Edelman - Angelique Cottin
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Edelman - Angelique Cottin
Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 LE CAS ANGELIQUE COTTIN (18321913), POSSEDEE OU « FILLE ELECTRIQUE » ? The Angelique Cottin Case, Woman Possessed or "Electrical Girl". Nicole Edelman, Université de Nanterre Reçu le 21 mars 2011, accepté le 25 avril 2011 Le cas Angélique Cottin (18321913), possédée ou « fille électrique » ? Résumé Les phénomènes produits par Angélique Cottin (1832‐1913) firent grand bruit pendant un demi siècle, du début de 1846, année où ils commencèrent jusqu’au XXème siècle. Ils furent alors racontés et interprétés de bien des manières. Dès janvier 1846, trois hypothèses sont énoncées : cette très jeune fille présentait‐elle les symptômes d’une maladie nerveuse inconnue liée à l’électricité (d’où son nom de « fille électrique ») ou ceux d’une possession diabolique due au sort jeté par un sorcier ou encore n’était‐elle qu’une bonne actrice mettant en scène les phénomènes produits par des jongleries ? Ces trois interprétations sont étudiées dans cet article. Mots-clés : hystérie, électricité, maladie nerveuse, possession, spiritisme. The Angelique Cottin Case, Woman Possessed or "Electrical Girl"? Abstract Angelique Cottin generated a lot of attention for half a century, from 1846 until the twentieth century. The phenomenon she induced have been told and interpreted in many different ways. As early as January 1846, 3 hypotheses were made: was this very young person suffering from an unknown nervous ailment linked to electricity (hence her nickname of "electrical girl"), was she possessed by the devil? Or maybe she was just a talented actress, staging the so‐called phenomenon. This article will review all three hypotheses. Keywords: hysteria, electricity, nervous sickness, possession, spiritism. El caso de Angélique Cottin (1832-1913), ¿posesa o «chica eléctrica»? Resumen Los fenómenos originados por Angélique Cottin (1832‐1913) tuvieron una gran resonancia durante medio siglo, desde comienzos de 1846, año en que comenzaron, hasta el siglo XX. Fueron contados e interpretados de muchas maneras. Ya desde enero de 1846 se emitieron tres hipótesis: esta jovencísima chica presentaba los síntomas de una enfermedad nerviosa desconocida y ligada a la electricidad (de ahí que se la llamara «chica eléctrica»), o bien los de una posesión diabólica debida al sortilegio lanzado por un brujo, también hubo quien dijo que la chica no era más que una buena actriz que escenificaba los fenómenos producidos por medio de malabarismos. En este artículo se estudian estas tres interpretaciones. Palabras clave: histeria, electricidad, enfermedad nerviosa, posesion, espiritismo. 1 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 Refrain de la chanson : Le tango de la fille électrique « C’tait la fille électrique Une enfant d’Marie d’la Perrière » L’avait pour prénom Angélique La fille Cottine, la filetière. » (1983)1 Le cas d’Angélique Cottin, cette « fille électrique » (Edelman, Le Malefan, 1989), a fait grand bruit pendant un demi‐siècle, du début de 1846 ‐ année où il a débuté ‐ jusqu’à la fin du XIXe siècle, continuant à être raconté et interprété de bien des manières jusqu’à nos jours. Dès janvier 1846, trois hypothèses sont énoncées : cette très jeune fille présentait‐elle les symptômes d’une maladie nerveuse inconnue liée à l’électricité ou ceux d’une possession diabolique due au sort jeté par un sorcier ou encore n’était‐elle qu’une bonne actrice mettant en scène les phénomènes produits par des jongleries ? Ces trois interprétations évoluent au cours des décennies suivantes : en 1853, l’arrivée et l’immense vogue des « tables tournantes » en Europe provoquent une résurgence de l’intérêt pour le magnétisme dont l’un des effets les plus spectaculaires ‐le somnambulisme‐ avait été nié par le monde savant académique à la fin des années 1830. La résurgence de remuements d’objets lourds, tels les tables, réactive le souvenir de « la fille électrique » et fait resurgir plusieurs interprétations du phénomène. Si la jonglerie est toujours évoquée, des catholiques affirment dorénavant haut et fort qu’il s’agit bel et bien d’un retour du diable. D’autres, et c’est nouveau, croient en l’intervention « d’esprits » extra‐terrestres immatériels (faisant naître la nouvelle religion spirite). Enfin, dans les années 1880‐1890, des savants, physiciens et médecins surtout, questionnant de manière nouvelle les liens entre corps et esprits que la condamnation du somnambulisme magnétique avait fait taire quelques décennies auparavant, font apparaître tout un « merveilleux scientifique » qui, une fois encore, se réfère à Angélique Cottin. L’engouement et la publicité faits à ce cas sont donc exceptionnels ; les interprétations, les doutes et les interrogations qu’il suscite pendant toutes ces années éclairent la longue controverse entre science et religion commencée depuis la fin du XVIIIe siècle. Ils en marquent aussi quelques étapes que cet article s’attache à présenter et analyser. Angélique Cottin, une enfant de La Perrière dans le Perche Comme toutes les filles du village de La Perrière2, Angélique Cottin tisse des ouvrages en filets brodés ou filets noués, en l’occurrence des gants. En effet, si le Perche est réputé pour sa race de chevaux, La Perrière l’est pour ses carrières, pour sa forêt de Bellême et surtout « son filet » au sein d’une région qui produit différentes sortes de dentelles dont celle au « point d’Alençon ». Le filet de La Perrière est fait de mailles carrées, nouées aux angles et moulées sur des formes en bois, en ivoire ou en acier. Le fil est embobiné autour d'une navette (ou aiguille à filocher). Le décor du filet se fait en remplissant certaines mailles en fonction d'une grille préalablement dessinée. L’un des 1 Chanson interprétée en 1983 par Robert Rotrou dans les « Chanteux du Perche », cité à la fin du livre de GANIVET Michel, La fille électrique, Mémoire du Perche, 1992. Une sorte de « docu‐ fiction » qui renseigne sur bien des points de la vie d’Angélique Cottin 2 Angélique Cottin habite le hameau proche de La Muzerie situé dans le Perche en France. 