Si l`on admet que les passions peuvent être nocives (tant pour celui

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Si l`on admet que les passions peuvent être nocives (tant pour celui
LA QUESTION DE LA MAÎTRISE DES PASSIONS
Introduction:
Si l'on admet que les passions peuvent être nocives (tant pour celui qui les éprouve que pour les effets
q'elles peuvent avoir sur les autres et la société), il reste à savoir comment il est possible de les contrôler. En
effet, l'attitude qui consiste à condamner les passions resterait totalement stérile si elle ne s'accompagnait pas
d'une réflexion sur les moyens qui permettent de s'en délivrer ou de les contrôler.
Ici, quatre questions se posent : 1- Quelles raisons justifient la nécessité de contrôler les passions? 2Quels motifs peuvent nous inciter à vouloir les contrôler? 3- Qui peut exercer ce contrôle (le passionné luimême ou un pouvoir extérieur?); par quels moyens et sous quelle forme est-il possible? 4- la volonté de
contrôler les passions est-elle vraiment légitime et à quelles conditions?
Le problème que soulève cette question est simple : la principale raison pour laquelle il faudrait
contrôler les passions est qu'elles nous font perdre la raison en nous poussant à agir à l'encontre de nos intérêts.
Mais si la passion est irrationnelle, comment le passionné pourrait-il comprendre les raisons de se délivrer de sa
passion et parvenir à soustraire sa volonté de l'emprise des passions, en la soumettant au contrôle de sa raison?
Seule la raison pourrait permettre le contrôle des passions; or la passion prive justement le passionné du seul
moyen qu'il aurait de contrôler sa passion, ou de s'en délivrer.
L'enjeu est à la fois politique et moral : 1-si un contrôle des passions est bel et bien possible il ne peut
pas se faire de façon autonome (par le passionné lui-même) C'est cet argument qui a, depuis toujours, justifié le
principe d'autorité : parce qu'ils sont incapables de contrôler eux-mêmes leurs passions et parce que les passions
sont, dit-on, à l'origine des conflits et du « chaos » social, les hommes ont besoin d 'être gouvernés par par une
autorité qui détient le pouvoir de réprimer ou de contrôler ses passions. Mais les autorités ont-elles réellement
le pouvoir de contrôler les passions humaines? Ceux qui détiennent le pouvoir ne sont-ils pas eux-mêmes
soumis à leurs passions (Pyrrhus et Hector Hulot) ou, justement, à ceux qui savent les expoliter (Valérie
Marneffe)? Dès lors, qu'est-ce qui justifie leur autorité? 2- L'obeissance n'est pas fondée sur la compréhension
des raisons qui la justifie; elle est déterminée par des passions, comme la peur ou l'orgueil. Ce sont nos passions
qui nous incitent à la docilité, à la soumission. Savoir contrôler les passions (en ayant compris, comme Hume,
les mécanismes qui les déterminent), c'est pouvoir maintenir les hommes dans la soumission. En même temps,
les passions peuvent justement être une force de contestation, de remise en cause des institutions, de l'ordre
établi : elles peuvent aussi être une force d'émancipation.
I) Quelles raisons justifient la nécessité de contrôler les passions? Pourquoi faut-il s'efforcer de les
contrôler?
1- La passion fait souffrir même celui qui l'éprouve et le pousse à agir au contraire de ses intérêts (voir
fiche 1)
2- La passion est immorale; elle pousse l'homme à transgresser toutes ses obligations (voir fiche 1)
3- Les passions humaines sont une menace pour l'ordre social. Elles mettent plongent le « monde »
dans le chaos.
Racine : Dans la sphère de l'intimité, les frustrations subies par les personnages transforment leur amour
en haine. Blessés dans leur orgueil de ne pas être aimés de ceux qu'ils aiment, ils éprouvent de la colère et font
preuve de violence (voir fiche 1).
Dans la sphère sociale et politique, Pyrrhus est prêt à lancer son peuple dans une guerre contre les grecs
pour paraître héroïque aux yeux d' Andromaque et ainsi mériter son amour (I,4,281-296 et I,2, 229-232) Il est
prêt à couronner une esclave et à trahir ses obligations envers une reine, pour assouvir une passion strictement
personnelle (I,4, 350-352 et II,2,567 : Hermione devient l'otage de Pyrrhus, tandis que Andromaque possède un
pouvoir sur Pyrrhus : l'ordre social est renversé) Enfin Racine multiplie les références à la guerre de Troie en
rappelant le motif qui l'a déclenchée : L'enlèvement d'Hélène (mère de Hermione, épouse de Ménélas) par Pâris
(frère de Hector) a déclenché la colère des Grecs (Agamemnon) et la volonté de faire la guerre aux Troyens.
