1 John Rawls est né le 21 février 1921 à Baltimore, dans le

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1 John Rawls est né le 21 février 1921 à Baltimore, dans le
 John Rawls est né le 21 février 1921 à Baltimore, dans le Maryland. Diplômé de
l'Université de Princeton, il fut professeur de philosophie morale et politique à l'Université de
Harvard. Sa pensée, qu'il élabore alors que les États-Unis sont marqués par la lutte du
mouvement des droits civiques, ainsi que par la mise en place des programmes sociaux par les
administrations Kennedy et Johnson, se présente comme une véritable refondation théorique
de la justice sociale. Se démarquant de l'Utilitarisme, courant dominant la réflexion éthique
dans les pays anglo-saxons, Rawls a renoué avec la tradition universaliste de Rousseau et de
Kant, développant une conception originale du libéralisme. Son travail a donné une impulsion
décisive aux débats contemporains en philosophie morale et politique. John Rawls est décédé
le 24 novembre 2002.
Principaux ouvrages :
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A theory of justice, 1971
Political liberalism, 1993
Justice as fairness : a restatement, 2001
John Rawls a tenté d’élaborer une conception publique de la justice, à partir d’une
approche contractualiste que tout citoyen serait susceptible d’admettre en démocratie.
Rawls cherche à apporter une justification rationnelle de la justice sociale redistributive d’un
point de vue universaliste et non sacrificiel, au contraire de l’utilitarisme.
La théorie rawlsienne se présente comme un transcendantal, au sens kantien, de la
justice : il s'agit d'énoncer les conditions de possibilité a priori de la justice. Le philosophe
définit une situation hypothétique, une sorte d’état de nature, dans laquelle les individus
adoptent des principes de justice comme équité. Dans cette position originelle, les conditions
du choix contraignent les individus à universaliser leurs points de vue, à prendre en
considération les risques pesant sur chacun et à ne pas seulement défendre leurs intérêts
particulier ; ils doivent appliquer dans leurs choix la règle du maximin, selon laquelle il faut
toujours préférer la situation la moins dommageable pour l'individu le plus défavorisé. Ces
personnes sont en effet placées derrière un voile d’ignorance, ils ne connaissent pas leur
position dans la société, leur statut, leurs atouts et désavantages, ni leurs caractéristiques
spécifiques (sexe, âge, religion…). Ils savent seulement qu’ils devront cohabiter avec d’autres
individus, ayant chacun des projets de vie potentiellement rivaux.
Les cocontractants parviennent ainsi à deux principes de justice : (1) le principe de
liberté, selon lequel les membres de la société jouissent tous également d’un socle de libertés
de bases. Les citoyens bénéficient d’un ensemble de biens premiers (libertés civiles et
politiques, minima sociaux…) indispensables pour mener à bien leurs projets de vie. (2) le
principe de différence : selon lequel les inégalités économiques et sociales doivent être telles
qu'elles soient (a) au bénéfice des plus désavantagés dans la limite d'un juste principe
d'épargne, (b) à conditions qu'elles soient attachées à des fonctions et à des positions ouvertes
à tous, conformément au principe de la juste égalité des chances. L’ordre lexical des principes
définit un ordre de priorité : la liberté des individus prime sur toute autre considération. On ne
peut limiter la liberté qu’au nom de la liberté.
1 La Fabrique Spinoza
11 rue Erard, 75012 Paris Tél : 01 43 40 00 24 ; Fax : 01 777 59 222 ; Mobile : 06 721 720 44 Email : [email protected] ; Site-­‐web : www.fabriquespinoza.org Quelle conception du Bien ?
Héritier de Kant, Rawls s'inscrit dans un horizon post-métaphysique : les idéaux de la
raison pures n'ont pas de fondement dans la réalité empirique, ils sont indémontrables et ne
peuvent donc servir de socle de base aux coopérations entre les individus. La société est
traversée par une pluralité d'idées du bien, de conceptions du monde, de doctrines
compréhensives, radicalement irréconciliables entre elles. On ne peut espérer fonder une
justice articulée à une vision du monde particulière qui puisse être acceptée par tous en
démocratie : « vouloir asseoir la société autour d'une conception exclusive et unique du bien,
c'est tourner le dos au pluralisme, c'est qu'on le veuille ou non justifier l'hégémonie d'une
seule conception du bien » (Libéralisme politique). Il faut donc accepter une conception de la
justice non partisane, qui ne prescrit pas de finalité spécifique au gouvernement ni aux
individus. Il s'agit, non pas de renoncer, mais de mettre de côté les doctrines compréhensives
lorsque l'on réfléchit à l'élaboration d'une conception publique de la justice (d'où l'exclusion
des doctrines extrémistes, foncièrement opposées à la liberté et la démocratie), en recourant à
un consensus par recoupement. Au lieu de chercher à apporter une définition du Bien sur
laquelle on ne parviendra jamais à s'entendre, Rawls s'attache plutôt à définir le cadre formel
de la coopération entre les individus.
