Bolivie Vraie-fausse nationalisation du gaz
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Bolivie Vraie-fausse nationalisation du gaz
835 UNE OK 31/10/06 15:59 Page 1 Bolivie Vraie-fausse nationalisation du gaz INDE Des sikhs sans barbe ni turban INTERNET Attention, péage en projet VOYAGE En Espagne avec le Cid www.courrierinternational.com N° 835 du 2 au 8 novembre 2006 - 3 € Bush face à la déroute Elections décisives au Congrès américain AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥ LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU M 03183 - 835 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?a@i@d@p@k; 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 835_p03 31/10/06 19:08 Page 3 s o m m a i re ● Guérilla virtuelle pour la cause baloutche J A P O N Mobilisation contre le suicide des vieux ■ le mot de la semaine makuragyô, les sutras de chevet C H I N E Le PCC s’assoit sur l’esprit olympique PA K I S TA N e n c o u ve r t u re ● Bush face à la déroute Et si les démocrates remportaient les élections législatives du 7 novembre ? Pour beaucoup, la majorité semble leur être acquise à la Chambre des représentants. Et certains pensent que le Sénat pourrait également basculer. Bush et son équipe ont en effet déçu leurs partisans, y compris dans l’armée et dans les communautés chrétiennes qui donnent traditionnellement leurs voix aux républicains. Les démocrates auront su avant tout profiter des effets désastreux de l’interminable aventure irakienne. pp. 32 à 40 30 ■ Afrique RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Quand le Kivu vote pour la paix ANALYSE Une élection loin d’être jouée d’avance CENTRAFRIQUE L’écotourisme au secours du “peuple de la forêt” E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S 32 ■ en couverture Bush face à la déroute 42 ■ portrait L’irréductible Slovène de Croatie RUBRIQUES Depuis plusieurs années, Josko Joras se bat pour que les autorités croates acceptent que le hameau de Secovje, situé juste sur la frontière, retourne dans le giron slovène. Mais la partie est loin d’être gagnée. 4 ■ les sources de cette semaine 6 ■ l’éditorial Les belles promesses 44 ■ enquête Conversions interdites Le royaume chérifien punit sévèrement le prosélytisme des missionnaires évangéliques, qu’ils soient marocains ou étrangers, tout en essayant de ne pas se fâcher avec Washington. du président Lula, par Bernard Kapp 6 ■ l’invité Mary Dejevsky, The Independent, Londres ■ ■ ■ ■ ■ bouge, les religieux pas encore T É L É V I S I O N Une série qui se moque des intégristes SYRIE Pèlerinage très politique à Sayida Zaynab EXIL Retrouvailles irakiennes au Caire Embourbé dans le conflit en Irak, le président Bush est l’artisan de la défaite annoncée des républicains aux élections de mi-mandat qui auront lieu le 7 novembre. Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, Cuba. 6 9 9 54 58 28 ■ moyen-orient A R A B I E S A O U D I T E La société le dessin de la semaine à l’affiche ils et elles ont dit voyage Pour la visite, suivez le Cid… le livre La dépossession en héritage, INTELLIGENCES 46 ■ économie C O N C E N T R AT I O N Mariage d’amour de Kiran Desai Ouverture en Arabie Saoudite 58 ■ épices et saveurs p. 28 Espagne : Rien de tel qu’une tortilla 59 ■ insolites Al-Qaida Tour dans la sidérurgie ■ la vie en boîte Cinq conseils pour survivre ACQUISITIONS Les Espagnols partent à la conquête du monde C O N S O M M AT I O N Une immigration salvatrice pour l’économie 50 ■ multimédia M O B I L I S AT I O N Internet à deux vitesses ? Non, merci ! 51 ■ sciences MÉTHODOLOGIE Bataille de statisticiens à propos de la guerre en Irak CONTREPOINT Une étude utile et plutôt correcte D’UN CONTINENT À L’AUTRE 10 ■ france M É D I A S Vérité en deçà du périph’, mensonge au-delà VU DE SUISSE Les banlieues dans le piège de la présidentielle É C O N O M I E Quand Chirac aménage le territoire chinois MULTICULTURALISME Et si les Français avaient eu raison d’interdire le voile 52 ■ technologie ATOME Un Tchernobyl flottant dans les eaux russes 53 ■ écologie SAUVEGARDE Pourquoi il faut interdire l’Everest aux touristes 13 ■ europe ALLEMAGNE La Bundeswehr à l’épreuve de la guerre UKRAINE Le véritable prix du gaz russe BIÉLORUSSIE 10 millions d’euros pour l’opposition biélorusse S O C I A L Vers l’unité syndicale autour de la Baltique ■ vivre à 25 ITALIE La Mafia perd son chantier du siècle ITALIE Romano Prodi victime d’espionnage fiscal M O L D AV I E - R O U M A N I E Le bonheur de l’autre côté du fleuve V U D E M O S C O U Pourquoi se méfie-t-on des Russes en Europe de l’Ouest ? SLOVAQUIE HONGRIE Affabulation ou manipulation ? 18 ■ amériques B O L I V I E La vraie-fausse nationalisation C H I L I L’or de Pinochet refait sur face à Hong Kong M E X I Q U E La police fédérale investit Oaxaca A M É R I Q U E CENTRALE Les “petits tigres” des Caraïbes râlent de plaisir BRÉSIL Victoire sans surprise pour le président Lula 22 ■ asie MYANMAR Faire pression sur la junte militaire S R I L A N K A Les négociations en panne sur l’autoroute I N D E Peut-on être sikh sans por ter ni barbe ni turban ? Sur RFI Retrouvez Courrier international tous les jeudis dans l’émission Les visiteurs du jour animée par Hervé Guillemot. Cette semaine, “Peut-on être sikh sans porter barbe et turban ?”, avec Ingrid Therwath. Cette émission sera diffusée en direct sur 89 FM le jeudi 2 novembre à 10 h 15, puis sur le site <www.rfi.fr>. W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur Pour Burgos, suivez le Cid… p. 54 courrierinternational.com LA SEMAINE PROCHAINE afghanistan Cinq ans après les talibans culture Los Angeles racontée par James Ellroy dossier spécial Gros plan sur le Québec COURRIER INTERNATIONAL N° 835 3 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 31/10/06 19:37 Page 4 l e s s o u rc e s ● CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL ABC 267 000 ex., Espagne, quotidien. Journal monarchiste et conservateur depuis sa création en 1903, ABC a un aspect un peu désuet unique en son genre : une centaine de pages agrafées, avec une grande photo à la une. ARABNEWS 50 000 exemplaires, Arabie Saoudite, quotidien. Principal titre en anglais du royaume, il est ouvert à l’Occident. Ainsi, il peut publier des éditoriaux repris des grands titres de la presse américaine. Fondé en 1975, il sert de tribune aux milieux libéraux réformateurs. ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éditions du matin) et 4 400 000 ex. (éditions du soir), Japon, quotidien. Fondé en 1879, chantre du pacifisme nippon depuis la Seconde Guerre mondiale, le “Journal du Soleil-Levant” est une véritable institution. ASHARQ AL-AWSAT 200 000 ex., Arabie Saoudite, quotidien. “Le MoyenOrient” se présente lui-même comme le “quotidien international des Arabes”. Edité par Saudi Research and Marketing, il connaît depuis 1990 un succès croissant et est distribué aussi bien au Moyen-Orient que dans le Maghreb. THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR 125 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Publié à Boston mais lu “from coast to coast”, cet élégant tabloïd est réputé pour sa couverture des affaires internationales et le sérieux de ses informations nationales. qui s’intéressent à l’actualité internationale. Ouvertement libéral, il se situe à l’“extrême centre”. ETIQUETA NEGRA 7 000 ex., Pérou, mensuel. Fondée début 2002, l’“Etiquette noire” a pour ambition d’être l’équivalent du NewYorker pour l’Amérique latine. C’est-à-dire une revue de grande qualité, tant éditoriale que formelle. FRANKFURTER RUNDSCHAU 189 000 ex., Allemagne, quotidien. Le plus ancien des quotidiens nationaux allemands a un public un peu plus jeune que ses concurrents. Engagé à gauche, dans la défense des droits de l’homme et de l’environnement. THE GUARDIAN 375 200 ex., RoyaumeUni, quotidien. Depuis septembre 2005, il est le seul quotidien national britannique imprimé au format berlinois et tout en couleur. L’indépendance, la qualité et l’engagement à gauche caractérisent depuis 1821 ce titre, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie Saoudite (siège à Londres), quotidien. “La Vie” est sans doute le journal de référence de la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gauche ou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public. THE HINDU 700 000 ex., Inde, quotidien. Hebdomadaire fondé en 1878, puis quotidien à partir de 1889. Publié à Madras et diffusé essentiellement dans le sud du pays, ce journal indépendant est connu pour sa tendance politique de centre gauche. THE INDEPENDENT 252 000 ex., RoyaumeUni, quotidien. Créé en 1986, ce journal s’est fait une belle place dans le paysage médiatique. Racheté en 1998 par le patron de presse irlandais Tony O’Reilly, il reste indépendant et se démarque par son engagement proeuropéen, ses positions libertaires sur des problèmes de société et son illustration. AL-ITTIHAD Emirats arabes unis, quotidien. Créé en 1969, Al-Ittihad est un des plus vieux médias des Emirats arabes unis. Sous l’autorité du ministère de l’Information et de la Culture, ce quotidien publie des articles de fond rédigés par des intellectuels souvent critiques du monde arabe. COTIDIANUL 40 000 ex., Roumanie, quotidien. “Le quotidien” a été fondé en 1991 par Ion Ratiu, journaliste à la BBC, devenu une des figures marquantes de la politique roumaine, dans la perspective d’informer le citoyen et de servir la démocratie. EL DIARIO, Bolivie, quotidien. Depuis 1904 El Diario perpétue l’esprit de son fondateur, José Carrasco Torrico, selon lequel “la presse crée la lumière là où il y a les ténèbres”. Généraliste, il traite des événements nationaux d’un point de vue conservateur, nationaliste et catholique. DONGXIANG-THE TREND 15 000 ex., Chine (Hong Kong), mensuel. De nature contestataire, le titre, comme sa publication sœur Cheng Ming, publie des articles très critiques vis-à-vis du gouvernement central de Pékin. THE ECONOMIST 1 009 760 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire.Véritable institution de la presse britannique, le titre, fondé en 1843 par un chapelier écossais, est la bible de tous ceux KYIV POST 20 000 ex., Ukraine, hebdomadaire. Paraît en ukrainien et en anglais, dispose d’un site Internet très actif, qui touche un lectorat composé “d’hommes d’affaires et de touristes d’Ukraine et de l’étranger”. “alternatif”, mordant et dérangeant au début des années 1980, au point de voir ses responsables arrêtés lors du “Printemps slovène”. Après les élections libres, en avril 1990, Mladina a été privatisé, mais reste toujours aussi irrévérencieux et courageux. EL MUNDO 310 000 ex., Espagne, quotidien. “Le Monde” a été lancé en 1989 par Pedro J. Ramírez et d’autres anciens de Diario 16. Le directeur d’El Mundo a toujours revendiqué le modèle du journalisme d’investigation à l’américaine bien qu’il ait tendance à privilégier le sensationnalisme au sérieux des informations. THE NATION 117 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Fondé par des abolitionnistes en 1865, résolument à gauche, The Nation est l’un des premiers magazines d’opinion américains. Des collaborateurs tels que Henry James, Jean-Paul Sartre ou Martin Luther King ont contribué à sa renommée. THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le NewYork Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). NOVYÉ IZVESTIA 41 650 ex., Russie, quotidien. “Les Nouvelles Izvestia” a été créé en 1997 par Igor Golembiovski, ex-rédacteur en chef des Izvestia, et les journalistes devenus “indésirables” pour les nouveaux propriétaires du célèbre quotidien. Premier quotidien russe en couleurs, sérieux et critique vis-à-vis du Kremlin, il fut populaire jusqu’en mars 2003, date à laquelle il dut suspendre sa parution faute de financements. Il a retrouvé les kiosques le 1er juillet 2003. THE OBSERVER 434 000 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire. Le plus ancien des journaux du dimanche (1791) est aussi l’un des fleurons de la “qualité britannique”. Il appartient au même groupe que le quotidien The Guardian et, comme lui, se situe résolument à gauche. LOS ANGELES TIMES 851 500 ex., EtatsUnis, quotidien. Cinq cents grammes de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, une vingtaine de prix Pulitzer : c’est le géant de la côte Ouest. Créé en 1881, il est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays. MILENIO 80 000 ex., Mexique, quotidien. Né en 2000 à Monterrey, la grande ville du Nord, “Millénaire” possède aussi des rédactions à Mexico et dans d’autres villes de province. Son ton irrévérencieux traduit une approche incisive de l’actualité politique mexicaine. EL PAÍS 457 000 ex. (831 000 ex. le dimanche), Espagne, quotidien. Né en mai 1976, six mois après la mort de Franco, “Le Pays” est une institution en Espagne. Il est le plus vendu des quotidiens d’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleurs journaux du monde. MLADINA 40 000 ex., Slovénie, hebdomadaire. Fondé en 1943 en tant qu’organe de l’Alliance des jeunesses socialistes, “La Jeunesse” est devenu POPULAR SCIENCE 1 800 000 ex., EtatsUnis, mensuel. Depuis 1872, “Science populaire” livre au très grand public des informations sur le Bulletin à retourner sans affranchir à : LE POTENTIEL 2 500 ex., république démocratique du Congo, quotidien. Fondé en 1982, ce tabloïd, initialement dévolu à l’économie, a glissé vers la politique pour s’y consacrer totalement à partir de 1990.Volontiers frondeur, Le Potentiel est sans doute le plus lu des quotidiens kinois. du Sud” est le grand journal libéral du sud de la Suède. Devenu tabloïd en 2004, il a abandonné son nom d’origine, Sydsvenska Dagbladet, pour adopter le surnom que les Suédois lui donnaient depuis toujours : Sydsvenskan. PROSPECT 18 000 ex., Royaume-Uni, mensuel. Fondée en novembre 1995, cette revue indépendante de la gauche libérale britannique offre à un lectorat cultivé et curieux des articles de grande qualité, avec un goût marqué pour les points de vue à contrecourant et les analyses contradictoires. LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie, quotidien. Née en 1976, La Repubblica se veut le quotidien de l’élite intellectuelle et financière du pays. Le titre est orienté à gauche, avec une sympathie affichée pour les Démocrates de gauche (ex-Parti communiste), et critique vis-à-vis de l’ancien président du Conseil, Silvio Berlusconi. SALON <http://www.salon.com>, EtatsUnis. Créé en novembre 1995 par David Talbot, ancien journaliste du San Francisco Examiner, ce webzine, qui compte 73 000 abonnés et 3,1 millions de visiteurs par mois, s’intéresse à l’actualité culturelle et littéraire et à la vie des idées. SCIENCE <http://www.sciencemag.org> 165 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Prestigieuse revue créée en 1848. Elle offre un panorama particulièrement fouillé et exhaustif de l’état et des débats de la science aux Etats-Unis et dans le reste du monde. LE SOIR 125 000 ex., Belgique, quotidien. Lancé en 1887, le titre s’adresse à l’ensemble des francophones de Belgique. Riche en suppléments et pionnier sur le web, le premier journal de Bruxelles et de la Wallonie voit néanmoins ses ventes s’éroder d’année en année. LA STAMPA 400 000 ex., Italie, quotidien. Le titre est à la fois le principal journal de Turin et le principal quotidien du groupe Fiat, qui contrôle 100 % du capital à travers sa filiale Italiana Edizioni Spa. SÜDDEUTSCHE ZEITUNG 430 000 ex., Allemagne, quotidien. Né à Munich, en 1945, le “journal intellectuel du libéralisme de gauche allemand” est l’autre grand quotidien de référence du pays, avec la FAZ. 64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) SYDSVENSKAN 136 000 ex., Suède, quotidien. Fondé en 1848, “Le Quotidien Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Daniel Matias (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassy (Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) DE VOLKSKRANT 310 000 ex. Pays-Bas, quotidien. Né en 1919, catholique militant pendant cinquante ans, “Le Journal du peuple” s’est laïcisé en 1965 et est aujourd’hui la lecture favorite des progressistes d’Amsterdam, bien qu’ils se plaignent beaucoup de sa dérive populiste. VREME 25 000 ex., Serbie-et-Monténégro (Serbie), hebdomadaire. “Le Temps” assure un suivi bien documenté et approfondi de l’actualité politique, économique et culturelle. Ses commentateurs indépendants sont connus pour leur critique avertie des crises qui secouent la scène politique. THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex., Etats-Unis, quotidien. C’est la bible des milieux d’affaires. Mais à manier avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales tellement partisanes qu’elles tombent trop souvent dans la mauvaise foi. Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service, 16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661) Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Julien Didelet (chef de projet) THE WEEK 200 000 ex., Inde, hebdomadaire. Fondé en 1982, le titre est apprécié pour son choix éditorial, souvent décalé par rapport à l’actualité immédiate et dominante. Il appartient à Malayala Manorama, un groupe de presse régional installé dans l’Etat du Kerala, connu pour son très fort taux d’alphabétisation. Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62) Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) THE WEEKLY STANDARD 60 000 ex., EtatsUnis, hebdomadaire. Fondé en 1995 par le tentaculaire groupe Murdoch, The Weekly Standard est l’un des principaux journaux conservateurs du pays. Essentiellement politique, il est lu par le tout-Washington. Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91) Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684) YAZHOU SHIBAO ZAIXIAN <http://www.atchinese.com/> Chine. Créé en 2002 comme version chinoise d’Asia Times Online, ce site traduit une partie des articles de la version anglaise, mais, depuis 2003, produit également des reportages et des analyses. Grâce à cela, il est entré dans le cercle restreint des médias indépendants pratiquant le journalisme en langue chinoise. WWW Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Iulia Badea-Guéritée, Chloé Baker, Edwige Benoit, Gilles Berton, Marc-Olivier Bherer, Aurélie Boissière, Marianne Bonneau, Olivier Bras, Valérie Brunissen, Marc Fernandez, Lola Gruber, Natacha Haut, Françoise Liffran, Julie Marcot, Valentine Morizot, Hamdam Mostafavi, Marina Niggli, Jonnathan Renaud-Badet, Hélène Rousselot, Isabelle Taudière, Emmanuel Tronquart, Marion Vigreux, Janine de Waard ADMINISTRATION - COMMERCIAL Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes : Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05). 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Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> Retrouvez nos sources sur courrierinternational.com (rubrique Planète presse) ❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries), au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution. Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de 150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) : 79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.) ❏ ABONNEMENTS ET RÉASSORTS Abonnements Tél. depuis la France : 0 825 000 778 ; de l’étranger : 33 (0)3 44 31 80 48.Fax : 03 44 57 56 93.Courriel : <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international, Service abonnements, 60646 Chantilly Cedex Commande d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Tél. : 01 57 28 27 78 Modifications de services ventes au numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146 Courrier international Libre réponse 41094 Voici mes coordonnées : Nom et prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60731 SAINTE-GENEVIÈVE CEDEX Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 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Ces informations pourront être cédées à des organismes extérieurs sauf si vous cochez la case ci-contre. ❐ n° 835 RÉDACTION LA VANGUARDIA 201 500 ex., Espagne, quotidien. “L’Avant-Garde” a été fondée en 1881 à Barcelone par la famille Godó, qui en est toujours propriétaire. Ce quotidien de haute tenue est le quatrième du pays en terme de diffusion, mais il est numéro un en Catalogne. VEJA 1 100 000 ex., Brésil, hebdomadaire. Veja, qui compte parmi les cinq plus grands newsmagazines du monde, est, avec ses 900 000 abonnés, un vrai phénomène de la presse brésilienne depuis son lancement en 1968. Sa rigueur et son mordant restent deux de ses principales qualités. LA NACIÓN 30 000 ex., Chili, quotidien. Fondé en 1917, ce journal est financé à 69 % par l’Etat et son directeur est nommé par le président. Représentant la ligne du gouvernement (coalition de centre gauche), sous Pinochet il avait été rebaptisé El Cronista et était ouvertement d’extrême droite. OUTLOOK 250 000 ex., Inde, hebdomadaire. Créé en 1995, le titre est vite devenu l’un des hebdos de langue anglaise les plus lus en Inde. Sa diffusion suit de près celle d’India Today, l’autre grand hebdo indien, dont il se démarque par ses positions nettement libérales. Offre spéciale d’abonnement fonctionnement et la signification des nouveautés de la science et de la technologie. Courrier international Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 € Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA. Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ; Chantal Fangier Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président Dépôt légal : novembre 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101 ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France mois année 60VZ1102 835p04 Cryptogramme Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by Courrier international SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919. Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid at Champlain N. Y. and at additional mailing offices. POSTMASTER: send address changes to Courrier international, c/o Express Mag., P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N. Y., U. S. A. 12901 - 0239. For further information, call at 1 800 363-13-10. Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour la vente au numéro. COURRIER INTERNATIONAL N° 835 4 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 *835 p06 31/10/06 20:04 Page 6 l’invité ÉDITORIAL Les belles promesses du président Lula L E D E S S I N D E L A Mary Dejevsky, The Independent (extraits), Londres a génération a grandi dans l’ombre de Suez. La différence, c’est que les envahisseurs de l’époque, la Grande-BreSeconde Guerre mondiale a gâché la jeunesse tagne et la France, s’accrochaient aux restes de leurs empires. de nos parents, notre héritage psychologique a Les Etats-Unis, craignant pour leur ravitaillement en pétrole et été l’humiliation britannique à Suez. Ce n’est pour leur capacité de projection navale, ont grandement contripas la faute de Tony Blair si le nouveau fond bué à mettre fin au conflit. Cinquante ans plus tard, les Etatsque nous touchons en Irak coïncide si préciUnis sont le principal instigateur de l’opération en Irak, la Grandesément avec le cinquantième anniversaire de la Bretagne ne jouant plus qu’un tout petit rôle de subordonné. crise de Suez. Mais les échos actuels du drame La crise de Suez a alimenté toutes les névroses britanniques laissent penser que la politique étrangère britannique n’avait d’après-guerre. Elle a montré une fois pour toutes que la peut-être pas parfaitement exorcisé certains démons. Grande-Bretagne n’était plus la puissance qu’elle était en 1939 La crise de Suez a éclaté quand le président égyptien, Gamal et illustré de façon particulièrement cruelle l’inversion du rapAbdel Nasser, a pris le contrôle du canal de Suez, les Etatsport de forces entre Londres et Washington. Les politiques et Unis et la Grande-Bretagne ayant refusé de contribuer au finanles diplomates britanniques en ont conclu que notre avenir résicement du barrage d’Assouan. dait sous l’aile protectrice des Londres et Paris montèrent une Etats-Unis. Or c’est sans doute opération conjointe, préparée en la leçon qu’il ne fallait pas tirer secret avec Israël, pour reprendre du fiasco de Suez. Il aurait sans le contrôle du canal et renverser doute mieux valu en déduire Nasser. Le président Eisenhower que les Etats-Unis étaient la prorefusa de la soutenir, ordonna chaine superpuissance, que leurs à la Grande-Bretagne de retirer intérêts allaient de plus en plus ses troupes, en menaçant de diverger des nôtres et qu’à l’exbloquer des crédits vitaux pour trême limite il valait mieux ne pas ■ Ancienne du BBC World Service et l’Etat britannique financièretrop dépendre d’eux. Peut-être du Times, pour lequel elle a couvert la fin ment exsangue. aurions-nous alors vu que notre de l’URSS, Mary Dejevsky a rejoint The Les parallèles avec l’Irak ne avenir était outre-Manche pluIndependent en 1992. Après avoir été manquent pas. Comme Saddam tôt qu’outre-Atlantique et nous la correspondante du quotidien à Paris et Hussein refusant de renoncer à serions-nous montrés plus ouverts à Washington, elle est désormais éditodes armes de destruction masà une intégration au sein de rialiste sur les questions internationales. sive même fictives, Nasser seml’embryon d’Union européenne. blait menacer les intérêts vitaux de l’Occident. A l’époque Le traité de Rome fut signé l’année suivante. comme avant la guerre en Irak, les candidats à l’intervention Un demi-siècle sépare Suez de l’Irak. Ces deux crises nous metse sont efforcés d’obtenir une couverture de l’ONU, au motif tent pareillement en garde contre l’intérêt de notre relation fordiscutable qu’ils ne faisaient que se défendre. A l’époque comme cément déséquilibrée avec Washington. Et pourtant, je ne cesse avant l’Irak, la prise de décision du gouvernement britannique d’entendre des diplomates et des politiciens vanter les mérites a été entourée de secret. Et, alors comme maintenant, rien n’a de l’alliance transatlantique, qui serait la priorité naturelle de été correctement prévu pour gérer l’après-invasion. la Grande-Bretagne. Faudra-t-il un nouveau Suez, un nouvel Les parallèles ne s’arrêtent pas là. A Suez comme en Irak, les Irak, pour guérir notre élite de sa folie des grandeurs mondiale ? pays occidentaux ont fait l’erreur de surestimer leurs capaciN’avons-nous pas été assez humiliés la première fois ? ■ tés. Ils ont également mal évalué la réaction de la population des pays qu’ils s’apprêtaient à envahir et ont répugné à écouter les avis de spécialistes respectés. Il y a cinquante ans comme aujourd’hui, la crise a détourné l’Occident de ce qui aurait pu être une intervention plus positive ailleurs : soutenir l’insurrection hongroise à l’époque, éviter que l’Afghanistan ne retombe entre les griffes des talibans aujourd’hui. Il y a bien sûr aussi des différences fondamentales. En 1956, l’opération s’est déroulée sur fond de guerre froide. L’autre M Suez-Irak : les mêmes erreurs DR DR Les Brésiliens ont donc choisi, dimanche dernier, de réélire triomphalement leur président-ouvrier, Luiz Inácio Lula da Silva. Et de lui offrir, grâce à un score record (60,8 % des suffrages exprimés), une légitimité remise à neuf pour relancer ses projets de réformes politiques, économiques et sociales. La presse brésilienne, qu’elle soit de gauche ou de droite, a évidemment salué la performance au lendemain du scrutin (voir p. 20). Mais sans tomber pour autant dans un optimisme excessif. Car les défis à relever sont nombreux. Lula a fait la preuve, tout au long de son premier mandat, d’un pragmatisme de bon aloi. En social-démocrate avéré, il a su juxtaposer une gestion parfaitement orthodoxe – pour ne pas s’aliéner les puissances de l’économie et de la finance, à l’intérieur comme à l’extérieur – et des programmes sociaux propres à soulager les misères du peuple. Il est évident qu’il va poursuivre sur la même voie. Le problème, c’est que, avec un taux de croissance inférieur à 3 %, l’économie brésilienne tourne au ralenti et qu’une politique de relance suppose de faciliter les investissements. Et donc de mener une politique très favorable aux intérêts des entreprises, au risque de heurter ceux des classes populaires qui constituent sa base électorale. Quant aux programmes de redistribution qui ont été mis en place depuis quatre ans et qui devraient logiquement connaître d’importants développements – les aides aux familles pauvres mais aussi les attributions de lopins aux paysans sans terre –, ils vont immanquablement être freinés par les problèmes budgétaires et par les difficultés d’application au niveau local. Car le Brésil est un pays fédéral, où le pouvoir central ne peut pas grand-chose sans la coopération des pouvoirs locaux. Il suffit de savoir que sept des Etats les plus riches du pays sont acquis à la droite pour comprendre que Lula aura bien du mal à concrétiser ses belles promesses. Reste enfin à éliminer la corruption, cette maladie endémique qui touche toutes les familles politiques – y compris celle de la gauche, au grand désespoir des militants au cœur pur – et qui est induite par le pullulement des formations politiques et la nécessité de constituer sans cesse des majorités de circonstance. Lula a annoncé une grande réforme politique pour résoudre le problème. Mais qui a vraiment intérêt à l’y aider ? Bernard Kapp ● WEB+ Plus d’infos sur le site Suez 1956: The Times connaissait les dessous de l’affaire et n’a rien écrit S E M A I N E L E S ■ George W. M A R D I S D E Le rendez-vous du film documentaire étranger avec MK2 mardi 7 novembre 2006 20 h 30 Cosa Nostra Bush a signé, le 26 octobre, la loi autorisant la construction d’un mur de protection entre les Etats-Unis et le Mexique pour enrayer l’immigration illégale. Cela rendra l’immigration clandestine plus dangereuse, mais ne modifiera pas le flux migratoire, affirment certains experts. Enquête sur les liens entre la mafia et la politique de Marco Turco, Italie Séance suivie d’un débat avec Antoine Vauchez, du CNRS Dessin d’Angel Boligan paru dans El Universal, Mexique. MK2 Quai de Seine 19, quai de Seine - 75019 Paris Lire article p. 15 La Mafia perd son chantier du siècle COURRIER INTERNATIONAL N° 835 6 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 19:41 Page 9 à l ’ a ff i c h e ● Portrait d’un lofteur en homme providentiel PERSONNALITÉS DE DEMAIN Serbie n s’attendait aux coups bas, aux exhibitions, aux intrigues. Aux mensonges, aussi, aux passions simulées et à quelques vrais flirts. Et, à l’instar des téléspectateurs de plus d’une soixantaine de pays où Big Brother [Le Loft, en France] a fait un tabac, on s’attendait surtout à voir du sexe cru et sans détour. Mais, une fois de plus, la Serbie n’a pas fait comme tout le monde. A peine deux semaines ont suffi pour que les spectateurs fassent le deuil de leurs attentes et s’éprennent d’un nouveau héros populaire, Miroslav Djuricic, Miki. “Je vis avec mes parents, mes grands-parents, mon oncle, ma sœur divorcée et son enfant. Ils disent tous que je suis un raté, qu’à 28 ans je n’ai rien fait de ma vie.” C’est en ces termes que s’est défini Miki lors de la présentation des candidats du reality-show. Devenu l’un de douze colocataires du Loft, Miki a eu pour tâche de faire semblant d’avoir peur du noir, de demander qu’on lui tienne la main pour s’endormir, de se laver les pieds dans la piscine, de faire comme s’il avait la danse de Saint-Guy… bref, de jouer au doux dingue. Miki a tenu toutes ses promesses, héroïquement. Grâce à son charme gaillard et à un grand sens de l’humour, il a été même distingué comme étant le locataire le plus drôle du Loft, le meilleur “pote” de tous. Si Miki s’était contenté de faire le clown, il se serait trouvé quelques groupies ici ou là. Mais il a fait beaucoup plus fort. En s’attaquant, contre toute attente, à la politique et en tournant en ridicule Ceca Raznatovic [chanteuse de “turbofolk”, veuve du crimi- DR O MIROSLAV DJURCIC, dit “Miki”, 28 ans, apiculteur, “bon à rien” pour sa famille, est devenu une star absolue pour y avoir claqué la porte du Loft. Depuis, la Serbie s’est passionnée pour ce garçon plein d’humour et de bon sens, en laquelle elle voit une incarnation d’un avenir plus souriant. nel de guerre et mafieux Zeljko Raznatovic Arkan], sans cacher sa déception vis-à-vis de B92 [la station de radio connue pour son opposition à Milosevic, aujourd’hui renforcée par une télé productrice de Big Brother], il s’est même attiré la sympathie des intellos urbains, pourtant peu sensibles aux sirènes de la télé-réalité. Dans le “confessionnal”, Miki s’est plaint de n’avoir personne avec qui parler de Kurosawa ; pourtant, dans le salon, il avait essayé de faire partager à ses camarades son goût pour les films de Jim Jarmusch, d’Aki Kaurismäki, les BD qu’il aimait, les concerts auxquels il était allé et ceux auxquels il rêvait d’aller, des livres qu’il lisait. Ses réflexions, à la fois naïves RAZAN ZAITOUNEH Le courage et la rage on lot quotidien est fait de menaces, de risques, de tensions, de frustrations. Cette avocate syrienne de 29 ans n’a pas choisi une existence facile, puisqu’elle consacre son énergie et son temps, via le Centre d’études pour la défense des droits de l’homme qu’elle dirige, aux victimes du régime syrien. Celuici, d’ailleurs, s’occupe d’elle également : le Moukhabarat, le service de renseignements, s’en prend régulièrement à Razan Zaitouneh. Les arrestations arbitraires s’ajoutent ainsi à la rage, à la tension continue et à un salaire de misère. “Je suis bénévole. De temps en temps, je gagne un peu d’argent en écrivant pour des revues étrangères. Mais c’est peu de chose”, confie-t-elle au magazine du Corriere della Sera, de Milan. “Ceux qui s’opposent au régime perdent leur travail, sont harcelés par le fisc et atterrissent en prison pour des mois sans que les familles aient aucune nouvelle. Puis ils réapparaissent et sont jugés en tant qu’‘éléments dangereux pour l’unité de la société syrienne’. En général, ils sont condamnés à cinq ou six ans de prison.” Actuellement, il y a plus de 3 000 prisonniers politiques en Syrie, affirme Razan, qui avoue ne connaître l’identité “que de 30 % à 40 % d’entre eux : pour les autres, on ne sait rien”. Razan passe beaucoup de temps avec les familles des détenus, mais s’efforce aussi de chercher des fonds pour payer les avocats et d’alerter la presse sur la situation de ces hommes et de ces femmes. S et incroyablement justes, sur l’argent, le sens de la vie ou le prix de la liberté ont également séduit les citoyens désespérés, las et appauvris de notre pays (bref, la majorité des Serbes). Au sommet de sa popular ité, et pratiquement assuré d’empocher les 100 000 euros promis au gagnant du Loft, Miki a décidé de quitter l’émission. On a eu beau tenter de le dissuader, il a persisté en affirmant que sa liberté était plus importante que tout, qu’il ne pouvait plus supporter la bêtise, que ses colocataires l’énervaient.“Ma décision est définitive, je ne peux pas aller contre mes principes. Finalement, l’argent n’est pas tout dans la vie ; ce qui compte, c’est de rester un homme”, a-t-il dit avant de claquer [fin septembre] la porte du Loft. Ce fut sa grande victoire. Depuis, le public a exigé qu’il soit candidat au poste de président de la Serbie ; la moindre de ses paroles est immédiatement reprise par de nombreux sites Internet, forums et blogs, ainsi que par la presse d’opinion et les tabloïds du pays. Certes, face à la concurrence d’une blonde aigrie, d’une fille à maman, d’un artiste raté, d’une mégère frustrée, d’une hystérique et d’un lèche-bottes, Miki était destiné à s’imposer. Franc, ingénieux, cultivé et intelligent à sa façon, l’apiculteur de Kupinovo a néanmoins connu un plébiscite sans précédent. Alors que ses colocataires représentaient chacun une strate de la société serbe, il est devenu une sorte de personnification d’une Serbie meilleure et réconciliée avec elle-même, un mélange impossible mais voué à la réussite et à une sympathie générale. DR 31/10/06 IVAN VASSILIEV Emballant en ballet Tamara Skrozza, Vreme (extraits), Belgrade e 3 octobre dernier, il a enchanté les spectateurs de Don Quichotte, donné au théâtre Bolchoï, dans la chorégraphie de Marius Petipa et la musique de Leon Minkus. Le danseur étoile, âgé de 17 ans, est la dernière acquisition du théâtre russe ; il a rejoint la troupe l’été dernier, juste à sa sortie de l’école de chorégraphie de Minsk. Ce prodige biélorusse, qui a déjà remporté plusieurs concours internationaux prestigieux, est surnommé le “second Baryshnikov”. Alors qu’il était encore à l’école, il avait tenu le premier rôle, celui du barbier Basile, dans ce même ballet ; une délégation de critiques était venue de Moscou tout spécialement pour le voir. La rumeur laisse entendre que des troupes comme l’American Ballet Theater de New York et le Marinski (l’ex-Kirov de Leningrad) se sont livrés à une véritable chasse pour le recruter. A Moscou, où il est venu accompagné de sa mère et de son frère, il s’est immédiatement vu confier le rôle de Basile. Aucun des génies de la danse du XXe siècle, y compris Noureev et Baryshnikov, n’avait eu ce rôle à cet âge. L ILS ET ELLES ONT DIT HILLARY RODHAM CLINTON, sénatrice démocrate de New York ■ Naturelle “Voyez mes rides, elles sont bien là.” L’ancienne première dame des EtatsUnis, qui Dessin de Lurie, Etats-Unis. vient de fêter ses 59 ans, réagissait aux bruits lancés par ses adversaires républicains selon lesquels elle aurait dépensé une fortune en chirurgie esthétique pour se refaire le visage. (The Sunday Telegraph, Londres) BERNARD DAFFLON, économiste suisse ■ Moraliste “Dans les cantons où le revenu par habitant est 50 % plus élevé, les gens sont-ils 50 % plus heureux ?” (L’Hebdo, Lausanne) TAJ AL-DIN AL-HILALI, grand mufti d’Australie ■ Irrespectueux Dans le prêche dispensé à l’occasion du ramadan, il a comparé les femmes qui ne se couvrent pas d’un voile à “de la viande sans emballage abandonnée dans la rue”. Ses propos ont provoqué la consternation en Australie, au point que Pru Goward, commissaire à la Discrimination sexuelle, exige l’expulsion de ce mufti d’origine libanaise. La mosquée où il officie l’a suspendu de ses fonctions, mais il refuse d’abandonner son ministère. (The Australian, Sydney) ELISABETTA GARDINI, porte-parole de Forza Italia ■ Radicale “Je me suis sentie comme violée. Qu’il se fasse couper le zizi. Après, il pourra venir dans les toilettes des femmes.” La porte-parole de la formation populiste de Silvio Berlusconi a fait un scandale après avoir croisé dans les toilettes de l’Assemblée nationale sa collègue transgenre (et communiste) Vladimir Luxuria, également connue sous le nom de Vladimiro Guadagno. (La Repubblica, Rome) BRIAN MAY, guitariste du groupe Queen ■ Vexé “Ces imbéciles qui disent que j’ai une permanente… Ils ne comprennent donc Dessin de Robbie pas que certains Bonham, Irlande. naissent avec des cheveux frisés. C’est déconcertant”, se plaint le musicien, COURRIER INTERNATIONAL N° 835 9 reconnaissable à son abondante chevelure bouclée. (The Guardian, Londres) MARK MALLOCH BROWN, chef de cabinet de Kofi Annan ■ Expéditif “Je pense sincèrement qu’il y a beaucoup de gens ici qui font un boulot nul.” Il parlait bien sûr des Nations unies. (The Independent on Sunday, Londres) MELES ZENAWI, Premier ministre éthiopien ■ Vague Selon lui, son pays serait “virtuellement en guerre” contre les milices islamistes qui contrôlent une grande partie de la Somalie voisine. L’Ethiopie admet ainsi que ses troupes apportent un soutien au gouvernement de transition à Baidoa. (The Economist, Londres) DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 Alexander Kurov/Itar-Tass 835 p.9 (D’après Kommersant-Vlast, Moscou) 835 p.10-11 31/10/06 19:41 Page 10 f ra n c e ● ÉCONOMIE MÉDIAS Vérité en deçà du périph’, mensonge au-delà S’agissant des troubles dans les banlieues, les journalistes français pratiquent l’autocensure ou suivent servilement les interprétations du ministère de l’Intérieur. Dans les deux cas, ils oublient de remplir leur mission. Amsterdam D ès le premier jour de sa visite en Chine [du 25 au 29 octobre dernier], le président Jacques Chirac s’est vu remettre un superbe cadeau : la commande de 170 Airbus, pour une valeur totale estimée à plus de 13 milliards de dollars. Naturellement, Jacques Chirac, dont c’était sans doute la dernière visite officielle en Chine comme président de la République, se devait de rendre la politesse au tandem exécutif chinois – [le président] Hu Jintao et [le Premier ministre] Wen Jiabao – en leur offrant un présent de choix : l’aide de la France à l’édification de la nouvelle zone économique de Binhai, à Tianjin [avec l’annonce de l’implantation d’une chaîne d’assemblage d’Airbus A320]. Cette zone portuaire située dans le nord-est de la Chine constitue en effet une œuvre phare dans la carrière politique des deux hommes. En fait, au départ, Shanghai, Xi’an et Zhuhai étaient également sur les rangs et se sont battus pour accueillir cette usine d’Airbus. Mais, à l’issue d’une évaluation des quatre villes postulantes, c’est Tianjin qui a été le mieux noté. Cela dit, Shanghai et Xi’an auraient davantage mérité d’obtenir ce programme. De plus, alors que les trois autres villes travaillaient sur le projet depuis plus d’un an, c’est seulement quatre jours avant la date butoir pour la remise des dossiers que Tianjin a rejoint en toute hâte le bataillon des candidats. De toute évidence, les éléments objectifs ont fort peu pesé dans la balance au moment du choix du site d’implantation de l’usine d’assemblage, le plus important étant des considérations d’ordre politique et stratégique. Peu après leur accession au pouvoir, en 2003, Hu Jintao et Wen Jiabao ont lancé un plan de “redressement du Nord-Est” pour restructurer économiquement la région. Néanmoins, comme aucune trace de redressement n’était encore perceptible l’an dernier, les hauts dirigeants chinois ont finalement changé leur fusil d’épaule au profit de Tianjin, dont ils souhaitent faire désormais le fer de lance de la région du golfe de Bohai et même de toute la Chine du Nord. Cela explique les nombreuses mesures préférentielles dont le gouvernement central a fait bénéficier la nouvelle zone de Binhai depuis plus de six mois. Aujourd’hui, l’implantation de cet important projet étranger vise à attirer les investissements, afin d’accélérer la croissance économique de Tianjin, pour que la ville chère à Hu Jintao et à Wen Jiabao se pose en concurrente potentielle du Shanghai de [l’ancien président] Jiang Zemin. Pan Xiaotao, Yazhou Shibao Zaixian, Hong Kong et Bangkok D DE VOLKSKRANT ans un conflit, la première victime est souvent la vérité”, affirme un vieil adage du journalisme de guerre. C’est ce qui saute aux yeux lorsqu’on lit les reportages récemment consacrés en France à la situation dans les banlieues. “Plutôt calme”, c’est ainsi que le ministère de l’Intérieur a qualifié le week-end du 28 et 29 octobre, un an tout juste après les émeutes. A défaut d’autres sources autorisées, cette expression rassurante a été reprise partout dans les médias. Mais que qualifie-t-on de “calme” ? Le ministère a certes fait une exception pour l’“incident” de Marseille, au cours duquel une étudiante sénégalaise de 26 ans a été gravement brûlée. Elle avait eu le malheur de prendre place dans un bus qui a été incendié par un groupe de jeunes. Tous les autres faits ont été commodément éclipsés par le terme “calme”, que ce soit les centaines de véhicules incendiés dans la nuit de vendredi à samedi, les deux bus détruits par le feu vendredi soir, l’attaque contre la police, samedi après-midi, par des dizaines de jeunes encagoulés à coups de cocktails Molotov et de pierres, les trente-six arrestations en banlieue parisienne (dont des jeunes transportant des bidons d’essence) et les quatre agents de police blessés légèrement au cours d’une intervention. Parler de “calme” dans ces conditions suppose une conception très élastique de la norme. C’est aussi ce qui fait penser au journalisme de guerre. Lors d’un conflit, c’est toujours la vision d’un des belligérants qui domine, faute d’avoir des informations en provenance du camp adverse. Or, en France, il n’est pas exagéré de décrire le ministère de l’Intérieur comme une des parties du conflit. Il y a cependant une différence entre le journalisme de guerre et les événements de ce week-end. Dans un conflit, l’accent est généralement mis sur les méfaits de l’adversaire. Dans le cas présent, le ministère de l’Intérieur a plutôt besoin de minimiser ces méfaits. D’où le “calme” que nous évoquions plus haut. Il ne s’agit pas de suggérer ici que le ministère manipule les chiffres (bien que ces derniers ne soient pas contrôlés et que les médias soient à cet égard complètement dépendants des informations policières) ; ce qui est important, c’est l’interprétation de ces chiffres. Si le ministère avait utilisé le terme “alarmant” au lieu de l’expression “plutôt calme”, les informations diffusées lundi matin par les médias auraient eu une tout autre tonalité. Les médias contribuent euxmêmes à cette situation en pratiquant Quand Chirac aménage le territoire chinois Dessin de Hermann paru dans La Tribune de Genève, Suisse. ■ A la une Pour L’Hebdo de Lausanne, un an après les émeutes, “ceux qui préconisaient un plan Marshall pour les banlieues doivent déchanter. La perception des jeunes, elle, se résume en une phrase : c’est toujours la même zone.” Seul point positif : “La présidentielle passe par les banlieues.” Notamment “parce que celles-ci condensent tous les problèmes de la société française” et “représentent un potentiel électoral décisif”. la télévision française découvre des banlieusards dynamiques, résolus à s’en sortir. Ces reportages n’ont rien d’indigne, mais cela n’a pas empêché es critiques de fuser, dimanche 29, à l’encontre des journalistes. Sans les images des bus incendiés en région parisienne, les jeunes de Marseille n’auraient pas commis leur méfait, ont affirmé en chœur des chauffeurs de bus, des acteur s sociaux et des membres d’associations contre le racisme. On imagine qu’en réaction, les médias pourraient accentuer un peu plus la pratique de l’autocensure. Une situation dont la vérité pourrait décidément être la première victime, comme dans une vraie guerre. Fokke Obbema l’autocensure. Le dimanche 22 octobre, France 2 aurait ainsi supprimé de son journal de 20 heures un sujet consacré aux émeutes de 2005, parce que la chaîne ne jugeait plus convenable de le passer après un nouvel “incident” de bus à Grigny. Par ailleurs, les journalistes sur le terrain sont sous tension. Ils partagent avec la police l’honneur d’être agressés verbalement et physiquement, et n’ont pas vraiment envie de passer le mois de novembre en banlieue. Sur ce point, les intérêts du ministre et des médias semblent se rejoindre. Une situation carrément dangereuse pour la vérité. Par ailleurs, les chaînes de télé multiplient