Bolivie Vraie-fausse nationalisation du gaz

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Bolivie Vraie-fausse nationalisation du gaz
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Bolivie Vraie-fausse nationalisation du gaz
INDE Des sikhs sans barbe ni turban
INTERNET Attention, péage en projet
VOYAGE En Espagne avec le Cid
www.courrierinternational.com
N° 835 du 2 au 8 novembre 2006 - 3
€
Bush face
à la déroute
Elections
décisives
au Congrès
américain
AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 €
AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN
DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £
GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥
LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 €
SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU
M 03183 - 835 - F: 3,00 E
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s o m m a i re
●
Guérilla virtuelle pour la cause baloutche J A P O N
Mobilisation contre le suicide des vieux ■ le mot de la
semaine makuragyô, les sutras de chevet C H I N E Le PCC
s’assoit sur l’esprit olympique
PA K I S TA N
e n c o u ve r t u re
●
Bush face à la déroute
Et si les démocrates remportaient les élections législatives
du 7 novembre ? Pour beaucoup, la majorité semble leur
être acquise à la Chambre des représentants. Et certains
pensent que le Sénat pourrait également basculer. Bush et
son équipe ont en effet déçu leurs partisans, y compris dans
l’armée et dans les communautés chrétiennes qui donnent
traditionnellement leurs voix aux républicains. Les
démocrates auront su avant tout profiter des effets
désastreux de l’interminable aventure irakienne.
pp. 32 à 40
30 ■ Afrique RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Quand
le Kivu vote pour la paix ANALYSE Une élection loin d’être
jouée d’avance CENTRAFRIQUE L’écotourisme au secours du
“peuple de la forêt”
E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S
32 ■ en couverture Bush face à la déroute
42 ■ portrait L’irréductible Slovène de Croatie
RUBRIQUES
Depuis plusieurs années, Josko Joras se bat pour que
les autorités croates acceptent que le hameau de
Secovje, situé juste sur la frontière, retourne dans
le giron slovène. Mais la partie est loin d’être gagnée.
4 ■ les sources de cette semaine
6 ■ l’éditorial Les belles promesses
44 ■ enquête Conversions interdites Le
royaume chérifien punit sévèrement le prosélytisme
des missionnaires évangéliques, qu’ils soient
marocains ou étrangers, tout en essayant de ne pas
se fâcher avec Washington.
du président Lula, par Bernard Kapp
6 ■ l’invité
Mary Dejevsky, The Independent, Londres
■
■
■
■
■
bouge, les religieux pas encore T É L É V I S I O N Une série qui
se moque des intégristes SYRIE Pèlerinage très politique
à Sayida Zaynab EXIL Retrouvailles irakiennes au Caire
Embourbé dans le conflit en Irak, le président Bush
est l’artisan de la défaite annoncée des républicains
aux élections de mi-mandat qui auront lieu le
7 novembre.
Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, Cuba.
6
9
9
54
58
28 ■ moyen-orient A R A B I E S A O U D I T E La société
le dessin de la semaine
à l’affiche
ils et elles ont dit
voyage Pour la visite, suivez le Cid…
le livre La dépossession en héritage,
INTELLIGENCES
46 ■ économie C O N C E N T R AT I O N Mariage d’amour
de Kiran Desai
Ouverture en Arabie Saoudite
58 ■ épices et saveurs
p. 28
Espagne : Rien de tel qu’une tortilla
59 ■ insolites Al-Qaida Tour
dans la sidérurgie ■ la vie en boîte Cinq conseils pour
survivre ACQUISITIONS Les Espagnols partent à la conquête
du monde C O N S O M M AT I O N Une immigration salvatrice pour
l’économie
50 ■ multimédia
M O B I L I S AT I O N
Internet à deux
vitesses ? Non, merci !
51 ■ sciences MÉTHODOLOGIE Bataille de statisticiens
à propos de la guerre en Irak CONTREPOINT Une étude utile
et plutôt correcte
D’UN CONTINENT À L’AUTRE
10 ■ france M É D I A S Vérité en deçà du périph’,
mensonge au-delà VU DE SUISSE Les banlieues dans le piège
de la présidentielle É C O N O M I E Quand Chirac aménage le
territoire chinois MULTICULTURALISME Et si les Français avaient
eu raison d’interdire le voile
52 ■ technologie ATOME Un Tchernobyl flottant
dans les eaux russes
53 ■ écologie SAUVEGARDE Pourquoi il faut interdire
l’Everest aux touristes
13 ■ europe ALLEMAGNE La Bundeswehr à l’épreuve
de la guerre UKRAINE Le véritable prix du gaz russe BIÉLORUSSIE
10 millions d’euros pour l’opposition biélorusse S O C I A L
Vers l’unité syndicale autour de la Baltique ■ vivre à 25
ITALIE La Mafia perd son chantier du siècle ITALIE Romano
Prodi victime d’espionnage fiscal M O L D AV I E - R O U M A N I E Le
bonheur de l’autre côté du fleuve V U D E M O S C O U Pourquoi
se méfie-t-on des Russes en Europe de l’Ouest ? SLOVAQUIE HONGRIE Affabulation ou manipulation ?
18 ■ amériques B O L I V I E La vraie-fausse nationalisation C H I L I L’or de Pinochet refait sur face à Hong
Kong M E X I Q U E La police fédérale investit Oaxaca A M É R I Q U E
CENTRALE Les “petits tigres” des Caraïbes râlent de plaisir
BRÉSIL Victoire sans surprise pour le président Lula
22 ■ asie MYANMAR Faire pression sur la junte militaire
S R I L A N K A Les négociations en panne sur l’autoroute
I N D E Peut-on être sikh sans por ter ni barbe ni turban ?
Sur RFI Retrouvez Courrier international tous les jeudis dans
l’émission Les visiteurs du jour animée par Hervé Guillemot. Cette
semaine, “Peut-on être sikh sans porter barbe et turban ?”, avec
Ingrid Therwath. Cette émission sera diffusée en direct sur 89 FM
le jeudi 2 novembre à 10 h 15, puis sur le site <www.rfi.fr>.
W W W.
Toute l’actualité internationale au jour le jour sur
Pour Burgos, suivez le Cid…
p. 54
courrierinternational.com
LA SEMAINE PROCHAINE
afghanistan Cinq
ans après les talibans
culture Los Angeles racontée
par James Ellroy
dossier spécial Gros plan sur le Québec
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
3
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
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l e s s o u rc e s
●
CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL
ABC 267 000 ex., Espagne, quotidien.
Journal monarchiste et conservateur
depuis sa création en 1903, ABC
a un aspect un peu désuet unique
en son genre : une centaine
de pages agrafées, avec une grande
photo à la une.
ARABNEWS 50 000 exemplaires, Arabie
Saoudite, quotidien. Principal titre
en anglais du royaume, il est ouvert
à l’Occident. Ainsi, il peut publier
des éditoriaux repris des grands
titres de la presse américaine.
Fondé en 1975, il sert de tribune
aux milieux libéraux réformateurs.
ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éditions
du matin) et 4 400 000 ex. (éditions
du soir), Japon, quotidien. Fondé en
1879, chantre du pacifisme nippon
depuis la Seconde Guerre mondiale,
le “Journal du Soleil-Levant” est une
véritable institution.
ASHARQ AL-AWSAT 200 000 ex., Arabie
Saoudite, quotidien. “Le MoyenOrient” se présente lui-même comme
le “quotidien international des Arabes”.
Edité par Saudi Research and Marketing, il connaît depuis 1990 un succès
croissant et est distribué aussi bien au
Moyen-Orient que dans le Maghreb.
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR 125 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien. Publié à Boston
mais lu “from coast to coast”, cet élégant
tabloïd est réputé pour sa couverture
des affaires internationales et le sérieux
de ses informations nationales.
qui s’intéressent à l’actualité internationale. Ouvertement libéral,
il se situe à l’“extrême centre”.
ETIQUETA NEGRA 7 000 ex., Pérou, mensuel.
Fondée début 2002, l’“Etiquette
noire” a pour ambition d’être l’équivalent du NewYorker pour l’Amérique
latine. C’est-à-dire une revue de grande
qualité, tant éditoriale que formelle.
FRANKFURTER RUNDSCHAU 189 000 ex.,
Allemagne, quotidien. Le plus ancien
des quotidiens nationaux allemands
a un public un peu plus jeune que
ses concurrents. Engagé à gauche,
dans la défense des droits
de l’homme et de l’environnement.
THE GUARDIAN 375 200 ex., RoyaumeUni, quotidien. Depuis septembre
2005, il est le seul quotidien national
britannique imprimé au format berlinois et tout en couleur. L’indépendance, la qualité et l’engagement à
gauche caractérisent depuis 1821 ce
titre, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays.
AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie Saoudite
(siège à Londres), quotidien. “La
Vie” est sans doute le journal de référence de la diaspora arabe et la
tribune préférée des intellectuels
de gauche ou des libéraux arabes qui
veulent s’adresser à un large public.
THE HINDU 700 000 ex., Inde, quotidien.
Hebdomadaire fondé en 1878, puis
quotidien à partir de 1889. Publié
à Madras et diffusé essentiellement
dans le sud du pays, ce journal indépendant est connu pour sa tendance
politique de centre gauche.
THE INDEPENDENT 252 000 ex., RoyaumeUni, quotidien. Créé en 1986, ce
journal s’est fait une belle place dans
le paysage médiatique. Racheté en
1998 par le patron de presse irlandais
Tony O’Reilly, il reste indépendant et
se démarque par son engagement
proeuropéen, ses positions libertaires
sur des problèmes de société et son
illustration.
AL-ITTIHAD Emirats arabes unis, quotidien. Créé en 1969, Al-Ittihad est un
des plus vieux médias des Emirats
arabes unis. Sous l’autorité du ministère de l’Information et de la Culture,
ce quotidien publie des articles de
fond rédigés par des intellectuels souvent critiques du monde arabe.
COTIDIANUL 40 000 ex., Roumanie, quotidien. “Le quotidien” a été fondé
en 1991 par Ion Ratiu, journaliste
à la BBC, devenu une des figures
marquantes de la politique roumaine,
dans la perspective d’informer le
citoyen et de servir la démocratie.
EL DIARIO, Bolivie, quotidien. Depuis
1904 El Diario perpétue l’esprit de
son fondateur, José Carrasco Torrico,
selon lequel “la presse crée la lumière
là où il y a les ténèbres”. Généraliste,
il traite des événements nationaux
d’un point de vue conservateur,
nationaliste et catholique.
DONGXIANG-THE TREND 15 000 ex., Chine
(Hong Kong), mensuel. De nature
contestataire, le titre, comme sa
publication sœur Cheng Ming, publie
des articles très critiques vis-à-vis
du gouvernement central de Pékin.
THE ECONOMIST 1 009 760 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire.Véritable institution de la presse britannique, le titre,
fondé en 1843 par un chapelier
écossais, est la bible de tous ceux
KYIV POST 20 000 ex., Ukraine, hebdomadaire. Paraît en ukrainien et en
anglais, dispose d’un site Internet très
actif, qui touche un lectorat composé
“d’hommes d’affaires et de touristes
d’Ukraine et de l’étranger”.
“alternatif”, mordant et dérangeant
au début des années 1980, au point
de voir ses responsables arrêtés lors
du “Printemps slovène”. Après les
élections libres, en avril 1990, Mladina a été privatisé, mais reste toujours
aussi irrévérencieux et courageux.
EL MUNDO 310 000 ex., Espagne, quotidien. “Le Monde” a été lancé en
1989 par Pedro J. Ramírez et d’autres
anciens de Diario 16. Le directeur
d’El Mundo a toujours revendiqué
le modèle du journalisme d’investigation à l’américaine bien qu’il ait
tendance à privilégier le sensationnalisme au sérieux des informations.
THE NATION 117 000 ex., Etats-Unis,
hebdomadaire. Fondé par des abolitionnistes en 1865, résolument à
gauche, The Nation est l’un des premiers magazines d’opinion américains. Des collaborateurs tels que
Henry James, Jean-Paul Sartre ou
Martin Luther King ont contribué
à sa renommée.
THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex.
(1 700 000 le dimanche), Etats-Unis,
quotidien. Avec 1 000 journalistes,
29 bureaux à l’étranger et plus de
80 prix Pulitzer, le NewYork Times
est de loin le premier quotidien
du pays, dans lequel on peut lire
“all the news that’s fit to print” (toute
l’information digne d’être publiée).
NOVYÉ IZVESTIA 41 650 ex., Russie, quotidien. “Les Nouvelles Izvestia” a été
créé en 1997 par Igor Golembiovski,
ex-rédacteur en chef des Izvestia, et
les journalistes devenus “indésirables” pour les nouveaux propriétaires du célèbre quotidien. Premier
quotidien russe en couleurs, sérieux
et critique vis-à-vis du Kremlin, il fut
populaire jusqu’en mars 2003, date
à laquelle il dut suspendre sa parution
faute de financements. Il a retrouvé
les kiosques le 1er juillet 2003.
THE OBSERVER 434 000 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire. Le plus ancien
des journaux du dimanche (1791)
est aussi l’un des fleurons de
la “qualité britannique”. Il appartient
au même groupe que le quotidien
The Guardian et, comme lui, se situe
résolument à gauche.
LOS ANGELES TIMES 851 500 ex., EtatsUnis, quotidien. Cinq cents grammes
de papier par numéro, 2 kilos le
dimanche, une vingtaine de prix
Pulitzer : c’est le géant de la côte Ouest.
Créé en 1881, il est le plus à gauche
des quotidiens à fort tirage du pays.
MILENIO 80 000 ex., Mexique, quotidien. Né en 2000 à Monterrey, la
grande ville du Nord, “Millénaire”
possède aussi des rédactions à
Mexico et dans d’autres villes de province. Son ton irrévérencieux traduit
une approche incisive de l’actualité
politique mexicaine.
EL PAÍS 457 000 ex. (831 000 ex. le
dimanche), Espagne, quotidien. Né
en mai 1976, six mois après la mort
de Franco, “Le Pays” est une institution en Espagne. Il est le plus vendu
des quotidiens d’information générale et s’est imposé comme l’un des
vingt meilleurs journaux du monde.
MLADINA 40 000 ex., Slovénie, hebdomadaire. Fondé en 1943 en tant
qu’organe de l’Alliance des jeunesses
socialistes, “La Jeunesse” est devenu
POPULAR SCIENCE 1 800 000 ex., EtatsUnis, mensuel. Depuis 1872,
“Science populaire” livre au très
grand public des informations sur le
Bulletin à retourner
sans affranchir à :
LE POTENTIEL 2 500 ex., république
démocratique du Congo, quotidien.
Fondé en 1982, ce tabloïd, initialement dévolu à l’économie, a glissé
vers la politique pour s’y consacrer
totalement à partir de 1990.Volontiers frondeur, Le Potentiel est sans
doute le plus lu des quotidiens kinois.
du Sud” est le grand journal libéral
du sud de la Suède. Devenu tabloïd
en 2004, il a abandonné son nom
d’origine, Sydsvenska Dagbladet,
pour adopter le surnom que
les Suédois lui donnaient depuis
toujours : Sydsvenskan.
PROSPECT 18 000 ex., Royaume-Uni,
mensuel. Fondée en novembre 1995,
cette revue indépendante de la gauche
libérale britannique offre à un lectorat cultivé et curieux des articles de
grande qualité, avec un goût marqué
pour les points de vue à contrecourant et les analyses contradictoires.
LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie, quotidien. Née en 1976, La Repubblica se
veut le quotidien de l’élite intellectuelle et financière du pays. Le titre
est orienté à gauche, avec une sympathie affichée pour les Démocrates de
gauche (ex-Parti communiste), et critique vis-à-vis de l’ancien président
du Conseil, Silvio Berlusconi.
SALON <http://www.salon.com>, EtatsUnis. Créé en novembre 1995 par
David Talbot, ancien journaliste du
San Francisco Examiner, ce webzine,
qui compte 73 000 abonnés et
3,1 millions de visiteurs par mois,
s’intéresse à l’actualité culturelle
et littéraire et à la vie des idées.
SCIENCE <http://www.sciencemag.org>
165 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Prestigieuse revue créée en
1848. Elle offre un panorama particulièrement fouillé et exhaustif de
l’état et des débats de la science aux
Etats-Unis et dans le reste du monde.
LE SOIR 125 000 ex., Belgique, quotidien. Lancé en 1887, le titre s’adresse
à l’ensemble des francophones
de Belgique. Riche en suppléments
et pionnier sur le web, le premier
journal de Bruxelles et de la Wallonie
voit néanmoins ses ventes s’éroder
d’année en année.
LA STAMPA 400 000 ex., Italie, quotidien. Le titre est à la fois le principal
journal de Turin et le principal quotidien du groupe Fiat, qui contrôle
100 % du capital à travers sa filiale
Italiana Edizioni Spa.
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG 430 000 ex., Allemagne, quotidien. Né à Munich, en
1945, le “journal intellectuel du libéralisme de gauche allemand” est
l’autre grand quotidien de référence
du pays, avec la FAZ.
64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13
Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01
Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02
Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected]
Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin
Assistante Dalila Bounekta (16 16)
Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98)
Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),
Claude Leblanc (16 43)
Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30)
Chef des informations Anthony Bellanger (16 59)
SYDSVENSKAN 136 000 ex., Suède, quotidien. Fondé en 1848, “Le Quotidien
Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)
Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)
Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59),
Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,
16 22), Daniel Matias (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron
(Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande),
Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist
(Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service,
16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona
Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea
(Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets
(Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassy
(Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela
Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord,
16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine
Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil)
Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef
de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud,
16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime
(Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),
Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient
Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie
centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe
Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre
Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot
(Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle
Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia
Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de
rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60)
Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)
DE VOLKSKRANT 310 000 ex. Pays-Bas,
quotidien. Né en 1919, catholique
militant pendant cinquante ans,
“Le Journal du peuple” s’est laïcisé
en 1965 et est aujourd’hui la lecture
favorite des progressistes d’Amsterdam, bien qu’ils se plaignent beaucoup de sa dérive populiste.
VREME 25 000 ex., Serbie-et-Monténégro
(Serbie), hebdomadaire. “Le Temps”
assure un suivi bien documenté et
approfondi de l’actualité politique,
économique et culturelle. Ses commentateurs indépendants sont
connus pour leur critique avertie des
crises qui secouent la scène politique.
THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien. C’est la bible
des milieux d’affaires. Mais à manier
avec précaution : d’un côté, des
enquêtes et reportages de grande
qualité ; de l’autre, des pages éditoriales
tellement partisanes qu’elles tombent
trop souvent dans la mauvaise foi.
Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service,
16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661)
Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre,
16 82), Julien Didelet (chef de projet)
THE WEEK 200 000 ex., Inde, hebdomadaire. Fondé en 1982, le titre est
apprécié pour son choix éditorial,
souvent décalé par rapport à l’actualité immédiate et dominante.
Il appartient à Malayala Manorama,
un groupe de presse régional installé
dans l’Etat du Kerala, connu pour
son très fort taux d’alphabétisation.
Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)
Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain,
16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle
Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise
Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois),
Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),
Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)
THE WEEKLY STANDARD 60 000 ex., EtatsUnis, hebdomadaire. Fondé en 1995
par le tentaculaire groupe Murdoch,
The Weekly Standard est l’un des
principaux journaux conservateurs
du pays. Essentiellement politique,
il est lu par le tout-Washington.
Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe
Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche
Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine
Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91)
Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey,
Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry
Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil
(colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684)
YAZHOU SHIBAO ZAIXIAN <http://www.atchinese.com/> Chine. Créé en 2002
comme version chinoise d’Asia Times
Online, ce site traduit une partie des
articles de la version anglaise, mais,
depuis 2003, produit également des
reportages et des analyses. Grâce à
cela, il est entré dans le cercle restreint
des médias indépendants pratiquant
le journalisme en langue chinoise.
WWW
Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi
de 15 heures à 18 heures
Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage :
Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg
Ont participé à ce numéro Iulia Badea-Guéritée, Chloé Baker, Edwige Benoit,
Gilles Berton, Marc-Olivier Bherer, Aurélie Boissière, Marianne Bonneau, Olivier
Bras, Valérie Brunissen, Marc Fernandez, Lola Gruber, Natacha Haut, Françoise
Liffran, Julie Marcot, Valentine Morizot, Hamdam Mostafavi, Marina Niggli, Jonnathan
Renaud-Badet, Hélène Rousselot, Isabelle Taudière, Emmanuel Tronquart, Marion
Vigreux, Janine de Waard
ADMINISTRATION - COMMERCIAL
Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes :
Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust
(16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88
Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Lionel
Guyader (16 73)
Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur
commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard.
Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro :
Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40
Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13,
courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur
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(14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ;
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n° 835
RÉDACTION
LA VANGUARDIA 201 500 ex., Espagne,
quotidien. “L’Avant-Garde” a été
fondée en 1881 à Barcelone par la
famille Godó, qui en est toujours
propriétaire. Ce quotidien de haute
tenue est le quatrième du pays en
terme de diffusion, mais il est
numéro un en Catalogne.
VEJA 1 100 000 ex., Brésil, hebdomadaire. Veja, qui compte parmi les cinq
plus grands newsmagazines du
monde, est, avec ses 900 000 abonnés, un vrai phénomène de la presse
brésilienne depuis son lancement en
1968. Sa rigueur et son mordant restent deux de ses principales qualités.
LA NACIÓN 30 000 ex., Chili, quotidien.
Fondé en 1917, ce journal est financé
à 69 % par l’Etat et son directeur est
nommé par le président. Représentant
la ligne du gouvernement (coalition
de centre gauche), sous Pinochet
il avait été rebaptisé El Cronista et
était ouvertement d’extrême droite.
OUTLOOK 250 000 ex., Inde, hebdomadaire. Créé en 1995, le titre est vite
devenu l’un des hebdos de langue
anglaise les plus lus en Inde.
Sa diffusion suit de près celle d’India
Today, l’autre grand hebdo indien,
dont il se démarque par ses positions
nettement libérales.
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Courrier international
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Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président
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Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président
Dépôt légal : novembre 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101
ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France
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COURRIER INTERNATIONAL N° 835
4
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l’invité
ÉDITORIAL
Les belles promesses
du président Lula
L E
D E S S I N
D E
L A
Mary Dejevsky,
The Independent (extraits), Londres
a génération a grandi dans l’ombre de Suez. La
différence, c’est que les envahisseurs de l’époque, la Grande-BreSeconde Guerre mondiale a gâché la jeunesse
tagne et la France, s’accrochaient aux restes de leurs empires.
de nos parents, notre héritage psychologique a
Les Etats-Unis, craignant pour leur ravitaillement en pétrole et
été l’humiliation britannique à Suez. Ce n’est
pour leur capacité de projection navale, ont grandement contripas la faute de Tony Blair si le nouveau fond
bué à mettre fin au conflit. Cinquante ans plus tard, les Etatsque nous touchons en Irak coïncide si préciUnis sont le principal instigateur de l’opération en Irak, la Grandesément avec le cinquantième anniversaire de la
Bretagne ne jouant plus qu’un tout petit rôle de subordonné.
crise de Suez. Mais les échos actuels du drame
La crise de Suez a alimenté toutes les névroses britanniques
laissent penser que la politique étrangère britannique n’avait
d’après-guerre. Elle a montré une fois pour toutes que la
peut-être pas parfaitement exorcisé certains démons.
Grande-Bretagne n’était plus la puissance qu’elle était en 1939
La crise de Suez a éclaté quand le président égyptien, Gamal
et illustré de façon particulièrement cruelle l’inversion du rapAbdel Nasser, a pris le contrôle du canal de Suez, les Etatsport de forces entre Londres et Washington. Les politiques et
Unis et la Grande-Bretagne ayant refusé de contribuer au finanles diplomates britanniques en ont conclu que notre avenir résicement du barrage d’Assouan.
dait sous l’aile protectrice des
Londres et Paris montèrent une
Etats-Unis. Or c’est sans doute
opération conjointe, préparée en
la leçon qu’il ne fallait pas tirer
secret avec Israël, pour reprendre
du fiasco de Suez. Il aurait sans
le contrôle du canal et renverser
doute mieux valu en déduire
Nasser. Le président Eisenhower
que les Etats-Unis étaient la prorefusa de la soutenir, ordonna
chaine superpuissance, que leurs
à la Grande-Bretagne de retirer
intérêts allaient de plus en plus
ses troupes, en menaçant de
diverger des nôtres et qu’à l’exbloquer des crédits vitaux pour
trême limite il valait mieux ne pas
■ Ancienne du BBC World Service et
l’Etat britannique financièretrop dépendre d’eux. Peut-être
du Times, pour lequel elle a couvert la fin
ment exsangue.
aurions-nous alors vu que notre
de l’URSS, Mary Dejevsky a rejoint The
Les parallèles avec l’Irak ne
avenir était outre-Manche pluIndependent en 1992. Après avoir été
manquent pas. Comme Saddam
tôt qu’outre-Atlantique et nous
la correspondante du quotidien à Paris et
Hussein refusant de renoncer à
serions-nous montrés plus ouverts
à Washington, elle est désormais éditodes armes de destruction masà une intégration au sein de
rialiste sur les questions internationales.
sive même fictives, Nasser seml’embryon d’Union européenne.
blait menacer les intérêts vitaux de l’Occident. A l’époque
Le traité de Rome fut signé l’année suivante.
comme avant la guerre en Irak, les candidats à l’intervention
Un demi-siècle sépare Suez de l’Irak. Ces deux crises nous metse sont efforcés d’obtenir une couverture de l’ONU, au motif
tent pareillement en garde contre l’intérêt de notre relation fordiscutable qu’ils ne faisaient que se défendre. A l’époque comme
cément déséquilibrée avec Washington. Et pourtant, je ne cesse
avant l’Irak, la prise de décision du gouvernement britannique
d’entendre des diplomates et des politiciens vanter les mérites
a été entourée de secret. Et, alors comme maintenant, rien n’a
de l’alliance transatlantique, qui serait la priorité naturelle de
été correctement prévu pour gérer l’après-invasion.
la Grande-Bretagne. Faudra-t-il un nouveau Suez, un nouvel
Les parallèles ne s’arrêtent pas là. A Suez comme en Irak, les
Irak, pour guérir notre élite de sa folie des grandeurs mondiale ?
pays occidentaux ont fait l’erreur de surestimer leurs capaciN’avons-nous pas été assez humiliés la première fois ?
■
tés. Ils ont également mal évalué la réaction de la population
des pays qu’ils s’apprêtaient à envahir et ont répugné à écouter les avis de spécialistes respectés. Il y a cinquante ans comme
aujourd’hui, la crise a détourné l’Occident de ce qui aurait
pu être une intervention plus positive ailleurs : soutenir l’insurrection hongroise à l’époque, éviter que l’Afghanistan ne
retombe entre les griffes des talibans aujourd’hui.
Il y a bien sûr aussi des différences fondamentales. En 1956,
l’opération s’est déroulée sur fond de guerre froide. L’autre
M
Suez-Irak : les
mêmes erreurs
DR
DR
Les Brésiliens ont donc choisi,
dimanche dernier, de réélire triomphalement leur président-ouvrier, Luiz
Inácio Lula da Silva. Et de lui offrir,
grâce à un score record (60,8 % des
suffrages exprimés), une légitimité
remise à neuf pour relancer ses projets
de réformes politiques, économiques et sociales. La presse
brésilienne, qu’elle soit de gauche ou de droite, a évidemment salué la performance au lendemain du scrutin (voir p. 20). Mais sans tomber pour autant dans un
optimisme excessif. Car les défis à relever sont nombreux.
Lula a fait la preuve, tout au long de son premier mandat, d’un pragmatisme de bon aloi. En social-démocrate avéré, il a su juxtaposer une gestion parfaitement
orthodoxe – pour ne pas s’aliéner les puissances de l’économie et de la finance, à l’intérieur comme à l’extérieur – et des programmes sociaux propres à soulager
les misères du peuple. Il est évident qu’il va poursuivre
sur la même voie. Le problème, c’est que, avec un taux
de croissance inférieur à 3 %, l’économie brésilienne
tourne au ralenti et qu’une politique de relance suppose de faciliter les investissements. Et donc de mener
une politique très favorable aux intérêts des entreprises,
au risque de heurter ceux des classes populaires qui
constituent sa base électorale.
Quant aux programmes de redistribution qui ont été
mis en place depuis quatre ans et qui devraient logiquement connaître d’importants développements – les
aides aux familles pauvres mais aussi les attributions de
lopins aux paysans sans terre –, ils vont immanquablement être freinés par les problèmes budgétaires et par
les difficultés d’application au niveau local. Car le Brésil est un pays fédéral, où le pouvoir central ne peut pas
grand-chose sans la coopération des pouvoirs locaux.
Il suffit de savoir que sept des Etats les plus riches du
pays sont acquis à la droite pour comprendre que Lula
aura bien du mal à concrétiser ses belles promesses.
Reste enfin à éliminer la corruption, cette maladie endémique qui touche toutes les familles politiques – y compris celle de la gauche, au grand désespoir des militants
au cœur pur – et qui est induite par le pullulement
des formations politiques et la nécessité de constituer
sans cesse des majorités de circonstance. Lula a
annoncé une grande réforme politique pour résoudre
le problème. Mais qui a vraiment intérêt à l’y aider ?
Bernard Kapp
●
WEB+
Plus d’infos sur le site
Suez 1956: The Times connaissait les
dessous de l’affaire et n’a rien écrit
S E M A I N E
L E S
■ George W.
M A R D I S
D E
Le rendez-vous
du film documentaire
étranger avec MK2
mardi 7 novembre 2006
20 h 30
Cosa Nostra
Bush a signé,
le 26 octobre,
la loi autorisant
la construction d’un
mur de protection
entre les Etats-Unis
et le Mexique
pour enrayer
l’immigration
illégale. Cela rendra
l’immigration
clandestine plus
dangereuse, mais ne
modifiera pas le flux
migratoire, affirment
certains experts.
Enquête sur les liens entre
la mafia et la politique
de Marco Turco, Italie
Séance suivie d’un débat
avec Antoine Vauchez, du CNRS
Dessin d’Angel
Boligan paru
dans El Universal,
Mexique.
MK2 Quai de Seine
19, quai de Seine - 75019 Paris
Lire article p. 15 La Mafia perd son chantier du siècle
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
6
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Page 9
à l ’ a ff i c h e
●
Portrait d’un lofteur
en homme providentiel
PERSONNALITÉS DE DEMAIN
Serbie
n s’attendait aux coups bas, aux
exhibitions, aux intrigues. Aux
mensonges, aussi, aux passions
simulées et à quelques vrais
flirts. Et, à l’instar des téléspectateurs de plus d’une
soixantaine de pays où Big Brother [Le Loft, en France] a fait
un tabac, on s’attendait surtout à voir du
sexe cru et sans détour. Mais, une fois de
plus, la Serbie n’a pas fait comme tout le
monde. A peine deux semaines ont suffi
pour que les spectateurs fassent le deuil de
leurs attentes et s’éprennent d’un nouveau
héros populaire, Miroslav Djuricic, Miki.
“Je vis avec mes parents, mes grands-parents,
mon oncle, ma sœur divorcée et son enfant.
Ils disent tous que je suis un raté, qu’à 28 ans
je n’ai rien fait de ma vie.” C’est en ces
termes que s’est défini Miki lors de la présentation des candidats du reality-show.
Devenu l’un de douze colocataires du Loft,
Miki a eu pour tâche de faire semblant
d’avoir peur du noir, de demander qu’on
lui tienne la main pour s’endormir, de se
laver les pieds dans la piscine, de faire
comme s’il avait la danse de Saint-Guy…
bref, de jouer au doux dingue. Miki a tenu
toutes ses promesses, héroïquement. Grâce
à son charme gaillard et à un grand sens de
l’humour, il a été même distingué comme
étant le locataire le plus drôle du Loft, le
meilleur “pote” de tous.
Si Miki s’était contenté de faire le clown,
il se serait trouvé quelques groupies ici ou
là. Mais il a fait beaucoup plus fort. En s’attaquant, contre toute attente, à la politique
et en tournant en ridicule Ceca Raznatovic
[chanteuse de “turbofolk”, veuve du crimi-
DR
O
MIROSLAV DJURCIC, dit “Miki”, 28 ans, apiculteur, “bon à rien” pour sa famille, est devenu
une star absolue pour y avoir claqué la porte du
Loft. Depuis, la Serbie s’est passionnée pour ce garçon plein d’humour et de bon sens, en laquelle elle
voit une incarnation d’un avenir plus souriant.
nel de guerre et mafieux Zeljko Raznatovic
Arkan], sans cacher sa déception vis-à-vis
de B92 [la station de radio connue pour son
opposition à Milosevic, aujourd’hui renforcée par une télé productrice de Big Brother], il s’est même attiré la sympathie des
intellos urbains, pourtant peu sensibles aux
sirènes de la télé-réalité.
Dans le “confessionnal”, Miki s’est
plaint de n’avoir personne avec qui parler de Kurosawa ; pourtant, dans le salon,
il avait essayé de faire partager à ses camarades son goût pour les films de Jim Jarmusch, d’Aki Kaurismäki, les BD qu’il
aimait, les concerts auxquels il était allé et
ceux auxquels il rêvait d’aller, des livres
qu’il lisait. Ses réflexions, à la fois naïves
RAZAN ZAITOUNEH
Le courage et la rage
on lot quotidien
est fait de
menaces, de risques,
de tensions, de frustrations. Cette avocate syrienne de 29 ans
n’a pas choisi une
existence facile, puisqu’elle consacre son
énergie et son temps, via le Centre d’études
pour la défense des droits de l’homme qu’elle dirige, aux victimes du régime syrien. Celuici, d’ailleurs, s’occupe d’elle également : le Moukhabarat, le service de renseignements, s’en
prend régulièrement à Razan Zaitouneh. Les arrestations arbitraires s’ajoutent ainsi à la rage,
à la tension continue et à un salaire de misère. “Je suis bénévole. De temps en temps, je
gagne un peu d’argent en écrivant pour des revues étrangères. Mais c’est peu de chose”,
confie-t-elle au magazine du Corriere della Sera,
de Milan. “Ceux qui s’opposent au régime perdent leur travail, sont harcelés par le fisc et atterrissent en prison pour des mois sans que
les familles aient aucune nouvelle. Puis ils réapparaissent et sont jugés en tant qu’‘éléments
dangereux pour l’unité de la société syrienne’.
En général, ils sont condamnés à cinq ou six
ans de prison.” Actuellement, il y a plus de
3 000 prisonniers politiques en Syrie, affirme
Razan, qui avoue ne connaître l’identité “que
de 30 % à 40 % d’entre eux : pour les autres,
on ne sait rien”. Razan passe beaucoup de
temps avec les familles des détenus, mais s’efforce aussi de chercher des fonds pour payer
les avocats et d’alerter la presse sur la situation de ces hommes et de ces femmes.
S
et incroyablement justes, sur l’argent, le
sens de la vie ou le prix de la liberté ont
également séduit les citoyens désespérés,
las et appauvris de notre pays (bref, la
majorité des Serbes).
Au sommet de sa popular ité, et
pratiquement assuré d’empocher les
100 000 euros promis au gagnant du Loft,
Miki a décidé de quitter l’émission. On a eu
beau tenter de le dissuader, il a persisté en
affirmant que sa liberté était plus importante que tout, qu’il ne pouvait plus supporter la bêtise, que ses colocataires l’énervaient.“Ma décision est définitive, je ne peux
pas aller contre mes principes. Finalement, l’argent n’est pas tout dans la vie ; ce qui compte,
c’est de rester un homme”, a-t-il dit avant de
claquer [fin septembre] la porte du Loft. Ce
fut sa grande victoire. Depuis, le public a
exigé qu’il soit candidat au poste de président de la Serbie ; la moindre de ses paroles
est immédiatement reprise par de nombreux
sites Internet, forums et blogs, ainsi que par
la presse d’opinion et les tabloïds du pays.
Certes, face à la concurrence d’une
blonde aigrie, d’une fille à maman, d’un
artiste raté, d’une mégère frustrée, d’une
hystérique et d’un lèche-bottes, Miki était
destiné à s’imposer. Franc, ingénieux, cultivé
et intelligent à sa façon, l’apiculteur de Kupinovo a néanmoins connu un plébiscite sans
précédent. Alors que ses colocataires représentaient chacun une strate de la société
serbe, il est devenu une sorte de personnification d’une Serbie meilleure et réconciliée avec elle-même, un mélange impossible
mais voué à la réussite et à une sympathie
générale.
DR
31/10/06
IVAN VASSILIEV
Emballant en ballet
Tamara Skrozza, Vreme (extraits), Belgrade
e 3 octobre dernier, il a enchanté
les spectateurs de
Don Quichotte, donné
au théâtre Bolchoï,
dans la chorégraphie
de Marius Petipa et la
musique de Leon Minkus. Le danseur étoile,
âgé de 17 ans, est la dernière acquisition du
théâtre russe ; il a rejoint la troupe l’été dernier,
juste à sa sortie de l’école de chorégraphie
de Minsk. Ce prodige biélorusse, qui a déjà remporté plusieurs concours internationaux prestigieux, est surnommé le “second Baryshnikov”.
Alors qu’il était encore à l’école, il avait tenu le
premier rôle, celui du barbier Basile, dans ce
même ballet ; une délégation de critiques était
venue de Moscou tout spécialement pour le voir.
La rumeur laisse entendre que des troupes
comme l’American Ballet Theater de New York
et le Marinski (l’ex-Kirov de Leningrad) se sont
livrés à une véritable chasse pour le recruter. A
Moscou, où il est venu accompagné de sa mère
et de son frère, il s’est immédiatement vu confier
le rôle de Basile. Aucun des génies de la danse
du XXe siècle, y compris Noureev et Baryshnikov, n’avait eu ce rôle à cet âge.
L
ILS ET ELLES ONT DIT
HILLARY RODHAM CLINTON,
sénatrice démocrate
de New York
■ Naturelle
“Voyez mes rides,
elles sont bien là.”
L’ancienne première
dame des EtatsUnis, qui
Dessin de Lurie,
Etats-Unis.
vient de fêter
ses 59 ans, réagissait aux bruits
lancés par ses adversaires républicains selon lesquels elle aurait
dépensé une fortune en chirurgie
esthétique pour se refaire le visage.
(The Sunday Telegraph, Londres)
BERNARD DAFFLON,
économiste suisse
■ Moraliste
“Dans les cantons où le revenu par
habitant est 50 % plus élevé, les
gens sont-ils 50 % plus heureux ?”
(L’Hebdo, Lausanne)
TAJ AL-DIN AL-HILALI,
grand mufti d’Australie
■ Irrespectueux
Dans le prêche dispensé à l’occasion du ramadan, il a comparé les
femmes qui ne se couvrent pas
d’un voile à “de la viande sans
emballage abandonnée dans la
rue”. Ses propos ont provoqué la
consternation en Australie, au point
que Pru Goward, commissaire à la
Discrimination sexuelle, exige l’expulsion de ce mufti d’origine libanaise. La mosquée où il officie l’a
suspendu de ses fonctions, mais il
refuse d’abandonner son ministère.
(The Australian, Sydney)
ELISABETTA GARDINI,
porte-parole de Forza Italia
■ Radicale
“Je me suis sentie comme violée.
Qu’il se fasse couper le zizi. Après,
il pourra venir dans les toilettes des
femmes.” La porte-parole de la
formation populiste de Silvio Berlusconi a fait un scandale après
avoir croisé dans les toilettes de
l’Assemblée nationale sa collègue
transgenre (et communiste) Vladimir Luxuria, également connue sous
le nom de Vladimiro Guadagno.
(La Repubblica, Rome)
BRIAN MAY,
guitariste
du groupe
Queen
■ Vexé
“Ces imbéciles
qui disent que j’ai
une permanente… Ils ne comprennent donc
Dessin de Robbie pas que certains
Bonham, Irlande. naissent avec
des cheveux frisés. C’est déconcertant”, se plaint le musicien,
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
9
reconnaissable à son abondante
chevelure bouclée.
(The Guardian, Londres)
MARK MALLOCH BROWN,
chef de cabinet de Kofi Annan
■ Expéditif
“Je pense sincèrement qu’il y a
beaucoup de gens ici qui font un
boulot nul.” Il parlait bien sûr des
Nations unies.
(The Independent on Sunday, Londres)
MELES ZENAWI, Premier ministre
éthiopien
■ Vague
Selon lui, son pays serait “virtuellement en guerre” contre les milices
islamistes qui contrôlent une grande
partie de la Somalie voisine. L’Ethiopie admet ainsi que ses troupes
apportent un soutien au gouvernement de transition à Baidoa.
(The Economist, Londres)
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
Alexander Kurov/Itar-Tass
835 p.9
(D’après Kommersant-Vlast, Moscou)
835 p.10-11
31/10/06
19:41
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f ra n c e
●
ÉCONOMIE
MÉDIAS
Vérité en deçà du périph’, mensonge au-delà
S’agissant des troubles dans les banlieues, les journalistes français pratiquent
l’autocensure ou suivent servilement les interprétations du ministère de l’Intérieur.
Dans les deux cas, ils oublient de remplir leur mission.
Amsterdam
D
ès le premier jour de sa visite en Chine [du 25 au
29 octobre dernier], le président Jacques Chirac s’est vu remettre un superbe cadeau : la commande de 170 Airbus, pour une valeur totale estimée à plus de
13 milliards de dollars. Naturellement, Jacques Chirac, dont c’était
sans doute la dernière visite officielle en Chine comme président de la
République, se devait de rendre la politesse au tandem exécutif chinois
– [le président] Hu Jintao et [le Premier ministre] Wen Jiabao – en leur
offrant un présent de choix : l’aide de
la France à l’édification de la nouvelle
zone économique de Binhai, à Tianjin [avec l’annonce de l’implantation
d’une chaîne d’assemblage d’Airbus
A320]. Cette zone portuaire située
dans le nord-est de la Chine constitue en effet une œuvre phare dans
la carrière politique des deux hommes.
En fait, au départ, Shanghai, Xi’an et
Zhuhai étaient également sur les
rangs et se sont battus pour accueillir
cette usine d’Airbus. Mais, à l’issue
d’une évaluation des quatre villes postulantes, c’est Tianjin qui a été le
mieux noté. Cela dit, Shanghai et
Xi’an auraient davantage mérité d’obtenir ce programme.
De plus, alors que les trois autres
villes travaillaient sur le projet depuis
plus d’un an, c’est seulement quatre
jours avant la date butoir pour la
remise des dossiers que Tianjin a
rejoint en toute hâte le bataillon des
candidats. De toute évidence, les éléments objectifs ont fort peu pesé dans
la balance au moment du choix du site
d’implantation de l’usine d’assemblage,
le plus important étant des considérations d’ordre politique et stratégique.
Peu après leur accession au pouvoir,
en 2003, Hu Jintao et Wen Jiabao ont
lancé un plan de “redressement du
Nord-Est” pour restructurer économiquement la région. Néanmoins,
comme aucune trace de redressement
n’était encore perceptible l’an dernier,
les hauts dirigeants chinois ont finalement changé leur fusil d’épaule au profit de Tianjin, dont ils souhaitent faire
désormais le fer de lance de la région
du golfe de Bohai et même de toute la
Chine du Nord.
Cela explique les nombreuses
mesures préférentielles dont le gouvernement central a fait bénéficier la
nouvelle zone de Binhai depuis plus de
six mois. Aujourd’hui, l’implantation
de cet important projet étranger vise à
attirer les investissements, afin d’accélérer la croissance économique de Tianjin, pour que la ville chère à Hu Jintao
et à Wen Jiabao se pose en concurrente
potentielle du Shanghai de [l’ancien
président] Jiang Zemin.
Pan Xiaotao, Yazhou Shibao Zaixian,
Hong Kong et Bangkok
D
DE VOLKSKRANT
ans un conflit, la première
victime est souvent la
vérité”, affirme un vieil
adage du journalisme de
guerre. C’est ce qui saute aux yeux
lorsqu’on lit les reportages récemment
consacrés en France à la situation
dans les banlieues. “Plutôt calme”,
c’est ainsi que le ministère de l’Intérieur a qualifié le week-end du 28 et
29 octobre, un an tout juste après les
émeutes. A défaut d’autres sources
autorisées, cette expression rassurante
a été reprise partout dans les médias.
Mais que qualifie-t-on de “calme” ?
Le ministère a certes fait une exception pour l’“incident” de Marseille,
au cours duquel une étudiante sénégalaise de 26 ans a été gravement brûlée. Elle avait eu le malheur de prendre
place dans un bus qui a été incendié
par un groupe de jeunes. Tous les
autres faits ont été commodément
éclipsés par le terme “calme”, que ce
soit les centaines de véhicules incendiés dans la nuit de vendredi à samedi, les deux bus détruits par le feu vendredi soir, l’attaque contre la police,
samedi après-midi, par des dizaines de
jeunes encagoulés à coups de cocktails
Molotov et de pierres, les trente-six
arrestations en banlieue parisienne
(dont des jeunes transportant des bidons d’essence) et les quatre agents
de police blessés légèrement au cours
d’une intervention. Parler de “calme”
dans ces conditions suppose une
conception très élastique de la norme.
C’est aussi ce qui fait penser au
journalisme de guerre. Lors d’un
conflit, c’est toujours la vision d’un des
belligérants qui domine, faute d’avoir
des informations en provenance du
camp adverse. Or, en France, il n’est
pas exagéré de décrire le ministère de
l’Intérieur comme une des parties du
conflit. Il y a cependant une différence
entre le journalisme de guerre et les
événements de ce week-end. Dans un
conflit, l’accent est généralement mis
sur les méfaits de l’adversaire. Dans le
cas présent, le ministère de l’Intérieur
a plutôt besoin de minimiser ces méfaits. D’où le “calme” que nous évoquions plus haut. Il ne s’agit pas de
suggérer ici que le ministère manipule les chiffres (bien que ces derniers ne
soient pas contrôlés et que les médias
soient à cet égard complètement dépendants des informations policières) ;
ce qui est important, c’est l’interprétation de ces chiffres. Si le ministère
avait utilisé le terme “alarmant” au lieu
de l’expression “plutôt calme”, les informations diffusées lundi matin par
les médias auraient eu une tout autre
tonalité. Les médias contribuent euxmêmes à cette situation en pratiquant
Quand Chirac
aménage
le territoire
chinois
Dessin de Hermann
paru dans La
Tribune de Genève,
Suisse.
■
A la une
Pour L’Hebdo
de Lausanne, un an
après les émeutes,
“ceux qui
préconisaient
un plan Marshall
pour les banlieues
doivent déchanter. La
perception des jeunes,
elle, se résume
en une phrase :
c’est toujours
la même zone.” Seul
point positif : “La
présidentielle passe
par les banlieues.”
Notamment
“parce que celles-ci
condensent tous
les problèmes de
la société française”
et “représentent
un potentiel
électoral décisif”.
la télévision française découvre des
banlieusards dynamiques, résolus à
s’en sortir. Ces reportages n’ont rien
d’indigne, mais cela n’a pas empêché
es critiques de fuser, dimanche 29, à
l’encontre des journalistes. Sans les
images des bus incendiés en région
parisienne, les jeunes de Marseille n’auraient pas commis leur méfait, ont
affirmé en chœur des chauffeurs de
bus, des acteur s sociaux et des
membres d’associations contre
le racisme. On imagine qu’en réaction,
les médias pourraient accentuer un peu
plus la pratique de l’autocensure. Une
situation dont la vérité pourrait décidément être la première victime,
comme dans une vraie guerre.
Fokke Obbema
l’autocensure. Le dimanche 22 octobre, France 2 aurait ainsi supprimé
de son journal de 20 heures un sujet
consacré aux émeutes de 2005, parce que la chaîne ne jugeait plus convenable de le passer après un nouvel “incident” de bus à Grigny. Par ailleurs,
les journalistes sur le terrain sont sous
tension. Ils partagent avec la police
l’honneur d’être agressés verbalement
et physiquement, et n’ont pas vraiment
envie de passer le mois de novembre
en banlieue. Sur ce point, les intérêts
du ministre et des médias semblent se
rejoindre. Une situation carrément
dangereuse pour la vérité.