C'est en ce sens qu'il rejette les conceptions téléologiques, qu'il s'agisse du
perfectionnisme moral aristotélicien ou du conséquentialisme utilitariste, qui font dépendre
les principes de justice d'une conception particulière du Bien. Rawls défend au contraire une
théorie déontologique de la justice : ce n’est pas la finalité du système qui prime (le bonheur,
le salut de l’âme, l’efficacité économique…), mais le respect des normes sur lesquelles il
repose. Il y a donc « une priorité du juste sur le bien ».
Si la théorie rawlsienne de la justice ne repose pas sur une conception épaisse du bien,
il n'en demeure pas moins qu'en vertu des principes élaborés à partir de la position originelle,
il existe au moins une valeur sur laquelle on ne peut transiger : la liberté. Rawls pense que des
individus rationnels ne pourraient vouloir privilégier d'autres valeurs - telles que la réussite
économique – au détriment de la liberté. Celle-ci ne peut être limitée qu'au nom de la liberté
elle-même : on ne pourrait imaginer la réduction de la liberté de certains membres de la
société qu'à condition que cela permette de protéger le socle de libertés de base égales pour
tous. Ce socle reconnu par les institutions aux citoyens constitue le fondement de leur estime
de soi et de leur dignité. Ainsi, si la liberté n'est pas la finalité de la justice, elle n'en demeure
pas moins sa condition sine qua non et en quelque sorte son horizon régulateur.
Quelle vision de l'Homme ?
Les individus sont considérés comme des êtres rationnels, capables d'effectuer des
choix collectifs et de formuler pour eux-mêmes des projets de vie raisonnables.
Toutefois, les personnes telles qu'elles apparaissent dans la position originelle ne
correspondent pas aux êtres humains concrets. Rawls reprend la distinction kantienne entre le
moi phénoménal (celui dont on fait l'expérience dans la réalité) et le moi nouménal (le moi
idéel, caractérisé essentiellement par sa liberté, qui peut s'affranchir de la causalité naturelle,
et se projeter dans un règne des fins). En effet, dans la position originelle, les cocontractants
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société, de leurs atouts et leurs désavantages. Ils disposent en revanche de connaissances
générales sur la société : ils savent qu'ils vont devoir cohabiter avec d'autres individus et être
confrontés à des contraintes économiques. C'est à partir de cette position originelle que ces
individus sont censés déduire les principes de la justice comme équité.
Chaque individu est fondé à rechercher pour lui-même ce qu'il croit être le maximum
de biens. Tous les individus auront la possibilité d'organiser leur propre vie, de dresser des
« plans de vie » cohérents et éventuellement corrigibles, tout en sachant qu'ils auront à
coopérer avec les autres et qu'ils y ont même intérêt.
Cette conception particulière de l'individu a valu à la théorie de la justice de John
Rawls d'importantes critiques, de la part d'un ensemble de penseurs qu'on appelle les
« communautariens » (Michael Sandel, Michael Walzer, Charles Taylor, Alasdair
MacIntyre) : ceux-ci considèrent que l'individu décrit par Rawls est un être désincarné,
abstrait ; l'individu réel est intégré à des communautés qui structurent sa personnalité. Sa
conception de la justice est dénoncée comme celle d'un individu désengagé et égoïste.
Quel rôle attribué à l'Etat (avec quelles justifications) ?
Rawls accorde une place importante à l'État dans sa conception de la société. C'est à
lui qu'il revient d'établir le système légal et les institutions de base, permettant de mettre en
œuvre la justice comme équité. L'État a pour fonction de corriger les imperfections du marché
concurrentiel. Il ne s'oppose pas à l'économie de marché et à la propriété privée (celles-ci sont
plus favorables à la liberté individuelle que l'économie planifiée et socialisée), mais elles ne
peuvent se suffire à elles-mêmes : elles produisent des inégalités incompatibles avec la justice
comme équité et doivent être rectifiées.
Rawls préconise la création de plusieurs institutions spécifiques, destinées à assurer la
justice et la bonne coopération entre les individus :
• Département des allocations : veille à l'efficacité du système des prix, en préservant la
concurrence et en s'opposant à la constitution de monopoles. Évalue les avantages et
les coûts sociaux que le système des prix ne permet pas d'identifier et les compense
par des taxes ou des subventions.