les reportages “positifs” sur les banlieues. Presque quotidiennement, VU DE SUISSE Les banlieues dans le piège de la présidentielle ■ Depuis quelques jours, la France s’est mise dans un drôle d’état commémoratif, celui de la révolte des banlieues de l’automne 2005. Depuis mardi dernier, les politiciens de droite se frottaient presque les mains face à ces quatre ou cinq autobus incendiés dans la grande couronne parisienne. Ceux de gauche en étaient presque à le déplorer, reprochant au ministre de l’Intérieur d’être parti en campagne et à Jacques Chirac de faire le voyageur de commerce en Chine, alors qu’une nouvelle explosion “menace le pays”. Le “calme” régnait donc jusqu’à cette triste nuit du samedi 28 octobre où une étudiante marseillaise est devenue torche vivante dans un incendie volontaire. Il y a vingt ans à Paris, 300 000 personnes manifestaient leur colère contre les policiers qui avaient frappé à mort l’étudiant Malik Oussekine. Serontils, demain, autant pour dénoncer le drame de ce week-end ? Pas sûr. Et c’est là que le malaise s’installe, car, comme l’affirment nombre d’habitants COURRIER INTERNATIONAL N° 835 des banlieues, “chaque bus qui brûle est un appel à voter toujours plus à droite, Sarkozy au moins, Le Pen sans doute”. Le ministre de l’Intérieur est en effet responsable de la suppression de la police de proximité, alors que les résidents et les personnes qui travaillent dans les quartiers difficiles ne cessent de réclamer son retour. La presse française est également mise en accusation – celle de ne filmer que les coursives, où violence et seringues se côtoient allégrement ; celle, aussi, de ne donner la parole qu’à ces encagoulés enragés qui auront peutêtre demain du sang sur les mains. La France est en période électorale, nul ne saurait l’ignorer. Et toutes les provocations pourront engendrer le pire. Le calvaire de la jeune Marseillaise devrait inciter à la modération et à l’action réfléchie du gouvernement encore en place. Mais, dans le jeu cynique de la politique, un tel souhait restera sans nul doute Elisabeth Eckert Dunning, lettre morte. La Tribune de Genève (extraits), Genève 10 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835 p.10-11 31/10/06 19:42 Page 11 f ra n c e M U LT I C U LT U R A L I S M E Et si les Français avaient eu raison d’interdire le voile ? Il y a deux ans, la loi interdisant le port des signes religieux à l’école avait fait l’unanimité contre elle au Royaume-Uni. Mais, aujourd’hui, les Britanniques ne sont plus si sûrs de leur laisser-faire. THE INDEPENDENT (extraits) Londres ack Straw n’est pas francophile. A en juger par certains de ses propos du temps où il était le chef du Foreign Office [2001–2006], il est même certainement l’un des ministres des Affaires étrangères les plus francophobes qu’ait connus le Royaume-Uni. Etrange, donc, que, par ses attaques récentes contre le voile intégral, M. Straw donne aujourd’hui l’impression d’être devenu, euh…, français. Le “laisser-faire” multiculturel à la britannique – chacun fait ce qu’il veut tant qu’il ne nuit pas à autrui – se révèle être un échec, semble dire M. Straw. En permettant aux minorités de s’accrocher à certaines de leurs traditions religieuses ou culturelles, nous courons le danger de créer, non pas un arc-en-ciel mais un nuage annonciateur de tempête. Ceux qui défendent la position de M. Straw invoquent l’exemple français. Les Français n’ont-ils pas interdit le port du voile ? A l’époque, on les avait vilipendés, mais, avec le recul, n’était-ce pas une mesure avisée ? A quelques émeutes près, l’affaire ne s’est-elle pas terminée sans trop de remous ? A ces derniers, je répondrais d’abord que la France n’a pas “interdit le voile”. Il y a deux ans, elle a interdit le port du foulard et tout autre signe religieux ostensible dans les écoles publiques et nulle part ailleurs. Ensuite, J Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, La Havane. WEB+ Plus d’infos sur le site The Economist fait sa une sur le modèle français les émeutes qui ont ébranlé les banlieues l’an dernier étaient autant le fait de jeunes musulmans que de Blancs et de Noirs n’ayant aucun rapport avec l’islam. Le voile intégral n’est pas interdit en France (sauf dans les écoles publiques). On en voit dans les zones à forte population musulmane, mais beaucoup moins qu’au Royaume-Uni. La communauté musulmane française – évaluée à 5 millions de personnes, dont pas plus de 700 000 pratiquants – est essentiellement originaire du Maghreb. Or le voile intégral y est moins répandu qu’au Pakistan, pays d’origine de la plupart des musulmans du Royaume-Uni. Mais, surtout, la France a toujours découragé les signes distinctifs d’appartenance ethnique ou culturelle, alors que le Royaume-Uni les a tolérés, officiellement du moins. La France a toujours été opposée au multiculturalisme – ou au communautarisme, comme disent les Français. Jusqu’à récemment, les langues et les coutumes régionales étaient fortement découragées. La France a utilisé la même approche avec ses immigrés – des Polonais et des Italiens dans les années 1920 aux COURRIER INTERNATIONAL N° 835 11 Maghrébins et aux Africains à partir des années 1950. Leurs enfants n’avaient pas seulement le droit de devenir français, ils en avaient également le devoir. Cette stratégie a eu l’avantage d’éviter la formation de ghettos communautaires. Quand on visite les “quartiers difficiles”*, on découvre une mosaïque de gens d’origines différentes – y compris des Blancs – qui mènent une vie difficile mais s’entendent généralement très bien entre eux. On a calculé que, l’an dernier, un tiers des jeunes émeutiers de banlieue étaient des Blancs. LA FRANCE SEMBLE OBTENIR DE MEILLEURS RÉSULTATS De plus, la France professe un laïcisme militant basé sur la stricte séparation des Eglises et de l’Etat. La loi interdisant les symboles religieux à l’école a, dans l’ensemble, plutôt calmé le débat. Au total, seules 45 élèves musulmanes et trois jeunes sikhs ont été exclus de leur établissement pour avoir refusé de se dénuder la tête. Les trois garçons ont intégré des écoles catholiques sous contrat, qui ne sont pas concernées par la loi, de même que quelquesunes des jeunes filles. Les autres sont venues grossir les rangs des nombreuses jeunes musulmanes qui quittent l’école volontairement pour suivre des cours par correspondance. On envisage aussi l’ouverture de nouvelles écoles musulmanes sous contrat, en plus des deux qui existent déjà (à Lille et à Lyon). DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 Pour l’heure, en tout cas, l’approche française semble obtenir de meilleurs résultats que la britannique. Un récent sondage du Pew Research Center, un institut américain, montre que 46 % des musulmans français se considèrent d’abord français et ensuite comme musulmans, contre 42 % seulement qui se sentent d’abord musulmans. Au Royaume-Uni, selon le même sondage, 81 % des musulmans disent que leur religion constitue une part plus importante de leur identité que leur nationalité britannique. Mais cette disparité peut aussi refléter la relative indifférence religieuse de beaucoup de Français d’origine musulmane. Au bout du compte, on est amené à se demander si le débat sur les mér ites comparés des deux modèles ne passe pas à côté d’une question essentielle. Nos deux pays, bien qu’ayant emprunté des voies radicalement différentes, se retrouvent avec des quartiers à forte proportion de minorités ethniques et à taux de chômage élevé. Au RoyaumeUni, les problèmes sont surtout concentrés dans les villes du Nord, et, en France, dans les banlieues pauvres des grandes agglomérations. Des deux côtés de la Manche, la méfiance vis-à-vis de ces populations ont leur part de responsabilité, mais l’origine profonde de l’exclusion et de la violence n’est autre que l’échec économique et politique. John Lichfield * En français dans le texte. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 835p13 31/10/06 19:09 Page 13 e u ro p e ● ALLEMAGNE La Bundeswehr à l’épreuve de la guerre La publication de clichés macabres impliquant des soldats allemands envoyés en Afghanistan a jeté un grand froid outre-Rhin. Une redéfinition des missions de l’armée s’impose plus que jamais. “Maman, il y a FRANKFURTER RUNDSCHAU Francfort ’il existait une bonne idée, une idée ralliant tous les suffrages, pour tirer une leçon définitive des dérapages afghans de la Bundeswehr, elle serait depuis longtemps sur le bureau du gouvernement. L’excitation provoquée par l’actualité conduit trop souvent les autorités à agir pour agir, à ressortir des tiroirs des mesures préconisées par certains, mais qui n’avaient jamais pu aboutir. Les fameuses lois sur la sécurité ont souvent vu le jour de cette façon et, dans le feu de l’action, les réserves relatives aux libertés publiques sont rapidement passées au second plan. Ce n’est cependant pas le cas cette fois-ci, et c’est déjà un signe. Les diverses réactions [suscitées par la publication de photos choquantes de soldats en mission en Afghanistan dans le tabloïd Bild, puis dans d’autres médias] reflètent davantage le désarroi que la certitude. Les uns relancent le débat sur la conscription, les autres dénoncent globalement les missions à l’étranger ou invoquent les risques croissants d’attentats ; le ministre de la Défense [Franz Josef Jung, CDU] court après les événements, et la hiérarchie militaire ne donne plus l’impression d’être sûre de son système de formation et de commandement. Une évidence s’impose : ces photos macabres, prises avec des téléphones portables, de virils soldats en uniforme [posant avec des crânes] ont provoqué un choc qui nous ramène brutalement à la réalité et exige un temps de réflexion. Les missions à l’étranger de l’armée allemande étaient perçues comme des expéditions ano- des soldats de la Bundeswehr qui habitent ici ?”Dessin de Greser & Lenz paru dans Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort. S Chiffres dines, courtoises, dans lesquelles nos petits gars venaient gentiment aider les populations locales : cette image a volé en éclats. Une politique étrangère intelligente avait peut-être réussi à éviter jusque-là que l’armée allemande ne soit amenée à se battre sur le terrain, mais nous aurons désormais une idée plus réaliste de ce qui se passe dans le monde. Et ce sera bien ainsi. Confier une mission et l’oublier, c’était quand même trop simple. Parmi les questions qui vont désormais prendre de l’importance, celle du professionnalisme de la Bundeswehr vient en tête. Celui-ci semblait ne faire aucun doute, mais c’est parce qu’on ne songeait qu’en termes européens. Une intervention dans l’Hindu Kuch nécessite mani- festement une préparation et un accompagnement quotidien très différents d’une mission en RhénaniePalatinat. On a du mal à concevoir qu’aucun membre de la hiérarchie n’ait eu connaissance de ces rituels qui se sont déroulés à Kaboul pendant des années [les premières photos publiées dans la presse datent de 2003]. Et, si c’est effectivement le cas, cela n’en constitue pas moins un dysfonctionnement. Par quelque bout qu’on la prenne, l’affaire touche au scandale. Et si ces coupables dysfonctionnements trouvent leur origine dans la chaîne de commandement, alors se posera la question de la responsabilité politique. Et ce d’autant plus si des incidents du même genre ont effectivement eu lieu Les principaux contingents de la Bundeswehr sont actuellement engagés au Kosovo (KFOR, 2 900 hommes) et en Afghanistan, où 2 800 hommes servent dans le cadre de la mission Liberté immuable et de l’ISAF. Au Liban, la FINUL compte 1 000 soldats allemands. Enfin, quelque 800 hommes sont stationnés en Bosnie-Herzégovine et 700 à 800 en république démocratique du Congo. Ces deux dernières missions devraient prendre fin en décembre 2006 (RDC) ou tendre à se réduire progressivement à partir de 2007 (Bosnie). dans le cadre d’autres missions – dans les Balkans, par exemple, comme on le soupçonne. L’affaire n’apporte aucun argument supplémentaire au débat sur la conscription ni à celui sur la charge globale que constituent les missions internationales pour la Bundeswehr. Voilà des années qu’on étudie la question, et il est désormais urgent de définir des grandes lignes. Car tout le monde comprendra maintenant, espérons-le, que des troupes envoyées à l’étranger sous mandat onusien, pour une mission qui était considérée comme anodine, peuvent très vite se retrouver impliquées dans une guerre ou une guerre civile – ce que confirment les incidents qui se sont déroulés récemment avec l’aviation israélienne devant les côtes libanaises. Les missions internationales de la Bundeswehr doivent donc être sérieusement repensées et le seront. Il ne s’agit pas nécessairement de les remettre en question. Mais, quand une mission de fait non limitée dans le temps se transforme en présence permanente sans perspective d’un dénouement satisfaisant ni calendrier précis, ce qui est le cas pour les Balkans comme pour l’Afghanistan, et depuis peu pour le Liban, on assiste à un processus d’accoutumance : l’engagement et la vigilance diminuent chez les soldats comme chez les politiques et au sein de la société. Les photos choquantes de Kaboul nous montrent exactement ce qui ne doit pas se produire. Reste à savoir si la crédibilité de l’armée est durablement atteinte ou non, à l’intérieur comme à l’extérieur. Seul un traitement en profondeur de l’événement peut y répondre. Richard Meng UKRAINE Le véritable prix du gaz russe En 2007, Kiev ne paiera que 30 % plus cher les livraisons gazières russes. Un cadeau qui cache l’influence croissante de Moscou, s’inquiète le Kyïv Post. ublié, le statut de la langue russe en Ukraine, l’intégration dans l’OTAN paraît bien lointaine, quel que soit l’angle sous lequel on la contemple. Et qui pourrait sérieusement croire que la Flotte russe de la mer Noire envisage de quitter la Crimée ? Il n’en reste pas moins que tous ces points de contentieux risquent d’être affectés par le nouvel accord sur le gaz que le Premier ministre ukrainien Viktor Ianoukovitch et son équipe ont si fièrement brandi le 24 octobre. A partir de 2007, l’Ukraine devra payer l’or bleu que lui fournit Moscou 130 dollars les O 1 000 m3 [au lieu de 95 dollars aujourd’hui, soit 102 euros au lieu de 75]. Le chef du gouvernement, généralement considéré comme étant plus sensible aux relations avec le Kremlin, a été accusé par ses adversaires politiques d’avoir bradé l’intérêt national en échange de gaz bon marché [Gazprom facture son gaz près du double aux pays occidentaux]. Quand Viktor Iouchtchenko est arrivé au pouvoir, en 2004, porté par les espoirs des manifestants qui étaient descendus dans la rue pour protester contre la campagne électorale frauduleuse de Ianoukovitch, les Ukrainiens ont vraiment commencé à croire qu’ils pouvaient vivre dans une démocratie et décider de leur propre sort en tant que nation souveraine. Même après l’implosion de la coa- COURRIER INTERNATIONAL N° 835 lition orange et la victoire de Ianoukovitch, lors des élections législatives considérées comme le scrutin le plus honnête jamais connu dans le pays, les gens ne se sont pas inquiétés, surfant sur la vague d’un enthousiasme dû à une liberté d’expression sans précédent. Mais la démocratie ne peut être garantie que par des autorités qui se sentent liées par des obligations vis-à-vis des électeurs, et la prospérité économique dépend d’une politique nationale qui défend les intérêts de ses citoyens. C’est précisément cela qui est en danger aujourd’hui. Mikhaïl Fradkov, le Premier ministre russe, membre à par t entière de l’équipe de restaurateurs d’empire qui entoure Vladimir Poutine, n’en a pas fait mystère quand il s’est exprimé aux côtés de Ianoukovitch le 24 octobre. 13 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 Tandis que le Premier ministre ukrainien parlait de gaz, son homologue russe a paru, lui, plus intéressé par l’entrée de l’Ukraine dans l’OMC et l’OTAN. C’est le gaz qui est à l’origine de la fortune de la plupart des magnats ukrainiens, et c’est la géopolitique qui motive le puissant ours russe. Le gaz russe n’est pas gratuit. Les Ukrainiens n’ont qu’à voir comment le Kremlin traite la Géorgie de Mikhaïl Saakachvili. Certes, la Russie a le droit de défendre ses intérêts nationaux, tout comme les responsables ukrainiens ont le devoir de protéger leur propre pays. Si Ianoukovitch ne s’en charge pas, le président Iouchtchenko ferait bien de traduire en actes ses déclarations ambitieuses sur une intégration à l’UE, tant qu’il en est encore temps. Kyïv Post, Kiev 31/10/06 19:51 Page 14 e u ro p e UNION EUROPÉENNE Vivre à Mayk 25 10 millions d’euros pour l’opposition biélorusse Depuis les élections de mars dernier, les opposants à Alexandre Loukachenko se sentent abandonnés de l’Occident. Mais l’Europe commence à se mobiliser. LE FAIT Démanteler pour libéraliser SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (extraits) ■ Alors que la Commission doit remettre en janvier prochain ses propositions sur l’ouverture des marchés de l’énergie en Europe, la commissaire à la Concurrence laisse entendre que Bruxelles pourrait exiger le démantèlement des grandes entreprises intégrées, comme EDF, l’allemand E.ON ou le nouveau groupe Suez-GDF. Le 30 octobre, Nelly Kroes a défendu“une solution structurelle qui sépare une fois pour toutes l’infrastructure, l’approvisionnement et la production”. “SI la Commission suivait cette voie, elle s’attirerait l’opposition des entreprises concernées mais aussi de pays comme l’Allemagne”, qui présidera l’UE au premier semestre 2007, remarque le Financial Times. LA PERSONNALITÉ Leonard Orban ■ “Habemus camisar !” s’exclame en une Jurnalul National. Nommé commissaire européen au Multilinguisme, Leonard Orban est, à 45 ans, un “vétéran du processus d’intégration”, se félicite le quotidien de Bucarest. Présenté comme un bon technocrate, il n’aurait en revanche pas de véritable orientation politique, et Evenimentul Zilei ne manque pas de rappeler que son père a été colonel des services de sécurité de Ceausescu, la Securitate. Après la Bulgare Megleva Koulena, chargée de la protection des consommateurs, Orban est le second commissaire désigné par les nouveaux entrants. Paul Buciuta/AP-Sipa 835 p.14 Munich lexandre Loukachenko a de moins en moins d’amis. Depuis longtemps considéré à l’Ouest comme un autocrate peu respectueux des procédures électorales démocratiques, le président biélorusse peine à trouver du soutien, même à l’Est. La preuve la plus récente en est le communiqué lapidaire du Kremlin annonçant que le sommet de la Communauté des Etats indépendants (CEI), prévu en novembre, serait déplacé de Minsk, la capitale biélorusse, à Astana, au Kazakhstan. Ce retournement s’opère au moment précis où la Russie se montre de moins en moins disposée à subventionner l’économie dirigiste de Loukachenko en lui vendant du gaz à bas prix. Loukachenko n’est pas le seul à se sentir abandonné de tous – ce sentiment est partagé par les opposants qui subissent sa répression. Alexandre Kozouline, le candidat social-démocrate à la présidence incarcéré par le pouvoir, a entrepris une grève de la faim le 20 octobre pour rappeler que son pays est soumis à un régime de non-droit et obliger le Conseil de sécurité de l’ONU à se saisir du problème. Confrontée aux dictatures, l’Union européenne (UE) “manque de force”, a déploré Alexandre Milinkevitch, l’autre candidat démocrate à la présidence [qui a reçu, le 26 octobre, le prix Sakharov décerné par le Parlement européen], lors d’une conférence à Prague. La situation en Biélorussie ne serait pas sans rappeler “la Pologne des années 1980, sauf que, à l’époque, l’opposition polonaise bénéficiait de l’aide de l’Occident”. A Bruxelles a néanmoins reconnu à quel point la situation est devenue précaire en Biélorussie, pays qui jouxte la frontière orientale de l’UE. Mioctobre, la Commission a voté un programme de bourses de 4,5 millions d’euros, qui a permis à quelque 300 étudiants biélorusses, auxquels le pouvoir refuse tout accès à l’enseignement supérieur, d’étudier en Lituanie ou en Ukraine. L’Université humaniste européenne, fermée en 2004 en Biélorussie sous la pression des autorités et qui a maintenant son siège à LE CHIFFRE 40 000 ■ C’est le nombre de caméras de vidéosur veillance installées au Royaume-Uni depuis une dizaine d’années. Un record inégalé, mis en évidence par une étude réalisée par l’université de technologie (TU) de Berlin, à la demande de l’UE, dans le cadre du projet Urbaneye. “Big Brother s’étend, souligne la Süddeutsche Zeitung, même dans les capitales d’Europe centrale et orientale qu’on aurait pu croire vaccinées contre le contrôle systématique.” Le centre-ville de Prague compte déjà 318 caméras, Budapest 500, et elles prolifèrent également à Varsovie, Gdansk et Vilnius, tout comme les grandes métropoles est-allemandes. Mais elles n’atteignent pas leur but, souligne l’étude, car les crimes et les violences ne diminuent pas. Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid. Vilnius, bénéficiera d’un soutien de 2,2 millions d’euros. “Quand il y aura un changement politique, ces gens pourront retourner en Biélorussie et contribuer à la reconstruction”, explique Elisabeth Schroedter, députée européenne des Verts et membre de la délégation de l’UE chargée des relations avec la Biélorussie. L’Occident parie donc sur une stratégie à long terme. Au total, l’UE a versé 10 millions d’euros pour renforcer l’opposition en Biélorussie. Elle soutient les stations de radio qui fournissent des informations indépendantes à la population biélorusse [en octobre 2005, la radio allemande Deutsche Welle a ainsi reçu 138 000 euros pour un an] et finance le déplacement des membres de l’opposition qu’elle invite. Mais elle est prise dans des querelles internes. Il y a trois semaines, elle a voulu durcir les sanctions commerciales à l’encontre de Minsk en faisant passer le prélèvement de taxes sur les biens d’importation à 400 millions d’euros par an, mais le vote s’est heurté à divers écueils, notamment au refus de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne, qui craignaient que la mesure ne fasse du tort au commerce transfrontalier. Toutefois, par un geste hautement symbolique, l’UE pourrait bientôt donner de quoi se réjouir à l’opposition biélorusse – si celle-ci réussit à en avoir vent : pour la première fois, Bruxelles va nommer un délégué européen à la Biélorussie, conformément à un accord de principe conclu entre le Parlement et le Conseil européens. Quant à ses missions concrètes, elles font encore l’objet de discussions. Le Parlement souhaiterait doter ce poste de compétences importantes ; le Conseil n’en est qu’au stade de la réflexion. Daniel Brössler et Frank Nienhuysen SOCIAL Vers l’unité syndicale autour de la Baltique ■ L’Est rencontre l’Ouest à Malmö. Pendant deux jours, à la mi-octobre, les représentants syndicaux de Suède, du Danemark et d’Allemagne du Nord ont rencontré leurs homologues de Pologne, de Lettonie et de Lituanie. Leur objectif était de se concerter pour ouvrir la voie à une coopération syndicale transfrontalière dans l’Europe de l’élargissement. S’ils y parviennent, le bénéfice sera double. D’abord, ils seront mieux à même de combattre le dumping salarial dans les pays de l’Ouest. Et ils réduiront le risque, pour les pays des rives orientales de la Baltique, de voir s’envoler leur main-d’œuvre qualifiée. A l’heure de la pause-café, Longin Komolowski, Miecyslaw Jurek et Krysztof Zielinski, tous trois membres du syndicat Solidarnosc basé à Szczecin, discutent. Ils représentent une région qui voit ses jeunes diplômés s’exiler en Irlande, en Grande-Bretagne, en Suède ou en Norvège. “Les entreprises norvégiennes sont venues à Szczecin recruter du personnel, expliquent-ils. Les ouvriers ont été embauchés directement sur place pour aller travailler dans les chantiers navals norvégiens. Du coup, on a une pénurie de main-d’œuvre.” L’industrie du bâtiment souffre également du manque de personnel qualifié. A Szczecin, le salaire est de 4 euros de l’heure, contre 12 euros au minimum en Norvège, résume sèchement Longin Komolowski. Peter Kay Mortensen travaille à la Confédération du travail du Grand Copenhague. “Je pense qu’il faudrait former des ambassadeurs du marché du travail nordique et les envoyer dans les nouveaux pays membres de l’Union européenne, afin que la population locale comprenne le fonctionnement de notre marché, les salaires, les assurances, etc. A Copenhague, on a eu des porteurs de journaux polonais qui ne comprenaient pas ce que c’était que travailler à la tâche”, raconte-t-il. Cette rencontre est la deuxième organisée dans le cadre d’un projet COURRIER INTERNATIONAL N° 835 14 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 lancé par les syndicats d’Allemagne du Nord. Et, d’après l’un des organisateurs, Philip Plischke, originaire de Kiel, les problèmes sont plus nombreux que les motifs de satisfaction. Ce qui l’inquiète, avec ses confrères présents à la réunion, c’est le dumping salarial engendré par la présence d’une main-d’œuvre sous-rémunérée dans les pays les plus développés. “Les Suédois ne peuvent pas rivaliser avec des Polonais sous-payés”, explique-t-il. Lors de ces discussions, résume Håkan Hermansson, de la confédération du travail de Scanie [région méridionale de la Suède], “nous voulons leur montrer comment nous fixons les conditions de travail, ici, dans le Nord, et leur expliquer que, pour nous, une personne qui travaille en Suède doit le faire dans les mêmes conditions que la maind’œuvre suédoise”. Dans quelques années, lorsque la coopération sera effective, nous saurons si la rencontre a porté ses fruits. Mikael Anjou, Sydsvenskan, Malmö 835_p15 31/10/06 18:40 Page 15 e u ro p e I TA L I E La Mafia perd son chantier du siècle Le Parlement italien a renoncé à construire le pont qui devait relier la Sicile au continent. Une mauvaise affaire pour les parrains siciliens et calabrais, qui avaient déjà installé leurs bureaux sur place. locaux, transféré en masse leurs pelleteuses et leurs bulldozers. Quelques mois plus tard, les grandes manœuvres avaient commencé sur les terrains où auraient dû se dresser les piles du pont. Rejetons de riches familles bourgeoises de Messine, parrains de la ’Ndrangheta [la mafia calabraise], professeurs d’université, financiers véreux, confondus dans un enchevêtrement de sociétés et de sigles, se sont jetés dans la bagarre pour mettre la main sur ces terrains. Tous ont été fichés par le procureur national anti-Mafia qui, de 2002 à 2005, a passé au peigne fin pas moins de 3 827 entreprises en Sicile et 2 526 en Calabre, 9 plans cadastraux et 7 000 parcelles. LA REPUBBLICA (extraits) Rome ’est terminé, mesdames et messieurs ! La grande usine à rêves ferme ses portes.Trente-cinq ans et sept mois de désirs et de fébrilité vont finir entassés dans un coffre rempli de plans, de dessins, de cartes, de tableaux, d’esquisses et de graphiques. Près de 126 kilos de paperasses : c’est là toute l’histoire du pont sur le détroit de Messine [le 11 octobre, le Parlement italien a décidé de retirer le projet de cet ouvrage de 3 300 mètres de long de la liste des chantiers prioritaires]. Le projet avait été présenté comme le plus grand ouvrage du siècle, on avait promis 40 000 emplois, on avait même garanti que ce chiffre serait dépassé en 2012, ou à peu de choses près. Certes, c’est une mauvaise nouvelle pour certains, comme cet ornithologue suisse qui va perdre ses missions de consultant grassement payées par le contribuable pour observer le vol des oiseaux migrateurs audessus du détroit. La décision est encore plus amère pour tous ces entrepreneurs, ces hommes d’affaires, ces mafieux propriétaires de carrières et de terrains, de cimenteries et de bulldozers, qui avaient tout misé sur cette bande d’acier et de ciment qui devait les rendre richissimes. Mais non. La Sicile va rester une île, pour quelque temps encore. Entre Messine et Reggio di Calabria ne resteront que des traces de cette aventure jamais commencée : à la chambre de C 150 MILLIONS D’EUROS RIEN QU’EN PAPERASSES Dessin d’Igor Smirnov, Moscou. L E S S M A R D I D E Cosa Nostra de Marco Turco, Italie. Mardi 7 nov. 2006 20 h 30 MK2 Quai de Seine, Paris. commerce, au cadastre, dans les chambres secrètes de quelques conseils d’administration. Dans les archives de la police. Tous s’étaient préparés ; les entreprises qui devaient construire le pont, et les autres, celles qui tireraient leur épingle du jeu en accaparant les activités de sous-traitance. Voici déjà une demi-douzaine d’années, des parrains de Palerme et d’Agrigente avaient déplacé leurs activités sur les bords du détroit, noué des alliances avec les entrepreneurs Mais l’histoire du pont avait commencé bien avant, avant que les parrains palermitains ou calabrais n’aient commencé à s’intéresser à lui. Elle avait débuté officiellement au printemps 1971, date de naissance de la société Stretto di Messina, qui a rêvé et a fait rêver la moitié de l’Italie et qui, plus que n’importe quelle autre, se retrouve aujourd’hui orpheline. En trente-cinq ans, elle est parvenue à dépenser 150 millions d’euros rien qu’en paperasses, dont 10,7 millions en 2005 – destinés en grande partie à des “prestations professionnelles effectuées par des tiers”, à de la publicité, des voyages et des déplacements, ainsi qu’à une mystérieuse “enquête psycho-socio-anthropologique sur la perception du pont par les populations résidant dans les zones concernées par la construction”. Autrefois sponsorisée par les vieux potentats locaux de la Démocratie chrétienne, puis cajolée par Forza Italia [le parti de Silvio Berlusconi], qui règne sans partage sur la Sicile, la Stretto di Messina était soutenue ces derniers mois par toute la droite, le gouverneur de la région,Totò Cuffaro, en tête. Avec à ses côtés Raffaele Lombardo, du Mouvement pour l’autonomie de la Sicile, qui organise des manifestations à Messine et à Rome pour réclamer la construction du pont et menace de faire éclater des émeutes. Cuffaro a donc créé un énième “bureau spécial à la région sicilienne” : le Bureau pour le pont, qui a pour objectif la recherche de financements pour la construction de l’ouvrage. Attilio Bolzoni BFM et Courrier international présentent l’émission ”GOOD MORNING WEEKEND” animée par Fabrice Lundy, rédacteur en chef de BFM, et les journalistes de la rédaction de Courrier international. Tous les samedis de 9 heures à 10 heures et les dimanches de 8 heures à 9 heures Fréquence parisienne : 96.4 I TA L I E Mais qui a fouillé dans les feuilles d’impôt de Romano Prodi ? Les dossiers fiscaux de plusieurs personnalités, dont le président du Conseil, auraient été illégalement consultés. près les écoutes illégales réalisées par Telecom Italia et retrouvées dans les archives secrètes du détective privé Emanuele Cipriani, après les dossiers compilés illégalement par l’agent du SISMI [les ser vices secrets militaires] Pio Pompa à propos de magistrats et de journalistes susceptibles de nuire au gouvernement Berlusconi, le président du Conseil, Romano Prodi, fait à son tour l’objet de l’attention de personnes indiscrètes. Mettre son nez plus ou moins secrètement dans les affaires d’autrui semble être devenu la seule véritable passion nationale, comme semblerait le démontrer la nouvelle enquête ouverte par le parquet de Milan. Celle-ci a conduit à la mise en examen de pas moins de 128 personnes, de par faits inconnus (fonctionnaires des impôts, des domaines et des douanes, y compris onze membres A de la brigade financière – qui, pendant au moins deux ans, depuis leur ordinateur de bureau, se sont employés à tout connaître de la situation fiscale du chef de la coalition de centre gauche, ainsi que de celle d’une vingtaine de personnalités et d’hommes politiques des deux bords (mais avec une nette préférence pour la gauche et cer taines hautes fonctions de l’Etat), y compris Silvio Berlusconi, les inévitables stars du football, certains hommes d’affaires en vue et des personnalités du spectacle. Pour quels motifs ? L’enquête ouver te voilà trois semaines à Milan devra l’établir, mais on peut d’ores et déjà avancer une hypothèse : une grande partie des personnes mises en examen faisaient partie de ces réseaux interlopes qui participent au marché des informations confidentielles destinées, en échange de quelques dizaines d’euros, au milieu vorace et nauséabond des détectives privés, qui sont chargés ensuite de les revendre au plus offrant. Si l’on ne peut exclure que quelques-uns aient agi par COURRIER INTERNATIONAL N° 835 “voyeurisme télématique” et curiosité personnelle, les enquêteurs suspectent les autres d’avoir obéi à des logiques politiques bien précises. Le nombre élevé de ces petits “espions” représenterait en effet une sorte de rideau de fumée derrière lequel se cacherait une “régie” occulte que les magistrats espèrent identifier. Comme l’ont implacablement démontré les listings fournis au parquet par le ministère des Finances, il est en effet singulier que les 128 personnes mises en examen aient absolument toutes interrogé leurs ordinateurs sur des informations confidentielles concernant les biens, les salaires, les participations dans des sociétés, les cessions et autres opérations bancaires de Romano Prodi et de son épouse, Flavia Franzoni. Cet espionnage fiscal a débuté après le retour en Italie de l’ancien président de la Commission européenne et s’est poursuivi pendant presque deux ans, jusqu’au lendemain des élections législatives d’avril dernier, et le 15 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 procureur de Milan veut maintenant savoir qui en est le commanditaire. Une série d’articles publiés dans des quotidiens de centre droit auraient mis la puce à l’oreille à l’entourage de Prodi, qui, à la mi-octobre, s’était plaint d’être espionné. La nouvelle avait fait la une du quotidien berlusconien Il Giornale en avril : profitant de la loi votée par Berlusconi qui exempte d’impôt les donations, Prodi et son épouse auraient versé deux ans plus tôt à leurs enfants la somme totale de 870 000 euros pour qu’ils achètent un logement – un demiscandale, au moment où, en pleine campagne électorale, la droite accusait la gauche de vouloir remettre en vigueur l’impôt sur les successions. Mais l’information avait été rappor tée avec trop de détails pour ne pas être suspecte. Des informations réservées alimentèrent une campagne de presse empoisonnée, reprise à coups de SMS envoyés à des milliers de téléphones portables. Paolo Colonello, La Stampa (extraits), Turin 31/10/06 18:41 Page 16 e u ro p e M O L D AV I E - R O U M A N I E SLOVAQU IE-HONGRIE Le bonheur de l’autre côté du fleuve Affabulation ou manipulation ? Les Moldaves sont de plus en plus nombreux à se marier dans la Roumanie voisine afin de bénéficier de la future citoyenneté européenne. Reportage. COTIDIANUL (extraits) UKRAINE Bucarest Pr L ou MOLDAVIE t Dn Iasi ies TRANSDNIESTRIE tr e long des deux rives du Prout, qui constitue la frontière naturelle entre la Roumanie et la Moldavie, de nombreux villages portent le même nom. Les gens qui y vivent, séparés par les aléas de la géopolitique des quinze dernières années, parlent la même langue : le roumain. Il n’en fallait pas plus pour que les femmes moldaves découvrent les hommes roumains, et vice versa. Ceux qui ont traversé la rivière ont troqué une pauvreté contre une autre ; mais ils ont fondé des familles et se sont attachés à leur nouvelle vie. Ils imaginent que celle-ci sera bien meilleure après l’entrée de la Roumanie dans l’UE, même si l’obtention de papiers roumains, qui sera pourtant bientôt facilitée pour les Moldaves, leur semble un chemin de croix. Parmi la vingtaine de Moldaves résidant dans le village de Macaresti, nous avons rencontré Tatiana, 31 ans et déjà mère de quatre enfants. Agée d’à peine 14 ans, elle est tombée amoureuse de Mihai, un beau gaillard roumain, blond aux yeux bleus, qu’on “aurait pu croire moulé dans la glaise des berges de la Volga, et non dans celle du Prout”, se souvient-elle en rougissant. Les deux jeunes gens se sont d’abord parlé d’une berge à l’autre de la rivière, avant de faire connaissance en nageant. “Un véritable feuilleton à l’eau de rose moldave”, ajoute Tatiana. Au début, c’est le jeune homme qui a fait le déplacement, grâce à un certificat d’hébergement de la famille de Tatiana. Puis il y a eu le mariage, scellé par une poignée de mains avec le père de Tatiana, une tournée générale et trois jours de Tiraspol Koutchourgan Chisinau M O L DAV I E Odessa ROUMANIE GAGAOUZIE Siret Courrier international 835p16 UKRAINE Galati 0 80 km M ER N OIRE nube Da fête, comme le veut la tradition moldave. Ensuite, le couple a retraversé le Prout pour s’installer chez Mihai, de l’autre côté de la frontière. Et les enfants sont nés l’un après l’autre. Georgiana tout de suite après le mariage, puis Vladut, Iulian, Diana… Qui avait le temps de penser aux papiers ? De 1992 à 1999, Tatiana n’était ni en Roumanie ni en Moldavie, et ses enfants non plus. Ce n’est qu’ensuite qu’elle a obtenu un permis de séjour, puis une carte d’identité roumaine. Sa vie aurait-elle été différente en Moldavie ? “Je ne sais pas.Tout ce que j’ai fait ici, c’est travailler la terre et faire des enfants. Là-bas, j’aurais certainement fait la même chose”,explique-t-elle. Oui, mais sans Mihai… “Là-bas”, cela va faire sept ans que Tatiana n’y est pas allée, faute de passeport. Entre-temps, ■ Réunification “Mis à part le facteur politique”, Cotidianul a calculé combien coûterait à l’Etat roumain une “réunification” avec la Moldavie, ou “la Bessarabie, ex-territoire roumain cédé à l’URSS sous Staline”, pour arriver au chiffre de 30 milliards d’euros pour les cinq premières années. “C’est un peu élevé, dans la mesure où le PIB roumain n’est que de 80 milliards”. sa mère est décédée et son frère est parti travailler quelque part en Russie, du côté de Moscou… Il y a un mois, Adriana n’avait pas de papiers non plus. Cela va pourtant faire quatorze ans qu’elle est mariée avec Vasile, Roumain en vadrouille moldave qu’elle a rencontré à Recea. A l’époque, Adriana venait de passer le bac, mais elle avait raté l’examen d’entrée à l’université. Aujourd’hui, elle est fière de parler quatre langues : le roumain, le russe de sa famille, le français et l’anglais, qu’elle a appris par correspondance. De 1992 à 1999, Vasile a fait la navette entre Iasi, côté roumain, où il travaillait, et Recea, côté moldave, pour le week-end. Ils ont eu trois enfants : Andrea, Cristi et Catalina.Tous trois sont nés à Riscani, une bourgade située non loin de Recea. Tous les trois ont la nationalité moldave… Aujourd’hui installé à Macaresti, le couple calcule combien coûtera la régularisation de tous leurs papiers pour obtenir enfin la citoyenneté roumaine. Mais peu importe. “L’année prochaine, je serai citoyenne roumaine dans l’Union européenne”, affirme Adriana, avant d’ajouter que la “Moldavie restera toujours dans son cœur”. Adriana,Tatiana, Mariana,Vasile, Mihai… Elles ne manquent pas, les histoires d’amour le long du Prout. En sera-il de même lorsque le Prout deviendra la frontière de l’UE ? Lena Nikisina est russe. Ele est venue, l’été dernier, acheter un lopin de terre à Prisacani avec l’argent économisé par son mari, puis elle est revenue, cette fois-ci avec sa fille. Sa vie n’a pas beaucoup changé, elle est aussi pauvre qu’auparavant. Sa fille, elle, apprendra le roumain et vivra en Europe. Silvia Craus VU DE MOSCOU Les Russes pestiférés de l’Europe Les pays de l’espace Schengen ont promis d’ouvrir largement leurs frontières aux ressortissants russes. Or ces derniers ont de plus en plus de mal à obtenir des visas… la suite du sommet Russie-UE qui s’est tenu à Sotchi en mai dernier, la situation de notre pays à l’égard du régime de visas imposé par les Etats de l’Union européenne devait théoriquement “s’améliorer progressivement”. Les accords signés à l’époque affirmaient que, pour certains citoyens russes, se voir délivrer un visa Schengen deviendrait une simple formalité et que les hauts fonctionnaires ou diplomates n’auraient même plus besoin de visa pour entrer dans un pays de l’UE à condition de ne pas rester plus de quatre-vingt-dix jours par an en zone Schengen. Pour les hommes d’affaires, étudiants, chercheurs, journalistes ou sportifs faisant par tie de délégations officielles, les démarches devaient être nettement simplifiées. Il avait même été question d’une suppression, A à terme, des visas pour les Russes. Il y a quelques jours, Benita Ferrero-Waldner, chargée des relations extérieures et de la politique européenne de voisinage à la Commission européenne, a même solennellement promis, lors d’une intervention à l’Institut des relations internationales de Moscou, que le régime des visas entre l’UE et la Russie serait allégé d’ici à la fin de l’année. Mais, pour l’instant, le personnel des agences de voyages russes, qui affronte presque chaque jour les services des ambassades ouest-européennes, n’a constaté aucune amélioration, bien au contraire. Les Russes désireux d’obtenir un visa doivent présenter de plus en plus de papiers, les délais s’allongent et les prix augmentent. Le cas de l’ambassade de France est typique : elle a récemment fait passer la durée d’examen des dossiers de une semaine à deux. Le coût d’un visa pour entrer dans un pays de l’UE pourrait bientôt doubler lui aussi, atteignant 60 à 80 euros, car on envisage d’y inclure des COURRIER INTERNATIONAL N° 835 données biométriques dès 2007. Les Etats d’Europe centrale et orientale, qui n’ont pas encore signé les accords de Schengen, se montrent plus conciliants. La Pologne, la Hongrie ou les pays de l’ex-Yougoslavie ne refusent quasiment jamais de visa aux ressortissants russes, et les documents à produire sont peu nombreux. La République tchèque se distingue toutefois en exigeant des informations très précises sur la proche famille du demandeur, même si celleci ne voyage pas avec lui. Parmi les anciennes Républiques soviétiques, seules deux d’entre elles imposent des visas aux Russes. Il s’agit du Turkménistan, depuis 1999, et de la Géorgie, depuis l’an 2000 (mais, avec les derniers événements, la Russie ne délivre plus de visas aux Géorgiens, et les Russes ont beaucoup de mal à se rendre en Géorgie à cause du blocus total des transports qui a été instauré mi-octobre à l’encontre de Anatoli Pomortsev et Alexeï Smirnov, ce pays). Novyé izvestia (extraits), Moscou 16 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 ’agression présumée xénophobe d’une jeune femme à Nitra (dans l’ouest de la Slovaquie, près de la frontière hongroise), à la fin août, a constitué le point d’orgue d’une série d’incidents qui ont envenimé les relations entre Budapest et Bratislava et déclenché une importante activité diplomatique des deux côtés du Danube. Or, près de deux mois plus tard, la police slovaque, qui a mobilisé des effectifs impressionnants pour élucider cette affaire, a conclu à une “affabulation”. Hedviga Malinova, jeune étudiante de la minorité hongroise du pays, affirmait avoir été tabassée par des jeunes skins qui l’auraient entendue parler hongrois sur son portable et qui auraient ensuite écrit sur son chemisier : “Hongrois, allez de l’autre côté du Danube !” Sa plainte constitue “une grossière calomnie pour la justice et la police slovaques”, selon un porte-parole du parquet, cité par le quotidien Sme. Peu auparavant, le ministre de l’Intérieur, Robert Kalinak, a tenu une conférence de presse exposant les conclusions de l’enquête : selon l’expertise graphologique, c’est Hedviga elle-même qui aurait gribouillé son tee-shirt, aucun appel n’a été passé de son portable ce matin-là et l’expertise médicale émet des doutes sur la nature de ses blessures… “Une étudiante qui n’a pas été capable de passer un examen a sacrifié la bonne renommée de la Slovaquie pour sauver sa peau”, a renchéri le Premier ministre, Robert Fico, fréquemment mis en cause pour avoir fait entrer dans le gouvernement des représentants de l’extrême droite. Les médias slovaques, qui ont globalement salué le travail des autorités, continuent d’avoir des doutes sur cet incident que l’hebdomadaire Plus 7 Dni considère comme une “provocation qui aurait échappé à ses organisateurs”. “Dans un Etat où les services secrets ont été capables d’enlever le fils du président tout en faisant croire à la thèse de l’autoenlèvement, tout est possible”, poursuit le journal, faisant référence au kidnapping, en 1995, du fils de l’ancien président Michal Kovac et à l’assassinat d’un agent des services de sécurité qui aurait été impliqué dans cet acte jamais élucidé. “Il est effectivement difficile de croire à la bonne foi de la police slovaque, qui a perdu toute crédibilité durant le gouvernement de Vladimir Meciar”, estime le magazine Reflex, de Prague, qui pointe néanmoins les nombreuses contradictions dans le récit de Hedviga. “Saura-t-on un jour ce qui s’est vraiment passé à Nitra ?” poursuit le journal de la minorité hongroise Uj Szó, qui déplore que le dossier de l’enquête n’ait pas été rendu public dans sa totalité. Le quotidien Sme croit savoir pourquoi : les “preuves” avancées par le ministre de l’Intérieur ne s’y trouveraient pas ; ce dernier a immédiatement rétorqué dans le journal qu’il s’appuyait sur des “informations opérationnelles”. Le 18 octobre, la justice slovaque a clôturé l’enquête, en n’excluant pas de poursuivre l’étudiante pour “faux témoignage”. ■ L 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 835 p.18-19 31/10/06 14:23 Page 18 amériques ● BOLIVIE Une vraie-fausse nationalisation Le gouvernement d’Evo Morales vient de conclure un accord qualifié d’historique avec les multinationales du gaz et du pétrole. S’il accroît considérablement ses recettes, l’Etat ne récupère pas le contrôle total des ressources. EL DIARIO La Paz es nouveaux contrats qu’a souscrits l’Etat bolivien avec les transnationales pétrolières ne constituent en rien une nationalisation des ressources en hydrocarbures du pays”, estime l’économiste bolivien Gonzalo Quiroga. Pour ce spécialiste du secteur énergétique, l’accord conclu dans la nuit du 28 octobre dernier modifie les conditions d’exploitation imposées aux compagnies étrangères mais ne donne en aucun cas à l’Etat un contrôle absolu et à long terme des réserves de gaz. “Un processus de nationalisation, fait-il valoir, passe par un contrôle absolu des ressources. Autrement dit, c’est un processus d’expropriation des investissements, ce qui a évidemment un coût. Mais ce n’est pas du tout ce qui est en cours en Bolivie.” De plus, souligne M. Quiroga, beaucoup de questions restent en suspens après la signature de l’accord. La prise de contrôle par l’Etat des entreprises boliviennes Andina et Chaco, issues de la privatisation partielle, en 1997, de la compagnie pétrolière publiqueYacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos (YPFB), prévue par le décret de nationalisation des hydrocarbures du 1er mai dernier, n’est pas réglée, pas plus que celle des deux raffineries du pays, qui appartiennent à la compagnie brésilienne Petrobras. “La partie production reste aux mains de sociétés étrangères, et Petrobras a bien souligné que le nouvel accord ne prenait pas en compte les raffineries.” La question du prix des actions que l’Etat doit racheter pour devenir majoritaire n’est pas du tout clarifiée, L Evo Morales et les multinationales pétrolières. Dessin de Nerilicon paru dans Milenio, Mexique. CONTEXTE Une guerre qui touche à sa fin Brésil Le président de la compagnie brésilienne Petrobras, principal opérateur gazier en Bolivie, réagit dans le quotidien O Globo à la signature de l’accord entre l’Etat bolivien et les compagnies étrangères : “Petrobras ne va pas devenir un simple prestataire de services, nous avons la garantie que nos investissements seront protégés. La bolivienne YPFB aura son mot à dire dans notre conseil d’administration, et les deux entités partageront les bénéfices de l’exploitation.” Aux yeux du patron de Petrobras, cet accord est une “très bonne chose pour la démocratie en Amérique latine.” d’où la nécessité d’un nouvel accord avec les compagnies pétrolières, tenant compte du fait que YPFB n’a pas les moyens financiers d’exercer un contrôle total sur la production. “Il faut également régler la question de l’acheminement, poursuit M. Quiroga. Il n’y a pas eu d’accord conclu avec Transredes [la société anglo-néerlando-américaine qui possède la plupart des oléoducs et gazoducs boliviens].” 