C'est Hélène et les passions qu'elle a allumées qui a fait couler tout ce sang (I,2,177; I,4, 262-285; IV,3,11571163;IV,5,1342; V,2,1477-1484); Hermione, jalouse de sa mère, pour laquelle deux peuples sont entrés en
guerre pendant dix années, veut elle aussi faire assassiner un roi pour assouvir une vengeance strictement
personnelle -d'où la réticence de Oreste, qui veut faire passer la vengeance de Hermione pour un acte politique
afin de lui donner une légitimité (lirelire IV,3,1205; IV,3, 1179-1180 et V,2,1477-1485) On le voit, les passions
humaines ne sont pas circonstrites dans le monde de la vie privée ou intime : elles ont des répercussions
politiques et constituent une menace pour la paix des peuples.
Balzac : va dans le même sens. Lire le chapitre 75 : « Quels ravages font les Madame Marneffe au sein
des familles » : L'autorité du père de famille n'est plus respectée, la famille est divisée. Sur le plan politique,
Hector Hulot est un personnage corrompu : il utilise son pouvoir et ses relations au sein du ministère de la
guerre, il détourne de l'argent public pour satisfaire ses passions personnelles : pour éviter le scandale et jeter le
discrédit sur l'autorité de l'Etat, pour éviter d'inciter chacun à en faire autant (en effet, pourquoi respecter les
lois si ceux qui gouvernent ne les respectent pas?) et ainsi de plonger le monde dans le chaos, le ministère est
contraint d'étouffer l'affaire (C93, p437 et C94, 441 sq : les journaux, sous le contrôle indirect de l'Etat,
étouffent le scandale).
Hume : A condition d'être calmes, les passions peuvent au contraire contribuer à tisser des liens sociaux
: elles sont un vecteur de communication (VI,9, p.93 : une idée ne peut être communiquée que si elle l'est avec
passion; de plus, il y a des passions sociales, comme la compassion : III,4, 80; la passion favorise la
communication entre les hommes en la rendant plus « vivante » : II,11,p.75-76; même l'orgueil peut être un
sentiment collectif, il n'est pas forcément narcissique : « les hommes tiennent toujours compte du jugement
d'autrui pour se juger eux-mêmes », II,11, p.77 et l'on peut s'enorgueillir de la communauté à laquelle on
appartient : II,8, p.70; de nos ancêtres (p.71); de tous ceux qui nous sont liés par le sang ou par l'amitié : II,9,73.
Les passions humaines ne sont donc pas forcément « associales ». Même l'envie ou la jalousie ne peux
s'éprouver qu'entre « égaux » : elle a donc des effets limités (IV,5,p.84)
4- L'homme est esclave de ses passions, qui lui font perdre le contrôle de ses actes (voir fiche 1)
5- Transition : mais ce dernier argument rend problématique un possible contrôle des passions!
S'il faut les contrôler, c'est parcqu'elles font perdre à l'homme tout contrôle; mais c'est pour cette raison qu'elles
ne peuvent être contrôlées... Pour autant, la condamnation des passions et la compréhension des raisons pour
lesquelles elles doivent être contôlées serait bien inutile si elle ne s'accompagnait pas d'une réflexion sur les
moyens d'en venir à bout.
II) Est-il possible de contrôler les passions? Qui peut exercer ce contrôle et par quels moyens?
1- Le contrôle des passions ne peut s'exercer de façon autonome.
→D'abord parce que le passionné n'éprouve pas le désir de se délivrer de l'emprise de sa passion :
non seulement il ne comprend justement pas les raisons qu'il y aurait de s'en délivrer, car sa passion le trompe
sur les véritables causes de sa souffrance (fiche 1) et sur ses véritables motivations (il veut le bonheur mais il se
fait souffrir); mais, en outre, il préfère les satisfactions, mêmes illusoires, que lui procure sa passion, voire les
souffrances qu'elle lui inflige, au confort et à la sécurité que pourrait lui refuser une vie plus raisonnable. La
passion est en ce sens un refus de la raison : elle apparaît justement comme un moyen qui permet de se libérer
de la routine et de l'ennui, c'est-à-dire des souffrances qu'inflige une vie sans surprise et trop bien réglée.
