Sperme de luxe - Cryos International

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Sperme de luxe
ANNE-FRANÇOISE HIVERT 20 JANVIER 2007 À 05:33
«Félicitations, c'est un Viking !» Comment une banque de sperme
danoise est partie à la conquête du marché de l'insémination.
ENQUÊTE
Århus (Danemark) envoyée spéciale
Il mesure 1,80 m et pèse 78 kg. Ses cheveux sont châtain clair. Ses yeux marron, teintés de vert.
Et ses lèvres «de taille normale». Boie est danois. Sympa. Sportif. Bosseur. Artiste à ses
heures, il a déjà vendu plusieurs de ses toiles. Le reste du temps, il prépare une maîtrise de
biologie moléculaire. Il vise le doctorat. Une histoire de famille sans doute : ses parents sont
titulaires d'un doctorat. Sa soeur, elle, dirige un établissement scolaire. Boie est l'archétype du
gendre idéal. Et pourquoi pas le géniteur des enfants que vous ne parvenez pas à avoir, faute de
spermatos vaillants ? Inutile de réserver un billet d'avion pour Copenhague. Vous ne
rencontrerez jamais Boie, qui n'est d'ailleurs qu'un pseudonyme. Un coup de téléphone de votre
gynéco à la banque de sperme danoise Cryos International, basée à Århus, suffira. Vous
recevrez, sous vingt-quatre heures, les précieux gamètes de cet apprenti Picasso, prêts à être
inséminés.
Avec un stock de 75 000 paillettes (mini éprouvettes contenant chacune quelques millions de
spermatos congelés), des ventes qui ont atteint 2 millions d'euros en 2006 et plus de 12 000
naissances à son actif dans une cinquantaine de pays, Cryos est aujourd'hui considéré comme
un leader sur le marché du sperme, disputé par des dizaines d'opérateurs privés, notamment
aux Etats-Unis. La banque danoise fait florès sur le créneau de l'enfant de type nord-européen,
avec un site en anglais orné d'un bébé blond aux yeux bleus et d'un slogan : «Félicitations, c'est
un Viking !» Le fondateur de Cryos, Ole Schou, dément toute tentation eugéniste : «Nous ne
vendons pas de superbébés, mais nos donneurs sont scandinaves et la référence aux Vikings
est un moyen de nous faire connaître.» La majorité des clients américains sont d'origine nordeuropéenne, précise-t-il. «Et c'est parce qu'ils veulent un enfant qui leur ressemble qu'ils
s'adressent à nous», déclare Claus Rodgaard, le directeur du bureau new-yorkais ouvert par
Cryos. La folie du «sperme scandinave» a également atteint les côtes britanniques. En 2002, le
tabloïd The Sun raillait déjà : «Si les Danois viennent à notre rescousse, ce ne sera pas la
première fois dans l'histoire qu'une grosse quantité de leur sperme se retrouvera ici. Il y a
plus de mille ans, le sperme danois était distribué par les Vikings, que les vierges britanniques
le veuillent ou non.» Et en novembre, le journal britannique The Times titrait sur «la conquête
du monde par le sperme danois».
112 euros la paillette
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Celle-ci commence au 2e étage d'un immeuble ordinaire situé dans le centre de la ville
universitaire danoise d'Århus, où des hommes viennent déposer leur semence. Pas de publicité
sur la façade. «Nous essayons de rester discret pour ne pas gêner nos donneurs», explique
Thomas Ebbesen, laborantin chez Cryos. Les locaux sont accueillants. Des spermatos bleus
défilent sur les murs blancs, des photos de marmots à la mine épanouie complètent le décor.
Un gobelet en plastique à la main, un jeune homme blond aux yeux clairs entre dans l'une des
deux pièces insonorisées, face à l'accueil. Sur une table basse, quelques revues de charme. Les
films pornos sont réservés aux hommes souhaitant congeler leur sperme avant de subir un
traitement anticancer susceptible de les rendre stériles : «C'est plus difficile pour eux»,
explique Ole Schou.
Le donneur ressort, rapide. Le contenu du gobelet est examiné au microscope avant d'être
congelé dans des paillettes, à ​
196 ° C. Celles-ci y resteront pendant six mois au minimum. Le
temps de vérifier que la sérologie du donneur est bien négative. Puis leur contenu sera de
nouveau analysé, pour compter le nombre de spermatozoïdes mobiles, survivant à la
congélation, paramètre dont dépend la qualité du sperme... et son prix de vente. Une paillette
de qualité moyenne, contenant quelques millions de spermatos, sera vendue 112 euro(s). Il faut
en acheter une douzaine en moyenne, estime-t-on, pour avoir un enfant, les inséminations ne
réussissant pas à tous les coups. La détermination d'un prix du sperme humain, selon sa
«qualité», ne semble pas déranger Ole Schou. «C'est le mécanisme qui permet à l'offre et la
demande de se rencontrer», commente ce diplômé de l'université d'économie d'Århus. Quitte à
en faire une banale denrée ? Ole Schou précise, très politiquement correct, que son objectif est
d'«aider les couples qui ne peuvent pas faire d'enfant».