Par ailleurs, les chaînes de télé multiplient les reportages “positifs” sur les
banlieues. Presque quotidiennement,
VU DE SUISSE
Les banlieues dans le piège de la présidentielle
■ Depuis quelques jours, la France s’est mise dans
un drôle d’état commémoratif, celui de la révolte
des banlieues de l’automne 2005. Depuis mardi
dernier, les politiciens de droite se frottaient presque
les mains face à ces quatre ou cinq autobus incendiés dans la grande couronne parisienne. Ceux
de gauche en étaient presque à le déplorer, reprochant au ministre de l’Intérieur d’être parti en campagne et à Jacques Chirac de faire le voyageur de
commerce en Chine, alors qu’une nouvelle explosion “menace le pays”. Le “calme” régnait donc jusqu’à cette triste nuit du samedi 28 octobre où une
étudiante marseillaise est devenue torche vivante
dans un incendie volontaire.
Il y a vingt ans à Paris, 300 000 personnes manifestaient leur colère contre les policiers qui avaient
frappé à mort l’étudiant Malik Oussekine. Serontils, demain, autant pour dénoncer le drame de ce
week-end ? Pas sûr. Et c’est là que le malaise s’installe, car, comme l’affirment nombre d’habitants
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
des banlieues, “chaque bus qui brûle est un appel
à voter toujours plus à droite, Sarkozy au moins, Le
Pen sans doute”. Le ministre de l’Intérieur est en
effet responsable de la suppression de la police de
proximité, alors que les résidents et les personnes
qui travaillent dans les quartiers difficiles ne cessent de réclamer son retour. La presse française
est également mise en accusation – celle de ne filmer que les coursives, où violence et seringues se
côtoient allégrement ; celle, aussi, de ne donner la
parole qu’à ces encagoulés enragés qui auront peutêtre demain du sang sur les mains. La France est
en période électorale, nul ne saurait l’ignorer. Et
toutes les provocations pourront engendrer le pire.
Le calvaire de la jeune Marseillaise devrait inciter
à la modération et à l’action réfléchie du gouvernement encore en place. Mais, dans le jeu cynique
de la politique, un tel souhait restera sans nul doute
Elisabeth Eckert Dunning,
lettre morte.
La Tribune de Genève (extraits), Genève
10
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
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f ra n c e
M U LT I C U LT U R A L I S M E
Et si les Français avaient eu raison d’interdire le voile ?
Il y a deux ans, la loi interdisant le port des signes religieux à l’école avait fait l’unanimité contre elle
au Royaume-Uni. Mais, aujourd’hui, les Britanniques ne sont plus si sûrs de leur laisser-faire.
THE INDEPENDENT (extraits)
Londres
ack Straw n’est pas francophile.
A en juger par certains de ses
propos du temps où il était le
chef du Foreign Office
[2001–2006], il est même certainement l’un des ministres des Affaires
étrangères les plus francophobes
qu’ait connus le Royaume-Uni.
Etrange, donc, que, par ses attaques
récentes contre le voile intégral,
M. Straw donne aujourd’hui l’impression d’être devenu, euh…, français. Le “laisser-faire” multiculturel à la britannique – chacun fait ce
qu’il veut tant qu’il ne nuit pas à
autrui – se révèle être un échec,
semble dire M. Straw. En permettant
aux minorités de s’accrocher à certaines de leurs traditions religieuses
ou culturelles, nous courons le danger de créer, non pas un arc-en-ciel
mais un nuage annonciateur de tempête. Ceux qui défendent la position
de M. Straw invoquent l’exemple
français. Les Français n’ont-ils pas
interdit le port du voile ? A l’époque,
on les avait vilipendés, mais, avec le
recul, n’était-ce pas une mesure avisée ? A quelques émeutes près, l’affaire ne s’est-elle pas terminée sans
trop de remous ?
A ces derniers, je répondrais
d’abord que la France n’a pas “interdit le voile”. Il y a deux ans, elle a interdit le port du foulard et tout autre signe
religieux ostensible dans les écoles
publiques et nulle part ailleurs. Ensuite,
J
Dessin d’Ares
paru dans
Juventud Rebelde,
La Havane.
WEB+
Plus d’infos
sur le site
The Economist
fait sa une sur
le modèle français
les émeutes qui ont ébranlé les
banlieues l’an dernier étaient
autant le fait de jeunes musulmans que de Blancs et de
Noirs n’ayant aucun rapport avec l’islam.
Le voile intégral n’est
pas interdit en France
(sauf dans les écoles
publiques). On en voit
dans les zones à forte
population musulmane,
mais beaucoup moins
qu’au Royaume-Uni.
La communauté
musulmane française
– évaluée à 5 millions
de personnes,
dont pas plus de
700 000 pratiquants – est essentiellement originaire du Maghreb.
Or le voile intégral y est moins
répandu qu’au Pakistan, pays d’origine de la plupart des musulmans du
Royaume-Uni.
Mais, surtout, la France a toujours découragé les signes distinctifs
d’appartenance ethnique ou culturelle, alors que le Royaume-Uni les a
tolérés, officiellement du moins. La
France a toujours été opposée au
multiculturalisme – ou au communautarisme, comme disent les Français. Jusqu’à récemment, les langues
et les coutumes régionales étaient
fortement découragées. La France a
utilisé la même approche avec ses
immigrés – des Polonais et des Italiens dans les années 1920 aux
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
11
Maghrébins et aux Africains à partir
des années 1950. Leurs enfants
n’avaient pas seulement le droit de
devenir français, ils en avaient également le devoir.
Cette stratégie a eu l’avantage
d’éviter la formation de ghettos communautaires. Quand on visite les
“quartiers difficiles”*, on découvre
une mosaïque de gens d’origines différentes – y compris des Blancs – qui
mènent une vie difficile mais s’entendent généralement très bien entre
eux. On a calculé que, l’an dernier,
un tiers des jeunes émeutiers de banlieue étaient des Blancs.
LA FRANCE SEMBLE OBTENIR
DE MEILLEURS RÉSULTATS
De plus, la France professe un laïcisme militant basé sur la stricte
séparation des Eglises et de l’Etat.
La loi interdisant les symboles religieux à l’école a, dans l’ensemble,
plutôt calmé le débat. Au total, seules
45 élèves musulmanes et trois jeunes
sikhs ont été exclus de leur établissement pour avoir refusé de se dénuder la tête. Les trois garçons ont intégré des écoles catholiques sous
contrat, qui ne sont pas concernées
par la loi, de même que quelquesunes des jeunes filles. Les autres sont
venues grossir les rangs des nombreuses jeunes musulmanes qui quittent l’école volontairement pour
suivre des cours par correspondance.
On envisage aussi l’ouverture de
nouvelles écoles musulmanes sous
contrat, en plus des deux qui existent déjà (à Lille et à Lyon).
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
Pour l’heure, en tout cas, l’approche française semble obtenir de
meilleurs résultats que la britannique. Un récent sondage du Pew
Research Center, un institut américain, montre que 46 % des musulmans français se considèrent d’abord
français et ensuite comme musulmans, contre 42 % seulement qui se
sentent d’abord musulmans. Au
Royaume-Uni, selon le même sondage, 81 % des musulmans disent
que leur religion constitue une part
plus importante de leur identité que
leur nationalité britannique. Mais
cette disparité peut aussi refléter la
relative indifférence religieuse de
beaucoup de Français d’origine
musulmane.
Au bout du compte, on est
amené à se demander si le débat sur
les mér ites comparés des deux
modèles ne passe pas à côté d’une
question essentielle. Nos deux pays,
bien qu’ayant emprunté des voies
radicalement différentes, se retrouvent avec des quartiers à forte proportion de minorités ethniques et à
taux de chômage élevé. Au RoyaumeUni, les problèmes sont surtout
concentrés dans les villes du Nord,
et, en France, dans les banlieues
pauvres des grandes agglomérations.
Des deux côtés de la Manche, la
méfiance vis-à-vis de ces populations
ont leur part de responsabilité, mais
l’origine profonde de l’exclusion et
de la violence n’est autre que l’échec
économique et politique.
John Lichfield
* En français dans le texte.
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e u ro p e
●
ALLEMAGNE
La Bundeswehr à l’épreuve de la guerre
La publication de clichés macabres impliquant des soldats allemands envoyés en Afghanistan a jeté un grand
froid outre-Rhin. Une redéfinition des missions de l’armée s’impose plus que jamais.
“Maman, il y a
FRANKFURTER RUNDSCHAU
Francfort
’il existait une bonne idée, une
idée ralliant tous les suffrages,
pour tirer une leçon définitive
des dérapages afghans de la
Bundeswehr, elle serait depuis longtemps sur le bureau du gouvernement.
L’excitation provoquée par l’actualité
conduit trop souvent les autorités à agir
pour agir, à ressortir des tiroirs des
mesures préconisées par certains, mais
qui n’avaient jamais pu aboutir. Les
fameuses lois sur la sécurité ont souvent vu le jour de cette façon et, dans
le feu de l’action, les réserves relatives
aux libertés publiques sont rapidement
passées au second plan.
Ce n’est cependant pas le cas cette
fois-ci, et c’est déjà un signe. Les
diverses réactions [suscitées par la
publication de photos choquantes de
soldats en mission en Afghanistan dans
le tabloïd Bild, puis dans d’autres
médias] reflètent davantage le désarroi que la certitude. Les uns relancent
le débat sur la conscription, les autres
dénoncent globalement les missions à
l’étranger ou invoquent les risques
croissants d’attentats ; le ministre de la
Défense [Franz Josef Jung, CDU]
court après les événements, et la hiérarchie militaire ne donne plus l’impression d’être sûre de son système de
formation et de commandement.
Une évidence s’impose : ces photos macabres, prises avec des téléphones portables, de virils soldats en
uniforme [posant avec des crânes] ont
provoqué un choc qui nous ramène
brutalement à la réalité et exige un
temps de réflexion. Les missions à
l’étranger de l’armée allemande étaient
perçues comme des expéditions ano-
des soldats de la
Bundeswehr qui
habitent ici ?”Dessin
de Greser & Lenz
paru dans
Frankfurter
Allgemeine
Zeitung, Francfort.
S
Chiffres
dines, courtoises, dans lesquelles nos
petits gars venaient gentiment aider les
populations locales : cette image a volé
en éclats. Une politique étrangère intelligente avait peut-être réussi à éviter
jusque-là que l’armée allemande ne
soit amenée à se battre sur le terrain,
mais nous aurons désormais une idée
plus réaliste de ce qui se passe dans
le monde. Et ce sera bien ainsi. Confier
une mission et l’oublier, c’était quand
même trop simple.
Parmi les questions qui vont
désormais prendre de l’importance,
celle du professionnalisme de la
Bundeswehr vient en tête. Celui-ci
semblait ne faire aucun doute, mais
c’est parce qu’on ne songeait qu’en
termes européens. Une intervention
dans l’Hindu Kuch nécessite mani-
festement une préparation et un
accompagnement quotidien très différents d’une mission en RhénaniePalatinat.
On a du mal à concevoir qu’aucun
membre de la hiérarchie n’ait eu
connaissance de ces rituels qui se sont
déroulés à Kaboul pendant des années
[les premières photos publiées dans la
presse datent de 2003]. Et, si c’est
effectivement le cas, cela n’en constitue pas moins un dysfonctionnement.
Par quelque bout qu’on la prenne, l’affaire touche au scandale. Et si ces coupables dysfonctionnements trouvent
leur origine dans la chaîne de commandement, alors se posera la question de la responsabilité politique. Et
ce d’autant plus si des incidents du
même genre ont effectivement eu lieu
Les principaux
contingents
de la Bundeswehr
sont actuellement
engagés
au Kosovo (KFOR,
2 900 hommes)
et en Afghanistan,
où 2 800 hommes
servent dans le
cadre de la mission
Liberté immuable
et de l’ISAF.
Au Liban, la FINUL
compte 1 000 soldats
allemands. Enfin,
quelque 800 hommes
sont stationnés en
Bosnie-Herzégovine
et 700 à 800 en
république
démocratique du
Congo. Ces deux
dernières missions
devraient prendre
fin en décembre
2006 (RDC) ou
tendre à se réduire
progressivement
à partir de 2007
(Bosnie).
dans le cadre d’autres missions – dans
les Balkans, par exemple, comme on
le soupçonne.
L’affaire n’apporte aucun argument supplémentaire au débat sur la
conscription ni à celui sur la charge
globale que constituent les missions
internationales pour la Bundeswehr.
Voilà des années qu’on étudie la question, et il est désormais urgent de
définir des grandes lignes. Car tout
le monde comprendra maintenant,
espérons-le, que des troupes envoyées
à l’étranger sous mandat onusien,
pour une mission qui était considérée
comme anodine, peuvent très vite se
retrouver impliquées dans une guerre
ou une guerre civile – ce que confirment les incidents qui se sont déroulés récemment avec l’aviation israélienne devant les côtes libanaises.
Les missions internationales de
la Bundeswehr doivent donc être
sérieusement repensées et le seront.
Il ne s’agit pas nécessairement de les
remettre en question. Mais, quand une
mission de fait non limitée dans le
temps se transforme en présence permanente sans perspective d’un dénouement satisfaisant ni calendrier précis, ce qui est le cas pour les Balkans
comme pour l’Afghanistan, et depuis
peu pour le Liban, on assiste à un processus d’accoutumance : l’engagement
et la vigilance diminuent chez les soldats comme chez les politiques et au
sein de la société. Les photos choquantes de Kaboul nous montrent
exactement ce qui ne doit pas se produire. Reste à savoir si la crédibilité de
l’armée est durablement atteinte ou
non, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Seul un traitement en profondeur de
l’événement peut y répondre.
Richard Meng
UKRAINE
Le véritable prix du gaz russe
En 2007, Kiev ne paiera que 30 % plus
cher les livraisons gazières russes.
Un cadeau qui cache l’influence croissante
de Moscou, s’inquiète le Kyïv Post.
ublié, le statut de la langue russe en
Ukraine, l’intégration dans l’OTAN paraît
bien lointaine, quel que soit l’angle sous
lequel on la contemple. Et qui pourrait
sérieusement croire que la Flotte russe de
la mer Noire envisage de quitter la Crimée ?
Il n’en reste pas moins que tous ces points
de contentieux risquent d’être affectés par
le nouvel accord sur le gaz que le Premier
ministre ukrainien Viktor Ianoukovitch et son
équipe ont si fièrement brandi le 24 octobre.
A partir de 2007, l’Ukraine devra payer l’or
bleu que lui fournit Moscou 130 dollars les
O
1 000 m3 [au lieu de 95 dollars aujourd’hui,
soit 102 euros au lieu de 75]. Le chef du
gouvernement, généralement considéré
comme étant plus sensible aux relations
avec le Kremlin, a été accusé par ses adversaires politiques d’avoir bradé l’intérêt national en échange de gaz bon marché [Gazprom facture son gaz près du double aux
pays occidentaux].
Quand Viktor Iouchtchenko est arrivé au pouvoir, en 2004, porté par les espoirs des manifestants qui étaient descendus dans la rue
pour protester contre la campagne électorale
frauduleuse de Ianoukovitch, les Ukrainiens
ont vraiment commencé à croire qu’ils pouvaient vivre dans une démocratie et décider
de leur propre sort en tant que nation souveraine. Même après l’implosion de la coa-
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
lition orange et la victoire de Ianoukovitch,
lors des élections législatives considérées
comme le scrutin le plus honnête jamais
connu dans le pays, les gens ne se sont pas
inquiétés, surfant sur la vague d’un enthousiasme dû à une liberté d’expression sans
précédent. Mais la démocratie ne peut être
garantie que par des autorités qui se sentent
liées par des obligations vis-à-vis des électeurs, et la prospérité économique dépend
d’une politique nationale qui défend les intérêts de ses citoyens. C’est précisément cela
qui est en danger aujourd’hui. Mikhaïl Fradkov, le Premier ministre russe, membre à
par t entière de l’équipe de restaurateurs
d’empire qui entoure Vladimir Poutine, n’en
a pas fait mystère quand il s’est exprimé aux
côtés de Ianoukovitch le 24 octobre.
13
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
Tandis que le Premier ministre ukrainien parlait de gaz, son homologue russe a paru, lui,
plus intéressé par l’entrée de l’Ukraine dans
l’OMC et l’OTAN. C’est le gaz qui est à l’origine de la fortune de la plupart des magnats
ukrainiens, et c’est la géopolitique qui motive
le puissant ours russe. Le gaz russe n’est
pas gratuit. Les Ukrainiens n’ont qu’à voir
comment le Kremlin traite la Géorgie de
Mikhaïl Saakachvili. Certes, la Russie a le
droit de défendre ses intérêts nationaux, tout
comme les responsables ukrainiens ont le
devoir de protéger leur propre pays. Si Ianoukovitch ne s’en charge pas, le président
Iouchtchenko ferait bien de traduire en actes
ses déclarations ambitieuses sur une intégration à l’UE, tant qu’il en est encore temps.
Kyïv Post, Kiev
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e u ro p e
UNION EUROPÉENNE
Vivre à
Mayk
25
10 millions d’euros pour l’opposition biélorusse
Depuis les élections de mars dernier, les opposants à Alexandre Loukachenko
se sentent abandonnés de l’Occident. Mais l’Europe commence à se mobiliser.
LE FAIT
Démanteler
pour libéraliser
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (extraits)
■ Alors
que la Commission doit remettre en janvier prochain ses propositions sur l’ouverture des marchés de l’énergie en Europe, la commissaire à la Concurrence laisse
entendre que Bruxelles pourrait exiger le démantèlement des grandes
entreprises intégrées, comme EDF,
l’allemand E.ON ou le nouveau groupe Suez-GDF. Le 30 octobre, Nelly
Kroes a défendu“une solution structurelle qui sépare une fois pour
toutes l’infrastructure, l’approvisionnement et la production”. “SI
la Commission suivait cette voie,
elle s’attirerait l’opposition des entreprises concernées mais aussi de
pays comme l’Allemagne”, qui présidera l’UE au premier semestre
2007, remarque le Financial Times.
LA PERSONNALITÉ
Leonard Orban
■
“Habemus camisar !” s’exclame en
une Jurnalul National. Nommé commissaire européen
au Multilinguisme,
Leonard Orban est,
à 45 ans, un “vétéran du processus
d’intégration”, se félicite le quotidien de Bucarest. Présenté comme
un bon technocrate, il n’aurait en revanche pas de véritable orientation
politique, et Evenimentul Zilei ne
manque pas de rappeler que son
père a été colonel des services de
sécurité de Ceausescu, la Securitate. Après la Bulgare Megleva Koulena, chargée de la protection des
consommateurs, Orban est le second commissaire désigné par les
nouveaux entrants.
Paul Buciuta/AP-Sipa
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Munich
lexandre Loukachenko a
de moins en moins d’amis.
Depuis longtemps considéré à l’Ouest comme un
autocrate peu respectueux des procédures électorales démocratiques, le
président biélorusse peine à trouver
du soutien, même à l’Est. La preuve
la plus récente en est le communiqué
lapidaire du Kremlin annonçant que
le sommet de la Communauté des
Etats indépendants (CEI), prévu en
novembre, serait déplacé de Minsk,
la capitale biélorusse, à Astana, au
Kazakhstan. Ce retournement s’opère
au moment précis où la Russie se
montre de moins en moins disposée
à subventionner l’économie dirigiste
de Loukachenko en lui vendant du
gaz à bas prix.
Loukachenko n’est pas le seul à
se sentir abandonné de tous – ce sentiment est partagé par les opposants
qui subissent sa répression. Alexandre
Kozouline, le candidat social-démocrate à la présidence incarcéré par le
pouvoir, a entrepris une grève de la
faim le 20 octobre pour rappeler que
son pays est soumis à un régime de
non-droit et obliger le Conseil de
sécurité de l’ONU à se saisir du problème. Confrontée aux dictatures,
l’Union européenne (UE) “manque
de force”, a déploré Alexandre Milinkevitch, l’autre candidat démocrate à
la présidence [qui a reçu, le
26 octobre, le prix Sakharov décerné
par le Parlement européen], lors d’une
conférence à Prague. La situation en
Biélorussie ne serait pas sans rappeler “la Pologne des années 1980, sauf
que, à l’époque, l’opposition polonaise
bénéficiait de l’aide de l’Occident”.
A
Bruxelles a néanmoins reconnu
à quel point la situation est devenue
précaire en Biélorussie, pays qui jouxte
la frontière orientale de l’UE. Mioctobre, la Commission a voté un programme de bourses de 4,5 millions
d’euros, qui a permis à quelque
300 étudiants biélorusses, auxquels le
pouvoir refuse tout accès à l’enseignement supérieur, d’étudier en Lituanie ou en Ukraine. L’Université humaniste européenne, fermée en 2004 en
Biélorussie sous la pression des autorités et qui a maintenant son siège à
LE CHIFFRE
40 000
■ C’est
le nombre de caméras de
vidéosur veillance installées au
Royaume-Uni depuis une dizaine
d’années. Un record inégalé, mis
en évidence par une étude réalisée
par l’université de technologie (TU)
de Berlin, à la demande de l’UE,
dans le cadre du projet Urbaneye.
“Big Brother s’étend, souligne la
Süddeutsche Zeitung, même dans
les capitales d’Europe centrale et
orientale qu’on aurait pu croire vaccinées contre le contrôle systématique.” Le centre-ville de Prague
compte déjà 318 caméras, Budapest 500, et elles prolifèrent également à Varsovie, Gdansk et Vilnius, tout comme les grandes métropoles est-allemandes. Mais elles
n’atteignent pas leur but, souligne
l’étude, car les crimes et les violences ne diminuent pas.
Dessin d’Ajubel
paru dans
El Mundo, Madrid.
Vilnius, bénéficiera d’un soutien de
2,2 millions d’euros. “Quand il y aura
un changement politique, ces gens pourront retourner en Biélorussie et contribuer
à la reconstruction”, explique Elisabeth
Schroedter, députée européenne des
Verts et membre de la délégation de
l’UE chargée des relations avec la Biélorussie. L’Occident parie donc sur
une stratégie à long terme.
Au total, l’UE a versé 10 millions
d’euros pour renforcer l’opposition en
Biélorussie. Elle soutient les stations
de radio qui fournissent des informations indépendantes à la population
biélorusse [en octobre 2005, la radio
allemande Deutsche Welle a ainsi reçu
138 000 euros pour un an] et finance
le déplacement des membres de l’opposition qu’elle invite. Mais elle est
prise dans des querelles internes. Il y
a trois semaines, elle a voulu durcir les
sanctions commerciales à l’encontre
de Minsk en faisant passer le prélèvement de taxes sur les biens d’importation à 400 millions d’euros par
an, mais le vote s’est heurté à divers
écueils, notamment au refus de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne,
qui craignaient que la mesure ne fasse
du tort au commerce transfrontalier.
Toutefois, par un geste hautement symbolique, l’UE pourrait bientôt donner
de quoi se réjouir à l’opposition biélorusse – si celle-ci réussit à en avoir
vent : pour la première fois, Bruxelles
va nommer un délégué européen à la
Biélorussie, conformément à un accord
de principe conclu entre le Parlement
et le Conseil européens. Quant à ses
missions concrètes, elles font encore
l’objet de discussions. Le Parlement
souhaiterait doter ce poste de compétences importantes ; le Conseil n’en est
qu’au stade de la réflexion.
Daniel Brössler et Frank Nienhuysen
SOCIAL
Vers l’unité syndicale autour de la Baltique
■ L’Est rencontre l’Ouest à Malmö. Pendant
deux jours, à la mi-octobre, les représentants
syndicaux de Suède, du Danemark et d’Allemagne du Nord ont rencontré leurs homologues
de Pologne, de Lettonie et de Lituanie. Leur
objectif était de se concerter pour ouvrir la voie
à une coopération syndicale transfrontalière
dans l’Europe de l’élargissement.
S’ils y parviennent, le bénéfice sera double.
D’abord, ils seront mieux à même de combattre
le dumping salarial dans les pays de l’Ouest.
Et ils réduiront le risque, pour les pays des
rives orientales de la Baltique, de voir s’envoler leur main-d’œuvre qualifiée.
A l’heure de la pause-café, Longin Komolowski,
Miecyslaw Jurek et Krysztof Zielinski, tous trois
membres du syndicat Solidarnosc basé à Szczecin, discutent. Ils représentent une région qui
voit ses jeunes diplômés s’exiler en Irlande, en
Grande-Bretagne, en Suède ou en Norvège.
“Les entreprises norvégiennes sont venues à
Szczecin recruter du personnel, expliquent-ils.
Les ouvriers ont été embauchés directement
sur place pour aller travailler dans les chantiers
navals norvégiens. Du coup, on a une pénurie
de main-d’œuvre.” L’industrie du bâtiment
souffre également du manque de personnel qualifié. A Szczecin, le salaire est de 4 euros de
l’heure, contre 12 euros au minimum en Norvège, résume sèchement Longin Komolowski.
Peter Kay Mortensen travaille à la Confédération du travail du Grand Copenhague. “Je pense
qu’il faudrait former des ambassadeurs du marché du travail nordique et les envoyer dans les
nouveaux pays membres de l’Union européenne,
afin que la population locale comprenne le fonctionnement de notre marché, les salaires, les
assurances, etc. A Copenhague, on a eu des
porteurs de journaux polonais qui ne comprenaient pas ce que c’était que travailler à la
tâche”, raconte-t-il. Cette rencontre est la
deuxième organisée dans le cadre d’un projet
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
14
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
lancé par les syndicats d’Allemagne du Nord.
Et, d’après l’un des organisateurs, Philip
Plischke, originaire de Kiel, les problèmes sont
plus nombreux que les motifs de satisfaction.
Ce qui l’inquiète, avec ses confrères présents
à la réunion, c’est le dumping salarial engendré
par la présence d’une main-d’œuvre sous-rémunérée dans les pays les plus développés. “Les
Suédois ne peuvent pas rivaliser avec des Polonais sous-payés”, explique-t-il. Lors de ces discussions, résume Håkan Hermansson, de la
confédération du travail de Scanie [région méridionale de la Suède], “nous voulons leur montrer comment nous fixons les conditions de travail, ici, dans le Nord, et leur expliquer que, pour
nous, une personne qui travaille en Suède doit
le faire dans les mêmes conditions que la maind’œuvre suédoise”. Dans quelques années,
lorsque la coopération sera effective, nous saurons si la rencontre a porté ses fruits.
Mikael Anjou, Sydsvenskan, Malmö
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I TA L I E
La Mafia perd son chantier du siècle
Le Parlement italien a renoncé à construire le pont qui devait relier la Sicile au continent. Une mauvaise affaire
pour les parrains siciliens et calabrais, qui avaient déjà installé leurs bureaux sur place.
locaux, transféré en masse leurs pelleteuses et leurs bulldozers. Quelques
mois plus tard, les grandes manœuvres avaient commencé sur les
terrains où auraient dû se dresser les
piles du pont. Rejetons de riches
familles bourgeoises de Messine, parrains de la ’Ndrangheta [la mafia calabraise], professeurs d’université, financiers véreux, confondus dans un
enchevêtrement de sociétés et de
sigles, se sont jetés dans la bagarre
pour mettre la main sur ces terrains.
Tous ont été fichés par le procureur
national anti-Mafia qui, de 2002 à
2005, a passé au peigne fin pas moins
de 3 827 entreprises en Sicile et 2 526
en Calabre, 9 plans cadastraux et
7 000 parcelles.
LA REPUBBLICA (extraits)
Rome
’est terminé, mesdames
et messieurs ! La grande
usine à rêves ferme ses
portes.Trente-cinq ans et
sept mois de désirs et de fébrilité vont
finir entassés dans un coffre rempli
de plans, de dessins, de cartes, de
tableaux, d’esquisses et de graphiques. Près de 126 kilos de paperasses : c’est là toute l’histoire du pont
sur le détroit de Messine [le 11 octobre, le Parlement italien a décidé
de retirer le projet de cet ouvrage de
3 300 mètres de long de la liste des
chantiers prioritaires].
Le projet avait été présenté
comme le plus grand ouvrage du
siècle, on avait promis 40 000 emplois,
on avait même garanti que ce chiffre
serait dépassé en 2012, ou à peu de
choses près. Certes, c’est une mauvaise nouvelle pour certains, comme
cet ornithologue suisse qui va perdre
ses missions de consultant grassement
payées par le contribuable pour observer le vol des oiseaux migrateurs audessus du détroit. La décision est
encore plus amère pour tous ces
entrepreneurs, ces hommes d’affaires,
ces mafieux propriétaires de carrières
et de terrains, de cimenteries et de
bulldozers, qui avaient tout misé sur
cette bande d’acier et de ciment qui
devait les rendre richissimes.
Mais non. La Sicile va rester une
île, pour quelque temps encore. Entre
Messine et Reggio di Calabria ne resteront que des traces de cette aventure
jamais commencée : à la chambre de
C
150 MILLIONS D’EUROS
RIEN QU’EN PAPERASSES
Dessin d’Igor
Smirnov, Moscou.
L E S
S
M A R D I
D E
Cosa Nostra
de Marco
Turco, Italie.
Mardi 7 nov. 2006
20 h 30
MK2 Quai
de Seine, Paris.
commerce, au cadastre, dans les
chambres secrètes de quelques conseils
d’administration. Dans les archives de
la police. Tous s’étaient préparés ; les
entreprises qui devaient construire le
pont, et les autres, celles qui tireraient
leur épingle du jeu en accaparant les
activités de sous-traitance.
Voici déjà une demi-douzaine
d’années, des parrains de Palerme et
d’Agrigente avaient déplacé leurs activités sur les bords du détroit, noué
des alliances avec les entrepreneurs
Mais l’histoire du pont avait commencé bien avant, avant que les parrains palermitains ou calabrais n’aient
commencé à s’intéresser à lui. Elle
avait débuté officiellement au printemps 1971, date de naissance de
la société Stretto di Messina, qui a
rêvé et a fait rêver la moitié de l’Italie et qui, plus que n’importe quelle
autre, se retrouve aujourd’hui orpheline. En trente-cinq ans, elle est parvenue à dépenser 150 millions d’euros rien qu’en paperasses, dont
10,7 millions en 2005 – destinés en
grande partie à des “prestations professionnelles effectuées par des tiers”, à
de la publicité, des voyages et des
déplacements, ainsi qu’à une mystérieuse “enquête psycho-socio-anthropologique sur la perception du pont par
les populations résidant dans les zones
concernées par la construction”.
Autrefois sponsorisée par les vieux
potentats locaux de la Démocratie
chrétienne, puis cajolée par Forza Italia
[le parti de Silvio Berlusconi], qui règne
sans partage sur la Sicile, la Stretto di
Messina était soutenue ces derniers
mois par toute la droite, le gouverneur
de la région,Totò Cuffaro, en tête. Avec
à ses côtés Raffaele Lombardo, du
Mouvement pour l’autonomie de la
Sicile, qui organise des manifestations
à Messine et à Rome pour réclamer la
construction du pont et menace de
faire éclater des émeutes. Cuffaro a
donc créé un énième “bureau spécial
à la région sicilienne” : le Bureau pour
le pont, qui a pour objectif la recherche
de financements pour la construction
de l’ouvrage.
Attilio Bolzoni
BFM et Courrier international
présentent l’émission
”GOOD MORNING WEEKEND”
animée par Fabrice Lundy,
rédacteur en chef de BFM,
et les journalistes
de la rédaction
de Courrier international.
Tous les samedis de 9 heures à 10 heures
et les dimanches de 8 heures à 9 heures
Fréquence parisienne : 96.4
I TA L I E
Mais qui a fouillé dans les feuilles d’impôt de Romano Prodi ?
Les dossiers fiscaux de plusieurs
personnalités, dont le président du Conseil,
auraient été illégalement consultés.
près les écoutes illégales réalisées par
Telecom Italia et retrouvées dans les
archives secrètes du détective privé Emanuele Cipriani, après les dossiers compilés illégalement par l’agent du SISMI [les
ser vices secrets militaires] Pio Pompa à
propos de magistrats et de journalistes susceptibles de nuire au gouvernement Berlusconi, le président du Conseil, Romano
Prodi, fait à son tour l’objet de l’attention
de personnes indiscrètes.
Mettre son nez plus ou moins secrètement
dans les affaires d’autrui semble être devenu
la seule véritable passion nationale, comme
semblerait le démontrer la nouvelle enquête
ouverte par le parquet de Milan. Celle-ci a
conduit à la mise en examen de pas moins
de 128 personnes, de par faits inconnus
(fonctionnaires des impôts, des domaines
et des douanes, y compris onze membres
A
de la brigade financière – qui, pendant au
moins deux ans, depuis leur ordinateur de
bureau, se sont employés à tout connaître
de la situation fiscale du chef de la coalition
de centre gauche, ainsi que de celle d’une
vingtaine de personnalités et d’hommes politiques des deux bords (mais avec une nette
préférence pour la gauche et cer taines
hautes fonctions de l’Etat), y compris Silvio
Berlusconi, les inévitables stars du football,
certains hommes d’affaires en vue et des
personnalités du spectacle. Pour quels
motifs ? L’enquête ouver te voilà trois
semaines à Milan devra l’établir, mais on
peut d’ores et déjà avancer une hypothèse :
une grande partie des personnes mises en
examen faisaient partie de ces réseaux interlopes qui participent au marché des informations confidentielles destinées, en
échange de quelques dizaines d’euros, au
milieu vorace et nauséabond des détectives privés, qui sont chargés ensuite de
les revendre au plus offrant. Si l’on ne peut
exclure que quelques-uns aient agi par
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
“voyeurisme télématique” et curiosité personnelle, les enquêteurs suspectent les
autres d’avoir obéi à des logiques politiques
bien précises.
Le nombre élevé de ces petits “espions”
représenterait en effet une sorte de rideau
de fumée derrière lequel se cacherait une
“régie” occulte que les magistrats espèrent identifier. Comme l’ont implacablement démontré les listings fournis au parquet par le ministère des Finances, il est
en effet singulier que les 128 personnes
mises en examen aient absolument toutes
interrogé leurs ordinateurs sur des informations confidentielles concernant les
biens, les salaires, les participations dans
des sociétés, les cessions et autres opérations bancaires de Romano Prodi et de
son épouse, Flavia Franzoni. Cet espionnage fiscal a débuté après le retour en Italie de l’ancien président de la Commission
européenne et s’est poursuivi pendant
presque deux ans, jusqu’au lendemain des
élections législatives d’avril dernier, et le
15
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
procureur de Milan veut maintenant savoir
qui en est le commanditaire.
Une série d’articles publiés dans des quotidiens de centre droit auraient mis la puce
à l’oreille à l’entourage de Prodi, qui, à la
mi-octobre, s’était plaint d’être espionné.
La nouvelle avait fait la une du quotidien
berlusconien Il Giornale en avril : profitant
de la loi votée par Berlusconi qui exempte
d’impôt les donations, Prodi et son épouse
auraient versé deux ans plus tôt à leurs
enfants la somme totale de 870 000 euros
pour qu’ils achètent un logement – un demiscandale, au moment où, en pleine campagne électorale, la droite accusait la
gauche de vouloir remettre en vigueur l’impôt sur les successions. Mais l’information
avait été rappor tée avec trop de détails
pour ne pas être suspecte. Des informations réservées alimentèrent une campagne
de presse empoisonnée, reprise à coups
de SMS envoyés à des milliers de téléphones portables.
Paolo Colonello, La Stampa (extraits), Turin
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M O L D AV I E - R O U M A N I E
SLOVAQU IE-HONGRIE
Le bonheur de l’autre côté du fleuve
Affabulation ou
manipulation ?
Les Moldaves sont de plus en plus nombreux à se marier dans la Roumanie voisine
afin de bénéficier de la future citoyenneté européenne. Reportage.
COTIDIANUL (extraits)
UKRAINE
Bucarest
Pr
L
ou
MOLDAVIE
t
Dn
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TRANSDNIESTRIE
tr
e long des deux rives du
Prout, qui constitue la frontière naturelle entre la Roumanie et la Moldavie, de
nombreux villages portent le même
nom. Les gens qui y vivent, séparés par
les aléas de la géopolitique des quinze
dernières années, parlent la même
langue : le roumain. Il n’en fallait pas
plus pour que les femmes moldaves
découvrent les hommes roumains, et
vice versa. Ceux qui ont traversé la
rivière ont troqué une pauvreté contre
une autre ; mais ils ont fondé des
familles et se sont attachés à leur nouvelle vie. Ils imaginent que celle-ci sera
bien meilleure après l’entrée de la Roumanie dans l’UE, même si l’obtention
de papiers roumains, qui sera pourtant
bientôt facilitée pour les Moldaves, leur
semble un chemin de croix.
Parmi la vingtaine de Moldaves
résidant dans le village de Macaresti,
nous avons rencontré Tatiana, 31 ans
et déjà mère de quatre enfants. Agée
d’à peine 14 ans, elle est tombée amoureuse de Mihai, un beau gaillard roumain, blond aux yeux bleus, qu’on
“aurait pu croire moulé dans la glaise des
berges de la Volga, et non dans celle du
Prout”, se souvient-elle en rougissant.
Les deux jeunes gens se sont d’abord
parlé d’une berge à l’autre de la rivière,
avant de faire connaissance en nageant.
“Un véritable feuilleton à l’eau de rose
moldave”, ajoute Tatiana. Au début,
c’est le jeune homme qui a fait le déplacement, grâce à un certificat d’hébergement de la famille de Tatiana. Puis
il y a eu le mariage, scellé par une poignée de mains avec le père de Tatiana,
une tournée générale et trois jours de
Tiraspol
Koutchourgan
Chisinau
M O L DAV I E
Odessa
ROUMANIE
GAGAOUZIE
Siret
Courrier international
835p16
UKRAINE
Galati
0
80 km
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nube
Da
fête, comme le veut la tradition moldave. Ensuite, le couple a retraversé
le Prout pour s’installer chez Mihai,
de l’autre côté de la frontière. Et les
enfants sont nés l’un après l’autre.
Georgiana tout de suite après le
mariage, puis Vladut, Iulian, Diana…
Qui avait le temps de penser aux
papiers ? De 1992 à 1999, Tatiana
n’était ni en Roumanie ni en Moldavie, et ses enfants non plus. Ce n’est
qu’ensuite qu’elle a obtenu un permis
de séjour, puis une carte d’identité roumaine. Sa vie aurait-elle été différente
en Moldavie ? “Je ne sais pas.Tout ce que
j’ai fait ici, c’est travailler la terre et faire
des enfants. Là-bas, j’aurais certainement
fait la même chose”,explique-t-elle. Oui,
mais sans Mihai… “Là-bas”, cela va
faire sept ans que Tatiana n’y est pas
allée, faute de passeport. Entre-temps,
■
Réunification
“Mis à part
le facteur politique”,
Cotidianul a calculé
combien coûterait
à l’Etat roumain
une “réunification”
avec la Moldavie,
ou “la Bessarabie,
ex-territoire roumain
cédé à l’URSS
sous Staline”, pour
arriver au chiffre
de 30 milliards
d’euros pour
les cinq premières
années. “C’est
un peu élevé, dans
la mesure où le PIB
roumain n’est que
de 80 milliards”.
sa mère est décédée et son frère est
parti travailler quelque part en Russie,
du côté de Moscou…
Il y a un mois, Adriana n’avait pas
de papiers non plus. Cela va pourtant
faire quatorze ans qu’elle est mariée
avec Vasile, Roumain en vadrouille
moldave qu’elle a rencontré à Recea.
A l’époque, Adriana venait de passer
le bac, mais elle avait raté l’examen
d’entrée à l’université. Aujourd’hui,
elle est fière de parler quatre langues :
le roumain, le russe de sa famille, le
français et l’anglais, qu’elle a appris
par correspondance. De 1992 à 1999,
Vasile a fait la navette entre Iasi, côté
roumain, où il travaillait, et Recea, côté
moldave, pour le week-end. Ils ont eu
trois enfants : Andrea, Cristi et Catalina.Tous trois sont nés à Riscani, une
bourgade située non loin de Recea.
Tous les trois ont la nationalité moldave… Aujourd’hui installé à Macaresti, le couple calcule combien coûtera la régularisation de tous leurs
papiers pour obtenir enfin la citoyenneté roumaine. Mais peu importe.
“L’année prochaine, je serai citoyenne roumaine dans l’Union européenne”, affirme
Adriana, avant d’ajouter que la “Moldavie restera toujours dans son cœur”.
Adriana,Tatiana, Mariana,Vasile,
Mihai… Elles ne manquent pas, les
histoires d’amour le long du Prout.
En sera-il de même lorsque le Prout
deviendra la frontière de l’UE ? Lena
Nikisina est russe. Ele est venue, l’été
dernier, acheter un lopin de terre à
Prisacani avec l’argent économisé par
son mari, puis elle est revenue, cette
fois-ci avec sa fille. Sa vie n’a pas beaucoup changé, elle est aussi pauvre
qu’auparavant. Sa fille, elle, apprendra le roumain et vivra en Europe.
Silvia Craus
VU DE MOSCOU
Les Russes pestiférés de l’Europe
Les pays de l’espace Schengen ont promis
d’ouvrir largement leurs frontières aux
ressortissants russes. Or ces derniers ont
de plus en plus de mal à obtenir des visas…
la suite du sommet Russie-UE qui s’est tenu
à Sotchi en mai dernier, la situation de notre
pays à l’égard du régime de visas imposé par
les Etats de l’Union européenne devait théoriquement “s’améliorer progressivement”. Les
accords signés à l’époque affirmaient que, pour
certains citoyens russes, se voir délivrer un visa
Schengen deviendrait une simple formalité et
que les hauts fonctionnaires ou diplomates n’auraient même plus besoin de visa pour entrer
dans un pays de l’UE à condition de ne pas rester plus de quatre-vingt-dix jours par an en zone
Schengen. Pour les hommes d’affaires, étudiants, chercheurs, journalistes ou sportifs faisant par tie de délégations officielles, les
démarches devaient être nettement simplifiées.
Il avait même été question d’une suppression,
A
à terme, des visas pour les Russes. Il y a
quelques jours, Benita Ferrero-Waldner, chargée
des relations extérieures et de la politique européenne de voisinage à la Commission européenne, a même solennellement promis, lors
d’une intervention à l’Institut des relations internationales de Moscou, que le régime des visas
entre l’UE et la Russie serait allégé d’ici à la fin
de l’année.
Mais, pour l’instant, le personnel des agences
de voyages russes, qui affronte presque chaque
jour les services des ambassades ouest-européennes, n’a constaté aucune amélioration,
bien au contraire. Les Russes désireux d’obtenir un visa doivent présenter de plus en plus
de papiers, les délais s’allongent et les prix augmentent. Le cas de l’ambassade de France est
typique : elle a récemment fait passer la durée
d’examen des dossiers de une semaine à deux.
Le coût d’un visa pour entrer dans un pays de
l’UE pourrait bientôt doubler lui aussi, atteignant
60 à 80 euros, car on envisage d’y inclure des
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
données biométriques dès 2007. Les Etats d’Europe centrale et orientale, qui n’ont pas encore
signé les accords de Schengen, se montrent
plus conciliants. La Pologne, la Hongrie ou les
pays de l’ex-Yougoslavie ne refusent quasiment
jamais de visa aux ressortissants russes, et les
documents à produire sont peu nombreux. La
République tchèque se distingue toutefois en
exigeant des informations très précises sur la
proche famille du demandeur, même si celleci ne voyage pas avec lui.
Parmi les anciennes Républiques soviétiques,
seules deux d’entre elles imposent des visas
aux Russes. Il s’agit du Turkménistan, depuis 1999, et de la Géorgie, depuis l’an 2000
(mais, avec les derniers événements, la Russie
ne délivre plus de visas aux Géorgiens, et les
Russes ont beaucoup de mal à se rendre en
Géorgie à cause du blocus total des transports
qui a été instauré mi-octobre à l’encontre de
Anatoli Pomortsev et Alexeï Smirnov,
ce pays).
Novyé izvestia (extraits), Moscou
16
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
’agression présumée xénophobe
d’une jeune femme à Nitra
(dans l’ouest de la Slovaquie,
près de la frontière hongroise), à la fin
août, a constitué le point d’orgue d’une
série d’incidents qui ont envenimé les
relations entre Budapest et Bratislava
et déclenché une importante activité
diplomatique des deux côtés du
Danube. Or, près de deux mois plus
tard, la police slovaque, qui a mobilisé des effectifs impressionnants pour
élucider cette affaire, a conclu à une
“affabulation”. Hedviga Malinova, jeune
étudiante de la minorité hongroise du
pays, affirmait avoir été tabassée par des
jeunes skins qui l’auraient entendue
parler hongrois sur son portable et qui
auraient ensuite écrit sur son chemisier : “Hongrois, allez de l’autre côté du
Danube !” Sa plainte constitue “une
grossière calomnie pour la justice et la police
slovaques”, selon un porte-parole du
parquet, cité par le quotidien Sme. Peu
auparavant, le ministre de l’Intérieur,
Robert Kalinak, a tenu une conférence
de presse exposant les conclusions de
l’enquête : selon l’expertise graphologique, c’est Hedviga elle-même qui
aurait gribouillé son tee-shirt, aucun
appel n’a été passé de son portable ce
matin-là et l’expertise médicale émet
des doutes sur la nature de ses blessures… “Une étudiante qui n’a pas été
capable de passer un examen a sacrifié
la bonne renommée de la Slovaquie pour
sauver sa peau”, a renchéri le Premier
ministre, Robert Fico, fréquemment
mis en cause pour avoir fait entrer dans
le gouvernement des représentants de
l’extrême droite. Les médias slovaques,
qui ont globalement salué le travail des
autorités, continuent d’avoir des doutes
sur cet incident que l’hebdomadaire
Plus 7 Dni considère comme une “provocation qui aurait échappé à ses organisateurs”. “Dans un Etat où les services
secrets ont été capables d’enlever le fils du
président tout en faisant croire à la thèse
de l’autoenlèvement, tout est possible”,
poursuit le journal, faisant référence au
kidnapping, en 1995, du fils de l’ancien
président Michal Kovac et à l’assassinat d’un agent des services de sécurité
qui aurait été impliqué dans cet acte
jamais élucidé. “Il est effectivement difficile de croire à la bonne foi de la police slovaque, qui a perdu toute crédibilité durant
le gouvernement de Vladimir Meciar”,
estime le magazine Reflex, de Prague,
qui pointe néanmoins les nombreuses
contradictions dans le récit de Hedviga.
“Saura-t-on un jour ce qui s’est vraiment
passé à Nitra ?” poursuit le journal de
la minorité hongroise Uj Szó, qui
déplore que le dossier de l’enquête n’ait
pas été rendu public dans sa totalité.
Le quotidien Sme croit savoir pourquoi : les “preuves” avancées par le
ministre de l’Intérieur ne s’y trouveraient pas ; ce dernier a immédiatement rétorqué dans le journal qu’il
s’appuyait sur des “informations opérationnelles”. Le 18 octobre, la justice slovaque a clôturé l’enquête, en n’excluant
pas de poursuivre l’étudiante pour
“faux témoignage”.
■
L
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amériques
●
BOLIVIE
Une vraie-fausse nationalisation
Le gouvernement d’Evo Morales vient de conclure un accord qualifié d’historique avec les multinationales du gaz
et du pétrole. S’il accroît considérablement ses recettes, l’Etat ne récupère pas le contrôle total des ressources.
EL DIARIO
La Paz
es nouveaux contrats qu’a
souscrits l’Etat bolivien avec
les transnationales pétrolières
ne constituent en rien une
nationalisation des ressources en hydrocarbures du pays”, estime l’économiste
bolivien Gonzalo Quiroga. Pour ce
spécialiste du secteur énergétique, l’accord conclu dans la nuit du 28 octobre
dernier modifie les conditions d’exploitation imposées aux compagnies
étrangères mais ne donne en aucun cas
à l’Etat un contrôle absolu et à long
terme des réserves de gaz. “Un processus de nationalisation, fait-il valoir, passe
par un contrôle absolu des ressources.
Autrement dit, c’est un processus d’expropriation des investissements, ce qui a
évidemment un coût. Mais ce n’est pas du
tout ce qui est en cours en Bolivie.”
De plus, souligne M. Quiroga,
beaucoup de questions restent en suspens après la signature de l’accord. La
prise de contrôle par l’Etat des entreprises boliviennes Andina et Chaco,
issues de la privatisation partielle, en
1997, de la compagnie pétrolière publiqueYacimientos Petrolíferos Fiscales
Bolivianos (YPFB), prévue par le
décret de nationalisation des hydrocarbures du 1er mai dernier, n’est pas
réglée, pas plus que celle des deux raffineries du pays, qui appartiennent à
la compagnie brésilienne Petrobras.