Balzac : Hulot se lasse de l'amour de sa femme parce qu'il lui semble dû, parce qu'il en est sûr ; cet
amour pourtant sublime lui semble ennuyeux et repoussant (fiche 1). De plus, « Inoccupé de 1818 à 1823, le
baron Hulot s'était mis au service actif auprès des femmes » (C7,87) Les guerres napoléonninnes ayant pris fin,
Hulot cherche à se divertir de la routine de son travail au ministère de la guerre en séduisant des femmes
jeunes et belles. Balzac voit bien dans la passion une forme de divertissement qui « réveille l'apathie des
riches », dont l'inactivité les condamne à l'ennui (C37,p.237)
Hume : montre bien aussi que la sécurité étouffe la passion (lire VI,5,p.91); une vie lucide et
prévoyante, gouvernée par la raison, est une vie sans surprise et sans étonnement (lire section VI,8) L'homme
éprouve donc le besoin d'avoir des passions, pour échapper à l'ennui.
→Ensuite parce que l'homme ne peut opposer sa raison et sa volonté à ses passions.
Voir Hume, section V, §2 à 4, p.87-88 (et fiche 1) Les passions sont les moteurs de la volonté : seules
nos passions peuvent inciter notre volonté à l'action, alors que la raison ne peut poser de buts : elle permet
seulement de réfléchir aux moyens qui permettent d'assouvir nos désirs de façon efficace.
Racine : Oreste est « las d'écouter la raison » : loin de se soumettre aux conseils raisonnables de Pylade,
c'est Pylade qui cède et l'aide à servir sa passion (Acte III,scène 1) Pylade n'a aucun pouvoir sur Oreste (c'est,
peut-être, ce que montre le manque de déférence d'Oreste, qui tutoie Pylade -pourtant son ami et son égal- alors
que Pylade le vouvoie) Globalement les personnages sont hermétiques aux conseils de leurs confidents. S'ils
perçoivent avec lucidité les erreurs commises par les autres, ils sont aveugles à leurs propres erreurs.
Balzac reconnaît qu'on ne raisonne pas les passionnés, qui « sont sourds comme ils sont aveugles » (voir
p.501 et fin C37,p.239 notamment; voir fiche 1)
→Le passionné ne peut donc pas faire appel à sa raison pour contrôler ses passions. Au contraire,
il utilise sa raison pour mieux les satisfaire ou pour chercher à les justifier : la raison sert alors d'alibi à la
passion (Oreste veut faire passer un assassinat pour un acte de guerre (« Faisons de sa ruine une juste
conquête », IV,3,1181); Bette utilise l'alibi de la pauvreté pour justifier les « manoeuvres sentimentales » de
Valérie; Hulot et Monsieur Marneffe utilisent l'excuse de leur salaire insuffisant pour justifier leurs
malversations (voir fiche 1); Pyrrhus utilise l'alibi du droit qu'il a sur ses captifs (Andromaque et Astyanax)
pour ne pas les livrer aux Grecs (I,2,173 sq), etc.
2- Les institutions sont cependant tout aussi impuissantes à contôler les passions.
→La morale, l'éducation, les conventions sociales sont inefficaces.
Hume est le seul à penser que les hommes éprouvent de l'orgueil à faire preuve de vertu, et de la honte à
agir à l'encontre des normes établies (fiche 1) Mais c'est alors par les passions que les passions peuvent être
contrôlées (voir après).
Racine : les personnages sont peu ou pas enclins au remords ou à la culpabilité (à la conscience morale
de leurs fautes)
Balzac : Le souci de leur réputation pousse seulement les personnages à dissimuler les fautes qu'ils
commettent (voir fiche 1). : l'honnêteté est « le seul rempart » de Valérie. « C'est une question d'habits »
(Josépha)
→ Les pouvoirs publics (l'Etat, les institutions) ne peuvent contrôler les passions.
