L`anonymat du don de gamètes

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L`anonymat du don de gamètes
DOSSIER
Le secret en médecine
Droits des patients, information
Secret professionnel, secret médical
Usagers, associations d'usagers
Pouvoir médical, toute-puissance
Procréation médicale assistée, PMA
Filiation
L’anonymat du don
de gamètes
Les personnes conçues par don de gamètes sont souvent confrontées à un double secret, celui
de leur procréation et celui de leur filiation biologique.
Audrey Gauvin, présidente de l’association PMA (Procréation Médicalement Anonyme)
Un secret entretenu sur la conception
70 000 Français conçus par don de gamètes
Depuis l’institutionnalisation de la procréation médicalement assistée (PMA) avec tiers donneur en France
en 1973 (date de création des premiers CECOS :
Centres d’Études et de Conservation des Œufs et du
Sperme), environ 70 000 personnes sont nées de
cette technique en France. Il est impossible d’être
plus précis.
Les praticiens de la PMA avec donneur indiquent
qu’en « près de dix ans, 50 000 enfants seraient issus
d’un don de gamètes depuis 1973 ». Ce chiffre, jamais
vérifié, n’a pas été actualisé. Selon le dernier rapport
d’activité de l’Agence de la biomédecine, 1330 naissances seraient intervenues en 2011 en France suite
à une PMA avec don de gamètes ou d’embryons
anonymes. Un simple calcul consistant à multiplier
ce chiffre de 1 330 naissances par 40 ans (âge de
fonctionnement des CECOS) serait erroné, le
nombre de naissances par année étant bien plus
important dans les premières années, d’autres techniques permettant depuis à des couples de procréer
sans faire appel aux gamètes d’un tiers.
Dont 64 000 ignorent leur état
Une étude européenne de 2002, parue dans la revue
internationale Human Reproduction (Volume 17, n° 3,
pages 830-840, 2002 : “The European study of assisted
reproduction families : the transition to adolescence”,
par S. Golombok et autres), a démontré que seuls
8,6 % des personnes conçues à l’aide d’un don ont
été informées de leur mode de conception particulier.
Un secret organisé dès l’origine
On pourrait être tenté de reprocher aux parents
d’avoir tu à leurs enfants la réalité de leur mode de
conception. Toutefois, il faut se rappeler qu’à
l’époque, les couples étaient incités au secret par les
professionnels des CECOS.
Dans la Charte des CECOS, adoptée le 3 février 1996,
figure au rang des principes éthiques devant être
observés : non seulement l’anonymat du donneur,
mais aussi « le secret concernant l’acte d’AMP [Assistance
Médicale à la Procréation] ». Dans un projet de recom-
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mandation présenté pour la première fois en 1978,
mais jamais adopté, le Conseil de l’Europe insistait
lui aussi sur la nécessité de préserver le secret concernant l’acte de PMA.
Depuis la création des banques de sperme, tout a
été conçu pour masquer la réalité de la PMA avec
tiers donneur, en donnant la possibilité aux couples
de la présenter comme une procréation charnelle
classique, tant à l’égard des tiers, qu’à l’égard de leur
propre enfant.
Les banques de sperme pratiquent depuis le début
un appariement entre le donneur de gamètes et le
membre stérile du couple : ils prennent soin de sélectionner et d’attribuer au couple un donneur qui a
le même morphotype (taille, poids, forme et couleur
des cheveux, couleur des yeux) et le même groupe
sanguin que le membre stérile.
Si le choix de critères de ressemblance physique
peut être animé par le souci de permettre au couple
de cacher à son entourage le recours à un donneur,
l’identité de groupe sanguin a bien pour finalité de
maintenir l’enfant dans l’ignorance de l’intervention d’un tiers dans sa conception. Les praticiens
ont ainsi, dès l’origine, anticipé le fait qu’un enfant
puisse, en cours de biologie lors de l’apprentissage
des modes de transmission des rhésus et groupes
sanguins, découvrir qu’il n’est pas le fruit biologique
de ses deux parents.
Pendant des décennies, la question de la révélation
à l’enfant n’était même pas abordée par les médecins avec le couple ayant recours à une PMA avec
tiers donneur. Seule leur était exposée la technique
de l’appariement.
Aujourd’hui, les praticiens de la PMA avec donneur
seraient unanimes sur le fait qu’il ne faut pas cacher
à l’enfant la réalité de son mode de conception.
Pourtant, ceux-ci continuent de pratiquer un appariement de groupe sanguin entre le donneur et le
membre stérile.
Au niveau de l’État lui-même, le secret sur ce mode
de conception est bien gardé : les articles L.2141-10
du Code de la santé publique et 311-20 du Code civil
prévoient que le couple doit consentir à la PMA avec
donneur devant le juge ou le notaire, « dans des
conditions garantissant le secret ». Les articles 11572 et 3 du Code de procédure civile y ajoutent que
cette déclaration doit être recueillie « hors la présence
des tiers ».
Ainsi, il n’existe aucune trace écrite du recours à la
procréation médicalement assistée avec tiers donneur,
ni dans l’acte de naissance, ni dans le carnet de santé
de l’enfant. Seuls les parents seront susceptibles d’en
informer leur enfant.
