. Disponible sur le site : http://www.nato.int/issues/trafficking/index.html.
Programme international de l’OIT sur l’élimination du travail des enfants, Cross Border Trafficking of Boys,
Centre de réhabilitation des femmes Gaushala, Katmandu, 2002.
Bureau international des droits des enfants (IBCR)
62
Stratégie d’action en matière de protection des droits des enfants victimes de la traite au Québec – Volet I
Ouvrages
AEBI Renata, The Trafficking in Children for the Purpose of Prostitution: British Columbia, Canada, préparé
pour le National Judicial Institute, International Instruments and Domestic Law Conference, Montréal, 9 au
12 novembre 2001. Disponible sur le site :
http://www.harbour.sfu.ca/freda/articles/traf1.htm#N_19_
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