D'une part parce que ceux qui gouvernent sont eux-mêmes gouvernés par leurs passions. Idée présente
chez Racine et Balzac. Racine : encore une fois il ya renversement des hiérarchies sociales. Pyrrhus est d'une
certaine façon esclave d'Andromaque, qui semble « reine en ces lieux » tandis qu'Hermione semble captive (de
sa passion pour Pyrrhus) Balzac : lire C24,174; surtout la fin du C76, 374-375 et enfin C106, 490-491 : « Les
gouvernements sont si bégueules!... Ils sont menés par les hommes que nous menons! Moi, je plains les
peuples!... » dit Josépha.
D'autre part parce qu'il est impossible d'utiliser les pouvoirs publics (police, tribunaux...) pour contrôler
des affaires privées : dans un contexte républicain et (a fortiori dans une démocratie), l'intimité des hommes
échappe au contrôle de l'Etat (qui sinon serait totalitaire). Cet argument n'est donc présent que chez Balzac
(Louis Philippe : régime monarchiste, mais monarchie constitutionnelle et régime parlementaire).
C82, p.393 : le commissaire de police, qui sait que Hulot est victime d'un piège (Valérie et son mari
complices pour faire accuser Hulot d'adultère) dit bien son impuissance : « ce gredin de mari a pour lui la
loi... »; C84, p.396 : le ministre de la guerre (Maréchal Cottin, Prince de Wissembourg) dit bien a Hulot, qui lui
demande de promouvoir Marneffe chef de bureau parce qu'il est victime de chantage : « Laisse là cette affaire,
mon cher garçon, elle est trop galante pour devenir administrative » Lire surtout le chapitre 108 : « La police »
: Mr Chapuzot, chef de service à la préfecture de police, dit bien à Victorin Hulot qu'on ne peut utiliser
officiellement la police pour stopper Valérie Marneffe : « faire de la police un instrument des passions et des
intérêts privés, est-ce possible?... » C'est pourquoi Victorin fera appel à une sorte de police secrète en acceptant
les « services » de Mme de Saint- Estève (autrement nommée Madame Nourrisson).
3- Si les passions ne peuvent être contrôlées par un pouvoir extérieur, elles peuvent être contrôlées
par elles-mêmes.
→ La multiplicité des passions peut contribuer à les modérer, à en affaiblir la violence.
Balzac : la cupidité de Crevel modère sa passion pour Valérie et la vanité qu'il en retire : contrairement à
Hulot, il ne se ruine pas pour satisafaire son orgueil et sa concupiscence. C'est bien ce que lui reprochent valérie
et Josépha (C49,289-290 et C98,454)
Racine : Dans une moindre mesure, l'amour d' Andromaque pour Hector, qui est eclusif au départ (même
Astyanax n'existe qu'à travers Hector, dont il n'est que le « souvenir ») finit par être compensé par le désir de
sauver Astyanax, de le faire roi (IV,1). Cependant, dans Andromaque, la multiplicité des passions ne conduit
pas forcément à les équilibrer : elles alternent tout en gardant chacune leur violence : Pyrrhus passe par
exemple de l'amour à la haine, sans vraiment parvenir à fixer ses sentiments (désordre) : « Il peut, dans ce
désordre extrême, Epouser ce qu'il est, et punir ce qu'il aime » dit de lui Pylade (I,1121)
Hume : contrairement à Racine, Hume pense qu'une passion peut en contrebalancer une autre et la
modérer à condition qu'elles aient le même objet : lorsqu'elles n'ont pas le même objet, « elles se remplacent à
tour de rôle » (I,9 début). Ainsi selon Hume on ne pourrait éprouver successivement, voire en même temps, de
l'amour et de la haine pour la même personne. La haine ou à la colère qu'on éprouve en pensant à une personne
qui nous à fait du tort (ou que l'on méprise) peut alterner avec l'amour qu'on éprouve en pensant à une autre :
l'imagination passe de l'idée d'un objet à un autre et les sentiments alternent sans pour autant se tempérer : « il
est difficile à son esprit, si rapide soit-il dans sa course de l'objet agréable à l'objet funeste, de tempérer une
affection par une autre et de rester entre elles dans un état d'indifférence » (I,9) En revanche, une passion peut
être équilibrée par elle-même.
→Une passion peut s'équilibrer par elle-même.