2 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 « outils » indispensables avec la navette est ainsi le guéridon auquel la trame est attachée. Petite ouvrière, Angélique Cottin dépend de sa tante dont on ne sait si elle est une artisane indépendante ou si elle travaille à la demande pour un négociant ou un entrepreneur commandant ou vendant les gants qu’elle tisse dans son atelier. Qu’ils soient gros ou petits, tous dépendent de la conjoncture qui n’est pas bonne depuis 1844, date à laquelle commence une forte dépression économique qui dure jusqu’en 1851. Il est cependant difficile de savoir quelle est la situation économique en ce début de 1846 à La Perrière mais le travail ne semble pas y manquer puisque ces petites mains sont nécessaires. Angélique Cottin va au catéchisme, elle sait lire et écrire et a été à l’école du village, ce qui montre un village riche capable de scolariser ses filles et non pas seulement ses garçons. De plus, par son activité réputée, le village n’est pas isolé ; des modèles de mode doivent probablement y circuler et passer entre les mains de filles. Celles‐ci y côtoient certainement des marchands venus de la ville mais aussi les hommes de la forêt : bûcherons, scieurs en longs, charpentiers, tonneliers… En janvier 1846, quand commencent les phénomènes extraordinaires qui la touchent, Angélique Cottin doit faire sa « première communion », elle n’a pas encore 14 ans et ne serait pas encore nubile, elle est cependant décrite comme une fille bien charpentée. Elle travaille donc avec trois autres compagnes de son âge chez sa tante Marie‐Louise Loisnard. Cette sœur de son père l’élève depuis que sa mère est morte, d’autant que son père, colporteur, est souvent absent. Les phénomènes « électriques » de remuements violents d’objets et de meubles qu’elle semble provoquer, sont observés par des centaines de personnes, dont quelques personnalités connues : le docteur Stanislas Tanchou, Jules de Faramont, châtelain de Monthimer et surtout François Arago qui l’examina au nom de l’Académie des sciences à Paris. Cette « fille électrique » fait rapidement l’objet de nombreux écrits qui se superposent et multiplient les interprétations dont l’une fut donc la possession. Si on parle de possession, il est plus encore question d’ensorcellement, de sort, de sorciers et de sorcières. En cette fin des années 1840, le croyable se transforme en effet rapidement tout comme la croyance chrétienne. L’Eglise change ainsi son regard sur les dévotions populaires tandis que l’idée de folklore prend forme un peu partout en Europe. En juillet 1840, « la commission de statistique de la préfecture de Moulins (Allier) adresse à tous les curés du département un questionnaire sur l’état des églises et le calendrier des fêtes patronales, dont le dernier article porte sur ‘les croyances aux devins et aux sorciers » (Boutry, 1991 : 473). On y relève la fréquente diffusion dans certains lieux de la croyance aux sorts et aux maux sans doute pour ne pas dire aux sorciers et aux devins… Si la possession y est présentée comme une croyance légitime, l’exorcisme, en revanche, devient une pratique pour laquelle « le clergé est partagé, souvent réticent » (Boutry, 1991 : 484). Il semble bien, en effet, qu’on doive attendre les années 1860‐1890 pour que l’aliénisme triomphe et que la possession (et l’exorcisme) ne soient plus les catégories recevables d’expression d’un mal‐être psychologique. De même, comme l’écrit Guillaume Cuchet : « La prédication de l’enfer qui avait pris dans la France de l’époque moderne des proportions impressionnantes, recul[e] dans la seconde moitié du XIXe siècle. […] Le phénomène est lié à une évolution notable de la sensibilité et des représentations religieuses : le passage d’un Dieu de justice, terrible et vindicatif, encore très présent dans la prédication des missions de la Restauration (1815‐1830), à un Dieu d’amour plus compréhensif et indulgent. Le tout dans un contexte de diffusion 3 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 croissante de la piété ‘ultramontaine’, cette religion populaire, italianisante et sensible, qui renouvelle profondément les croyances en contrebalançant le rigorisme issu du XVIIème siècle » (Cuchet, 2005 : 35). Cependant les attitudes diffèrent fortement d’une région à l’autre et d’un curé à l’autre. Les phénomènes que produit Angélique Cottin sont bien situés dans cet entre‐deux, dans ce temps de transformation et de doute. D’autant que les savoirs scientifiques prennent leur essor, la connaissance de l’électricité se développe ainsi rapidement tout comme les recherches médicales sur le système nerveux, même s’il est encore bien mal connu. Par ailleurs médecine et électricité font bon ménage et nombre de médecins3 soignent certaines maladies nerveuses par ce moyen physique. Enfin, les effets parfois extraordinaires du somnambulisme magnétique continuent d’interroger bien des savants, en particulier par l’extrême violence sur les corps qu’ils sont capables d’engendrer (Edelman, 2009 ; Edelman, Montiel, Peter, 2009). 