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CAS CLINIQUE
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L’ostéomalacie hypophosphorémique vitamino-résistante
liée à l’X: à propos de 2 familles.
X-linked hypophosphatemia osteomalacia : about 2 families.
Jihane Sekkat, Wafae Rachidi, Saadia Janani, Oufae Mkinsi
Service de Rhumatologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca - Maroc
Rev Mar Rhum 2012; 21: 59-62
Résumé
Abstract
Les ostéomalacies secondaires à une fuite
rénale du phosphate regroupent plusieurs
entités dont le syndrome de Fanconi,
l’ostéomalacie
oncogénique,
l’acidose
tubulaire et
l’hypophosphatémie familiale
vitaminorésistante. Les formes héréditaires
sont rares, nous rapportons le cas de 2
familles
présentant
une
ostéomalacie
hypophosphorémique
vitamino-résistante
liée à l’X. Six membres de la première famille
sont atteints dont Mme M. Z, âgée de 37
ans, ses trois sœurs, sa fille et son fils. Cette
patiente a été hospitalisée dans notre service
pour des ostéo-arthralgies mécaniques avec
déformation des membres inférieurs en
parenthèses. La deuxième famille avec atteinte
de trois de ses membres dont Mme J. S âgée
de 34 ans, hospitalisée pour le même tableau
clinique. Le bilan biologique révèle chez les
deux patientes une hypophosphorémie, avec
un taux de calcium, de la 25-OH vitamine
D3 et de la parathormone (PTH) normal, la
fonction rénale et hépatique sont également
normales. Le bilan radiologique trouve une
déminéralisation diffuse avec fractures et cals
multiples et des fissures de Looser Milkman
de différents sièges. Les causes oncogènes,
médicamenteuses et le syndrome de Fanconi
ont été éliminés chez les 2 patientes.
Osteomalacia secondary to renal phosphate
leak include many entities among which
Fanconi syndrome, oncogenic osteomalacia,
tubular
acidosis,
and
Hereditary
hypophosphatemic osteomalacia. Familial
forms are scarce. We report the rare case of two
families with an X-linked vitamin D-resistant
hypophosphatemic osteomalacia. Six members
of the first family are Ms. M-Z aged 37, her three
sisters, her daughter and her son, admitted
to our department for musculoskeletal pain
associated with mechanical deformity of the
lower limbs in parentheses. The second family
had involvement of three of its members, Ms.
J-S 34 years old, admitted for the same clinical
complaints. Laboratory tests in both patients
revealed hypophosphatemia, with normal
serum calcium, normal 25 OH vitamin D3,
normal parathyroid hormone (PTH) and normal
renal and liver function parametrs. Radiographs
showed diffuse demineralization with multiple
fractures and calluses and Looser Milkman
cracks in different locations. Oncogenic
causeses, drug, and Fanconi syndrome have
been eliminated in 2 patients. Treatment with
oral phosphate is given at a dose of 1500mg/
day in three divided doses associated with
alpha-hydroxy vitamin D3 at a rate of 0,75
µg/day. One year after treatment initiation,
clinical improvement was noted, with complete
resolution of bone pain and normalization of
laboratory tests.
Un traitement par phosphate par voie orale
est donné à la dose de 1500mg/j à raison de
trois prises par jour associé au dérivé 1 alphahydroxy vitamine D3 (Un alpha) à raison de 0,75
µg/j. une année après le début du traitement,
une amélioration clinique a été notée, avec
disparition des douleurs osseuses et une
normalisation du bilan biologique.
Mots clés : L’ostéomalacie hypophosphorémique
liée à l’X;famille.
Correspondance à adresser à : Dr. J. SEKKAT
Email : [email protected]
Revue Marocaine de Rhumatologie
Key words : X-linked hypophosphatemia
osteomalacia, family.
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J. Sekkat et al.
CAS CLINIQUE
L’ostéomalacie est due le plus souvent à une carence en
vitamine D (vit D) et dans ce cas, l’hypophosphorémie
est souvent considérée comme la conséquence de
l’hyperparathyroïdie secondaire. Cependant, il existe des
formes d’ostéomalacie dans lesquelles le défect primaire
est la concentration sérique basse de phosphore appelée
ostéomalacie hypophosphorémique. La plus courante est
la forme liée à l’X.
membres inférieurs a montré une déminéralisation diffuse,
une déformation en parenthèse, des fissures de Looser
Milkman au niveau des 2 tibias et des péronés (fig.2a) et
une fracture des deux fémurs (fig.2b).
