La crise de la fin du Moyen Âge

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La crise de la fin du Moyen Âge
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la crise de la fin du moyen âge
La crise de la fin du Moyen Âge
Démantèlement des fortifications de Blamont,
Diebold Schilling, Grande chronique des guerres de Bourgogne, v. 1435-1486
Zentralbibliothek Zürich
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Synthèse
Siège de ville,
Diebold Schilling, Grande chronique des guerres
de Bourgogne, v. 1435-1486
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La crise de la fin du Moyen Âge
Synthèse
1. Les famines
2. La peste
3. Les guerres
4. Les conséquences
Vocabulaire
Pour en savoir plus (bibliographie)
Documents
- Commentaires
- Fiches :
1. Dégradation climatique et peste
2. Les guerres
3. Les malheurs et leurs conséquences
Exercice : la crise de la fin du Moyen Âge
Synthèse
À partir de la seconde moitié du XIVe siècle, une série de malheurs, famines, épidémies, guerres s’abat sur l’Occident chrétien. Cette crise de la fin du Moyen Âge atteint son paroxysme dans le comté
de Montbéliard au XVe siècle.
1. Les famines
Elles sont la conséquence de l’augmentation de la population, de l’absence de terres nouvelles à
défricher et d’une brusque dégradation climatique autour des années 1342-1350. Seules deux
grandes famines sont connues : celle de 1315-1317 qui règne à Besançon, en Alsace, à Colmar et à Bâle
et qui semble avoir sévi dans la région ; et la grande famine de 1437-1438 qui frappe les régions occidentales, en particulier la Franche-Comté.
2. La peste
La grande peste frappe en Franche-Comté à partir de 1348 et atteint son point culminant à l’été
1349. Pour cette année, l’Officialité de Besançon enregistre 312 testaments, ce qui est le plus fort
chiffre enregistré durant le Moyen Âge et au-delà. Or, curieusement, rien n’indique la présence de la
peste noire à Montbéliard et à Porrentruy. Il en va de même de la seconde peste de 1360-1362. Très
marquée en Franche-Comté (197 testaments enregistrés à l’Officialité), elle n’a pas laissé de trace
dans les archives de Montbéliard et de Porrentruy. En revanche, au XVe siècle, les mentions abondent : les « pestilences », qui désignent à cette époque toute épidémie, sont devenues récurrentes.
3. Les guerres
Quoique terre d’Empire et n’appartenant pas au royaume de France, le comté de Montbéliard est
mêlé aux conflits qui marquent l’histoire de son puissant voisin : guerre de Cent Ans et guerres de
Bourgogne.
Pendant les trêves du long conflit anglo-français, les mercenaires qui ne sont plus rémunérés
mènent des raids dévastateurs à travers le Pays, ainsi en 1362-1365, 1375, 1439, 1441, 1444-1445 et 1465.
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Les archives ont surtout retenu les terribles incursions des Écorcheurs en 1438-1439 et 1444-1445.
À partir de 1470, le Pays de Montbéliard est pris dans la tourmente des guerres de Bourgogne : les
ducs de Bourgogne rêvent de recréer une grande Lotharingie en unifiant leurs possessions divisées
en deux blocs : « pays de par-delà » au sud (Bourgogne, Franche-Comté…), « pays de par-deçà » au
nord (Artois, Flandre, Hainaut, Luxembourg, Hollande, Zélande…). Placé au cœur de la zone convoitée
par les ducs de Bourgogne, le comté de Montbéliard, menacé d’annexion, devient un théâtre
d’opérations pour les belligérants (Bourguignons d’une part, cantons suisses, Habsbourg, France
d’autre part). Charles le Téméraire fait même emprisonner le comte Henri de Wurtemberg. En 1474,
la région est occupée par les Bourguignons, mais la bataille d’Héricourt (13 novembre 1474) les en
chasse. Les raids bourguignons se poursuivent cependant jusqu’en 1476. Après la mort du Téméraire
en 1477, les troupes de Louis XI qui ont envahi la Franche-Comté voisine menacent le Pays.
4. Les conséquences
Outre les destructions matérielles dont les textes se font l’écho, ces fléaux ont trois conséquences :
la dépopulation, le mouvement d’abandon des terres et de désertion et une crise d’angoisse de la
société.