1846 : qu’estil arrivé à Angélique Cottin ? Pour tenter de retrouver « les faits » dans leur plus grande exactitude, je m’appuierai sur ce qui fut dit par l’entourage proche d’Angélique Cottin lors des premiers jours où se déclarèrent les phénomènes et sur ce qui fut publié dans des ouvrages ou des journaux. Il s’agit en particulier des dires du curé Leroux, des médecins Stanislas Tanchou, Christophe Verger et Hébert, de Jules de Faramont, châtelain de Monthimer puis des académiciens des sciences parisiens autour de François Arago. Tout débute le jeudi 15 janvier 1846, à la veillée, à huit heures du soir. Angélique Cottin confectionne donc des gants de filets en soie dont l’extrémité de la trame, comme celle de ses trois compagnes, est attachée à un lourd guéridon de chêne qui se met soudainement à bouger, à se déplacer, à sauter. Dès que la jeune fille tente de s’en approcher, le meuble repart dans sa course comme si elle le repoussait violemment du bas de sa jupe et avec une telle force que deux hommes, accourus cherchant à le maintenir, sont bousculés. Les voisins attirés par les cris, constatent ce remuement et une rumeur d’ensorcellement commence immédiatement à circuler dans le village. En 1860, Louis Figuier, s’appuyant sur des lettres et des témoignages écrits, confirme qu’au soir du 15 janvier 1846, si le village de La Perrière tout entier est en émoi, la raison en est claire : « A partir de ce moment, l’opinion de Bouvigny4 fut bien fixée : il (sic) déclara tout d’une voix, que la jeune fille était possédée du diable. On désignait même nominativement les personnes qui lui avaient le sort. Il fut décidé qu’Angélique Cottin serait conduite au presbytère, pour y être exorcisée» (Figuier, 1860 : 162). La jeune fille est donc conduite devant le curé Leroux qui refuse pourtant d’exorciser et veut que des médecins examinent l’enfant (Tanchou, 1846 : 34) en accord sur ce point avec le châtelain de Montimer5, tous deux pensent qu’elle est atteinte d’une maladie physique, « rare sans doute, inconnue peut‐être » (Tanchou, 1846 : 34). Le châtelain Jules de Farémont raconte ceci : « Le 15 janvier, à 8 heures du soir, quatre jeunes filles travaillaient comme d’habitude à la veillée chez la femme Loisnard. Depuis 8 jours, le temps était lourd, orageux, des éclairs, des coups de tonnerre, l’électricité régnait autour de nous. » Si les phénomènes commencent alors, le châtelain ne les observe pourtant pas immédiatement puisqu’il n’est appelé que trois jours plus tard par les parents 3 En particulier les médecins des eaux thermales, ainsi le Dr Despine à Aix les Bains. 4 Pourquoi ce nom alors qu’il s’agit soit de La Muzerie, soit de la Perrière ? 5 Ou Monthimer, on trouve les deux orthographes. 4 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 d’Angélique Cottin. Il est alors déjà convaincu qu’il s’agit d’électricité puisqu’il apporte avec lui « un pendule de moelle de sureau, un tube de verre et un bâton de cire à cacheter ». On peut faire l’hypothèse qu’il est un de ces aristocrates férus de science comme tant de ses pairs à ce moment… Jules de Farémont note, selon Louis Figuier : « Je plaçais moi‐même sa jupe sur le bord du guéridon, et à son simple contact, il était bouleversé instantanément ; un mouvement nerveux dont l’enfant n’était maître, précipitait l’objet qu’elle repoussait » (Figuier, 1860 : 165). Mais il ne perçoit aucun phénomène électrique… pourtant il parle constamment dans ses lettres de la fille qui « est chargée » plus ou moins fortement selon les effets qu’elle produit. Jules de Faremont tente alors de la faire examiner par des médecins de Mamers et devant leur premier refus, il tente lui même de « guérir l’enfant : j’envoyais une baignoire et lui fit prendre des bains et cesser tout travail à l’aiguille, et je la fis envoyer garder les vaches dans les champs » (Figuier, 1860 : 166). Les bains et les douches, on le sait, sont une thérapeutique classique des maladies nerveuses. Si aucun des quatre médecins de la ville de Mamers ne se déplace (elle sera examinée plus tard par ceux de Mortagne), le Dr Christophe Verger, sur la demande instante du prêtre, examine Angélique Cottin à la Perrière onze jours plus tard le 26 janvier et constate encore les agitations de meubles (Ganivet, 1992). Il écrit au Dr Hébert qui se rend dans son village pour la voir. Ce dernier diffuse alors dans le Journal du magnétisme dont il est un des éditeurs, l’idée d’électricité à son propos, la qualifiant de « torpille humaine » ou encore « gymnote terrestre » (Figuier, 1860 : 169) : « Des ciseaux, suspendus à sa ceinture au moyen d’un ruban de fil, ont été lancés […] Ce fait le plus incroyable, par son analogie avec les effets de la foudre, a fait tout de suite penser que l’électricité devait jouer un grand rôle dans la production de ces étonnants effets » (Figuier, 1860 : 163). Elle est présentée devant les notables des villages alentour ‐ Bellesme et Mortagne – tandis que les médecins6 continuent à l’examiner pour constater que le coude et le sommet de la tête sont des points très sensibles qui la font réagir à un bâton de cire électrisé. Le médecin Christophe Verger dira plus tard au Dr Stanislas Tanchou : « Le lendemain, vers midi, je revis Angélique Cottin et ses parents qui l’emmenaient à Mortagne pour tirer lucre de sa faculté extraordinaire en l’exposant à la curiosité publique » (Tanchou, 1846 : 35). Les phénomènes continuent donc d’autant plus qu’ils font gagner de l’argent à Angélique Cottin et à sa famille. Observation médicale et spectacle commencent alors à s’entremêler. Cependant, devant l’énormité des faits produits, quelques notables percherons, dont Jules de Faremont décident d’emmener Angélique Cottin à Paris, pour la faire examiner par des savants compétents. Installée dans la capitale à l’hôtel de Rennes avec ses proches parents, elle est d’abord vue par le docteur Stanislas Tanchou (1791‐1850)7 le 12 février 1846, en compagnie de l’éditeur Germer Baillière. L’expérience est fort concluante comme il l’écrit : « Elle avait les mains derrière le dos, le tablier et la jupe était sur la table, un peu écartés, un instant après il se fit un mouvement si violent dans le meuble que la chandelle restée dessus fut renversée ainsi qu’une paire de pincettes qui était à côté » (Tanchou, 1846 : 3). A l’Académie des sciences, Tanchou remet alors à Arago une note concernant la jeune fille où il constate la mise en mouvement de meubles et de roues, « chose singulière, chaque fois que la chaise est enlevée, elle semble tenir aux vêtements, elle la suit un instant et ne s’en détache qu’après » (Tanchou, 1846 : 3). Il 6 Drs Verger, Lemonier, Beaumont‐Chardon, puis le Dr Tanchou, les pharmaciens Fromage, Cohu 7 Il a publié plusieurs ouvrages sur la maladie de la pierre et sur le cancer du sein. 5 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 remarque que les phénomènes apparaissent surtout dans la soirée vers 19 ou 20 heures, après son repas qu’elle prend à 18 heures, ils disparaissent quand ses pieds ne sont pas en contact direct avec le sol. Sa force se situe surtout dans la face antérieure du corps et particulièrement du poignet. Fort de cette note du Dr Tanchou et d’une autre plus courte d’un certain Nicolas Cholet qui accompagne Angélique et ses parents, François Arago (1786‐1853), informé de ces phénomènes, décide d’examiner la jeune fille et, pour ce faire, soumet ces observations écrites à l’Académie qui, le 16 février, forme une commission composée du physicien Antoine Becquerel (1788‐1878), d’Isidore Geoffroy‐ Saint‐Hilaire (1805‐1861), de Jacques Babinet (1794‐1872), de Bayer, de Pariset et de lui même. Dans une première séance faite au jardin des Plantes, Angélique n’agit que sur une chaise qu’elle repousse avec violence. La jeune fille déçoit donc les attentes de ces savants. Le 23 février, les expériences échouent à nouveau par deux fois tandis qu’elles réussissent dans divers salons parisiens où Angélique est présentée par son entourage. Portée le 9 mars 1846, la conclusion de la commission académique est sans appel : « On avait assuré que mademoiselle Cottin exerçait une action répulsive, très intense sur les corps de toute nature, au moment où une partie quelconque de ses vêtements venait à les toucher. […] Aucun effet appréciable de ce genre ne s’est manifesté devant la commission […] [La commission] se contentera de déclarer, en terminant, que le seul fait annoncé qui se soit réalisé devant elle est celui de mouvements brusques et violents éprouvés par les chaises sur lesquelles la jeune fille s’asseyait. Des soupçons sérieux s’étant élevés sur la manière dont ces mouvements s’opéraient, la commission décida qu’elle les soumettrait à un examen attentif. Elle annonça sans retour, que ses recherches tendraient à découvrir la part que certaines manœuvres habiles et cachées des pieds ou des mains pouvaient avoir eues dans les faits observés. A partir de ce moment, il nous fut déclaré que la jeune fille avait perdu ses facultés » (Arago, 18541862 : 456) Face à l’échec de la production des phénomènes devant les académiciens, Angélique Cottin et les siens quittent Paris début mars et retournent dans leur village percheron. Divers médias commencent alors à diffuser le récit de ce cas qui se transforme au gré des discours de ceux qui le racontent. 1846. Premiers récits, premières rumeurs La presse politique, médicale, religieuse, théâtrale s’empare en effet de ce « fait divers ». La Presse du 20 février 1846 ‐ Angélique Cottin est donc alors à Paris présentée aux académiciens ‐ publie un petit article sarcastique titré « La fille électro‐ magnétique » : « On se dit déjà très haut dans le monde savant [qu’elle] n’est qu’une cruelle mystification. Les objets ne sont d’ailleurs ni projetés ni lancés contre la muraille comme on s’est plu à le dire. Tout effet cesse, toute effluve, toute influence magnétique est neutralisée, pour parler comme M. le docteur Tanchou , si l’on exige que le sujet joigne les mains ou tiennent les bras en croix. Le reste est du même ordre. Voici en quoi consisterait le tour qu’elle fait, d’ailleurs, assez bien diton. Elle aurait des jupons assez amples pour dérober un instant le mouvement de ses mains et c’est en saisissant le bord d’une chaise 6 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 