“La partie production reste aux mains de
sociétés étrangères, et Petrobras a bien souligné que le nouvel accord ne prenait pas
en compte les raffineries.”
La question du prix des actions
que l’Etat doit racheter pour devenir
majoritaire n’est pas du tout clarifiée,
L
Evo Morales
et les multinationales
pétrolières.
Dessin de Nerilicon
paru dans Milenio,
Mexique.
CONTEXTE
Une guerre
qui touche à sa fin
Brésil
Le président
de la compagnie
brésilienne
Petrobras, principal
opérateur gazier en
Bolivie, réagit dans
le quotidien O Globo
à la signature
de l’accord
entre l’Etat bolivien
et les compagnies
étrangères :
“Petrobras ne va pas
devenir un simple
prestataire de
services, nous avons
la garantie que
nos investissements
seront protégés.
La bolivienne YPFB
aura son mot à dire
dans notre conseil
d’administration,
et les deux entités
partageront
les bénéfices
de l’exploitation.”
Aux yeux du patron
de Petrobras, cet
accord est une
“très bonne chose
pour la démocratie
en Amérique latine.”
d’où la nécessité d’un nouvel accord
avec les compagnies pétrolières, tenant
compte du fait que YPFB n’a pas les
moyens financiers d’exercer un
contrôle total sur la production. “Il faut
également régler la question de l’acheminement, poursuit M. Quiroga. Il n’y a
pas eu d’accord conclu avec Transredes [la
société anglo-néerlando-américaine qui
possède la plupart des oléoducs et gazoducs boliviens].”
4 MILLIARDS DE DOLLARS
DE RECETTES PAR AN
Les nouveaux contrats signés avec les
compagnies pétrolières inspirent des
sentiments mitigés aux analystes économiques. L’Etat, d’après eux, aurait
pu obtenir de meilleures conditions
pour le pays mais n’en avait pas les
moyens. “Tout ce que nous avons obtenu,
c’est une révision des contrats de sorte que
les compagnies reversent jusqu’à 82 % de
leurs revenus à l’Etat”, estime Quiroga.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau régime
fiscal n’assure pas au pays le contrôle
total des hydrocarbures tel qu’il était
prévu dans le décret de nationalisation.
YPFB aura certes le contrôle de la production et de la commercialisation des
1 400 milliards de mètres cubes de
réserves de gaz, mais les majors pétrolières continueront d’être les véritables
opérateurs.
Les contrats, souscrits par dix
transnationales pétrolières pour une
durée allant de vingt à trente ans, sont
toutefois jugés avantageux pour les
deux parties. D’ici quatre ans, ce
seront plus de 4 milliards de dollars
qui entreront chaque année dans les
caisses de l’Etat [contre 500 millions
aujourd’hui]. De quoi assurer, selon
le président Evo Morales, des jours
meilleurs à tous les Boliviens, qui
bénéficieront des revenus tirés de la
vente et de l’industrialisation de leurs
ressources naturelles.
■
■ “Nous entrons dans une ère de
prospérité économique.” Le président
bolivien Evo Morales jubile. Après des
semaines d’âpres négociations, son gouvernement est parvenu, le 28 octobre,
à signer un accord avec les compagnies
pétrolières étrangères privées qui exploitent les ressources en gaz du pays,
les plus importantes d’Amérique latine
après celles du Venezuela.
Si les termes de l’accord ne seront
connus que dans plusieurs jours,
Morales a affirmé que les multinationales n’étaient plus les patrons, mais
des partenaires. En clair : elles deviennent des prestataires de ser vices de
l’entreprise d’Etat YPFB, qui assumera
la commercialisation du gaz et en
fixera les prix.
Il était temps pour la Bolivie de trouver
une solution à cet épineux problème qui
a fait tomber deux gouvernements ces
dernières années. En 2003, la “guerre
du gaz” s’était soldée par plus de
70 morts au cours d’un soulèvement
populaire contre un projet d’exportation
du gaz vers les Etats-Unis via le Chili. Le
président libéral de l’époque, Gonzalo
Sánchez de Lozada, artisan de la privatisation du sous-sol lors d’un précédent mandat (1993-1997), avait été
contraint à la démission. Même issue
deux ans plus tard pour le chef de l’Etat
Carlos Mesa, incapable de répondre aux
attentes des Boliviens qui réclamaient
la renationalisation des hydrocarbures.
CHILI
L’or de Pinochet refait surface à Hong Kong
La justice chilienne a ouvert une enquête
sur les lingots d’or que le dictateur avait
mis de côté dans l’ancienne colonie
britannique. La Nación revient sur les
dessous de l’affaire.
l y a quelques semaines, Alan Landry était
chez lui, à Santa Monica, en Californie,
lorsqu’un courriel est arrivé dans sa messagerie. En l’ouvrant, il constata que parmi
les pièces jointes figuraient divers documents et une proposition de vente de plus
de 9 tonnes d’or pur à 99,9 %, actuellement
en dépôt à la Hong Kong and Shanghai Bank
Corporation (HSBC).
En tant que consultant pour CCI-Group, une
entreprise de cour tiers en or, son travail
consiste à vérifier l’authenticité des docu-
I
ments et des cer tificats produits en vue
d’une transaction. Il examina donc attentivement la proposition et s’arrêta, surpris,
sur le nom du propriétaire des documents :
Augusto Pinochet Ugarte.
Alan Landry s’empressa alors d’en informer
son commissaire aux comptes, Gerald
Drown, pour avoir son opinion. Celui-ci
obser va à son tour minutieusement les
documents et dit à Landry de transmettre
l’information au consulat du Chili à Los
Angeles. Il remit à la représentation diplomatique les documents reçus ainsi qu’une
copie des certificats envoyés par un certain
Kevin Shani, qui assurait être habilité à
vendre cet or. “Je peux garantir, grâce à l’expérience qui est la mienne sur le marché,
que ces documents sont authentiques,
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
affirme Alan Landry. La justice et l’Etat chiliens doivent récupérer cet or, qui appartient
au peuple chilien.”
Les documents ont été remis, le 13 octobre
2006, au ministère chilien des Affaires
étrangères, qui l’a ensuite transmise au juge
Juan González, chargé du dossier Riggs [en
2004, suite à un rapport du Sénat américain, une instruction a été ouverte sur plusieurs comptes en banque ouverts sous de
faux noms par Pinochet à la Riggs Bank],
ainsi qu’au Conseil de défense de l’Etat
(CDE), l’organisme chargé de défendre les
intérêts de l’Etat. Le CDE a demandé à la
justice qu’une requête officielle soit envoyée
à la HSBC et que des mesures préventives
soient prises puisqu’il y aurait au nom du
dictateur un millier de lingots, évalués à plus
18
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
de 170 millions de dollars [133,5 millions
d’euros].
Selon nos informations, la justice chilienne
aurait en sa possession un dossier de
26 pages sur cette affaire. Ces documents
préciseraient que l’or en question est pur à
99,9 % et indiqueraient les numéros de série
et le lieu de fabrication des lingots, la Belgique. Les premiers dépôts auraient été effectués en juillet et en novembre 1980 auprès
de la HSBC. Parmi les documents figure
également un certificat de l’entreprise allemande de placements Schell Security GmbH,
authentifié devant notaire le 16 décembre
2004. Pour Landry, il ne fait aucun doute
que les lingots sont en dépôt dans un coffre
Jorge Molina Sanhueza,
de la HSBC.
La Nación (extraits), Santiago
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M E X I QU E
La police fédérale
investit Oaxaca
a Police fédérale préventive
(PFP) a lancé, le 29 octobre
dernier, une opération de reprise en main de la ville d’Oaxaca
après 161 jours de mobilisation et de
manifestations contre le gouverneur
de l’Etat, Ulises Ruiz. A la demande
du président Vicente Fox, des unités
des forces fédérales, transportées par
voie aérienne et terrestre, ont commencé à arriver sur place. Au moins
5 avions et 5 hélicoptères du ministère de la Sécurité publique fédérale
et de l’armée de l’air mexicaine ont
acheminé des bulldozers destinés à
démolir les nombreuses barricades
qui parsèment la ville.
Cette opération sera appuyée par
des unités de l’armée de terre et de
la marine. Celles-ci seront maintenues en alerte pendant le déploiement et pourraient intervenir si nécessaire. Les forces fédérales déployées
dans tout l’Etat d’Oaxaca se montent
à 5 000 hommes, qui ont pour mission de disperser les membres de
l’Assemblée populaire des peuples
d’Oaxaca (APPO). La police municipale et celle de l’Etat, fortes de
2 500 hommes au total, n’interviendront pas, a informé le ministère de
la Protection civile de l’Etat. En ce
qui concerne le Centre d’investigation et de sécurité nationale (CISEN)
et les services de renseignement militaires, ils participaient aussi à l’opération, cartographiant en permanence
le conflit, y compris l’emplacement
des barricades dans la capitale de
l’Etat. Dans la soirée du 29 octobre,
dix bâtiments publics étaient toujours
occupés par les grévistes, tandis que
la plupart des manifestants étaient
regroupés sur la place centrale.
La présidence a annoncé à 9 heures
du matin, le samedi 28 octobre, sa
décision de déployer les forces fédérales à Oaxaca après la violente
journée de vendredi [qui s’est soldée par plusieurs morts après de
violents affrontements]. Une fois
connue l’annonce du président, les
membres de l’APPO ont décrété
l’état d’alerte maximale, invitant la
population à renforcer les barricades
et à “défendre la place jusqu’au bout”.
Entre-temps, les premiers avions
fédéraux transportant des troupes ont
commencé à survoler la ville. Sept
autocars remplis de policiers fédéraux
sont arrivés par la route qui relie
Mexico à Oaxaca.
Parallèlement, Heliodoro Díaz,
le ministre de l’Intérieur de l’Etat
d’Oaxaca, confirmait la présence
policière et remerciait le gouvernement fédéral d’avoir répondu aux
attentes “des habitants d’Oaxaca”.
Daniel Rosas, porte-parole de la
section 22 [du Syndicat national des
travailleurs de l’éducation, SNTE],
demandait pour sa part aux autorités fédérales de “retirer la police fédérale” et les invitait à envoyer des unités “au Michoacán, au Guerrero ou
Tamaulipas, parce qu’ici il n’y a pas de
trafic de drogue”.
Milenio, Mexico
L
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19
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
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amériques
A M É R I QU E C E N T R A L E
Les “petits tigres” des Caraïbes râlent de plaisir
Le Panamá, le Costa Rica et Trinité-et-Tobago sont devenus des exemples pour leurs voisins.
Loin de l’instabilité politique et de la pauvreté, ils connaissent une prospérité étonnante.
nationales. Quatre ans plus tard, la
signature d’un traité commercial avec
les Etats-Unis a été suivie d’une loi
aussi stricte que celle de son partenaire en matière de propriété intellectuelle. Ce climat favorable aux
échanges a permis aux îles d’exploiter une richesse quasiment intacte à
ce jour, à savoir le troisième gisement
de gaz d’Amérique latine. Depuis
1999, grâce aux investissements d’une
trentaine d’entreprises étrangères du
secteur de la pétrochimie, l’extraction
de gaz naturel a progressé à un tel
point que ce pays est devenu le premier fournisseur des Etats-Unis.
VEJA
São Paulo
es petits pays d’Amérique
centrale et les îles des
Caraïbes sont en général
connus pour leur végétation luxuriante et comme paradis
fiscaux ou républiques bananières.
Cette dernière appellation péjorative
fait référence aux soubresauts de leur
histoire politique, à leur pauvreté et
à leur dépendance à l’égard de la
monoculture. C’est aussi dans cette
région que se trouvent respectivement
la nation la plus déshéritée et l’unique
dictature communiste d’Amérique
latine, à savoir Haïti et Cuba.
Mais il en va tout autrement pour
trois Etats en rupture avec tous ces
modèles stéréotypés : le Panamá, le
Costa Rica et Trinité-et-Tobago. Au
cours de ces dix dernières années, le
PIB total de ce trio a quasiment doublé, alors qu’il n’a augmenté en
moyenne que de 67 % dans le reste
de la région. La proportion de pauvres
au Panamá et au Costa Rica a chuté
de plus de 30 % tandis que le chômage est passé à Trinité-et-Tobago de
20 % à 8 % au cours des quinze dernières années. Ces trois pays, en référence aux pays asiatiques qui ont
connu une importante croissance
dans les années 1980 et 1990, sont
aujourd’hui surnommés les “petits
tigres” des Caraïbes. A l’instar de
leurs modèles asiatiques, ils ont avant
tout cherché à attirer les investisseurs
étrangers, en leur offrant un environnement favorable aux échanges,
une stabilité politique, une sécurité
juridique et surtout un éventail de
subventions.
L
LE COSTA RICA, EXPORTATEUR
DE MICROPROCESSEURS
Il y a dix ans, le textile, le café et la
banane constituaient l’essentiel des
exportations du Costa Rica. Le gouvernement a alors décidé d’inviter des
entreprises technologiques à s’implanter dans le pays en leur proposant
des réductions d’impôts et une maind’œuvre bon marché et bien formée.
Intel, le premier fabricant mondial de
processeurs, y a construit dès 1997
une usine de production de puces.
Désormais, les exportations de microprocesseurs représentent pour le Costa
Rica le double des ventes traditionnelles de textiles, de bananes et de
café. Le secteur de l’éducation a également contribué à cette transformation. Il y a un peu plus de cinq décennies, après avoir échappé à une
tentative de coup d’Etat, le gouvernement du Costa Rica a renoncé à son
armée, préférant allouer à l’enseignement les fonds destinés à la défense.
Conséquence de cette politique : la
population costaricaine compte moins
de 5 % d’analphabètes.
L’exemple des petits tigres des
Caraïbes démontre que, s’il est plus
Dessin de Victoria
Martos paru
dans El Mundo,
Madrid.
DEUX FOIS PLUS DE TOURISTES
VISITENT LE PANAMÁ
facile de diversifier l’économie avec le
renfort d’investisseurs étrangers, ceuxci préfèrent néanmoins s’implanter
dans des pays où des garanties leur
sont offertes et où les règles du jeu ne
changent pas au gré des humeurs politiques. Au Costa Rica, les entreprises
peuvent rapatrier 100 % de leurs
bénéfices et il n’existe aucune limite
au droit de propriété des étrangers. A
Trinité-et-Tobago, pays des Caraïbes
composé de deux îles, une loi de 1990
a octroyé aux entreprises étrangères
les mêmes droits que les entreprises
Les petits tigres des Caraïbes assument
sans état d’âme la vocation naturelle
de la région à établir des partenariats
commerciaux avec les Américains.
Le tourisme est l’un des secteurs qui
en tire le plus grand avantage. Au
Panamá, le gouvernement a supprimé, voici douze ans, la fiscalité sur
les entreprises touristiques. Depuis,
les infrastructures se sont multipliées et le nombre de visiteurs a
doublé. Chaque année, 20 000
retraités américains viennent vivre
au Panamá, attirés par la sécurité, la
qualité du climat et le coût de la vie,
50 % moins élevé qu’aux Etats-Unis.
La nouvelle vague de touristes et de
retraités a inversé la tendance à
l’exode des étrangers apparue vers la
fin des années 1990, lorsque l’administration du canal de Panamá
était passée des mains de Washington à celles des Panaméens.
La réussite économique du
Panamá, du Costa Rica et de Trinitéet-Tobago a contaminé d’autres pays
de la région. Il y a deux ans, le Honduras, la République dominicaine, le
Nicaragua, le Salvador et le Guatemala se sont joints au Costa Rica pour
signer le CAFTA, l’accord de libreéchange entre l’Amérique centrale et
les Etats-Unis. Pour les Américains,
il s’agit d’abord d’une politique de
bon voisinage et d’une tentative de
limitation de l’immigration clandestine, par la création d’emplois locaux.
Les petits tigres des Caraïbes ont aussi
en commun de ne pas avoir connu de
conflits armés dévastateurs dans les
années 1970 et 1980, comme ce fut
le cas dans les autres pays de la région.
Ils n’ont pas connu de forte émigration. En vérité, ce sont eux qui ont su
attirer les immigrants des pays voisins.
Au Costa Rica, des Nicaraguayens
travaillent dans les plantations de café
et de canne à sucre. Au Panamá, la
main-d’œuvre la moins qualifiée provient habituellement de Colombie.
Les petits tigres des Caraïbes rêvent
d’ores et déjà de faire partie du premier monde.
Duda Teixeira
REVUE DE PRESSE
Victoire sans surprise pour le président Lula
Le candidat du Parti des
travailleurs a remporté aisément
le scrutin de dimanche,
avec plus de 60 % des voix.
Il lui reste maintenant
quatre ans pour mener à bien
ses projets de réformes…
la une d’O Estado de São
Paulo le 30 octobre, une
grande photo du président fraîchement réélu brandissant le drapeau brésilien, accompagnée d’un
chiffre – 60,82 % – et de ce titre :
“L ula promet d’entamer son
second mandat avec une réforme
politique.” O Estado de São Paulo,
comme la Folha de São Paulo,
l’autre grand quotidien de la capitale économique du pays, ont en
outre publié de longues pages
d’analyses et de commentaires
sur cette victoire sans surprise.
Premier constat d’O Estado de
São Paulo, qui se situe à droite,
“le candidat du Par ti des travailleurs (PT) bat un record historique, avec 58,3 millions de voix
contre 37,5 millions à son adversaire Geraldo Alckmin, qui, après
A
une désastreuse campagne entre
les deux tours, perd près de
2,5 millions de voix”. Le quotidien
conservateur avoue que “Lula sort
de cette élection encore plus fort
qu’en 2002, d’autant qu’il compte
sur le soutien de plus de la moitié
des nouveaux gouverneurs. Mais
la situation a changé. Il n’a plus
l’aura d’antan et tout le monde est
dans l’expectative.”
La Folha de São Paulo, qui avait
fait campagne pour la réélection
de Lula, titre pour sa part “Lula
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
20
promet la croissance et demande
l’union”. Et le quotidien reprend
les premières paroles du président, le deuxième dans l’histoire
du pays à être réélu, après Fernando Henrique Cardoso : “C’est
la victoire de ceux d’en bas contre
ceux d’en haut. Je ne vous décevrai pas et je resterai toujours de
votre côté”, a-t-il dit devant des
milliers de supporters, une fois
les résultats rendus publics.
Soulagé, le chef de l’Etat a pu
savourer sa victoire, même si
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
son adversaire de centre droit
l’a obligé à disputer un second
tour. Ces élections, comme une
bonne par tie de son premier
mandat, ont aussi été marquées
par de nombreuses affaires de
corruption au sein du PT. Mais,
comme l’explique la Folha de
São Paulo, “la popularité de Lula
n’a pratiquement pas été entamée. Il est véritablement au-dessus des partis, et son sort n’est
pas lié au système politique brésilien. Sans oublier que l’action
de son gouvernement au niveau
social a été fondamentale pour
sa réélection.”
Lula a également annoncé que,
au cours de ce second mandat
qui court jusqu’au 31 décembre
2010, il souhaitait mettre en
avant le dialogue. “Je veux parler
avec toutes les forces politiques
du pays. La campagne est terminée, il n’y a plus d’adversaire
maintenant. Mais un seul ennemi,
le même pour tous : les injustices
sociales. Tout le monde doit être
uni pour que le Brésil vive dans
la paix et la croissance.”
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asie
●
SRI LANKA
M YA N M A R
Faire pression sur la junte militaire
Au moment où une partie de la population birmane se mobilise pour obtenir plus de
démocratie, les Nations unies s’intéressent enfin à ce pays. Mais beaucoup reste à faire,
estime l’organisation Human Rights Watch.
outre une politique sévère à l’égard
des demandeurs d’asile, des dissidents et des militants des droits de
l’homme birmans.
L’opinion internationale est toutefois en train de changer. Le président de l’Association des Nations du
Sud-Est Asiatique (ASEAN), Ong
Keng Yong, a déclaré, en juillet 2006,
que “l’ASEAN a beaucoup d’autres
choses à faire, mais le Myanmar semble
être toujours là et reléguer les autres questions à l’arrière-plan”. Des propos
sans précédent pour une organisation qui s’était jusque-là toujours
engagée à ne pas intervenir dans les
affaires intérieures de ses membres.
La Chine est de plus en plus embarrassée. Pour la plupart des voisins du
Myanmar, la junte birmane est une
honte pour l’ASEAN et ils souhaiteraient des réformes immédiates. Si
la Chine veut être considérée comme
un membre respecté de la communauté internationale, elle doit cesser
de protéger les généraux birmans,
qui n’apportent ni sécurité ni développement à leur population.
THE NATION (extraits)
Bangkok
e Myanmar se retrouve
enfin à l’ordre du jour du
Conseil de sécurité des
Nations unies. Le 30 septembre, celui-ci a tenu sa troisième
réunion sur la triste situation des
droits de l’homme dans ce pays et
ses membres ont décidé, par dix voix
contre quatre (et une abstention), de
poursuivre la discussion. Le processus avait débuté en 2005 par un rapport commandé par Václav Havel et
Desmond Tutu et intitulé “Menace
pour la paix : un appel à une intervention du Conseil de sécurité des
Nations unies sur la Birmanie”.Voilà
des années que le Conseil d’Etat
pour la paix et le développement
(CEPD), le gouvernement militaire
birman, ignore les résolutions répétées de l’Assemblée générale et de la
Commission des droits de l’homme
des Nations unies, condamnant les
violations systématiques des droits
fondamentaux dans le pays. Le
Conseil de sécurité est désormais
passé à la vitesse supérieure.
Au cours des dernières semaines,
le CEPD a incité l’Association pour
l’union, la solidarité et le développement (USDA), une organisation
paramilitaire progouvernementale, à
organiser des rassemblements de protestation et demandé aux milices ethniques ayant signé un accord de cessez-le-feu avec le régime de publier
des déclarations qualifiant la décision du Conseil d’”impérialiste” et
l’accusant d’”exploiter l’autorité des
Nations unies.” Le gouvernement a
rejeté ou ignoré toutes les actions
internationales visant à améliorer le
sort de la population birmane et ces
cris d’hostilité montrent qu’il se
moque éperdument de l’opinion
internationale.
L
LE RÉGIME MILITAIRE SOUTENU
PAR LA CHINE ET L’INDE
Le régime birman, qui souhaitait
montrer son mépris pour le Conseil
de sécurité, avait annoncé la couleur
deux jours avant le vote. La police
birmane avait en effet arrêté Min Ko
Naing, Ko Ko Gyi et Htay Kywe,
trois personnalités qui militaient en
faveur d’une intervention du Conseil
de sécurité et s’apprêtaient à assister
à la célébration de l’anniversaire de
la création du parti d’opposition, la
Ligue pour la démocratie d’Aung San
Suu Kyi. Quelques jours après, l’avocat U Aye Myint et deux militants du
groupe Génération étudiante 88 [créé
en référence aux manifestations pour
la démocratie qui ont eu lieu dans
tout le pays en 1988], Min Zeya et
Pyone Cho, ont subi le même sort.
TRAVAIL FORCÉ ET VIOLENCES
SEXUELLES CONTINUENT
Dessin d’Ajubel
paru dans El
Mundo, Madrid.
Pétition
Près de 530 000
Birmans ont apposé
leurs noms sur une
pétition demandant
la libération
des prisonniers
politiques ainsi
que l’ouverture
de négociations
avec l’opposition.
Organisée par le
groupe Génération
étudiante 88,
la collecte de
signatures a été
contestée par
le gouvernement,
qui estime qu’un
grand nombre
de signataires ont
été trompés.
La pétition a été
transmise à l’ONU,
et le mouvement
poursuit son
action jusqu’au
4 novembre par une
campagne de prière
multiconfessionnelle.
Le Conseil de sécurité doit poursuivre son action sur la situation des
droits de l’homme dans ce pays où
la violence et la répression font partie du quotidien. Les militaires n’autorisent pas l’existence d’une presse
libre, d’organisations de la société
civile ou de partis d’opposition. Le
Conseil doit adopter une résolution
ferme appelant le régime militaire
à remplir ses obligations vis-à-vis de
la population et de la communauté
internationale. Fortes du soutien de
la Chine, de la Russie, de l’Inde, et
de la Thaïlande, les autorités birmanes sont devenues de plus en plus
intransigeantes. Ces pays, avec qui
elles entretiennent des relations
diplomatiques et économiques
étroites, ne cessent de les protéger et
permettent ainsi aux généraux de
continuer leurs méfaits. A titre
d’exemple, l’ambassadeur de Chine
aux Nations unies, Wang Guangya,
a qualifié de “grotesque” la décision
de placer le Myanmar à l’ordre du
jour du Conseil de sécurité. L’Inde
a récemment accueilli le chef de la
junte,Than Shwe, avec tous les honneurs et vendu des pièces d’artillerie à l’armée birmane. Pour assurer
ses objectifs économiques, le Premier
ministre de la Thaïlande récemment
déposé,Thaksin Shinawatra, avait fait
de son pays le porte-parole international de la junte birmane. Les autorités thaïlandaises adoptaient en
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
22
La Thaïlande a aujourd’hui l’occasion de mettre un terme au soutien
honteux qu’elle a apporté au gouvernement birman. Le général Surayud Chulanont, le Premier ministre
par intérim récemment nommé, et
l’armée, qui l’a porté à ces fonctions,
doivent comprendre que la situation
chez leur voisin birman constitue un
facteur de déstabilisation pour la
Thaïlande. Celle-ci doit renoncer à
sa passivité et à sa tiédeur, en soutenant pleinement l’action de la communauté internationale pour améliorer la démocratie, les droits de
l’homme et la paix au Myanmar.
L’ONU ne doit pas attendre. Elle
doit voter une résolution exprimant
clairement la nécessité d’entamer
rapidement un processus permettant
de passer à un gouvernement civil et
à la démocratie. Les militants récemment arrêtés et les autres prisonniers
politiques doivent être libérés
[1 200 prisonniers politiques seraient
détenus dans les geôles birmanes].
L’armée doit cesser de s’en prendre
aux minorités ethniques. Les organisations d’aide humanitaire doivent
pouvoir accéder librement aux
régions du pays où l’état sanitaire de
la population s’est dégradé et où le
travail forcé et les violences sexuelles
sont largement répandus. Il faut faire
comprendre aux généraux birmans
qu’ils ne peuvent plus rester
inflexibles.
Brad Adams*
* Directeur pour l’Asie de l’organisation
Human Rights Watch.
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
Les négociations
en panne
sur l’autoroute
DE COLOMBO
uelques heures à peine après
l’échec des pourparlers de paix
organisés à Genève les 28 et
29 octobre entre le gouvernement srilankais et les Tigres de libération de
l’Eelam tamoul (LTTE), de violents affrontements ont été signalés dans la péninsule de Jaffna [dans le nord-est de
l’île, zone de combats entre les forces
régulières et les insurgés]. C’est justement à cette région que les Tigres tamouls faisaient allusion lorsqu’ils ont
accusé l’armée d’“accentuer les hostilités
militaires en effectuant des préparations et
des entraînements offensifs et provocateurs”.
Lors d’une conférence de presse, le
ministre de la Santé sri-lankais, Nimal
Siripala de Silva, a pour sa part déploré
que les rebelles aient fait reposer l’issue des négociations sur une condition, la réouverture de l’autoroute A9
reliant la zone de conflit au reste du
pays, alors qu’ils avaient auparavant
exigé des discussions inconditionnelles.
Selon le ministre qui dirigeait la délégation gouvernementale, Colombo
aurait répondu à la demande de réouverture de l’A9 faite par les Tigres en
leur proposant un accès maritime à
Jaffna, qu’ils ont refusé. “La balle est
maintenant dans le camp des insurgés”,
estime Nimal Siripala de Silva. Dans
un autre communiqué de presse, les
Tigres disent avoir accepté de fixer une
date pour de nouvelles négociations et
demandé la réouverture préalable de
l’A9. “Mais le gouvernement sri-lankais
n’a pas répondu de façon positive.Avant
de fixer une date pour un nouveau cycle
de pourparlers, les LTTE ont prié les
médiateurs et la Mission de contrôle du
cessez-le-feu au Sri Lanka (SLMM, Sri
Lanka Monitoring Mission) d’œuvrer
pour la réouverture de l’A9”, pouvait-on
lire dans ce communiqué. Les Tigres
tamouls affirment aussi avoir tenu à
aborder la grave crise humanitaire provoquée par le gouvernement et les
forces de sécurité. En effet, selon eux,
la fermeture de l’A9 a fait de la péninsule de Jaffna une prison à ciel ouvert
pour plus de 600 000 personnes, qui
vivent sous l’“occupation” de 60 000
soldats de l’armée sri-lankaise et derrière un “nouveau mur de Berlin”.
Mais, en dépit de l’échec de Genève,
la situation n’est pas complètement
bloquée. Saluant le pacte politique
intervenu entre le Sri Lanka Freedom
Party (SLFP, parti du président
Mahinda Rajapakse) et le United
National Party (UNP, d’opposition),
les Tigres tamouls annoncent qu’ils
accepteront d’entamer des négociations politiques avec le gouvernement
une fois que ce qu’ils nomment “l’administration cinghalaise” aura trouvé
un accord en vue de la résolution du
conflit. “Les LTTE espèrent que, d’ici
là, la normalité sera revenue et qu’un
environnement favorable sera apparu”,
ont-ils ajouté. En attendant, la guerre
continue.
Muralidhar Reddy, The Hindu, Madras
Q
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asie
INDE
Peut-on être sikh sans porter ni barbe ni turban ?
Au Pendjab, de plus en plus de jeunes hommes sikhs renoncent à leurs signes d’appartenance traditionnels.
Un phénomène dont l’ampleur inquiète les autorités religieuses.
OUTLOOK
New Delhi
n dit souvent qu’un sikh
sans cheveux longs et sans
turban est comme un roi
sans couronne. Mais, au
Pendjab [Etat du nord-ouest de l’Inde
à majorité sikhe], en particulier dans
les campagnes, les jeunes sont de plus
en plus nombreux à rejeter les symboles les plus visibles de l’identité sikhe.
Cette tendance, qui s’est répandue au
cours des quatre ou cinq dernières
années, prend aujourd’hui de telles
proportions que les dignitaires religieux
s’en inquiètent et que des campagnes
désespérées sont lancées pour rétablir
le port du turban. Selon les organisations communautaires engagées dans
cette lutte, 80 % des jeunes sikhs vivant
dans les zones rurales de la région ont
coupé leurs cheveux et abandonné leur
couvre-chef. Faut-il en conclure qu’il
n’y aura bientôt plus aucun homme
enturbanné dans les villages ? Selon les
autorités religieuses, qui se sentent à
la fois consternées et impuissantes,
ce n’est plus seulement une possibilité,
c’est une réalité incontournable.
Un sikh sans cheveux longs est-il
moins sikh pour autant ? Dans le langage populaire, un homme qui s’est
coupé les cheveux ou rasé la barbe est
un patit, c’est-à-dire un apostat. Selon
le Pr Sher Singh, de l’Institut d’études
sikhes, “sur les cinq ‘k’ – kesh [cheveux
et poils], kada [bracelet porté au poignet
droit], kirpan [petit poignard], kangha
[peigne en bois porté sous le turban] et
kachh [caleçon long] –, dont Gobind
Singh [le dernier des dix gourous qui ont
codifié le sikhisme à la fin du XVIIe siècle]
a imposé le port à tous les hommes, le kesh
est le plus important et fait partie intégrante de l’identité communautaire. Sans
O
Un dignitaire
religieux lisant le livre
sacré des sikhs.
■
Sikhs
1,9 % de
la population
indienne est de
confession sikhe,
soit environ
19 millions
de personnes.
80 % d’entre eux
vivent dans l’Etat
du Pendjab,
dans le nord
du pays.
WEB+
Plus d’infos
sur le site
Quelques
explications
sur une minorité
indienne qui compte.
le kesh, les autres symboles perdent leur
signification.”
On compte aujourd’hui trois ou
quatre barbiers dans la plupart des
communes rurales. Les propriétaires
terriens du Pendjab ont toujours été
réputés pour leur ouverture d’esprit et
leur caractère entreprenant. Fidèles à
eux-mêmes, ce sont donc eux qui
mènent aujourd’hui le mouvement
contre le turban, même s’ils passent
pour des renégats aux yeux des religieux. Selon les universitaires, tout un
ensemble de facteurs, à la fois sociaux
et économiques, est en jeu pour expliquer ce phénomène. La raison la plus
souvent citée est le soulagement de ne
plus avoir à entretenir sa barbe et à
nouer son ruban, deux opérations très
compliquées. Baldev Singh, patriarche
d’une grande famille, regrette que lui
et ses frères soient les seuls hommes
de la famille à respecter la tradition.
“Tous mes fils et petits-fils se sont fait couper les cheveux, se plaint-il. Cela me fait
de la peine de voir les miens en arriver là,
mais personne ne m’écoute plus.” Sa bellefille, Roominder Kaur, est au contraire
ravie que son fils ait les cheveux courts,
car elle est libérée de la corvée matinale du démêlage et du coiffage.
Une autre raison qui peut expliquer ce bouleversement est le profond
désir des jeunes des campagnes d’aller vivre en Occident. Comme il est
plus fréquent, depuis les attentats du
11 septembre 2001, que des sikhs
soient pris pour des musulmans et
agressés à cause de leur barbe et de leur
turban, ils ont tendance à modifier leur
apparence pour “ressembler aux
autres”. Ce faisant, il leur est plus facile
de se faire accepter dans le pays d’accueil. D’autre part, il est de notoriété
publique que la consommation de
drogue et d’alcool atteint des niveaux
sans précédent au Pendjab. Quelque
60 % des jeunes de 14 à 25 ans feraient
régulièrement usage de stupéfiants. Les
intellectuels sikhs relient justement ce
phénomène au refus de porter le
turban, étant donné que la fumée et
l’usage de drogues sont interdits par la
religion. La politisation du clergé, qui
n’agit pas assez pour sensibiliser les
jeunes à leur foi, est une autre raison
souvent citée. Pour les tenants de ce
point de vue, ces dignitaires négligent
leur rôle de défenseurs et de protecteurs des traditions religieuses.
DES ASSOCIATIONS ACTIVES
DANS LE MONDE ENTIER
Paradoxalement, la tendance des sikhs
à couper leurs cheveux et à raser leur
barbe gagne du terrain au moment
même où la communauté est engagée
dans une campagne internationale de
sensibilisation à l’identité sikhe et à
l’importance de porter des symboles
religieux comme le turban et le kirpan
[petit poignard]. Depuis l’interdiction
des turbans dans les écoles en France,
en 2004, et la multiplication des actes
racistes contre les sikhs après les attentats du 11 septembre, des associations
communautaires ont en effet entrepris
de défendre leur religion en Europe,
aux Etats-Unis et en Australie.
En Inde comme ailleurs, l’annonce
de l’interdiction française a provoqué
une levée de boucliers au sein des organisations sikhes, qu’elles soient politiques, sociales ou religieuses. A l’appel du SGPC (Shiromani Gurudwara
Prabandhak Committee, organe de
gestion des temples), le Premier
ministre Manmohan Singh, qui est luimême sikh, a abordé la question avec
Paris. Mais, comme le remarque Jaswinder Singh, membre du SGPC et
président d’une organisation pour le
retour au turban et aux cheveux longs,
“si les autorités françaises viennent à
prendre connaissance de la situation au
Pendjab, ce sera très gênant pour nous.
Comment pouvons-nous lutter pour le droit
de porter les cheveux longs et le turban à
l’étranger si on y renonce dans la patrie
du sikhisme ?”
Depuis quelque temps, une association organise un concours intitulé
“Mister Singh International”, qui est
réservé aux sikhs enturbannés. Les candidats doivent participer entre autres
à une épreuve intitulée “Mon turban,
ma fierté, mon identité”, où ils sont
jugés sur leur façon de nouer le tissu
sur leur tête. La dernière personnalité
en date à en avoir fait son cheval de
bataille n’est autre que Navjot Singh
Sidhu, un ancien joueur de cricket
actuellement député du BJP [parti
nationaliste hindou]. Il a même organisé une procession à Amritsar, ville
sainte du sikhisme, pour remettre le
turban à l’honneur et inculquer aux
jeunes la fierté de le porter. Pour la
petite histoire, Sidhu est aujourd’hui
la cible de nombreuses critiques pour
avoir rasé sa barbe et autorisé son fils
à couper ses cheveux.
Chander Suta Dogra
PA K I S TA N
Guérilla virtuelle pour la cause baloutche
La diaspora baloutche n’hésite pas
à utiliser Internet pour soutenir le combat
des séparatistes qui agitent sa région
d’origine. Un phénomène suivi de près
par les services secrets.
orsqu’il est chez lui à Jacksonville, en Floride, Wahid Baloch met à jour le site de
l’ONG qu’il a créée il y a deux ans, la Société
baloutche d’Amérique du Nord (BSO-NA). “Internet est très efficace, explique-t-il. On peut
s’adresser au monde entier en cliquant sur un
bouton.” Assis devant leur écran d’ordinateur,
de nombreux Baloutches comme lui informent
les internautes de leur lutte pour obtenir la
sécession de leur région, qu’ils estiment exploitée, d’avec le reste du Pakistan et se battent avec des mots. Ces guérillas virtuelles
gagnent toute la planète, depuis le Baloutchistan jusqu’à Stockholm, en passant par
L
Karachi, Oman, Londres et la Floride. La lutte
des Baloutches pour davantage d’autonomie
est également soutenue par quelques journaux pakistanais. On trouve aussi sur Yahoo!
plusieurs groupes de discussion. “Mon site
préféré est celui du gouvernement du Baloutchistan en exil”, précise Wahid, heureux de
voir que les villes de sa région natale bénéficient de connexions Internet plus rapides
que dans d’autres zones du pays. Ce site a
été lancé le 18 avril 2006 par Mir Azaad
Khan, un Juif baloutche qui a établi son gouvernement en exil à Jérusalem et s’est donné
pour mission de rassembler tous ses concitoyens sous un seul drapeau et un seul roi,
un certain Mir Suleman Daud Ahmedzai, qui
se dit souverain de Kalat [un Etat princier du
centre du Baloutchistan, officiellement
démantelé en 1955].
Beaucoup de débats intéressants se dérou-
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
lent également dans les groupes de discussion. Ainsi, un certain Yusuf Khan Bugti
demande à ses compatriotes de se convertir à l’hindouisme, rappelant que “tant que
les Baloutches seront musulmans le Pakistan aura le droit moral de diriger notre région”.
“Quelle que soit la religion que nous pratiquons à l’intérieur de nos foyers, il faut que
nous nous déclarions officiellement hindous”,
ajoute-t-il. Pour lui, mieux vaut en effet être
un kafir, un infidèle, que mourir en musulman
et en esclave. Les services de renseignements pakistanais, l’Inter-Services Intelligence (ISI), sont très présents dans toutes
ces communautés virtuelles et essaient de
propager leurs idées et de discréditer le mouvement nationaliste baloutche sur la Toile.
Les forums en ligne sont également surveillés
par d’autres ser vices secrets, comme la
Research and Analysis Wing (RAW) indienne,
24
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
le Mossad israélien et la SAVAMA iranienne.
Si Internet a permis d’engager beaucoup de
discussions sur cette lutte nationaliste, ces
guérilleros de la Toile ne savent pas combien
de temps ils pourront mener leur croisade
contre le Pakistan. L’argent leur fait défaut.
Beaucoup d’expatriés exercent des emplois
ingrats ou sont tout simplement au chômage.
“Je ne sais pas combien de temps je pourrai continuer sans nouvel apport financier”,
explique Wahid. Il accumule pour sa part les
heures supplémentaires en tant qu’auxiliaire
médical, afin de subvenir aux besoins de sa
famille, restée au pays, et doit investir près
de 300 euros par mois dans son site.
Ahmar Mustikhan*, The Week, Cochin
* Outre ses activités de journaliste, Ahmar Mustikhan est le coordinateur de la World Baloch Jewish
Alliance et soutient activement le mouvement séparatiste depuis les Etats-Unis.
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asie
LE MOT DE LA SEMAINE
“MAKURA
GYÔ”
LES SUTRAS
DE CHEVET
JAPON
Mobilisation contre le suicide des vieux
Pour lutter contre ce fléau qui touche surtout la province, un bonze a créé un centre
d’accueil et de dialogue. Un modèle pour un pays où le nombre de suicides reste élevé.
ASAHI SHIMBUN
Tokyo
a commune de Fujisatomachi est située à l’extrême
nord de la préfecture
d’Akita. Située à proximité
des montagnes de Shirakami, qui sont
inscrites au patrimoine mondial de
l’UNESCO, la localité compte
4 300 âmes. Abrité à l’intérieur de la
Maison pour les échanges intergénérationnels, implantée derrière la
mairie, le café-club baptisé Yottetamore
[Passez nous voir] ouvre ses portes
une fois par semaine. Les habitants
ont l’habitude d’y passer, et les
conversations sont toujours animées.
Vêtu d’un tablier, Shunei Hakamata,
âgé de 48 ans, supérieur du temple
Gesso-ji, y sert du café.
A Akita, préfecture qui compte le
taux de suicide le plus élevé du pays,
Fujisatomachi est connu pour le
nombre important de morts volontaires, particulièrement chez les personnes âgées. Entre 1989 et 2003,
une cinquantaine d’habitants ont mis
fin à leurs jours. M. Hakamata préside l’association “Club de réflexion
sur la vie et le cœur des hommes”,
qui rassemble vingt-huit habitants.
Sa principale mission est de gérer et
d’animer le café-club, mais également
d’organiser des concerts et des conférences. C’est l’une des rares associations au Japon qui lutte pour “la
prévention des suicides”. Autour d’une
tasse de thé, on parle d’expériences
pénibles, de sentiments douloureux
comme les conflits au sein du couple,
les frictions entre belle-fille et bellemère ou encore les difficultés des
couples âgés contraints de vivre sans
aide… La possibilité de s’épancher
fait renaître l’envie de vivre. “C’est un
lieu où l’on peut confier librement ses
inquiétudes et ses chagrins”, explique
M. Hakamata.
Six ans après avoir terminé une
ascèse dans le temple Eiheiji [haut lieu
du bouddhisme zen] et être rentré
chez lui, M. Hakamata a perdu la
vision de l’œil gauche en raison d’un
décollement de la rétine. Il n’avait alors
que 29 ans.Touché par la douleur de
perdre une partie de ses capacités
physiques, il s’est alors penché sur les
problèmes de la “vie”. Il a créé
L
KK
AIDO
Dessin de No-río,
Aomori.
■
Statistiques
Pour la huitième
année de suite,
l’archipel
a enregistré plus
de 30 000 suicides
(32 325 personnes).
Son taux (25,3 pour
100 000 habitants)
place ainsi le Japon
au dixième rang du
classement mondial,
juste derrière
la Slovénie et
devant le Sri Lanka,
et au deuxième rang
parmi les nations
industrialisées,
derrière la Corée
du Sud. Près
de la moitié
de ces personnes
(15 000) évoquaient
des soucis de santé
comme raison de
leur geste, tandis
qu’environ 25 %
avancent des
raisons financières.
Les préfectures
les plus touchées
par ce fléau sont
celles du Nord
(dans l’ordre, Akita,
Aomori et Iwate).
Afin d’enrayer
ce fléau, la Diète
a adopté,
en juin 2006,
une loi-cadre
destinée à apporter
divers soutiens aux
personnes fragiles.
Shirakami
Fujisatomachi
Akita
Préfecture
d’AKITA
JAPON
0
150 km
Courrier international
Kazuhiko Yatabe
Calligraphie de Kyoko Mori
O
H O N
S H
U
l y a, bien entendu, mille façons
de mourir. Mais, alors même que
la vie ne se conçoit pas sans sa fin,
le quotidien des Japonais n’a de
cesse d’évacuer la question de la
mort. C’est d’abord via les événements relatés par les médias que
celle-ci s’incr uste aujourd’hui
dans les consciences. Ainsi en vat-il du suicide d’un collégien blessé
par les paroles indélicates de son
professeur, drame qui vient de bouleverser l’archipel. Mais, a contrario, tout se passe comme si la mort
pour ainsi dire ordinaire – mourir de
maladie à l’hôpital – se présentait
comme un phénomène lisse et
évident, encadrée qu’elle est, en
amont, par la médecine et, en aval,
par le système capitaliste que représentent les pompes funèbres – et
aussi par le bouddhisme, dont le
premier geste post mortem consiste
à effectuer le makuragyô, la récitation de sutras au chevet du
défunt. Pourtant, brutale, unique et
tragique, aussi insondable que la
terrible solitude qui s’empare d’un
marin jeté hors de son bateau par
une nuit de tempête, la mort ordinaire, celle qui passe inaperçue,
celle qui nous concerne, ne s’impose-t-elle pas à chacun comme
l’événement par excellence ? C’est
ce que vient, du moins, nous rappeler un beau roman autobiographique, Tokyo Tower. Okan to boku
to, tokidoki oton (La tour de Tôkyô.
M’man, moi et, de temps en temps,
p’pa), du musicien et photographe
Lily Franky. L’auteur y décrit, en des
pages bouleversantes, les dernières
heures de sa mère atteinte d’un cancer – moment redouté plus que tout
depuis son enfance, “plus que l’arrivée des extraterrestres, plus que
le dernier jour de la planète”. Prix
des libraires 2006, plus de 2 millions d’exemplaires vendus à ce
jour, les Japonais attendaient manifestement ce livre qui, prenant au
sérieux la mort, nous réapprend à
aimer la vie.
I
H
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COURRIER INTERNATIONAL N° 835
26
l’association Vihara [en sanscrit, lieu
de repos ou monastère] avec des
moines de la préfecture, suivi des cours
sur les soins aux personnes en fin de
vie et, depuis, il accompagne des
malades en tant que bénévole. Dans
la ville d’Akita, chef-lieu de la préfecture, il existe une unité de soins palliatifs. M. Hakamata y retrouve des
malades atteints de cancer en phase
terminale dont on a interrompu le traitement. La première personne qu’il y
a rencontrée était une vieille dame.
Quand elle a appris que M. Hakamata
était un moine zen de l’école Soto, elle
n’a pas caché sa joie en expliquant que
“le temple de sa famille, le Bodaiji, appartient également au courant zen”. Elle lui
a raconté ses jeux dans l’enceinte du
temple lorsqu’elle était enfant. Après
la conversation, ils ont pris un café
ensemble. Quand il l’a quittée, elle lui
a dit avec un charmant sourire, sans
doute heureuse d’avoir évoqué ses souvenirs d’enfance : “Vous m’avez fait
beaucoup plus de bien que les piqûres de
mon médecin.” “Je reviendrai”, lui at-il répondu. “Merci”, et sur ce elle
s’est levée et l’a salué en inclinant la
tête. Mais, le mois suivant, quand
M. Hakamata est retourné à l’unité de
soins palliatifs, elle était décédée.
UN RECUL SPECTACULAIRE
DU NOMBRE DE SUICIDES
Les rencontres sans lendemain sont
habituelles dans ce centre. Après avoir
lutté contre leur maladie pendant des
mois ou des années, les malades chérissent le peu de temps qui leur reste
à vivre. Dans cette unité, M. Hakamata
a profondément été touché par le fait
que, derrière leur quotidien paisible,
les malades s’efforcent d’apprivoiser la
mort. “Comment faut-il vivre ?”“De
quelle façon vivre pleinement sa vie
jusqu’au bout ?” Les soins en phase terminale et la prévention du suicide sont
intimement liés à ces questions, s’estil alors dit. Il était tout naturel pour
M. Hakamata de s’occuper à la fois du
centre et du café-club.
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
En réalité, il est difficile d’expliquer pourquoi les suicides étaient si
nombreux à Fujisatomachi. On dit
qu’ils étaient plus fréquents chez les
personnes âgées habitant avec leurs
enfants que chez les personnes isolées.
On sait aussi que, quand la plantation
du riz commence, les vieilles personnes
sont plus fréquemment laissées seules
à la maison, ce qui entraîne une multiplication des suicides. M. Hakamata
ne peut pas oublier la fois où il a rendu
visite à une famille pour psalmodier
les sutras récités au chevet d’un mort.