L’irréversibilité de l’anonymat du donneur et l’absence totale d’information sur lui constituent pour
certains parents un frein à la révélation du secret de
la conception.
Si la plupart des praticiens du don se disent
aujourd’hui favorables à la révélation de son mode
de conception à l’enfant, tous feignent de ne pas
comprendre que la levée de ce « secret » du mode
de conception en appelle une autre : la levée du
secret de l’identité du géniteur.
l’association Procréation Médicalement Anonyme
qui milite pour la reconnaissance de leur droit d’accéder à l’identité de leur géniteur.
Certains d’entre eux ont toujours su qu’ils avaient
été conçus avec un tiers donneur, d’autres l’ont
appris de la bouche de leurs parents à l’âge de 7, 12,
18, 26, 34 ans…
L’accès aux origines est également revendiqué par
des couples ayant eu recours à une procréation avec
tiers donneur ou qui envisagent d’y avoir recours,
mais également par une cinquantaine de personnes
qui ont donné leurs gamètes ou qui envisagent de
le faire, qui ont également rejoint l’association.
La crainte infondée d’une baisse du nombre de donneurs,
en cas d’irréversibilité de l’anonymat
La principale raison invoquée pour justifier cette
interdiction serait que permettre un accès aux
origines risquerait d’entraîner une baisse du nombre
de donneurs de gamètes. Tout d’abord, cet argument qui fait appel à une logique de « rendement »
et sous-tend l’existence d’un droit à l’enfant, sans
se soucier de son bien-être, paraît hors sujet.
Les exemples de la Suède et du Royaume-Uni ayant
levé l’anonymat respectivement en 1984 et 2005,
démontrent, au contraire, que permettre aux
personnes issues d’un don de connaître l’identité
de leur donneur, n’a pas pour effet, à terme, de faire
diminuer les dons.
En Suède, le nombre de donneurs a brutalement
baissé la première année qui a suivi la réforme, « Mais
il était revenu au même niveau un an plus tard, avec des
gens différents » (Dr Claes Gottlieb, responsable de
la clinique de fertilité à Stockholm, coauteur d’un
rapport de suivi de ce texte – extrait du journal Le
Monde du 6 octobre 2010).
Au Royaume-Uni, depuis la réforme, le nombre de
donneurs n’a cessé de croître selon les chiffres publiés
par la Human Fertilisation et Embryology Authority,
sur son site Internet (www.hfea.gov.uk/3411.html).
Même si la levée de l’anonymat devait induire une
baisse transitoire des dons de gamètes, il faut savoir
que les CECOS, loin d’être en situation de pénurie
de sperme, disposent actuellement d’un stock de
88 932 paillettes de sperme congelé, alors qu’ils en
utilisent environ 10 000 par an (cf. rapport annuel
de l’Agence de la Biomédecine).
Un secret sur l’identité du géniteur
La consécration législative du principe
d’anonymat en 1994
Contrairement à une idée répandue, le principe
d’anonymat des donneurs n’a pas été inscrit dans la
loi dès 1973, date de l’institutionnalisation de la
pratique de la PMA avec donneur de gamètes.
Ce n’est en effet qu’en 1994, en s’inspirant du don
d’organe et du don du sang, que le législateur l’a
consacré, notamment dans le Code pénal qui punit
de 30 000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement le fait de divulguer une information qui
permette d’identifier à la fois le donneur et le receveur de gamètes.
Ainsi le principe d’anonymat alors posé (et inchangé
à ce jour) ne s’intéresse qu’à la relation donneurreceveurs, sans tenir compte du fait que le don de
gamètes, en ce qu’il a pour objet une procréation,
implique une troisième personne : l’enfant.
La lecture des débats parlementaires de l’époque
permet de mesurer que le vécu par l’enfant du principe d’anonymat avait fait l’objet de plusieurs interrogations. Les parlementaires avaient voté la consécration de cette règle, conscients, disaient-ils de « ses
limites », en prenant l’engagement d’en rediscuter,
« dans trois ou cinq ans », lorsqu’il serait possible de
tirer les leçons de l’expérience et du vécu des couples
et des enfants.
L’association Procréation Médicalement Anonyme
(www.pmanonyme.asso.fr), fondée en 2004, regroupe
des personnes conçues par don de gamètes, des couples ayant eu recours à une PMA avec tiers donneur,
des donneurs de gamètes et des sympathisants dont le
point commun est de souhaiter qu’on laisse le choix aux
personnes conçues à l’aide d’un don, qui le souhaitent,
de connaître, à partir de leur majorité, la personne qui
leur a permis de voir le jour, dans le respect de l’ensemble des parties en présence.
Un principe contesté par certains des premiers concernés
par le don de gamètes : enfants, parents et donneurs
Parmi les quelque 6 000 Français nés à la suite d’un
don qui ont été informés de leur mode de conception, certains sont encore trop jeunes pour pouvoir
s’exprimer.
Certains de ceux qui sont devenus adultes tentent
de faire entendre leur voix, notamment au sein de
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