Article en PDF - Culture (ULg)

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Article en PDF - Culture (ULg)
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
Evil Dead, à feu et à sang
Depuis l'aube des années 2000, Hollywood est contaminé par un
phénomène de mode lié à la relecture de classiques du cinéma d'horreur. La dernière maison sur la
gauche, La Chose, La Malédiction, Halloween, Vendredi 13, Les Griffes de la nuit,… autant de mythes
horrifiques fondateurs qui sont passés sur le bloc opératoire et qui s'ajoutent à la longue liste en
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vogue des remakes. Evil Dead , le film culte de Sam Raimi sorti en 1983, n'a pas dérogé à la règle.
Avant de pouvoir approcher pleinement le remake conçu par le cinéaste uruguayen Federico Alvarez,
il convient de se rafraîchir la mémoire et de replonger dans l'œuvre originale de Raimi qui l'a révélé
au grand public, bien loin d'un monde fantastique.
Affiche d'Evil Dead (2013) de Federico Alvarez
La révolution gore par l'absurde de Sam Raimi
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 11/02/2017
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Affiche originale d'Evil Dead (1981)
Considéré dès sa sortie en 1983 comme l'un des films le plus emblématique du cinéma d'horreur au même
titre que Braindead (1992) de Peter Jackson, ou Re-Animator (1985) de Stuart Gordon à la même époque,
Evil Dead a remporté un franc succès qui s'explique en grande partie par l'ingéniosité dont a fait preuve Sam
Raimi. Épaulé par ses deux comparses Robert Tapert (producteur) et Bruce Campbell (acteur) avec lesquels il
a fait ses gammes à l'Université du Michigan, Raimi se lance dans la réalisation de son premier long métrage,
Evil Dead, qui va marquer à jamais de son empreinte le genre horrifique. Avec un budget très maigre mais
habité par un réel désir de faire du cinéma et armé d'une culture cinéphilique à toute épreuve, Raimi propose
une œuvre ludique et novatrice.
Il s'appuie sur un large éventail d'astuces techniques qui lui permettent de ne pas dépenser d'argent et surtout
de retranscrire un univers qui lui est résolument propre. Il explore ainsi dans son film une imagerie gore
confectionnée avec des bouts de ficelles (les cadavres en décomposition) et de bois (c'est littéralement autour
d'une branche de bois que Raimi accrochera sa caméra pour tourner les fameuses séquences symbolisant
l'approche du mal dans la forêt), transformant ses mouvements de caméra en réelles entités démoniaques.
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Un
des démons de Sam Raimi dans le film de 1981
Inscrit dans un récit à l'intrigue rudimentaire (cinq jeunes partent faire la fête dans une cabane et déclenchent
une malédiction démoniaque par l'intermédiaire d'un livre et d'une incantation ancestrale), les personnages
d'Evil Dead sont tout autant caricaturaux que le lieu dans lequel Raimi choisit d'établir son espace de jeu (une
cabane lugubre et un sous-sol qui l'est tout autant). Le personnage de Ashley (Ash), interprété par un Bruce
Campbell à l'allure gauche, icône toute puissante de la saga en devenir Evil Dead, symbolise à lui seul la
logique et l'approche absurde qui habite le discours de Raimi, assumant un décalage total avec la réalité et
proposant un film d'horreur innovant.
C'est précisément par cette prise de conscience du caractère grotesque et
absurde de son propos que Raimi réussit à concevoir un film ludique dont les séquences gores ne sont que
le prolongement de l'idiotie et de l'innocence liées aux personnages. Il n'hésite d'ailleurs pas à inclure dans
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son film des codes empruntés au répertoire mélodramatique (musique d'ambiance, histoire d'amour, peur de
la perte et de la séparation avec l'être aimé…), assumant encore un peu plus la logique qui l'habite.
En assumant totalement le décalage de son film et la radicalité de l'exposition de ses propres codes horrifiques,
Sam Raimi renouvelle le cinéma d'horreur sur fond d'une histoire de malédiction qui influencera de nombreux
cinéastes attirés par le genre (de Braindead (1992) de Peter Jackson à La Cabane dans les bois (2012) de
Drew Goddard).
Le personnage d'Ash interprété par Bruce Campbell
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Evil Dead a donné naissance à deux autres films, composant ainsi une trilogie, Evil Dead II (1987) et L'Armée
des ténèbres (Army Of Darkness, 1992), tout deux réalisés également par Sam Raimi.
Le remake d'Alvarez, voie sang issue
Conscient de la difficulté de l'exercice consistant à s'attaquer au mythe Evil Dead, les producteurs (le trio
gagnant du film original à savoir Raimi lui-même, et ses deux fidèles compagnons, Tapert et Campbell) ont
choisi de confier le projet à un jeune réalisateur uruguayen, Federico Alvarez révélé par son court Panic Attack!
en 2009, confrontant ainsi le cinéaste à la même situation professionnelle du premier long métrage que Sam
Raimi. Le film a ensuite été vendu comme le film « le plus gore et terrifiant qui ait jamais été donné à voir ». Le
pari était dès lors d'autant plus risqué que cette annonce inscrivait le film dans la lignée directe de la démarche
de Raimi dont le goût pour la radicalité des scènes gores n'est pas à démontrer.