L’ostéomalacie hypophosphorémique liée à l’X est une
affection métabolique héréditaire dominante, caractérisée
par une perte urinaire de phosphate, un trouble du
métabolisme de la vitamine D et un trouble du métabolisme
osseux; en particulier la minéralisation de l’os ostéoïde
néoformé.
Les
autres
étiologies
de
l’ostéomalacie
hypophosphorémique sont plus rares et peuvent être
d’origine tumorale (ostéomalacie oncogène) [1], rénale
ou médicamenteuse.
OBSERVATIONS
Observation 1 : Mme M.Z, âgée de 37 ans, ayant
cinq membres de sa famille atteints d’ostéomalacie
hypophosphorémique (trois sœurs, sa fille et son fils) et qui
présente un retard de croissance depuis la naissance avec
des membres inférieurs en parenthèse et des ostéalgies
diffuses. Le bilan biologique a montré un taux normal
de vitamine D et du calcium et une hypophosphorémie
allant de 14 à 20mg/l. Le bilan radiologique a montré
des fissures bilatérales des fémurs (fig 1a), et une arthrose
des 2 hanches secondaire à la déformation des membres
inférieurs (fig.1b).
Figure 2: Radiographie standard des tibias, péroné face (a), des fémurs face (b).
Devant les antécédents familiaux, l’absence de
signes d’appel tumoraux, de signes en faveur de
syndrome de Fanconi ou d’acidose tubulaire et devant
l’hypophosphorémie,
le diagnostic d’ostéomalacie
hypophosphorémique vitamino-résistante héréditaire
liée à l’X a été retenu chez les 2 patientes. Sur le plan
thérapeutique, les patientes ont été mises sous phosphore
(Phosphore Sandoz), dérivés 1 alpha hydroxylés de
la vitamine D (Un- alpha) et du calcium, associés à un
traitement chirurgical des fractures. L’évolution clinique et
biologique, chez les deux patientes, a été bonne avec un
recul moyen de 5 ans.
DISCUSSION
L’ostéomalacie hypophosphatémique liée à l’X est la plus
fréquente des anomalies génétiques affectant la fuite
rénale de phosphate, sa prévalence est aux environ de 1
sur 20.000 [2].
Il est possible qu’elle soit plus fréquente chez les femmes
mais il n’y’a pas d’études qui montrent l’influence de la
race et de l’origine des parents sur les enfants atteints [5].
Figure 1: Radiographie standard des 2 fémurs face(a), du bassin face (b).
Observation 2 : Mlle J. S, âgée de 34 ans, ayant 2 sœurs
suivies pour ostéomalacie hypophosphorémique, présente
depuis l’âge de 17 ans des ostéo-arthralgies mécaniques
avec déformation des membres inférieurs en parenthèses,
rendant la position debout et la marche impossibles. Le
bilan biologique a montré une calcémie normale, une
hypophosphorémie avec des chiffres allant de 6 à 20mg/l
et un taux de vitamine D normal. La radiographie des
Elle se traduit cliniquement par un retard de croissance
avec parfois un nanisme micromélique, des déformations
du squelette surtout des membres inférieurs, des altérations
dentaires (un retard des bourgeons dentaires, caries et
abcès dentaires fréquents). Une raideur articulaire et
rachidienne secondaire aux calcifications extra-osseuses
complète parfois le tableau clinique. Il n’existe pas de
faiblesse musculaire.
La physiopathologie évoquée, est que toutes les anomalies
biologiques et cliniques observées dans l’ostéomalacie
hypophosphatémique familiale liée au chromosome
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L’ostéomalacie hypophosphorémique vitamino-résistante liée à l’X: à propos de 2 familles.
X sont la conséquence d’un défect rénal héréditaire
responsable d’une fuite de phosphate. Elle est liée à des
mutations du gène PHEX (Phosphate regulating gene
with Homology to Endopeptidase on the X chromosome)
localisées en Xp22.1; plus de 180 mutations ont été
découvertes et de nouvelles sont retrouvées dans des
études plus récentes [6,3]. Normalement, l’ostéoblaste
produit la protéine PHEX et la phosphatonine (PTN) qui
sont des protéines phosphaturiques circulantes [8,9]. La
protéine PHEX est une endopeptidase membranaire qui
dégrade la phosphatonine active (PTNa) et la rend inactive
(PTNi). La PTN interagit avec les récepteurs des cellules
tubulaires rénales et inhibe légèrement le co-transporteur
de phosphate dépendant du sodium (NPT2), à l’origine
d’une fuite de phosphate. Donc, l’inactivation de la PTN
par PHEX est importante pour limiter l’excrétion urinaire
de phosphate (Pi). En revanche, dans l’ostéomalacie
hypophosphatémique liée à l’X, il existe des mutations
du gène PHEX, ce qui le rend incapable d’inactiver la
PTN. Et par conséquent, il se produit une augmentation
de PTNa qui entraine une inhibition de la réabsorption
tubulaire de phosphore et donc une hypophosphorémie
avec hyperphosphaturie (fig.3) [10].