4 MILLIARDS DE DOLLARS DE RECETTES PAR AN Les nouveaux contrats signés avec les compagnies pétrolières inspirent des sentiments mitigés aux analystes économiques. L’Etat, d’après eux, aurait pu obtenir de meilleures conditions pour le pays mais n’en avait pas les moyens. “Tout ce que nous avons obtenu, c’est une révision des contrats de sorte que les compagnies reversent jusqu’à 82 % de leurs revenus à l’Etat”, estime Quiroga. Quoi qu’il en soit, ce nouveau régime fiscal n’assure pas au pays le contrôle total des hydrocarbures tel qu’il était prévu dans le décret de nationalisation. YPFB aura certes le contrôle de la production et de la commercialisation des 1 400 milliards de mètres cubes de réserves de gaz, mais les majors pétrolières continueront d’être les véritables opérateurs. Les contrats, souscrits par dix transnationales pétrolières pour une durée allant de vingt à trente ans, sont toutefois jugés avantageux pour les deux parties. D’ici quatre ans, ce seront plus de 4 milliards de dollars qui entreront chaque année dans les caisses de l’Etat [contre 500 millions aujourd’hui]. De quoi assurer, selon le président Evo Morales, des jours meilleurs à tous les Boliviens, qui bénéficieront des revenus tirés de la vente et de l’industrialisation de leurs ressources naturelles. ■ ■ “Nous entrons dans une ère de prospérité économique.” Le président bolivien Evo Morales jubile. Après des semaines d’âpres négociations, son gouvernement est parvenu, le 28 octobre, à signer un accord avec les compagnies pétrolières étrangères privées qui exploitent les ressources en gaz du pays, les plus importantes d’Amérique latine après celles du Venezuela. Si les termes de l’accord ne seront connus que dans plusieurs jours, Morales a affirmé que les multinationales n’étaient plus les patrons, mais des partenaires. En clair : elles deviennent des prestataires de ser vices de l’entreprise d’Etat YPFB, qui assumera la commercialisation du gaz et en fixera les prix. Il était temps pour la Bolivie de trouver une solution à cet épineux problème qui a fait tomber deux gouvernements ces dernières années. En 2003, la “guerre du gaz” s’était soldée par plus de 70 morts au cours d’un soulèvement populaire contre un projet d’exportation du gaz vers les Etats-Unis via le Chili. Le président libéral de l’époque, Gonzalo Sánchez de Lozada, artisan de la privatisation du sous-sol lors d’un précédent mandat (1993-1997), avait été contraint à la démission. Même issue deux ans plus tard pour le chef de l’Etat Carlos Mesa, incapable de répondre aux attentes des Boliviens qui réclamaient la renationalisation des hydrocarbures. CHILI L’or de Pinochet refait surface à Hong Kong La justice chilienne a ouvert une enquête sur les lingots d’or que le dictateur avait mis de côté dans l’ancienne colonie britannique. La Nación revient sur les dessous de l’affaire. l y a quelques semaines, Alan Landry était chez lui, à Santa Monica, en Californie, lorsqu’un courriel est arrivé dans sa messagerie. En l’ouvrant, il constata que parmi les pièces jointes figuraient divers documents et une proposition de vente de plus de 9 tonnes d’or pur à 99,9 %, actuellement en dépôt à la Hong Kong and Shanghai Bank Corporation (HSBC). En tant que consultant pour CCI-Group, une entreprise de cour tiers en or, son travail consiste à vérifier l’authenticité des docu- I ments et des cer tificats produits en vue d’une transaction. Il examina donc attentivement la proposition et s’arrêta, surpris, sur le nom du propriétaire des documents : Augusto Pinochet Ugarte. Alan Landry s’empressa alors d’en informer son commissaire aux comptes, Gerald Drown, pour avoir son opinion. Celui-ci obser va à son tour minutieusement les documents et dit à Landry de transmettre l’information au consulat du Chili à Los Angeles. Il remit à la représentation diplomatique les documents reçus ainsi qu’une copie des certificats envoyés par un certain Kevin Shani, qui assurait être habilité à vendre cet or. “Je peux garantir, grâce à l’expérience qui est la mienne sur le marché, que ces documents sont authentiques, COURRIER INTERNATIONAL N° 835 affirme Alan Landry. La justice et l’Etat chiliens doivent récupérer cet or, qui appartient au peuple chilien.” Les documents ont été remis, le 13 octobre 2006, au ministère chilien des Affaires étrangères, qui l’a ensuite transmise au juge Juan González, chargé du dossier Riggs [en 2004, suite à un rapport du Sénat américain, une instruction a été ouverte sur plusieurs comptes en banque ouverts sous de faux noms par Pinochet à la Riggs Bank], ainsi qu’au Conseil de défense de l’Etat (CDE), l’organisme chargé de défendre les intérêts de l’Etat. Le CDE a demandé à la justice qu’une requête officielle soit envoyée à la HSBC et que des mesures préventives soient prises puisqu’il y aurait au nom du dictateur un millier de lingots, évalués à plus 18 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 de 170 millions de dollars [133,5 millions d’euros]. Selon nos informations, la justice chilienne aurait en sa possession un dossier de 26 pages sur cette affaire. Ces documents préciseraient que l’or en question est pur à 99,9 % et indiqueraient les numéros de série et le lieu de fabrication des lingots, la Belgique. Les premiers dépôts auraient été effectués en juillet et en novembre 1980 auprès de la HSBC. Parmi les documents figure également un certificat de l’entreprise allemande de placements Schell Security GmbH, authentifié devant notaire le 16 décembre 2004. Pour Landry, il ne fait aucun doute que les lingots sont en dépôt dans un coffre Jorge Molina Sanhueza, de la HSBC. La Nación (extraits), Santiago 835 p.18-19 31/10/06 14:24 Page 19 M E X I QU E La police fédérale investit Oaxaca a Police fédérale préventive (PFP) a lancé, le 29 octobre dernier, une opération de reprise en main de la ville d’Oaxaca après 161 jours de mobilisation et de manifestations contre le gouverneur de l’Etat, Ulises Ruiz. A la demande du président Vicente Fox, des unités des forces fédérales, transportées par voie aérienne et terrestre, ont commencé à arriver sur place. Au moins 5 avions et 5 hélicoptères du ministère de la Sécurité publique fédérale et de l’armée de l’air mexicaine ont acheminé des bulldozers destinés à démolir les nombreuses barricades qui parsèment la ville. Cette opération sera appuyée par des unités de l’armée de terre et de la marine. Celles-ci seront maintenues en alerte pendant le déploiement et pourraient intervenir si nécessaire. Les forces fédérales déployées dans tout l’Etat d’Oaxaca se montent à 5 000 hommes, qui ont pour mission de disperser les membres de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO). La police municipale et celle de l’Etat, fortes de 2 500 hommes au total, n’interviendront pas, a informé le ministère de la Protection civile de l’Etat. En ce qui concerne le Centre d’investigation et de sécurité nationale (CISEN) et les services de renseignement militaires, ils participaient aussi à l’opération, cartographiant en permanence le conflit, y compris l’emplacement des barricades dans la capitale de l’Etat. Dans la soirée du 29 octobre, dix bâtiments publics étaient toujours occupés par les grévistes, tandis que la plupart des manifestants étaient regroupés sur la place centrale. La présidence a annoncé à 9 heures du matin, le samedi 28 octobre, sa décision de déployer les forces fédérales à Oaxaca après la violente journée de vendredi [qui s’est soldée par plusieurs morts après de violents affrontements]. Une fois connue l’annonce du président, les membres de l’APPO ont décrété l’état d’alerte maximale, invitant la population à renforcer les barricades et à “défendre la place jusqu’au bout”. Entre-temps, les premiers avions fédéraux transportant des troupes ont commencé à survoler la ville. Sept autocars remplis de policiers fédéraux sont arrivés par la route qui relie Mexico à Oaxaca. Parallèlement, Heliodoro Díaz, le ministre de l’Intérieur de l’Etat d’Oaxaca, confirmait la présence policière et remerciait le gouvernement fédéral d’avoir répondu aux attentes “des habitants d’Oaxaca”. Daniel Rosas, porte-parole de la section 22 [du Syndicat national des travailleurs de l’éducation, SNTE], demandait pour sa part aux autorités fédérales de “retirer la police fédérale” et les invitait à envoyer des unités “au Michoacán, au Guerrero ou Tamaulipas, parce qu’ici il n’y a pas de trafic de drogue”. Milenio, Mexico L COURRIER INTERNATIONAL N° 835 19 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835 p.20 31/10/06 14:03 Page 20 amériques A M É R I QU E C E N T R A L E Les “petits tigres” des Caraïbes râlent de plaisir Le Panamá, le Costa Rica et Trinité-et-Tobago sont devenus des exemples pour leurs voisins. Loin de l’instabilité politique et de la pauvreté, ils connaissent une prospérité étonnante. nationales. Quatre ans plus tard, la signature d’un traité commercial avec les Etats-Unis a été suivie d’une loi aussi stricte que celle de son partenaire en matière de propriété intellectuelle. Ce climat favorable aux échanges a permis aux îles d’exploiter une richesse quasiment intacte à ce jour, à savoir le troisième gisement de gaz d’Amérique latine. Depuis 1999, grâce aux investissements d’une trentaine d’entreprises étrangères du secteur de la pétrochimie, l’extraction de gaz naturel a progressé à un tel point que ce pays est devenu le premier fournisseur des Etats-Unis. VEJA São Paulo es petits pays d’Amérique centrale et les îles des Caraïbes sont en général connus pour leur végétation luxuriante et comme paradis fiscaux ou républiques bananières. Cette dernière appellation péjorative fait référence aux soubresauts de leur histoire politique, à leur pauvreté et à leur dépendance à l’égard de la monoculture. C’est aussi dans cette région que se trouvent respectivement la nation la plus déshéritée et l’unique dictature communiste d’Amérique latine, à savoir Haïti et Cuba. Mais il en va tout autrement pour trois Etats en rupture avec tous ces modèles stéréotypés : le Panamá, le Costa Rica et Trinité-et-Tobago. Au cours de ces dix dernières années, le PIB total de ce trio a quasiment doublé, alors qu’il n’a augmenté en moyenne que de 67 % dans le reste de la région. La proportion de pauvres au Panamá et au Costa Rica a chuté de plus de 30 % tandis que le chômage est passé à Trinité-et-Tobago de 20 % à 8 % au cours des quinze dernières années. Ces trois pays, en référence aux pays asiatiques qui ont connu une importante croissance dans les années 1980 et 1990, sont aujourd’hui surnommés les “petits tigres” des Caraïbes. A l’instar de leurs modèles asiatiques, ils ont avant tout cherché à attirer les investisseurs étrangers, en leur offrant un environnement favorable aux échanges, une stabilité politique, une sécurité juridique et surtout un éventail de subventions. L LE COSTA RICA, EXPORTATEUR DE MICROPROCESSEURS Il y a dix ans, le textile, le café et la banane constituaient l’essentiel des exportations du Costa Rica. Le gouvernement a alors décidé d’inviter des entreprises technologiques à s’implanter dans le pays en leur proposant des réductions d’impôts et une maind’œuvre bon marché et bien formée. Intel, le premier fabricant mondial de processeurs, y a construit dès 1997 une usine de production de puces. Désormais, les exportations de microprocesseurs représentent pour le Costa Rica le double des ventes traditionnelles de textiles, de bananes et de café. Le secteur de l’éducation a également contribué à cette transformation. Il y a un peu plus de cinq décennies, après avoir échappé à une tentative de coup d’Etat, le gouvernement du Costa Rica a renoncé à son armée, préférant allouer à l’enseignement les fonds destinés à la défense. Conséquence de cette politique : la population costaricaine compte moins de 5 % d’analphabètes. L’exemple des petits tigres des Caraïbes démontre que, s’il est plus Dessin de Victoria Martos paru dans El Mundo, Madrid. DEUX FOIS PLUS DE TOURISTES VISITENT LE PANAMÁ facile de diversifier l’économie avec le renfort d’investisseurs étrangers, ceuxci préfèrent néanmoins s’implanter dans des pays où des garanties leur sont offertes et où les règles du jeu ne changent pas au gré des humeurs politiques. Au Costa Rica, les entreprises peuvent rapatrier 100 % de leurs bénéfices et il n’existe aucune limite au droit de propriété des étrangers. A Trinité-et-Tobago, pays des Caraïbes composé de deux îles, une loi de 1990 a octroyé aux entreprises étrangères les mêmes droits que les entreprises Les petits tigres des Caraïbes assument sans état d’âme la vocation naturelle de la région à établir des partenariats commerciaux avec les Américains. Le tourisme est l’un des secteurs qui en tire le plus grand avantage. Au Panamá, le gouvernement a supprimé, voici douze ans, la fiscalité sur les entreprises touristiques. Depuis, les infrastructures se sont multipliées et le nombre de visiteurs a doublé. Chaque année, 20 000 retraités américains viennent vivre au Panamá, attirés par la sécurité, la qualité du climat et le coût de la vie, 50 % moins élevé qu’aux Etats-Unis. La nouvelle vague de touristes et de retraités a inversé la tendance à l’exode des étrangers apparue vers la fin des années 1990, lorsque l’administration du canal de Panamá était passée des mains de Washington à celles des Panaméens. La réussite économique du Panamá, du Costa Rica et de Trinitéet-Tobago a contaminé d’autres pays de la région. Il y a deux ans, le Honduras, la République dominicaine, le Nicaragua, le Salvador et le Guatemala se sont joints au Costa Rica pour signer le CAFTA, l’accord de libreéchange entre l’Amérique centrale et les Etats-Unis. Pour les Américains, il s’agit d’abord d’une politique de bon voisinage et d’une tentative de limitation de l’immigration clandestine, par la création d’emplois locaux. Les petits tigres des Caraïbes ont aussi en commun de ne pas avoir connu de conflits armés dévastateurs dans les années 1970 et 1980, comme ce fut le cas dans les autres pays de la région. Ils n’ont pas connu de forte émigration. En vérité, ce sont eux qui ont su attirer les immigrants des pays voisins. Au Costa Rica, des Nicaraguayens travaillent dans les plantations de café et de canne à sucre. Au Panamá, la main-d’œuvre la moins qualifiée provient habituellement de Colombie. Les petits tigres des Caraïbes rêvent d’ores et déjà de faire partie du premier monde. Duda Teixeira REVUE DE PRESSE Victoire sans surprise pour le président Lula Le candidat du Parti des travailleurs a remporté aisément le scrutin de dimanche, avec plus de 60 % des voix. Il lui reste maintenant quatre ans pour mener à bien ses projets de réformes… la une d’O Estado de São Paulo le 30 octobre, une grande photo du président fraîchement réélu brandissant le drapeau brésilien, accompagnée d’un chiffre – 60,82 % – et de ce titre : “L ula promet d’entamer son second mandat avec une réforme politique.” O Estado de São Paulo, comme la Folha de São Paulo, l’autre grand quotidien de la capitale économique du pays, ont en outre publié de longues pages d’analyses et de commentaires sur cette victoire sans surprise. Premier constat d’O Estado de São Paulo, qui se situe à droite, “le candidat du Par ti des travailleurs (PT) bat un record historique, avec 58,3 millions de voix contre 37,5 millions à son adversaire Geraldo Alckmin, qui, après A une désastreuse campagne entre les deux tours, perd près de 2,5 millions de voix”. Le quotidien conservateur avoue que “Lula sort de cette élection encore plus fort qu’en 2002, d’autant qu’il compte sur le soutien de plus de la moitié des nouveaux gouverneurs. Mais la situation a changé. Il n’a plus l’aura d’antan et tout le monde est dans l’expectative.” La Folha de São Paulo, qui avait fait campagne pour la réélection de Lula, titre pour sa part “Lula COURRIER INTERNATIONAL N° 835 20 promet la croissance et demande l’union”. Et le quotidien reprend les premières paroles du président, le deuxième dans l’histoire du pays à être réélu, après Fernando Henrique Cardoso : “C’est la victoire de ceux d’en bas contre ceux d’en haut. Je ne vous décevrai pas et je resterai toujours de votre côté”, a-t-il dit devant des milliers de supporters, une fois les résultats rendus publics. Soulagé, le chef de l’Etat a pu savourer sa victoire, même si DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 son adversaire de centre droit l’a obligé à disputer un second tour. Ces élections, comme une bonne par tie de son premier mandat, ont aussi été marquées par de nombreuses affaires de corruption au sein du PT. Mais, comme l’explique la Folha de São Paulo, “la popularité de Lula n’a pratiquement pas été entamée. Il est véritablement au-dessus des partis, et son sort n’est pas lié au système politique brésilien. Sans oublier que l’action de son gouvernement au niveau social a été fondamentale pour sa réélection.” Lula a également annoncé que, au cours de ce second mandat qui court jusqu’au 31 décembre 2010, il souhaitait mettre en avant le dialogue. “Je veux parler avec toutes les forces politiques du pays. La campagne est terminée, il n’y a plus d’adversaire maintenant. Mais un seul ennemi, le même pour tous : les injustices sociales. Tout le monde doit être uni pour que le Brésil vive dans la paix et la croissance.” 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 835 p.22 31/10/06 14:05 Page 22 asie ● SRI LANKA M YA N M A R Faire pression sur la junte militaire Au moment où une partie de la population birmane se mobilise pour obtenir plus de démocratie, les Nations unies s’intéressent enfin à ce pays. Mais beaucoup reste à faire, estime l’organisation Human Rights Watch. outre une politique sévère à l’égard des demandeurs d’asile, des dissidents et des militants des droits de l’homme birmans. L’opinion internationale est toutefois en train de changer. Le président de l’Association des Nations du Sud-Est Asiatique (ASEAN), Ong Keng Yong, a déclaré, en juillet 2006, que “l’ASEAN a beaucoup d’autres choses à faire, mais le Myanmar semble être toujours là et reléguer les autres questions à l’arrière-plan”. Des propos sans précédent pour une organisation qui s’était jusque-là toujours engagée à ne pas intervenir dans les affaires intérieures de ses membres. La Chine est de plus en plus embarrassée. Pour la plupart des voisins du Myanmar, la junte birmane est une honte pour l’ASEAN et ils souhaiteraient des réformes immédiates. Si la Chine veut être considérée comme un membre respecté de la communauté internationale, elle doit cesser de protéger les généraux birmans, qui n’apportent ni sécurité ni développement à leur population. THE NATION (extraits) Bangkok e Myanmar se retrouve enfin à l’ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations unies. Le 30 septembre, celui-ci a tenu sa troisième réunion sur la triste situation des droits de l’homme dans ce pays et ses membres ont décidé, par dix voix contre quatre (et une abstention), de poursuivre la discussion. Le processus avait débuté en 2005 par un rapport commandé par Václav Havel et Desmond Tutu et intitulé “Menace pour la paix : un appel à une intervention du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Birmanie”.Voilà des années que le Conseil d’Etat pour la paix et le développement (CEPD), le gouvernement militaire birman, ignore les résolutions répétées de l’Assemblée générale et de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, condamnant les violations systématiques des droits fondamentaux dans le pays. Le Conseil de sécurité est désormais passé à la vitesse supérieure. Au cours des dernières semaines, le CEPD a incité l’Association pour l’union, la solidarité et le développement (USDA), une organisation paramilitaire progouvernementale, à organiser des rassemblements de protestation et demandé aux milices ethniques ayant signé un accord de cessez-le-feu avec le régime de publier des déclarations qualifiant la décision du Conseil d’”impérialiste” et l’accusant d’”exploiter l’autorité des Nations unies.” Le gouvernement a rejeté ou ignoré toutes les actions internationales visant à améliorer le sort de la population birmane et ces cris d’hostilité montrent qu’il se moque éperdument de l’opinion internationale. L LE RÉGIME MILITAIRE SOUTENU PAR LA CHINE ET L’INDE Le régime birman, qui souhaitait montrer son mépris pour le Conseil de sécurité, avait annoncé la couleur deux jours avant le vote. La police birmane avait en effet arrêté Min Ko Naing, Ko Ko Gyi et Htay Kywe, trois personnalités qui militaient en faveur d’une intervention du Conseil de sécurité et s’apprêtaient à assister à la célébration de l’anniversaire de la création du parti d’opposition, la Ligue pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi. Quelques jours après, l’avocat U Aye Myint et deux militants du groupe Génération étudiante 88 [créé en référence aux manifestations pour la démocratie qui ont eu lieu dans tout le pays en 1988], Min Zeya et Pyone Cho, ont subi le même sort. TRAVAIL FORCÉ ET VIOLENCES SEXUELLES CONTINUENT Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid. Pétition Près de 530 000 Birmans ont apposé leurs noms sur une pétition demandant la libération des prisonniers politiques ainsi que l’ouverture de négociations avec l’opposition. Organisée par le groupe Génération étudiante 88, la collecte de signatures a été contestée par le gouvernement, qui estime qu’un grand nombre de signataires ont été trompés. La pétition a été transmise à l’ONU, et le mouvement poursuit son action jusqu’au 4 novembre par une campagne de prière multiconfessionnelle. Le Conseil de sécurité doit poursuivre son action sur la situation des droits de l’homme dans ce pays où la violence et la répression font partie du quotidien. Les militaires n’autorisent pas l’existence d’une presse libre, d’organisations de la société civile ou de partis d’opposition. Le Conseil doit adopter une résolution ferme appelant le régime militaire à remplir ses obligations vis-à-vis de la population et de la communauté internationale. Fortes du soutien de la Chine, de la Russie, de l’Inde, et de la Thaïlande, les autorités birmanes sont devenues de plus en plus intransigeantes. Ces pays, avec qui elles entretiennent des relations diplomatiques et économiques étroites, ne cessent de les protéger et permettent ainsi aux généraux de continuer leurs méfaits. A titre d’exemple, l’ambassadeur de Chine aux Nations unies, Wang Guangya, a qualifié de “grotesque” la décision de placer le Myanmar à l’ordre du jour du Conseil de sécurité. L’Inde a récemment accueilli le chef de la junte,Than Shwe, avec tous les honneurs et vendu des pièces d’artillerie à l’armée birmane. Pour assurer ses objectifs économiques, le Premier ministre de la Thaïlande récemment déposé,Thaksin Shinawatra, avait fait de son pays le porte-parole international de la junte birmane. Les autorités thaïlandaises adoptaient en COURRIER INTERNATIONAL N° 835 22 La Thaïlande a aujourd’hui l’occasion de mettre un terme au soutien honteux qu’elle a apporté au gouvernement birman. Le général Surayud Chulanont, le Premier ministre par intérim récemment nommé, et l’armée, qui l’a porté à ces fonctions, doivent comprendre que la situation chez leur voisin birman constitue un facteur de déstabilisation pour la Thaïlande. Celle-ci doit renoncer à sa passivité et à sa tiédeur, en soutenant pleinement l’action de la communauté internationale pour améliorer la démocratie, les droits de l’homme et la paix au Myanmar. L’ONU ne doit pas attendre. Elle doit voter une résolution exprimant clairement la nécessité d’entamer rapidement un processus permettant de passer à un gouvernement civil et à la démocratie. Les militants récemment arrêtés et les autres prisonniers politiques doivent être libérés [1 200 prisonniers politiques seraient détenus dans les geôles birmanes]. L’armée doit cesser de s’en prendre aux minorités ethniques. Les organisations d’aide humanitaire doivent pouvoir accéder librement aux régions du pays où l’état sanitaire de la population s’est dégradé et où le travail forcé et les violences sexuelles sont largement répandus. Il faut faire comprendre aux généraux birmans qu’ils ne peuvent plus rester inflexibles. Brad Adams* * Directeur pour l’Asie de l’organisation Human Rights Watch. DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 Les négociations en panne sur l’autoroute DE COLOMBO uelques heures à peine après l’échec des pourparlers de paix organisés à Genève les 28 et 29 octobre entre le gouvernement srilankais et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), de violents affrontements ont été signalés dans la péninsule de Jaffna [dans le nord-est de l’île, zone de combats entre les forces régulières et les insurgés]. C’est justement à cette région que les Tigres tamouls faisaient allusion lorsqu’ils ont accusé l’armée d’“accentuer les hostilités militaires en effectuant des préparations et des entraînements offensifs et provocateurs”. Lors d’une conférence de presse, le ministre de la Santé sri-lankais, Nimal Siripala de Silva, a pour sa part déploré que les rebelles aient fait reposer l’issue des négociations sur une condition, la réouverture de l’autoroute A9 reliant la zone de conflit au reste du pays, alors qu’ils avaient auparavant exigé des discussions inconditionnelles. Selon le ministre qui dirigeait la délégation gouvernementale, Colombo aurait répondu à la demande de réouverture de l’A9 faite par les Tigres en leur proposant un accès maritime à Jaffna, qu’ils ont refusé. “La balle est maintenant dans le camp des insurgés”, estime Nimal Siripala de Silva. Dans un autre communiqué de presse, les Tigres disent avoir accepté de fixer une date pour de nouvelles négociations et demandé la réouverture préalable de l’A9. “Mais le gouvernement sri-lankais n’a pas répondu de façon positive.Avant de fixer une date pour un nouveau cycle de pourparlers, les LTTE ont prié les médiateurs et la Mission de contrôle du cessez-le-feu au Sri Lanka (SLMM, Sri Lanka Monitoring Mission) d’œuvrer pour la réouverture de l’A9”, pouvait-on lire dans ce communiqué. Les Tigres tamouls affirment aussi avoir tenu à aborder la grave crise humanitaire provoquée par le gouvernement et les forces de sécurité. En effet, selon eux, la fermeture de l’A9 a fait de la péninsule de Jaffna une prison à ciel ouvert pour plus de 600 000 personnes, qui vivent sous l’“occupation” de 60 000 soldats de l’armée sri-lankaise et derrière un “nouveau mur de Berlin”. Mais, en dépit de l’échec de Genève, la situation n’est pas complètement bloquée. Saluant le pacte politique intervenu entre le Sri Lanka Freedom Party (SLFP, parti du président Mahinda Rajapakse) et le United National Party (UNP, d’opposition), les Tigres tamouls annoncent qu’ils accepteront d’entamer des négociations politiques avec le gouvernement une fois que ce qu’ils nomment “l’administration cinghalaise” aura trouvé un accord en vue de la résolution du conflit. “Les LTTE espèrent que, d’ici là, la normalité sera revenue et qu’un environnement favorable sera apparu”, ont-ils ajouté. En attendant, la guerre continue. Muralidhar Reddy, The Hindu, Madras Q 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 835 p.24 31/10/06 14:06 Page 24 asie INDE Peut-on être sikh sans porter ni barbe ni turban ? Au Pendjab, de plus en plus de jeunes hommes sikhs renoncent à leurs signes d’appartenance traditionnels. Un phénomène dont l’ampleur inquiète les autorités religieuses. OUTLOOK New Delhi n dit souvent qu’un sikh sans cheveux longs et sans turban est comme un roi sans couronne. Mais, au Pendjab [Etat du nord-ouest de l’Inde à majorité sikhe], en particulier dans les campagnes, les jeunes sont de plus en plus nombreux à rejeter les symboles les plus visibles de l’identité sikhe. Cette tendance, qui s’est répandue au cours des quatre ou cinq dernières années, prend aujourd’hui de telles proportions que les dignitaires religieux s’en inquiètent et que des campagnes désespérées sont lancées pour rétablir le port du turban. Selon les organisations communautaires engagées dans cette lutte, 80 % des jeunes sikhs vivant dans les zones rurales de la région ont coupé leurs cheveux et abandonné leur couvre-chef. Faut-il en conclure qu’il n’y aura bientôt plus aucun homme enturbanné dans les villages ? Selon les autorités religieuses, qui se sentent à la fois consternées et impuissantes, ce n’est plus seulement une possibilité, c’est une réalité incontournable. Un sikh sans cheveux longs est-il moins sikh pour autant ? Dans le langage populaire, un homme qui s’est coupé les cheveux ou rasé la barbe est un patit, c’est-à-dire un apostat. Selon le Pr Sher Singh, de l’Institut d’études sikhes, “sur les cinq ‘k’ – kesh [cheveux et poils], kada [bracelet porté au poignet droit], kirpan [petit poignard], kangha [peigne en bois porté sous le turban] et kachh [caleçon long] –, dont Gobind Singh [le dernier des dix gourous qui ont codifié le sikhisme à la fin du XVIIe siècle] a imposé le port à tous les hommes, le kesh est le plus important et fait partie intégrante de l’identité communautaire. Sans O Un dignitaire religieux lisant le livre sacré des sikhs. ■ Sikhs 1,9 % de la population indienne est de confession sikhe, soit environ 19 millions de personnes. 80 % d’entre eux vivent dans l’Etat du Pendjab, dans le nord du pays. WEB+ Plus d’infos sur le site Quelques explications sur une minorité indienne qui compte. le kesh, les autres symboles perdent leur signification.” On compte aujourd’hui trois ou quatre barbiers dans la plupart des communes rurales. Les propriétaires terriens du Pendjab ont toujours été réputés pour leur ouverture d’esprit et leur caractère entreprenant. Fidèles à eux-mêmes, ce sont donc eux qui mènent aujourd’hui le mouvement contre le turban, même s’ils passent pour des renégats aux yeux des religieux. Selon les universitaires, tout un ensemble de facteurs, à la fois sociaux et économiques, est en jeu pour expliquer ce phénomène. La raison la plus souvent citée est le soulagement de ne plus avoir à entretenir sa barbe et à nouer son ruban, deux opérations très compliquées. Baldev Singh, patriarche d’une grande famille, regrette que lui et ses frères soient les seuls hommes de la famille à respecter la tradition. “Tous mes fils et petits-fils se sont fait couper les cheveux, se plaint-il. Cela me fait de la peine de voir les miens en arriver là, mais personne ne m’écoute plus.” Sa bellefille, Roominder Kaur, est au contraire ravie que son fils ait les cheveux courts, car elle est libérée de la corvée matinale du démêlage et du coiffage. Une autre raison qui peut expliquer ce bouleversement est le profond désir des jeunes des campagnes d’aller vivre en Occident. Comme il est plus fréquent, depuis les attentats du 11 septembre 2001, que des sikhs soient pris pour des musulmans et agressés à cause de leur barbe et de leur turban, ils ont tendance à modifier leur apparence pour “ressembler aux autres”. Ce faisant, il leur est plus facile de se faire accepter dans le pays d’accueil. D’autre part, il est de notoriété publique que la consommation de drogue et d’alcool atteint des niveaux sans précédent au Pendjab. Quelque 60 % des jeunes de 14 à 25 ans feraient régulièrement usage de stupéfiants. Les intellectuels sikhs relient justement ce phénomène au refus de porter le turban, étant donné que la fumée et l’usage de drogues sont interdits par la religion. La politisation du clergé, qui n’agit pas assez pour sensibiliser les jeunes à leur foi, est une autre raison souvent citée. Pour les tenants de ce point de vue, ces dignitaires négligent leur rôle de défenseurs et de protecteurs des traditions religieuses. DES ASSOCIATIONS ACTIVES DANS LE MONDE ENTIER Paradoxalement, la tendance des sikhs à couper leurs cheveux et à raser leur barbe gagne du terrain au moment même où la communauté est engagée dans une campagne internationale de sensibilisation à l’identité sikhe et à l’importance de porter des symboles religieux comme le turban et le kirpan [petit poignard]. Depuis l’interdiction des turbans dans les écoles en France, en 2004, et la multiplication des actes racistes contre les sikhs après les attentats du 11 septembre, des associations communautaires ont en effet entrepris de défendre leur religion en Europe, aux Etats-Unis et en Australie. En Inde comme ailleurs, l’annonce de l’interdiction française a provoqué une levée de boucliers au sein des organisations sikhes, qu’elles soient politiques, sociales ou religieuses. A l’appel du SGPC (Shiromani Gurudwara Prabandhak Committee, organe de gestion des temples), le Premier ministre Manmohan Singh, qui est luimême sikh, a abordé la question avec Paris. Mais, comme le remarque Jaswinder Singh, membre du SGPC et président d’une organisation pour le retour au turban et aux cheveux longs, “si les autorités françaises viennent à prendre connaissance de la situation au Pendjab, ce sera très gênant pour nous. Comment pouvons-nous lutter pour le droit de porter les cheveux longs et le turban à l’étranger si on y renonce dans la patrie du sikhisme ?” Depuis quelque temps, une association organise un concours intitulé “Mister Singh International”, qui est réservé aux sikhs enturbannés. Les candidats doivent participer entre autres à une épreuve intitulée “Mon turban, ma fierté, mon identité”, où ils sont jugés sur leur façon de nouer le tissu sur leur tête. La dernière personnalité en date à en avoir fait son cheval de bataille n’est autre que Navjot Singh Sidhu, un ancien joueur de cricket actuellement député du BJP [parti nationaliste hindou]. Il a même organisé une procession à Amritsar, ville sainte du sikhisme, pour remettre le turban à l’honneur et inculquer aux jeunes la fierté de le porter. Pour la petite histoire, Sidhu est aujourd’hui la cible de nombreuses critiques pour avoir rasé sa barbe et autorisé son fils à couper ses cheveux. Chander Suta Dogra PA K I S TA N Guérilla virtuelle pour la cause baloutche La diaspora baloutche n’hésite pas à utiliser Internet pour soutenir le combat des séparatistes qui agitent sa région d’origine. Un phénomène suivi de près par les services secrets. orsqu’il est chez lui à Jacksonville, en Floride, Wahid Baloch met à jour le site de l’ONG qu’il a créée il y a deux ans, la Société baloutche d’Amérique du Nord (BSO-NA). “Internet est très efficace, explique-t-il. On peut s’adresser au monde entier en cliquant sur un bouton.” Assis devant leur écran d’ordinateur, de nombreux Baloutches comme lui informent les internautes de leur lutte pour obtenir la sécession de leur région, qu’ils estiment exploitée, d’avec le reste du Pakistan et se battent avec des mots. Ces guérillas virtuelles gagnent toute la planète, depuis le Baloutchistan jusqu’à Stockholm, en passant par L Karachi, Oman, Londres et la Floride. La lutte des Baloutches pour davantage d’autonomie est également soutenue par quelques journaux pakistanais. On trouve aussi sur Yahoo! plusieurs groupes de discussion. “Mon site préféré est celui du gouvernement du Baloutchistan en exil”, précise Wahid, heureux de voir que les villes de sa région natale bénéficient de connexions Internet plus rapides que dans d’autres zones du pays. Ce site a été lancé le 18 avril 2006 par Mir Azaad Khan, un Juif baloutche qui a établi son gouvernement en exil à Jérusalem et s’est donné pour mission de rassembler tous ses concitoyens sous un seul drapeau et un seul roi, un certain Mir Suleman Daud Ahmedzai, qui se dit souverain de Kalat [un Etat princier du centre du Baloutchistan, officiellement démantelé en 1955]. Beaucoup de débats intéressants se dérou- COURRIER INTERNATIONAL N° 835 lent également dans les groupes de discussion. Ainsi, un certain Yusuf Khan Bugti demande à ses compatriotes de se convertir à l’hindouisme, rappelant que “tant que les Baloutches seront musulmans le Pakistan aura le droit moral de diriger notre région”. “Quelle que soit la religion que nous pratiquons à l’intérieur de nos foyers, il faut que nous nous déclarions officiellement hindous”, ajoute-t-il. Pour lui, mieux vaut en effet être un kafir, un infidèle, que mourir en musulman et en esclave. Les services de renseignements pakistanais, l’Inter-Services Intelligence (ISI), sont très présents dans toutes ces communautés virtuelles et essaient de propager leurs idées et de discréditer le mouvement nationaliste baloutche sur la Toile. Les forums en ligne sont également surveillés par d’autres ser vices secrets, comme la Research and Analysis Wing (RAW) indienne, 24 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 le Mossad israélien et la SAVAMA iranienne. Si Internet a permis d’engager beaucoup de discussions sur cette lutte nationaliste, ces guérilleros de la Toile ne savent pas combien de temps ils pourront mener leur croisade contre le Pakistan. L’argent leur fait défaut. Beaucoup d’expatriés exercent des emplois ingrats ou sont tout simplement au chômage. “Je ne sais pas combien de temps je pourrai continuer sans nouvel apport financier”, explique Wahid. Il accumule pour sa part les heures supplémentaires en tant qu’auxiliaire médical, afin de subvenir aux besoins de sa famille, restée au pays, et doit investir près de 300 euros par mois dans son site. Ahmar Mustikhan*, The Week, Cochin * Outre ses activités de journaliste, Ahmar Mustikhan est le coordinateur de la World Baloch Jewish Alliance et soutient activement le mouvement séparatiste depuis les Etats-Unis. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 31/10/06 14:07 Page 26 asie LE MOT DE LA SEMAINE “MAKURA GYÔ” LES SUTRAS DE CHEVET JAPON Mobilisation contre le suicide des vieux Pour lutter contre ce fléau qui touche surtout la province, un bonze a créé un centre d’accueil et de dialogue. Un modèle pour un pays où le nombre de suicides reste élevé. ASAHI SHIMBUN Tokyo a commune de Fujisatomachi est située à l’extrême nord de la préfecture d’Akita. Située à proximité des montagnes de Shirakami, qui sont inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, la localité compte 4 300 âmes. Abrité à l’intérieur de la Maison pour les échanges intergénérationnels, implantée derrière la mairie, le café-club baptisé Yottetamore [Passez nous voir] ouvre ses portes une fois par semaine. Les habitants ont l’habitude d’y passer, et les conversations sont toujours animées. Vêtu d’un tablier, Shunei Hakamata, âgé de 48 ans, supérieur du temple Gesso-ji, y sert du café. A Akita, préfecture qui compte le taux de suicide le plus élevé du pays, Fujisatomachi est connu pour le nombre important de morts volontaires, particulièrement chez les personnes âgées. Entre 1989 et 2003, une cinquantaine d’habitants ont mis fin à leurs jours. M. Hakamata préside l’association “Club de réflexion sur la vie et le cœur des hommes”, qui rassemble vingt-huit habitants. Sa principale mission est de gérer et d’animer le café-club, mais également d’organiser des concerts et des conférences. C’est l’une des rares associations au Japon qui lutte pour “la prévention des suicides”. Autour d’une tasse de thé, on parle d’expériences pénibles, de sentiments douloureux comme les conflits au sein du couple, les frictions entre belle-fille et bellemère ou encore les difficultés des couples âgés contraints de vivre sans aide… La possibilité de s’épancher fait renaître l’envie de vivre. “C’est un lieu où l’on peut confier librement ses inquiétudes et ses chagrins”, explique M. Hakamata. Six ans après avoir terminé une ascèse dans le temple Eiheiji [haut lieu du bouddhisme zen] et être rentré chez lui, M. Hakamata a perdu la vision de l’œil gauche en raison d’un décollement de la rétine. Il n’avait alors que 29 ans.Touché par la douleur de perdre une partie de ses capacités physiques, il s’est alors penché sur les problèmes de la “vie”. Il a créé L KK AIDO Dessin de No-río, Aomori. ■ Statistiques Pour la huitième année de suite, l’archipel a enregistré plus de 30 000 suicides (32 325 personnes). Son taux (25,3 pour 100 000 habitants) place ainsi le Japon au dixième rang du classement mondial, juste derrière la Slovénie et devant le Sri Lanka, et au deuxième rang parmi les nations industrialisées, derrière la Corée du Sud. Près de la moitié de ces personnes (15 000) évoquaient des soucis de santé comme raison de leur geste, tandis qu’environ 25 % avancent des raisons financières. Les préfectures les plus touchées par ce fléau sont celles du Nord (dans l’ordre, Akita, Aomori et Iwate). Afin d’enrayer ce fléau, la Diète a adopté, en juin 2006, une loi-cadre destinée à apporter divers soutiens aux personnes fragiles. Shirakami Fujisatomachi Akita Préfecture d’AKITA JAPON 0 150 km Courrier international Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Mori O H O N S H U l y a, bien entendu, mille façons de mourir. Mais, alors même que la vie ne se conçoit pas sans sa fin, le quotidien des Japonais n’a de cesse d’évacuer la question de la mort. C’est d’abord via les événements relatés par les médias que celle-ci s’incr uste aujourd’hui dans les consciences. Ainsi en vat-il du suicide d’un collégien blessé par les paroles indélicates de son professeur, drame qui vient de bouleverser l’archipel. Mais, a contrario, tout se passe comme si la mort pour ainsi dire ordinaire – mourir de maladie à l’hôpital – se présentait comme un phénomène lisse et évident, encadrée qu’elle est, en amont, par la médecine et, en aval, par le système capitaliste que représentent les pompes funèbres – et aussi par le bouddhisme, dont le premier geste post mortem consiste à effectuer le makuragyô, la récitation de sutras au chevet du défunt. Pourtant, brutale, unique et tragique, aussi insondable que la terrible solitude qui s’empare d’un marin jeté hors de son bateau par une nuit de tempête, la mort ordinaire, celle qui passe inaperçue, celle qui nous concerne, ne s’impose-t-elle pas à chacun comme l’événement par excellence ? C’est ce que vient, du moins, nous rappeler un beau roman autobiographique, Tokyo Tower. Okan to boku to, tokidoki oton (La tour de Tôkyô. M’man, moi et, de temps en temps, p’pa), du musicien et photographe Lily Franky. L’auteur y décrit, en des pages bouleversantes, les dernières heures de sa mère atteinte d’un cancer – moment redouté plus que tout depuis son enfance, “plus que l’arrivée des extraterrestres, plus que le dernier jour de la planète”. Prix des libraires 2006, plus de 2 millions d’exemplaires vendus à ce jour, les Japonais attendaient manifestement ce livre qui, prenant au sérieux la mort, nous réapprend à aimer la vie. I H 835 p.26 COURRIER INTERNATIONAL N° 835 26 l’association Vihara [en sanscrit, lieu de repos ou monastère] avec des moines de la préfecture, suivi des cours sur les soins aux personnes en fin de vie et, depuis, il accompagne des malades en tant que bénévole. Dans la ville d’Akita, chef-lieu de la préfecture, il existe une unité de soins palliatifs. M. Hakamata y retrouve des malades atteints de cancer en phase terminale dont on a interrompu le traitement. La première personne qu’il y a rencontrée était une vieille dame. Quand elle a appris que M. Hakamata était un moine zen de l’école Soto, elle n’a pas caché sa joie en expliquant que “le temple de sa famille, le Bodaiji, appartient également au courant zen”. Elle lui a raconté ses jeux dans l’enceinte du temple lorsqu’elle était enfant. Après la conversation, ils ont pris un café ensemble. Quand il l’a quittée, elle lui a dit avec un charmant sourire, sans doute heureuse d’avoir évoqué ses souvenirs d’enfance : “Vous m’avez fait beaucoup plus de bien que les piqûres de mon médecin.” “Je reviendrai”, lui at-il répondu. “Merci”, et sur ce elle s’est levée et l’a salué en inclinant la tête. Mais, le mois suivant, quand M. Hakamata est retourné à l’unité de soins palliatifs, elle était décédée. UN RECUL SPECTACULAIRE DU NOMBRE DE SUICIDES Les rencontres sans lendemain sont habituelles dans ce centre. Après avoir lutté contre leur maladie pendant des mois ou des années, les malades chérissent le peu de temps qui leur reste à vivre. Dans cette unité, M. Hakamata a profondément été touché par le fait que, derrière leur quotidien paisible, les malades s’efforcent d’apprivoiser la mort. “Comment faut-il vivre ?”