On ne lui avait rien dit sur la cause du
décès. Mais quelque chose transparaissait derrière ce silence : il s’agissait
d’un suicide. La famille cachait sa tristesse et surtout un sentiment de
trouble. L’idée selon laquelle le suicide est considéré comme “une honte
pour la famille” est encore aujourd’hui
profondément enracinée chez les
habitants de Fujisatomachi. Selon
M. Hakamata, ils sont nombreux à
considérer comme de la “délicatesse”
le fait de ne pas évoquer le sujet.
Il y a six ans, quand il a fondé son
Club de réflexion sur la vie et le cœur
des hommes, le suicide constituait un
tabou inviolable à Fujisatomachi. Sous
la pression silencieuse de la société
locale, bon nombre de familles ne se
permettaient pas de pleurer la disparition d’un proche. Le fait de ne pas
oser se lamenter et de s’obliger à se
conduire vaillamment rendait le travail de deuil très difficile. “Se donner
la mort n’est pas honteux. Parler de la
peine calme la douleur des proches, facilite la communication entre les habitants
et devrait réduire le nombre de suicides”,
assure M. Hakamata. En 2004, pour
la première fois depuis dix-sept ans,
Fujisatomachi n’a enregistré aucun
suicide. En 2005, il n’y en a eu qu’un
seul, tout comme en 2006. Le caféclub n’est pas un lieu où l’on parle spécialement du suicide, mais, quand une
personne rencontre un problème, de
n’importe quel ordre, la porte lui est
toujours ouverte.
Satoru Naga
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asie
CHINE
Le PCC s’assoit sur l’esprit olympique
Les dirigeants communistes utilisent à plein la perspective des Jeux olympiques de Pékin pour divertir le peuple.
Pourtant, la politique gouvernementale est aux antipodes des principes défendus par l’olympisme.
DONGXIANG
Hong Kong
e 8 août 2006 étaient organisées à Pékin des festivités
en grande pompe pour célébrer les deux années séparant la ville de l’ouverture des Jeux
olympiques de 2008. Les autorités chinoises accentuaient ainsi d’un cran
leurs efforts de promotion. Selon un
communiqué de l’agence Xinhua,
Pékin avait invité des “millions de citadins à des séances d’exercices matinaux
pour fêter l’approche des JO”. Lors d’une
conférence de presse donnée devant
des journalistes étrangers, des dirigeants du comité d’organisation des
Jeux de Pékin ont assuré qu’ils satisferaient les besoins des médias étrangers pendant toute la durée de la compétition, conformément à la demande
du Comité international olympique
(CIO) et aux usages en vigueur. Une
telle déclaration contrastait fortement
avec la sévère mise au pas décrétée
récemment par le Parti communiste
chinois (PCC) à l’encontre de la presse
chinoise et des sites Internet.
Les intentions du PCC sont pourtant claires. En se servant des Jeux
pour alléger la formidable pression
qui pèse sur le pouvoir du fait de son
manque de légitimité, il cherche à prolonger son régime dictatorial. Comme
si, grâce à cet heureux événement, il
voulait conjurer le sort néfaste qui
menace la dynastie en fin de règne de
Zhongnanhai [siège du pouvoir].
Cette habitude de conjurer le sort par
un heureux événement est une
ancienne coutume chinoise, qui s’appliquait autrefois aux personnes gravement malades pour lesquelles on
organisait un mariage dans l’espoir de
lever le maléfice. La Chine est un pays
au lointain passé où les superstitions
de ce genre sont solidement ancrées
dans la vie de tous les jours.
L
UTILISER LES JEUX
POUR ÉTALER SA PUISSANCE
La bulle de la croissance économique
de la Chine populaire pourrait se
transformer en un séduisant arcen-ciel, mais, à cause du refus délibéré du PCC d’engager des réformes
politiques, la corruption ronge rapidement l’ensemble du
groupe dirigeant,
tandis que les tensions sociales et les
affrontements ne
cessent de s’aggraver et de prendre de
l’ampleur. Le pouvoir
espérait parvenir à maintenir
la stabilité en renforçant la
machine dictatoriale. Toutefois, il
est arrivé à une situation où même les
familles de militaires portent collectivement plainte contre l’Etat, où des
officiers à la retraite organisent des
mouvements de revendication de leurs
droits, contraignant le tandem Hu
Jintao – Wen Jiabao, respectivement
chef du Parti communiste et du gouvernement et Premier ministre, à augmenter fortement les soldes des militaires afin d’acheter leur “loyauté”.
Il ne faut pas se leurrer, la Chine actuelle est au plus mal. A cause
du poison distillé depuis plus d’un
demi-siècle par la culture du Parti et
de sa mainmise durable sur le pouvoir, cette société a perdu toute capacité à se rétablir. Dans de telles circonstances, comment les détenteurs
du pouvoir, aux prises avec de nombreuses difficultés sur le plan intérieur
comme sur le plan extérieur, auraientils pu laisser passer la si belle chance que constitue l’organisation des
Jeux olympiques ? Ils s’en servent
pour attiser la fierté nationale et, en
détournant l’attention de l’opinion
publique, libèrent celle-ci de sa sensation d’étouffement. Les JO sont
l’occasion de mobiliser la société, de
déplacer différentes crises intérieures
et de relâcher la corde tendue sur le
point de rompre… Tout cela n’est-il
pas la manière moderne de conjurer
le sort par un heureux événement ?
Que ce soit en menant campagne
pour remporter l’organisation des
futurs JO ou en fêtant la sélection de
Pékin comme ville organisatrice en
2001, le PCC a toujours mené de
savants calculs politiques. Le compte
à rebours enclenché en grande pompe
à deux ans de l’échéance était l’une
des machines de guerre destinées à
permettre à la Chine, cette vieille
Dessin
de Goma paru dans
El Mundo, Madrid.
guimbarde roulant
à toute vitesse de
façon incontrôlée, d’éviter de
se renverser.
L’agence officielle Xinhua a
ainsi cité un
extrait de l’éditorial
du Jiefangjun Bao, le
journal de l’Armée de
libération. Celui-ci, intitulé
“Accueillons les Jeux olympiques comme la grande puissance que nous sommes !”, exprimait des sentiments extrêmes, ce
qui montre que l’on est tombé
d’un complexe d’infériorité dans
un complexe de supériorité. Cela
prouve que le peuple chinois a
urgemment besoin d’une psychothérapie. Se servir des JO pour faire
étalage de sa qualité de “grande
puissance” est révélateur
du fond de la pensée des
autorités chinoises. Un tel état
d’esprit va complètement à l’encontre de l’olympisme !
Comme chacun sait, celui-ci repose sur le caractère universel des
Jeux, la diversité des sports pratiqués,
l’amateurisme des athlètes et la coopération amicale entre les peuples,
l’ensemble étant destiné à promouvoir la paix dans le monde et à faire
CHRONOLOGIE
Vers les Jeux
Juillet 2001
Les XXIX es Jeux olympiques sont
attribués à la Chine.
soumettant à la censure les informations diffusées par les médias étrangers en Chine.
8 août 2006
Octobre 2006
La Chine célèbre les deux ans jour pour
jour qui la séparent de la cérémonie
d’ouverture des Jeux olympiques.
Le Comité central du Parti communiste
chinois, réuni en plénum, entérine la
politique en faveur d’une “société harmonieuse” de son secrétaire général,
Hu Jintao.
Septembre 2006
Règlement gouvernemental chinois
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
27
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
disparaître l’incompréhension mutuelle entre les races. Les principes de
fair-play, de solidarité et de paix qu’incarne l’esprit olympique sont universellement reconnus comme les symboles de la civilisation moderne. Or
le PCC agit et se comporte de façon
tout à fait contraire à cet esprit. Avoir
accordé l’organisation des JO au pouvoir communiste, cet ennemi de la civilisation moderne, constitue déjà en
soi une violation de l’esprit olympique ! Beaucoup ont approuvé cette décision avec l’espoir nourri de bons
sentiments que cela favoriserait la diffusion de l’esprit olympique en Chine ou que cela contribuerait à aider la
Chine à achever sa mutation sociale
et à s’intégrer dans la civilisation mondiale moderne.
UNE SOUILLLURE HISTORIQUE
COMME EN 1936
Le problème est que le PCC est l’une
des plus grandes formations politiques
au monde à s’appuyer sur l’idéologie
et que, à ses yeux, l’organisation des
JO doit lui permettre de changer le
monde, ou du moins de parvenir à ses
fins sous le couvert du sport. Si c’était
le cas, l’humiliation qu’infligerait le
PCC aux Jeux olympiques ne serait
en rien inférieure à la souillure historique dont le mouvement nazi d’Hitler a entaché les JO de 1936.
■
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Page 28
m oye n - o r i e n t
●
ARABIE SAOUDITE
La société bouge, les religieux pas encore
Face aux bouleversements induits par l’ouverture du pays, la classe religieuse refuse d’évoluer.
Un célèbre éditorialiste saoudien critique avec virulence cette attitude.
AL-ITTIHAD
Abou Dhabi
e qui se passe en Arabie
Saoudite s’explique par la
contradiction entre la pensée religieuse et la réalité
sociale. La société a connu une vague
de changements sociologiques considérables depuis que les modes de vie
ont été révolutionnés par un niveau de
vie jamais atteint auparavant. Les structures sociales ont été bouleversées, l’enseignement n’a plus rien à voir avec ce
qu’il était il y a un demi-siècle et nos
valeurs se sont heurtées à des défis sans
équivalent. De même, nous nous
sommes ouverts sur l’étranger,
à travers les chaînes de télévision satellitaires et Internet, le tourisme et l’envoi
d’étudiants à l’étranger, les
contacts économiques, politiques et universitaires. Tout
cela a un impact sur notre société,
et il est normal que cela provoque des
remous. Or les religieux sont terrorisés par les conséquences de cette vague
de changements. Ils sont incapables
d’assimiler la réalité et restent prisonniers du passé.
C
Chaque année, au mois de ramadan, se répète la campagne d’hostilité
contre le feuilleton télévisé Tash ma
tash [Ça passe ou ça casse, diffusé pour
la première fois en 1993]. Certains de
ses acteurs ont fait l’objet d’attaques
virulentes dans les mosquées et sur
Internet. On est allé jusqu’à dire que
ce feuilleton transgressait la doctrine
religieuse. Pour qui veut bien les examiner avec un minimum d’objectivité,
Dessin
paru dans
The Economist,
Londres.
ILS RISQUENT D’ENTRAÎNER
LE PAYS VERS L’ABÎME
Le scénario, le jeu des acteurs, la crédibilité des personnages ou encore le
décor peuvent faire l’objet de critiques,
mais, en Arabie Saoudite, celles-ci sont
purement idéologiques. Elles révèlent
que certains n’ont pas encore compris
que l’art est une des principales sources
de transformation sociale. Cela s’explique aussi par l’absence de professionnels de la critique artistique. Aussi
les seuls commentaires que l’on peut
entendre à propos d’une œuvre proviennent-ils des religieux, qui n’ont
pourtant aucune compétence en la
matière.Tous les sujets peuvent faire
l’objet de débats.Tout peut être soumis à des considérations doctrinales
religieuses, puisqu’il faut respecter la
liberté d’opinion et de pensée. Mais
les religieux ont une attitude dogmatique qui interdit tout débat. A les en
croire, ils sont les garants de la religion et de la vertu, et tous ceux qui
ne partagent pas leur avis sont des
ennemis de la religion, des propagateurs du mal et de l’hérésie.
Le problème des religieux, c’est
qu’ils refusent l’idée selon laquelle
l’Histoire va de l’avant et n’a aucune
LES DÉFENSEURS DE FOI
TIENNENT À LEURS PRIVILÈGES
Parmi les sujets qui agitent notre pays
en ce moment, la femme occupe une
place centrale. Le voile, le droit de
conduire et la possibilité de travailler
pour celles qui le souhaiteraient figurent parmi les préoccupations majeures.
Certains demandent la démission du
ministre du Travail, Ghazi Gosaïbi,
auquel ils reprochent ses efforts pour
offrir plus de possibilités de travail aux
femmes. Il y a également la réforme
des manuels scolaires ainsi que des
attaques contre le ministre de l’Information, Iyad Madani, en raison de
l’ouverture de la télévision saoudienne
[voir l’article ci-contre].
A cela s’ajoute leur résistance à la
codification de la loi religieuse [ou charia, ce qui restreindrait la marge d’interprétation des sources historiques par
les jurisconsultes et restreindrait donc
leur rôle], leur rejet des idées démocratiques et de la participation politique.
Cela s’explique en premier lieu par leur
aversion pour tout ce qui est nouveau.
La pensée religieuse traditionnelle stipule l’obéissance au pouvoir en place et
se méfie de l’esprit critique, parce qu’elle
craint par-dessus tout que la communauté des croyants se divise. Et ses
tenants redoutent, bien sûr, que le débat
critique remette en question leur rang
et leurs privilèges financiers et politiques.
L’idée d’obéissance au pouvoir en place
est lourde de sens, puisque la légitimité
du pouvoir et celle des théologiens sont
liées, l’une et l’autre formant les deux
faces d’une même médaille.
toutes ces accusations sont sans fondement. Tash ma tash, à l’instar des
religieux, bénéficie d’une grande
popularité. Comment réconcilier la
popularité du premier avec celle des
seconds ? Les religieux ne se posent
pas la question, ce qui reviendrait à
reconnaître implicitement la légitimité
populaire de ce feuilleton.
raison de s’arrêter à telle ou telle
époque. Ils sont incapables d’analyser
la réalité et ne savent réagir que par le
rejet et l’invective. Cela explique leur
crispation et leurs réactions épidermiques démesurées. La pensée religieuse, si elle peut encore s’appuyer sur
le prestige de la religion et des sciences
religieuses, est en fait dépassée et risque
d’entraîner la société vers l’abîme.
Khaled Al-Dakhil
POLÉMIQUE
Anticléricalisme
■ “Comme dans tout pays, les hommes
de religion forment une classe sociale
en Arabie Saoudite. Cette classe a
ses propres institutions, ses propres
centres d’enseignement, ses propres
références culturelles, son propre langage, ses propres façons de penser et
d’envisager le monde”, écrit Khaled AlDakhil dans un de ses éditoriaux du quotidien Al-Ittihad. Cette classe est prise
à partie par une récente pétition publiée
sur le site <metransparent.com> et
signée par 160 intellectuels saoudiens.
“Nous exprimons le refus populaire de
la tutelle et du terrorisme intellectuel
qu’exerce une catégorie sinistre de la
société à l’encontre du ministre de l’Information”, écrivaient-ils, adressant par
ailleurs des louanges au ministre pour
sa “politique relativement tolérante à
l’égard des médias et le dynamisme
nouveau que connaît la scène culturelle
saoudienne”.
TÉLÉVISION
Une série qui se moque des intégristes
■ Cette année encore, pendant le ramadan,
le feuilleton Tash ma tash [Ça passe ou
ça casse] a fait un tabac et a rassemblé la
moitié des Saoudiens devant le petit écran.
Certains le détestent, d’autres l’adorent, ce
qui prouve qu’il y a une pluralité d’opinions.
Comme tous les ans, il a été le grand sujet
de discussion entre amis et dans la presse,
provoquant des débats dont nous avons
désespérément besoin. Le nombre d’articles
consacrés à la série est surprenant. Si elle
suscite un tel intérêt, c’est parce qu’elle
adopte une liber té de ton jamais vue auparavant.
Aux débuts de la télévision saoudienne, quand
il n’y avait qu’une seule chaîne, les gens regardaient toutes les émissions avec scepticisme.
Les chanteuses n’étaient pas autorisées ; les
films étrangers et arabes étaient remontés de
telle façon que leurs créateurs ne les auraient
probablement pas reconnus. Puis les satellites
ont fait leur apparition et ont mis fin au monopole de la télévision saoudienne. Les gens se
sont alors tournés vers les programmes télévisés étrangers. Tash ma tash a été une façon
intelligente de ramener les gens vers la télévision saoudienne, en leur donnant la possibilité de se reconnaître dans les questions
qu’elle aborde, à savoir l’extrémisme religieux,
les déficiences du système d’éducation saoudien et la discrimination à l’égard des femmes,
sujets qui étaient auparavant tabous.
Parmi les épisodes les plus commentés, il y
a celui qui aborde la conduite automobile des
femmes [actuellement interdite en Arabie
Saoudite]. Dans l’épisode, les personnages
en viennent à se demander si les femmes ont
le droit de monter un âne. Et, si oui, faut-il
qu’elles se limitent à des ânesses ? Et dans
ce cas, doivent-elles se dissimuler sous une
sorte de tente ne comprenant qu’une minuscule ouverture pour qu’elles puissent regarder devant elles ? Les scénaristes ont poussé
plus loin l’absurde, en faisant dire à des extrémistes qu’on pourrait éviter beaucoup de problèmes en obligeant les femmes à vivre dans
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
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DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
des villes qui leur seraient réservées et à ne
voir leur mari qu’une fois par semaine.
Un autre épisode s’est intéressé à la possibilité d’implanter les écoles de filles à côté
des écoles de garçons. Là encore, on s’en
prend au discours conservateur. On fait dire
à des religieux que la proximité présente
décidément des dangers et qu’il faut donc
installer les écoles de filles loin de celles
de garçons, en veillant à la direction du vent
afin que les odeurs des jeunes filles ne
soient pas portées vers l’école des garçons,
ce qui risquerait d’enflammer leurs ardeurs.
Pour finir, on décide également d’avoir des
rues réser vées aux filles et d’autres réservées aux garçons.
Cette caricature n’est pas venue à bout des
segments conservateurs de notre société et
a donné lieu aux habituels appels à la censure. Néanmoins, une fois que les gens ont
goûté à la liber té, ils n’acceptent plus ce
genre de pratiques du passé.
Abeer Mishkas, ArabNews, Djeddah
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m oye n - o r i e n t
SYRIE
Pèlerinage très politique à Sayida Zaynab
A la faveur de l’alliance avec l’Iran, le faubourg de Damas où est enterrée la petite-fille de Mahomet est devenu
un lieu où affluent les chiites. Depuis la chute de Saddam Hussein, les Irakiens y viennent en nombre.
vaillent dans les agences de voyages.
D’autres ont réalisé des gains considérables en louant des appartements.
C’est surtout la population originaire
de ce quartier qui en a profité.
AL-HAYAT
Londres
ohamed est un jeune
Irakien qui vit à Sayida
Zaynab depuis dix ans,
après avoir fui le régime
de Saddam Hussein. Sa famille possède une maison dans ce faubourg
situé à 7 kilomètres au sud-est de
Damas, où les loyers sont aussi élevés
que dans les quartiers les plus huppés
de la capitale. Il est aussi propriétaire
de sa propre échoppe dans le souk des
Irakiens, donnant sur une immense
place poussiéreuse, où les marchands
irakiens revendent des produits bon
marché de leur pays, tels que le cuir
ou les dattes.
Ce marché a pris son essor bien
avant la chute de Bagdad, en avril
2003, mais il a aujourd’hui de telles
dimensions qu’il concurrence ceux
du centre de Damas. Le coût d’un
emplacement en face du mausolée de
Sayida Zaynab s’élève maintenant
à environ 300 000 livres syriennes [4
700 euros] pendant les mois d’été,
tandis que la location d’un appartement dans les environs de ce mausolée coûte entre 1 500 et 2 500 livres
syriennes par jour [de 24 à 40 euros].
Quelque peu gêné par le brouhaha
de la foule qui se presse sur la place,
Mohamed explique que le nombre de
visiteurs irakiens est en constante augmentation, non plus pour fuir la dictature ou pour vendre des dattes, mais
pour faire le pèlerinage au mausolée
de Sayida Zaynab, petite-fille de
Mahomet [et fille d’Ali, quatrième
calife et figure fondatrice du chiisme].
D’emblée, ce quartier fait penser
à une ville irakienne : l’accent et le
M
TOUT LE MONDE VEUT PROFITER
DE L’AFFLUX DES TOURISTES
physique des habitants, les restaurants, qui servent toute sorte de mets
irakiens, ou encore les femmes toutes
de noir vêtues. Mais on y rencontre
aussi des [pèlerins chiites] iraniens,
libanais, bahreïnis et pakistanais.
Selon le maire, Adel Anouz, le
nombre de pèlerins avoisine le million chaque année, ce qui a complètement bouleversé la structure sociale
de la ville. Toujours selon M. Anouz,
elle abrite désormais 150 000 habitants, sans compter ceux du camp de
réfugiés palestiniens situé à proximité.
Bon nombre de ses concitoyens se
sont reconvertis dans les services aux
pèlerins pieux et pauvres ou tra-
Mais il y a aussi les autres, les réfugiés palestiniens, dont le camp se distingue par ses maisons insalubres
bien qu’il se situe à proximité de la
zone commerciale, et les exilés venus
du Golan en 1967, dont le nombre
est estimé à 12 000. Les familles
vivant à la périphérie du quartier, et
initialement exclues des bénéfices du
tourisme religieux, tentent néanmoins de s’en sortir. C’est le cas
notamment d’Abou Yassine, qui a
installé sa famille pendant un mois
sur le toit de sa modeste maison pour
pouvoir louer les chambres à une
famille irakienne. D’autres se débrouillent pour obtenir auprès de la
mairie un emplacement stratégique
sur un trottoir afin de vendre des
bricoles aux pèlerins.Tous attendent
l’été – la saison la plus juteuse, qui
voit arriver les touristes originaires
des pétromonarchies du Golfe.
Dessin paru
dans Adineh,
Téhéran.
EXIL
Retrouvailles irakiennes au Caire
■ Parmi les innombrables Irakiens de
toutes confessions qui ont fui les violences de leur pays, beaucoup se
retrouvent en Egypte. En l’absence de
chiffres officiels, on estime que leur
nombre est passé d’environ 800 avant
2003 à plusieurs dizaines de milliers
aujourd’hui. Mohand est sunnite, mais
originaire de Bassorah, dans le Sud
chiite de l’Irak. Il a fui les persécutions
confessionnelles. Quant à Hussein, il
est chiite de Bagdad et a fui le chaos
qui frappe aveuglément tous les habitants de cette ville. Tous deux appartiennent à cette communauté d’Irakiens
qui, dans une des banlieues du Caire,
se côtoient dans les immeubles où ils
se regroupent afin de garder leurs coutumes et parler entre eux dans leur dialecte. En plus de la difficulté qu’il y a
à trouver un gagne-pain dans cette
Egypte rongée par le chômage, ils doivent se débrouiller pour placer leurs
enfants dans une école privée et faire
prolonger leurs titres de séjour. La plupar t des Irakiens par tent d’abord en
Syrie par la route et arrivent ensuite en
Egypte par avion avec un visa de tourisme. Selon certains témoignages, un
tel visa peut coûter jusqu’à 2 500
euros, bien qu’il ne soit valable que
trois mois. Cette vague d’immigration
irakienne sur les bords du Nil n’est pas
la première. Durant la guerre Irak-Iran,
de 1980 à 1988, nombreux étaient
ceux qui avaient fui un pays déjà
dévasté par la dictature et la guerre.
Mais c’est dès 1958, après le renversement du roi Fayçal à Bagdad, qu’une
première vague de réfugiés était arrivée au Caire. Parmi eux, un jeune
homme dénommé Saddam Hussein y
était resté jusqu’en 1963, date du premier coup d’Etat baasiste.
Mohamed Moustafa et Iman Ali,
Asharq Al-Awsat (extraits), Londres
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
29
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
Selon Abou Samer, âgé de 48 ans,
qui a réussi dans les affaires en s’associant à des marchands de tissu iraniens, l’essor de la ville grâce au tourisme religieux relève du pur hasard.
“Lorsque les réfugiés originaires du
Golan sont arrivés ici, après la guerre de
juin 1967, il n’y avait dans la région que
des fermes et des vergers. Le terrain y
était très bon marché, et personne ici
n’imaginait que ce mausolée pouvait
attirer autant de monde.Tout cela n’a
changé qu’au milieu des années 1980.
C’est alors seulement que les Iraniens ont
découvert l’intérêt qu’il y avait à développer le tourisme religieux de masse
à cet endroit”, explique-t-il. C’est
d’ailleurs à cette époque que l’Iran et
la Syrie ont commencé à mettre en
place leur alliance régionale autour
du soutien au Hezbollah libanais, lui
aussi chiite.
Mohamed Al-Akhdar
W W W.
Toute l’actualité internationale
au jour le jour sur
courrierinternational.com
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afrique
●
R É P U B L I QU E D É M O C R AT I QU E D U C O N G O
Quand le Kivu vote pour la paix
Dans les régions orientales de la RDC, qui sont particulièrement instables, les électeurs ont été nombreux
à se rendre aux urnes le 30 octobre pour choisir leur nouveau président. Choses vues.
LE SOIR
Bruxelles
éjà sollicités lors du référendum constitutionnel et
du premier tour de la présidentielle, les Congolais
seraient-ils devenus blasés ? Habitués
en tout cas aux consultations électorales, à tel point que ce dernier scrutin a gagné en organisation ce qu’il
a perdu en affluence. [Les Congolais
devaient choisir le 30 octobre entre
les deux candidats arrivés en tête du
premier tour de la présidentielle,
Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba.
En juillet, Kabila, le président en exercice avait obtenu 44 % des suffrages,
contre 20 % pour Bemba. Les résultats définitifs du second tour devraient
être connus dans trois semaines.]
A Goma, les électeurs de la ville,
qui en juillet se pressaient avant
l’aube devant les bureaux de vote,
sont cette fois allés d’abord à l’église
ou au temple. Comme toutes les
confessions relig ieuses avaient
avancé l’heure des offices, c’est vers
10 heures que les files ont commencé
à se former. Calmes, respectueux les
uns des autres, les électeurs se sont
alignés en silence, surveillés par des
policiers débonnaires qui se sont bien
abstenus cette fois de solliciter le
moindre matabiche [bakchich]. Dans
les bureaux de vote, le choix du futur
président – une simple croix à mettre
à côté d’un visage – est une formalité
expédiée rapidement et sans états
d’âme. En revanche, la désignation
des élus à l’Assemblée provinciale
s’avère plus ardue, car les visages des
candidats s’étalent sur six pages.
D
“KABILA VA RAMENER
LES BLANCS POUR NOUS AIDER”
Paluku Boaze, chef de centre à Jiwe,
un hameau installé à même la coulée de lave, reconnaît que les électeurs ont souvent sollicité son aide.
“Analphabètes ou souffrant d’une vue
déficiente, ils ne distinguent ni les noms
ni les partis. S’ils savent pour qui ils veulent voter, je désigne alors trois témoins
qui les assistent dans l’isoloir, en veillant
à ce qu’il n’y ait pas de tricherie.”
Vigilance et transparence… Tels
sont les maîtres mots des témoins,
bien plus nombreux que lors du premier tour, qui se serrent sur les bancs
d’école. Ils sont envoyés par les différents partis, les groupes religieux,
les organisations de la société civile.
Dans certains centres, ils sont tellement nombreux qu’ils ne sont
admis dans les bureaux qu’à tour de
rôle.Tous sont volontaires, bénévoles
et, présents depuis 5 heures du
matin, ils s’apprêtent à passer la nuit
à surveiller le dépouillement. Leur
zèle sera récompensé : ils seront les
premiers informés des résultats de
Dessin
de Glez paru
dans le Journal
du jeudi,
Ouagadougou.
Scrutin
historique
L’élection
qui s’est déroulée
entre juillet
et octobre 2006
en république
démocratique
du Congo est
le premier scrutin
pluraliste et libre
depuis plus
de quarante ans
dans cette
ex-colonie belge.
L’organisation
de la consultation
a coûté plus
de 500 millions
de dollars
à la communauté
internationale.
leurs bureaux respectifs, qu’ils
communiqueront alor s à leur s
organisations.
Comment peut-on vouloir vivre
au pied du volcan Nyiragongo, comment peut-on y voter ? En 1938, puis
dans les années 1970 et enfin en
2002, une coulée de lave submergea
le village, les cultures, et les habitants,
qui avaient tout perdu, fuirent jusqu’au Rwanda. Ils y restèrent deux
jour s puis, sur la boue encore
fumante, se réinstallèrent. Aujourd’hui, des bananiers poussent dans
les anfractuosités et, pour avoir de
l’eau potable, les habitants doivent
se rendre à Goma, à 8 kilomètres
d’ici, car les sources sont polluées ;
à tout moment, des groupes armés
viennent leur voler quelques biens,
recruter les garçons pour la guerre,
les filles pour d’autres services.
Le bureau de vote se compose de
quelques planches plantées sur la
lave, mais il y a des listes, des isoloirs,
une organisation impeccable. Qu’espèrent ces gens pauvrement vêtus,
qui attendent sous le soleil ? Deux
mots-clés fusent : “amani” [paix en
swahili] et “maendeleo” [développement].Valentin, un garçon qui a déjà
été recruté plusieurs fois par les
milices, ajoute, approuvé par ses
compagnons de file : “Nous allons
voter pour celui qui a déjà commencé
à construire la paix.”
Même son de cloche à Nyabyunyu, près du lac Vert : Jean-Claude et
Adrien – l’un maçon, l’autre électricien – espèrent que les élections les
mèneront à la paix, leur donneront
enfin du travail. “Nous en avons assez
de rester à la maison et l’agriculture ne
suffit pas.” Dans ces campagnes hantées par la guerre, dévastées par les
caprices de la nature, où les réfugiés
hutus détruisirent champs et forêts
avant de s’enfuir ou de rentrer au
Rwanda, le président Joseph Kabila
incarne sans conteste la volonté de
paix qui hante tout le monde. Un vieil
homme ajoute : “En plus, lui, il ramènera les Blancs pour nous aider.” A
Mugunga, où les cultures ont désormais remplacé l’ancien camp de
réfugiés hutus, Sara Chisanye ne se
contente pas de commenter le scrutin
présidentiel. Pour elle, les élections
provinciales sont tout aussi importantes : il faut choisir des gens qui aideront les pauvres, qui rétabliront le système judiciaire. “Par trois fois, mon fils
a déjà été dépossédé de sa parcelle, tout
simplement parce qu’il ne pouvait pas
payer le juge.” Safari Bahati, lui, espère
la sécurité : démobilisé, il n’a jamais
touché la prime promise, et son petit
frère a été recruté de force par un chef
de guerre, Laurent Nkunda. “Si je n’ai
rien pour vivre, moi aussi je vais devoir
rejoindre un groupe rebelle.”
Colette Braeckman
W W W.
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A N A LY S E
Une élection loin d’être jouée d’avance
L’issue de la présidentielle
reste ouverte. Principal facteur
d’incertitude : le taux
de participation, estime l’éditorialiste
du Potentiel de Kinshasa.
insi, tôt le matin, malgré le temps
capricieux, les Congolais se sont
rendus aux urnes pour accomplir leur
devoir civique. Ils se sont longtemps préparés à cette élection en vue de donner
un sens à leur vote. Un vote utile, qui
doit départager les deux candidats à la
présidentielle 2006. Le peuple congolais a donné au monde une belle leçon
de civisme, de dignité et de responsabilité. Il ne reste plus qu’à attendre le
dépouillement et la proclamation des
résultats. Des moments délicats, car
il suffit de l’amplification d’une rumeur
ou d’une mauvaise manipulation des
chiffres pour faire renaître la violence.
Qui, de Joseph Kabila ou de Jean-Pierre
A
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
30
Bemba, l’emportera ? La question est
difficile, et pour en savoir plus il faudra attendre les premiers résultats de
la Commission électorale indépendante. Tout va se jouer sur le taux de
participation. Lors du premier tour, le
30 juillet 2006, le taux de participation
avait été de 75 % des personnes enregistrées (c’est-à-dire celles qui avaient
obtenu leur car te d’électeur). Soit
25 millions d’électeurs. Ce chiffre serat-il dépassé ?
A analyser certaines données, on doute
for t que l’on atteigne ce plafond. La
campagne du second tour a en effet été
plutôt terne, ce qui n’a pas permis une
grande mobilisation des populations.
Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba
n’ont pas quitté la capitale, essentiellement pour des raisons de sécurité.
La peur les a contraints à mobiliser
leurs troupes à partir de leurs bureaux
ou états-majors. Au-delà, ils n’ont pas
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
permis à la population congolaise de
prendre connaissance de leur programme d’action et de leur projet de
société. D’autre part, une partie de ceux
qui avaient donné leur voix à certains
candidats malheureux du premier tour
ne se sont pas donné la peine de se
rendre une seconde fois aux urnes. Par
fidélité. Pour finir, certaines alliances
électorales scellées entre les deux tours
n’ont pas forcément convaincu les électeurs. Le respect des consignes de vote
est loin d’être acquis d’avance.
Le sor t de Joseph Kabila et de JeanPierre Bemba se jouera sur le taux de
par ticipation. Il faut donc attendre
dans le calme la proclamation des
résultats par tiels par la Commission
électorale indépendante. On espère
que la CEI le fera dans un délai assez
cour t, afin d’éviter des spéculations
por teuses de violences.
Le Potentiel, Kinshasa
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C E N T R A F R I QU E
L’écotourisme au secours du “peuple de la forêt”
Aux frontières du Centrafrique, du Cameroun et du Congo, des parcs nationaux ont été récemment créés.
Les Occidentaux y viennent observer les gorilles. Et apporter une manne financière inespérée aux Pygmées.
THE NEW YORK TIMES
New York
BAYANGA,
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
Dessin
a première chose qu’on
vous dit ici, c’est de ne pas
jouer avec les éléphants ou
les gorilles. Une jeune Italienne s’est fait réduire en bouillie par
un jeune éléphant mâle qui voulait
jouer avec elle. Approchez-vous un
peu trop des gorilles et vous vous ferez
charger par un mâle “dos argenté” de
190 kilos ; si vous avez de la chance,
il s’arrêtera à quelques centimètres de
vous et frappera le sol de rage.
Si vous ne pouvez pas jouer avec
les animaux, vous pouvez les regarder
– et aucun lieu au monde ne s’y prête
aussi bien que cette jungle reculée qui
s’étend sur la République centrafricaine, le Cameroun et la république
du Congo. Ces trois pays viennent de
joindre leurs forces pour la préserver
en créant des parcs nationaux voisins.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre
d’une tendance qui mérite le soutien
de l’Occident : les pays pauvres s’efforcent désormais de se créer des perspectives économiques en protégeant
la nature plutôt qu’en la pillant. L’entreprise menée en Centrafrique est
sans doute la plus ambitieuse et la plus
improbable, car ce pays est dans un
triste état : l’espérance de vie y est de
38 ans et chute de six mois tous les
ans, un enfant sur cinq meurt avant
l’âge de 5 ans et le gouvernement n’a
aucune réalité hors de la capitale.
Si nombre de parcs nationaux africains n’existent que sur le papier, celuici est bien réel. Les gardes patrouillent
activement et traquent les braconniers
au-delà des frontières. Ils ont saisi
70 000 pièges rien que l’année dernière. C’est le seul endroit du monde
où l’on peut encore voir des gorilles
des plaines de l’Ouest (qui sont encore
plus discrets que les gorilles de montagne du Rwanda). Avec un étudiant
en journalisme qui m’a accompagné,
L
de Kazanevsky,
Ukraine.
j’ai passé deux heures avec treize gorilles. Nous sommes restés à plus de
10 mètres, mais à un moment notre
guide s’est figé et nous a murmuré
qu’une femelle demandait au “dos
argenté” de nous charger. Heureusement, celui-ci a adopté l’attitude classique du mari confronté aux exigences
de sa femme : il a fait semblant de ne
pas avoir entendu.
MOINS DE 1 000 VISITEURS
ÉTRANGERS PAR ANNÉE
Cette entreprise est soutenue par le
Fonds mondial pour la nature
(WWF). L’organisation a une équipe,
composée entre autres de volontaires
américains, qui traîne avec les gorilles
toute la journée pour les habituer à la
présence de l’homme. Or c’est un
équilibre délicat à atteindre : les touristes risquent d’apporter des maladies mortelles pour les animaux. Et les
dos argentés auront peut-être du mal
à convaincre les femelles de rejoindre
leur harem s’il y a des hommes autour.
Nombre d’Africains sont hostiles
aux parcs nationaux, en partie parce
que ceux-ci consacrent de vastes ressources à la préservation des animaux
pour le plaisir des étrangers riches
– alors que la vie des gens du coin
tient souvent à quelques dollars.
AoukAoukalé
TCHAD
BahrOulou
SOUDAN
Manovo-GoundaSt-Floris**
KoukourouBamingui*
Bouar
Aire protégée
transfrontalière
Berberati
Zémongo
RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE
Courrier international
Gribingui
Bamingui*
OuandjaVakaga
André Felix
Yata-Ngaya
Awakaba
BaminguiBangoran*
NanaBarya
Cependant, si les gorilles parviennent
à attirer les riches Occidentaux, l’écotourisme deviendra peut-être un atout
économique plus durable que la déforestation sauvage. Le parc reçoit pour
le moment moins de 1 000 étrangers
chaque année.
“Dans le passé, on s’est trompé”,
confie Chloe Cipolletta, une Italienne
qui vit avec les gorilles depuis neuf
ans. Il est indispensable que les programmes de protection bénéficient
à la population locale autant qu’aux
animaux. Le WWF a donc engagé
31 Pygmées Bibayagas pour jouer les
pisteurs et les guides, et les autres peuvent gagner de l’argent en montrant
aux touristes comment capturer les
antilopes au filet.
Je suis arrivé ici de nuit après avoir
franchi une rivière en canoë à partir
du Cameroun et crapahuté jusqu’à un
village pygmée. On me conduit à quelqu’un que je prends pour le chef local,
jusqu’à ce qu’il sorte de la pénombre :
c’est un grand Blanc qui me salue dans
un anglais très américain. Louis Sarno,
Bambari
Bangui
DzangaSangha
CA
M
ER
CONGO
O
UN
DzangaNdoki
BasseLobaye*
Oubangui
RÉP. DÉM. DU CONGO
Parc national
* Réserve de biosphère.
** Site du patrimoine mondial
Réserve de faune
0
200 km
Réserve à statut particulier
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31
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
du New Jersey, a entendu un jour de
la musique pygmée à la radio ; fasciné,
il s’est rendu sur place – c’était il y a
vingt ans – et il est resté.
Sarno a épousé une femme du cru
et appris sa langue. Il a des crises de
paludisme, va chasser dans la jungle
pendant des semaines avec les autres
et s’intègre parfaitement (si ce n’est
qu’il est nul au javelot).
C’est désormais un défenseur
farouche du “peuple de la forêt”,
comme les Pygmées préfèrent souvent
être appelés. Sarno fait remarquer que
la déforestation a profité aux dirigeants corrompus sans rien apporter aux autochtones. L’écotourisme
est selon lui le meilleur espoir de développement économique pour les gens
du coin. L’Afrique est parfois un triste
continent et les informations n’évoquent habituellement que génocides,
corruption et maladies. Mais ce rêve
audacieux de préserver la forêt et le
mode de vie de ses habitants montre
que l’Afrique se bat pour perpétuer
sa splendeur.
Nicholas D. Kristof
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e n c o u ve r t u re
●
Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, Cuba.
BUSH FACE À LA DÉROUTE
■ Et si les démocrates remportaient les élections législatives du 7 novembre ? La presse américaine
l’envisage désormais sérieusement. ■ Pour beaucoup, la majorité semble leur être acquise à la
Chambre des représentants. Et certains pensent que le Sénat pourrait également basculer. ■ Bush
et son équipe ont en effet déçu leurs partisans, y compris dans l’armée et dans les milieux chrétiens,
qui donnent traditionnellement leurs voix aux républicains. Pour ce qui est des démocrates,
ils auront su avant tout profiter des effets désastreux de l’interminable aventure irakienne.
Scénarios pour une fin de règne
Une victoire des démocrates compliquerait sérieusement
les deux dernières années du second mandat
du président. Notamment en raison des enquêtes
qu’ils pourraient lancer sur son gouvernement.
THE WASHINGTON POST
Washington
S
WEB+
Plus d’infos sur
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Les résultats des
élections américaines
et les meilleures
analyses dès
le 8 novembre.
contrôler les actions de l’administration Bush,
alors que les démocrates sont impatients de
réexaminer une série de questions, comme la
visite de responsables d’Exxon, de Shell Oil ou
de BP America à la Maison-Blanche, venus discuter avec les assistants de Dick Cheney chargés
d’élaborer une politique nationale de l’énergie,
le scandale du lobbyiste Jack Abramoff ou encore
les préparatifs de la guerre en Irak. “Il est évident
que cela changera profondément les choses”, admet
Charles Black, un lobbyiste républicain lié à la
Maison-Blanche. “L’Histoire nous enseigne que les
gouvernements ont toujours beaucoup de mal à mettre
en œuvre leurs projets au cours des deux dernières
années de leur mandat. Je pense que le président présentera un bon catalogue d’idées et se montrera aussi
combatif que possible.” Mais Black ajoute aussitôt
qu’avec une majorité démocrate dans l’une ou
l’autre des Chambres, et à plus forte raison dans
les deux, les choses pourraient être autrement
plus difficiles.
“Bush perdrait le contrôle de son agenda”,
pronostique Steve Elmendorf, ancien conseiller
auprès du groupe démocrate de la Chambre
des représentants. “Il serait alors dans l’obligation de prendre une décision. Sera-t-il prêt à faire
des compromis et à travailler de manière construc-
moins en privé qu’ils se préparent à une telle
éventualité, de plus en plus probable à leurs
yeux. Pendant ce temps, les chefs démocrates
se concertent pour envisager ce qu’ils feront au
cas où les électeurs les remettraient en selle.
Enhardis par leur victoire et animés d’une
vive rancœur en raison de ce qu’ils ont vécu
durant des années, les démocrates pourraient
bloquer les projets de Bush, le forcer à se positionner par rapport à leurs propres propositions
et placer la présidence sous une surveillance
constante. Une victoire démocrate, estiment les
analystes des deux partis, pourrait signifier qu’une
partie des réductions d’impôt décidées par Bush
ne seraient pas renouvelées, que ses tentatives de
faire passer son plan de réforme des retraites
seraient enrayées et que les projets visant à renforcer le pouvoir des agences de la sécurité nationale – projets qui suscitent l’inquiétude grandissante de l’opinion – seraient mis en échec.
Mais le principal souci de la Maison-Blanche
concerne la possibilité de pouvoir lancer des
enquêtes sur l’action du gouvernement dont disposeraient les démocrates s’ils obtenaient la majorité au Sénat ou à la Chambre des représentants.
Depuis des années, les républicains font preuve
d’une extrême déférence dans leur manière de
SIX ANS DE DÉGRINGOLADE
Cote de popularité de George W. Bush (en %)
Attentats du Chute du régime taliban
11 septembre 2001 en Afghanistan
Début de la guerre
90 %
en Irak
Arrestation
de Saddam Hussein
80
RÉÉLECTION
À LA MAISON-BLANCHE
70
60
Ouragan
Katrina
50
Elimination
d’Abou Moussab
Al-Zarqaoui
40
30
20
2001
2002
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
2003
32
2004
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
2005
2006
Source : Gallup
ur les bureaux de l’aile ouest de la Maison-Blanche, les horloges égrènent le
nombre de jours et d’heures qui restent
avant la fin de la présidence de George
W. Bush. Pour l’entourage du président,
elles sont autant de rappels à utiliser
le temps qui reste de façon aussi efficace que
possible. Aujourd’hui, mardi 31 octobre, les horloges affichent 812 jours, mais, si les élections
se déroulent conformément aux prévisions des
experts et des instituts de sondages, elles pourraient aussi bien indiquer le chiffre 7.
Cette échéance pourrait en tout cas marquer
pour George W. Bush la fin de sa présidence telle
qu’il l’a vécue jusqu’ici. Car, si les démocrates,
emportaient le 7 novembre la majorité dans l’une
des deux Chambres du Congrès, la nouvelle
donne modifierait profondément la fin de son
mandat et bouleverserait le rapport des forces
politiques à Washington. Mettant un terme à un
quasi-exil de douze ans, les congressistes démocrates – à l’issue d’une campagne beaucoup plus
consacrée à combattre les idées de Bush qu’à
exposer leur propre vision – seraient à nouveau
en position de participer aux affaires.
A Washington, les principaux responsables
des deux partis tentent de déterminer ce que
signifierait une victoire démocrate aux élections
de mi-mandat. Ces dernières semaines, Bush a
organisé plusieurs réunions avec ses chefs de
cabinet afin de définir un projet pour ses deux
dernières années de présidence. La MaisonBlanche a beau affirmer qu’elle n’élabore aucun
plan B en cas de victoire démocrate, les
conseillers de Bush n’en reconnaissent pas
Thomas Fuchs
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AUTOCRITIQUE
Seul un miracle…
Pour le rédacteur en chef
de l’hebdomadaire conservateur
The Weekly Standard, les jeux
sont faits. Non seulement
les républicains ont déjà perdu
les élections, mais leur déroute
est bien méritée.
épublicains et conser vateurs,
préparez-vous ! Les stratèges et
consultants des deux camps considèrent d’ores et déjà que la Chambre
des représentants est perdue et sera
présidée par Nancy Pelosi, l’actuelle
chef de la minorité démocrate. Au
mieux, les républicains conserveront
le Sénat avec un siège de majorité
(deux, tout au plus). Par le passé,
les républicains marchaient très fort
dans les mois d’octobre précédant
les élections. Leurs vastes campagnes médiatiques et leurs stratèges leur permettaient de regagner
le terrain perdu pour finalement l’emporter en novembre. En 2006, c’est
au mois de septembre qu’ils ont rallié l’opinion, jusqu’au jour fatal du
29 septembre quand a éclaté le scandale Mark Foley [nom du représentant républicain de Floride contraint
à la démission pour avoir fait des
avances à plusieurs stagiaires du
Congrès]. Il s’en est suivi un mois
d’octobre tout aussi catastrophique.
La cote de popularité du président
est propor tionnelle aux résultats
du parti présidentiel lors des élections de mi-mandat. C’est simple :
une forte popularité se traduit par
la victoire, une faible popularité
par la défaite.
En octobre 2002, quand Bush était
crédité dans les sondages de 62 %
d’opinions favorables, les républicains avaient gagné six sièges à la
Chambre des représentants et deux
au Sénat. Le président est désormais
à 37 % d’opinions favorables. La
conclusion est inévitable. Il n’a plus
l’influence dont il disposait auprès
des électeurs il y a quatre ans.
Plus grave encore, les présidents
associés à des guerres impopulaires sont toujours un handicap
pour leur parti.
Le scandale Foley a eu deux effets
néfastes pour les républicains. Il a
arrêté net l’élan républicain, déjà bien
entamé par l’ouvrage du journaliste
Bob Woodward State of Denial
[Simon & Schuster, non traduit], paru
fin septembre et qui donne une
image négative du gouvernement.
Mais il a surtout profondément modifié le thème de la campagne. De la
sécurité nationale, qui est le point
R
L’âne est le symbole du Parti démocrate. Sur la table de jeu : les Etats où les élections seront les plus serrées. Dessin de Danziger, Etats-Unis.
tive avec les démocrates ou bien persistera-t-il dans
la même direction, au risque de tout perdre ?”
Une situation analogue s’est présentée la
dernière fois que le Congrès a changé de mains,
à l’occasion des élections de 1994 ; les républicains sont devenus majoritaires dans les deux
Chambres et le sont encore. Le président Bill
Clinton ne put rien faire d’autre qu’invoquer
“le premier rôle que lui conférait la Constitution”
alors même que le président de la Chambre des
représentants, Newt Gingrich, et ses collègues
républicains prenaient l’initiative. Clinton finit
toutefois par rétablir sa position au travers d’un
mélange de confrontation avec les républicains,
notamment par un raidissement des positions
de son gouvernement, et d’une “triangulation”
par laquelle il se rallia à certaines de leurs propositions comme la refonte du système de protection sociale.
La différence, c’est que la présidence de
Clinton était récente, alors que Bush va entrer
dans la phase finale de son administration – et
qu’il est empêtré dans une guerre impopulaire.
Certains républicains pensent cependant que
Bush pourrait s’en sortir en évitant les démocrates, comme Clinton l’avait fait avec Gingrich.
Ou alors il pourrait adopter le mode de fonctionnement plus bipartisan qu’il a promis d’importer du Texas et saisir ainsi des occasions
d’avancer sur des questions comme celle de
l’immigration, pour laquelle sa proposition d’accueillir des “travailleurs invités” a été bloquée
par son propre parti. “Une des leçons dont pourrait s’inspirer le président Bush au cas où il perdrait
l’une ou l’autre des Chambres, c’est l’exemple californien”, explique Sergio Bendixen, un sondeur
travaillant pour les démocrates. “En 2005, à
la même époque, tout le monde pensait que le gouverneur Arnold Schwarzenegger se trouvait dans
une position extrêmement délicate, alors qu’aujourd’hui on estime qu’il sera réélu haut la main.