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Les
démons remis au goût du jour dans le film de 2013
Alors qu'Evil Dead (2013) débute sous les meilleurs auspices avec une séquence d'immolation jouant
à merveille de l'esprit de Rami (le corps humain habité par le fourbe démon imitant ses traits) sur un
nouveau traitement esthétique (plus noir et sombre), le film souffre assez rapidement (et logiquement) de la
comparaison avec son illustre modèle.
L'arrivée des personnages dans la cabane et la figure de David, un des personnages centraux, interprété par
Shiloh Fernandez
Les personnages sont présentés d'emblée à
leur arrivée sur le seuil de la cabane et leurs introductions, diégétique et dans la cabane, semblent dépourvues
de toute sincérité. À l'instar de la séquence où les deux protagonistes principaux s'échangent un collier en
révélant ainsi le lien qui les unit (frère-sœur) sans la moindre implication émotionnelle, les personnages
sonnent creux, loin du charisme gauche émanant d'un Bruce Campbell, et leur position n'est jamais clairement
définie. Découlant peut-être de ce traitement hâtif des personnages et de leur cadre, la position d'Alvarez ne
semble elle-même jamais distinctement établie. Il ne parvient jamais clairement et calmement à s'engager dans
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la démarche conçue par Raimi qu'il a choisi de suivre. Tout va trop vite, à l'image de la séquence introductive
des personnages, comme si Alvarez avait fait le choix de dresser grossièrement le portrait de la cabane et
des protagonistes dans l'unique but de se focaliser sur des ressorts gores et sanguinolents. Même lors des
séquences imitant les images de Raimi qui symbolisent l'arrivée du mal depuis les bois, Alvarez ne réussit
qu'à rendre une pâle copie. Il ne parvient jamais à se réapproprier les images en leur ôtant toute la tension
dramatique dont Raimi les insufflait, et les exploite de manière hâtive, sans prendre la peine de s'attarder
sur elles.
Le film de Raimi était efficace car il appuyait son récit sur des personnages consistants dont les liens et les
réactions, traitées et surtout assumées de manière humoristique et décalée, permettaient de conférer une
puissance authentique aux scènes gores qui découlaient de leur situation. Le Evil Dead version 2013 peine et
hésite maladroitement à endosser cette étiquette engagée. Dans son traitement esthétique et atmosphérique,
il semble constamment voguer entre deux eaux, celle de l'insouciance et de la liberté des années 80 et celle
de la dureté et de la noirceur des années 2000. Piégé dans cette logique contradictoire, le film ne convainc
que très rarement. Alvarez passe totalement au travers de sa relecture du mythe Evil Dead, tant dans son
traitement de l'espace et des personnages, que dans son exploration visuelle et formelle, laissant dès lors le
film étranger à l'esprit de Raimi, uniquement retranscrit au début et à la fin du film.
Car il faut malheureusement attendre les quelques séquences finales pour voir Alvarez assumer totalement sa
mise en scène, grâce à un traitement plus approfondi de la relation unissant le frère et la sœur. Il confère alors
un impact plus empathique et efficace aux représentations gores et autres ressorts horrifiques qui découlent
de la relation des personnages. À ce moment là, mais trop tardivement, la mécanique marche, et la démarche
d'Alvarez est clairement identifiable et louable.
Le bain de sang final renouant enfin avec l'esprit de Raimi
En voulant s'attaquer à l'un des plus éminents représentants du cinéma d'horreur, la machine hollywoodienne
expose à nouveau son incapacité à faire naître des films égalant le niveau d'exigence imposé par leur modèle.
Alors que les films originaux étaient conçus en toute indépendance des grands réseaux de réalisation et du
circuit des studios, les remakes sont plus que jamais ancrés dans cette logique industrielle. Dès lors, à quoi
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bon tenter vainement de faire renaître des films qui étaient pensés selon des logiques totalement différentes
de celles de leur remake ? Ne vaudrait-il mieux pas tenter de se détacher pleinement de la démarche de
ces films et d'en proposer un traitement différent ? Ou simplement s'atteler à construire de nouveaux mythes
centrés autour d'histoires résolument novatrices, en puisant éventuellement dans des codes préexistants ? Un
peu d'audace que diable ! Mais à une époque où le cinéma de genre horrifico-fantastique français, espagnol
ou encore japonais semble plus florissant que jamais, le cinéma américain quant à lui, plus gros fournisseur
de films d'horreur de l'histoire du cinéma, démontre à nouveau avec le remake d'Evil Dead qu'il semble plus
que jamais à court d'imagination.
Nicolas Hainaut
Mai 2013
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Nicolas Hainaut est en 2 année de Master en Arts du spectacle, à finalité spécialisée en cinéma
documentaire. Son sujet de mémoire : L'émergence du cinéma de genre horrifique en France dans
les années 2000.
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