LA RUE SAINT MICHEL Et si s`asséchait

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LA RUE SAINT MICHEL Et si s`asséchait
SOCIÉTÉ
Et si
LA RUE SAINTMICHEL
s’asséchait ?
FERMETURES DE BARS
En novembre, deux établissements de la rue
Saint-Michel ont annoncé leur fermeture définitive. Ils
ne seront pas remplacés. Comme la rue de Saint-Malo
avant elle, la « rue de la soif » va-t-elle s’éteindre ?
C
oup de blues sur le zinc. Fin
décembre, le rideau tombera définitivement sur le
bar Le 1929. L’annonce de
sa prochaine fermeture,
le mois dernier, a choqué les noctambules. Ce café-concert mythique, installé en pleine « rue de la soif », s’imposait comme l’un des dépositaires de la
réputation rock’n’roll de la ville. Depuis,
le conseil municipal a voté la préemption du lieu. Même topo pour le bar La
Station, situé à quelques mètres du « 29 ».
Hubert Chardonnet, adjoint à la sécurité,
s’attaque au « centre névralgique » de la
fête rennaise. « Ne tournons pas autour
du pot. Il y a trop de bars dans le centreville », assène l’élu. Avec le rachat des
bars, les licences IV tombent dans l’escarcelle municipale. A la lecture du Code
de la santé publique, la capitale rennaise
dispose de plus d’une soixantaine d’autorisations de trop sur les 542 déjà distribuées. Pour Yves Préault, adjoint à la
communication et à la vie quotidienne,
« de toute façon, plus aucun patron de
bar ne souhaite s’installer dans la rue
Saint-Michel ». Ce symbole festif de la
ville est-il en train de s’éteindre ? Accoudés au comptoir, les habitués brandissent l’étendard « mythique » et « historique » de cette ruelle bercée par les
rires et les cris. C’est pourtant ce qui s’est
passé quelques années plus tôt. Avant
d’atterrir rue Saint-Michel, la fête dans la
capitale bretonne a d’abord grandi dans
la rue de Saint-Malo.
La grande sœur Saint-Malo
Pour preuve, cette dernière a longtemps porté le surnom de « rue de la
soif »... avant que ce sobriquet n’échoie
à la rue « Saint-Mich' ». Aujourd’hui,
les restaurants y sont plus nombreux
que les débits de boissons, que l’on
compte sur les doigts d’une main. Dans
les années 70, à l’apogée de l’attracti-
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Le Mensuel
Mensuel/décembre
/décembre 2009
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vité de la rue de Saint-Malo, la légende
gramme bâti autour du demi à cinq
mentionne la présence d'une trentaine
francs, ils ont talonné les 5% des voix
de bistrots. Fauché en pleine gloire,
avant de lancer la Fête de la paresse.
l’endroit phare de la ville a été coupé
Un succès qui a rameuté de nombreux
en deux à partir de 1977. La municipafêtards dans la rue de Saint-Malo dès la
lité s’est lancée dans la destruction de
première édition.
la moitié de la rue descendant jusqu’au
La rue Saint-Michel
canal Saint-Mar tin. Objectif, pour
prend la place
l’équipe Hervé : la construction d’un
Au fil des années, la Rue de Saint-Malo
millier de logements sociaux. Seuls une
est arrivée en fin de cycle et a perdu de
dizaine de bars ont résisté.
sa splendeur. Dans le même temps, les
De mémoire de vieux Rennais, la rue
bars ont peu à peu colonisé la rue Saintn’a pas perdu le goût de la fête. C'est
Michel. Dès la fin des années 80, ils ont
l'avis de Bertrand, pilier de comptoir
remplacé épiceries et restaurants. A la
du P’tit Malo depuis quarante ans. Tout
limite de l’arrêté de mise en péril, les pas
a reposé sur « des bistrotiers à fortes
de portes se négociaient à bon prix. Pour
personnalités ». Des patrons comme
encourager les rénovations, la municiJacques Ars, jadis gérant de La Bernique
palité est même allée
hurlante. « Les troquets
jusqu'à exonérer les
de la rue ne pouvaient
propriétaires de taxes
pas compter sur une
foncières. Le monde
grande surface. La rue
a attiré le monde. Les
étant ouverte à la circutroquets ont chamlation, sans possibilité
pignonné pour faire
d’installer une terrasse,
face à l’explosion du
le chiffre d’affaires était
nombre d’étudiants.
souvent faible. Il fallait
Jacques Ars, ancien patron
Toujours plus de jeunes
développer sa touche
de la Bernique hurlante
en quête de sorties.
personnelle pour fidéA partir des années 90,
l i s e r s a c l i e n t è l e »,
le surnom « rue de la soif » colle désortémoigne-t-il. Une clientèle « baba »
mais à la peau de la rue Saint-Michel.