Normale
Ostéoblaste
Cellule tubulaire
rénale
Ostéoblaste
Cellule tubulaire
rénale
Figure 3 : Physiopathologie de l’ostéomalacie hypophosphatémique liée à l’X [10].
Ceci est associé à un trouble du métabolisme de la
vitamine D [11, 12, 13]. Alors que la concentration
plasmatique du calcitriol devrait être élevée en présence
de l’hypophosphatémie, celle-ci est au contraire
normale, voire même légèrement réduite (anomalie de
l’hydroxylation 1 au niveau du rein). Il en résulte que
l’excrétion urinaire de calcium n’est pas augmentée et peut
même être réduite. Ainsi le défaut tubulaire sous-jacent
qui altère la réabsorption de phosphate semble également
affecter la synthèse de calcitriol (régulation défectueuse de
la 1-alpha-hydroxylase rénale).
Les signes radiologiques sont inconstants, il peut être
observé des
calcifications extra-osseuses siégeant
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au niveau des ligaments, des capsules articulaires
ou des enthèses, avec parfois un aspect proche des
syndesmophytes au niveau du rachis, les calcifications du
ligament vertébral antérieur au niveau du rachis cervical
peuvent être à l’origine de dysphagie. On peut noter des
cals d’ostéotomie, des arthropathies secondaires aux
déformations des membres inférieurs. Les stries de LooserMilkman sont rares.
L’atteinte osseuse est principalement la conséquence de
l’hypophosphatémie si bien que le but du traitement est
de normaliser la phosphatémie par une supplémentation
en phosphate. Dans la mesure où l’élévation de la
phosphatémie diminue la concentration plasmatique
de calcium ionisé et réduit davantage la concentration
plasmatique de calcitriol, il existe alors un risque
d’hyperparathyroïdie secondaire qui peut aggraver
l’atteinte osseuse et augmenter l’excrétion urinaire de
phosphate. Il est donc nécessaire de supplémenter en
calcitriol en plus du phosphate.
Le recours à l’hormone de croissance peut s’avérer
également bénéfique chez les enfants avec un retard de
croissance important.
Le traitement se complique volontiers de néphrocalcinose
et d’hyperparathyroïdie tertiaire. La néphrocalcinose
est présente chez 80 % des patients avec un rachitisme
hypophosphatémique lié à l’X et peut dans certains cas
entraîner une insuffisance rénale. Cette néphrocalcinose
semble être liée à des épisodes intermittents et
méconnus
d’hypercalcémie
ou
d’hypercalciurie
résultant de posologies excessives de caltriciol et/ou
d’une compliance inadéquate avec la supplémentation
orale en phosphate. L’hyperparathyroïdie est une
complication tardive survenant chez des patients traités
par de trop fortes doses de phosphate complexant le
calcium circulant. L’hypocalcémie prolongée persistante
stimule l’hyperparathyroïdie secondaire malgré la
supplémentation en calcitriol. Une hyperparathyroïdie
autonome tertiaire peut alors survenir.
CONCLUSION
L’ostéomalacie hypophosphatémique est rare par rapport
à l’ostéomalacie par hypovitaminose D, elle est plus
handicapante, car en plus des signes de l’ostéomalacie
s’ajoutent ceux de l’hypophosphorémie.
Les
autres
étiologies
de
l’ostéomalacie
hypophosphatémique
doivent
être
éliminées,
notamment oncogéniques, le syndrome de Fanconi
ou l’acidose tubulaire. La présence de cas dans la
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J. Sekkat et al.
CAS CLINIQUE
famille oriente souvent vers le caractère héréditaire,
les formes autosomique dominante et autosomique
avec hypercalciurie sont souvent confondues avec la
forme liée à l’X, avec certaines particularités qui font la
différence.
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