La diminution de la population affecte aussi bien les villes que les campagnes. À Porrentruy, selon les
travaux de P. Pégeot réalisés à partir du nombre de contribuables, la population passerait d’environ
1 400 habitants en 1380 à 1 000 vers 1480. À Montbéliard, faute de sources démographiques, elle n’est
pas mesurable, mais les textes mentionnent dans la ville de nombreuses tenures vides (meix
vacants) et il faut attendre 1456 pour que le montant du toisé (impôt foncier) retrouve son niveau de
1301. Dans les villages, la baisse, qui a commencé avant 1386, devient forte entre 1424 et 1448. Un
second creux qui coïncide avec les guerres de Bourgogne se manifeste vers 1478-1480.
Les abandons de terres (champs, prés, vignes) sont le corollaire de cette baisse. Presque partout les
friches et la forêt gagnent du terrain. Ce recul agricole, sensible dans la plupart des villages du comté,
touche surtout les petites exploitations. Le mouvement concerne parfois l’ensemble d’une localité
qui, vidée de ses tenanciers, est rayée de la carte. Dans le Pays, ce sont 19 localités qui disparaissent
aux XIVe et XVe siècles, dont 15 au XVe siècle !
Enfin, la multiplication, à la fin du XVe siècle, des messes anniversaires, des offices pour le rachat de
l’âme (appelés redemptor à Montbéliard) traduit un vrai malaise, conséquence de ces années d’insécurité (voir aussi le dossier 4 : Église et vie religieuse).
Vocabulaire
Feu : ménage ou foyer. Unité de comptage de la population évaluée à environ 5 personnes.
Futaine : tissu de fil ou de coton.
Meix : terme comtois désignant la tenure ou manse.
Officialité : tribunal placé auprès de l’évêque (ou archevêque).
Peste : très grave maladie infectieuse, contagieuse et épidémique, due au bacille de Yersin et transmise à l’homme par la puce du rat.
Pour en savoir plus
KATANCEVIC Sylvia, « Le Livre rouge, approche du pouvoir temporel du chapitre de Saint-Maimbœuf,
reflet de la société montbéliardaise (1447-1467) », in SEM, 2005.
PEGEOT Pierre, « Montbéliard pendant les guerres de Bourgogne », in SEM, 1978, p. 39-56.
PEGEOT Pierre, Le Pays de Montbéliard et l’Ajoie à la fin du Moyen Âge, pochette pédagogique n° 11,
Archives municipales de Montbéliard, 1983.
TUETEY Alexandre, « Les Écorcheurs sous Charles VII (1435-1445). Épisode de l’histoire militaire de la
France au XVe siècle », t.1, in SEM, 1873 ; t. 2, in SEM, 1874.
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Documents
BMM, S74, Hieronymus Brunswig
Liber pestilentialis (le livre des pestilences)…, Strasbourg, 1500
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Commentaires des documents
Fiche 1 : dégradation climatique et peste
1. Une crue du Doubs en 1380
La dégradation climatique du XIVe siècle se manifeste dans les textes par des allusions aux
caprices du temps, froid excessif, précipitations diluviennes ou sécheresses, vents violents. Le texte
rapporte les conséquences de la grande crue du Doubs de 1380 à Clerval, centre d’une seigneurie
dépendant du comté de Montbéliard. Pour la reconstruction du pont de pierre emporté par la crue,
le comte Étienne cède aux habitants le bénéfice de l’impôt sur le débit des vins (angal).
2. Liste des « pestilences » du comté de Montbéliard et de l’Ajoie (Suisse, région de Porrentruy) au
XVe siècle
Au XVe siècle, les épidémies reviennent à peu près tous les dix ans. Elles sont indiquées dans les
textes par les termes peste, pestilence, mortalité. Les allusions à saint Sébastien sont également un
indice : ce saint très populaire était invoqué contre la peste.
3. La peste à Porrentruy (1531)
Thomas Platter l’aîné (1499-1582), valaisan d’origine, converti à la Réforme, se lie à Epiphanius, un
vénitien, qui est devenu le médecin personnel de l’évêque de Bâle. Lors d’un séjour à Porrentruy,
éclate une peste dont Platter décrit les symptômes : vives douleurs, bubons, décès rapide. Les
enfants sont les premiers touchés. Le seul remède contre le mal est la fuite.