ou d’une table au moment où elle s’assied et se relève avec vigueur qu’elle produirait la prétendue répulsion sur laquelle on a pu s’abuser un instant. » Le 24 février 1846, le Journal des Débats exprime lui aussi ses doutes, exactement calqués sur ceux de la commission académique. Pourtant, le médecin Stanislas Tanchou maintient « l’authenticité de ces phénomènes » et publie son livre dès 1846. Il estime que ces faits sont liés à l’électricité qui, selon lui, joue un rôle capital dans toute vie humaine. « Les effets produits [par Angélique Cottin] sont donc vrais, bien plus, ils sont dans l’ordre naturel. Ils se rattachent à une époque dont cette jeune fille approche, elle a 14 ans. Ils cesseront un peu plus tard » (Tanchou, 1846 : 54). L’Union, journal percheron, publie un article : « Le magnétisme à Mamers » et le Docteur Hebert publie à son tour un article, on l’a vu, dans le Journal du magnétisme8. Mais dans l’ensemble, les journaux évoquent plutôt la supercherie : en 1846, L’Ami de la religion traite le cas de charlatanisme9, Le Musée des familles, lectures du soir rapporte au même moment, une lecture ironique des phénomènes faite par Le Mercure de France10. L’Artiste11 évoque l’examen d’Angélique Cottin par l’Académie des sciences et donc son échec. En 1847, la Revue scientifique et industrielle parle de supercherie12. Et la pièce intitulée La femme électrique de Cordier et Clairville, jouée au théâtre du Palais Royal comme le rapporte Le Mercure des théâtres du 14 mai 1846 , tient du pamphlet, on y lit : « Vous vous rappelez peut‐être cette vieille histoire du mois dernier : La jeune fille électrique, qui cassait des barres de fer en les regardant et faisait peur aux gendarmes, même sans les regarder; eh bien ! elle est ici, au théâtre du Palais‐Royal; MM. Clairville et Jules Cordier que rien n'électrise, et qui n'électrisent personne, sont parvenus à s'en rendre maître et l'ont amenée à M.Dormeuïl, qui la fait voir pour de l'argent. Il est vrai que l'on paie quelquefois pour voir des choses moins risibles que celle là. » On mesurera l’exagération des phénomènes produits par Angélique Cottin… Pendant plusieurs décennies, différents scénarios du « cas Angélique Cottin » vont continuer à se construire revisitant les premières interprétations. Certes, la thèse de la supercherie demeure toujours vivace mais l’évocation de l’ensorcellement revient en force. En 1843, le Dr Macario écrit ainsi : « Esquirol a dit, et les auteurs ont répété que la démonomanie est excessivement rare au XIXe siècle et qu’on observe plus cette forme de folie que sur quelques personnes ignorantes, superstitieuses et pusillanimes. Les démons sont remplacés par la terreur chimérique de la police, du magnétisme et de l’électricité13 » mais il ajoute que ces hommes se sont trompés, estimant au contraire que s’il y avait un certain recul de la démonomanie, comme nosologie, à Paris, cela n’est pas sensible en province. Satan, l’ange révolté, a par ailleurs, on le sait, un succès certain auprès des romantiques, « la voie royale de Satan continue à être fort encombrée à l’approche du milieu du siècle. L’intérêt pour lui ne faiblit pas sous des formes multiples qui pulvérisent à l’infini son image » (Muchembled, 2000 : 243). Théophile Gautier, l’abbé Alphonse‐Louis Constant, George Sand, Victor Hugo en font ainsi un bel ange de la 8 Journal du magnétisme, sous la direction de Jules Dupotet, 1846, vol. 2, p. 226. 9 L’ami de la religion, 1846, vol. 128, p. 459. 10 Musée des familles, lectures du soir, vol. 13, du 10 février au 10 mars 1846, extrait du Mercure de France, p. 190. 11 L’Artiste, 1846, p. 281. 12 Revue scientifique et industrielle, 1847, p. 51. 13 Annales médicopsychologiques, « Etudes cliniques sur la démonomanie » Dr Macario, mars 1843, p. 441. 7 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 révolte et de la liberté. Cet engouement est cependant la marque d’un affaiblissement de croyance chrétienne à l’enfer car si l’on ne croit plus au diable, le risque est grand de ne plus croire à Dieu. 185060: les « tables tournantes » et le retour du diable L’arrivée des « tables tournantes » en Europe et en France en 1853 relance la question du diable et de ses possibilités d’intervention sur terre. Nombreux sont les catholiques qui s’en inquiètent. Le marquis Jules Eudes de Mirville (1802‐1873) publie en 1851 : Pneumatologie. Des esprits et de leurs manifestations fluidiques. Mémoire adressé à l’Académie des Sciences morales et politiques sur un grand nombre de phénomènes merveilleux intéressant également la religion, la science et les hommes du monde14. Il y fait référence au cas d’Angélique Cottin qu’il rapproche de bien d’autres qui se seraient produits de 1848 à 1850. Il raconte en particulier le cas du « presbytère de Cideville » en 1849 : un berger fut accusé d’avoir ensorcelé deux jeunes garçons qui produisirent des effets physiques extraordinaires. Il estime tous ces cas analogues et conclut pour tous à un ensorcellement. Pour de Mirville, « en 1845, le monde magnétique faisait aussi sa révolution, sans que M. Arago s’en doutât, il inclinait son axe et tandis que la foule en restait toujours à Mesmer et à Deleuze, presque tous les magnétiseurs s’en allaient confesser désormais, sinon la nécessité, au moins la possibilité du surhumain magnétique » (De Mirville, 1854, 325). Ces phénomènes seraient donc une « sorte