Comment a-t-il retourné la situation en sa faveur ?
Simple : de républicain farouchement partisan, il
est devenu quelqu’un qui n’hésite pas à travailler
avec le parti adverse. Cela ne me surprendrait pas
que Bush fasse la même chose.”
De fait, la méthode bipartisane a été une
denrée rare depuis que Bush a accédé à la présidence. Pour la Maison-Blanche, toute la question est de savoir si les démocrates seront disposés à devenir des partenaires. Si les démocrates
considèrent que Bush est indécrottablement partisan, ses conseillers estiment pour leur part que
les démocrates ont souvent pratiqué une obstruction délibérée, même sur des questions qui
ne prêtaient guère à controverse. Etant donné
la suspicion mutuelle dans laquelle les deux partis se tiennent, ils pourraient avoir quelques difficultés à travailler de concert.
Peter Baker et Michael A. Fletcher
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
33
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
fort des républicains, on est passé
aux sordides agissements des républicains à Washington et aux ratés
de la guerre en Irak. Les démocrates,
quant à eux, ont eu de la chance et
ils en ont eu toute l’année.
S’il y avait une justice en politique,
les démocrates seraient autant dans
le pétrin que les républicains et aussi
vulnérables. Ils ont passé leur temps
à faire de l’obstruction au Congrès.
Ils se sont opposés aux baisses d’impôt, ont fait preuve de mollesse sur
la question du terrorisme et se sont,
d’une façon générale, montrés insupportables. Nancy Pelosi est d’ailleurs
la personnalité politique la plus détestée des Etats-Unis. Cependant, en
cette sixième année de présidence
de George W. Bush, le problème ne
concerne pas les démocrates, mais
les républicains. Dans ses discours,
le président continue de se concentrer
sur le terrorisme et sur les impôts.
Si les démocrates remportent la majorité à la Chambre des représentants,
“ils augmenteront vos impôts et
trouveront de nouveaux moyens de
dépenser votre argent”, a déclaré
Bush lors d’un récent meeting. “Quel
est le parti qui a donné à ceux qui
étaient chargés de vous protéger les
moyens nécessaires pour le faire ?”
a-t-il demandé à propos de la sécurité
nationale. Il n’a même pas eu besoin
de préciser de qui il s’agissait.
Le problème, c’est que la sécurité
nationale n’est plus le principal
thème de la campagne. Et ce n’est
pas en serinant qu’il faudrait qu’elle
le soit qu’elle le deviendra. Ce qu’il
faut, c’est un événement, un gros
événement, pour cristalliser la question de façon à mettre en valeur les
forces des républicains et les faiblesses démocrates. Bien entendu,
il reste peu de temps pour un événement majeur. L’essai nucléaire
nord-coréen n’a pas été assez important pour changer le cours de la campagne. Bien qu’en tête de tous les
sondages à quelques jours des élections, les démocrates redoutent une
manœuvre de dernière minute de
leurs adversaires. Et si Karl Rove, le
conseiller de la Maison-Blanche,
s’était arrangé pour capturer Oussama Ben Laden de façon à pouvoir
l’annoncer quelques jours avant le
scrutin ? Karl Rove est certes intelligent, mais pas à ce point. C’est
pourquoi républicains et conservateurs doivent se préparer à de bien
mauvaises nouvelles le soir du
7 novembre.
Fred Barnes,
The Weekly Standard, Washington
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e n c o u ve r t u re
La droite n’a plus le monopole de la foi
Déçus par Bush, de nombreux
chrétiens vont donner leur voix
au Parti démocrate.
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR
Boston
epuis que George W. Bush a déclaré que
Jésus était son philosophe préféré et s’est
présenté comme un homme animé
d’une foi profonde, on a eu tendance à
considérer que les républicains étaient
des “amis de la religion” et que les démocrates laissaient à désirer dans ce domaine. Mais
les choses sont peut-être en train de changer.
A l’approche des élections, les sondages font
apparaître un glissement en faveur des démocrates. Au mois d’octobre, un sondage Gallup a
révélé que les intentions de vote des Blancs chrétiens étaient également réparties entre démocrates et républicains. Un sondage du Pew
Research Center indique également que seuls
57 % des Blancs évangéliques comptent apporter
leurs suffrages aux républicains, alors qu’ils
étaient 68 % en 2002 et 74 % en 2004. “Les républicains ont de gros problèmes avec les Blancs évangéliques mais plus encore avec les catholiques”, souligne John Green, chercheur au Pew Forum on
Religion & Public Life. “Le sondage montre qu’une
majorité de ces derniers ont l’intention de voter démocrate,ce qui nous ramène dix ou vingt ans en arrière.”
Cette évolution reflète la perte de soutien
dont le gouvernement et le Congrès républicains
pâtissent actuellement du fait de la guerre en Irak
et de la multiplication des scandales. “Plusieurs
D
Sur les panneaux :
Electeurs attachés
aux valeurs ; gauche,
centre, droite.
Dessin de Kal
paru dans
The Economist,
Londres.
facteurs font que l’enthousiasme est moins grand qu’il
y a deux ans”, analyse Tony Perkins, président de
Family Research Council, un think tank conservateur. “Nous ne sommes pas dans une année d’élection présidentielle,aussi la ‘menace’du mariage homosexuel est-elle moins présente dans les esprits, tandis
que les scandales se sont multipliés au sein du Parti
républicain. L’affaire Foley [représentant républicain
de Floride contraint à la démission le 29 septembre
2006 pour avoir fait des avances à des stagiaires du
Congrès] a notamment conduit les gens à prendre du
recul et à se poser des questions sur les valeurs fondamentales du Parti républicain.
Au lendemain de l’élection de 2004, pourtant, l’expression “values voter” [électeur attaché
aux valeurs morales] était sur toutes les lèvres.
Le candidat démocrate John Kerry s’est vu reprocher de n’avoir pas parlé le langage de la foi avec
suffisamment de conviction et le Parti démocrate
d’être hostile aux religions. Ces critiques ont alors
encouragé les croyants non conservateurs à s’exprimer plus librement. Des progressistes ont
publié une foule d’ouvrages proclamant que les
valeurs chrétiennes allaient bien au-delà de celles
défendues par les conservateurs et incluaient
l’aide aux défavorisés et la défense de l’environnement. Un certain nombre d’organisations ont
également vu le jour afin de galvaniser les chrétiens progressistes. Cette conversion a été particulièrement sensible pendant la campagne électorale pour les élections de mi-mandat. Dans le
Tennessee, le démocrate Harold Ford Jr, candidat
au Sénat, n’a ainsi pas hésité à tourner un spot
de campagne depuis l’église de sa paroisse et à
publier une déclaration de foi sur son site Internet. Bob Casey Jr, un démocrate qui se présente
en Pennsylvanie contre le sénateur républicain
Rick Santorum, s’est, lui, farouchement opposé
à l’avortement au nom de ses valeurs morales.
Enfin, la déception des chrétiens conservateurs est un autre facteur à prendre en compte.
En pleine affaire Foley, David Kuo, l’ancien directeur adjoint du bureau des initiatives religieuses
de la Maison-Blanche, a publié un livre explosif. Cet ouvrage, intitulé Tempting Faith [Tentation de la foi], décrit un gouvernement Bush
très méprisant à l’égard des chefs de congrégation et manipulant les chrétiens à des fins politiques. A la fin du livre, l’auteur enjoint même
les chrétiens à observer un “jeûne” politique au
cours des deux ans à venir.
Jane Lampman
FORCES ARMÉES
Quand des généraux appellent à voter pour l’opposition
■ Deux généraux américains à la retraite,
qui ont servi en Irak et votaient jusque-là
pour les républicains, soutiennent désormais ouvertement les démocrates. Avec l’appui d’un haut responsable militaire encore
en activité, ils se disent convaincus qu’une
victoire des démocrates au Congrès permettrait d’inverser le cours de ce qu’ils considèrent comme la politique désastreuse du
gouvernement Bush en Irak. Les généraux
John Batiste et Paul Eaton ont pour la première fois critiqué publiquement la gestion
de la guerre au printemps dernier. Ils avaient
alors appelé à la démission du ministre de
la Défense, Donald Rumsfeld. “La meilleure
chose qui puisse arriver, ce serait que l’une
des deux Chambres, ou même les deux,
passe sous contrôle démocrate afin que l’on
puisse reprendre la situation en main”, commente John Batiste, qui a commandé la
1re division d’infanterie américaine en Irak
en 2004 et 2005. Se décrivant comme un
“républicain de toujours”, il reconnaît qu’aujourd’hui, “les choses doivent changer”.
Paul Eaton, chargé de la formation de l’armée irakienne de 2003 à 2004, estime lui
aussi qu’une majorité démocrate au Congrès
démocrate, du moins pour cette échéance
serait la meilleure solution pour que Bush
électorale. Quelques indices montrent que
tire un trait sur sa désastreuse stratégie irale soutien accordé aux républicains et à Bush
kienne. “Pour moi, la seule issue, c’est de
s’effrite également dans les rangs inférieurs
confier la Chambre des représentants et
de l’armée. En outre, plus d’une centaine
le Sénat aux démocrates, et que l’on effecd’officiers d’active viennent de se rallier à
tue un demi-tour complet”, ajoutant que ce
une campagne qui réclame
sentiment est de plus en plus répandu dans
officiellement du Congrès
les rangs des responqu’il vote le retrait immésables militaires. Un
diat des forces amériofficier d’active, qui a lui
caines d’Irak. “Ceux
aussi ser vi en Irak, préqui, comme moi, porcise qu’un nombre étonnant
tent encore l’uniforde ses collègues “tout à fait
me ne peuvent pas
conservateurs” espèrent que
Dessin de Mayk paru dans
exprimer publiquement
les démocrates vont l’emporter.
Sydsvenskan, Malmö.
leurs inquiétudes, mais il
A en croire les experts politiques,
y a beaucoup de gens qui pensent comme
rien n’indique un retournement massif du
nous”, assure l’officier encore en service.
vote des militaires. L’armée, en particulier
Quand on lui demande s’il est républicain,
les officiers supérieurs et les généraux, a
il répond : “Autrefois, oui, je l’étais.”
toujours été clairement ancrée dans le camp
Cela ne signifie pas que les militaires soient
républicain. Juste avant la présidentielle de
soudain impatients de voir la représentante
2004, Bush totalisait 73 % des intentions
Nancy Pelosi, la chef de file des démocrates
de vote de l’armée, contre 18 % pour Kerry.
à la Chambre, acquérir davantage de pouMais une chose est sûre : la colère est
voir au Congrès. Au contraire, disent-ils, s’ils
aujourd’hui palpable chez de nombreux offisoutiennent les démocrates, c’est par pur
ciers, ce qui en pousse certains à commettre
pragmatisme. Ils espèrent que les démol’impensable : faire allégeance au Par ti
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
34
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
crates réussiront là où les républicains ont
échoué, et qu’ils parviendront à imposer une
supervision parlementaire de la situation,
afin d’aider le gouvernement Bush à corriger sa stratégie actuelle, catastrophiquement enlisée en Irak.
Il est encore trop tôt pour savoir si ce mécontentement profond vis-à-vis des républicains
sera durable, indique Stephen Wayne, professeur de sciences politiques à l’université
de Georgetown. Mais, selon lui, ce sentiment est le reflet d’un désamour bien réel
au sein de la hiérarchie militaire face à l’approche obtuse du gouvernement Bush. “Les
officiers d’active ont été complètement marginalisés par un gouvernement qui refuse
d’écouter leur avis.”
Le général John Batiste dit qu’il lui est insupportable de lire les rapports quotidiens des
pertes humaines en Irak tout en sachant
que ces morts sont la conséquence d’une
stratégie brouillonne axée sur des objectifs
inaccessibles. Lui et ses collègues n’éprouvent guère d’affection pour les démocrates,
mais c’est leur dernier espoir de récolter
autre chose que la mort et la destruction
en Irak.
Mark Benjamin, Salon, San Francisco
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BUSH FACE À LA DÉROUTE
●
L’économie se porte bien ? Peu importe !
Si les indicateurs de l’économie américaine sont tous
favorables, les candidats républicains n’en tirent
aucun bénéfice. Car les électeurs sont trop préoccupés,
par la situation irakienne pour s’en féliciter.
THE NEW YORK TIMES (extraits)
New York
ar de nombreux aspects, l’économie ne
s’est jamais aussi bien portée depuis
longtemps. Le prix de l’essence à la
pompe a plongé depuis le milieu de l’été.
Le chômage est tombé à son plus bas
niveau depuis plus de cinq ans. A Wall
Street, l’indice Dow Jones est même retourné
à l’âge d’or de la fin des années 1990, volant
de record en record presque tous les jours. Mais
les candidats républicains ne semblent pas tirer
un quelconque profit de ces brillantes statistiques
économiques. L’économie est quasi absente de
la campagne des élus républicains qui se battent
désespérément pour conserver leur siège au Sénat
ou à la Chambre des représentants. Elle ne figure
pas non plus dans l’arsenal déployé par les républicains qui cherchent à se faire élire ou réélire
au poste de gouverneur au niveau des Etats. “Je
ne me souviens d’aucune autre élection où l’économie était si florissante et où les chances électorales du
parti au pouvoir paraissaient aussi minces”, se
lamente Frank Luntz, un stratège républicain.
“Lorsque les choses vont mal, les républicains portent
le chapeau. Et, même lorsqu’elles vont bien, le mérite
n’en revient même pas aux républicains.”
Pour Amy Walter, la rédactrice en chef du
Cook Political Report, une publication politique
indépendante, “dans leur écrasante majorité, les
électeurs ne sont pas reconnaissants au président pour
sa gestion de l’économie ; ils sont bien trop pessimistes
sur la direction générale dans laquelle est engagé le
pays.” Et, alors même que la confiance des
consommateurs a recommencé de grimper avec
la chute du prix de l’essence, ils n’en attribuent
aucunement le mérite à la Maison-Blanche,
confirme Richard Curtin, qui dirige les enquêtes
de consommation de l’université du Michigan.
P
LES DÉMOCRATES PLUS APTES
À GÉRER L’ÉCONOMIE
L’incapacité des républicains à tourner à leur
avantage la bonne santé économique du pays
est imputable au poids pris par les autres grands
dossiers nationaux – au premier rang desquels
figure la guerre en Irak. Le bourbier irakien
handicape les républicains de multiples façons,
estiment les politologues. Il nourrit le sentiment que le pays a emprunté une mauvaise
voie et il accroît la méfiance envers le gouvernement Bush, un sentiment qui a gagné
d’autres fronts, comme celui de la gestion de
l’économie. Selon le dernier sondage national
The New York Times/CBS News, publié en
octobre, 60 % des personnes interrogées qualifient la situation économique de bonne ou de
très bonne, contre 56 % au mois de septembre.
Mais 51 % des électeurs préféreraient voir
l’économie gérée par les démocrates, contre
36 % par les républicains. Cet écart de
15 points, le même qu’au mois de septembre,
est le plus grand depuis que cette question a
été posée pour la première fois, en 1984.
Le plus dur, pour les républicains, dans leur
tentative de s’attribuer le mérite de l’embellie économique, est sans doute le fait que de
nombreux électeurs ne constatent pas d’amélioration de leur situation économique personnelle. Au lieu de saluer les gains de la Bourse
et la croissance de l’économie, les Américains
sont inquiets pour leurs rémunérations, qui
commencent à peine à progresser après plusieurs années de baisse ou de stagnation. L’absence d’assurance-maladie pour des dizaines
de millions de personnes et la réduction comme
peau de chagrin des pensions de retraite traditionnelles ont également accru le sentiment
d’insécurité des classes moyennes.
Néanmoins, les chefs de file du Parti républicain continuent de tabler sur l’économie pour
donner un coup de collier durant les derniers
jours de la campagne. Une multitude de spots
de campagne vont ainsi être diffusés pour mettre
en garde les électeurs contre le risque qu’une victoire des démocrates ferait peser sur l’économie,
arguant que ceux-ci ne manqueront pas d’augmenter les impôts. Mais même ce slogan éprouvé
pourrait bien perdre de son efficacité cette année.
“Nous prions presque pour que des candidats républicains osent dire que les baisses d’impôt sont à l’origine de la bonne santé de l’économie”, affirme Stanley Greenberg, un sondeur démocrate. “Mais
aucun d’eux n’ose le faire parce qu’il paraîtrait en
complet décalage avec la réalité. L’opinion n’y croirait tout simplement pas.”
Eduardo Porter
TENDANCE
Démocrates mais pas tant que ça
compagnies pétrolières, la restauration des crédits d’impôt sur les
frais d’inscription à l’université, la
baisse du coût des médicaments
dans le cadre du programme Medicare et d’autres mesures jugées
à même de séduire aussi bien à
l soutient le monde des affaires
droite qu’à gauche.
et s’oppose à l’avortement. C’est
Pour les républicains, l’apparente
un chrétien évangélique et il est pasmodération affichée par certains
sionné par la chasse. Et pourtant,
candidats démocrates n’est qu’un
Heath Schuler est démocrate et il
écran de fumée visant à masquer
fait campagne pour être élu en Caleur soutien à un parti mené par
roline du Nord. Il fait partie d’un petit
des progressistes favorables aux
groupe de démocrates étonnamhausses d’impôt. “Ils disent être
ment conservateurs qui pourraient
antiavortement, pour la détention
apporter des victoires cruciales en
d’armes et contre la fiscalité, mais
battant des républicains, aidant ainsi
la première chose qu’ils feraient
leur parti à devenir majoritaire à la
au Congrès serait d’élire le présiChambre des représentants.
Sur les panneaux :Victoire en Irak. Une nouvelle direction pour
dent de la Chambre le plus à
Les républicains sonnent déjà l’alarl’Amérique. Retrait américain d’Irak. Dessin de Matson, Etats-Unis.
gauche de toute l’histoire des
me sur ce qui pourrait se passer
Etats-Unis”, affirme Jonathan Collegio, porte-parole du National
s’ils perdaient la Chambre : un retour brutal au progressisme
Republican Congressional Committee, qui œuvre à l’élargissefondé sur une forte intervention de l’Etat, des hausses d’impôt
ment de la majorité républicaine à la Chambre des représenet une politique de défense molle. Avec une épouvante approtants. “Dès leur arrivée au Congrès, ils mettront fin aux réducpriée en cette veille de Halloween, ils mettent en garde contre
tions fiscales et feront ouvrir des enquêtes sur le gouvernement.”
la nomination probable à la tête de commissions parlementaires
L’arrivée d’un sang neuf issu de l’aile droite du parti pourrait
de démocrates comme Henry A. Waxman, représentant à Los
mettre à l’épreuve la capacité des responsables démocrates
Angeles, et d’autres vieux briscards de gauche.
à maintenir la belle unité forgée pendant ces années d’oppoMais, à l’image de Heath Schuler, les candidats démocrates les
sition. Parmi les candidats démocrates à la Chambre des remieux placés sont d’une tout autre étoffe. Seize d’entre eux sont
présentants, 33 sont suffisamment conservateurs pour recevoir
soutenus par les Blue Dogs, une coalition de démocrates conserl’appui des Blue Dogs ou du groupe centriste Democratic Leavateurs, et certains sont d’anciens républicains. Schuler luidership Council. Et, dans la lettre d’information politique indémême avait été sollicité il y a quelques années pour se présenter
pendante Cook Political Report, ils figurent presque tous sur
sous la bannière républicaine, mais il avait décliné l’offre.
la dernière liste des démocrates les mieux placés pour remporter
En cette fin de campagne électorale, les candidats sont de plus
des sièges actuellement républicains (le parti doit reprendre
en plus nombreux à débattre de ce que serait un Congrès à ma15 sièges à l’adversaire pour être majoritaire à la Chambre).
jorité démocrate : qui donnera le ton, qui fixera la politique,
Même s’ils y parviennent, les démocrates resteront quand même
les Heath Schuler ou les Henry Waxman ?
limités dans leurs ambitions législatives par le gouvernement
Avec tant de candidats de tendance conservatrice sur le front
Bush et un Sénat qui risque d’être toujours républicain. Mais
électoral démocrate, Nancy Pelosi, chef de file de la minorité
une majorité à la Chambre, même étroite, permettrait aux chefs
des démocrates à la Chambre, s’en tient, du moins jusqu’ici,
de commissions parlementaires d’ouvrir des enquêtes et de faire
à un programme minimaliste sans mesures progressistes trop
comparaître des témoins : des outils qu’ils veulent utiliser pour
voyantes. Les responsables démocrates comme la plupart des
soumettre à un examen approfondi la politique de Bush en
candidats sérieux du parti mettent l’accent sur un programIrak et d’autres affaires que, selon eux, les républicains ont pasme restreint en six points. Il prévoit notamment la hausse du
sées sous silence.
salaire minimum, la fin des réductions d’impôt accordées aux
Janet Hook, Los Angeles Times, Los Angeles
Une trentaine de démocrates
curieusement conservateurs
vont jouer un rôle crucial dans
la probable victoire de leur parti
à la Chambre des représentants.
I
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
35
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
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e n c o u ve r t u re
Des millions de bulletins déjà dans les urnes
De nombreux Etats autorisent les
électeurs à voter par anticipation,
parfois plusieurs semaines avant
la date officielle du scrutin.
Près de 20 % des Américains
ont opté pour cette solution.
THE NEW YORK TIMES
New York
our des millions d’Américains, les élections de mi-mandat sont une affaire classée.Trente Etats autorisent le vote par
correspondance sans exiger de justification, et la plupart permettent aux électeurs de voter en personne, à l’avance,
dans les locaux du comté ou dans des bureaux
de vote annexes. En Floride, on estime que 40 %
des électeurs auront rempli leur devoir civique
avant que les bureaux de vote aient ouvert leurs
portes, le 7 novembre. Dans l’Oregon, le vote se
fait uniquement par correspondance. La Californie a, pour sa part, envoyé 3,8 millions de
bulletins à cet effet le 8 octobre.
Conséquence : les candidats doivent adapter leur campagne à ce calendrier politique évolutif en modulant leur publicité électorale, leurs
mailings et leurs vagues d’appels téléphoniques.
Ils cherchent à savoir qui vote à l’avance, afin de
pouvoir prendre contact avec ces personnes avant
qu’elles n’envoient leurs bulletins. “Que cela nous
plaise ou non, c’est une tendance lourde”, note Art
Torres, le président du Parti démocrate de Californie. “Ici, les élections ont commencé le 10 octobre
et elles durent vingt-neuf jours.”
Les experts estiment à 20 % la proportion
d’électeurs qui se prononceront avant le jour fatidique, un taux qui augmente à chaque nouvelle
élection (ils n’étaient que 14 % en 2000). Certains Etats et comtés procèdent au dépouillement des urnes avant le jour J et gardent les résul-
P
“Ils disent que
vous n’avez pas de
programme. De quoi
elle parle, votre
campagne ?
— Je ne suis pas un
néoconservateur
chrétien évangélique
d’extrême droite.
— Je vote pour vous !”
Dessin
de Bob Englehart,
Etats-Unis.
tats secrets, d’autres font le décompte en même
temps que les bulletins “normaux”. Selon les
politologues et les stratèges qui ont étudié les
tendances du vote par anticipation, ceux qui
en profitaient jusque récemment étaient en général des gens relativement aisés et instruits, plutôt républicains que démocrates. Mais, depuis
que cette pratique s’est généralisée, les démocrates sont désormais presque aussi nombreux
que les républicains à en profiter.
Pour les partisans du vote par anticipation,
cette méthode est pratique pour les électeurs
et elle augmente la participation électorale. Ils
TECHNOLOGIE
Nouvelles machines à voter, nouveau chaos
■ Les nouvelles machines à voter électroniques sont arrivées il y a quelques semaines dans le comté de Yolo, en Californie. Fort bien. Mais il y a un hic : sur
certains appareils, le programme audio
pour les malvoyants ne fonctionne qu’en
vietnamien. “C’est la panique”, rapporte
Freddy Oakley, le responsable local de l’organisation du scrutin. “Imaginez la tête
qu’ont fait les femmes âgées qui vont travailler dans les bureaux de vote !”
Alors qu’une dizaine d’Etats appliquent de
nouvelles règles d’inscription sur les listes
électorales et adoptent des systèmes de
vote électronique sans papier, les fonctionnaires responsables craignent le pire
pour le jour des élections, avec de longues
files d’attente, une grande confusion et
un nombre accru de contestations des
résultats. Dans environ la moitié des
45 scrutins les plus serrés, les votes se
feront sur des machines électroniques qui
n’offrent aucune possibilité de vérification
et de recomptage.
L’Arizona, la Californie, la Géorgie, l’Indiana, le Maryland, le Mississippi, le Missouri, la Caroline du Nord, l’Ohio et la Pennsylvanie, entre autres, vont probablement
connaître des difficultés, prédisent les experts qui suivent les changements technologiques en matière électorale. “Il y a
de nouvelles réglementations, des progrès
technologiques, un esprit partisan qui se
répand de plus en plus et un engagement
grandissant des avocats dans le processus électoral”, explique Tova Wang, qui étudie les questions électorales pour la Century Foundation, un institut de recherche
indépendant, “les risques de problèmes
n’ont jamais été aussi grands et ils intéressent davantage de circonscriptions
qu’auparavant”. Les litiges portant sur les
nouvelles règles d’identification des électeurs et l’inscription informatisée sur les
listes électorales, dans des Etats comme
l’Indiana, l’Arizona et la Géorgie, sèment
la confusion dans l’esprit des assesseurs
et des électeurs, même si les tribunaux
en ont rejeté un grand nombre. “Nous nous
attendons à des contestations dans ces
Etats, ce qui ralentira tout et obligera à refuser des électeurs légitimes ou à les faire
voter à titre provisoire”, craint Barbara Burt,
une spécialiste chez Common Cause, une
organisation de défense de nombreuses
causes d’intérêt général.
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
Ian Urbina, The New York Times, Etats-Unis
36
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
affirment en outre que cela permet de désengorger les bureaux de vote et de soulager les
agents qui y travaillent. Mais, pour d’autres
experts, rien ne prouve que le vote anticipé améliore le taux de participation. A les écouter, il
pourrait même avoir l’effet inverse car de nombreux électeurs qui demandent des bulletins
de vote par correspondance oublient ensuite
de les renvoyer. Les risques de fraude sont également plus importants.
Côté candidats, les sentiments sont mitigés.
Certes, ils peuvent ainsi faire voter leurs partisans plus tôt puis faire appel à eux pour mobiliser d’autres électeurs. Ils sont également sûrs
d’éviter que leurs électeurs ne se découragent,
le jour des élections, en arrivant devant des
bureaux de vote bondés. Mais ce phénomène
complique leur campagne. Quand les élections
s’étendent sur vingt-neuf, voire quarante-cinq
jours, ils doivent s’assurer de convaincre tout
le monde avant que chacun n’aille voter.
Pour Curtis Gans, le directeur du Comité
pour l’étude de l’électorat américain, le principal défaut du vote par anticipation est de créer
“une inégalité d’information” entre les électeurs.
“Et si, la veille du scrutin, on apprenait la capture
d’Oussama Ben Laden ? s’enquiert-il. Ou qu’un
nouvel attentat vient d’être commis ?”
D’autres observateurs regrettent qu’en donnant plus de liberté aux électeurs, le rituel civique
perde un peu de son sens. Le jour des élections
est une occasion solennelle qui ne se présente
que tous les deux ou quatre ans et qui rassemble
des millions de citoyens dans un lieu officiel pour
exercer leur droit à élire leurs représentants. “Le
vote par correspondance ou par anticipation érode le
sens de l’appartenance à une communauté”, conclut
le Pr Gronke, du Centre d’information sur le vote
par anticipation.
John M. Broder
835p32-40
31/10/06
16:22
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BUSH FACE À LA DÉROUTE
LES DÉMOCRATES À L’ATTAQUE LES SCRUTINS CLÉS DU 7 NOVEMBRE
CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS La totalité des 435 sièges des représentants sont en jeu. Les démocrates ont besoin de 15 sièges pour obtenir la majorité.
6e district de l’Illinois
Gravement blessée en Irak, la vétérante Tammy Duckworth, qui
se présente sous les couleurs démocrates, mène la course
devant son rival républicain Peter Roskam.
VT
MAINE
NH
MA
RI
CT
WASHINGTON
ES
NEW
YORK
MI
NN
MONTANA
OT
A
DAKOTA
DU NORD
4e district de Californie
Le représentant républicain sortant John Doolittle pourrait
céder son siège au candidat démocrate Charlie Brown, vétéran
de la guerre du Vietnam et de la première guerre du Golfe.
IDAHO
WYOMING
DAKOTA DU SUD
WISCONSIN MICHIGAN
NEBRASKA
NEVADA
ILLINOIS
UTAH
KANSAS
MISSOURI
ARIZONA
LO
NOUVEAUMEXIQUE
ARKANSAS
MISSISSIPPI
CALIFORNIE
OKLAHOMA
UIS
IAN
TEXAS
PE
NJ
DE
MD
WASHINGTON (DC)
OHIO
VO
VIRGIN
KENTUCKY
TENNESSEE
COLORADO
5e district du Colorado
Le démocrate Jay Fawcett, novice en
politique, pourrait l’emporter dans ce
district sur le républicain Doug Lamborn.
INDIANA
IOWA
ALABAMA
OREGON
GÉORGIE
IE
CAROLINE
DU NORD
CAROLINE
DU SUD
FLORIDE
ALASKA
E
22e district du Texas
Ce siège était détenu par Tom DeLay, le leader de la
majorité républicaine à la Chambre des représentants
contraint à la démission en avril 2006 à la suite d’un
scandale de corruption. Le démocrate Nick Lampson
pourrait l’emporter face à Shelley Sekula-Gibbs,
la remplaçante de Tom DeLay.
Abréviations : CT Connecticut, DE Delaware,
MA Massachusetts, MD Maryland, NH New Hampshire,
NJ New Jersey, PE Pennsylvanie RI Rhode Island,
VT Vermont, VO Virginie-Occidentale.
HAWAII
e
16 district de Floride
Le républicain Mark Foley a démissionné en
septembre à la suite d’une affaire de mœurs.
Il a été remplacé par Joe Negron. Les électeurs,
échaudés par le scandale, risquent de voter
pour le démocrate Tim Mahoney.
SÉNAT Renouvellement d’un tiers des sièges, soit 33 sièges sur 100. Les démocrates ont besoin de 6 sièges pour obtenir la majorité.
MONTANA Le sénateur républicain
sortant Conrad Burn impliqué dans un
scandale de corruption pourrait être
battu par le démocrate Jon Tester.
RHODE ISLAND Le sénateur républicain modéré Lincoln Chafee est
le conservateur le plus anti-Bush de ces élections. Il n’a cessé
de se distancier de la Maison-Blanche pendant toute la campagne.
Son compétiteur, le démocrate Sheldon Whitehouse est néanmoins
bien placé pour l’emporter.
OHIO Après avoir été l’Etat qui a permis à
George W. Bush d’être réélu en 2004, l’Ohio pourrait voter
démocrate. Le sénateur républicain sortant Mike DeWine
y est distancé par son rival démocrate Sherrod Brown.
VT
WASHINGTON
OREGON
ES
DAKOTA DU SUD
IDAHO
WYOMING
WISCONSIN
MICHIGAN
ILLINOIS
UTAH
COLORADO
HAWAII
KANSAS
MISSOURI
OKLAHOMA
ARKANSAS
LO
VIRG
INIE
MAINE
NH
MA
RI
CT
NJ
DE
MD
WASHINGTON (DC)
CAROLINE
DU NORD
CAROLINE
DU SUD
GÉORGIE
CONNECTICUT Après avoir perdu la primaire démocrate en raison de
son engagement en faveur de la guerre en Irak, le sénateur Joe
Lieberman a décidé de se présenter comme indépendant. Il est
aujourd’hui au coude à coude avec ses deux rivaux : le démocrate Ned
Lamont – farouchement antiguerre – et le républicain Alan Schlesinger.
PENNSYLVANIE Le sénateur républicain Rick Santorum, connu pour
ses positions ultraconservatrices sur les questions de société
comme l’avortement ou le mariage gay pourrait manquer d’être
réélu pour la troisième fois. Son rival démocrate Bob Casey Jr. est
en effet donné favori dans les sondages.
UIS
E
FLO
IAN
TEXAS
RID
E
TENNESSEE L’étoile montante du Parti
démocrate, l’Africain-Américain Harold
Ford Jr. qui ne cache pas ses penchants
conservateurs, pourrait l’emporter sur le
républicain Bob Corker.
MISSISSIPPI
NOUVEAUMEXIQUE
VO
KENTUCKY
TENNESSEE
CALIFORNIE
ARIZONA
OHIO
INDIANA
NEBRASKA
NEVADA
PE
IOWA
ALABAMA
ALASKA
NEW
YORK
NN
MI
MONTANA
OT
A
DAKOTA
DU NORD
Sources : The Wall Street Journal, CBS.
Les 22 districts que les démocrates
pourraient conquérir.
Etat concerné par les élections
VIRGINIE Vétéran du Vietnam et secrétaire à la Marine
sous Reagan, le démocrate James Webb pourrait battre
le sénateur sortant George Allen qui s’est illustré pour
ses propos racistes pendant la campagne.
Etat où les démocrates ont le plus
de chances de remporter un siège
Etat à surveiller
Electeurs démocrates à mobiliser d’urgence
THE NEW YORK TIMES
New York
es démocrates font passer à la vitesse
supérieure leur campagne de mobilisation pour que leurs électeurs prennent
la peine de voter, certains responsables
du parti ayant exprimé leurs craintes de
voir à nouveau les républicains les coiffer au poteau en ce qui concerne la vingtaine
de sièges à la Chambre et les trois fauteuils de
sénateur qui devraient, comme s’y attendent
les deux camps, déterminer l’issue de ces élections de mi-mandat.
Après deux scrutins nationaux remportés
par les républicains grâce à des opérations
L
sophistiquées de mobilisation de leurs électeurs, les démocrates ont cherché à rattraper
leur retard en la matière et misent beaucoup
sur cette stratégie. De la réussite de cette mobilisation dépend largement leur succès le
7 novembre. Si les sondages accordent aux
démocrates une large avance, le contrôle du
Congrès semble reposer sur un nombre relativement restreint de sièges pour lesquels les candidats en lice sont au coude-à-coude. Et c’est
précisément sur ces scrutins que les efforts de
mobilisation peuvent faire la différence. Si la Maison-Blanche continue à penser pouvoir, cette
année au moins, limiter l’avancée des démocrates,
c’est notamment parce que, par le passé, les républicains ont su conduire les électeurs aux urnes
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
37
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
dans les districts qui sont importants pour eux.
Howard Dean, le président du Parti démocrate,
déclare s’attendre à ce qu’une bouffée d’enthousiasme des électeurs démocrates conjuguée
à ce qu’il appelle l’abattement des républicains
porte son parti à la victoire. Une hypothèse à
laquelle croient même certains stratèges républicains. Mais, dans un entretien, Dean a également
reconnu que les républicains restaient clairement
supérieurs pour ce qui est d’identifier les électeurs qu’ils peuvent convaincre et les conduire
aux urnes. “Je pense que nous avons réduit le fossé,
mais nous n’y sommes pas encore, reconnaît Dean.
Cela va prendre du temps. Je pense qu’en 2008, si
tout va bien, nous saurons mobiliser les électeurs aussi
bien que les républicains.”
Adam Nagourney
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e n c o u ve r t u re
Les anciens combattants d’Irak en renfort
La candidate démocrate Tammy
Duckworth, qui a perdu ses deux
jambes en Irak, pourrait être élue
dans l’Illinois. Son leitmotiv :
il faut en finir avec cette guerre.
THE NEW YORK TIMES
New York
DE GLENN ELLYN (ILLINOIS)
ammy Duckworth a servi en Irak, où elle
a perdu les deux jambes – son hélicoptère a été touché par une grenade.
Aujourd’hui candidate démocrate au
Congrès, elle fait campagne dans les banlieues de Chicago en parlant de la guerre
avec une conviction glaçante. L’Irak a été une
grosse erreur, déclare-t-elle en circulant au
milieu des électeurs sur ses jambes artificielles.
On y a gaspillé des millions.
Mme Duckworth a beau être novice en politique, son passage dans l’armée et son sacrifice
lui permettent de dire ce qu’elle a sur le cœur
dans une circonscription jadis considérée comme
franchement hostile aux démocrates et qui n’a
élu depuis 1932 que des candidats républicains.
A travers le pays, plusieurs anciens combattants
comme Mme Duckworth se révèlent des candidats avec qui il faut compter. Pour le Parti démocrate, qui se bat contre l’idée reçue que les républicains sont meilleurs pour affronter le terrorisme
et défendre la sécurité nationale, ces vétérans
constituent un antidote puissant : sur la question de l’Irak, leur parcours militaire leur donne
une forte crédibilité auprès des électeurs. Alors
que seuls un quart des membres du Congrès ont
T
Brian Kersey/AP-Sipa
835p32-40
Tammy Duckworth,
accompagnée
de son mari,
lors de l’annonce
de sa candidature
à la Chambre
des représentants,
le 18 décembre 2005.
servi dans l’armée (le taux le plus bas depuis des
décennies), de nombreux électeurs apprécient
l’expérience de ces anciens soldats. “Elle est allée
là-bas !” s’exclame Barb Bauler, qui a récemment
rencontré Mme Duckworth dans un club de retraités. “C’est la chose la plus courageuse que l’on puisse
imaginer.” Une soixantaine d’anciens militaires,
dont une demi-douzaine ont servi en Irak, se présentent à la Chambre ou au Sénat sous la casquette démocrate. Le parti n’a pas peur de les
mettre en avant. Ils ont droit à un site web
dénommé Fighting Dems, qui porte le sous-titre
“De retour du front, en route pour le Congrès”.
Mme Duckworth et son adversaire républicain Peter J. Roskam sont au coude-à-coude dans
les sondages. Une demi-douzaine de scrutins
opposant des anciens combattants démocrates
à des candidats républicains devraient être aussi
serrés, par exemple dans le Kentucky, en Pennsylvanie et en Virginie, ce qui veut dire que les
anciens militaires pourraient contribuer à un
changement de majorité au Congrès s’ils s’en
sortent bien. De son côté, le Parti républicain
présente 41 candidats ayant une expérience militaire (dont deux anciens d’Irak), mais il ne s’est
pas focalisé publiquement sur ce groupe.
Les stigmates des blessures que Mme Duckworth a reçues en Irak il y a deux ans confèrent
un poids particulier à sa candidature. Si elle s’est
présentée aux élections, c’est à cause de la guerre.
“J’étais là-bas, à l’hôpital, et je voyais se succéder de
plus en plus de mauvaises décisions, de mauvaises
orientations politiques”, explique-t-elle. Elle a réuni
plus de 2 millions de dollars (comme M. Roskam) et a également reçu une aide du comité de
campagne démocrate. D’autres anciens combattants, en particulier ceux qui ont peu de
chances d’être élus, ont reçu moins d’aides – ou
même aucune. Certains se sentent abandonnés.
“Ils veulent bien de nous quand on leur sert à quelque
chose et, quand ce n’est plus le cas, ils veulent qu’on
la ferme”, déplore Bill Winter. Il raconte que
les leaders du Parti démocrate du Colorado l’ont
pressé de se présenter dans la sixième circonscription de cet Etat, mais se sont ensuite comme
volatilisés lorsqu’ils ont jugé qu’il n’avait en fait
aucune chance contre le républicain Tom Tancredo. Selon Bill Burton, porte-parole du comité
de campagne démocrate, le parti reste fier de
tous ses anciens combattants. “On aimerait beaucoup financer tous nos candidats, explique-t-il, mais
la dure réalité est que nos fonds sont limités.”
Monica Davey
C A N D I D AT S
Mettre fin à la guerre au plus vite
Un nombre croissant de candidats
démocrates, se félicite le grand
hebdomadaire de gauche The Nation,
osent enfin faire ouvertement campagne
sous la bannière antiguerre.
l y a quatre ans, Paul Wellstone, sénateur
démocrate du Minnesota était favori dans
la campagne visant à sa réélection, bien qu’il
ait été pris pour cible par Karl Rove dans
l’opération politique la plus impitoyable
jamais déclenchée par les républicains.
Jusqu’en octobre, la compétition avait été
serrée. C’est à ce moment que la MaisonBlanche avait obtenu de la Chambre des
représentants et du Sénat l’autorisation de
recourir à la force en Irak. En dépit de l’insistance de ses collègues démocrates, Wellstone avait choisi de voter non en déclarant :
“Je sais que les républicains disent que je
suis fichu. Mais je crois que les gens attendent de nous que nous fassions ce qui nous
semble bien.” Il s’est avéré que Wellstone
avait raison : il s’est rapidement détaché
dans les sondages et fonçait vers la victoire
I
quand un accident d’avion a privé le Parti
démocrate de sa conscience.
Depuis, les démocrates peinent à mettre
en place une politique intelligente et efficace d’opposition à la guerre, ce qui a eu
des conséquences particulièrement dommageables lors de la présidentielle de
2004. Quand la campagne pour les législatives de 2006 a commencé, conscients
qu’il fallait désormais faire preuve de davantage de fermeté, nous avons déclaré :
“Nous ne soutiendrons aucun candidat ni
aucune candidate qui ne ferait pas de la
fin de la guerre en Irak l’une des priorités
de sa campagne.”
Depuis le vote courageux de Wellstone, les
Etats-Unis ont bien changé : la guerre a continué, et la question est aujourd’hui de savoir
comment y mettre un terme aussi vite que
possible. Si beaucoup trop de démocrates
ont tenté de jouer sur les deux tableaux – en
critiquant le président sans appeler ouvertement à une cessation des hostilités –, des
candidats plus honnêtes réclament précisément une telle décision. Au fil des mois,
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
nous en avons découvert plusieurs. Au printemps dernier, par exemple, nous avons
remarqué le formidable défi lancé à ce sujet
par la démocrate Marcy Winograd, en Californie, à la candidate sortante, Jane Harman.
Nous avons également applaudi la position
vigoureusement antiguerre de Kweisi Mfume
lors des primaires pour les sénatoriales du
Maryland. Ces deux initiatives ont échoué,
mais d’autres ont eu plus de succès.
Parmi les candidats démocrates antiguerre
en lice en novembre, citons des vainqueurs
potentiels comme Keith Ellison, dans le Minnesota, et John Sarbanes, dans le Maryland.
Mais on trouve aussi des affrontements au
résultat plus incer tain, comme celui qui
oppose Rae Vogeler, un écologiste du Wisconsin, à Herb Kohl, un sénateur démocrate
d’une rare tiédeur. Ou encore Jean Hay
Bright, démocrate du Maine, qui met la pression sur Olympia Snowe, une sénatrice républicaine théoriquement modérée. Dans les
rangs des antiguerre, on trouve également
Ned Lamont, du Connecticut, et Jon Tester,
du Montana, qui visent des postes au Sénat,
38
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
tandis que Linda Stender, du New Jersey,
Joe Sestak et Patrick Murphy, de Pennsylvanie, et Diane Farrell, du Connecticut, briguent des sièges à la Chambre des représentants. Leurs messages antiguerre leur
ont permis de gagner des points face à leurs
adversaires républicains sortants. Ces résultats encourageants laissent penser que le
thème de la guerre ne trouve pas seulement
un écho auprès de l’électorat démocrate,
mais aussi auprès des indécis et même de
certains républicains.
L’échéance approchant, nous allons continuer à braquer nos projecteurs sur les candidats antiguerre et à appeler nos lecteurs
à les soutenir. Comme nous le disions dans
notre éditorial de l’an dernier, “nous sommes
fermement convaincus que les candidats
antiguerre, s’appuyant sur des parcours politiques par ailleurs dignes d’intérêt, peuvent
remporter les législatives de 2006, les primaires démocrates de la présidentielle de
2008 et, enfin, l’élection nationale qui suivra. Mais c’est aujourd’hui que doit commencer notre combat.” The Nation, New York
835p32-40
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BUSH FACE À LA DÉROUTE
Un pas vers
la destitution
u Vermont à l’Illinois, en passant par la
Californie, les électeurs qui se rendront
aux urnes décideront non seulement du
sort des candidats au Congrès, mais également de celui du président Bush et du
vice-président Cheney. Ils auront en effet
la possibilité de demander au Congrès d’initier
une procédure d’impeachment contre le président et le vice-président. Seule la Chambre des
représentants a le pouvoir de demander une procédure de destitution et seul le Sénat peut inculper le responsable concerné et le démettre de ses
fonctions. Mais les Pères fondateurs de la nation
ont voulu que les citoyens aient leur mot à dire
dans ce processus.Thomas Jefferson (président
de 1801 à 1809), qui estimait que le pouvoir
appartenait en dernier ressort au peuple car
celui-ci est le seul à même de défendre la république et ses idéaux démocratiques, remarquait :
“Il incombe à nos concitoyens d’être toujours vigilants et fermes sur leurs principes. Nous ne serons
capables de préserver notre démocratie que si nous
sommes convaincus d’en être capables.” Troublés
par un président et un vice-président qui ont
entrepris des guerres sans que le Congrès ne les
déclare, qui ont espionné sans mandat, qui ont
contourné et bafoué la Constitution, des citoyens
ont entrepris, un peu partout dans le pays, de
préserver la démocratie en lançant un appel à la
destitution, et les référendums de cet automne
leur permettront de se faire entendre.
La formulation des questions varie d’un
endroit à l’autre. Les propositions de San Francisco et de Berkeley sont de véritables mises en
accusation. Elles vont en effet plus loin que les
récriminations routinières concernant les abus
de pouvoir liés à l’invasion de l’Irak : elles exigent
du gouvernement qu’il rende également des
comptes sur sa gestion de la crise de l’ouragan
Katrina. Dans la minuscule communauté de
Pittsville,Wisconsin, on demande simplement
aux électeurs de répondre par oui ou par non
à la résolution locale : “La Chambre des représentants des Etats-Unis devrait dès à présent lancer une procédure d’impeachment à l’encontre du
président et du vice-président .” Si les électeurs
répondent par l’affirmative, les représentants du
Wisconsin seront mis en demeure d’agir.
D’aucuns soutiendront bien sûr que des
consultations référendaires effectuées dans des
communautés aussi particulières que San Francisco ou Pittsville ne reflètent en rien l’opinion
nationale. Ces cyniques se trompent. Les référendums organisés dans ces communautés,
comme à Montpelier dans le Vermont, à Urbana
dans l’Illinois ou dans d’autres agglomérations
du pays, sont des illustrations classiques de la
pratique de la pétition visant à demander réparation, une pratique que la Constitution non seulement autorise, mais encourage. Le mouvement
de l’impeachment par le bas est l’expression
moderne du plus ancien des idéaux américains :
nul, qu’il soit déshérité ou président, ne sera audessus de la loi. Et il est parfaitement approprié
que ce mouvement débute à l’échelon municipal.
John Nichols, The Nation, New York
D
Dessin d’Ajubel
paru dans El
Mundo, Madrid.
Quelle politique
étrangère après Bush ?
■
Candidates
Cette année,
pas moins
de 136 candidates
sont en lice pour
conquérir un siège
à la Chambre
des représentants.
“Cela représente
certes une femme
de moins
qu’en 2004
– année record
en la matière –,
mais davantage
de candidates
ont cette fois
de bonnes chances
d’être élues,
en particulier
dans le camp
démocrate”, note
The Washington
Post.
Dessin
de Simanca,
Brésil.
Le prochain président aura à cœur
de préserver les intérêts
américains, sans se lancer dans
des aventures militaires, estime
le politologue Michael Lind.