“De quelle façon vivre pleinement sa vie jusqu’au bout ?” Les soins en phase terminale et la prévention du suicide sont intimement liés à ces questions, s’estil alors dit. Il était tout naturel pour M. Hakamata de s’occuper à la fois du centre et du café-club. DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 En réalité, il est difficile d’expliquer pourquoi les suicides étaient si nombreux à Fujisatomachi. On dit qu’ils étaient plus fréquents chez les personnes âgées habitant avec leurs enfants que chez les personnes isolées. On sait aussi que, quand la plantation du riz commence, les vieilles personnes sont plus fréquemment laissées seules à la maison, ce qui entraîne une multiplication des suicides. M. Hakamata ne peut pas oublier la fois où il a rendu visite à une famille pour psalmodier les sutras récités au chevet d’un mort. On ne lui avait rien dit sur la cause du décès. Mais quelque chose transparaissait derrière ce silence : il s’agissait d’un suicide. La famille cachait sa tristesse et surtout un sentiment de trouble. L’idée selon laquelle le suicide est considéré comme “une honte pour la famille” est encore aujourd’hui profondément enracinée chez les habitants de Fujisatomachi. Selon M. Hakamata, ils sont nombreux à considérer comme de la “délicatesse” le fait de ne pas évoquer le sujet. Il y a six ans, quand il a fondé son Club de réflexion sur la vie et le cœur des hommes, le suicide constituait un tabou inviolable à Fujisatomachi. Sous la pression silencieuse de la société locale, bon nombre de familles ne se permettaient pas de pleurer la disparition d’un proche. Le fait de ne pas oser se lamenter et de s’obliger à se conduire vaillamment rendait le travail de deuil très difficile. “Se donner la mort n’est pas honteux. Parler de la peine calme la douleur des proches, facilite la communication entre les habitants et devrait réduire le nombre de suicides”, assure M. Hakamata. En 2004, pour la première fois depuis dix-sept ans, Fujisatomachi n’a enregistré aucun suicide. En 2005, il n’y en a eu qu’un seul, tout comme en 2006. Le caféclub n’est pas un lieu où l’on parle spécialement du suicide, mais, quand une personne rencontre un problème, de n’importe quel ordre, la porte lui est toujours ouverte. Satoru Naga 835 p.27 31/10/06 14:08 Page 27 asie CHINE Le PCC s’assoit sur l’esprit olympique Les dirigeants communistes utilisent à plein la perspective des Jeux olympiques de Pékin pour divertir le peuple. Pourtant, la politique gouvernementale est aux antipodes des principes défendus par l’olympisme. DONGXIANG Hong Kong e 8 août 2006 étaient organisées à Pékin des festivités en grande pompe pour célébrer les deux années séparant la ville de l’ouverture des Jeux olympiques de 2008. Les autorités chinoises accentuaient ainsi d’un cran leurs efforts de promotion. Selon un communiqué de l’agence Xinhua, Pékin avait invité des “millions de citadins à des séances d’exercices matinaux pour fêter l’approche des JO”. Lors d’une conférence de presse donnée devant des journalistes étrangers, des dirigeants du comité d’organisation des Jeux de Pékin ont assuré qu’ils satisferaient les besoins des médias étrangers pendant toute la durée de la compétition, conformément à la demande du Comité international olympique (CIO) et aux usages en vigueur. Une telle déclaration contrastait fortement avec la sévère mise au pas décrétée récemment par le Parti communiste chinois (PCC) à l’encontre de la presse chinoise et des sites Internet. Les intentions du PCC sont pourtant claires. En se servant des Jeux pour alléger la formidable pression qui pèse sur le pouvoir du fait de son manque de légitimité, il cherche à prolonger son régime dictatorial. Comme si, grâce à cet heureux événement, il voulait conjurer le sort néfaste qui menace la dynastie en fin de règne de Zhongnanhai [siège du pouvoir]. Cette habitude de conjurer le sort par un heureux événement est une ancienne coutume chinoise, qui s’appliquait autrefois aux personnes gravement malades pour lesquelles on organisait un mariage dans l’espoir de lever le maléfice. La Chine est un pays au lointain passé où les superstitions de ce genre sont solidement ancrées dans la vie de tous les jours. L UTILISER LES JEUX POUR ÉTALER SA PUISSANCE La bulle de la croissance économique de la Chine populaire pourrait se transformer en un séduisant arcen-ciel, mais, à cause du refus délibéré du PCC d’engager des réformes politiques, la corruption ronge rapidement l’ensemble du groupe dirigeant, tandis que les tensions sociales et les affrontements ne cessent de s’aggraver et de prendre de l’ampleur. Le pouvoir espérait parvenir à maintenir la stabilité en renforçant la machine dictatoriale. Toutefois, il est arrivé à une situation où même les familles de militaires portent collectivement plainte contre l’Etat, où des officiers à la retraite organisent des mouvements de revendication de leurs droits, contraignant le tandem Hu Jintao – Wen Jiabao, respectivement chef du Parti communiste et du gouvernement et Premier ministre, à augmenter fortement les soldes des militaires afin d’acheter leur “loyauté”. Il ne faut pas se leurrer, la Chine actuelle est au plus mal. A cause du poison distillé depuis plus d’un demi-siècle par la culture du Parti et de sa mainmise durable sur le pouvoir, cette société a perdu toute capacité à se rétablir. Dans de telles circonstances, comment les détenteurs du pouvoir, aux prises avec de nombreuses difficultés sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur, auraientils pu laisser passer la si belle chance que constitue l’organisation des Jeux olympiques ? Ils s’en servent pour attiser la fierté nationale et, en détournant l’attention de l’opinion publique, libèrent celle-ci de sa sensation d’étouffement. Les JO sont l’occasion de mobiliser la société, de déplacer différentes crises intérieures et de relâcher la corde tendue sur le point de rompre… Tout cela n’est-il pas la manière moderne de conjurer le sort par un heureux événement ? Que ce soit en menant campagne pour remporter l’organisation des futurs JO ou en fêtant la sélection de Pékin comme ville organisatrice en 2001, le PCC a toujours mené de savants calculs politiques. Le compte à rebours enclenché en grande pompe à deux ans de l’échéance était l’une des machines de guerre destinées à permettre à la Chine, cette vieille Dessin de Goma paru dans El Mundo, Madrid. guimbarde roulant à toute vitesse de façon incontrôlée, d’éviter de se renverser. L’agence officielle Xinhua a ainsi cité un extrait de l’éditorial du Jiefangjun Bao, le journal de l’Armée de libération. Celui-ci, intitulé “Accueillons les Jeux olympiques comme la grande puissance que nous sommes !”, exprimait des sentiments extrêmes, ce qui montre que l’on est tombé d’un complexe d’infériorité dans un complexe de supériorité. Cela prouve que le peuple chinois a urgemment besoin d’une psychothérapie. Se servir des JO pour faire étalage de sa qualité de “grande puissance” est révélateur du fond de la pensée des autorités chinoises. Un tel état d’esprit va complètement à l’encontre de l’olympisme ! Comme chacun sait, celui-ci repose sur le caractère universel des Jeux, la diversité des sports pratiqués, l’amateurisme des athlètes et la coopération amicale entre les peuples, l’ensemble étant destiné à promouvoir la paix dans le monde et à faire CHRONOLOGIE Vers les Jeux Juillet 2001 Les XXIX es Jeux olympiques sont attribués à la Chine. soumettant à la censure les informations diffusées par les médias étrangers en Chine. 8 août 2006 Octobre 2006 La Chine célèbre les deux ans jour pour jour qui la séparent de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Le Comité central du Parti communiste chinois, réuni en plénum, entérine la politique en faveur d’une “société harmonieuse” de son secrétaire général, Hu Jintao. Septembre 2006 Règlement gouvernemental chinois COURRIER INTERNATIONAL N° 835 27 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 disparaître l’incompréhension mutuelle entre les races. Les principes de fair-play, de solidarité et de paix qu’incarne l’esprit olympique sont universellement reconnus comme les symboles de la civilisation moderne. Or le PCC agit et se comporte de façon tout à fait contraire à cet esprit. Avoir accordé l’organisation des JO au pouvoir communiste, cet ennemi de la civilisation moderne, constitue déjà en soi une violation de l’esprit olympique ! Beaucoup ont approuvé cette décision avec l’espoir nourri de bons sentiments que cela favoriserait la diffusion de l’esprit olympique en Chine ou que cela contribuerait à aider la Chine à achever sa mutation sociale et à s’intégrer dans la civilisation mondiale moderne. UNE SOUILLLURE HISTORIQUE COMME EN 1936 Le problème est que le PCC est l’une des plus grandes formations politiques au monde à s’appuyer sur l’idéologie et que, à ses yeux, l’organisation des JO doit lui permettre de changer le monde, ou du moins de parvenir à ses fins sous le couvert du sport. Si c’était le cas, l’humiliation qu’infligerait le PCC aux Jeux olympiques ne serait en rien inférieure à la souillure historique dont le mouvement nazi d’Hitler a entaché les JO de 1936. ■ 835 p.28-29 31/10/06 14:31 Page 28 m oye n - o r i e n t ● ARABIE SAOUDITE La société bouge, les religieux pas encore Face aux bouleversements induits par l’ouverture du pays, la classe religieuse refuse d’évoluer. Un célèbre éditorialiste saoudien critique avec virulence cette attitude. AL-ITTIHAD Abou Dhabi e qui se passe en Arabie Saoudite s’explique par la contradiction entre la pensée religieuse et la réalité sociale. La société a connu une vague de changements sociologiques considérables depuis que les modes de vie ont été révolutionnés par un niveau de vie jamais atteint auparavant. Les structures sociales ont été bouleversées, l’enseignement n’a plus rien à voir avec ce qu’il était il y a un demi-siècle et nos valeurs se sont heurtées à des défis sans équivalent. De même, nous nous sommes ouverts sur l’étranger, à travers les chaînes de télévision satellitaires et Internet, le tourisme et l’envoi d’étudiants à l’étranger, les contacts économiques, politiques et universitaires. Tout cela a un impact sur notre société, et il est normal que cela provoque des remous. Or les religieux sont terrorisés par les conséquences de cette vague de changements. Ils sont incapables d’assimiler la réalité et restent prisonniers du passé. C Chaque année, au mois de ramadan, se répète la campagne d’hostilité contre le feuilleton télévisé Tash ma tash [Ça passe ou ça casse, diffusé pour la première fois en 1993]. Certains de ses acteurs ont fait l’objet d’attaques virulentes dans les mosquées et sur Internet. On est allé jusqu’à dire que ce feuilleton transgressait la doctrine religieuse. Pour qui veut bien les examiner avec un minimum d’objectivité, Dessin paru dans The Economist, Londres. ILS RISQUENT D’ENTRAÎNER LE PAYS VERS L’ABÎME Le scénario, le jeu des acteurs, la crédibilité des personnages ou encore le décor peuvent faire l’objet de critiques, mais, en Arabie Saoudite, celles-ci sont purement idéologiques. Elles révèlent que certains n’ont pas encore compris que l’art est une des principales sources de transformation sociale. Cela s’explique aussi par l’absence de professionnels de la critique artistique. Aussi les seuls commentaires que l’on peut entendre à propos d’une œuvre proviennent-ils des religieux, qui n’ont pourtant aucune compétence en la matière.Tous les sujets peuvent faire l’objet de débats.Tout peut être soumis à des considérations doctrinales religieuses, puisqu’il faut respecter la liberté d’opinion et de pensée. Mais les religieux ont une attitude dogmatique qui interdit tout débat. A les en croire, ils sont les garants de la religion et de la vertu, et tous ceux qui ne partagent pas leur avis sont des ennemis de la religion, des propagateurs du mal et de l’hérésie. Le problème des religieux, c’est qu’ils refusent l’idée selon laquelle l’Histoire va de l’avant et n’a aucune LES DÉFENSEURS DE FOI TIENNENT À LEURS PRIVILÈGES Parmi les sujets qui agitent notre pays en ce moment, la femme occupe une place centrale. Le voile, le droit de conduire et la possibilité de travailler pour celles qui le souhaiteraient figurent parmi les préoccupations majeures. Certains demandent la démission du ministre du Travail, Ghazi Gosaïbi, auquel ils reprochent ses efforts pour offrir plus de possibilités de travail aux femmes. Il y a également la réforme des manuels scolaires ainsi que des attaques contre le ministre de l’Information, Iyad Madani, en raison de l’ouverture de la télévision saoudienne [voir l’article ci-contre]. A cela s’ajoute leur résistance à la codification de la loi religieuse [ou charia, ce qui restreindrait la marge d’interprétation des sources historiques par les jurisconsultes et restreindrait donc leur rôle], leur rejet des idées démocratiques et de la participation politique. Cela s’explique en premier lieu par leur aversion pour tout ce qui est nouveau. La pensée religieuse traditionnelle stipule l’obéissance au pouvoir en place et se méfie de l’esprit critique, parce qu’elle craint par-dessus tout que la communauté des croyants se divise. Et ses tenants redoutent, bien sûr, que le débat critique remette en question leur rang et leurs privilèges financiers et politiques. L’idée d’obéissance au pouvoir en place est lourde de sens, puisque la légitimité du pouvoir et celle des théologiens sont liées, l’une et l’autre formant les deux faces d’une même médaille. toutes ces accusations sont sans fondement. Tash ma tash, à l’instar des religieux, bénéficie d’une grande popularité. Comment réconcilier la popularité du premier avec celle des seconds ? Les religieux ne se posent pas la question, ce qui reviendrait à reconnaître implicitement la légitimité populaire de ce feuilleton. raison de s’arrêter à telle ou telle époque. Ils sont incapables d’analyser la réalité et ne savent réagir que par le rejet et l’invective. Cela explique leur crispation et leurs réactions épidermiques démesurées. La pensée religieuse, si elle peut encore s’appuyer sur le prestige de la religion et des sciences religieuses, est en fait dépassée et risque d’entraîner la société vers l’abîme. Khaled Al-Dakhil POLÉMIQUE Anticléricalisme ■ “Comme dans tout pays, les hommes de religion forment une classe sociale en Arabie Saoudite. Cette classe a ses propres institutions, ses propres centres d’enseignement, ses propres références culturelles, son propre langage, ses propres façons de penser et d’envisager le monde”, écrit Khaled AlDakhil dans un de ses éditoriaux du quotidien Al-Ittihad. Cette classe est prise à partie par une récente pétition publiée sur le site <metransparent.com> et signée par 160 intellectuels saoudiens. “Nous exprimons le refus populaire de la tutelle et du terrorisme intellectuel qu’exerce une catégorie sinistre de la société à l’encontre du ministre de l’Information”, écrivaient-ils, adressant par ailleurs des louanges au ministre pour sa “politique relativement tolérante à l’égard des médias et le dynamisme nouveau que connaît la scène culturelle saoudienne”. TÉLÉVISION Une série qui se moque des intégristes ■ Cette année encore, pendant le ramadan, le feuilleton Tash ma tash [Ça passe ou ça casse] a fait un tabac et a rassemblé la moitié des Saoudiens devant le petit écran. Certains le détestent, d’autres l’adorent, ce qui prouve qu’il y a une pluralité d’opinions. Comme tous les ans, il a été le grand sujet de discussion entre amis et dans la presse, provoquant des débats dont nous avons désespérément besoin. Le nombre d’articles consacrés à la série est surprenant. Si elle suscite un tel intérêt, c’est parce qu’elle adopte une liber té de ton jamais vue auparavant. Aux débuts de la télévision saoudienne, quand il n’y avait qu’une seule chaîne, les gens regardaient toutes les émissions avec scepticisme. Les chanteuses n’étaient pas autorisées ; les films étrangers et arabes étaient remontés de telle façon que leurs créateurs ne les auraient probablement pas reconnus. Puis les satellites ont fait leur apparition et ont mis fin au monopole de la télévision saoudienne. Les gens se sont alors tournés vers les programmes télévisés étrangers. Tash ma tash a été une façon intelligente de ramener les gens vers la télévision saoudienne, en leur donnant la possibilité de se reconnaître dans les questions qu’elle aborde, à savoir l’extrémisme religieux, les déficiences du système d’éducation saoudien et la discrimination à l’égard des femmes, sujets qui étaient auparavant tabous. Parmi les épisodes les plus commentés, il y a celui qui aborde la conduite automobile des femmes [actuellement interdite en Arabie Saoudite]. Dans l’épisode, les personnages en viennent à se demander si les femmes ont le droit de monter un âne. Et, si oui, faut-il qu’elles se limitent à des ânesses ? Et dans ce cas, doivent-elles se dissimuler sous une sorte de tente ne comprenant qu’une minuscule ouverture pour qu’elles puissent regarder devant elles ? Les scénaristes ont poussé plus loin l’absurde, en faisant dire à des extrémistes qu’on pourrait éviter beaucoup de problèmes en obligeant les femmes à vivre dans COURRIER INTERNATIONAL N° 835 28 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 des villes qui leur seraient réservées et à ne voir leur mari qu’une fois par semaine. Un autre épisode s’est intéressé à la possibilité d’implanter les écoles de filles à côté des écoles de garçons. Là encore, on s’en prend au discours conservateur. On fait dire à des religieux que la proximité présente décidément des dangers et qu’il faut donc installer les écoles de filles loin de celles de garçons, en veillant à la direction du vent afin que les odeurs des jeunes filles ne soient pas portées vers l’école des garçons, ce qui risquerait d’enflammer leurs ardeurs. Pour finir, on décide également d’avoir des rues réser vées aux filles et d’autres réservées aux garçons. Cette caricature n’est pas venue à bout des segments conservateurs de notre société et a donné lieu aux habituels appels à la censure. Néanmoins, une fois que les gens ont goûté à la liber té, ils n’acceptent plus ce genre de pratiques du passé. Abeer Mishkas, ArabNews, Djeddah 835 p.28-29 31/10/06 14:32 Page 29 m oye n - o r i e n t SYRIE Pèlerinage très politique à Sayida Zaynab A la faveur de l’alliance avec l’Iran, le faubourg de Damas où est enterrée la petite-fille de Mahomet est devenu un lieu où affluent les chiites. Depuis la chute de Saddam Hussein, les Irakiens y viennent en nombre. vaillent dans les agences de voyages. D’autres ont réalisé des gains considérables en louant des appartements. C’est surtout la population originaire de ce quartier qui en a profité. AL-HAYAT Londres ohamed est un jeune Irakien qui vit à Sayida Zaynab depuis dix ans, après avoir fui le régime de Saddam Hussein. Sa famille possède une maison dans ce faubourg situé à 7 kilomètres au sud-est de Damas, où les loyers sont aussi élevés que dans les quartiers les plus huppés de la capitale. Il est aussi propriétaire de sa propre échoppe dans le souk des Irakiens, donnant sur une immense place poussiéreuse, où les marchands irakiens revendent des produits bon marché de leur pays, tels que le cuir ou les dattes. Ce marché a pris son essor bien avant la chute de Bagdad, en avril 2003, mais il a aujourd’hui de telles dimensions qu’il concurrence ceux du centre de Damas. Le coût d’un emplacement en face du mausolée de Sayida Zaynab s’élève maintenant à environ 300 000 livres syriennes [4 700 euros] pendant les mois d’été, tandis que la location d’un appartement dans les environs de ce mausolée coûte entre 1 500 et 2 500 livres syriennes par jour [de 24 à 40 euros]. Quelque peu gêné par le brouhaha de la foule qui se presse sur la place, Mohamed explique que le nombre de visiteurs irakiens est en constante augmentation, non plus pour fuir la dictature ou pour vendre des dattes, mais pour faire le pèlerinage au mausolée de Sayida Zaynab, petite-fille de Mahomet [et fille d’Ali, quatrième calife et figure fondatrice du chiisme]. D’emblée, ce quartier fait penser à une ville irakienne : l’accent et le M TOUT LE MONDE VEUT PROFITER DE L’AFFLUX DES TOURISTES physique des habitants, les restaurants, qui servent toute sorte de mets irakiens, ou encore les femmes toutes de noir vêtues. Mais on y rencontre aussi des [pèlerins chiites] iraniens, libanais, bahreïnis et pakistanais. Selon le maire, Adel Anouz, le nombre de pèlerins avoisine le million chaque année, ce qui a complètement bouleversé la structure sociale de la ville. Toujours selon M. Anouz, elle abrite désormais 150 000 habitants, sans compter ceux du camp de réfugiés palestiniens situé à proximité. Bon nombre de ses concitoyens se sont reconvertis dans les services aux pèlerins pieux et pauvres ou tra- Mais il y a aussi les autres, les réfugiés palestiniens, dont le camp se distingue par ses maisons insalubres bien qu’il se situe à proximité de la zone commerciale, et les exilés venus du Golan en 1967, dont le nombre est estimé à 12 000. Les familles vivant à la périphérie du quartier, et initialement exclues des bénéfices du tourisme religieux, tentent néanmoins de s’en sortir. C’est le cas notamment d’Abou Yassine, qui a installé sa famille pendant un mois sur le toit de sa modeste maison pour pouvoir louer les chambres à une famille irakienne. D’autres se débrouillent pour obtenir auprès de la mairie un emplacement stratégique sur un trottoir afin de vendre des bricoles aux pèlerins.Tous attendent l’été – la saison la plus juteuse, qui voit arriver les touristes originaires des pétromonarchies du Golfe. Dessin paru dans Adineh, Téhéran. EXIL Retrouvailles irakiennes au Caire ■ Parmi les innombrables Irakiens de toutes confessions qui ont fui les violences de leur pays, beaucoup se retrouvent en Egypte. En l’absence de chiffres officiels, on estime que leur nombre est passé d’environ 800 avant 2003 à plusieurs dizaines de milliers aujourd’hui. Mohand est sunnite, mais originaire de Bassorah, dans le Sud chiite de l’Irak. Il a fui les persécutions confessionnelles. Quant à Hussein, il est chiite de Bagdad et a fui le chaos qui frappe aveuglément tous les habitants de cette ville. Tous deux appartiennent à cette communauté d’Irakiens qui, dans une des banlieues du Caire, se côtoient dans les immeubles où ils se regroupent afin de garder leurs coutumes et parler entre eux dans leur dialecte. En plus de la difficulté qu’il y a à trouver un gagne-pain dans cette Egypte rongée par le chômage, ils doivent se débrouiller pour placer leurs enfants dans une école privée et faire prolonger leurs titres de séjour. La plupar t des Irakiens par tent d’abord en Syrie par la route et arrivent ensuite en Egypte par avion avec un visa de tourisme. Selon certains témoignages, un tel visa peut coûter jusqu’à 2 500 euros, bien qu’il ne soit valable que trois mois. Cette vague d’immigration irakienne sur les bords du Nil n’est pas la première. Durant la guerre Irak-Iran, de 1980 à 1988, nombreux étaient ceux qui avaient fui un pays déjà dévasté par la dictature et la guerre. Mais c’est dès 1958, après le renversement du roi Fayçal à Bagdad, qu’une première vague de réfugiés était arrivée au Caire. Parmi eux, un jeune homme dénommé Saddam Hussein y était resté jusqu’en 1963, date du premier coup d’Etat baasiste. Mohamed Moustafa et Iman Ali, Asharq Al-Awsat (extraits), Londres COURRIER INTERNATIONAL N° 835 29 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 Selon Abou Samer, âgé de 48 ans, qui a réussi dans les affaires en s’associant à des marchands de tissu iraniens, l’essor de la ville grâce au tourisme religieux relève du pur hasard. “Lorsque les réfugiés originaires du Golan sont arrivés ici, après la guerre de juin 1967, il n’y avait dans la région que des fermes et des vergers. Le terrain y était très bon marché, et personne ici n’imaginait que ce mausolée pouvait attirer autant de monde.Tout cela n’a changé qu’au milieu des années 1980. C’est alors seulement que les Iraniens ont découvert l’intérêt qu’il y avait à développer le tourisme religieux de masse à cet endroit”, explique-t-il. C’est d’ailleurs à cette époque que l’Iran et la Syrie ont commencé à mettre en place leur alliance régionale autour du soutien au Hezbollah libanais, lui aussi chiite. Mohamed Al-Akhdar W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com *835 p30 31/10/06 14:34 Page 30 afrique ● R É P U B L I QU E D É M O C R AT I QU E D U C O N G O Quand le Kivu vote pour la paix Dans les régions orientales de la RDC, qui sont particulièrement instables, les électeurs ont été nombreux à se rendre aux urnes le 30 octobre pour choisir leur nouveau président. Choses vues. LE SOIR Bruxelles éjà sollicités lors du référendum constitutionnel et du premier tour de la présidentielle, les Congolais seraient-ils devenus blasés ? Habitués en tout cas aux consultations électorales, à tel point que ce dernier scrutin a gagné en organisation ce qu’il a perdu en affluence. [Les Congolais devaient choisir le 30 octobre entre les deux candidats arrivés en tête du premier tour de la présidentielle, Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba. En juillet, Kabila, le président en exercice avait obtenu 44 % des suffrages, contre 20 % pour Bemba. Les résultats définitifs du second tour devraient être connus dans trois semaines.] A Goma, les électeurs de la ville, qui en juillet se pressaient avant l’aube devant les bureaux de vote, sont cette fois allés d’abord à l’église ou au temple. Comme toutes les confessions relig ieuses avaient avancé l’heure des offices, c’est vers 10 heures que les files ont commencé à se former. Calmes, respectueux les uns des autres, les électeurs se sont alignés en silence, surveillés par des policiers débonnaires qui se sont bien abstenus cette fois de solliciter le moindre matabiche [bakchich]. Dans les bureaux de vote, le choix du futur président – une simple croix à mettre à côté d’un visage – est une formalité expédiée rapidement et sans états d’âme. En revanche, la désignation des élus à l’Assemblée provinciale s’avère plus ardue, car les visages des candidats s’étalent sur six pages. D “KABILA VA RAMENER LES BLANCS POUR NOUS AIDER” Paluku Boaze, chef de centre à Jiwe, un hameau installé à même la coulée de lave, reconnaît que les électeurs ont souvent sollicité son aide. “Analphabètes ou souffrant d’une vue déficiente, ils ne distinguent ni les noms ni les partis. S’ils savent pour qui ils veulent voter, je désigne alors trois témoins qui les assistent dans l’isoloir, en veillant à ce qu’il n’y ait pas de tricherie.” Vigilance et transparence… Tels sont les maîtres mots des témoins, bien plus nombreux que lors du premier tour, qui se serrent sur les bancs d’école. Ils sont envoyés par les différents partis, les groupes religieux, les organisations de la société civile. Dans certains centres, ils sont tellement nombreux qu’ils ne sont admis dans les bureaux qu’à tour de rôle.Tous sont volontaires, bénévoles et, présents depuis 5 heures du matin, ils s’apprêtent à passer la nuit à surveiller le dépouillement. Leur zèle sera récompensé : ils seront les premiers informés des résultats de Dessin de Glez paru dans le Journal du jeudi, Ouagadougou. Scrutin historique L’élection qui s’est déroulée entre juillet et octobre 2006 en république démocratique du Congo est le premier scrutin pluraliste et libre depuis plus de quarante ans dans cette ex-colonie belge. L’organisation de la consultation a coûté plus de 500 millions de dollars à la communauté internationale. leurs bureaux respectifs, qu’ils communiqueront alor s à leur s organisations. Comment peut-on vouloir vivre au pied du volcan Nyiragongo, comment peut-on y voter ? En 1938, puis dans les années 1970 et enfin en 2002, une coulée de lave submergea le village, les cultures, et les habitants, qui avaient tout perdu, fuirent jusqu’au Rwanda. Ils y restèrent deux jour s puis, sur la boue encore fumante, se réinstallèrent. Aujourd’hui, des bananiers poussent dans les anfractuosités et, pour avoir de l’eau potable, les habitants doivent se rendre à Goma, à 8 kilomètres d’ici, car les sources sont polluées ; à tout moment, des groupes armés viennent leur voler quelques biens, recruter les garçons pour la guerre, les filles pour d’autres services. Le bureau de vote se compose de quelques planches plantées sur la lave, mais il y a des listes, des isoloirs, une organisation impeccable. Qu’espèrent ces gens pauvrement vêtus, qui attendent sous le soleil ? Deux mots-clés fusent : “amani” [paix en swahili] et “maendeleo” [développement].Valentin, un garçon qui a déjà été recruté plusieurs fois par les milices, ajoute, approuvé par ses compagnons de file : “Nous allons voter pour celui qui a déjà commencé à construire la paix.” Même son de cloche à Nyabyunyu, près du lac Vert : Jean-Claude et Adrien – l’un maçon, l’autre électricien – espèrent que les élections les mèneront à la paix, leur donneront enfin du travail. “Nous en avons assez de rester à la maison et l’agriculture ne suffit pas.” Dans ces campagnes hantées par la guerre, dévastées par les caprices de la nature, où les réfugiés hutus détruisirent champs et forêts avant de s’enfuir ou de rentrer au Rwanda, le président Joseph Kabila incarne sans conteste la volonté de paix qui hante tout le monde. Un vieil homme ajoute : “En plus, lui, il ramènera les Blancs pour nous aider.” A Mugunga, où les cultures ont désormais remplacé l’ancien camp de réfugiés hutus, Sara Chisanye ne se contente pas de commenter le scrutin présidentiel. Pour elle, les élections provinciales sont tout aussi importantes : il faut choisir des gens qui aideront les pauvres, qui rétabliront le système judiciaire. “Par trois fois, mon fils a déjà été dépossédé de sa parcelle, tout simplement parce qu’il ne pouvait pas payer le juge.” Safari Bahati, lui, espère la sécurité : démobilisé, il n’a jamais touché la prime promise, et son petit frère a été recruté de force par un chef de guerre, Laurent Nkunda. “Si je n’ai rien pour vivre, moi aussi je vais devoir rejoindre un groupe rebelle.” Colette Braeckman W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com A N A LY S E Une élection loin d’être jouée d’avance L’issue de la présidentielle reste ouverte. Principal facteur d’incertitude : le taux de participation, estime l’éditorialiste du Potentiel de Kinshasa. insi, tôt le matin, malgré le temps capricieux, les Congolais se sont rendus aux urnes pour accomplir leur devoir civique. Ils se sont longtemps préparés à cette élection en vue de donner un sens à leur vote. Un vote utile, qui doit départager les deux candidats à la présidentielle 2006. Le peuple congolais a donné au monde une belle leçon de civisme, de dignité et de responsabilité. Il ne reste plus qu’à attendre le dépouillement et la proclamation des résultats. Des moments délicats, car il suffit de l’amplification d’une rumeur ou d’une mauvaise manipulation des chiffres pour faire renaître la violence. Qui, de Joseph Kabila ou de Jean-Pierre A COURRIER INTERNATIONAL N° 835 30 Bemba, l’emportera ? La question est difficile, et pour en savoir plus il faudra attendre les premiers résultats de la Commission électorale indépendante. Tout va se jouer sur le taux de participation. Lors du premier tour, le 30 juillet 2006, le taux de participation avait été de 75 % des personnes enregistrées (c’est-à-dire celles qui avaient obtenu leur car te d’électeur). Soit 25 millions d’électeurs. Ce chiffre serat-il dépassé ? A analyser certaines données, on doute for t que l’on atteigne ce plafond. La campagne du second tour a en effet été plutôt terne, ce qui n’a pas permis une grande mobilisation des populations. Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba n’ont pas quitté la capitale, essentiellement pour des raisons de sécurité. La peur les a contraints à mobiliser leurs troupes à partir de leurs bureaux ou états-majors. Au-delà, ils n’ont pas DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 permis à la population congolaise de prendre connaissance de leur programme d’action et de leur projet de société. D’autre part, une partie de ceux qui avaient donné leur voix à certains candidats malheureux du premier tour ne se sont pas donné la peine de se rendre une seconde fois aux urnes. Par fidélité. Pour finir, certaines alliances électorales scellées entre les deux tours n’ont pas forcément convaincu les électeurs. Le respect des consignes de vote est loin d’être acquis d’avance. Le sor t de Joseph Kabila et de JeanPierre Bemba se jouera sur le taux de par ticipation. Il faut donc attendre dans le calme la proclamation des résultats par tiels par la Commission électorale indépendante. On espère que la CEI le fera dans un délai assez cour t, afin d’éviter des spéculations por teuses de violences. Le Potentiel, Kinshasa 835p31 31/10/06 14:10 Page 31 afrique C E N T R A F R I QU E L’écotourisme au secours du “peuple de la forêt” Aux frontières du Centrafrique, du Cameroun et du Congo, des parcs nationaux ont été récemment créés. Les Occidentaux y viennent observer les gorilles. Et apporter une manne financière inespérée aux Pygmées. THE NEW YORK TIMES New York BAYANGA, RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Dessin a première chose qu’on vous dit ici, c’est de ne pas jouer avec les éléphants ou les gorilles. Une jeune Italienne s’est fait réduire en bouillie par un jeune éléphant mâle qui voulait jouer avec elle. Approchez-vous un peu trop des gorilles et vous vous ferez charger par un mâle “dos argenté” de 190 kilos ; si vous avez de la chance, il s’arrêtera à quelques centimètres de vous et frappera le sol de rage. Si vous ne pouvez pas jouer avec les animaux, vous pouvez les regarder – et aucun lieu au monde ne s’y prête aussi bien que cette jungle reculée qui s’étend sur la République centrafricaine, le Cameroun et la république du Congo. Ces trois pays viennent de joindre leurs forces pour la préserver en créant des parcs nationaux voisins. Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une tendance qui mérite le soutien de l’Occident : les pays pauvres s’efforcent désormais de se créer des perspectives économiques en protégeant la nature plutôt qu’en la pillant. L’entreprise menée en Centrafrique est sans doute la plus ambitieuse et la plus improbable, car ce pays est dans un triste état : l’espérance de vie y est de 38 ans et chute de six mois tous les ans, un enfant sur cinq meurt avant l’âge de 5 ans et le gouvernement n’a aucune réalité hors de la capitale. Si nombre de parcs nationaux africains n’existent que sur le papier, celuici est bien réel. Les gardes patrouillent activement et traquent les braconniers au-delà des frontières. Ils ont saisi 70 000 pièges rien que l’année dernière. C’est le seul endroit du monde où l’on peut encore voir des gorilles des plaines de l’Ouest (qui sont encore plus discrets que les gorilles de montagne du Rwanda). Avec un étudiant en journalisme qui m’a accompagné, L de Kazanevsky, Ukraine. j’ai passé deux heures avec treize gorilles. Nous sommes restés à plus de 10 mètres, mais à un moment notre guide s’est figé et nous a murmuré qu’une femelle demandait au “dos argenté” de nous charger. Heureusement, celui-ci a adopté l’attitude classique du mari confronté aux exigences de sa femme : il a fait semblant de ne pas avoir entendu. MOINS DE 1 000 VISITEURS ÉTRANGERS PAR ANNÉE Cette entreprise est soutenue par le Fonds mondial pour la nature (WWF). L’organisation a une équipe, composée entre autres de volontaires américains, qui traîne avec les gorilles toute la journée pour les habituer à la présence de l’homme. Or c’est un équilibre délicat à atteindre : les touristes risquent d’apporter des maladies mortelles pour les animaux. Et les dos argentés auront peut-être du mal à convaincre les femelles de rejoindre leur harem s’il y a des hommes autour. Nombre d’Africains sont hostiles aux parcs nationaux, en partie parce que ceux-ci consacrent de vastes ressources à la préservation des animaux pour le plaisir des étrangers riches – alors que la vie des gens du coin tient souvent à quelques dollars. AoukAoukalé TCHAD BahrOulou SOUDAN Manovo-GoundaSt-Floris** KoukourouBamingui* Bouar Aire protégée transfrontalière Berberati Zémongo RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Courrier international Gribingui Bamingui* OuandjaVakaga André Felix Yata-Ngaya Awakaba BaminguiBangoran* NanaBarya Cependant, si les gorilles parviennent à attirer les riches Occidentaux, l’écotourisme deviendra peut-être un atout économique plus durable que la déforestation sauvage. Le parc reçoit pour le moment moins de 1 000 étrangers chaque année. “Dans le passé, on s’est trompé”, confie Chloe Cipolletta, une Italienne qui vit avec les gorilles depuis neuf ans. Il est indispensable que les programmes de protection bénéficient à la population locale autant qu’aux animaux. Le WWF a donc engagé 31 Pygmées Bibayagas pour jouer les pisteurs et les guides, et les autres peuvent gagner de l’argent en montrant aux touristes comment capturer les antilopes au filet. Je suis arrivé ici de nuit après avoir franchi une rivière en canoë à partir du Cameroun et crapahuté jusqu’à un village pygmée. On me conduit à quelqu’un que je prends pour le chef local, jusqu’à ce qu’il sorte de la pénombre : c’est un grand Blanc qui me salue dans un anglais très américain. Louis Sarno, Bambari Bangui DzangaSangha CA M ER CONGO O UN DzangaNdoki BasseLobaye* Oubangui RÉP. DÉM. DU CONGO Parc national * Réserve de biosphère. ** Site du patrimoine mondial Réserve de faune 0 200 km Réserve à statut particulier COURRIER INTERNATIONAL N° 835 31 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 du New Jersey, a entendu un jour de la musique pygmée à la radio ; fasciné, il s’est rendu sur place – c’était il y a vingt ans – et il est resté. Sarno a épousé une femme du cru et appris sa langue. Il a des crises de paludisme, va chasser dans la jungle pendant des semaines avec les autres et s’intègre parfaitement (si ce n’est qu’il est nul au javelot). C’est désormais un défenseur farouche du “peuple de la forêt”, comme les Pygmées préfèrent souvent être appelés. Sarno fait remarquer que la déforestation a profité aux dirigeants corrompus sans rien apporter aux autochtones. L’écotourisme est selon lui le meilleur espoir de développement économique pour les gens du coin. L’Afrique est parfois un triste continent et les informations n’évoquent habituellement que génocides, corruption et maladies. Mais ce rêve audacieux de préserver la forêt et le mode de vie de ses habitants montre que l’Afrique se bat pour perpétuer sa splendeur. Nicholas D. Kristof 31/10/06 16:18 Page 32 e n c o u ve r t u re ● Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, Cuba. BUSH FACE À LA DÉROUTE ■ Et si les démocrates remportaient les élections législatives du 7 novembre ? La presse américaine l’envisage désormais sérieusement. ■ Pour beaucoup, la majorité semble leur être acquise à la Chambre des représentants. Et certains pensent que le Sénat pourrait également basculer. ■ Bush et son équipe ont en effet déçu leurs partisans, y compris dans l’armée et dans les milieux chrétiens, qui donnent traditionnellement leurs voix aux républicains. Pour ce qui est des démocrates, ils auront su avant tout profiter des effets désastreux de l’interminable aventure irakienne. Scénarios pour une fin de règne Une victoire des démocrates compliquerait sérieusement les deux dernières années du second mandat du président. Notamment en raison des enquêtes qu’ils pourraient lancer sur son gouvernement. THE WASHINGTON POST Washington S WEB+ Plus d’infos sur courrierinternational.com Les résultats des élections américaines et les meilleures analyses dès le 8 novembre. contrôler les actions de l’administration Bush, alors que les démocrates sont impatients de réexaminer une série de questions, comme la visite de responsables d’Exxon, de Shell Oil ou de BP America à la Maison-Blanche, venus discuter avec les assistants de Dick Cheney chargés d’élaborer une politique nationale de l’énergie, le scandale du lobbyiste Jack Abramoff ou encore les préparatifs de la guerre en Irak. “Il est évident que cela changera profondément les choses”, admet Charles Black, un lobbyiste républicain lié à la Maison-Blanche. “L’Histoire nous enseigne que les gouvernements ont toujours beaucoup de mal à mettre en œuvre leurs projets au cours des deux dernières années de leur mandat. Je pense que le président présentera un bon catalogue d’idées et se montrera aussi combatif que possible.” Mais Black ajoute aussitôt qu’avec une majorité démocrate dans l’une ou l’autre des Chambres, et à plus forte raison dans les deux, les choses pourraient être autrement plus difficiles. “Bush perdrait le contrôle de son agenda”, pronostique Steve Elmendorf, ancien conseiller auprès du groupe démocrate de la Chambre des représentants. “Il serait alors dans l’obligation de prendre une décision. Sera-t-il prêt à faire des compromis et à travailler de manière construc- moins en privé qu’ils se préparent à une telle éventualité, de plus en plus probable à leurs yeux. Pendant ce temps, les chefs démocrates se concertent pour envisager ce qu’ils feront au cas où les électeurs les remettraient en selle. Enhardis par leur victoire et animés d’une vive rancœur en raison de ce qu’ils ont vécu durant des années, les démocrates pourraient bloquer les projets de Bush, le forcer à se positionner par rapport à leurs propres propositions et placer la présidence sous une surveillance constante. Une victoire démocrate, estiment les analystes des deux partis, pourrait signifier qu’une partie des réductions d’impôt décidées par Bush ne seraient pas renouvelées, que ses tentatives de faire passer son plan de réforme des retraites seraient enrayées et que les projets visant à renforcer le pouvoir des agences de la sécurité nationale – projets qui suscitent l’inquiétude grandissante de l’opinion – seraient mis en échec. Mais le principal souci de la Maison-Blanche concerne la possibilité de pouvoir lancer des enquêtes sur l’action du gouvernement dont disposeraient les démocrates s’ils obtenaient la majorité au Sénat ou à la Chambre des représentants. Depuis des années, les républicains font preuve d’une extrême déférence dans leur manière de SIX ANS DE DÉGRINGOLADE Cote de popularité de George W. Bush (en %) Attentats du Chute du régime taliban 11 septembre 2001 en Afghanistan Début de la guerre 90 % en Irak Arrestation de Saddam Hussein 80 RÉÉLECTION À LA MAISON-BLANCHE 70 60 Ouragan Katrina 50 Elimination d’Abou Moussab Al-Zarqaoui 40 30 20 2001 2002 COURRIER INTERNATIONAL N° 835 2003 32 2004 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 2005 2006 Source : Gallup ur les bureaux de l’aile ouest de la Maison-Blanche, les horloges égrènent le nombre de jours et d’heures qui restent avant la fin de la présidence de George W. Bush. Pour l’entourage du président, elles sont autant de rappels à utiliser le temps qui reste de façon aussi efficace que possible. Aujourd’hui, mardi 31 octobre, les horloges affichent 812 jours, mais, si les élections se déroulent conformément aux prévisions des experts et des instituts de sondages, elles pourraient aussi bien indiquer le chiffre 7. Cette échéance pourrait en tout cas marquer pour George W. Bush la fin de sa présidence telle qu’il l’a vécue jusqu’ici. Car, si les démocrates, emportaient le 7 novembre la majorité dans l’une des deux Chambres du Congrès, la nouvelle donne modifierait profondément la fin de son mandat et bouleverserait le rapport des forces politiques à Washington. Mettant un terme à un quasi-exil de douze ans, les congressistes démocrates – à l’issue d’une campagne beaucoup plus consacrée à combattre les idées de Bush qu’à exposer leur propre vision – seraient à nouveau en position de participer aux affaires. A Washington, les principaux responsables des deux partis tentent de déterminer ce que signifierait une victoire démocrate aux élections de mi-mandat. Ces dernières semaines, Bush a organisé plusieurs réunions avec ses chefs de cabinet afin de définir un projet pour ses deux dernières années de présidence. La MaisonBlanche a beau affirmer qu’elle n’élabore aucun plan B en cas de victoire démocrate, les conseillers de Bush n’en reconnaissent pas Thomas Fuchs 835p32-40 835p32-40 31/10/06 16:19 Page 33 AUTOCRITIQUE Seul un miracle… Pour le rédacteur en chef de l’hebdomadaire conservateur The Weekly Standard, les jeux sont faits. Non seulement les républicains ont déjà perdu les élections, mais leur déroute est bien méritée. épublicains et conser vateurs, préparez-vous ! Les stratèges et consultants des deux camps considèrent d’ores et déjà que la Chambre des représentants est perdue et sera présidée par Nancy Pelosi, l’actuelle chef de la minorité démocrate. Au mieux, les républicains conserveront le Sénat avec un siège de majorité (deux, tout au plus). Par le passé, les républicains marchaient très fort dans les mois d’octobre précédant les élections. Leurs vastes campagnes médiatiques et leurs stratèges leur permettaient de regagner le terrain perdu pour finalement l’emporter en novembre. En 2006, c’est au mois de septembre qu’ils ont rallié l’opinion, jusqu’au jour fatal du 29 septembre quand a éclaté le scandale Mark Foley [nom du représentant républicain de Floride contraint à la démission pour avoir fait des avances à plusieurs stagiaires du Congrès]. Il s’en est suivi un mois d’octobre tout aussi catastrophique. La cote de popularité du président est propor tionnelle aux résultats du parti présidentiel lors des élections de mi-mandat. C’est simple : une forte popularité se traduit par la victoire, une faible popularité par la défaite. En octobre 2002, quand Bush était crédité dans les sondages de 62 % d’opinions favorables, les républicains avaient gagné six sièges à la Chambre des représentants et deux au Sénat. Le président est désormais à 37 % d’opinions favorables. La conclusion est inévitable. Il n’a plus l’influence dont il disposait auprès des électeurs il y a quatre ans. Plus grave encore, les présidents associés à des guerres impopulaires sont toujours un handicap pour leur parti. Le scandale Foley a eu deux effets néfastes pour les républicains. Il a arrêté net l’élan républicain, déjà bien entamé par l’ouvrage du journaliste Bob Woodward State of Denial [Simon & Schuster, non traduit], paru fin septembre et qui donne une image négative du gouvernement. Mais il a surtout profondément modifié le thème de la campagne. De la sécurité nationale, qui est le point R L’âne est le symbole du Parti démocrate. Sur la table de jeu : les Etats où les élections seront les plus serrées. Dessin de Danziger, Etats-Unis. tive avec les démocrates ou bien persistera-t-il dans la même direction, au risque de tout perdre ?” Une situation analogue s’est présentée la dernière fois que le Congrès a changé de mains, à l’occasion des élections de 1994 ; les républicains sont devenus majoritaires dans les deux Chambres et le sont encore. Le président Bill Clinton ne put rien faire d’autre qu’invoquer “le premier rôle que lui conférait la Constitution” alors même que le président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, et ses collègues républicains prenaient l’initiative. Clinton finit toutefois par rétablir sa position au travers d’un mélange de confrontation avec les républicains, notamment par un raidissement des positions de son gouvernement, et d’une “triangulation” par laquelle il se rallia à certaines de leurs propositions comme la refonte du système de protection sociale. La différence, c’est que la présidence de Clinton était récente, alors que Bush va entrer dans la phase finale de son administration – et qu’il est empêtré dans une guerre impopulaire. Certains républicains pensent cependant que Bush pourrait s’en sortir en évitant les démocrates, comme Clinton l’avait fait avec Gingrich. Ou alors il pourrait adopter le mode de fonctionnement