et « hippie » fréquentait la rue. Voilà
Les anciens du centre ne reconnaispourquoi Frank Darcel et les Marquis
sent plus leur quartier tant il est devenu
de Sade n’y mettaient jamais les pieds.
celui des noctambules. Punks, bobos,
Ces brillants punks de la scène renétudiants and co commencent à partanaise des années 70 appuient : « Pour
ger leurs jeudis soirs à même le pavé.
nous, punks au crâne rasé, la rue de
La rue s’est imposée comme le point
Saint-Malo c’était pour les gars aux
de rassemblement de toute une génécheveux longs écoutant Neil Young. »
ration en quête de festivités. La mauAu comptoir de La Bernique hurlante,
vaise réputation de la rue Saint-Michel
quelques initiatives rocambolesques
s’est peu à peu tissée. Quelques faits
sont nées avant de s’affiner de l’autre
divers ont nourri les colonnes de la
côté de la rue, à L’Ozone, au Chip shop
presse locale dès la fin des années 90.
ou encore à La Trinquette. En 1989, les
Les plaintes répétées des riverains ont
Grignou se sont ainsi échauffés pour
même poussé la préfecture à « netla course aux élections municipales
toyer » la rue à l’aide d’un canon à eau
contre Edmond Hervé. Avec leur pro-
« La vie
nocturne est
une question
de mode
»
ILS SE SOUVIENNENT...
Benoît Leray, ancien cogérant du Métro,
ex-Petit vélo, place Saint-Michel
« Une fois les bars fermés,
les clients rentraient chez eux » « Avant d’être connue comme "rue de la soif", le
quartier était calme. Les bars ont commencé à
remplacer les épiceries et restaurants dans les
années 80. Avec deux amis, nous avons fait de
même à la fin de ces années-là. Au comptoir de
notre café-concert, je ne garde que bons souvenirs.
Les gens étaient calmes. Une fois les établissements
fermés, tous les clients rentraient chez eux. Après la
fermeture, ma collègue traversait le centre avec la
caisse sous le bras pour rentrer chez elle. Au fil des
années, l’atmosphère s’est tendue. En 1994, nous
nous sommes résolus à vendre en empochant une
petite plus-value. » Yves Préault, adjoint à la communication
et à la vie de quartier
« La ville va encore changer » « La fin de la rue de Saint-Malo n’a jamais été une
volonté politique. Tout doucement, la "rue de la
soif" s’est implantée entre les places Sainte-Anne
et Saint-Michel. Aujourd’hui, nous préemptons des
lieux pour limiter les licences IV dans le centreville. La rue Saint-Michel en fin de cycle ? Rien n’est
indétrônable. Nos futurs aménagements urbains
y contribueront peut-être. Il y a quelques années,
vous m’auriez dit que les jeunes s’installeraient
place du Parlement pour faire la fête, je ne vous
aurais pas cru. Avec la prochaine rénovation du
quartier de la gare et la mise en fonctionnement
de l’esplanade Charles-de-Gaulle, les mouvements
festifs passeront peut-être la Vilaine d’ici quelques
années. Qui sait ? »
Philippe, patron du P’tit bar, place Sainte-Anne
« Il y aurait eu jusqu’à trente
bars rue de Saint-Malo »
au début des années 2000.
La rue Saint-Michel n’est aujourd’hui
plus le passage obligé de ces quinze dernières années. Pour preuve, de nouveaux
spots festifs sont nés. Les vendredis et
samedis soirs, la place du Parlement
s’est transformée en « Parloch » pour les
lycéens. « La vie nocturne est une question de mode. Certains lieux ont la cote
un temps. D’autres endroits et d’autres
bars prennent ensuite leur place »,
souffle Jacques Ars. L’ancien patron de
La Bernique hurlante voit dans les quartiers du Vieux-Saint-Etienne et de SaintGermain de nouveaux repères pour les
oiseaux de nuit.
L’aspect piétonnier de la
rue Saint-Michel constitue
un atout de taille pour les
noctambules rennais.
Claire Staes et Benjamin Keltz
[email protected]
[email protected]
Le Mensuel/décembre 2009
« Cela fait 27 ans que je tiens le P’tit bar, place
Sainte-Anne. Avant moi, ma mère a été derrière le
comptoir de cet établissement pendant 33 ans. Elle
ouvrait son café vers 7 h et fermait vers 20 h. Le
matin, c’était plein ! Au fil des années, la transition
s’est faite doucement. Une anecdote : quand j’étais
jeune, le challenge c’était de s’arrêter boire un coup
dans tous les troquets de la rue de Saint-Malo. Mais
à l’époque, il y avait encore la deuxième partie de la
rue. La légende dit qu’il y a eu là-bas près de trente
bars. Autant dire que ce n’était pas possible de les
faire tous. »
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