PROSPECT (extraits)
Londres
e 20 janvier 2009 – à moins qu’un décès,
une démission ou une procédure d’impeachment ne modifie le calendrier –,
George W. Bush cédera son fauteuil à
son successeur, le quarante-quatrième
président des Etats-Unis. Lequel héritera, qu’il soit républicain ou démocrate, d’un
certain nombre de problèmes extrêmement délicats à résoudre. Les Etats-Unis seront en effet
dans un état de grande faiblesse, dû pour l’essentiel aux blessures qu’ils se sont infligées euxmêmes. A savoir l’invasion inutile de l’Irak, les
insultes gratuites dont le gouvernement Bush a
abreuvé ses alliés, l’unilatéralisme arrogant de
sa diplomatie et son mépris affiché pour les lois
internationales. Mais il faut souligner qu’au
cours des dix prochaines années le pouvoir et
l’influence du pays seront surtout entravés par
des phénomènes de longue durée sur lesquels
aucun gouvernement ne peut espérer peser.
L’essor de la Chine, le déplacement du centre
de l’économie mondiale vers l’Asie, la montée
de la politique pétrolière néomercantiliste et
la propagation de l’islam – sous sa forme extrémiste ou modérée – modifient l’ordre mondial
d’une manière que ni les Etats-Unis ni aucun
de leurs alliés ne peuvent contrôler.
Lorsque le prochain président sera investi,
les Etats-Unis seront presque certainement
encore présents en Irak. A l’instar de Nixon entre
1969 et 1973, il lui faudra probablement limiter
les pertes américaines dans cette guerre ratée,
tout en préservant au maximum la crédibilité
L
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
39
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
militaire des Etats-Unis. Gageons que la droite
américaine ne manquera pas d’accuser le nouveau président, même s’il est républicain, d’être
plus faible que Bush, dont l’œuvre sera rétrospectivement idéalisée par les néoconservateurs
dans les médias. La nécessité de parer à toute
attaque politique et de montrer au reste du
monde la puissance des Etats-Unis poussera très
probablement le prochain président à ne quitter
l’Irak qu’après une démonstration de force contre
ses ennemis, que ce soit dans ce pays ou ailleurs.
Le retrait final des troupes américaines d’Irak
risque de ne pas être aussi complet que celui du
Sud-Vietnam en 1975. A la différence de ce qu’ils
ont fait en Corée du Sud, les Etats-Unis n’occuperont probablement pas de bases pendant
des décennies. Mais ils vont certainement continuer à soutenir militairement, sous une forme
ou sous une autre, le gouvernement irakien s’il
se retrouve en difficulté ou leurs favoris dans
le cas d’une guerre civile.
La situation au Moyen-Orient ne sera pas
très différente de celle qui prévaut aujourd’hui.
Si Bush décidait d’attaquer l’Iran pour neutraliser sa capacité nucléaire, nous entrerions
dans une ère imprévisible. Mais il est peu probable qu’il choisisse de mener une guerre sur
trois fronts, dans une zone allant de la Méditerranée au Pakistan et contre trois adversaires
qui ont peu en commun : les nationalistes sunnites en Irak, les talibans en Afghanistan et les
chiites en Iran. Une guerre par procuration dans
des Etats affaiblis comme l’Irak et le Liban est
plus probable qu’un conflit direct entre l’Iran
et les Etats-Unis.
Si les Etats-Unis n’attaquent pas l’Iran et
si la théocratie iranienne n’est pas remplacée par
un autre type de régime, le prochain président
sera forcé de traiter avec un Iran nucléaire. Même
si on dit que les dirigeants iraniens sont “fous”,
le fait qu’on ait pu dissuader des Etats nucléaires
aussi instables que la Chine de Mao et le Pakistan de Musharraf d’utiliser l’arme atomique laisse
penser qu’on peut en faire autant avec l’Iran. 835p32-40
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16:24
Page 40
e n c o u ve r t u re
Mais, si l’Iran brisait le monopole israélien sur l’arme atomique au Moyen-Orient,
cela aggraverait le risque d’une prolifération
nucléaire. Le fils et successeur probable de
Hosni Moubarak, Gamal Moubarak, a laissé
entendre que l’Egypte aurait peut-être besoin
de son propre programme d’énergie nucléaire,
et l’Arabie Saoudite ainsi que la Turquie, voire
l’Irak, pourraient suivre le mouvement. De
même, la méfiance suscitée par le nouveau
statut nucléaire de la Corée du Nord pourrait
inciter le Japon, voire la Corée du Sud, à se
doter de moyens de dissuasion. Et, si de nouveaux Etats nucléaires apparaissent au sud
et à l’est de l’Europe, l’Allemagne pourrait être
également tentée de développer sa propre force
de frappe* atomique.
Dans tous les cas, l’océan Atlantique risque
fort de s’élargir après le départ de Bush. Ceux
qui espèrent le rétablissement de liens transatlantiques cordiaux seront certainement
déçus. En matière de politique étrangère, le
vieil establishment atlantiste du nord-est des
Etats-Unis est mort et enterré. Il a été pour
une grande part supplanté par des officiers de
carrière, en majorité des nationalistes conservateurs modérés originaires du Sud, et une pléthore de civils représentant des groupes de
pression idéologiques, ethniques et économiques. Le centre de gravité de la politique
américaine va continuer à se déplacer vers le
Sud et l’Ouest. Si les démocrates se retrouvent
au pouvoir, ce sera en s’appuyant sur les immigrés hispaniques du sud des Etats-Unis, peu
susceptibles de soutenir un nouvel atlantisme.
Certains espèrent que l’une des conséquences de la débâcle irakienne sera un nouvel engagement américain en faveur d’un règlement durable de la question palestinienne.
L’inverse est plus probable. Si les Etats-Unis
s’extirpent d’Irak et d’Afghanistan et restent
en dehors des autres pays arabes, l’intérêt
– déjà faible – pour les responsables politiques
américains de tenter d’équilibrer leur soutien à Israël par des gestes en direction de l’opinion publique arabe et musulmane sera encore
moindre. La montée en puissance aux EtatsUnis de la droite arabophobe et islamophobe,
que provoquerait immanquablement un retrait
peu glorieux d’Irak, accroîtrait les tensions
entre les Etats-Unis et l’Europe. Dans la
deuxième décennie du XXIe siècle, les Européens risquent de se voir traiter d’“EuroArabes” favorables à l’apaisement [“Eurabian”
appeasers], par les républicains conservateurs
comme par certains démocrates libéraux.
En ce qui concerne la politique intérieure
américaine, les bénéficiaires à long terme
de la guerre en Irak pourraient être les répu-
Dessin
de Kopelnitsky,
Etats-Unis.
■
A la une
Dans son édition
américaine,
The Economist a posé
en couverture
la question radicale
que bien
des Américains se
posent à propos de
l’Irak : “Faut-il tout
lâcher et se tirer ?”
L’hebdomadaire
estime que
les concitoyens
de Bush ont certes
de bonnes raisons
de vouloir le punir
pour avoir lancé
cette guerre
perdue ; mais que
les Etats-Unis
feraient beaucoup
de mal aux Irakiens
en se retirant
maintenant du pays,
au risque
de provoquer
un véritable bain
de sang. Le maintien
d’une présence
permanente
empêche au moins
les pays voisins
de s’engager
directement dans
les conflits internes,
explique le journal.
Les forces
américaines doivent
ensuite protéger
le gouvernement élu
et continuer
à former les forces
de sécurité
irakiennes. Bref,
il est indispensable
que l’opération
irakienne
se poursuive bien
au-delà du second
mandat de Bush.
blicains qui l’ont livrée et perdue, plutôt que
les démocrates, qui s’y sont pour la plupart
opposés. Ce qui est moins paradoxal qu’il n’y
paraît. Les pays qui gagnent des guerres sont
plus souples en matière de sécurité et plus
ouverts aux partis de gauche – comme le
montrent les deux mandats de Clinton après
la fin de la guerre froide ou le rejet de Churchill par les Britanniques au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale. Les pays vaincus
ont en revanche tendance à rechercher des
hommes forts à droite, comme la France pendant la guerre d’Algérie et les Etats-Unis lors
de celle du Vietnam. L’histoire des Etats-Unis
montre que s’opposer à une guerre, même si
elle est impopulaire ou se termine en fiasco,
peut être fatal à un parti politique. La droite
a déjà ressorti l’argument du “coup de poignard dans le dos” pour imputer l’échec en
Irak aux journalistes de gauche et à la minorité démocrate au Congrès. C’est bien
entendu absurde, mais la tentative tout aussi
absurde de rendre les journalistes et le mouvement antiguerre responsables de la débâcle
vietnamienne a été un succès politique dans
les années 1970 et 1980.
RÉPUBLICAINS ET DÉMOCRATES
NE DIVERGENT QUE SUR LES DÉTAILS
La glorification rétrospective de la guerre en
Irak pourrait s’accompagner d’une politique
militaire beaucoup plus prudente. La doctrine
de Powell – selon laquelle les Etats-Unis ne
doivent envoyer leurs troupes qu’en dernier
ressort, seulement lorsqu’une action militaire
s’impose (mais en faisant alors un usage écrasant de la force) – pourrait refaire surface. Un
“syndrome irakien” apparaîtra sans doute, qui
se traduira par le refus des Américains de s’engager dans d’autres opérations militaires de
grande envergure.
Le prochain président, et peut-être aussi
son successeur, prendra certainement exemple
sur Ronald Reagan et alliera une grande fermeté dans le discours à une extrême prudence
dans l’action. Reagan était qualifié de va-t-enguerre parce qu’il qualifiait l’Union soviétique
d’“empire du mal”. Mais, dans la pratique, il
évitait les engagements militaires coûteux et
préférait livrer ses guerres par procuration, en
utilisant des troupes étrangères armées, financées et entraînées par les Etats-Unis, comme
les contras qui ont combattu les alliés de
l’Union soviétique au Nicaragua et les moudjahidin qui ont affronté les Russes en Afghanistan. Comme l’ont montré ces exemples, le
recours à des auxiliaires qui ne partagent peutêtre pas les valeurs américaines peut susciter des dilemmes moraux et politiques. Il en
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40
va d’ailleurs parfois de même des bombardements conçus pour épargner les vies des soldats américains. Face aux risques de lourdes
pertes humaines américaines, les successeurs
de Bush préféreront certainement envoyer des
conseillers de la CIA ou des missiles plutôt
que des marines.
L’échec de la stratégie néoconservatrice
d’hégémonie américaine au Moyen-Orient et
dans le monde ne signifie pas obligatoirement
le succès de l’autre grande voie. Pour les responsables démocrates de la politique étrangère, le néolibéralisme reste la meilleure stratégie envisageable pour remplacer celle du
gouvernement Bush. Les néolibéraux sont
d’accord avec les néoconservateurs sur l’objectif de la politique étrangère américaine :
mettre en place un marché mondial non réglementé dans un monde où la sécurité sera assurée par des Etats-Unis hégémoniques et bienveillants. Ils ne divergent que sur les détails.
Mais, en admettant qu’une politique néolibérale ambitieuse d’intervention humanitaire
bénéficie du soutien nécessaire, celle-ci ne disposera d’aucun instrument. L’armée américaine a été tellement éprouvée et démoralisée
par la débâcle en Irak qu’elle exclut d’autres
interventions importantes ailleurs dans le
monde, que ce soit pour aider à construire des
Etats, à instaurer la paix ou à la maintenir.
Comme après le Vietnam, il faudra au moins
une décennie – si ce n’est plus – pour remettre
sur pied une armée démoralisée.
Quoi que nous réserve l’avenir, il est certain que les années 1990 sont enfin terminées
et que leurs rêves utopiques ne deviendront
pas réalité. La vision néoconservatrice d’un
grand marché mondial dominé par des EtatsUnis tout-puissants dans un monde unipolaire
semble aujourd’hui démodée. Il en va de même
de la vision néolibérale d’une alliance entre les
démocraties de l’Atlantique Nord désavouant
les principes de la souveraineté nationale définis après1945 afin d’envoyer des soldats et des
missionnaires de la démocratie mettre fin aux
conflits ethniques, veiller à l’application des
droits de l’homme et apporter la démocratie
et la liberté au Moyen-Orient et à l’Afrique.
De toute évidence, le monde multipolaire et
mercantiliste qui se dessine aujourd’hui ne ressemble pas du tout à l’ordre unipolaire fondé
sur l’économie de marché que nous avaient
décrit Clinton, Blair et Bush.
Michael Lind**
* En français dans le texte.
** Ancien néoconservateur ayant rompu avec les
républicains, Michael Lind vient de publier The
American Way of Strategy : US Foreign Policy and the
American Way of Life, Oxford University Press.
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p o r t ra i t
Josko Joras
L’irréductible Slovène de Croatie
MLADINA (extraits)
Ljubljana
Il a accepté notre demande
d’entretien avec réticence.
“Vous, les journalistes, vous venez
chez moi avec une opinion préconçue
et en général vous ne cherchez qu’à
étayer vos préjugés”, a-t-il lâché.
Les mots publiés peuvent blesser profondément, a-t-il
ajouté. Pas seulement lui-même, mais aussi sa famille,
dont des membres, même lointains, l’appellent parfois
en le suppliant de réfléchir à deux fois avant d’apparaître à nouveau dans les médias.
Sa méfiance est fondée, du moins à en juger d’après
les réactions de mes collègues avant notre rencontre.
“Quoi, tu vas voir Josko ? Tous les ans, au début de juillet,
il nous fait le coup de se jeter par terre devant les caméras”,
a lancé, railleur, l’un d’entre eux. “Bon, d’accord. Un
gars de chez nous se construit une baraque sur le no man’s
land entre deux peuples aussi querelleurs que les Slovènes et
les Croates… Etait-il vraiment incapable d’imaginer qu’il
allait causer tous ces problèmes ?”m’a dit un autre confrère,
réticent à l’idée de cet entretien. Un autre encore m’a
dit avec un sourire en coin de lui demander quand il
comptait enfin crépir sa maison : depuis que sa photo
passe si souvent dans les médias étrangers, elle est devenue une véritable ambassadrice de notre pays.
Après plusieurs années de calvaire estival, souvent
instrumentalisé par les campagnes préélectorales, Josko
Joras a, effectivement, fini par se discréditer auprès
de nombreux journalistes qui, pourtant, n’avaient pas
hésité à le présenter comme un héros national lors de
son séjour dans une prison croate.
Au téléphone déjà, j’avais eu le sentiment que
M. Joras était un interlocuteur difficile. Non seulement
il saute d’un sujet à l’autre mais, dans le souci de livrer
une troisième, une quatrième ou une douzième information, il oublie de donner la première et la deuxième.
Pendant la discussion, il est d’une précision agaçante,
ce qui veut dire qu’il reprend tout le temps son interlocuteur. A sa décharge, il faut reconnaître que trois
fois sur cinq il arrive à démontrer que le mot utilisé
est, dans le contexte donné, vraiment inapproprié. La
pire gaffe est de dire “frontière” et non pas “point de
contrôle croate”. Quand on attire son attention sur
une de ses erreurs, il la reconnaît immédiatement avec
le sourire et sans la moindre mauvaise humeur. On
dirait même qu’il préfère être conciliant plutôt qu’en
opposition, ce qui est quelque peu étrange pour quelqu’un qui est présenté sans cesse comme un entêté
irascible, voire comme un irréductible. Lui se décrit
comme un formaliste, voire un légaliste, c’est-à-dire
un individu qui respecte à la virgule les lois et les
accords passés. Toutes les deux minutes, il quitte la
pièce en trombe et revient en portant avec délectation
un nouveau tas de classeurs épais où il a documenté
méticuleusement sa lutte pour obtenir la souveraineté
slovène – et européenne – sur son lopin de terre.
Quant à moi, j’essaie de le faire apparaître comme
un individu en chair et en os, mais je n’y arrive pas vraiment. D’un côté, il s’y oppose activement. De façon
générale, il ne veut pas qu’on s’y attarde, puisqu’en tant
qu’individu il n’est “rien de spécial, rien qu’un Slovène
parmi les 2 millions d’autres Slovènes”. De l’autre, c’est
techniquement impossible. En effet, comment séparer
l’homme Josko Joras du combattant infatigable qui lutte
pour que le hameau de Secovlje retourne dans le giron
de la mère patrie ? “J’ai mis le doigt sur une affaire qui
– du moins dans certaines têtes – était conclue, même s’il
n’y a jamais eu aucune base légale, explique-t-il. Vos confrères, par exemple, ■ Contentieux
Depuis la fin
écrivent qu’on leur a enseigné à l’école
de la Yougoslavie,
que la frontière passait sur la Dragonja. en 1991, le tracé
Mais c’est une division informelle et de la frontière entre
arbitraire, effectuée par les commis- la Slovénie et
saires politiques des partisans en 1944 la Croatie a fait
afin de délimiter une zone d’opérations l’objet de nombreuses
militaires. Montrez-moi un seul acte négociations
fondateur selon lequel la frontière est et controverses
sur la Dragonja ! Et puis, une autre ponctuées de
question importante se pose : qu’est-ce brusques tensions
entre les deux pays.
que la Dragonja ? Ce qui est actuel- Si cette question
lement considéré comme la Dragonja apparaît aujourd’hui
est en fait le canal Saint-Odorik, comme globalement
rebaptisé Dragonja”…
résolue, quelques
Juste au moment où il s’apprête points litigieux
à étaler une carte topographique du demeurent,
parc naturel régional des salines de notamment dans
Secovlje, un coup de vent subit nous la baie de Piran,
force à quitter le banc du jardin. où vit Josko Joras.
“Voici ma femme”, dit-il en pénétrant Les quelques
maisons de ce
dans le salon et en me présentant hameau se trouvent
son épouse, Olga, tandis que sa fille sur l’ancienne
Desi nous offre des tranches de frontière fédérale
melon. Puis Josko se met à me ra- (ce qui ne posait
conter sa vie. Il est né en 1950 à aucun problème
Maribor. Sa mère, citoyenne ita- du temps de
lienne, avait abrité dans son auberge la Yougoslavie).
une base clandestine de partisans, Deux communes
ce qui lui a valu d’être déportée dans – celle d’Umag
côté croate
un camp de concentration. A la fin
et celle de Piran
de la guerre, elle ne pesait que 38 ki- côté slovène –
los, un véritable squelette humain. se disputent le droit
Malgré cela elle a ensuite donné de les administrer.
naissance à sept enfants bien portants, dont le dernier était Josko. Quand il eut 5 ans,
son père fuit le communisme de Tito et s’installa en
Suède. Il fut alors élevé par sa mère, qui s’identifia
à l’idéal socialiste tout en refusant sèchement de devenir moucharde pour la police secrète.
Pour ses 10 ans, un médecin conseilla à celle-ci
de s’installer au bord de la mer. Ils déménagèrent donc
à Piran, au bord de l’Adriatique, où Josko suivit une
formation de serveur. Même s’il passa là des années
agréables, il décida à 20 ans de partir en Allemagne,
dans la Ruhr. Il voulait connaître le monde, mais il fit
surtout la connaissance de son épouse. Ayant mis de
l’argent de côté, il racheta à son patron le restaurant où
il travaillait. Devenu gérant, il mena une vie confor-
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42
table, mais quelque chose lui manquait. “Mon sentiment
d’identité s’est réveillé à l’étranger. C’est là que j’ai réalisé
combien notre bord de mer était magnifique. Il faut savoir
que, dans la Ruhr, ils ont du brouillard ou de la pluie trois
cents jours par an.” En 1984, il décida de rentrer au pays.
A défaut de pouvoir s’installer sur la côte, il se mit
à retaper la maison maternelle, à Secovlje. Il dit y avoir
passé treize années sereines, sans le moindre problème,
et cela malgré les guerres qui éclatèrent sur le territoire
de l’ex-Yougoslavie à partir de 1991. Ce n’est qu’à partir
de 1998 qu’il dit être devenu l’objet de pressions malveillantes de la part des autorités croates, dans le seul
but, selon lui, de le chasser et de s’approprier sa maison. C’est à cet instant qu’il me présente des documents
témoignant de tentatives répétées d’agents du “point
de contrôle” croate de lui confisquer son lait et d’autres
humiliations de ce genre.Vient ensuite l’histoire bien
connue du drapeau slovène et européen hissé sur sa
maison, des amendes impayées, de la condamnation à
l’emprisonnement et de la grève de la faim qui s’est
ensuivie. A cette époque, cela l’a beaucoup amusé de
constater que les autorités croates, qui avaient qualifié de “violation de l’ordre et de la paix publics” sa décision de hisser le drapeau slovène, lui écrivaient à
l’adresse “Secovlje 1,Slovénie”. Il leur a toujours répondu
avec un plaisir tout particulier, ayant interprété cela
comme une preuve directe que sa maison se trouvait
bien en territoire slovène.
Après sa remise en liberté, les Croates ont fait une
croix sur les amendes pour avoir la paix. Puis il y a eu
une accalmie ; il ne rencontrait plus aucun problème à
la frontière… euh, au point de contrôle. Il y a eu ensuite
sa candidature à la présidentielle, en 2002, et la plantation préélectorale de tilleuls. Le dernier conflit a éclaté
à l’été 2006, quand, selon M. Joras, les autorités croates
ont fait obstacle au travail des instances juridiques de
l’Etat slovène. Quatre gorilles en uniforme auraient
physiquement empêché un expert judiciaire venu de
Ljubljana d’évaluer les dégâts causés par les eaux pluviales provenant de l’immense parking d’un grand
casino croate voisin. Deux jours après, les Croates
ont bloqué avec quatre bacs à fleurs en béton le passage que Josko Joras avait aménagé pour contourner le
point de contrôle. La justice ayant ordonné de les retirer,
il a attendu quelques semaines pour donner aux Croates
la possibilité de le faire, puis a commandé une grue
pour les retirer lui-même, mais celle-ci a été interceptée par des policiers slovènes, ce qu’il considère comme
un véritable coup de poignard dans le dos.
Josko Joras et sa “Société civile slovène pour la frontière en Istrie” envisagent de poursuivre la Croatie
devant la Cour européenne de justice. Quand on lui
demande s’il serait quand même rentré en Slovénie,
abandonnant sa vie tranquille et prospère en Allemagne,
s’il avait su ce qui l’y attendait, il répond d’un “oui”
catégorique après une courte réflexion. S’épanouit-il
en vivant ainsi ? “Oui” de nouveau.
Quand en partant je lui demande enfin s’il a l’intention de crépir sa maison, il réplique qu’il l’aurait fait
depuis belle lurette s’il ne dépensait pas autant d’argent
et d’énergie pour mener son combat.
Jure Aleksic
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Josko Joras
L’irréductible Slovène de Croatie
MLADINA (extraits)
Ljubljana
Il a accepté notre demande
d’entretien avec réticence.
“Vous, les journalistes, vous venez
chez moi avec une opinion préconçue
et en général vous ne cherchez qu’à
étayer vos préjugés”, a-t-il lâché.
Les mots publiés peuvent blesser profondément, a-t-il
ajouté. Pas seulement lui-même, mais aussi sa famille,
dont des membres, même lointains, l’appellent parfois
en le suppliant de réfléchir à deux fois avant d’apparaître à nouveau dans les médias.
Sa méfiance est fondée, du moins à en juger d’après
les réactions de mes collègues avant notre rencontre.
“Quoi, tu vas voir Josko ? Tous les ans, au début de juillet,
il nous fait le coup de se jeter par terre devant les caméras”,
a lancé, railleur, l’un d’entre eux. “Bon, d’accord. Un
gars de chez nous se construit une baraque sur le no man’s
land entre deux peuples aussi querelleurs que les Slovènes et
les Croates… Etait-il vraiment incapable d’imaginer qu’il
allait causer tous ces problèmes ?”m’a dit un autre confrère,
réticent à l’idée de cet entretien. Un autre encore m’a
dit avec un sourire en coin de lui demander quand il
comptait enfin crépir sa maison : depuis que sa photo
passe si souvent dans les médias étrangers, elle est devenue une véritable ambassadrice de notre pays.
Après plusieurs années de calvaire estival, souvent
instrumentalisé par les campagnes préélectorales, Josko
Joras a, effectivement, fini par se discréditer auprès
de nombreux journalistes qui, pourtant, n’avaient pas
hésité à le présenter comme un héros national lors de
son séjour dans une prison croate.
Au téléphone déjà, j’avais eu le sentiment que
M. Joras était un interlocuteur difficile. Non seulement
il saute d’un sujet à l’autre mais, dans le souci de livrer
une troisième, une quatrième ou une douzième information, il oublie de donner la première et la deuxième.
Pendant la discussion, il est d’une précision agaçante,
ce qui veut dire qu’il reprend tout le temps son interlocuteur. A sa décharge, il faut reconnaître que trois
fois sur cinq il arrive à démontrer que le mot utilisé
est, dans le contexte donné, vraiment inapproprié. La
pire gaffe est de dire “frontière” et non pas “point de
contrôle croate”. Quand on attire son attention sur
une de ses erreurs, il la reconnaît immédiatement avec
le sourire et sans la moindre mauvaise humeur. On
dirait même qu’il préfère être conciliant plutôt qu’en
opposition, ce qui est quelque peu étrange pour quelqu’un qui est présenté sans cesse comme un entêté
irascible, voire comme un irréductible. Lui se décrit
comme un formaliste, voire un légaliste, c’est-à-dire
un individu qui respecte à la virgule les lois et les
accords passés. Toutes les deux minutes, il quitte la
pièce en trombe et revient en portant avec délectation
un nouveau tas de classeurs épais où il a documenté
méticuleusement sa lutte pour obtenir la souveraineté
slovène – et européenne – sur son lopin de terre.
Quant à moi, j’essaie de le faire apparaître comme
un individu en chair et en os, mais je n’y arrive pas vraiment. D’un côté, il s’y oppose activement. De façon
générale, il ne veut pas qu’on s’y attarde, puisqu’en tant
qu’individu il n’est “rien de spécial, rien qu’un Slovène
parmi les 2 millions d’autres Slovènes”. De l’autre, c’est
techniquement impossible. En effet, comment séparer
l’homme Josko Joras du combattant infatigable qui lutte
pour que le hameau de Secovlje retourne dans le giron
de la mère patrie ? “J’ai mis le doigt sur une affaire qui
– du moins dans certaines têtes – était conclue, même s’il
n’y a jamais eu aucune base légale, explique-t-il. Vos confrères, par exemple, ■ Contentieux
Depuis la fin
écrivent qu’on leur a enseigné à l’école
de la Yougoslavie,
que la frontière passait sur la Dragonja. en 1991, le tracé
Mais c’est une division informelle et de la frontière entre
arbitraire, effectuée par les commis- la Slovénie et
saires politiques des partisans en 1944 la Croatie a fait
afin de délimiter une zone d’opérations l’objet de nombreuses
militaires. Montrez-moi un seul acte négociations
fondateur selon lequel la frontière est et controverses
sur la Dragonja ! Et puis, une autre ponctuées de
question importante se pose : qu’est-ce brusques tensions
entre les deux pays.
que la Dragonja ? Ce qui est actuel- Si cette question
lement considéré comme la Dragonja apparaît aujourd’hui
est en fait le canal Saint-Odorik, comme globalement
rebaptisé Dragonja”…
résolue, quelques
Juste au moment où il s’apprête points litigieux
à étaler une carte topographique du demeurent,
parc naturel régional des salines de notamment dans
Secovlje, un coup de vent subit nous la baie de Piran,
force à quitter le banc du jardin. où vit Josko Joras.
“Voici ma femme”, dit-il en pénétrant Les quelques
maisons de ce
dans le salon et en me présentant hameau se trouvent
son épouse, Olga, tandis que sa fille sur l’ancienne
Desi nous offre des tranches de frontière fédérale
melon. Puis Josko se met à me ra- (ce qui ne posait
conter sa vie. Il est né en 1950 à aucun problème
Maribor. Sa mère, citoyenne ita- du temps de
lienne, avait abrité dans son auberge la Yougoslavie).
une base clandestine de partisans, Deux communes
ce qui lui a valu d’être déportée dans – celle d’Umag
côté croate
un camp de concentration. A la fin
et celle de Piran
de la guerre, elle ne pesait que 38 ki- côté slovène –
los, un véritable squelette humain. se disputent le droit
Malgré cela elle a ensuite donné de les administrer.
naissance à sept enfants bien portants, dont le dernier était Josko. Quand il eut 5 ans,
son père fuit le communisme de Tito et s’installa en
Suède. Il fut alors élevé par sa mère, qui s’identifia
à l’idéal socialiste tout en refusant sèchement de devenir moucharde pour la police secrète.
Pour ses 10 ans, un médecin conseilla à celle-ci
de s’installer au bord de la mer. Ils déménagèrent donc
à Piran, au bord de l’Adriatique, où Josko suivit une
formation de serveur. Même s’il passa là des années
agréables, il décida à 20 ans de partir en Allemagne,
dans la Ruhr. Il voulait connaître le monde, mais il fit
surtout la connaissance de son épouse. Ayant mis de
l’argent de côté, il racheta à son patron le restaurant où
il travaillait. Devenu gérant, il mena une vie confor-
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table, mais quelque chose lui manquait. “Mon sentiment
d’identité s’est réveillé à l’étranger. C’est là que j’ai réalisé
combien notre bord de mer était magnifique. Il faut savoir
que, dans la Ruhr, ils ont du brouillard ou de la pluie trois
cents jours par an.” En 1984, il décida de rentrer au pays.
A défaut de pouvoir s’installer sur la côte, il se mit
à retaper la maison maternelle, à Secovlje. Il dit y avoir
passé treize années sereines, sans le moindre problème,
et cela malgré les guerres qui éclatèrent sur le territoire
de l’ex-Yougoslavie à partir de 1991. Ce n’est qu’à partir
de 1998 qu’il dit être devenu l’objet de pressions malveillantes de la part des autorités croates, dans le seul
but, selon lui, de le chasser et de s’approprier sa maison. C’est à cet instant qu’il me présente des documents
témoignant de tentatives répétées d’agents du “point
de contrôle” croate de lui confisquer son lait et d’autres
humiliations de ce genre.Vient ensuite l’histoire bien
connue du drapeau slovène et européen hissé sur sa
maison, des amendes impayées, de la condamnation à
l’emprisonnement et de la grève de la faim qui s’est
ensuivie. A cette époque, cela l’a beaucoup amusé de
constater que les autorités croates, qui avaient qualifié de “violation de l’ordre et de la paix publics” sa décision de hisser le drapeau slovène, lui écrivaient à
l’adresse “Secovlje 1,Slovénie”. Il leur a toujours répondu
avec un plaisir tout particulier, ayant interprété cela
comme une preuve directe que sa maison se trouvait
bien en territoire slovène.
Après sa remise en liberté, les Croates ont fait une
croix sur les amendes pour avoir la paix. Puis il y a eu
une accalmie ; il ne rencontrait plus aucun problème à
la frontière… euh, au point de contrôle. Il y a eu ensuite
sa candidature à la présidentielle, en 2002, et la plantation préélectorale de tilleuls. Le dernier conflit a éclaté
à l’été 2006, quand, selon M. Joras, les autorités croates
ont fait obstacle au travail des instances juridiques de
l’Etat slovène. Quatre gorilles en uniforme auraient
physiquement empêché un expert judiciaire venu de
Ljubljana d’évaluer les dégâts causés par les eaux pluviales provenant de l’immense parking d’un grand
casino croate voisin. Deux jours après, les Croates
ont bloqué avec quatre bacs à fleurs en béton le passage que Josko Joras avait aménagé pour contourner le
point de contrôle. La justice ayant ordonné de les retirer,
il a attendu quelques semaines pour donner aux Croates
la possibilité de le faire, puis a commandé une grue
pour les retirer lui-même, mais celle-ci a été interceptée par des policiers slovènes, ce qu’il considère comme
un véritable coup de poignard dans le dos.
Josko Joras et sa “Société civile slovène pour la frontière en Istrie” envisagent de poursuivre la Croatie
devant la Cour européenne de justice. Quand on lui
demande s’il serait quand même rentré en Slovénie,
abandonnant sa vie tranquille et prospère en Allemagne,
s’il avait su ce qui l’y attendait, il répond d’un “oui”
catégorique après une courte réflexion. S’épanouit-il
en vivant ainsi ? “Oui” de nouveau.
Quand en partant je lui demande enfin s’il a l’intention de crépir sa maison, il réplique qu’il l’aurait fait
depuis belle lurette s’il ne dépensait pas autant d’argent
et d’énergie pour mener son combat.
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Denis Sarkic
●
■ Josko Joras,
domicilié
à Secovlje 1,
Slovénie… en Croatie.
“Ici, c’est
la Slovénie”,
a-t-il écrit
sur le fronton
de sa maison,
où flottent les
drapeaux slovène
et de l’Union
européenne.
Trieste
Zagreb
S.
ME
T
R
AD
IA
I TA L I E
D E
CROATIE
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O L F E
R I E S T E
BOSNIEHERZ.
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Baie de Piran
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S L O V É N I E
Secovlje
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D ra
Zone litigieuse
des anciennes salines
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C R O A T I E
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10 km
Courrier international
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Denis Sarkic
Ljubljana
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HONGRIE
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DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
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enquête
●
RÉPRESSION RELIGIEUSE AU MAROC
Conversions interdites
Madrid
DE CASABLANCA
ous êtes un espion ou un missionnaire ?” Gilberto
Orellana garde encore gravée dans la mémoire
la question du commissaire de police de
Tétouan, qui l’a longuement interrogé il y a dix
ans. Le policier y a mis les formes, mais certains de
ses subordonnés l’ont insulté et menacé, lui criant :
“Dis-nous ce que tu fais au Maroc !” Ils l’ont malmené, mais ne l’ont jamais frappé. Après trois
années passées dans la capitale de l’ancien protectorat espagnol, Orellana avait été démasqué. Ce
Salvadorien, qui enseignait la musique au conservatoire de Tétouan, était aussi un pasteur évangélique qui s’efforçait de convertir ses collègues et ses
élèves, dans la plus grande discrétion.
Théoriquement, hormis une petite minorité
juive d’environ 3 500 âmes, toute la population
marocaine est musulmane. Le Code pénal reconnaît la liberté de culte, mais son article 220 prévoit aussi entre six mois et trois ans d’emprisonnement pour quiconque tente de déstabiliser la
foi musulmane, c’est-à-dire pour ceux qui font du
prosélytisme.
“Certains élèves ne voulaient même pas toucher la
Bible”, se rappelle aujourd’hui Orellana dans son
appartement de Málaga [sud de l’Espagne], où il
s’est installé avec sa famille en 1995. “Parfois, ils arrêtaient de me parler dès que je commençais à leur faire
part de ma foi”, poursuit-il. D’autres, en revanche,
se sont engagés dans la voie prônée par le pasteur.
“Il y a eu cinq baptêmes dans ma baignoire, et un sixième,
celui d’une fille un peu grosse, dans la mer”, raconte-til avec fierté.
Ce travail lui a valu une condamnation à un an
de prison, même s’il n’a passé que trois semaines
dans la prison de Tétouan, où il a dû partager sa cellule avec seize trafiquants de drogue. Grâce à la mobilisation internationale, le procès en appel a pu avoir
lieu rapidement. Orellana a été acquitté et, après
avoir passé trois jours au commissariat sans manger
ni boire, il a été expulsé vers Ceuta [enclave espagnole au Maroc].
Les convertis marocains, qui avaient écopé de huit
mois de prison, ont été eux aussi remis en liberté par
la cour d’appel de Tétouan après avoir récité la profession de foi musulmane : “Il n’y a de Dieu que Dieu
et Mahomet est son prophète.” Les brebis égarées revenaient ainsi dans le droit chemin religieux, du moins
formellement.
Celui que nous appellerons Youssef – un étudiant
en sciences de Taourit, une petite ville située non loin
de Melilla [enclave espagnole au Maroc] – a subi à
peu près le même sort il y a seulement neuf mois, après
s’être converti en regardant les émissions de SAT 7,
une télévision évangélique en langue arabe ayant son
siège à Beyrouth. En pleine nuit, des gendarmes l’ont
tiré du lit sans ménagement, puis l’ont emmené au
poste afin de l’interroger sur sa foi chrétienne. Ils
lui ont administré quelques coups de pieds, puis ont
fini par le relâcher.
“J’ai dit à Youssef qu’au Maroc un citoyen victime
d’abus disposait de moyens pour faire valoir ses droits”,
V
Le royaume chérifien punit sévèrement
le prosélytisme des missionnaires
évangéliques, qu’ils soient marocains
ou étrangers, tout en essayant
de ne pas se fâcher avec Washington.
raconte Ali, un pasteur évangélique marocain de l’est
du pays. “Mais ce garçon ne voulait pas perdre de temps
à protester, il avait des examens à passer et c’était pour lui
une priorité absolue.” Ali a accepté de converser avec
moi dans un café très animé, à condition que son nom
ne soit pas cité, pas plus que la ville où il exerce.
Il n’a pas été facile de trouver Youssef, Ali et leurs
coreligionnaires. Les églises marocaines ne figurent
pas dans l’annuaire téléphonique, et elles ne disposent pas de site Internet. Les églises catholiques
ou protestantes jouissent certes d’un statut légal
au Maroc mais elles ne peuvent être fréquentées que
par des fidèles européens ou subsahariens. Elles
connaissent à peine les convertis et ne donnent pas
leurs numéros. Une longue chaîne de contacts permet seule de les localiser. Quand l’un d’entre eux
accorde sa confiance au journaliste, toute la communauté s’ouvre.
“Ce qui est arrivé au pasteur latino-américain et au
frère Youssef n’arriverait pas dans les grandes villes du
Maroc”, assure Ali en sirotant son café. “Nous, les chrétiens, on continue à nous convoquer de temps en temps au
commissariat. Moi, la dernière fois, on m’a fait venir il y a
un ou deux mois, mais c’était pour bavarder amicalement,
essayer de me soutirer des informations, ajoute-t-il. Il n’y
a pas de coups ni de menaces, et encore moins de peines
de prison, comme c’était le cas sous Hassan II. Il y a juste,
disons, un excès de zèle dans certaines petites villes.”
“Le problème”, poursuit-il, tout en cherchant du
coin de l’œil un éventuel mouchard assis près de notre
table, “ce ne sont plus les autorités.” Même si, à Massa,
dans le sud du pays, Jamaa Ait Bakrim a été condamné
en 2003 à quinze ans de prison pour prosélytisme
et dégradation de biens publics. “Le problème, ce sont
les parents, les voisins, la société dans son ensemble, poursuit-il. Le makhzen [entourage du roi] veut savoir tout
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
44
ce que nous faisons, mais il ne tient
plus à nous empêcher de le faire,
pourvu que nous restions prudents. Il
se soucie aussi de notre sécurité, il ne
veut pas que nous soyons agressés par
des fanatiques.” Né dans une famille
nombreuse de classe moyenne
supérieure, Ali, 40 ans, a connu
une crise religieuse à l’adolescence.
“Le Dieu de l’islam ne me comprenait pas, et à 16 ans j’ai fini par me
déclarer athée, se rappelle-t-il. L’islam tel qu’on l’interprète actuellement
est une chape de plomb. Quand je suis
entré à l’université, un copain m’a
prêté une Bible. J’ai rencontré un Dieu
qui m’acceptait tel que j’étais pour
ensuite me changer.” Ali s’est
converti. Il a approfondi la connaissance de sa nouvelle religion grâce
à un cours par correspondance. “Je
recevais des lettres sans en-tête d’un
pays arabe, en théorie très musulman.”
“Vous savez que, pour mon entourage, il est plus acceptable d’être athée
que chrétien ? fait valoir le pasteur,
marié et père de deux enfants. Etre
athée, c’est une erreur de jeunesse, être
chrétien, c’est une trahison. Non seulement tu as rejeté l’islam, mais tu es
Dessin
de Nataliya Moroz
passé à la religion du colonisateur
paru dans The New
français. Les gens s’imaginent que tu
York Times Book
t’es converti parce que, comme ça, tu
Review, Etats-Unis.
pourras émigrer plus facilement vers
l’Europe ou que tu vas obtenir en
échange tel ou tel avantage économique.” Un sondage de l’institut
américain PEW conclut que 61 %
des Marocains ont une opinion
négative du christianisme.
Radouan Benchekroun, président du Conseil des oulémas (théo■ Prosélytisme
logiens musulmans) de CasaGilberto Orellana,
blanca, contribue à diffuser cette
le pasteur
idée : “Les évangéliques trompent les
évangélique
gens, ils les attirent avec de l’argent et
expulsé du Maroc.
de l’aide sociale. Ils propagent des
mensonges sur l’islam et les musulmans. Renier sa religion,
c’est le plus grand péché que puisse commettre un musulman”, explique-t-il.
A mesure qu’Ali révélait sa foi, il a perdu ses amis.
“Ça n’a pas été facile, se souvient-il. Je leur demandais de me juger sur mes actes, et non sur mes choix religieux. Parmi mes douze frères, trois se sont convertis.” Dans
la famille d’Ali, comme dans beaucoup d’autres, les
premières personnes à embrasser la nouvelle foi ont
été des femmes.
“Pour elles, être chrétiennes, c’est être plus libres, plus
égales que les autres”, explique Abdelhak, un autre pasteur évangélique. Il a fondé un club d’amis censément mordus d’informatique – une couverture pour
pouvoir se réunir plus facilement avec ses fidèles.
Abdelhak n’a pas eu à se convertir, parce que, souligne-t-il en bombant le torse, “j’ai le privilège d’avoir
des parents chrétiens”. Ces derniers ont opté pour le
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El País
EL PAÍS
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protestantisme au lendemain de l’indépendance, il y
a un demi-siècle. Les dimanches et les jours fériés,
les chrétiens se donnent rendez-vous pour prier chez
des particuliers, généralement chez leur pasteur. “Le
plus souvent, on est entre 15 et 20 personnes. Rassembler plus de gens, ça attirerait l’attention, indique Ali.
C’est aussi la raison pour laquelle, à mon domicile, nous
espaçons les entrées et les sorties. Dans le vieux quartier
de la ville, il y a aussi une poignée d’artisans chrétiens
qui, du fait qu’ils travaillent le dimanche, prient le Seigneur les vendredis.”
Les convertis ne fréquentent pas les églises officielles, soit qu’ils veuillent créer la leur – arabe ou berbère –, soit parce qu’en le faisant ils risqueraient de
mettre en difficulté les paroissiens et les pasteurs étrangers, que Rabat pourrait accuser de prosélytisme. A
Noël, certains n’en franchissent pas moins la porte
du temple. Par exemple, Abdelhak. “Les deux policiers
en faction pendant le culte ne se sont pas démontés,
raconte-t-il, et le pasteur, qui me connaît, m’a regardé
d’un air étonné tandis que je m’asseyais parmi les fidèles.”
Le pire, pour les chrétiens, de l’aveu de tous les
interviewés, ce sont les fêtes musulmanes et le mois
de jeûne du ramadan. “Certes, nous ne mangeons pas
en pleine rue pendant le ramadan, souligne Ali, mais nous
ne respectons pas l’abstinence. De la même façon, nous
n’observons pas l’iftar [rupture du jeûne] et nous n’égorgeons pas un agneau pour l’Aïd. A ces occasions, on vous
regarde comme une bête curieuse et vous vous sentez vraiment différent.”
Depuis quelques années, outre les rares pasteurs
reconnus par les autorités, le Maroc en voit affluer
beaucoup d’autres dont l’activité déclarée – souvent
coopérant – dissimule un travail de missionnaire.
Cétait ainsi le cas de Gilberto Orellana. La plupart de
ces pasteurs viennent des Etats-Unis, bien qu’on
trouve parmi eux quelques Latino-Américains. “Le
gouvernement Bush les encourage, et son ambassade à
Rabat leur assure une certaine protection”, affirme un
diplomate européen en poste dans cette capitale.
Combien sont-ils ? La presse estime à 500 les nouveaux pasteurs, dont beaucoup ont été formés dans
trois universités évangéliques des Etats-Unis et qui
sont répartis dans tout le Maroc. Ce chiffre n’étonne
pas les Eglises reconnues. En revanche, il en inquiète
certains, à tel point que le parti de l’Istiqlal (Indépendance), le deuxième du pays, a interpellé devant
les deux Chambres le ministre des Affaires religieuses,
Ahmed Taoufik, au sujet de l’“offensive évangélique”.
“Le peuple marocain […] exige des mesures concrètes pour
garantir sa sécurité spirituelle”, a lancé Al-Tajdid, l’organe des islamistes modérés.
Taoufik a esquivé la question, alors même que son
prédécesseur avait envoyé une circulaire aux oulémas
pour qu’ils mettent en garde la population. Vers la
même date, le ministre de l’Intérieur a fait expulser
de Marrakech le pasteur sud-africain Dean Malan.
Mais, même si l’apostolat évangélique les gêne aux
entournures, les autorités ont du mal à aller plus loin.
D’importantes délégations des Eglises évangéliques des
Etats-Unis se rendent à Rabat pour s’y entretenir avec
des ministres. “Elles bénéficient d’un traitement de faveur,
car notre makhzen ne ménage pas ses efforts pour satisfaire
Bush”, assure Le Journal hebdomadaire.
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économie
■ économie
Les Espagnols
partent
à la conquête
du monde p. 48
Une
immigration
salvatrice pour
l’économie p. 48
■ multimedia
Internet à deux
vitesses ?
Non, merci ! p. 50
i n t e l l i g e n c e s
Mariage d’amour dans la sidérurgie
CONCENTRATION Le rachat de l’anglo■
néerlandais Corus par l’indien
Tata Steel va donner naissance
à un nouveau géant de l’acier.
THE ECONOMIST
Dessin de Chris
Londres
Duggan paru dans
le Financial Times,
Londres.
DE NEW DELHI
u début du XXe siècle, lorsque
l’Inde faisait encore partie de
l’Empire britannique, le président des chemins de fer de la
colonie, sir Frederick Upcott, ne tenait
pas Tata en haute estime. A tel point
qu’il s’était dit prêt à “manger chaque
livre de rail” que la jeune société sidérurgique serait en mesure de fabriquer selon les spécifications britanniques. En a-t-il fait une indigestion,
nul ne le sait, toujours est-il qu’à partir de 1916 Tata a produit plusieurs
centaines de tonnes d’acier par an.
Il y a deux ou trois ans, le même
scepticisme aurait été justifié si quelqu’un avait suggéré que Corus, le sidérurgiste anglo-néerlandais qui abrite
dans son giron l’ancien géant British
Steel, ferait l’objet d’une OPA de Tata
Steel, société indienne de taille bien plus
modeste. C’est pourtant ce qui est arrivé
le 20 octobre quand Corus a accepté
l’offre de 7,6 milliards d’euros présentée par Tata pour donner naissance au
cinquième sidérurgiste mondial.
Lorsqu’il y a près d’un an, Jim
Leng, le président de Corus, a commencé à chercher à l’étranger des
sources bon marché d’acier primaire
pour ses usines de finition européennes, il s’est d’abord adressé à Tata.
A
i n t e l l i ge n c e s
■ sciences
Bataille
de statisticiens
à propos
de la guerre
en Irak p. 51
■ technologie
Un Tchernobyl
flottant
dans les eaux
russes p. 52
■ écologie
Pourquoi
il faut interdire
l’Everest
aux touristes
●
■
Conglomérat
Fondé au XIXe siècle,
le groupe Tata
emploie plus de
202 000 personnes
dans le monde.
Il réalise un chiffre
d’affaires de
17 milliards d’euros
dans divers secteurs
(thé, automobile,
sidérurgie,
télécommunications,
services financiers,
hôtellerie,
informatique…).
Respecté pour
sa probité et pour
son engagement
dans la société,
parfois critiqué
pour sa gestion
paternaliste,
Tata contrôle
plusieurs fondations
caritatives, impliquées
notamment
dans la recherche
et l’éducation.
Il a également engagé des discussions
avec O.P. Jindal, un autre groupe sidérurgique indien de moindre importance, et avec des firmes d’autres pays.
Mais lorsqu’en 2006 les prix de l’acier
se sont mis à flamber, Corus est passé
du statut d’acheteur à celui de cible
potentielle, et Tata, qui dispose d’importantes liquidités, a vu l’opportunité
d’acquérir une envergure mondiale
quelques mois après que Mittal Steel,
avec à sa barre Lakshmi Mittal, un
homme d’affaires d’origine indienne
vivant à Londres, eut mis la main sur
l’européen Arcelor. Selon Ratan Tata,
qui dirige le groupe, l’objectif n’est pas
seulement d’accroître la taille de Tata
Steel, mais également de développer
une “cohérence stratégique”.