plus bipartisan qu’il a promis d’importer du Texas et saisir ainsi des occasions d’avancer sur des questions comme celle de l’immigration, pour laquelle sa proposition d’accueillir des “travailleurs invités” a été bloquée par son propre parti. “Une des leçons dont pourrait s’inspirer le président Bush au cas où il perdrait l’une ou l’autre des Chambres, c’est l’exemple californien”, explique Sergio Bendixen, un sondeur travaillant pour les démocrates. “En 2005, à la même époque, tout le monde pensait que le gouverneur Arnold Schwarzenegger se trouvait dans une position extrêmement délicate, alors qu’aujourd’hui on estime qu’il sera réélu haut la main. Comment a-t-il retourné la situation en sa faveur ? Simple : de républicain farouchement partisan, il est devenu quelqu’un qui n’hésite pas à travailler avec le parti adverse. Cela ne me surprendrait pas que Bush fasse la même chose.” De fait, la méthode bipartisane a été une denrée rare depuis que Bush a accédé à la présidence. Pour la Maison-Blanche, toute la question est de savoir si les démocrates seront disposés à devenir des partenaires. Si les démocrates considèrent que Bush est indécrottablement partisan, ses conseillers estiment pour leur part que les démocrates ont souvent pratiqué une obstruction délibérée, même sur des questions qui ne prêtaient guère à controverse. Etant donné la suspicion mutuelle dans laquelle les deux partis se tiennent, ils pourraient avoir quelques difficultés à travailler de concert. Peter Baker et Michael A. Fletcher COURRIER INTERNATIONAL N° 835 33 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 fort des républicains, on est passé aux sordides agissements des républicains à Washington et aux ratés de la guerre en Irak. Les démocrates, quant à eux, ont eu de la chance et ils en ont eu toute l’année. S’il y avait une justice en politique, les démocrates seraient autant dans le pétrin que les républicains et aussi vulnérables. Ils ont passé leur temps à faire de l’obstruction au Congrès. Ils se sont opposés aux baisses d’impôt, ont fait preuve de mollesse sur la question du terrorisme et se sont, d’une façon générale, montrés insupportables. Nancy Pelosi est d’ailleurs la personnalité politique la plus détestée des Etats-Unis. Cependant, en cette sixième année de présidence de George W. Bush, le problème ne concerne pas les démocrates, mais les républicains. Dans ses discours, le président continue de se concentrer sur le terrorisme et sur les impôts. Si les démocrates remportent la majorité à la Chambre des représentants, “ils augmenteront vos impôts et trouveront de nouveaux moyens de dépenser votre argent”, a déclaré Bush lors d’un récent meeting. “Quel est le parti qui a donné à ceux qui étaient chargés de vous protéger les moyens nécessaires pour le faire ?” a-t-il demandé à propos de la sécurité nationale. Il n’a même pas eu besoin de préciser de qui il s’agissait. Le problème, c’est que la sécurité nationale n’est plus le principal thème de la campagne. Et ce n’est pas en serinant qu’il faudrait qu’elle le soit qu’elle le deviendra. Ce qu’il faut, c’est un événement, un gros événement, pour cristalliser la question de façon à mettre en valeur les forces des républicains et les faiblesses démocrates. Bien entendu, il reste peu de temps pour un événement majeur. L’essai nucléaire nord-coréen n’a pas été assez important pour changer le cours de la campagne. Bien qu’en tête de tous les sondages à quelques jours des élections, les démocrates redoutent une manœuvre de dernière minute de leurs adversaires. Et si Karl Rove, le conseiller de la Maison-Blanche, s’était arrangé pour capturer Oussama Ben Laden de façon à pouvoir l’annoncer quelques jours avant le scrutin ? Karl Rove est certes intelligent, mais pas à ce point. C’est pourquoi républicains et conservateurs doivent se préparer à de bien mauvaises nouvelles le soir du 7 novembre. Fred Barnes, The Weekly Standard, Washington 835p32-40 31/10/06 16:20 Page 34 e n c o u ve r t u re La droite n’a plus le monopole de la foi Déçus par Bush, de nombreux chrétiens vont donner leur voix au Parti démocrate. THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR Boston epuis que George W. Bush a déclaré que Jésus était son philosophe préféré et s’est présenté comme un homme animé d’une foi profonde, on a eu tendance à considérer que les républicains étaient des “amis de la religion” et que les démocrates laissaient à désirer dans ce domaine. Mais les choses sont peut-être en train de changer. A l’approche des élections, les sondages font apparaître un glissement en faveur des démocrates. Au mois d’octobre, un sondage Gallup a révélé que les intentions de vote des Blancs chrétiens étaient également réparties entre démocrates et républicains. Un sondage du Pew Research Center indique également que seuls 57 % des Blancs évangéliques comptent apporter leurs suffrages aux républicains, alors qu’ils étaient 68 % en 2002 et 74 % en 2004. “Les républicains ont de gros problèmes avec les Blancs évangéliques mais plus encore avec les catholiques”, souligne John Green, chercheur au Pew Forum on Religion & Public Life. “Le sondage montre qu’une majorité de ces derniers ont l’intention de voter démocrate,ce qui nous ramène dix ou vingt ans en arrière.” Cette évolution reflète la perte de soutien dont le gouvernement et le Congrès républicains pâtissent actuellement du fait de la guerre en Irak et de la multiplication des scandales. “Plusieurs D Sur les panneaux : Electeurs attachés aux valeurs ; gauche, centre, droite. Dessin de Kal paru dans The Economist, Londres. facteurs font que l’enthousiasme est moins grand qu’il y a deux ans”, analyse Tony Perkins, président de Family Research Council, un think tank conservateur. “Nous ne sommes pas dans une année d’élection présidentielle,aussi la ‘menace’du mariage homosexuel est-elle moins présente dans les esprits, tandis que les scandales se sont multipliés au sein du Parti républicain. L’affaire Foley [représentant républicain de Floride contraint à la démission le 29 septembre 2006 pour avoir fait des avances à des stagiaires du Congrès] a notamment conduit les gens à prendre du recul et à se poser des questions sur les valeurs fondamentales du Parti républicain. Au lendemain de l’élection de 2004, pourtant, l’expression “values voter” [électeur attaché aux valeurs morales] était sur toutes les lèvres. Le candidat démocrate John Kerry s’est vu reprocher de n’avoir pas parlé le langage de la foi avec suffisamment de conviction et le Parti démocrate d’être hostile aux religions. Ces critiques ont alors encouragé les croyants non conservateurs à s’exprimer plus librement. Des progressistes ont publié une foule d’ouvrages proclamant que les valeurs chrétiennes allaient bien au-delà de celles défendues par les conservateurs et incluaient l’aide aux défavorisés et la défense de l’environnement. Un certain nombre d’organisations ont également vu le jour afin de galvaniser les chrétiens progressistes. Cette conversion a été particulièrement sensible pendant la campagne électorale pour les élections de mi-mandat. Dans le Tennessee, le démocrate Harold Ford Jr, candidat au Sénat, n’a ainsi pas hésité à tourner un spot de campagne depuis l’église de sa paroisse et à publier une déclaration de foi sur son site Internet. Bob Casey Jr, un démocrate qui se présente en Pennsylvanie contre le sénateur républicain Rick Santorum, s’est, lui, farouchement opposé à l’avortement au nom de ses valeurs morales. Enfin, la déception des chrétiens conservateurs est un autre facteur à prendre en compte. En pleine affaire Foley, David Kuo, l’ancien directeur adjoint du bureau des initiatives religieuses de la Maison-Blanche, a publié un livre explosif. Cet ouvrage, intitulé Tempting Faith [Tentation de la foi], décrit un gouvernement Bush très méprisant à l’égard des chefs de congrégation et manipulant les chrétiens à des fins politiques. A la fin du livre, l’auteur enjoint même les chrétiens à observer un “jeûne” politique au cours des deux ans à venir. Jane Lampman FORCES ARMÉES Quand des généraux appellent à voter pour l’opposition ■ Deux généraux américains à la retraite, qui ont servi en Irak et votaient jusque-là pour les républicains, soutiennent désormais ouvertement les démocrates. Avec l’appui d’un haut responsable militaire encore en activité, ils se disent convaincus qu’une victoire des démocrates au Congrès permettrait d’inverser le cours de ce qu’ils considèrent comme la politique désastreuse du gouvernement Bush en Irak. Les généraux John Batiste et Paul Eaton ont pour la première fois critiqué publiquement la gestion de la guerre au printemps dernier. Ils avaient alors appelé à la démission du ministre de la Défense, Donald Rumsfeld. “La meilleure chose qui puisse arriver, ce serait que l’une des deux Chambres, ou même les deux, passe sous contrôle démocrate afin que l’on puisse reprendre la situation en main”, commente John Batiste, qui a commandé la 1re division d’infanterie américaine en Irak en 2004 et 2005. Se décrivant comme un “républicain de toujours”, il reconnaît qu’aujourd’hui, “les choses doivent changer”. Paul Eaton, chargé de la formation de l’armée irakienne de 2003 à 2004, estime lui aussi qu’une majorité démocrate au Congrès démocrate, du moins pour cette échéance serait la meilleure solution pour que Bush électorale. Quelques indices montrent que tire un trait sur sa désastreuse stratégie irale soutien accordé aux républicains et à Bush kienne. “Pour moi, la seule issue, c’est de s’effrite également dans les rangs inférieurs confier la Chambre des représentants et de l’armée. En outre, plus d’une centaine le Sénat aux démocrates, et que l’on effecd’officiers d’active viennent de se rallier à tue un demi-tour complet”, ajoutant que ce une campagne qui réclame sentiment est de plus en plus répandu dans officiellement du Congrès les rangs des responqu’il vote le retrait immésables militaires. Un diat des forces amériofficier d’active, qui a lui caines d’Irak. “Ceux aussi ser vi en Irak, préqui, comme moi, porcise qu’un nombre étonnant tent encore l’uniforde ses collègues “tout à fait me ne peuvent pas conservateurs” espèrent que Dessin de Mayk paru dans exprimer publiquement les démocrates vont l’emporter. Sydsvenskan, Malmö. leurs inquiétudes, mais il A en croire les experts politiques, y a beaucoup de gens qui pensent comme rien n’indique un retournement massif du nous”, assure l’officier encore en service. vote des militaires. L’armée, en particulier Quand on lui demande s’il est républicain, les officiers supérieurs et les généraux, a il répond : “Autrefois, oui, je l’étais.” toujours été clairement ancrée dans le camp Cela ne signifie pas que les militaires soient républicain. Juste avant la présidentielle de soudain impatients de voir la représentante 2004, Bush totalisait 73 % des intentions Nancy Pelosi, la chef de file des démocrates de vote de l’armée, contre 18 % pour Kerry. à la Chambre, acquérir davantage de pouMais une chose est sûre : la colère est voir au Congrès. Au contraire, disent-ils, s’ils aujourd’hui palpable chez de nombreux offisoutiennent les démocrates, c’est par pur ciers, ce qui en pousse certains à commettre pragmatisme. Ils espèrent que les démol’impensable : faire allégeance au Par ti COURRIER INTERNATIONAL N° 835 34 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 crates réussiront là où les républicains ont échoué, et qu’ils parviendront à imposer une supervision parlementaire de la situation, afin d’aider le gouvernement Bush à corriger sa stratégie actuelle, catastrophiquement enlisée en Irak. Il est encore trop tôt pour savoir si ce mécontentement profond vis-à-vis des républicains sera durable, indique Stephen Wayne, professeur de sciences politiques à l’université de Georgetown. Mais, selon lui, ce sentiment est le reflet d’un désamour bien réel au sein de la hiérarchie militaire face à l’approche obtuse du gouvernement Bush. “Les officiers d’active ont été complètement marginalisés par un gouvernement qui refuse d’écouter leur avis.” Le général John Batiste dit qu’il lui est insupportable de lire les rapports quotidiens des pertes humaines en Irak tout en sachant que ces morts sont la conséquence d’une stratégie brouillonne axée sur des objectifs inaccessibles. Lui et ses collègues n’éprouvent guère d’affection pour les démocrates, mais c’est leur dernier espoir de récolter autre chose que la mort et la destruction en Irak. Mark Benjamin, Salon, San Francisco 835p32-40 31/10/06 16:21 Page 35 BUSH FACE À LA DÉROUTE ● L’économie se porte bien ? Peu importe ! Si les indicateurs de l’économie américaine sont tous favorables, les candidats républicains n’en tirent aucun bénéfice. Car les électeurs sont trop préoccupés, par la situation irakienne pour s’en féliciter. THE NEW YORK TIMES (extraits) New York ar de nombreux aspects, l’économie ne s’est jamais aussi bien portée depuis longtemps. Le prix de l’essence à la pompe a plongé depuis le milieu de l’été. Le chômage est tombé à son plus bas niveau depuis plus de cinq ans. A Wall Street, l’indice Dow Jones est même retourné à l’âge d’or de la fin des années 1990, volant de record en record presque tous les jours. Mais les candidats républicains ne semblent pas tirer un quelconque profit de ces brillantes statistiques économiques. L’économie est quasi absente de la campagne des élus républicains qui se battent désespérément pour conserver leur siège au Sénat ou à la Chambre des représentants. Elle ne figure pas non plus dans l’arsenal déployé par les républicains qui cherchent à se faire élire ou réélire au poste de gouverneur au niveau des Etats. “Je ne me souviens d’aucune autre élection où l’économie était si florissante et où les chances électorales du parti au pouvoir paraissaient aussi minces”, se lamente Frank Luntz, un stratège républicain. “Lorsque les choses vont mal, les républicains portent le chapeau. Et, même lorsqu’elles vont bien, le mérite n’en revient même pas aux républicains.” Pour Amy Walter, la rédactrice en chef du Cook Political Report, une publication politique indépendante, “dans leur écrasante majorité, les électeurs ne sont pas reconnaissants au président pour sa gestion de l’économie ; ils sont bien trop pessimistes sur la direction générale dans laquelle est engagé le pays.” Et, alors même que la confiance des consommateurs a recommencé de grimper avec la chute du prix de l’essence, ils n’en attribuent aucunement le mérite à la Maison-Blanche, confirme Richard Curtin, qui dirige les enquêtes de consommation de l’université du Michigan. P LES DÉMOCRATES PLUS APTES À GÉRER L’ÉCONOMIE L’incapacité des républicains à tourner à leur avantage la bonne santé économique du pays est imputable au poids pris par les autres grands dossiers nationaux – au premier rang desquels figure la guerre en Irak. Le bourbier irakien handicape les républicains de multiples façons, estiment les politologues. Il nourrit le sentiment que le pays a emprunté une mauvaise voie et il accroît la méfiance envers le gouvernement Bush, un sentiment qui a gagné d’autres fronts, comme celui de la gestion de l’économie. Selon le dernier sondage national The New York Times/CBS News, publié en octobre, 60 % des personnes interrogées qualifient la situation économique de bonne ou de très bonne, contre 56 % au mois de septembre. Mais 51 % des électeurs préféreraient voir l’économie gérée par les démocrates, contre 36 % par les républicains. Cet écart de 15 points, le même qu’au mois de septembre, est le plus grand depuis que cette question a été posée pour la première fois, en 1984. Le plus dur, pour les républicains, dans leur tentative de s’attribuer le mérite de l’embellie économique, est sans doute le fait que de nombreux électeurs ne constatent pas d’amélioration de leur situation économique personnelle. Au lieu de saluer les gains de la Bourse et la croissance de l’économie, les Américains sont inquiets pour leurs rémunérations, qui commencent à peine à progresser après plusieurs années de baisse ou de stagnation. L’absence d’assurance-maladie pour des dizaines de millions de personnes et la réduction comme peau de chagrin des pensions de retraite traditionnelles ont également accru le sentiment d’insécurité des classes moyennes. Néanmoins, les chefs de file du Parti républicain continuent de tabler sur l’économie pour donner un coup de collier durant les derniers jours de la campagne. Une multitude de spots de campagne vont ainsi être diffusés pour mettre en garde les électeurs contre le risque qu’une victoire des démocrates ferait peser sur l’économie, arguant que ceux-ci ne manqueront pas d’augmenter les impôts. Mais même ce slogan éprouvé pourrait bien perdre de son efficacité cette année. “Nous prions presque pour que des candidats républicains osent dire que les baisses d’impôt sont à l’origine de la bonne santé de l’économie”, affirme Stanley Greenberg, un sondeur démocrate. “Mais aucun d’eux n’ose le faire parce qu’il paraîtrait en complet décalage avec la réalité. L’opinion n’y croirait tout simplement pas.” Eduardo Porter TENDANCE Démocrates mais pas tant que ça compagnies pétrolières, la restauration des crédits d’impôt sur les frais d’inscription à l’université, la baisse du coût des médicaments dans le cadre du programme Medicare et d’autres mesures jugées à même de séduire aussi bien à l soutient le monde des affaires droite qu’à gauche. et s’oppose à l’avortement. C’est Pour les républicains, l’apparente un chrétien évangélique et il est pasmodération affichée par certains sionné par la chasse. Et pourtant, candidats démocrates n’est qu’un Heath Schuler est démocrate et il écran de fumée visant à masquer fait campagne pour être élu en Caleur soutien à un parti mené par roline du Nord. Il fait partie d’un petit des progressistes favorables aux groupe de démocrates étonnamhausses d’impôt. “Ils disent être ment conservateurs qui pourraient antiavortement, pour la détention apporter des victoires cruciales en d’armes et contre la fiscalité, mais battant des républicains, aidant ainsi la première chose qu’ils feraient leur parti à devenir majoritaire à la au Congrès serait d’élire le présiChambre des représentants. Sur les panneaux :Victoire en Irak. Une nouvelle direction pour dent de la Chambre le plus à Les républicains sonnent déjà l’alarl’Amérique. Retrait américain d’Irak. Dessin de Matson, Etats-Unis. gauche de toute l’histoire des me sur ce qui pourrait se passer Etats-Unis”, affirme Jonathan Collegio, porte-parole du National s’ils perdaient la Chambre : un retour brutal au progressisme Republican Congressional Committee, qui œuvre à l’élargissefondé sur une forte intervention de l’Etat, des hausses d’impôt ment de la majorité républicaine à la Chambre des représenet une politique de défense molle. Avec une épouvante approtants. “Dès leur arrivée au Congrès, ils mettront fin aux réducpriée en cette veille de Halloween, ils mettent en garde contre tions fiscales et feront ouvrir des enquêtes sur le gouvernement.” la nomination probable à la tête de commissions parlementaires L’arrivée d’un sang neuf issu de l’aile droite du parti pourrait de démocrates comme Henry A. Waxman, représentant à Los mettre à l’épreuve la capacité des responsables démocrates Angeles, et d’autres vieux briscards de gauche. à maintenir la belle unité forgée pendant ces années d’oppoMais, à l’image de Heath Schuler, les candidats démocrates les sition. Parmi les candidats démocrates à la Chambre des remieux placés sont d’une tout autre étoffe. Seize d’entre eux sont présentants, 33 sont suffisamment conservateurs pour recevoir soutenus par les Blue Dogs, une coalition de démocrates conserl’appui des Blue Dogs ou du groupe centriste Democratic Leavateurs, et certains sont d’anciens républicains. Schuler luidership Council. Et, dans la lettre d’information politique indémême avait été sollicité il y a quelques années pour se présenter pendante Cook Political Report, ils figurent presque tous sur sous la bannière républicaine, mais il avait décliné l’offre. la dernière liste des démocrates les mieux placés pour remporter En cette fin de campagne électorale, les candidats sont de plus des sièges actuellement républicains (le parti doit reprendre en plus nombreux à débattre de ce que serait un Congrès à ma15 sièges à l’adversaire pour être majoritaire à la Chambre). jorité démocrate : qui donnera le ton, qui fixera la politique, Même s’ils y parviennent, les démocrates resteront quand même les Heath Schuler ou les Henry Waxman ? limités dans leurs ambitions législatives par le gouvernement Avec tant de candidats de tendance conservatrice sur le front Bush et un Sénat qui risque d’être toujours républicain. Mais électoral démocrate, Nancy Pelosi, chef de file de la minorité une majorité à la Chambre, même étroite, permettrait aux chefs des démocrates à la Chambre, s’en tient, du moins jusqu’ici, de commissions parlementaires d’ouvrir des enquêtes et de faire à un programme minimaliste sans mesures progressistes trop comparaître des témoins : des outils qu’ils veulent utiliser pour voyantes. Les responsables démocrates comme la plupart des soumettre à un examen approfondi la politique de Bush en candidats sérieux du parti mettent l’accent sur un programIrak et d’autres affaires que, selon eux, les républicains ont pasme restreint en six points. Il prévoit notamment la hausse du sées sous silence. salaire minimum, la fin des réductions d’impôt accordées aux Janet Hook, Los Angeles Times, Los Angeles Une trentaine de démocrates curieusement conservateurs vont jouer un rôle crucial dans la probable victoire de leur parti à la Chambre des représentants. I COURRIER INTERNATIONAL N° 835 35 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835p32-40 31/10/06 16:21 Page 36 e n c o u ve r t u re Des millions de bulletins déjà dans les urnes De nombreux Etats autorisent les électeurs à voter par anticipation, parfois plusieurs semaines avant la date officielle du scrutin. Près de 20 % des Américains ont opté pour cette solution. THE NEW YORK TIMES New York our des millions d’Américains, les élections de mi-mandat sont une affaire classée.Trente Etats autorisent le vote par correspondance sans exiger de justification, et la plupart permettent aux électeurs de voter en personne, à l’avance, dans les locaux du comté ou dans des bureaux de vote annexes. En Floride, on estime que 40 % des électeurs auront rempli leur devoir civique avant que les bureaux de vote aient ouvert leurs portes, le 7 novembre. Dans l’Oregon, le vote se fait uniquement par correspondance. La Californie a, pour sa part, envoyé 3,8 millions de bulletins à cet effet le 8 octobre. Conséquence : les candidats doivent adapter leur campagne à ce calendrier politique évolutif en modulant leur publicité électorale, leurs mailings et leurs vagues d’appels téléphoniques. Ils cherchent à savoir qui vote à l’avance, afin de pouvoir prendre contact avec ces personnes avant qu’elles n’envoient leurs bulletins. “Que cela nous plaise ou non, c’est une tendance lourde”, note Art Torres, le président du Parti démocrate de Californie. “Ici, les élections ont commencé le 10 octobre et elles durent vingt-neuf jours.” Les experts estiment à 20 % la proportion d’électeurs qui se prononceront avant le jour fatidique, un taux qui augmente à chaque nouvelle élection (ils n’étaient que 14 % en 2000). Certains Etats et comtés procèdent au dépouillement des urnes avant le jour J et gardent les résul- P “Ils disent que vous n’avez pas de programme. De quoi elle parle, votre campagne ? — Je ne suis pas un néoconservateur chrétien évangélique d’extrême droite. — Je vote pour vous !” Dessin de Bob Englehart, Etats-Unis. tats secrets, d’autres font le décompte en même temps que les bulletins “normaux”. Selon les politologues et les stratèges qui ont étudié les tendances du vote par anticipation, ceux qui en profitaient jusque récemment étaient en général des gens relativement aisés et instruits, plutôt républicains que démocrates. Mais, depuis que cette pratique s’est généralisée, les démocrates sont désormais presque aussi nombreux que les républicains à en profiter. Pour les partisans du vote par anticipation, cette méthode est pratique pour les électeurs et elle augmente la participation électorale. Ils TECHNOLOGIE Nouvelles machines à voter, nouveau chaos ■ Les nouvelles machines à voter électroniques sont arrivées il y a quelques semaines dans le comté de Yolo, en Californie. Fort bien. Mais il y a un hic : sur certains appareils, le programme audio pour les malvoyants ne fonctionne qu’en vietnamien. “C’est la panique”, rapporte Freddy Oakley, le responsable local de l’organisation du scrutin. “Imaginez la tête qu’ont fait les femmes âgées qui vont travailler dans les bureaux de vote !” Alors qu’une dizaine d’Etats appliquent de nouvelles règles d’inscription sur les listes électorales et adoptent des systèmes de vote électronique sans papier, les fonctionnaires responsables craignent le pire pour le jour des élections, avec de longues files d’attente, une grande confusion et un nombre accru de contestations des résultats. Dans environ la moitié des 45 scrutins les plus serrés, les votes se feront sur des machines électroniques qui n’offrent aucune possibilité de vérification et de recomptage. L’Arizona, la Californie, la Géorgie, l’Indiana, le Maryland, le Mississippi, le Missouri, la Caroline du Nord, l’Ohio et la Pennsylvanie, entre autres, vont probablement connaître des difficultés, prédisent les experts qui suivent les changements technologiques en matière électorale. “Il y a de nouvelles réglementations, des progrès technologiques, un esprit partisan qui se répand de plus en plus et un engagement grandissant des avocats dans le processus électoral”, explique Tova Wang, qui étudie les questions électorales pour la Century Foundation, un institut de recherche indépendant, “les risques de problèmes n’ont jamais été aussi grands et ils intéressent davantage de circonscriptions qu’auparavant”. Les litiges portant sur les nouvelles règles d’identification des électeurs et l’inscription informatisée sur les listes électorales, dans des Etats comme l’Indiana, l’Arizona et la Géorgie, sèment la confusion dans l’esprit des assesseurs et des électeurs, même si les tribunaux en ont rejeté un grand nombre. “Nous nous attendons à des contestations dans ces Etats, ce qui ralentira tout et obligera à refuser des électeurs légitimes ou à les faire voter à titre provisoire”, craint Barbara Burt, une spécialiste chez Common Cause, une organisation de défense de nombreuses causes d’intérêt général. COURRIER INTERNATIONAL N° 835 Ian Urbina, The New York Times, Etats-Unis 36 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 affirment en outre que cela permet de désengorger les bureaux de vote et de soulager les agents qui y travaillent. Mais, pour d’autres experts, rien ne prouve que le vote anticipé améliore le taux de participation. A les écouter, il pourrait même avoir l’effet inverse car de nombreux électeurs qui demandent des bulletins de vote par correspondance oublient ensuite de les renvoyer. Les risques de fraude sont également plus importants. Côté candidats, les sentiments sont mitigés. Certes, ils peuvent ainsi faire voter leurs partisans plus tôt puis faire appel à eux pour mobiliser d’autres électeurs. Ils sont également sûrs d’éviter que leurs électeurs ne se découragent, le jour des élections, en arrivant devant des bureaux de vote bondés. Mais ce phénomène complique leur campagne. Quand les élections s’étendent sur vingt-neuf, voire quarante-cinq jours, ils doivent s’assurer de convaincre tout le monde avant que chacun n’aille voter. Pour Curtis Gans, le directeur du Comité pour l’étude de l’électorat américain, le principal défaut du vote par anticipation est de créer “une inégalité d’information” entre les électeurs. “Et si, la veille du scrutin, on apprenait la capture d’Oussama Ben Laden ? s’enquiert-il. Ou qu’un nouvel attentat vient d’être commis ?” D’autres observateurs regrettent qu’en donnant plus de liberté aux électeurs, le rituel civique perde un peu de son sens. Le jour des élections est une occasion solennelle qui ne se présente que tous les deux ou quatre ans et qui rassemble des millions de citoyens dans un lieu officiel pour exercer leur droit à élire leurs représentants. “Le vote par correspondance ou par anticipation érode le sens de l’appartenance à une communauté”, conclut le Pr Gronke, du Centre d’information sur le vote par anticipation. John M. Broder 835p32-40 31/10/06 16:22 Page 37 BUSH FACE À LA DÉROUTE LES DÉMOCRATES À L’ATTAQUE LES SCRUTINS CLÉS DU 7 NOVEMBRE CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS La totalité des 435 sièges des représentants sont en jeu. Les démocrates ont besoin de 15 sièges pour obtenir la majorité. 6e district de l’Illinois Gravement blessée en Irak, la vétérante Tammy Duckworth, qui se présente sous les couleurs démocrates, mène la course devant son rival républicain Peter Roskam. VT MAINE NH MA RI CT WASHINGTON ES NEW YORK MI NN MONTANA OT A DAKOTA DU NORD 4e district de Californie Le représentant républicain sortant John Doolittle pourrait céder son siège au candidat démocrate Charlie Brown, vétéran de la guerre du Vietnam et de la première guerre du Golfe. IDAHO WYOMING DAKOTA DU SUD WISCONSIN MICHIGAN NEBRASKA NEVADA ILLINOIS UTAH KANSAS MISSOURI ARIZONA LO NOUVEAUMEXIQUE ARKANSAS MISSISSIPPI CALIFORNIE OKLAHOMA UIS IAN TEXAS PE NJ DE MD WASHINGTON (DC) OHIO VO VIRGIN KENTUCKY TENNESSEE COLORADO 5e district du Colorado Le démocrate Jay Fawcett, novice en politique, pourrait l’emporter dans ce district sur le républicain Doug Lamborn. INDIANA IOWA ALABAMA OREGON GÉORGIE IE CAROLINE DU NORD CAROLINE DU SUD FLORIDE ALASKA E 22e district du Texas Ce siège était détenu par Tom DeLay, le leader de la majorité républicaine à la Chambre des représentants contraint à la démission en avril 2006 à la suite d’un scandale de corruption. Le démocrate Nick Lampson pourrait l’emporter face à Shelley Sekula-Gibbs, la remplaçante de Tom DeLay. Abréviations : CT Connecticut, DE Delaware, MA Massachusetts, MD Maryland, NH New Hampshire, NJ New Jersey, PE Pennsylvanie RI Rhode Island, VT Vermont, VO Virginie-Occidentale. HAWAII e 16 district de Floride Le républicain Mark Foley a démissionné en septembre à la suite d’une affaire de mœurs. Il a été remplacé par Joe Negron. Les électeurs, échaudés par le scandale, risquent de voter pour le démocrate Tim Mahoney. SÉNAT Renouvellement d’un tiers des sièges, soit 33 sièges sur 100. Les démocrates ont besoin de 6 sièges pour obtenir la majorité. MONTANA Le sénateur républicain sortant Conrad Burn impliqué dans un scandale de corruption pourrait être battu par le démocrate Jon Tester. RHODE ISLAND Le sénateur républicain modéré Lincoln Chafee est le conservateur le plus anti-Bush de ces élections. Il n’a cessé de se distancier de la Maison-Blanche pendant toute la campagne. Son compétiteur, le démocrate Sheldon Whitehouse est néanmoins bien placé pour l’emporter. OHIO Après avoir été l’Etat qui a permis à George W. Bush d’être réélu en 2004, l’Ohio pourrait voter démocrate. Le sénateur républicain sortant Mike DeWine y est distancé par son rival démocrate Sherrod Brown. VT WASHINGTON OREGON ES DAKOTA DU SUD IDAHO WYOMING WISCONSIN MICHIGAN ILLINOIS UTAH COLORADO HAWAII KANSAS MISSOURI OKLAHOMA ARKANSAS LO VIRG INIE MAINE NH MA RI CT NJ DE MD WASHINGTON (DC) CAROLINE DU NORD CAROLINE DU SUD GÉORGIE CONNECTICUT Après avoir perdu la primaire démocrate en raison de son engagement en faveur de la guerre en Irak, le sénateur Joe Lieberman a décidé de se présenter comme indépendant. Il est aujourd’hui au coude à coude avec ses deux rivaux : le démocrate Ned Lamont – farouchement antiguerre – et le républicain Alan Schlesinger. PENNSYLVANIE Le sénateur républicain Rick Santorum, connu pour ses positions ultraconservatrices sur les questions de société comme l’avortement ou le mariage gay pourrait manquer d’être réélu pour la troisième fois. Son rival démocrate Bob Casey Jr. est en effet donné favori dans les sondages. UIS E FLO IAN TEXAS RID E TENNESSEE L’étoile montante du Parti démocrate, l’Africain-Américain Harold Ford Jr. qui ne cache pas ses penchants conservateurs, pourrait l’emporter sur le républicain Bob Corker. MISSISSIPPI NOUVEAUMEXIQUE VO KENTUCKY TENNESSEE CALIFORNIE ARIZONA OHIO INDIANA NEBRASKA NEVADA PE IOWA ALABAMA ALASKA NEW YORK NN MI MONTANA OT A DAKOTA DU NORD Sources : The Wall Street Journal, CBS. Les 22 districts que les démocrates pourraient conquérir. Etat concerné par les élections VIRGINIE Vétéran du Vietnam et secrétaire à la Marine sous Reagan, le démocrate James Webb pourrait battre le sénateur sortant George Allen qui s’est illustré pour ses propos racistes pendant la campagne. Etat où les démocrates ont le plus de chances de remporter un siège Etat à surveiller Electeurs démocrates à mobiliser d’urgence THE NEW YORK TIMES New York es démocrates font passer à la vitesse supérieure leur campagne de mobilisation pour que leurs électeurs prennent la peine de voter, certains responsables du parti ayant exprimé leurs craintes de voir à nouveau les républicains les coiffer au poteau en ce qui concerne la vingtaine de sièges à la Chambre et les trois fauteuils de sénateur qui devraient, comme s’y attendent les deux camps, déterminer l’issue de ces élections de mi-mandat. Après deux scrutins nationaux remportés par les républicains grâce à des opérations L sophistiquées de mobilisation de leurs électeurs, les démocrates ont cherché à rattraper leur retard en la matière et misent beaucoup sur cette stratégie. De la réussite de cette mobilisation dépend largement leur succès le 7 novembre. Si les sondages accordent aux démocrates une large avance, le contrôle du Congrès semble reposer sur un nombre relativement restreint de sièges pour lesquels les candidats en lice sont au coude-à-coude. Et c’est précisément sur ces scrutins que les efforts de mobilisation peuvent faire la différence. Si la Maison-Blanche continue à penser pouvoir, cette année au moins, limiter l’avancée des démocrates, c’est notamment parce que, par le passé, les républicains ont su conduire les électeurs aux urnes COURRIER INTERNATIONAL N° 835 37 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 dans les districts qui sont importants pour eux. Howard Dean, le président du Parti démocrate, déclare s’attendre à ce qu’une bouffée d’enthousiasme des électeurs démocrates conjuguée à ce qu’il appelle l’abattement des républicains porte son parti à la victoire. Une hypothèse à laquelle croient même certains stratèges républicains. Mais, dans un entretien, Dean a également reconnu que les républicains restaient clairement supérieurs pour ce qui est d’identifier les électeurs qu’ils peuvent convaincre et les conduire aux urnes. “Je pense que nous avons réduit le fossé, mais nous n’y sommes pas encore, reconnaît Dean. Cela va prendre du temps. Je pense qu’en 2008, si tout va bien, nous saurons mobiliser les électeurs aussi bien que les républicains.” Adam Nagourney 31/10/06 16:23 Page 38 e n c o u ve r t u re Les anciens combattants d’Irak en renfort La candidate démocrate Tammy Duckworth, qui a perdu ses deux jambes en Irak, pourrait être élue dans l’Illinois. Son leitmotiv : il faut en finir avec cette guerre. THE NEW YORK TIMES New York DE GLENN ELLYN (ILLINOIS) ammy Duckworth a servi en Irak, où elle a perdu les deux jambes – son hélicoptère a été touché par une grenade. Aujourd’hui candidate démocrate au Congrès, elle fait campagne dans les banlieues de Chicago en parlant de la guerre avec une conviction glaçante. L’Irak a été une grosse erreur, déclare-t-elle en circulant au milieu des électeurs sur ses jambes artificielles. On y a gaspillé des millions. Mme Duckworth a beau être novice en politique, son passage dans l’armée et son sacrifice lui permettent de dire ce qu’elle a sur le cœur dans une circonscription jadis considérée comme franchement hostile aux démocrates et qui n’a élu depuis 1932 que des candidats républicains. A travers le pays, plusieurs anciens combattants comme Mme Duckworth se révèlent des candidats avec qui il faut compter. Pour le Parti démocrate, qui se bat contre l’idée reçue que les républicains sont meilleurs pour affronter le terrorisme et défendre la sécurité nationale, ces vétérans constituent un antidote puissant : sur la question de l’Irak, leur parcours militaire leur donne une forte crédibilité auprès des électeurs. Alors que seuls un quart des membres du Congrès ont T Brian Kersey/AP-Sipa 835p32-40 Tammy Duckworth, accompagnée de son mari, lors de l’annonce de sa candidature à la Chambre des représentants, le 18 décembre 2005. servi dans l’armée (le taux le plus bas depuis des décennies), de nombreux électeurs apprécient l’expérience de ces anciens soldats. “Elle est allée là-bas !” s’exclame Barb Bauler, qui a récemment rencontré Mme Duckworth dans un club de retraités. “C’est la chose la plus courageuse que l’on puisse imaginer.” Une soixantaine d’anciens militaires, dont une demi-douzaine ont servi en Irak, se présentent à la Chambre ou au Sénat sous la casquette démocrate. Le parti n’a pas peur de les mettre en avant. Ils ont droit à un site web dénommé Fighting Dems, qui porte le sous-titre “De retour du front, en route pour le Congrès”. Mme Duckworth et son adversaire républicain Peter J. Roskam sont au coude-à-coude dans les sondages. Une demi-douzaine de scrutins opposant des anciens combattants démocrates à des candidats républicains devraient être aussi serrés, par exemple dans le Kentucky, en Pennsylvanie et en Virginie, ce qui veut dire que les anciens militaires pourraient contribuer à un changement de majorité au Congrès s’ils s’en sortent bien. De son côté, le Parti républicain présente 41 candidats ayant une expérience militaire (dont deux anciens d’Irak), mais il ne s’est pas focalisé publiquement sur ce groupe. Les stigmates des blessures que Mme Duckworth a reçues en Irak il y a deux ans confèrent un poids particulier à sa candidature. Si elle s’est présentée aux élections, c’est à cause de la guerre. “J’étais là-bas, à l’hôpital, et je voyais se succéder de plus en plus de mauvaises décisions, de mauvaises orientations politiques”, explique-t-elle. Elle a réuni plus de 2 millions de dollars (comme M. Roskam) et a également reçu une aide du comité de campagne démocrate. D’autres anciens combattants, en particulier ceux qui ont peu de chances d’être élus, ont reçu moins d’aides – ou même aucune. Certains se sentent abandonnés. “Ils veulent bien de nous quand on leur sert à quelque chose et, quand ce n’est plus le cas, ils veulent qu’on la ferme”, déplore Bill Winter. Il raconte que les leaders du Parti démocrate du Colorado l’ont pressé de se présenter dans la sixième circonscription de cet Etat, mais se sont ensuite comme volatilisés lorsqu’ils ont jugé qu’il n’avait en fait aucune chance contre le républicain Tom Tancredo. Selon Bill Burton, porte-parole du comité de campagne démocrate, le parti reste fier de tous ses anciens combattants. “On aimerait beaucoup financer tous nos candidats, explique-t-il, mais la dure réalité est que nos fonds sont limités.” Monica Davey C A N D I D AT S Mettre fin à la guerre au plus vite Un nombre croissant de candidats démocrates, se félicite le grand hebdomadaire de gauche The Nation, osent enfin faire ouvertement campagne sous la bannière antiguerre. l y a quatre ans, Paul Wellstone, sénateur démocrate du Minnesota était favori dans la campagne visant à sa réélection, bien qu’il ait été pris pour cible par Karl Rove dans l’opération politique la plus impitoyable jamais déclenchée par les républicains. Jusqu’en octobre, la compétition avait été serrée. C’est à ce moment que la MaisonBlanche avait obtenu de la Chambre des représentants et du Sénat l’autorisation de recourir à la force en Irak. En dépit de l’insistance de ses collègues démocrates, Wellstone avait choisi de voter non en déclarant : “Je sais que les républicains disent que je suis fichu. Mais je crois que les gens attendent de nous que nous fassions ce qui nous semble bien.” Il s’est avéré que Wellstone avait raison : il s’est rapidement détaché dans les sondages et fonçait vers la victoire I quand un accident d’avion a privé le Parti démocrate de sa conscience. Depuis, les démocrates peinent à mettre en place une politique intelligente et efficace d’opposition à la guerre, ce qui a eu des conséquences particulièrement dommageables lors de la présidentielle de 2004. Quand la campagne pour les législatives de 2006 a commencé, conscients qu’il fallait désormais faire preuve de davantage de fermeté, nous avons déclaré : “Nous ne soutiendrons aucun candidat ni aucune candidate qui ne ferait pas de la fin de la guerre en Irak l’une des priorités de sa campagne.” Depuis le vote courageux de Wellstone, les Etats-Unis ont bien changé : la guerre a continué, et la question est aujourd’hui de savoir comment y mettre un terme aussi vite que possible. Si beaucoup trop de démocrates ont tenté de jouer sur les deux tableaux – en critiquant le président sans appeler ouvertement à une cessation des hostilités –, des candidats plus honnêtes réclament précisément une telle décision. Au fil des mois, COURRIER INTERNATIONAL N° 835 nous en avons découvert plusieurs. Au printemps dernier, par exemple, nous avons remarqué le formidable défi lancé à ce sujet par la démocrate Marcy Winograd, en Californie, à la candidate sortante, Jane Harman. Nous avons également applaudi la position vigoureusement antiguerre de Kweisi Mfume lors des primaires pour les sénatoriales du Maryland. Ces deux initiatives ont échoué, mais d’autres ont eu plus de succès. Parmi les candidats démocrates antiguerre en lice en novembre, citons des vainqueurs potentiels comme Keith Ellison, dans le Minnesota, et John Sarbanes, dans le Maryland. Mais on trouve aussi des affrontements au résultat plus incer tain, comme celui qui oppose Rae Vogeler, un écologiste du Wisconsin, à Herb Kohl, un sénateur démocrate d’une rare tiédeur. Ou encore Jean Hay Bright, démocrate du Maine, qui met la pression sur Olympia Snowe, une sénatrice républicaine théoriquement modérée. Dans les rangs des antiguerre, on trouve également Ned Lamont, du Connecticut, et Jon Tester, du Montana, qui visent des postes au Sénat, 38 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 tandis que Linda Stender, du New Jersey, Joe Sestak et Patrick Murphy, de Pennsylvanie, et Diane Farrell, du Connecticut, briguent des sièges à la Chambre des représentants. Leurs messages antiguerre leur ont permis de gagner des points face à leurs adversaires républicains sortants. Ces résultats encourageants laissent penser que le thème de la guerre ne trouve pas seulement un écho auprès de l’électorat démocrate, mais aussi auprès des indécis et même de certains républicains. L’échéance approchant, nous allons continuer à braquer nos projecteurs sur les candidats antiguerre et à appeler nos lecteurs à les soutenir. Comme nous le disions dans notre éditorial de l’an dernier, “nous sommes fermement convaincus que les candidats antiguerre, s’appuyant sur des parcours politiques par ailleurs dignes d’intérêt, peuvent remporter les législatives de 2006, les primaires démocrates de la présidentielle de 2008 et, enfin, l’élection nationale qui suivra. Mais c’est aujourd’hui que doit commencer notre combat.” The Nation, New York 835p32-40 31/10/06 16:23 Page 39 BUSH FACE À LA DÉROUTE Un pas vers la destitution u Vermont à l’Illinois, en passant par la Californie, les électeurs qui se rendront aux urnes décideront non seulement du sort des candidats au Congrès, mais également de celui du président Bush et du vice-président Cheney. Ils auront en effet la possibilité de demander au Congrès d’initier une procédure d’impeachment contre le président et le vice-président. Seule la Chambre des représentants a le pouvoir de demander une procédure de destitution et seul le Sénat peut inculper le responsable concerné et le démettre de ses fonctions. Mais les Pères fondateurs de la nation ont voulu que les citoyens aient leur mot à dire dans ce processus.Thomas Jefferson (président de 1801 à 1809), qui estimait que le pouvoir appartenait en dernier ressort au peuple car celui-ci est le seul à même de défendre la république et ses idéaux démocratiques, remarquait : “Il incombe à nos concitoyens d’être toujours vigilants et fermes sur leurs principes. Nous ne serons capables de préserver notre démocratie que si nous sommes convaincus d’en être capables.” Troublés par un président et un vice-président qui ont entrepris des guerres sans que le Congrès ne les déclare, qui ont espionné sans mandat, qui ont contourné et bafoué la Constitution, des citoyens ont entrepris, un peu partout dans le pays, de préserver la démocratie en lançant un appel à la destitution, et les référendums de cet automne leur permettront de se faire entendre. La formulation des questions varie d’un endroit à l’autre. Les propositions de San Francisco et de Berkeley sont de véritables mises en accusation. Elles vont en effet plus loin que les récriminations routinières concernant les abus de pouvoir liés à l’invasion de l’Irak : elles exigent du gouvernement qu’il rende également des comptes sur sa gestion de la crise de l’ouragan Katrina. Dans la minuscule communauté de Pittsville,Wisconsin, on demande simplement aux électeurs de répondre par oui ou par non à la résolution locale : “La Chambre des représentants des Etats-Unis devrait dès à présent lancer une procédure d’impeachment à l’encontre du président et du vice-président .” Si les électeurs répondent par l’affirmative, les représentants du Wisconsin seront mis en demeure d’agir. D’aucuns soutiendront bien sûr que des consultations référendaires effectuées dans des communautés aussi particulières que San Francisco ou Pittsville ne reflètent en rien l’opinion nationale. Ces cyniques se trompent. Les référendums organisés dans ces communautés, comme à Montpelier dans le Vermont, à Urbana dans l’Illinois ou dans d’autres agglomérations du pays, sont des illustrations classiques de la pratique de la pétition visant à demander réparation, une pratique que la Constitution non seulement autorise, mais encourage. Le mouvement de l’impeachment par le bas est l’expression moderne du plus ancien des idéaux américains : nul, qu’il soit déshérité ou président, ne sera audessus de la loi. Et il est parfaitement approprié que ce mouvement débute à l’échelon municipal. John Nichols, The Nation, New York D Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid. Quelle politique étrangère après Bush ? ■ Candidates Cette année, pas moins de 136 candidates sont en lice pour conquérir un siège à la Chambre des représentants. “Cela représente certes une femme de moins qu’en 2004 – année record