Fiche 2 : les guerres
1. Les Écorcheurs
Les Écorcheurs sont des mercenaires désœuvrés qui se transforment en bandes de pillards pendant
les trêves de la guerre de Cent Ans (la paix d’Arras vient d’être conclue entre le roi de France et le duc
de Bourgogne en 1435). Ils sont surnommés ainsi par la population à cause de leur cruauté. Ils
mènent deux raids sur la région : en 1439, venus d’Allemagne et d’Alsace, ils s’abattent sur le Pays
mais ne font que passer devant Montbéliard qui est bien défendue et sont contraints de partir. Le
second raid est plus dévastateur : enrôlés par le dauphin, le futur Louis XI, qui après une trêve franco-anglaise veut débarrasser ses états de ces dangereux alliés, ils ont pour objectif Zürich et, au passage, occupent Montbéliard en août 1444. Une garnison est laissée dans la ville, tandis que le gros
des troupes est décimé par les Suisses, à la bataille de Saint-Jacques, près de Bâle, une semaine plus
tard. Les bandes d’Écorcheurs écumeront le Pays et l’Alsace jusqu’en octobre 1445. À Montbéliard,
malgré les garanties de sauvegarde du dauphin, les destructions sont importantes : hôpital,
chapelle Saint-Nicolas, maisons en ville et au château et, non loin de la ville, abbaye de Belchamp…
Les textes (a) et (b) décrivent leurs exactions commises en 1444 à Anjeux (Haute-Saône), village qui
alors dépend de l’abbaye de Luxeuil, et en 1439 à Chamabon (commune d’Ecurcey, Doubs).
Les extraits des comptes municipaux de Montbéliard (texte c) évoquent les mesures défensives
prises en 1438 et 1439 par les bourgeois et la comtesse Henriette : désignation d’un chef, le bandelier, installation de canons aux portes, exercices de tir, expulsion des pauvres (considérés comme des
bouches inutiles)…
Le texte (d) illustre la seconde incursion des Écorcheurs dans le Pays en 1444-1445 sous la conduite du
dauphin, le futur Louis XI. Celui-ci prend prétexte d’une agression d’Henri de Franquemont, dit le
bâtard de Montbéliard, bailli du comté de Montbéliard de 1432 à 1439, pour envahir le Pays et assiéger
Montbéliard. La ville ouvre ses portes après avoir discuté une convention qui préserve l’essentiel : la
cité ne sera pas détruite et ses franchises seront reconnues. Les Écorcheurs occuperont la ville pendant un an d’août 1444 à septembre 1445.
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2. Un épisode des guerres de Bourgogne : le siège et le démantèlement de Blamont (1475)
Après l’annexion de l’Alsace du Sud en 1469 par le duc de Bourgogne, le comté de Montbéliard est
complètement encerclé. Blamont, Clémont, Héricourt et L’Isle-sur-le-Doubs appartiennent aux
Neuchâtel, vassaux et partisans des ducs de Bourgogne. Thiébaud IX de Neuchâtel est maréchal de
Bourgogne. Belfort et Delle sont désormais aux mains des Bourguignons. Au début de 1474, le duc
exige l’hommage du comte pour Montbéliard. Ce dernier refuse. La constitution de la ligue de
Constance par les adversaires du Téméraire et la reconquête de l’Alsace en 1474 précipitent
Montbéliard dans la guerre. Malgré l’emprisonnement du comte Henri et son simulacre d’exécution
sous les murs de Montbéliard, la ville refuse d’ouvrir ses portes au Bourguignon. Le comté est alors
envahi, ses places fortes, à l’exception de Montbéliard, occupées. Entrée dans la ligue de Constance,
Montbéliard obtient des renforts alsaciens et bâlois. La ville se trouve désormais au centre de la
guerre. Celle-ci se déroule en trois étapes : en novembre 1474, les Bourguignons sont écrasés à la
bataille d’Héricourt et l’Alsace est délivrée d’une incursion de grande ampleur ; en 1475, les Suisses
et les Alsaciens chassent les Bourguignons des châteaux de la région : Blamont, Clémont, L’Isle,
Granges… ; en 1476, la campagne se poursuit en direction de Vesoul et de la vallée du Doubs (prise
de Clerval et de Passavant). La guerre ne s’arrête qu’avec les trêves de janvier 1477, consécutives à la
mort du Téméraire sous les murs de Nancy.
Les deux illustrations représentent le siège et le démantèlement de Blamont en 1475 par les Suisses
et les Alsaciens. Elles sont extraites de la Grande chronique des guerres de Bourgogne composée par
Diebold Schilling (v. 1435-1486), chroniqueur bernois, qui combattit le Téméraire à Grandson et à
Morat en 1476. Le paysage ne correspond guère à la réalité topographique, mais reflète plutôt
l'imagination de l'artiste. En revanche, le dessin donne d’utiles renseignements sur l’architecture
militaire de l’époque, les techniques de siège, les armes et le vêtement.