La fusion Arcelor-Mittal, ainsi que
les projets de M. Mittal ou du sudcoréen POSCO visant à créer des
usines sidérurgiques intégrées en Inde,
avait conduit Tata Steel à prendre
conscience de sa vulnérabilité. Ces dix
dernières années, le groupe indien a
modernisé ses usines et taillé dans ses
effectifs pour devenir l’un des sidérurgistes aux coûts les plus faibles du
monde. Mais il reste un petit producteur [le 56e mondial], avec seulement 5,3 millions de tonnes d’acier
par an, contre 18,2 millions pour
Corus et 109,7 pour Arcelor-Mittal.
Il envisage cependant de dépenser
quelque 15 milliards de dollars
[11,8 milliards d’euros] pour construire
trois unités intégrées d’exploitation
la vie en boîte
p. 53
Cinq conseils pour survivre
1. Faites-vous remarquer
Pour avancer dans l’entreprise,
il faut se faire remarquer. Mais
travailler dur vous rend quasi
invisible. En conséquence, il vaut
bien mieux travailler à se faire
remarquer. Les cadres dirigeants
aiment plus que tout les débutants qui font preuve d’initiative.
Car plus ces jeunes se montrent
entreprenants, moins leurs
supérieurs ont de travail. Evidemment, proposer de faire
quelque chose, ce n’est pas du
tout comme faire quelque chose.
Dès que l’on a vu que vous étiez
volontaire, éloignez-vous du projet avant qu’il ne démarre réellement. La meilleure façon de s’y
prendre est de vous mettre sur
les rangs pour un autre projet.
2. Ne prenez pas de risques
On pourrait penser que les tireau-flanc forment une masse
iner te au bas de l’échelle hiérarchique. En réalité, on les
trouve à tous les niveaux, jusqu’au président lui-même. La rai-
son en est simple : quand cela
cile pour les assistantes d’acva mal, c’est généralement parce
céder aux postes de direction.
que quelqu’un quelque part a
Ce n’est pas qu’elles n’en setenté quelque chose. Les perraient pas capables ; le prosonnes qui restent bêtement
blème, c’est que les dirigeants
assises toute la journée
ne pourraient pas faire
devant leur bureau à
leur travail sans elles.
faire semblant de tra4. Soignez votre tenue
vailler sont par consévestimentaire
quent les seules à affiDepuis la chute du comcher un taux de réussite
munisme, le laisser-aller
de 100 %. Avec une telle
vestimentaire du venperformance, une prodredi est la principale
motion est inévitable.
entrave au bon fonc3. Soyez gentil
tionnement du capitaavec les assistantes
lisme. Si vous portez un
Si vous mettez tous
casque de soudeur, les
les PDG du pays dans
gens pensent à des
une pièce, leur produc- Dessin de Leonard rivets, si vous portez un
tion se limitera à une Beard paru dans
costume, ils pensent
gamme de juteuses El Periódico de
aux affaires. Mais si
stock-options pour eux- Catalunya, Barcelone. vous êtes en bermuda
mêmes et à du baratin
et en sandales, ils vous
insignifiant pour la City. Donnezimaginent sur le point de partir
leur une bonne assistante et
à San Francisco avec des fleurs
ils seront peut-être en mesure
dans les cheveux. Pour autant, ne
de faire quelque chose d’utile.
ressemblez pas trop à un homme
C’est pourquoi il est très diffid’affaires. Sinon, on croira que
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46
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
vous travaillez pour le grand banditisme ou les pompes funèbres,
voire les deux.
5. Passez-vous de consultants
Un consultant est quelqu’un doté
d’un ego si démesuré qu’il faut
plus d’une entreprise pour en
supporter le poids. Dans son travail, il essaie d’inspirer la crainte
ou de se faire des amis. C’est
quand il tente de devenir votre
ami qu’il vous fait le plus peur.
Le test infaillible pour juger un
consultant est de vérifier s’il peut
dire : “Tout va bien, maintenant je
vous laisse.” Aucun vrai consultant
n’en est capable. En revanche, il
vous vendra un projet qui coûtera
juste assez cher pour vous empêcher de faire des bénéfices, de
sorte qu’il vous faudra de nouveau faire appel à lui pour trouver une solution. Guy Browning*,
The Guardian (extraits), Londres
* Il vient de publier Office Politics :
How Work Really Works (Stratégies au
bureau, comment le travail fonctionne
réellement), Ebury Press.
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économie
minière et d’aciérie dans les Etats
indiens de l’Orissa, de Jharkhand et de
Chattisgarh, ce qui lui conférerait une
capacité supplémentaire de 23 millions
de tonnes d’acier par an, mais pas avant
dix à quinze ans.
En attendant,Tata a commencé à
se développer à l’étranger. Il a acquis
le singapourien NatSteel en 2004 et le
thaïlandais Millennium Steel en 2005,
gagnant ainsi 4 millions de tonnes
d’acier par an. Il a également fait une
offre pour le sud-africain Highveld
Steel, qu’il renouvellera si le russe
Evraz ne parvient pas à boucler son
rachat comme convenu. Enfin,Tata a
de grands projets concernant le minerai de fer et l’acier en Iran et au Bangladesh, même s’ils restent en suspens
pour des raisons politiques.
Cette offensive tous azimuts découle d’une stratégie lancée, il y a trois
ans, par le directeur général de Tata
Steel, B. Muthuraman. L’entreprise,
qui extrait tout le minerai de fer et le
charbon dont elle a besoin, souhaite
maintenant produire l’acier primaire
à proximité de ses gisements, puis
expédier l’acier semi-fini afin de réaliser la finition près des marchés de
consommation étrangers. Ce projet
satisfait les Etats indiens, qui exigent
qu’après l’extraction de leur minerai
de fer une part de valeur soit ajoutée
localement, tout en permettant, en
aval, d’adapter le processus de production aux besoins locaux.
TATA REDEVIENDRA LE PREMIER
CONGLOMÉRAT INDIEN
Corus s’insère parfaitement dans cette
stratégie. A la logique industrielle
s’ajoutent les affinités culturelles que
se sont trouvées les dirigeants des deux
groupes en début d’année. De manière
générale, les relations sont habituellement faciles entre sociétés indiennes
et britanniques. Ainsi, Tata Tea a
absorbé avec succès le britannique
British Tea en 2000, créant un lien
entre la production indienne de thé
et les buveurs étrangers. Cette année,
Tata Consultancy Services (TCS), la
branche logiciels et services informatiques du groupe, a créé une unité de
sous-traitance au Royaume-Uni, avec
Pearl, une société d’assurance-vie.
Aujourd’hui, les dirigeants de Corus,
tout comme ceux de Tata, expriment
leur souhait de voir aboutir une OPA
amicale et disent partager la même
vision en matière de gouvernance et
d’éthique. Tata a également annoncé
qu’il ne prévoyait pas de fermeture
d’usines ni de licenciements chez
Corus. Cet engagement (déjà pris et
tenu auprès de NatSteel et de Millenium Steel) constitue évidemment un
plus pour le groupe britannique, et
place la barre très haut pour toute offre
concurrente (CSN, une entreprise brésilienne, convoiterait aussi Corus).
Si l’opération aboutit, Ratan Tata
présidera le groupe né de la fusion, et
Jim Leng le secondera, mais il compte
laisser la gestion de Corus aux dirigeants actuels, en liaison avec un comité
d’intégration qu’il présidera. Tata
retrouvera alors sa place traditionnelle de premier conglomérat indien
en termes de chiffre d’affaires, évinçant du coup le très agressif Reliance
Industries – un effet secondaire dont
M.Tata et ses proches se réjouissent
discrètement.
■
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économie
Les Espagnols partent à la conquête du monde
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En nombre d’opérations
(échelle de droite)
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En milliards
de dollars
20
50
(échelle
de gauche)
0
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2000
2002
2004
2006*
* A fin septembre.
Sources : Dealogic, “The Wall Street Journal”
rope, et font leurs emplettes aux EtatsUnis. “Avec l’euro fort et la montée du
protectionnisme en Europe, les conditions
sont vraiment réunies pour une nouvelle
vague d’acquisitions aux Etats-Unis”,
prédit Mauro Guillén, professeur à la
Wharton School, à l’université de
Pennsylvanie, qui a écrit un livre sur
les multinationales espagnoles. En
2005, Santander a traversé l’Atlantique et pris une participation de 25 %
dans le capital de l’établissement de
crédit Sovereign Bancorp, en déboursant 2,9 milliards d’euros. Fin septembre, la Banque a annoncé le rachat
de Drive Financial, à Dallas, une
société de crédit automobile – un secteur lucratif dont Santander s’est taillé
la part du lion en Europe. Sa compatriote BBVA, qui a récemment bouclé quelques petites opérations en
Californie et au Texas – où elle est la
première banque – a annoncé cet été
son projet d’entrer sur le marché américain de la banque de détail. Le fabricant d’éoliennes GAMESA, lui, vient
de construire une usine en Pennsylvanie et il entend ne pas s’arrêter là.
Ferrovial exploite des routes à péage
à Chicago et au Texas, ainsi qu’au
Canada.
Les entreprises espagnoles n’auraient sans doute pas pu mener cette
expansion sans l’expérience acquise
lors de leurs premières incursions, il y
a dix ans, en Amérique latine.Telefónica mais aussi des banques et des
sociétés de services aux collectivités
ont profité de la vague de privatisa-
Une immigration salvatrice pour l’économie
CONSOMMATION Depuis dix ans,
■
4 millions d’étrangers se sont
installés en Espagne. Grâce à eux,
l’économie est florissante,
affirme une étude qui fait débat.
LA VANGUARDIA
Barcelone
etirez donc de la demande 4 millions
de personnes, avec tout ce qu’elles
apportent en termes de consommation, d’achats immobiliers, de rentrées fiscales, de nouveaux foyers, d’investissements… Quatre millions de personnes
pour la plupart âgées de 25 à 40 ans, qui
par conséquent consomment peu de services publics. Enlevez-les, vous verrez ce
qui reste… Notre pays a connu un vrai
choc en termes de demande et il n’en a
toujours pas analysé les conséquences.”
Josep Oliver, professeur à l’université autonome de Barcelone, s’enflamme lorsqu’il aborde le sujet. Le
29 août, en pleine crise des cayucos
[embarcations de fortune transportant des immigrés venus d’Afrique]
et face à une opinion publique très
mobilisée, la banque Caixa Catalunya
a publié une étude réalisée sous sa
direction, une simulation démontrant
que la croissance du PIB espagnol par
R
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habitant au cours des dix dernières
années était due à l’immigration. Sans
l’immigration, l’économie serait entrée
en récession, va jusqu’à affirmer le
rapport. Saluée par les uns, décriée
par les autres, cette étude a permis
d’ouvrir un débat jusqu’ici inexistant.
“Notre estimation est peut-être critiquable, mais elle est légitime”, insiste
Josep Oliver. “Selon la théorie classique,
plus la population est importante, moins
la productivité est forte. Mais il s’agit
d’une affirmation contestée. Il y a trente
ans, ce pays a pris la décision de ne plus
avoir d’enfants. Sur le long terme, cela
a eu un coût énorme”, ajoute-t-il. Pour
faire leur simulation, le professeur et
son équipe ont repris la méthodologie
des économistes David Bloom et Jeffrey Williamson, qui, en 1998, ont
démontré que le miracle asiatique
(1965-1990) était dû pour moitié à la
croissance démographique de la
région, plus précisément à la transition démographique. La clé de leur
succès ? La population en âge de tra-
+6
Evolution du PIB
par habitant (%)
Evolution du PIB
par habitant
sans immigrants (%)
Impact de l'immigration
sur la croissance annuelle
de 1995 à 2005
+4
+2
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DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
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Source : Caixa Catalunya
LES ÉTRANGERS STIMULENT LA CROISSANCE
Da
Par le passé, les grands prédateurs en
Europe étaient des sociétés britanniques, françaises et allemandes bien
établies. Aujourd’hui, l’appétit insatiable des Espagnols reflète la puissance économique grandissante de
leur pays. L’économie locale connaît
l’une de plus fortes croissances de la
zone euro, et la majorité des emplois
nouvellement créés dans cette zone
lui sont imputables. Madrid a engagé
la déréglementation de secteurs clés
comme les télécommunications, la
banque et l’énergie avant la plupart
de ses voisins, dopant ainsi sa croissance et permettant aux entreprises
de ces secteurs de se familiariser plus
tôt avec la concentration dans leur
pays et la concurrence internationale.
L’économie espagnole croît de
3,6 % par an en moyenne depuis dix
ans. En 2006, elle devrait progresser
de 3,4 %. Cette expansion économique a permis aux firmes espagnoles
de se constituer un important trésor
de guerre. Le financement des entreprises étant devenu moins cher avec
Achats d’entreprises étrangères
réalisés par des sociétés espagnoles
e
LES GOUVERNEMENTS EUROPÉENS
DEVIENNENT PROTECTIONNISTES
UN APPÉTIT DÉVORANT
giq
P
rich
ratiquement inconnues il y a dix
ans hors d’Espagne ou d’Amérique latine – où elles ont fait leurs
premiers pas à l’international –,
des entreprises comme Telefónica, Ferrovial et Abertis jouent désormais un
rôle de premier plan dans les fusions
et acquisitions en Europe. “Il y a quinze
ou vingt ans”, se souvient Luis Abril,
un dirigeant de Telefónica qui a travaillé pour d’autres grosses sociétés
espagnoles, “une réunion à Paris, à
Londres ou à New York nous mettait les
nerfs à vif. Nous ne parlions aucune
langue étrangère, nous ne connaissions pas
la manière dont ces gens faisaient des
affaires. Ce n’est plus le cas.”
Ferrovial, une ancienne entreprise
familiale de BTP, a acquis en 2006
l’exploitant de l’aéroport londonien
de Heathrow pour 15 milliards d’euros. Le Banco Santander, qui, il y a
deux ans, a réalisé la deuxième plus
importante opération transfrontalière
du secteur, avec la prise de contrôle
de la banque britannique Abbey
National, pour 14 milliards d’euros,
est devenu la neuvième banque du
monde en termes de capitalisation
boursière. En un an, Telefónica a
racheté l’opérateur de téléphonie
mobile britannique 02, ainsi que l’ancien opérateur public de télécommunications en République tchèque, et
a pris une participation de 10 % dans
le capital de China Netcom.
Ambition
“Nous sommes
en plein décollage
économique”,
a récemment lancé
José Luís Rodríguez
Zapatero
devant un parterre
d’entrepreneurs
catalans. Le Premier
ministre espagnol
estime que, dans
moins de dix ans,
son pays dépassera
la France
et l’Allemagne
en termes de PIB
par habitant.
Aujourd’hui, rappelle
El Mundo,
le PIB espagnol par
habitant représente
98 % de la moyenne
de l’Union
européenne, alors
que l’Allemagne
et la France
se situent l’une
et l’autre à 107 %.
Bel
New York
■
réduction d’impôts sur la survaleur
des acquisitions à l’étranger et diminue de facto leur coût, favorise les
opérations transfrontalières [la survaleur est l’écart entre le prix payé
pour l’acquisition d’une entreprise et
la valeur de ses actifs. Elle s’amortit
sur plusieurs années].
L’offensive des entreprises ibériques en Europe se heurte toutefois
à quelques résistances. Les gouvernements deviennent plus protectionnistes et s’efforcent de garder
dans le giron national des secteurs
comme la banque et l’énergie. Ainsi,
l’Italie tente de contrer le rachat
d’Autostrade par Abertis, qui donnerait naissance à un géant des
concessions d’autoroutes, alors que
la transaction a reçu le feu vert de
l’Union européenne. Le Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA) a dû
renoncer à la Banca Nazionale del
Lavoro de Rome, en partie à cause
de l’opposition d’Antonio Fazio, qui
dirigeait à l’époque la Banque centrale italienne. Le gouvernement
espagnol n’hésite pas, lui non plus, à
ériger des barrières protectionnistes.
Pendant une année, il a repoussé les
assauts des Allemands sur la société
d’électricité ENDESA, avant de finir
par rendre les armes. Son obstination
sur ce dossier a empêché des entreprises espagnoles d’accéder à certains
marchés européens, estiment avec
regret les milieux d’affaires.
Voilà pourquoi elles sont nombreuses à regarder au-delà de l’Eu-
gne
THE WALL STREET JOURNAL (extraits)
Dessin paru dans
The Economist,
Londres.
Au t
par la bonne santé
de leur économie
nationale, les
entrepreneurs ibériques
sont pris d’une
frénésie d’achats.
l’introduction de l’euro, des opérations autrefois impensables sont devenues possibles.Tous ces facteurs favorables ont permis aux Espagnols de
dépasser leurs concurrents installés
dans des pays européens à l’économie protégée et moins dynamique.
Par exemple, les banques espagnoles
affichent l’une des plus fortes rentabilités du monde. Anticipant la décélération, dans les années à venir, d’une
croissance nationale tirée depuis dix
ans par le boom du BTP, les firmes
espagnoles s’efforcent de s’implanter
sur de nouveaux marchés prometteurs. De plus, la fiscalité espagnole,
qui accorde aux entreprises une
ma
■
Alle
ACQUISITIONS Dopés
835p48-49 bis
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économie
tions qui a parcouru la région pour
s’emparer de nombreuses entreprises.
En 1999 et 2000, leurs investissements
dans cette partie du monde ont ainsi
dépassé ceux des Etats-Unis. Grâce à
cette expansion, surnommée la “reconquista” par les économistes, les firmes
espagnoles ont appris à piloter des
rachats de sociétés, à gérer des activités à l’étranger et à transformer des
unités inefficaces en modèles de rentabilité. Par la même occasion, leurs
dirigeants ont acquis la conviction
qu’ils étaient capables de rivaliser avec
leurs concurrents étrangers. “Les entreprises espagnoles n’auraient jamais été ce
qu’elles sont sans l’Amérique latine”,
affirme Luis de Guindos, un vice-président de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers à Madrid.
“Maintenant, elles reviennent vers l’Europe, leur marché naturel, et il est manifeste qu’elles lorgnent du côté des EtatsUnis, parce que, pour la première fois, ce
marché est réellement à leur portée.”
Keith Johnson
vailler qui arrivait sur le marché dépassait largement le nombre d’inactifs.
Reste à savoir si le miracle économique espagnol repose sur la même
recette, ne serait-ce qu’en partie.
Guillem López Casanovas, enseignant
à l’université Pompeu Fabra, à Barcelone, doute de la pertinence de cette
méthodologie dans le cas espagnol et
réfute l’idée que l’immigration augmente la productivité. “La majorité des
immigrants travaillent dans des secteurs
où la productivité est faible et qui sont les
moins en forme de toute l’Union européenne”, explique-t-il. Certes, “l’arrivée d’immigrés permet peut-être d’éviter
certaines fermetures d’usines, mais elle ne
fait que retarder la résolution du grand
problème de l’économie espagnole, à
savoir la productivité. Sans l’immigration, le processus d’adaptation nécessaire
aurait commencé.A l’inverse, nous accumulons aujourd’hui une population en
âge de travailler qui, en cas de crise, peut
devenir un problème.”
main-d’œuvre féminine, le recul de l’âge
de la retraite ou l’augmentation de la
natalité, n’aurait permis de résoudre le
problème à court terme.”
Pour Xavier Sala i Martín, professeur à l’université Columbia, ce type
d’analyse “ne tient pas compte du fait
que les immigrants, lorsqu’ils arrivent ici,
poussent les salaires à la baisse et interrompent les évolutions technologiques. Je
crois que l’adaptation dont on parle tant
aurait été faisable sur cette période limitée. L’économie se caractérise notamment
par sa capacité à s’adapter en très peu de
temps aux situations nouvelles. Que ce
soit bien clair, je ne suis pas contre l’immigration, mais ce type d’arguments ne
permet pas d’améliorer les choses.”
“Il est vrai que la théorie dominante
affirme qu’immigration et productivité
sont inversement proportionnelles, mais
je crois qu’il est dangereux d’opposer les
deux modèles”, tempère Carlos Obeso,
directeur de l’Institut d’études sur le
travail de l’ESADE. “L’économie espagnole doit chercher à gagner en valeur
ajoutée, mais les immigrés ne sont pas
responsables de l’échec scolaire. Aux
Etats-Unis, on parle de ‘mexicanisation’,
pour l’opposer à la mécanisation, mais
en règle générale les pays à forte immigration sont des pays plus riches. Encore
faut-il que ce modèle n’échappe pas à
notre contrôle.”
Ramón Aymerich
L’AFFLUX D’ÉTRANGERS
FAIT BAISSER LES SALAIRES
S’il n’y avait pas eu d’immigration,
réplique Josep Oliver, l’économie
n’aurait matériellement pas eu le
temps de s’adapter. “Sur la période
1995-2000, la population autochtone
était déjà en baisse.Aucune des solutions
envisageables, que ce soit un afflux de
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multimédia
i n t e l l i g e n c e s
●
Internet à deux vitesses ? Non, merci !
MOBILISATION Les internautes
sociétés derrière des portes closes. A
Washington, ils ont pris l’habitude de
prendre des décisions importantes sans se
donner la peine de demander aux gens ce
qu’ils en pensaient”, explique-t-il.
Fin juin 2006, les fournisseurs
d’accès ont reçu un camouflet du Sénat
quand la commission du Commerce
n’a pu prendre de décision (11 voix
contre 11) au sujet de la disposition
concernant la neutralité du Net proposée par Olympia Snowe. Le résultat, raconte Ben Scott, a “provoqué une
onde de choc” chez les nombreux lobbyistes réunis dans la salle d’audience
du Congrès, qui s’attendaient à voir la
neutralité du Net définitivement enterrée. Même si Scott et son armée d’internautes ont réussi à la sauver, il y a
une différence entre un sursis et une
grâce totale. Les géants comme AT&T
et Verizon ne vont pas changer d’avis.
Pour Mike McCurry, “si la campagne
de protestation a pu décoller au niveau
local,c’est uniquement parce que” les opérateurs de réseaux “n’ont pas compris
l’importance de la neutralité du Net dès
le début du débat”. Internet, selon lui,
est à la gauche ce que la radio était à
la droite dans les années 1980. “La
gauche considère que c’est son média et elle
ne veut pas que les grandes entreprises y
mettent leur nez.”
■
américains se mobilisent avec succès
contre le projet de création
d’un péage visant à privilégier
la circulation de certaines données.
SALON (extraits)
San Francisco
en Scott sourit comme s’il venait
de gagner le gros lot. Il est l’un
des coordinateurs de SavetheInternet.com et, à ce titre, l’un des
principaux défenseurs du principe de
la “neutralité” du Net. Il s’agit d’une
disposition de la loi sur les télécommunications qui interdit aux fournisseurs d’accès à Internet de faire payer
les sites pour acheminer plus vite leurs
contenus. Scott mène une guerre quotidienne contre les géants des télécommunications AT&T et Verizon,
qui entendent bien multiplier leurs
profits en créant des routes à péage
sur leurs lignes dédiées au Net.
Depuis plus d’un an, les lobbyistes
des télécommunications – parmi lesquels Mike McCurry, l’ancien porteparole de Bill Clinton – éclipsaient
Scott et son armée d’internautes, d’entrepreneurs en ligne et de militants des
droits des consommateurs au Congrès.
Mais, en ce jour d’automne, Scott sourit triomphalement dans son bureau
dépouillé de Washington. Il sait qu’il
a réussi à faire trébucher les Goliath
du lobbying avec une arme simple qui
n’aurait pas pu mieux convenir à la
bataille du Net : une vidéo à petit budget chargée sur le site de partage vidéo
YouTube.
B
LA BATAILLE A COMMENCÉ
EN 2005 ET ELLE N’EST PAS FINIE
Dans ce film en noir et blanc, des
jeunes évoquent ce que serait la Toile
sans la neutralité du Net. “Vous voulez
que les entreprises contrôlent vos clics ?”
demande un jeune homme à la
caméra. “Ça veut dire qu’il faudra plus
longtemps pour se connecter sur des sites
appartenant à des fournisseurs d’accès
concurrents, ajoute un autre. La Toile
doit rester libre !” Après un solo de
guitare et un plan flou du drapeau
américain, l’écran devient noir et
affiche les coordonnées de Savethe
Internet.com. Postée sur YouTube le
17 août, cette vidéo a été regardée plus
de 350 000 fois pendant la première
semaine suivant sa présentation. Ce
clip pour la neutralité du Net “fait le
travail de trente professionnels de la communication employés à plein temps, confie
Scott. Et le mieux, c’est que je ne sais
même pas qui l’a faite.”
Le débat porte sur une disposition
plutôt obscure du titre II de la loi sur
les télécommunications, qui garantit
la non-discrimination dans l’accès à
Internet. Du télégraphe au modem en
passant par le téléphone, les voix et les
fichiers voyageant sur les lignes ont
toujours été traités de la même façon.
La loi sur les télécommunications fait
actuellement l’objet d’une réforme, la
première depuis dix ans, pour inclure
Dans ce film
chargé sur le site
YouTube, la parole
est donnée
aux internautes.
Chacun d’entre eux
exprime ses craintes
de voir le Net soumis
à un péage. A la fin,
ses promoteurs
invitent
les internautes
à s’impliquer
en leur lançant :
“A votre tour”.
<www.youtube.com/
watch?v=vhBzPV9F
OgA>
■
DR
835p50
Tendance
“En quête
d’influence. Google
fait son entrée dans
le jeu politique.”
C’est en ces termes
que The Guardian
rapporte la création
par le célèbre
moteur
de recherche
d’un comité d’action
politique auprès
de la Commission
fédérale électorale.
Cela devrait
permettre à Google
de soutenir
financièrement
des candidats
lors d’élections.
Compte tenu
de son poids
en Bourse, certains
voient dans Google
un futur faiseur de
rois à Washington.
“Nous avons créé
ce comité pour aider
ceux qui partagent
notre vision
et veulent préserver
le Net en tant que
plate-forme
ouverte et gratuite
pour l’information,
la communication
et l’innovation”,
explique d’ailleurs
Ricardo Reyes,
l’un des promoteurs
de ce projet
chez Google.
les technologies actuelles, par exemple
la télévision par câble et Internet. Le
débat sur les télécommunications agite
le Congrès depuis un an, mais aucun
n’a été aussi houleux que celui sur la
neutralité du Net. Les opérateurs
réseau ont dépensé des millions pour
éliminer la neutralité du Net, mais les
internautes ont réussi à obtenir un
match nul.
La guerre a éclaté en 2005, quand
la Cour suprême a modifié la classification officielle des fournisseurs d’accès. Assurés de pouvoir gouverner la
Toile avec moins de restrictions,
AT&T, Verizon et leurs semblables
n’ont pas caché leur intention de créer
une bande passante rapide réservée
aux sites en mesure de payer. Les
défenseurs de la neutralité du Net se
sont empressés de répondre qu’un
Internet où seuls ceux en mesure de
payer le loyer pourraient présenter
leurs marchandises étoufferait l’innovation et le choix. “Les consommateurs se seraient retrouvés avec l’éventail
de produits qu’on trouvait dans les supermarchés de l’Union soviétique”, estime
Olympia Snowe, sénatrice du Maine.
Pour les défenseurs de la neutralité du Net comme Mme Snowe, l’introduction d’un système de tarification
multiple modifiera fondamentalement le Net. Celui-ci avait été conçu
comme un “réseau simple” ne faisant
aucune discrimination entre les différents types de contenus qui y circulent. D’après les grands sites comme
Google et Yahoo!, c’est cette égalité de
traitement qui a abouti à “l’innovation
sans restriction”, entraînant à son tour
la révolution du Net. La tarification
multiple assurera, selon eux, un quasi-
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
50
monopole aux opérateurs qui contrôlent actuellement 98 % du marché de
l’accès à Internet, un marché qui
représente 20 milliards de dollars
[16 milliards d’euros].
Ces derniers peuvent compter sur
Mike McCurry. L’ancien porte-parole
de Bill Clinton n’a eu aucun mal à faire
valoir les arguments de son camp dans
le débat. Pendant que les films publicitaires envahissaient la télévision,
McCurry présentait le point de vue des
fournisseurs d’accès à la presse et martelait que la neutralité du Net était “une
réglementation inutile” qui reposait “sur
la peur, et non sur des faits”. “Qui paiera
pour les améliorations qui devront être
apportées à Internet afin qu’il reste compétitif ?” demande-t-il. Pour McCurry,
il est juste que ceux qui consomment
le plus paient davantage.
Au fil du temps, la question de la
neutralité du Net a quitté le Congrès
pour toucher un public plus large. Des
associations aussi différentes que
MoveOn.org [un groupe de pression
progressiste], la Christian Coalition
of America [un groupe de pression
religieux et conservateur], le Service
Employees International Union [un
syndicat du secteur de la santé, entre
autres] ou les Gun Owners of America [qui militent pour la libre possession des armes à feu] ont perçu
le projet des fournisseurs d’accès
comme une atteinte à la liberté d’expression et se sont mises à mobiliser
leurs membres. Selon Craig Aaron,
de SavetheInternet.com, cette étrange
coalition a assurément attiré l’attention de Washington. “La politique en
matière de médias a pendant trop longtemps été déterminée par de grandes
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
UNE COALITION HÉTÉROCLITE
QUI RÉSISTE BIEN
Mais, comme le fait remarquer Ben
Scott, la neutralité du Net ne touche
pas que la gauche, puisqu’elle est aussi
soutenue par certaines associations
religieuses conservatrices et certains
partisans des armes à feu. Les grands
fournisseurs de contenus et de services
ne financent pas SavetheInternet.com,
mais ils apportent un soutien croissant
à sa campagne. En août 2006, Meg
Whitman, la PDG d’eBay, a fait
envoyer un formulaire de lettre aux
utilisateurs du service en les priant de
l’imprimer et de l’envoyer à leur sénateur. Ben Scott reste optimiste et il a
encore dans sa manche un atout qui
tient en ce message simple : “Rien de
plus facile que d’aller sur la Toile et de dire
aux utilisateurs : tout ce que vous aimez
dans la Toile est menacé.”
Dans son bureau de Capitol Hill,
il a une photo encadrée tirée du film
Luke la main froide. C’est la fameuse
scène où Luke le rebelle, interprété
par Paul Newman, tente de manger
cinquante œufs en une heure pour
gagner un pari. Le héros, l’air épuisé,
la figure couverte de petits morceaux
d’œuf, semble souffrir et il y a encore
une pile d’œufs sur la table. “La neutralité du Net, c’est comme ça, confie
Scott. Personne ne pense qu’on peut
battre les grands fournisseurs d’accès,
tout le monde parie contre nous. Alors,
tous les jours, je dois me taper cinquante
œufs en une heure.” Il s’interrompt,
conscient de l’immensité du défi, mais
heureux des victoires obtenues à ce
jour. “Les internautes ont vraiment
changé le débat sur la neutralité du Net.
Si le public n’avait pas réagi en masse
sur cette question, je suis sûr que tout
serait déjà terminé.”
Daniel W. Reilly
835p51
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sciences
i n t e l l i g e n c e s
●
Bataille de statisticiens à propos de la guerre en Irak
MÉTHODOLOGIE Des chercheurs
■
américains affirment que le conflit
aurait déjà fait 655 000 morts.
Mais tous les spécialistes ne sont
pas d’accord avec ces résultats.
SCIENCE (extraits)
Washington
ne récente estimation du nombre
d’Irakiens morts depuis l’intervention des Etats-Unis et leurs
alliés, en mars 2003, a provoqué un tollé. Le nouveau chiffre,
compris entre 400 000 et 800 000,
est dix fois supérieur à ceux du gouvernement irakien et de la coalition
américaine. Le président Bush a
immédiatement rejeté les conclusions
des chercheurs, estimant que leur
méthodologie ne serait “pas crédible”.
Des responsables du gouvernement
américain ont également reproché à
cette enquête, dévoilée à grand renfort de publicité quatre semaines
avant les élections américaines de mimandat [voir pp. 32 à 40], d’obéir à
des motivations politiques.
D’un côté comme de l’autre, les
spécialistes reconnaissent qu’il est terriblement difficile d’établir un bilan
précis des pertes enregistrées en Irak.
Le ministère de la Santé irakien a
estimé à 40 000 le nombre de morts
violentes, en se fondant sur les certificats de décès fournis par les hôpitaux
et les morgues. Ce nombre correspond
approximativement à celui de l’Iraq
Body Count, un groupe d’étude indépendant implanté à Londres et opposé
à la guerre, qui établit ses bilans à partir des informations données par les
médias. Le chiffre réel est très probablement supérieur, étant donné que
seule une partie des décès est officiellement enregistrée et rapportée par les
médias. Mais la question est : dans
quelle mesure ?
Menée par des chercheurs de
l’université Johns Hopkins à Baltimore, la nouvelle étude publiée dans
The Lancet repose sur une enquête
réalisée de mai à juillet 2006 par une
équipe de dix professionnels de la
santé irakiens. L’équipe irakienne s’est
rendue dans 48 localités de 18 régions
différentes et s’est renseignée auprès
des familles en faisant du porte-àporte. Elle a visité 1 849 foyers comptant au total 12 801 personnes. Pour
les quatorze mois qui ont précédé
l’invasion, ces familles ont déclaré
82 décès, soit un taux annuel de mortalité de 5,5 ‰, alors que, pour la
période s’étendant de mars 2003 à
juillet 2006, elles ont fait état de
547 morts, soit une augmentation
annuelle de 7,8 morts pour 1 000. En
extrapolant ce résultat aux 27 millions
d’habitants du pays, les chercheurs
arrivent à la conclusion qu’il y a eu
655 000 morts de plus que si les EtatsUnis et leurs alliés n’étaient pas intervenus. Les chercheurs sont à 95 % sûrs
que le nombre réel de morts violentes
se situe entre 426 369 et 793 663.
U
Dessin d’Igor
Kopelnitsky,
New York.
■
Critique
L’association
antiguerre Iraq Body
Count a critiqué
très vivement
l’étude publiée par
The Lancet. “Est-ce
que les Américains
ont besoin de croire
qu’il y a eu
600 000 Irakiens
tués pour
se retourner contre
leur gouvernement
et dire ‘Trop c’est
trop’ ?” peut-on lire
sur son site
(www.iraqbodycount.
org), où elle relève
un certain nombre
de biais
méthodologiques.
L’association
rappelle que George
Bush reconnaissait
déjà, en décembre
2005, qu’il y avait
eu 30 000 morts
dans un pays dix
fois moins peuplé
que les Etats-Unis,
ce qui représente
un impact pour
l’Irak cent fois
plus important
que les attentats
du 11 septembre.
Nombre d’universitaires ont pris
fait et cause pour l’étude. “Je trouve
moi aussi ces estimations terriblement élevées, mais le choix de la méthode n’a rien
de discutable”, a écrit, le 12 octobre,
Francesco Checchi, épidémiologiste
à la London School of Hygiene and
Tropical Medicine.Toutefois, un certain nombre de spécialistes mettent en
question la manière dont l’enquête a
été menée. Madelyn Hicks, psychiatre
et chercheuse en santé publique au
King’s College de Londres, affirme
qu’elle ne croit pas que 40 foyers voisins aient été interrogés en un seul
jour comme l’indique l’article du Lancet. “Il n’y a tout simplement pas assez
de temps dans une journée, dit-elle, et
je suis donc forcée de conclure qu’il y
a anguille sous roche, du moins pour
quelques inter views.” Il est possible
que des familles aient été “préparées
par quelqu’un pour répondre plus rapidement”, explique-t-elle, ce qui “jette
un doute sur l’authenticité des données”. L’auteur principal de l’étude,
Gilbert Burnham, épidémiologiste
à Johns Hopkins, rétorque qu’“interviewer quarante familles voisines en un
jour est tout à fait faisable si l’on est
bien organisé”. Les Robert, de la
même université, précise que 80 %
des 547 décès ont été confirmés par
un certificat [mais on ne retrouve pas
cette proportion pour les chiffres
extrapolés]. Selon lui, il n’y a rien
d’étonnant à ce que plusieurs milliers
de certificats de décès n’aient pas été
enregistrés par le ministère de la
Santé, car “ils ont toujours été fortement
sous-estimés”.
Neil Johnson et Sean Gourley,
deux médecins d’Oxford qui mènent
une autre étude sur les pertes irakiennes, se demandent également si
l’échantillon est représentatif. L’article
du Lancet indique que l’équipe qui a
enquêté a évité les ruelles obscures
pour des raisons de sécurité. Or,
comme le remarque Neil Johnson, cela
pourrait fausser les données, car les
attentats à la voiture piégée, les explosions sur les marchés et les tirs à partir de véhicules se produisent le plus
souvent sur de larges artères. Gilbert
Burnham rétorque que les ruelles ont
bien été prises en compte. Mais il nous
a confié qu’il ne savait pas exactement
comment l’équipe irakienne avait procédé. Les détails sur les localités visitées ont été détruits “pour éviter qu’ils
ne tombent dans de mauvaises mains et
ne représentent un risque supplémentaire
pour les habitants”, rapporte-t-il. Ces
explications ont mis le feu aux poudres.
Michael Spagat, professeur d’économie à l’université de Londres et spécialiste des conflits civils, a appelé la
communauté scientifique à mener une
investigation approfondie sur les procédures de l’enquête. Quant à Neil
Johnson, il a affirmé qu’il serait
“presque criminel de ne pas remettre en
question les résultats de cette étude”.
John Bohannon
CONTREPOINT
Une étude utile et plutôt correcte
■ En dépit de la faiblesse des modes de mesure
dans les études anciennes, les nouveaux chiffres
ont surpris les chercheurs. L’inquiétude la plus
notable porte sur le taux de décès avant l’invasion révélé par la nouvelle étude. Cette dernière situe ce taux à 5,5 décès pour 1 000 par
an, ce qui est conforme aux chiffres sur l’Irak
alignés par le Bureau américain du recensement.
Mais l’Iran, qui dispose d’un système de santé
efficace, présente un taux comparable. Or, à
l’époque, l’Irak subissait le poids de sanctions
appliquées depuis des années. Selon certaines
sources, dont le département de démographie
des Nations unies, le taux de décès avant l’invasion aurait été de 9,7 ‰. Toutefois, ce décalage n’invalide en rien les nouveaux résultats.
Si les chercheurs ont sous-estimé le taux de
mortalité avant la guerre, il est possible qu’ils
aient fait de même après la guerre.
D’autres scientifiques expriment des doutes
similaires. Debarati Guha-Sapir dirige le
Centre de recherche sur l’épidémiologie des
désastres, à Bruxelles. La méthodologie de
l’étude la laisse dubitative, à commencer par
le recours à des enquêteurs locaux, peut-être
opposés à l’occupation. En outre, elle fait
remarquer que le résultat ne correspond à
rien de ce qu’elle a pu rencontrer en quinze
ans de travail dans les zones de conflit. Même
au Dar four, où des groupes armés ont exterminé des villages entiers, elle assure que les
chercheurs n’ont jamais enregistré le taux de
500 personnes décédées par jour, essentiellement de mor t violente, rappor té par
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
51
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
l’équipe de l’université Johns Hopkins en Irak.
Elle estime cependant que l’étude rassemble
les meilleures données regroupées pour l’instant sur le taux de mortalité en Irak. Aucun des
experts contactés par Nature n’a estimé que
ses doutes compromettaient définitivement la
valeur des recherches effectuées. Cer tains
d’entre eux auraient tenu à ce que les auteurs
se livrent à une meilleure évaluation des défauts
de leur méthode avant de publier des résultats aussi éminemment politiques. Mais la plupart reconnaissent que ces chiffres contribuent
de façon utile à l’épidémiologie des conflits,
domaine qui joue aujourd’hui un rôle clé dans
l’estimation de la gravité des conflits et peut
ainsi aider les Etats à s’en relever.
Jim Giles, Nature (extraits), Londres
30/10/06
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technologie
i n t e l l i g e n c e s
●
Un Tchernobyl flottant dans les eaux russes
ATOME La construction
■
d’une centrale nucléaire
ancrée sur les rivages
de la mer Blanche
devrait commencer
en 2007. Un projet qui
suscite de nombreuses
inquiétudes.
POPULAR SCIENCE
New York
lors que les Etats-Unis parlent
timidement de relancer la construction de centrales nucléaires pour
obtenir une énergie moins chère
que le pétrole, la Russie est allée repêcher une idée vieille de trente ans, la
centrale flottante, pour résoudre certains de ses problèmes énergétiques.
Rossenergoatom, le consortium russe
chargé du programme nucléaire civil,
a en effet décidé de fabriquer une centrale mobile pour approvisionner en
électricité les zones difficiles d’accès
du nord du pays, sur les côtes de la
mer Blanche, où les conditions climatiques extrêmes rendent difficiles
les livraisons régulières de charbon et
de pétrole. La centrale flottante, dont
le coût a été estimé à 200 millions de
dollars [environ 160 millions d’euros]
et dont la construction devrait commencer en 2007, pourrait fournir une
électricité fiable et relativement bon
marché à 200 000 personnes.
L’idée d’une centrale nucléaire
flottante peut paraître extravagante,
mais elle ne date pas d’hier. Elle n’est
pas non plus née en Russie. L’entreprise américaine Westinghouse Electric Company y avait déjà pensé dans
les années 1970, et avait même
construit une immense cale sèche à
A
Jacksonville, en Floride, pour les
assembler. Une fois lancées, les centrales devaient être remorquées le long
de la côte Est puis amarrées là où existait une demande d’électricité. Elles
devaient être toutes fabriquées dans
la même usine, afin d’assurer un
contrôle qualité maximal et réduire les
coûts de production. Mais, finalement,
explique Richard Orr, un ancien ingénieur de Westinghouse aujourd’hui à
la retraite, les économies d’énergie
décidées à la suite de l’embargo sur le
pétrole décrété par l’OPEP en 1973
ont tué le projet dans l’œuf.
Le plan russe consiste à monter
deux réacteurs sur une plate-forme
grande comme un terrain de football,
remorquer celle-ci jusqu’à son point
d’ancrage, tirer des lignes électriques
jusqu’à une sous-station sur la terre
ferme et mettre en route les réacteurs,
ce qui permettra de fournir une élec-
Dessin de Zoran
Jovanovich, Serbie.
MER
DE BARENTS
Mourmansk
NORVÈGE
RÉGION
DE MOURMANSK
tricité à un prix abordable. Les déchets
et le combustible utilisé seront stockés
à bord et enlevés tous les dix ou douze
ans, lors des opérations régulières de
révision et de maintenance. Au bout
de quarante ans, soit la durée de vie
normale d’une centrale nucléaire, la
centrale sera démantelée et remplacée
par une nouvelle. Le réacteur et le
combustible utilisé seront envoyés sur
leur lieu de stockage définitif, mais la
barge pourra être recyclée.
Evidemment, le niveau de sûreté
des installations russes étant loin d’être
optimal, la perspective de voir l’idée de
Westinghouse ressuscitée dans la mer
Blanche a soulevé les protestations
d’associations écologiques telles que
Greenpeace et l’ONG écologiste norvégienne Bellona. Selon elles, un navire
pourrait percuter la centrale et provoquer un déversement des déchets dans
l’eau ou, pire encore, une tempête particulièrement violente pourrait couper
la centrale de la sous-station nécessaire à son fonctionnement, située sur
la terre ferme. D’après David Lochbaum, directeur du Projet de sécurité
nucléaire à l’Union of Concerned
Scientists, une association américaine
de chercheurs qui combat, entre autres,
F É D É R AT I O N
DE RUSSIE
Presqu’île de Kola
Cercle polaire arctique
MER BLANCHE
RÉPUBLIQUE
AUTONOME
DE CARÉLIE
Severodvinsk, site prévu
pour la centrale nucléaire
flottante
Arkhangelsk
RÉGION
D’ARKHANGELSK
0
100 km
Courrier international
835p52
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
52
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
la prolifération nucléaire, un arrêt des
générateurs de secours pourrait entraîner une catastrophe similaire à celle de
Tchernobyl en 1986. Dans un scénario encore plus noir, un cœur de réacteur surchauffé pourrait faire fondre le
fond de la plate-forme et s’enfoncer
dans l’eau, ce qui provoquerait une
explosion de vapeur radioactive.Toujours selon le même scientifique, un tel
nuage causerait beaucoup plus de
dégâts que les retombées de Tchernobyl parce que le corps humain absorbe
les gouttelettes d’eau radioactives plus
facilement que les cendres.
Sergueï Obozov, directeur par intérim de Rossenergoatom, affirme que
la sûreté des réacteurs qui seront
embarqués sur les plates-formes a été
prouvée. Chaque centrale flottante sera
équipée de deux réacteurs KLT-40S,
d’une puissance de 60 mégawatts,
adaptés à partir de ceux qui équipent
déjà trois brise-glace nucléaires russes.
Cristina Chuen, spécialiste de l’énergie
nucléaire russe au Monterey Institute
for International Studies, en Californie, signale cependant que de subtiles
différences de performance peuvent
se produire si ces réacteurs sont utilisés pour générer de l’énergie et non
comme moyen de propulsion, et fait
remarquer que le système de refroidissement n’a pas encore fait ses
preuves. Des moyens ont été mis au
point pour contenir le cœur en feu d’un
réacteur, mais Rossenergoatom ne précise pas si la centrale, qui a été conçue
il y a dix ans, prendra en compte les
dernières avancées techniques.
Quoi qu’il en soit, l’autorisation de
fabrication a été donnée et Rossenergoatom prévoit que la première centrale flottante sera ancrée dans le port
de Severodvinsk, dans le sud-est de
la mer Blanche, d’ici à la fin 2010. “En
matière de sûreté, les Russes ont beaucoup
appris du ministère de lÕEnerg ie américain, de la Suède et de la Norvège”,
estime Cristina Chuen, qui voudrait
pour sa part que le processus de
fabrication soit plus transparent. “Ce
sera peut-être une belle réussite, ajoutet-elle. Tout ce que j’espère, c’est qu’ils
ont fait toutes les études possibles et imaginables pour s’assurer qu’il n’y aura
aucun danger.”
Bjorn Carey
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Page 53
écologie
i n t e l l i g e n c e s
●
Pourquoi il faut interdire l’Everest aux touristes
SAUVEGARDE Les milliers
les écologistes, l’amoncellement de
déchets alimentaires et pharmaceutiques ainsi que la colonisation de la
région par les restaurants et les cybercafés sont le prix du tourisme. C’est la
population autochtone qui en fait les
frais, insiste P. T. Sherpa. “Il devient
extrêmement difficile de fournir suffisamment d’électricité et d’eau aux petits villages disséminés autour de l’Everest et des
autres sommets himalayens quand plusieurs dizaines de milliers de touristes et
d’alpinistes ont besoin des mêmes ressources. Du fait de l’industrialisation et du
développement du tourisme, le Népal est
gravement touché par la pollution de l’eau
et de l’air. Les ressources en eau des villages, fournies par un système de captage,
sont en voie d’épuisement et il est urgent
de prendre des mesures”, ajoute-t-il.
En 2006, une équipe de géologues
soutenue par le Programme des
Nations unies pour l’environnement
a relevé des signes de changement
importants par rapport à 1953, date à
laquelle sir Edmund Hillary et Tensing
■
d’alpinistes et de
randonneurs qui viennent
gravir le Toit du monde
ont transformé la région
en poubelle. Il est temps
de réagir énergiquement.
THE OBSERVER (extraits)
Londres
n le décrit comme “la plus haute
décharge” du monde. Jonché de
détritus laissés par les alpinistes
et foulé tous les ans par des milliers de touristes, le mont Everest est
aujourd’hui si pollué que les écologistes
réclament une solution radicale : sa fermeture temporaire. Avec les troubles
politiques qui ont sévi au Népal jusqu’au milieu de cette année, les mises
en garde contre l’imminence d’une
catastrophe écologique dans la région
sont restées ignorées. Mais, maintenant que le royaume himalayen bénéficie d’une plus grande stabilité, les
défenseurs de l’environnement pensent que le moment est venu d’agir
et que l’on ne peut plus fermer les yeux
sur la situation.
En avril 2006, après dix ans de
guérilla, les rebelles maoïstes ont signé
un cessez-le-feu avec les autorités népalaises et ont accepté de s’allier aux partis opposés à la monarchie [voir CI
n° 816, du 22 juin 2006]. Selon l’association KEEP (Kathmandu Environmental Education Project), le calme
relatif qui règne désormais dans le
pays pourrait aider les écologistes à
convaincre les autorités qu’une fermeture temporaire de l’Everest est la
seule solution envisageable pour réparer les dégâts. “La guérilla a posé de
sérieux problèmes aux organisations écologistes. Elle a limité l’envergure des programmes, endommagé les infrastructures
et menacé la sécurité du personnel”, rappelle P.T. Sherpa, le président de l’association. “Nous espérons aussi avoir un
dialogue plus ouvert avec le gouvernement.