Hume : une passion qui a le même objet mais pour lequel on éprouve des sentiments contraires reste
calme et équilibrée (pas vrai si on en croit Racine et si on se base sur l'expérience...) : « cette situation de
calme, l'esprit peut l'atteindre plus facilement lorsque le même événement est de nature mixte et comporte,
parmi ses différentes composantes, des éléments d'adversité et d'autres de prospérité » (I,9) : les deux passions
se détruisent alors et laissent l'esprit « dans une tranquillité parfaite ». Ici Hume ne prend pas d'exemples. On
pourrait peut-être reprendre ici l'exemple de VI,1, p.89 : la crainte qu'éprouve le soldat quand il pense à la
puissance de l'armée ennemie est contrebalancée par la fièreté qu'il éprouve lorsqu'il pense à la sienne et à ses
compagnons d'arme; de plus, l'orgueil d'affronter un ennemi puissant contrebalance la peur que lui inspire cet
ennemi et peut transformer cette peur en courage. Une passion peut donc changer de tonalité (triste ou joyeuse)
quand l'imagination (relation d'idée) change de direction [Mais, dans cet exemple, les objets (frères d'armes ou
armée ennemie) sont tout de même différents, bien que dans les deux cas il soit question de la guerre]
Une passion est mieux satisfaite quand elle est calme, c'est-à-dire distanciée, accompagnée de réflexion.
Par exemple, la passion pour les richesses (qui sont une des causes de l'orgueil) est mieux satisfaite par le
travail et le commerce que par les délits, la violence ou la guerre, où on cherche à s'en emparer par la force.
Surtout, les passions tendent elles-mêmes à se réguler selon Hume. II,10 : la tendance à la vanité est
modérée par le désir d'être valorisé par les autres. Pour satisfaire son orgueil, le moi doit trouver dans le
jugement des autres une confirmation de sa valeur; or, l'excès d'orgueil (la vanité) expose à la réprobation, au
démenti et donc au risque de se faire humilier (ce qu'on appelle aujourd'hui « prendre un vent ») C'est pourquoi
les hommes sont poussés par orgueil à modérer leur orgueil : « Nous accordons assez d'intérêt à cette situation
de conflit pour nous en alarmer aussitôt et pour mettre nos passions sous surveillance » (II,10,p.74)
→ Il est possible de se libérer des passions tristes, non en les réprimant mais en les exprimant dans
un cadre où elles restent inoffensives.
Racine : le théâtre permet la purgation des passions, en suscitant la pitié ou la compassion pour les
personnages (voir fiche 1) Par exemple, le spectacle des souffrances de la passion amoureuse incite à la
compassion et, par identification, peut nous délivrer des tentations de cette passion.
Hume : le simple spectacle de la cruauté (« dans un poème ou dans une fable ») fait souffrir, suscite la
compassion pour ceux qui en souffrent et l'indignation pour ceux qui en font preuve : la cruauté et la traîtrise
nous « déplaisent » quand on la perçoit chez les autres et cela peut nous pousser à ne pas en faire preuve
(II,5,p.67-68) : « La vertu produit donc toujours un plaisir distinct de l'orgueil ou de la satisfaction de soi qui
l'accompagne; le vice, un malaise séparé de l'humilité ou du remords » (p.68) [C'est aussi la preuve qu'il existe
des sentiments moraux, c'est-à-dire désintéressés]
Balzac est plus sceptique sur ce point : A propos du « portrait » qu'il fait de Valérie marneffe, le narrateur
déclare : »malheureusement, ce portrait ne corrigera personne de la manie d'aimer des anges au doux sourire[...]
dont le coeur est un coffre-fort » (C37 : « réflexions morales sur l'immoralité »,p.239) : Les romans ne peuvent
aider les hommes à se délivrer de leurs passions... Ils peuvent juste contribuer à les démystifier, donc à les
prévenir, à nous délivrer du désir d'avoir une passion (voir Hortense). Mais une fois installée, la passion est
incurable (c'est peut-être ce que montre l'exemple des médecins qui ne peuvent que diagnostiquer le mal dont
souffrent Valérie et Crevel, après leur empoisonnement par le baron Montès de montéjanos (C120)
4- Problème : La régulation des passions par elles-mêmes n'est pas toujours possible comme le
reconnaît Hume : des passions contraires peuvent alterner (I,9) ou se renforcer (VI,1) sans perdre leur violence
pour autant : les passions les plus fortes absorbent les plus faibles, si bien que la passion tend à devenir
exclusive, unique.
Dans Bazac, la passion de Crevel pour Valérie finit par absorber la passion qu'il a pour l'argent : quand il
décide de l'épouser, il est prêt à partager sa fortune avec elle et non avec ses enfants...
