Bouteflika : l année des grandes indécisions Publié

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Bouteflika : l année des grandes indécisions Publié
Bouteflika : l année des grandes indécisions
Publié par Saida le Avril 09 2010 14:32:15
Avril 2009-avril 2010. En onze années de règne, le président Bouteflika n a jamais eu une année
aussi chaotique. Alors que certains évoquent le mandat de trop , son bilan politique est aussi
chétif que ses apparitions en public.
Bouteflika a traversé cette année quasi invisible. Aucun geste fort. Aucun discours éloquent. Pas
d orientations claires. Le président Bouteflika semble avoir perdu l énergie et l envie de celui
qui voulait laisser une marque dans l Algérie contemporaine. Les raisons de cette faillite sont
multiples. Personne n avait prédit, à l issue d une victoire sans saveur aux élections de 2009,
une telle bérézina.
D abord, l homme Bouteflika a eu l année la plus difficile sur le plan privé. Aussitôt sa victoire
consommée, on le signale à Genève pour un contrôle médical de routine. À moins que cela soit
celui de son frère, Mustapha. Car, Bouteflika, la famille, s est exposée, à cause des drames
privés, au voyeurisme populaire. À l image des Kennedy, on décortique leurs sorties à
l étranger, on scrute les agissements de l un, Saïd Bouteflika, le Raspoutine d El-Mouradia,
à qui l on prête la démesurée ambition de fonder un parti pour 2012, ou l autre, Nacer, rappelé
aux côtés de son frère ; et on disserte sur le clan familial .
Bouteflika voit glisser son image de chef de la nation à celle de chef de famille. Inexorablement,
péniblement. Le paroxysme a été atteint avec la mort de feue Hadja Mansouriah Ghezlaoui. Un
événement douloureux qui rameute les opportunistes de la politique. Tous savent la relation
privilégiée que le Président avait avec sa défunte mère et empêchent, de facto, les enfants à faire
le deuil en privé. L enterrement est public et il fallait toute la lucidité de la famille pour que le JT
de la télévision ne reprenne pas les funérailles. La preuve que les Bouteflika ont cessé de
s appartenir et ont fini par être emportés par la rumeur. Sociale ou politique. Celle des cafés et
des salons d Alger.
À tel point que Bouteflika cède, face à cette pression, et commande à ses frères d afficher la
cohésion familiale au même JT pour les besoins fallacieux d une rencontre avec la famille
Zidane. Les Bouteflika agissent comme des people . Zidane, Mami, Khaled. Toujours une star
qui donne un reflet déformé de ce que les Bouteflika veulent transmettre. S ensuit une longue
période de doutes. Personnels. Psychologiques. Les observateurs se posent les questions les
plus ardues : a-t-il toujours envie ? De quoi donc ? De gouverner, bien sûr. Car ce qui maintient
les présidents est cette mégalomanie douce et nécessaire de rester au sommet. La flamme.
Bouteflika prête encore le flanc. Il ne donne pas l impression de vouloir encore continuer et réduit
ses apparitions publiques. Il boude même la cérémonie du MDN pour le 5 Juillet. Tensions au
sommet ? Probablement pas. Du moins pas encore. Car l homme retrouve une nature qu on dit
capricieuse, imprévisible et sa légendaire humeur cassante. L abandon se fait alors que
l Algérie traverse des turbulences à cause de la LFC 2009 qui voit une levée de boucliers des
investisseurs étrangers et de leur capitale et un gouvernement, vidé de sa substance exécutive
par la révision constitutionnelle, ferrailler avec les partenaires étrangers.
À Washington, Paris, Madrid, Berlin, Rome ou Londres, les interrogations se font de plus en plus
désagréables. Bouteflika ne donne plus l impression de maîtriser les équilibres. Émeutes, grèves
en cascade et bientôt l ouverture des enquêtes sur les affaires de corruption. Est-il réellement
derrière cela ? Les doutes reviennent surtout que des proches, et pas des moindres, sont cités.
L édifice présidentiel se lézarde. Le ministre de l Énergie, le plus affecté par le scandale
Sonatrach, se targue de la confiance d un Président silencieux.
Que peut-il dire sur la corruption qu il n a pas déjà dit ? Il a même fixé la priorité nationale,
avant la lutte antiterroriste, en 2007. Les corps de sécurité prennent à la lettre les orientations
présidentielles et investiguent. Longtemps et dans la discrétion. Les dossiers s accumulent. Les
magistrats s impatientent. Il faut trancher dans le vif. Et Bouteflika ne dit rien. Du moins en public.
La sérénité se transforme en indécision. Er-Raïs ne répond plus. C est l heure des choix.
Douloureux encore et des sacrifices impossibles. Bouteflika a-t-il été trahi par les siens ? Il faut
régler cette équation dangereuse surtout que l homme est loyal envers ceux qu il aime. La
veuve de Ben Bella est enterrée avec les honneurs nationaux. Larbi Belkheir, Bachir Bouamaza et
Ali Tounsi sont inhumés dans l indifférence présidentielle. On décortique ces gestes qui valent
autant qu une parole politique. Bouteflika dit tout à travers les non-dits. Il laisse faire les
interprétations, les rumeurs et les porte-voix.
La parole d El-Mouradia est distribuée autrement. Le clan des Malgaches (Zerhouni, Ould
Kablia, Temmar) monte au créneau pour défendre la décision présidentielle. Les proches (ses
frères et Belkhadem) se chargent des coulisses politiques. Et il y a Chakib Khelil. Celui qui
conditionne le recentrage de la présidence. En interne et à l international. L onde de choc des
scandales n est pas absorbée. Et Khelil joue sa peau au GNL 16. Les capitales étrangères ont
compris et font durer le plaisir. Elles attendent. Aucune puissance ne veut mettre son nez dans
cette cuisine algérienne qui sent les scandales épicés et l indigestion.
Politiquement, c est le désert. Au multipartisme administratif qui met en coupe réglée
l opposition, ne succède aucune perspective. Pourtant, Bouteflika voulait toutes les cartes en
main et les a eues avec cette regrettable sensation de gâchis. Le Président s isole dans son
mutisme et ne propose que la récurrente réconciliation nationale qui fait le lit d un retour sournois
de l intégrisme social qui affecte aussi bien les institutions que la société algérienne. L absence
d un projet de société se fait cruellement sentir. On exhibe la rente, on réforme en surface et on
construit des barrages, des lycées et des autoroutes pour tromper le progrès. Mais l échec est
toujours aussi solide dans l incapacité de construire la citoyenneté et fonder un État moderne.
Même l éclaircie du football, qui a probablement donné le plus de joie au Président et des motifs
de croire à la vivacité de la nation, est devenue un capital vite dilapidé.
Ainsi, le 9 avril 2010 est un anniversaire morose. Et il semble réellement improbable que le
Président parle. Même si la plupart de ses partisans veulent qu il parle. Mais le bruit du silence
est lourd. Le silence de Bouteflika est très écouté chez le peuple qui veut bien y croire encore.
Pour un troisième mandat.
Liberté.
Saida, Algerie :