Fiche 3 : les malheurs et leurs conséquences
1. Destructions
Faute de pouvoir s’emparer de Montbéliard, protégée par ses murailles, les bandes armées ou les
troupes régulières mettent à feu et à sang les campagnes alentour. Les campagnes offrent un spectacle de désolation : bâtiments en ruines (hôpital de Montbéliard, abbaye de Belchamp, maladrerie,
chapelle Saint-Nicolas…), villages dévastés ou momentanément désertés. Afin d’assurer sa sécurité,
l’hôpital (qui avait été détruit par les Écorcheurs) est reconstruit dans les murs (texte 1 a). Quant à
l’abbaye de Belchamp, située sur le territoire de la commune de Voujeaucourt, elle est victime à
plusieurs reprises des guerres, comme le précise le texte 1 b. Si le premier paragraphe (1432) ne précise pas l’origine de l’incendie qui a provoqué la ruine de l’abbaye et la perte des archives, le second
(1478) l’attribue aux guerres de Bourgogne.
2. Dépopulation
Le feu ou foyer est une unité de comptage de la population qui varie selon les époques : sa valeur
moyenne peut être estimée à 5 personnes. Ces statistiques extraites pour la plupart de dénombrements montrent une dépopulation continue de 1340 à 1480, même si des phases de hausse se manifestent par moment. Au total, on peut estimer la baisse de la population locale à environ 50 %.
3. Abandon de terres
Les abandons de parcelles (meix) et d’exploitations agricoles touchent 98 localités de la région. Les
causes sont multiples : la mort, la fuite des habitants, la guerre, la misère. Les friches et la forêt
gagnent du terrain.
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4. Villages désertés : l’exemple de Chamabon
Autre conséquence, les désertions de villages. On en compte 15 dans le Pays de Montbéliard (soit
10 % de l’ensemble) : Bretigney dans la seigneurie de Granges entièrement désert en 1407,
Chamabon qui disparaît avant 1440 (exemple cité), Dalôte (commune d’Audincourt) rayé de la carte
avant 1455, Magny près de Fesches-le-Châtel, mentionné pour la dernière fois en 1381, Vuillemont
près de Grand-Charmont, Fesche-Moulin et Mailleroncourt près de Dampierre-lès-Bois, la
Neuveville à Montbéliard, Richebourg près de Laire…
Mentionné en 1189 comme grange de l’abbaye de Belchamp, Chamabon donne naissance à un
hameau. Au cours du XIIIe siècle, l’ensemble est sécularisé et en 1281, il fait partie des biens des
Neuchâtel. En 1386, il compte une cinquantaine d’habitants. Détruit par les Écorcheurs, le hameau
est abandonné et son territoire partagé entre les communautés voisines. Le village était fortifié : il
en reste une levée de terre et la base d’une tour carrée en pierre.
5. Malaise social
Lors des fêtes anniversaires, les fidèles lèguent au chapitre de Saint-Maimbœuf soit une terre
(demeure, pré, jardin), soit de l’argent, soit le revenu d’un capital placé en rente, ce qui permet à
l’Église de célébrer à perpétuité des messes pour le rachat de l’âme du ou des défunts.
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Fiche 1 : dégradation climatique et peste
1. Une crue du Doubs en 1380 « Nous Estiennes contes de Montbeliart et sires de Montfaucon faicons savoir a touz que comme le tres
grant et tres orrible descours daigues qui naguaires est heuz li ponts de notre ville de Clerevals sur
Doub estanz a nos habitans et bourgois dudit leu soit demolliz et despeciez adnichilez de touz pointz
et allez aval la reviere de Doub qui est et redunde ou tres grant peril et domaige de nous et de nos habitanz et bourgois dudit lieu et de la ville [...] ».
« Nous, Étienne, comte de Montbéliard et sire de Montfaucon, faisons savoir à tous que comme une
grande et horrible crue a naguère démoli, détruit et totalement mis en pièce le pont de notre ville
de Clerval qui appartient à nos habitants et bourgeois dudit lieu et l’a emporté en aval de la rivière
du Doubs, ce qui est très dommageable pour nous et nos habitants du lieu et de la ville [...] ».