de magnétisme transcendant, bien évidemment diabolique en ce cas ci (i.e celui d’Angélique Cottin) » (De Mirville, 1854, 398). Le diable userait de ces « fluides » magnétiques pour agir sur les hommes et sur les objets. Le chevalier Roger Gougenot des Mousseaux, (1805‐1876), lui aussi catholique ultramontain, conservateur et monarchiste, publie Mœurs et pratiques des démons ou des esprits visiteurs, d'après les autorités de l'Église, les auteurs païens, les faits contemporains, en 185415. Comme de Mirville il vise à dévoiler le retour de Satan sur terre que tous deux relient étroitement au magnétisme animal et au somnambulisme magnétique, moyens que le diable utiliserait donc pour se rendre présent dans nos sociétés occidentales. Dès la découverte du somnambulisme magnétique en 1784, des membres du clergé avaient déjà émis cette hypothèse dans des ouvrages publiés : l’abbé Fiard en 1803, l’abbé Fustier, grand vicaire de Tours et l’abbé Wurz en 1817. M. de La Marne, rédacteur du journal catholique L’Eclair écrit encore un livre en 1828 sur le même thème, et en 1837, l’abbé Frère joint sa voix à ses confrères pour dénoncer ce nouveau stratagème imaginé par le démon pour séduire les âmes. Tous fustigent les magnétiseurs et l’immoralité de leur pratique (Edelman, 1995, 165‐166). Or ce début des années 1850 réactive l’intérêt pour le magnétisme puisque la vogue des « tables tournantes » est immense en France comme en Europe et personne ne connaît la cause de leur mouvement. A ce propos, les hypothèses sont certes nombreuses et, outre l’intervention du diable, celle « d’esprits » est évoquée, d’abord aux Etats‐Unis par les sœurs Fox puis reprise avec un immense succès par Hipppolyte D. Rivail qui va créer la religion spirite en 1857 sous le pseudonyme d’Allan Kardec. D’autres à ce moment, dont beaucoup de savants, pensent en revanche qu’il s’agit d’une jonglerie inconsciente, ainsi Jacques Babinet, celui là même qui a examiné Angélique Cottin en 1846. Ce membre de l’Institut propose ainsi en 14 L’éditeur est H. Vrayet de Surcy. Le livre est republié rapidement : en 1852 paraît une deuxième édition puis une troisième en 1853., une quatrième en 1854. 15 L’éditeur est aussi H. Vrayet de Surcy. 8 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 janvier 1854, dans La Revue des deux Mondes, une recension de trois livres, ceux d’Eudes de Mirville et de Gougenot des Mousseaux cités plus haut et celui du général François‐ Joseph Noizet (1792‐1885) : Mémoire sur le somnambulisme et le magnétisme animal adressé en 1820 à l'Académie royale de Berlin et publié en 1854. Sous le titre « Les sciences occultes au XIXème siècle. Les tables tournantes et les manifestations prétendues surnaturelles » (Babinet, 1854), J. Babinet explique ces phénomènes par l’action inconsciente des membres présents. « Au moment où, après une attente plus ou moins longue, il s’est établi une trépidation nerveuse dans les mains et un accord général dans toutes les petites impulsions individuelles entre tous les opérateurs, alors la table reçoit un effort suffisant et commence à s’ébranler » (Babinet, 1854 : 516). Cette opinion est la plus répandue à cette date dans le monde savant, l’Académie des Sciences la soutient. Par ailleurs, Babinet en rapprochant les trois ouvrages, maintient le discrédit voire l’opprobre des Académies vis à vis du magnétisme et de ses effets somnambuliques. En 1839, Arago avait ainsi dit sur la tombe d’Eugène Salverte : « Le magnétisme animal, dont tous les phénomènes réels sont produits par l’imagination fut d’abord prôné par des charlatans comme un agent physique : entre les mains des fanatiques et des fourbes, il est devenu une branche de la théurgie moderne16. » On sait pourtant à ce moment que la force d’un être humain peut être décuplée ou au contraire anéantie dans cet état de sommeil qui vient d’être nommé « hypnose » par le médecin anglais James Braid en 1843. Les cas de certains malades, telle Lady Lincoln soignée par les docteurs Koreff et Wolowski (Edelman, N., Montiel, L., Peter J.‐P., 2009) en 1837 à Paris ou la même année, celui d’Estelle par le Dr Antoine Despine à Aix les Bains (Edelman, 2008)17, démontrent des capacités physiques exceptionnelles du corps tant de résistance que de force physique, et ce bien avant les grandes crises spectaculaire des hystériques à La Salpêtrière dans le service de Jean‐Martin Charcot. Mais les tenants du savoir académique non seulement refusent d’étudier ces phénomènes si particuliers mais affirment qu’ils ne sont que simulation et jonglerie, voire que le somnambulisme magnétique n’existe pas puisque telle avait été la conclusion de la commission française dirigée par le médecin Dubois d’Amiens en 1837 ! Qu’Angélique Cottin ait pu présenter les symptômes d’une telle « maladie nerveuse » sans aucun rapport étiologique avec l’électricité, n’est donc pas évoquée par le monde savant de ces années 1850. Les deux interprétations restant en lice sont, celle de la possession d’une part et celle d’un phénomène électrique d’origine purement physiologique d’autre part. Lorsqu’en 1860, Louis Figuier publie son tome 4 de L’Histoire du merveilleux et des temps modernes, il privilégie cette dernière dans le chapitre qu’il consacre à Angélique Cottin. Il retrouve les nombreux témoignages déjà cités qui permettent de constater « la réalité des phénomènes physiologiques anormaux présentés par Angélique Cottin tout le temps qu’elle résida dans son village natal ou à Mortagne » (Figuier, 1860 : 175). 