en la matière –, mais davantage de candidates ont cette fois de bonnes chances d’être élues, en particulier dans le camp démocrate”, note The Washington Post. Dessin de Simanca, Brésil. Le prochain président aura à cœur de préserver les intérêts américains, sans se lancer dans des aventures militaires, estime le politologue Michael Lind. PROSPECT (extraits) Londres e 20 janvier 2009 – à moins qu’un décès, une démission ou une procédure d’impeachment ne modifie le calendrier –, George W. Bush cédera son fauteuil à son successeur, le quarante-quatrième président des Etats-Unis. Lequel héritera, qu’il soit républicain ou démocrate, d’un certain nombre de problèmes extrêmement délicats à résoudre. Les Etats-Unis seront en effet dans un état de grande faiblesse, dû pour l’essentiel aux blessures qu’ils se sont infligées euxmêmes. A savoir l’invasion inutile de l’Irak, les insultes gratuites dont le gouvernement Bush a abreuvé ses alliés, l’unilatéralisme arrogant de sa diplomatie et son mépris affiché pour les lois internationales. Mais il faut souligner qu’au cours des dix prochaines années le pouvoir et l’influence du pays seront surtout entravés par des phénomènes de longue durée sur lesquels aucun gouvernement ne peut espérer peser. L’essor de la Chine, le déplacement du centre de l’économie mondiale vers l’Asie, la montée de la politique pétrolière néomercantiliste et la propagation de l’islam – sous sa forme extrémiste ou modérée – modifient l’ordre mondial d’une manière que ni les Etats-Unis ni aucun de leurs alliés ne peuvent contrôler. Lorsque le prochain président sera investi, les Etats-Unis seront presque certainement encore présents en Irak. A l’instar de Nixon entre 1969 et 1973, il lui faudra probablement limiter les pertes américaines dans cette guerre ratée, tout en préservant au maximum la crédibilité L COURRIER INTERNATIONAL N° 835 39 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 militaire des Etats-Unis. Gageons que la droite américaine ne manquera pas d’accuser le nouveau président, même s’il est républicain, d’être plus faible que Bush, dont l’œuvre sera rétrospectivement idéalisée par les néoconservateurs dans les médias. La nécessité de parer à toute attaque politique et de montrer au reste du monde la puissance des Etats-Unis poussera très probablement le prochain président à ne quitter l’Irak qu’après une démonstration de force contre ses ennemis, que ce soit dans ce pays ou ailleurs. Le retrait final des troupes américaines d’Irak risque de ne pas être aussi complet que celui du Sud-Vietnam en 1975. A la différence de ce qu’ils ont fait en Corée du Sud, les Etats-Unis n’occuperont probablement pas de bases pendant des décennies. Mais ils vont certainement continuer à soutenir militairement, sous une forme ou sous une autre, le gouvernement irakien s’il se retrouve en difficulté ou leurs favoris dans le cas d’une guerre civile. La situation au Moyen-Orient ne sera pas très différente de celle qui prévaut aujourd’hui. Si Bush décidait d’attaquer l’Iran pour neutraliser sa capacité nucléaire, nous entrerions dans une ère imprévisible. Mais il est peu probable qu’il choisisse de mener une guerre sur trois fronts, dans une zone allant de la Méditerranée au Pakistan et contre trois adversaires qui ont peu en commun : les nationalistes sunnites en Irak, les talibans en Afghanistan et les chiites en Iran. Une guerre par procuration dans des Etats affaiblis comme l’Irak et le Liban est plus probable qu’un conflit direct entre l’Iran et les Etats-Unis. Si les Etats-Unis n’attaquent pas l’Iran et si la théocratie iranienne n’est pas remplacée par un autre type de régime, le prochain président sera forcé de traiter avec un Iran nucléaire. Même si on dit que les dirigeants iraniens sont “fous”, le fait qu’on ait pu dissuader des Etats nucléaires aussi instables que la Chine de Mao et le Pakistan de Musharraf d’utiliser l’arme atomique laisse penser qu’on peut en faire autant avec l’Iran. 835p32-40 31/10/06 16:24 Page 40 e n c o u ve r t u re Mais, si l’Iran brisait le monopole israélien sur l’arme atomique au Moyen-Orient, cela aggraverait le risque d’une prolifération nucléaire. Le fils et successeur probable de Hosni Moubarak, Gamal Moubarak, a laissé entendre que l’Egypte aurait peut-être besoin de son propre programme d’énergie nucléaire, et l’Arabie Saoudite ainsi que la Turquie, voire l’Irak, pourraient suivre le mouvement. De même, la méfiance suscitée par le nouveau statut nucléaire de la Corée du Nord pourrait inciter le Japon, voire la Corée du Sud, à se doter de moyens de dissuasion. Et, si de nouveaux Etats nucléaires apparaissent au sud et à l’est de l’Europe, l’Allemagne pourrait être également tentée de développer sa propre force de frappe* atomique. Dans tous les cas, l’océan Atlantique risque fort de s’élargir après le départ de Bush. Ceux qui espèrent le rétablissement de liens transatlantiques cordiaux seront certainement déçus. En matière de politique étrangère, le vieil establishment atlantiste du nord-est des Etats-Unis est mort et enterré. Il a été pour une grande part supplanté par des officiers de carrière, en majorité des nationalistes conservateurs modérés originaires du Sud, et une pléthore de civils représentant des groupes de pression idéologiques, ethniques et économiques. Le centre de gravité de la politique américaine va continuer à se déplacer vers le Sud et l’Ouest. Si les démocrates se retrouvent au pouvoir, ce sera en s’appuyant sur les immigrés hispaniques du sud des Etats-Unis, peu susceptibles de soutenir un nouvel atlantisme. Certains espèrent que l’une des conséquences de la débâcle irakienne sera un nouvel engagement américain en faveur d’un règlement durable de la question palestinienne. L’inverse est plus probable. Si les Etats-Unis s’extirpent d’Irak et d’Afghanistan et restent en dehors des autres pays arabes, l’intérêt – déjà faible – pour les responsables politiques américains de tenter d’équilibrer leur soutien à Israël par des gestes en direction de l’opinion publique arabe et musulmane sera encore moindre. La montée en puissance aux EtatsUnis de la droite arabophobe et islamophobe, que provoquerait immanquablement un retrait peu glorieux d’Irak, accroîtrait les tensions entre les Etats-Unis et l’Europe. Dans la deuxième décennie du XXIe siècle, les Européens risquent de se voir traiter d’“EuroArabes” favorables à l’apaisement [“Eurabian” appeasers], par les républicains conservateurs comme par certains démocrates libéraux. En ce qui concerne la politique intérieure américaine, les bénéficiaires à long terme de la guerre en Irak pourraient être les répu- Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis. ■ A la une Dans son édition américaine, The Economist a posé en couverture la question radicale que bien des Américains se posent à propos de l’Irak : “Faut-il tout lâcher et se tirer ?” L’hebdomadaire estime que les concitoyens de Bush ont certes de bonnes raisons de vouloir le punir pour avoir lancé cette guerre perdue ; mais que les Etats-Unis feraient beaucoup de mal aux Irakiens en se retirant maintenant du pays, au risque de provoquer un véritable bain de sang. Le maintien d’une présence permanente empêche au moins les pays voisins de s’engager directement dans les conflits internes, explique le journal. Les forces américaines doivent ensuite protéger le gouvernement élu et continuer à former les forces de sécurité irakiennes. Bref, il est indispensable que l’opération irakienne se poursuive bien au-delà du second mandat de Bush. blicains qui l’ont livrée et perdue, plutôt que les démocrates, qui s’y sont pour la plupart opposés. Ce qui est moins paradoxal qu’il n’y paraît. Les pays qui gagnent des guerres sont plus souples en matière de sécurité et plus ouverts aux partis de gauche – comme le montrent les deux mandats de Clinton après la fin de la guerre froide ou le rejet de Churchill par les Britanniques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les pays vaincus ont en revanche tendance à rechercher des hommes forts à droite, comme la France pendant la guerre d’Algérie et les Etats-Unis lors de celle du Vietnam. L’histoire des Etats-Unis montre que s’opposer à une guerre, même si elle est impopulaire ou se termine en fiasco, peut être fatal à un parti politique. La droite a déjà ressorti l’argument du “coup de poignard dans le dos” pour imputer l’échec en Irak aux journalistes de gauche et à la minorité démocrate au Congrès. C’est bien entendu absurde, mais la tentative tout aussi absurde de rendre les journalistes et le mouvement antiguerre responsables de la débâcle vietnamienne a été un succès politique dans les années 1970 et 1980. RÉPUBLICAINS ET DÉMOCRATES NE DIVERGENT QUE SUR LES DÉTAILS La glorification rétrospective de la guerre en Irak pourrait s’accompagner d’une politique militaire beaucoup plus prudente. La doctrine de Powell – selon laquelle les Etats-Unis ne doivent envoyer leurs troupes qu’en dernier ressort, seulement lorsqu’une action militaire s’impose (mais en faisant alors un usage écrasant de la force) – pourrait refaire surface. Un “syndrome irakien” apparaîtra sans doute, qui se traduira par le refus des Américains de s’engager dans d’autres opérations militaires de grande envergure. Le prochain président, et peut-être aussi son successeur, prendra certainement exemple sur Ronald Reagan et alliera une grande fermeté dans le discours à une extrême prudence dans l’action. Reagan était qualifié de va-t-enguerre parce qu’il qualifiait l’Union soviétique d’“empire du mal”. Mais, dans la pratique, il évitait les engagements militaires coûteux et préférait livrer ses guerres par procuration, en utilisant des troupes étrangères armées, financées et entraînées par les Etats-Unis, comme les contras qui ont combattu les alliés de l’Union soviétique au Nicaragua et les moudjahidin qui ont affronté les Russes en Afghanistan. Comme l’ont montré ces exemples, le recours à des auxiliaires qui ne partagent peutêtre pas les valeurs américaines peut susciter des dilemmes moraux et politiques. Il en COURRIER INTERNATIONAL N° 835 40 va d’ailleurs parfois de même des bombardements conçus pour épargner les vies des soldats américains. Face aux risques de lourdes pertes humaines américaines, les successeurs de Bush préféreront certainement envoyer des conseillers de la CIA ou des missiles plutôt que des marines. L’échec de la stratégie néoconservatrice d’hégémonie américaine au Moyen-Orient et dans le monde ne signifie pas obligatoirement le succès de l’autre grande voie. Pour les responsables démocrates de la politique étrangère, le néolibéralisme reste la meilleure stratégie envisageable pour remplacer celle du gouvernement Bush. Les néolibéraux sont d’accord avec les néoconservateurs sur l’objectif de la politique étrangère américaine : mettre en place un marché mondial non réglementé dans un monde où la sécurité sera assurée par des Etats-Unis hégémoniques et bienveillants. Ils ne divergent que sur les détails. Mais, en admettant qu’une politique néolibérale ambitieuse d’intervention humanitaire bénéficie du soutien nécessaire, celle-ci ne disposera d’aucun instrument. L’armée américaine a été tellement éprouvée et démoralisée par la débâcle en Irak qu’elle exclut d’autres interventions importantes ailleurs dans le monde, que ce soit pour aider à construire des Etats, à instaurer la paix ou à la maintenir. Comme après le Vietnam, il faudra au moins une décennie – si ce n’est plus – pour remettre sur pied une armée démoralisée. Quoi que nous réserve l’avenir, il est certain que les années 1990 sont enfin terminées et que leurs rêves utopiques ne deviendront pas réalité. La vision néoconservatrice d’un grand marché mondial dominé par des EtatsUnis tout-puissants dans un monde unipolaire semble aujourd’hui démodée. Il en va de même de la vision néolibérale d’une alliance entre les démocraties de l’Atlantique Nord désavouant les principes de la souveraineté nationale définis après1945 afin d’envoyer des soldats et des missionnaires de la démocratie mettre fin aux conflits ethniques, veiller à l’application des droits de l’homme et apporter la démocratie et la liberté au Moyen-Orient et à l’Afrique. De toute évidence, le monde multipolaire et mercantiliste qui se dessine aujourd’hui ne ressemble pas du tout à l’ordre unipolaire fondé sur l’économie de marché que nous avaient décrit Clinton, Blair et Bush. Michael Lind** * En français dans le texte. ** Ancien néoconservateur ayant rompu avec les républicains, Michael Lind vient de publier The American Way of Strategy : US Foreign Policy and the American Way of Life, Oxford University Press. DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835p42-43 31/10/06 10:36 Page 42 p o r t ra i t Josko Joras L’irréductible Slovène de Croatie MLADINA (extraits) Ljubljana Il a accepté notre demande d’entretien avec réticence. “Vous, les journalistes, vous venez chez moi avec une opinion préconçue et en général vous ne cherchez qu’à étayer vos préjugés”, a-t-il lâché. Les mots publiés peuvent blesser profondément, a-t-il ajouté. Pas seulement lui-même, mais aussi sa famille, dont des membres, même lointains, l’appellent parfois en le suppliant de réfléchir à deux fois avant d’apparaître à nouveau dans les médias. Sa méfiance est fondée, du moins à en juger d’après les réactions de mes collègues avant notre rencontre. “Quoi, tu vas voir Josko ? Tous les ans, au début de juillet, il nous fait le coup de se jeter par terre devant les caméras”, a lancé, railleur, l’un d’entre eux. “Bon, d’accord. Un gars de chez nous se construit une baraque sur le no man’s land entre deux peuples aussi querelleurs que les Slovènes et les Croates… Etait-il vraiment incapable d’imaginer qu’il allait causer tous ces problèmes ?”m’a dit un autre confrère, réticent à l’idée de cet entretien. Un autre encore m’a dit avec un sourire en coin de lui demander quand il comptait enfin crépir sa maison : depuis que sa photo passe si souvent dans les médias étrangers, elle est devenue une véritable ambassadrice de notre pays. Après plusieurs années de calvaire estival, souvent instrumentalisé par les campagnes préélectorales, Josko Joras a, effectivement, fini par se discréditer auprès de nombreux journalistes qui, pourtant, n’avaient pas hésité à le présenter comme un héros national lors de son séjour dans une prison croate. Au téléphone déjà, j’avais eu le sentiment que M. Joras était un interlocuteur difficile. Non seulement il saute d’un sujet à l’autre mais, dans le souci de livrer une troisième, une quatrième ou une douzième information, il oublie de donner la première et la deuxième. Pendant la discussion, il est d’une précision agaçante, ce qui veut dire qu’il reprend tout le temps son interlocuteur. A sa décharge, il faut reconnaître que trois fois sur cinq il arrive à démontrer que le mot utilisé est, dans le contexte donné, vraiment inapproprié. La pire gaffe est de dire “frontière” et non pas “point de contrôle croate”. Quand on attire son attention sur une de ses erreurs, il la reconnaît immédiatement avec le sourire et sans la moindre mauvaise humeur. On dirait même qu’il préfère être conciliant plutôt qu’en opposition, ce qui est quelque peu étrange pour quelqu’un qui est présenté sans cesse comme un entêté irascible, voire comme un irréductible. Lui se décrit comme un formaliste, voire un légaliste, c’est-à-dire un individu qui respecte à la virgule les lois et les accords passés. Toutes les deux minutes, il quitte la pièce en trombe et revient en portant avec délectation un nouveau tas de classeurs épais où il a documenté méticuleusement sa lutte pour obtenir la souveraineté slovène – et européenne – sur son lopin de terre. Quant à moi, j’essaie de le faire apparaître comme un individu en chair et en os, mais je n’y arrive pas vraiment. D’un côté, il s’y oppose activement. De façon générale, il ne veut pas qu’on s’y attarde, puisqu’en tant qu’individu il n’est “rien de spécial, rien qu’un Slovène parmi les 2 millions d’autres Slovènes”. De l’autre, c’est techniquement impossible. En effet, comment séparer l’homme Josko Joras du combattant infatigable qui lutte pour que le hameau de Secovlje retourne dans le giron de la mère patrie ? “J’ai mis le doigt sur une affaire qui – du moins dans certaines têtes – était conclue, même s’il n’y a jamais eu aucune base légale, explique-t-il. Vos confrères, par exemple, ■ Contentieux Depuis la fin écrivent qu’on leur a enseigné à l’école de la Yougoslavie, que la frontière passait sur la Dragonja. en 1991, le tracé Mais c’est une division informelle et de la frontière entre arbitraire, effectuée par les commis- la Slovénie et saires politiques des partisans en 1944 la Croatie a fait afin de délimiter une zone d’opérations l’objet de nombreuses militaires. Montrez-moi un seul acte négociations fondateur selon lequel la frontière est et controverses sur la Dragonja ! Et puis, une autre ponctuées de question importante se pose : qu’est-ce brusques tensions entre les deux pays. que la Dragonja ? Ce qui est actuel- Si cette question lement considéré comme la Dragonja apparaît aujourd’hui est en fait le canal Saint-Odorik, comme globalement rebaptisé Dragonja”… résolue, quelques Juste au moment où il s’apprête points litigieux à étaler une carte topographique du demeurent, parc naturel régional des salines de notamment dans Secovlje, un coup de vent subit nous la baie de Piran, force à quitter le banc du jardin. où vit Josko Joras. “Voici ma femme”, dit-il en pénétrant Les quelques maisons de ce dans le salon et en me présentant hameau se trouvent son épouse, Olga, tandis que sa fille sur l’ancienne Desi nous offre des tranches de frontière fédérale melon. Puis Josko se met à me ra- (ce qui ne posait conter sa vie. Il est né en 1950 à aucun problème Maribor. Sa mère, citoyenne ita- du temps de lienne, avait abrité dans son auberge la Yougoslavie). une base clandestine de partisans, Deux communes ce qui lui a valu d’être déportée dans – celle d’Umag côté croate un camp de concentration. A la fin et celle de Piran de la guerre, elle ne pesait que 38 ki- côté slovène – los, un véritable squelette humain. se disputent le droit Malgré cela elle a ensuite donné de les administrer. naissance à sept enfants bien portants, dont le dernier était Josko. Quand il eut 5 ans, son père fuit le communisme de Tito et s’installa en Suède. Il fut alors élevé par sa mère, qui s’identifia à l’idéal socialiste tout en refusant sèchement de devenir moucharde pour la police secrète. Pour ses 10 ans, un médecin conseilla à celle-ci de s’installer au bord de la mer. Ils déménagèrent donc à Piran, au bord de l’Adriatique, où Josko suivit une formation de serveur. Même s’il passa là des années agréables, il décida à 20 ans de partir en Allemagne, dans la Ruhr. Il voulait connaître le monde, mais il fit surtout la connaissance de son épouse. Ayant mis de l’argent de côté, il racheta à son patron le restaurant où il travaillait. Devenu gérant, il mena une vie confor- COURRIER INTERNATIONAL N° 835 42 table, mais quelque chose lui manquait. “Mon sentiment d’identité s’est réveillé à l’étranger. C’est là que j’ai réalisé combien notre bord de mer était magnifique. Il faut savoir que, dans la Ruhr, ils ont du brouillard ou de la pluie trois cents jours par an.” En 1984, il décida de rentrer au pays. A défaut de pouvoir s’installer sur la côte, il se mit à retaper la maison maternelle, à Secovlje. Il dit y avoir passé treize années sereines, sans le moindre problème, et cela malgré les guerres qui éclatèrent sur le territoire de l’ex-Yougoslavie à partir de 1991. Ce n’est qu’à partir de 1998 qu’il dit être devenu l’objet de pressions malveillantes de la part des autorités croates, dans le seul but, selon lui, de le chasser et de s’approprier sa maison. C’est à cet instant qu’il me présente des documents témoignant de tentatives répétées d’agents du “point de contrôle” croate de lui confisquer son lait et d’autres humiliations de ce genre.Vient ensuite l’histoire bien connue du drapeau slovène et européen hissé sur sa maison, des amendes impayées, de la condamnation à l’emprisonnement et de la grève de la faim qui s’est ensuivie. A cette époque, cela l’a beaucoup amusé de constater que les autorités croates, qui avaient qualifié de “violation de l’ordre et de la paix publics” sa décision de hisser le drapeau slovène, lui écrivaient à l’adresse “Secovlje 1,Slovénie”. Il leur a toujours répondu avec un plaisir tout particulier, ayant interprété cela comme une preuve directe que sa maison se trouvait bien en territoire slovène. Après sa remise en liberté, les Croates ont fait une croix sur les amendes pour avoir la paix. Puis il y a eu une accalmie ; il ne rencontrait plus aucun problème à la frontière… euh, au point de contrôle. Il y a eu ensuite sa candidature à la présidentielle, en 2002, et la plantation préélectorale de tilleuls. Le dernier conflit a éclaté à l’été 2006, quand, selon M. Joras, les autorités croates ont fait obstacle au travail des instances juridiques de l’Etat slovène. Quatre gorilles en uniforme auraient physiquement empêché un expert judiciaire venu de Ljubljana d’évaluer les dégâts causés par les eaux pluviales provenant de l’immense parking d’un grand casino croate voisin. Deux jours après, les Croates ont bloqué avec quatre bacs à fleurs en béton le passage que Josko Joras avait aménagé pour contourner le point de contrôle. La justice ayant ordonné de les retirer, il a attendu quelques semaines pour donner aux Croates la possibilité de le faire, puis a commandé une grue pour les retirer lui-même, mais celle-ci a été interceptée par des policiers slovènes, ce qu’il considère comme un véritable coup de poignard dans le dos. Josko Joras et sa “Société civile slovène pour la frontière en Istrie” envisagent de poursuivre la Croatie devant la Cour européenne de justice. Quand on lui demande s’il serait quand même rentré en Slovénie, abandonnant sa vie tranquille et prospère en Allemagne, s’il avait su ce qui l’y attendait, il répond d’un “oui” catégorique après une courte réflexion. S’épanouit-il en vivant ainsi ? “Oui” de nouveau. Quand en partant je lui demande enfin s’il a l’intention de crépir sa maison, il réplique qu’il l’aurait fait depuis belle lurette s’il ne dépensait pas autant d’argent et d’énergie pour mener son combat. Jure Aleksic DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835p42-43 30/10/06 15:43 Page 42 p o r t ra i t Josko Joras L’irréductible Slovène de Croatie MLADINA (extraits) Ljubljana Il a accepté notre demande d’entretien avec réticence. “Vous, les journalistes, vous venez chez moi avec une opinion préconçue et en général vous ne cherchez qu’à étayer vos préjugés”, a-t-il lâché. Les mots publiés peuvent blesser profondément, a-t-il ajouté. Pas seulement lui-même, mais aussi sa famille, dont des membres, même lointains, l’appellent parfois en le suppliant de réfléchir à deux fois avant d’apparaître à nouveau dans les médias. Sa méfiance est fondée, du moins à en juger d’après les réactions de mes collègues avant notre rencontre. “Quoi, tu vas voir Josko ? Tous les ans, au début de juillet, il nous fait le coup de se jeter par terre devant les caméras”, a lancé, railleur, l’un d’entre eux. “Bon, d’accord. Un gars de chez nous se construit une baraque sur le no man’s land entre deux peuples aussi querelleurs que les Slovènes et les Croates… Etait-il vraiment incapable d’imaginer qu’il allait causer tous ces problèmes ?”m’a dit un autre confrère, réticent à l’idée de cet entretien. Un autre encore m’a dit avec un sourire en coin de lui demander quand il comptait enfin crépir sa maison : depuis que sa photo passe si souvent dans les médias étrangers, elle est devenue une véritable ambassadrice de notre pays. Après plusieurs années de calvaire estival, souvent instrumentalisé par les campagnes préélectorales, Josko Joras a, effectivement, fini par se discréditer auprès de nombreux journalistes qui, pourtant, n’avaient pas hésité à le présenter comme un héros national lors de son séjour dans une prison croate. Au téléphone déjà, j’avais eu le sentiment que M. Joras était un interlocuteur difficile. Non seulement il saute d’un sujet à l’autre mais, dans le souci de livrer une troisième, une quatrième ou une douzième information, il oublie de donner la première et la deuxième. Pendant la discussion, il est d’une précision agaçante, ce qui veut dire qu’il reprend tout le temps son interlocuteur. A sa décharge, il faut reconnaître que trois fois sur cinq il arrive à démontrer que le mot utilisé est, dans le contexte donné, vraiment inapproprié. La pire gaffe est de dire “frontière” et non pas “point de contrôle croate”. Quand on attire son attention sur une de ses erreurs, il la reconnaît immédiatement avec le sourire et sans la moindre mauvaise humeur. On dirait même qu’il préfère être conciliant plutôt qu’en opposition, ce qui est quelque peu étrange pour quelqu’un qui est présenté sans cesse comme un entêté irascible, voire comme un irréductible. Lui se décrit comme un formaliste, voire un légaliste, c’est-à-dire un individu qui respecte à la virgule les lois et les accords passés. Toutes les deux minutes, il quitte la pièce en trombe et revient en portant avec délectation un nouveau tas de classeurs épais où il a documenté méticuleusement sa lutte pour obtenir la souveraineté slovène – et européenne – sur son lopin de terre. Quant à moi, j’essaie de le faire apparaître comme un individu en chair et en os, mais je n’y arrive pas vraiment. D’un côté, il s’y oppose activement. De façon générale, il ne veut pas qu’on s’y attarde, puisqu’en tant qu’individu il n’est “rien de spécial, rien qu’un Slovène parmi les 2 millions d’autres Slovènes”. De l’autre, c’est techniquement impossible. En effet, comment séparer l’homme Josko Joras du combattant infatigable qui lutte pour que le hameau de Secovlje retourne dans le giron de la mère patrie ? “J’ai mis le doigt sur une affaire qui – du moins dans certaines têtes – était conclue, même s’il n’y a jamais eu aucune base légale, explique-t-il. Vos confrères, par exemple, ■ Contentieux Depuis la fin écrivent qu’on leur a enseigné à l’école de la Yougoslavie, que la frontière passait sur la Dragonja. en 1991, le tracé Mais c’est une division informelle et de la frontière entre arbitraire, effectuée par les commis- la Slovénie et saires politiques des partisans en 1944 la Croatie a fait afin de délimiter une zone d’opérations l’objet de nombreuses militaires. Montrez-moi un seul acte négociations fondateur selon lequel la frontière est et controverses sur la Dragonja ! Et puis, une autre ponctuées de question importante se pose : qu’est-ce brusques tensions entre les deux pays. que la Dragonja ? Ce qui est actuel- Si cette question lement considéré comme la Dragonja apparaît aujourd’hui est en fait le canal Saint-Odorik, comme globalement rebaptisé Dragonja”… résolue, quelques Juste au moment où il s’apprête points litigieux à étaler une carte topographique du demeurent, parc naturel régional des salines de notamment dans Secovlje, un coup de vent subit nous la baie de Piran, force à quitter le banc du jardin. où vit Josko Joras. “Voici ma femme”, dit-il en pénétrant Les quelques maisons de ce dans le salon et en me présentant hameau se trouvent son épouse, Olga, tandis que sa fille sur l’ancienne Desi nous offre des tranches de frontière fédérale melon. Puis Josko se met à me ra- (ce qui ne posait conter sa vie. Il est né en 1950 à aucun problème Maribor. Sa mère, citoyenne ita- du temps de lienne, avait abrité dans son auberge la Yougoslavie). une base clandestine de partisans, Deux communes ce qui lui a valu d’être déportée dans – celle d’Umag côté croate un camp de concentration. A la fin et celle de Piran de la guerre, elle ne pesait que 38 ki- côté slovène – los, un véritable squelette humain. se disputent le droit Malgré cela elle a ensuite donné de les administrer. naissance à sept enfants bien portants, dont le dernier était Josko. Quand il eut 5 ans, son père fuit le communisme de Tito et s’installa en Suède. Il fut alors élevé par sa mère, qui s’identifia à l’idéal socialiste tout en refusant sèchement de devenir moucharde pour la police secrète. Pour ses 10 ans, un médecin conseilla à celle-ci de s’installer au bord de la mer. Ils déménagèrent donc à Piran, au bord de l’Adriatique, où Josko suivit une formation de serveur. Même s’il passa là des années agréables, il décida à 20 ans de partir en Allemagne, dans la Ruhr. Il voulait connaître le monde, mais il fit surtout la connaissance de son épouse. Ayant mis de l’argent de côté, il racheta à son patron le restaurant où il travaillait. Devenu gérant, il mena une vie confor- COURRIER INTERNATIONAL N° 835 42 table, mais quelque chose lui manquait. “Mon sentiment d’identité s’est réveillé à l’étranger. C’est là que j’ai réalisé combien notre bord de mer était magnifique. Il faut savoir que, dans la Ruhr, ils ont du brouillard ou de la pluie trois cents jours par an.” En 1984, il décida de rentrer au pays. A défaut de pouvoir s’installer sur la côte, il se mit à retaper la maison maternelle, à Secovlje. Il dit y avoir passé treize années sereines, sans le moindre problème, et cela malgré les guerres qui éclatèrent sur le territoire de l’ex-Yougoslavie à partir de 1991. Ce n’est qu’à partir de 1998 qu’il dit être devenu l’objet de pressions malveillantes de la part des autorités croates, dans le seul but, selon lui, de le chasser et de s’approprier sa maison. C’est à cet instant qu’il me présente des documents témoignant de tentatives répétées d’agents du “point de contrôle” croate de lui confisquer son lait et d’autres humiliations de ce genre.Vient ensuite l’histoire bien connue du drapeau slovène et européen hissé sur sa maison, des amendes impayées, de la condamnation à l’emprisonnement et de la grève de la faim qui s’est ensuivie. A cette époque, cela l’a beaucoup amusé de constater que les autorités croates, qui avaient qualifié de “violation de l’ordre et de la paix publics” sa décision de hisser le drapeau slovène, lui écrivaient à l’adresse “Secovlje 1,Slovénie”. Il leur a toujours répondu avec un plaisir tout particulier, ayant interprété cela comme une preuve directe que sa maison se trouvait bien en territoire slovène. Après sa remise en liberté, les Croates ont fait une croix sur les amendes pour avoir la paix. Puis il y a eu une accalmie ; il ne rencontrait plus aucun problème à la frontière… euh, au point de contrôle. Il y a eu ensuite sa candidature à la présidentielle, en 2002, et la plantation préélectorale de tilleuls. Le dernier conflit a éclaté à l’été 2006, quand, selon M. Joras, les autorités croates ont fait obstacle au travail des instances juridiques de l’Etat slovène. Quatre gorilles en uniforme auraient physiquement empêché un expert judiciaire venu de Ljubljana d’évaluer les dégâts causés par les eaux pluviales provenant de l’immense parking d’un grand casino croate voisin. Deux jours après, les Croates ont bloqué avec quatre bacs à fleurs en béton le passage que Josko Joras avait aménagé pour contourner le point de contrôle. La justice ayant ordonné de les retirer, il a attendu quelques semaines pour donner aux Croates la possibilité de le faire, puis a commandé une grue pour les retirer lui-même, mais celle-ci a été interceptée par des policiers slovènes, ce qu’il considère comme un véritable coup de poignard dans le dos. Josko Joras et sa “Société civile slovène pour la frontière en Istrie” envisagent de poursuivre la Croatie devant la Cour européenne de justice. Quand on lui demande s’il serait quand même rentré en Slovénie, abandonnant sa vie tranquille et prospère en Allemagne, s’il avait su ce qui l’y attendait, il répond d’un “oui” catégorique après une courte réflexion. S’épanouit-il en vivant ainsi ? “Oui” de nouveau. Quand en partant je lui demande enfin s’il a l’intention de crépir sa maison, il réplique qu’il l’aurait fait depuis belle lurette s’il ne dépensait pas autant d’argent et d’énergie pour mener son combat. Jure Aleksic DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835p42-43 30/10/06 15:43 Page 43 Denis Sarkic ● ■ Josko Joras, domicilié à Secovlje 1, Slovénie… en Croatie. “Ici, c’est la Slovénie”, a-t-il écrit sur le fronton de sa maison, où flottent les drapeaux slovène et de l’Union européenne. Trieste Zagreb S. ME T R AD IA I TA L I E D E CROATIE R O L F E R I E S T E BOSNIEHERZ. TI QU Koper Piran Baie de Piran E S L O V É N I E Secovlje IAT IQ UE D ra Zone litigieuse des anciennes salines go n j a C R O A T I E Umag 0 10 km Courrier international ME R A DR COURRIER INTERNATIONAL N° 835 Denis Sarkic Ljubljana ITALIE G HONGRIE 43 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835 p.44-45 ok 31/10/06 9:42 Page 44 enquête ● RÉPRESSION RELIGIEUSE AU MAROC Conversions interdites Madrid DE CASABLANCA ous êtes un espion ou un missionnaire ?” Gilberto Orellana garde encore gravée dans la mémoire la question du commissaire de police de Tétouan, qui l’a longuement interrogé il y a dix ans. Le policier y a mis les formes, mais certains de ses subordonnés l’ont insulté et menacé, lui criant : “Dis-nous ce que tu fais au Maroc !” Ils l’ont malmené, mais ne l’ont jamais frappé. Après trois années passées dans la capitale de l’ancien protectorat espagnol, Orellana avait été démasqué. Ce Salvadorien, qui enseignait la musique au conservatoire de Tétouan, était aussi un pasteur évangélique qui s’efforçait de convertir ses collègues et ses élèves, dans la plus grande discrétion. Théoriquement, hormis une petite minorité juive d’environ 3 500 âmes, toute la population marocaine est musulmane. Le Code pénal reconnaît la liberté de culte, mais son article 220 prévoit aussi entre six mois et trois ans d’emprisonnement pour quiconque tente de déstabiliser la foi musulmane, c’est-à-dire pour ceux qui font du prosélytisme. “Certains élèves ne voulaient même pas toucher la Bible”, se rappelle aujourd’hui Orellana dans son appartement de Málaga [sud de l’Espagne], où il s’est installé avec sa famille en 1995. “Parfois, ils arrêtaient de me parler dès que je commençais à leur faire part de ma foi”, poursuit-il. D’autres, en revanche, se sont engagés dans la voie prônée par le pasteur. “Il y a eu cinq baptêmes dans ma baignoire, et un sixième, celui d’une fille un peu grosse, dans la mer”, raconte-til avec fierté. Ce travail lui a valu une condamnation à un an de prison, même s’il n’a passé que trois semaines dans la prison de Tétouan, où il a dû partager sa cellule avec seize trafiquants de drogue. Grâce à la mobilisation internationale, le procès en appel a pu avoir lieu rapidement. Orellana a été acquitté et, après avoir passé trois jours au commissariat sans manger ni boire, il a été expulsé vers Ceuta [enclave espagnole au Maroc]. Les convertis marocains, qui avaient écopé de huit mois de prison, ont été eux aussi remis en liberté par la cour d’appel de Tétouan après avoir récité la profession de foi musulmane : “Il n’y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète.” Les brebis égarées revenaient ainsi dans le droit chemin religieux, du moins formellement. Celui que nous appellerons Youssef – un étudiant en sciences de Taourit, une petite ville située non loin de Melilla [enclave espagnole au Maroc] – a subi à peu près le même sort il y a seulement neuf mois, après s’être converti en regardant les émissions de SAT 7, une télévision évangélique en langue arabe ayant son siège à Beyrouth. En pleine nuit, des gendarmes l’ont tiré du lit sans ménagement, puis l’ont emmené au poste afin de l’interroger sur sa foi chrétienne. Ils lui ont administré quelques coups de pieds, puis ont fini par le relâcher. “J’ai dit à Youssef qu’au Maroc un citoyen victime d’abus disposait de moyens pour faire valoir ses droits”, V Le royaume chérifien punit sévèrement le prosélytisme des missionnaires évangéliques, qu’ils soient marocains ou étrangers, tout en essayant de ne pas se fâcher avec Washington. raconte Ali, un pasteur évangélique marocain de l’est du pays. “Mais ce garçon ne voulait pas perdre de temps à protester, il avait des examens à passer et c’était pour lui une priorité absolue.” Ali a accepté de converser avec moi dans un café très animé, à condition que son nom ne soit pas cité, pas plus que la ville où il exerce. Il n’a pas été facile de trouver Youssef, Ali et leurs coreligionnaires. Les églises marocaines ne figurent pas dans l’annuaire téléphonique, et elles ne disposent pas de site Internet. Les églises catholiques ou protestantes jouissent certes d’un statut légal au Maroc mais elles ne peuvent être fréquentées que par des fidèles européens ou subsahariens. Elles connaissent à peine les convertis et ne donnent pas leurs numéros. Une longue chaîne de contacts permet seule de les localiser. Quand l’un d’entre eux accorde sa confiance au journaliste, toute la communauté s’ouvre. “Ce qui est arrivé au pasteur latino-américain et au frère Youssef n’arriverait pas dans les grandes villes du Maroc”, assure Ali en sirotant son café. “Nous, les chrétiens, on continue à nous convoquer de temps en temps au commissariat. Moi, la dernière fois, on m’a fait venir il y a un ou deux mois, mais c’était pour bavarder amicalement, essayer de me soutirer des informations, ajoute-t-il. Il n’y a pas de coups ni de menaces, et encore moins de peines de prison, comme c’était le cas sous Hassan II. Il y a juste, disons, un excès de zèle dans certaines petites villes.” “Le problème”, poursuit-il, tout en cherchant du coin de l’œil un éventuel mouchard assis près de notre table, “ce ne sont plus les autorités.” Même si, à Massa, dans le sud du pays, Jamaa Ait Bakrim a été condamné en 2003 à quinze ans de prison pour prosélytisme et dégradation de biens publics. “Le problème, ce sont les parents, les voisins, la société dans son ensemble, poursuit-il. Le makhzen [entourage du roi] veut savoir tout COURRIER INTERNATIONAL N° 835 44 ce que nous faisons, mais il ne tient plus à nous empêcher de le faire, pourvu que nous restions prudents. Il se soucie aussi de notre sécurité, il ne veut pas que nous soyons agressés par des fanatiques.” Né dans une famille nombreuse de classe moyenne supérieure, Ali, 40 ans, a connu une crise religieuse à l’adolescence. “Le Dieu de l’islam ne me comprenait pas, et à 16 ans j’ai fini par me déclarer athée, se rappelle-t-il. L’islam tel qu’on l’interprète actuellement est une chape de plomb. Quand je suis entré à l’université, un copain m’a prêté une Bible. J’ai rencontré un Dieu qui m’acceptait tel que j’étais pour ensuite me changer.” Ali s’est converti. Il a approfondi la connaissance de sa nouvelle religion grâce à un cours par correspondance. “Je recevais des lettres sans en-tête d’un pays arabe, en théorie très musulman.” “Vous savez que, pour mon entourage, il est plus acceptable d’être athée que chrétien ? fait valoir le pasteur, marié et père de deux enfants. Etre athée, c’est une erreur de jeunesse, être chrétien, c’est une trahison. Non seulement tu as rejeté l’islam, mais tu es Dessin de Nataliya Moroz passé à la religion du colonisateur paru dans The New français. Les gens s’imaginent que tu York Times Book t’es converti parce que, comme ça, tu Review, Etats-Unis. pourras émigrer plus facilement vers l’Europe ou que tu vas obtenir en échange tel ou tel avantage économique.” Un sondage de l’institut américain PEW conclut que 61 % des Marocains ont une opinion négative du christianisme. Radouan Benchekroun, président du Conseil des oulémas (théo■ Prosélytisme logiens musulmans) de CasaGilberto Orellana, blanca, contribue à diffuser cette le pasteur idée : “Les évangéliques trompent les évangélique gens, ils les attirent avec de l’argent et expulsé du Maroc. de l’aide sociale. Ils propagent des mensonges sur l’islam et les musulmans. Renier sa religion, c’est le plus grand péché que puisse commettre un musulman”, explique-t-il. A mesure qu’Ali révélait sa foi, il a perdu ses amis. “Ça n’a pas été facile, se souvient-il. Je leur demandais de me juger sur mes actes, et non sur mes choix religieux. Parmi mes douze frères, trois se sont convertis.” Dans la famille d’Ali, comme dans beaucoup d’autres, les premières personnes à embrasser la nouvelle foi ont été des femmes. “Pour elles, être chrétiennes, c’est être plus libres, plus égales que les autres”, explique Abdelhak, un autre pasteur évangélique. Il a fondé un club d’amis censément mordus d’informatique – une couverture pour pouvoir se réunir plus facilement avec ses fidèles. Abdelhak n’a pas eu à se convertir, parce que, souligne-t-il en bombant le torse, “j’ai le privilège d’avoir des parents chrétiens”. Ces derniers ont opté pour le DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 El País EL PAÍS 835 p.44-45 ok 31/10/06 9:42 Page 45 protestantisme au lendemain de l’indépendance, il y a un demi-siècle. Les dimanches et les jours fériés, les chrétiens se donnent rendez-vous pour prier chez des particuliers, généralement chez leur pasteur. “Le plus souvent, on est entre 15 et 20 personnes. Rassembler plus de gens, ça attirerait l’attention, indique Ali. C’est aussi la raison pour laquelle, à mon domicile, nous espaçons les entrées et les sorties. Dans le vieux quartier de la ville, il y a aussi une poignée d’artisans chrétiens qui, du fait qu’ils travaillent le dimanche, prient le Seigneur les vendredis.” Les convertis ne fréquentent pas les églises officielles, soit qu’ils veuillent créer la leur – arabe ou berbère –, soit parce qu’en le faisant ils risqueraient de mettre en difficulté les paroissiens et les pasteurs étrangers, que Rabat pourrait accuser de prosélytisme. A Noël, certains n’en franchissent pas moins la porte du temple. Par exemple, Abdelhak. “Les deux policiers en faction pendant le culte ne se sont pas démontés, raconte-t-il, et le pasteur, qui me connaît, m’a regardé d’un air étonné tandis que je m’asseyais parmi les fidèles.” Le pire, pour les chrétiens, de l’aveu de tous les interviewés, ce sont les fêtes musulmanes et le mois de jeûne du ramadan. “Certes, nous ne mangeons pas en pleine rue pendant le ramadan, souligne Ali, mais nous ne respectons pas l’abstinence. De la même façon, nous n’observons pas l’iftar [rupture du jeûne] et nous n’égorgeons pas un agneau pour l’Aïd. A ces occasions, on vous regarde comme une bête curieuse et vous vous sentez vraiment différent.” Depuis quelques années, outre les rares pasteurs reconnus par les autorités, le Maroc en voit affluer beaucoup d’autres dont l’activité déclarée – souvent coopérant – dissimule un travail de missionnaire. Cétait ainsi le cas de Gilberto Orellana. La plupart de ces pasteurs viennent des Etats-Unis, bien qu’on trouve parmi eux quelques Latino-Américains. “Le gouvernement Bush les encourage, et son ambassade à Rabat leur assure une certaine protection”, affirme un diplomate européen en poste dans cette capitale. Combien sont-ils ? La presse estime à 500 les nouveaux pasteurs, dont beaucoup ont été formés dans trois universités évangéliques des Etats-Unis et qui sont répartis dans tout le Maroc. Ce chiffre n’étonne pas les Eglises reconnues. En revanche, il en inquiète certains, à tel point que le parti de l’Istiqlal (Indépendance), le deuxième du pays, a interpellé devant les deux Chambres le ministre des Affaires religieuses, Ahmed Taoufik, au sujet de l’“offensive évangélique”. “Le peuple marocain […] exige des mesures concrètes pour garantir sa sécurité spirituelle”, a lancé Al-Tajdid, l’organe des islamistes modérés. Taoufik a esquivé la question, alors même que son prédécesseur avait envoyé une circulaire aux oulémas pour qu’ils mettent en garde la population. Vers la même date, le ministre de l’Intérieur a fait expulser de Marrakech le pasteur sud-africain Dean Malan. Mais, même si l’apostolat évangélique les gêne aux entournures, les autorités ont du mal à aller plus loin. D’importantes délégations des Eglises évangéliques des Etats-Unis se rendent à Rabat pour s’y entretenir avec des ministres. “Elles bénéficient d’un traitement de faveur, car notre makhzen ne ménage pas ses efforts pour satisfaire Bush”, assure Le Journal hebdomadaire. 0 0 1 2 N E S U L P 7°C DE N A R A P E L U C I N A C E D S R U O J 0 2 U R A P S I D E U Q I T C R A ’ L E D % 0 0 1 E I G O L O C É ’ L E D 50 HÉROS E T N A L Û R B É T I L A 120 PAGES D’ACTU AUX N R U O J E D D N A H C R 7 € CHEZ VOTRE MA Ignacio Cembrero COURRIER INTERNATIONAL N° 835 45 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 *835 p46-47 31/10/06 10:29 Page 46 économie ■ économie Les Espagnols partent à la conquête du monde p. 48 Une immigration salvatrice pour l’économie p. 48 ■ multimedia Internet à deux vitesses ? Non, merci ! p. 50 i n t e l l i g e n c e s Mariage d’amour dans la sidérurgie CONCENTRATION Le rachat de l’anglo■ néerlandais Corus par l’indien Tata Steel va donner naissance à un nouveau géant de l’acier. THE ECONOMIST Dessin de Chris Londres Duggan paru dans le Financial Times, Londres. DE NEW DELHI u début du XXe siècle, lorsque l’Inde faisait encore partie de l’Empire britannique, le président des chemins de fer de la colonie, sir Frederick Upcott, ne tenait pas Tata en haute estime. A tel point qu’il s’était dit prêt à “manger chaque livre de rail” que la jeune société sidérurgique serait en mesure de fabriquer selon les spécifications britanniques. En a-t-il fait une indigestion, nul ne le sait, toujours est-il qu’à partir de 1916 Tata a produit plusieurs centaines de tonnes d’acier par an. Il y a deux ou trois ans, le même scepticisme aurait été justifié si quelqu’un avait suggéré que Corus, le sidérurgiste anglo-néerlandais qui abrite dans son giron l’ancien géant British Steel, ferait l’objet d’une OPA de Tata Steel, société indienne de taille bien plus modeste. C’est pourtant ce qui est arrivé le 20 octobre quand Corus a accepté l’offre de 7,6 milliards d’euros présentée par Tata pour donner naissance au cinquième sidérurgiste mondial. Lorsqu’il y a près d’un an, Jim Leng, le président de Corus, a commencé à chercher à l’étranger des sources bon marché d’acier primaire pour ses usines de finition européennes, il s’est d’abord adressé à Tata. A i n t e l l i ge n c e s ■ sciences Bataille de statisticiens à propos de la guerre en Irak p. 51 ■ technologie Un Tchernobyl flottant dans les eaux russes p. 52 ■ écologie Pourquoi il faut interdire l’Everest aux touristes ● ■ Conglomérat Fondé au XIXe siècle, le groupe Tata emploie plus de 202 000 personnes dans le monde. Il réalise un chiffre d’affaires de 17 milliards d’euros dans divers secteurs (thé, automobile, sidérurgie, télécommunications, services financiers, hôtellerie, informatique…). Respecté pour sa probité et pour son engagement dans la société, parfois critiqué pour sa gestion paternaliste, Tata contrôle plusieurs fondations caritatives, impliquées notamment dans la recherche et l’éducation. Il a également engagé des discussions avec O.P. Jindal, un autre groupe sidérurgique indien de moindre importance, et avec des firmes d’autres pays. Mais lorsqu’en 2006 les prix de l’acier se sont mis à flamber, Corus est passé du statut d’acheteur à celui de cible potentielle, et Tata, qui dispose d’importantes liquidités, a vu l’opportunité d’acquérir une envergure mondiale quelques mois après que Mittal Steel, avec à sa barre Lakshmi Mittal, un homme d’affaires d’origine indienne vivant à Londres, eut mis la main sur l’européen Arcelor. Selon Ratan Tata, qui dirige le groupe, l’objectif n’est pas seulement d’accroître la taille de Tata Steel, mais également de développer une “cohérence stratégique”. La fusion Arcelor-Mittal, ainsi que les projets de M. Mittal ou du sudcoréen POSCO visant à créer des usines sidérurgiques intégrées en Inde, avait conduit Tata Steel à prendre conscience de sa vulnérabilité. Ces dix dernières années, le groupe indien a modernisé ses usines et taillé dans ses effectifs pour devenir l’un des sidérurgistes aux coûts les plus faibles du monde. Mais il reste un petit producteur [le 56e mondial], avec seulement 5,3 millions de tonnes d’acier par an, contre 18,2 millions pour Corus et 109,7 pour Arcelor-Mittal. Il envisage cependant de dépenser quelque 15 milliards de dollars [11,8 milliards d’euros] pour construire trois unités intégrées d’exploitation la vie en boîte p. 53 Cinq conseils pour survivre 1. Faites-vous remarquer Pour avancer dans l’entreprise, il faut se faire remarquer. Mais travailler dur vous rend quasi invisible. En conséquence, il vaut bien mieux travailler à se faire remarquer. Les cadres dirigeants aiment plus que tout les débutants qui font preuve d’initiative. Car plus ces jeunes se montrent entreprenants, moins leurs supérieurs ont de travail. Evidemment, proposer de faire quelque chose, ce n’est pas du tout comme faire quelque chose. Dès que l’on a vu que vous étiez volontaire, éloignez-vous du projet avant qu’il ne démarre réellement. La meilleure façon de s’y prendre est de vous mettre sur les rangs pour un autre projet. 