Ce Danois d'une cinquantaine d'années ne se lasse pas de raconter comment, il y a trente ans, il
s'est réveillé la tête pleine de spermatozoïdes congelés. «Je ne sais pas d'où venait ce rêve,
mais c'était tellement bizarre que je m'en souviens encore.» C'est le début d'une passion.
«Certains jouaient au golf, d'autrescollectionnaient des timbres. Moi, je me suis mis à lire tout
ce que je trouvais sur le sperme.» La première banque de sperme humain avait ouvert aux
Etats-Unis en 1963. Profitant de la législation danoise qui autorise les établissements privés à
recueillir les dons de gamètes, Ole Schou fonde Cryos en 1987.
Ses premiers clients sont des hommes qui s'apprêtent à subir une chimiothérapie. Pas rentable.
Mais en mai 1991 il livre ses premières paillettes à une clinique privée. «Une semaine plus
tard, nous avions une première grossesse, puis cinq autres la semaine suivante.» Depuis,
Cryos affiche un taux de réussite de 30 % dès la première insémination, contre 10 % pour les
autres banques. Réputation qui lui a permis d'ouvrir en 1994 deux bureaux à Copenhague et
Odense, tandis que son principal concurrent danois fermait boutique en 2006.
250 donneurs triés sur le volet
La banque dispose aujourd'hui d'un catalogue de 250 donneurs, souvent des étudiants, dont les
profils détaillés sont accessibles sur l'Internet, moyennant finance. Leur description ​
physique
et sociale ​
sert à rassurer les futurs parents, selon Ole Schou : «Si vous alliez dans un bar à la
recherche d'un géniteur pour vos enfants, n'essayeriez­vous pas d'en savoir un peu plus sur les
hommes qui sont là ?» Tous ont été testés, assure Cryos. Par des examens sanguins et
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génétiques destinés à éliminer les porteurs de maladie infectieuse (sida, hépatite...) et de
quelques affections héréditaires communes comme la mucoviscidose. Par un long
questionnaire supposé sonder l'état de santé de la parentèle (pour écarter les prédispositions à
certaines maladies) et la motivation du don. Et par un entretien avec un médecin. Un candidat
sur dix seulement serait retenu.
Une fois sélectionnés, les donneurs continuent de subir des tests sérologiques tous les trois
mois. En cas de révélation d'une contamination, leurs paillettes seront immédiatement
détruites. «Mais ça n'est jamais arrivé», précise Thomas Ebbesen. La plupart des donneurs
viennent une ou deux fois par semaine. Certains tous les jours. La législation danoise autorise
25 procréations par donneur (contre 10 en France) pour prévenir les risques de consanguinité.
Mais l'exportation du sperme danois a permis de lever cet obstacle. Une poignée des donneurs
de Cryos a déjà engendré une centaine d'enfants.
Si le Danemark interdit la rémunération du don du sperme, il autorise le versement d'une
«compensation financière», exonérée d'impôt. Son montant varie en fonction de la quantité et
de la qualité du sperme, mais tournerait à plus de 15 euro(s) par don. Cette «compensation»,
souligne Ole Schou, permet de garantir un approvisionnement régulier en sperme, une des clés
du succès de la société. Car en Europe la tendance à la pénurie se trouve aujourd'hui aggravée
dans les pays comme la Grande-Bretagne, qui ont interdit l'anonymat du don.
Un réseau de banques franchisées
Inquiets de se voir traquer par des rejetons, les donneurs ont déserté les banques de sperme.
«Quel homme voudrait voir débarquer dans son jardin, le jour de ses 50 ans, une vingtaine
d'inconnus qui l'appellent papa ?» interroge Joergen Grinsted, directeur de la clinique de
fertilité Trianglen, à Copenhague. Résultat : les files d'attente pour bénéficier d'un don de
gamètes s'allongent en Grande-Bretagne, à tel point que certains couples choisissent une
insémination à l'étranger, dans les pays aux législations plus laxistes. En Belgique, par exemple,
mais au Danemark aussi, où depuis le 1er janvier femmes seules et lesbiennes ont accès à la
procréation médicalement assistée, dont l'insémination avec donneur. Désormais, environ 10
% des patientes de la clinique Trianglen sont étrangères. La plupart viennent de Norvège, de
Suède et du Royaume-Uni. Un tourisme de la fertilité qui touche aussi la France : Cryos affirme
avoir contribué à la naissance d'au moins 200 bébés français ces dernières années. La banque
assure même avoir collaboré avec une poignée de médecins français, en toute illégalité puisque
l'importation de sperme est interdite en France (lire ci-contre).
Si la majorité des clientes de Cryos se sont faites inséminer dans leur pays, avec un sperme
envoyé sur commande, Ole Schou voit plus loin et travaille au développement d'un réseau
international de banques «franchisées». La première sera inaugurée aux Etats-Unis, début
mars, et Cryos négocie avec la République tchèque, la Norvège et l'Espagne. Ole Schou est
convaincu que seuls quelques établissements dans le monde survivront aux réglementations de
plus en plus exigeantes sur la sécurité sanitaire des dons de gamètes et autres prestations du
baby business. Il espère que Cryos sera bien l'un d'entre eux.
Illustrations de Séverin Millet
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HIVERT Anne­Françoise
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