16 Eugène Salverte, Des sciences occultes Paris, Baillière, 1843. 2ème éd (1ère en 1829). Dans cette 2ème édition figure le discours d’Arago prononcé sur la tombe d’Eugène Salverte le 30 octobre, mort le 27 octobre 1839, p. 322. 17 Dr DESPINE père, De l’emploi du magnétisme animal et des eaux minérales dans le traitement des maladies nerveuses suivi d’une observations très curieuse de guérison de névropathie, Germer‐ Billière, 1840. 9 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 Les recherches, les travaux et les controverses autour de l’hystérie et de l’hypnotisme, tant à Paris, qu’à Nancy et à Lourdes, la naissance de la psychologie en tant que discipline autonome puis celle de la psychanalyse vont changer la donne. Dernière décennie du XIXe siècle : le « merveilleux scientifique » L’écho du merveilleux du 1er février 1898 publie un article intitulé : « Une visite à Angélique Cottin » écrit par Henri Louatron. Ce journal vient d’être créé par Gaston Méry et se présente comme un journal de l’étrange ou de l’occulte. Il s’appuie sur le témoignage direct, invite à une croyance au surnaturel tout en s’intéressant aux facultés et aux forces psychiques des humains. « Substituant progressivement le psychique au spirituel, l’écho du merveilleux prépare ainsi le terrain à la psychologie naissante et aux interprétations freudiennes sans pour autant s’y référer exactement » (Maquinghen Arnaud 2009 : 165). Le journaliste Henri Louatron propose donc pour le journal une interview d’Angélique Cottin qui se nomme dorénavant Mme veuve Desiles. Celle ci s’est en effet mariée le 6 décembre 1853, a eu 7 enfants dont 4 sont restés vivants. Veuve en 1882, elle semble mener en 1898 une vie pauvre de paysanne ayant très peu de terre. L’article la montre photographiée devant sa maison de la Muserie, la main sur un guéridon ! C’est une grosse et grande femme, bien charpentée, portant un petit bonnet blanc sur la tête. Et sous le questionnement de l’envoyé de L’écho du merveilleux, à son tour, cinquante deux ans plus tard, elle raconte… A nouveau, elle décrit l’agitation extrême qu’elle provoquait, ainsi lorsqu’elle voulait se coucher, tout s’agitait autour d’elle, dans sa maison et dans sa chambre : les tapis, les meubles, les tableaux, les casseroles, les tisons, les couverts… « Tous les meubles de ma chambre à coucher sautaient, dansaient dès que j’entrais même sans que je les frôlasse de ma robe ou que je les touchasse du bout des doigts comme les autres meubles, sans doute parce que ceux là étaient mieux imprégnés de mon fluide… » (Louatron, 1898 : 49) rapporte L’écho du merveilleux. Elle ne parle pas d’un possible exorcisme mais explique que le curé lui avait interdit l’accès de l’Eglise tout comme de faire sa première communion si son état persistait… On aurait dit cependant qu’elle n’aurait pu se marier religieusement qu’en entrant pieds nus à l’église… De ces aspects religieux, Angélique Cottin‐Desile ne dit mot, son discours exprime clairement une ferme hostilité à l’idée même d’avoir été possédée ou ensorcelée même si au début, elle avoue qu’elle a eu « la bêtise de croire ça » ajoutant que « la commission de l’Académie de Paris [l’]a éclairée sur la nature de ces phénomènes» (Louatron, 1898 : 50). Elle affirme avec véhémence que l’étrange capacité qu’elle possédait, n’était due qu’à l’électricité comme le lui avaient si bien dit les « messieurs de Paris », elle affirme qu’elle était capable d’accumuler…comme une « bouteille de Leyde », qu’elle était « imprégnée de fluide » (Louatron, 1898 : 49‐50). « Si je posais le doigt sur une bouteille remplie de retaille métallique, je la chargeais, paraît‐ il. […] La soie et le soufre étaient les deux meilleurs conducteurs de mon fluide » (Louatron, 1898 : 50). Et elle faisait surtout sauter tout ce qui était en lourd bois de chêne comme on l’a vu… Devant ces incohérences des lois de la physique, le journaliste, qui a lu l’ouvrage d’Eudes de Mirville, évoque alors ouvertement l’ensorcellement. La rumeur racontait, nous dit‐il, qu’en revenant du catéchisme à 15 heures avec deux compagnes, sur le chemin qui mène du hameau de la Muzerie où elle résidait à La Perrière, elle avait rencontré une vieille femme au faciès de sorcière et à l’allure de mendiante qui « marmottait » et qui avait pris ses mains dans les siennes, soufflé dessus pour les réchauffer et les avait mises un instant sous son tablier en lui demandant avec un rire méchant si elle n’avait pas peur de l’onglée. Mais hors ses deux compagnes, 10 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 personne au village n’avait vu cette vieille femme. Par ailleurs, le père au métier sulfureux de colporteur, aux cheveux longs, avait la réputation d’être un « demi‐sorcier » qui savait imiter les cris de tous les animaux, qui faisait peur aux enfants et rêvait de passer un pacte avec le diable pour avoir de l’argent (Louatron, 1898 : 47). Lorsque les phénomènes commencèrent, il aurait dit : « tant mieux si je peux faire fortune en exploitant cela » (Louatron, 1898 : 47). Cet amalgame entre berger et sorcière, cet écho diabolique renvoie donc bien à celui que propose Jules Eudes de Mirville dans son livre. Angélique nie pourtant farouchement, et pour preuve, elle déclare avoir été frappée par