ADD, EPM E 470
2. Liste des « pestilences » du comté de Montbéliard et de l’Ajoie au XVe siècle Dates
Citation
Lieu touché
1418
Peste
Montbéliard
Fin avril 1427
Peste
Région de Montbéliard
1427
Pestilence
Courtedoux (Suisse)
Avril 1428
Peste
Porrentruy, Cœuve
Juin 1428
Peste
Avant 1433
Mortalité
1438
Peste
Région de Montbéliard
Seigneuries de Blamont
et de L’Isle
Clairegoutte
Avant janvier 1442
Mortalité au temps passé
Montbéliard
Novembre 1462
Procession à saint Sébastien
Porrentruy
Août 1468
Grande mortalité
Seigneurie de Granges, Moffans
Novembre 1468
Grande mortalité
Grammont
1468
Mortalité
Clerval
1468-1469
Peste
Porrentruy
er
Avant le 1 mai 1475
Mortalité
Seigneurie de Granges
1479
Peste, mortalité
Lure, Villersexel
1479 ou 1480
Messe de saint Sébastien
Montbéliard
D’après P. Pégeot, Le Pays de Montbéliard et la région de Porrentruy au Moyen Âge, Nancy, 1982, p. 171
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3. La peste à Porrentruy (1531) « Nous étions à Porrentruy depuis douze semaines ; le soir même notre enfant avait appris à faire
cinq pas, quand la peste le saisit et l’enleva en trois jours. Nous le vîmes souffrir d’atroces douleurs ;
lui mort, nous pleurâmes de désespoir, mais nous versions en même temps de douces larmes en le
sentant délivré de son martyre. Sa mère lui tressa une jolie couronne et le maître d’école de
Porrentruy l’inhuma derrière Saint-Michel. Le docteur Epiphanius vit notre tristesse et remarquant
qu’Anni ne chantait plus joyeusement comme auparavant, il me dit : « Ta femme a perdu sa gaieté
et la mienne craint que cette mélancolie ne leur fasse prendre à toutes deux la peste ; ce serait donc
de ta part chose sage de partir avec Anni ». Je suivis ce conseil et conduisis ma femme à Zurich ; nous
ne dépensâmes que 5 batzen dans ce voyage. Puis je retournai à Porrentruy.
J’arrivai chez le maître un dimanche soir ; je le trouvai à table, tout seul ; son haleine empestait le
vin : « Ô Thomas, s’écria-t-il, combien tu as eu tort d’emmener Anni (c’était lui-même qui m’y avait
engagé) ; à peine étiez-vous loin que ma femme a été attaquée du fléau ; elle est dans la chambre
haute, avec un gros bubon à la jambe. » Le maître avait pris peur, de sorte qu’il s’enivrait chaque jour
pour s’étourdir ».
Extrait de l’autobiographie de Thomas Platter, cité par P. Pégeot, Le Pays de Montbéliard et l’Ajoie à la
fin du Moyen Âge, pochette pédagogique n° 11, AMM, doc. 3b
Danse macabre : la mort prend l’enfant
Dessin d’après une enluminure du XVe siècle
BNF
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Fiche 2 : les guerres
1. Les Écorcheurs
a. Enquête sur les excès des Écorcheurs (1444) « Jehannete femme Thevenin Chausset dudit Angeulx, eaigé d’environ XXXVI ans, examiné en l’absence de son mari, juré, dit que les gens du Roy du siege de Montigny le Roy, environ sont IX ans, vindrent séjourner audit Angeulx, firent à son mary et à elle les dommaiges qui s’ensuignent : c’est assavoir, prindrent son mary et le batirent tres enormement, et le lierent et voloient ardoir, et de fait le
rotisserent et l’eussent bruler, se ne se fut rainçonner de dix alnes de feustaines, deux paires d’estivalx
que costerent trois frans ».
« Jehannette, femme de Thévenin Chausset du dit Anjeux, âgé d’environ 36 ans, interrogée en l’absence de son mari, juré, dit que les gens du roi après le siège de Montigny (Haute-Marne), il y a environ 9 ans, vinrent séjourner au dit Anjeux et firent à son mari et à elle les dommages qui s’ensuivent : c’est à savoir, prirent son mari et le battirent très énormément, et le lièrent et ils voulaient le
brûler et de fait le rôtirent et l’auraient brûlé, s’il n’avait été rançonné de dix aunes de futaine et de
deux paires de bottes qui coûtaient 3 francs ».
A. Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, documents, Montbéliard, 1875, p. 364
b. La destruction de Chamabon en 1439 « Chamabon fut livré aux flammes par les Écorcheurs qui, sous la conduite de Gilles de Saint-Simon,
étaient venus ravager la région ».
Duvernoy, Les villages ruinés du comté de Montbéliard, Arbois, 1847, p. 10
c. Extraits des comptes de la ville de Montbéliard mentionnant la présence des Écorcheurs dans le Pays.
Comptes de 1437-1438
« Item, despendirent ceulx qu’ilz adraserent la porte de canon, ceulx qu’il adraserent les cannon, ceulx
qu’il aprirent à traire les cannon et les coluevres, maistre Hannus la Barbe du chaistel, Hugue Poutier
son filz, et pluseurs aultres qu’il sont estez par plusieurs fois pour visiter par-dessus les murs par tout
le temps que les Escourcheulx sont estez tant en l’Alemaigne vers Estrabourg, à Dampnemairie et
Grantviller, et demeurerent par le terme d’ung mois et trois jours, de despandirent XII fl. III g. une eng. ».
« Item, dépensèrent ceux qui équipèrent la porte de canons, ceux qui amenèrent les canons, ceux
qui apprirent à tirer avec les canons et les couleuvrines, maître Hannus la Barbe du château, Hugues
Poutier son fils et plusieurs autres qui à plusieurs reprises visitèrent les murs pendant tout le temps
que les Écorcheurs étaient en Allemagne vers Strasbourg, à Dannemarie et à Grandvillars et ils restèrent un mois et un jour et dépensèrent 12 florins 2 gros et une engrogne ».
« Item, le juesdi après la saint Ylaire (16 janvier 1439 n. st.) furent les bourgois ensemble pour le fait de
la ville, et especialment pour adviser pour gectier fuer partie des povres gens de la ville, et en furent
getiez certains quantitez de povres gens, et sedit jour fut le communlx ensemble en la maison et monsr
le baillif pour avoir advis de mectre ung bannelier et certainnes ordonnances en la ville, se despanderent se dit jour chiez Richart Philippe XV gros VI eng. ».
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« Item, le jeudi après la saint Hilaire (16 janvier 1439), les bourgeois se réunirent pour le fait de la ville
et spécialement pour délibérer s’il fallait jeter hors de la ville une partie des pauvres gens, et un certain nombre fut chassé et ce dit jour le commun fut réuni en la maison de ville avec Monseigneur
le Bailli pour décider de mettre un bannelier et des ordonnances dans la ville. Et furent dépensés ce
dit jour chez Richart Philippe 15 gros et 6 engrognes ».
A. Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, documents,
Montbéliard, 1875, p. 494-495, AMM, CC 63/5, fol. 11
d. Le futur Louis XI, alors « dauphin de Viennois » qui, à la tête des Écorcheurs, occupe Montbéliard
et confirme les franchises de la ville (17 août 1444) AMM, AA1/9
« Loys aisné filz du roy de France, daulphin de Viennois, a tous ceulx qui ces présentes lettres verront,
salut. Comme puis certain temps en ça Henry, bastart de Montbelliart, et autres de la ville et païs de
Montbelliart, ses alliez et complisses, aient par leur folle entreprise et desraisonnable voullenté, sans
cause raisonnable, fait défier mon seigneur, et lui ait ledit bastart et ses dits alliez fait et porté guerre
comme à son ennemy […] nous soyons a ceste cause venuz et transportez à puissance de gens de
guerre es païs voisins de ladicte ville et païs de Montbelliart pour icellui mectre en nostre main ; pour
eschever l’efusion de sanc humain ayons par deliberacion de nostre conseil et chevalerie envoyé par
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devers les cappitaines et gouverneurs de ladite ville de Montbelliart leur fere requerir que icelle nous
voulissent bailler et délivrer libéralement, sans ce que nous y convenist proceder par puissance d’armes,
en nous faisant plainiere obbeissance, affin que plus grant inconveniant ne s’en puest ensuir, et que la
dicte ville et chastel de Montbelliart ne cheussent en toutalle destruction, ce que ne vouldrions […]
confermons et approuvons touz et chascuns les privilleges, franchises, coustumes et libertez, en quoy
ilz et chacun d’eulx et leurs predeccesseurs sont et ont acoustumé d’estre de touz temps et d’ancienneté [...] ».