D'autre part, Hume dit bien qu'il ne dépend pas de notre volonté d'équilibrer ou de modérer nos passions
: cela dépend des circonstances et du tempéremment des individus (fin section V, p.88) Même chose dans
Balzac : la fille (Hortense) ne réagit pas comme sa mère (Hortense) aux infidélités de son mari : « Je ne
ressemble pas à ma mère » (C75, 369) : elle ne peut se résigner à souffrir en silence et elle éprouveriat de la
haine pour ses rivales si elle restait vivre avec Wenceslas; elle craint sa colère.
Racine : Les personnages éprouvent des passions contradictoires pour le même objet : ils passent de
l'amour à la haine quand l'amour qu'ils éprouvent n'est pas partagé. S'ils n'ont pas le poyuvoir de soumettre
leurs passions au contrôle de leur volonté, leurs passions s'opposent entre elles et rend leurs désirs
contradictoires, au point qu'ils ne savent plus ce qu'ils veulent ni même qui ils sont (fiche 1)
III) La volonté de maîtriser les passions est-elle pleinement légitime? Une autre attitude ne peutelle pas être envisagée? (voir fiche 1 en complément)
1- Toutes les passions ne doivent pas être combattues.
→La volonté de maîtriser les passions peut se traduire par la volonté de les combattre, de les éradiquer.
Or, il existe de « bonnes » passions : il y a des passions altruistes, comme la compassion ou l'amour (Hume)
qui contribuent au lien social et à faire des rapports humains autre chose que des rapports d'intérêts. De plus,
nos passions peuvent être conformes à nos obligations (Hume)
→Même les passions jugées néfastes, nocives, peuvent être utilement exploitées et mises au service
de l'intérêt général. La cupidité peut contribuer au développement du commerce; l'ambition, l'orgueil, le désir
de gloire peut faire de bons guerriers. Surtout, l'orgueil (le sentiment de ses mérites et de sa valeur) permet
d'éviter la haine, le ressentiment, l'a jalousie ou le désir de vengeance (qui résulte de la comparaison à autrui et
de la souffrance de son infériorité (Hume, sections III,4 et IV,5). Il peut aussi pousser l'homme à se surmonter, à
devenir plus parfait, à travailler et à cultiver ses talents (Balzac, C21,159 et surtout C57,315 : « De la sculpture)
à condition de ne pas s'enfermer dans le rêve, dans l'imaginaire et le refus du travail (comme c'est le cas de
Wenceslas). Et puis l'amour permet de faire des beaux enfants! (Balzac compare la création des oeuvres d'art à
l'accouchement d'un enfant, C55,309) C'est, comme le disait Platon (dans le Banquet) un « enfantement dans la
beauté ».
→La volonté de contrôler les passions peut constituer un bon moyen de maintenir les hommes
dans la soumission.
Balzac : Crevel et surtout Hulot se ruinent pour Valérie dont la « stratégie » est de flatter leur orgueil :
ils trouvent dans les délices de la vanité une compensation aux sacrifices financiers qu'elle leur impose.
Wenceslas se soumet aux humiliations que Bette lui fait subir parce qu'il est esclave des bienfaits qu'elle lui
accorde en compensation, de la gratitude qu'il lui doit (C18,p.143 et 145) Madame Nourrisson pousse le Baron
Montès de Montéjanos au meurtre en blessant son orgueil et en le poussant au désir de la vengeance (C115,529)
Le principe de la passion compensatrice (cher aux libéraux) peut donc être un terrible outil de manipulation qui
pousse les hommes à sacrifier leur liberté et leurs intérêts en échange de satisfactions illusoires ou futiles. Sur le
plan social, certains auteurs (comme Frédéric Lordon dans La société des affects) ont bien montré que les
masses acceptent de se sacrifier au travail pour satisfaire leur orgueil ou pour accéder aux délices (bien
illusoires) de la consommation : « c'est la joie qui fait dire oui » (F.Lordon)
La connaissance et la compréhension des mécanismes des passions peut donc être un terrible outil de
domination. Car la soumission à une autorité n'est juste que s'il y a une juste contrepartie et si elle se fonde sur
la compréhension des raisons qui en fondent la légitimité. Encore une fois, c'est là le vrai danger de nos
passions : elles nous rendent manipulables.