la foudre le 15 janvier 1846 et, qu’abandonnée par ses camarades effrayées, elle avait perdu connaissance et quand elle était revenue à elle, elle était oppressée et agitée. Le soir même les phénomènes avaient commencé… Par ailleurs, pour décrire son état, elle affirme que non seulement elle n’a pas souffert mais qu’elle s’est bien amusée, qu’elle a même été fière parce que les journaux parlaient d’elle et que des foules venaient la voir. Les curieux accouraient, raconte‐t‐elle, partout où son père l’emmenait, récoltant quelque argent au passage ; peu cependant puisqu’elle regrette dans ses vieux jours de ne pas avoir su exploiter convenablement cette « vertu » comme elle nomme alors son état. Revenue en effet dans son village de La Perrière après son séjour à Paris, elle aurait gardé « sa vertu magnétique » jusqu’à 23 ans. Son père étant mort, c’est son mari, épousé à 17 ans, qui après qu’elle a eu deux enfants, aurait voulu exploiter cette « vertu » mais c’est alors qu’elle l’aurait perdue. Le journaliste conclut son article en renvoyant à des phénomènes psychiques de nature inconnue ou surnaturels, ajoutant : « Ces phénomènes résultaient‐ils d’une électricité à coup sûr irrégulière tant dans sa cause que dans ses effets ou résultaient‐ils d’un état psychique analogue à celui d’un médium ? Faut‐il les considérer comme extra‐naturels et rentrant dans le domaine de la mystique ? » (Louatron, 1898 : 51). Que conclure en 2010 ? Cette longue histoire dont on connaît la fin, permet au moins de dire qu’Angélique Cottin ne devint ni folle, ni voyante, ni médium, ni mystique mais qu’elle demeura une pauvre paysanne. En effet, selon Michel Ganivet (Ganivet, 1992), Madame veuve Desile mourut en 1913 à l’hospice de Mortagne au Perche où elle ne passa que les trois jours qui précédèrent sa mort. Je n’en déduirai pas pour autant qu’elle a simulé lors de ses crises, j’affirmerai bien au contraire que les phénomènes violents qu’elle a produit pendant un temps relativement éphémère, ont réellement existé. Aux témoignages nombreux et concordants de cet épisode s’ajoutent en effet, aux mêmes moments, je l’ai dit, ceux de médecins décrivant une capacité comparable d’un déploiement de forces exceptionnelles dans certains cas de maladies nerveuses touchant de très jeunes filles ou femmes. Or, Jules de Faremont évoque, on l’a vu, « un mouvement nerveux dont l’enfant n’était pas maître » qui précipitait l’objet qu’elle repoussait. Le Dr Tanchou écrit : « chose singulière, chaque fois que la chaise est enlevée, elle semble tenir aux vêtements, elle la suit un instant et ne s’en détache qu’après » ajoutant que la force d’Angélique Cottin se situe surtout dans la face antérieure du corps et particulièrement du poignet. Cette explosion des forces physiques, cette manière d’avoir « le diable au corps » et de « tout envoyer promener » ne fut‐elle pas alors l’expression du mal être de cette jeune fille au moment crucial de la puberté se cabrant contre l’avenir qui lui était promis ? Juste une hypothèse puisque les discours dont l’historienne dispose n’en disent rien… 11 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 Bibliographie Arago, F. (1854‐1862), « Sur une prétendue jeune fille électrique », Œuvres complètes, t.4, Electricité animale, II. Babinet, J. (1854), « Les sciences occultes au XIXème siècle. Les tables tournantes et les manifestations prétendues surnaturelles », La Revue des deux Mondes, 510‐532. Boutry, Ph., (1991)« Les mutations des croyances » dans Histoire de la France religieuse, Seuil, Paris. Cuchet, G. (2005), Le Crépuscule du purgatoire, Colin.. Edelman (dir.) (2009) « Savoirs occultés : du magnétisme à l’hypnose », Revue d’Histoire du XIXe siècle, 38. Edelman, N. , Le Maléfan, P. (1989), « Le cas Angélique Cottin », L’Histoire, 128, 50‐54. Edelman, N. (1995), Voyantes, guérisseuses, visionnaires en France, 17851914, Albin Michel. Edelman, N., Montiel, L., Peter J.‐P. (2009), La maladie et le somnambulisme de Lady Lincoln, Tallandier. Edelman, N. (2008), « Le somnambulisme magnétique, les enjeux d’une mise à la marge », L’homme et la société, revue internationale de recherches et de synthèses en sciences sociales, L’Harmattan, 167168169, 2008/123, 85‐100. Eudes de Mirville, J. (1854), Pneumatologie. Des esprits et de leurs manifestations fluidiques. Mémoire adressé à l’Académie des Sciences morales et politiques sur un grand nombre de phénomènes merveilleux intéressant également la religion, la science et les hommes du monde, Paris, Vrayet de Surcy. Figuier, L. (1860), Histoire du merveilleux et des temps modernes, t.4, Hachette. Ganivet, M. (1992), La fille électrique, mémoire du Perche. Louatron, H. (1898), « Une visite à Angélique Cottin », L’Echo du merveilleux, 1er févr. 1898. Macario, M., (1843), « Etudes cliniques sur la démonomanie », Annales médico psychologiques, mars 1843. Maquinghen Arnaud (2009), Une excursion dans ‘l’Audelà’ de la BelleEpoque. Henriette Couëdon et l’Echo du merveilleux (18941920), mémoire de master 1, Ecole Normale Supérieur Lettres et Sciences humaines, Lyon, sous la direction de Nicole Edelman. 12 Nicole Edelman, International Psychology, Practice and Research, 2, 2011 Muchembled, R. (2000), Une histoire du diable, XIIXXème siècle, Paris, Seuil. Dr Tanchou, S. (1846), Enquête sur l’authenticité des phénomènes électriques d’Angélique Cottin, Paris, Germer Baillière. 13