« Louis, fils du roi de France, dauphin du Viennois, à tous ceux qui ces présentes lettres verront,
salut. Comme depuis quelque temps Henri (de Franquemont), bâtard de Montbéliard, et d’autres de
la ville et pays de Montbéliard, ses alliés et complices, ont par leur folle entreprise et déraisonnable
volonté, sans raison, fait défier mon seigneur et lui ait lui et ses alliés fait la guerre comme à son
ennemi [...] pour ces raisons, nous sommes venus avec force gens de guerre des pays voisins pour
mettre la main sur la ville et le pays de Montbéliard, et pour éviter toute effusion de sang, à la suite
d’une délibération de notre conseil et chevalerie adressée aux gouverneurs et capitaines de la ville,
nous leur avons demandé de bien vouloir nous la livrer, sans que nous convenions d’y procéder par
les armes, en nous faisant entière obéissance, afin qu’empêcher un plus grand inconvénient et que
la ville et le château ne tombent en totale destruction, ce que nous ne voulons [...]. Nous confirmons
et approuvons tous les privilèges, franchises, coutumes et libertés, que tous et chacun d’eux et leurs
prédécesseurs ont coutume avoir de tous temps [...] ».
A. Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, Montbéliard, 1875, t. 2, p. 7-11
2. Un épisode des guerres de Bourgogne : siège et démantèlement de Blamont (1475) Siège de Blamont (1475)
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Démantèlement des fortifications de Blamont (1475)
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Fiche 3 : les malheurs et leurs conséquences
1. Destructions
a. L’hôpital des Graviers à Montbéliard (1450)
« [...] un hôpital avec une chapelle munie d'une cloche et de toutes choses nécessaires pour le service divin, hors de la ville de Montbéliard, avec beaucoup de revenus, pour recueillir les pauvres et
pour leur demeure : lequel hôpital aurait été entièrement démoli par les troupes, durant les guerres qui régnaient de ce temps là dans le pays. Laquelle requête des dits sieurs Bourgeois contenait
encore que la situation du dit hôpital était fort mal assurée et beaucoup dommageable à la ville à
cause des courses que faisaient les gens de guerre ».
Madeleine Fortin, La charité et l’assistance publique à Montbéliard sous l’Ancien Régime,
Besançon, 1933, p. 232-233, pièce justificative n° 5
b. Le monastère de Belchamp
1432 : « iceluy monastère ait été ars (incendié) et du tout détruit et mêmement leurs dites lettres y ont
été arcées et perdues… »
1478 : Monastère de Belchamp brûlé lors de la guerre contre Charles le Hardi.
« Le monastère avoit été totalement ars et brûlé par la fortune des guerres qui lors dernièrement
avoient régné en ces marches entre les pays de Bourgogne et d’Allemaigne ».
Archives SEM
2. Dépopulation (population par village en feux ou familles) Villages
Avant
1350
1407
1424
1426
1441
1457
1467
1472
Sainte-Marie
36
23
21
Désandans
24
15
21
1482
Blamont
160
69
38
Villars-lèsBlamont
40
15
8
Arcey
55
Granges-leBourg
86
Montenois
33
54
30
40
42
28
P. Pégeot, Le Pays de Montbéliard et l’Ajoie à la fin du Moyen Âge,
pochette pédagogique n° 11, AMM, p. 6
documents 10
dossier 7
la crise de la fin du moyen âge
3. Abandon de terres « trois meis vacants par mortalité et pauvreté […] les gens s’en sont allés hors du pays » (Abbévillers,
1394) ; « huit meix vacants […] les gens sont morts et les terres sont en bois […] » (Badevel, 1457) ; « les
habitants ont perdu le labourage et cultivement de leurs terres par infortune de guerre […] »
(Abbévillers, 1480).
D’après P. Pégeot, Le Pays de Montbéliard et l’Ajoie à la fin du Moyen Âge,
pochette pédagogique n°11, AMM, p. 7
4. Villages désertés : l’exemple de Chamabon (commune d’Ecurcey, Doubs, lieu-dit : près de Champ
Babon) 1386 : « Chamabon, dix maignies (familles) franches » (AN, K 1830).
1439 : « Chamabon fut livré aux flammes par les Écorcheurs qui, sous la conduite de Gilles de SaintSimon, étaient venus ravager la région ».
Duvernoy, Les villages ruinés du comté de Montbéliard, Arbois, 1847, p. 10
1440 : les communautés d’Autechaux et d’Ecurcey se partagent le territoire de Chamabon.