• Département chargé de la stabilisation : s'efforce de maintenir le plein emploi, en
accompagnant les chômeurs dans leur retour à l'emploi (tout en préservant au
maximum leur liberté de choix) et en soutenant la demande effective (politique
keynésienne).
• Département des transferts sociaux : identifie les besoins que le marché concurrentiel ne
satisfait pas et assurent aux individus pénalisés un minimum social, via des allocations
familiales, les assurance santé et chômage, ou un supplément de revenu échelonné
(impôt négatif). « Puisque le marché n'est pas fait pour satisfaire les besoins, ceux-ci
devraient l'être grâce à une organisation distincte. La satisfaction des principes de
justice dépend alors du montant du revenu total des plus désavantagés (salaires +
transferts sociaux) : il doit maximiser leurs attentes à long terme (tout en respectant
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la justice).
• Département de la répartition : préserve une certaine justice dans la répartition, via la
fiscalité ou des ajustements de la propriété privée. L'héritage est permis, mais doit être
en faveur des plus défavorisés : il est donc fortement taxé. Le système d'impôts doit
permettre de dégager des ressources pour financer les biens publics et assurer les
transferts sociaux. La progressivité de l'impôt sur le revenu n'est pas indispensable,
sauf si elle permet de « préserver la justice de la structure de base (…) et pour éviter
des accumulations de propriétés et de pouvoir qui risqueraient de saper les
institutions correspondantes » (ibid.).
• Département de l'arbitrage : « organisme représentatif ayant pour tâche de répertorier les
divers intérêts sociaux et leurs satisfactions par les biens publics » (ibid.) : dispose
d'un budget distinct du budget national, et décide de financer des biens publics
répondant au critère d'unanimité de Wicksell (« aucune dépense publique ne peut être
votée sans qu'il y ait eu un accord sur les moyens de la financer, accord unanime ou
presque »).
Quelle conception du Bonheur ?
Selon Rawls, « un homme est heureux quand il est en train de réaliser avec (plus ou
moins) de succès un projet rationnel de vie établi dans des conditions (plus ou moins)
favorables, et quand il est assez confiant dans la réalisation de ses intentions ». Le bonheur se
suffit à lui-même, il est choisi pour lui-même et c'est lui qui rend une vie digne d'être vécue.
Toutefois, le bonheur constitue rarement une finalité en soi, il « n'est pas un but parmi tout
ceux vers lesquels nous tendons, mais la satisfaction de l'ensemble du projet ». D'autres buts
sont poursuivis, on atteint le bonheur en accomplissant différents projets, dans lesquels il est
rarement le but poursuivi.
Lorsque nous envisageons ces projets de vie, nous sommes confrontés à des désirs
inconciliables ; le choix rationnel ne permet pas de trancher entre les désirs. En outre, ces
choix sont susceptibles d'évoluer au fil de la vie. Il ainsi impossible d'assigner une « fin
dominante » aux existences individuelles. Rawls tient en ce sens à maintenir une certaine
indétermination dans son approche du bonheur.
Le bonheur, passant par la réalisation d'un projet de vie, n'est pas possible sans
certaines conditions élémentaires : ce sont les biens premiers, i.e. « tout ce qu'on suppose
qu'un être rationnel désirerait quels que soient ses autres désirs. (…) Quand les hommes
jouissent de ces biens dans une plus grande proportion, ils sont généralement assurés de
pouvoir réaliser leurs intentions et de faire progresser leurs objectifs, quels qu'ils soient, avec
davantage de succès » (ibid.). Les biens premiers comprennent les libertés de base égales
pour tous (libertés civiles et politiques) assurées par le 1er principe de justice, ou le respect de
soi-même, l'estime de soi...
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• Biens premiers : Nous croyons, comme Rawls qu’un socle minimal de biens doit être
assuré à l’ensemble des individus, par dignité, et pour leur permettre de réaliser leurs
plans de vie.
• Place de la liberté : Dans la lignée de Rawls, nous pensons que la liberté est un bien
premier, et que cette liberté doit être conçue de manière large (liberté économique,
sociale etc.). A l’image du philosophe spinoziste Robert Misrahi nous pensons que
s’arrêter à la liberté revient « à faire un long chemin, arriver à une demeure, et se tenir
sur le pas de la porte ».
• Définition du bonheur : La Fabrique Spinoza est également convaincue qu’une définition
du Bien ne doit pas être posée a priori. Nous pensons en revanche qu’une vision de
celui-ci peut-être construite en interrogeant les individus sur leurs préférences
individuelles ainsi qu’en organisant des délibérations collectives.
Quentin Dittrich-Lagadec
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