2. Ne prenez pas de risques On pourrait penser que les tireau-flanc forment une masse iner te au bas de l’échelle hiérarchique. En réalité, on les trouve à tous les niveaux, jusqu’au président lui-même. La rai- son en est simple : quand cela cile pour les assistantes d’acva mal, c’est généralement parce céder aux postes de direction. que quelqu’un quelque part a Ce n’est pas qu’elles n’en setenté quelque chose. Les perraient pas capables ; le prosonnes qui restent bêtement blème, c’est que les dirigeants assises toute la journée ne pourraient pas faire devant leur bureau à leur travail sans elles. faire semblant de tra4. Soignez votre tenue vailler sont par consévestimentaire quent les seules à affiDepuis la chute du comcher un taux de réussite munisme, le laisser-aller de 100 %. Avec une telle vestimentaire du venperformance, une prodredi est la principale motion est inévitable. entrave au bon fonc3. Soyez gentil tionnement du capitaavec les assistantes lisme. Si vous portez un Si vous mettez tous casque de soudeur, les les PDG du pays dans gens pensent à des une pièce, leur produc- Dessin de Leonard rivets, si vous portez un tion se limitera à une Beard paru dans costume, ils pensent gamme de juteuses El Periódico de aux affaires. Mais si stock-options pour eux- Catalunya, Barcelone. vous êtes en bermuda mêmes et à du baratin et en sandales, ils vous insignifiant pour la City. Donnezimaginent sur le point de partir leur une bonne assistante et à San Francisco avec des fleurs ils seront peut-être en mesure dans les cheveux. Pour autant, ne de faire quelque chose d’utile. ressemblez pas trop à un homme C’est pourquoi il est très diffid’affaires. Sinon, on croira que COURRIER INTERNATIONAL N° 835 46 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 vous travaillez pour le grand banditisme ou les pompes funèbres, voire les deux. 5. Passez-vous de consultants Un consultant est quelqu’un doté d’un ego si démesuré qu’il faut plus d’une entreprise pour en supporter le poids. Dans son travail, il essaie d’inspirer la crainte ou de se faire des amis. C’est quand il tente de devenir votre ami qu’il vous fait le plus peur. Le test infaillible pour juger un consultant est de vérifier s’il peut dire : “Tout va bien, maintenant je vous laisse.” Aucun vrai consultant n’en est capable. En revanche, il vous vendra un projet qui coûtera juste assez cher pour vous empêcher de faire des bénéfices, de sorte qu’il vous faudra de nouveau faire appel à lui pour trouver une solution. Guy Browning*, The Guardian (extraits), Londres * Il vient de publier Office Politics : How Work Really Works (Stratégies au bureau, comment le travail fonctionne réellement), Ebury Press. *835 p46-47 31/10/06 9:47 Page 47 économie minière et d’aciérie dans les Etats indiens de l’Orissa, de Jharkhand et de Chattisgarh, ce qui lui conférerait une capacité supplémentaire de 23 millions de tonnes d’acier par an, mais pas avant dix à quinze ans. En attendant,Tata a commencé à se développer à l’étranger. Il a acquis le singapourien NatSteel en 2004 et le thaïlandais Millennium Steel en 2005, gagnant ainsi 4 millions de tonnes d’acier par an. Il a également fait une offre pour le sud-africain Highveld Steel, qu’il renouvellera si le russe Evraz ne parvient pas à boucler son rachat comme convenu. Enfin,Tata a de grands projets concernant le minerai de fer et l’acier en Iran et au Bangladesh, même s’ils restent en suspens pour des raisons politiques. Cette offensive tous azimuts découle d’une stratégie lancée, il y a trois ans, par le directeur général de Tata Steel, B. Muthuraman. L’entreprise, qui extrait tout le minerai de fer et le charbon dont elle a besoin, souhaite maintenant produire l’acier primaire à proximité de ses gisements, puis expédier l’acier semi-fini afin de réaliser la finition près des marchés de consommation étrangers. Ce projet satisfait les Etats indiens, qui exigent qu’après l’extraction de leur minerai de fer une part de valeur soit ajoutée localement, tout en permettant, en aval, d’adapter le processus de production aux besoins locaux. TATA REDEVIENDRA LE PREMIER CONGLOMÉRAT INDIEN Corus s’insère parfaitement dans cette stratégie. A la logique industrielle s’ajoutent les affinités culturelles que se sont trouvées les dirigeants des deux groupes en début d’année. De manière générale, les relations sont habituellement faciles entre sociétés indiennes et britanniques. Ainsi, Tata Tea a absorbé avec succès le britannique British Tea en 2000, créant un lien entre la production indienne de thé et les buveurs étrangers. Cette année, Tata Consultancy Services (TCS), la branche logiciels et services informatiques du groupe, a créé une unité de sous-traitance au Royaume-Uni, avec Pearl, une société d’assurance-vie. Aujourd’hui, les dirigeants de Corus, tout comme ceux de Tata, expriment leur souhait de voir aboutir une OPA amicale et disent partager la même vision en matière de gouvernance et d’éthique. Tata a également annoncé qu’il ne prévoyait pas de fermeture d’usines ni de licenciements chez Corus. Cet engagement (déjà pris et tenu auprès de NatSteel et de Millenium Steel) constitue évidemment un plus pour le groupe britannique, et place la barre très haut pour toute offre concurrente (CSN, une entreprise brésilienne, convoiterait aussi Corus). Si l’opération aboutit, Ratan Tata présidera le groupe né de la fusion, et Jim Leng le secondera, mais il compte laisser la gestion de Corus aux dirigeants actuels, en liaison avec un comité d’intégration qu’il présidera. Tata retrouvera alors sa place traditionnelle de premier conglomérat indien en termes de chiffre d’affaires, évinçant du coup le très agressif Reliance Industries – un effet secondaire dont M.Tata et ses proches se réjouissent discrètement. ■ COURRIER INTERNATIONAL N° 835 47 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 835p48-49 bis 30/10/06 15:44 Page 48 économie Les Espagnols partent à la conquête du monde 80 200 En nombre d’opérations (échelle de droite) 60 150 40 100 En milliards de dollars 20 50 (échelle de gauche) 0 0 2000 2002 2004 2006* * A fin septembre. Sources : Dealogic, “The Wall Street Journal” rope, et font leurs emplettes aux EtatsUnis. “Avec l’euro fort et la montée du protectionnisme en Europe, les conditions sont vraiment réunies pour une nouvelle vague d’acquisitions aux Etats-Unis”, prédit Mauro Guillén, professeur à la Wharton School, à l’université de Pennsylvanie, qui a écrit un livre sur les multinationales espagnoles. En 2005, Santander a traversé l’Atlantique et pris une participation de 25 % dans le capital de l’établissement de crédit Sovereign Bancorp, en déboursant 2,9 milliards d’euros. Fin septembre, la Banque a annoncé le rachat de Drive Financial, à Dallas, une société de crédit automobile – un secteur lucratif dont Santander s’est taillé la part du lion en Europe. Sa compatriote BBVA, qui a récemment bouclé quelques petites opérations en Californie et au Texas – où elle est la première banque – a annoncé cet été son projet d’entrer sur le marché américain de la banque de détail. Le fabricant d’éoliennes GAMESA, lui, vient de construire une usine en Pennsylvanie et il entend ne pas s’arrêter là. Ferrovial exploite des routes à péage à Chicago et au Texas, ainsi qu’au Canada. Les entreprises espagnoles n’auraient sans doute pas pu mener cette expansion sans l’expérience acquise lors de leurs premières incursions, il y a dix ans, en Amérique latine.Telefónica mais aussi des banques et des sociétés de services aux collectivités ont profité de la vague de privatisa- Une immigration salvatrice pour l’économie CONSOMMATION Depuis dix ans, ■ 4 millions d’étrangers se sont installés en Espagne. Grâce à eux, l’économie est florissante, affirme une étude qui fait débat. LA VANGUARDIA Barcelone etirez donc de la demande 4 millions de personnes, avec tout ce qu’elles apportent en termes de consommation, d’achats immobiliers, de rentrées fiscales, de nouveaux foyers, d’investissements… Quatre millions de personnes pour la plupart âgées de 25 à 40 ans, qui par conséquent consomment peu de services publics. Enlevez-les, vous verrez ce qui reste… Notre pays a connu un vrai choc en termes de demande et il n’en a toujours pas analysé les conséquences.” Josep Oliver, professeur à l’université autonome de Barcelone, s’enflamme lorsqu’il aborde le sujet. Le 29 août, en pleine crise des cayucos [embarcations de fortune transportant des immigrés venus d’Afrique] et face à une opinion publique très mobilisée, la banque Caixa Catalunya a publié une étude réalisée sous sa direction, une simulation démontrant que la croissance du PIB espagnol par R COURRIER INTERNATIONAL N° 835 habitant au cours des dix dernières années était due à l’immigration. Sans l’immigration, l’économie serait entrée en récession, va jusqu’à affirmer le rapport. Saluée par les uns, décriée par les autres, cette étude a permis d’ouvrir un débat jusqu’ici inexistant. “Notre estimation est peut-être critiquable, mais elle est légitime”, insiste Josep Oliver. “Selon la théorie classique, plus la population est importante, moins la productivité est forte. Mais il s’agit d’une affirmation contestée. Il y a trente ans, ce pays a pris la décision de ne plus avoir d’enfants. Sur le long terme, cela a eu un coût énorme”, ajoute-t-il. Pour faire leur simulation, le professeur et son équipe ont repris la méthodologie des économistes David Bloom et Jeffrey Williamson, qui, en 1998, ont démontré que le miracle asiatique (1965-1990) était dû pour moitié à la croissance démographique de la région, plus précisément à la transition démographique. La clé de leur succès ? La population en âge de tra- +6 Evolution du PIB par habitant (%) Evolution du PIB par habitant sans immigrants (%) Impact de l'immigration sur la croissance annuelle de 1995 à 2005 +4 +2 48 Ital ie Pay s-B as Por tug Roy al aum e-U ni Suè de ce nde Ir la Grè de e nce Fr a lan agn DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 F in ar k Esp nem –2 ue 0 Source : Caixa Catalunya LES ÉTRANGERS STIMULENT LA CROISSANCE Da Par le passé, les grands prédateurs en Europe étaient des sociétés britanniques, françaises et allemandes bien établies. Aujourd’hui, l’appétit insatiable des Espagnols reflète la puissance économique grandissante de leur pays. L’économie locale connaît l’une de plus fortes croissances de la zone euro, et la majorité des emplois nouvellement créés dans cette zone lui sont imputables. Madrid a engagé la déréglementation de secteurs clés comme les télécommunications, la banque et l’énergie avant la plupart de ses voisins, dopant ainsi sa croissance et permettant aux entreprises de ces secteurs de se familiariser plus tôt avec la concentration dans leur pays et la concurrence internationale. L’économie espagnole croît de 3,6 % par an en moyenne depuis dix ans. En 2006, elle devrait progresser de 3,4 %. Cette expansion économique a permis aux firmes espagnoles de se constituer un important trésor de guerre. Le financement des entreprises étant devenu moins cher avec Achats d’entreprises étrangères réalisés par des sociétés espagnoles e LES GOUVERNEMENTS EUROPÉENS DEVIENNENT PROTECTIONNISTES UN APPÉTIT DÉVORANT giq P rich ratiquement inconnues il y a dix ans hors d’Espagne ou d’Amérique latine – où elles ont fait leurs premiers pas à l’international –, des entreprises comme Telefónica, Ferrovial et Abertis jouent désormais un rôle de premier plan dans les fusions et acquisitions en Europe. “Il y a quinze ou vingt ans”, se souvient Luis Abril, un dirigeant de Telefónica qui a travaillé pour d’autres grosses sociétés espagnoles, “une réunion à Paris, à Londres ou à New York nous mettait les nerfs à vif. Nous ne parlions aucune langue étrangère, nous ne connaissions pas la manière dont ces gens faisaient des affaires. Ce n’est plus le cas.” Ferrovial, une ancienne entreprise familiale de BTP, a acquis en 2006 l’exploitant de l’aéroport londonien de Heathrow pour 15 milliards d’euros. Le Banco Santander, qui, il y a deux ans, a réalisé la deuxième plus importante opération transfrontalière du secteur, avec la prise de contrôle de la banque britannique Abbey National, pour 14 milliards d’euros, est devenu la neuvième banque du monde en termes de capitalisation boursière. En un an, Telefónica a racheté l’opérateur de téléphonie mobile britannique 02, ainsi que l’ancien opérateur public de télécommunications en République tchèque, et a pris une participation de 10 % dans le capital de China Netcom. Ambition “Nous sommes en plein décollage économique”, a récemment lancé José Luís Rodríguez Zapatero devant un parterre d’entrepreneurs catalans. Le Premier ministre espagnol estime que, dans moins de dix ans, son pays dépassera la France et l’Allemagne en termes de PIB par habitant. Aujourd’hui, rappelle El Mundo, le PIB espagnol par habitant représente 98 % de la moyenne de l’Union européenne, alors que l’Allemagne et la France se situent l’une et l’autre à 107 %. Bel New York ■ réduction d’impôts sur la survaleur des acquisitions à l’étranger et diminue de facto leur coût, favorise les opérations transfrontalières [la survaleur est l’écart entre le prix payé pour l’acquisition d’une entreprise et la valeur de ses actifs. Elle s’amortit sur plusieurs années]. L’offensive des entreprises ibériques en Europe se heurte toutefois à quelques résistances. Les gouvernements deviennent plus protectionnistes et s’efforcent de garder dans le giron national des secteurs comme la banque et l’énergie. Ainsi, l’Italie tente de contrer le rachat d’Autostrade par Abertis, qui donnerait naissance à un géant des concessions d’autoroutes, alors que la transaction a reçu le feu vert de l’Union européenne. Le Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA) a dû renoncer à la Banca Nazionale del Lavoro de Rome, en partie à cause de l’opposition d’Antonio Fazio, qui dirigeait à l’époque la Banque centrale italienne. Le gouvernement espagnol n’hésite pas, lui non plus, à ériger des barrières protectionnistes. Pendant une année, il a repoussé les assauts des Allemands sur la société d’électricité ENDESA, avant de finir par rendre les armes. Son obstination sur ce dossier a empêché des entreprises espagnoles d’accéder à certains marchés européens, estiment avec regret les milieux d’affaires. Voilà pourquoi elles sont nombreuses à regarder au-delà de l’Eu- gne THE WALL STREET JOURNAL (extraits) Dessin paru dans The Economist, Londres. Au t par la bonne santé de leur économie nationale, les entrepreneurs ibériques sont pris d’une frénésie d’achats. l’introduction de l’euro, des opérations autrefois impensables sont devenues possibles.Tous ces facteurs favorables ont permis aux Espagnols de dépasser leurs concurrents installés dans des pays européens à l’économie protégée et moins dynamique. Par exemple, les banques espagnoles affichent l’une des plus fortes rentabilités du monde. Anticipant la décélération, dans les années à venir, d’une croissance nationale tirée depuis dix ans par le boom du BTP, les firmes espagnoles s’efforcent de s’implanter sur de nouveaux marchés prometteurs. De plus, la fiscalité espagnole, qui accorde aux entreprises une ma ■ Alle ACQUISITIONS Dopés 835p48-49 bis 30/10/06 15:45 Page 49 économie tions qui a parcouru la région pour s’emparer de nombreuses entreprises. En 1999 et 2000, leurs investissements dans cette partie du monde ont ainsi dépassé ceux des Etats-Unis. Grâce à cette expansion, surnommée la “reconquista” par les économistes, les firmes espagnoles ont appris à piloter des rachats de sociétés, à gérer des activités à l’étranger et à transformer des unités inefficaces en modèles de rentabilité. Par la même occasion, leurs dirigeants ont acquis la conviction qu’ils étaient capables de rivaliser avec leurs concurrents étrangers. “Les entreprises espagnoles n’auraient jamais été ce qu’elles sont sans l’Amérique latine”, affirme Luis de Guindos, un vice-président de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers à Madrid. “Maintenant, elles reviennent vers l’Europe, leur marché naturel, et il est manifeste qu’elles lorgnent du côté des EtatsUnis, parce que, pour la première fois, ce marché est réellement à leur portée.” Keith Johnson vailler qui arrivait sur le marché dépassait largement le nombre d’inactifs. Reste à savoir si le miracle économique espagnol repose sur la même recette, ne serait-ce qu’en partie. Guillem López Casanovas, enseignant à l’université Pompeu Fabra, à Barcelone, doute de la pertinence de cette méthodologie dans le cas espagnol et réfute l’idée que l’immigration augmente la productivité. “La majorité des immigrants travaillent dans des secteurs où la productivité est faible et qui sont les moins en forme de toute l’Union européenne”, explique-t-il. Certes, “l’arrivée d’immigrés permet peut-être d’éviter certaines fermetures d’usines, mais elle ne fait que retarder la résolution du grand problème de l’économie espagnole, à savoir la productivité. Sans l’immigration, le processus d’adaptation nécessaire aurait commencé.A l’inverse, nous accumulons aujourd’hui une population en âge de travailler qui, en cas de crise, peut devenir un problème.” main-d’œuvre féminine, le recul de l’âge de la retraite ou l’augmentation de la natalité, n’aurait permis de résoudre le problème à court terme.” Pour Xavier Sala i Martín, professeur à l’université Columbia, ce type d’analyse “ne tient pas compte du fait que les immigrants, lorsqu’ils arrivent ici, poussent les salaires à la baisse et interrompent les évolutions technologiques. Je crois que l’adaptation dont on parle tant aurait été faisable sur cette période limitée. L’économie se caractérise notamment par sa capacité à s’adapter en très peu de temps aux situations nouvelles. Que ce soit bien clair, je ne suis pas contre l’immigration, mais ce type d’arguments ne permet pas d’améliorer les choses.” “Il est vrai que la théorie dominante affirme qu’immigration et productivité sont inversement proportionnelles, mais je crois qu’il est dangereux d’opposer les deux modèles”, tempère Carlos Obeso, directeur de l’Institut d’études sur le travail de l’ESADE. “L’économie espagnole doit chercher à gagner en valeur ajoutée, mais les immigrés ne sont pas responsables de l’échec scolaire. Aux Etats-Unis, on parle de ‘mexicanisation’, pour l’opposer à la mécanisation, mais en règle générale les pays à forte immigration sont des pays plus riches. Encore faut-il que ce modèle n’échappe pas à notre contrôle.” Ramón Aymerich L’AFFLUX D’ÉTRANGERS FAIT BAISSER LES SALAIRES S’il n’y avait pas eu d’immigration, réplique Josep Oliver, l’économie n’aurait matériellement pas eu le temps de s’adapter. “Sur la période 1995-2000, la population autochtone était déjà en baisse.Aucune des solutions envisageables, que ce soit un afflux de COURRIER INTERNATIONAL N° 835 49 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 30/10/06 15:46 Page 50 multimédia i n t e l l i g e n c e s ● Internet à deux vitesses ? Non, merci ! MOBILISATION Les internautes sociétés derrière des portes closes. A Washington, ils ont pris l’habitude de prendre des décisions importantes sans se donner la peine de demander aux gens ce qu’ils en pensaient”, explique-t-il. Fin juin 2006, les fournisseurs d’accès ont reçu un camouflet du Sénat quand la commission du Commerce n’a pu prendre de décision (11 voix contre 11) au sujet de la disposition concernant la neutralité du Net proposée par Olympia Snowe. Le résultat, raconte Ben Scott, a “provoqué une onde de choc” chez les nombreux lobbyistes réunis dans la salle d’audience du Congrès, qui s’attendaient à voir la neutralité du Net définitivement enterrée. Même si Scott et son armée d’internautes ont réussi à la sauver, il y a une différence entre un sursis et une grâce totale. Les géants comme AT&T et Verizon ne vont pas changer d’avis. Pour Mike McCurry, “si la campagne de protestation a pu décoller au niveau local,c’est uniquement parce que” les opérateurs de réseaux “n’ont pas compris l’importance de la neutralité du Net dès le début du débat”. Internet, selon lui, est à la gauche ce que la radio était à la droite dans les années 1980. “La gauche considère que c’est son média et elle ne veut pas que les grandes entreprises y mettent leur nez.” ■ américains se mobilisent avec succès contre le projet de création d’un péage visant à privilégier la circulation de certaines données. SALON (extraits) San Francisco en Scott sourit comme s’il venait de gagner le gros lot. Il est l’un des coordinateurs de SavetheInternet.com et, à ce titre, l’un des principaux défenseurs du principe de la “neutralité” du Net. Il s’agit d’une disposition de la loi sur les télécommunications qui interdit aux fournisseurs d’accès à Internet de faire payer les sites pour acheminer plus vite leurs contenus. Scott mène une guerre quotidienne contre les géants des télécommunications AT&T et Verizon, qui entendent bien multiplier leurs profits en créant des routes à péage sur leurs lignes dédiées au Net. Depuis plus d’un an, les lobbyistes des télécommunications – parmi lesquels Mike McCurry, l’ancien porteparole de Bill Clinton – éclipsaient Scott et son armée d’internautes, d’entrepreneurs en ligne et de militants des droits des consommateurs au Congrès. Mais, en ce jour d’automne, Scott sourit triomphalement dans son bureau dépouillé de Washington. Il sait qu’il a réussi à faire trébucher les Goliath du lobbying avec une arme simple qui n’aurait pas pu mieux convenir à la bataille du Net : une vidéo à petit budget chargée sur le site de partage vidéo YouTube. B LA BATAILLE A COMMENCÉ EN 2005 ET ELLE N’EST PAS FINIE Dans ce film en noir et blanc, des jeunes évoquent ce que serait la Toile sans la neutralité du Net. “Vous voulez que les entreprises contrôlent vos clics ?” demande un jeune homme à la caméra. “Ça veut dire qu’il faudra plus longtemps pour se connecter sur des sites appartenant à des fournisseurs d’accès concurrents, ajoute un autre. La Toile doit rester libre !” Après un solo de guitare et un plan flou du drapeau américain, l’écran devient noir et affiche les coordonnées de Savethe Internet.com. Postée sur YouTube le 17 août, cette vidéo a été regardée plus de 350 000 fois pendant la première semaine suivant sa présentation. Ce clip pour la neutralité du Net “fait le travail de trente professionnels de la communication employés à plein temps, confie Scott. Et le mieux, c’est que je ne sais même pas qui l’a faite.” Le débat porte sur une disposition plutôt obscure du titre II de la loi sur les télécommunications, qui garantit la non-discrimination dans l’accès à Internet. Du télégraphe au modem en passant par le téléphone, les voix et les fichiers voyageant sur les lignes ont toujours été traités de la même façon. La loi sur les télécommunications fait actuellement l’objet d’une réforme, la première depuis dix ans, pour inclure Dans ce film chargé sur le site YouTube, la parole est donnée aux internautes. Chacun d’entre eux exprime ses craintes de voir le Net soumis à un péage. A la fin, ses promoteurs invitent les internautes à s’impliquer en leur lançant : “A votre tour”. <www.youtube.com/ watch?v=vhBzPV9F OgA> ■ DR 835p50 Tendance “En quête d’influence. Google fait son entrée dans le jeu politique.” C’est en ces termes que The Guardian rapporte la création par le célèbre moteur de recherche d’un comité d’action politique auprès de la Commission fédérale électorale. Cela devrait permettre à Google de soutenir financièrement des candidats lors d’élections. Compte tenu de son poids en Bourse, certains voient dans Google un futur faiseur de rois à Washington. “Nous avons créé ce comité pour aider ceux qui partagent notre vision et veulent préserver le Net en tant que plate-forme ouverte et gratuite pour l’information, la communication et l’innovation”, explique d’ailleurs Ricardo Reyes, l’un des promoteurs de ce projet chez Google. les technologies actuelles, par exemple la télévision par câble et Internet. Le débat sur les télécommunications agite le Congrès depuis un an, mais aucun n’a été aussi houleux que celui sur la neutralité du Net. Les opérateurs réseau ont dépensé des millions pour éliminer la neutralité du Net, mais les internautes ont réussi à obtenir un match nul. La guerre a éclaté en 2005, quand la Cour suprême a modifié la classification officielle des fournisseurs d’accès. Assurés de pouvoir gouverner la Toile avec moins de restrictions, AT&T, Verizon et leurs semblables n’ont pas caché leur intention de créer une bande passante rapide réservée aux sites en mesure de payer. Les défenseurs de la neutralité du Net se sont empressés de répondre qu’un Internet où seuls ceux en mesure de payer le loyer pourraient présenter leurs marchandises étoufferait l’innovation et le choix. “Les consommateurs se seraient retrouvés avec l’éventail de produits qu’on trouvait dans les supermarchés de l’Union soviétique”, estime Olympia Snowe, sénatrice du Maine. Pour les défenseurs de la neutralité du Net comme Mme Snowe, l’introduction d’un système de tarification multiple modifiera fondamentalement le Net. Celui-ci avait été conçu comme un “réseau simple” ne faisant aucune discrimination entre les différents types de contenus qui y circulent. D’après les grands sites comme Google et Yahoo!, c’est cette égalité de traitement qui a abouti à “l’innovation sans restriction”, entraînant à son tour la révolution du Net. La tarification multiple assurera, selon eux, un quasi- COURRIER INTERNATIONAL N° 835 50 monopole aux opérateurs qui contrôlent actuellement 98 % du marché de l’accès à Internet, un marché qui représente 20 milliards de dollars [16 milliards d’euros]. Ces derniers peuvent compter sur Mike McCurry. L’ancien porte-parole de Bill Clinton n’a eu aucun mal à faire valoir les arguments de son camp dans le débat. Pendant que les films publicitaires envahissaient la télévision, McCurry présentait le point de vue des fournisseurs d’accès à la presse et martelait que la neutralité du Net était “une réglementation inutile” qui reposait “sur la peur, et non sur des faits”. “Qui paiera pour les améliorations qui devront être apportées à Internet afin qu’il reste compétitif ?” demande-t-il. Pour McCurry, il est juste que ceux qui consomment le plus paient davantage. Au fil du temps, la question de la neutralité du Net a quitté le Congrès pour toucher un public plus large. Des associations aussi différentes que MoveOn.org [un groupe de pression progressiste], la Christian Coalition of America [un groupe de pression religieux et conservateur], le Service Employees International Union [un syndicat du secteur de la santé, entre autres] ou les Gun Owners of America [qui militent pour la libre possession des armes à feu] ont perçu le projet des fournisseurs d’accès comme une atteinte à la liberté d’expression et se sont mises à mobiliser leurs membres. Selon Craig Aaron, de SavetheInternet.com, cette étrange coalition a assurément attiré l’attention de Washington. “La politique en matière de médias a pendant trop longtemps été déterminée par de grandes DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 UNE COALITION HÉTÉROCLITE QUI RÉSISTE BIEN Mais, comme le fait remarquer Ben Scott, la neutralité du Net ne touche pas que la gauche, puisqu’elle est aussi soutenue par certaines associations religieuses conservatrices et certains partisans des armes à feu. Les grands fournisseurs de contenus et de services ne financent pas SavetheInternet.com, mais ils apportent un soutien croissant à sa campagne. En août 2006, Meg Whitman, la PDG d’eBay, a fait envoyer un formulaire de lettre aux utilisateurs du service en les priant de l’imprimer et de l’envoyer à leur sénateur. Ben Scott reste optimiste et il a encore dans sa manche un atout qui tient en ce message simple : “Rien de plus facile que d’aller sur la Toile et de dire aux utilisateurs : tout ce que vous aimez dans la Toile est menacé.” Dans son bureau de Capitol Hill, il a une photo encadrée tirée du film Luke la main froide. C’est la fameuse scène où Luke le rebelle, interprété par Paul Newman, tente de manger cinquante œufs en une heure pour gagner un pari. Le héros, l’air épuisé, la figure couverte de petits morceaux d’œuf, semble souffrir et il y a encore une pile d’œufs sur la table. “La neutralité du Net, c’est comme ça, confie Scott. Personne ne pense qu’on peut battre les grands fournisseurs d’accès, tout le monde parie contre nous. Alors, tous les jours, je dois me taper cinquante œufs en une heure.” Il s’interrompt, conscient de l’immensité du défi, mais heureux des victoires obtenues à ce jour. “Les internautes ont vraiment changé le débat sur la neutralité du Net. Si le public n’avait pas réagi en masse sur cette question, je suis sûr que tout serait déjà terminé.” Daniel W. Reilly 835p51 31/10/06 9:43 Page 51 sciences i n t e l l i g e n c e s ● Bataille de statisticiens à propos de la guerre en Irak MÉTHODOLOGIE Des chercheurs ■ américains affirment que le conflit aurait déjà fait 655 000 morts. Mais tous les spécialistes ne sont pas d’accord avec ces résultats. SCIENCE (extraits) Washington ne récente estimation du nombre d’Irakiens morts depuis l’intervention des Etats-Unis et leurs alliés, en mars 2003, a provoqué un tollé. Le nouveau chiffre, compris entre 400 000 et 800 000, est dix fois supérieur à ceux du gouvernement irakien et de la coalition américaine. Le président Bush a immédiatement rejeté les conclusions des chercheurs, estimant que leur méthodologie ne serait “pas crédible”. Des responsables du gouvernement américain ont également reproché à cette enquête, dévoilée à grand renfort de publicité quatre semaines avant les élections américaines de mimandat [voir pp. 32 à 40], d’obéir à des motivations politiques. D’un côté comme de l’autre, les spécialistes reconnaissent qu’il est terriblement difficile d’établir un bilan précis des pertes enregistrées en Irak. Le ministère de la Santé irakien a estimé à 40 000 le nombre de morts violentes, en se fondant sur les certificats de décès fournis par les hôpitaux et les morgues. Ce nombre correspond approximativement à celui de l’Iraq Body Count, un groupe d’étude indépendant implanté à Londres et opposé à la guerre, qui établit ses bilans à partir des informations données par les médias. Le chiffre réel est très probablement supérieur, étant donné que seule une partie des décès est officiellement enregistrée et rapportée par les médias. Mais la question est : dans quelle mesure ? Menée par des chercheurs de l’université Johns Hopkins à Baltimore, la nouvelle étude publiée dans The Lancet repose sur une enquête réalisée de mai à juillet 2006 par une équipe de dix professionnels de la santé irakiens. L’équipe irakienne s’est rendue dans 48 localités de 18 régions différentes et s’est renseignée auprès des familles en faisant du porte-àporte. Elle a visité 1 849 foyers comptant au total 12 801 personnes. Pour les quatorze mois qui ont précédé l’invasion, ces familles ont déclaré 82 décès, soit un taux annuel de mortalité de 5,5 ‰, alors que, pour la période s’étendant de mars 2003 à juillet 2006, elles ont fait état de 547 morts, soit une augmentation annuelle de 7,8 morts pour 1 000. En extrapolant ce résultat aux 27 millions d’habitants du pays, les chercheurs arrivent à la conclusion qu’il y a eu 655 000 morts de plus que si les EtatsUnis et leurs alliés n’étaient pas intervenus. Les chercheurs sont à 95 % sûrs que le nombre réel de morts violentes se situe entre 426 369 et 793 663. U Dessin d’Igor Kopelnitsky, New York. ■ Critique L’association antiguerre Iraq Body Count a critiqué très vivement l’étude publiée par The Lancet. “Est-ce que les Américains ont besoin de croire qu’il y a eu 600 000 Irakiens tués pour se retourner contre leur gouvernement et dire ‘Trop c’est trop’ ?” peut-on lire sur son site (www.iraqbodycount. org), où elle relève un certain nombre de biais méthodologiques. L’association rappelle que George Bush reconnaissait déjà, en décembre 2005, qu’il y avait eu 30 000 morts dans un pays dix fois moins peuplé que les Etats-Unis, ce qui représente un impact pour l’Irak cent fois plus important que les attentats du 11 septembre. Nombre d’universitaires ont pris fait et cause pour l’étude. “Je trouve moi aussi ces estimations terriblement élevées, mais le choix de la méthode n’a rien de discutable”, a écrit, le 12 octobre, Francesco Checchi, épidémiologiste à la London School of Hygiene and Tropical Medicine.Toutefois, un certain nombre de spécialistes mettent en question la manière dont l’enquête a été menée. Madelyn Hicks, psychiatre et chercheuse en santé publique au King’s College de Londres, affirme qu’elle ne croit pas que 40 foyers voisins aient été interrogés en un seul jour comme l’indique l’article du Lancet. “Il n’y a tout simplement pas assez de temps dans une journée, dit-elle, et je suis donc forcée de conclure qu’il y a anguille sous roche, du moins pour quelques inter views.” Il est possible que des familles aient été “préparées par quelqu’un pour répondre plus rapidement”, explique-t-elle, ce qui “jette un doute sur l’authenticité des données”. L’auteur principal de l’étude, Gilbert Burnham, épidémiologiste à Johns Hopkins, rétorque qu’“interviewer quarante familles voisines en un jour est tout à fait faisable si l’on est bien organisé”. Les Robert, de la même université, précise que 80 % des 547 décès ont été confirmés par un certificat [mais on ne retrouve pas cette proportion pour les chiffres extrapolés]. Selon lui, il n’y a rien d’étonnant à ce que plusieurs milliers de certificats de décès n’aient pas été enregistrés par le ministère de la Santé, car “ils ont toujours été fortement sous-estimés”. Neil Johnson et Sean Gourley, deux médecins d’Oxford qui mènent une autre étude sur les pertes irakiennes, se demandent également si l’échantillon est représentatif. L’article du Lancet indique que l’équipe qui a enquêté a évité les ruelles obscures pour des raisons de sécurité. Or, comme le remarque Neil Johnson, cela pourrait fausser les données, car les attentats à la voiture piégée, les explosions sur les marchés et les tirs à partir de véhicules se produisent le plus souvent sur de larges artères. Gilbert Burnham rétorque que les ruelles ont bien été prises en compte. Mais il nous a confié qu’il ne savait pas exactement comment l’équipe irakienne avait procédé. Les détails sur les localités visitées ont été détruits “pour éviter qu’ils ne tombent dans de mauvaises mains et ne représentent un risque supplémentaire pour les habitants”, rapporte-t-il. Ces explications ont mis le feu aux poudres. Michael Spagat, professeur d’économie à l’université de Londres et spécialiste des conflits civils, a appelé la communauté scientifique à mener une investigation approfondie sur les procédures de l’enquête. Quant à Neil Johnson, il a affirmé qu’il serait “presque criminel de ne pas remettre en question les résultats de cette étude”. John Bohannon CONTREPOINT Une étude utile et plutôt correcte ■ En dépit de la faiblesse des modes de mesure dans les études anciennes, les nouveaux chiffres ont surpris les chercheurs. L’inquiétude la plus notable porte sur le taux de décès avant l’invasion révélé par la nouvelle étude. Cette dernière situe ce taux à 5,5 décès pour 1 000 par an, ce qui est conforme aux chiffres sur l’Irak alignés par le Bureau américain du recensement. Mais l’Iran, qui dispose d’un système de santé efficace, présente un taux comparable. Or, à l’époque, l’Irak subissait le poids de sanctions appliquées depuis des années. Selon certaines sources, dont le département de démographie des Nations unies, le taux de décès avant l’invasion aurait été de 9,7 ‰. Toutefois, ce décalage n’invalide en rien les nouveaux résultats. Si les chercheurs ont sous-estimé le taux de mortalité avant la guerre, il est possible qu’ils aient fait de même après la guerre. D’autres scientifiques expriment des doutes similaires. Debarati Guha-Sapir dirige le Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres, à Bruxelles. La méthodologie de l’étude la laisse dubitative, à commencer par le recours à des enquêteurs locaux, peut-être opposés à l’occupation. En outre, elle fait remarquer que le résultat ne correspond à rien de ce qu’elle a pu rencontrer en quinze ans de travail dans les zones de conflit. Même au Dar four, où des groupes armés ont exterminé des villages entiers, elle assure que les chercheurs n’ont jamais enregistré le taux de 500 personnes décédées par jour, essentiellement de mor t violente, rappor té par COURRIER INTERNATIONAL N° 835 51 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 l’équipe de l’université Johns Hopkins en Irak. Elle estime cependant que l’étude rassemble les meilleures données regroupées pour l’instant sur le taux de mortalité en Irak. Aucun des experts contactés par Nature n’a estimé que ses doutes compromettaient définitivement la valeur des recherches effectuées. Cer tains d’entre eux auraient tenu à ce que les auteurs se livrent à une meilleure évaluation des défauts de leur méthode avant de publier des résultats aussi éminemment politiques. Mais la plupart reconnaissent que ces chiffres contribuent de façon utile à l’épidémiologie des conflits, domaine qui joue aujourd’hui un rôle clé dans l’estimation de la gravité des conflits et peut ainsi aider les Etats à s’en relever. Jim Giles, Nature (extraits), Londres 30/10/06 15:47 Page 52 technologie i n t e l l i g e n c e s ● Un Tchernobyl flottant dans les eaux russes ATOME La construction ■ d’une centrale nucléaire ancrée sur les rivages de la mer Blanche devrait commencer en 2007. Un projet qui suscite de nombreuses inquiétudes. POPULAR SCIENCE New York lors que les Etats-Unis parlent timidement de relancer la construction de centrales nucléaires pour obtenir une énergie moins chère que le pétrole, la Russie est allée repêcher une idée vieille de trente ans, la centrale flottante, pour résoudre certains de ses problèmes énergétiques. Rossenergoatom, le consortium russe chargé du programme nucléaire civil, a en effet décidé de fabriquer une centrale mobile pour approvisionner en électricité les zones difficiles d’accès du nord du pays, sur les côtes de la mer Blanche, où les conditions climatiques extrêmes rendent difficiles les livraisons régulières de charbon et de pétrole. La centrale flottante, dont le coût a été estimé à 200 millions de dollars [environ 160 millions d’euros] et dont la construction devrait commencer en 2007, pourrait fournir une électricité fiable et relativement bon marché à 200 000 personnes. L’idée d’une centrale nucléaire flottante peut paraître extravagante, mais elle ne date pas d’hier. Elle n’est pas non plus née en Russie. L’entreprise américaine Westinghouse Electric Company y avait déjà pensé dans les années 1970, et avait même construit une immense cale sèche à A Jacksonville, en Floride, pour les assembler. Une fois lancées, les centrales devaient être remorquées le long de la côte Est puis amarrées là où existait une demande d’électricité. Elles devaient être toutes fabriquées dans la même usine, afin d’assurer un contrôle qualité maximal et réduire les coûts de production. Mais, finalement, explique Richard Orr, un ancien ingénieur de Westinghouse aujourd’hui à la retraite, les économies d’énergie décidées à la suite de l’embargo sur le pétrole décrété par l’OPEP en 1973 ont tué le projet dans l’œuf. Le plan russe consiste à monter deux réacteurs sur une plate-forme grande comme un terrain de football, remorquer celle-ci jusqu’à son point d’ancrage, tirer des lignes électriques jusqu’à une sous-station sur la terre ferme et mettre en route les réacteurs, ce qui permettra de fournir une élec- Dessin de Zoran Jovanovich, Serbie. MER DE BARENTS Mourmansk NORVÈGE RÉGION DE MOURMANSK tricité à un prix abordable. Les déchets et le combustible utilisé seront stockés à bord et enlevés tous les dix ou douze ans, lors des opérations régulières de révision et de maintenance. Au bout de quarante ans, soit la durée de vie normale d’une centrale nucléaire, la centrale sera démantelée et remplacée par une nouvelle. Le réacteur et le combustible utilisé seront envoyés sur leur lieu de stockage définitif, mais la barge pourra être recyclée. Evidemment, le niveau de sûreté des installations russes étant loin d’être optimal, la perspective de voir l’idée de Westinghouse ressuscitée dans la mer Blanche a soulevé les protestations d’associations écologiques telles que Greenpeace et l’ONG écologiste norvégienne Bellona. Selon elles, un navire pourrait percuter la centrale et provoquer un déversement des déchets dans l’eau ou, pire encore, une tempête particulièrement violente pourrait couper la centrale de la sous-station nécessaire à son fonctionnement, située sur la terre ferme. D’après David Lochbaum, directeur du Projet de sécurité nucléaire à l’Union of Concerned Scientists, une association américaine de chercheurs qui combat, entre autres, F É D É R AT I O N DE RUSSIE Presqu’île de Kola Cercle polaire arctique MER BLANCHE RÉPUBLIQUE AUTONOME DE CARÉLIE Severodvinsk, site prévu pour la centrale nucléaire flottante Arkhangelsk RÉGION D’ARKHANGELSK 0 100 km Courrier international 835p52 COURRIER INTERNATIONAL N° 835 52 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 la prolifération nucléaire, un arrêt des générateurs de secours pourrait entraîner une catastrophe similaire à celle de Tchernobyl en 1986. Dans un scénario encore plus noir, un cœur de réacteur surchauffé pourrait faire fondre le fond de la plate-forme et s’enfoncer dans l’eau, ce qui provoquerait une explosion de vapeur radioactive.Toujours selon le même scientifique, un tel nuage causerait beaucoup plus de dégâts que les retombées de Tchernobyl parce que le corps humain absorbe les gouttelettes d’eau radioactives plus facilement que les cendres. Sergueï Obozov, directeur par intérim de Rossenergoatom, affirme que la sûreté des réacteurs qui seront embarqués sur les plates-formes a été prouvée. Chaque centrale flottante sera équipée de deux réacteurs KLT-40S, d’une puissance de 60 mégawatts, adaptés à partir de ceux qui équipent déjà trois brise-glace nucléaires russes. Cristina Chuen, spécialiste de l’énergie nucléaire russe au Monterey Institute for International Studies, en Californie, signale cependant que de subtiles différences de performance peuvent se produire si ces réacteurs sont utilisés pour générer de l’énergie et non comme moyen de propulsion, et fait remarquer que le système de refroidissement n’a pas encore fait ses preuves. Des moyens ont été mis au point pour contenir le cœur en feu d’un réacteur, mais Rossenergoatom ne précise pas si la centrale, qui a été conçue il y a dix ans, prendra en compte les dernières avancées techniques. Quoi qu’il en soit, l’autorisation de fabrication a été donnée et Rossenergoatom prévoit que la première centrale flottante sera ancrée dans le port de Severodvinsk, dans le sud-est de la mer Blanche, d’ici à la fin 2010. “En matière de sûreté, les Russes ont beaucoup appris du ministère de lÕEnerg ie américain, de la Suède et de la Norvège”, estime Cristina Chuen, qui voudrait pour sa part que le processus de fabrication soit plus transparent. “Ce sera peut-être une belle réussite, ajoutet-elle. Tout ce que j’espère, c’est qu’ils ont fait toutes les études possibles et imaginables pour s’assurer qu’il n’y aura aucun danger.” Bjorn Carey 835 p.53 30/10/06 16:04 Page 53 écologie i n t e l l i g e n c e s ● Pourquoi il faut interdire l’Everest aux touristes SAUVEGARDE Les milliers les écologistes, l’amoncellement de déchets alimentaires et pharmaceutiques ainsi que la colonisation de la région par les restaurants et les cybercafés sont le prix du tourisme. C’est la population autochtone qui en fait les frais, insiste P. T. Sherpa. “Il devient extrêmement difficile de fournir suffisamment d’électricité et d’eau aux petits villages disséminés autour de l’Everest et des autres sommets himalayens quand plusieurs dizaines de milliers de touristes et d’alpinistes ont besoin des mêmes ressources. Du fait de l’industrialisation et du développement du tourisme, le Népal est gravement touché par la pollution de l’eau et de l’air. Les ressources en eau des villages, fournies par un système de captage, sont en voie d’épuisement et il est urgent de prendre des mesures”, ajoute-t-il. En 2006, une équipe de géologues soutenue par le Programme des Nations unies pour l’environnement a relevé des signes de changement importants par rapport à 1953, date à laquelle sir Edmund Hillary et Tensing ■ d’alpinistes et de randonneurs qui viennent gravir le Toit du monde ont transformé la région en poubelle. Il est temps de réagir énergiquement. THE OBSERVER (extraits) Londres n le décrit comme “la plus haute décharge” du monde. Jonché de détritus laissés par les alpinistes et foulé tous les ans par des milliers de touristes, le mont Everest est aujourd’hui si pollué que les écologistes réclament une solution radicale : sa fermeture temporaire. Avec les troubles politiques qui ont sévi au Népal jusqu’au milieu de cette année, les mises en garde contre l’imminence d’une catastrophe écologique dans la région sont restées ignorées. Mais, maintenant que le royaume himalayen bénéficie d’une plus grande stabilité, les défenseurs de l’environnement pensent que le moment est venu d’agir et que l’on ne peut plus fermer les yeux sur la situation. En avril 2006, après dix ans de guérilla, les rebelles maoïstes ont signé un cessez-le-feu avec les autorités népalaises et ont accepté de s’allier aux partis opposés à la monarchie [voir CI n° 816, du 22 juin 2006]. Selon l’association KEEP (Kathmandu Environmental Education Project), le calme relatif qui règne désormais dans le pays pourrait aider les écologistes à convaincre les autorités qu’une fermeture temporaire de l’Everest est la seule solution envisageable pour réparer les dégâts. “La guérilla a posé de sérieux problèmes aux organisations écologistes. Elle a limité l’envergure des programmes, endommagé les infrastructures et menacé la sécurité du personnel”, rappelle P.T. Sherpa, le président de l’association. “Nous espérons aussi avoir un dialogue plus ouvert avec le gouvernement. Notre première priorité est de mettre l’Everest au repos pour quelques années.” Pour O 84° Est H I M Plateau du Tibet CHINE A NÉPAL L A Brahmapoutre N ÉPAL Y A Katmandou Vallée du Khumbu INDE 27° Nord 0 Mt Everest 8 848 m 200 km Dessin de Lauzán, Chili. Norgay ont été les premiers alpinistes à réussir l’ascension de l’Everest. Bien que le réchauffement du climat soit l’une des principales causes de cette dégradation, les scientifiques ont montré que le tourisme avait également un impact. Selon leur étude, le glacier qui descendait autrefois jusqu’au premier camp de base s’est retiré de 5 kilomètres. Edmund Hillary lui-même ne mâche pas ses mots sur une situation qui pourrait se transformer en scandale écologique. “J’ai recommandé au gouvernement népalais de ne plus accorder d’autorisations et de laisser la montagne se reposer pendant quelques années”, affirme-t-il. LIMITER LES ASCENSIONS À DEUX OU TROIS CORDÉES PAR SAISON Cagle Car toons Elizabeth Hawley, qui soutient activement la fondation Himalaya Trust, créée à Katmandou par Edmund Hillary, a récemment rapporté que ce dernier était “dégoûté” par les méfaits du tourisme dans la région de l’Everest et la vallée du Khumbu. “Quand sir Edmund a dit que l’accès à la montagne devait être fermé ou limité, il n’était pas du tout question de faire perdre leur gagnepain aux sherpas. Nous estimons simplement, à la fondation, que l’Everest et la vallée du Khumbu ont besoin d’un repos prolongé. En effet, même si les villages de la région sont devenus extrêmement riches pour le Népal, nous sommes navrés de voir que les pistes qui mènent à l’Everest sont jalonnées de restaurants, de cybercafés et de bars.”