E. Affolter, P. Pégeot, J.-C. Voisin, L’habitat médiéval fortifié dans le nord de la Franche-Comté,
Montbéliard, 1986, p. 61
5. Malaise social : la multiplication des messes anniversaires
« Nous Vuillemin le maçon autrement dit Montaignon bourgeois de Montbeliard et Marguerite sa
femme donne […] ausdits doyen et chappitre […] deux solz et demy de censes annuelle […] assis et assigné sur ung chaisault qu’est à present en curtil seant en la ville de Montbeliart en la rue derrier […] et
pour lesdits deux solz et demy estevenans sont et doivent estre pour l’anniversaire de Jehan de
Champey et Mairie fille de feu Guesanguier jadis bourgeois dudit Montbeliart femme dudit Jean qui
se dira et celebra chascun an le lundy devant la feste de Toussains […] ».
« Nous Vuillemin le maçon surnommé Montaignon, bourgeois de Montbéliard, et Marguerite, sa
femme, donnons [...] auxdits doyen et chapitre [de Saint-Maimbœuf] deux sols et demi de cens
annuel [...] assis et assigné sur une parcelle qui est à présent en jardin, située en la ville de
Montbéliard, en la rue derrière [...] et les dits deux sols et demi estevenants (monnaie de Besançon)
sont et doivent être pour l’anniversaire [du décès] de Jean de Champey et de Marie, fille de feu
Guesanguier jadis bourgeois de Montbéliard qui se dira et célèbrera annuellement le lundi avant la
Toussaint [...] ».
ADD, G 1444, Livre rouge du chapitre de Saint-Maimbœuf, folio IX r° (1450, 1er juin)
Transcrit par Sylvia Katancevic, Le Livre rouge du chapitre de Saint-Maimbœuf…, t. 2, p. 11
documents 11
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la crise de la fin du moyen âge
Exercices
Une danse macabre, Riquewihr
Cliché A. Bouvard
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dossier 7
la crise de la fin du moyen âge
Exercice
La crise de la fin du Moyen Âge
1. Les malheurs du temps
J’analyse des documents.
Fiche 1, document 1 : une crue du Doubs en 1380
a. Quel accident météorologique est mentionné par l’auteur ?
b. Quel en est le résultat ?
c. À ton avis, quelles autres conséquences peut avoir cet événement sur la production agricole ?
Fiche 1, documents 2 et 3 : liste des pestilences, la peste à Porrentruy
a. Quelle maladie est ici évoquée ? Quelles en sont les caractéristiques : symptômes, durée, effets ?
b. Qui touche-t-elle en priorité ? Pourquoi ?
c. Calcule la périodicité moyenne des épidémies.
d. Face à ce fléau, quelles sont les réactions de la population? (3 réponses attendues)
Fiche 2, documents 1a, 1b, 1d, 2 : les Écorcheurs
a. Cherche qui sont les Écorcheurs ? Qui les emploie ? À quelle occasion ?
b. Quels excès commettent-ils ? Dans quel but ?
c. Qu’est-ce qu’un siège ?
d. Dans le texte 1d, relève les expressions qui décrivent les conséquences possibles de la prise d’une ville.
Complète en analysant les enluminures de Diebold Schilling.
e. À travers ces documents, justifie le terme d’Écorcheurs donné à ces soldats.
2. Une société en crise
J’analyse les documents.
Fiche 3, documents 2, 3 et 4 : dépopulation, abandon de terres, villages désertés
a. Quelle est l’évolution générale de la population du comté entre 1350 et 1482 ?
b. Prends deux villages en exemple et suis cette formulation : la population de…, entre… et…, a été
multipliée/divisée (raye la mention inutile) par…
c. Quelles sont, dans les documents 3 et 4, les autres manifestations de cette évolution démographique ?
À l’aide des fiches 1 et 2, indique-en les causes.
d. Dans le document 3, explique l’expression « les terres sont en bois » ?
exercice 1
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3. Je fais un bilan
a. Complète ce graphique en plaçant dans les bonnes cases les termes suivants : abandon de terres, guerres,
épidémie de peste, villages désertés, dérèglement climatique.
b. Mets à côté des flèches, sur les pointillés, l’explication qui convient : propagation des épidémies par les soldats, pillage et destruction des récoltes, réduit les défenses face à la contagion.
Baisse des récoltes
Famine
Affaiblissement des individus
Dépopulation
a pour conséquence
exercice 2

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