Notre première priorité est de mettre l’Everest au repos pour quelques années.” Pour
O
84° Est
H
I
M
Plateau
du Tibet
CHINE
A
NÉPAL
L
A
Brahmapoutre
N ÉPAL
Y
A
Katmandou
Vallée
du Khumbu
INDE
27° Nord
0
Mt Everest
8 848 m
200 km
Dessin de
Lauzán, Chili.
Norgay ont été les premiers alpinistes
à réussir l’ascension de l’Everest. Bien
que le réchauffement du climat soit
l’une des principales causes de cette
dégradation, les scientifiques ont montré que le tourisme avait également un
impact. Selon leur étude, le glacier qui
descendait autrefois jusqu’au premier
camp de base s’est retiré de 5 kilomètres. Edmund Hillary lui-même ne
mâche pas ses mots sur une situation
qui pourrait se transformer en scandale écologique. “J’ai recommandé au
gouvernement népalais de ne plus accorder d’autorisations et de laisser la montagne se reposer pendant quelques
années”, affirme-t-il.
LIMITER LES ASCENSIONS À DEUX
OU TROIS CORDÉES PAR SAISON
Cagle Car toons
Elizabeth Hawley, qui soutient activement la fondation Himalaya Trust,
créée à Katmandou par Edmund Hillary, a récemment rapporté que ce dernier était “dégoûté” par les méfaits du
tourisme dans la région de l’Everest et
la vallée du Khumbu. “Quand sir
Edmund a dit que l’accès à la montagne
devait être fermé ou limité, il n’était pas
du tout question de faire perdre leur gagnepain aux sherpas. Nous estimons simplement, à la fondation, que l’Everest et la
vallée du Khumbu ont besoin d’un repos
prolongé. En effet, même si les villages de
la région sont devenus extrêmement riches
pour le Népal, nous sommes navrés de voir
que les pistes qui mènent à l’Everest sont
jalonnées de restaurants, de cybercafés et
de bars.”“Le changement climatique et la
fonte des glaciers sont des problèmes planétaires, qu’il est impossible de régler localement, mais ce n’est pas le cas de la déforestation, un problème très préoccupant dû
en grande partie au tourisme. Notre campagne a contribué à améliorer la situation, mais ce n’est pas assez. Pour que la
région se régénère, nous avons le sentiment
qu’il faut commencer par le commencement”, ajoute-t-elle.
D’autres voix se sont élevées sur
la question, comme celle de la Japonaise Junko Tabei, 66 ans, qui a été
la première femme à atteindre le
sommet. “L’Everest est trop fréquenté,
affirme-t-elle. Il a besoin de repos. Le
nombre de cordées autorisées à le gravir
devrait être limité à deux ou trois par
saison, et il faudrait interdire les voyages
touristiques jusqu’au camp de base. Les
habitants de la région abattent les arbres
pour chauffer les repas et préparer des
douches chaudes pour les randonneurs
étrangers, ce qui accentue la déforestation le long de la piste qui mène au camp.
L’environnement est menacé, et la monCOURRIER INTERNATIONAL N° 835
53
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
tagne est en train de perdre sa dignité.”
Certaines organisations craignent que
même l’écotourisme ait davantage d’effets nocifs que bénéfiques. Le Fonds
mondial pour la nature (WWF) estime
que, sur les 3 euros qu’un randonneur
dépense par jour en moyenne, le
dixième seulement profite à l’économie rurale. Même si la plupart des
associations caritatives qui se rendent
au pied de la montagne le font pour
des causes honorables, elles ne prennent pas en considération les répercussions de leurs expéditions sur l’environnement, regrette Prakash Sharma,
directeur des Amis de la Terre Népal.
“La croissance exponentielle de la pollution et la dégradation de l’environnement
sur l’Everest sont le résultat d’un accroissement massif du nombre de visiteurs dans
la région.Alors que la région de Khumbu
et la ville de Katmandou peuvent abriter 40 000 personnes, on en dénombre
700 000 en haute saison. Quelque
20 000 à 40 000 visiteurs tentent de gravir les montagnes himalayennes, et plusieurs milliers se rendent même au pied de
l’Everest. La région ne disposant pas des
infrastructures nécessaires pour faire face
à la pollution engendrée par une telle
affluence, l’Himalaya népalais a fini par
devenir la plus haute décharge du monde”,
explique-t-il.
Parmi les tonnes de détritus laissés sur l’Everest, on trouve du matériel de randonnée, des aliments, des
gobelets, des cannettes d’aluminium,
du verre, des vêtements, des vieux
papiers, des tentes et jusqu’à des
antennes satellite. Certains alpinistes
disent avoir également trouvé des
seringues usagées et des ampoules sans
étiquette. Par ailleurs, le nombre de
corps qui jonchent les flancs de la
montagne – 188, selon plusieurs
décomptes – suffirait à justifier une fermeture temporaire aux yeux des écologistes. Cependant, les sherpas, qui
gagnent leur vie en guidant les alpinistes en mal d’aventure, s’opposent
avec virulence à toute réduction du
nombre des permis d’ascension. “Il y
a dans la région plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vivent de l’argent
dépensé par les randonneurs et les alpinistes. Si ces derniers ne viennent plus, elles
finiront par mourir de faim. Un sherpa
qui accompagne une cordée jusqu’au sommet de l’Everest peut gagner un minimum
de 2 000 euros en deux mois. Au Népal,
cela représente une grosse somme. De quoi
faire vivre tout un village”, assure l’un
d’entre eux.
Malgré les rapports des Nations
unies et les mises en garde des écologistes, les autorités népalaises n’envisagent pas de fermer la montagne
dans un avenir immédiat. “Tous les
alpinistes sont les bienvenus, à condition qu’ils soient prêts à payer”, rappelle
un porte-parole du gouvernement.
Quand on sait que, pour pouvoir fouler les pentes de l’Everest, une équipe
de sept randonneurs doit verser au
gouvernement népalais la somme de
75 000 euros, on ne s’étonne guère
de ce laisser-faire, disent les partisans
de la mise au repos forcée du plus
haut sommet du monde.
Dan Douglas
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La corneille de Castille, “boussole à plumes”
de ce périple “cidien”.
A Gormaz, la citadelle la plus longue d’Europe, construite par
les arabes, veille jalousement sur la plaine de Castille.
voya ge
●
DE BURGOS À VALENCE, PAR LES CHEMINS DE TRAVERSE
Pour la visite, suivez le Cid…
On le sait, Rodrigue et les siens partirent
cinq cents et “par un prompt renfort
[se virent] trois mille en arrivant au port”.
Mais, neuf siècles plus tard, le Cid
retrouverait-il le chemin de Valence ?
EL MUNDO
Madrid
le plus farouche de tous les temps est né ici.
Devons-nous le croire ? Il est bon, dans les aventures qui empruntent les chemins de l’Histoire, de
se laisser envelopper dans le châle de la légende :
cela fait partie de la magie du voyage.
Les douze coups de midi sonnent au clocher
du monastère d’Espino. C’est dans ce couvent,
tenu par des franciscaines, qu’a été conservé durant
des siècles le précieux manuscrit de Per Abbat, le
plus ancien de la Chanson de Mon Cid. Le froid est
aussi tranchant qu’une faux. Nous laissons derrière nous Vivar et ses quatre rues. Cachée derrière
les rideaux d’une étroite fenêtre, une villageoise
nous regarde comme si nous étions des oiseaux de
mauvais augure. Le Cid, avec nous, est déjà sur la
route de l’exil : “Tandis que de ses yeux si fortement
pleurait,/ Il retournait la tête et il les regardait./ Il vit
portes ouvertes et les huis débarrés…” (Premier
chant, 1). La nationale 623 nous invite à sortir du
▲ Reportage photo :
José Aymá.
1 De Vivar del Cid
à El Burgo de Osma
ar trois fois, la corneille a graillé dans le ciel
de Vivar, comme pour donner le départ de
cette aventure. Devant nous, mille neuf cents
kilomètres de route et une émotion qui, à
certains moments, nous servira de boussole et à
d’autres, au fur et à mesure que la fatigue plantera
ses crocs de glace dans nos corps, ira se fracasser
contre les rochers du découragement. La carte du
cœur, l’astrolabe des yeux n’indiquera qu’une seule
direction, celle prise par Rodrigo Díaz de Vivar – le
Cid – il y a neuf cents ans, lorsque le roi
AlphonseVI de Castille l’a condamné à l’exil et lui
a donné neuf jours pour quitter ses terres. Nous
partons pour un voyage en diagonale sur le flanc
est de la péninsule jusqu’à la Méditerranée. Un
voyage au cours duquel nous égrènerons des villages et des paysages inoubliables malgré leur état
d’abandon. Beaucoup sont en effet dépeuplés,
d’autres agonisent, mais tous sont d’une beauté
ciselée et d’une authenticité remarquable. Au petit
matin, à Vivar del Cid, il pleut de froid. C’en est
presque désespérant. Avec ses quatre rues, la petite
cité a des airs de Monopoly en miniature – des rues
qui portent les noms des personnages principaux
du Cantar de Mio Cid (Chanson de Mon Cid), qui
nous accompagneront tout au long de ce périple
et même un peu plus loin. On dit que le guerrier
P
Vivar del Cid
Burgos
NAVARRE
St-PierreLogroño
de-Cardeña LA RIOJA
Covarrubias
E S P A G N E
CASTILLE-LEÓN
Pinajeros
Saragosse
El Burgo de Osma
Duer
o
San Esteban de Gormaz
Quintanarraya
Gormaz
Medinaceli
Atienza
MADRID
Madrid
Guadalajara
Alhama de Aragón
Ariza Alcocer
Calatayud
Cetina
A R A G O N
Ebre
Daroca
El Poyo del Cid
Montreal del Campo
Molina
de Aragón
Olucau del Rey
Albarracín
Terruel
Cuenca
Jérica
Tu r Segorbe
ia
CASTILLE-LA MANCHE
0
100 km
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
VALENCE
54
Castellón
Burriana
Sagunto
Valence
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
village et, l’espace d’un instant, elle se métamorphose en Route 66. Pourtant, ce n’est pas Springfield qui nous attend au bout du chemin, mais Burgos, sorte de Mecque espagnole du gothique, ville
au cœur de conquérant où règne l’esprit du Cid,
au beau milieu de la région de Castille-León. La
statue équestre du Campeador, érigée dans les
années 1950, défie de son socle de bronze le ciel
de plomb de cette matinée au cours de laquelle
nous allons entamer notre course triomphale. Nous
laissons derrière nous la porte de Santa María, où
serait conservé le radius du bras gauche du Cid, et
l’arc de la porte San Martín, sous lequel résonne
encore l’écho de son passage. Depuis 1921, la
dépouille de notre héros repose dans la cathédrale.
Elle est incomplète depuis qu’elle a été profanée,
en 1808, par des soldats de Napoléon mus par Dieu
sait quelle fureur guerrière.Tout commence donc
vraiment dans cette ville, où le Cid s’est vu refuser
l’hospitalité par ordre du roi et a été contraint de
dresser son campement sur la rive gauche de la
rivière Arlanzón, en dehors de la capitale fortifiée,
où se sont joints à lui plus de cent hommes à cheval prêts à le suivre jusqu’à la mort. Le voyage que
nous entreprenons aujourd’hui sera un voyage initiatique sans cotte de mailles ni haubert et sans autre
escorte que les pensées, ivresses et déceptions qui
nous attendent sur les routes et les chemins oubliés.
De vieux ormes aussi nus que noueux nous font
une haie d’honneur jusqu’au monastère de SaintPierre de Cardeña, impressionnant dans son dénuement dramatique de pierre. C’est ici qu’ont demeuré
Chimène, l’épouse de Rodrigue, et leurs deux filles,
Sol et Elvire, jusqu’à ce qu’on les envoie quérir
depuis Valence. Enfin, nous nous précipitons sur
les routes et leurs contrastes si typiques du
XXIe siècle. Sur le chemin de la très castillane cité
de Covarrubias, nous passons devant le Love Story,
un bordel à l’ancienne du plus mauvais goût dont
les néons restent allumés jusque dans l’après-midi.
Pourtant, personne ne daigne nous ouvrir. Nous
dépassons Mecerreyes, un village aux rues désertes
et aux maisons blasonnées, puis la terre devient
rouge comme une orange sanguine. Nous suivons
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L’arc de triomphe romain de Medinaceli : la “ville du ciel”
est aussi une “pure invitation au défi”.
ici des traces plusieurs fois centenaires. “Oui, on
raconte qu’il est passé par ici”, confirme Don Pascual, un paysan aux mains comme des enclumes.
“Moi, tout ce que je peux vous dire, c’est qu’ici on cuisine très bien l’agneau.” A l’auberge du coin, ce sera
donc de l’agneau. Nous reprenons la route du Cid,
une route royale qui a pris aujourd’hui le nom de
code BU-901. Certains la parcourent en prenant
leur temps, à vélo ou à cheval ; mais le nôtre nous
est compté : ce sera donc en Volvo.
Les villages se succèdent dans la première des
huit provinces (Burgos) que nous traverserons
tout au long de ce passionnant périple, au fil des
paysages, des découvertes et des 349 villes et
hameaux que nous laisserons derrière nous. Après
avoir admiré les gorges de la Yecla, nous faisons
un petit détour par Pinarejos.“Coucher s’en vint
mon Cid a Espinaz de Can ;/ Le lendemain matin à
chevaucher il pense” (Premier chant, 394). Spinaz
de Can s’appelle aujourd’hui Pinarejos. D’autres
hommes dévoués sont venus ici grossir les rangs
du Cid. Le vent se lève avec fracas juste au
moment où nous apercevons l’orme presque millénaire d’Arauzo de Torre. “Des gens viennent jusqu’ici, ils restent un moment, puis s’en vont. Ils disent
qu’ils cherchent des vestiges de l’époque du Cid, mais
personne dans le coin ne sait ce qu’il a fait ici ni ce
qu’il en reste. Pas grand-chose en tout cas. On vous
renseignera peut-être mieux plus loin”, nous explique
Serafín avant de toucher son béret de l’index dans
un salut qui clôt définitivement la conversation.
Nous poursuivons notre chemin, le réservoir de
la Volvo à moitié vide et le cœur plein d’entrain.
Nous avons, à Coruña del Conde, la première
hallucination de ce voyage qui en promet d’autres.
C’est ici qu’a vécu Diego Marín Aguilera, le premier aviateur à avoir, d’après les chroniques, “volé
à une hauteur de cinq ou six aunes”, en 1793 avec
une machine qu’il avait fabriquée de ses mains.
Lorsqu’il a voulu renouveler son exploit, les habitants du village ont détruit l’engin. On dit qu’il
en est mort de chagrin en 1804. Un avion de
chasse moderne, installé au pied du château, rappelle sa geste. La vision est décidément trop délirante. Nous prenons nos jambes à notre cou.
Nous entrons dans la province de Soria, prenons la N-122 et mettons le cap sur San Esteban
de Gormaz, sa terre couleur de raisin sec et ce
qu’il reste des murailles où fut accrochée la tête
du chef maure Abi-Ajda à côté de celle d’un sanglier. C’est ici que les infâmes Carrión (pardon,
je veux dire les infants du même nom) ont fait
injure aux filles du Cid et leur ont donné le fouet
avant de les livrer aux “bêtes féroces qui errent aux
environs”. Comme le raconte la Chanson, elles ont
été sauvées par leur cousin, Félez Muñoz. Cette
nuit sombre et lourde, nous la passerons à
El Burgo de Osma, dont la tour de l’imposante
cathédrale est un phare au milieu des terres.
A poyo Del Cid, le village tout entier s’est emparé
de la légende de Don Rodrigue.
2 De Gormaz à Medinaceli
■ “Chanson
de Mon Cid”
Le plus ancien
manuscrit évoquant
les exploits
de Rodrigo Díaz
de Vivar, surnommé
le Cid, fête
cette année
son huit centième
anniversaire.
Le texte, conservé
à la Bibliothèque
nationale, à Madrid,
a longtemps été
attribué à un
certain Per Abbat,
qui ne serait en fait
que l’un des
copistes du Cantar
de Mio Cid.
Beaucoup préfèrent
parler de poème
plutôt que
de chanson.
Le texte (par
ailleurs incomplet)
n’est pas en effet
une chanson
de geste, mais bien
un poème composé
des trois chansons.
Pour les passages
du Cantar cités
dans le texte,
nous avons utilisé
la traduction
de Georges Martin,
Chansons de geste
espagnoles
– Chanson de Mon
Cid et Chanson de
Rodrigue (GF
Flammarion, 2005).
La corneille s’est levée aux aurores, et le chemin
qui mène au château de Gormaz, une vieille et
impressionnante forteresse arabe, nous fait passer par Navapalos et son désert de maisons de
briques crues. Le soleil encore froid semble hors
de portée. Une petite tour de guet maure du
Xe siècle continue à monter la garde. Elle faisait
partie d’un réseau s’étendant sur des centaines
de kilomètres. Il suffisait d’un seul cri, relayé par
les sentinelles, pour boucler toute la région. A
Vildé et à Gormaz, le Duero coule à vive allure.
Sur un tertre se dressent les murs d’une forteresse arabe transformée en prison au XVe siècle.
En regardant vers le bas, nous n’apercevons que
deux ou trois personnes. Du haut de cette fière
éminence baignée d’air pur, la terre apparaît
comme un ensemble de champs s’étendant à
perte de vue, un damier aussi parfait qu’infini
de verts et d’ocres cousus à même le sol. C’est
la plus longue forteresse d’Europe : convoitée
au Xe siècle aussi bien par les musulmans que
par les chrétiens, elle a été défendue âprement
par le Cid en 1081. L’espace d’un instant, nous
avons l’impression que rien n’a changé et que
même Rodrigue, s’il revenait aujourd’hui, reconnaîtrait les herbes de ce pré, les méandres de
cette rivière, la plaine baignée de soleil des
champs de Castille, la coupure nette de l’horizon qui s’encadre dans l’une des portes sans battant des remparts. C’est là un bon endroit pour
haranguer les troupes. Mais aussi un bon endroit
pour oublier. Et un bon endroit pour mourir.
Il règne en ce lieu une solitude écrasante,
impénétrable, peut-être l’une des plus belles de
la route du Cid. Nous laissons Gormaz en
sachant que nous ne retrouverons jamais un
espace aussi pur. A peine avons-nous quitté
Retortillo que nous foulons déjà le sol de Guadalajara, qui, à l’époque du Cid, était sous domination musulmane. A Atienza, deux routes se
rejoignent : celle du Quichotte, qui descend,
et celle du Cid, qui monte. Les pèlerins sont
encore peu nombreux. “Ici, c’est mort, sauf en
été”, apprenons-nous dans l’un des bars de la
Plaza Mayor. Et, si l’on demande aux gens du
coin de choisir entre les deux héros de la ville,
la réponse est sans appel : “Celui qui fait venir
le plus de touristes.”
“A senestre laissent Atienza, une roche très
forte…” (Chant III, 2 691). C’est exactement ce
que nous faisons. Nous nous dirigeons – déjà –
vers Medinaceli, la “ville du ciel”, dans la province de Soria, en imaginant le fidèle Minaya
Alvar Fáñez et ses deux cents lanciers, qui tous
avaient leur étendard, galopant sur ces terres et
pillant les villages. Prêts à tout pour servir la
cause du Cid, mais aussi insatiables détrousseurs
de manants. Certains sont persuadés que l’au-
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
55
DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
teur de la Chanson de Mon Cid était originaire
de Medinaceli. L’endroit est tout à fait “cidien”,
tout en hauteur, avec la montagne qui se
découpe sur l’horizon. L’écrivain Ortega y Gasset disait de Medinaceli qu’elle était “un formidable appel à l’héroïsme” parce que l’impression d’inaccessibilité qu’elle dégage est une pure
incitation au défi : Medinaceli, ville en lévitation, défendue par une porte romane à nulle
autre pareille, ville aérienne, enracinée dans la
légende et labyrinthique, lumineuse. Le Cid n’y
apparaît que pour mieux y disparaître. Pour
l’heure, il s’est évanoui. Demain, nous irons à
sa poursuite.
3 D’Ariza à Teruel
“Entre Ariza et Cetina, mon Cid faisait son
camp…” (Premier chant, 547). Nous avons fait
le nôtre sur la N-II, en chemin vers Valence, cet
autre exil du Cid. A en juger par l’indifférence
du personnel de l’hôtel, Rodrigo Díaz de Vivar
sur son cheval Babieca appartient davantage à
la littérature qu’au quotidien. Dans cette partie
de la province de Saragosse, la beauté du paysage est comme éparpillée entre les plaines fertiles du Jalón et du Jiloca. Enhardis par la quantité de kilomètres que nous avons déjà parcourus,
nous entrons dans Cetina par une matinée glaciale, pour découvrir qu’ici Francisco de Quevedo pèse plus lourd que le Cid. Normal. C’est
ici que le poète boiteux et sulfureux a épousé
Esperanza de Mendoza à l’âge de 55 ans
– mariage de convenance qui a duré le temps de
lire un sonnet, peut-être même moins. A Alhama
de Aragón, ville d’eaux, le soleil dispense sa chaleur sans conviction, aussi indifférent qu’un chat.
Le Cid et ses vassaux semblent ne plus y avoir
leur place. “Il fait du bien ce soleil, hein ?” lançons-nous à la maigre assistance qui s’est approprié le seul banc de la promenade longeant la
rivière. “Oui. C’est bon pour la santé”, répond
quelqu’un. “Auriez-vous l’amabilité de nous indiquer où nous pouvons trouver le Cid ?” demandonsnous. “Ben, il paraît qu’il est passé par ici, mais
allez savoir… Pourquoi il serait venu jusque-là ? Je
vous le demande…” Rodrigue (à force, on devient
intimes) n’est pas là, et personne ne l’attend.
Plus nous avançons sur cette route exténuante, plus la piste du héros devient difficile
à suivre. En fait, l’endroit où elle était la plus
nette était notre point de départ. Son territoire
mythique, son cœur battant sont surtout présents dans cette Castille originelle. Pourtant,
le Cid a livré l’une de ses batailles les plus sanglantes à peine deux villages plus loin, à Alcocer. Il l’a bien entendu remportée et a raflé en
prime un butin fait d’or, d’argent et de plus de
cinq cents chevaux. Neuf siècles plus tard, nous
décidons de visiter Alcocer pour nous faire *835 p54-55-56
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Albarracín, dans la province de Teruel,
a des “allures de rêve éveillé”.
4 De Teruel à Valence
une idée de ce qu’a pu être ce féroce combat.
Mouais… Pas mal, comme patelin !
Nous piquons maintenant vers Calatayud, où
selon la Chanson, le Cid se serait trouvé dans la
quinzième semaine de son exil. Depuis que nous
sommes sortis de Vivar, la corneille nous a servi de
véritable boussole à plumes. Le style mudéjar vibre
dans la tour de la collégiale de Santa María la
Mayor, qui rivalise avec celle de l’église de San
Andrés. Nous avons du mal à imaginer notre héros
en train de traverser la ville d’aujourd’hui sur son
fidèle Babieca, son épée Tizona au côté. On a souvent vu l’Histoire transformée en décors de carton-pâte et en gadgets à 100 balles, mais celle du
Cid n’a même pas eu cet honneur.
Sur les routes d’Aragon, les chemins de traverse se révèlent beaucoup plus avenants. Ils permettent d’éviter les mâles dominants au volant de
leurs énormes semi-remorques. Nous laissons derrière nous Daroca et la lagune de Gallocanta, et
arrivons au lieu qui fut le quartier général du Cid
et est aujourd’hui l’un des villages où son empreinte
est la plus forte (avec Vivar del Cid, Montalbán,
Quintanarraya et Ateca). Il flotte dans l’air comme
une odeur de terre humide, de nuages qui auraient
chaussé leurs bottes de pluie. A El Poyo del Cid
nous attendent José Manuel Lázaro et une bonne
dizaine de soldats et de servantes. Nous avons enfin
trouvé le Cid (il s’appelle Alberto et rentre tout
juste du pôle Nord, où il était parti en excursion).
Le voilà qui descend la rue au trot, droit sur nous.
Les fers de Babieca résonnent sur l’asphalte comme
des roulements de tambour. Minaya s’approche
aussi. Peu à peu prend forme un tableau médiéval
qui transforme El Poyo en un lieu magique, une
scène insolite, avec, dans le fond, l’imposante colline de San Martín. Tous les habitants du village
ou presque répètent le rôle qui sera le leur au cours
du week-end médiéval de juin prochain, où ils joueront de tout leur cœur des extraits de la Chanson.
“C’est une fête très importante pour nous. C’est notre
façon de revendiquer la légende du Cid”, explique
Alberto. Nous trinquons à la bière dans l’unique
bar d’El Poyo, puis nous reprenons notre chemin.
Sur la route de Teruel, le spectacle est assuré
par les gorges du Guadalaviar, à l’endroit où la
montagne, immobile comme un vieux saurien,
semble structurée par les remparts d’Albarracín.
Après les habitants d’El Poyo, plus personne ne
nous parlera du Cid. A Albarracín, les mots sont
inutiles. Ses rues en pente, au tracé médiéval, son
altière architecture de pierre, son allure de rêve
éveillé, son côté merveilleux… Ce sera l’une des
haltes les plus fascinantes de cette expédition. Nous
dépassons Cella, où Rodrigue a rassemblé ceux
qui voulaient assiéger Valence avec lui, et Teruel
apparaît devant nous. Fin de l’étape. Les kilomètres
nous ont moulus. Le Cid est moins une vérité plantée au bout du chemin que le fruit de l’obstination
du voyageur.
Quintanarraya reste marqué par la légende du Cid. Mais Plus
on s’éloigne de Castille, plus on perd la trace de Rodrigue.
■
Postérité
Le personnage
du Cid a inspiré
des dizaines
de textes, poèmes,
pièces de théâtre
et adaptation
filmées. Parmi les
plus remarquables,
on retiendra
évidemment la pièce
de Corneille, publiée
en 1636, largement
inspirée d’une autre
pièce, espagnole
celle-là, écrite
à la fin du
XVIe siècle par
Guillén de Castro
et intitulée Las
Mocedades del Cid.
Mais le Cid a aussi
inspiré un opéra,
créé en 1885
par Jules Massenet,
ainsi qu’un film
américain à grand
budget, tourné
en Espagne
par Anthony Mann
en 1961, avec
Charlton Heston
et Sophia Loren.
Il existe même
un long-métrage
animé,
sorti en 2003
en Espagne, adapté
de la légende
de Don Rodrigue :
El Cid (la leyenda).
Nous voici repartis pour Olucau del Rey, dans ce
voyage en diagonale à travers une péninsule qui ne
se souvient plus très bien de son chevalier servant.
Après d’innombrables kilomètres de montagne
pelée apparaît Villarroya de Pinares, village de pierre
et de silence. La sierra continue à révéler des oasis
de vie.Voilà maintenant Fortanete, avec ses petits
vieux appuyés sur des bâtons, puis la Iglesuela del
Cid, mystère de la terre du Maestrazgo, où la piste
du Cid acquiert l’espace d’un instant une réalité
que l’on n’espérait plus. La tour de l’Exconjurador, les Casonas de Guijarro, le palais Dauden
et le palais Matutano… C’est un véritable étalage d’art architectural du Moyen Age et de la
Renaissance qui s’offre à nous. Rares sont les lieux
capables de déployer autant de beauté par une
matinée aussi quelconque et aussi pluvieuse et sous
un ciel aussi bouché. L’histoire dit que Rodrigue,
en route pour Valence, est passé par ici avec lanciers et étendards. Nous prenons la même direction avec hâte et le cœur au bord des lèvres en raison du manque de sommeil, des heures de route
interminables, des hôtels qui ne méritent pas mieux
qu’une nuit et de notre obstination à nous plonger dans la légende d’un poème épique qui n’intéresse plus grand monde. L’émotion et la force de
cette aventure se dissipent dès que nous entrons
dans Castellón. Certes, il reste encore Jérica et
Segorbe. Mais le reste n’est qu’une succession d’immeubles et de béton, de zones industrielles qui
vomissent des camions par centaines. Nous ne
voyageons plus, nous fuyons. Nous nous arrêtons
à Burriana pour essayer d’imaginer ce à quoi pense
un homme qui regarde la mer pour la première
fois. Ici, le Cid et les siens ont découvert la Méditerranée. En ce début de deuxième millénaire, cet
endroit devait être le bout du monde. Aujourd’hui,
c’est un concours de mauvaise architecture, une
compétition de balcons pompeux qui empêchent
de voir la mer. Après avoir traversé Sagunto, nous
arrivons à Valence, royaume conquis par le Cid
après six mois de siège et de lutte contre les Maures,
ville de gloire, taifa de lumière, lieu de son trépas, le 10 juillet 1099. La ville a gardé comme souvenir de celui qui naquit à Vivar une statue équestre.
Déjà ténue, la trace de celui qui “en bonne heure
a ceint l’épée” est définitivement balayée dans ce
dernier morceau de route. Tout ici est champs
d’orangers au repos, épopée de béton ourlant la
côte… Le paysage est formel : notre voyage est fini.
Après mille neuf cents kilomètres, las de scènes
invraisemblables, la Chanson de Mon Cid dans une
poche, sans cotte de mailles ni haubert et huit
siècles plus tard, nous rentrons à Madrid en proie
à la sombre ardeur du retour, nous demandant ce
qu’il penserait, notre Cid, s’il refaisait aujourd’hui
le chemin de son exil. Et “en cet endroit s’achève
la chanson” (Chant III, 3 730).
Antonio Lucas
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DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
carnet de route
Y ALLER ■ Le chemin du Cid commence à Vivar
del Cid, le lieu de naissance du héros, à 8 kilomètres de Burgos, et à quelque 250 kilomètres au nord de Madrid. Vous pouvez visualiser l’ensemble du parcours sur le site
<www.caminodelcid.org> (en espagnol), qui
recense aussi toutes les manifestations
“cidiennes” qui jalonnent le chemin, et ce tout
au long de l’année. On peut aussi accomplir
l’itinéraire entre Burgos et Valence à vélo : le
site <www.revistaiberica. com/Rutas_y_destinos/cl/cid/index. htm> détaille le parcours
étape par étape (en espagnol).
SE LOGER ■ Le réseau des Paradores est sans
doute ce que l’on fait de mieux. Ce maillage
d’hôtels exceptionnels appartient toujours à
l’Etat espagnol et la plupar t des établissements sont des monuments historiques reconver tis. Comptez entre 100 et 150 euros la
nuit pour une chambre double sans le petit
déjeuner (12 euros). Le site <www.parador.es/francais> vous permettra de faire vos
réser vations – en français – et d’avoir une
idée de l’endroit où vous descendrez. Si vous
disposez d’un budget plus serré, vous pouvez
vous adresser au siège du Camino del Cid,
à Burgos, qui vous aidera à organiser votre
parcours et à trouver les hôtels qui jalonneront vos étapes. (Real monasterio de San
Agustín, calle Madrid, 24, tél. : +34 947 25
62 40 et courriel <mailto : [email protected]>. Enfin, un guide touristique (en espagnol) a été publié récemment et est disponible
dans toutes les librairies espagnoles ou via
le Net : El Camino del Cid, éd. El País Aguilar,
21,90 euros + frais d’envoi sur le site de la
Fnac Espagne <www.fnac.es>).
SE RESTAURER ■ Le chemin du Cid est aussi un
parcours gastronomique qui vous conduira de
la cuisine très carnée et roborative de la Castille-Léon à la star de la cuisine espagnole, la
paella, qu’il faut déguster à Valence, d’où elle
est originaire. Du côté de Burgos on se délecte
d’agneau ou de cochon de lait rôti. Vous pouvez aussi vous plonger dans les délices de la
célèbre olla podrida, une sorte de pot-au-feu
qui n’a de pourri que le nom populaire. Sans
oublier les délicieux ribera-del-duero, des AOC
à découvrir aussi bien en rouge qu’en rosé. A
Burgos, le meilleur endroit pour s’initier au
plaisir de la cuisine castillane s’appelle Casa
Ojeda (calle Vitoria, 5, tél. : +34 947 209
052). Ce restaurant traditionnel situé en plein
centre (à 25 mètres de la statue du Cid) propose des menus gastronomiques à partir de
20 euros.
■ Retrouvez tous nos Voyages sur
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l e l i v re
épices & saveurs
●
DE L’HIMALAYA À MANHATTAN
Avec les exclus
de la mondialisation
ESPAGNE Rien de tel
■
qu’une tortilla
Le deuxième roman
de Kiran Desai (Booker
Prize 2006) nous présente
une vision particulièrement
noire de l’Occident
et du multiculturalisme.
THE NEW YORK TIMES (extraits)
New York
ême s’il se concentre sur le destin de
quelques individus démunis, The Inheritance of Loss [La dépossession en héritage,
non traduit en français], le nouveau roman
de Kiran Desai [après Le Gourou sur la branche,
Calmann-Lévy, 2002], parvient à explorer avec
une profondeur et une pertinence extraordinaires
les grandes questions du monde contemporain :
mondialisation, multiculturalisme, inégalités économiques, fondamentalisme et violence terroriste.
Il a beau se dérouler au milieu des années 1980,
il ressemble à la littérature de l’après-11 septembre
dans ce qu’elle a de meilleur.
Le livre commence avec Sai, une adolescente
indienne : orpheline, elle vit dans la ville de Kalimpong, située du côté indien de l’Himalaya, avec son
grand-père, un juge anglophile à la retraite qui a
fait ses études à Cambridge. Elle est amoureuse de
Gyan, son professeur particulier de mathématiques,
descendant d’un mercenaire gurkha [ethnie népalaise servant traditionnellement dans l’armée britannique]. Gyan, rebuté par les privilèges de la
jeune fille, finit par la quitter pour un groupe de
rebelles indépendantistes du Népal. Parallèlement,
on découvre la vie de Biju, le fils du cuisinier du
grand-père de Sai et membre de cette “classe fantôme” des immigrés clandestins de New York. Il
passe une grande partie de son temps à éviter les
autorités et enchaîne les emplois mal payés.
Ce que ces personnages apparemment disparates ont en commun, c’est leur héritage historique. Et l’expérience de l’impuissance et de l’humiliation. “Ils étaient tous le produit de certains
événements qui s’étaient déroulés longtemps auparavant”, écrit Kiran Desai, faisant référence aux
siècles de domination imposés par la puissance économique et culturelle de l’Occident. L’apparition
d’un début d’égalité dans l’économie mondiale de
la fin du XXe siècle ravive ces blessures plutôt qu’elle
ne les guérit. Presque tous les personnages du
roman ont d’ailleurs vu leur destin bousculé par
leur rencontre avec l’Occident.
Le multiculturalisme consumériste de l’Occident laisse l’auteur sceptique. Le roman de Desai
suggère en effet que ce multiculturalisme, qui ne
touche que les métropoles et les universités occidentales, ne permet pas de réfléchir aux causes de
l’extrémisme et de la violence qui agitent le monde
moderne et laisse entendre que la mondialisation
ombien d’Espagnols sont accros à la tortilla
de patata [omelette aux pommes de terre]
et en mangent quasi quotidiennement, le
soir, à l’apéritif, au déjeuner ? Vous-même, quand
en avez-vous mangé pour la dernière fois ? Une
simple omelette aux pommes de terre est plus
délectable que le mets le plus coûteux… pourvu
qu’elle soit bien faite, que les patates soient bien
dorées et qu’elle ne soit pas trop sèche. Il y en
a qui mettent de tout dans la tortilla. Mais, comme
le dit mon ami Anacleto Rodríguez Moyano, “une
omelette aux pommes de terre est une omelette
aux pommes de terre”. Quand nous disputons
un tournoi devant les fourneaux, j’aime bien y
mettre un peu de lard, un peu de poivron vert
finement haché, ainsi qu’une gousse d’ail finement hachée elle aussi. Ce qui, une fois mélangé
aux pommes de terre et dûment lié avec l’œuf,
donne une tortilla formidable. Anacleto s’énerve,
il crie à la concurrence déloyale, rappelant que
la tortilla de patata se compose d’œufs, d’huile,
de pommes de terre et de sel. Il a raison. Avec
ces quatre ingrédients, nous en avons tous connu
d’excellentes. Je continue à me régaler avec celle
que je mange tous les ans au restaurant La
Encina, à Palencia [en Castille], et qui est peutêtre la meilleure du monde. Cirina González
explique que le secret consiste à utiliser des
pommes de terre Kennebec, cultivées dans la
région, à ne pas les laver sous le robinet mais
simplement les frotter avec un linge humide, à les
dorer dans une bonne quantité d’huile et à les laisser égoutter pendant la moitié de la matinée. Cirina
González a gagné tous les prix possibles et imaginables. Ça ne m’étonne pas. A Madrid, un restaurant nommé Las Tortillas de Gabino commence
à être très couru. Il propose plusieurs sortes de
tortillas, et celle aux pommes de terre m’a paru
excellente. On y fera la queue, comme on le fait
déjà chez Támara, un autre restaurant madrilène,
où Lorenzo, qui est de Palencia, confectionne une
tortilla ovale très baveuse, presque liquide, qui
est époustouflante et qu’il faut commander au
moment où l’on fait sa réservation. Dans chaque
localité espagnole, il y a une adresse où l’on fait
des merveilles avec des œufs et des pommes de
terre. Et une autre où on les maltraite. On dit que
ce sont les femmes galiciennes qui font les
meilleures tortillas aux pommes de terre. En tout
cas, celles que l’on sert à l’auberge O’Bo, à La
Corogne, et à l’hôtel Congreso, à Saint-Jacquesde-Compostelle, et dans n’importe quel établissement de Betanzos confirment cette réputation.
Certains, enfin, aiment ajouter un peu de lait aux
œufs battus, ce qui me paraît une aberration ;
d’autres trouvent amusante la tortilla déconstruite de Ferran Adrià [il la sert en trois strates :
oignon confit en bas, jaune d’œuf mollet au milieu
et écume de pommes de terre au sommet], mais,
en définitive, nous raffolons tous de cette tortilla
qu’on nous a servie un jour à la maison ou dans
un bar perdu, et qui a bien failli nous changer
la vie.
Carlos Herrera, ABC, Madrid
C
M
Eamonn Mc Cabe/Camerapress/Gamma
835p58
■
Biographie
Lorsque le Booker
Prize a été décerné
à Kiran Desai,
le 10 octobre
dernier, les journaux
ont tous mis
deux faits en avant :
elle est, à 35 ans,
la plus jeune
des lauréats
du Goncourt
britannique ;
et elle est la fille
d’Anita Desai,
l’un des grands noms
de la littérature
indienne de langue
anglaise. Comme
les personnages
principaux de
son nouveau roman,
Kiran Desai a passé
son enfance
à Kalimpong, dans
l’Himalaya, puis
à Delhi. A 14 ans,
elle quitte l’Inde
avec sa mère pour
la Grande-Bretagne
et les Etats-Unis,
où elle poursuit ses
études secondaires
et supérieures.
En 1998, elle publie
son premier roman
et se fait remarquer
par la critique.
économique n’apportera pas la prospérité aux
opprimés. La plupart des gens du monde décolonisé se retrouvent ainsi avec une promesse de
modernité minable, une modernité, selon les termes
de Desai, “de la forme la plus vile, flambant neuve un
jour, en ruine le lendemain”. Il n’est pas étonnant,
dans ces conditions, que des hommes peu éduqués
et déracinés comme Gyan soient attirés par la première cause politique venue dans leur recherche
d’une meilleure voie. Si Gyan rejoint un mouvement nationaliste, c’est en grande partie pour évacuer sa rage et sa frustration. D’autres préfèrent
chercher le salut dans la fuite. Aucune scène n’est
plus poignante que celle où Biju se joint à une foule
d’Indiens qui se bousculent pour atteindre le guichet des visas de l’ambassade des Etats-Unis.
Kiran Desai ne donne à ses personnages
aucune possibilité d’évolution ni de rédemption.
Malgré un humour omniprésent, The Inheritance
of Loss semblera peut-être particulièrement amer
à nombre de lecteurs. Mais, comme Orhan Pamuk
[prix Nobel de littérature 2006, voir CI n° 833,
du 19 octobre] l’a écrit après le 11 septembre, “en
Occident, les gens sont très rarement conscients de
l’immense sentiment d’humiliation ressenti par la
majeure partie de la population du monde”, un sentiment que “ne parviennent à saisir ni les romans réalistes magiques, qui donnent du charme à la pauvreté
et à la bêtise, ni la littérature populaire de voyage, qui
les rend exotiques.” C’est cette souffrance invisible
que Desai dévoile en décrivant la vie de personnes
dont la conception de l’ordre, de la dignité et de la
justice se heurte sans cesse à la modernité. En tout
cas, point n’est besoin d’adhérer à cette vision pour
admirer le talent de Desai à l’exprimer.
Pankaj Mishra*
* Pankaj Mishra est l’auteur de La Fin de la souffrance : le
Bouddha dans le monde (Buchet-Chastel, 2006). Il a publié
au printemps Temptations of the West : How to Be Modern in
India, Pakistan,Tibet, and Beyond (non traduit en français).
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insolites
●
Al-Qaida Tour
L’ancien refuge de Ben Laden, dans les montagnes afghanes de Tora Bora, est en train
d’être converti en complexe touristique, à en croire The Sun. Selon le quotidien britannique, des hôtels et des restaurants sont en construction dans la zone montagneuse
surplombant la cache secrète du chef d’Al-Qaida. “Nous voulons que ce lieu soit assoSipa
cié au tourisme, pas au terrorisme. Les gens venaient y pique-niquer bien avant qu’on
n’entende parler d’Oussama Ben Laden”, a déclaré Gul Agha Sherazi, ancien seigneur
Le
fleuve Jaune était rouge le 22 octobre à Lanzhou,
capitale de la province de Gansu. L’origine de la pollution doit encore être déterminée,
de la guerre devenu gouverneur local. Le projet se monterait à 7,9 millions d’euros.
indique l’agence Xinhua. Selon Kang Mingke, du bureau municipal de protection
de l’environnement, il pourrait s’agir de rejets d’eau utilisée dans les systèmes de
chauffage central. Certaines entreprises colorent l’eau pour empêcher les particuliers
de la consommer et réduire ainsi leur facture d’eau, a-t-il indiqué.
Ouf !
ini, les examens d’entrée en maternelle. La Haute Cour de Delhi a interdit les entretiens préalables à l’admission dans les jardins d’enfants privés de
la capitale indienne. “La décision du tribunal met fin à la cruauté envers des
enfants de 3-4 ans qui, accompagnés de leurs parents, étaient soumis à des entretiens relevant de la torture”, se félicite l’avocat Ashok Agarwal. Les fort coûteuses
crèches destinées à préparer les bambins à ces entrevues se sont multipliées à
Delhi. Elles recrutent dès l’âge de un an et demi.
(BBC, Londres)
F
Délocalisation
Tous les adeptes de jeux vidéo le savent : il n’y a rien de plus rasoir que les premières étapes. A
en croire le magazine en ligne Wired, des joueurs américains sous-traitent les parties les plus
fastidieuses de leur jeu à l’étranger. Résultat : “Des milliers de personnes, en Inde ou en Rou-
“Singing in the shower”
Faites des économies d’énergie : arrêtez de chanter sous
la douche – ou choisissez des morceaux plus courts.Tel est le
message d’Energy Australia à ses clients. Selon une étude
effectuée par le fournisseur d’énergie australien – l’un
des principaux du pays –, chanter sous la douche, y
rêvasser, s’y raser ou se livrer à d’autres activités
“non essentielles” entraîne une débauche d’électricité qui contribue au réchauffement de la planète.“Une minute sous la douche, cela consomme
autant d’électricité que quatre heures de télévision”, explique Paul Myors, d’Energy Australia.
(The Age, Melbourne)
Le cachet
de la poste faisant foi
L
d’ordinateurs”, pour amasser des personnages virtuels pour leurs commanditaires.
Delacroix
et la bannière
“No pasarán !”
Cachez ce sein que je ne
saurais voir : le ministère
de l’Education turc a
demandé le retrait du
tableau de Delacroix
qui illustre un manuel d’histoire utilisé
depuis cinq ans.
La Liberté guidant
le peuple figure
dans le chapitre
consacré aux
droits civiques
et aux droits
de l’homme.
(Frankfurter
Rundschau,
Francfort)
as un magasin ni une entreprise
ouverte, pas un enfant à l’école :
c’est un village entier qui s’est mis
en grève en Espagne. Les habitants de Cuevas de Becerro, près de
Málaga, protestaient contre un projet
prévoyant la construction de deux terrains de golf, de deux hôtels et de
800 habitations de luxe. Après trois
ans de vaine mobilisation contre “ce
massacre urbanistique et écologique”,
les villageois ont opté pour la grève
générale. Le complexe touristique et
résidentiel Los Merinos, qui devrait
être édifié sur un terrain aquifère,
menace le ravitaillement en eau de
10 000 personnes de la région.
(El Mundo, Madrid ;
Andalucía 24 Horas, Séville)
P
sauver du même
coup leur flèche du
XVIe siècle et leur bureau
de poste. Il y a trois ans, les
autorités paroissiales ont demandé
une aide pour installer le bureau de
poste dans la sacristie et consacrer les
bénéfices à la réfection du clocher.
“Maintenant, il y a du monde à l’église
tous les jours, même s’ils ne viennent que
pour acheter un timbre”, se félicite Annette
Reed, l’ancienne vicaire. “C’est magnifique de voir l’église retrouver son rôle traditionnel de centre du village.”
Jonathan Petre,
The Daily Telegraph (extraits), Londres
RMN
Le pyjama,
tenue de ville
elon un sondage réalisé par ses habitants, les gens portant des pyjamas
en pleine rue, une banalité à Shanghai, sont l’un des aspects les plus
irritants de la vie quotidienne dans la plus
grosse ville chinoise. Le port d’un pyjama
dans la rue, les magasins, les banques ou
les parcs est considéré par les habitants de
la mégapole comme l’une des principales
marques d’incivilité, tout comme les animaux de compagnie agressifs, les voisins
peu serviables et le non-respect de l’environnement, indique l’étude.
Plus de 16 % des personnes interrogées
affirment qu’elles-mêmes ou des membres
de leur famille se rendent régulièrement
dans un lieu public en pyjama et 25 %
reconnaissent l’avoir déjà fait, a indiqué
S
Andrew Fox
e salut de la Poste britannique
passe par l’Eglise catholique.
Préoccupés par le déclin des
communautés rurales, de plus
en plus d’ecclésiastiques viennent
au secours des bureaux de poste
menacés de fermeture. Dans les
églises médiévales de plusieurs villages, les ouailles peuvent acheter un
timbre et toucher leurs pensions
entre deux prières. En août, le pasteur de Hemingford Grey, dans le
Cambridgeshire, a ainsi été nommé
sous-receveur des postes du village.
L’église gère aujourd’hui l’unique
guichet de poste comme une entreprise à but non lucratif, avec le soutien financier du conseil paroissial.
Peter Cunliffe a été nommé après un
entretien avec le service des ressources
humaines de la Poste, à Peterborough.
“Nos seules recettes proviennent du
chiffre d’affaires : il faut que cela couvre
les salaires des guichetiers. L’église ne
demande pas de loyer et finance le
chauffage et l’électricité grâce à la
quête.” Les paroissiens de l’église de
Tous-les-Saints de Sheepy Magna,
dans le Leicestershire, ont réussi à
manie, jouent douze heures par jour à World of Warcraft et à Lineage dans des pièces remplies
COURRIER INTERNATIONAL N° 835
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DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006
mercredi Yang Xiong, un professeur ayant
participé à la réalisation de ce sondage
parrainé par l’Académie des sciences
sociales de Shanghai et la Fédération des
femmes de la ville.
Plusieurs théories expliquent pourquoi le
port du pyjama – une tunique en coton souvent décorée de fleurs ou de petits animaux – est si répandu dans la ville chinoise
la plus riche et la plus cosmopolite. L’une
d’entre elles explique que certains habitants
sortent en pyjama pour souligner la proximité de leur domicile du centre-ville et, ainsi,
renforcer leur statut social. Une autre y voit
une réminiscence de la vie traditionnelle qui
avait cours il y a des décennies dans de
petites communautés, alors autonomes.
Reuters