“Le changement climatique et la fonte des glaciers sont des problèmes planétaires, qu’il est impossible de régler localement, mais ce n’est pas le cas de la déforestation, un problème très préoccupant dû en grande partie au tourisme. Notre campagne a contribué à améliorer la situation, mais ce n’est pas assez. Pour que la région se régénère, nous avons le sentiment qu’il faut commencer par le commencement”, ajoute-t-elle. D’autres voix se sont élevées sur la question, comme celle de la Japonaise Junko Tabei, 66 ans, qui a été la première femme à atteindre le sommet. “L’Everest est trop fréquenté, affirme-t-elle. Il a besoin de repos. Le nombre de cordées autorisées à le gravir devrait être limité à deux ou trois par saison, et il faudrait interdire les voyages touristiques jusqu’au camp de base. Les habitants de la région abattent les arbres pour chauffer les repas et préparer des douches chaudes pour les randonneurs étrangers, ce qui accentue la déforestation le long de la piste qui mène au camp. L’environnement est menacé, et la monCOURRIER INTERNATIONAL N° 835 53 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 tagne est en train de perdre sa dignité.” Certaines organisations craignent que même l’écotourisme ait davantage d’effets nocifs que bénéfiques. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) estime que, sur les 3 euros qu’un randonneur dépense par jour en moyenne, le dixième seulement profite à l’économie rurale. Même si la plupart des associations caritatives qui se rendent au pied de la montagne le font pour des causes honorables, elles ne prennent pas en considération les répercussions de leurs expéditions sur l’environnement, regrette Prakash Sharma, directeur des Amis de la Terre Népal. “La croissance exponentielle de la pollution et la dégradation de l’environnement sur l’Everest sont le résultat d’un accroissement massif du nombre de visiteurs dans la région.Alors que la région de Khumbu et la ville de Katmandou peuvent abriter 40 000 personnes, on en dénombre 700 000 en haute saison. Quelque 20 000 à 40 000 visiteurs tentent de gravir les montagnes himalayennes, et plusieurs milliers se rendent même au pied de l’Everest. La région ne disposant pas des infrastructures nécessaires pour faire face à la pollution engendrée par une telle affluence, l’Himalaya népalais a fini par devenir la plus haute décharge du monde”, explique-t-il. Parmi les tonnes de détritus laissés sur l’Everest, on trouve du matériel de randonnée, des aliments, des gobelets, des cannettes d’aluminium, du verre, des vêtements, des vieux papiers, des tentes et jusqu’à des antennes satellite. Certains alpinistes disent avoir également trouvé des seringues usagées et des ampoules sans étiquette. Par ailleurs, le nombre de corps qui jonchent les flancs de la montagne – 188, selon plusieurs décomptes – suffirait à justifier une fermeture temporaire aux yeux des écologistes. Cependant, les sherpas, qui gagnent leur vie en guidant les alpinistes en mal d’aventure, s’opposent avec virulence à toute réduction du nombre des permis d’ascension. “Il y a dans la région plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vivent de l’argent dépensé par les randonneurs et les alpinistes. Si ces derniers ne viennent plus, elles finiront par mourir de faim. Un sherpa qui accompagne une cordée jusqu’au sommet de l’Everest peut gagner un minimum de 2 000 euros en deux mois. Au Népal, cela représente une grosse somme. De quoi faire vivre tout un village”, assure l’un d’entre eux. Malgré les rapports des Nations unies et les mises en garde des écologistes, les autorités népalaises n’envisagent pas de fermer la montagne dans un avenir immédiat. “Tous les alpinistes sont les bienvenus, à condition qu’ils soient prêts à payer”, rappelle un porte-parole du gouvernement. Quand on sait que, pour pouvoir fouler les pentes de l’Everest, une équipe de sept randonneurs doit verser au gouvernement népalais la somme de 75 000 euros, on ne s’étonne guère de ce laisser-faire, disent les partisans de la mise au repos forcée du plus haut sommet du monde. Dan Douglas *835 p54-55-56 31/10/06 19:01 Page 54 La corneille de Castille, “boussole à plumes” de ce périple “cidien”. A Gormaz, la citadelle la plus longue d’Europe, construite par les arabes, veille jalousement sur la plaine de Castille. voya ge ● DE BURGOS À VALENCE, PAR LES CHEMINS DE TRAVERSE Pour la visite, suivez le Cid… On le sait, Rodrigue et les siens partirent cinq cents et “par un prompt renfort [se virent] trois mille en arrivant au port”. Mais, neuf siècles plus tard, le Cid retrouverait-il le chemin de Valence ? EL MUNDO Madrid le plus farouche de tous les temps est né ici. Devons-nous le croire ? Il est bon, dans les aventures qui empruntent les chemins de l’Histoire, de se laisser envelopper dans le châle de la légende : cela fait partie de la magie du voyage. Les douze coups de midi sonnent au clocher du monastère d’Espino. C’est dans ce couvent, tenu par des franciscaines, qu’a été conservé durant des siècles le précieux manuscrit de Per Abbat, le plus ancien de la Chanson de Mon Cid. Le froid est aussi tranchant qu’une faux. Nous laissons derrière nous Vivar et ses quatre rues. Cachée derrière les rideaux d’une étroite fenêtre, une villageoise nous regarde comme si nous étions des oiseaux de mauvais augure. Le Cid, avec nous, est déjà sur la route de l’exil : “Tandis que de ses yeux si fortement pleurait,/ Il retournait la tête et il les regardait./ Il vit portes ouvertes et les huis débarrés…” (Premier chant, 1). La nationale 623 nous invite à sortir du ▲ Reportage photo : José Aymá. 1 De Vivar del Cid à El Burgo de Osma ar trois fois, la corneille a graillé dans le ciel de Vivar, comme pour donner le départ de cette aventure. Devant nous, mille neuf cents kilomètres de route et une émotion qui, à certains moments, nous servira de boussole et à d’autres, au fur et à mesure que la fatigue plantera ses crocs de glace dans nos corps, ira se fracasser contre les rochers du découragement. La carte du cœur, l’astrolabe des yeux n’indiquera qu’une seule direction, celle prise par Rodrigo Díaz de Vivar – le Cid – il y a neuf cents ans, lorsque le roi AlphonseVI de Castille l’a condamné à l’exil et lui a donné neuf jours pour quitter ses terres. Nous partons pour un voyage en diagonale sur le flanc est de la péninsule jusqu’à la Méditerranée. Un voyage au cours duquel nous égrènerons des villages et des paysages inoubliables malgré leur état d’abandon. Beaucoup sont en effet dépeuplés, d’autres agonisent, mais tous sont d’une beauté ciselée et d’une authenticité remarquable. Au petit matin, à Vivar del Cid, il pleut de froid. C’en est presque désespérant. Avec ses quatre rues, la petite cité a des airs de Monopoly en miniature – des rues qui portent les noms des personnages principaux du Cantar de Mio Cid (Chanson de Mon Cid), qui nous accompagneront tout au long de ce périple et même un peu plus loin. On dit que le guerrier P Vivar del Cid Burgos NAVARRE St-PierreLogroño de-Cardeña LA RIOJA Covarrubias E S P A G N E CASTILLE-LEÓN Pinajeros Saragosse El Burgo de Osma Duer o San Esteban de Gormaz Quintanarraya Gormaz Medinaceli Atienza MADRID Madrid Guadalajara Alhama de Aragón Ariza Alcocer Calatayud Cetina A R A G O N Ebre Daroca El Poyo del Cid Montreal del Campo Molina de Aragón Olucau del Rey Albarracín Terruel Cuenca Jérica Tu r Segorbe ia CASTILLE-LA MANCHE 0 100 km COURRIER INTERNATIONAL N° 835 VALENCE 54 Castellón Burriana Sagunto Valence DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 village et, l’espace d’un instant, elle se métamorphose en Route 66. Pourtant, ce n’est pas Springfield qui nous attend au bout du chemin, mais Burgos, sorte de Mecque espagnole du gothique, ville au cœur de conquérant où règne l’esprit du Cid, au beau milieu de la région de Castille-León. La statue équestre du Campeador, érigée dans les années 1950, défie de son socle de bronze le ciel de plomb de cette matinée au cours de laquelle nous allons entamer notre course triomphale. Nous laissons derrière nous la porte de Santa María, où serait conservé le radius du bras gauche du Cid, et l’arc de la porte San Martín, sous lequel résonne encore l’écho de son passage. Depuis 1921, la dépouille de notre héros repose dans la cathédrale. Elle est incomplète depuis qu’elle a été profanée, en 1808, par des soldats de Napoléon mus par Dieu sait quelle fureur guerrière.Tout commence donc vraiment dans cette ville, où le Cid s’est vu refuser l’hospitalité par ordre du roi et a été contraint de dresser son campement sur la rive gauche de la rivière Arlanzón, en dehors de la capitale fortifiée, où se sont joints à lui plus de cent hommes à cheval prêts à le suivre jusqu’à la mort. Le voyage que nous entreprenons aujourd’hui sera un voyage initiatique sans cotte de mailles ni haubert et sans autre escorte que les pensées, ivresses et déceptions qui nous attendent sur les routes et les chemins oubliés. De vieux ormes aussi nus que noueux nous font une haie d’honneur jusqu’au monastère de SaintPierre de Cardeña, impressionnant dans son dénuement dramatique de pierre. C’est ici qu’ont demeuré Chimène, l’épouse de Rodrigue, et leurs deux filles, Sol et Elvire, jusqu’à ce qu’on les envoie quérir depuis Valence. Enfin, nous nous précipitons sur les routes et leurs contrastes si typiques du XXIe siècle. Sur le chemin de la très castillane cité de Covarrubias, nous passons devant le Love Story, un bordel à l’ancienne du plus mauvais goût dont les néons restent allumés jusque dans l’après-midi. Pourtant, personne ne daigne nous ouvrir. Nous dépassons Mecerreyes, un village aux rues désertes et aux maisons blasonnées, puis la terre devient rouge comme une orange sanguine. Nous suivons *835 p54-55-56 31/10/06 19:02 Page 55 L’arc de triomphe romain de Medinaceli : la “ville du ciel” est aussi une “pure invitation au défi”. ici des traces plusieurs fois centenaires. “Oui, on raconte qu’il est passé par ici”, confirme Don Pascual, un paysan aux mains comme des enclumes. “Moi, tout ce que je peux vous dire, c’est qu’ici on cuisine très bien l’agneau.” A l’auberge du coin, ce sera donc de l’agneau. Nous reprenons la route du Cid, une route royale qui a pris aujourd’hui le nom de code BU-901. Certains la parcourent en prenant leur temps, à vélo ou à cheval ; mais le nôtre nous est compté : ce sera donc en Volvo. Les villages se succèdent dans la première des huit provinces (Burgos) que nous traverserons tout au long de ce passionnant périple, au fil des paysages, des découvertes et des 349 villes et hameaux que nous laisserons derrière nous. Après avoir admiré les gorges de la Yecla, nous faisons un petit détour par Pinarejos.“Coucher s’en vint mon Cid a Espinaz de Can ;/ Le lendemain matin à chevaucher il pense” (Premier chant, 394). Spinaz de Can s’appelle aujourd’hui Pinarejos. D’autres hommes dévoués sont venus ici grossir les rangs du Cid. Le vent se lève avec fracas juste au moment où nous apercevons l’orme presque millénaire d’Arauzo de Torre. “Des gens viennent jusqu’ici, ils restent un moment, puis s’en vont. Ils disent qu’ils cherchent des vestiges de l’époque du Cid, mais personne dans le coin ne sait ce qu’il a fait ici ni ce qu’il en reste. Pas grand-chose en tout cas. On vous renseignera peut-être mieux plus loin”, nous explique Serafín avant de toucher son béret de l’index dans un salut qui clôt définitivement la conversation. Nous poursuivons notre chemin, le réservoir de la Volvo à moitié vide et le cœur plein d’entrain. Nous avons, à Coruña del Conde, la première hallucination de ce voyage qui en promet d’autres. C’est ici qu’a vécu Diego Marín Aguilera, le premier aviateur à avoir, d’après les chroniques, “volé à une hauteur de cinq ou six aunes”, en 1793 avec une machine qu’il avait fabriquée de ses mains. Lorsqu’il a voulu renouveler son exploit, les habitants du village ont détruit l’engin. On dit qu’il en est mort de chagrin en 1804. Un avion de chasse moderne, installé au pied du château, rappelle sa geste. La vision est décidément trop délirante. Nous prenons nos jambes à notre cou. Nous entrons dans la province de Soria, prenons la N-122 et mettons le cap sur San Esteban de Gormaz, sa terre couleur de raisin sec et ce qu’il reste des murailles où fut accrochée la tête du chef maure Abi-Ajda à côté de celle d’un sanglier. C’est ici que les infâmes Carrión (pardon, je veux dire les infants du même nom) ont fait injure aux filles du Cid et leur ont donné le fouet avant de les livrer aux “bêtes féroces qui errent aux environs”. Comme le raconte la Chanson, elles ont été sauvées par leur cousin, Félez Muñoz. Cette nuit sombre et lourde, nous la passerons à El Burgo de Osma, dont la tour de l’imposante cathédrale est un phare au milieu des terres. A poyo Del Cid, le village tout entier s’est emparé de la légende de Don Rodrigue. 2 De Gormaz à Medinaceli ■ “Chanson de Mon Cid” Le plus ancien manuscrit évoquant les exploits de Rodrigo Díaz de Vivar, surnommé le Cid, fête cette année son huit centième anniversaire. Le texte, conservé à la Bibliothèque nationale, à Madrid, a longtemps été attribué à un certain Per Abbat, qui ne serait en fait que l’un des copistes du Cantar de Mio Cid. Beaucoup préfèrent parler de poème plutôt que de chanson. Le texte (par ailleurs incomplet) n’est pas en effet une chanson de geste, mais bien un poème composé des trois chansons. Pour les passages du Cantar cités dans le texte, nous avons utilisé la traduction de Georges Martin, Chansons de geste espagnoles – Chanson de Mon Cid et Chanson de Rodrigue (GF Flammarion, 2005). La corneille s’est levée aux aurores, et le chemin qui mène au château de Gormaz, une vieille et impressionnante forteresse arabe, nous fait passer par Navapalos et son désert de maisons de briques crues. Le soleil encore froid semble hors de portée. Une petite tour de guet maure du Xe siècle continue à monter la garde. Elle faisait partie d’un réseau s’étendant sur des centaines de kilomètres. Il suffisait d’un seul cri, relayé par les sentinelles, pour boucler toute la région. A Vildé et à Gormaz, le Duero coule à vive allure. Sur un tertre se dressent les murs d’une forteresse arabe transformée en prison au XVe siècle. En regardant vers le bas, nous n’apercevons que deux ou trois personnes. Du haut de cette fière éminence baignée d’air pur, la terre apparaît comme un ensemble de champs s’étendant à perte de vue, un damier aussi parfait qu’infini de verts et d’ocres cousus à même le sol. C’est la plus longue forteresse d’Europe : convoitée au Xe siècle aussi bien par les musulmans que par les chrétiens, elle a été défendue âprement par le Cid en 1081. L’espace d’un instant, nous avons l’impression que rien n’a changé et que même Rodrigue, s’il revenait aujourd’hui, reconnaîtrait les herbes de ce pré, les méandres de cette rivière, la plaine baignée de soleil des champs de Castille, la coupure nette de l’horizon qui s’encadre dans l’une des portes sans battant des remparts. C’est là un bon endroit pour haranguer les troupes. Mais aussi un bon endroit pour oublier. Et un bon endroit pour mourir. Il règne en ce lieu une solitude écrasante, impénétrable, peut-être l’une des plus belles de la route du Cid. Nous laissons Gormaz en sachant que nous ne retrouverons jamais un espace aussi pur. A peine avons-nous quitté Retortillo que nous foulons déjà le sol de Guadalajara, qui, à l’époque du Cid, était sous domination musulmane. A Atienza, deux routes se rejoignent : celle du Quichotte, qui descend, et celle du Cid, qui monte. Les pèlerins sont encore peu nombreux. “Ici, c’est mort, sauf en été”, apprenons-nous dans l’un des bars de la Plaza Mayor. Et, si l’on demande aux gens du coin de choisir entre les deux héros de la ville, la réponse est sans appel : “Celui qui fait venir le plus de touristes.” “A senestre laissent Atienza, une roche très forte…” (Chant III, 2 691). C’est exactement ce que nous faisons. Nous nous dirigeons – déjà – vers Medinaceli, la “ville du ciel”, dans la province de Soria, en imaginant le fidèle Minaya Alvar Fáñez et ses deux cents lanciers, qui tous avaient leur étendard, galopant sur ces terres et pillant les villages. Prêts à tout pour servir la cause du Cid, mais aussi insatiables détrousseurs de manants. Certains sont persuadés que l’au- COURRIER INTERNATIONAL N° 835 55 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 teur de la Chanson de Mon Cid était originaire de Medinaceli. L’endroit est tout à fait “cidien”, tout en hauteur, avec la montagne qui se découpe sur l’horizon. L’écrivain Ortega y Gasset disait de Medinaceli qu’elle était “un formidable appel à l’héroïsme” parce que l’impression d’inaccessibilité qu’elle dégage est une pure incitation au défi : Medinaceli, ville en lévitation, défendue par une porte romane à nulle autre pareille, ville aérienne, enracinée dans la légende et labyrinthique, lumineuse. Le Cid n’y apparaît que pour mieux y disparaître. Pour l’heure, il s’est évanoui. Demain, nous irons à sa poursuite. 3 D’Ariza à Teruel “Entre Ariza et Cetina, mon Cid faisait son camp…” (Premier chant, 547). Nous avons fait le nôtre sur la N-II, en chemin vers Valence, cet autre exil du Cid. A en juger par l’indifférence du personnel de l’hôtel, Rodrigo Díaz de Vivar sur son cheval Babieca appartient davantage à la littérature qu’au quotidien. Dans cette partie de la province de Saragosse, la beauté du paysage est comme éparpillée entre les plaines fertiles du Jalón et du Jiloca. Enhardis par la quantité de kilomètres que nous avons déjà parcourus, nous entrons dans Cetina par une matinée glaciale, pour découvrir qu’ici Francisco de Quevedo pèse plus lourd que le Cid. Normal. C’est ici que le poète boiteux et sulfureux a épousé Esperanza de Mendoza à l’âge de 55 ans – mariage de convenance qui a duré le temps de lire un sonnet, peut-être même moins. A Alhama de Aragón, ville d’eaux, le soleil dispense sa chaleur sans conviction, aussi indifférent qu’un chat. Le Cid et ses vassaux semblent ne plus y avoir leur place. “Il fait du bien ce soleil, hein ?” lançons-nous à la maigre assistance qui s’est approprié le seul banc de la promenade longeant la rivière. “Oui. C’est bon pour la santé”, répond quelqu’un. “Auriez-vous l’amabilité de nous indiquer où nous pouvons trouver le Cid ?” demandonsnous. “Ben, il paraît qu’il est passé par ici, mais allez savoir… Pourquoi il serait venu jusque-là ? Je vous le demande…” Rodrigue (à force, on devient intimes) n’est pas là, et personne ne l’attend. Plus nous avançons sur cette route exténuante, plus la piste du héros devient difficile à suivre. En fait, l’endroit où elle était la plus nette était notre point de départ. Son territoire mythique, son cœur battant sont surtout présents dans cette Castille originelle. Pourtant, le Cid a livré l’une de ses batailles les plus sanglantes à peine deux villages plus loin, à Alcocer. Il l’a bien entendu remportée et a raflé en prime un butin fait d’or, d’argent et de plus de cinq cents chevaux. Neuf siècles plus tard, nous décidons de visiter Alcocer pour nous faire *835 p54-55-56 31/10/06 19:02 Page 56 Albarracín, dans la province de Teruel, a des “allures de rêve éveillé”. 4 De Teruel à Valence une idée de ce qu’a pu être ce féroce combat. Mouais… Pas mal, comme patelin ! Nous piquons maintenant vers Calatayud, où selon la Chanson, le Cid se serait trouvé dans la quinzième semaine de son exil. Depuis que nous sommes sortis de Vivar, la corneille nous a servi de véritable boussole à plumes. Le style mudéjar vibre dans la tour de la collégiale de Santa María la Mayor, qui rivalise avec celle de l’église de San Andrés. Nous avons du mal à imaginer notre héros en train de traverser la ville d’aujourd’hui sur son fidèle Babieca, son épée Tizona au côté. On a souvent vu l’Histoire transformée en décors de carton-pâte et en gadgets à 100 balles, mais celle du Cid n’a même pas eu cet honneur. Sur les routes d’Aragon, les chemins de traverse se révèlent beaucoup plus avenants. Ils permettent d’éviter les mâles dominants au volant de leurs énormes semi-remorques. Nous laissons derrière nous Daroca et la lagune de Gallocanta, et arrivons au lieu qui fut le quartier général du Cid et est aujourd’hui l’un des villages où son empreinte est la plus forte (avec Vivar del Cid, Montalbán, Quintanarraya et Ateca). Il flotte dans l’air comme une odeur de terre humide, de nuages qui auraient chaussé leurs bottes de pluie. A El Poyo del Cid nous attendent José Manuel Lázaro et une bonne dizaine de soldats et de servantes. Nous avons enfin trouvé le Cid (il s’appelle Alberto et rentre tout juste du pôle Nord, où il était parti en excursion). Le voilà qui descend la rue au trot, droit sur nous. Les fers de Babieca résonnent sur l’asphalte comme des roulements de tambour. Minaya s’approche aussi. Peu à peu prend forme un tableau médiéval qui transforme El Poyo en un lieu magique, une scène insolite, avec, dans le fond, l’imposante colline de San Martín. Tous les habitants du village ou presque répètent le rôle qui sera le leur au cours du week-end médiéval de juin prochain, où ils joueront de tout leur cœur des extraits de la Chanson. “C’est une fête très importante pour nous. C’est notre façon de revendiquer la légende du Cid”, explique Alberto. Nous trinquons à la bière dans l’unique bar d’El Poyo, puis nous reprenons notre chemin. Sur la route de Teruel, le spectacle est assuré par les gorges du Guadalaviar, à l’endroit où la montagne, immobile comme un vieux saurien, semble structurée par les remparts d’Albarracín. Après les habitants d’El Poyo, plus personne ne nous parlera du Cid. A Albarracín, les mots sont inutiles. Ses rues en pente, au tracé médiéval, son altière architecture de pierre, son allure de rêve éveillé, son côté merveilleux… Ce sera l’une des haltes les plus fascinantes de cette expédition. Nous dépassons Cella, où Rodrigue a rassemblé ceux qui voulaient assiéger Valence avec lui, et Teruel apparaît devant nous. Fin de l’étape. Les kilomètres nous ont moulus. Le Cid est moins une vérité plantée au bout du chemin que le fruit de l’obstination du voyageur. Quintanarraya reste marqué par la légende du Cid. Mais Plus on s’éloigne de Castille, plus on perd la trace de Rodrigue. ■ Postérité Le personnage du Cid a inspiré des dizaines de textes, poèmes, pièces de théâtre et adaptation filmées. Parmi les plus remarquables, on retiendra évidemment la pièce de Corneille, publiée en 1636, largement inspirée d’une autre pièce, espagnole celle-là, écrite à la fin du XVIe siècle par Guillén de Castro et intitulée Las Mocedades del Cid. Mais le Cid a aussi inspiré un opéra, créé en 1885 par Jules Massenet, ainsi qu’un film américain à grand budget, tourné en Espagne par Anthony Mann en 1961, avec Charlton Heston et Sophia Loren. Il existe même un long-métrage animé, sorti en 2003 en Espagne, adapté de la légende de Don Rodrigue : El Cid (la leyenda). Nous voici repartis pour Olucau del Rey, dans ce voyage en diagonale à travers une péninsule qui ne se souvient plus très bien de son chevalier servant. Après d’innombrables kilomètres de montagne pelée apparaît Villarroya de Pinares, village de pierre et de silence. La sierra continue à révéler des oasis de vie.Voilà maintenant Fortanete, avec ses petits vieux appuyés sur des bâtons, puis la Iglesuela del Cid, mystère de la terre du Maestrazgo, où la piste du Cid acquiert l’espace d’un instant une réalité que l’on n’espérait plus. La tour de l’Exconjurador, les Casonas de Guijarro, le palais Dauden et le palais Matutano… C’est un véritable étalage d’art architectural du Moyen Age et de la Renaissance qui s’offre à nous. Rares sont les lieux capables de déployer autant de beauté par une matinée aussi quelconque et aussi pluvieuse et sous un ciel aussi bouché. L’histoire dit que Rodrigue, en route pour Valence, est passé par ici avec lanciers et étendards. Nous prenons la même direction avec hâte et le cœur au bord des lèvres en raison du manque de sommeil, des heures de route interminables, des hôtels qui ne méritent pas mieux qu’une nuit et de notre obstination à nous plonger dans la légende d’un poème épique qui n’intéresse plus grand monde. L’émotion et la force de cette aventure se dissipent dès que nous entrons dans Castellón. Certes, il reste encore Jérica et Segorbe. Mais le reste n’est qu’une succession d’immeubles et de béton, de zones industrielles qui vomissent des camions par centaines. Nous ne voyageons plus, nous fuyons. Nous nous arrêtons à Burriana pour essayer d’imaginer ce à quoi pense un homme qui regarde la mer pour la première fois. Ici, le Cid et les siens ont découvert la Méditerranée. En ce début de deuxième millénaire, cet endroit devait être le bout du monde. Aujourd’hui, c’est un concours de mauvaise architecture, une compétition de balcons pompeux qui empêchent de voir la mer. Après avoir traversé Sagunto, nous arrivons à Valence, royaume conquis par le Cid après six mois de siège et de lutte contre les Maures, ville de gloire, taifa de lumière, lieu de son trépas, le 10 juillet 1099. La ville a gardé comme souvenir de celui qui naquit à Vivar une statue équestre. Déjà ténue, la trace de celui qui “en bonne heure a ceint l’épée” est définitivement balayée dans ce dernier morceau de route. Tout ici est champs d’orangers au repos, épopée de béton ourlant la côte… Le paysage est formel : notre voyage est fini. Après mille neuf cents kilomètres, las de scènes invraisemblables, la Chanson de Mon Cid dans une poche, sans cotte de mailles ni haubert et huit siècles plus tard, nous rentrons à Madrid en proie à la sombre ardeur du retour, nous demandant ce qu’il penserait, notre Cid, s’il refaisait aujourd’hui le chemin de son exil. Et “en cet endroit s’achève la chanson” (Chant III, 3 730). Antonio Lucas COURRIER INTERNATIONAL N° 835 56 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 carnet de route Y ALLER ■ Le chemin du Cid commence à Vivar del Cid, le lieu de naissance du héros, à 8 kilomètres de Burgos, et à quelque 250 kilomètres au nord de Madrid. Vous pouvez visualiser l’ensemble du parcours sur le site <www.caminodelcid.org> (en espagnol), qui recense aussi toutes les manifestations “cidiennes” qui jalonnent le chemin, et ce tout au long de l’année. On peut aussi accomplir l’itinéraire entre Burgos et Valence à vélo : le site <www.revistaiberica. com/Rutas_y_destinos/cl/cid/index. htm> détaille le parcours étape par étape (en espagnol). SE LOGER ■ Le réseau des Paradores est sans doute ce que l’on fait de mieux. Ce maillage d’hôtels exceptionnels appartient toujours à l’Etat espagnol et la plupar t des établissements sont des monuments historiques reconver tis. Comptez entre 100 et 150 euros la nuit pour une chambre double sans le petit déjeuner (12 euros). Le site <www.parador.es/francais> vous permettra de faire vos réser vations – en français – et d’avoir une idée de l’endroit où vous descendrez. Si vous disposez d’un budget plus serré, vous pouvez vous adresser au siège du Camino del Cid, à Burgos, qui vous aidera à organiser votre parcours et à trouver les hôtels qui jalonneront vos étapes. (Real monasterio de San Agustín, calle Madrid, 24, tél. : +34 947 25 62 40 et courriel <mailto : [email protected]>. Enfin, un guide touristique (en espagnol) a été publié récemment et est disponible dans toutes les librairies espagnoles ou via le Net : El Camino del Cid, éd. El País Aguilar, 21,90 euros + frais d’envoi sur le site de la Fnac Espagne <www.fnac.es>). SE RESTAURER ■ Le chemin du Cid est aussi un parcours gastronomique qui vous conduira de la cuisine très carnée et roborative de la Castille-Léon à la star de la cuisine espagnole, la paella, qu’il faut déguster à Valence, d’où elle est originaire. Du côté de Burgos on se délecte d’agneau ou de cochon de lait rôti. Vous pouvez aussi vous plonger dans les délices de la célèbre olla podrida, une sorte de pot-au-feu qui n’a de pourri que le nom populaire. Sans oublier les délicieux ribera-del-duero, des AOC à découvrir aussi bien en rouge qu’en rosé. A Burgos, le meilleur endroit pour s’initier au plaisir de la cuisine castillane s’appelle Casa Ojeda (calle Vitoria, 5, tél. : +34 947 209 052). Ce restaurant traditionnel situé en plein centre (à 25 mètres de la statue du Cid) propose des menus gastronomiques à partir de 20 euros. ■ Retrouvez tous nos Voyages sur courrierinternational.com 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 31/10/06 17:59 Page 58 l e l i v re épices & saveurs ● DE L’HIMALAYA À MANHATTAN Avec les exclus de la mondialisation ESPAGNE Rien de tel ■ qu’une tortilla Le deuxième roman de Kiran Desai (Booker Prize 2006) nous présente une vision particulièrement noire de l’Occident et du multiculturalisme. THE NEW YORK TIMES (extraits) New York ême s’il se concentre sur le destin de quelques individus démunis, The Inheritance of Loss [La dépossession en héritage, non traduit en français], le nouveau roman de Kiran Desai [après Le Gourou sur la branche, Calmann-Lévy, 2002], parvient à explorer avec une profondeur et une pertinence extraordinaires les grandes questions du monde contemporain : mondialisation, multiculturalisme, inégalités économiques, fondamentalisme et violence terroriste. Il a beau se dérouler au milieu des années 1980, il ressemble à la littérature de l’après-11 septembre dans ce qu’elle a de meilleur. Le livre commence avec Sai, une adolescente indienne : orpheline, elle vit dans la ville de Kalimpong, située du côté indien de l’Himalaya, avec son grand-père, un juge anglophile à la retraite qui a fait ses études à Cambridge. Elle est amoureuse de Gyan, son professeur particulier de mathématiques, descendant d’un mercenaire gurkha [ethnie népalaise servant traditionnellement dans l’armée britannique]. Gyan, rebuté par les privilèges de la jeune fille, finit par la quitter pour un groupe de rebelles indépendantistes du Népal. Parallèlement, on découvre la vie de Biju, le fils du cuisinier du grand-père de Sai et membre de cette “classe fantôme” des immigrés clandestins de New York. Il passe une grande partie de son temps à éviter les autorités et enchaîne les emplois mal payés. Ce que ces personnages apparemment disparates ont en commun, c’est leur héritage historique. Et l’expérience de l’impuissance et de l’humiliation. “Ils étaient tous le produit de certains événements qui s’étaient déroulés longtemps auparavant”, écrit Kiran Desai, faisant référence aux siècles de domination imposés par la puissance économique et culturelle de l’Occident. L’apparition d’un début d’égalité dans l’économie mondiale de la fin du XXe siècle ravive ces blessures plutôt qu’elle ne les guérit. Presque tous les personnages du roman ont d’ailleurs vu leur destin bousculé par leur rencontre avec l’Occident. Le multiculturalisme consumériste de l’Occident laisse l’auteur sceptique. Le roman de Desai suggère en effet que ce multiculturalisme, qui ne touche que les métropoles et les universités occidentales, ne permet pas de réfléchir aux causes de l’extrémisme et de la violence qui agitent le monde moderne et laisse entendre que la mondialisation ombien d’Espagnols sont accros à la tortilla de patata [omelette aux pommes de terre] et en mangent quasi quotidiennement, le soir, à l’apéritif, au déjeuner ? Vous-même, quand en avez-vous mangé pour la dernière fois ? Une simple omelette aux pommes de terre est plus délectable que le mets le plus coûteux… pourvu qu’elle soit bien faite, que les patates soient bien dorées et qu’elle ne soit pas trop sèche. Il y en a qui mettent de tout dans la tortilla. Mais, comme le dit mon ami Anacleto Rodríguez Moyano, “une omelette aux pommes de terre est une omelette aux pommes de terre”. Quand nous disputons un tournoi devant les fourneaux, j’aime bien y mettre un peu de lard, un peu de poivron vert finement haché, ainsi qu’une gousse d’ail finement hachée elle aussi. Ce qui, une fois mélangé aux pommes de terre et dûment lié avec l’œuf, donne une tortilla formidable. Anacleto s’énerve, il crie à la concurrence déloyale, rappelant que la tortilla de patata se compose d’œufs, d’huile, de pommes de terre et de sel. Il a raison. Avec ces quatre ingrédients, nous en avons tous connu d’excellentes. Je continue à me régaler avec celle que je mange tous les ans au restaurant La Encina, à Palencia [en Castille], et qui est peutêtre la meilleure du monde. Cirina González explique que le secret consiste à utiliser des pommes de terre Kennebec, cultivées dans la région, à ne pas les laver sous le robinet mais simplement les frotter avec un linge humide, à les dorer dans une bonne quantité d’huile et à les laisser égoutter pendant la moitié de la matinée. Cirina González a gagné tous les prix possibles et imaginables. Ça ne m’étonne pas. A Madrid, un restaurant nommé Las Tortillas de Gabino commence à être très couru. Il propose plusieurs sortes de tortillas, et celle aux pommes de terre m’a paru excellente. On y fera la queue, comme on le fait déjà chez Támara, un autre restaurant madrilène, où Lorenzo, qui est de Palencia, confectionne une tortilla ovale très baveuse, presque liquide, qui est époustouflante et qu’il faut commander au moment où l’on fait sa réservation. Dans chaque localité espagnole, il y a une adresse où l’on fait des merveilles avec des œufs et des pommes de terre. Et une autre où on les maltraite. On dit que ce sont les femmes galiciennes qui font les meilleures tortillas aux pommes de terre. En tout cas, celles que l’on sert à l’auberge O’Bo, à La Corogne, et à l’hôtel Congreso, à Saint-Jacquesde-Compostelle, et dans n’importe quel établissement de Betanzos confirment cette réputation. Certains, enfin, aiment ajouter un peu de lait aux œufs battus, ce qui me paraît une aberration ; d’autres trouvent amusante la tortilla déconstruite de Ferran Adrià [il la sert en trois strates : oignon confit en bas, jaune d’œuf mollet au milieu et écume de pommes de terre au sommet], mais, en définitive, nous raffolons tous de cette tortilla qu’on nous a servie un jour à la maison ou dans un bar perdu, et qui a bien failli nous changer la vie. Carlos Herrera, ABC, Madrid C M Eamonn Mc Cabe/Camerapress/Gamma 835p58 ■ Biographie Lorsque le Booker Prize a été décerné à Kiran Desai, le 10 octobre dernier, les journaux ont tous mis deux faits en avant : elle est, à 35 ans, la plus jeune des lauréats du Goncourt britannique ; et elle est la fille d’Anita Desai, l’un des grands noms de la littérature indienne de langue anglaise. Comme les personnages principaux de son nouveau roman, Kiran Desai a passé son enfance à Kalimpong, dans l’Himalaya, puis à Delhi. A 14 ans, elle quitte l’Inde avec sa mère pour la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, où elle poursuit ses études secondaires et supérieures. En 1998, elle publie son premier roman et se fait remarquer par la critique. économique n’apportera pas la prospérité aux opprimés. La plupart des gens du monde décolonisé se retrouvent ainsi avec une promesse de modernité minable, une modernité, selon les termes de Desai, “de la forme la plus vile, flambant neuve un jour, en ruine le lendemain”. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que des hommes peu éduqués et déracinés comme Gyan soient attirés par la première cause politique venue dans leur recherche d’une meilleure voie. Si Gyan rejoint un mouvement nationaliste, c’est en grande partie pour évacuer sa rage et sa frustration. D’autres préfèrent chercher le salut dans la fuite. Aucune scène n’est plus poignante que celle où Biju se joint à une foule d’Indiens qui se bousculent pour atteindre le guichet des visas de l’ambassade des Etats-Unis. Kiran Desai ne donne à ses personnages aucune possibilité d’évolution ni de rédemption. Malgré un humour omniprésent, The Inheritance of Loss semblera peut-être particulièrement amer à nombre de lecteurs. Mais, comme Orhan Pamuk [prix Nobel de littérature 2006, voir CI n° 833, du 19 octobre] l’a écrit après le 11 septembre, “en Occident, les gens sont très rarement conscients de l’immense sentiment d’humiliation ressenti par la majeure partie de la population du monde”, un sentiment que “ne parviennent à saisir ni les romans réalistes magiques, qui donnent du charme à la pauvreté et à la bêtise, ni la littérature populaire de voyage, qui les rend exotiques.” C’est cette souffrance invisible que Desai dévoile en décrivant la vie de personnes dont la conception de l’ordre, de la dignité et de la justice se heurte sans cesse à la modernité. En tout cas, point n’est besoin d’adhérer à cette vision pour admirer le talent de Desai à l’exprimer. Pankaj Mishra* * Pankaj Mishra est l’auteur de La Fin de la souffrance : le Bouddha dans le monde (Buchet-Chastel, 2006). Il a publié au printemps Temptations of the West : How to Be Modern in India, Pakistan,Tibet, and Beyond (non traduit en français). COURRIER INTERNATIONAL N° 835 58 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 *835 p59 31/10/06 19:49 Page 59 insolites ● Al-Qaida Tour L’ancien refuge de Ben Laden, dans les montagnes afghanes de Tora Bora, est en train d’être converti en complexe touristique, à en croire The Sun. Selon le quotidien britannique, des hôtels et des restaurants sont en construction dans la zone montagneuse surplombant la cache secrète du chef d’Al-Qaida. “Nous voulons que ce lieu soit assoSipa cié au tourisme, pas au terrorisme. Les gens venaient y pique-niquer bien avant qu’on n’entende parler d’Oussama Ben Laden”, a déclaré Gul Agha Sherazi, ancien seigneur Le fleuve Jaune était rouge le 22 octobre à Lanzhou, capitale de la province de Gansu. L’origine de la pollution doit encore être déterminée, de la guerre devenu gouverneur local. Le projet se monterait à 7,9 millions d’euros. indique l’agence Xinhua. Selon Kang Mingke, du bureau municipal de protection de l’environnement, il pourrait s’agir de rejets d’eau utilisée dans les systèmes de chauffage central. Certaines entreprises colorent l’eau pour empêcher les particuliers de la consommer et réduire ainsi leur facture d’eau, a-t-il indiqué. Ouf ! ini, les examens d’entrée en maternelle. La Haute Cour de Delhi a interdit les entretiens préalables à l’admission dans les jardins d’enfants privés de la capitale indienne. “La décision du tribunal met fin à la cruauté envers des enfants de 3-4 ans qui, accompagnés de leurs parents, étaient soumis à des entretiens relevant de la torture”, se félicite l’avocat Ashok Agarwal. Les fort coûteuses crèches destinées à préparer les bambins à ces entrevues se sont multipliées à Delhi. Elles recrutent dès l’âge de un an et demi. (BBC, Londres) F Délocalisation Tous les adeptes de jeux vidéo le savent : il n’y a rien de plus rasoir que les premières étapes. A en croire le magazine en ligne Wired, des joueurs américains sous-traitent les parties les plus fastidieuses de leur jeu à l’étranger. Résultat : “Des milliers de personnes, en Inde ou en Rou- “Singing in the shower” Faites des économies d’énergie : arrêtez de chanter sous la douche – ou choisissez des morceaux plus courts.Tel est le message d’Energy Australia à ses clients. Selon une étude effectuée par le fournisseur d’énergie australien – l’un des principaux du pays –, chanter sous la douche, y rêvasser, s’y raser ou se livrer à d’autres activités “non essentielles” entraîne une débauche d’électricité qui contribue au réchauffement de la planète.“Une minute sous la douche, cela consomme autant d’électricité que quatre heures de télévision”, explique Paul Myors, d’Energy Australia. (The Age, Melbourne) Le cachet de la poste faisant foi L d’ordinateurs”, pour amasser des personnages virtuels pour leurs commanditaires. Delacroix et la bannière “No pasarán !” Cachez ce sein que je ne saurais voir : le ministère de l’Education turc a demandé le retrait du tableau de Delacroix qui illustre un manuel d’histoire utilisé depuis cinq ans. La Liberté guidant le peuple figure dans le chapitre consacré aux droits civiques et aux droits de l’homme. (Frankfurter Rundschau, Francfort) as un magasin ni une entreprise ouverte, pas un enfant à l’école : c’est un village entier qui s’est mis en grève en Espagne. Les habitants de Cuevas de Becerro, près de Málaga, protestaient contre un projet prévoyant la construction de deux terrains de golf, de deux hôtels et de 800 habitations de luxe. Après trois ans de vaine mobilisation contre “ce massacre urbanistique et écologique”, les villageois ont opté pour la grève générale. Le complexe touristique et résidentiel Los Merinos, qui devrait être édifié sur un terrain aquifère, menace le ravitaillement en eau de 10 000 personnes de la région. (El Mundo, Madrid ; Andalucía 24 Horas, Séville) P sauver du même coup leur flèche du XVIe siècle et leur bureau de poste. Il y a trois ans, les autorités paroissiales ont demandé une aide pour installer le bureau de poste dans la sacristie et consacrer les bénéfices à la réfection du clocher. “Maintenant, il y a du monde à l’église tous les jours, même s’ils ne viennent que pour acheter un timbre”, se félicite Annette Reed, l’ancienne vicaire. “C’est magnifique de voir l’église retrouver son rôle traditionnel de centre du village.” Jonathan Petre, The Daily Telegraph (extraits), Londres RMN Le pyjama, tenue de ville elon un sondage réalisé par ses habitants, les gens portant des pyjamas en pleine rue, une banalité à Shanghai, sont l’un des aspects les plus irritants de la vie quotidienne dans la plus grosse ville chinoise. Le port d’un pyjama dans la rue, les magasins, les banques ou les parcs est considéré par les habitants de la mégapole comme l’une des principales marques d’incivilité, tout comme les animaux de compagnie agressifs, les voisins peu serviables et le non-respect de l’environnement, indique l’étude. Plus de 16 % des personnes interrogées affirment qu’elles-mêmes ou des membres de leur famille se rendent régulièrement dans un lieu public en pyjama et 25 % reconnaissent l’avoir déjà fait, a indiqué S Andrew Fox e salut de la Poste britannique passe par l’Eglise catholique. Préoccupés par le déclin des communautés rurales, de plus en plus d’ecclésiastiques viennent au secours des bureaux de poste menacés de fermeture. Dans les églises médiévales de plusieurs villages, les ouailles peuvent acheter un timbre et toucher leurs pensions entre deux prières. En août, le pasteur de Hemingford Grey, dans le Cambridgeshire, a ainsi été nommé sous-receveur des postes du village. L’église gère aujourd’hui l’unique guichet de poste comme une entreprise à but non lucratif, avec le soutien financier du conseil paroissial. Peter Cunliffe a été nommé après un entretien avec le service des ressources humaines de la Poste, à Peterborough. “Nos seules recettes proviennent du chiffre d’affaires : il faut que cela couvre les salaires des guichetiers. L’église ne demande pas de loyer et finance le chauffage et l’électricité grâce à la quête.” Les paroissiens de l’église de Tous-les-Saints de Sheepy Magna, dans le Leicestershire, ont réussi à manie, jouent douze heures par jour à World of Warcraft et à Lineage dans des pièces remplies COURRIER INTERNATIONAL N° 835 59 DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2006 mercredi Yang Xiong, un professeur ayant participé à la réalisation de ce sondage parrainé par l’Académie des sciences sociales de Shanghai et la Fédération des femmes de la ville. Plusieurs théories expliquent pourquoi le port du pyjama – une tunique en coton souvent décorée de fleurs ou de petits animaux – est si répandu dans la ville chinoise la plus riche et la plus cosmopolite. L’une d’entre elles explique que certains habitants sortent en pyjama pour souligner la proximité de leur domicile du centre-ville et, ainsi, renforcer leur statut social. Une autre y voit une réminiscence de la vie traditionnelle qui avait cours il y a des décennies dans de petites communautés, alors autonomes. Reuters